Lettres sur le Yoga - Part 1

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Sri Aurobindo

Letters on subjects including 'The Supramental Evolution', 'Integral Yoga and Other Paths', 'Religion, Morality, Idealism and Yoga', 'Reason, Science and Yoga', 'Planes and Parts of the Being', 'The Divine and the Hostile Powers', 'The Purpose of Avatarhood' and 'Rebirth, Fate and Free-Will, Karma and Heredity'. Sri Aurobindo wrote most of these letters in the 1930s to disciples living in his ashram.

Sri Aurobindo Birth Centenary Library (SABCL) Letters On Yoga - Part 1 Vol. 22 1776 pages 1970 Edition
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Sri Aurobindo

Letters on subjects including 'The Supramental Evolution', 'Integral Yoga and Other Paths', 'Religion, Morality, Idealism and Yoga', 'Reason, Science and Yoga', 'Planes and Parts of the Being', 'The Divine and the Hostile Powers', 'The Purpose of Avatarhood' and 'Rebirth, Fate and Free-Will, Karma and Heredity'. Sri Aurobindo wrote most of these letters in the 1930s to disciples living in his ashram.

French Translations of books by Sri Aurobindo Lettres sur le Yoga - Part 1
French Translation

Sri Aurobindo

Lettres sur le Yoga  

 

PREMIÈRE PARTIE

 
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Première édition: 24 avril 1982

 

SRI AUROBINDO ASHRAM
PONDICHÉRY

 

 

Note de L'Éditeure

 

Les textes réunis ici datent pour la plupart de la période 1932-1942; l'original figure au volume XXII (pp. 1-229) de la collection des œuvres complètes de Sri Aurobindo publiée en 1972, à l'occasion du centenaire de sa naissance. Ils proviennent de différentes sources: correspondances avec des disciples proches ou lointains, mais aussi commentaires suscités par la lecture du journal que chaque Ashramite tenait à l'époque, et dont Sri Aurobindo prenait périodiquement connaissance. Plutôt que de lettres ou de réponses à des questions, il s'agit alors de brèves remarques que Sri Aurobindo portait en marge, ou de développements plus longs qu'il rédigeait sur des feuillets séparés, à propos des récits d'expériences, des réflexions, mais aussi des préoccupations humaines et matérielles des disciples.

Certains de ces textes ont été regroupés sous la direction de Sri Aurobindo et publiés en trois courts recueils intitulés: Lumières sur le Yoga (1935), Les Bases du Yoga (1936), Nouvelles Lumières sur le Yoga (1948); ils sont signalés en note. Les deux premiers recueils ont paru en français, dans une traduction de la Mère qui est reprise ici.

 


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Facsimilé d'une lettre d'un disciple, avec les reponses de Sri Aurobindo.

(Voir Letters on Yoga, Centenary Edition, vol.22, p.313-14)

L'Évolution Supramentale

 

En d'autres temps, la recherche de l'accomplissement spirituel était, au moins dans certaines civilisations, plus intense et plus répandue qu'à notre époque, ou plutôt qu'elle ne l'a été dans le monde en général durant les quelques derniers siècles. Car maintenant la courbe de la recherche semble amorcer un nouveau tournant qui part de ce qui a été accompli dans le passé et se projette vers un avenir plus grand. Mais toujours, même au temps des Véda ou en Égypte, l'accomplissement spirituel ou la connaissance occulte était le fait de quelques-uns, et n'était pas répandu dans la masse entière de l'humanité. La masse de l'humanité évolue lentement, elle contient en elle-même tous les stades de l'évolution, depuis l'homme matériel et vital jusqu'à l'homme mental. Une petite minorité s'est poussée au-delà des barrières, ouvrant les portes de la connaissance occulte et spirituelle et préparant la montée de l'évolution, au-delà de l'homme mental, jusqu'à l'être spirituel et supramental. Quelquefois cette minorité a exercé une énorme influence, comme dans l'Inde védique, en Égypte, ou, selon la tradition, en Atlantide, et a décidé de la civilisation de l'espèce, la marquant d'un puissant sceau spirituel ou occulte; quelquefois elle est restée à l'écart dans des écoles ou des ordres secrets, n'influençant pas directement une civilisation qui était plongée dans l'ignorance matérielle ou dans le chaos et l'obscurité, ou encore dans la froide clarté extérieure qui rejette la connaissance spirituelle.

Les cycles de l'évolution tendent toujours vers le haut, mais ce sont des cycles et ils ne montent pas en ligne droite. Le processus donne en conséquence l'impression d'une série de montées et de descentes, mais l'essentiel de ce que l'évolution a gagné est préservé, ou, s'il est éclipsé pour un temps, réapparaît sous des formes nouvelles adaptées aux âges nouveaux. La création a descendu tous les degrés depuis le Supramental jusqu'à la Matière et à chaque degré elle a créé un monde, un règne, un plan ou un ordre propre à ce degré.

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Dans la création du monde matériel s'est produit une plongée de la Conscience descendante dans une Inconscience apparente, et une émergence de cette Conscience hors de cette Inconscience, degré par degré, jusqu'à ce qu'elle retrouve ses sommets spirituels et supramentaux les plus hauts et qu'elle manifeste leurs pouvoirs ici, dans la Matière. Mais même dans l'Inconscience il y a une Conscience secrète qui travaille, pourrait-on dire, par une Intuition involuée et cachée qui lui est propre. À chaque niveau de Matière, à chaque niveau de Vie, cette intuition adopte une méthode propre à ce niveau et agit de derrière le voile, soutenant et mettant en œuvre les nécessités immédiates de la Force créatrice. Il y a une Intuition dans la Matière qui soutient l'action du monde matériel depuis l'électron jusqu'au soleil, aux planètes et à leur contenu. Il y a une Intuition dans la Vie qui, de même, soutient et guide le jeu et le développement de la Vie dans la Matière jusqu'à ce qu'elle soit prête pour l'évolution dont l'homme est le véhicule. Dans l'homme aussi la création suit le même processus ascendant — l'Intuition au-dedans se développe selon le niveau qu'il a atteint dans son progrès. Même l'intellect précis du scientifique, qui est enclin à nier l'existence séparée de l'Intuition ou sa supériorité, ne peut cependant avancer véritablement sans avoir derrière lui une Intuition mentale qui lui permet de progresser ou de deviner ce qui doit être fait. L'Intuition est donc présente au commencement et au milieu des choses autant qu'à leur consommation.

Mais l'Intuition ne prend sa forme juste que quand, au-delà du domaine mental, on entre dans le domaine spirituel, car là seulement elle émerge tout à fait de derrière le voile et révèle sa nature véritable et complète. En même temps que l'évolution mentale de l'homme, s'est déclenchée très tôt une autre évolution qui prépare l'être spirituel et supramental. Cette évolution s'est poursuivie sur deux voies: l'une est la découverte des forces occultes dans la Nature, des plans cachés et des mondes dissimulés à notre vue par le monde de la Matière; l'autre est la découverte de l'âme de l'homme et du moi spirituel. Si la tradition de l'Atlantide est

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exacte, il s'agissait d'une progression qui a atteint les confins de la connaissance occulte, mais ne pouvait aller au-delà. L'Inde des temps védiques nous a relaté l'autre voie d'accomplissement, celle de la découverte spirituelle de soi; la connaissance occulte était là, mais elle restait subordonnée. Nous pouvons dire qu'ici, en Inde, le règne de l'intuition est venu en premier, le Mental intellectuel se développant ultérieurement dans la philosophie et la science plus récentes. Mais en fait la masse des hommes de l'époque, c'est bien évident, vivait entièrement sur le plan matériel, adorait les Divinités de la Nature matérielle, cherchait à en obtenir des biens entièrement matériels. Les mystiques védiques par leurs efforts eurent la révélation des choses cachées grâce à un pouvoir de vision, d'audition et d'expérience intérieures, qui était réservé à un nombre limité de saints et de sages, et gardé soigneusement secret pour la masse de l'humanité  — le mystique préconisait toujours le secret. Nous pouvons très bien attribuer cette floraison de l'Intuition sur le plan spirituel à une rapide réémergence de biens essentiels amenés ici-bas par un cycle précédent. Si nous analysons l'histoire spirituelle de l'Inde, nous voyons que ce sommet une fois atteint, une descente s'est produite qui a tenté de reprendre chacun des degrés inférieurs de la conscience déjà évoluée et de la relier, en haut, à la conscience spirituelle. L'âge védique fut suivi d'une grande explosion de l'intellect et de la philosophie qui, tout en prenant pour base la vérité spirituelle, essayait de la rejoindre, non par une Intuition directe ou des procédés occultes comme le faisaient les voyants védiques, mais par le pouvoir de la pensée réflexive, spéculative, logique du mental; au même moment se sont élaborés des procédés de yoga qui utilisaient le mental pensant comme moyen d'atteindre la réalisation spirituelle, spiritualisant en même temps le mental lui-même. Puis vint une ère de développement des philosophies et des procédés de yoga qui employaient de plus en plus l'être émotionnel et esthétique comme instrument de réalisation spirituelle et spiritualisaient le niveau émotionnel de l'homme au moyen du cœur et des sentiments. Cela s'accompagna des

 

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procédés tantriques et autres qui prenaient la volonté mentale, la volonté de vie et la volonté des sensations pour en faire à la fois les instruments et le domaine de la spiritualisation. Le Hatha-yoga et les diverses tentatives de divinisation du corps suivaient aussi une voie d'effort qui tentait d'aboutir au même accomplissement dans la Matière vivante; mais la vraie méthode spécifique, le vrai pouvoir spécifique de l'Esprit dans le corps n'ont pas encore été découverts. Nous pouvons dire par conséquent que la Conscience universelle, après sa descente dans la Matière, y a conduit l'évolution sur deux chemins, l'un d'ascension vers la découverte du Moi et de l'Esprit, l'autre de descente à travers les niveaux déjà évolués du mental, de la vie et du corps, afin de faire descendre aussi dans ces niveaux la conscience spirituelle et d'accomplir ainsi quelque intention secrète dans la création de l'univers matériel. Notre yoga est dans ses principes une reprise, un condensé et un complément de ce processus, un effort pour monter au niveau supramental le plus élevé possible et pour faire descendre sa conscience et son pouvoir dans le mental, la vie et le corps.

Les conditions matérialistes de la civilisation actuelle avec son intellect et son effort vital extrovertis, que vous trouvez si pénibles, ne sont qu'un épisode, mais un épisode qui était peut-être inévitable. Car si le but à atteindre est la spiritualisation du mental, de la vie et du corps, et la présence consciente de l'Esprit jusque dans la conscience physique et dans le corps matériel, une époque devait peut-être venir qui mette la Matière et la vie physique au premier rang et se consacre à l'effort de l'intellect pour découvrir la vérité de l'existence matérielle. D'une part, en matérialisant tout, y compris l'intellect, cette époque a suscité pour le chercheur spirituel l'extrême difficulté dont vous parlez, mais d'autre part, elle a donné à la vie dans la Matière une importance que la spiritualité du passé était encline à lui refuser. D'une certaine façon, elle a fait de la spiritualisation de la Matière une nécessité de la recherche spirituelle et ainsi a aidé au mouvement de descente de la conscience spirituelle évolutive dans la Nature terrestre. Davantage,

 

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nous ne pouvons lui concéder; son effet conscient a été plutôt d'étouffer et presque d'éteindre l'élément spirituel dans l'humanité; c'est seulement par une utilisation divine de la pression des contraires et par une intervention d'en haut que viendra l'issue spirituelle.

 

Toutes les phases de l'histoire humaine peuvent être considérées comme un développement de la conscience terrestre, où chaque phase a sa place et sa signification; ainsi, cette phase matérialiste intellectuelle devait venir et a eu, sans aucun doute, sa raison d'être et sa signification. On peut soutenir aussi que l'un de ses buts était d'expérimenter pour voir jusqu'où irait la conscience humaine par la seule maîtrise extérieure et intellectuelle de la Nature et par les seuls moyens physiques et intellectuels, sans intervention d'aucune connaissance supérieure; on peut soutenir que, par sa résistance, elle peut aider à attirer la conscience spirituelle qui grandit derrière toutes les vicissitudes et l'amener à tenter de maîtriser la Matière afin de la tourner vers le Divin, comme les tantriques et les vishnouïtes l'ont tenté dans la nature vitale inférieure et émotive, sans se contenter, comme les védântin, de tourner le mental vers le Suprême. Mais il est difficile d'aller plus loin ou de soutenir que le matérialisme est lui-même une chose spirituelle, ou que la condition obscure, confuse et violente de l'Europe contemporaine était une préparation indispensable à la descente de l'Esprit. Cette obscurité et cette violence, qui semblent décidées à détruire cette lumière d'idéalisme mental et ce désir d'harmonie qui avaient réussi à s'établir dans le mental de l'humanité, sont évidemment dues à la descente de Pouvoirs féroces et obscurs qui cherchent à posséder le monde humain à leurs propres fins et non à des fins spirituelles. Il est vrai que certains occultistes ont prédit que cette ruée des forces asouriques des mondes vitaux les plus sombres serait le premier résultat de la pression de la Descente divine dans le domaine vital, mais ceci était

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considéré comme une circonstance de la bataille, non comme quelque chose qui aiderait à la Victoire divine. Le malaxage de la Matière par les efforts de l'intellect humain pour conquérir la Nature matérielle et l'utiliser à ses fins peut briser un peu la passivité et l'inertie, peut-être, mais il le fait à des fins matérielles et dans un esprit radjasique, en niant avoir la spiritualité pour base mentale. Ces efforts pourraient finir, et semblent finir, en vérité, dans le chaos et la désintégration, tandis que les nouvelles tentatives de création et de réintégration semblent combiner l'obscure rigidité de la Nature matérielle et un retour à la brutalité et à la violence barbare d'une Nature vitale à demi animale. Comment les forces spirituelles vont-elles manier tout cela ou utiliser ce malaxage des énergies de l'univers matériel? Les voies de l'Esprit sont des voies de paix, de lumière et d'harmonie; s'il doit combattre, c'est précisément à cause de la présence de ces forces qui essaient d'éteindre la lumière spirituelle ou de s'y opposer. Avec le changement spirituel, l'inertie doit faire place à la paix et au calme divins; la trouble énergie radjasique, à un dynamisme tranquille et puissant, pur, libéré, tandis que le mental doit se faire plastique à l'action d'une Lumière de Connaissance plus haute. Comment les activités du matérialisme se prêteront-elles à ce changement?

Le matérialisme ne peut guère être spirituel à la base, parce que sa méthode de base est juste à l'opposé de la manière spirituelle de faire les choses. L'Esprit œuvre du dedans au dehors; la manière matérialiste travaille du dehors au dedans. Le matérialisme considère le dedans comme un résultat du dehors, comme un phénomène de la Matière, fondamentalement, et il fonde son action sur cette conception des choses. Il cherche à "perfectionner" l'humanité par des moyens extérieurs, et l'un de ses principaux efforts est de construire une machine sociale parfaite qui dressera et contraindra les hommes à être ce qu'ils doivent être. L'annulation de l'ego dans le Divin, tel est l'idéal spirituel; mais là, il est remplacé par l'immolation de l'individu à l'État militaire et industriel. Où est la spiritualité dans tout cela? La spiritualité

 

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ne peut venir que d'une ouverture du mental, du vital et du physique à l'âme profonde, au Moi supérieur, au Divin, et de leur subordination aux forces spirituelles, de leur utilisation comme des canaux de la Lumière intérieure, de la Connaissance et du Pouvoir supérieurs. Les autres activités — mentales, esthétiques, vitales — sont souvent appelées "spiritualité", à tort, car il leur manque le caractère essentiel sans lequel ce mot perd sa vraie signification.

 

 

 

Quand il y a une pression sur le monde vital due à la Descente d'en haut qui se prépare, ce monde précipite habituellement quelque chose de lui-même dans le monde humain. Le monde vital est très vaste et dépasse de beaucoup le monde humain en étendue. Mais habituellement il domine par une influence, non par une descente. Évidemment cette partie du monde vital s'efforce toujours de maintenir l'humanité sous son empire et de faire obstacle à la Lumière plus haute.

 

 

La descente vitale ne peut empêcher la descente supramentale — encore moins les nations nanties peuvent-elles le faire par leur pouvoir matériel, puisque la descente supramentale est fondamentalement un fait spirituel qui portera inéluctablement ses conséquences extérieures. Ce qu'ont fait les descentes vitales antérieures consistait à falsifier la lumière qui descendait, comme dans l'histoire du christianisme où elle a pris possession de l'enseignement et l'a dilué et dépourvu de tout accomplissement étendu. Mais le supramental est par définition une Lumière qui ne peut être déformée s'il descend de son propre gré et par sa propre présence. Ce n'est que lorsqu'il s'abstient d'agir et permet aux Pouvoirs inférieurs de conscience d'utiliser une Vérité diminuée et déjà gauchie que les Forces vitales peuvent s'emparer de la connaissance et l'employer à servir leurs desseins.  

 

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Tout ce que vous dites se ramène, d'un point de vue général, au fait qu'en ce monde à évolution lente l'homme a émergé de la bête et n'en est pas encore sorti, la lumière a émergé de l'obscurité, et une conscience supérieure d'une inconscience d'abord sans vie, puis en lutte et confuse. Une conscience spirituelle est en train d'émerger, et c'est à travers cette conscience spirituelle qu'on peut rencontrer le Divin. Les religions, pleines d'éléments vitaux et mentaux mélangés, confus et ignorants, ne peuvent recevoir que des étincelles du Divin; la raison positiviste, avec ses interrogations fondées sur les choses telles qu'elles sont et refusant de croire en quoi que ce soit de possible ou de futur, ne peut avoir aucune vision. La conscience spirituelle est une conscience nouvelle qui doit évoluer et a déjà évolué. Il est tout à fait naturel qu'en premier lieu et pendant longtemps quelques-uns seulement reçoivent la pleine lumière, alors qu'un plus grand nombre — faible encore par rapport à la masse de l'humanité — en reçoit une partie. Mais ce qui a été gagné par la minorité peut, à un stade de l'évolution, être complété et plus largement généralisé et c'est ce que nous essayons de faire. Si, cependant, cette plus grande conscience de lumière, de paix et de joie doit être atteinte, ce ne peut être par le doute et le scepticisme qui ne peuvent qu'en revenir à ce qui existe déjà et dire: "C'est impossible, ce qui n'a pas été fait dans le passé ne peut pas exister dans l'avenir, ce qui est si imparfaitement réalisé maintenant ne peut être mieux réalisé dans l'avenir." Une foi, une volonté, ou au moins une exigence et une aspiration persévérantes sont nécessaires — un sentiment que cela et cela seul peut me satisfaire, et un élan vers cela qui ne cessera que quand ce sera fait. C'est pourquoi un esprit sceptique et négatif constitue un obstacle; car il empêche que se créent les conditions dans lesquelles l'expérience spirituelle peut se dérouler.

 

 

La descente du supramental est un long processus, ou du

 

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moins un processus dont la préparation est longue; tout ce qu'on peut dire est que le travail se poursuit parfois avec une forte pression vers l'accomplissement, alors que d'autres fois il est retardé par ce qui vient d'en bas et qu'il faut traiter avant qu'un progrès nouveau puisse être fait. C'est un processus d'évolution spirituelle, concentré en une brève période; il ne pourrait en être autrement (à travers ce que les hommes considéreraient comme une intervention miraculeuse) que si le mental humain était plus souple qu'il n'est et moins attaché à son ignorance. Tel que nous l'envisageons, il doit se manifester d'abord en quelques-uns et ensuite s'étendre, mais il est improbable qu'il envahisse la terre en un moment. Il n'est pas recommandé de trop débattre de ce qu'il fera et de la manière dont il le fera, parce que le supramental en décidera lui-même, agissant selon la divine Vérité en lui, et le mental ne doit pas tracer pour lui des sillons à parcourir. Naturellement, la délivrance de l'ignorance subconsciente et de la maladie, la vie prolongée à volonté, et un changement du fonctionnement du corps sont parmi les éléments ultimes du changement supramental; mais les détails doivent être laissés à l'Énergie supramentale pour qu'elle les règle selon la Vérité de sa propre nature.

La descente du supramental est une inévitable nécessité dans la logique des choses et est par conséquent certaine. C'est parce que les gens ne comprennent pas ce qu'est le supramental et ne réalisent pas la signification de l'émergence de la conscience dans un monde de Matière inconsciente qu'ils sont incapables d'en comprendre le caractère inévitable. Je suppose qu'un observateur objectif, s'il y en avait eu un au temps du règne permanent de la Matière inanimée aux commencements de la terre, aurait stigmatisé toute promesse d'émergence de la vie dans un monde de terre, de rochers et de minéraux inertes comme une absurdité et une chimère; de même, plus tard, il aurait répété son erreur et considéré l'émergence de la pensée et de la raison dans un monde animal comme une absurdité et une chimère. Il en est de même maintenant de l'apparition du supramental dans la mentalité

 

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trébuchante de ce monde de conscience humaine et d'ignorance raisonnante.  

 

 

Il est tout à fait possible qu'il y ait eu des périodes d'harmonie à divers niveaux, non supramentaux, qui ont ensuite été troublées — mais ce ne pouvait être qu'une étape ou un lieu de repos dans une courbe d'évolution spirituelle hors de l'Inconscience.¹ 

 

Il est question ici du Divin dans sa manifestation essentielle, qui se révèle à nous comme Lumière et Conscience, Pouvoir, Amour et Beauté. Mais dans sa manifestation cosmique même, le Suprême, étant Infini et n'étant lié par aucune limitation, peut manifester en Lui-même, dans sa conscience faite de possibilités sans nombre, quelque chose qui semble être l'opposé de lui-même, quelque chose où il peut y avoir de l'Obscurité, de l'Inconscience, de l'Inertie, de l'Insensibilité, de la Désharmonie et de la Désintégration. C'est ce que nous voyons à la base du monde matériel et que nous appelons actuellement l'Inconscient — l'Océan inconscient du Rigvéda dans lequel l'Un était caché et d'où il s'élevait sous la forme de notre Univers — ou, comme il est parfois appelé, le non-être, Asat. L'Ignorance qui caractérise notre mental et notre vie découle de cette origine dans l'Inconscience. De plus, dans l'évolution hors de l'existence inconsciente, surgissent naturellement des pouvoirs et des êtres qui ont intérêt à ce que se perpétuent toutes les négations du Divin, erreur et inconscience, chagrin, souffrance, obscurité, mort, faiblesse, maladie, manque d'harmonie, le Mal. D'où la perversion de la manifestation ici-bas, son incapacité à révéler la véritable essence du Divin. Pourtant, à la base même de cette évolution, tout ce qui est divin est là, involué, et pressé

 

¹Nouvelles Lumières sur le Yoga, chapitre 1.

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d'évoluer. Lumière, Conscience, Pouvoir, Perfection, Beauté, Amour. Car dans l'Inconscience même et derrière les perversions de l'Ignorance, la Conscience divine demeure cachée et travaille, et doit apparaître de plus en plus, rejetant finalement ses déguisements. C'est pourquoi on dit que le monde est appelé à exprimer le Divin.

Ce que vous dites de l'évolution supramentale est correct, sauf qu'il ne s'ensuit pas que l'humanité dans son ensemble deviendra supramentale. Plus vraisemblablement, la descente établira le principe supramental dans l'évolution, tout comme le principe mental s'est établi par l'apparition du Mental et de l'Homme pensant dans la vie terrestre. Il y aura une espèce supramentale sur la terre tout comme il y a maintenant une espèce mentale. L'homme lui-même trouvera une plus grande possibilité de s'élever jusqu'aux plans intermédiaires entre son mental et le supramental, et de rendre efficaces les pouvoirs de ces plans dans sa vie, ce qui amènera un grand changement dans l'humanité sur terre, mais il n'est pas probable que le stade mental disparaîtra de l'échelle ascendante; si tel est le cas, la persistance d'une espèce mentale sera nécessaire pour former une étape entre le vital et le supramental dans le mouvement évolutif de l'Esprit.

On peut envisager une descente d'êtres supérieurs telle que celle que vous suggérez comme une partie du processus de changement. Mais la partie principale du changement sera l'apparition de l'être supramental et l'organisation d'une nature supramentale ici-bas, de même que l'être mental est apparu et que la nature mentale s'est organisée durant le dernier stade de l'évolution. Actuellement, je préfère ne pas parler de la descente d'êtres supérieurs parce que l'expérience m'a prouvé que cela conduisait à un romantisme vain et souvent égoïste qui détourne l'attention du vrai travail: la réalisation du Divin et la transformation de la nature.

 

Ce que nous faisons, si nous réussissons et quand nous

 

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réussirons, ne sera qu'un commencement, non un aboutissement. C'est la fondation d'une nouvelle conscience sur terre — une conscience qui a des possibilités infinies de manifestation. Le progrès éternel est dans la manifestation; au-delà d'elle il n'y a pas de progrès.

Si le but est de racheter l'âme de son enveloppe physique, alors la supramentalisation n'est pas nécessaire. La moukti spirituelle et le Nirvana y suffisent. Si le but consiste à s'élever aux plans supra-physiques, alors la supramentalisation n'est pas nécessaire non plus. On peut entrer dans quelque paradis supérieur par la dévotion au Seigneur de ce paradis. Mais ce n'est pas un progrès. Les autres mondes sont des mondes typiques, chacun est fixé dans son propre genre, son propre type, sa propre loi. L'évolution a lieu sur la terre et par conséquent la terre est le milieu approprié au progrès. Les êtres des autres mondes ne progressent pas d'un monde à un autre. Ils restent fixés dans leur propre type.

Les védântistes purement monistes disent: tout est Brahman, la vie est un rêve, une irréalité; seul Brahman existe. On a le Nirvana ou la moukti, ensuite on vit jusqu'à ce que le corps tombe — après cela il n'y a plus de vie.

Ils ne croient pas à la transformation, parce que le mental, la vie et le corps sont une ignorance, une illusion — la seule réalité est le Moi sans forme et sans relation, Brahman. La vie est une chose de relations; dans le Moi pur, toute vie, toutes relations disparaissent. Quelle serait l'utilité ou la possibilité de transformer une illusion qui ne pourra jamais être autre chose (quelle que soit la transformation) qu'une illusion? Pour eux il ne peut exister de "vie nirvânique".

Seuls certains yoga ont pour but une transformation autre que celle de l'ignorance en connaissance. L'idée varie — parfois une connaissance divine ou un pouvoir divin, ou encore une divine pureté, ou une perfection éthique, ou un amour divin.

Ce qu'il faut surmonter, c'est l'opposition de l'Ignorance qui ne veut pas de la transformation de la nature. Si cela peut être surmonté, alors les idées spirituelles anciennes ne

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constitueront plus un obstacle.

L'intention n'est pas de supramentaliser l'humanité en général, mais d'établir le principe de la conscience supramentale dans l'évolution terrestre. Si cela est fait, tout ce qui est nécessaire sera évolué par le Pouvoir supramental lui-même Il n'est donc pas important que la mission soit étendue. L'important est que cela soit fait en quelques-uns, si peu nombreux soient-ils; c'est la seule difficulté.

Si la transformation du corps est complète, cela signifie qu'il ne sera plus soumis à la mort — cela ne signifie pas qu'on sera obligé de garder le même corps pour toujours. On se créera un nouveau corps quand on voudra changer, mais comment cela se fera, il est impossible de le dire maintenant. La méthode actuelle est la naissance physique — quelques occultistes supposent qu'un temps viendra où ce ne sera pas nécessaire — mais c'est à l'évolution supramentale d'en décider.

Il n'est pas possible de répondre maintenant de manière profitable aux questions concernant le supramental. Le supramental ne peut être décrit en des termes que le mental puisse comprendre, parce que ces termes seraient intellectuels et que le mental les comprendrait d'une manière intellectuelle et dans un sens mental et passerait à côté de leur véritable portée. Ce serait donc perdre un temps et une énergie qui devraient être voués au travail préliminaire — psychicisation et spiritualisation de l'être et de la nature sans lesquelles aucune supramentalisation n'est possible. Que toute la nature dynamique conduite par le psychique s'emplisse de la lumière, de la paix, de la pureté, de la connaissance, de la force dynamiques et spirituelles; qu'elle reçoive ensuite l'expérience des plans spirituels intermédiaires; qu'elle connaisse, sente et agisse dans leur sens; puis il sera possible de parler en dernier lieu de la transformation supramentale.  

 

 

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Qu'est-ce qu'une parfaite technique de yoga ou plutôt d'un yoga qui changerait le monde ou changerait la Nature? Pas une technique qui prend un homme par un petit bout de lui-même quelque part, l'attache à un crochet et le hisse à l'aide d'une poulie jusqu'au Nirvana ou au Paradis. La technique d'un yoga qui change le monde doit être aussi multiforme, sinueuse, patiente, globale que le monde lui-même S'il ne s'attaque pas à toutes les difficultés ou à toutes les possibilités et ne traite pas soigneusement chaque élément nécessaire, a-t-il aucune chance de succès? Et une technique parfaite que tout le monde peut comprendre en est-elle capable? Il ne s'agit pas d'écrire un petit poème dans un mètre fixe avec un nombre limité de variantes. Si vous comparez à un poème, c'est le Mahâbhârata d'un Mahâbhârata qu'il faut faire. Et comparée à la perfection limitée des Grecs, quelle est la technique du Mahâbhârata?

Ensuite, à quoi sert la vitchârabouddhi dans un tel cas? Si l'on doit acquérir une nouvelle conscience qui surpasse l'intellect raisonnant, peut-on le faire en suivant des voies qui doivent être jugées et comprises par l'intellect raisonneur, contrôlées par lui à chaque pas, commandées par l'intellect en tout ce qu'il doit faire, quelle est la mesure de son accomplissement, quelle doit être sa démarche et quelle sera sa valeur? Si l'on fait cela, sortira-t-on jamais du domaine de l'intelligence raisonneuse pour entrer dans ce qui est au-delà d'elle? Et si on y parvient, comment les autres pourront-ils juger ce que l'on fait par des mesures intellectuelles? Comment peut-on juger ce qui est au-delà de la conscience ordinaire quand on est soi-même dans la conscience ordinaire? N'est-ce pas uniquement en vous dépassant que vous pouvez sentir, expérimenter, juger ce qui vous dépasse? Quelle est la valeur d'un jugement sans le sentiment et l'expérience?

Ce que fera le supramental, le mental ne peut ni le prévoir ni en décider. Le mental est une ignorance qui cherche la Vérité, le supramental, par définition, est la Conscience-de-Vérité, la Vérité en possession d'elle-même et s'accomplissant elle-même par son propre pouvoir. Dans un monde

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supramental l'imperfection et le manque d'harmonie sont destinés à disparaître. Mais ce que nous nous proposons pour le moment n'est pas de faire de la terre un monde supramental, mais d'y faire descendre le supramental en tant que pouvoir et conscience stable au sein du reste — de le laisser travailler et s'accomplir, comme le Mental est descendu dans la Vie et la Matière et y a travaillé en tant que Pouvoir pour s'accomplir au milieu du reste. Cela suffira à changer le monde et à changer la Nature en brisant ses limites actuelles. Mais ce qu'il fera, comment et par quelles étapes, est une chose qui ne doit pas encore être dite — quand la Lumière sera là, la Lumière fera elle-même son travail — quand la Volonté supramentale se tiendra sur terre, cette Volonté décidera. Elle établira une perfection, une harmonie, une création de Vérité — pour le reste, ce sera le reste — c'est tout.

 

L'humanité tout entière ne peut être changée d'un seul coup. Ce qu'il faut, c'est faire descendre la Conscience supérieure dans la conscience terrestre et l'y établir en tant que force permanente réalisée. Tout comme le mental et la vie sont établis et incarnés dans la Matière, ainsi faut-il établir et incarner la Force supramentale.  

 

Il ne serait pas possible de changer tout cela en un moment — nous avons toujours dit que l'humanité tout entière ne changera pas dès l'instant où aura lieu la Descente. Mais ce qui peut être fait, c'est établir le principe supérieur dans la conscience terrestre de telle sorte qu'elle demeure et continue à se renforcer et à s'étendre dans la vie terrestre. C'est ainsi qu'un nouveau principe d'évolution doit nécessairement travailler.

 

 

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Le monde veut et refuse quelque chose qu'il n'a pas. Tout ce que le supramental pourrait donner, le mental supérieur du monde aimerait l'avoir, mais le mental extérieur vital et physique ne veut pas en payer le prix. Mais, après tout, je n'essaie pas de changer le monde d'un seul coup, mais seulement de faire descendre en un point central quelque chose qu'il n'a pas encore, une nouvelle conscience et un nouveau pouvoir.

 

Cette transformation ne peut être faite individuellement ni d'une manière uniquement solitaire. Aucune transformation individuelle et solitaire, sans souci pour le travail terrestre (qui a plus de signification que n'importe quelle transformation individuelle) ne serait ni possible, ni utile. De plus, aucun individu humain ne peut par son seul pouvoir opérer la transformation; le yoga n'a d'ailleurs pas pour objet de créer un surhomme individuel ici ou là. L'objet du yoga est de faire descendre la conscience supramentale sur la terre, de l'y fixer, de créer une espèce nouvelle où le principe de la conscience supramentale régira la vie intérieure et extérieure, individuelle et collective.

Cette force acceptée par un individu après l'autre selon la préparation de chacun établirait la conscience supramentale dans le monde physique et créerait ainsi un noyau pour sa propre expansion.¹ 

 

C'est d'abord à travers les individus que la conscience supramentale s'incorpore à la conscience terrestre; ensuite elle se répand depuis les premiers centres et s'empare de plus en plus de la conscience globale jusqu'à ce qu'elle devienne une force établie ici.

 

¹Nouvelles Lumières sur le Yoga, chapitre 1.

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Tout cela est absurde. La descente du supramental signifie seulement que le Pouvoir sera là, dans la conscience terrestre, comme une force vivante, tout comme le mental pensant et le mental supérieur sont déjà là. Mais un animal ne peut pas profiter de la présence du Pouvoir du mental pensant, ni un homme peu évolué de la présence du Pouvoir du mental supérieur — de même n'importe qui ne sera pas capable de profiter de la présence du Pouvoir supramental. J'ai dit aussi, assez souvent, que ce sera d'abord pour quelques-uns, non pour la terre entière — mais cela aura une influence croissante sur la vie terrestre.  

 

La descente du supramental dans la conscience terrestre ne serait pas nécessairement connue de tous. D'ailleurs, même si la descente était là il faudrait être prêt avant d'obtenir le changement définitif.  

 

Non dans leur totalité — car la transformation du Mental, de la Vie et de la Matière cosmiques n'est pas notre affaire. C'est nous-mêmes que nous devons transformer et c'est la conscience terrestre qu'il faut changer en apportant ici le principe supramental dans l'évolution. Quand il y sera il aura nécessairement une influence puissante sur toute la vie terrestre — semblable à celle que le mental a eue à travers l'évolution de l'homme, mais bien plus grande.  

 

 

Il n'est pas possible qu'une force comme le supramental descende sans produire un grand changement dans les circonstances terrestres. Il ne s'ensuit pas que tout deviendra supramentalisé et ce n'est pas nécessaire — mais le mental

 

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lui-même sera influencé, comme la vie a été influencée par le développement du mental sur la terre.  

 

 

Rien de permanent ne peut être fait sans la vraie Force supramentale. Mais sa descente aurait pour résultat que dans la vie humaine, l'intuition deviendrait une force plus grande et plus développée qu'elle ne l'est maintenant, et que les autres pouvoirs intermédiaires entre le mental et le supramental deviendraient aussi plus habituels et étendraient leur action de façon organisée.  

 

Comment savez-vous que notre yoga n'aura aucun effet sur les gens ordinaires? Il accroîtra inévitablement leurs possibilités et même si tous ne peuvent pas atteindre les plus hauts sommets, l'effet en sera un grand changement pour la terre.  

 

Il serait au contraire impossible que les gens ordinaires ne sentent pas qu'une Lumière et un Pouvoir plus grands sont venus sur la terre.

 

Ce n'est pas pour des considérations de profits ou de pertes que la Conscience divine agit — c'est là un point de vue humain, nécessaire au développement humain. Le Divin, comme dit la Guîtâ, n'a rien à gagner ni rien qu'il n'ait pas, et pourtant il projette son pouvoir d'action dans la manifestation. C'est la conscience terrestre, non le monde supramental, qui a quelque chose à gagner dans la descente du principe supramental — et c'est là une raison suffisante pour qu'il

 

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descende. Les mondes supramentaux restent tels qu'ils sont et ne sont en aucune manière affectés par la descente.

 

 

"S'ouvrant le passage d'en bas"¹ signifie ceci, que la force supramentale, en descendant, éveille une réponse d'en bas dans la conscience terrestre, de sorte qu'il est possible qu'une activité supramentale prenne forme dans l'activité matérielle elle-même. Tout est potentialité involuée dans la conscience terrestre — vie, mental, supramental — , mais ce n'est que lorsque la force de vie est descendue que le mental latent dans la Matière s'est éveillé et a pu être organisé. La descente supramentale doit créer la même sorte d'ouverture d'en bas afin que la conscience supramentale puisse être organisée dans la conscience matérielle.

 

 

La terre contient toutes les potentialités qui apparaissent dans les êtres terrestres et aussi beaucoup d'autres qui sont inexprimées.

 

Oui. la terre est le lieu de l'évolution dans lequel toutes ces forces se rencontrent et essaient de se manifester; quelque chose doit se développer à travers leur travail. Sur les autres plans (le mental, le vital, etc.) il n'y a pas d'évolution — là chaque force agit séparément selon sa propre loi.

 

¹"...c'est seulement la plus haute force supramentale descendant d'en haut et s'ouvrant le passage d'en bas qui pourra manier victorieusement la nature physique et annihiler ses difficultés."

Sri Aurobindo, La Mère, chapitre I.

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(La conscience terrestre:) C'est la conscience de notre Terre seulement. Il y a une conscience terrestre globale et séparée (comme pour les autres mondes) qui évolue avec l'évolution de la vie sur la planète.

 

 

Oui, tout cela est la conscience terrestre minéral = matière, végétal = création physico-vitale, animal = création vitale, homme = création mentale. Dans la conscience terrestre ainsi limitée au mental, au vital et à la matière, doit venir la création supramentale. Nécessairement, cela ne peut pas affecter en premier lieu un grand nombre d'individus — mais même s'il ne s'agit d'abord que d'un petit nombre, il ne s'ensuit pas que cela n'aura aucun effet sur le reste ou ne changera pas tout l'équilibre de la nature terrestre

 

Rien ne s'oppose à ce que la vie végétale, animale et humaine évolue dans la Vérité plutôt que dans l'Ignorance — si la connaissance apparaît sur le plan terrestre.

 

Le supramental peut agir directement sur tout s'il est amené dans la conscience matérielle — dans l'organisation actuelle des choses il est latent par-derrière et agit par d'autres moyens.

 

(Action directe du supramental sur les plantes dès maintenant:) Non, on ne peut pas dire cela. C'est la force vitale qui travaille, mais il y a une sorte d'intuition sous-jacente dans cette Force de Vie qui est derrière toute l'action et c'est ce

 

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qu'on peut appeler un reflet ou un Pouvoir délégué derrière lequel se tient le supramental latent.

 

 

Si spirituel et supramental étaient la même chose, comme, selon vous, l'imaginent mes lecteurs, alors tous les sages, dévots, yogi, sâdhak à travers les âges auraient été des êtres supramentaux et tout ce que j'ai écrit sur le supramental ne serait qu'un fatras superflu, oiseux et sans objet. Quiconque ayant eu des expériences spirituelles serait un être supramental; l'Ashram serait bondé d'êtres supramentaux et tous les autres Ashram de l'Inde aussi. Les expériences spirituelles peuvent se fixer dans la conscience intérieure et la changer, la transformer si vous voulez: on peut réaliser le Divin partout, le Moi en tous et tous en le Moi, la Shakti universelle faisant toutes choses; on peut se sentir fondu dans le Moi cosmique, ou plein de bhakti extatique ou d'Ânanda. Mais on peut, et habituellement c'est ce que l'on fait, continuer dans les autres parties de la nature à penser avec l'intellect ou, au mieux, avec le mental intuitif, à vouloir avec une volonté mentale, à ressentir la joie et la peine à la surface du vital, à subir des atteintes physiques et à souffrir du combat de la vie dans le corps contre la mort et la maladie. Le seul changement alors sera que le moi intérieur regardera tout cela sans être troublé ni déconcerté, avec une parfaite égalité, l'acceptant comme une partie inévitable de la Nature, inévitable tant que l'on ne se retire pas dans le Moi hors de la Nature. Ce n'est pas cette transformation que j'ai en vue. C'est un tout autre pouvoir de connaissance, une autre sorte de volonté, une autre nature lumineuse d'émotion et d'esthétique, une autre organisation de la conscience physique qui doit apparaître par le changement supramental.

 

La réalisation spirituelle peut être obtenue sur n'importe quel

 

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plan par le contact avec le Divin (qui est partout) ou par la perception du Moi au-dedans, qui est pur et non touché par les mouvements extérieurs. Le supramental est quelque chose de transcendant — une Conscience-de-Vérité dynamique qui n'est pas encore là, quelque chose qu'il faut faire descendre d'en haut.¹

 

 

Seul le supramental est toute-connaissance. Au-dessous, tout, du surmental à la Matière, est Ignorance — une Ignorance qui s'élève de niveau en niveau vers la pleine connaissance. Au-dessous du supramental il peut y avoir une connaissance mais ce n'est pas la toute-connaissance.

 

Je n'ai pas dit que tout est mensonge sauf la Vérité supramentale. J'ai dit qu'il n'y a pas de Vérité complète en-dessous de la Vérité supramentale. Dans le surmental la Vérité du supramental, qui est totale et harmonieuse, se fragmente en parties, de nombreuses vérités s'affrontent, et chacune est poussée à s'accomplir, à fabriquer un monde à elle ou encore à prédominer ou à s'approprier sa part dans des mondes faits d'une combinaison de Vérités et de forces de Vérité diverses et séparées. Plus bas dans l'échelle, la fragmentation devient de plus en plus prononcée, jusqu'à permettre une erreur positive, un mensonge, une ignorance, et finalement une inconscience comme celle de la Matière. Ce monde-ci est donc sorti de l'Inconscience et a élaboré le Mental qui est un instrument de l'Ignorance s'efforçant d'atteindre la Vérité à travers toutes sortes de limitations, de conflits, de confusions et d'erreurs. Retourner au surmental, si on peut le faire complètement, ce qui n'est pas facile pour des êtres physiques, revient à se tenir aux frontières de la Vérité supramentale avec l'espoir d'y entrer.

 

¹Nouvelles Lumières sur le Yoga, chapitre 1.

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Il ne peut y avoir ni règle ni définition mentale. Il faut d'abord vivre dans le Divin et atteindre la Vérité. La volonté et la conscience de la Vérité organiseront la vie.

C'est dans le Brahman inactif qu'on se fond, si on cherche laya ou môksha. On peut demeurer dans le Divin personnel, mais on ne se fond pas en lui. Quant au Divin suprême, il contient en lui l'existence du monde et c'est dans sa conscience qu'elle se meut; en entrant dans le Suprême on s'élève donc au-dessus de la sujétion à la Nature, mais on ne disparaît pas hors de toute conscience d'existence terrestre.

La Volonté divine générale dans l'univers tend vers la manifestation progressive dans l'univers. Mais c'est la volonté générale — elle admet le retrait des âmes individuelles qui ne sont pas prêtes à persévérer dans le monde.

Ce n'est pas l'immortalité du corps, mais la conscience de l'immortalité dans le corps qui peut venir avec la descente du surmental dans la Matière ou même dans le mental physique ou avec le contact de la Lumière supramentale modifiée sur la conscience du mental physique. Ce sont des ouvertures préliminaires, mais ce n'est pas l'accomplissement supramental dans la Matière.

Si le supramental est décrété, rien ne peut l'empêcher; mais les choses se font ici par un jeu de forces, et une atmosphère ou des conditions défavorables peuvent le retarder même si elles ne peuvent l'empêcher. Même quand une chose est déterminée, elle ne se présente pas comme une certitude à la conscience d'ici (surmentale — mentale — vitale — physique) avant que le jeu des forces ait agi jusqu'à un certain point où la descente, non seulement est, mais paraît inévitable.¹

 

 

Le changement supramental est l'étape ultime de la siddhi et il ne viendra vraisemblablement pas si tôt; mais il y a beaucoup de niveaux entre le mental normal et le supramental et il est

 

¹Nouvelles Lumières sur le Yoga, chapitre 1.

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facile de prendre pour un changement supramental une montée à l'un de ces niveaux ou une descente de leur conscience ou de leur influence.

Il est tout à fait impossible de monter jusqu'au plan réel de l'Ananda (sauf dans une transe profonde) avant d'être entré dans la conscience supramentale, de l'avoir réalisée et possédée; mais il est tout à fait possible et normal de ressentir quelque forme de la conscience de l'Ananda à n'importe quel niveau. Cette conscience, où qu'elle soit ressentie, est une dérivation du plan de l'Ananda, mais elle est très diminuée en pouvoir et modifiée pour s'adapter au pouvoir moindre de réceptivité des niveaux inférieurs.¹

   

 

Je présume que c'est le développement du Pouvoir de Vérité et du Pouvoir d'Ânanda dans la conscience surmentale qui se prépare. L'Ananda transcendant en lui-même ne pourrait descendre qu'après la supramentalisation complète de l'être et signifierait un changement stupéfiant dans la conscience terrestre. C'est la Vérité divine dans le surmental et l'Ananda divin dans le surmental qui peuvent maintenant préparer leur manifestation et c'est ce qu'indiquent ces expériences.

 

 

C'est le supramental que nous devons faire descendre, manifester, réaliser — quoi que ce soit de plus haut est impossible à ce stade de l'évolution, sinon comme un reflet dans la conscience ou un pouvoir délégué et modifié par sa descente.

 

 

Je ne sais pas ce que le Mahatma Gandhi veut dire par

 

¹Nouvelles Lumières sur le Yoga, chapitre 1.

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complète réalisation.¹ S'il entend par là une réalisation telle qu'il ne reste rien à réaliser, plus de développement possible, alors je suis d'accord — j'ai parlé moi-même de progression divine ultérieure, d'un développement infini. Mais la question n'est pas là: la question est de savoir si l'ignorance peut être transcendée, si une réalisation complète et essentielle est possible ou non, une réalisation par laquelle la conscience, d'obscure, devient lumineuse, par laquelle un instrument de l'Ignorance cherchant la connaissance devient un instrument ou plutôt une manifestation de la Connaissance marchant vers une Connaissance plus grande, une manifestation de la Lumière s'élargissant, se haussant jusqu'à une plus grande Lumière. Mon opinion est que cette conversion est non seulement possible, mais inévitable dans l'évolution spirituelle de l'être ici-bas. L'incarnation n'a rien à voir avec cela. Ce n'est pas la vie qui s'incarne, mais la conscience et son énergie dont la vie n'est qu'une phase ou une force. De même que la vie a élaboré le mental, et que l'incarnation s'est modifiée pour se conformer à cette élaboration (le mental est précisément l'instrument principal de l'ignorance cherchant la connaissance), de même le mental peut élaborer le supramental qui dans sa nature même est une connaissance qui ne cherche pas pour elle-même mais se manifeste automatiquement par son propre pouvoir, et l'incarnation peut de nouveau se modifier ou être modifiée d'en haut pour se conformer à ce développement. La foi est un moyen nécessaire pour arriver à la réalisation, parce que nous sommes ignorants et ne savons pas encore ce que nous cherchons à réaliser; la foi est en vérité une connaissance qui donne à l'ignorance une révélation d'elle-même avant de se manifester,

 

¹Ces observations portent sur la déclaration suivante du Mahatma Gandhi, qu'un sâdhak avait soumise à Sri Aurobindo en lui demandant son opinion:

"Je soutiens qu'une réalisation complète est impossible dans notre vie incarnée. Elle n'est pas non plus nécessaire. Une foi vivante et immuable est tout ce qui est exigé pour que l'être humain atteigne la pleine stature spirituelle dont il est capable."

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c'est le rayon qu'envoie le Soleil avant son lever. Quand le Soleil se lèvera, le rayon ne sera plus nécessaire. La connaissance supramentale se soutient d'elle-même. Elle n'a pas besoin d'être soutenue par la foi; elle vit de sa propre certitude. Vous direz peut-être qu'une progression ultérieure, un développement ultérieur auront besoin de la foi. Non, car le développement ultérieur se fera sur une base de Connaissance, non d'Ignorance. Nous marcherons dans la lumière de la Connaissance vers les perspectives plus vastes qu'elle ouvre à son propre accomplissement en nous.

 

 

Une évolution hors de l'Inconscient ne sera pas nécessairement douloureuse s'il n'y a pas de résistance; elle peut être une éclosion du Divin délibérément lente et belle. Il faudrait être capable de voir combien la Nature extérieure peut être belle, et l'est habituellement, bien qu'elle soit elle-même apparemment "inconsciente". Pourquoi la croissance de la Conscience dans la Nature intérieure devrait-elle être accompagnée de tant de laideur et de mal, qui gâtent la beauté de la création extérieure? À cause d'une perversité née de l'Ignorance, qui est venue avec la vie et a crû par le Mental — c'est le Mensonge, le Mal né de la rigidité du sommeil de l'Inconscience, qui sépare son action de la luminosité du Conscient secret toujours présent en nous. Mais il n'était pas nécessaire qu'il en soit ainsi, sinon à cause de la Volonté toute-puissante du Suprême dont l'intention était que les possibilités de perversion par l'inconscience et l'ignorance soient manifestées afin d'être éliminées par le fait même d'avoir eu leur chance, puisque toute possibilité doit se manifester quelque part; ces possibilités éliminées, la Manifestation divine dans la Matière sera plus grande qu'elle n'aurait pu être, parce qu'elle combinera toutes les possibilités impliquées dans cette création difficile et pas seulement quelques-unes, comme cela se serait naturellement produit dans une création plus facile et moins ardue.

 

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"De la beauté à une beauté plus grande, de la joie à une joie plus intense, par une adaptation spéciale des sens" — oui, tel serait le déroulement normal d'une manifestation divine, quelque graduelle qu'elle soit, dans la Matière. "Sonorité discordante et odeur répugnante" sont créées par une désharmonie entre la conscience et la Nature et n'existent pas en elles-mêmes; elles n'existeraient pas pour une conscience libérée et harmonisée, car elles seraient étrangères à son être et n'affligeraient pas une âme et une Nature se développant dans une juste harmonie. Même "le volcan vomissant, la tempête rugissante et le typhon tourbillonnant" sont en eux-mêmes des choses grandioses et belles et ne sont néfastes ou terrifiants que pour une conscience incapable de leur faire face, d'en venir à bout ou de conclure un pacte avec les esprits du Vent et du Feu. Vous considérez que la manifestation de l'Inconscient doit être ce qu'elle est ici et maintenant, et qu'aucun autre monde de Matière n'était possible, mais l'harmonie de la Nature matérielle elle-même montre que la création peut ne pas être nécessairement discordante, mauvaise, furieusement perturbée et pénible — s'il avait été permis à l'être psychique de se manifester le premier dans la Vie et le Mental et de guider l'évolution au lieu d'être relégué derrière le voile, il aurait été le principe d'une harmonie toujours jaillissante: tous ceux qui ont senti le psychique travailler en eux, libre de l'intervention vitale, voient immédiatement que tel en serait l'effet, à cause de sa perception sans erreur, de son choix vrai, de son action harmonisante. S'il n'en a pas été ainsi, c'est parce que les Sombres Pouvoirs ont fait de la Vie une revendicatrice et non un instrument. La réalité des Pouvoirs Hostiles, la nature de leur rôle et la direction de leur effort ne peuvent être mises en doute par celui qui a reçu la vision intérieure et fait leur déplaisante connaissance.

 

 

"L'esprit divin, en s'incarnant dans les formes, a donc tout

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prévu et tout voulu. Mais alors, comment a-t-il l'air de poursuivre un but, la conscience, puisqu'il pouvait le réaliser du premier coup? Pourquoi a-t-il permis la douleur et le mal qui sont dans son essence même? Si le mal humain peut être attribué aux hommes, l'injustice qui frappe les animaux et les plantes ne peut être attribuée qu'à l'ordre divin. Pourquoi l'ordre divin n'a-t-il pas tout organisé dans la joie? La douleur ne perfectionne pas toujours et plus souvent elle jette dans un irrémédiable désespoir. "

(Question posée par Maurice Magre¹)

 

À Maurice Magre, bien sympathiquement.

Votre lettre m'a été communiquée et les questions que vous y posez furent pour moi, à une certaine époque de mon développement, d'un intérêt trop intense pour que je ne prenne pas grand plaisir à y répondre. Pourtant, une réponse exprimée mentalement, quelque complète qu'elle puisse être, ne peut jamais être la réponse, celle qui fait taire les doutes et calme l'esprit. La certitude ne peut venir qu'avec l'expérience spirituelle, et les plus beaux ouvrages philosophiques ne pourront jamais valoir ni remplacer quelques minutes de Connaissance vécue.

Vous dites: "Un homme de développement moyen, qui n'est plus tourmenté de désirs terrestres, qui n'est uni au monde que par ses affections, doit-il renoncer à l'espoir de ne pas se réincarner? N'y a-t-il pas, après l'état humain, un état moins matériel où l'on passe quand on n'est plus rappelé par le désir, dans l'état humain? Cela me semble rigoureusement logique. L'homme ne peut être au sommet de l'échelle. Les animaux sont tout près de lui, n'est-il pas tout près de l'état suivant?"

Tout d'abord, ce qui maintient le rapport avec la terre, ce ne sont pas seulement les désirs du vital, mais tout mouvement

  ¹Maurice Magre est l'auteur de nombreux ouvrages, en particulier de À la Poursuite de la Sagesse (Charpentier, 1936) où il a consacré un chapitre à Sri Aurobindo et à la Mère. Signalons aussi le Livre des Certitudes Admirables (Avignon, 1941).

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spécifiquement humain, et certes les affections en font partie. On est aussi lié à la nécessité de la réincarnation par ses affections, par ses sentiments, que par ses désirs. Cependant, au sujet de la réincarnation, comme en toute chose, chaque cas a sa solution propre, et il est certain qu'une aspiration constante vers la libération des renaissances, unie à un effort soutenu d'élévation, de sublimation de la conscience, doit avoir pour résultat de couper la chaîne des existences terrestres, sans pour cela mettre fin à l'existence individuelle qui se prolonge dans un autre monde. Mais pourquoi penser que cette existence dans un autre monde, plus éthéré, soit "l'état suivant" qui serait par rapport à l'homme ce que l'homme est à l'animal? Il me paraît plus logique de penser (et la connaissance profonde confirme cette certitude) que l'état suivant sera un état physique lui aussi, quoique d'un physique qu'on puisse concevoir comme magnifié, transfiguré par la descente, l'infusion de la Lumière et de la Vérité. Tous les âges et les millénaires de vie humaine qui se sont écoulés sur terre jusqu'à présent, ont préparé l'avènement de cet état nouveau, et maintenant le temps est venu des réalisations concrètes et tangibles. C'est l'essence même de l'enseignement de Sri Aurobindo, le but du groupe qu'il a laissé se former autour de lui, la raison d'être de son Ashram.

Pour votre seconde question,¹ j'avais l'intention de vous envoyer la traduction de quelques extraits des œuvres de Sri Aurobindo. Mais lorsque je lui ai dit que je voulais traduire des passages de La Vie Divine pour vous les envoyer, il m'a répondu que je n'aurais pas moins de deux chapitres à traduire si je voulais vous transmettre une réponse à peu près complète. Devant ma perplexité il a, de lui-même, décidé d'écrire quelques nouvelles pages sur le sujet; il me les a remises tout dernièrement et j'ai commencé de suite la traduction.

Je ne voudrais pas déflorer les belles pages que je vais avoir le privilège de traduire, mais en attendant de pouvoir vous les envoyer, je vous donnerai, si vous le permettez, ma

 

¹Celle qui a fait l'objet de L'Énigme de ce Monde.

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vue, très simpliste et succincte du problème.

Il me paraît incontestable que l'univers dans lequel nous nous trouvons n'est pas parmi les plus réussis, surtout dans son expression la plus extérieure; mais il est incontestable aussi que nous en faisons partie, et par suite, la seule chose qui pour nous soit logique et sage, est de nous mettre à l'œuvre pour le perfectionner, pour tirer le meilleur du pire et faire de lui le plus merveilleux univers qui soit. Car, ajouterai-je, non seulement cette transfiguration est possible, mais elle est certaine.

Que la paix et la joie de la Connaissance soient avec vous.

La Mère

 

On ne peut nier — en fait aucune expérience spirituelle ne nie — que ce monde ne soit ni idéal ni satisfaisant et qu'il soit fortement marqué du sceau de l'imperfection, de la souffrance et du mal. En vérité, cette perception est en quelque sorte le point de départ de l'impulsion spirituelle, excepté chez le petit nombre à qui l'expérience supérieure vient spontanément sans qu'ils soient contraints au détachement par le sentiment puissant ou accablant, affligeant, de l'Ombre qui surplombe tout le champ de l'existence manifestée. Cependant, la question reste: est-ce là vraiment, comme on le prétend, le caractère essentiel de toute manifestation, ou du moins, tant qu'il y aura un monde physique, celui-ci devra-t-il être nécessairement de cette nature, si bien que le désir de naître, la volonté de se manifester ou de créer, doive être considéré comme le péché originel, et le retrait de la naissance ou de la manifestation comme le seul chemin possible de salut? Pour ceux qui perçoivent le monde ainsi ou d'une façon plus ou moins analogue — et ils ont été la majorité — , il y a des chemins de sortie bien connus, des raccourcis de la délivrance spirituelle. Mais il se peut aussi que le monde ne soit pas ainsi et qu'il semble seulement ainsi à notre ignorance ou à une connaissance partielle: il se peut que l'imperfection, le mal, la

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souffrance soient une circonstance affligeante ou un passage douloureux, mais non la condition même de la manifestation, non l'essence même de la naissance dans la Nature terrestre. Et s'il en est ainsi, la plus haute sagesse ne sera pas dans la fuite, mais dans l'élan vers la victoire ici-même, dans une collaboration consentante avec la Volonté qui est derrière le monde, dans une découverte de la porte spirituelle de la perfection, qui sera en même temps l'ouverture de la descente totale de la Lumière, la Connaissance, la Puissance et la Béatitude divines.

Toute l'expérience spirituelle affirme qu'il y a un Permanent au-dessus du transitoire de ce monde manifesté où nous vivons et de cette conscience limitée où nous tâtonnons et luttons en d'étroites frontières, et que ses caractéristiques sont l'infini, l'existence en soi, la liberté, la Lumière et la Béatitude absolues. Y a-t-il donc un gouffre infranchissable entre ce qui est au-delà et ce qui est ici, est-ce que ce sont deux perpétuels opposés, et l'homme ne peut-il atteindre l'Éternel qu'en quittant cette aventure temporelle et en sautant par-dessus le gouffre? Tel semble l'aboutissement d'une ligne d'expérience qui a été poussée jusqu'à ses plus rigoureuses conclusions par le bouddhisme, et un peu moins rigoureusement par un certain type de spiritualité moniste qui admet quelque rapport entre le monde et le Divin, mais en dernier ressort, les oppose encore l'un à l'autre comme vérité et illusion. Mais il y a aussi une autre expérience, indiscutable, à savoir que le Divin est ici en toute chose, autant qu'il est au-dessus et derrière toute chose; que tout est en Cela, tout est Cela, quand nous nous retirons des apparences vers leur Réalité. C'est un fait, et il est significatif et illuminateur, que celui qui connaît le Brahman, même quand il se meut et agit dans ce monde, même quand il supporte tous ses chocs, peut vivre dans une paix absolue, dans la lumière et la béatitude absolues du Divin. Il y a donc ici quelque chose d'autre que cette tranchante opposition; il y a un mystère, un problème qui semble devoir admettre une solution moins désespérée. Cette possibilité spirituelle indique un autre chemin par-delà, et

 

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amène un rayon d'espérance dans l'obscurité de notre existence déchue.

Une question se pose aussitôt: ce monde est-il une immuable suite de phénomènes toujours semblables, ou recèle-t-il un élan évolutif, un fait évolutif, quelque échelle ascendante qui conduise d'une apparente Inconscience originelle à une conscience de plus en plus développée, et qui de développement en développement monte toujours, pour émerger sur des sommets de plus en plus hauts encore hors de notre atteinte normale? S'il en est ainsi, quel est le sens, le principe fondamental, l'aboutissement logique de cette progression? Tout semble indiquer que cette progression est un fait: que l'évolution n'est pas seulement physique, mais spirituelle. Ici aussi, il existe une ligne d'expérience spirituelle justificatrice par laquelle nous découvrons que l'Inconscient d'où tout part, est seulement une apparence, car en lui se trouve "involuée", enfermée, une Conscience qui a des possibilités sans fin, une Conscience qui n'est pas limitée, mais cosmique et infinie, un Divin caché et emprisonné en soi, dans la Matière, mais qui contient toutes les potentialités en ses profondeurs secrètes. De cette Inconscience apparente, chaque potentialité se révèle tour à tour: d'abord la Matière organisée qui cache l'Esprit immanent, puis la Vie qui surgit dans la plante et s'associe à une mentalité croissante dans l'animal, puis le Mental lui-même qui se développe et s'organise dans l'homme. Cette évolution, cette progression spirituelle, s'arrête-t-elle court ici, à cet être mental imparfait qu'on appelle l'Homme? Ou bien son secret est-il simplement une succession de renaissances dont l'unique but ou l'unique fin est de peiner jusqu'au moment où elle peut apprendre sa propre futilité, renoncer à elle-même et faire le saut en quelque Existence originelle hors des naissances, ou en quelque Non-existence? En tout cas, la possibilité existe et passé un certain point, c'est une certitude — qu'il y a une conscience bien plus grande que ce que nous appelons le Mental, et qu'en gravissant l'échelle un peu plus haut, nous pouvons trouver un point où cesse l'emprise de l'Inconscience

 

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matérielle, de l'Ignorance vitale et mentale; dès lors, un principe de conscience peut se manifester, qui libère, non pas partiellement ou imparfaitement seulement, mais radicalement et totalement le Divin emprisonné. Dans cette vision, chaque étape de l'évolution apparaît comme le résultat de la descente d'un Pouvoir de conscience chaque fois plus haut, qui élève tout le niveau terrestre et crée une nouvelle strate. Mais les plus hauts Pouvoirs ne sont pas encore descendus, et c'est par leur descente que l'énigme de l'existence terrestre trouvera sa solution et que, non seulement l'âme, mais la Nature elle-même, touchera sa délivrance. Telle est la Vérité qui a été vue par éclairs et d'une façon de plus en plus complète par la lignée des voyants que les Tantra appelaient les héros-chercheurs et les divins chercheurs; cette Vérité est peut-être proche maintenant du point où elle pourra être pleinement révélée et pleinement expérimentée. Alors, quel que puisse être le lourd poids de lutte, de souffrance et d'obscurité dans le monde, si tel est le haut résultat qui nous attend, tout ce qui s'est passé avant peut être considéré par les forts et les aventureux comme un prix point trop élevé pour la gloire qui doit venir. En tout cas, l'Ombre se soulève; une Lumière divine se penche sur le monde, et ce n'est pas seulement un vague Éclat incommunicable et hors d'atteinte.

Il est vrai que le problème demeure: pourquoi tout cela a-t-il été nécessaire, ces commencements grossiers, ce long passage orageux? Pourquoi un prix si lourd et si pénible a-t-il été demandé? Pourquoi y a-t-il jamais eu le mal et la souffrance? Car, si l'on regarde le comment, la cause effective de la chute dans l'Ignorance, et non le pourquoi, toutes les expériences spirituelles s'accordent en substance. C'est la division, la séparation, le principe d'isolement hors du Permanent et de l'Un qui l'a produite; c'est parce que l'ego a pris position pour lui-même dans le monde, affirmant son propre désir et sa propre importance, au lieu d'affirmer son union avec le Divin et son unité avec le tout; c'est parce que, au lieu de laisser la suprême et unique Force-Sagesse-Lumière déterminer l'harmonie de toutes les forces, il fut permis à

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chaque idée, chaque force, chaque forme des choses, de s'accomplir autant qu'elle le pouvait dans la masse des possibilités infinies, par sa propre volonté séparée, et donc inévitablement, finalement, par son conflit avec les autres. La division, l'ego, la conscience imparfaite, les tâtonnements et les luttes d'une affirmation de soi indépendante, sont la cause effective de la souffrance et de l'ignorance de ce monde. Dès que les consciences se séparèrent de l'unique conscience, elles tombèrent inévitablement dans l'Ignorance, et le dernier résultat de l'Ignorance fut l'Inconscience. D'un immense et sombre Inconscient le monde matériel a émergé, et en lui s'élève une âme qui, par l'évolution, se fraye un passage vers la conscience, est attirée vers la Lumière cachée, et monte, bien qu'aveuglément encore, vers la Divinité perdue d'où elle était venue.

Mais pourquoi vraiment tout cela est-il arrivé? Il est une manière ordinaire de poser la question, et d'y répondre, qui doit être tout de suite éliminée: la manière humaine et sa révolte, ses reproches éthiques, sa clameur émotive. Car, contrairement à ce que certaines religions supposent, ce n'est pas une Déité personnelle, supracosmique et arbitraire, elle-même nullement affectée par la chute, qui a imposé le mal et la souffrance à des créatures produites par le caprice de son "fiât". Le Divin que nous connaissons est un Être infini, et c'est dans son infinie manifestation que ces choses ont pris place; c'est le Divin lui-même qui est ici, derrière nous, imprégnant la manifestation, soutenant le monde par son unité; c'est le Divin qui est en nous, soulevant lui-même le fardeau de la chute et ses sombres conséquences. Si, en haut, Il se tient à jamais dans sa Lumière, sa Béatitude et sa Paix parfaites, il est ici-bas aussi: sa Lumière, sa Béatitude et sa Paix sont secrètement ici, supportant tout; en nous-mêmes, il existe un esprit, une présence centrale plus grande que la série des personnalités de surface, et qui, tel le suprême Divin lui-même, n'est pas écrasée par le sort qu'elle subit. Si nous découvrons ce Divin en nous, si nous reconnaissons que nous sommes cet esprit qui est un avec le Divin en essence et dans

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l'être, c'est le portail de notre délivrance, et en lui nous pouvons, même au milieu de ce monde de discordes, demeurer lumineux, béatifiques et libres. Tel est le témoignage de l'expérience spirituelle, et il est aussi vieux que le monde.

Mais encore, quel est le but et l'origine de la discorde? Pourquoi cette division et cet ego sont-ils nés, ce monde d'évolution douloureuse? Pourquoi le mal et la souffrance doivent-ils s'immiscer dans la Paix, la Béatitude et le Bien divins? Il est difficile de répondre à l'intelligence humaine en restant à son propre niveau, car la conscience qui est à l'origine de ce phénomène et pour laquelle il est en quelque sorte automatiquement justifié dans une connaissance supra-intellectuelle, est une intelligence cosmique, et non une intelligence humaine individualisée; elle voit des espaces plus larges, elle a une autre vision, un autre savoir, d'autres états de conscience que la raison et le sentiment humains. On pourrait répondre au mental humain que l'Infini peut en lui-même être libre de ces perturbations, mais qu'une fois la manifestation commencée, ont commencé aussi d'infinies possibilités, et parmi les possibilités infinies que la manifestation universelle a pour fonction de réaliser, l'une d'elles était évidemment la négation — l'apparente négation effective — du Pouvoir, de la Lumière, de la Paix et de la Béatitude, avec toutes ses conséquences. Si l'on demande pourquoi cela a été accepté, même si c'était possible, la réponse la plus proche de la Vérité cosmique que l'intelligence humaine puisse donner, c'est que dans les relations ou dans la transition du Divin dans l'Unité au Divin dans la Multiplicité, ce possible funeste est devenu inévitable à un certain moment. Car dès qu'il apparaît, il acquiert, pour l'Âme descendant dans la manifestation évolutive, une attraction irrésistible qui crée l'inévitable — une attraction qui en termes humains, sur le plan terrestre, peut se traduire par l'attrait de l'inconnu, la joie du danger, de la difficulté et de l'aventure, la volonté de tenter l'impossible, de réaliser l'incalculable, de créer le nouveau et l'incréé avec son propre être et sa vie comme matériaux, la fascination des contraires

 

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et de leur difficile harmonisation — c'est cela, traduit en une autre conscience, supraphysique et surhumaine plus haute et plus vaste que le mental, qui fut la tentation conduisant à la chute. Car, pour l'être originel de lumière sur le point de descendre, la seule chose inconnue était les profondeurs de l'abîme, les possibilités du Divin dans l'Ignorance et l'Inconscience. De l'autre côté, dans la divine Unité, c'était un vaste acquiescement plein de compassion, d'aide, d'acceptation, une connaissance suprême que cette possibilité devait être; qu'étant apparue, elle devait être menée jusqu'au bout; que son apparition faisait en quelque sorte partie d'une infinie sagesse incalculable; que si le plongeon dans la Nuit était inévitable, l'émergence dans un Jour sans précédent était aussi une certitude; et que c'est seulement ainsi qu'une certaine manifestation de la suprême Vérité pouvait avoir lieu, par une mise en œuvre des contraires phénoménaux comme point de départ de l'évolution et comme condition de l'émergence transformatrice. Cet acquiescement comprenait aussi la volonté du grand Sacrifice, la descente du Divin lui-même dans l'Inconscience pour prendre le fardeau de l'Ignorance et de ses conséquences, pour intervenir comme l'Avatar et la vibhoûti, et marcher entre les deux signes de la Croix et de la Victoire, vers l'accomplissement et la délivrance. Est-ce là une expression trop imagée de la Vérité inexprimable? Mais sans images, comment présenter à l'intelligence un mystère si loin d'elle? C'est seulement quand on a traversé la barrière de l'intelligence limitée et participé à l'expérience et à la connaissance cosmiques qui voient les choses par identité, que les suprêmes réalités derrière ces images — des images qui correspondent au fait terrestre — , revêtent leurs formes divines et apparaissent comme simples, naturelles, inhérentes à l'essence des choses. C'est seulement en entrant dans cette conscience plus grande que l'on peut saisir l'inévitable de la création et de son but. Certes, telle est la Vérité de la manifestation comme elle se présente à la conscience quand elle se tient à la frontière de l'Éternité et de la descente dans le temps, là où la relation entre l'Un et la

 

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Multiplicité dans l'évolution est déterminée: une zone où tout ce qui doit être, est en puissance, mais pas encore en action. Mais la conscience libérée peut s'élever plus haut, là où le problème n'existe plus, et de là, voir le problème à la lumière d'une suprême identité où tout se trouve prédéterminé dans la vérité automatique et spontanée des choses, où tout est justifié pour une conscience et une sagesse absolues, une Félicité absolue derrière toute la création et la non-création, et où l'affirmation et la négation sont vues toutes deux avec les yeux de l'ineffable Réalité qui les délivre et les réconcilie. Mais cette connaissance est inexprimable pour le mental humain; son langage de lumière est trop indéchiffrable, la lumière elle-même trop brillante pour une conscience accoutumée à l'effort et à l'obscurité de l'énigme cosmique et trop enchevêtrée dans l'énigme pour pouvoir suivre le fil et saisir le secret. En tout cas, c'est seulement en nous élevant dans l'esprit au-dessus de la zone d'obscurité et de conflit, que nous entrons dans le plein sens et que l'âme est délivrée de son énigme. S'élever à ce sommet de libération, est la vraie porte de sortie et le seul moyen de connaissance indubitable.

Mais cette libération et cette transcendance n'entraînent pas forcément une disparition de la manifestation, une pure coupure dissolvante hors du monde; elles peuvent préparer une mise en action de la Connaissance suprême, une intensité de Pouvoir capable de transformer le monde et de mener l'impulsion évolutrice à son accomplissement. C'est une ascension d'ou l'on ne retombe plus, mais d'où l'on peut prendre son vol pour une descente ailée de lumière, de force et d'Ânanda.

Ce qui est inhérent en la force de l'être, se manifeste comme devenir; mais ce que sera cette manifestation, ses conditions, l'équilibre de ses énergies et l'organisation des ses principes, dépend de la conscience qui agit dans la force créatrice, du pouvoir de conscience que l'être libère de lui-même pour la manifestation. Il est de la nature de l'Être de graduer et de varier ses pouvoirs de conscience, et suivant la gradation et les variations de déterminer son mode et le degré

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ou l'étendue de sa révélation. La création manifestée est limitée par le pouvoir auquel elle appartient: elle voit et vit suivant ce pouvoir, et ne peut voir davantage et vivre plus puissamment; elle ne peut changer son monde qu'en s'ouvrant à un pouvoir de conscience plus grand au-dessus d'elle, ou en s'élevant à lui ou en le faisant descendre. C'est ce qui se produit dans l'évolution de la conscience en notre monde — un monde de matière inanimée qui sous la pression de la nécessité, produit un pouvoir de vie, puis un pouvoir mental apportant de nouvelles formes de création, et qui peine encore pour produire ou pour faire descendre quelque pouvoir supramental. C'est aussi une opération de la force créatrice se mouvant entre deux pôles de conscience: d'un côté, une conscience secrète au-dedans et au-dessus, qui contient en elle-même toutes les potentialités de lumière, de paix, de pouvoir et de béatitude — là, éternellement manifestées, ici attendant leur réalisation; et de l'autre côté, une conscience extérieure, à la surface et au-dessous, qui part du contraire apparent d'inconscience, d'inertie, d'effort aveugle, de capacité de souffrir, et qui grandit en recevant en elle-même des pouvoirs de plus en plus hauts l'obligeant à toujours recréer sa manifestation en des conditions plus larges, chacune des créations nouvelles mettant au jour quelque potentialité interne et rendant de plus en plus possible la descente de la Perfection qui attend au-dessus. Tant que la personnalité extérieure que nous appelons nous-même, est centrée dans les pouvoirs inférieurs de la conscience, l'énigme de notre existence, son but et sa nécessité, sont pour nous un problème insoluble; si par hasard quelque lueur de vérité est transmise à cet homme mental extérieur, il la saisit imparfaitement et, peut-être, l'interprète mal, s'en sert mal et la vit mal. Le vrai soutien de sa marche, est plus dans le feu de la foi que dans les connaissances vérifiées et indubitables. C'est seulement en s'élevant à une conscience plus haute, au-delà de la ligne mentale, et donc supraconsciente pour lui maintenant, qu'il peut émerger de son incapacité et de son ignorance. Sa pleine libération, sa complète illumination,

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viendront quand il aura traversé la ligne et sera entré dans la lumière d'une existence supraconsciente nouvelle. Telle est la transcendance qui était le but de l'aspiration des mystiques et des chercheurs spirituels.

Mais ceci, en soi, ne changerait rien à la création ici-bas; l'évasion d'une âme libérée du monde ne fait aucune différence pour ce monde. Cependant, cette traversée de la ligne, si elle était utilisée à des fins, non seulement ascendantes mais descendantes aussi, amènerait la transformation de la ligne elle-même, et changerait la barrière, le couvercle qu'elle est maintenant, en un passage pour les hauts pouvoirs de conscience de l'Être qui sont à présent au-dessus d'elle. Ce serait une nouvelle création sur la terre, l'intervention des puissances ultimes qui renverseraient les conditions de ce monde; car ce serait une création fondée sur le plein flot de la lumière spirituelle et supramentale, au lieu d'une création sortie de l'inconscience matérielle et qui émerge dans la pénombre du mental. C'est seulement dans le plein flot de l'esprit réalisé que l'être incarné peut savoir, avec tout ce que cela comporte, la signification et la nécessité temporaire de sa descente dans les conditions de l'obscurité, et qu'il peut, en même temps, les dissoudre par une transmutation lumineuse qui les changera en une manifestation ici-bas du Divin révélé et non plus voilé et déguisé, ni même apparemment déformé.

 

 

Je suppose que vous n'avez pas lu mon "Énigme de ce Monde",¹ mais c'est une solution similaire que j'y expose. La manière dont X l'exprime est un rien trop "théiste-védântiste" — à mon avis c'est un compromis entre l'Un et le Multiple. Au commencement c'est vous (non pas le vous humain qui se plaint maintenant, mais l'être central) qui avez accepté ou même appelé l'aventure de l'Ignorance; le chagrin

 

¹Titre donné à la longue lettre précédente, lors de sa publication en novembre 1933, avec quelques autres lettres, sous forme d'un livre portant le même titre.

 

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et la lutte sont une conséquence nécessaire de la plongée dans l'Inconscience et de l'émergence évolutive hors de cette Inconscience. L'explication est que cela avait un but, le jeu ultérieur de la Conscience divine et de l'Ânanda, non dans sa transcendance originelle, mais dans des conditions pour lesquelles la plongée dans l'Inconscience était nécessaire. C'est fondamentalement un problème cosmique et cela ne peut être compris qu'à partir de la conscience cosmique. Si vous voulez une solution qui soit agréable au mental et aux sentiments humains, je crains bien qu'il n'y en ait pas. Sans aucun doute, si les êtres humains avaient fait l'univers, ils auraient fait beaucoup mieux; mais n'étant pas là ils n'ont pu être consultés quand ils ont été créés. Seul votre être central était là, et il était beaucoup plus proche, dans son imprudence téméraire, de Vivékânanda ou de X que de la prudence chagrine de votre mentalité humaine marmonnante et tremblante du moment présent — autrement il ne serait jamais descendu dans cette aventure. Ou peut-être ne réalisait-il pas où il s'engageait? Il en est de même de ceux qui se vautrent sous leur croix. Même maintenant ils se vautrent parce que quelque chose en eux aime à se vautrer; ils portent la croix parce que quelque chose en eux choisit de souffrir. Alors?...

 

Le monisme de type européen est habituellement panthéiste et entrelace si intimement l'univers et le Divin qu'ils peuvent à peine être séparés. Mais quelle explication du mal et de la misère peut-il y avoir là-dedans? La vision indienne est que le Divin est la substance fondamentale de l'Univers, mais il est aussi en-dehors, transcendant; le bien et le mal, le bonheur et la misère sont seulement des phénomènes d'expérience cosmique dus à une division et une diminution de conscience dans la manifestation, mais ne font pas partie de l'essence ou de la conscience totale indivise, ni du Divin, ni de notre propre être spirituel.

 

 

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L'involution est celle du Divin dans l'Inconscience et elle se fait par l'interposition de plans intermédiaires (surmental, etc., mental, vital — puis la plongée dans l'Inconscient qui est à l'origine de la matière). Mais tout cela n'est pas un processus qui correspond à l'évolution dans le sens inverse — car ce n'est pas cela qui est nécessaire, mais une gradation de conscience dont l'objet est de rendre possible l'évolution vers le haut.

 

 

Il existe trois pouvoirs cosmiques, auxquels toutes choses sont soumises: la création, la conservation et la destruction; tout ce qui est créé dure un temps, puis commence à crouler. Supprimer la force de destruction implique une création qui ne sera pas détruite, mais qui durera et se développera toujours. Dans le monde de l'Ignorance, la destruction est nécessaire au progrès; mais dans la Connaissance, la création de Vérité, la loi est celle d'un déploiement constant sans aucun Pralaya.¹

 

 

(Grands bouleversements catastrophiques quand le supramental descendra:) Ce n'est pas nécessaire. Il y aura nécessairement de grands changements irais ils ne seront pas forcément catastrophiques. Quand une forte pression des forces surmentales s'exerce en vue du changement, alors il est vraisemblable que des catastrophes se produisent à cause de la résistance et du choc des forces. Le supramental a une plus grande maîtrise — dans sa plénitude une complète maîtrise des choses et un pouvoir d'harmonisation qui peut surmonter la résistance par d'autres moyens que la violence et la lutte dramatiques.

 

 

Oui, il y a eu quelques progrès à cet égard (le changement

 

¹Lumières sur le Yoga, chapitre 1; traduction de la Mère.

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psychique) et tout progrès dans le psychique ou la conscience spirituelle des sâdhak rend la descente plus facile. Mais la cause principale est que le principe surmental qui est le soutien secret immédiat de la nature terrestre actuelle avec toutes ses limitations subit de plus en plus la pression du supramental et laisse filtrer une Lumière et un Pouvoir plus grands. Car tant que le surmental intervient (le principe du surmental étant un jeu de forces, chacune essayant de se réaliser comme seule Vérité), la loi de la lutte demeure et avec elle l'occasion offerte aux Forces adverses.

 

 

Autant que je peux voir, une fois le supramental établi dans la Matière, la transformation sera possible dans des conditions beaucoup moins désagréables que maintenant. Ces mauvaises conditions sont dues au fait que l'Ignorance étant prépondérante et les Pouvoirs hostiles ayant établi leur autorité, ils ne se soucient pour ainsi dire pas de lâcher leur emprise et il n'y a aucune force de Lumière pleinement établie dans la conscience terrestre qui soit capable, non seulement de leur faire front, mais même de contrebalancer leur plein pouvoir d'obscurité.

 

 

La fausseté de l'argument réside dans la prémisse exposée au début que même après la supramentalisation les difficultés et les attaques continueront. Dans la conscience supramentale de telles attaques sont impossibles la coexistence du supramental et de l'obscurité inférieure dans le même être et le même corps n'est pas possible. C'est précisément pour cette raison que la supramentalisation de la conscience du corps est posée comme la condition du succès de la transformation. Si les attaques continuent et peuvent intervenir avec succès, cela signifie que la conscience du corps n'est pas encore supramentalisée.

 

 

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La descente du supramental peut hâter les choses, mais elle n'agira pas comme un petit médicament et ne changera pas tout en un clin d'œil.

 

 

Ce sont les nuits les plus sombres qui préparent les plus grandes aurores — il en est ainsi parce que c'est dans l'inconscience la plus profonde de la vie matérielle que nous devons apporter, non une lueur intermédiaire, mais la pleine action de la Lumière divine.

 

 

1.2.34 est toujours censé être une année de manifestation. 2.3.45 est l'année du pouvoir — quand la chose manifestée prend sa pleine force. 4.5.67 est l'année de la réalisation complète.  

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YOGA INTÉGRAL ET AUTRES SENTIERS

 

Je ne partage pas l'opinion selon laquelle le monde est une illusion, mithyâ. Le Brahman est ici, tout comme dans l'Absolu supracosmique. Ce qu'il faut surmonter, c'est l'Ignorance qui nous rend aveugles et nous empêche de réaliser Brahman dans le monde comme au-delà, et la vraie nature de l'existence.

 

 

La connaissance de Shankara n'est, comme l'a remarqué votre gourou, qu'un seul côté de la Vérité; c'est la connaissance du Suprême tel qu'il est réalisé par le Mental spirituel à travers le silence statique de la pure Existence. C'est parce qu'il se fondait sur ce seul aspect que Shankara était incapable d'accepter ou d'expliquer l'origine de l'univers autrement que comme une illusion, une création de maya. À moins de réaliser le côté dynamique du Suprême aussi bien que son côté statique, il n'est pas possible d'avoir l'expérience de la véritable origine des choses et de l'égale réalité du Brahman actif. La Shakti ou Pouvoir de l'Éternel n'est plus alors qu'un pouvoir de l'illusion et le monde devient incompréhensible, mystère de folie cosmique, éternel délire de l'Éternel. Quelle que soit la logique verbale ou idéative introduite pour la soutenir, cette manière de voir l'univers n'explique rien; elle construit simplement une formule mentale de l'inexplicable. Ce n'est que si vous approchez le Suprême à travers son double aspect de Sat et de Chit-Shakti, double mais inséparable, que la vérité totale des choses peut devenir évidente pour l'expérience intérieure. Cet autre aspect a été développé par les tantriques de la Shakti. Les deux ensemble, la vérité védântique et la vérité tantrique unifiées, peuvent parvenir à la connaissance intégrale.

Mais philosophiquement, c'est à cela qu'aboutit l'enseignement de votre gourou, et c'est évidemment une vérité

 

 

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plus complète et une connaissance plus vaste que celle que donne la formule de Shankara. Elle est déjà esquissée dans l'enseignement de la Guîtâ sur le Pouroushôttama et la Para Shakti (Âdyâ Shakti) qui devient le Jîva et soutient l'univers. Il est évident que Pouroushôttama et Para Shakti sont tous deux éternels et sont inséparables et un en tant qu'être: la Para Shakti manifeste l'univers, manifeste aussi le Divin dans l'Univers comme l'Îshwara, et Elle-même apparaît à son côté comme la Shakti de Îshwara Ou, pouvons-nous dire, c'est le suprême Pouvoir conscient du Suprême qui se manifeste ou se projette en tant qu'Îshwari de Îshwara, Âtma-Shakti de l'Âtmâ, Prakriti du Pourousha, Jagat du Jîva. Telle est la vérité dans sa totalité dans la mesure où le mental peut la formuler. Dans le supramental ces questions ne se posent même pas; car c'est le mental qui crée le problème en créant des oppositions entre des aspects du Divin qui ne sont pas vraiment opposés l'un à l'autre mais sont un et inséparables.

Cette connaissance supramentale n'a pas encore été atteinte, parce que le supramental lui-même n'a pas été atteint, mais son reflet dans la conscience spirituelle intuitive est là et c'est évidemment ce que votre gourou a réalisé en expérience et ce qu'il a exprimé en termes intellectuels dans le passage cité. Il est possible d'aller vers la connaissance en commençant par l'expérience de la dissolution dans l'Un, à condition de ne pas s'arrêter là, de ne pas prendre cela pour la plus haute Vérité, mais de poursuivre en réalisant le même Un comme la Mère suprême, la Conscience-Force de l'Éternel. Si, d'autre part, votre approche se fait par la Mère suprême, elle vous donnera aussi la libération dans l'Un silencieux aussi bien que la réalisation de l'Un dynamique, et à partir de là il est plus facile de parvenir à la Vérité dans laquelle tous deux sont un et inséparables. En même temps un pont est jeté sur l'abîme créé par le mental entre le Suprême et Sa manifestation et il n'y a plus dans la vérité cette faille qui rend tout incompréhensible. Si vous examinez dans cet éclairage ce que votre gourou vous a enseigné, vous verrez que c'est la même chose en termes moins métaphysiques.

 

 

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Quant à l'âdésha, les gens en parlent sans faire les distinctions nécessaires, mais ces distinctions doivent être faites. Le Divin nous parle de différentes manières et ce n'est pas toujours l'âdésha impératif qui vient. Quand c'est le cas, c'est clair et irrésistible, le mental doit obéir et il n'est pas possible de se poser de questions, même si ce qui vient est contraire aux idées préconçues de l'intelligence mentale. C'est un âdésha de ce genre que j'ai reçu quand je suis parti pour Pondichéry. Mais plus souvent ce qui est dit est une suggestion, ou même moins, une simple indication que le mental peut ne pas suivre parce qu'il n'est pas convaincu de sa nécessité impérative. C'est quelque chose qui est offert, mais non imposé, peut-être quelque chose qui n'est même pas offert mais seulement suggéré par la Vérité au-dessus.

 

 

Si votre manière de voir est conforme à la conception de Shankara, selon laquelle Brahman est une Conscience pure indifférenciée, alors ce n'est pas le sentier de notre yoga que vous devriez choisir; car ici la réalisation de la pure Conscience et de l'Être pur n'est qu'un premier pas et non le but. Un élan intérieur créateur venant du dedans ne peut avoir sa place dans une Conscience indifférenciée — toute action, toute création doit nécessairement lui être étrangère.

Je ne fonde pas mon yoga sur la base insuffisante que le Moi (non l'âme) est éternellement libre. Cette affirmation ne mène à rien au-delà d'elle-même, ou si on l'utilisait comme point de départ, elle pourrait aussi bien mener à la conclusion que l'action et la création n'ont ni signification ni valeur. La question n'est pas là, il s'agit de savoir si la création a un sens, s'il existe un Suprême, s'il n'est pas seulement une Conscience et un Être pur et indifférencié, mais aussi la source et le support de l'énergie dynamique de la création, et si l'existence cosmique a pour Lui une signification et une valeur. Cette question ne peut pas être réglée par la logique métaphysique qui traite de mots et d'idées, mais par une expérience

 

 

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spirituelle qui va au-delà du Mental et pénètre dans les réalités spirituelles. Chaque mental se satisfait de ses propres raisonnements, mais en matière spirituelle cette satisfaction n'a pas de valeur, si ce n'est pour indiquer jusqu'où et selon quelle voie chacun est prêt à aller dans le domaine de l'expérience spirituelle. Si votre raisonnement vous mène à l'idée shankarienne du Suprême, cela pourrait indiquer que l'Adwaïta Védânta (Mâyâvâda) est la voie de votre progression.

Notre yoga admet la valeur de l'existence cosmique et la tient pour une réalité; son objet est d'entrer dans une Conscience-de-Vérité plus haute ou une Conscience supramentale divine dans laquelle l'action et la création sont l'expression non de l'ignorance et de l'imperfection, mais de la Vérité, de la Lumière, de l'Ânanda divin. Mais pour cela, la soumission du mental, de la vie et du corps mortels à cette Conscience supérieure est indispensable, puisqu'il est trop difficile à l'être humain mortel de passer, par son propre effort, au-delà du mental jusqu'à une Conscience supramentale dans laquelle le dynamisme ne relève plus du mental, mais d'un pouvoir tout différent. Seuls ceux qui peuvent accepter l'appel d'un tel changement devraient entrer dans ce yoga.

 

 

Je ne sais pas si je peux vous aider beaucoup à répondre aux questions de votre ami. Je ne puis qu'exposer mon propre point de vue sur ces problèmes.

 

1. Explication shankarienne de l'Univers

Il est assez difficile, de nos jours, de dire ce qu'était véritablement la philosophie de Shankara: il y en a d'innombrables exégètes et aucun n'est d'accord avec les autres. J'ai lu les œuvres de douzaines d'entrés eux et chacun suivait sa propre idée. Certains nous disent même qu'il n'était pas du tout mâyâvâdin, bien qu'il ait toujours été réputé le plus grand démonstrateur de la théorie de Maya, mais plutôt le

 

 

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plus grand Réaliste de l'histoire de la philosophie. Un éminent partisan a même déclaré que la philosophie de Shankara et la mienne étaient identiques, ce qui m'a plutôt coupé le souffle. On avait l'habitude de penser que selon la philosophie de Shankara, la Suprême Réalité est un Absolu sans espace et sans temps (Parabrahman) qui est au-delà de tout trait ou qualité, au-delà de toute action ou création, et que le monde est une création de Maya, pas absolument irréelle, mais réelle seulement dans le temps et lorsqu'on vit dans le temps; dès que nous entrons dans une connaissance de la Réalité, nous percevons que Maya et le monde et tout ce qu'il contient n'ont pas d'existence constante ou vraie. Il est, sinon non-existant, du moins faux, jaganmithyâ; c'est une erreur de la conscience, c'est et ce n'est pas; c'est un mystère irrationnel et inexplicable dans son origine, quoique nous puissions voir son processus ou du moins comment il continue de s'imposer à la conscience. Brahman est vu en Maya comme Îshwara soutenant les œuvres de Maya et l'âme apparemment individuelle n'est en réalité rien que Brahman lui-même. À la fin, cependant, tout cela semble être un mythe de Maya, mithyâ, et rien de réellement vrai. Si telle est la philosophie de Shankara, elle est pour moi inacceptable et impossible à croire, quelle qu'en soit l'ingéniosité brillante, quelles que soient la hardiesse et la pénétration du raisonnement; elle ne satisfait pas ma raison et n'est pas conforme à mon expérience.

Je ne sais pas exactement ce que signifie ce youktivâda. S'il ne s'agit que de réduire au silence les opposants, alors cette partie de la philosophie est sans valeur; la théorie de Shankara se détruit elle-même. Ou il voulait qu'elle soit une explication satisfaisante de l'univers, ou il ne le voulait pas. S'il le voulait, il est vain de l'écarter comme étant youktivâda. Je puis comprendre la déclaration de ce Mâyâvâdin consciencieux selon lequel la question ne se pose pas, parce que Maya et le monde n'existent pas réellement; au fait, la question de savoir comment le monde est venu à exister n'est qu'une partie de Maya; elle est, comme Maya, irréelle et ne se pose pas vraiment; mais s'il faut donner une explication, ce doit être

 

 

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une explication réelle, valable et satisfaisante. S'il y a deux plans et qu'en posant la question nous confondons les deux, cet argument ne peut avoir de valeur que si les deux plans ont une sorte d'existence et que le raisonnement et l'explication sont vrais sur le plan inférieur mais cessent d'avoir une signification pour la conscience qui n'est plus sur ce plan.

 

2. Adwaïta

Les gens sont enclins à parler de l'Adwaïta comme s'il était identique au monisme du Mâyâvâda, de même qu'ils parlent du Védânta comme s'il était identique au seul Adwaïta; tel n'est pas le cas. Il y a plusieurs formes de la philosophie indienne qui se fondent sur la Réalité unique, mais elles admettent aussi la réalité du monde, la réalité des Multiples, la réalité des différences entre les Multiples tout comme l'identité de l'Un (bhédâbhéda). Mais les Multiples existent en l'Un et par l'Un, les différences sont des variations dans la manifestation de ce qui est fondamentalement toujours identique. Nous y voyons en fait la loi universelle de l'existence où l'unité est toujours la base avec une multiplicité et une différenciation infinie dans l'unité; de même, par exemple, qu'il y a une humanité mais beaucoup de sortes d'hommes, une chose nommée feuille ou fleur mais beaucoup de formes, de modèles, de couleurs de feuilles ou de fleurs. À travers cela nous pouvons revenir en arrière à l'un des secrets fondamentaux de l'existence, le secret contenu dans la Réalité unique elle-même. L'unité de l'Infini n'est pas quelque chose de limité, d'enchaîné dans son unité; elle est capable d'une multiplicité infinie. La Réalité suprême est un Absolu qui n'est limité ni par l'unité ni par la multiplicité, mais simultanément capable des deux; car tous deux sont ses aspects, bien que l'unité soit fondamentale et que la multiplicité dépende de l'unité.

Il peut y avoir un Adwaïta réaliste aussi bien qu'un Adwaïta illusionniste. La philosophie de La Vie Divine est un Adwaïta réaliste. Le monde est une manifestation du Réel et par conséquent est lui-même réel. La réalité est le Divin infini

 

 

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et éternel, l'Être, Conscience-Force et Béatitude, infini et éternel. Le Divin par son pouvoir a créé le monde ou plutôt l'a manifesté dans son propre Être infini. Mais ici dans le monde matériel, ou à sa base, il s'est caché dans ce qui paraît être ses opposés, Non-Être, Inconscience et Absence de sensations. C'est ce que de nos jours nous appelons l'Inconscient qui semble avoir créé l'univers matériel par son Énergie inconsciente, mais ce n'est qu'une apparence, car nous trouvons finalement que toutes les dispositions du monde ne peuvent avoir été mises en place que par l'œuvre d'une suprême Intelligence cachée. L'Être qui est caché dans ce qui semble être un vide inconscient émerge dans le monde d'abord dans la Matière, puis dans la Vie, puis dans le Mental et finalement en tant qu'Esprit. L'Énergie apparemment inconsciente qui crée est en fait la Conscience-Force du Divin, et son aspect de conscience, secret dans la Matière, commence à émerger dans la Vie, trouve quelque chose de plus de lui-même dans le Mental, et trouve son vrai moi dans une conscience spirituelle et finalement dans une Conscience supramentale à travers laquelle nous commençons à percevoir la Réalité, pénétrons en elle et nous unissons à elle. C'est ce que nous appelons l'évolution, qui est une évolution de la Conscience et une évolution de l'Esprit dans les choses et seulement extérieurement une évolution des espèces. De même, le ravissement de l'existence émerge aussi de l'absence originelle de sensations, d'abord dans les formes contraires du plaisir et du chagrin, et doit ensuite se trouver dans la béatitude de l'Esprit ou, comme elle est appelée dans les Oupanishads, la béatitude du Brahman. C'est l'idée centrale de l'explication de l'univers exposée dans La Vie Divine.

 

3. Nirgouna et Sagouna

Dans un Adwaïta réaliste il n'est pas nécessaire de considérer le sagouna comme une création du nirgouna ni même comme secondaire ou subordonné par rapport à lui: tous deux sont des aspects égaux de la Réalité unique, sa position d'état silencieux et de repos, et sa position d'action et

 

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de force dynamique; un silence de repos et de paix éternels soutient une action et un mouvement éternels. L'unique réalité, l'Être divin, n'est lié par aucune, puisqu'il n'est en aucune façon limité; il possède les deux. Il n'y a pas d'incompatibilité entre les deux, non plus qu'entre le Multiple et l'Un, l'identité et la différence. Tous sont des aspects éternels de l'univers qui ne pourrait pas exister si l'un d'eux était éliminé, et il est raisonnable de supposer que tous deux viennent de la Réalité qui a manifesté l'univers et qu'ils sont tous deux réels. Nous ne pouvons nous débarrasser de l'apparente contradiction — qui n'est pas vraiment une contradiction mais une simultanéité naturelle — en traitant l'un ou l'autre comme une illusion. Mais il est peu raisonnable de supposer que la Réalité éternelle permet l'existence d'une illusion éternelle avec laquelle elle n'a rien de commun, ou qu'elle soutient et maintient en vie une illusion cosmique vaine et n'a aucun pouvoir pour agir d'une façon différente et réelle. La force du Divin est toujours présente dans le silence comme dans l'action, inactive dans le silence, active dans la manifestation. Il n'est guère possible de supposer que la Réalité divine n'a ni pouvoir ni force ou que son seul pouvoir est de créer une fausseté universelle, un mensonge cosmique — mithyâ.

 

4. Composés et désintégration

Sans aucun doute, tous les composés n'étant pas des choses intégrales en elles-mêmes mais des intégrations, peuvent se désintégrer. Il est vrai aussi que la vie, bien que n'étant pas un composé physique, a une courbe de naissance ou d'intégration et, après avoir atteint un certain point, de désintégration, de décomposition et de mort. Mais ces idées ou cette règle d'existence ne peuvent être appliquées avec certitude aux choses en elles-mêmes. L'âme n'est pas un composé mais un entier, une chose en soi; elle ne se désintègre pas, mais tout au plus entre dans la manifestation et sort de la manifestation. Cela est vrai même des formes autres que les formes physiques et les formes de vie construites; elles ne se

 

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désintègrent pas mais apparaissent et disparaissent ou tout au plus s'évanouissent de la manifestation. Le mental lui-même par opposition aux pensées particulières, est quelque chose d'essentiel et de permanent; c'est un pouvoir de la Conscience divine. Il en est de même de la vie, par opposition aux corps vivants constitués; je pense qu'il en est de même de ce que nous appelons énergie matérielle, qui est en réalité la force de la substance essentielle en mouvement, un pouvoir de l'Esprit. Pensées, vies, objets matériels sont des formations de ces énergies, construites ou simplement manifestées selon le jeu habituel de telle énergie particulière. Quant aux éléments, quel est l'état naturel pur d'un élément? Selon la Science moderne, ce qu'on appelait autrefois élément se révèle être des composés et l'état naturel pur, s'il existe, doit être un état d'énergie pure; c'est dans cet état pur que les composés, y compris ce que nous appelons éléments, doivent aller quand ils passent, par désintégration, dans le Nirvana.

 

5. Nirvana

Qu'est-ce donc que le Nirvana? Dans le bouddhisme orthodoxe il signifie bien une désintégration, non de l'âme — car cela n'existe pas — mais d'un composé mental ou d'un courant d'association ou samskâra que nous prenons pour nous-mêmes. Dans le Védânta illusionniste il signifie, non la désintégration, mais la disparition d'un moi individuel faux ou irréel dans l'unique moi réel ou Brahman; c'est l'idée et l'expérience de l'individualité qui disparaît et cesse ainsi — nous pourrions parler d'une fausse lumière qui s'éteint (nirvana) dans la vraie Lumière. Dans l'expérience spirituelle c'est quelquefois la perte de tout sens d'individualité dans une conscience cosmique sans borne; ce qui était l'individu reste seulement comme un centre ou un canal pour le flot d'une conscience cosmique et d'une force et d'une action cosmiques. Ou ce peut être l'expérience de la perte d'individualité dans un être et une conscience transcendants dans lesquels le sens du cosmos comme l'individu disparaît. Ou encore, ce peut être dans une transcendance qui perçoit

 

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l'action cosmique et la soutient. Mais que voulons-nous dire par individu? Ce que nous appelons habituellement de ce nom est l'ego naturel, mécanisme de la Nature qui rassemble son action dans le mental et dans le corps. Cet ego doit être éteint, autrement aucune libération complète n'est possible; mais le moi individuel ou âme n'est pas cet ego. L'âme individuelle est l'être spirituel quelquefois décrit comme le Divin lui-même soutenant sa manifestation en tant que Multiple. C'est le vrai individu spirituel qui apparaît dans sa complète vérité quand nous nous débarrassons de l'ego et de notre sens séparatif erroné de l'individualité, que nous réalisons notre unité avec le Divin transcendant et cosmique et avec tous les êtres. C'est ce qui rend possible la Vie divine. Le Nirvana est un pas vers cela; la disparition de la fausse individualité séparative est une condition nécessaire pour que nous réalisions notre être éternel véritable et que nous vivions en lui, que nous vivions divinement dans le Divin. Mais cela, nous pouvons le faire dans le monde et dans la vie.

 

6. Renaissances

Si l'évolution est une vérité et n'est pas seulement une évolution physique des espèces, mais une évolution de la conscience, ce doit être un fait spirituel et pas seulement un fait physique. Dans ce cas c'est l'individu qui évolue et croît dans une conscience de plus en plus élaborée et de plus en plus parfaite, et cela ne peut évidemment se faire au cours d'une seule courte vie humaine. S'il y a évolution d'un individu conscient, il doit donc y avoir renaissance. La renaissance est une nécessité logique et un fait spirituel dont nous pouvons avoir l'expérience. Il ne manque pas de preuves de la renaissance, dont certaines sont irrésistiblement convaincantes, mais elles n'ont pas encore été soigneusement répertoriées et rassemblées.

 

7. Évolution

Dans mon explication de l'univers j'ai mis en avant le fait

 

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capital d'une évolution spirituelle qui donnerait son sens à notre existence ici-bas. C'est une série d'ascensions, à partir de l'être et de la conscience physiques, jusqu'au vital, à l'être dominé par le moi de la vie, de là à l'être mental réalisé dans l'homme pleinement développé, et de là jusqu'à la conscience parfaite qui est par-delà le mental, jusqu'à la conscience supramentale et à l'être supramental, la Conscience-de-Vérité qui est la conscience intégrale de l'être spirituel. Le mental ne peut être notre ultime expression consciente parce que le mental est fondamentalement une ignorance cherchant la connaissance; seule la Conscience-de-Vérité supramentale peut nous apporter la véritable et complète Connaissance de Soi et Connaissance du monde; ce n'est qu'à travers elle que nous atteindrons notre être véritable et la plénitude de notre évolution spirituelle.

 

Cette phrase¹ est plutôt lâche dans son expression. Elle ne signifie pas que Maya est la liberté du Brahman, mais que "la doctrine de Maya revient simplement à ceci, que Brahman est libre des circonstances à travers lesquelles Il s'exprime". Ce jeu limité n'est pas Lui, car Il ne peut être limité; c'est seulement une manifestation sous condition (partielle) mais Il n'est pas lié par les conditions (circonstances) comme est lié le jeu. Le monde est une image de quelque chose de Lui-même qu'il y a projeté, mais Il est plus que cette image. Le monde n'est pas irréel, ni illusoire, mais la vision ou la conscience que nous en avons actuellement est ignorante, et par conséquent le monde tel que nous le voyons peut être décrit comme une illusion. Jusque-là, l'idée de Maya est vraie. Mais si nous voyons le monde tel qu'il est réellement, manifestation partielle et évolutive du Brahman, alors il ne peut plus être décrit comme une illusion, mais plutôt comme une Lîlâ. Il est

 

¹"Maya ne signifie rien d'autre que la liberté du Brahman découlant des circonstances à travers lesquelles il s'exprime." (Sri Aurobindo, Thé Yoga and Its Objects, Édition du Centenaire, Vol. XVI, p. 429.)

 

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toujours plus que Sa Lîlâ, mais Il est en elle et elle est en Lui; elle n'est pas une illusion.

 

Au sujet du Nirvana:

Quand j'écrivais dans l'Ârya,¹ je présentais une vue surmentale des choses au mental et je l'exposais en termes mentaux, c'est pourquoi je devais parfois utiliser la logique. Car dans un travail de ce genre — médiateur entre l'intellect et le supra-intellectuel — la logique a sa place, bien qu'elle ne puisse pas avoir la place dominante qu'elle a dans les philosophies purement mentales. Le mâyâvâdin lui-même s'efforce d'établir son point de vue ou son expérience par un raisonnement rigoureusement logique. Seulement quand il arrive à l'explication de Maya, il ne peut, comme l'homme de science traitant de la Nature, qu'arranger et organiser ses idées sur le processus de cette mystification universelle; il ne peut expliquer comment ni pourquoi cette mystification illusoire, Maya, a pris naissance. Il ne peut que dire: "Bon, c'est comme ça."

Bien sûr, c'est comme ça. Mais la question est, d'abord, qu'est-ce que c'est? Est-ce réellement un Pouvoir illusoire et rien d'autre, ou est-ce l'idée que s'en fait le mâyâvâdin qui est une première vision erronée, une lecture mentale imparfaite, ou même peut-être en soi une illusion? Et ensuite, "L'illusion est-elle le seul ou le plus haut Pouvoir que possède la Conscience divine ou la Supraconscience?" L'Absolu est une Vérité absolue libre de Maya, autrement la libération ne serait pas possible. La Vérité suprême et absolue n'a-t-elle donc pas d'autre Pouvoir actif qu'un pouvoir de mensonge, avec, sans aucun doute, car les deux vont ensemble, un pouvoir de dissoudre ou de renier le mensonge — qui est là cependant pour toujours? J'ai suggéré que cela paraissait un peu bizarre. Mais bizarre ou pas, si c'est ainsi, c'est ainsi — 

  ¹Revue philosophique dirigée par Sri Aurobindo dans les années 1916-1921.

 

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car, comme vous le remarquez, l'Ineffable ne peut être soumis aux lois de la logique. Mais qui doit décider s'il en est ainsi? Vous répondrez, ceux qui en arrivent là. Mais qui arrivent où? Au Parfait et au Plus Haut, poûrnam param. Le Brahman sans traits du mâyâvâdin est-il ce Parfait, cet Accompli, est-ce vraiment le Plus Haut? N'y a-t-il pas ou ne peut-il y avoir un plus haut que le plus haut, parâtparam? Ce n'est pas une question de logique, c'est une question de fait spirituel, d'expérience suprême et complète. La solution de l'affaire repose non sur la logique, mais sur une expérience spirituelle croissante, qui s'élève et s'élargit — une expérience qui doit évidemment inclure ou avoir traversé celle du Nirvana et de Maya, autrement elle ne serait pas complète et n'aurait pas de valeur décisive.

Pourtant l'accès au Nirvana a été le premier résultat radical de mon propre yoga. Je fus soudain projeté dans un certain état au-dessus, sans pensée, pur de tout mouvement mental ou vital; il n'y avait pas d'ego, pas de monde réel — seulement, quand "on" regardait à travers les sens immobiles, quelque chose percevait ou portait sur son absolu silence un monde de formes vides, d'ombres matérialisées sans substance véritable. Il n'y avait ni Un, ni même plusieurs, seulement Cela, absolument, sans traits, sans relations, pur, indescriptible, impensable, absolu, et pourtant suprêmement réel et seulement réel. Et ce n'était pas une réalisation mentale ni quelque chose que l'on percevait quelque part en haut — ce n'était pas une abstraction, c'était positif, la seule réalité positive (bien que ce ne fût pas un monde physique spatial) qui emplissait, occupait, ou plutôt inondait et noyait cette semblance de monde physique, ne laissant aucun lieu, aucun espace pour aucune autre réalité qu'elle-même et ne permettant à rien d'autre de sembler vraiment réel, positif ou substantiel. Je ne peux pas dire qu'il y avait quelque chose d'exaltant ou d'enivrant dans cette expérience, telle qu'elle m'est venue (l'Ânanda ineffable, je l'ai eu des années plus tard), mais cela m'apportait une paix indicible, un formidable silence, une infinitude de délivrance et de liberté. Je  

 

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vécus jour et nuit dans ce Nirvana avant qu'il ne commence à admettre autre chose en lui ou à se modifier tant soit peu, et le cœur intérieur de l'expérience, son souvenir constant et son pouvoir de retour demeurèrent, jusqu'à ce qu'enfin il commençât à disparaître dans une Supraconscience plus grande d'en haut. Mais entre-temps une réalisation venait s'ajouter à une autre et se fondait à l'expérience originelle. Bientôt l'aspect illusoire du monde cédait la place à un autre aspect où l'illusion¹ n'était plus qu'un petit phénomène de surface, avec une immense Réalité divine par-derrière, une suprême Réalité divine au-dessus et une intense Réalité divine au cœur de toutes les choses qui, tout d'abord, m'étaient apparues comme des formes vides ou des ombres cinématographiques. Et ce n'était pas un réemprisonnement dans les sens, pas une diminution ou une chute de l'expérience suprême; au contraire, c'était une élévation constante et un élargissement constant de la Vérité; c'était l'esprit qui voyait les objets, non les sens, et la Paix, le Silence, la liberté dans l'Infinitude demeurait toujours, où le monde et tous les mondes n'étaient qu'un incident continu dans l'éternité sans temps du Divin.

Voilà donc tout le problème de mon approche du Mâyâvâda. Le Nirvana, dans ma conscience libérée, se révéla le commencement de ma propre réalisation, un premier pas vers la chose complète, non la seule réalisation possible ni même la culmination finale. Il est entré sans être invité, sans être recherché et pourtant très bienvenu. Je n'en avais pas la moindre idée auparavant, je n'y aspirais aucunement, en fait mon aspiration allait tout à l'opposé, vers le pouvoir spirituel en vue d'aider le monde et d'y faire mon travail, et pourtant il est venu sans même dire "Puis-je entrer" ou "Si vous permettez". Il est arrivé et s'est installé comme pour l'éternité ou comme si en réalité il avait toujours été là. Et puis il a grandi lentement jusqu'à devenir quelque chose, non pas de

  ¹En fait ce n'est pas une illusion au sens d'une pression sur la conscience de quelque chose qui est sans fondement et irréel, mais une fausse interprétation du mental conscient et des sens et un mauvais usage trompeur de l'existence manifestée. (Note de Sri Aurobindo.)

 

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moindre, mais de plus grand qu'il n'était tout d'abord. Comment pourrais-je donc accepter le Mâyâvâda ou me convaincre d'en venir aux mains avec une Vérité qui m'a été imposée de plus haut que la logique de Shankara?

Mais je n'insiste pas pour que tout le monde passe par mon expérience ou suive la Vérité qui en découle. Je n'ai aucune objection à ce que quelqu'un accepte le Mâyâvâda comme la vérité de son âme ou de son mental ou comme leur moyen de sortir de la difficulté cosmique. Je n'ai d'objection que si quelqu'un essaie de me le faire avaler de force ou de le faire avaler au monde comme la seule explication possible, satisfaisante et globale des choses. Car il n'en est rien. Il y a beaucoup d'autres explications possibles; celle-ci n'est pas du tout satisfaisante, car au bout du compte elle n'explique rien; et à moins qu'elle ne se sépare de sa propre logique, loin de tout englober, elle exclut tout. Mais cela n'a pas d'importance. Une théorie peut être erronée ou du moins partielle et imparfaite, et néanmoins extrêmement pratique et utile. L'histoire de la Science l'a amplement démontré. En fait une théorie, qu'elle soit philosophique ou scientifique, n'est rien d'autre qu'un support pour le mental, un système pratique pour l'aider à traiter son sujet, un bâton qui le soutient et le fait marcher avec plus de confiance et poursuivre son difficile voyage. Le caractère exclusif et partiel même du Mâyâvâda en fait un fort bâton ou un stimulant vigoureux pour un effort spirituel qui se veut partiel, radical et exclusif. Il soutient l'effort que fait le mental pour s'enfuir de lui-même et de la Vie par un raccourci vers la supraconscience. Ou plutôt c'est le Pourousha dans le Mental qui veut fuir les limitations du Mental et de la Vie pour entrer dans l'Infini supraconscient. Théoriquement, la voie du mental pour parvenir à ce résultat consiste à nier toutes ses perceptions et toutes les préoccupations du vital et à les voir, à les traiter comme des illusions. Pratiquement, quand le mental se retire de lui-même, il entre facilement dans une paix sans relations où rien n'a d'importance — car dans son absolu il n'y a ni valeurs mentales ni valeurs vitales — et d'où le mental peut rapidement  

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emprunter ce grand raccourci vers le supraconscient, la transe sans mental, soushoupti. Dans la mesure où ce mouvement est complet toutes les perceptions qu'il avait auparavant acceptées lui deviennent irréelles — illusion, Maya. C'est sur son chemin vers l'immersion.

Le Mâyâvâda, par conséquent, avec son accent unique sur le Nirvana, mis à part ses déficiences en tant que théorie mentale des choses, sert un grand but spirituel, et en tant que sentier, peut mener très haut et très loin. Et même, si le Mental était le dernier mot et qu'il n'y avait rien au-delà sauf le pur Esprit, je ne serais pas opposé à l'accepter comme la seule porte de sortie. Car ce que le mental avec ses perceptions et le vital avec ses désirs ont fait de la vie dans ce monde est un bien vilain gâchis; et s'il n'y avait rien de mieux à en espérer, le plus court chemin vers la sortie serait le meilleur. Mais mon expérience est qu'il y a quelque chose au-delà du Mental; le Mental n'est pas ici-bas le dernier mot de l'Esprit. Le Mental est une conscience d'ignorance et ses perceptions ne peuvent être que fausses, mélangées ou imparfaites — même quand elles sont vraies, un reflet partiel de la Vérité et non le corps même de la Vérité. Mais il y a une Conscience-de-Vérité, non seulement statique et introspective, mais aussi dynamique et créatrice, et je préfère aller vers elle, voir ce qu'elle a à dire sur les choses et ce qu'elle peut faire plutôt que de m'éloigner des choses par le raccourci qu'offre l'Ignorance comme sa propre fin.

Cependant, je n'aurais pas d'objection si votre attirance pour le Nirvana n'était pas seulement une humeur du mental et du vital, mais une indication de la vraie route du mental et de l'issue de l'âme. Mais il me semble que ce n'est que le recul du vital devant ses propres désirs déçus dans une insatisfaction extrême, non l'âme sautant joyeusement vers son vrai sentier. Ce vaïrâgya est lui-même un mouvement vital; le vaïrâgya vital est l'envers du désir vital — bien que le mental soit évidemment là pour donner des justifications et dire "d'accord". Même ce vaïrâgya, s'il est exclusif et pointe dans une seule direction, peut mener au Nirvana ou en indiquer la voie.

 

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Mais il y a beaucoup d'aspects dans votre personnalité ou plutôt beaucoup de personnalités en vous; c'est en fait leurs mouvements discordants, chacun barrant la route à l'autre, comme il arrive quand ils s'expriment par le mental extérieur, qui se sont opposés à la marche de votre sâdhanâ. Il y a la personnalité vitale qui était tournée vers le succès et le plaisir, les a eus et voulait continuer mais n'a pu convaincre le reste de l'être de la suivre. Il y a la personnalité vitale qui voulait un plaisir d'une forme plus profonde et a suggéré à l'autre qu'elle pourrait bien abandonner ces choses peu satisfaisantes si elle recevait l'équivalent dans un royaume féerique de joie supérieure. Il y a la personnalité psycho-vitale qui est le vishnouïte en vous et voulait le Divin Krishna, la bhakti et l'Ânanda. Il y a la personnalité du poète, du musicien, du chercheur de beauté à travers ces choses. Il y a la personnalité vitale-mentale qui, voyant le vital barrant le chemin, tint à livrer un rude combat de tapasyâ, et c'est sans doute elle aussi qui approuve le vaïrâgya et le Nirvana. Il y a la personnalité mentale-physique qui est le Russellien, l'extraverti, le dubitatif. Il y a une autre personnalité émotionnelle-mentale dont les idées sont toutes pour le Divin, le yoga, la bhakti, le Gourouvâda. Il y a aussi l'être psychique qui vous a poussé dans la sâdhanâ et attend son heure pour émerger.

Qu'allez-vous faire de tous ces gens-là? Si vous voulez le Nirvana, vous devez ou les expulser, ou les étouffer, ou les assommer. Toutes les autorités assurent que cette histoire de Nirvana exclusif n'est pas une petite affaire (douhkham déhavadbhih, dit la Guîtâ) et votre propre tentative de supprimer les autres n'a pas été encourageante — de votre propre aveu elle vous a laissé aussi sec et désespéré qu'une orange pressée, plus de jus nulle part. Si le désert est votre voie vers la terre promise, cela n'a pas d'importance. Mais si ce n'est pas le cas, bon — il y a une autre voie — , c'est ce que nous appelons l'intégration, l'harmonisation de l'être. Cela ne peut pas être fait de l'extérieur, cela ne peut pas être fait par l'être mental et l'être vital — ils gâcheraient sûrement tout. Cela ne peut être fait que de l'intérieur de l'âme, de l'Esprit

 

 

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qui est le centralisateur, le centre même de ces cercles. Dans tous il y a une vérité qui peut s'harmoniser avec la vraie vérité des autres. Car il y a une vérité dans le Nirvana — le Nirvana n'est rien d'autre que la paix et la liberté de l'Esprit qui peut exister en lui-même, qu'il y ait un monde ou qu'il n'y en ait pas, que ce monde soit en ordre ou en désordre. La bhakti et l'appel du cœur pour le Divin contiennent une vérité — c'est la vérité de l'Amour divin et de l'Ânanda. La volonté de tapasyâ contient une vérité — c'est la vérité de la maîtrise de l'Esprit sur ses instruments. Le musicien et le poète représentent une vérité, la vérité de l'expression de l'Esprit à travers la beauté. Il y a une vérité derrière celui dont le mental affirme, et même derrière celui dont le mental doute, le Russellien, bien qu'elle soit loin derrière lui — la vérité de la négation des formes fausses. Même derrière les deux personnalités vitales il y a une vérité, la vérité de la possession des mondes extérieurs et intérieurs non par l'ego mais par le Divin. C'est cette harmonisation que recommande notre yoga — mais elle ne peut être accomplie par aucun aménagement extérieur, elle ne peut être accomplie qu'en allant au-dedans et en regardant, en voulant et en agissant à partir du psychique et du centre spirituel. Car la vérité de l'être est là et aussi le secret de l'Harmonie.

 

On peut être conscient du moi statique essentiel sans relation avec le jeu du cosmos. De même, on peut être conscient du moi statique omniprésent dans tout sans être progressivement conscient de la vishwaprakriti dynamique. La première réalisation du Moi ou du Brahman est souvent la réalisation de quelque chose qui se sépare de toute forme, de tout nom, action, mouvement, n'existe qu'en soi, ne considérant le cosmos que comme une masse de formes cinématographiques sans substance et vides de réalité. Telle a été ma première réalisation complète du Nirvana dans le Moi. Il ne s'agit pas d'un mur entre le Moi et le Brahman, mais d'une

 

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scission entre l'existence essentielle du Moi et le monde manifesté.

 

 

Je crois que selon les adwaïtin. Dieu n'est que le reflet de Brahman dans Maya — tout comme Brahman est vu extérieurement comme le monde qui n'a qu'une réalité pratique, non une réalité réelle, de même subjectivement Brahman est vu comme Dieu, Bhagavân, Îshwara, et cela aussi serait une réalité pratique, non une réalité réelle qui est et ne peut être que le Brahman sans relation tout seul dans une éternité sans monde. Du moins c'est ce que j'ai lu je ne sais pas si Shankara lui-même l'a dit. Les adwaïtin modernes disent toujours que Shankara ne voulait pas dire ce que les gens lui font dire aussi faut-il être prudent lorsqu'on lui attribue une opinion.

 

Ils veulent démontrer que Shankara n'était pas aussi sauvagement illusionniste qu'on le représente — qu'il donnait au monde une certaine réalité temporaire, admettait la Shakti, etc. Mais ces concessions (à supposer qu'il les ait faites) ne s'intègrent pas de façon cohérente à la logique de sa propre philosophie, selon laquelle seul le Brahman existe et le reste est ignorance et illusion. Le reste n'a qu'une réalité temporaire et par conséquent illusoire en Maya. Il soutenait en outre que le Brahman ne pouvait pas être atteint par les œuvres. Si cela n'était pas sa philosophie, j'aimerais savoir ce qu'elle était. Quoi qu'il en soit c'est ainsi que les gens l'ont comprise. Maintenant que la tendance générale s'éloigne de l'illusionnisme rigoureux, beaucoup d'adwaïtin semblent vouloir chercher des échappatoires et en faire prendre à Shankara avec eux.

Vivékânanda acceptait la philosophie de Shankara avec certaines modifications, dont la principale était Daridra

 

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Nârâyan-Sévâ qui est un mélange de compassion bouddhiste et de philanthropie moderne.

 

 

Évidemment Shankara voulait dire Mâyâvâda. Il n'est guère possible que tout le monde ait mal compris ses idées (qui n'étaient nullement voilées ni énigmatiques) jusqu'à ce que ses thuriféraires modernes aient découvert ce qu'elles étaient en réalité.

 

 

Il est certain que Shankara tient debout ou s'effondre par le Mâyâvâda. Même le poème Bhadja-Gôvindam est mâyâvâdique en esprit. Je ne suis pas très familiarisé avec ses autres œuvres — aussi m'est-il difficile de dire quoi que ce soit sur ce côté de la question.

 

 

Chittashouddhi appartient au râdja-yoga. Dans le pur Adwaïta la méthode est plutôt de se détacher par vitchâra et vivéka et de réaliser "Je ne suis pas le mental, pas la vie, etc.". Dans ce cas aucune shouddhi ne serait nécessaire — le moi serait séparé de la nature bonne ou mauvaise et la considérerait comme un mécanisme qui, sans le support de l'âtman, tomberait de soi-même avec le corps. Évidemment on peut recourir à chittashouddhi aussi, mais pour la cessation de chittavritti, non pour un dynamisme plus grand au service du Divin. Shankara soutient que tout karma doit disparaître avant qu'on puisse être libéré —  l'âme doit se réaliser elle-même comme akartâ, il n'y a pas de solution dans les œuvres ou par les œuvres dans le pur yoga de la connaissance. Comment Shankara pouvait-il dès lors reconnaître le dynamisme? Même s'il reconnaissait la nécessité de chittashouddhi, ce devait être comme une préparation pour se débarrasser du karma, et pour rien d'autre. 

 

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Le sens du "je" essentiel disparaît quand il y a réalisation stable du Moi universel unique en tous, et que cela demeure à tout moment, en toutes conditions et en toutes circonstances. Habituellement cela vient d'abord dans la conscience du Pourousha et l'extension aux mouvements de la Prakriti n'est pas immédiate. Mais même s'il y a des mouvements de "je" dans les réactions de la Prakriti, le Pourousha au-dedans les observe comme un vieux mécanisme qui continue à fonctionner et ne les sent pas comme siens. La plupart des védântistes s'arrêtent là, car ils sont persuadés que ces mouvements tomberont avec la mort et que tout disparaîtra dans l'Un. Mais pour que la nature change il est nécessaire que l'expérience et la vision du Pourousha s'étendent à toutes les parties: mental, vital, physique, subconscient. Alors les mouvements d'ego de la Prakriti peuvent aussi disparaître graduellement d'un domaine après l'autre jusqu'à ce qu'aucun ne subsiste. Pour cela un samatâ parfait jusque dans les cellules du corps et dans toutes les vibrations de l'être est nécessaire — samam hi brahma. On en est alors complètement libéré jusque dans les œuvres. L'individu demeure, mais ce n'est pas le petit ego séparatif, c'est une forme et un pouvoir de l'Universel qui se sent un avec tous les êtres, centre d'action et instrument du Transcendant universel, plein de l'Ânanda de la présence et de l'action mais ne pensant pas et ne se mouvant pas indépendamment, n'agissant pas pour son propre compte. Cela ne peut être appelé de l'égoïsme. Le Divin ne peut être appelé ego que s'il est une Personne séparée, limitée, comme dans l'idée chrétienne de Dieu, par son caractère séparé (bien que le christianisme ésotérique abolisse même cette limitation). Un je qui n'est pas séparé de cette façon n'est pas un je du tout.

 

Je doute que l'état dont vous parlez soit celui du védântin réalisé, à part évidemment la perte du sens de la personnalité et la non-identification avec le désir et les mouvements de 

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Prakriti. Cependant il est possible que l'état du jadavat Paramahamsa (comme Jada Bhârata) y ressemble. Cette théorie du prârabdha karma va plus loin que cela — elle présume que même s'il y a des mouvements vitaux, ce n'est que la continuation du mécanisme de Prakriti, et cela tombera au moment de la mort. C'est peut-être possible, je ne fonde pas l'évangile de la transformation de la Nature sur une impossibilité de considérer un repos statique comme définitif — le repos statique est nécessaire, mais je ne pense pas que le fait de le considérer comme définitif soit le but de la venue dans l'existence terrestre. Je soutiens que le repos statique n'est qu'un commencement, un premier pas dans le Divin. Si quelqu'un se contente du premier pas, considérant que c'est tout ce qui lui est possible, je n'ai aucune objection à ce qu'il le prenne comme cela.

 

Votre objection est correcte. L'image de la corde-serpent ne peut pas être utilisée pour illustrer la non-existence du monde, elle voudrait seulement dire que notre vision du monde n'est pas ce qu'est le monde en réalité. L'idée d'illusion complète serait mieux illustrée par le truc du saltimbanque qui grimpe à la corde, et où il n'y a ni corde ni grimpeur mais où pourtant on est persuadé qu'ils sont là.

 

Les métaphores illusionnistes tombent toutes quand vous les poussez à fond — elles sont elles-mêmes une illusion. Nous ne sommes pas le corps, mais le corps est pourtant quelque chose de nous-mêmes. Avec la réalisation, l'identification erronée cesse — dans certaines expériences l'existence du corps n'est pas ressentie du tout. Dans la pleine réalisation le corps est en nous et non nous en lui, c'est une formation instrumentale de notre être plus vaste — notre conscience le déborde, mais

 

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aussi le pénètre — il peut être dissous sans que nous cessions d'être le moi. C'est à peu près tout.

 

 

C'est l'expérience adwaïta-védântique de laya. Ce n'est qu'une phase de l'expérience du Divin, non sa totalité ni sa Vérité la plus haute.

 

 

L'impulsion vers laya est une création du mental, ce n'est pas la seule destinée possible de l'âme. Quand le mental essaie d'abolir sa propre ignorance, il ne trouve aucun moyen d'y échapper sauf par laya, parce qu'il suppose qu'il n'y a pas de principe supérieur d'existence cosmique au-delà — au-delà il n'y a que le pur Esprit, le Divin absolu et impersonnel. Ceux qui cherchent par la voie du cœur (amour, bhakti) n'acceptent pas laya, ils croient en un état de compagnie éternelle avec le Divin au-delà, ou de permanence dans le Divin sans laya. Tout cela, mise à part la supramentalisation. Qu'advient-il alors de votre point de départ selon lequel laya est la destinée inévitable de l'âme et seule la descente de l'Avatar nous sauve de l'inévitable laya!

 

 

L'erreur porte sur deux points: (1) autrefois l'âme, une fois qu'elle avait atteint le Divin, n'avait pas d'autre possibilité que laya. Il y avait d'autres possibilités, par exemple passer dans un plan plus élevé, vivre dans le Divin ou dans la présence du Divin. Les deux impliquent le refus de la naissance et l'abandon de la Lîlâ sur la terre. (2) c'était uniquement dans le but de vivre avec le Divin incarné et en relation de cette descente que l'âme consentait à renoncer à laya. Le point capital est la supramentalisation de l'être qui est l'intention du Divin dans l'évolution sur la terre et ne peut

 

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manquer de se produire; la descente ou l'incarnation n'est qu'un moyen de l'amener à se produire. Votre énonciation devient donc erronée parce qu'elle est incomplète.

 

Mais les védântin mâyâvâdiques n'avaient pas une perception claire de ces choses (surmental, supramental, etc.) parce qu'au plus haut degré, ils vivaient dans le mental supérieur spiritualisé, et pour le reste ne pouvaient rien recevoir même du surmental —  ils ne pouvaient y entrer que par un profond samâdhi (soushoupti). Prajnâ et Îshwara étaient pour eux le Seigneur du soushouptti.

II

 

Dans notre yoga le Nirvana est le commencement de la Vérité plus haute, car c'est le passage de l'Ignorance à la Vérité plus haute. L'Ignorance doit être éteinte pour que la Vérité puisse se manifester.

 

Je ne crois pas l'avoir écrit, mais j'ai dit un jour que les âmes qui sont entrées dans le Nirvana peuvent (non pas "doivent") revenir pour achever la courbe ascendante plus vaste. J'ai écrit quelque part — je crois — que pour mon yoga (on peut aussi ajouter, dans l'ordre naturel et complet de la manifestation) l'expérience du Nirvana ne peut être qu'un stade ou un passage vers la complète réalisation. J'ai dit aussi qu'il y a beaucoup de portes à passer pour entrer dans la réalisation de l'Absolu (Parabrahman), et que le Nirvana est l'une de ces portes, mais en aucune manière la seule. Vous vous souvenez peut-être de la parole de Râmakrishna, selon laquelle le jîvakôti peut monter l'escalier, mais non pas revenir en arrière, alors que l'îshwarakôti peut monter et descendre à

 

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volonté. S'il en est ainsi, les jîvakôti peuvent être ceux qui ne décrivent que la courbe qui va de la Matière à travers le Mental jusqu'au Brahman silencieux, et les îshwarakôti sont ceux qui atteignent la Réalité intégrale, et peuvent par conséquent combiner la Montée avec la Descente, et contenir les "deux bouts" de l'existence dans leur seul être.

 

La réalisation de ce yoga n'est pas inférieure, mais supérieure au Nirvana ou au nirvikalpa samâdhi.

 

 

Si vraiment Bouddha combattait et niait toutes les conceptions védântiques du Moi, alors il ne peut plus être vrai que Bouddha s'abstenait de toutes spéculations métaphysiques ou de toutes déclarations définies quant à la nature de l'ultime Réalité. L'opinion que vous vous faites de sa conception du Nirvana semble coïncider avec l'interprétation mahâyâniste et sa conception du Permanent, dhrouvam, à laquelle il pourrait être objecté que c'est un développement tardif comme la conception nihiliste contraire du Shoûnyam. Ce que Bouddha enseignait très certainement, c'est que le monde est un non-Moi, et que l'individu n'a pas d'existence réelle puisque ce qui existe dans le monde est un courant de conscience impermanente de moment en moment et que la personne individuelle est fictivement constituée d'un paquet de samskâra et peut être dissoute quand se dissout le paquet. Cela est conforme à la vision védântique moniste qu'il n'y a pas de véritable individu séparé. En ce qui concerne les autres visions védântiques du Moi unique, impersonnel, universel et transcendant, il ne semble pas que Bouddha ait fait aucune déclaration distincte et indubitable sur des questions abstraites et métaphysiques; mais si le monde ou tout dans le monde est non-Moi, anâtman, il ne peut plus y avoir place pour un Moi universel; mais tout au plus seulement pour un

 

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Être réel transcendant. Sa conception du Nirvana était quelque chose qui transcendait l'univers, mais il n'a pas défini ce que c'était parce qu'il ne s'intéressait pas aux spéculations métaphysiques abstraites sur la Réalité; il pensait certainement qu'elles n'étaient ni nécessaires ni pertinentes et que s'y adonner pouvait détourner du véritable objectif. Son explication des choses était psychologique et non métaphysique et ses méthodes étaient toutes psychologiques — briser les fausses associations de conscience qui entraînent la continuité du désir et de la souffrance, et ainsi se débarrasser du courant des naissances et des morts dans un monde purement phénoménal (et non irréel); la méthode de vie par laquelle cette libération pouvait être effectuée était aussi une méthode psychologique, l'octuple sentier développant la compréhension juste et l'action juste. Son objet était pragmatique et sévèrement pratique et telles étaient aussi ses méthodes; les spéculations métaphysiques ne feraient qu'éloigner le mental de la seule chose nécessaire.

Quant à l'attitude du Bouddha à l'égard de la vie, je ne vois pas comment le "service de l'humanité" ou un idéal quelconque d'amélioration de l'existence dans le monde peut avoir fait partie de son but, puisque passer de la vie à la transcendance était son objectif. Son octuple sentier était le moyen d'y parvenir et non un but en soi ni d'ailleurs en aucune manière un but. Évidemment si la compréhension juste et l'action juste devenaient la règle commune de vie, il y aurait une grande amélioration dans le monde, mais pour le dessein de Bouddha ce ne pouvait être qu'un résultat fortuit et non une partie de son objectif central. "Bouddha insistait sur la nécessité de servir l'humanité; son idéal était de réaliser une conscience d'éternité intérieure et d'être ensuite une source d'influence et d'action rayonnantes", dites-vous. Mais où et quand Bouddha a-t-il dit ces choses, utilisé ces termes ou exprimé ces idées? Le "service de l'humanité" semble être une conception très moderne et européenne; elle me rappelle certaines interprétations européennes selon lesquelles la Guîtâ n'enseignerait rien d'autre que l'accomplissement

 

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désintéressé du devoir et où la seule i idée de la Guîtâ serait le service. L'accent exclusif ou exagérée sur l'humanité est aussi européen. Le bouddhisme mahâyâniste mettait Il l'accent sur la compassion, la sympathie pour tous, vasoudhaïwa koutoumbakam, tout comme la Guîtâ parle du sentiment d'unité avec tous et de la préoccupation de leur bien-être, sarwabhouta hité ratâha, mais cela ne signifie pas l'humanité seule, mais tous les êtres et vasoudhâ signifie toute la vie terrestre. Existe-t-il des paroles du Bouddha qui permettraient de dire que l'objectif ou l'un des objectifs de l'accession au Nirvâna est de devenir une source d'influence et d'action rayonnantes? La conscience de l'éternité intérieure peut parvenir à ce résultat, mais pouvons-nous vraiment dire i que tel était:sait l'idéal du Bouddha, l'objectif qu'il avait en vue ou pour lequel il est venu?

 

Il n'y a pas de raison d'omettre le passage sur les bouddhisme. Il expose un aspect de l'enseignement bouddhique peu connu ou habituellement oublié, car la plupart ramènent cet enseignement au Nirvana (shoûnyavâda) et à un humanitarisme spirituel. La difficulté est que les interprétations modernes du bouddhisme ont mis l'accent sur ces aspects et toutes mes restrictions étaient formulées en raison de ces interprétations et de cette insistance partiale. Je connais bien entendu les tendances opposées du Mahâyâna et du culte japonais d'Amitâbha Bouddha qui est un culte de la bhakti. On dit même maintenant de Shankara que sa doctrine avait un autre aspect — mais ses fidèles en ont fait un apôtre exclusif de la Grande Illusion, de l'infériorité de la bhakti, de l'inutilité du karma — jaganmithyâ.

 

 

Bouddha, il faut se le rappeler, a toujours refusé de discuter de ce qui existe au-delà du monde. D'après le peu qu'il en a dit

 

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il semblerait qu'il était conscient d'un Permanent au-delà équivalant au Para Brahman védântique, mais qu'il n'était pas disposé à le décrire. La négation de tout au-delà du monde, sauf un état négatif de Nirvana, est un enseignement ultérieur, non celui du Bouddha.

 

 

Le Nirvana bouddhiste et le môksha de l'adwaïtin sont la même chose. Ils correspondent à une réalisation dans laquelle on ne se sent plus soi-même en tant qu'individu portant un certain nom et revêtant une certaine forme, mais en tant que Moi infini, étemel, sans espace (même dans l'espace), sans temps (même dans le temps). Notez que l'on peut parfaitement agir dans cet état et qu'il peut être atteint autrement qu'en samâdhi.

 

 

Le Nirvana du Bouddha est le même que le Nirvana du Brahman dont parle la Guîtâ. Mais la Guîtâ le décrit comme le Nirvana dans le Brahman, alors que Bouddha préférait ne lui donner aucun nom ou ne rien dire de ce en quoi réside le Nirvana. Certaines écoles bouddhistes plus tardives l'ont décrit comme Shoûnya, l'équivalent du Tao chinois, décrit comme le Rien qui est toutes choses.

 

Il y a toutes sortes de bouddhismes et l'espèce entièrement nihiliste n'en est qu'une variété. La plupart des bouddhismes reconnaissent un Permanent au-delà du royaume du Karma et des samskâra. Même le Shoûnya des shoûnyapanthî est décrit, à la manière du Tao de Lao Tseu, comme un Rien qui est Tout. Ainsi, comme il admet un état supérieur "au-dessus du mental" que l'on essaie d'atteindre par une discipline puissante de la conscience, on peut le qualifier de spiritualité.

 

 

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À propos de l'Un (des bouddhistes) il y a différentes versions. Je viens de lire quelque part que l'Un bouddhiste est un Superbouddha d'où viennent tout les Bouddha — mais cela me semble être un rabâchage du bouddhisme en termes védântiques né dans un mental moderne. Le Permanent du bouddhisme a toujours été considéré comme Supracosmique et Ineffable — c'est pourquoi Bouddha n'a jamais essayé d'expliquer ce que c'était; car logiquement, comment peut-on parler de l'Ineffable? Cela n'a en réalitérien à voir avec le Cosmos qui est fait de samskâra et de karma.

 

 

Les impressions ressenties à l'approche de l'Infini ou en y pénétrant ne sont pas toujours tout à faut semblables; elles dépendent beaucoup de la manière dont le mental s'en approche. Il est ressenti d'abord par certalins comme un infini au-dessus, par d'autres comme un infimi tout autour dans lequel le mental disparaît (en tant qu'éneîrgie) en perdant ses limites. Certains sentent non l'absorptiom de l'énergie mentale dans l'infini, mais une chute enitièrement inactive, d'autres le sentent comme un manque oui une disparition de l'énergie dans la pure Existence. Certains ressentent d'abord l'infini comme une vaste existence dans laquelle tout sombre ou disparaît, d'autres, comme vous le diécrivez, comme un océan infini de Lumière au-dessus, d'autres comme un océan infini de Pouvoir au-dessus. Si certaines éccoles de bouddhistes le sentent dans leurs expériences commie un Shoûnya sans limites, les védântistes, au contraire, levoient comme une Existence-en-Soi positive, sans traits et absolue. Sans aucun doute, les diverses expériences ont été ériigées en philosophies diverses, chacune donnant sa conception comme définitive; mais derrière chaque conception il y avait une de ces expériences. Ce que vous décrivez coimme une substance mentale complètement vidée, dépourvue d'énergie ou de lumière, complètement inerte, est l'état de paix neutre et de tranquillité vide qui est ou peut être un stade de la libération.

 

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Mais il peut ensuite se sentir rempli d'existence infinie, de conscience (portant en elle de l'énergie) et finalement d'Ânanda.

 

 

Ce passage¹ dans Thé Yoga and Ils Objects est écrit du point de vue du mental spiritualisé approchant la suprême Vérité directement, sans passer par le supramental ni disparaître en lui. Le mental se spiritualisé en se dépouillant de toutes ses activités et formations propres et en réduisant tout à une pure Existence, sat-âtman, d'où procèdent toutes choses et toutes activités, et qui soutient tout. Quand il veut aller encore plus loin, il nie encore davantage et arrive à un osât, qui est la négation de toute cette existence et cependant quelque chose d'inconcevable au mental, à la parole ou à une expérience délimitée. C'est le silencieux Inconnaissable, le Tourîya ou Absolu sans traits et sans relations des védântin monistes, le Shoûnyam des bouddhistes nihilistes, le Tao ou le Rien omniprésent et transcendant des Chinois, le Permanent indéfinissable et ineffable du Mahâyâna. Bien des mystiques chrétiens parlent aussi de la nécessité d'une ignorance complète afin de recevoir l'expérience suprême et parlent aussi de l'Obscurité divine — ils veulent parler du dépouillement de toute connaissance mentale, faisant du mental une page blanche et l'englobant dans le Non-Manifeste, le param avyaktam. Tout cela est la façon dont le mental approche le Suprême — car au-delà de Y avyaktam, tamasah parastât, est le Suprême, le Pouroushôttama de la Guîtâ, le Para Pourousha des Oupanishad. C'est âdityavama par opposition à l'obscurité du Non-Manifeste; c'est une métaphore, mais pas seulement une métaphore, car c'est aussi un symbole, un symbole vu

 

¹"Car derrière le M? âtman est le silence de Y osât que les bouddhistes nihilistes réalisaient comme le shoûnyam, et au-delà de ce silence est le parâtpara pourousha (pourousho varénya âdityavamas tamasah parastât). " (Sri Aurobindo, Thé Yoga and Its Objects, Édition du Centenaire, Vol. XVI, p. 416.)

 

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visuellement par la soûkshma drishti, la vision subtile, et pas seulement un symbole, mais, pourrait-on dire, un fait d'expérience spirituelle. Le soleil dans le yoga est le symbole du supramental et le supramental est le premier pouvoir du Suprême qu'on rencontre à la frontière où cesse l'expérience du mental spiritualisé et où la Conscience divine non modifiée ouvre le domaine de la Nature suprême, para prakriti. C'est de cette Lumière que les mystiques védiques ont aperçu une lueur, et c'est l'opposé de l'obscurité intermédiaire des mystiques chrétiens, car le supramental est tout lumière et non obscurité. Pour le mental le Suprême est avyaktât param avyaktam, mais si nous suivons la ligne qui mène au supramental, nous avançons à travers une affirmation croissante plutôt qu'une croissante négation.

Dans le yoga la lumière est toujours vue par l'œil intérieur, ou même par l'œil extérieur, mais il y a beaucoup de lumières; toutes ne sont pas la Lumière suprême, param jyotih, toutes n'en viennent pas.

 

L'univers n'est qu'une manifestation partielle et Brahman à sa base est le Sat. Mais il y a aussi ce qui n'est pas manifesté, qui est au-delà de la manifestation, et qui n'est pas contenu dans la base de la manifestation. Les bouddhistes et d'autres en ont déduit que Asat est la chose ultime.

Une autre signification serait que Sat = l'Étemel et Asat = le Temporaire et l'Irréel.

 

 

Le sentiment du Moi comme un vaste Vide plein de paix, une libération de l'existence telle que nous la connaissons, est un sentiment que l'on peut toujours avoir, bouddhiste ou non. C'est l'aspect négatif du Nirvana — il est assez naturel que le mental, s'il suit son mouvement négatif de retrait, ait d'abord cela, et si vous en prenez possession et refusez d'aller plus  

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loin, satisfait de cette Non-Existence libérée, alors naturellement vous philosopherez comme les bouddhistes que Shoûnya est la vérité étemelle. Lao Tseu est plus perspicace quand il en parle comme du Rien qui est Tout. Beaucoup ont bien sûr d'abord l'expérience positive de l'Âtman, non pas comme un vide mais comme une Existence pure et sans relation comme les adwaïtin (Shankara), ou comme l'Existant unique.

 

 

Ceux qui ont l'expérience du Nirvana ont l'impression de ne pas avoir d'existence du tout. Dans le Nirvana bouddhiste ils ont l'impression qu'il n'y a rien du tout, sinon un zéro infini sans forme. Dans le Nirvana de l'Adwaïta on sent seulement une Vaste Existence unique, aucun être séparé ne peut être discerné nulle part. Il y a évidemment des formes mais ce ne sont que des formes, non des êtres séparés. Le Mental est silencieux, la pensée a cessé — ni désirs, ni passions, ni mouvements vitaux. Il y a une conscience, mais seulement une conscience sans forme, élémentaire et sans limites. Le corps bouge et agit, mais le sens du corps est absent. Parfois il n'y a que la conscience de la pure existence, parfois seulement la pure conscience, parfois tout ce qui existe n'est qu'un Ananda sans trêve et sans limites. Que tout le reste soit dissous ou seulement voilé est un point discutable, mais en tout cas dans cette expérience c'est comme si tout était dissous.

 

 

L'ego et sa continuité, disent les bouddhistes, sont une illusion, résultat du flot continu des énergies et des idées dans un courant déterminé. Il n'y a pas véritable formation d'un ego. Quant à la libération, il est légitime de se libérer de douhkha, etc. — c'est un flot douloureux d'énergies et pour se libérer de la douleur ils doivent briser leur continuité. Tout cela est très bien, mais comment tout a-t-il commencé,

 

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pourquoi cela devrait-il finir, et comment quiconque peut-il profiter de la libération, puisqu'il n'y a personne, mais seulement une masse d'idée et d'action — ce sont là d'insolubles mystères. Mais n'y a-t-il pas aussi la même difficulté chez les mâyâvâdin, puisqu'il n'y a pas réellement de Jîva, mais seulement Brahman et que Brahman est par nature libre et détaché à jamais? Alors comment l'absurde affaire de Maya a-t-elle commencé d'exister, et qui est libéré? C'est pourquoi les anciens sages avaient fini par dire: "Nul n'est lié, nul n'est libéré, nul ne cherche à être libre." Tout cela était une erreur (une erreur un peu longuette cependant). Les bouddhistes, je pense, pourraient en dire autant.

 

Selon Bouddha et Shankara la libération est le laya de l'individu dans quelque Permanence transcendante qui n'est pas individualisée — donc logiquement une croyance en l'âme individuelle doit empêcher la libération, alors que le sens de la misère du monde conduit à tenter de s'échapper.

 

 

L'expression "passer au-delà"¹ montre qu'ils veulent parler d'une évolution non sur la terre, mais quelque part au-delà, Dieu sait où. Dans ce cas le Nirvana serait un endroit ou un monde sur le chemin d'autres mondes et l'âme évoluerait d'un monde à un autre — par exemple de la terre au Nirvana et du Nirvana à quelque Au-delà du Nirvana. C'est une idée entièrement européenne et il est très peu vraisemblable que les bouddhistes y aient cru. L'idée indienne était que l'évolution a lieu ici et que même les Dieux, s'ils veulent aller au-delà  

¹"Les Grands Êtres... renoncent à leur droit de passer au-delà vers une Évolution plus haute encore et restent dans le Cosmos pour le bien de tous les êtres sensibles... Ce sont ces Forces bôdhiques... qui mènent l'humanité... vers un ordre social perfectionné sur la Terre". (Yoga tibétain et doctrines secrètes, Dr. W.Y. Evans-Wentz.)  

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de leur divinité et obtenir la libération, doivent descendre sur terre à cette fin. Ce sont les spiritualistes occidentaux et autres qui pensent que la naissance sur la terre est une étape d'un progrès partant d'un lieu inférieur à la terre, et qu'après être né sur terre, on n'y retourne pas, mais on va vers un autre monde et on y demeure jusqu'à ce que l'on puisse progresser vers d'autres mondes meilleurs et ainsi de suite... Également, cet "ordre social perfectionné sur terre" n'est certainement pas une idée bouddhiste, les Bouddha n'y ont jamais songé — leur préoccupation était d'aider les hommes à aller vers le Nirvana, non vers un ordre social perfectionné ici même. Tout cela est en totale contradiction avec le bouddhisme.

 

 

Le Nirvana ne peut pas être à la fois la fin du Sentier sans rien à explorer au-delà, et en même temps rien d'autre qu'un lieu de repos ou plutôt le début d'un Sentier supérieur où tout reste encore à explorer... La synthèse serait que c'est la fin du Sentier inférieur à travers la Nature inférieure et le commencement de l'évolution supérieure. Dans ce cas cela s'accorderait exactement avec l'enseignement de notre yoga.

 

 

En quoi cet Absolu¹ est-il différent de l'Absolu du Védânta? ou cette émancipation différente de la moukti védântique? S'il en était ainsi, il n'y aurait jamais eu toutes ces querelles entre écoles bouddhistes et védântiques. Ce doit être une version "dernier cri" du bouddhisme ou alors c'est un développement tardif dans lequel le bouddhisme s'est réduit à l'Adwaïta.  

¹"Ainsi la doctrine de la shoûnyata qui soutient tout le prâjnaparamitâ... pose en principe... un Absolu comme inhérent au phénomène, car l'Absolu est la source et le support du phénomène... et, en dernière analyse des choses, par le Mental illuminé par Bôdhi, libéré de l'Ignorance, la dualité disparaît et il ne reste que l'Un en Tout, le Tout en Un. "(Ibid.)  

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Mais cette Évolution supérieure est-elle une idée bouddhiste ou seulement une version européenne de ce que pourrait être le Nirvana?

 

 

Il n'y a pas de différence entre cette description¹ et ce qu'on entend par l'âme, sauf que c'est appelé "impersonnel" — mais évidemment ici le terme "impersonnel"est utilisé par opposition à la chose qui dépend du nom, du corps et de la forme, et qui est appelée personnalité. Les Européens particulièrement, mais aussi les gens qui n'ont pas d'idées philosophiques, prendraient facilement cette personnalité extérieure pour l'âme et alors ils refuseraient de qualifier d'âme une entité innée et sans fin. Considèrent-ils cette entité comme un esprit ou un moi — âtman? Mais la difficulté est que les anciens bouddhistes rejetaient aussi la conception de Vâtman. Ainsi nous restons complètement désorientés. Le bouddhisme nihiliste enseigne de façon simple et compréhensible qu'il n'y a pas d'âme, mais seulement une masse de samskâra qui continuent ou un flot de samskâra qui se renouvellent sans dissolution (Nirvana). Mais cette histoire Mahâyâniste semble une sorte de compromis vague et sommaire avec le Védânta.

 

Il y a des éléments de la plupart des yoga qui entrent dans celui-ci, aussi n'est-il pas surprenant d'y trouver aussi quelque chose du bouddhisme. Mais des notions comme celle d'une  

 

¹"Un principe impersonnel, représentation microcosmique du macrocosme, persiste à travers toutes les existences, ou tous les états de l'être conditionné dans le samsara... Mais le principe de la conscience impersonnelle ne doit en aucune manière être identifié à la personnalité représentée par un nom, ou une forme corporelle ou un mental Samsârique ... Il est lui-même non-Samsârique, étant incréé, inné, sans forme, au-delà du concept humain et de la définition humaine, et par conséquent transcende le temps et l'espace... Il est sans commencement ni fin " (Ibid.)

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Évolution supérieure au-delà du Nirvana ne me semblent pas authentiquement bouddhistes, à moins évidemment que quelque rejeton du bouddhisme ait donné naissance à quelque chose que l'auteur interpréterait comme tel. Je n'en ai jamais entendu parler comme d'un des enseignements du Bouddha — il parlait toujours du Nirvana comme du but et refusait de discuter ce qu'il pourrait être sur un plan métaphysique.

 

 

La philosophie jaïn se préoccupe de la perfection individuelle. Notre effort est tout différent. Nous voulons faire descendre le supramental en tant que faculté nouvelle. Tout comme le mental est maintenant un état permanent de conscience dans l'humanité, nous voulons créer une espèce où le supramental sera un état de conscience permanent.

III

 

II n'est pas exact de dire que la Guîtâ fournit toute la base du message de Sri Aurobindo, car la Guîtâ semble admettre que la cessation des naissances dans le monde est le but ultime, ou du moins l'ultime sommet du yoga; elle n'avance pas l'idée d'évolution spirituelle, ni l'idée de plans supérieurs de la Conscience-de-Vérité supramentale et du moyen de transformer complètement la vie terrestre en faisant descendre cette conscience.

L'idée du supramental, Conscience-de-Vérité, est présente dans le Rig-véda selon l'interprétation qu'en donne Sri Aurobindo, et dans un ou deux passages des Oupanishad, mais dans les Oupanishad elle n'est qu'en germe dans la conception de l'être de connaissance, vijnânamaya pourousha, débordant l'être mental, vital et physique; dans le Rig-véda l'idée n'est présente qu'en tant que principe, elle n'est pas développée et son principe a même disparu de la tradition hindoue.

 

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Ce sont ces choses, parmi d'autres, qui constituent la nouveauté du message de Sri Aurobindo, par comparaison avec la tradition hindoue — l'idée que le monde n'est ni une création de Maya, ni seulement un jeu, lîlâ, du Divin, ni un cycle de naissances dans l'ignorance d'où nous devons nous échapper, mais un champ de manifestation où se déroule une évolution progressive de l'âme et de la nature humaine dans la Matière, et, de la Matière, à travers la Vie et le Mental, vers ce qui est au-delà du Mental, jusqu'à atteindre la complète révélation du Satchidânanda dans la vie. C'est cela qui est la base du yoga et qui donne à la vie un sens nouveau.

 

Il n'y a pas véritablement de contradiction; les deux passages¹ indiquent deux mouvements différents du yoga dans le système de la Guîtâ, la consécration² complète étant le mouvement culminant. On doit d'abord conquérir la nature inférieure, délivrer le moi involué dans le mouvement inférieur au moyen du Moi supérieur qui s'élève dans la nature divine; en même temps on offre toutes ses actions, y compris l'action intérieure du yoga, en sacrifice au Pouroushôttama, au Divin transcendant et immanent. Quand on s'est élevé dans le Moi supérieur, qu'on a la connaissance et qu'on est libre, on

 

¹"Par le Moi délivre le moi" (Guîtâ, chant VI, 5); et "Abandonne tous les dharma" (Ibid., chant XVIII, 66).

²Sur la traduction du mot anglais surrender. Mère a donné l'explication suivante:

...entre les mots "surrender" et "offrande" il n'y a guère de différence. Mais le mot français "soumission" donne l'impression de quelque chose de Plus passif: on accepte; tandis que l'offrande est un don un don volontaire.... "Consécration" a généralement un sens plus mystique, mais ce "est pas absolu. Une consécration totale signifie un don total de son être; c est donc l'équivalent du mot "surrender", non du mot "soumission", qui donne toujours l'impression que l'on "accepte" d'une façon passive. On nt une flamme dans le mot "consécration", une flamme plus grande même que dans le mot "offrande". Se consacrer, c'est "se donner à une action"; donc au sens yoguique, c'est se donner à une œuvre divine avec 'dée d'accomplir l'œuvre divine." (Entretien du 22 février 1951.)  

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accomplit la consécration complète au Divin, abandonnant tous les autres dhanna, vivant seulement par la Conscience divine, la Volonté et la Force divines, l'Ânanda divin.

Notre yoga n'est pas identique au yoga de la Guîtâ bien qu'il en contienne tout l'essentiel. Dans notre yoga le point de départ est l'idée, la volonté, l'aspiration de la consécration complète; mais en même temps nous devons rejeter la nature inférieure, en délivrer notre conscience, délivrer le moi involué dans la nature inférieure par le moi qui s'élève vers la liberté dans la nature supérieure. Si nous ne faisons pas ce double mouvement, nous courons le danger de faire une consécration tamasique et par conséquent fausse, sans effort, sans tapas et par conséquent sans progrès; ou encore nous pouvons faire une consécration radjasique non au Divin mais à quelque idée ou image fausse du Divin fabriquée par nous, masque de notre ego radjasique ou de quelque chose de pire.¹

 

 

Ce monde est, comme le décrit la Guîtâ, anityamasoukham,² tant que nous vivons dans la conscience actuelle du monde; ce n'est qu'en nous en détournant pour trouver le Divin et entrer dans la Conscience divine que nous pouvons, à travers le monde aussi, posséder l'Éternel.³

 

 

La langue de la Guîtâ dans bien des domaines semble parfois contradictoire parce qu'elle admet deux vérités apparemment opposées et essaie de les réconcilier. Elle admet comme une possibilité l'idéal qui consiste à quitter le samsara pour entrer dans le Brahman; elle affirme aussi la possibilité de vivre libre dans le Divin (en Moi, dit-elle) et d'agir dans le monde comme Jîvanmoukta. C'est sur cette dernière solution qu'elle insiste

 

 

¹Nouvelles Lumières sur le Yoga, chapitre 1.

²Anityamasoukham: malheureux et éphémère.

³Nouvelles Lumières sur le Yoga, chapitre 1.

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le plus. Ainsi Râmakrishna place les "âmes divines" (Îshwarakôti) — qui peuvent descendre l'échelle aussi bien que la monter — plus haut que les Jîva (Jîvakôti), qui, étant montés, n'ont pas la force de redescendre pour accomplir l'œuvre divine. La vérité complète est dans la conscience supramentale et dans le pouvoir de travailler à partir d'elle sur la vie et la Matière.

 

 

La Guîtâ ne peut être décrite exclusivement comme un évangile d'amour. Ce qu'elle propose est un yoga de la connaissance, de la dévotion et des œuvres fondé sur une conscience spirituelle et sur la réalisation de l'unité avec le Divin et de l'unité de tous les êtres dans le Divin. La bhakti — dévotion et amour de Dieu comportant l'unité avec tous les êtres et l'amour pour tous les êtres — y tient une place élevée, mais toujours liée à la connaissance et aux œuvres.

 

 

Mais notez bien que l'auteur ne voulait pas faire de la Guîtâ une allégorie — vous pouvez dire, si vous voulez, que maintenant nous devrions écarter l'ancien élément guerrier en l'interprétant comme s'il était une allégorie. La Guîtâ est un yoga, une vérité spirituelle appliquée à la vie extérieure et à l'action — mais ce peut être n'importe quelle action et pas nécessairement une action ressemblant à celle de h Guîtâ. Le principe de la conscience spirituelle appliquée à Faction doit être conservé —  l'exemple particulier utilisé par laGuîtâ peut être traité comme quelque chose qui appartient au passé.

 

 

La Guîtâ ne parle pas expressément de la Mère divine; elle parle toujours de consécration au Pouroushôttana — elle ne la mentionne que comme la Para Prakriti qui devient le Jîva,  

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c'est-à-dire qui manifeste le Divin dans la multiplicité, à travers qui tous ces mondes sont créés par le Suprême, par l'intermédiaire de qui il descend lui-même comme Avatar. La Guîtâ suit la tradition védântique qui s'appuie entièrement sur l'aspect îshwara du Divin et parle peu de la Mère divine parce que son objectif est de se retirer de la nature du monde et d'arriver à la réalisation suprême au-delà; la tradition tântrique s'appuie sur l'aspect Shakti ou îshwarî et fait tout dépendre de la Mère divine parce que son objectif est de posséder et de dominer la nature du monde et d'arriver à travers celle-ci à la suprême réalisation. Notre yoga préconise les deux aspects; la consécration à la Mère divine est essentielle, car sans elle l'objectif du yoga ne peut être atteint.

À l'égard du Pouroushôttama la Mère divine est la Conscience divine suprême et le Pouvoir divin suprême au-dessus des mondes, Adya Shakti; elle porte le Suprême en elle-même et manifeste le Divin dans les mondes à travers l'akshara et le kshara. À l'égard de l'akshara elle est la même Para Shakti tenant le Pourousha immobile en elle-même et se tenant aussi immobile en lui derrière toute création. À l'égard du kshara elle est l'Énergie cosmique mobile manifestant tous les êtres et toutes les forces.

 

À ma connaissance il n'y a rien d'analogue à une conscience du Pouroushôttama que l'être humain pourrait atteindre ou réaliser pour lui-même, car dans la Guîtâ le Pouroushôttama est le Seigneur suprême, l'Être suprême qui est au-delà de l'Immuable et du Muable et contient à la fois l'Un et le Multiple. L'homme, dit la Guîtâ, peut atteindre la conscience brahmique, se réaliser comme une portion éternelle du Pouroushôttama et vivre dans le Pouroushôttama. La conscience du Pouroushôttama est la conscience de l'Être suprême et l'homme, par la perte de l'ego et la réalisation de son essence véritable, peut vivre en elle.

 

 

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Dans la pensée spirituelle de l'Inde, pendant la période des rishi et même avant, les éléments du Sâmkhya et du Védânta étaient toujours combinés. L'exposé du Sâmkhya sur la constitution de l'être (Pourousha, Prakriti, les éléments, indriya, bouddhi, etc.) étaient universellement acceptés et Kapila était mentionné partout avec vénération. Dans la Guîtâ il est cité parmi les grandes Vibhoûti; Krishna dit: "Je suis Kapila parmi les sages."

IV

 

Le Véda et le Védânta sont un côté de l'Unique Vérité; le Tantra, qui met l'accent sur la Shakti, en est un autre; notre yoga reprend tous les côtés de la Vérité, non dans les formes systématiques qui leur ont été données autrefois mais dans leur essence, et les porte jusqu'à leur signification la plus complète et la plus haute. Mais le Védânta traite plutôt des principes et de l'essentiel de la connaissance divine et par conséquent toute une partie de son expérience spirituelle a été reprise en bloc dans l'Ârya. Le Tantra traite davantage des formes, des procédés et des pouvoirs organisés — tout cela ne pouvait être repris tel quel, car le yoga intégral a besoin d'élaborer ses propres formes et ses propres procédés; mais l'ascension de la conscience à travers les centres et d'autres éléments de la connaissance tântrique sont là, derrière le processus de transformation auquel j'attache tant d'importance — et aussi la vérité que rien ne peut être fait si ce n'est à travers la force de la Mère.

Le processus de l'éveil de koundalinî s'élevant à travers les centres, ainsi que la purification des centres, est une connaissance tântrique. Dans notre yoga il n'y a pas de processus volontaire de purification et d'ouverture des centres, pas non plus d'ascension de la koundalinî par un processus fixe. Une autre méthode est utilisée, mais il y a tout de même une ascension de la conscience à partir des différents niveaux et à travers eux pour rejoindre la conscience supérieure au-dessus;

 

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il y a l'ouverture des centres et des plans (mental, vital, physique) que ces centres commandent; il y a aussi la descente qui est la clé principale de la transformation spirituelle. Par conséquent il y a, je l'ai dit, une connaissance tântrique derrière le processus de transformation dans notre yoga.

 

 

Dans notre yoga il n'y a pas d'ouverture volontaire des chakra, ils s'ouvrent d'eux-mêmes par la descente de la Force. Dans la discipline tântrique ils s'ouvrent du bas vers le haut, le moulâdhâra en premier; dans notre yoga ils s'ouvrent du haut vers le bas. Mais l'ascension de la force à partir du moulâdhâra a bien lieu.

 

 

Dans le Tantra les centres sont ouverts et koundalinî est éveillée par un processus spécial, son action ascendante est ressentie dans la colonne vertébrale. Dans notre yoga c'est une pression de la force au-dessus qui l'éveille et ouvre les centres. Il y a une ascension de la conscience qui monte jusqu'à ce qu'elle rejoigne la conscience supérieure audessus. Cela se répète (parfois, on sent aussi une descente) jusqu'à ce que tous les centres soient ouverts et que la conscience s'élève au-dessus du corps. À un stade ultérieur elle reste au-dessus et s'élargit pour devenir la conscience cosmique et le moi universel. Tel est le déroulement habituel, mais quelquefois le processus est plus rapide, et il y a une ouverture soudaine et définitive au-dessus.

 

 

La montée et la descente de la Force dans notre yoga s'accomplissent à leur propre manière sans nécessairement

 

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reproduire les détails indiqués dans les livres tantriques. Beaucoup deviennent conscients des centres, mais d'autres sentent simplement la montée ou la descente d'une façon générale ou de niveau en niveau plutôt que de centre en centre, c'est-à-dire qu'ils sentent la Force descendre d'abord dans la tête, puis dans le cœur, puis au nombril et encore plus bas. Il n'est pas du tout nécessaire de devenir conscient des divinités dans les centres selon la description tântrique, mais certains sentent la Mère dans les différents centres. En cela notre sâdhanâ n'adhère pas à la connaissance donnée dans les livres, mais conserve seulement la vérité centrale qui est derrière et la réalise indépendamment sans aucune sujétion aux anciennes formes et aux anciens symboles. Les centres eux-mêmes ont une interprétation différente ici de celle qui est donnée dans les livres des tantriques.

 

Oui, le but de notre yoga est d'établir un contact direct avec le Divin au-dessus et de faire descendre la Conscience divine d'en haut dans tous les centres. Les pouvoirs occultes qui appartiennent au plan mental, au plan vital et au plan physique subtil ne sont pas notre but. On peut avoir, chemin faisant, un contact avec diverses Forces et Personnalités divines, mais il n'est pas nécessaire de les établir dans les centres, bien que cela arrive parfois automatiquement (comme pour les quatre Personnalités de la Mère) pour un temps au cours de la sâdhanâ. Mais ce n'est pas la règle. Notre yoga se propose d'être plastique et de permettre toutes les opérations nécessaires du Pouvoir divin selon la nature, mais elles peuvent varier dans leurs détails avec chaque individu.

 

 

L'occultisme est la connaissance et l'usage correct des forces cachées de la Nature.

 

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Les forces occultes sont les forces qu'on ne peut connaître qu'en allant derrière le voile des phénomènes apparents —  spécialement les forces dm plan physique subtil et du plan supraphysique.

 

Habituellement, toutes les expériences plus intérieures et toutes les expériences psychologiques anormales sont appelées psychiques. J'emploie' le mot psychique pour l'âme, pour la distinguer du mental et du vital. Tous les mouvements, toutes les expériences die l'âme seraient, dans ce sens, qualifiées de psychiques, celles qui montent de l'être psychique ou le touchent directement; où le mental et le vital prédominent, l'expérience; serait qualifiée de psychologique (de surface ou occulte). "Spirituel" n'est pas nécessairement lié à l'Absolu. Évidemment l'expérience de l'Absolu est spirituelle. Tous les contacts avec le moi, la conscience supérieure, le Divin au-dessus sont spirituels. Il y en a d'autres qui ne peuvent pas être classés de façon aussi tranchée ou opposés Fun à l'autre.

La réalisation spirituelle est d'une importance primordiale et elle est indispensable. Je considère que le mieux serait d'obtenir le développement spirituel et psychique et de l'avoir avec une plénitude égale, savant de pénétrer dans les régions occultes. Ceux qui y pénètrent en premier lieu peuvent voir leur réalisation spirituelle fort retardée — d'autres sont pris au piège des labyrinthes de 11'occulte et n'en sortent plus dans cette vie. Certains, sans aucun doute, peuvent poursuivre les deux ensemble, l'occulte et le spirituel, et les faire s'entraider; mais le processus que je suggère est celui qui offre le plus de sécurité.

Les facteurs dirigeants? pour nous doivent être l'esprit et l'être psychique unis au Divin — les lois et les phénomènes occultes doivent être comnus, mais seulement dans leur utilisation, non comme pprincipes directeurs. Le domaine occulte est vaste et compHiqué, et il n'est pas sans danger.

 

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Point n'est besoin de l'abandonner, mais il ne faudrait pas lui donner la première place.

 

 

Une activité sur le plan astral, en contact avec les forces astrales, qui s'exerce en quittant le corps, n'est pas un but spirituel mais appartient au domaine de l'occultisme. Cela ne fait pas partie des buts du yoga. Le jeûne n'est pas non plus autorisé à l'Ashram, car sa pratique est souvent plus néfaste que salutaire à l'effort spirituel.

Ce but qui vous est suggéré semble faire partie d'une recherche de pouvoirs occultes; une recherche de ce genre est considérée avec réprobation par la plupart des maîtres spirituels de l'Inde, parce qu'elle appartient aux plans inférieurs et habituellement pousse le chercheur sur un sentier qui peut le conduire très loin du Divin. Particulièrement, un contact avec les forces et les êtres du plan astral (ou, comme nous l'appelons, du plan vital) s'accompagne de grands dangers. Les êtres de ce plan sont souvent hostiles au but véritable de la vie spirituelle; ils établissent un contact avec le chercheur et lui offrent des pouvoirs et des expériences occultes dans le seul but qu'ils le conduisent hors du sentier spirituel, ou encore ils peuvent établir leur propre maîtrise sur lui ou prendre possession de lui pour leur propre dessein. Se présentant souvent comme des pouvoirs divins, ils égarent, donnent des suggestions et des impulsions déroutantes, et pervertissent la vie intérieure. Nombreux sont ceux qui, attirés par ces pouvoirs et ces êtres du plan vital, ont fini dans une chute spirituelle définitive ou dans une perversion et un désordre du mental et du physique. On vient inévitablement en contact avec le plan vital et on y entre dans l'expansion de conscience qui résulte d'une ouverture intérieure, mais on ne devrait jamais se mettre entre les mains de ces êtres ou de ces forces ni se laisser mener par leurs suggestions et leurs impulsions. C'est l'un des principaux dangers de la vie spirituelle et c'est une nécessité pour le chercheur d'être sur

 

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ses gardes s'il veut atteindre son but. Il est vrai que bien des pouvoirs supraphysiques ou supranormaux viennent avec l'expansion de la conscience dans le yoga; sortir de la conscience du corps, agir par des moyens subtils sur les plans supraphysiques, etc., sont pour le yogi des activités naturelles. Mais ces pouvoirs ne sont pas recherchés, ils viennent naturellement, et ils n'ont pas un caractère astral. Ils doivent aussi être utilisés d'une manière purement spirituelle, c'est-àdire par la Volonté divine et la Force divine, comme un instrument, mais jamais comme un intermédiaire des forces et des êtres du plan vital. Rechercher leur aide pour obtenir ces pouvoirs est une grande erreur.

Le jeûne prolongé peut mener à une excitation de l'être nerveux qui apporte souvent de vives imaginations et des hallucinations que l'on prend pour de vraies expériences; ce jeûne est souvent suggéré par les Entités vitales parce qu'il met la conscience dans un état de déséquilibre qui favorise leurs desseins. Il est par conséquent déconseillé ici. La règle à suivre est celle qui est indiquée par la Guîtâ: "le yoga n'est pas pour celui qui mange trop, ni pour celui qui ne mange pas" — un usage modéré de la nourriture, suffisant pour entretenir la santé et la force du corps.

Il n'y a pas en Inde de fraternités du genre de celle que vous décrivez. Il y a des yogi qui cherchent à acquérir et à pratiquer des pouvoirs occultes, mais individuellement, en apprenant d'un Maître individuel. Les associations occultes, les loges, les fraternités se groupant dans ce but, telles qu'elles sont décrites par les occultistes européens, sont inconnues en Asie.

En ce qui concerne le secret, une certaine discrétion, un certain silence sur les instructions du gourou et ses propres expériences est toujours recommandable, mais un secret absolu ou un mystère de ces choses ne l'est pas. Une fois le gourou choisi, rien ne doit lui être dissimulé. La suggestion de secret absolu est souvent une astuce des pouvoirs astraux pour empêcher la recherche de la lumière et du secours.

 

 

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Toutes vos, "expériences" se fondent sur la nature vitale et le mental quii y est relié; travailler sur cette base n'apporte aucune sécurité contre le mensonge et l'erreur fondamentale. Aucune accumulation de pouvoirs (petits ou grands) ne peut être une stécurité contre les divagations qui éloignent de la Vérité; et si vous permettez à l'orgueil, à l'arrogance et à l'ostentation du pouvoir de se glisser en vous et de vous tenir, vous tomberez sûrement dans l'erreur et au pouvoir de la Maya et de l'avidyâ radjasique. Notre objectif n'est pas d'obtenir dies pouvoirs, mais de monter vers la Conscience-deVérité divine et de faire descendre cette Vérité dans les parties inftérieures. Avec la Vérité tous les pouvoirs nécessaires vierndront, non comme appartenant en propre à soi, mais comme appartenant au Divin. Le contact avec la Vérité croît non ai travers le mental radjasique et l'affirmation de soi du vital, miais à travers la pureté psychique et la consécration.

 

 

Les ashtasiddhi tels qu'elles sont obtenues dans le yoga ordinaire sont des pouvoirs vitaux ou, comme dans le Râdja-yoga, des siddhi mentales. Habituellement elles sont incertaines dans leur application et précaires, selon que sont maintenues ou non les conditions grâce auxquelles elles ont été obtenuies.

 

 

L'expressiion "Nature physique" ne signifie pas le corps seul, mais induit la transformation de toute la nature physicomentale, 'vitale et matérielle — non en leur imposant des siddhi, maits en créant une nouvelle nature physique qui sera la demeune de l'être supramental dans la nouvelle évolution. À ma comnaissance, cela n'a jamais été obtenu par aucun procédé hatha-yoguique ou autre. Le pouvoir occulte mental ou vital peut seulement apporter des siddhi du plan supérieur dans la viie individuelle — comme le sannyâsin qui pouvait

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absorber sans dommage n'importe quel poison jusqu'au jour où il oublia d'observer les conditions de la siddhi. Le pouvoir supramental que j'envisage n'opérera pas par une influence sur le physique en lui donnant des facultés anormales, mais le pénétrera et s'y infusera en le changeant tout entier en un physique supramental. Je n'ai pas appris cette idée dans les Véda ou les Oupanishad, et je ne sais pas s'ils contiennent quelque chose de ce genre. La connaissance que j'ai reçue au sujet du supramental était directe, elle ne m'a pas été donnée indirectement; ce n'est qu'ensuite que j'ai trouvé certaines confirmations dans les révélations des Oupanishad et des Véda.

 

Beaucoup de yogi de l'école védântique suivent à la fois la voie des siddhi et celle de l'émancipation finale — ils diraient, je suppose, qu'ils prennent les siddhi sur le chemin du Nirvana. L'harmonisation est dans le supramental — la Vérité divine est à la fois statique et dynamique, retrait et extinction de l'Ignorance, ré-création dans la Connaissance divine.

 

Je n'ai pas lu le Yoga-Vâshishtha, mais d'après ce que j'en ai lu, ce livre a dû être écrit par quelqu'un qui possédait une remarquable connaiance occulte.  

V

 

Il me semble que ces differences d'appréciation viennent du mental qui met l'accent sur un côté ou un autre de l'approche du Divin ou exalte un aspect de la réalisation plutôt qu'un autre. Quand l'approche se fait par le cœur, par l'Amour et la bhakti, le plus haut sommet est dans un Ânanda transcendant, une Felicite ou une Beatitude ineffable d'union avec le

 

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Divin par l'Amour. L'école de Chaïtanya insistait particulièrement ou même uniquement sur ce chemin et en faisait la réalité totale de la conscience de Krishna. Mais l'Ânanda transcendant est là, à l'origine et à la fin de toute existence, et cette voie n'est pas et ne peut pas être la seule qui y mène. On peut y parvenir par la conscience de Vasoudéva, qui est une approche plus vaste et plus mentalisée — comme dans la méthode de la Guîtâ où la connaissance, les œuvres, la bhakti sont centrées sur Krishna, l'Un, le Suprême, le Tout, et parviennent par la conscience cosmique à la transcendance lumineuse. Il y a aussi la voie décrite par la Taïttirîya Oupanishad, l'évangile de Béatitude du Védânta. Ce sont certainement des méthodes plus larges, car elles soulèvent l'existence entière dans toutes ses parties et toutes ses manières d'être vers le Divin. Si elles sont moins intenses au départ, d'un mouvement plus vaste et plus lent, il n'y a aucune raison de supposer qu'elles sont moins intenses sur leurs sommets d'arrivée. Toutes arrivent à la même transcendance, soit dans un large mouvement récoltant tout ce qui est spirituel en nous pour l'y porter en une vaste sublimation, soit dans la seule ascension intense d'une partie, une seule exaltation laissant tout le reste de côté. Mais qui dira laquelle est la plus profonde? L'amour concentré a une profondeur qui lui est propre et ne peut être mesurée; la sagesse concentrée a une profondeur plus vaste, mais on ne peut pas dire qu'elle soit plus profonde.

Les valeurs cosmiques ne sont que des reflets de la vérité de la Transcendance dans une vérité moindre d'expérience temporelle qui est séparative et voit diversement mille aspects de l'Un. Quand on s'élève par le mental ou une partie quelconque de l'être manifesté, n'importe lequel de ces aspects, ou plusieurs d'entre eux, peuvent de plus en plus se sublimer et tendre vers une intensité transcendantale suprême, et quel que soit l'aspect dont la conscience mentale spiritualisée a ainsi l'expérience, elle déclare que c'est la chose suprême. Mais quand on va au-delà du mental, tout tend non seulement à se sublimer mais à se fondre jusqu'à ce que les

 

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aspects séparés retrouvent leur unité originelle, indivisible dans l'absolu du tout fait un. Le mental peut concevoir et avoir l'expérience de l'existence sans la conscience de l'Ânanda, et l'expression suprême de cela est l'inconscience attribuée à la Matière. Il peut aussi concevoir l'Ananda ou l'Amour comme un principe séparé; il sent même la conscience et l'existence se perdre dans une transe ou une pâmoison d'Amour ou d'Ânanda. De même la personne limitée se perd dans la Personne inimitable, l'amant dans l'Aimé suprême, ou encore le personnel dans l'Impersonnel — l'amant se sent immergé, se perd dans la réalité transcendante de l'Amour et de l'Ananda. Le personnel et l'impersonnel sont eux-mêmes posés en principe et expérimentés par le mental comme des réalités séparées, et l'une ou l'autre est déclarée et vue comme suprême, si bien que le personnel peut avoir laya dans l'Impersonnel ou, au contraire, l'impersonnel disparaît dans la réalité absolue de la Personne suprême et divine — l'impersonnel, de ce point de vue, n'est qu'un attribut ou un pouvoir du Divin personnel. Mais au sommet de l'expérience spirituelle passant au-delà du mental, on commence à sentir la fusion de toutes ces choses en une. Conscience, Existence, Ânanda retournent à leur indivisible unité, Satchidânanda. Le personnel et l'impersonnel deviennent irrévocablement un, si bien que poser l'un en principe contre l'autre apparaît comme un acte d'ignorance. Cette tendance à l'unification est la base de la conscience et de l'expérience supramentales; à des fins cosmiques ou créatrices le supramental peut mettre en avant un aspect de façon plus marquée quand cela est nécessaire, mais il perçoit tout le reste qui est derrière ou y est contenu, et n'admet dans sa vision aucune séparation ou opposition nulle part. Pour cette raison une création supramentale serait une harmonie multiple, non un processus séparatif fragmentant ou analysant l'Un en parties et juxtaposant de nouveau ces parties, ou les plaçant en contradiction les unes avec les autres pour arriver à une harmonie, ou encore excluant l'une d'elles ou toutes pour réaliser l'Un indivisible.

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Vous parlez de l'école vishnouïte qui met en relief les félicités personnelles, comme dans la classification des bhâva, et vous dites que ce sont des sentiments brefs et rapides qui manquent d'immensité ou d'ampleur. Sans aucun doute, quand la conscience limitée les ressent tout d'abord et tels qu'elle les ressent dans son fonctionnement et son mouvement ordinaires; mais s'il en est ainsi, ce n'est que parce que l'émotionnel dans l'homme, avec cet instrument corporel imparfait, agit surtout par pulsions d'intensité quand il veut sublimer ces sentiments et ne peut en maintenir ni la continuité, ni l'extension, ni le paroxysme sublimé. Mais à mesure que l'individu devient cosmique (l'universalisation de l'individu, sans qu'il perde son individualité supérieure en tant que centre divin, est un des processus qui mènent vers la Vérité supramentale), cette incapacité commence à disparaître. La vérité derrière le dâsya ou madhoura ou tout autre bhâva ou fusion de bhâva devient un état continu vaste et ample — si, par hasard, ils perdent quelque chose de leurs intensités les plus brèves par cette extension, ils la retrouvent au centuple dans le mouvement de l'individu universalisé vers la Transcendance. Il y a une expérience d'élargissement permanent qui prend tous les éléments de la réalisation spirituelle, et dans ce processus d'ascension et de transformation ils deviennent quelque chose de différent et de plus grand que ce qu'ils étaient, et de plus en plus, par la sublimation, ils prennent leur place dans le cosmique spirituel, puis dans la totalité de la transcendance qui embrasse tout.

La divergence de vues entre Shankara et Râmânoudja d'une part, et de l'autre Chaïtanya, au sujet de Krishna, naît de la tournure prise par leurs expériences. Krishna n'était qu'un aspect de Vishnou pour les premiers parce que cette forme extatique d'amour et de bhakti qui s'était associée à Krishna n'était pas pour eux le tout. La Guîtâ, comme Chaïtanya, mais d'un point de vue différent, regardait Krishna comme le Divin même. Pour Chaïtanya il était l'Amour et l'Ananda, et comme l'Amour et l'Ananda étaient pour lui l'expérience

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transcendante la plus haute, Krishna aussi devait être le Suprême. Pour l'auteur de la Guîtâ, Krishna était la source de la Connaissance et du Pouvoir aussi bien que de l'Amour, le Destructeur, le Protecteur, le Créateur en un, donc Vishnou n'était nécessairement qu'un aspect de ce Divin universel. Dans le Mahâbhârata, Krishna se présente en effet comme une incarnation de Vishnou, mais pour interpréter cela on peut admettre que c'est à travers l'apparence extérieure de son aspect Vishnou qu'il s'est manifesté; car il est logique que la Divinité plus grande puisse se manifester plus tard que les autres, si nous considérons que la manifestation est progressive — tout comme Vishnou est dans le Véda un Indra plus jeune, Oupendra, mais rattrape son aîné et par la suite prend place au-dessus de lui dans la Trimoûrti.

Je n'ai pas grand-chose à dire sur la conception vishnouïte de la forme de Krishna. La forme est le moyen fondamental de la manifestation et sans elle on peut dire que la manifestation, quelle qu'elle soit, n'est pas complète. Même si le Sans-Forme précède logiquement la Forme, il n'est cependant pas illogique de présumer que dans le Sans-Forme, la Forme est inhérente et existe déjà dans un état mystique latent, autrement comment pourrait-elle se manifester? Car n'importe quel autre procédé consisterait en une création du non-existant, non en une manifestation. S'il en est ainsi, il serait également logique de présumer qu'il y a une forme étemelle de Krishna, un corps spirituel. Pour la plus haute Réalité, c'est sans aucun doute l'Existence Absolue, mais n'est-ce que cela? L'Existence Absolue, en tant qu'abstraction, peut tout exclure d'elle-même et se résoudre en une sorte de zéro très positif; mais l'Existence Absolue en tant que Réalité, qui définira et dira ce qu'elle est ou ce qu'elle n'est pas dans ses profondeurs inconcevables, son Mystère sans limites? Le Mental ne peut ordinairement concevoir l'Existence absolue que comme une négation de ses propres concepts spatiaux, temporels ou autres. Mais il ne peut pas dire ce qui est à la base de la manifestation ou ce qu'est la manifestation ou pourquoi une quelconque manifestation  

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sort de ce zéro positif et les vishnouïtes, nous devons nous en souvenir, n'admettent pas cette conception comme la vérité absolue et originelle du Divin. Il n'est donc pas strictement impossible que ce que nous concevons et percevons comme une forme spatiale puisse correspondre à quelque pouvoir de l'Absolu sans espace. Tout ce que je dis là n'est pas un exposé définitif de la Vérité, je remarque seulement que la position du vishnouïte, sur son propre terrain, est loin d'être logiquement ou métaphysiquement insoutenable.

 

Les vishnouïtes acceptent le monde comme une lîlâ, mais la vraie lîlâ est ailleurs dans l'étemel Brindâvan. Toutes les religions qui croient en une Divinité personnelle acceptent l'univers comme une réalité, une lîlâ ou une création faite par la Volonté de Dieu mais temporaire et non éternelle. Le but est l'état étemel au-dessus.

 

 

L'idée d'un royaume des cieux temporaire sur terre est contenue dans les Pourâna et conçue par certains saints ou poètes vishnouïtes; mais c'est une idée dévotionnelle, aucune base philosophique n'est donnée à cette espérance. Je pense que chez les tantriques le fait de surmonter les imperfections est un accomplissement individuel et non collectif.

 

Vous décrivez la vie humaine riche et égoïste que vous auriez pu mener et vous dites: "Ce n'était pas une vie tout à fait pitoyable, vous l'admettrez." Sur le papier elle paraît même très brillante et satisfaisante, telle que vous la décrivez. Mais elle ne contient pas de satisfaction réelle ou définitive, sauf pour ceux qui sont trop vulgaires ou superficiels pour chercher autre chose, et même eux ne sont pas réellement satisfaits ou heureux — et à la fin, cela devient fatigant et

 

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insipide. Le chagrin et la maladie, le conflit et la lutte, les déceptions, les désillusions et toutes sortes de souffrances humaines viennent et font voler en éclats son brillant — et ensuite, c'est la décrépitude et la mort. C'est la vie vitale égoïste telle que l'homme l'a rencontrée à travers les âges, et pourtant c'est ce que regrette cette partie de votre vital. Comment ne voyez-vous pas, quand vous insistez tant sur les avantages d'une conscience purement humaine, que son signe distinctif est la souffrance? Quand le vital résiste au changement de la conscience humaine en conscience divine, ce qu'il défend est son droit au chagrin, à la souffrance et à tout le reste, agrémenté et soulagé sans aucun doute par quelques plaisirs et satisfactions du vital ou du mental, mais très partiellement soulagé par eux et seulement pour un temps. Dans votre cas, vous commenciez réellement à être blasé et c'est pourquoi vous vous en êtes détourné. Il y avait certainement les joies de l'intellect et de la création artistique, mais un homme ne peut pas n'être qu'un artiste; c'est la partie vitale inférieure, extérieure, très humaine, dans presque tous, qui est la plus revendicatrice et la plus insistante. Mais qu'est-ce qui était insatisfait en vous? C'était l'âme à l'intérieur, tout d'abord, et à travers elle le mental supérieur et le vital supérieur. Pourquoi donc reprocher au Divin de vous avoir fourvoyé quand elle vous a tourné vers le yoga et vous a amené ici? Elle ne faisait que répondre à l'exigence de votre propre être intérieur et des parties supérieures de votre nature. Si vous avez tant de difficultés et que vous devenez agité, c'est parce que vous êtes encore divisé et que quelque chose dans votre vital inférieur regrette encore ce qu'il a perdu, ou demande comme prix de son adhésion ou comme compensation — prix qui doit lui être payé immédiatement — quelque chose de similaire et d'équivalent dans la vie spirituelle. Il refuse de croire qu'il y a une compensation plus grande, une vie vitale plus large qui l'attend, quelque chose de positif où il n'y aura pas l'ancienne inadaptation, l'ancienne agitation et l'insatisfaction finale. La sottise n'est pas dans la direction divine, mais dans la résistance irrationnelle et obsti

 

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née de cette partie confuse et obscure de vous-même à ce qu'exige non seulement ce yoga-ci mais tout yoga — comme conditions nécessaires à la satisfaction de l'aspiration de votre propre âme et de votre nature supérieure.

La conscience vitale "humaine" s'est toujours déplacée entre ces deux pôles, la vie vitale ordinaire qui ne peut satisfaire et le retrait de cette vie dans la solution ascétique. L'Inde s'est donnée pleinement à ce mouvement de bascule, l'Europe commence une fois de plus, après un essai complet, à sentir l'échec de la vie vitale purement égoïste. Les yoga traditionnels —  auxquels vous faites appel — se fondent sur le mouvement entre ces deux pôles. D'un côté se tiennent Shankara et Bouddha, et la plupart vont, sinon par la même voie, du moins dans la même direction; de l'autre on trouve les voies vishnouïtes ou tantriques qui essaient de combiner l'ascétisme avec quelque sublimation de l'impulsion vitale. Et où finissent ces voies? Elles retombent à l'autre pôle, à l'invasion vitale et même à la corruption et à la perte de leur esprit. A l'heure actuelle le mouvement général tend vers un essai de réconciliation, et vous avez quelquefois fait allusion à certains des protagonistes de cette tentative et demandé mon opinion sur eux, la vôtre étant défavorable. Mais ces hommes ne sont pas de simples charlatans, et s'il y a quelque chose de mauvais en eux (ce sur quoi je ne me prononce pas), ce ne peut être que parce qu'ils sont incapables de résister à l'attirance magnétique de ce pôle inférieur de la nature de désir vitale et égoïste. Et s'ils sont incapables de résister, c'est parce qu'ils n'ont pas encore trouvé la vraie force qui non seulement neutralisera cette attirance et empêchera la détérioration et la chute, mais transformera, utilisera, satisfera leur propre vérité plus profonde, au lieu de détruire ou de jeter au loin la force de vie et l'incarnation dans la Matière ; car cela ne peut être fait que par le pouvoir supramental et nul autre.

Vous invoquez les traditions tantriques-vishnouïtes: Chaïtanya, Râmprasâd, Râmakrishna. Je les connais un peu et si je n'ai pas essayé de les répéter, c'est parce que je n'y trouve

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pas la solution, la réconciliation que je cherche. Votre citation de Râmprasâd ne m'aide pas le moins du monde — et elle n'appuie pas non plus votre thèse. Râmprasâd ne parle pas d'un Divin incarné, mais d'un Divin sans corps et invisible — sauf pour l'expérience intérieure en une forme subtile. Quand il parle de maintenir sa plainte ou son procès contre la Mère jusqu'à ce qu'elle le hisse sur ses genoux, il ne parle d'aucun contact vital ou physique, mais d'une expérience psychique intérieure; précisément il proteste contre le fait qu'elle le laisse dans la nature vitale et physique extérieure et insiste pour qu'elle l'amène jusqu'au plan psycho-spirituel en union spirituelle avec Elle.

Tout cela est très bien et très beau, mais ce n'est pas suffisant; l'union doit en effet être réalisée d'abord dans l'expérience psycho-spirituelle intérieure, parce que sans cela rien de solide ni de durable ne peut être fait; mais il doit y avoir aussi une réalisation du Divin dans la conscience extérieure et la vie, dans le plan vital et dans le plan physique selon leurs propres modes essentiels. C'est ce que vous demandez, sans que votre mental le comprenne ou comprenne comment cela doit être fait, et c'est ce que je demande aussi; seulement je vois la nécessité d'une transformation vitale, tandis que vous semblez penser et exiger que ce soit fait sans aucune transformation radicale, en laissant le vital tel qu'il est. Au début, avant de découvrir le secret du supramental, j'ai essayé moi-même de chercher la réconciliation à travers une association de la conscience spirituelle avec le vital, mais mon expérience et toutes les expériences montrent que cela ne mène à rien de définitif et de final — cela finit comme cela avait commencé, à mi-chemin entre les deux pôles de la nature humaine. Une association n'est pas suffisante, une transformation est indispensable.

La tradition de la bhakti vishnouïte tardive est une tentative de sublimer les impulsions vitales par l'amour en tournant l'amour humain vers le Divin. Ce fut un effort puisssant et intense qui a amené bien des expériences riches et belles; mais sa faiblesse résidait précisément dans le fait

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qu'elle ne restait valable que comme expérience intérieure tournée vers le Divin intérieur, et s'arrêtait à ce point. Le préma de Chaïtanya n'était qu'un amour divin psychique accompagné d'une forte manifestation vitale sublimée. Mais dès l'instant où le vishnouïsme, avant ou après lui, tenta une plus grande extériorisation, nous savons ce qui est arrivé — une détérioration vitale, beaucoup de corruption et le déclin. Vous ne pouvez pas invoquer l'exemple de Chaïtanya par opposition à l'amour psychique ou divin; son amour n'était pas seulement humain et vital; dans son essence, sinon dans sa forme, c'était bien le premier pas de la transformation que nous demandons aux sâdhak: rendre leur amour psychique et utiliser le vital non pour lui-même, mais comme une expression de la réalisation de l'âme. C'est le premier pas, et peutêtre pour certains est-il suffisant, car nous ne demandons pas à tout le monde de devenir supramental; mais pour toute manifestation complète sur le plan physique le supramental est indispensable.

Dans la tradition vishnouïte tardive, la sâdhanâ prend la forme d'une application au Divin de l'amour vital humain, dans toutes ses tendances principales; viraha, abhimâna, même la séparation complète (comme le départ de Krishna à Mathourâ) deviennent des éléments essentiels de ce yoga. Mais tout cela n'était compris — dans la sâdhanâ elle-même, non dans les poèmes vishnouïtes — que comme un passage dont l'issue est milana ou union complète; mais l'accent mis par certains sur les éléments indisciplinés paraîtrait presque faire de la lutte, de la séparation, de Vabhimâna, le procédé tout entier, sinon le but même de ce genre de préma-yoga. Ici encore cette méthode n'était appliquée qu'au Divin intérieur, non à un Divin incarné physiquement, et se référait à certains états, à certaines réactions de la conscience intérieure dans sa recherche du Divin. Dans les relations avec la Manifestation divine incarnée, ou, puis-je ajouter, dans les relations du disciple avec le gourou, des choses de ce genre peuvent se produire comme un résultat de l'imperfection humaine, mais elles ne font pas partie de la théorie de ces relations. Je ne

 

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pense pas qu'elles formaient une partie normale et autorisée des relations entre le bhakta et le gourou. Au contraire, la relation du disciple envers le gourou dans le gourouvâda est toujours censée être faite d'adoration, de respect, d'une confiance complète et heureuse, d'une acceptation inconditionnelle de la direction. L'application de relations vitales inchangées envers le Divin incamé peut conduire et a conduit à des mouvements qui n'induisent pas au progrès dans le yoga.

Le yoga de Râmakrishna n'était de même tourné que vers une réalisation intérieure du Divin intérieur — rien de moins; mais aussi rien de plus. Je crois que la phrase de Râmakrishna sur la revendication du sâdhak à l'égard du Divin pour qui il a tout sacrifié était l'affirmation d'une revendication intérieure et non extérieure, sur le Divin intérieur plutôt que sur un Divin incamé physiquement; c'était l'exigence d'une union spirituelle complète, l'amant de Dieu cherchant le Divin, mais le Divin se donnant aussi lui-même et venant à la rencontre de l'amant de Dieu. Il ne peut y avoir aucune objection à cela; tous les chercheurs du Divin ont cette exigence; mais quant aux modalités de la rencontre divine, cela ne nous mène pas beaucoup plus loin. En tout cas mon objectif est une réalisation sur le plan physique et je ne puis me contenter de répéter Râmakrishna. Je crois aussi me souvenir qu'il s'est longtemps retiré en lui-même, il n'a pas passé toute sa vie avec ses disciples. Il a eu d'abord sa siddhi alors qu'il était retiré, et quand il est sorti et a reçu des gens, eh bien, en quelques années son corps en a été usé. À cela, je suppose qu'il n'avait aucune objection; car il a même énoncé une théorie, alors que Krishna Chandra était mourant, selon laquelle l'expérience spirituelle doit user le corps. Mais en même temps, quand on lui demandait pourquoi il avait une maladie de la gorge, il répondait que c'étaient les péchés que ses disciples jetaient sur lui et qu'il était obligé d'avaler. Ne me satisfaisant pas, comme lui, d'une libération seulement intérieure, je ne puis accepter ces idées ou ces résultats, car cela ne me paraît pas être une rencontre réussie avec le Divin et les sâdhak sur le plan physique, quel qu'en soit le succès pour la vie intérieure.

 

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Krishna a fait de grandes choses et était très clairement une manifestation du Divin. Mais je me rappelle un passage du Mahâbhârata dans lequel il se plaint de la vie agitée que ses disciples et ses adorateurs lui font mener, de leurs exigences constantes, de leurs reproches, de ce qu'ils jettent sur lui leur nature vitale non régénérée. Et dans la Guîtâ il parle de ce monde humain comme d'une affaire transitoire et douloureuse et, en dépit de son évangile d'action divine, semble presque admettre que le quitter est après tout la meilleure solution. Les traditions du passé sont très grandes à leur place, dans le passé, mais je ne vois pas pourquoi nous devrions nous contenter de les répéter sans aller plus loin. Dans le développement spirituel de la conscience sur la terre, le grand passé doit être suivi d'un plus grand avenir.

Il y a un écueil que vous semblez tous ignorer complètement — les difficultés de l'incarnation physique et de la réalisation divine sur le plan physique. Pour la plupart il semble n'y avoir qu'une simple alternative: ou le Divin descend avec son plein pouvoir et la chose est faite, pas de difficultés, pas de conditions nécessaires, pas de loi ni de procédé, rien que le miracle et la magie; ou alors, eh bien, cela ne peut pas être le Divin. De nouveau vous insistez tous (ou presque tous) pour que le Divin devienne humain, reste dans la conscience humaine, et vous protestez contre toute tentative de rendre l'humain divin. D'autre part il s'élève une clameur de déception, d'étonnement, de défiance, peut-être d'indignation s'il y a des difficultés humaines — s'il y a une tension dans le corps, une lutte incertaine contre les forces adverses, des obstacles, des retards, des maladies, et quelqueuns commencent à dire: "Oh, il n'y a rien de divin là-dedans!" comme si l'on pouvait rester vitalement et physiquement dans la conscience humaine individuelle non transformée, en contact inchangé avec elle, satisfaire ses exigences, et pourtant être à l'abri, en toutes circonstances et en toutes conditions, de la tension, de la lutte et de la maladie. Si je veux diviniser la conscience humaine, faire descendre le supramental, la Conscience-de-Vérité, la Lumière, la Force  

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dans le physique pour le transformer, y créer une plus grande plénitude de Vérité, de Lumière, de Pouvoir, de Béatitude et d'Amour, la réponse est répulsion, peur ou mauvaise volonté — ou bien on doute que ce soit possible. D'un côté on exige que la maladie et le reste soient impossibles, de l'autre on rejette violemment la seule condition par laquelle ils pourraient devenir impossibles. Je sais que c'est là l'incohérence naturelle du mental vital humain qui veut à la fois deux choses incohérentes et incompatibles; c'est bien la raison pour laquelle il est nécessaire de transformer l'humain et de mettre à la place quelque chose d'un peu plus lumineux.

Mais le Divin est-il donc quelque chose de si terrible, de si horrible et de si repoussant que l'idée de son entrée dans le physique, de sa divinisation de l'humain crée ce recul, ce refus, cette révolte ou cette peur? Je puis comprendre que le vital non régénéré attaché à ses propres souffrances mesquines et plaisirs mesquins, au drame bref et ignorant de la vie, recule devant ce qui va le changer. Mais pourquoi un amant de Dieu, un chercheur de Dieu, un sâdhak craindrait-il la divinisation de la conscience? Pourquoi refuserait-il de devenir un en nature avec ce qu'il cherche, pourquoi reculerait-il devant sâdrishya-mouktïï Derrière cette peur, il y a habituellement deux causes: d'abord, le vital sent qu'il devra cesser d'être obscur, grossier, bourbeux, égoïste, non raffiné (spirituellement), plein de désirs stimulants, de petits plaisirs, de souffrances intéressantes (car il recule même devant l'Ânanda qui remplacera cela); ensuite le mental a une idée vague et ignorante, due, je suppose, à la tradition ascétique, que la nature divine est quelque chose de froid, de nu, de vide, d'austère, de lointain, sans les glorieuses richesses de la vie humaine vitale égoïste. Comme s'il n'y avait pas un vital divin, et comme si ce vital divin n'était pas lui-même d'une plénitude infinie — et comme si, quand il aura le moyen de se manifester, il ne devait pas rendre la vie infiniment plus pleine de beauté, d'amour, de rayonnement, de chaleur, d'intensité et de passion divine, et de capacité de béatitude, que l'actuelle vitalité impotente, souffrante, petitement et temporairement

 

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excitée et vite fatiguée de la création humaine encore si imparfaite.

Mais vous direz que ce n'est pas devant le Divin que vous reculez, vous l'acceptez plutôt et vous le demandez (pourvu qu'il ne soit pas trop divin) mais vous vous élevez contre le supramental — grandiose, lointain, incompréhensible, inaccessible, une sorte d'austère Nirâkâr Brahman. Le supramental ainsi décrit est un épouvantail créé par cette partie de votre mental vital pour se faire peur à lui-même et justifier son attitude. Derrière cette description étrange il semble y avoir l'idée que le supramental est une nouvelle version du Parabrahman védântique, sans traits et incommunicable, vaste, grandiose, froid, vide, lointain, dévastateur, écrasant; ce n'est pas exactement cela, évidemment, puisqu'il peut descendre, mais dans la pratique, c'est aussi mauvais! Il est curieux que vous admettiez votre ignorance de ce que le supramental peut être, et que cependant, quand vous êtes dans cette humeur, non seulement vous vous prononciez catégoriquement sur ce qu'il est, mais rejetiez passionnément mon expérience comme si elle n'avait aucune valeur pratique, ou n'avait aucune valeur pour qui que ce soit sauf moi! Je n'ai pas insisté, je n'ai répondu qu'occasionnellement parce que je ne vous demande pas d'être dès maintenant non-humain et divin, moins encore d'être supramental, mais comme vous revenez toujours à ce point quand vous êtes en butte à ces attaques et que vous en faites le pivot ou du moins l'étai principal — de votre dépression, je suis obligé de répondre. Le supramental n'est pas grandiose, lointain, froid et austère; ce n'est pas quelque chose qui est opposé à une pleine manifestation vitale et physique, ou incompatible avec elle; au contraire, il porte en lui la seule possibilité de plénitude totale de la force vitale et de la vie physique sur terre. C'est parce qu'il est ainsi, parce qu'il m'a été ainsi révélé, et pour aucune autre raison, que je l'ai poursuivi et que j'ai persévéré jusqu'à ce que je vienne en contact avec lui et que je sois capable de faire descendre quelque chose de son pouvoir et de son influence. Je me soucie de la terre, non des mondes au-delà pour ce

 

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qu'ils sont; c'est une réalisation terrestre que je cherche et non une fuite sur de lointains sommets. Tous les autres yoga considèrent cette vie comme une illusion ou une phase transitoire; seul le yoga supramental la considère comme une chose créée par le Divin pour une manifestation progressive et s'assigne pour but la plénitude de la vie et du corps. Le supramental est simplement la Conscience-de-Vérité et ce qu'il apporte dans sa descente est la pleine vérité de la vie, la pleine vérité de la conscience dans la matière. Il faut véritablement s'élever à de hauts sommets pour l'atteindre, mais plus on s'élève, plus bas on peut le faire descendre. Sans aucun doute, la vie et le corps ne sont pas voués à demeurer ignorants, imparfaits, impuissants tels qu'ils sont maintenant; mais pourquoi un changement vers un pouvoir de vie, un pouvoir corporel plus complet, serait-il considéré comme quelque chose de lointain, de froid et d'indésirable? L'Ânanda suprême dont le corps et la vie sont maintenant capables est une brève excitation du mental vital, des nerfs ou des cellules qui est limitée, imparfaite et passe rapidement; avec le changement supramental toutes les cellules, les nerfs, les forces vitales, les forces mentales incamées peuvent se remplir d'un Ânanda centuplé, capable d'une intensité de béatitude indescriptible et qui ne disparaît pas nécessairement. Comme c'est lointain, repoussant et indésirable! L'amour supramental entraîne une unité intense d'âme à âme, de mental à mental, de vie à vie, et une submersion entière de la conscience du corps par l'expérience physique de l'unité, la présence de l'Aimé dans toutes les parties, toutes les cellules du corps. Est-ce lointain et grandiose, mais indésirable? Avec le changement supramental, la chose même sur laquelle vous insistez, l'éventualité d'une libre rencontre physique du Divin incarné avec le sâdhak sans conflit de forces et sans réactions indésirables devient possible, sûre et libre. Cela est aussi, je suppose, lointain et indésirable? Je pourrais continuer — sur des pages et des pages, mais c'est assez pour le moment.

  

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La base du supramental est un calme absolu et quelle que soit l'intensité de l'Amour divin qu'il contient, elle ne trouble pas le calme mais l'approfondit. Chaïtanya n'a pas eu l'expérience du supramental, mais celle de l'Amour et de l'Ânanda apportés d'en haut dans le vital — le vital répond par une passion et une exultation extrêmes d'amour pour Dieu et d'Ânanda qui ont pour résultat ces vikâra. Chaïtanya proclamait cette suprématie de l'expérience de Râdhâ parce que l'Ânanda est plus élevé que les expériences du mental spirituel, l'Ânanda étant, selon les Oupanishad, le plan suprême d'expérience. Mais c'est une conclusion logique qui ne peut être acceptée entièrement — il faut traverser le supramental pour atteindre l'Ânanda le plus élevé, et dans le supramental il y a une unification et une harmonisation de tous les Pouvoirs divins (Connaissance, etc., autant qu'Amour et Ânanda). Divers sâdhak proclament qu'un aspect ou l'autre est le plus élevé, mais c'est cette union de tous les aspects qui doit être la véritable base de la plus haute réalisation et de la plus haute expérience.

 

 

Il n'est pas nécessaire de répéter les formes passées (du Bhakti-yoga). Faire sortir la bhakti de l'être psychique et lui donner les formes, quelles qu'elles soient, qui viennent naturellement est la manière juste pour notre sâdhanâ.

 

 

Je ne suis pas le seul à avoir fait ce que les rishi védiques n'ont pas fait. Chaïtanya et d'autres ont élaboré une intensité de bhakti qui est absente des Véda et on pourrait donner bien d'autres exemples. Pourquoi le passé serait-il la limite de l'expérience spirituelle?

 

 

Ma foi, je ne crois pas que l'espèce nouvelle puisse être créée

 

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par la logique ni conformément à la logique, ni qu'aucune espèce l'ait jamais été. Mais pourquoi l'idée de la création d'une espèce nouvelle serait-elle illogique?... Quant aux prophètes du passé, ils ne me dérangent pas. S'il est troublant de dépasser les expériences des prophètes et des sages d'autrefois, chaque nouveau prophète ou nouveau sage à son tour a fait cette chose troublante — Bouddha, Shankara, Chaïtanya, etc. — tous ont commis cette mauvaise action. Autrement, à quoi servirait-il qu'ils lancent de nouvelles philosophies, de nouvelles religions, de nouvelles écoles de yoga? Si simplement ils vérifiaient et répétaient benoîtement la vie et les expériences des prophètes et des sages passés sans apporter au monde quelque nouveauté, pourquoi tout ce remue-ménage et cette agitation? Bien sûr, direz-vous, ils expliquaient simplement la vieille vérité mais de la manière juste — mais cela voudrait dire que personne avant eux ne l'avait bien expliquée ni comprise, ce qui est encore "donner un démenti, etc." Ou peut-être direz-vous encore que tous les nouveaux sages (qui n'étaient pas, de leur temps, parmi les bien-aimés de X)... comme Shankara, Râmânoudja, Mâdhava, répétaient simplement chacun la même sainte histoire que tous les prophètes et sages d'autrefois avaient répétée avant eux avec une même infatigable monotonie. Bien, bien! mais alors pourquoi la répéter de telle façon que chacun "donne un démenti" aux autres? Vraiment, cette absolue vénération du passé est merveilleuse et terrible! Après tout, le Divin est infini et le déroulement de la Vérité est peut-être aussi un processus infini, ou du moins, s'il n'en est pas tout à fait ainsi, il doit laisser quelque place aux découvertes nouvelles, aux formules nouvelles, peut-être même aux réalisations nouvelles; ce n'est pas exactement comme une coquille de noix dont le contenu aurait été pilé et vidé une fois pour toutes par le premier prophète ou le premier sage, tandis que les autres doivent religieusement piler la même noix à perpétuité, chacun tremblant affreusement de donner un démenti aux prophètes et sages "passés".

 

 

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Le Seigneur Krishna n'a jamais entrepris aucune transformation physique, il ne faut donc s'attendre à rien de tel dans son cas.

Ni Bouddha, ni Shankara, ni Râmakrishna n'ont eu l'idée de transformer le corps. Leur but était la moukti spirituelle et rien d'autre. Krishna a enseigné à Ardjouna la libération dans les œuvres, mais il n'a jamais parlé d'aucune transformation physique.

Je ne sais pas si nous pouvons admettre cela (Youdhishthira entrant au royaume des cieux dans l'Himalaya avec son corps mortel) comme un fait historique. Swarga n'est pas quelque part dans les Himalayas, c'est un autre monde dans un autre plan de conscience et de substance. Quel que soit le sens de cette histoire, elle n'a par conséquent rien à voir avec la question de la transformation physique sur terre.

 

 

Râmakrishna lui-même n'a jamais pensé à la transformation et ne l'a jamais tentée. Tout ce qu'il voulait était la bhakti pour la Mère et avec cela il recevait toute la connaissance qu'elle lui donnait et faisait tout ce qu'elle lui faisait faire. Il fut intuitif et psychique dès le début et le devint seulement de plus en plus à mesure qu'il avançait. Il n'avait pas besoin de la transformation que nous cherchons; car bien qu'il ait parlé de l'homme divin (îshwarakôti) descendant les degrés autant qu'il les monte, il n'avait pas l'idée d'une conscience nouvelle, ni d'une espèce nouvelle, ni de la manifestation divine dans la nature de notre terre.

 

 

Ce qui est arrivé à Chaïtanya ou à Râmalingam, quelle que soit la transformation physique qu'ils aient accomplie, n'a pas de rapport avec le but de la supramentalisation du corps. Leur nouveau corps était soit non physique, soit physique subtil, et n'était pas adapté à la vie sur terre. Sinon ils n'auraient pas disparu. Le but de la supramentalisation est un corps apte à 

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incarner et à exprimer la conscience physique sur terre aussi longtemps que l'on reste dans la vie physique. C'est une étape dans l'évolution spirituelle sur terre, non une étape dans le passage vers un monde supraphysique. La supramentalisation est la partie la plus difficile du changement auquel est arrivé le yoga supramental, et tout dépend si un changement suffisant peut être accompli actuellement dans la conscience pour qu'une telle étape soit possible, mais la nature de l'étape est différente de celle qui est le but des autres yoga. Ces discussions n'ont donc pas beaucoup d'utilité — il faut d'abord supramentaliser suffisamment la conscience mentale, vitale et physique en général — ensuite on peut penser à la supramentalisation du corps. La transformation psychique et spirituelle doit venir d'abord, ensuite seulement il sera pratique ou utile de discuter de la supramentalisation de tout l'être jusqu'au corps.

 

 

Par réalisation divine il faut entendre la réalisation spirituelle — la réalisation du Moi, Bhagavân ou Brahman sur le plan spirituel-mental ou encore sur le plan surmental. C'est une chose (au moins la réalisation spirituelle mentale) que des milliers de gens ont accomplie. C'est donc évidemment plus facile à accomplir que le supramental. De plus, personne ne peut avoir la réalisation supramentale sans avoir eu la réalisation spirituelle...Il est vrai qu'aucune ne peut être acquise d'une manière efficace sans que tout l'être soit tourné dans sa direction — à moins qu'il y ait un enthousiasme réel et très sérieux et une réalité dynamique dans la sâdhanâ. Il est vrai que je veux le supramental, non pour moi-même, mais pour la terre et les âmes nées sur la terre, et certainement je ne puis en conséquence protester si quelqu'un veut le supramental. Mais il y a les conditions. Il doit vouloir d'abord la Volonté divine et la consécration de l'âme et la réalisation spirituelle (par les œuvres, la bhakti, la connaissance, la perfection de soi) sur le chemin...

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La sincérité centrale est la première chose, et elle doit être suffisante pour que l'aspiration soit entretenue — une sincérité totale est nécessaire pour que l'aspiration atteigne la plénitude...

Il y a différents états (avasthâ) de la Conscience divine. Il y a aussi différents états de transformation. Il y a d'abord la transformation psychique, dans laquelle tout est en contact avec le Divin à travers la conscience psychique individuelle. Ensuite il y a la transformation spirituelle dans laquelle tout est plongé dans le Divin dans la conscience cosmique. En troisième lieu, il y a la transformation supramentale dans laquelle tout devient supramentalisé dans la divine conscience gnostique. Ce n'est qu'avec cette dernière transformation que peut commencer la transformation complète du mental, de la vie et du corps — dans le sens que j'attache au mot "complète".

Vous vous trompez sur deux points. D'abord, l'effort qui tend à cet accomplissement n'est pas nouveau et certains yogi l'ont fait, je crois — mais pas comme je le veux. Ils l'ont fait comme une siddhi personnelle entretenue par la yogasiddhi — pas comme un dharma de la nature. Deuxièmement, la transformation supramentale n'est pas la même chose que la transformation mentale-spirituelle. C'est un changement de mental, de vie et de corps que ni le mental ni le spirituel surmental ne peuvent atteindre. Tous ceux que vous citez étaient spirituels, mais de différentes manières. Le mental de Krishna, par exemple, était surmentalisé, celui de Râmakrishna était intuitif, celui de Chaïtanya psychique-spirituel, celui du Bouddha était un mental supérieur illuminé. Pour B.G., je ne sais pas — il semble avoir été brillant mais plutôt chaotique. Tout cela est différent du supramental. Maintenant prenez le mental des Paramahamsa. On dit que leur vital se conduit soit comme un enfant (Râmakrishna) ou comme un fou, ou comme un démon ou comme quelque chose d'inerte (cf. Jadabharata). Bon, il n'y a rien de supramental dans tout cela.

On peut être un bon instrument du Divin dans n'importe

 

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quelle transformation. La question qui se pose est, un instrument pour quoi?

 

 

Le Paramahamsa est un degré particulier de réalisation, d'autres sont censés être inférieurs ou supérieurs. Je n'ai aucune objection à leur égard s'ils sont à leur place. Mais je dois vous rappeler que dans mon yoga tous les mouvements vitaux doivent venir sous l'influence du psychique et du calme, de la connaissance, de la paix spirituels. S'ils sont en conflit avec le psychique ou la maîtrise spirituelle, ils bouleversent l'équilibre et empêchent que se constitue la base de la transformation. Si le déséquilibre est bon dans d'autres sentiers, c'est l'affaire de ceux qui les suivent. Cela ne convient pas au mien.

 

 

À ma connaissance, à part quelques grands yogi, personne n'a vraiment changé sa nature extérieure. Dans tous les Ashram j'ai vu que les gens étaient comme les autres, à part une certaine maîtrise morale particulière à l'égard d'une certaine sorte d'action extérieure (nourriture, sexe, etc.), mais la nature générale était la nature humaine (comme dans l'histoire de Nârad et Janaka). C'est même une théorie des anciens yoga que le prârabdha karma et en conséquence, nécessairement, les éléments permanents du caractère extérieur ne changent pas — on obtient seulement la réalisation intérieure et on se sépare de lui, de sorte qu'il tombe à la mort comme un vêtement taché et laisse l'esprit libre d'entrer dans le Nirvana. Notre objectif est un changement spirituel, pas seulement une maîtrise éthique, mais ce changement ne peut venir que par un rejet spirituel intérieur d'abord, suivi d'une descente supramentale d'en haut.

 

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Je n'ai connaissance d'aucun rishi védique qui ait pris naissance à cette époque-ci. Selon les histoires pourâniques, il a dû y avoir beaucoup de rishi védiques qui étaient loin d'être jiténdriya jitakrôdha.¹ Mais il y a aussi beaucoup de yogi qui se contentent d'avoir l'expérience intérieure du Moi mais laissent se produire des mouvements de nature radjasique ou tamasique à la surface, soutenant que ces mouvements tomberont avec le corps.

 

 

Merveilleux! La réalisation du moi, qui inclut la libération de l'ego, la conscience de l'Un en tous, la transcendance établie et consommée hors de l'Ignorance universelle, la fixation de la conscience dans l'union avec le Suprême, l'Infini et Étemel, ne vaut pas la peine d'être accomplie ou recommandée à quiconque — ce n'est "pas un stade très difficile"!

Rien de nouveau! Pourquoi devrait-il y avoir quelque chose de nouveau? L'objet de la recherche spirituelle est de trouver ce qui est éternellement vrai, non ce qui est nouveau dans le Temps.

D'où avez-vous pris cette singulière attitude à l'égard des anciens yoga et des anciens yogi? La sagesse du Védânta et du Tantra est-elle une chose minime et sans importance? Les sâdhak de l'Ashram ont-ils donc atteint la réalisation du moi et sont-ils des Jîvanmoukta libérés, libres de l'ego et de l'ignorance? Sinon, pourquoi dites-vous alors "ce n'est pas une étape très difficile", "leur but n'est pas élevé", "est-ce un processus tellement long"?

J'ai dit que ce yoga était "nouveau" parce qu'il a pour but l'intégralité du Divin dans ce monde et pas seulement au-delà, et la réalisation supramentale. Mais comment cela justifie-t-il un mépris supérieur de la réalisation spirituelle qui est autant le but de notre yoga que de n'importe quel autre?

 

 

¹Jiténdriya jitakrôdha: qui a conquis les sens et la colère.  

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Dénigrer les anciens yoga comme une chose très facile, dénuée d'importance et de valeur, et dénigrer Bouddha, Yâjnavalkya et d'autres grandes figures spirituelles du passé, n'est-ce pas à première vue absurde?

 

Pourquoi Mère aurait-elle une aversion pour le yoga de la Connaissance? La réalisation du moi et de l'être cosmique (sans laquelle la réalisation du moi est incomplète) sont des étapes essentielles de notre yoga; c'est la fin des autres yoga, mais c'est, pour ainsi dire, le début du nôtre, c'est-à-dire le point où commencent les réalisations caractéristiques qui lui sont propres.

VI

Par transformation je n'entends pas quelque changement de nature je ne veux pas dire, par exemple, sainteté, ou perfection éthique, ou siddhi yoguiques (comme celles des tantriques) ou corps transcendental (chinmaya). J'emploie le mot transformation dans un sens spécial, celui d'un changement de conscience radical, complet et d'une espèce particulière, conçu de manière à amener un pas en avant puissant et sûr dans l'évolution spirituelle de l'être, d'une qualité plus grande et plus haute, d'une envolée et d'une totalité plus grandes que ce qu'il est advenu quand l'être mental est apparu pour la première fois dans le monde animal vital et matériel. Si quoi que ce soit de moindre se produit, ou si au moins un véritable commencement ne se fait pas sur cette base, un progrès fondamental en direction de cet accomplissement, alors mon but n'est pas atteint. Une réalisation partielle, quelque chose de mélangé, de non définitif, ne satisfait pas ce que j'exige de la vie et du yoga.

La Lumière de réalisation n'est pas la même chose que la Descente. La réalisation par elle-même ne transforme pas

 

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nécessairement l'être dans sa totalité; elle peut apporter seulement une ouverture, ou une ascension, ou un élargissement de la conscience à son sommet de manière à réaliser quelque chose dans le Pourousha sans aucun changement radical dans la Prakriti. On peut avoir une certaine lumière de réalisation au sommet spirituel de la conscience, mais les parties au-dessous restent ce qu'elles étaient. J'en ai vu quantité d'exemples. Une descente de la lumière doit se produire non seulement dans le mental ou une partie du mental, mais dans tout l'être jusqu'au physique et au-dessous avant qu'une véritable transformation puisse avoir lieu. Une lumière dans le mental peut spiritualiser ou changer d'une autre façon le mental ou une partie du mental d'une manière ou d'une autre, mais elle ne change pas forcément la nature vitale; une lumière dans le vital peut purifier et élargir les mouvements vitaux, ou encore rendre l'être vital silencieux ou immobile, mais laisser le corps et la conscience physique tels quels, ou même les laisser inertes, ou troubler leur équilibre. Et la descente de la Lumière n'est pas suffisante, ce doit être la descente de la conscience supérieure tout entière, sa Paix, son Pouvoir, sa Connaissance, son Amour, son Ânanda. De plus, la descente peut suffire à libérer, mais non à rendre parfait, ou elle peut suffire à produire un grand changement dans l'être intérieur, alors que l'être extérieur demeure un instrument imparfait, maladroit, malade ou sans expression. Finalement, la transformation effectuée par la sâdhanâ ne peut pas être complète si elle n'est pas une supramentalisation de l'être. La psychicisation n'est pas suffisante, elle n'est qu'un début; la spiritualisation et la descente de la conscience supérieure n'est pas assez, ce n'est que le stade intermédiaire; pour l'accomplissement ultime, l'action de la Conscience supramentale et de la Force supramentale est nécessaire. L'individu peut fort bien se contenter de moins, mais ce n'est pas suffisant pour que la conscience terrestre entreprenne la marche en avant décisive qu'elle doit accomplir un jour ou l'autre.

Je n'ai jamais dit que mon yoga était quelque chose de tout

 

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neuf dans tous ses éléments. Je l'ai appelé le yoga intégral et cela signifie qu'il reprend l'essence des anciens yoga et beaucoup de leurs procédés — sa nouveauté réside dans son but, son point de vue et la totalité de sa méthode. Dans les premiers stades, dont je traite dans des livres comme "l'Enigme" ou les "Lumières", ou dans le nouveau livre qui va être publié¹, il n'y a rien qui le distingue des anciens yoga sauf le but qui détermine son caractère global, l'esprit de ses mouvements et la signification ultime qu'il garde devant lui — et aussi le schéma de sa psychologie et de ses méthodes; mais comme cela n'a pas été et ne pouvait pas être développé systématiquement ou schématiquement dans ces lettres, ceux qui ne sont pas familiarisés avec lui par le mental ou par une certaine pratique ne l'ont pas saisi. Quant aux détails ou à la méthode des stades ultérieurs du yoga qui s'avancent dans des régions peu connues ou inexplorées, je ne les ai pas rendus publics et n'ai pas actuellement l'intention de le faire.

Je sais très bien aussi qu'il a existé des idéaux et des anticipations apparemment similaires — la perfectibilité de l'espèce, certaines sâdhanâ tantriques, la recherche d'une siddhi physique complète par certaines écoles de yoga, etc. J'y ai fait allusion moi-même et j'ai émis l'opinion que le passé spirituel de l'espèce a été une préparation de la Nature, non seulement pour atteindre le Divin au-delà du monde, mais aussi en vue de ce même pas en avant que doit encore accomplir l'évolution de la conscience terrestre. Il m'est en conséquence parfaitement indifférent — même en dépit du fait que ces idéaux étaient jusqu'à un certain point parallèles au mien, et cependant n'étaient pas identiques — que mon yoga, ses objectifs et sa méthode soient reconnus comme nouveaux ou non; en soi, c'est une question mineure. Qu'il soit reconnu comme vrai en lui-même par ceux qui peuvent l'accepter ou le pratiquer, et que sa vérité soit démontrée par son résultat est la seule chose qui compte; peu importe qu'il soit qualifié de nouveauté ou de répétition ou de renaissance d'un ancien yoga oublié. J'ai insisté sur sa nouveauté dans une

 

¹Les Bases du Yoga.

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lettre à certains sâdhak pour leur expliquer qu'une répétition du but et de l'idée des anciens yoga n'était pas suffisante à mes yeux, que je proposais une chose à accomplir qui n'avait encore jamais été accomplie, ni même clairement visualisée, même si elle est le produit naturel, mais encore secret, de tout l'effort spirituel passé.

Il est nouveau, par rapport aux anciens yoga:

(1 ) Parce qu'il a pour but non l'abandon du monde et de la vie pour le Paradis ou le Nirvana, mais un changement de la vie et de l'existence, non comme quelque chose de subsidiaire et d'accidentel, mais comme un objectif distinct et central. S'il y a une descente dans les autres yoga, ce n'est qu'un incident sur le chemin ou un résultat de l'ascension — l'ascension est la vraie chose. Ici l'ascension est le premier pas, mais elle est un moyen d'obtenir la descente. C'est la descente de la nouvelle conscience atteinte par l'ascension qui est la marque et le sceau de la sâdhanâ. Même le Tantra et le vishnouïsme se terminent dans une libération de la vie; ici l'objectif est l'accomplissement divin de la vie.

(2) Parce que le but poursuivi n'est pas l'accomplissement individuel de la réalisation divine pour l'individu, mais quelque chose qui doit être gagné pour la conscience terrestre ici même, et non pas seulement un accomplissement supra-cosmique. Ce qui doit être gagné, c'est aussi la venue d'un Pouvoir de Conscience (le supramental) qui n'est pas encore organisé ou actif dans la nature terrestre, pas même dans la vie spirituelle, mais qui doit être organisé et rendu directement actif.

(3) Parce qu'une méthode a été préconisée, pour atteindre cet objectif, qui est aussi totale et intégrale que le but qui lui est assigné, c'est-à-dire le changement total et intégral de la conscience et de la nature, reprenant les anciennes méthodes, mais seulement comme une action partielle et une aide présente pour d'autres qui en sont distinctes. Je n'ai pas trouvé cette méthode (dans son ensemble) ni rien de semblable qui ait été professé ou réalisé dans les anciens yoga. Si cela avait été le cas, je n'aurais pas perdu mon temps à tracer une route et passé trente ans en recherches et en création

 

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intérieures alors que j'aurais pu trotter en toute sécurité vers mon but par des sentiers déjà tracés, codifiés, parfaitement relevés, macadamisés, rendus sûrs et publics. Notre yoga ne retrace pas les anciens chemins, c'est une aventure spirituelle.

 

 

J'entendais par là la descente de la conscience supramentale sur la terre; toutes les vérités au-dessous du supramental (même celles du spirituel le plus haut sur le plan mental, qui est le plus haut qui se soit jusqu'ici manifesté) sont soit partielles ou relatives, soit insuffisantes et inaptes à transformer la vie terrestre; elles peuvent tout au plus la modifier et l'influencer. Le supramental est la vaste Conscience-deVérité dont parlaient les anciens voyants; il y en a eu jusqu'à présent des lueurs, parfois une influence ou une pression indirecte, mais il n'a pas été amené ici-bas dans la conscience de la terre et fixé en elle. Le faire descendre ainsi est le but de notre yoga.

Mais il vaut mieux ne pas entrer dans de stériles discussions intellectuelles. Le mental intellectuel ne peut même pas concevoir ce qu'est le supramental; à quoi bon, par conséquent, l'autoriser à discuter ce qu'il ne connaît pas? Ce n'est pas par le raisonnement mais par l'expérience constante, la croissance de la conscience et son élargissement dans la Lumière que l'on peut atteindre ces niveaux supérieurs de conscience au-dessus de l'intellect, d'où le regard peut commencer à s'élever vers la Gnose divine. Ces niveaux ne sont pas encore le supramental, mais ils peuvent recevoir un peu de sa connaissance.

Les rishi védiques n'ont jamais atteint le supramental pour la terre et n'ont peut-être même jamais tenté de le faire. Ils ont essayé de s'élever individuellement jusqu'au plan supramental, mais ils ne l'ont pas amené ici pour en faire un élément permanent de la conscience terrestre. Les Oupanishad suggèrent même dans certains versets qu'il est impossible de passer les portes du Soleil (symbole du supramental)

 

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en conservant un corps terrestre. C'est en raison de cet échec que l'effort spirituel de l'Inde a trouvé son sommet dans le Mâyâvâda. Notre yoga est un double mouvement de montée et de descente; on s'élève à des niveaux de conscience de plus en plus hauts, mais en même temps on fait descendre leurs pouvoirs non seulement dans le mental et la vie, mais à la fin jusque dans le corps. Et le plus élevé de ces niveaux, son but, est le supramental. Ce n'est que lorsqu'il pourra être amené ici-bas que la transformation divine sera possible dans la conscience terrestre.

 

 

Je ne saurais dire si aucun d'entre eux (les rishi védiques) a atteint le plan supramental, mais la montée à ce plan était leur but. Svar signifie évidemment les régions illuminées du Mental, entre le supramental et l'intelligence humaine, formées par les rayons du Soleil. Selon les Oupanishad, ceux qui montent dans les rayons du Soleil reviennent, mais ceux qui montent jusqu'au Soleil même ne reviennent pas. C'est pourquoi la montée jusqu'au Supramental était envisagée, mais la descente et l'organisation du supramental ici-bas (distincte de la descente des Rayons) ne l'étaient pas. Nous ne devons pas nous préoccuper de la réincarnation des rishi ils viendront si besoin est, je suppose.

 

 

Il est très possible que le shioka se rapporte à une montée dans les mondes supérieurs de félicité et de lumière et cela peut être appelé une libération ou une délivrance. Plus tard on croyait fortement que de tous ces mondes le retour est inévitable et que seule la délivrance de toute existence cosmique donne la moukti. Les rishi védiques semblent avoir envisagé une ascension dans un état ou un monde lumineux au-dessus du mensonge et de l'ignorance. Dans les Oupanishad le soleil est le symbole de la Vérité supramentale et il est dit que ceux qui entrent dans ce monde lumineux peuvent

 

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revenir, mais que ceux qui passent les portes du soleil ne reviennent pas; cela signifie peut-être qu'une ascension dans le supramental lui-même au-dessus du couvercle d'or du surmental était la libération définitive. Le Véda parle de la Vérité cachée par une Vérité, où le Soleil détache ses chevaux de son char, et là les milliers de rayons sont rassemblés en un seul, et c'était considéré comme le but. L'îsha Oupanishad parle aussi du couvercle d'or cachant la face de la Vérité; en le retirant on voit la loi de la Vérité, et la plus haute connaissance où l'unique Pourousha est connu (so'hamasmÏ) est décrite comme la forme "kalyânatama" du Soleil. Tout cela semble se rapporter aux états supramentaux dont le Soleil est le symbole.

 

 

Les rishi védiques étaient des mystiques du type ancien qui partout, en Inde, en Grèce, en Egypte et ailleurs, considéraient les vérités et les méthodes cachées qu'ils détenaient comme des choses très sacrées et très secrètes, ne devant pas être dévoilées aux individus inaptes qui les comprendraient mal, les appliqueraient mal, les emploieraient mal et dégraderaient la connaissance. Leurs écrits étaient en conséquence rédigés de manière à n'être intelligibles dans leur sens secret que par l'initié, ninyâ vatchânsi nivatchanâni kavayé mots secrets qui ne transmettent leur signification qu'au voyant. Ils étaient dotés d'un sens apparent exotérique et religieux pour le temple, ésotérique, occulte et spirituel pour les initiés. Que le peuple ne puisse pas découvrir la Vraie Vérité, telle était leur intention; ils voulaient qu'il ne connaisse que les vérités extérieures qui étaient à sa portée.

 

La différence fondamentale est dans l'enseignement qu'il existe une Vérité divine dynamique (le supramental) et que dans le monde actuel d'Ignorance cette Vérité peut descendre,

 

¹Rig-véda, IV, 3-16.

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créer une nouvelle Conscience-de-Vérité et diviniser la Vie. Les anciens yoga vont droit du mental au Divin absolu, considérant toute existence dynamique comme une Ignorance, une Illusion ou une Lîlâ; quand vous entrez dans la Vérité divine statique et immuable, disent-ils, vous sortez de l'existence cosmique.

 

 

Notre yoga a pour but l'union consciente avec le Divin dans le supramental et la transformation de la nature. Les yoga ordinaires vont droit du mental à un certain état sans forme du silence cosmique, et à travers cet état essaient de disparaître en s'élevant dans le Très-Haut. Le but de notre yoga est de transcender le Mental et d'entrer dans la Vérité divine du Satchidânanda qui n'est pas seulement statique mais dynamique, et d'élever l'être tout entier jusqu'à cette vérité.

 

 

Union divine, oui — mais pour les écoles ascétiques c'était l'union avec le Brahman sans forme, l'Inconnaissable au-delà de l'existence ou, s'il s'agissait de l'îshwara, c'était tout de même l'îshwara dans une conscience supracosmique. De ce point de vue l'aphorisme de Patanjali¹ est assez fondé. Quand il dit yoga, il entend le processus du yoga, l'objectif qui doit être gardé présent à l'esprit dans le processus — car par la cessation de chittavritti on entre en samâdhi et le samâdhi est le seul moyen de s'unir exclusivement et complètement avec le Brahman au-delà de l'existence.

 

 

Dans les yoga d'autrefois, ce que l'on cherchait, c'était l'expérience de l'Esprit, qui est toujours libre et un avec le

 

¹Yogastchittavrittinirôdhah.

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Divin. Il suffisait que la nature changeât assez pour cesser d'être un obstacle à cette connaissance et à cette expérience. La transformation complète, y compris celle du physique, n'a été cherchée que par un petit nombre, et encore la cherchaiton comme une siddhi plutôt qu'autre chose, non comme la manifestation d'une Nature nouvelle dans la conscience terrestre.¹ 

 

Il y a beaucoup de plans au-dessus du mental de l'homme le supramental n'est pas le seul, et sur chacun d'eux le Moi peut être réalisé — car ce sont tous des plans spirituels.

Le mental, le vital et le physique ne sont inextricablement mêlés que dans la conscience de surface — le mental intérieur, le vital intérieur, le physique intérieur sont séparés. Ceux qui cherchent le Moi par les anciens yoga se séparent du mental, de la vie et du corps et réalisent le moi de tout cela comme séparé du reste. Il est très facile de séparer le mental, le vital et le physique entre eux sans l'aide du supramental. Cela se fait par les yoga ordinaires. La différence entre notre yoga et les anciens yoga n'est pas qu'ils sont incompétents et ne peuvent pas le faire — ils le peuvent parfaitement — mais qu'ils vont de la réalisation du Moi jusqu'au Nirvana ou à quelque Paradis et abandonnent la vie, alors que le nôtre n'abandonne pas la vie. Le supramental est nécessaire à la transformation de la vie et de l'être terrestres, non pour atteindre le Moi. On doit réaliser le Moi d'abord, et ce n'est qu'ensuite qu'on peut réaliser le supramental.

 

 

On peut sentir les expériences de n'importe quelle sâdhanâ comme une partie de celle-ci.

 

¹Lumières sur le Yoga, chapitre 1. Traduction de la Mère.

 

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La réalisation de l'Esprit vient longtemps avant le développement du surmental ou du supramental; en tous temps des centaines de sâdhak ont eu la réalisation de l'Âtman dans les plans supérieurs du mental, bouddhéh paratah, mais il ne leur était pas donné d'atteindre la réalisation supramentale. On peut avoir des réalisations partielles du Moi ou de l'Esprit ou du Divin sur n'importe quel plan, mental, vital, physique même, et quand on s'élève au-dessus du plan mental ordinaire de l'homme jusqu'à un mental plus haut et plus large, le Moi commence à apparaître dans toute son immensité consciente.

C'est en entrant pleinement dans cette immensité du Moi que la cessation de l'activité mentale devient possible; on obtient le Silence intérieur. Ensuite ce Silence intérieur peut demeurer en dépit de toute sorte d'activité; l'être reste silencieux au-dedans, l'action se poursuit dans les instruments, et on reçoit toutes les intuitions nécessaires, tous les moyens d'exécution nécessaires, qu'ils soient mentaux, vitaux ou physiques, d'une source supérieure, sans que soient troublés la paix et le calme fondamentaux de l'Esprit.

Les états du surmental et du supramental sont encore plus élevés que celui-là; mais avant de pouvoir les comprendre, on doit d'abord avoir la réalisation de soi, la pleine action du mental et du cœur spiritualisés, l'éveil psychique, la libération de la conscience emprisonnée, la purification et l'ouverture entière de l'âdhâr. Ne pensez pas pour le moment à ces réalisations ultimes (surmental, supramental), mais obtenez d'abord ces fondations dans la nature libérée.¹

 

 

La spiritualisation est la descente de la paix, de la force, de la lumière, de la pureté, de l'Ânanda, etc., supérieurs, qui appartiennent à l'un des plans supérieurs depuis le Mental supérieur jusqu'au surmental, car dans chacun de ces plans le Moi peut être réalisé. Elle apporte une transformation subjective; la Nature instrumentale n'est transformée que jusqu'à

 

¹Nouvelles Lumières sur le Yoga, chapitre 1.

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devenir un instrument du Divin cosmique pour accomplir un travail, mais le moi au-dedans reste calme et libre et uni au Divin. Mais cette transformation individuelle est incomplète — la pleine transformation de la Nature instrumentale ne peut venir que quand le changement supramental intervient. Jusque-là la nature demeure pleine de bien des imperfections, mais le Moi dans les plans supérieurs n'en est pas gêné, puisqu'il est lui-même libre et impassible. L'être intérieur jusqu'au physique intérieur peut aussi être libre et impassible. Le surmental est sujet à des limitations dans les opérations de la Connaissance effective, à des limitations dans les opérations du Pouvoir, sujet à une Vérité partielle et limitée, etc. Ce n'est que dans le Supramental que la pleine Conscience-de-Vérité fait son apparition.

 

 

Vivre dans la vraie conscience, c'est vivre dans une conscience dans laquelle on est spirituellement en union avec le Divin d'une manière ou d'une autre. Mais il ne s'ensuit pas qu'en vivant ainsi on aura la vérité complète, exacte et infaillible sur toutes les actions, toutes les choses et toutes les personnes.

 

 

Le Divin peut être réalisé sur n'importe quel plan, selon la capacité de ce plan, puisque le Divin est partout. Les yogi et les saints réalisent le Divin sur le plan du mental spiritualisé; cela ne signifie pas qu'ils deviennent supramentaux.

 

Parce que c'est un grand homme, est-ce qu'il s'ensuit que tout ce qu'il pense ou dit est juste? Ou parce qu'il vit dans la lumière, est-ce qu'il s'ensuit que sa lumière est absolue et complète? "Conscience-de-Vérité" est une expression que j'emploie pour parler du supramental. X n'est pas dans le

 

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supramental. Il peut être, et il est, dans une Conscience vraie, mais c'est une autre affaire.

 

 

Vous êtes peut-être de l'avis de X, "le Divin est ici, comment peut-il descendre de quelque part?". Le Divin est peut-être ici, mais s'il a recouvert ici sa Lumière par l'obscurité de l'Ignorance et son Ânanda par la souffrance, cela, je pense, fait une grande différence sur ce plan-ci, et même si l'on entre dans cette Lumière, cet Ânanda, etc., cachés, cela fait une différence dans la conscience, mais très peu dans l'Énergie qui travaille sur ce plan, et qui garde un caractère obscur ou mélangé.

 

 

La Force divine peut agir sur n'importe quel plan — elle ne se borne pas à la Force supramentale. Le supramental n'est qu'un aspect du pouvoir du Divin.

 

 

Le sâdhak du yoga intégral qui hésite à dépasser l'Impersonnel n'est plus un sâdhak du yoga intégral. La réalisation impersonnelle est la réalisation du moi silencieux, de la pure Existence, Connaissance et Béatitude en soi, sans aucune perception d'un Existant, Conscient, Béatifique. Elle mène par conséquent au Nirvana. Dans la connaissance intégrale la réalisation du Moi et du Satchchidânanda impersonnel n'est qu'une étape bien que très importante, ou une partie de la connaissance intégrale. C'est le commencement, non la fin de la plus haute réalisation.

 

Ces sentiments sont l'attitude habituelle de la conscience

 

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physique à l'égard du Divin quand elle est abandonnée à elle-même — elle devient complètement agnostique et incapable d'avoir l'expérience.

La connaissance du Divin impersonnel ne peut en soi affecter les faits matériels de la terre ou du moins ne les affecte pas nécessairement. Elle ne produit qu'un changement subjectif dans l'être et, si ce changement est complet, une vision et une attitude nouvelles à l'égard de toutes choses immatérielles ou matérielles. Mais la connaissance complète du Divin peut produire un changement dans les choses matérielles, car elle met en marche une Force qui finit par agir même sur ces choses matérielles qui paraissent à la conscience physique si absolues, invincibles et immuables.

 

 

Pourquoi ne pourrait-on pas aimer concrètement le Divin cosmique et transcendant et en avoir l'expérience concrète? Beaucoup l'ont fait. Et pourquoi présumer qu'il est immobile, silencieux et lointain? Le Divin cosmique peut être aussi proche de vous que vous-même et le Transcendant aussi intime que l'ami ou l'amant le plus proche. Ce n'est que dans la conscience physique qu'il y a quelque difficulté à réaliser cela.

La réalisation jaïn de la divinité individuelle est excellente dans ses limites — son défaut est d'être trop individuelle et isolée.

 

 

Je n'ai jamais entendu parler de descente du silence dans d'autres yoga — le mental entre en silence. Pourtant, depuis que j'ai parlé d'ascensions et de descentes, on m'a dit de plusieurs côtés qu'il n'y avait rien de nouveau dans mon yoga — alors je me demande si les gens n'avaient pas des ascensions et des descentes sans le savoir! ou du moins sans remarquer le processus. C'est comme la montée et la stabilisation

 

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au-dessus de la tête — que j'ai ressentie, et d'autres aussi, dans ce yoga. La première fois que j'en ai parlé, les gens m'ont regardé en pensant que je disais des sottises. L'immensité doit avoir été ressentie dans d'autres yoga car autrement on n'aurait pas pu sentir l'univers en soi, ni être libéré de la conscience corporelle, ni s'unir avec l'Anantam Brahman. Mais généralement, comme dans le yoga tantrique, on parle de la conscience s'élevant jusqu'au brahmarandhra, le dessus de la tête, comme du sommet. Le Râdja-yoga, bien sûr, présente le samâdhi comme le seul moyen d'atteindre l'expérience la plus élevée. Mais il est évident que si on n'a pas la brâhmîsthiti à l'état de veille, la réalisation n'est pas complète. La Guîtâ parle clairement d'être samâhita (ce qui équivaut à être en samâdhi) et du brâhmîsthiti comme d'un état de veille dans lequel on vit et accomplit toutes les actions.

 

C'est ce que j'ai toujours pensé. Texplique moi-même cette absence d'expérience de la descente par le fait que les anciens yoga se cantonnaient principalement dans la catégorie psycho-spirituelle-occulte d'expériences — où les expériences supérieures pénètrent dans le mental tranquille, ou dans la concentration du cœur, à travers une sorte de filtre ou de reflet — le champ de cette expérience s'étendant du brahmarandhra vers le bas. Les gens ne s'élevaient au-dessus qu'en samâdhi ou dans un état de moukti statique sans aucune descente dynamique. Tout ce qui était dynamique se passait dans la région du mental spiritualisé et de la conscience physico-vitale. Dans notre yoga la conscience (quand le domaine inférieur a été préparé par une certaine quantité d'expériences psycho-spirituelles-occultes) est attirée vers le haut, au-dessus du brahmarandhra, vers des régions supérieures qui appartiennent à la conscience spirituelle proprement dite; au lieu de se contenter de recevoir ce qui vient de ces régions, elle doit y vivre et, à partir de là, changer entièrement la conscience intérieure. Car il y a là un

 

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dynamisme propre à la conscience spirituelle dont la nature est Lumière, Pouvoir, Ânanda, Paix, Connaissance, Immensité infinie; c'est cela qu'il faut posséder et qui doit descendre dans tout l'être. Autrement on peut avoir la moukti mais pas la perfection ou la transformation (à part un relatif changement psycho-spirituel). Mais si je dis cela, il s'élèvera un hurlement général contre la présomption impardonnable qui consiste à proclamer une connaissance que ne possédaient pas les anciens saints et sages et à prétendre vouloir les surpasser. À ce propos, je puis dire que les Oupanishad (notamment la Taïttirîya) contiennent quelques indications sur ces plans supérieurs et leur nature, et sur la possibilité de rassembler toute la conscience et de s'élever jusqu'à eux. Mais ensuite on a oublié cela et les gens n'ont plus parlé que de la bouddhi comme de la chose la plus élevée, avec le pourousha ou le Moi juste au-dessus, mais sans avoir aucune idée claire de ces plans supérieurs. Ergo, montée possible vers des régions inconnues, ineffables et célestes en samâdhi, mais aucune descente possible — par conséquent, aucun recours, aucune possibilité de transformation ici, rien que l'évasion hors de la vie et la moukti dans Gôlôka, Brahmalôka, Shivalôka ou l'Absolu.

 

 

Il peut arriver à certains d'avoir une descente sans remarquer que c'est une descente parce qu'ils n'en sentent que le résultat. Le yoga ordinaire ne va pas au-delà du mental spiritualisé — les gens sentent au sommet de la tête la jonction avec le Brahman, mais ils ignorent l'existence d'une conscience au-dessus de la tête. De même, dans le yoga ordinaire, ils sentent la montée de la conscience inférieure éveillée (koundalinî) vers le brahmarandhra où la Prakriti rejoint la conscience du Brahman, mais ils ne sentent pas la descente. Certains peuvent avoir eu ces expériences, mais à ma connaissance ils n'en ont pas compris la nature, le principe ni la place dans une sâdhanâ complète. Du moins n'ai-je jamais entendu les autres parler de ces choses avant de les avoir moi-même

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découvertes par ma propre expérience. La raison en est que les anciens yogi, quand ils allaient au-dessus du mental spirituel, passaient en samâdhi, ce qui signifie qu'ils ne tentaient pas d'être conscients dans ces plans supérieurs — leur but était de s'en aller dans le Supraconscient, non pas d'amener le Supraconscient dans la conscience éveillée, ce qui est le but de mon yoga.

 

Le Véda ne contient aucune idée, aucune expérience d'une émanation ou d'une incarnation personnelle d'un des dieux védiques. Quand les rishi parlent d'Indra, d'Agni ou de Sôma dans les hommes, ils parlent du dieu dans sa présence, son pouvoir ou sa fonction cosmique. Cela ressort du langage même qu'ils emploient en parlant d'Agni comme l'immortel dans les mortels, de la Lumière immortelle dans l'homme, du Guerrier intérieur, de l'Hôte dans les êtres humains. Il en est de même avec Indra ou Sôma. Créer les dieux dans l'homme signifie créer les Pouvoirs divins — Indra le pouvoir de la Lumière, Sôma le Pouvoir de l'Ânanda — dans la nature humaine. Il est certain que les rishi sentaient la présence réelle des dieux au-dessus d'eux, près d'eux, autour d'eux ou en eux, mais c'était une expérience commune à tous, non pas spéciale et personnelle, non une émanation ou une incarnation. On peut voir ou sentir la présence du Divin ou un Pouvoir divin au-dessus de la tête ou dans le cœur, ou dans un autre centre, ou dans tous, sentir la présence, sentir la forme qui y vit; on peut être gouverné par elle dans toutes ses actions, ses pensées et ses sentiments; on peut perdre en elle sa personnalité séparée, s'y identifier, s'y immerger. Mais tout cela ne constitue pas une incarnation ou une émanation du Divin ou du Pouvoir. Ces choses sont des expériences universelles auxquelles n'importe quel yogi peut arriver; atteindre cet état de relation avec le Divin est en fait un objectif commun du yoga.

Une incarnation est quelque chose de plus, quelque chose

 

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de spécial et d'individuel pour l'être individuel. C'est la Personne d'un être divin qui se substitue à la personne humaine et s'infiltre dans tous ses mouvements si bien qu'il y a en eux et dans la nature tout entière un changement dynamique; non seulement un changement du caractère de la conscience ou une consécration générale entre ses mains, mais un changement personnel intime et subtil. Quand il y a une incarnation dès la naissance, les éléments humains doivent être repris, mais quand il y a une descente, il y a une substitution consciente et totale.

C'est un processus long, subtil et persévérant. La Personne qui s'incarne projette d'abord son ombre comme une influence, puis pénètre les centres l'un après l'autre, parfois sous la même forme, parfois sous des formes différentes, puis reprend toute la nature et ses actions. Ce que vous décrivez ne correspond pas à ce processus; cela paraît être un effort pour construire les dieux en vous-même dans le sens védique et à la manière védique. Cela peut, en cas de succès, apporter leurs pouvoirs et un sens de leur présence; cela ne peut pas amener une incarnation. Une incarnation vous est destinée, est choisie pour vous; la personne humaine ne peut choisir ou créer une incarnation pour elle-même par sa propre volonté personnelle. Le tenter, c'est attirer un désastre spirituel.

Une chose doit être dite: une incarnation n'est pas le but de notre yoga; ce n'est qu'une condition ou un moyen d'y parvenir. Le seul et unique but qui nous est assigné est de faire descendre la Conscience supramentale et la Vérité supramentale dans le monde; la Vérité, rien que la Vérité est notre but, et si nous ne pouvons incarner cette Vérité, cent incarnations n'y feront rien. Mais faire descendre le vrai supramental, échapper à tout mélange mental n'est pas facile. La simple descente des soleils dans les centres, et même des sept soleils dans les sept centres, n'est que le germe; ce n'est pas la chose elle-même faite et terminée. On peut sentir la descente des soleils, on peut avoir la tentative, le début d'une incarnation, et pourtant finalement échouer, s'il y a une faille dans la nature ou si on ne peut passer par toutes les épreuves  

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et satisfaire à toutes les dures conditions de la réussite spirituelle parfaite. Non seulement toute la nature mentale, vitale et physique doit être surmontée et transformée, mais aussi les trois états de conscience mentale qui s'interposent entre l'humain et le supramental et qui, comme tout ce qui est mental, sont capables d'admettre de grandes, de capitales erreurs. Jusque-là il peut y avoir des descentes de l'influence, de la lumière, du pouvoir, de l'Ânanda du supramental, mais la Vérité supramentale ne peut pas être possédée, organisée, mise en possession de la nature entière. On ne doit pas penser, avant cela, qu'on possède le supramental; car c'est une duperie qui empêcherait l'accomplissement.

Encore une chose. Plus les expériences qui viennent sont intenses et les forces qui descendent sont hautes, plus les possibilités de déviation et d'erreur deviennent grandes. Car l'intensité même et la hauteur même de la force excitent et magnifient les mouvements de la nature inférieure, y soulèvent tous les éléments contraires avec toute leur vigueur, mais souvent sous le déguisement de la vérité et avec un masque de justification plausible. Il faut avoir beaucoup de patience, du calme, de la pondération, de l'équilibre, un détachement impersonnel et une sincérité exempte de toute trace d'ego et de tout désir humain personnel. Il ne doit y avoir aucun attachement à aucune idée personnelle, à aucune expérience, aucune sorte d'imagination, de construction mentale ni d'exigence vitale; la lumière du discernement doit toujours être présente pour dépister ces choses, si justes ou plausibles puissent-elles sembler. Sinon, la Vérité n'a aucune chance de s'installer dans toute la pureté de sa nature.

 

Ce récit décrit des méthodes bien établies qui sont celles du Jnâna-yoga (1) concentration fixée sur un point, suivie de suspension de la pensée, (2) méthode qui consiste à distinguer le vrai moi ou à le trouver en le séparant du mental, de la vie, du corps, et à venir au pur "Moi" derrière; lui aussi peut

 

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disparaître dans le Moi impersonnel. Le résultat habituel est une immersion dans l'Âtman ou le Brahman — qui est ce que signifie, pourrait-on supposer, le Surmoi, car c'est cela qui est le véritable Surmoi. Ce Brahman ou Âtman est partout, tout est en lui, lui en tout, et cependant il est en tout non comme un être individuel dans chacun, mais comme le même en tous — comme l'Ether est en tout. Quand l'immersion dans le Surmoi est complète, il n'y a pas d'ego, pas de Moi distinct, aucune forme de personne ou de personnalité séparée. Tout est une Unité indivisible et indiscernable, libre de toute formation ou portant en elle toutes les formations sans en être affectée; elle peut être réalisée d'une manière ou de l'autre. C'est une réalisation où toutes choses se meuvent dans le Moi unique et ce Moi est là, stable dans tous les êtres; il y en a une autre plus complète et plus approfondie où non seulement c'est ainsi, mais où tous sont réalisés avec éclat comme le Moi, le Brahman, le Divin. Dans la première il est possible d'éliminer tous les êtres comme des créations de Maya, en laissant le Moi unique comme seul vrai: dans l'autre il est facile de les considérer comme de vraies manifestations du Moi, non comme des illusions. Mais on peut aussi considérer tous les êtres comme des âmes, des réalités indépendantes dans une Nature éternelle dépendant du Divin seul. Telles sont les réalisations caractéristiques du Surmoi familières au Védânta. Mais d'autre part, vous dites que ce Surmoi est réalisé comme logeant dans le centre du cœur, et il est décrit comme quelque chose de dissimulé qui, quand il se manifeste, apparaît comme le vrai Penseur, source de toute action mais guidant maintenant la pensée et l'action dans la Vérité. La première description s'applique donc au Pourousha dans le cœur, décrit dans la Guîtâ comme l'îshwara situé dans le cœur et par les Oupanishad comme le Pourousha Antarâtma; la seconde pourrait s'appliquer aussi au Pourousha mental, manômayah prânasharîranétâ des Oupanishad, l'être mental ou Pourousha qui mène la vie et le corps. Votre question, d'après les faits exposés, se réfère donc à toutes ces expériences et les accepte, mais elles sont liées les unes aux autres sans qu'une distinction

 

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ou une gradation suffisante ait été faite, ou jugée nécessaire entre les différents aspects de l'Être unique. Il y a mille façons d'approcher et de réaliser le Divin et chaque voie a ses propres expériences qui ont leur propre vérité et reposent en réalité sur une base unique en essence mais complexe dans ses aspects, commune à toutes mais exprimée différemment par chacun. Il n'est pas très utile de discuter ces variations; l'important est de suivre sa propre voie correctement et à fond. Dans notre yoga on peut réaliser l'être psychique comme une portion du Divin située dans le cœur avec le Divin l'y soutenant — cet être psychique prend en charge la sâdhanâ et tourne tout l'être vers la Vérité, le Divin, avec des résultats dans la conscience mentale, vitale et physique, que je n'ai pas besoin d'approfondir ici — c'est la première transformation. Nous réalisons ensuite le Moi unique, Brahman, le Divin, d'abord au-dessus du corps, de la vie et du mental et pas seulement dans le cœur qui les soutient — au-dessus, libre, non attaché, comme le Moi statique en tous et dynamique aussi comme l'Être et le Pouvoir divin actif, îshwara-Shakti, contenant le monde et le pénétrant tout en le transcendant, manifestant tous les aspects cosmiques. Mais le plus important pour nous est qu'il se manifeste comme Lumière, Connaissance, Pouvoir, Pureté, Paix, Ânanda transcendants dont nous devenons conscients et qu'il descende dans l'être et remplace progressivement la conscience ordinaire elle-même par ses propres mouvements — c'est la deuxième transformation. Nous réalisons aussi la conscience elle-même comme s'élevant, montant à travers de nombreux plans, physique, vital, mental, surmental jusqu'aux plans du supramental et de l'Ânanda. Il n'y a là rien de nouveau: il est indiqué dans la Taïttirîya Oupanishad qu'il y a cinq Pourousha, le physique, le vital, le mental, le Pourousha de la Vérité (supramental) et le Pourousha de la Béatitude; elle dit qu'il faut attirer le moi physique dans le moi vital, le vital dans le mental, le mental dans le moi de la Vérité, le moi de la Vérité dans le moi de la Béatitude et ainsi atteindre la perfection. Mais dans notre yoga nous devenons conscients non seulement de cette

 

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ascension mais aussi de la coulée du pouvoir du Moi supérieur qui se déverse, amenant la possibilité d'une descente du Moi et de la nature supramentaux dominant et changeant notre nature présente et la transformant de nature d'ignorance en nature de Connaissance-de-Vérité (et par le supramental en nature d'Ânanda) — c'est la troisième transformation ou transformation supramentale. Cela ne se produit pas toujours dans cet ordre, car pour beaucoup la descente spirituelle commence d'abord d'une manière imparfaite avant que le psychique soit en avant et commande, mais le développement psychique doit être atteint avant qu'une descente spirituelle parfaite et sans entraves puisse se produire, et le dernier changement ou changement supramental est impossible tant que les deux premiers ne sont pas devenus entiers et complets. Voilà toute l'affaire exposée aussi brièvement que possible.

 

 

Ce que vous exigez de moi remplirait un volume et non une lettre — surtout qu'il s'agit de questions auxquelles les gens connaissent moins que rien et ne comprendraient rien, ou comprendraient tout de travers. Un jour, je suppose, j'écrirai quelque chose, mais le supramental ne supporte pas qu'on parle de lui maintenant. Il sera peut-être possible de dire quelque chose sur la transformation spirituelle et il se peut que je finisse la lettre sur ce point.

Je ne veux pas poursuivre plus avant la question de la réalisation de M. Comme je l'ai dit, les comparaisons sont inutiles; chaque sentier a son propre but, sa direction et sa méthode, et la vérité de chacun n'invalide pas la vérité de l'autre. Le Divin (ou, si vous préférez, le Moi) a de nombreux aspects et peut être réalisé de bien des façons — s'attarder sur ces différences est sans objet et sans utilité.

"Transformation" est un mot que j'ai introduit (comme "supramental") pour exprimer certains concepts spirituels et certains faits spirituels du yoga intégral. Les gens les ont

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maintenant repris et les utilisent dans des sens qui n'ont rien à voir avec la signification que je leur ai donnée. La purification de la nature par l'"influence" de l'Esprit n'est pas ce que je veux dire par transformation; la purification n'est qu'une partie d'un changement psychique ou psycho-spirituel — ce mot a par ailleurs de nombreux sens et reçoit très souvent une acception morale ou éthique qui est étrangère à mon propos. Ce que je veux dire par transformation spirituelle est quelque chose de dynamique (pas seulement la libération du Moi ou la réalisation de l'Un qui peuvent très bien être atteints sans aucune descente). Elle consiste à établir la conscience spirituelle, dynamique autant que statique, dans toutes les parties de l'être jusqu'au subconscient. Cela ne peut se faire par une influence du Moi qui laisserait la conscience fondamentalement telle quelle à part une purification, une illumination du mental et du cœur et une accalmie du vital. Elle consiste à faire descendre la Conscience Divine, statique et dynamique, dans toutes ces parties et à remplacer entièrement la conscience actuelle par elle. Nous la trouvons dévoilée et sans mélange au-dessus du mental, de la vie et du corps. C'est un fait d'expérience indéniable chez beaucoup qu'elle peut descendre et selon mon expérience seule la pleine descente peut retirer entièrement le voile et le mélange et effectuer la pleine transformation spirituelle. Aucun raisonnement métaphysique ou logique dans le vide sur ce que l'Âtman "doit" faire ou peut faire ou a besoin ou n'a pas besoin de faire n'a de rapport ou de valeur ici. Je puis ajouter que la transformation n'est pas l'objectif central des autres sentiers comme elle l'est dans notre yoga — ils n'exigent qu'une purification et un changement suffisants pour conduire à la libération et à ce qui est au-delà de la vie. L'influence de l'Âtman peut sans aucun doute accomplir cela la descente complète d'une nouvelle conscience dans toute la nature du haut en bas pour transformer la vie ici n'est pas du tout nécessaire pour l'évasion spirituelle hors de la vie.

 

 

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Le cœur dont parlent les Oupanishad correspond au centre cardiaque physique; c'est le hritpadma des tantriques. Comme centre subtil, chakra, il est censé avoir son extrémité dans la colonne vertébrale et s'élargir par-devant. Peu importe où exactement dans cette région une personne ou l'autre le sent; le sentir là et être guidé par lui est le principal. Je ne peux pas dire ce que M a réalisé — mais ce qu'il décrit comme le Moi est certainement ce pourousha Antarâtma, mais qui s'attache ici davantage à la moukti et à l'action libérée qu'à la transformation de la nature. Ce qu'apporte la réalisation psychique est un changement psychique de la nature qui la purifie et la tourne complètement vers le Divin. Après cela ou avec cela vient la réalisation du Moi cosmique. Ce sont ces deux choses que les anciens yoga englobaient et par elles ils passaient au môksha, au Nirvana ou au départ dans quelque sorte de transcendance céleste. Le yoga pratiqué ici inclut à la fois la libération et la transcendance, mais il prend la libération ou même un certain Nirvana, s'il vient, comme un premier pas et non comme le dernier stade de la siddhi. Quelle que soit la sortie vers le Transcendant ou dans sa direction à laquelle il parvienne, c'est une ascension accompagnée d'une descente du pouvoir, de la lumière, de la conscience qui doit être accomplie et c'est par ces descentes que s'accomplit ici la transformation spirituelle et supramentale. La pensée de M ne semble pas l'admettre; il considère la Descente comme superflue et logiquement impossible. "Le Divin est ici, d'où va-t-il descendre?" est son argument. Mais le Divin est partout, II est au-dessus aussi bien qu'au-dedans, il a beaucoup de demeures, beaucoup de cordes à son arc de Pouvoir, il y a beaucoup de niveaux de sa Conscience dynamique et chacun a sa propre lumière et sa propre force. Il n'est pas borné à sa situation dans le cœur ou à l'unique parole de la réalisation psycho-spirituelle. Il a aussi sa position supramentale au-dessus du centre du cœur et du centre du mental et peut en descendre si telle est sa volonté.

 

 

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Je pense que les réalisations de Râmatîrtha étaient plus mentales qu'autre chose. Il avait l'ouverture du mental supérieur et une réalisation, dans ce mental, du Moi cosmique, mais je ne trouve aucune preuve d'un mental et d'un vital transformés; cette transformation n'est ni un résultat, ni un objectif du yoga de la Connaissance. Dans la réalisation du voea de la Connaissance, on se sent vivre dans l'ampleur de quelque chose de silencieux, sans forme et universel (appelé le Moi) et tout le reste n'est que formes et noms; le Moi est réel, rien d'autre. La réalisation de "won Moi dans d'autres formes" est une partie de cela ou un pas vers cela, mais dans la réalisation complète le "mon" doit disparaître pour qu'il n'y ait que le Moi unique ou plutôt le Brahman seul. Car le Moi n'est qu'un aspect subjectif du Brahman, comme l'îshwara est son aspect objectif. Telle est la "Connaissance" védântique. Son résultat est paix, silence, libération. Quant à la Prakriti active (mental, vital, corps), le yoga de la Connaissance n'a pas pour but de la transformer — ce serait inutile puisque l'idée est que si la libération est venue, tout cela disparaîtra à la mort. Le seul changement recherché est l'élimination de l'idée de l'ego et la réalisation que seul est vrai le Moi suprême, le Brahman.

 

 

Je n'ai pas lu les œuvres de R et je n'ai connaissance ni de sa personnalité, ni de ce que peut être le niveau de son expérience. Les paroles que vous citez peuvent être l'expression d'une foi simple ou d'une expérience panthéiste; évidemment, si l'auteur les utilise en vue ou dans l'intention d'établir la thèse que le Divin est partout et est tout et que par conséquent tout est bien, étant divin, elles sont très insuffisantes. Mais en tant qu'expérience, il est très courant d'avoir ce sentiment ou cette réalisation dans la sâdhanâ védântique — en fait, sans elle il n'y aurait pas de sâdhanâ védântique. Je l'ai eu moi-même à différents niveaux de conscience et sous de nombreuses formes, et j'ai rencontré quantité de gens qui  

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l'ont eu de manière très authentique — non comme une théorie ou une perception intellectuelle, mais comme une réalité spirituelle trop concrète pour qu'ils puissent la nier, quels que soient les paradoxes qu'elle peut entraîner pour l'intelligence ordinaire.

Évidemment cela ne signifie pas que tout ici est bien ou que dans l'échelle des valeurs un bordel est aussi bon qu'un ashram, mais cela signifie bien que tout est partie d'une manifestation unique et qu'au plus profond du cœur de la catin, comme au plus profond du cœur du sage ou du saint, réside le Divin. En outre, selon son expérience, une Force unique est à l'œuvre dans le monde, dans le bien comme dans le mal — une Force cosmique; elle est à l'œuvre autant dans le succès (ou l'échec) de l'ashram que dans le succès (ou l'échec) du bordel. Les choses sont faites dans ce monde au moyen de la force, bien qu'il en soit fait usage selon la nature de l'utilisateur; l'un l'utilise à des œuvres de Lumière, l'autre à des œuvres d'Obscurité, un autre encore à un mélange. Je ne pense pas qu'aucun védântin (sauf peut-être quelques modernes) soutiendrait que tout ici est bien —  l'idée védântique orthodoxe est que tout ici est un inextricable mélange de bien et de mal, un jeu de l'Ignorance et par conséquent un jeu des dualités. Les missionnaires chrétiens, je suppose, soutiennent que tout ce que fait Dieu est moralement bon; aussi sont-ils choqués que les prêtres taoïstes aident le travail du bordel par leurs rites. Mais les prêtres chrétiens n'ont-ils pas invoqué l'aide de Dieu pour que des hommes soient anéantis dans la bataille et certains n'ont-ils pas chanté des Te Deum pour des victoires remportées en massacrant des hommes et en affamant des femmes et des enfants? Le taoïste qui ne croit qu'au Tao impersonnel est plus cohérent; la théorie du védântin, qui croit que le Suprême est au-delà du bien et du mal, mais que la Force cosmique placée ici par le Suprême travaille à travers les dualités, donc à travers le bien comme le mal, la joie comme la souffrance, tient compte au moins du double fait de l'expérience du Suprême qui est Toute Lumière, Toute Félicité et Toute Beauté, et d'un monde où se mêlent lumière

 

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et ombre, joie et souffrance, beauté et laideur. Les dualités, dit-il, proviennent d'une Ignorance séparatrice et aussi longtemps que vous acceptez cette ignorance séparatrice, vous ne pouvez pas vous débarrasser des dualités, mais il est possible de s'en retirer par l'expérience et d'avoir la réalisation du Divin en tout et du Divin partout; alors vous commencez à réaliser la Lumière, la Félicité et la Beauté derrière tout, et c'est la seule chose à faire. Vous commencez aussi à réaliser la Force unique et vous pouvez vous en servir ou la laisser se servir de vous pour que croisse la lumière en vous et dans les autres — non plus pour la satisfaction de l'ego et pour les œuvres de l'ignorance et de l'obscurité.

Je ne sais pas quelle réponse R donnerait au dilemme de la cruauté des choses. On pourrait répondre que le Divin au-dedans est ressenti à travers l'être psychique; et que la nature de l'être psychique est faite de Lumière, d'Harmonie et d'Amour divins, mais qu'il est recouvert par l'ego mental et vital séparateur d'où la lutte, la haine, la cruauté découlent naturellement. Il est par conséquent naturel de ressentir dans la bonté la main du Divin, alors que la cruauté est ressentie comme un déguisement ou une perversion dans la nature, bien que cela n'empêche pas l'homme qui a la réalisation de sentir le Divin derrière le déguisement et de l'y rencontrer. J'ai même connu des cas où la perception du Divin en tous, accompagnée d'une intense expérience d'amour universel et d'une vaste expérience d'harmonie intérieure, avait l'effet extraordinaire de rendre tout l'entourage bon et coopératif, même les plus rudes, les plus durs et les plus cruels. Peut-être une expérience semblable est-elle à la base de l'affirmation de R sur la bonté. Quant à l'œuvre du Divin, l'expérience de la réalisation du védântin est que derrière le mélange confus de bien et de mal quelque chose travaille, qu'il réalise comme étant le Divin, et dans sa propre vie il peut regarder en arrière et voir ce que chaque pas, heureux ou malheureux, signifiait pour son progrès, et comment cela l'a mené vers la croissance de l'esprit. Naturellement la plénitude s'affirme à mesure que la réalisation progresse; auparavant il devait avancer guidé

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par la foi, et il lui est souvent arrivé de sentir sa foi faiblir, de se laisser aller pour un temps au chagrin, au doute et au désespoir.

Je ne sais pas si, dans ce que j'ai écrit, quelque chose pourrait éclairer cette difficulté. Vous y trouveriez surtout l'exposé de l'expérience védântique, car c'est à travers elle que j'ai passé et bien que je sois maintenant passé à quelque chose qui est au-delà, elle me paraît être la préparation la plus complète et la plus radicale pour ce qui vient au-delà, bien que je ne dise pas qu'il est indispensable de passer par elle. Mais quelle que soit la solution, il me semble que le védântin a raison d'insister sur le fait que l'on doit, pour y parvenir, admettre les deux faits: la prédominance ici du mal et de la souffrance, et l'expérience de ce qui en est libéré — et ce n'est que par l'expérience progressive que l'on peut trouver la solution — que ce soit par la réconciliation, par une descente conquérante ou par une évasion. Si nous nous basons sur l'axiome que la prédominance de la souffrance et du mal à l'heure présente et dans la dure réalité extérieure des choses réfute par elle-même tout ce que les sages et les mystiques ont expérimenté de l'autre côté, du Divin réalisable, alors aucune solution ne semble possible.

 

 

Non, je ne voulais certainement pas dire que le védântin qui voit derrière les apparences du monde une œuvre plus grande vit dans un monde différent de notre monde matériel — si j'avais voulu dire cela, tout ce que j'ai écrit aurait été dépourvu de portée ou de sens. Je voulais parler d'un védântin qui vit dans ce monde avec toute sa souffrance, son ignorance, sa laideur, son mal, et qui en a eu sa pleine mesure: trahison et abandon des amis, échec dans les entreprises extérieures et les désirs de la vie, attaques et persécutions, maladies accumulées, difficultés constantes, luttes, faux pas dans son yoga. Il ne vit pas dans un monde différent, mais il a une manière différente de faire face aux épreuves, aux coups

 

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et aux dangers. Il les admet comme la nature de ce monde et le résultat de la conscience d'ego dans laquelle il vit. Il essaie par conséquent de croître dans une autre conscience où il sent ce qui est derrière les apparences extérieures, et à mesure qu'il croît dans cette conscience plus large, il commence à sentir de plus en plus un travail derrière qui l'aide à croître dans l'esprit et le mène vers la maîtrise et la libération de l'ego et de l'ignorance, et il voit que tout a été utilisé à cette fin. Jusqu'à ce qu'il atteigne cette conscience avec sa connaissance plus large des choses, il doit marcher soutenu par la foi et sa foi peut par moments lui manquer, mais elle revient et le porte à travers toutes les difficultés. Tout le monde n'est pas obligé d'accepter cette foi et cette conscience, mais il y a derrière cela, pour la vie spirituelle, quelque chose de grand et de vrai.

 

Il y a une chose que je crois devoir dire à propos de votre remarque sur l'âme de l'Inde et l'observation de X sur "cette insistance sur ce monde-ci à l'exclusion de l'autre monde". Je ne comprends pas bien à propos de quoi il a fait cette remarque ou ce qu'il entendait par ce monde-ci, mais je crois nécessaire de préciser ma position à cet égard. Ma propre vie et mon yoga ont toujours été, depuis mon arrivée en Inde, à la fois de ce monde-ci et de l'autre monde, sans aucune exclusive à l'égard de l'un ou de l'autre. Tous les intérêts humains sont, je suppose, de ce monde-ci, la plupart d'entre eux ont pénétré dans mon domaine mental, et certains, comme la politique, dans ma vie; mais en même temps, depuis que j'ai foulé le sol de l'Inde en débarquant de l'Apollo Bunder à Bombay, j'ai commencé à avoir des expériences spirituelles; celles-ci n'étaient cependant pas séparées de ce monde, mais avaient une portée intérieure et infinie sur lui, par exemple le sentiment de l'Infini s'infiltrant dans l'espace matériel et de l'Immanent habitant des objets et des corps matériels. En même temps je me suis trouvé pénétrant dans des mondes et

 

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des plans supraphysiques avec des influences et un effet venant d'eux sur le plan matériel, de sorte que je ne pouvais faire aucune rupture brutale, aucune opposition inconciliable entre ce que j'ai appelé les deux fins de l'existence et tout ce qui s'étend entre elles. Pour moi tout est Brahman et je trouve le Divin partout. Tout le monde a le droit de rejeter ce monde-ci et de choisir l'autre seulement, et si ce choix lui apporte la paix c'est une grande bénédiction pour lui. Personnellement je n'ai pas trouvé nécessaire de faire ce choix pour avoir la paix. Dans mon yoga aussi je me suis trouvé amené à inclure les deux mondes dans ma perspective — le spirituel et le matériel — et à essayer d'établir la Conscience divine et le pouvoir divin dans les cœurs des hommes et la vie terrestre, non pour un salut personnel seulement, mais pour une vie divine ici. Cela me semble un but tout aussi spirituel que n'importe quel autre et le fait que cette vie reprenne les quêtes terrestres et les choses terrestres dans sa sphère ne peut pas, je crois, ternir sa spiritualité ou altérer son caractère indien. Du moins telles ont toujours été mon opinion et mon expérience de la réalité de la nature du monde, des choses et du Divin; cela me semble aussi proche que possible de leur vérité intégrale, et j'ai par conséquent parlé de cette recherche comme du yoga intégral. Chacun est, évidemment, libre de rejeter ou de nier cette sorte d'intégralité, ou de croire à la nécessité spirituelle de se tourner entièrement et complètement vers l'autre monde, mais cela rendrait la pratique de mon yoga impossible. Mon yoga peut en effet inclure une expérience complète des autres mondes, du plan de l'Esprit suprême et des autres plans intermédiaires, et de leurs effets possibles sur notre vie et sur le monde matériel; mais il sera tout à fait possible de ne rechercher que la réalisation de l'Être suprême ou îshwara, même sous un seul aspect, Shiva, Krishna, comme Seigneur du monde et Maître de nousmêmes et de nos œuvres, ou encore comme Satchidânanda universel, et d'atteindre les résultats essentiels de ce yoga, et ensuite de poursuivre de là jusqu'au résultat intégral si on accepte l'idéal de la vie divine et de la conquête de ce monde

 

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matériel par l'Esprit. C'est cette vision et cette expérience des choses et de la vérité de l'existence qui m'ont permis d'écrire La Vie Divine et Savitri. La réalisation du Suprême, de l'îshwara, est certainement l'essentiel; mais L'approcher avec amour, dévotion et bhakti, Le servir par ses œuvres et Le connaître, pas nécessairement par l'intellect, mais dans une expérience spirituelle, est également essentiel dans le sentier du yoga intégral. Si vous acceptez l'affirmation de K que ce sentier et aucun autre doit être votre sentier, c'est ce que vous devez atteindre et réaliser, et alors toute exclusive n'admettant que les autres mondes ne peut être votre voie. Je crois que vous êtes tout à fait capable d'atteindre ce but et de réaliser le Divin, et jamais je n'ai pu partager vos doutes constamment répétés sur vos capacités, et leur retour constant n'est pas une raison valable de croire qu'ils ne pourront jamais être surmontés. Ces retours persistants ont été le fait de nombreux sâdhak qui en ont finalement émergé et ont atteint le but; même la sâdhanâ de grands yogi n'a pas été exempte de ces retours violents et constants, ils ont quelquefois été l'objet spécial de ces assauts persistants, comme je l'ai bien indiqué dans Savitri, en plus d'un passage, et cela était en fait fondé sur ma propre expérience. Dans la nature de ces répétitions il y a habituellement un retour constant des mêmes expériences adverses, la même résistance adverse, les mêmes pensées destructrices de toute croyance, de toute foi, de toute confiance dans l'avenir de la sâdhanâ, des mêmes doutes désespérants sur ce qu'on a connu de la vérité, des injonctions à abandonner le yoga ou d'autres conseils désastreux de déchéance1. Le cours pris par les attaques n'est pas vraiment le même pour tous, mais elles ont pourtant un net air de famille. On peut à la longue les surmonter si on commence à réaliser la nature et la source de ces assauts et acquérir la faculté de les observer, de les supporter, sans être atteint par eux ni absorbé dans leur abîme, en devenant finalement le témoin de leurs phénomènes, en les comprenant, et en refusant l'acquiescement du mental, même quand le vital est

 

¹En français dans le texte.

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encore cahoté par les tourbillons et que le mental physique le plus extérieur reflète encore les suggestions adverses. À la fin, ces attaques perdent leur pouvoir et tombent de la nature; leur retour s'affaiblit ou n'a plus le pouvoir de durer; et même, si le détachement est assez fort, elles peuvent être arrêtées très vite ou immédiatement. La plus forte attitude que l'on puisse prendre est de considérer ces attaques pour ce qu'elles sont: des incursions des forces obscures de l'extérieur profitant de certaines ouvertures dans le mental physique ou la partie vitale, mais ne faisant pas vraiment partie de soi ou n'étant pas une création spontanée de sa propre nature. Créer une confusion et une obscurité dans le mental physique et y jeter ou y éveiller des idées erronées, de sombres pensées, de fausses impressions, est une des méthodes préférées de ces assaillants, et s'ils peuvent obtenir le renfort du mental grâce à sa confiance exagérée en sa propre justesse ou en la rectitude naturelle de ses impressions et de ses déductions, alors elles peuvent avoir leur jour de gloire jusqu'à ce que le vrai mental se réaffirme et disperse les nuages. Un autre de leurs tours consiste à éveiller une blessure ou un sens ulcérant de grief dans les parties vitales inférieures et à entretenir cette douleur ou cette irritation aussi longtemps que possible. Dans ce cas il faut découvrir ces ouvertures dans sa propre nature et apprendre à les fermer en permanence à ces attaques ou à expulser les intrus immédiatement ou le plus tôt possible. La récidive n'est pas la preuve d'une incapacité fondamentale; en prenant l'attitude intérieure juste, elle peut être et sera surmontée. Nous devons avoir foi en le Maître de notre vie et de nos œuvres, même si pendant longtemps il se cache, à son heure il révélera Sa présence.

Vous avez toujours cru au gourouvâda. Je vous demanderai donc de mettre votre foi en le gourou et en ses conseils, et de vous en remettre à l'îshwara pour l'accomplissement, d'avoir foi en mon amour et mon affection immuables, en l'affection, en la bienveillance divine, en la bonté aimante de la Mère, de tenir bon contre toutes les attaques et d'avancer avec persévérance vers le But spirituel et vers la main qui

 

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accomplit tout, qui exauce tout, de Celui qui est TouteBéatitude, de l'îshwara.

 

Je vous envoie aujourd'hui la lettre promise; vous verrez que c'est moins une réponse aux termes précis de votre lettre qu'une "défense de l'évangile de la divinisation de la vie" contre les réserves et les incompréhensions de la mentalité (ou plus souvent de la vitalité) qui ou bien comprend mal, ou bien recule devant lui — ou peut-être comprend mal parce qu'elle recule et recule aussi parce qu'elle comprend mal à la fois ma méthode et mon but. Ce n'est pas une défense complète, mais elle soulève un point capital ici ou là ou y répond. Le reste viendra plus tard.

Mais tout langage prête à un malentendu; c'est pourquoi, en envoyant cette lettre, il vaudrait mieux que j'éclaircisse ou que je tente d'éclaircir certains points.

Si j'ai mis l'accent sur les choses divines en réponse à une insistance excessive (parce qu'elle était contradictoire) sur les choses humaines, il ne faut pas comprendre que je rejette tout ce qui est humain — l'amour humain, l'adoration humaine ou toutes sortes d'aides salutaires qu'apporte une démarche humaine en tant que partie du yoga. Jamais je ne l'ai fait, sinon l'Ashram ne pourrait pas exister. Les sâdhak qui entreprennent le yoga sont des êtres humains et si une démarche humaine ne leur était pas permise au début et longtemps encore, ils ne seraient pas capables de commencer le yoga ni de le poursuivre. La discussion n'a lieu que parce que le mot "humain" est employé dans la pratique non seulement comme synonyme du vital humain (et du mental extérieur), mais aussi de certaines formes de la nature vitale humaine de l'ego. Mais le vital humain contient bien d'autres choses et est plein d'excellents matériaux. Tout ce que demande le yoga est que ces matériaux soient utilisés d'une manière juste et avec l'attitude spirituelle juste, et aussi que la manière humaine de se rapprocher du Divin ne tourne pas

 

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constamment à la révolte humaine et au reproche humain contre lui. Et cela, nous le demandons seulement pour la réussite de ce rapprochement lui-même et de l'être humain qui s'y consacre.

La divinisation elle-même ne signifie pas la destruction des éléments humains; elle consiste à les reprendre, à leur montrer la voie vers leur propre perfection, à les élever par la purification et la perfection à la plénitude de leur pouvoir et de leur Ânanda, et cela revient à élever toute la vie terrestre à la plénitude de son pouvoir et de son Ânanda.

S'il n'y avait pas de résistance dans la nature vitale humaine, pas de pression de forces ennemies du changement, forces qui se complaisent à l'imperfection et même à la perversion, ce changement s'effectuerait sans difficulté par un épanouissement naturel et indolore; comme, par exemple, vos propres pouvoirs de poésie et de musique se sont épanouis ici avec rapidité et aisance sous la lumière et la pluie d'une influence spirituelle et psychique — parce que tout en vous désirait ce changement et que votre vital voulait bien reconnaître les imperfections, rejeter toute attitude erronée (comme le désir de la seule renommée) et être consacré et parfait. La divinisation de la vie signifie, en fait, un plus grand art de vivre; car l'art de vivre actuel, produit de l'ego et de l'ignorance, est quelque chose de comparativement mesquin, grossier et imparfait (comme les formes inférieures d'art, de musique et de littérature qui sont pourtant plus séduisantes pour le mental et le vital humains ordinaires), et c'est par une ouverture et un raffinement spirituels et psychiques qu'il doit atteindre sa vraie perfection. Il ne peut le faire qu'en se plongeant dans la Lumière et la Flamme du Divin dans lesquelles ses matériaux seront dépouillés de toutes leurs lourdes scories et deviendront le métal vrai.

Malheureusement la résistance existe, une résistance très obscure et obstinée. Cela rend nécessaire un élément négatif dans le yoga, un élément de rejet de ce qui barre la route, et de pression sur ces formes qui sont grossières et inutiles, pour qu'elles disparaissent, sur celles qui sont utiles mais imparfaites

 

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ou ont été perverties pour qu'elles conservent ou retrouvent leur vrai mouvement. Pour le vital cette pression est douloureuse, d'abord parce qu'il est obscur et ne comprend pas, et ensuite parce qu'il y a en lui des parties qui veulent être laissées à leurs mouvements grossiers et ne pas changer. C'est pourquoi l'intervention d'une attitude psychique est si salutaire. Car la confiance du psychique est heureuse, sa compréhension et sa réponse rapides, sa consécration spontanée; il sait que la main du gourou est là pour aider et non pour blesser, ou, comme Râdhâ dans le poème, que tout ce que fait l'Aimé est fait pour mener au Ravissement divin.

En même temps, ce n'est pas par la partie négative du mouvement que vous devez juger le yoga, mais par son côté positif; car la partie négative est temporaire et transitoire et disparaîtra, seule la partie positive compte pour l'idéal et pour l'avenir. Si vous prenez des conditions qui appartiennent au côté négatif et à un mouvement transitoire pour la loi de l'avenir et l'indication du caractère du yoga, vous commettez une sérieuse erreur de jugement, une faute grave. Notre yoga n'est pas un rejet de la vie ou du contact et de l'intimité du Divin avec les sâdhak. Son idéal vise à un contact plus étroit, à une plus grande unité sur le plan physique comme sur les autres plans, à la largeur, la plénitude et la joie de vivre les plus divines.

 

 

Sri Aurobindo n'a aucune remarque¹ à faire sur les commentaires de Huxley avec lesquels il est en complet accord. Mais  

¹Ces remarques ont été dictées par Sri Aurobindo à propos de la phrase "to its heights we can aiways reach" qui apparaît dans le passage suivant de La Vie Divine, cité et commenté par Aldous Huxley dans son livre. Thé Perennial Philosophy (édition 1946, p. 74): "Le contact de la Terre redonne toujours vigueur au fils de la Terre, même quand ce qu'il cherche est une Connaissance supraphysique. On peut même dire que le supraphysique ne peut être réellement conquis en sa plénitude à ses sommets on peut toujours atteindre que si l'on garde les pieds fermement appuyés sur le physique. "Son pied est sur la terre", dit l'Oupanishad chaque fois qu'elle représente par une image le Moi qui se manifeste dans l'univers." (Chapitre II, Partie 1, Édition du Centenaire, Vol. 18, p. 149).

 

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dans la phrase "ces sommets, nous pouvons toujours les atteindre", bien évidemment "nous" ne désigne pas l'humanité en général mais ceux qui ont suffisamment élaboré une vie intérieure spirituelle. Il est probable que Sri Aurobindo pensait à sa propre expérience. Après trois années d'effort spirituel avec de faibles résultats un yogi lui montra la manière de faire taire le mental. Il y réussit complètement en deux ou trois jours en suivant la méthode indiquée. C'était un silence complet de la pensée et des sentiments et de tous les mouvements ordinaires de conscience, excepté la perception et la reconnaissance des objets environnants, sans aucun concept, aucune réaction concomitants. Le sens de l'ego disparut et les mouvements de la vie ordinaire aussi bien que la parole et l'action se poursuivaient par une activité habituelle de la seule Prakriti qu'il ne ressentait pas comme appartenant à luimême. Mais la perception qui restait voyait toutes choses comme totalement irréelles; ce sens de l'irréalité était envahissant et universel. Seule une indéfinissable Réalité était perçue comme vraie, qui était au-delà de l'espace et du temps et sans lien avec aucune activité cosmique, mais que cependant on rencontrait où que l'on se tourne. Cette condition demeura intacte pendant plusieurs mois et même quand le sens de l'irréalité disparut et qu'il y eut un retour de la participation à la conscience du monde, la paix intérieure et la liberté qui résultaient de cette réalisation demeurèrent en permanence derrière tous les mouvements de surface et l'essence de la réalisation elle-même ne fut pas perdue. En même temps une expérience se produisit: quelque chose d'autre que lui-même reprit son activité dynamique, parla et agit à travers lui, mais sans aucune pensée ni initiative personnelles. Ce que c'était demeura inconnu à Sri Aurobindo jusqu'à ce qu'il réalise le côté dynamique du Brahman, l'îshwara, et qu'il se sente mu lui-même par cela dans toute sa sâdhanâ et toute son action. Ces réalisations et d'autres qui lui succédèrent, comme celle du Moi en tout et de tout dans le Moi, du Divin en tout et de tout dans le Divin, sont les sommets auxquels Sri Aurobindo se réfère et auxquels il dit que nous pouvons

 

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toujours atteindre; car ils n'ont présenté pour lui aucune difficulté durable ou obstinée. La seule véritable difficulté qui ne fut complètement surmontée qu'après des dizaines d'années d'effort spirituel fut l'application complète de la conscience spirituelle au monde et à la vie de surface, psychologique et extérieure, et sa transformation à la fois aux niveaux supérieurs de la Nature et aux niveaux inférieurs du mental, du vital et du physique, vers le bas jusqu'au subconscient et à l'Inconscience fondamentale, et vers le haut jusqu'à la Conscience-de-Vérité suprême ou Supramental dans lequel seule la transformation dynamique pourrait être totalement intégrale et absolue.

 

Je ne saisis pas, à travers ces extraits,¹ la vraie nature de la transformation dont il est question ici. Elle semble être quelque chose de mental et de moral avec l'amour de Dieu et une certaine sorte d'union dans la séparation amenée par cet amour divin comme élément spirituel.

L'amour de Dieu et l'union dans la séparation à travers cet amour, et une transformation de la nature par la réalisation de certaines possibilités mentales, éthiques, émotionnelles — peut-être même physiques (car les vishnouïtes parlent d'un nouveau corps chinmayd} est le principe du yoga vishnouïte. Il n'y a donc rien ici qui ne soit déjà présent dans cette voie de mysticisme asiatique qui s'adresse à une Divinité personnelle et met l'accent sur la préexistence étemelle et la survie de l'être individuel. Une ascension spirituelle de la nature Jusqu'à ses plus hautes possibilités fait partie de la discipline tantrique ainsi cela non plus n'est pas absent du yoga indien. L'auteur semble, comme beaucoup d'écrivains européens, ne connaître que l'Illusionnisme et le bouddhisme et les accepter comme la totalité de la sagesse asiatique; mais là même il interprète mal leur idée et leur expérience. Même l'Adwaïta dans ses formes extrêmes ne vise pas à l'extinction

 

¹De La Défense de l'Occident, de Henri Massis.

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de l'existence, à l'acceptation du néant, à la fin de l'être et à la destruction de l'essence. Seule une certaine sorte de bouddhisme nihiliste vise à cela et même dans ce cas, ce Néant, Shoûnya, est décrit par ailleurs comme le Permanent. Le but de ces disciplines est de passer du Temps à l'Éternité, de se dépouiller du fini pour se revêtir de l'Infini, de jeter les liens de l'ego et ses conséquences, désir, souffrance, existence factice, pour vivre dans le vrai Moi. Ces descriptions de l'écrivain chrétien trahissent une ignorance complète de la réalisation qu'il dénigre, son infinité, sa liberté, sa paix souveraine, l'extase du Brahmânanda. C'est une extinction de la personnalité individuelle limitée, mais une libération dans la conscience cosmique et ensuite dans la conscience transcendante — , une extinction de la pensée et de la vie mais une libération dans une conscience, une connaissance, un être illimités. La personnalité s'éteint mais dans quelque chose de plus grand qu'elle, non dans quelque chose de moindre ni dans le "Néant". Si l'on dit que cela nie la vie terrestre, l'idéal chrétien en fait autant, car l'idéal chrétien vise à atteindre une existence céleste au-delà de l'existence terrestre (au-delà de cette unique vie terrestre, car la réincarnation n'est pas admise) qui n'est qu'une vallée de larmes et une épreuve passagère. Il insiste sur la préservation de la personnalité spirituelle, mais le vishnouïsme, le shivaïsme et d'autres idéaux "asiatiques" le font aussi. L'ignorance de l'auteur des différentes facettes de la sagesse asiatique ôte toute valeur à son dénigrement.

Les phrases qui vous ont frappées comme ressemblant superficiellement au moins à notre idéal de transformation sont d'un caractère général et pourraient être adoptées sans hésitation par presque toutes les disciplines spirituelles; même l'Illusionnisme serait prêt à l'inclure comme une étape ou une expérience sur le chemin. Tout dépend du contenu que vous mettez dans les mots, quel changement dans la conscience et la vie ils entendent couvrir. Si la transformation va "du péché à la sainteté" par l'union de l'âme avec Dieu "comme une lumière intellectuelle pleine d'amour" — ce qui en est la description la plus précise de ces extraits — alors ce

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n'est pas du tout identique, mais plutôt très éloigné de ce que j'entends par transformation. Car la transformation à laquelle je vise ne va pas du péché à la sainteté, mais de la nature inférieure de l'Ignorance à la Nature divine de Lumière, de Paix, de Vérité, de Pouvoir divin et de Béatitude au-delà de l'Ignorance. Elle chemine vers un bien suprême existant en soi et laisse derrière elle les conceptions humaines limitées et antagonistes de péché et de vertu; ce n'est pas une lumière intellectuelle qui est le soleil de son aspiration mais une lumière spirituelle supra-intellectuelle supramentale; ce n'est pas la sainteté qui est son sommet mais la conscience divine — ou si vous préférez, une condition d'âme, une condition d'esprit, une condition de moi conscient, une condition divine. Il y a donc entre ces deux sortes ou degrés de transformation une immense différence.

I. "C'est un abandon héroïque où l'âme parvient au sommet de l'activité libre, où la personne se transforme, où ses facultés sont épurées, déifiées par la grâce, sans que son essence soit détruite."

Que veut-il dire par activité libre? Pour nous la liberté consiste à être libéré de l'obscurité, de la limitation, de l'erreur, de la souffrance, du caractère transitoire de la Nature inférieure ignorante, mais aussi en une soumission totale au Divin. L'action libre est l'action du Divin en nous et à travers nous; aucune autre action ne peut être libre. Cela semble être accepté en II et en III; mais cette perception, cette conception est aussi vieille que la connaissance spirituelle elle-même; elle n'est pas particulière au catholicisme. Que veut-il dire aussi par la purification et la déification des facultés par la Grâce? Si c'est une purification éthique, cela ne va pas très loin et n'apporte pas la déification. Et encore, si la déification est limitée par la lumière intellectuelle, ce doit être au mieux une assez piètre affaire. L'antique spiritualité indienne avait un but similaire, mais avec plus d'envergure et une plus grande envolée que cela. Aucune discipline spirituelle ne vise à la purification ou à la déification par la destruction de l'essence — il ne peut rien y avoir de tel, la phrase même est sans

 

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signification et se contredit elle-même. L'essence de l'être est indesctructible. Même la discipline adwaïta la plus rigide ne vise pas à une telle destruction; son objet est la plus pure pureté du moi essentiel. La transformation vise à cette pureté essentielle du pur Esprit, mais elle demande aussi la pureté et la divinité de la Nature suprême; ce n'est pas l'essence de l'être mais les accidents de notre nature imparfaite et non développée qui sont détruits et remplacés par la manifestation de la Nature divine. L'Adwaïta moniste vise à la disparition de l'ego, non de l'essence de la personne; il arrive à cette disparition par identité avec l'Un, par la dissolution de l'ego construit par la Nature dans la réalité du Moi étemel, car cela, dit-il, et non l'ego, est l'essence de la personne — so'ham, tat tvam asi. Dans notre idée de la transformation aussi il y a la destruction de l'ego, sa dissolution dans la conscience cosmique et divine, mais par cette destruction nous recouvrons la personne vraie et spirituelle qui est une portion étemelle du Divin.

II. "La contemplation du chrétien est inséparable de l'état de Grâce¹ et de la vie divine. S'il doit s'anéantir, c'est encore sa personnalité qui triomphe en se laissant arracher à tout ce qui n'est pas elle, en brisant tous les liens qui l'unissent à son individu de chair, afin que le Dieu vivant puisse s'en saisir, l'assumer, l'habiter."

III. "La liberté consiste d'abord à subordonner ce qui est inférieur dans sa nature à ce qui lui est supérieur."

Ces passages peuvent être compris dans le sens indiqué plus haut et comme se rapprochant de notre idéal; mais la confusion ici réside dans l'usage du mot "personnalité". La personnalité est une formation temporaire et la rendre éternelle serait rendre éternelles l'ignorance et la limitation. Le vrai "je" n'est pas l'ego mental ou la personnalité actuelle qui n'est qu'un masque, mais le "je" étemel qui revêt diverses personnalités dans diverses vies. La conception

 

¹La Grâce n'est pas une conception particulière à l'idée spirituelle chrétienne elle est dans le vishnouïsme, le shivaïsme, la religion de la Shakti elle est aussi ancienne que les Oupanishad. (Note de Sri Aurobindo)  

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chrétienne et européenne d'une seule vie sur terre tend à introduire cette erreur en faisant apparaître notre personnalité actuelle comme si elle était la totalité de notre moi.. .Là encore, l'ignorance ne nous lie pas seulement à l'individualité corporelle, mais aussi à l'individualité mentale et à l'individualité vitale. Tous ces liens doivent être brisés, les formes imparfaites du mental et de la vie transcendées, le mental transformé en quelque chose au-delà du mental, la vie en une vie divine, si la transformation doit être réelle et ne pas être seulement un nouveau modelage ou une exaltation des lumières de l'Ignorance.

IV. "Cette solitude de l'âme (de l'ascète asiatique)... n'est pas le vrai loisir spirituel, la solitude active où s'opère la transformation du péché en sainteté par l'union de l'âme avec Dieu dans une lumière intellectuelle toute pleine d'amour."

J'ai déjà commenté cette description de la transformation à effectuer et n'ai qu'une reserve de plus à ajouter. La solitude du moi dans le Divin doit sans aucun doute être active autant que passive et statique; mais nul ne peut avoir l'activité libre et intégrale de la Nature divine supérieure s'il n'est pas arrivé au silence et à la solitude immobile du Moi étemel. Car l'action se fonde sur le silence et par le silence elle est libre.

V. "...la vie chrétienne — mystique, progressive — qui est un enrichissement, un élargissement de la personne humaine."

Cela n'est pas notre idée de la transformation — car la personne humaine est l'être mental limité par la vie et le corps. Son enrichissement et son élargissement ne peuvent aller au-delà de l'extrême limite de cette formule, elle ne peut qu'élargir et orner sa pauvreté et son étroitesse présentes. Elle ne peut s'élever hors de l'ignorance mentale dans une Vérité et une Lumière plus grandes ni faire descendre cela avec une quelconque plénitude dans la nature terrestre, ce qui est le but de la transformation telle que nous la concevons.

VI. "Pour l'asiatique la personnalité est la chute de l'homme; pour le chrétien, c'est le dessein même de Dieu, le principe de l'union, le sommet naturel de la création, qu'il

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appelle tout entière à la Grâce."

La personnalité de cette vie unique en l'homme est une formation dans l'ignorance, donc une chute; elle ne peut être le sommet de l'être. Nous n'admettons pas non plus qu'elle soit le sommet de la création naturelle, mais nous disons qu'il y a des sommets plus hauts que nous devons gravir et dont nous devons révéler les pouvoirs dans la nature terrestre. La création naturelle est une évolution, dans la Nature qui est d'abord limitée et déguisée par l'Ignorance, de la Conscience divine cachée. Elle doit encore se hisser hors de l'Ignorance — et par conséquent aller au-delà de la personne humaine dans la personne divine. C'est dans cette évolution spirituelle que le Plan divin ("dessein de Dieu"¹) manifeste sa ligne centrale et significative et appelle toute la création au couronnement de la Grâce.

Vous voyez par conséquent que la ressemblance de la transformation dont il est question ici avec notre idéal est purement de surface, dans les mots, mais non dans le contenu des mots qui est beaucoup plus étroit et d'un ordre différent. Dans la mesure où il y a accord et coïncidence, c'est parce que ce qu'ils contiennent est commun (une certaine conversion de la conscience) à toutes les disciplines spirituelles; car toutes, en Orient comme en Occident, ont un noyau commun d'expérience — c'est dans leurs développements, leur portée, leur orientation vers l'un ou l'autre aspect ou encore leur volonté vers la totalité de la Vérité qu'elles diffèrent.

 

Il n'y a pas de lien entre la conception chrétienne (du Royaume des Cieux) et l'idée de la descente supramentale. La conception chrétienne suppose un état de choses amené par l'émotion religieuse et la purification morale; mais ces choses ne sont pas plus capables de changer le monde, quelque valeur qu'elles puissent avoir pour l'individu, que l'idéalisme mental ou tout autre pouvoir auquel il a été jusqu'à présent

 

¹En français dans le texte.

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fait appel à cette fin. Le chrétien propose de substituer l'ego religieux sattwique à l'ego radjasique et tamasique, mais bien que cette substitution puisse être accomplie par l'individu, elle n'a jamais réussi et ne réussira jamais à s'accomplir dans la masse. Elle n'a derrière elle aucune connaissance supérieure, spirituelle ou psychologique, et ignore les bases du caractère humain et la source de la difficulté — la dualité du mental, de la vie et du corps. À moins d'une descente d'un nouveau Pouvoir de Conscience, non sujet aux dualités mais encore dynamique, qui apportera une fondation nouvelle et une élévation du centre de conscience au-dessus du mental, le Royaume de Dieu sur terre ne peut être qu'un idéal, non un fait réalisé d'une manière générale dans la conscience terrestre et dans la vie terrestre.  

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RELIGION, MORALE, IDÉALISME ET YOGA

La vie spirituelle (adhyâtma-jîvana), la vie religieuse (dharma-jîvana) et la vie humaine ordinaire, dont fait partie la morale, sont trois choses très différentes; il faut savoir laquelle on désire et ne pas confondre les trois. La vie ordinaire est celle de la conscience humaine moyenne séparée de son vrai Moi et du Divin et régie par les habitudes courantes du mental, de la vie et du corps qui sont les lois de l'ignorance. La vie religieuse est un mouvement de la même conscience humaine ignorante qui se détourne ou essaie de se détourner de la terre pour se diriger vers le Divin, mais sans avoir encore la connaissance, et qui est menée par les édits et les règles dogmatiques d'une secte ou d'une croyance qui prétend avoir trouvé la voie hors des liens de la conscience terrestre vers quelque Au-Delà béatifique. La vie religieuse peut être une première approche de la vie spirituelle, mais très souvent elle se borne à tourner sans aucune issue dans une ronde de rites, de cérémonies et de pratiques ou d'idées et de formes fixes. La vie spirituelle, au contraire, procède directement par un changement de conscience, un changement de la conscience ordinaire, ignorante et séparée de son vrai moi et de Dieu, en une conscience plus grande dans laquelle on trouve son vrai moi; d'abord on vient en contact direct et vivant avec le Divin et ensuite on s'unit à lui. Pour le chercheur spirituel ce changement de conscience est la seule chose qu'il cherche et rien d'autre n'a d'importance.

La morale est une partie de la vie ordinaire; elle tente de gouverner la conduite extérieure par certaines règles mentales ou de former, par ces règles, le caractère à l'image d'un certain idéal mental. La vie spirituelle va au-delà du mental; elle entre dans la conscience plus profonde de l'Esprit et agit mue par la vérité de l'Esprit. En ce qui concerne la vie éthique et la nécessité de réaliser Dieu, cela dépend de ce qu'on considère comme l'accomplissement des objectifs de la vie. Si une ouverture à la vie spirituelle en fait partie, alors

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la morale seule ne vous la donnera pas.

La politique en tant que telle n'a rien à voir avec la vie spirituelle. Si l'homme spirituel fait quelque chose pour son pays, c'est afin d'accomplir la volonté du Divin et en tant que partie d'un travail assigné divinement, et non pour aucun autre motif humain courant. Dans aucun de ses actes il ne procède des motifs courants du mental et du vital qui font agir les hommes ordinaires, mais il est mû par la vérité de l'Esprit et par un commandement intérieur dont il connaît la source.

Le genre de culte (poûdja) dont il est question dans la lettre appartient à la vie religieuse. Il peut, s'il est fait correctement dans l'esprit religieux le plus profond, préparer dans une certaine mesure le mental et le cœur, mais pas plus. Mais si le culte est célébré comme une partie de la méditation ou avec une véritable aspiration vers la réalité spirituelle et la conscience spirituelle, avec l'ardent désir du contact et de l'union avec le Divin, alors il peut être spirituellement efficace.

Si, dans votre cœur et dans votre âme, vous aspirez sincèrement au changement spirituel, alors vous trouverez la voie et le Guide. Une recherche et une interrogation purement mentales ne suffisent pas à ouvrir les portes de l'Esprit.

 

 

Il est évident que chercher le Divin uniquement pour ce que l'on peut obtenir de Lui n'est pas l'attitude juste ; mais s'il était absolument interdit de Le rechercher pour cela, la plupart des gens dans le monde ne se tourneraient pas vers Lui du tout. Je suppose donc que c'est autorisé pour qu'ils puissent faire le premier pas — s'ils ont la foi, il est possible qu'ils reçoivent ce qu'ils demandent, qu'ils pensent que c'est une bonne chose de continuer, et puis un jour l'idée leur vient que ce n'est après tout pas vraiment la seule chose à faire et qu'il y a de meilleurs moyens et un meilleur esprit pour approcher le Divin. S'ils n'en reçoivent pas ce qu'ils veulent et se tournent quand

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même vers le Divin et Lui font confiance, alors cela prouve qu'ils commencent à être prêts. Considérons cela comme une sorte d'école maternelle pour ceux qui ne sont pas prêts. Mais ce n'est évidemment pas la vie spirituelle, ce n'est qu'une sorte d'approche religieuse élémentaire. Car dans la vie spirituelle la règle est de donner et non d'exiger. Le sâdhak peut cependant demander à la Force divine de l'aider à préserver sa santé ou à la rétablir, s'il le fait comme une partie de sa sâdhanâ, pour que son corps soit puissant et prêt pour la vie spirituelle et qu'il soit un instrument approprié de l'Œuvre divine.

 

 

C'est exact, les religions modifient tout au plus la surface de la nature. En outre, elles dégénèrent très vite en une routine habituelle de cultes, de cérémonies et de dogmes fixes.

 

 

Je n'ai pas la même opinion que J sur la religion hindoue. La religion est toujours imparfaite parce que c'est un mélange de la spiritualité de l'homme et de ses efforts pour sublimer de façon ignorante sa nature inférieure. La religion hindoue me fait penser à un grand temple à demi ruiné, noble dans sa masse, souvent fantastique dans le détail — mais fantastique avec une signification — croulant ou complètement dégradé par endroits, mais un grand temple dans lequel le culte est toujours rendu à l'Invisible dont la présence réelle peut être ressentie par ceux qui y pénètrent avec l'attitude juste. La structure sociale extérieure qu'elle a construite pour s'en approcher est une autre affaire.

 

 

Je considère l'histoire spirituelle de l'humanité et spécialement celle de l'Inde comme le développement constant d'un dessein divin, non comme un livre qui est achevé et dont les

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lignes doivent être constamment répétées. Même les Oupanishad et la Guîtâ n'étaient pas définitives, bien que tout s'y trouve en germe. L'histoire spirituelle récente de l'Inde est un stade très important de ce développement et les noms que j'ai mentionnés tenaient une place remarquable dans ma pensée à l'époque — ils me semblaient indiquer les voies selon lesquelles le développement spirituel futur devait le plus directement se poursuivre, non pas pour s'arrêter mais pour aller au-delà. Loin de moi l'intention de propager quelque religion, nouvelle ou ancienne, pour l'avenir de l'humanité. Il ne s'agit pas de fonder une religion, mais d'ouvrir une voie qui est encore bloquée.

 

Si cette déclaration¹ signifie que la forme de la religion est quelque chose de permanent et d'immuable, alors elle est inacceptable. Mais si par religion on entend ici la manière qu'a chacun de communiquer avec le Divin, alors il est vrai que c'est quelque chose qui appartient à l'être intérieur et ne peut être changé comme une maison ou un vêtement par convenance personnelle, sociale ou matérielle. Si un changement doit être fait, ce ne peut être que pour une raison spirituelle intérieure, à cause d'une évolution intérieure. Personne ne peut être lié à une forme de religion, à une croyance, à un système particulier, mais s'il échange celui qu'il a accepté contre un autre pour des raisons extérieures, cela signifie qu'il n'a pas de religion du tout et que l'ancienne comme la nouvelle ne sont que des formules vides. C'est au fond, je suppose, ce que signifie cette déclaration. L'objection faite ici

 

¹Ces commentaires portent sur la déclaration suivante du Mahatma Gandhi à propos de l'opinion du Dr Ambedkar sur les changements de religion : "Mais la religion n'est pas comme un vêtement ou une maison dont on peut changer à volonté. C'est une partie intégrante de soi plus que le corps. La religion est ce qui lie quelqu'un à son créateur, et alors que le corps disparaît comme il doit le faire, la religion persiste même après sa disparition."

 

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aux motifs invoqués pour recommander le changement ne porte pas sur une préférence pour une voie différente vers la Vérité, ni sur le désir intérieur de s'exprimer spirituellement — le but proposé est un rehaussement du statut social et de la considération qui n'est pas plus un motif spirituel qu'une conversion pour une raison d'argent ou de mariage. Si un homme n'a aucune religion en lui, il peut changer son credo pour n'importe quelle raison; s'il en a une, il ne le peut pas; il ne peut le changer qu'en réponse à un besoin spirituel intérieur. Si un homme a une bhakti pour le Divin sous la forme de Krishna, il ne peut guère dire: "Je vais mettre Krishna au rebut et le remplacer par le Christ, pour devenir socialement plus respectable. "

 

 

Le vaïrâgya est certainement une voie pour progresser vers le but — la voie traditionnelle, et une voie radicale pour douloureuse qu'elle soit. Perdre le désir des plaisirs du vital humain, perdre la passion des succès littéraires ou autres, des louanges, de la renommée, perdre même la volonté du succès spirituel, le bhôga intérieur du yoga, ces choses ont toujours été reconnues comme des pas vers le but — pourvu que le Divin reste l'essentiel. Pour ma part je préfère le calme chemin de l'égalité, la voie montrée par Krishna, plutôt que celle, plus pénible, du vaïrâgya. Mais si la nature ou l'être intérieur, forçant la voie par ce moyen à travers les difficultés, obligent à marcher de cette manière, elle doit être reconnue comme valable. Ce qu'il faut éliminer dans ce cas, c'est la note de désespoir dans le vital qui correspond au cri dont vous parlez — qu'il n'atteindra jamais le Divin parce qu'il n'a pas encore le Divin ou qu'il n'y a eu aucun progrès. Il y a certainement eu un progrès, cette plus grande poussée du psychique, ce détachement même, croissant quelque part en vous. Le tout est de tenir bon, de ne pas couper la corde qui vous hisse parce qu'elle vous blesse les mains; de garder cette unique volonté si toutes les autres se détachent de vous.

Il est évident que quelque chose en vous, poursuivant la

 

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courbe inachevée d'une vie antérieure, vous pousse sur le sentier du signifie et sur la voie plus orageuse encore de la bhakti — malgré notre préférence, qui est aussi la vôtre, pour un chemin moins douloureux — quelque chose qui est déterminé à traiter radicalement la nature extérieure afin de se libérer pour accomplir son aspiration secrète. Mais n'écoutez pas ces suggestions de la voix qui dit: "Vous ne réussirez pas et il est inutile d'essayer." Il n'est jamais nécessaire de dire cela sur le Chemin de l'Esprit, quelque difficile qu'il paraisse dans l'instant. Gardez à travers tout l'aspiration que vous exprimez d'une manière si belle dans vos poèmes; car elle est certainement là et sort des profondeurs, et si elle est une cause de souffrance — comme toutes les grandes aspirations, dans un monde et une nature où tant de choses s'opposent à elle — c'est aussi la promesse et la certitude de l'émergence et de la victoire dans l'avenir.

 

J'ai soulevé autrefois des objections à l'égard du signifie de type ascétique et de type tamasique. Par type signifie j'entends l'esprit qui vient vaincu par la vie, non parce qu'il est vraiment dégoûté de la vie, mais parce qu'il n'a pas pu s'en arranger ni en conquérir les récompenses; car il vient au yoga comme à une sorte d'asile pour les infirmes ou les faibles et au Divin comme à un prix de consolation pour les cancres de la classe du monde. Le signifie de celui qui a goûté aux présents ou aux récompenses mais les a trouvés insuffisants ou finalement insipides et s'en détourne pour aller vers un idéal plus grand et plus beau, ou le signifie de celui qui a joué son rôle dans les batailles de la vie mais qui a vu que quelque chose de plus grand est exigé de l'âme, est une aide parfaite et une bonne porte d'entrée au yoga. De même le signifie sattwique qui a appris ce qu'est la vie et se tourne vers ce qui est au-dessus de la vie et derrière elle. Par vaïrâgya ascétique j'entends celui qui nie entièrement la vie et le monde et veut disparaître dans l'Indéfinissable — je m'y oppose chez ceux qui

 

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viennent à mon yoga parce qu'il est incompatible avec mon but qui est d'amener le Divin dans la vie. Mais si on se satisfait de la vie comme elle est, alors il n'y a pas de raison de chercher à amener le Divin dans la vie — donc le vaïrâgya, pris dans le sens d'une insatisfaction à l'égard de la vie telle qu'elle est, est parfaitement admissible, et même dans un certain sens indispensable pour mon yoga.

 

Je reconnais volontiers l'utilité d'un état temporaire de vaïrâgya comme antidote à une trop forte attirance du vital. Mais le vaïrâgya tend toujours à éloigner de la vie et l'élément signifie du vaïrâgya désespoir, dépression etc. — dilapide le feu de l'être et peut dans certains cas conduire à tomber entre deux chaises, de sorte qu'on perd la terre tout en ratant le ciel. C'est pourquoi je préfère remplacer le vaïrâgya par un rejet ferme et tranquille de ce qui doit être rejeté — sexe, vanité, égocentrisme, attachement, etc. — mais cela n'inclut pas le rejet des activités et des pouvoirs qui peuvent être transformés en instruments de la signifie et de l'œuvre divine, comme l'art, la musique, la poésie, etc., bien que cela doive trouver une base nouvelle, spirituelle et psychique, une inspiration plus profonde, une tendance vers le Divin ou les choses divines. Le yoga peut être fait sans rejeter la vie, sans tuer ni amoindrir la joie de la vie ou la force vitale.

 

 

Non, je n'ai pas dit que vous aviez choisi le vaïrâgya radjasique ou tamasique, j'ai seulement expliqué comment c'est arrivé, de soi-même, comme un résultat du mouvement du vital, au lieu du vaïrâgya signifie qui est censé précéder, provoquer, accompagner un mouvement qui fait se détourner du monde pour rechercher le Divin, ou qui en résulte. Le vaïrâgya tamasique vient du recul du vital lorsqu'il sent qu'il doit abandonner la joie de la vie et qu'il devient apathique et

 

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triste; le vaïrâgya radjasique vient quand le vital commence à perdre la joie de la vie mais se plaint qu'il ne reçoit rien en échange. Personne ne choisit ces mouvements; ils viennent indépendamment du mental comme des réactions habituelles de la nature humaine. Refuser ces choses par le détachement, par une aspiration croissante et tranquille, une pure bhakti, une consécration ardente au Divin, c'est ce que j'ai suggéré comme étant le vrai mouvement vers l'avant.

 

 

Il y a le vaïrâgya sattwique — mais beaucoup de gens ont un vaïrâgya de type radjasique ou tamasique. Le radjasique est porté par une révolte contre les conditions de sa propre vie, le tamasique naît de l'insatisfaction, de la déception, d'un sentiment d'incapacité à réussir ou à faire face à la vie, d'un écrasement sous les emprises et les douleurs de la vie. Ces deux types de vaïrâgya amènent un sens de la vanité de l'existence, un désir de chercher quelque chose de moins misérable, de plus sûr et de plus heureux, ou encore de rechercher une libération de l'existence ici-bas, mais ils n'apportent pas immédiatement une aspiration lumineuse ou une aspiration pure accompagnée de paix et de joie à l'égard de l'accomplissement spirituel.

 

 

Le passage par sattwa est l'idée ordinaire du yoga, c'est la préparation et la purification par le yama-niyama de Patanjali ou par d'autres moyens dans d'autres yoga, par exemple, la sainteté dans les écoles de bhakti, l'octuple sentier du bouddhisme, etc., etc. Dans notre yoga l'évolution par signifie est remplacée par la culture de l'équanimité, samatâ, et par la transformation psychique.

 

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C'est évident, les mouvements radjasiques tendent à créer plus de désordre dans la sâdhanâ que les mouvements sattwiques. La grande difficulté de l'homme sattwique est le piège de la vertu et de la dévotion ostentatoire, les liens de la philanthropie, les idéalisations mentales, les affections familiales, etc., mais sauf la première, ces choses, bien que difficiles à surmonter ou encore à transformer, ne le sont pourtant pas tellement. Quelquefois, cependant, elles sont aussi opiniâtres que les difficultés signifie

 

Le sannyâsa ne retire pas l'attachement — il consiste seulement à s'enfuir devant l'objet de l'attachement, ce qui peut aider mais ne peut être en soi une cure radicale.

 

C'est un sentiment (l'absence d'importance des choses dans le Temps) que les disciplines ascétiques emploient quelquefois pour débarrasser de l'attachement au monde — mais cela n'est pas bon pour un but spirituel positif ou dynamique.

 

 

Le principe de vie que je cherche à établir est spirituel. La morale est une affaire de mental et de vital humains, elle appartient à un plan inférieur de conscience. Une vie spirituelle ne peut donc se fonder sur une base morale, elle doit être fondée sur une base spirituelle. Cela ne signifie pas que l'homme spirituel doit être immoral — comme s'il n'y avait pas d'autre loi de conduite que la loi morale. La loi d'action de la conscience spirituelle est supérieure, non inférieure à la morale — elle se fonde sur l'union avec le Divin et sur la vie dans la Conscience divine, et son action se fonde sur l'obéissance à la Volonté divine.

 

 

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Les croyances dont vous parlez en ce qui concerne le bien et le mal, la beauté et la laideur, etc., sont nécessaires à l'être humain et à la conduite de sa vie. Il ne peut agir sans les distinctions qu'elles entraînent. Mais dans une conscience supérieure, quand il entre dans la Lumière ou est touché par elle, ces distinctions disparaissent, car il approche alors du bon et du bien éternel et infini qu'il atteint parfaitement quand il est capable d'entrer dans la Conscience-de-Vérité ou supramental. La croyance en la direction de Dieu se justifie aussi par l'expérience spirituelle et est très nécessaire à la sâdhanâ; elle aussi s'élève à sa vérité la plus haute et la plus complète quand on entre dans la Lumière.

Ce que vous dites de la prière est exact. C'est la plus haute sorte de prière, mais l'autre (c.à.d. la prière plus personnelle) est acceptable et même désirable. Toute prière offerte de la manière juste nous rapproche du Divin et établit la relation juste avec Lui.

Les obstacles dont vous parlez sont les obstacles ordinaires de la sâdhanâ, soulevés par certaines parties de l'être, spécialement par les troubles du vital et l'inertie physique, mouvements qui doivent être graduellement éliminés de la conscience.

 

Je suppose que chacun organise ou essaie d'organiser sa propre vie parmi la masse de possibilités que les forces lui présentent. Le Moi (le moi physique) et la famille sont la construction qu'ils font pour la plupart — gagner de l'argent, créer une famille et l'entretenir, travailler dans la carrière que l'on choisit, dans les affaires, les professions libérales, etc... ou y obtenir une situation. Une minorité y ajoute habituellement la patrie et l'humanité. Quelques-uns s'adonnent à un idéal et le poursuivent en en faisant la raison majeure de leur vie. Seuls les hommes très religieux essaient de faire de Dieu le centre de leur vie — cela aussi plutôt imparfaitement, sauf quelques-uns. Aucune de ces choses n'apporte de sécurité ou

 

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de certitude, même la dernière qui n'en apporte que si elle est poursuivie d'une manière absolue dont très peu sont capables. La vie de l'Ignorance est un jeu de forces à travers lequel l'homme cherche sa voie et tout dépend de sa croissance à travers l'expérience jusqu'au moment où il peut en sortir pour entrer dans autre chose. Cet autre chose est en fait une nouvelle conscience — une nouvelle conscience au-delà de la vie terrestre ou une nouvelle conscience dans la vie terrestre.

 

 

Famille, société, patrie sont un ego plus large — ce n'est pas le Divin. On ne peut travailler pour elles et dire que l'on travaille pour le Divin que si l'on est conscient de l'âdesha divin qui ordonne de travailler pour cela, ou de la Force divine qui travaille en soi. Autrement ce n'est qu'une idée du mental qui identifie la patrie, etc., au Divin.

 

 

Tout dépend du but que vous vous fixez. Si, pour la réalisation de la vie spirituelle, il est nécessaire de renoncer à la vie ordinaire de l'ignorance (samsara), il faut le faire; l'exigence de la vie ordinaire ne peut s'opposer à celle de l'esprit.

Si le seul yoga des œuvres est choisi comme sentier, alors il faut rester dans le qu, mais librement, comme champ d'action et sans aucun sens d'obligation; car le yogi doit être libre intérieurement de tous liens et attachements. Par ailleurs, il n'est pas nécessaire de mener une vie familiale; on peut la quitter et prendre n'importe quel travail comme champ d'action.

Dans le yoga pratiqué ici, le but est de s'élever à une conscience plus haute et de ne vivre que pour la conscience supérieure, sans les mobiles ordinaires. Cela implique un changement de vie autant qu'un changement de conscience. Mais tous ne sont pas dans des circonstances telles qu'ils

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puissent couper les amarres de la vie ordinaire; ils l'acceptent donc comme un champ d'expérience et d'entraînement dans les premiers stades de la sâdhanâ. Mais ils doivent prendre soin de ne la considérer que comme un champ d'expérience et de se libérer des désirs, des attachements et des idées qui l'accompagnent habituellement; autrement, elle devient un boulet au pied et une entrave à leur sâdhanâ. Quand on n'y est pas obligé par les circonstances il n'est pas nécessaire de poursuivre la vie ordinaire.

On ne devient tamasique en quittant les actions tamasiques et la vie que si le vital est tellement habitué à tirer les mobiles de son énergie de la conscience ordinaire et de ses désirs et activités qu'en les perdant, il perd toute la joie, le charme et l'énergie de l'existence. Mais si on a un but spirituel et une vie intérieure et que la partie vitale les accepte, alors elle tire ses énergies de l'intérieur et il n'y a pas de danger de devenir tamasique.

 

 

Il n'est pas absolument nécessaire d'abandonner la vie ordinaire pour rechercher la Lumière ou pratiquer le yoga. C'est ce que font habituellement ceux qui veulent faire une coupure franche, vivre une vie purement religieuse ou exclusivement intérieure et spirituelle, renoncer entièrement au monde et abandonner l'existence cosmique par la cessation de la naissance humaine et en passant dans quelque état supérieur ou dans la Réalité transcendante. Autrement, ce n'est nécessaire que quand la pression intérieure devient si grande que la poursuite de la vie ordinaire n'est plus compatible avec la poursuite de l'objectif spirituel dominant. Jusque-là, il n'est besoin que d'un pouvoir de pratiquer un isolement intérieur, une capacité de se retirer en soi-même et de se concentrer à tout moment sur le dessein spirituel nécessaire. Il doit aussi y avoir un pouvoir de s'occuper de la vie extérieure ordinaire à partir d'une nouvelle attitude intérieure et il est alors possible de faire des événements de

 

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cette vie même un moyen du changement intérieur de la nature et de la croissance de l'expérience spirituelle.

 

 

Il n'est pas possible de dire si votre amie peut venir ici, car cela dépend de beaucoup de choses qui n'apparaissent pas clairement ici. D'abord on doit s'engage dans ce Sentier ou il doit être évident qu'on y est appelé, ensuite se pose la question de savoir si on est fait pour la vie de l'Ashram. On peut répondre à la question des devoirs de famille de la façon suivante: les devoirs familiaux existent tant qu'on est dams la conscience ordinaire du grihastha; si la vie spirituelle appelle, s'y tenir ou non dépend en partie de la voie de yoga que l'on suit, en partie de la propre nécessité spirituelle de chacun. Beaucoup poursuivent intérieurement la vie spirituelle tout en préservant les devoirs de famille, non comme des devoirs sociaux mais comme un domaine de pratique du Karma-yoga, d'autres abandonnent tout pour suivre l'appel ou le chemin spirituel, et ils ont raison si c'est nécessaire pour " le yoga qu'ils pratiquent, ou si c'est une exigence impérative de l'âme en eux.

 

 

Je ne me souviens pas du contexte; mais je suppose qu'il veut dire que quand on doit échapper au dharma i inférieur, on est souvent obligé d'y renoncer pour arriver à un dharma plus vaste, par exemple, devoirs sociaux, payer ses dettes, prendre soin de sa famille, aider à servir son pays, etc., etc. L'homme qui se tourne vers la vie spirituelle doit souvent laisser tout cela derrière lui et beaucoup de gens lui reprochent son adharma. Mais s'il ne fait pas cet expérience, il est lié pour toujours à la vie inférieure — car il y a toujours quelque devoir à accomplir — et il ne peut s'adonner au dharma spirituel, ou ne peut le faire que quand il est vieux et que ; ses facultés sont amoindries.

 

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Vous pouvez lui demander sa photographie cela peut aider à voir quel genre de nature il a. Mais il n'est pas nécessaire de se donner du mal pour le persuader: d'après sa lettre il n'a pas l'air prêt du tout pour la vie spirituelle. Son idée de la vie semble actuellement plutôt morale et philanthropique que spirituelle; et derrière il y a l'attachement à la vie de famille. Si l'impulsion à rechercher le Divin dont il parle est plus qu'une tendance mentale suggérée par une vague émotion, s'il y a vraiment dedans quelque chose de psychique, cela sortira en son temps; il n'est pas nécessaire de le stimuler, et une stimulation prématurée peut le pousser dans une voie pour laquelle il n'est pas encore prêt.

 

 

Le véritable but du yoga n'est pas la philanthropie; c'est de trouver le Divin, d'entrer dans la conscience divine, et de trouver dans le Divin son être vrai — qui n'est pas l'ego.

Damana ne peut pas triompher des ripou.¹ Même s'il y parvient jusqu'à un certain point, il ne fait que les empêcher de s'élever, il ne les détruit pas; souvent même cette oppression ne fait qu'en accroître la force. Cela ne peut se réaliser que lorsque la purification par la Conscience divine pénètre dans la nature égoïste et la transforme.

Il ne pourra réussir que s'il se donne du profond de lui-même et s'il persévère rigoureusement sur la Voie².

 

 

L'idée d'être utile à l'humanité est une vieille confusion née d'idées de seconde main importées d'Occident. Il est évident que pour être utile à l'humanité on n'a pas besoin du yoga: tous ceux qui mènent la vie humaine sont utiles à l'humanité d'une manière ou d'une autre.

Le yoga est orienté vers le Divin, non vers l'homme. Si une

 

¹Ripou : les ennemis; damana : répression.

²Nouvelles Lumières sur le Yoga, chapitre 1.

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conscience et un pouvoir divins et apparaissent pouvaient être amenés ici-bas et établis dans le monde matériel, cela entraînerait évidemment un changement immense sur la terre, y compris dans l'humanité et la vie. Mais l'effet sur l'humanité ne serait que l'un des résultats du changement; il ne peut être l'objet de la apparaissent L'objet de la apparaissent ne peut être que de vivre dans la conscience divine et de la manifester dans la vie.

 

 

Ce que j'avance dans ce passage sur Vivékânanda, ne me parait pas humanitaire. Vous verrez j'insiste sur les dernières phrases de la page de Vivékânanda que je cite,¹ non sur les paroles concernant Dieu le pauvre, le pécheur et le criminel. Mon point porte sur le Divin dans le monde, le Tout, sarva-bhoûtâni de la Guîtâ. Ce n'est pas seulement l'humanité, moins encore les pauvres et les méchants seuls; même les riches ou les bons font sûrement partie du Tout, et aussi ceux qui ne sont ni méchants, ni bons, ni pauvres, ni riches. Il n'est pas non plus question (je veux dire dans mes propres remarques) de service philanthropique; donc pas non plus de daridrera sévâ. J'avais autrefois, non une vision humanitaire, mais une vision de l'humanité — et il en reste peut-être quelque chose dans mes articles de l'Ârya. Mais j'avais déjà changé mon point de vue de "notre yoga pour l'humanité" en

 

¹"J'ai perdu tout désir de mon salut, puisse-je naître encore et encore, et souffrir des milliers de misères afin de pouvoir adorer le seul Dieu qui existe, le seul Dieu en qui je crois: la somme totale de toutes les âmes — et par-dessus tout, -mon Dieu le mauvais, mon Dieu le misérable, mon Dieu le pauvre de toutes les races et de toutes les espèces, car tel est l'objet spécial de mon adoration. Lui qui est haut et qui est bas, qui est saint et pécheur, dieu et larve, adore-Le, Lui, le visible, le connaissable, le réel, l'omniprésent brise toutes les autres idoles. Celui en qui il n'est ni vie passée, ni naissance future, ni mort, ni va, ni vient. Celui en qui nous avons toujours été un et serons toujours un, adore-Le, Lui brise toutes les autres idoles." (Extrait d'une lettre de Vivékânanda citée par Sri Aurobindo dans la Synthèse du Yoga, chapitre XII.)

 

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"notre yoga pour le Divin". Le Divin inclut non seulement le supracosmique mais le cosmique et l'individuel — non seulement le Nirvana ou l'Au-delà mais la Vie et le Tout. C'est là-dessus que j'insiste partout.

 

 

Je ne me souviens pas de ce que j'ai dit à propos de Vivékânanda. Si j'ai dit que c'était un grand védântiste, c'est tout à fait vrai. Il ne s'ensuit pas que tout ce qu'il a dit ou fait doive être accepté comme la vérité la plus haute ou la meilleure. Son idéal du sévâ était un besoin de sa nature et a dû l'aider — il ne s'ensuit pas qu'il doive être accepté comme une nécessité spirituelle ou un idéal universel. Qu'il ait été ou non le porte-parole de Râmakrishna en le proclamant, je ne puis en décider. Il semble certain que Râmakrishna s'attendait à ce qu'il soit un grand pouvoir pour faire prendre une orientation spirituelle à la mentalité du monde, et on peut supposer que la mission a été confiée au disciple par le Maître. Les détails de son action sont une autre affaire. Quant au sentiment d'avancer comme un aveugle, il vient facilement quand on est poussé à une action plus large par un pouvoir plus grand que son propre mental; car le mental ne comprend pas intellectuellement tout ce qu'il est poussé à faire et peut avoir ses moments de doute ou d'étonnement à ce sujet — et cependant il est obligé de continuer. La réalisation védântique (Adwaïta) est la réalisation du statique silencieux ou Brahman absolu — on peut l'avoir sans pour autant avoir la même clarté absolue et indubitable quant à la signification de sa propre action — car sur sa propre action l'adwaïtin voit toujours s'étendre l'ombre de Maya.

 

Aujourd'hui un Himalaya de correspondance m'est tombé sur la tête, si bien que je n'ai pas pu écrire sur l'Humanité et

 

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son progrès. Les dernières opinions de Lowes Dickinson n'ont-elles pas été assombries par un accès maladif d'idéalisme déçu? Je n'ai pas moi-même un respect exagéré de l'Humanité et de ce qu'elle est — mais dire qu'elle n'a fait aucun progrès est un pessimisme aussi exagéré que l'optimisme des hallelujas ravis adressés par le dix-neuvième siècle à l'humanité en progrès. Je m'arrangerai pour lire le chapitre que vous m'avez envoyé, bien que le fait que je m'arrange pour trouver le temps de tout faire soit un miracle constant et une preuve insigne de la Divine Providence.

Oui, les progrès que vous faites sont authentiques, les signes en sont reconnaissables. Et après tout, la meilleure manière de faire progresser l'Humanité est d'avancer soi-même — cela peut paraître soit individualiste, soit égoïste, mais ça ne l'est pas: c'est du simple bon sens. Comme dit la Guîtâ: "Ce que font les meilleurs est pris pour modèle par le reste"¹

Il y a toujours des parties non régénérées qui tirent les gens en arrière; qui n'est pas divisé? Mais il vaut mieux placer sa confiance en l'âme, l'étincelle du Divin au-dedans, et la couver jusqu'à ce qu'elle monte en une flamme suffisante.

 

 

Il est inutile de cultiver ces sentiments. Il faut voir le monde comme il est sans devenir amer; car l'amertume vient de l'ego et de ses espérances déçues. Si on veut la victoire du Divin, il faut d'abord l'accomplir en soi-même.

 

 

La première nécessité pour le sâdhak est de se concentrer sur sa propre croissance et sa propre expérience spirituelles — l'ardeur à aider les autres éloigne du travail intérieur. Croître dans l'esprit est la plus grande aide qui puisse être apportée

 

¹Yadyadâtcharati shréshthastattadévétarô janah.

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aux autres, car alors quelque chose qui les aide se déverse naturellement sur eux.

 

 

Toute cette insistance sur l'action est absurde si l'on n'a pas la lumière qu'il faut pour agir. "Le yoga doit inclure la vie et non l'exclure", ne signifie pas que nous soyons forcés d'accepter la vie telle qu'elle est avec toute son ignorance maladroite et sa misère, ni la confusion obscure de la volonté et de la raison humaines, ni les impulsions et les instincts qu'elles expriment. Les avocats de l'action s'imaginent que l'intellect et l'énergie humaine en se précipitant toujours à nouveau peuvent tout arranger. L'état actuel du monde, après le développement de l'intellect et une formidable dépense d'énergie sans parallèle dans l'histoire, est une preuve évidente de l'illusion creuse qui les fait œuvrer. Le yoga affirme que c'est seulement par un changement de conscience que la vraie base de la vie peut être découverte; du dedans vers le dehors, telle est en vérité la loi. Mais dedans ne signifie pas un quart de centimètre derrière la surface. Il faut aller tout au fond et trouver l'âme, le Moi, la Réalité divine au-dedans de nous, et c'est alors seulement que la vie peut devenir une expression vraie de ce que nous sommes au lieu d'exprimer l'aveugle brouillage confus et toujours répété de cette chose inadéquate et imparfaite que nous fûmes. Il s'agit de choisir entre rester dans le vieux méli-mélo et tâtonner ça et là dans l'espoir de tomber un jour sur quelque découverte, ou de se tenir en retrait et de chercher la Lumière intérieure jusqu'à ce que nous ayons découvert la Divinité et que nous puissions la construire au-dedans de nous et au-dehors.

 

Je n'ai jamais beaucoup compté que la conversion de X au yoga prendrait le pas sur son activisme, il a deux liens très forts qui l'en empêchent — dans le vital, l'ambition et le besoinin

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d'agir et de diriger, et dans le mental un idéalisme intellectuel; deux grands pourvoyeurs d'illusion. Le sentier spirituel requiert une certaine dose de réalisme — il faut voir la valeur réelle des choses qui existent, ce qui est très peu sauf s'il s'agit de degrés dans l'évolution. Alors il est possible de suivre soit le sentier spirituel statique du repos et de la délivrance, soit le sentier spirituel dynamique d'une vérité plus grande à faire descendre dans la vie.

 

 

En réponse à votre question — Tagore appartenait évidemment à un temps qui avait foi en ses idées et dont même les refus étaient des affirmations créatrices. Cela fait une immense différence. Vos restrictions en ce qui concerne son évolution ultérieure peuvent ou non être correctes, mais ce mélange même était la marque de l'époque et il exprimait l'espoir tangible d'une fusion avec quelque chose de nouveau et de vrai — par conséquent il pouvait créer. Maintenant tout cet idéalisme a volé en éclats sous l'effet d'un néfaste cataclysme et tout le monde s'empresse d'exposer ses faiblesses — mais personne ne sait quoi mettre à la place. Un mélange de scepticisme et de slogans, "Heil Hitler" et le salut fasciste et le Plan de Cinq Ans et tout le monde forgé sur le même modèle amorphe, un refus désabusé de tous les idéaux d'un côté et de l'autre un plongeon aveugle dans le marécage, "fermez-moi les yeux et fermez ceux des autres", dans l'espoir d'y trouver quelque ferme base, ne mèneront pas très loin. Et qu'y a-t-il d'autre? Jusqu'à ce que de nouvelles valeurs spirituelles soient découvertes, aucune création grande et durable n'est possible.

 

Il est étrange que ces intellectuels continuent à parler de création alors que tout ce qu'ils défendent s'effondre dans le Néant sans qu'ils soient capables de lever le petit doigt pour le sauver. Que vont-ils créer, et à partir de quoi? De plus à quoi

 

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bon tout cela si un Hitler avec sa trique ou un Mussolini avec son huile de ricin peut venir à tout moment et le balayer ou le réduire en poussière?e?

 

Oui, mais la raison humaine est un instrument très commode et elle ne travaille que dans le cercle qui lui est tracé par son intérêt, sa partialité et ses préjugés. Les politiciens raisonnent faussement et sans sincérité, et ont le pouvoir d'appliquer le résultat de leurs raisonnements pour faire des affaires mondiales un gâchis; les intellectuels raisonnent et montrent ce que leur mental leur montre, et qui est loin d'être toujours la vérité, car c'est généralement déterminé par les préférences intellectuelles et l'angle de vision du mental, à la fois inné et inculqué par l'éducation; mais souvent même quand ils voient la vérité, ils n'ont pas de pouvoir pour l'appliquer. Ainsi va le monde entre le pouvoir aveugle et l'impuissance lucide, accomplissant sa destinée à travers la gabegie mentale.

 

Vous écrivez comme si ce qui se passe en Europe était une guerre entre les pouvoirs de Lumière et les pouvoirs d'Obscurité — mais ce n'est pas plus le cas que pendant la Grande Guerre. C'est un combat entre deux sortes d'Ignorance. Notre but est de faire descendre une Vérité supérieure, mais cette Vérité doit être capable de vivre sur sa propre force et ne doit pas dépendre de la victoire de l'une ou l'autre des forces de l'Ignorance. C'est la raison pour laquelle nous n'avons pas à nous mêler des controverses et des luttes politiques ou sociales; cela ne ferait que maintenir notre effort à un niveau inférieur et empêcher la Vérité de descendre, car elle n'a rien à voir avec cela mais a une loi et une base complètement différentes. Vous parlez de Brahmatédja écrasé par Kshâtratédja, mais où cela se passe-t-il? Les combattants n'incarnent ni l'un, ni l'autre.

 

 

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RAISON, SCIENCE ET YOGA

La pensée métaphysique européenne — même celle des penseurs qui essaient de prouver ou d'expliquer l'existence et la nature de Dieu ou de l'Absolu — ne va pas, dans sa méthode et son résultat, plus loin que l'intellect. Mais l'intellect est incapable de connaître la suprême Vérité; il ne peut que vagabonder en cherchant la Vérité, en se saisissant non de la chose même mais de représentations fragmentaires, et en essayant de les assembler. Le mental ne peut parvenir à la Vérité: il ne peut que construire une figure qui essaie de la représenter, ou une combinaison de figures. Au terme de la pensée européenne, par conséquent, doit toujours se trouver l'agnosticisme, déclaré ou implicite. L'intellect, s'il va sincèrement jusqu'à sa propre fin, doit revenir en rapportant ceci: "Je ne puis pas savoir; il y a, ou du moins il me semble qu'il peut y avoir ou même qu'il doit y avoir Quelque Chose au-delà, quelque ultime Réalité, mais je ne puis que spéculer sur sa vérité; ou bien elle est inconnaissable, ou elle ne peut être connue de moi." Ou, s'il a reçu sur le chemin quelque lumière de ce qui est au-delà de lui, il peut aussi dire: "Il y a peut-être une conscience au-delà du Mental, car il me semble que j'en saisis des lueurs et même que j'en reçois des suggestions. Si cela est en rapport avec l'Au-Delà, ou si c'est une conscience de l'Au-Delà et que vous pouvez trouver un moyen de l'atteindre, alors ce Quelque Chose pourra être connu, mais pas autrement."

Toute recherche de la Vérité suprême par le seul moyen de l'intellect aboutit nécessairement soit à un agnosticisme de ce genre, soit à un système intellectuel ou à une formule construite mentalement. Il y a eu des centaines de ces systèmes et de ces formules et il peut y en avoir des centaines d'autres, mais aucun ne peut être définitif. Chacun a peut-être  valeur pour le mental, et divers systèmes dont les concluions sont contradictoires peuvent avoir un attrait égal pour des intelligences également puissantes et compétentes. Tout

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ce travail de spéculation a son utilité, par le fait qu'il exerce le mental humain et l'aide à conserver la notion de Quelque Chose au-delà et d'un Absolu vers lequel il doit se tourner. Mais la Raison intellectuelle ne peut que l'indiquer vaguement, le chercher à tâtons ou essayer de tracer des aspects partiels ou même contradictoires de sa manifestation ici; elle ne peut y pénétrer ni le connaître. Tant que nous demeurons dans le domaine du seul intellect, une réflexion impartiale sur tout ce qui a été pensé et recherché, un jaillissement constant d'idées, de toutes les idées possibles, l'élaboration de telle ou telle croyance, opinion ou conclusion philosophique, est tout ce qui peut être fait. Cette sorte de recherche désintéressée de la vérité serait la seule attitude possible pour une intelligence vaste et plastique. Mais toute conclusion ainsi atteinte ne serait que spéculative; elle ne pourrait avoir aucune valeur spirituelle; elle ne donnerait pas l'expérience décisive ni la certitude spirituelle que recherche l'âme. Si l'intellect est notre instrument le plus élevé et qu'il n'y a pas d'autre moyen de parvenir à la Vérité supraphysique, alors notre ultime attitude doit être un sage et vaste agnosticisme. Les objets dans la manifestation peuvent être connus jusqu'à un certain point, mais le Suprême et tout ce qui existe au-delà du Mental doit demeurer à jamais inconnaissable.

S'il y a une conscience plus grande au-delà du Mental, et si cette conscience nous est accessible, alors seulement pouvons-nous connaître la Réalité ultime et y pénétrer. La spéculation intellectuelle, le raisonnement logique sur le point de savoir si cette conscience plus grande existe ou non ne peut nous mener très loin. Ce qu'il nous faut, c'est un moyen d'en avoir l'expérience, de l'atteindre, d'y pénétrer, de la vivre. Si nous pouvons le trouver, la spéculation et le raisonnement intellectuel doivent nécessairement reculer à une place très secondaire et même perdre leur raison d'exister. La philosophie, l'expression intellectuelle de la Vérité peuvent subsister, mais principalement comme des moyens d'exprimer cette découverte plus grande et ce qui, de son contenu, peut être exprimé en termes mentaux pour  

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ceux qui vivent encore dans l'intelligence mentale.

Vous verrez que cela répond à votre argument sur les penseurs occidentaux, Bradley et autres, qui sont arrivés par la pensée intellectuelle à l'idée d'un "Autre Chose au-delà de la Pensée" ou qui ont même, comme Bradley, essayé d'exprimer leurs conclusions à ce propos dans des termes qui rappellent certaines des expressions de l'Ârya. L'idée en elle-même n'est pas nouvelle, elle est aussi ancienne que les Véda. Elle a été répétée sous d'autres formes dans le bouddhisme, le gnosticisme chrétien, le soufisme. À l'origine, elle n'a pas été découverte par la spéculation intellectuelle, mais par les mystiques qui observaient une discipline spirituelle intérieure. Quand, quelque part entre le septième et le cinquième siècle avant J.-C., les hommes commencèrent, en Orient comme en Occident, à intellectualiser la connaissance, cette Vérité survécut en Orient; en Occident, où l'intellect commençait à être admis comme le seul ou le plus haut instrument de découverte de la Vérité, elle commença à s'estomper. Et pourtant là aussi elle a tenté constamment de revenir; le néo-platonisme l'a ramenée, et maintenant elle apparaît: les néo-hégéliens et d'autres (p.ex. le Russe Ouspensky et un ou deux penseurs allemands, je crois) semblent chercher à l'atteindre. Il y a cependant une différence.

En Orient, et particulièrement en Inde, les penseurs métaphysiques ont essayé, comme en Occident, de déterminer par l'intellect la nature de la plus haute Vérité. Mais en premier heu, ils ont donné à la pensée mentale, non pas la place suprême comme instrument de découverte de la Vérité, mais seulement un statut secondaire. La première place a toujours été donnée à l'intuition spirituelle, à l'illumination et à l'expérience spirituelle; une conclusion intellectuelle qui contredit cette autorité suprême est tenue pour non valable. En second lieu, chaque philosophie s'est armée d'un moyen pratique d'atteindre l'état suprême de conscience, si bien que même lorsqu'on part de la pensée, le but est de parvenir à une conscience au-delà de la pensée mentale. Chaque philosophe

 

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fondateur (et aussi ceux qui perpétuent son travail ou son école) a été un penseur métaphysique doublé d'un yogi. Ceux qui n'étaient que des philosophes intellectuels étaient respectés pour leur érudition mais ne prenaient jamais rang de découvreurs de la vérité. Et les philosophies qui manquaient de moyens suffisamment puissants pour atteindre l'expérience spirituelle s'éteignaient et devenaient des choses du passé, parce qu'elles ne contenaient pas le dynamisme nécessaire à la découverte et à la réalisation spirituelles.

En Occident, c'est exactement le contraire qui s'est produit. La pensée, l'intellect, la raison logique vinrent à être considérées de plus en plus comme le moyen le plus élevé et même la fin la plus élevée; en philosophie, la Pensée est l'alpha et l'oméga. C'est par la réflexion intellectuelle et la spéculation que la vérité doit être découverte; l'expérience spirituelle elle-même a été sommée de se soumettre aux épreuves de l'intellect, si elle voulait être tenue pour valable — à l'inverse de l'attitude indienne. Même ceux qui voient que la Pensée mentale doit être dépassée et qui admettent un "Autre Chose" supramental ne semblent pas échapper au sentiment que c'est par la Pensée mentale, se sublimant et se transmuant, que cette autre Vérité doit être atteinte et substituée à la limitation et à l'ignorance mentales. Et une fois de plus la pensée occidentale a cessé d'être dynamique; elle a recherché une théorie des choses, non une réalisation. Elle était encore dynamique chez les anciens Grecs, mais à des fins morales et esthétiques plutôt que spirituelles. Plus tard, elle est devenue encore plus purement intellectuelle et académique; elle est devenue une spéculation uniquement intellectuelle, sans aucun moyen pratique d'atteindre la Vérité par l'expérience spirituelle, par la découverte spirituelle, par une transformation spirituelle. Sans cette différence, il n'y aurait pas de raison que des chercheurs comme vous se tournent vers l'Orient pour y trouver un guide; car dans le domaine purement intellectuel, les penseurs occidentaux sont aussi compétents que n'importe quel sage oriental. C'est la voie spirituelle, la route qui mène au-delà

 

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des niveaux de l'intellect, le passage de l'être extérieur au Moi le plus profond, que le mental de l'Europe a perdu en se surintellectualisant.

Dans les extraits de Bradley et Joachim que vous m'avez envoyés, c'est encore l'intellect qui réfléchit à ce qui est au-delà de lui-même et parvient à une conclusion intellectuelle spéculative, raisonnée, sur ce sujet. Ces textes ne contiennent pas le dynamisme nécessaire au changement qu'ils tentent de décrire. Si ces écrivains exprimaient en termes mentaux une réalisation, même mentale, une expérience intuitive de cet "Autre Chose que la Pensée", alors quelqu'un qui serait prêt la sentirait à travers le voile du langage qu'ils emploient et se rapprocherait de la même expérience. Ou si, étant parvenus à la conclusion intellectuelle, ils étaient passés à la réalisation spirituelle, trouvant la voie ou empruntant une voie déjà découverte, alors en suivant leur pensée, on pourrait se préparer à la même transition. Mais il n'y a rien de tel dans toute cette pensée ardue. Elle reste dans le domaine de l'intellect et dans ce domaine elle est sans aucun doute admirable; mais elle n'atteint pas le dynamisme nécessaire à l'expérience spirituelle.

Ce n'est pas en "réfléchissant" à la réalité totale, mais par un changement de conscience qu'on peut passer de l'ignorance à la Connaissance — la Connaissance par laquelle nous devenons ce que nous connaissons. Passer de la conscience extérieure à une conscience directe et intimement intérieure; élargir la conscience hors des limites de l'ego et du corps; l'élever par une volonté et une aspiration intérieures et une ouverture à la Lumière jusqu'à ce qu'elle passe, dans son ascension, au-delà du Mental; amener une descente du Divin supramental par le don de soi et la soumission avec pour conséquence une transformation du mental, de la vie et du corps — telle est la voie intégrale vers la Vérité.¹ C'est ce que  

¹J'ai dit que l'idée du supramental existait déjà depuis les temps anciens il y a eu, en Inde et ailleurs, des tentatives pour l'atteindre en s'y élevant; mais ce qui manquait était la manière de l'intégrer à la vie et de le faire descendre pour que la nature entière soit transformée, jusqu'à la nature physique.

 

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nous appelons ici la Vérité et c'est le but de notre yoga.

 

Le yoga n'est pas une question d'idées, mais une question d'expérience spirituelle intérieure. Le simple fait d'être attiré par un ensemble quelconque d'idées religieuses ou spirituelles n'apporte aucune réalisation. Le yoga entraîne un changement de conscience; une simple activité mentale n'amènera pas un changement de conscience, elle ne peut apporter qu'un changement mental. Et si votre mental est suffisamment mobile, il continuera à passer d'une chose à une autre jusqu'à la fin sans parvenir à aucune route sûre ni à aucun havre spirituel. Le mental peut penser, douter, questionner, accepter, retirer son acceptation, faire des formations et les défaire, prendre des décisions et les révoquer, en jugeant toujours à la surface et par des indications de surface, et par conséquent n'arrivant jamais à aucune expérience profonde et ferme de la Vérité, mais par lui-même il ne peut pas faire plus. Le mental n'a que trois manières de se changer en un chenal ou un instrument de la Vérité. Ou bien il devient silencieux dans le Moi et laisse place à une conscience plus large et plus grande; ou il se fait passif à la Lumière intérieure et permet à cette Lumière de l'utiliser comme moyen d'expression ; ou encore, il se transforme lui-même de mental intellectuel superficiel et questionneur qu'il est en une intelligence intuitive, un mental de vision apte à percevoir directement la divine Vérité.

Si vous voulez faire quoi que ce soit dans le sentier du yoga, vous devez fixer une fois pour toutes la voie que vous entendez suivre. Il est inutile de vous tourner vers l'avenir et ensuite de toujours regarder vers le passé; de cette manière vous n'arriverez nulle part. Si vous êtes lié à votre passé, retournez-y et suivez la voie que vous aviez choisie alors; mais si vous choisissez plutôt cette voie-ci, vous devez vous donner

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entièrement à elle dans un seul but, et ne pas regarder en arrière à tout moment.

 

 

Quant aux doutes et aux argumentations qui y répondent, j'ai depuis longtemps abandonné cette pratique car je la trouve parfaitement inutile. Le yoga n'est pas un lieu de controverses et de dissertations intellectuelles. Ce n'est pas en exerçant le mental logique ou contradictoire que l'on peut arriver à une vraie compréhension du yoga ou le suivre. Un esprit dubitatif, un "doute honnête", l'exigence que le mental soit satisfait et fait juge de tous les points est excellent dans le domaine de l'action mentale extérieure. Mais le yoga n'est pas un domaine mental, la conscience qui doit être établie n'est pas une conscience mentale, logique ou contradictoire — le yoga pose même en principe que la sâdhanâ ne peut pas atteindre son but, si le mental, y compris le mental intellectuel ou logique, n'est pas tranquille, et jusqu'à ce qu'il le soit, et tant qu'il ne s'ouvre pas dans la quiétude ou le silence à une conscience, à une vision, à une connaissance plus hautes et plus profondes. Pour la même raison une ouverture sans discussion au gourou est exigée par la tradition spirituelle indienne; les griefs, les critiques et les attaques contre le gourou étaient considérés comme répréhensibles et comme le plus sérieux obstacle possible à la sâdhanâ.

Si l'on pouvait surmonter l'esprit de doute en fournissant des arguments, l'exigence de voir ce doute retiré en satisfaisant la logique pourrait être justifiée. Mais l'esprit du doute doute pour lui-même, pour le plaisir de douter, il utilise le mental comme instrument de son dharma particulier, et cela plus encore lorsque le mental pense qu'il cherche sincèrement une solution à ses doutes honnêtes et irrésistibles. De plus, les opinions mentales diffèrent toujours, et il est bien connu que les gens peuvent discuter indéfiniment, sans que l'un arrive jamais à convaincre l'autre. Continuer perpétuellement à répondre à des doutes persistants et toujours renouvelés

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comme ceux qui ont longtemps rempli l'Ashram et obstrué la sâdhanâ ne revient qu'à contrecarrer le but du yoga et à aller à l'encontre de son principe central, sans gain spirituel ou autre de quelque nature que ce soit. Si quelqu'un surmonte ses doutes fondamentaux, c'est par la croissance du psychique en lui ou par un élargissement de sa conscience et non autrement. On peut répondre aux questions qui naissent d'un esprit de recherche, sans agressivité ni besoin de s'affirmer, comme une partie de la soif de connaissance, mais "l'esprit de doute" est insatiable et impossible à apaiser.

 

 

Parmi les mille questions et réponses mentales il n'y en a qu'une ou deux ici et là qui apportent vraiment une aide dynamique — alors qu'une seule réponse intérieure ou une petite croissance de la conscience fera ce que ces mille questions et réponses ne pouvaient faire. Le yoga ne procède pas par oupadésha mais par influence intérieure. Exposer votre état, vos expériences, etc., et vous ouvrir à l'aide est plus important que de poser des questions.

 

 

Tout le monde sait penseur spirituel aussi bien que matérialiste — que, pour l'être qui a été créé ou qui s'est développé naturellement dans l'ignorance ou l'inconscience de la Nature, le monde n'est ni un lit de rosés ni un sentier de joyeuse Lumière. C'est un voyage difficile, une bataille et un combat, une croissance souvent pénible et pleine de vicissitudes, une vie assiégée par l'obscurité, le mensonge et la souffrance. Il a ses joies et ses plaisirs du mental, du vital et du physique, mais ceux-ci n'apportent qu'une saveur transitoire — à laquelle pourtant le vital n'est pas prêt à renoncer — et n'amènent en fin de compte que dégoût, lassitude et désillusion. Alors? Il est facile de dire que le Divin n'existe pas, mais cela ne mène nulle part — vous restez où vous êtes sans

 

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perspective et sans issue ni Russel — ni aucun matérialiste ne peut vous dire où vous allez, ni même où vous devriez aller. Le Divin ne se manifeste pas de manière à être reconnu dans les circonstances extérieures du monde — avouons-le. Tout cela n'est pas l'œuvre d'un autocrate irresponsable agissant quelque part —  ce sont les circonstances d'un fonctionnement de Forces selon une certaine nature d'être, on pourrait dire un certain postulat ou un certain problème d'être dans lequel nous avons tous, en réalité, consenti à entrer et à coopérer. Le travail est pénible, hasardeux, ses vicissitudes sont imprévisibles? Alors il y a deux possibilités — soit en sortir dans le Nirvana par la voie bouddhiste ou illusionniste, soit entrer en soi-même et y trouver le Divin puisqu'il est impossible de le découvrir à la surface. Car ceux qui l'ont tenté — et ils étaient non pas quelques-uns mais des centaines et des milliers — ont témoigné à travers les âges qu'il est là et que c'est la raison d'être du yoga. Cela prend du temps? Le Divin est dissimulé derrière le voile épais de sa Maya et ne répond pas aussitôt, ni dans les premiers temps à notre appel? Ou il ne jette qu'un regard incertain et fugitif et ensuite se retire en attendant que nous soyons prêts? Mais si le Divin a une valeur, ne vaut-il pas la peine, le temps et le labeur de le rechercher; et devons-nous insister pour l'obtenir sans apprentissage, ni sacrifice, ni souffrance, ni peine? Une exigence de cette nature est certainement irrationnelle. Il est hors de doute que nous devons nous intérioriser, passer derrière le voile pour le trouver; alors seulement nous pouvons le voir au-dehors et l'intellect peut être forcé, sinon convaincu, d'admettre sa présence par l'expérience — tout comme un homme qui voit ce qu'il a nié et ne peut plus le nier. Mais pour cela il faut accepter les moyens, et aussi la persévérance de la volonté et la patience dans le labeur.

 

 

Mais pourquoi diable votre ami désespéré veut-il que tout le Monde soit d'accord avec lui, suive sa ligne de conduite

 

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préférée ou adopte ses convictions? C'est le rêve que le politicien n'a jamais réalisé ou n'a réalisé qu'en opprimant par la violence le mental et la vie de l'homme, ce qui est le pire forfait que puisse commettre un homme d'action. Les dieux "incarnés" — gourou et hommes spirituels dont il se plaint si amèrement — sont plus modestes dans leurs espérances et se contentent d'une poignée ou, si vous voulez, d'une "ashramée" de disciples, et ne les demandent même pas, mais ils viennent, ils viennent. Ne sont-ils donc pas — ces "incarnés" qu'il dénonce — plus près de la raison et de la sagesse que les chefs politiques? — à moins, évidemment, que l'un d'eux ne commette l'erreur de fonder une religion universelle, mais tel n'est pas notre cas. En outre, il vous reproche de perdre votre raison dans une foi aveugle. Mais sa vision des choses n'est-elle pas une foi raisonnée? Vous croyez selon votre foi, ce qui est assez naturel, il croit selon son opinion, ce qui est naturel aussi, mais pas mieux, s'il s'agit de la probabilité de parvenir à la vraie vérité des choses. Son opinion est conforme à sa raison. De même les opinions de ses adversaires politiques sont conformes à leur raison, et cependant ils affirment une idée diamétralement opposée à la sienne. Comment le raisonnement démontrera-t-il qui a raison? Les parties opposées peuvent se disputer jusqu'à en étouffer — elles ne parviendront pas à approcher d'une conclusion. Prévaudra finalement celui qui a le plus de force ou qui est favorisé par le cours des événements. Mais qui peut regarder le monde tel qu'il est et dire que le cours des événements est toujours (ou jamais) conforme à la juste raison — quelle que soit cette chose nommée juste raison? En fait il n'existe pas de raison infaillible et universelle qui puisse décider et arbitrer entre des opinions contradictoires; il n'y a que ma raison, votre raison, la raison de X, la raison de Y, multipliées jusqu'à l'innombrable discordance. Chacun raisonne selon sa vision des choses, son opinion, c'est-à-dire sa constitution mentale et sa préférence mentale. À quoi bon par conséquent dénigrer la foi qui après tout offre quelque chose à quoi s'accrocher au milieu des contradictions d'un univers énigmatique? Si on

 

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peut parvenir à une connaissance qui sait, c'est une autre affaire; mais tant que nous n'avons qu'une ignorance qui discute, alors, il y a encore place pour la foi — la foi peut même être une lueur de la connaissance qui sait, même lointaine, et entre-temps il est hors de doute qu'elle aide à obtenir un résultat. Voilà un raisonnement pour vous! — comme tout autre raisonnement convaincant pour les convaincus, mais pas pour les inconvaincables, c'est-à-dire pour ceux qui n'acceptent pas le terrain sur lequel danse le raisonnement. La logique, après tout, n'est qu'une danse rythmée du mental, rien de plus.

 

 

Votre rêve n'était certainement pas une chimère; c'était une expérience intérieure et vous pouvez lui donner sa pleine valeur. Quant aux autres questions, elles sont pleines de complications et je ne suis pas armé pour trancher le nœud gordien à l'aide d'une phrase. Vous avez certainement raison de suivre la vérité directement pour votre propre compte et n'avez pas de raison d'accepter la théorie ou la solution de X ou de quelqu'un d'autre. L'homme a besoin tout ensemble de foi et de raison tant qu'il n'a pas atteint une perspicacité plus sûre et une connaissance plus grande. Sans foi il ne peut certainement marcher sur aucune route, et sans raison il pourrait aussi bien, même en s'appuyant sur le bâton de la foi, marcher dans l'obscurité. X fonde sa foi, sinon sur la Raison, du moins sur des raisons; et le rationaliste, le ratiocineur ou le raisonneur doit avoir une foi quelconque, ne serait-ce que la foi en la Raison elle-même, qui soit suffisante et péremptoire, de même que le croyant a foi en sa foi comme étant suffisante et péremptoire. Pourtant les deux sont capables d'erreur, et le sont nécessairement, puisque les deux sont des instruments du mental humain dont la nature est d'errer, et partagent les limitations du mental. Chacun doit marcher dans sa propre lumière même s'il y a des points sombres où il trébuche.

 

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Tout cela cependant diffère de la question relative à la civilisation humaine actuelle. Ce n'est pas elle qui doit être sauvée, c'est le monde, et cela sera sûrement, bien que ce ne soit ni si facile ni si proche que certains le souhaitent ou l'imaginent, ou de la manière qu'ils imaginent. Le présent doit sûrement changer, mais il s'agit de savoir si ce sera par une destruction ou par une construction nouvelle sur la base d'une Vérité plus grande. La Mère a laissé la question en suspens, et je ne puis que faire de même. Après tout, le sage, à moins qu'il ne soit un prophète ou le directeur du Bureau astrologique de Madras, doit souvent se contenter d'adopter la position d'Asquith. Ni optimisme, ni pessimisme, telle est la vérité; ce ne sont que des manières d'être du mental ou du tempérament.

Il nous faut donc, sans optimisme ni pessimisme excessif, "attendre et voir".

 

 

La foi en les choses spirituelles qui est requise du sâdhak n'est pas une foi ignorante, mais une foi lumineuse, une foi en la lumière et non en l'obscurité. L'intellect sceptique la qualifie d'aveugle parce qu'elle refuse d'être guidée par des apparences extérieures ou des faits illusoires — car elle cherche la vérité qui est derrière — et parce qu'elle ne s'appuie pas sur les béquilles des preuves et des évidences. C'est une intuition, une intuition qui ne se contente pas d'attendre l'expérience pour se justifier, mais qui mène à l'expérience. Si je crois que je puis me soigner moi-même, j'arriverai au bout d'un certain temps à trouver le moyen de me soigner. Si j'ai foi en la transformation, je finirai par mettre la main sur le processus de la transformation et le démêler. Mais si je commence par douter et que je doute de plus en plus, jusqu'où irai-je dansée voyage?¹

¹Nouvelles Lumières sur le Yoga, chapitre 1.

 

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Quant à la question foi-doute, vous donnez ardemment au mot foi un sens et une portée que je ne lui attache pas. Il faudra que j'écrive non pas une mais plusieurs lettres pour éclaircir la question. Il me semble que vous entendez par foi une croyance mentale qui est en fait placée devant le mental et les sens sous la forme discutable d'une affirmation solennelle non justifiée. J'entends par foi une conviction intuitive dynamique, dans l'être intérieur, de la vérité des choses suprasensibles qui ne peuvent être démontrées par aucune preuve physique mais qui sont un objet d'expérience. Je soutiens que la foi est un préalable très souhaitable (sinon absolument indispensable — car il peut y avoir des cas où les expériences n'ont pas été précédées par la foi) à l'expérience désirée. Si j'insiste tant sur la foi — mais moins tout de même sur la foi positive que sur le rejet du doute et de la négation a priori — c'est parce que je m'aperçois que ce doute et cette négation sont devenus un instrument entre les mains des forces d'obstruction...

J'appelle la négation du matérialiste une négation a priori parce qu'il refuse de considérer ou d'examiner ce qu'il nie mais commence par nier, comme Léonard Woolf et son "charlatan, charlatan", pour la raison que ce qui contredit ses propres théories ne peut être vrai. D'autre part, la croyance en le Divin, la Grâce, le yoga, le gourou, etc., n'est pas un a priori, parce qu'elle repose sur une grande masse d'expérience humaine qui s'est accumulée au cours des siècles et des millénaires, tout autant que sur la perception intuitive personnelle. C'est par conséquent une perception intuitive confirmée par l'expérience des centaines et des milliers qui l'ont contrôlée avant moi.

 

J'ai commencé à écrire sur le doute, et ce faisant je suis moi-même atteint d'un "doute": un écrit, si long soit-il, ou quoi que ce soit d'autre pourra-t-il jamais persuader le doute éternel de l'homme qui est la sanction de son ignorance innée?

 

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Tout d'abord, pour couvrir convenablement le sujet, il faudrait écrire environ 60 à 600 pages, mais 6000 pages convaincantes ne convaincraient pas le doute. Car le doute existe pour lui-même; sa vraie fonction est de douter toujours et, même quand il est convaincu, de continuer à douter; ce n'est que pour persuader celui qui l'entretient de lui donner le vivre et le couvert qu'il prétend être un honnête chercheur de la vérité. C'est une leçon que j'ai apprise par l'expérience de mon propre mental comme du mental des autres; la seule manière de se débarrasser du doute est de se munir de la discrimination comme détecteur de la vérité et du mensonge et sous sa sauvegarde d'ouvrir librement et courageusement la porte à l'expérience.

J'ai tout de même commencé à écrire, mais je partirai non du doute mais de l'appel vers le Divin pris comme certitude concrète, tout aussi concrète que n'importe quel phénomène physique appréhendé par les sens. Il est certain que le Divin doit être une certitude, non seulement aussi concrète, mais plus concrète encore que tout ce qui est ressenti par l'oreille, l'œil ou le toucher dans le monde de la Matière; mais c'est une certitude, non de la pensée mentale, mais de l'expérience essentielle. Quand la Paix de Dieu descend sur vous, quand la Présence divine est là en vous, quand l'Ânanda se répand soudain sur vous comme une mer, quand vous êtes poussé, comme une feuille dans le vent, par le souffle de la Force divine, quand l'Amour s'épanouit en vous sur toute la création, quand la Connaissance divine vous inonde d'une Lumière qui illumine et transforme en un moment tout ce qui avant était sombre, douloureux et obscur, quand tout ce qui est devient une partie de l'Unique Réalité, quand la Réalité est tout autour de vous, vous sentez immédiatement, par le contact spirituel, par la vision intérieure, par la pensée illuminée et visionnaire, par la sensation vitale et même parle sens physique, partout vous ne voyez, vous n'entendez, vous ne touchez que le Divin. Alors vous pouvez encore moins en douter ou le nier que vous ne pouvez nier ou douter de la Lumière, de l'air ou du soleil dans le ciel car de ces choses

 

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physiques vous ne pouvez pas être sûr, elles sont ce que les sens vous représentent, mais dans les expériences concrètes du Divin, le doute est impossible.

Quant à la permanence, vous ne pouvez vous attendre à une permanence des premières expériences spirituelles dès le début — seuls quelques-uns l'ont et même pour eux la grande intensité n'est pas toujours là; pour la plupart, l'expérience vient et ensuite se retire derrière le voile, attendant que la partie humaine soit préparée et rendue prête à supporter et à soutenir son accroissement et ensuite sa permanence. Mais en douter pour cette raison serait irrationnel à l'extrême. On ne doute pas de l'existence de l'air parce que le vent ne souffle pas toujours fortement, ni du soleil parce que la nuit s'interpose entre le crépuscule et l'aube. La difficulté réside dans la conscience humaine normale qui reçoit l'expérience spirituelle comme quelque chose d'anormal et en fait de supranormal. Cette normalité faible et limitée trouve difficile tout d'abord de recevoir ne serait-ce qu'un contact de cette expérience supranormale plus grande et plus intense; ou elle se dilue dans son propre tissu plus neutre d'expérience mentale ou vitale, et quand vient l'expérience spirituelle avec son propre pouvoir qui recouvre tout, très souvent elle ne peut la supporter, ou si elle la supporte, elle ne peut la retenir ni la conserver. Cependant, lorsqu'une brèche décisive a été faite dans les murs édifiés par le mental contre l'Infini, la brèche s'élargit, parfois lentement, parfois rapidement, jusqu'à ce qu'il n'y ait plus de mur, et alors vient la permanence.

Mais les expériences décisives ne peuvent pas être amenées, la permanence d'un nouvel état de conscience où elles seront normales ne peut pas être assurée si le mental interpose Instamment ses propres réserves, ses jugements préconçus, s formules ignorantes, ou s'il insiste pour parvenir à la certitude divine par les moyens qu'il emploierait pour atteindre la vérité très relative d'une conclusion mentale, par le raisonnement, le doute, l'investigation, et tout l'attirail de l'Ignorance tâtant et tâtonnant partout à la recherche de la Connaissance; ces choses plus grandes ne peuvent être

 

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amenées que par l'ouverture progressive d'une conscience apaisée et tournée fermement vers l'expérience spirituelle. Si vous demandez pourquoi le Divin en a disposé sur des bases si hautement inconfortables, la question est futile — car ce n'est rien d'autre qu'une nécessité psychologique imposée par la nature même des choses. Il en est ainsi parce que ces expériences du Divin ne sont pas des constructions mentales, ni des mouvements vitaux; ce sont des choses essentielles, non des choses simplement pensées mais des réalités, non senties mentalement mais senties dans notre essence et dans notre substance véritablement sous-jacentes. Sans aucun doute, le mental est toujours là et peut intervenir; il peut et doit avoir sa propre manière de mentaliser à propos du Divin, ses pensées, ses croyances, ses émotions, ses reflets mentaux de la Vérité spirituelle, et même une sorte de réalisation mentale qui répète de son mieux une sorte d'image de la plus haute Vérité, et tout cela n'est pas sans valeur mais ce n'est pas concret, familier et indubitable. Le mental par lui-même est incapable de certitude ultime; ce qu'il croit, il peut en douter; ce qu'il affirme il peut le nier; ce qu'il saisit, il peut le lâcher et en fait le lâche. Cela est, si vous voulez, sa liberté, son noble droit, son privilège; cela peut être tout ce que vous dites à sa louange, mais par ces méthodes du mental vous ne pouvez espérer (sauf en ce qui concerne les phénomènes physiques et encore...) arriver à quoi que ce soit que vous puissiez appeler une ultime certitude. C'est pour cette raison contraignante que la mentalisation ou l'investigation concernant le Divin ne peut, de son propre fait, amener le Divin. Si la conscience est tout le temps occupée par de petits mouvements mentaux — surtout accompagnés, comme ils le sont d'ordinaire, par une horde de mouvements vitaux, désirs, idées préconçues, et tout ce qui vicie la pensée humaine — , sans même parler de l'insuffisance innée de la raison, quelle place peut-il y avoir pour un nouvel ordre de connaissance, pour des expériences fondamentales ou pour ces jaillissements ou ces descentes profondes et énormes de l'Esprit? Il est en vérité possible que le mental, au milieu de ses activités, soit pris soudain par

 

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surprise, submergé, balayé, alors que tout est inondé d'une ruée soudaine d'expérience spirituelle. Mais si ensuite il se met à interroger, à douter, à théoriser, à supposer ce que cela peut être et si c'est vrai ou non; que peut faire le pouvoir spirituel, sinon se retirer et attendre que le mental cesse son ébullition?

Je poserai une simple question à ceux qui voudraient faire du mental intellectuel la mesure et le juge de l'expérience spirituelle. Le Divin est-il quelque chose de plus grand ou de plus petit que le mental? La conscience mentale avec son investigation tâtonnante, son argutie sans fin, son doute insatiable, sa logique rigide, sans souplesse, est-elle quelque chose de supérieur ou même d'égal à la Conscience divine, ou est-ce quelque chose d'inférieur par son action et sa condition? Si elle est plus grande, alors il n'y a pas de raison de chercher le Divin. Si elle est égale, alors l'expérience spirituelle est tout à fait superflue. Mais si elle est inférieure, comment peut-elle défier, juger, faire comparaître le Divin comme un accusé ou un témoin devant son tribunal, le sommer de se présenter comme un candidat à un examen devant un jury d'examinateurs ou l'épingler comme un insecte sous le regard du microscope? L'animal vital peut-il tenir pour infaillible la mesure de ses instincts vitaux, de ses associations d'idées et de ses impulsions vitales, et par cela juger, interpréter et sonder le mental de l'homme? Il ne le peut, parce que le mental de l'homme est un pouvoir plus grand travaillant d'une façon plus vaste, plus complexe, que la conscience vitale animale ne peut pas suivre. Est-il si difficile de voir que, de la même manière, la Conscience divine doit être quelque chose d'infiniment plus vaste, plus complexe que le mental humain, pleine de pouvoirs plus grands, de lumières plus grandes, se mouvant d'une manière que le simple mental ne peut juger, interpréter ou sonder par la mesure de sa raison faillible et de sa demi-connaissance limitée? Le simple fait demeure, que l'Esprit et le Mental ne sont pas la même chose et que c'est dans la conscience spirituelle que le yogi doit entrer (dans tout cela je ne parle pas du tout du supramental),

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s'il veut être en contact permanent ou en union permanente avec le Divin. Ce n'est donc pas une fantaisie du Divin ou une tyrannie d'insister pour que le mental reconnaisse ses limitations, s'apaise, renonce à ses exigences, s'ouvre et se soumette à une Lumière plus grande que celle qu'il peut trouver à son propre niveau plus obscur.

Cela ne signifie pas que le mental n'a aucune place dans la vie spirituelle; mais cela signifie qu'il ne peut même pas être l'instrument principal, moins encore l'autorité au jugement de laquelle tout doit se soumettre, y compris le Divin. Le mental doit apprendre de la conscience plus grande qu'il approche, et non pas lui imposer ses mesures; il doit recevoir l'illumination, s'ouvrir à une Vérité plus grande, admettre un pouvoir plus grand qui ne fonctionne pas selon des canons mentaux, se soumettre et permettre à sa demi-lumière et à sa demi-obscurité d'être inondées d'en haut jusqu'au moment où alors qu'il était aveugle il verra, alors qu'il était sourd il entendra, alors qu'il était insensible il sentira, et où, alors qu'il était décontenancé, incertain, interrogateur, déçu, il pourra avoir la joie, la plénitude, la certitude et la paix.

Telle est la position que prend le yoga, position fondée sur une expérience constante depuis que les hommes ont commencé à chercher le Divin. Si elle n'est pas vraie, alors il n'y a pas de vérité dans le yoga et le yoga n'est pas nécessaire. Si elle est vraie, c'est sur cette base, du point de vue de la nécessité de cette conscience plus grande, que nous devons voir si le doute est d'une utilité quelconque pour la vie spirituelle. Croire tout et n'importe quoi n'est certainement pas exigé du chercheur spirituel; une crédulité aussi confuse et imbécile ne serait pas seulement non-intellectuelle, elle serait au dernier point non-spirituelle. À chaque moment de la vie spirituelle, jusqu'à ce qu'on soit pleinement dans la lumière plus haute, il faut se tenir sur ses gardes et être capable de distinguer la vérité spirituelle de ses imitations pseudo-spirituelles ou de ses succédanés élaborés par le désir mental et vital. Le pouvoir de distinguer entre les vérités du Divin et les mensonges de l'Asoura est une nécessité capitale du yoga. La question est de

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savoir ce qui peut être mieux fait par la méthode destructrice et négative du doute, qui souvent tue le mensonge mais rejette aussi la vérité du même coup impartial, ou si un pouvoir de recherche plus positif, plus salutaire et plus lumineux peut être découvert, qui n'est pas contraint par son ignorance intrinsèque à faire face également à la vérité et au mensonge avec le stylet du doute et le gourdin de la négation. Le manque de discrimination dans la croyance mentale n'est pas l'enseignement de la spiritualité ni du yoga; la foi dont il parle n'est pas une croyance mentale brute, mais la fidélité de l'âme à la lumière qui guide au-dedans, une fidélité qui doit demeurer jusqu'à ce que la lumière la conduise dans la connaissance.

 

 

Je ne demande à personne une "foi sans discrimination", tout ce que je demande est une foi fondamentale, sauvegardée par une discrimination patiente et tranquille — parce que ce sont elles qui sont propres à la conscience du chercheur spirituel et ce sont elles que j'ai moi-même utilisées; j'ai découvert qu'elles retiraient toute nécessité au dilemme gratuit selon lequel "ou vous devez douter de tout ce qui est supraphysique, ou vous devez être entièrement crédule", et qui fait partie du répertoire de l'argument matérialiste. Vos doutes, je le vois, reviennent constamment à la charge en répétant cette formule, malgré mes dénégations — renforçant ainsi mon affirmation que le Doute ne peut être convaincu, parce que par sa nature même il ne veut pas être convaincu; il continue toujours à piétiner le même terrain.¹

 

L'anormal abonde dans ce monde physique, le supranormal s'y trouve aussi. En ces matières, mise à part toute question de foi, tout homme vraiment rationnel qui a un mental libre (non

 

¹Nouvelles Lumières sur le Yoga, chapitre 1.

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pas lié sur tous les points, comme celui des rationalistes ou des prétendus libres penseurs, par le triple nœud d'une incroyance a priori et irrationnelle) ne doit pas s'écrier immédiatement "fumisterie! mensonge!" mais suspendre son jugement jusqu'à ce qu'il ait l'expérience et la connaissance nécessaires. Nier dans l'ignorance ne vaut pas mieux qu'affirmer dans l'ignorance.¹

 

Quel que soit le motif immédiat qui pousse le mental ou le vital, s'il y a une vraie recherche du Divin dans l'être, elle doit mener en fin de compte à la réalisation du Divin. L'âme au-dedans a toujours un ardent désir (ahaïtoukî) du Divin; le hétou ou motif particulier n'est qu'une impulsion qu'elle utilise pour amener le mental et le vital à suivre l'élan intérieur. Si le mental et le vital peuvent sentir et accepter tel quel le pur amour de l'âme pour le Divin, alors la sâdhanâ prend tout son pouvoir et bien des difficultés disparaissent; mais même si tel n'est pas le cas, ils obtiendront ce qu'ils recherchent dans le Divin et par là arriveront à réaliser quelque chose, et même à dépasser la limite du désir originel... Je puis dire que l'idée d'un Divin sans joie est une absurdité, que seule pouvait engendrer l'ignorance du mental! L'amour de Râdhâ n'est fondé sur rien de semblable, mais signifie simplement ceci: quelles que soient les choses qui viennent sur le chemin qui mène au Divin, peine ou joie, milana ou viraha, et quelle que soit la durée des souffrances, l'amour de Râdhâ est immuable et conserve sa foi et sa certitude pointant fixement comme une étoile vers l'objet suprême de l'Amour.

Qu'est-ce que l'Ânanda, après tout? Le mental peut n'y voir qu'une condition psychologique agréable — mais si ce n'était que cela, ce ne pourrait pas être le ravissement que les bhakta et les mystiques y trouvent. Quand l'Ânanda vient en vous, c'est le Divin qui vient en vous; de même quand la Paix vous inonde, c'est le Divin qui vous envahit, ou quand vous

 

¹Nouvelles Lumières sur le Yoga, chapitre 1.

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êtes inondé de Lumière, c'est le flot du Divin lui-même qui est autour de vous. Évidemment, le Divin est bien plus, bien d'autres choses, et en elles toutes il est une Présence, un Être, une Personne divine; car le Divin est Krishna, Shiva, la Mère suprême. Mais à travers l'Ânanda vous pouvez percevoir Krishna Ânandamaya, car l'Ânanda est le corps subtil et l'être subtil de Krishna; à travers la Paix vous pouvez percevoir Shântimaya Krishna; dans la Lumière, dans la Connaissance libératrice, l'Amour, le Pouvoir d'accomplissement et d'élévation, vous pouvez rencontrer la présence de la Mère divine. C'est cette perception qui rend l'expérience des long soit et des mystiques si extatique et leur permet de passer plus facilement à travers les nuits d'angoisse et de séparation; quand il y a cette perception de l'âme, elle donne à l'Ânanda, même s'il est faible ou bref, une force ou une valeur qu'il ne pourrait pas avoir autrement, et l'Ânanda lui-même en recueille un pouvoir grandissant pour demeurer, revenir, croître.

Je puis difficilement répondre aux critiques de Russell, car la conception du Divin comme une Puissance extérieure omnipotente qui a "créé" le monde et le gouverne comme un monarque absolu et arbitraire (la conception chrétienne ou sémitique), n'a jamais été mienne; elle contredit trop ma vision et mon expérience depuis trente ans de sâdhanâ. C'est contre cette conception que s'élève l'objection athée — car l'athéisme en Europe a été une réaction superficielle et plutôt enfantine contre une religiosité exotérique peu profonde et enfantine avec ses notions populaires insatisfaisantes et grossièrement dogmatiques. Mais quand je parle de la Volonté divine, j'entends quelque chose de différent: quelque chose qui est descendu ici-bas dans un monde d'Ignorance en évolution et qui se tient derrière les choses, faisant pression sur l'Obscurité avec sa Lumière, conduisant les choses, pour le moment, vers le mieux possible dans les conditions d'un monde d'Ignorance, et finalement les préparant à la descente d'un pouvoir divin plus grand dont l'omnipotence sera, non pas limitée et modifiée par les lois du monde tel qu'il est, mais en pleine action et qui, par conséquent, amènera le

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règne de la lumière, de la paix, de l'harmonie, de la joie, de l'amour, de la beauté et de l'Ânanda, car telle est la nature divine. La Grâce divine est là, prête à agir à chaque instant, mais elle se manifeste à mesure que l'on grandit et que l'on passe de la Loi de l'Ignorance à la Loi de la Lumière, et elle n'est pas là comme un caprice arbitraire, si miraculeuse qu'en soit souvent l'intervention, mais comme une aide pour cette croissance et une Lumière qui conduit et finalement libère. Si nous prenons les faits du monde tels qu'ils sont et les faits de l'expérience spirituelle — dont aucun ne peut être nié ni négligé — , je ne vois pas quel autre Divin il peut y avoir. Ce Divin peut nous conduire souvent à travers l'obscurité, parce que l'obscurité est là en nous et autour de nous, mais c'est vers la Lumière qu'il conduit et vers rien d'autre.

 

Le point concernant la fausse représentation que l'intellect se fait du "Sans-Forme" (résultat de l'expression purement négative de quelque chose qui est familier et positif au-delà de toute expression) est très bien traité et atteint la vérité en son centre. Tout ceux qui ont eu l'Ânanda du Brahman ne peuvent que sourire de l'accusation de froideur; il porte en lui un absolu d'extase immuable, une concentration intense de ravissement silencieux et inaliénable qu'il est impossible même de suggérera qui n'en a pas eu l'expérience. La Réalité éternelle n'est ni froide ni sèche ni vide; vous pourriez aussi bien dire que le soleil du plein été est froid, que l'océan est sec ou que la plénitude parfaite est vide. Même quand vous y pénétrez par élimination de la forme et de tout le reste, elle jaillit comme une plénitude miraculeuse — c'est en vérité le pournam ; quand on y pénètre par affirmation autant que par négation, il ne peut évidemment pas être question de vide ni de sécheresse! Tout est là, et plus que ce qu'on pourrait jamais imaginer comme le tout. C'est pourquoi il faut s'élever contre l'intellect qui entre de force comme un juge sab-jântâ (qui connaît tout): s'il restait dans ses propres limites, il n'y aurait

 

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pas lieu de s'élever contre lui. Mais il fait des constructions de mots et d'idées qui ne s'appliquent pas à la Vérité, balbutie des sottises dans son ignorance et fait de ses constructions un mur refusant de laisser entrer la Vérité qui surpasse ses propres capacités et sa propre compétence.

 

 

Si l'on est aveugle, il est tout à fait naturel — car l'intelligence humaine est, après tout, au mieux, une chose assez imbécile — de nier la lumière du jour; si la vision naturelle la plus haute ne contemple que des brumes miroitantes, il est également naturel de croire que toute vision élevée n'est qu'une brume ou un miroitement. Mais la Lumière existe malgré tout — et la Vérité spirituelle est plus qu'une brume et un miroitement.

 

 

À propos de ce qu'a écrit le professeur Sorley, l'"Énigme de ce monde" ne prétendait évidemment pas donner un exposé complet ou direct de ma pensée et, comme il était principalement destiné à des sâdhak, bien des choses étaient considérées comme allant d'elles-mêmes. La plupart des idées principales — par exemple le surmental — n'étaient pas élucidées. Pour rendre claires à l'intellect les idées implicites, elles doivent être mises avec précision sous une forme intellectuelle — pour autant que cela soit possible quand il s'agit de choses supra-intellectuelles. Ce qui est écrit dans ce livre peut être clair pour ceux qui sont allés assez avant dans l'expérience, mais pour la plupart cela ne peut que suggérer.

Je ne pense pas, cependant, que l'exposé de choses supra-intellectuelles entraîne la nécessité de faire des distinctions à la manière de l'intellect. Car fondamentalement, ce n'est pas l'expression d'idées obtenues par la pensée spéculative. Il faut parvenir à la connaissance spirituelle par expérience et par une conscience des choses qui sort directement  

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de cette expérience ou encore y est sous-jacente ou englobée. Cette sorte de connaissance, par conséquent, est fondamentalement une conscience et non une pensée ou une idée formulée. Par exemple, ma première expérience majeure — radicale et écrasante, bien que par la suite, elle ne soit pas apparue comme définitive et totale — est venue après et par l'exclusion et l'extinction de toute pensée — il y eut d'abord ce qu'on pourrait appeler une conscience spirituellement substantielle ou concrète de tranquillité et de silence, ensuite la perception d'une Réalité unique et suprême en présence de laquelle les choses n'existaient que comme des formes, mais des formes pas du tout substantielles ni réelles ni concrètes; mais tout cela apparaissait à une perception spirituelle et à un sens essentiel et impersonnel, et il n'y avait pas le moindre concept, pas la moindre idée de réalité ou d'irréalité; ni aucune autre notion, car tout concept ou idée était réduit au silence ou plutôt entièrement absent dans la tranquillité absolue. Ces choses étaient connues directement à travers la pure conscience et non à travers le mental; les concepts, les mots ou les noms n'étaient donc pas nécessaires. En même temps ce caractère fondamental de l'expérience spirituelle n'est pas absolument limitatif; il peut exister sans pensée, mais il peut exister avec la pensée aussi. Évidemment, la première idée du mental serait que le recours à la pensée renvoie immédiatement au domaine de l'intellect — et d'abord et pendant longtemps ce peut être le cas; mais selon mon expérience ce n'est pas inévitable. Cela se produit quand on essaie d'exposer intellectuellement l'expérience; mais il y a un autre genre de pensée qui surgit comme si c'était un corps ou une forme de l'expérience ou de la conscience involués en elle — ou une partie de cette conscience — , et cela ne me paraît pas être d'un caractère intellectuel. Cela contient une autre lumière, une autre puissance, un sens à l'intérieur du sens. Il en est clairement ainsi de ces pensées qui viennent sans que les mots soient nécessaires pour les incarner, ces pensées qui sont de la nature d'une vision directe dans la conscience, ou même d'une sorte de sens intime ou de contact se formulant en une

 

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expression précise de sa perception (j'espère que ce n'est pas trop mystique ou incompréhensible); mais on pourrait dire nue dès que les pensées se transforment en mots elles appartiennent au royaume de l'intellect — car les mots sont fabriqués par l'intellect. Mais en est-il ainsi réellement et inévitablement? Il m'a toujours semblé qu'à l'origine les mots venaient d'ailleurs que le mental pensant, bien que le mental pensant s'en empare, les transforme à son propre usage et les martèle librement pour ses propres desseins. Mais même autrement, n'est-il pas possible d'utiliser les mots pour exprimer quelque chose qui n'est pas intellectuel? Housman soutient que la poésie n'est parfaitement poétique que lorsqu'elle est non-intellectuelle, qu'elle est non-sens. C'est trop paradoxal, mais je suppose qu'il veut dire que si elle est soumise à l'épreuve stricte de l'intellect, elle paraît extravagante parce qu'elle communique quelque chose qui exprime un genre de vision différent de ce que l'intellect nous apporte et qui est réel pour cette vision. N'est-il pas possible que les mots puissent surgir de la conscience supra-intellectuelle, qui est le pouvoir essentiel de l'expérience spirituelle, et que le langage puisse être employé pour l'exprimer — au moins jusqu'à un certain point et d'une certaine manière? Cela, cependant, est dit en passant — quand on essaie d'expliquer l'expérience spirituelle à l'intellect même, alors c'est une autre affaire.

L'interpénétration des plans est véritablement pour moi une partie capitale et fondamentale de l'expérience spirituelle sans laquelle le yoga tel que je le pratique et son but ne pourraient pas exister. Car ce but est de manifester, d'atteindre et d'incarner une conscience plus haute sur la terre et non de s'évader de la terre vers un monde plus élevé ou quelque suprême Absolu. Les anciens yoga (pas tous) allaient à l'opposé — mais c'était, je pense, parce qu'ils trouvaient que la terre était un lieu plutôt invivable pour tout être spirituel et que la résistance au changement était trop obstinée pour être supportable; la nature de la terre leur paraissait rappeler la comparaison de Vivékânanda sur la queue du chien, qui,  

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chaque fois que vous la redressez, revient à sa courbe d'origine. Mais la proposition fondamentale en cette matière a été proclamée très définitivement dans les dénégations renforçant qui sont allées jusqu'à dire que la Terre est la fondation, que tous les mondes sont sur la terre et qu'imaginer une différence tranchée ou irréconciliable entre eux est une ignorance; ici et nulle part ailleurs, non pas en allant dans un autre monde, doit venir la divine réalisation. Cette déclaration a servi à justifier une réalisation purement individuelle, mais elle peut également être la base d'un effort plus vaste.

Quant au polythéisme, j'admets certes la vérité des formes et des personnalités multiples de l'Un qui, depuis les temps védiques, a été l'essence spirituelle du polythéisme indien — aspect secondaire de la recherche de l'Unique et seul Divin. Mais le passage auquel se réfère le professeur Sorley (p.56) concerne autre chose — les petites divinités et les Titans dont il parle ici sont des êtres supraphysiques d'autres plans. Il n'est pas dans mon intention de suggérer qu'ils sont de vraies divinités et qu'ils ont droit au culte — au contraire, j'indique qu'admettre leur influence est se diriger vers l'erreur et la confusion ou vers une déviation hors de la vraie voie spirituelle. Sans aucun doute, ils ont le pouvoir de créer, ils sont faiseurs de formes à leur propre manière et dans leur domaine limité, mais les hommes aussi sont créateurs de choses intérieures et extérieures dans leur propre domaine et leurs propres limites — et les pouvoirs créateurs de l'homme peuvent même avoir des répercussions sur les niveaux supraphysiques.

Je conviens que l'ascétisme peut être excessif. Il a sa place en tant que moyen — non le seul — de se maîtriser; mais l'ascétisme qui se coupe de la vie est une exagération, bien que cette exagération ait eu des résultats remarquables qu'il aurait été difficile d'obtenir autrement. Le jeu des forces dans ce monde est énigmatique, il échappe à toute règle rigide de la raison, et même une exagération comme celle-là est souvent employée pour amener quelque chose de nécessaire, chez l'homme, au plein développement d'un accomplissement,

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d'une connaissance et d'une expérience. Mais l'ascétisme était tout de même une exagération et non, comme il le prétendait, le sentier indispensable vers le véritable but.

 

Je ne trouve rien à redire au commentaire du professeur Sorley sur le mental tranquille, clair et lumineux, car il indique correctement le procédé par lequel le mental se prépare à recevoir le reflet de la Vérité plus haute sur sa surface ou sa substance paisible. Une chose peut-être doit être gardée présente à l'esprit — cette pure tranquillité du mental est toujours la condition requise, le sine qua non, mais il y a plus d'une manière de l'amener. Cela ne peut pas, par exemple, être fait par le seul effort du mental pour se débarrasser de toute émotion ou passion importune, ou de ses propres vibrations caractéristiques, ou des vapeurs obscurcissantes d'une inertie physique qui apporte le sommeil ou la torpeur du mental physique plutôt que son silence vigilant — car ce n'est que le processus ordinaire du yoga de la connaissance. Cela peut survenir aussi par la descente d'en haut d'une grande tranquillité spirituelle imposant le silence au mental, au cœur, aux impulsions de la vie, aux réflexes physiques. Une descente soudaine de ce genre ou une série de descentes accumulant la force et l'efficacité est un phénomène d'expérience spirituelle bien connu. Ou encore, on peut entamer à cette fin un processus d'un genre ou d'un autre, qui demanderait normalement un long travail, et être saisi, dès le début, par une rapide intervention ou une manifestation du Silence dont l'effet est hors de toute proportion avec les moyens utilisés au commencement. On débute avec une méthode, mais le travail est repris par la Grâce venue d'en haut, de Cela à quoi on aspire, ou par une irruption des infinitudes de l'Esprit. Je suis moi-même parvenu de cette manière au silence absolu du mental, que j'étais incapable d'imaginer avant d'en avoir eu l'expérience.

Un autre point est assez important — la nature exacte de

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cette luminosité, de cette clarté, de cette tranquillité — de quoi elle est constituée, si elle est simplement une condition psychologique ou quelque chose de plus. Le professeur Sorley dit que ces mots sont, après tout, des métaphores et il veut exprimer, et réussit à exprimer la même chose dans une langue plus abstraite. Mais je n'avais pas conscience d'utiliser des métaphores quand j'écrivais la phrase, tout en étant conscient que, pour les autres, les mots pouvaient avoir cette apparence. Je pense même que pour quelqu'un qui a eu la moitié de la même expérience, ils sembleraient décrire cet état intérieur de façon non seulement plus vivante, mais plus exacte que n'importe quel langage plus abstrait. Il est vrai que les métaphores, les symboles, les images sont des auxiliaires constamment appelés par le mystique pour exprimer ses expériences: c'est inévitable parce qu'il doit exprimer, dans un langage conçu ou du moins élaboré et manipulé par le mental, les phénomènes d'une conscience autre que le mental et à la fois plus complexe et plus subtilement concrète. C'est cette réalité subtilement concrète, suprasensiblement sensible du phénomène de cette conscience à laquelle parvient le mystique, qui justifie l'usage de la métaphore et de l'image en tant que transcription plus vivante et plus concrète que les termes abstraits utilisés par la réflexion intellectuelle dans les procédés caractéristiques qui lui sont propres. Si les images employées sont trompeuses ou descriptivement inexactes, c'est que l'écrivain a une force d'expression inadaptée à l'intensité de son expérience. Le scientifique parle d'ondes de lumière, ou d'ondes de son, et emploie ainsi une métaphore, mais une métaphore qui correspond au fait physique et est parfaitement applicable — car il n'y a pas de raison qu'il n'y ait pas une onde, un flot constamment mouvant de lumière ou de son comme une eau. Mais quand je parle de la luminosité, de la clarté, de la tranquillité du mental, je n'ai pas du tout l'impression d'appeler une métaphore à mon aide. J'avais dans l'idée une description aussi précise et positive que si je décrivais de la même manière une étendue d'air ou un plan d'eau. Car l'expérience mystique du mental — surtout quand il

 

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devient tranquille n'est pas celle d'une condition abstraite, ni d'une disparition, ni d'un élément insaisissable de la conscience — c'est l'expérience d'une substance subtile et étendue dans laquelle il peut y avoir, et il y a, des ondes, des courants, des vibrations non matériels et cependant aussi définis, perceptibles, contrôlables par un sens intérieur que n'importe quel mouvement d'énergie ou de substance matérielle par le sens physique. La tranquillité du mental est d'abord la mise au repos des mouvements habituels de pensée, des formations de pensée, des courants de pensée qui agitent la substance mentale et pour beaucoup cela est un silence mental suffisant. Mais même dans cette pause de tout mouvement de pensée ou mouvement de sentiments, quand on regarde de plus près, on voit que cette substance mentale est dans un état constant de vibration très subtile, difficile tout d'abord à observer, mais ensuite tout à fait évident — et cet état de vibration constante peut être aussi néfaste à la réception ou à la réflexion exacte de la Vérité qui descend que tout autre mouvement de pensée plus formé — car c'est la source d'une mentalisation qui peut diminuer ou distordre l'authenticité de la Vérité plus haute ou la briser en réfractions mentales. Quand je parle d'un mental tranquille, j'entends un mental dans lequel ces perturbations n'existent plus. À mesure qu'elles s'apaisent on peut sentir croître la tranquillité et la clarté qui en résultent, aussi palpables qu'on peut percevoir la clarté et la tranquillité d'une atmosphère physique. Ce que je décris comme la luminosité — c'est un autre élément — se résume à un phénomène de Lumière courant dans l'expérience mystique. Cette Lumière n'est pas une métaphore — comme lorsque Goethe dans ses derniers moments réclamait plus de lumière elle se présente comme une illumination très positive, vue et sentie véritablement par le sens intérieur. La luminosité du mental tranquille et clair est aussi un reflet positif de cette Lumière avant que la Lumière elle-même se manifeste — et ce reflet de la Lumière est une condition très nécessaire pour que puisse croître la capacité d'être pénétré par la Vérité que chacun doit recevoir et abriter. Je me suis

 

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étendu sur cette partie du sujet parce que cela aide à faire ressortir la différence entre le mental abstrait et la perception mystique concrète des choses supraphysiques qui est la source de bien des malentendus entre le chercheur spirituel et le penseur intellectuel. Même lorsqu'ils parlent le même langage, c'est à un ordre différent de perception que le langage renvoie les produits de deux différents degrés de conscience, et même s'ils sont d'accord il y a souvent un certain abîme de différence.

 

Cela nous mène tout droit à la question soulevé par le professeur Sorley: qu'est-ce que le récit d'une expérience mystique ou spirituelle et est-il vrai, comme on le soutient, que le mystique doive, qu'il s'agisse de la validité de son expérience elle-même ou de la validité de son expression, accepter l'intellect comme juge? Il est très clair que dans l'expérience elle-même l'intellect ne peut prétendre imposer ses limites ou sa loi à une entreprise dont le but, le principe et la substance mêmes sont d'aller au-delà du domaine de l'intelligence mentale ordinaire, gouvernée par le terrestre et le sensible. C'est comme si on me demandait d'escalader une montagne avec une corde autour des pieds qui m'attache au niveau terrestre, ou de ne voler qu'à condition de garder en même temps les pieds sur la terre. Marcher sur terre et être toujours sur un terrain solide est peut-être la chose la plus sûre, et s'élever avec des ailes ou autrement présente peut-être le risque d'une chute et de toutes sortes d'accidents: erreur, illusion, outrance, hallucination ou Dieu sait quoi accusations que profère habituellement contre l'expérience mystique l'intellect positif qui a les pieds par terre; mais je dois prendre le risque si je veux tout simplement le faire. L'intellect raisonnant se fonde sur l'expérience normale de l'homme et sur les opérations d'une perception extérieure, superficielle, et d'une conception des choses qui n'est à l'aise que quand elle travaille sur une base mentale formée par l'expérience terrestre et les faits qu'elle a

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accumulés. Le mystique va au-delà, dans une région où cette base mentale disparaît, où ces faits sont dépassés, où il y a une autre loi, un autre canon de perception et de connaissance. Toute son affaire est de briser ces frontières pour passer dans une autre conscience qui regarde les choses d'une autre manière, et bien que cette nouvelle conscience puisse inclure les faits de l'intelligence extérieure ordinaire, elle ne peut être limitée par eux ni se ligoter pour voir l'interprétation admise de l'expérience du point de vue intellectuel ou selon sa manière de concevoir, de raisonner. Un mystique entrant dans le domaine de l'occulte ou de l'esprit avec l'intellect comme unique ou suprême lumière ou guide risquerait de ne rien voir ou de n'arriver qu'à une réalisation mentale déjà tracée pour lui par les spéculations du penseur intellectuel.

Il y a sans aucun doute en Inde un courant de pensée spirituelle qui compose avec les exigences intellectuelles modernes et admet la Raison comme juge suprême, mais il est question là d'une Raison qui, à son tour, est prête à composer et à admettre les faits de l'expérience spirituelle comme valables per se. Dans un sens, c'est exactement ce que les philosophes indiens ont toujours fait; car ils ont essayé d'établir par le raisonnement métaphysique des généralisations tirées de l'expérience spirituelle, mais sur la base de cette expérience et en prenant les témoignages des chercheurs spirituels comme une preuve suprême d'un rang plus élevé que la spéculation ou l'expérience intellectuelles. De cette façon, la liberté de l'expérience spirituelle et mystique est préservée, le raisonnement intellectuel n'intervient qu'en second lieu comme juge des généralisations tirées de l'expérience. C'est là. je suppose, quelque chose qui est proche de la position du professeur Sorley — il concède que l'expérience elle-même est du domaine de l'Ineffable, mais dès que je commence à l'interpréter, à l'exposer, je retombe dans le domaine du mental pensant, j'emploie ses termes et ses formes de pensée et d'expression et je dois accepter le jugement de l'intellect. Sinon, je fais tomber l'échelle par laquelle je suis grimpé — par le mental vers l'Au-Delà du

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Mental — et je reste en l'air. Quelque chose n'est pas tout à fait clair: la vérité de mon expérience est-elle censée être invalidée par cette situation non soutenue dans l'air? Elle demeure en tout cas quelque chose de lointain et d'incommunicable, sans support, et sans aucune conséquence pour la pensée ou la vie. Il y a, je suppose, trois propositions que je puis tenir comme posées ou admises ici et réunies. D'abord, l'expérience spirituelle est elle-même par nature Au-Delà du Mental, ineffable et, je présume, impensable. Ensuite, dans l'expression, l'interprétation de l'expérience, vous êtes obligé de retomber dans le domaine de la conscience que vous avez laissée et vous devez vous en tenir à ses jugements, accepter les termes et les canons de sa loi, vous soumettre à son verdict; vous avez abandonné la liberté de l'Ineffable et vous n'êtes plus votre maître. Enfin, la vérité spirituelle peut être vraie en elle-même, pour sa propre expérience d'elle-même, mais tout exposé est susceptible d'erreur et ici l'intellect est seul juge.

Je ne crois pas que je sois prêt à accepter entièrement telle quelle aucune de ces affirmations. Il est vrai que l'expérience spirituelle et mystique vous emporte d'abord dans des domaines autres que le Mental (et aussi autres que la Vie), puis Au-Delà du Mental; il est vrai aussi que la Vérité ultime est décrite comme impensable, ineffable, inconnaissable — la parole ne peut y atteindre ni le mental y parvenir; je puis observer qu'il en est ainsi pour le mental humain, mais non pour elle-même; car pour elle-même elle est décrite comme consciente d'elle-même, et d'une certaine manière supramentale et directe, connaissable, connue, éternellement perçue par elle-même. Et ici il ne s'agit pas de la réalisation ultime de l'ultime Ineffable qui, selon beaucoup, ne peut être atteint que dans une transe suprême, samâdhi, retirée de tout mental extérieur ou de toute autre perception, mais d'une expérience dans un silence lumineux du mental dont le regard s'élève jusqu'à l'immensité du silence ultime et sans limites où il doit pénétrer et disparaître; mais avant cette expérience inexprimable de l'Ultime ou cette disparition en lui, il peut se

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produire une descente d'au moins quelque Pouvoir ou Présence de la Réalité dans la substance du mental, en même temps qu'une modification de la substance mentale, une illumination de cette substance; de cette expérience, une expression d'un certain genre, une traduction en pensée devrait être possible. Ou supposons que l'Ineffable et l'Inconnaissable puissent avoir des aspects, des présentations qui ne sont pas complètement impensables et ineffables.

Si tel n'était pas le cas, tout exposé de la vérité et de l'expérience spirituelles serait impossible. On pourrait tout au plus en spéculer, mais ce serait une activité en l'air, ou même dans le vide, sans support ni données, une simple manipulation de toutes les idées possibles de ce que peut être le Suprême et l'Ultime. À part cela il ne pourrait y avoir qu'une certaine transition énigmatique, d'une manière ou d'une autre, de la conscience à une Supraconscience incommunicable. C'est en fait là que bien des recherches mystiques sont parvenues en Europe comme en Inde. Les mystiques chrétiens parlaient d'une obscurité totale, d'une obscurité complète et dénuée de toutes lumières mentales, à travers laquelle il fallait passer pour entrer dans cet Ineffable lumineux. Les sannyâsî indiens cherchaient à se dépouiller entièrement du mental et à passer dans une transe libre de pensée d'où, si l'on en revenait, aucune communication ou expression ne pouvait être rapportée de ce qui s'y trouvait, sauf le souvenir d'une existence et d'une béatitude inexprimables. Mais il y a eu pourtant précédemment des expériences du mystère suprême, des formulations du Très-Haut ou de l'Existence universelle occulte qui étaient reconnues comme vérité spirituelle et sur la base desquelles les chercheurs et les mystiques n'hésitaient pas à formuler leurs expériences, ni les penseurs à bâtir d'innombrables philosophies et livres d'exégèse. Seule reste la question de savoir ce qui crée la possibilité de cette communication et de cette expression, de cette transmission des faits d'un ordre différent de conscience au mental, et ce qui détermine la validité de l'expression, ou même de l'expérience originelle. Si aucun compte rendu

 

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valable n'était possible il ne pourrait être question d'un jugement de l'intellect — seule demeurerait la contradiction grotesque qui consisterait à s'asseoir pour parler de l'Ineffable, penser à l'Impensable, comprendre l'Incommunicable et l'Inconnaissable.

 

 

J'ai lu l'article de Léonard Woolf, mais je n'ai pas l'intention d'en traiter dans mes commentaires sur la lettre du professeur Sorley — car à part la condamnation ignorante et la satire mesquine auxquelles il se livre, il n'y a pas grand-chose dans son réquisitoire contre la pensée ou l'expérience spirituelles; son raisonnement est superficiel et découle d'une incompréhension totale de la cause du mystique. Il y oppose quatre arguments et aucun n'a une valeur quelconque.

Argument numéro un. Le mysticisme et les mystiques sont toujours apparus dans des périodes de décadence, au reflux de la vie, et leur bruyant caquetage est un symptôme de la décadence. Cet argument est absolument faux. En Orient les grands mouvements spirituels sont apparus dans le plein flot de la vie et de la culture d'un peuple ou dans une marée montante, et ils ont eux-mêmes donné une impulsion puissante d'expression et de richesse à sa pensée, à son Art, à sa vie; en Grèce, les mystiques et les mystères étaient là dès la préhistoire et à l'apogée (Pythagore était l'un des plus grands mystiques) et pas seulement au reflux et au déclin; les cultes mystiques étaient florissants à Rome quand sa culture était à son sommet; beaucoup de grandes personnalités spirituelles en Italie, en France, en Espagne jaillirent dans une vie qui était riche, vivace, et pas touchée le moins du monde par la décadence. Cette généralisation hâtive et stupide ne contient aucune vérité et n'a par conséquent aucune valeur.

Argument numéro deux. Une expérience spirituelle ne peut pas être tenue pour vraie (c'est une chimère) à moins qu'elle ne soit prouvée tout comme la présence d'une chaise dans la pièce à côté peut être prouvée en la montrant au

 

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regard. Évidemment, l'expérience spirituelle ne peut pas être prouvée de cette façon, car elle n'appartient pas à l'ordre des faits physiques et n'est pas physiquement visible ou tangible. La proposition de l'auteur reviendrait à ceci, que seul ce qui est ou peut facilement devenir évident à tous sans aucun entraînement, développement, équipement ou découverte personnelle peut être tenu pour vrai. C'est une position qui, si elle est acceptée, confinerait la connaissance ou la vérité dans des limites très étroites et rejetterait une grande partie de la culture humaine. Une paix spirituelle — la paix qui passe tout entendement — est une expérience commune aux mystiques à travers le monde entier, c'est un fait mais un fait spirituel, un fait de l'invisible, et quand on y entre ou qu'on en est pénétré, on sait que c'est une vérité d'existence et qu'elle est là, tout le temps, derrière la vie et les choses visibles. Mais comment pourrais-je prouver ces faits invisibles à M. Léonard Woolf? Il tournerait le dos en disant que c'est l'habituel caquetage décadent et s'éloignerait avec mépris — peut-être pour écrire un autre article adroitement creux sur quelque sujet dont il n'a personnellement aucune connaissance ni aucune expérience.

Argument numéro trois. Les généralisations fondées sur l'expérience spirituelle sont aussi irrationnelles qu'improuvées. Irrationnelles de quelle manière? Sont-elles simplement stupides et inconcevables, ou appartiennent-elles à un ordre suprarationnel d'expérience auquel les canons intellectuels ordinaires ne s'appliquent pas parce qu'ils se fondent sur les phénomènes tels qu'ils apparaissent au mental et aux sens extérieurs, et non à une réalisation intérieure qui surpasse ces phénomènes? C'est ce qu'affirment les mystiques, et cela ne peut être écarté simplement en disant que comme ces généralisations ne sont pas conformes à l'expérience ordinaire, elles ne sont en conséquence que dépourvues de sens et fausses. Je n'entreprends pas de défendre tout ce qu'ont pu écrire Joad ou Râmakrishna comme la déclaration que "l'univers est bon" mais je ne puis absolument pas admettre, à propos des déclarations condamnées par l'auteur, qu'elles

 

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sont irrationnelles. "Intégrer la personnalité" peut n'avoir aucun sens pour lui, cela a pour moi un sens très clair, car c'est une vérité d'expérience — et s'il faut en croire la psychologie moderne, ce n'est pas irrationnel, puisqu'il y a dans notre être non seulement une partie consciente, mais une partie inconsciente ou subconsciente ou subliminale et cachée et qu'il n'est pas impossible de devenir conscient des deux et de faire une sorte d'intégration. Transcender les deux peut aussi avoir une signification rationnelle, si nous admettons que de même qu'il y a un subconscient, de même il peut y avoir une partie supraconsciente de notre être; réconcilier les parties disparates de notre nature ou de notre expérience n'est pas non plus une expression si ridicule ni dénuée de signification. Il n'est pas absurde de dire que la doctrine du karma réconcilie le déterminisme et le libre arbitre, puisqu'elle suppose que nos propres actions passées et par conséquent notre passé déterminera dans une grande mesure les résultats présents, mais pas au point d'exclure une volonté présente qui les modifie et crée un nouveau déterminisme de notre existence à venir. La phrase sur la valeur du monde est tout à fait intelligible quand nous voyons qu'elle se réfère à une valeur progressive, non déterminée par l'expérience bonne ou mauvaise du moment, une valeur d'existence se déroulant à travers le temps et prise dans sa totalité. Quant à la déclaration sur Dieu, elle n'a aucun sens si on la considère sous l'angle de l'idée superficielle du Divin courante dans la religion populaire, mais elle découle de façon parfaitement logique des prémisses selon lesquelles il y a un Éternel, un Infini qui manifeste en lui-même le Temps et les choses phénoménalement finies. On peut accepter ou rejeter cette idée complexe du Divin fondée sur la coordination de données d'une longue expérience spirituelle transmises par des milliers de chercheurs de tous les temps, mais je n'arrive pas à voir pourquoi cela devrait être considéré comme déraisonnable. Si c'est parce que cela signifie "l'avoir non seulement de deux manières mais de toutes les manières", je ne vois pas pourquoi cela serait si répréhensible et inadmissible.

 

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Il peut y avoir après tout une vision synthétique et globale et une conscience des choses qui n'est pas liée par les oppositions et les divisions d'une intelligence purement analytique et sélective ou dissectrice.

Argument numéro quatre. Le recours à l'intuition n'est qu'un moyen de dissimuler l'incapacité à expliquer ou à démontrer au moyen de la raison — Joad et Râmakrishna raisonnent, mais se réfugient dans l'intuition quand leur raisonnement échoue. La question peut-elle être résolue d'une manière aussi aisée et tranchante? Le fait est que le mystique s'appuie sur une connaissance intérieure, une expérience intérieure; mais s'il se met à philosopher, il doit essayer d'expliquer à la raison, même si ce n'est pas nécessairement par la raison seule, ce qu'il a vu être la Vérité. Il ne peut que dire "J'explique une vérité qui est au-delà des phénomènes extérieurs et de l'intelligence qui repose sur les phénomènes; elle repose en réalité sur une certaine sorte d'expérience directe et sur la connaissance intuitive qui naît de cette expérience, elle ne peut être communiquée correctement par des symboles adaptés au monde des phénomènes extérieurs, et pourtant je suis obligé d'utiliser de mon mieux ces symboles pour m'aider à exprimer quelque chose qui vous soit intellectuellement acceptable". Il n'y a ni malice ni ruse mensongère, par conséquent, à employer des métaphores et des symboles accompagnés d'un prudent "pour ainsi dire", comme dans la comparaison du foyer qui ne veut certainement pas fournir un argument, mais une image suggestive. Je puis observer en passant que l'auteur lui-même se réfugie fréquemment dans la métaphore, à commencer par le caquetage, et Joad pourrait bien répondre qu'il le fait pour damner l'adversaire tout en évitant la nécessité d'une réponse métaphysique solide à la philosophie qu'il déteste et répudie. L'intensité de la croyance n'est pas la mesure de la vérité, mais l'intensité de l'incroyance n'est pas non plus une mesure juste.

Quant à la vraie nature de l'intuition et à sa relation avec le mental intellectuel, c'est une toute autre question, très vaste et très complexe, dont je ne puis traiter ici. Je me suis borné à  

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faire ressortir que cet article est une critique tout à fait insuffisante et superficielle. Un procès peut être intenté à l'expérience spirituelle, à la philosophie spirituelle et à ses opinions, mais pour mériter une réponse sérieuse il devrait être exposé par un meilleur avocat et toucher le centre réel du problème, qui se présente comme suit. De même qu'il y a une catégorie de faits pour lesquels nos sens sont les meilleurs guides à notre disposition, mais très imparfaits, de même qu'il y a une catégorie de vérités que nous recherchons par la lumière aiguë mais imparfaite de notre raison, de même, selon les mystiques, il y a une catégorie de vérités plus subtiles qui surpassent la portée à la fois des sens et de la raison, mais peuvent être vérifiées par une connaissance directe et une expérience directe. Ces vérités sont suprasensibles, mais n'en sont pas moins réelles: elles ont des effets immenses sur la conscience, changent sa substance et son mouvement, apportent en particulier une paix profonde et une joie durable, une grande lumière de vision et de connaissance, une possibilité de surmonter la nature animale inférieure, des perspectives de développement spirituel de soi, qui sans elles n'existent pas. Une nouvelle vision des choses apparaît et apporte avec elle, si elle est poussée jusqu'à ses extrêmes conséquences, une grande libération, une harmonie intérieure, une unification — et encore bien d'autres possibilités. Ces choses ont été expérimentées, il est vrai, par une petite minorité de l'espèce humaine, et pourtant il y a eu une foule de témoins indépendants en toutes époques, en tous climats et de toutes conditions, et parmi eux certaines des plus grandes intelligences du passé, quelques-unes des figures les plus remarquables du monde. Ces possibilités doivent-elles être condamnées immédiatement comme des chimères parce qu'elles sont non seulement hors de la portée de l'homme de la rue, mais aussi difficilement saisissables même par bien des intellects cultivés, ou parce que leur méthode est plus difficile que celle des sens ordinaires ou de la raison? S'il y a dans ces expériences une vérité quelconque, cette possibilité qu'elles ouvrent ne vaut-elle pas la peine d'être poursuivie, puisqu'elle

 

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dévoile un ordre plus élevé de découverte de soi et de découverte du monde par l'âme humaine? En mettant les choses au mieux, si ces expériences sont considérées comme vraies, ce doit être cela — au pire, considérées seulement comme une possibilité, comme toutes les choses atteintes par l'homme n'ont été à leur début qu'une possibilité, c'est une grande, ce pourrait bien être une très fructueuse aventure.  

II

Je ne pense pas qu'on puisse dire quoi que ce soit pour convaincre quelqu'un qui part d'un point de vue exactement opposé au point de vue spirituel, d'une manière de voir qui serait celle d'un agnostique de l'époque victorienne. Ses doutes sur la valeur — autre que subjective et purement individuelle — de l'expérience yoguique reposent sur l'idée que cette expérience n'a pas pour but d'atteindre la vérité scientifique et ne peut être réputée parvenir à l'ultime vérité, parce que ses expériences sont colorées par l'individualité du voyant. On peut se demander si la Science elle-même est arrivée à une quelconque vérité ultime; au contraire, l'ultime vérité, même sur le plan physique, semble reculer à mesure que la Science progresse. La Science est partie du postulat que l'ultime vérité doit être physique et objective — et tous les phénomènes subjectifs seraient expliqués par l'Ultime objectif (ou même moins que cela). Le yoga part du point de vue opposé que l'ultime Vérité est spirituelle et subjective et que c'est dans cette Lumière ultime que nous devons considérer les phénomènes objectifs. Ce sont deux pôles opposés et l'abîme ne peut être plus vaste.

Le yoga, pourtant, est scientifique dans la mesure où il procède par expériences subjectives et fonde toutes ses découvertes sur l'expérience; les intuitions mentales ne sont admises que dans un premier stade et ne sont pas considérées comme une réalisation — elles doivent être confirmées en se transformant en une expérience qui les justifie. Quant à la

 

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valeur de l'expérience elle-même, elle est miss en doute par le mental physique parce qu'il est subjectif et non objectif. Mais la distinction a-t-elle beaucoup de valeur? Toute connaissance, toute expérience n'est-elle pas au fond subjective? Tous les êtres humains voient les objets physiques extérieurs d'une manière très semblable à cause de la construction du mental et des sens; une autre construction mental et sensorielle rendrait compte d'une manière tout ai fat différente du monde physique — la Science elle-même l'a montré très clairement. Mais l'argument de votre ami est que l'expérience yoguique est individuelle, nuancée pair l'individualité du voyant. Cela peut être vrai, dans une certaine mesure, de la forme précise de l'expérience ou de sa transcription dans certains domaines; même ici, cependant, la différence est superficielle. C'est un fait que l'expérience yoguique se déroule partout de façon analogue. Certes, il y a, non pas une voie, mais plusieurs; car, admettons-le, nous avons affaire à un Infini qui a beaucoup de facettes, et vers lequel mènent et doivent mener de nombreuses voies; mais les lignes générales sont cependant les mêmes partout et le; intuitions, les expériences, les phénomènes sont les mêmes à travers des époques et des pays très éloignés les uns des autres, et dans des systèmes pratiqués tout à fait indépendamment. Les expériences du bhakta ou mystique médiéval d'Europe sont précisément les mêmes en substance, bien qu'elles diffèrent par les noms, les formes, la coloration religieuse, etc., que celles du bhakta ou mystique médiéval de l'Inde — et cependant ils ne correspondaient pas entre eux, n'étaient pas informés des expériences et des résultats le; uns des autres, comme les hommes de science modernes, de New-York à Yokohama. Cela semblerait démontrer qu'il y a là quelque chose d'identique, d'universel et de probablement vrai — cependant les nuances de la transcription peuvent être différentes à cause de la différence de langage mental.

Quant à l'ultime Vérité, je suppose; que l'agnostique victorien, tout comme, disons, le védântin indien, dirait qu'elle est voilée mais présente. Tous deux en parlent comme de  

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l'Inconnaissable; la seule différence est que le védântin dit qu'elle est inconnaissable par le mental et inexprimable par la parole, mais peut être atteinte par quelque chose de plus profond ou de plus élevé que la perception mentale, alors même que le mental peut refléter et la parole exprimer les mille aspects qu'elle offre à l'expérience extérieure et intérieure du mental. L'agnostique victorien, je suppose, éliminerait cette distinction; il mettrait en doute l'existence de l'Inconnaissable, et proclamerait, s'il existe, son inconnaissabilité absolue.

 

Vous me demandez si vous devez abandonner la prédilection qui vous porte à vérifier avant d'accepter, et tout accepter a priori dans le yoga — et vous entendez par là une vérification qui serait faite par la raison ordinaire. La seule réponse que je puisse donner à cela est que les expériences du yoga appartiennent à un domaine intérieur et sont soumises à une loi qui leur est propre, ont leur propre méthode de perception, leurs critères et ainsi de suite, qui n'appartiennent ni au domaine des sens physiques, ni au domaine de la recherche rationnelle ou scientifique. La recherche scientifique va au-delà des sens physiques et pénètre dans le domaine de l'infini et de l'infinitésimal, dans lequel les sens ne peuvent rien dire ni vérifier — , car on ne peut pas voir ni toucher un électron, ni vérifier par le mental sensoriel s'il existe ou non, ni décider par ce témoignage si la terre tourne réellement autour du soleil et non plutôt le soleil autour de la terre comme nos sens et toute notre expérience physique nous le montrent quotidiennement; de même, la recherche spirituelle va au-delà du domaine de la recherche scientifique ou rationnelle et il est impossible, à l'aide de la raison positive ordinaire, de vérifier les faits de l'expérience spirituelle et de décider si ces choses existent ou non et quelle est leur loi et leur nature. Tout comme dans la Science, vous devez accumuler expérience sur expérience, en suivant fidèlement les méthodes établies par le

 

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gourou ou par les systèmes du passé, vous devez cultiver une discrimination intuitive qui compare les expériences, voit ce qu'elles signifient, jusqu'à quel point et dans quel domaine chacune d'elles est valable, quelle est la place de chacune d'elles dans l'ensemble, comment elle peut être réconciliée ou reliée avec d'autres qui paraissaient à première vue la contredire, etc., etc., jusqu'à ce que vous puissiez vous mouvoir avec une connaissance sûre dans le vaste domaine des phénomènes spirituels. C'est la seule manière de vérifier l'expérience spirituelle. J'ai moi-même essayé l'autre méthode et l'ai trouvée absolument inefficace et inapplicable. D'autre part, si vous n'êtes pas prêt à passer vous-même par tout cela — peu en sont capables, sauf ceux qui sont d'une stature spirituelle exceptionnelle — vous devez accepter la direction d'un Maître, comme dans la Science vous acceptez un professeur au lieu de reprendre vous-même tout le domaine de la Science et son expérimentation — au moins jusqu'à ce que vous ayez accumulé suffisamment d'expérience et de connaissance. Si c'est cela accepter les choses a priori, bien, vous devez les accepter a priori. Car je suis incapable de voir par quelles vérifications valables vous vous proposez de rendre la raison ordinaire juge de ce qui la dépasse.

Vous citez les paroles de V ou de X. J'aimerais savoir, avant d'attribuer une valeur à ces déclarations, ce qu'ils ont fait en réalité pour vérifier leurs perceptions et leurs expériences spirituelles. Comment V a-t-il vérifié la valeur de ses expériences spirituelles — dont certaines ne sont pas plus facilement crédibles pour le mental positif ordinaire que les miracles attribués à certains yogi célèbres? Je ne sais rien de X, mais quelles étaient ses vérifications et comment les a-t-il appliquées? Quelles étaient ses méthodes? ses critères? Il me semble qu'aucun mental ordinaire n'acceptera l'apparition de Bouddha sortant d'un mur ni la demi-heure d'entretien avec Hayagriva comme des faits validés par aucun genre de vérification. Il devrait les accepter soit a priori, soit sur le seul témoignage de V, ce qui revient au même, ou les rejeter a  

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priori comme étant des hallucinations ou de simples images mentales accompagnées, dans un cas, par une hallucination auditive. Je ne vois pas comment il pourrait les "vérifier". Comment aurais-je pu vérifier par le mental ordinaire mon expérience du Nirvana? Quelles conclusions pouvais-je en tirer à l'aide de la raison positive ordinaire? Comment aurais-je pu vérifier sa validité? Je suis bien en peine de l'imaginer. J'ai fait la seule chose qui m'était — possible je l'ai acceptée comme une vérité d'expérience forte et valable, je lui ai donné libre cours et l'ai laissée produire ses pleines conséquences expérimentales jusqu'à ce que j'aie assez de connaissance yoguique pour la mettre à sa place. Finalement, comment, sans connaissance et sans expérience intérieure, est-il possible, pour vous ou quiconque, de vérifier la connaissance et l'expérience intérieures des autres?

J'ai souvent dit que la discrimination est non seulement parfaitement admissible, mais indispensable dans l'expérience spirituelle. Mais ce doit être une discrimination fondée sur la connaissance, non un raisonnement fondé sur l'ignorance. Autrement vous ligotez votre mental et vous entravez l'expérience par des idées préconçues qui sont autant des a priori que peut l'être n'importe quelle acceptation d'une vérité ou d'une expérience spirituelle. Votre idée que la consécration ne peut venir que par l'amour en est un exemple. Il est parfaitement vrai dans l'expérience yoguique que la consécration par l'amour vrai, c'est-à-dire par l'amour psychique et spirituel, est la plus puissante, la plus simple et la plus efficace de toutes, mais il n'est pas possible, en posant cela en principe comme une maxime déduite par la raison ordinaire, d'enfermer toute possibilité d'expérience de la consécration dans cette formule ou d'annoncer sur cette base qu'il faut attendre d'aimer parfaitement avant de se consacrer. L'expérience yoguique démontre que la consécration peut aussi se faire par le mental et la volonté, un mental sincère et clair qui voit la nécessité de la consécration, et une volonté sincère et claire qui l'impose aux parties récalcitrantes. Également, l'expérience montre que la consécration

 

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peut non seulement venir par amour, mais que l'amour peut venir aussi par la consécration ou croître, par elle, d'un amour imparfait à un amour parfait. On part d'une idée et d'une volonté intenses de connaître ou d'atteindre le Divin et on consacre de plus en plus ses idées, ses désirs, ses attachements. ses motifs d'action ou ses habitudes d'action personnels ordinaires afin que le Divin puisse s'emparer de tout. La consécration, c'est ceci: abandonner notre petit mental, nos idées et nos préférences mentales à une Lumière divine et une Connaissance plus grande, notre volonté mesquine, personnelle, embrouillée, aveugle, trébuchante à une Volonté et une Force vastes, calmes, tranquilles, lumineuses, nos sentiments étroits, agités, tourmentés à un Amour et un Ananda divins vastes et intenses, notre petite personnalité souffrante à l'unique Personne dont elle est une obscure conséquence. Si vous vous obstinez dans vos propres idées et vos propres raisonnements, la Lumière et la Connaissance plus grandes ne peuvent pas venir ou sont alors déformées et obstruées à chaque pas par une interférence inférieure; si vous insistez sur vos désirs et vos fantaisies, cette Volonté, cette Force grande et lumineuse ne peut agir avec la vérité de son propre pouvoir — car vous lui demandez d'être la servante de vos désirs; si vous refusez d'abandonner vos manières mesquines de sentir, l'Amour éternel et l'Ânanda suprême ne peuvent descendre ou se mêlent et débordent du vase effervescent des émotions grossières. Tous les raisonnements ordinaires ne peuvent dispenser de la nécessité de surmonter l'inférieur pour que le supérieur puisse prendre place.

Et si certains trouvent que la retraite est le meilleur moyen de se donner au Plus-Haut, au Divin, en évitant autant que possible le bouillonnement du bas, pourquoi pas? C'est le but pour lequel ils sont venus, et pourquoi les blâmer ou regarder avec défiance et soupçon le moyen qu'ils trouvent le meilleur, ou le barbouiller d'adjectifs méprisants pour le discréditer sinistre, inhumain et tout le reste? C'est votre vital qui s'en écarte et votre mental vital qui fournit ces épithètes qui n'expriment que votre répulsion, et non ce qu'est véritablement

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la retraite. Car c'est le vital ou sa partie sociale qui répugne à la solitude; non pas le mental pensant qui plutôt la rechercherait. Le poète recherche la solitude avec lui-même ou avec la Nature pour écouter son inspiration; le penseur plonge dans la solitude pour méditer sur les choses et communier avec une connaissance plus profonde; l'homme de science s'enferme dans son laboratoire pour s'absorber par l'expérience dans les secrets de la Nature; ces retraites ne sont ni sinistres ni inhumaines. Non plus que la retraite du sâdhak dans la concentration exclusive dont il ressent le besoin; c'est le moyen vers une fin — vers la fin à laquelle tout son cœur est attaché. Quant au yogi ou au bhakta qui a déjà commencé à avoir l'expérience fondamentale, il n'est pas dans une solitude sinistre et inhumaine. Le Divin et le monde entier sont là, dans l'être du premier; le Bien-Aimé suprême ou son Ananda sont là, dans le cœur de second.

Je m'élève, en disant cela, contre votre mépris de la retraite, qui se fonde sur l'ignorance de ce qu'elle est en réalité; mais comme je l'ai souvent dit, je ne recommande pas un isolement total, car je tiens cela pour un expédient dangereux qui peut mener à un état morbide et à bien des erreurs. Je n'impose pas non plus la retraite à quiconque en tant que méthode, ni ne l'approuve à moins que la personne elle-même ne la recherche, ne sente sa nécessité, n'y trouve la joie et la preuve personnelle qu'elle l'aide dans l'expérience spirituelle. Elle ne doit être imposée à personne en tant que principe, car c'est la manière mentale de faire les choses, la manière du mental ordinaire — c'est en tant que moyen qu'elle doit être acceptée, quand elle est ressentie comme une nécessité, non en tant que loi ou règle générale.

Ce que vous décrivez dans votre lettre comme la réponse du Divin ne porterait pas ce nom dans la langue de l'expérience yoguique — ce sentiment de grande paix, de lumière, d'aisance, de confiance, de diminution des difficultés, de certitude, serait plutôt appelé une réponse de votre propre nature au Divin. Il y a une Paix ou une Lumière qui est la réponse du .Divin, mais c'est une Paix vaste, une grande Lumière qui est

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ressentie comme une présence autre que votre propre moi, non pas une partie de votre propre nature, mais quelque chose qui vient d'au-dessus, bien que cela finisse par posséder la nature — ou il y a une Présence qui porte en effet avec elle la libération, le bonheur, la certitude absolus. Mais les premières réponses du Divin sont rarement comme cela — elles viennent plutôt comme un contact, une pression, que l'on doit être en mesure de reconnaître et d'accepter, ou bien c'est une voix assurée, quelquefois une "petite voix tranquille", une Image ou une Présence momentanée, quelquefois un Conseil chuchoté, cela peut prendre beaucoup de formes. Puis cela se retire et la préparation de la nature se poursuit jusqu'à ce que le contact puisse revenir encore et encore, durer plus longtemps, se changer en quelque chose de plus pressant, de plus proche, de plus intime. Le Divin, au début, ne s'impose pas — il demande qu'on le reconnaisse, qu'on l'accepte. C'est une des raisons pour lesquelles le mental doit devenir silencieux, ne pas chercher de preuves, ne pas avoir d'exigences — il doit y avoir place pour la véritable intuition qui reconnaît tout de suite le vrai contact et l'accepte.

Passons maintenant à l'activité tumultueuse du mental qui vous empêche de vous concentrer. Mais cette difficulté — ou encore une activité plus fatigante, plus obstinée, plus usante, plus mécanique — se présente toujours quand on essaie de se concentrer, et il faut beaucoup de temps pour la surmonter. Cela, ou encore l'habitude du sommeil qui s'oppose soit à la concentration éveillée, soit au samâdhi conscient, soit à la transe absorbée et excluant tout, qui sont les trois formes que prend la concentration yoguique. Mais c'est sûrement l'ignorance du yoga. de son processus et de ses difficultés qui fait que vous vous désespérez et vous déclarez inapte à jamais à cause de cet obstacle tout à fait ordinaire. L'obstination du mental ordinaire et de ses raisonnements, de ses sentiments et de ses jugements faux, l'activité erratique du mental pensant dans la concentration, ou son activité mécanique, la lenteur de la réponse au contact voilé ou initial, sont les obstacles ordinaires qu'impose le mental, tout comme l'orgueil, l'ambition,

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la vanité, le sexe, la rapacité, la possession des choses pour son propre ego sont les difficultés et les obstacles que présente le vital. Les difficultés vitales peuvent être abattues et conquises, il en est de même des difficultés mentales. On doit seulement voir que ce sont des obstacles inévitables et ne pas s'y cramponner ni être terrifié ou submergé parce qu'ils sont là. Il faut persévérer jusqu'à ce qu'on puisse se retirer du mental comme du vital et sentir les Pourousha du mental et du vital plus profonds et plus vastes au-dedans, qui sont capables de silence, capables d'une réceptivité directe du Verbe et de la Force vrais, comme du vrai silence. Si la nature choisit de combattre d'abord les difficultés, alors la première moitié du chemin est longue et ennuyeuse et on se plaint de ne pas recevoir la réponse du Divin. Mais en réalité le Divin est là tout le temps, travaillant derrière le voile, tout en attendant que soit reconnue sa réponse et que la réponse à sa réponse soit possible.

 

 

On sent là un courant venu directement des sources de la Vérité qu'on ne rencontre pas aussi souvent qu'on pourrait le désirer. Voici un mental capable non seulement de penser mais de voir — et de voir non seulement les surfaces des choses, avec lesquelles la plupart du temps la pensée mentale se bat sans fin ni issue définie et comme s'il n'y avait rien d'autre — , mais aussi de regarder en profondeur. Les tantriques ont une expression, pashyantî vâk, pour décrire un certain niveau de la Vâk-Shakti, le Mot qui voit; voici pashyantî bouddhi, une intelligence qui voit. C'est peut-être parce que le voyant au-dedans est passé par-delà la pensée dans l'expérience, mais nombreux sont ceux qui ont une considérable richesse d'expérience sans que l'œil de la pensée en soit à ce point clarifié; l'âme sent, mais le mental poursuit ses transcriptions mêlées et imparfaites, brumeuses et confuses en idée. Le don de la vision juste devait être prêt, latent dans la nature.

C'est un exploit de s'être débarrassé si rapidement et de  

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façon si décisive des brumes et des brouillards chatoyants que l'intellectualisme moderne prend pour la Lumière de la Vérité. Le mental moderne a erré si longtemps et avec tant de persistance — et nous avec lui — dans la Vallée des Fausses Lueurs qu'il n'est aisé pour personne de disperser ses brumes par le soleil d'une vision claire aussi vite et aussi totalement qu'ici. Tout ce qui est dit sur l'humanisme moderne et l'humanitarisme, sur les vains efforts de l'idéaliste sentimental et de l'intellectuel inefficace, sur l'éclectisme synthétique et d'autres choses similaires est d'une admirable clarté mentale, tout cela frappe juste. Le changement radical de son mode de vie qui devient pourtant impératif, ce n'est pas par ces moyens que l'humanité l'obtiendra mais seulement en touchant le roc le plus profond de la Réalité qui est derrière — non par de simples idées et formations mentales, mais par un changement de la conscience, une conversion intérieure et spirituelle. Mais c'est une vérité qu'il serait difficile de faire entendre dans le vacarme qu'élèvent actuellement quantités de voix en toutes sortes de clameurs, dans la confusion et la catastrophe présentes.

La distinction, faite ici de manière très pénétrante, entre le plan du processus phénoménal de la Prakriti extériorisée et le plan de la Réalité divine, est parmi les premiers mots de la sagesse intérieure. La forme qui lui est donnée dans ces pages n'est pas seulement une ingénieuse explication; elle exprime très solidement l'une des claires certitudes que vous rencontrez quand vous passez la frontière et que vous regardez le monde extérieur en prenant fermement appui sur l'expérience spirituelle intérieure. Plus vous allez au-dedans et au-dessus, plus change la vision des choses et plus la connaissance extérieure qu'organise la Science prend sa place réelle et très limitée. La Science, comme presque toute la connaissance mentale et extérieure, ne vous donne que la vérité du procédé. J'ajouterai qu'elle ne peut même pas vous donner toute la vérité du procédé; car vous saisissez quelques-uns des pondérables, mais vous passez à côté des impondérables dont l'importance est capitale; vous saisissez non pas

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même le comment, mais les conditions dans lesquelles les choses se produisent dans la Nature. Après tous les triomphes et les merveilles de la Science, le principe explicatif, la raison d'être, la signification du tout reste aussi obscure, aussi mystérieuse et même plus mystérieuse que jamais. Le schéma qu'elle a construit de l'évolution, non seulement de ce monde matériel riche, vaste et diversifié, mais de la vie, de la conscience, du mental et de leurs opérations à partir d'une masse brute d'électrons, identiques et ne variant que par leur disposition et leur nombre, est une magie irrationnelle plus déconcertante que tout ce qui pourrait être conçu par l'imagination la plus mystique. La science nous laisse finalement dans un paradoxe achevé, un accident organisé et rigidement déterminé, une impossibilité qui s'est, de quelque manière, produite — elle nous a montré une nouvelle Maya, une Maya matérielle, aghatana-ghatana-patîyasî, très habile à amener l'impossible, un miracle qui ne peut logiquement se produire et pourtant est là, irrésistiblement organisé, mais toujours irrationnel et inexplicable. Et cela, évidemment, parce que la Science est passée à côté de quelque chose d'essentiel; elle a vu et examiné ce qui est arrivé et, dans une certaine mesure, comment cela est arrivé, mais elle a fermé les yeux devant quelque chose qui aurait rendu cet impossible possible, quelque chose qu'il est là pour exprimer. Il n'y a pas de signification fondamentale dans les choses si vous omettez la Réalité divine; car vous restez enseveli dans une gangue épaisse d'apparences superficielles, maniables et utilisables. C'est la magie du Magicien que vous cherchez à analyser, mais ce n'est que quand vous entrez dans la conscience du Magicien lui-même que vous pouvez commencer à avoir l'expérience de l'origine véritable, de la signification et des cercles de la Lîlâ. Je dis "commencer", parce que la Réalité divine n'est pas si simple qu'on puisse au premier contact tout en connaître ou la condenser en une formule unique; c'est l'Infini, et il ouvre devant vous une connaissance infinie auprès de laquelle toute la Science mise ensemble est une bagatelle. Cependant vous touchez l'essentiel, l'éternel derrière les choses et dans la

 

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lumière de Cela tout commence à être profondément lumineux, intimement intelligible.

Je vous ai déjà dit ce que je pensais des coups d'œil inefficaces que jettent certains esprits scientifiques bien intentionnés sur la surface ou la surface apparente de la Réalité spirituelle derrière les choses et je n'ai pas besoin d'amplifier. Plus important est le pronostic d'un danger plus grand que l'adversaire — les sceptiques — fait monter à l'attaque contre la validité de l'expérience spirituelle et supraphysique, leur nouvelle stratégie qui consiste à la détruire en l'admettant et en l'expliquant à leur propre manière. Cette appréhension pourrait bien être fondée; mais je doute que, ces choses une fois soumises à un examen attentif, le mental de l'humanité se satisfasse longtemps d'explications sottement superficielles et extérieures, d'explications qui n'expliquent rien. Si les défenseurs de la religion occupent une position peu solide, aisée à conquérir, quand ils affirment la seule valeur subjective de l'expérience spirituelle, les opposants aussi me semblent ouvrir, sans le savoir, les portes de la citadelle matérialiste par le simple fait de consentir à examiner l'expérience spirituelle et supraphysique. Leur retranchement dans le domaine physique, leur refus d'admettre ou même d'examiner les choses supraphysiques était le donjon de leur sécurité; dès qu'ils l'abandonneront, le mental humain, se pressant vers quelque chose de moins négatif, de plus positivement secourable, s'y précipitera par-dessus les cadavres de leurs théories et les décombres de leurs explications annihilantes et de leurs ingénieuses étiquettes psychologiques. Un autre danger peut alors apparaître — non une négation finale de la Vérité, mais une répétition d'une erreur passée, sous une forme ancienne ou nouvelle, d'une part une résurgence de la religiosité aveugle, fanatique, obscurantiste, sectaire; d'autre part une chute dans les fossés et les fondrières de l'occultisme vital et du pseudo-spirituel — erreurs qui firent toute la vraie force de l'attaque matérialiste contre le passé et ses crédos. Mais il y a des fantasmes qui viennent toujours à notre rencontre sur la

 

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frontière ou dans la contrée qui s'étend entre l'obscurité matérielle et la Splendeur parfaite. En dépit de tout, la Lumière suprême, même dans la conscience terrestre obscurcie, demeure seule l'ultime certitude.

L'art, la poésie, la musique ne sont pas le yoga, ne sont pas plus en eux-mêmes des choses spirituelles que la philosophie ou la Science. Ici se dissimule une autre incapacité curieuse de l'intellect moderne — son impossibilité à établir la distinction entre le mental et l'esprit, sa promptitude à prendre les idéalismes mentaux, moraux et esthétiques pour de la spiritualité et leurs degrés inférieurs pour des valeurs spirituelles. La simple vérité est que les intuitions mentales du métaphysicien ou du poète sont pour la plupart loin d'atteindre le niveau d'une expérience spirituelle concrète; ce sont des éclairs lointains, des reflets indistincts, non des rayons issus du centre de la Lumière. Il n'en est pas moins vrai que, vues des cimes, il n'y a pas beaucoup de différence entre les hautes éminences mentales et les modestes ascensions de cette existence extérieure. Toutes les énergies de la Lîlâ sont égales vues d'en haut. toutes sont des déguisements du Divin. Mais il faut ajouter que toutes peuvent devenir l'instrument d'un premier pas vers la réalisation du Divin. Un jugement philosophique sur l'Âtman est une formule mentale et non une connaissance, ni une expérience; pourtant, le Divin le prend parfois comme chenal d'accès; curieusement, une barrière du mental s'effondre, une vision naît. un changement profond s'opère dans une partie intérieure, dans le fond de la nature pénètre quelque chose de calme, d'égal, d'ineffable. On se tient sur une crête de montagne et on entrevoit, on sent mentalement une ampleur qui pénètre tout, une Immensité ineffable dans la Nature; alors tout à coup vient le contact, une révélation, un flot, le mental se perd dans le spirituel, on éprouve la première invasion de l'Infini. Ou vous êtes devant un temple de Kâlî près d'une rivière sacrée et que voyez-vous? — une sculpture, une gracieuse pièce d'architecture, mais mystérieusement un moment plus tard, inattendue, s'impose à la place une Présence, un Pouvoir, un

 

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Visage qui regarde le vôtre, et votre regard intérieur a contemplé la Mère du Monde. Des contacts semblables peuvent venir par l'art, la musique, la poésie, à leur auteur ou à celui qui ressent le choc du mot, le sens caché d'une forme, le message d'un son qui porte plus de signification peut-être que le compositeur, consciemment, ne voulait y mettre. Toutes choses dans la Lîlâ peuvent devenir des fenêtres qui s'ouvrent sur la Réalité cachée. Pourtant, aussi longtemps que l'on se contente de regarder par les fenêtres, ce n'est qu'un premier gain; un jour il faudra prendre le bâton du pèlerin et se mettre en route pour trouver la Réalité là où elle est toujours manifeste et présente. Il peut être encore moins satisfaisant spirituellement de demeurer dans les reflets indistincts, il devient impératif de chercher la Lumière qu'ils essaient de représenter. Mais puisque cette Réalité et cette Lumière sont en nous-même tout autant que dans quelque haute région au-dessus du plan mortel, nous pouvons, en les cherchant, utiliser bien des formes et des activités de la vie; comme on offre une fleur, une prière, une action au Divin, on peut offrir une forme de beauté que l'on crée, une chanson, un poème, une image, une phrase de musique, et gagner par là un contact, une réponse ou une expérience. Et quand on est entré dans cette conscience divine ou qu'elle croît à l'intérieur, alors le yoga n'exclut pas qu'on s'exprime dans la vie à travers tout cela; ces activités créatrices peuvent encore avoir leur place, bien qu'intrinsèquement cette place ne puisse être plus grande que celle d'autres activités qui peuvent être mises au service du Divin, et utilisées par lui. L'art, la poésie, la musique, dans leur fonctionnement ordinaire, créent des valeurs mentales et vitales, non des valeurs spirituelles; mais elles peuvent être tournées vers un but plus élevé, et comme toutes les choses qui sont capables de relier notre conscience au Divin, elles sont transmuées, deviennent spirituelles et peuvent être admises comme faisant partie de la vie du yoga. Toutes choses prennent une valeur nouvelle non par elles-mêmes, mais par la conscience qui les utilise; car il est une seule chose

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essentielle, nécessaire, indispensable, c'est de devenir conscient de la Réalité divine et d'y vivre, et de la vivre toujours.

 

 

La difficulté est que vous êtes un non-scientifique qui essaie d'imposer ses idées au domaine le plus difficile, parce que le plus matériel, de la science — la physique. Si vous étiez vous-même un homme de science fondant ses idées sur des faits scientifiques universellement reconnus, ou encore sur ses propres découvertes — et même là avec beaucoup de difficulté — alors seulement vous pourriez trouver une audience, ou votre opinion pourrait avoir un certain poids. Autrement, vous vous exposez au reproche de vous prononcer dans un domaine où vous n'avez aucune autorité, tout comme l'homme de science qui déclare, sur la foi de ses découvertes, que Dieu n'existe pas. Quand l'homme de science dit que "scientifiquement parlant. Dieu est une hypothèse qui n'est plus nécessaire", il profère une absurdité notoire — car l'existence de Dieu n'est pas, ne peut pas être, n'a jamais été une hypothèse ou un problème scientifique, c'est, et cela a toujours été un problème spirituel ou métaphysique. Vous ne pouvez pas en parler scientifiquement, ni pour ni contre. Le métaphysicien ou le chercheur spirituel a le droit de faire remarquer que c'est une absurdité; mais si vous dictez la loi à l'homme de science dans son domaine, vous courez le risque de voir la même objection retournée contre vous.

Quant à l'unité de toute connaissance, elle est in posse, non encore in esse. La méthode mécanique de connaissance mène à certains résultats, la méthode supérieure mène à d'autres, et en de nombreux points elles sont fondamentalement en désaccord. Comment le différend peut-il être résolu — car chacune semble valable dans son propre domaine? c'est un problème à résoudre, mais vous ne pouvez pas le résoudre de la manière que vous proposez. Surtout pas dans le domaine de la physique. En psychologie, on peut dire que l'approche mécanique ou physiologique saisit le problème par son côté

 

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aveugle et est la moins fructueuse de toutes — car la psychologie n'est pas principalement un domaine de mécanisme et de mesure, elle débouche sur de vastes espaces au-delà des instrumentations de la conscience physique. En biologie on peut saisir une lueur de quelque chose au-delà du mécanisme, car il y a là, dès le début, un tressaillement de conscience progressant et s'organisant de plus en plus pour s'exprimer. Mais en physique vous êtes dans le domaine même de la loi mécanique où le processus est tout et où la conscience motrice a choisi de se dissimuler plus totalement — si bien que là, "scientifiquement parlant", elle n'existe pas. On ne peut l'y découvrir que par l'occultisme et le yoga, mais les méthodes de la science occulte et du yoga ne sont pas mesurables par les moyens de la science physique et ne peuvent être suivies par elle — , alors l'abîme demeure. Un pont l'enjambera peut-être un jour, mais ce n'est probablement pas le physicien qui le construira, il est donc inutile de lui demander de tenter ce qui est au-delà de son domaine.

 

 

Le désir des occultistes et des spirites de convaincre les hommes de science est absurde et illogique. Les hommes de science ont leur propre domaine, qui a ses propres instruments et ses propres étalons. Soumettre aux mêmes épreuves des phénomènes d'une espèce différente est aussi sot que de soumettre à des épreuves physiques la vérité spirituelle. On ne peut pas disséquer Dieu ni voir l'âme sous un microscope. De même, soumettre des esprits désincarnés ou même des phénomènes psycho-physiques à des épreuves et à des mesures valables seulement pour des phénomènes matériels est une méthode tout à fait fausse et défectueuse. En outre, les hommes de science sont, pour la plupart, résolus à ne pas admettre ce qui ne peut pas être nettement empaqueté, étiqueté et classé selon leur propre système et ses formules. Le Dr Jules Romains, homme de science lui-même autant que grand écrivain, fait des expériences pour prouver que l'homme

 

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peut voir et lire les yeux bandés; les hommes de science refusent même d'admettre ou d'enregistrer les résultats. Khoudâ Baksh vient ensuite et le prouve de façon patente, indubitable, par toutes les épreuves légitimes, les hommes de science ne sont pas du tout disposés à céder et à enregistrer le fait, bien que ses résultats soient indéniables. Il marche sur le feu sans se faire de mal et apporte un démenti à toutes les explications suggérées jusque-là — ils se jettent simplement à la recherche d'une explication nouvelle et encore plus sotte! A quoi bon essayer de convaincre des gens qui sont déterminés à ne pas croire?

 

Le mental scientifique refuse de laisser quoi que ce soit sans classification. N'a-t-il pas classifié aussi le Divin?

 

 

Le mental de ces gens (les hommes de science) est trop habitué à s'occuper d'objets physiques, mesurables par des instruments et des chiffres, pour être utilisable ailleurs. Les opinions d'Einstein hors de sa compétence sont sommaires et infantiles; c'est une sorte d'idéalisme banal et sans substance, sans prise sur les réalités. Un homme peut être un grand érudit et demeurer simple et sot; de même un homme peut être un grand scientifique mais son mental et ses idées peuvent être sans intérêt dans d'autres domaines.

 

Évidemment les psychologues, puisqu'ils s'occupent de mouvements mentaux, reconnaissent plus facilement qu'il ne peut pas y avoir de réelle équivalence entre ces mouvements et les processus physiques, et que tout au plus le mental et le corps réagissent l'un sur l'autre, ce qui est inévitable puisqu'ils cohabitent. Mais même un grand homme de science comme

 

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Huxley reconnaissait que le mental est très différent de la matière et ne peut absolument pas être expliqué en termes de matière. Seulement depuis, la Science physique est devenue très arrogante et présomptueuse et a essayé de tout soumettre à elle-même et à ses procédés. Maintenant, en théorie, elle a commencé à reconnaître ses limitations d'une manière générale, mais l'ancienne mentalité est encore trop ancrée chez la plupart des hommes de science pour qu'ils puissent s'en débarrasser.

 

À la lecture, l'article¹ donne l'impression d'avoir été écrit par

 

¹Sri Aurobindo répond ici aux points soulevés par un disciple dans la lettre suivante: "A la page 511 du "Listener" du 28 mars 1934, se trouvent quelques propositions surprenantes d'abord, la métaphysique serait une science expérimentale et aurait une chambre noire pour laboratoire; ensuite il ne serait pas nécessaire de distinguer la survie de l'immortalité. Dans un souci de clarté, la plupart des penseurs philosophes ont fait cette distinction: il est étrange que cela soit passé sous silence alors qu'une polémique est lancée contre eux... Évidemment, si on a un penchant pour l'expérimentation pratique en science, il est sans aucun doute admirable de l'employer dans des recherches psychiques mais (à moins de poser en principe que tous les humains cultivés, ou au moins tous les philosophes, devraient posséder et cultiver ce don) pourquoi faudrait-il reprocher à la majorité des philosophes d'obtenir des résultats jusqu'à présent obscurs et minces, et de suivre leur tendance à se borner à des études métaphysiques proprement dites?

(Au sujet d'un rêve où avait lieu une conversation téléphonique à longue distance avec un ami:)

"Dans la vie courante, je pense qu'un coup de téléphone peut être beaucoup moins satisfaisant qu'un échange de lettres. N'y a-t-il pas quelque chose de très symbolique dans l'émergence du téléphone et du cinéma précisément à une époque où la conduite et les relations humaines se détériorent? Par le mensonge, l'insensibilité et l'indifférence égocentrique à l'égard des autres, chaque personne devient pour les autres une ombre sans signification et une voix mensongère. Dans les remarques du critique musical du "Manchester Guardian" sur un concert à Elgar Mémorial, il y a quelques bons arguments à propos de "la réaction qui va à rencontre de la noblesse et de la tendresse en art". Je ne vois pas en quoi il faudrait davantage d'êtres humains qui créent ou apprécient un "art" susceptible de cadrer encore avec les canons de la mode; peut-être cependant que dans une civilisation asourique, les hommes sont de toute façon superflus et que seuls des "Asoura incarnés" sont nécessaires?"

 

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un professeur plutôt que par un philosophe. Ce dont vous parlez est, je suppose, une survivance du mépris scientifique du dix-neuvième siècle à l'égard de la métaphysique; toute pensée doit être fondée sur des faits scientifiques et les généralisations de la science, souvent si imparfaites et éphémères, doivent former la base de toute pensée métaphysique solide. C'est faire de la philosophie la servante de la science, de la métaphysique la cantinière de la physique, et lui dénier ses droits souverains dans sa propre cité. C'est ignorer le fait que le philosophe a son propre domaine et ses propres instruments; il peut utiliser les découvertes scientifiques comme matériaux, tout comme il peut utiliser tous les autres faits de l'existence, mais il doit juger selon ses propres normes les généralisations apportées par la science — si elles peuvent être transférées au plan métaphysique et, si oui, jusqu'à quel point. Aux beaux jours de la science physique, avant qu'elle ne découvre ses propres limitations et la fragilité de sa construction flottant de façon précaire dans un infini énorme ou dans le Fini sans limite de l'Inconnu, une telle attitude avait peut-être une excuse. Mais glorifier le spiritisme sous le nom de recherché psychique? Ce n'est pas une science; c'est une masse de documents obscurs et ambigus d'où vous ne pouvez tirer que quelques maigres et douteuses généralisations. De plus, dans la mesure où il appartient à l'occulte, il ne touche que les régions inférieures de l'occulte — ce que nous appellerions les mondes vitaux inférieurs — où il y a autant de mensonges, d'artifices et d'erreur confuse que sur la terre et même davantage. Que peut faire un philosophe de toute cette matière obscure et trouble? Je ne saisis pas le sens de plusieurs de ses remarques. Pourquoi la prédiction d'un événement futur changerait-elle notre conception — du moins n'importe quelle conception philosophique — du Temps? Cela peut changer nos idées sur le lien des événements entre eux, ou sur le travail des forces, ou sur les possibilités de la conscience,

 

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mais le Temps reste le même qu'auparavant.

Votre rêve est. évidemment, la transcription d'une tentative de communiquer sur le plan subtil. Il y a du vrai dans ce que vous dites du téléphone et du cinéma, mais il me semble que ces choses modernes, et d'autres, auraient pu prendre un caractère différent si elles avaient été acceptées et utilisées dans un esprit différent. L'humanité n'était pas prête pour ces découvertes, dans le sens spirituel, ni même, si les confusions actuelles sont révélatrices, intellectuellement prête. L'effondrement esthétique a peut-être d'autres causes, un idéalisme déçu engendrant, par son recul, son contraire, un intellectualisme sec et cynique qui refuse d'être dupe de l'idéal, du romantisme, de l'émotionnel, ou de tout ce qui est plus élevé que la raison marchant à la lumière des sens. Les Asoura du passé étaient souvent, après tout, des êtres assez grands; l'ennui, avec les Asoura actuels, est qu'ils ne sont pas de vrais Asoura, mais des êtres du monde vital inférieur. violents, brutaux et ignobles, et par-dessus tout étroits d'esprit, ignorants et obscurs. Mais cette sorte d'intellectualisme cynique et étroit qui est actuellement latent ne dure pas — il prépare sa propre fin en augmentant le dessèchement — les hommes commencent à ressentir le besoin de nouvelles sources dans la vie.

 

 

Je ne pense pas que les deux questions que vous posez aient beaucoup d'importance du point de vue de la sâdhanâ spirituelle.

1. La question concernant la science et la spiritualité aurait eu une certaine importance il y a environ vingt ans et elle emplissait les esprits des hommes dans les premières années du vingtième siècle, mais elle est maintenant périmée. La science elle-même est parvenue à la conclusion qu'elle ne peut, comme elle l'avait espéré un moment, déterminer la vérité des choses ou leur nature réelle, ou ce qu'il y a derrière les phénomènes physiques; elle ne peut s'occuper que du

 

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processus des choses physiques, de la manière dont elles se produisent et de ce que l'homme peut faire pour les traiter et les utiliser. En d'autres termes, le domaine de la science physique a maintenant été décrit et délimité avec précision et les questions concernant Dieu ou la Réalité ultime ou tous autres problèmes métaphysiques ou spirituels sont en dehors de lui. Tel est du moins le cas dans toute l'Europe continentale, et ce n'est qu'en Angleterre et en Amérique qu'il y a encore quelques tentatives de raisonner à ce propos sur la base de la science physique.

Les prétendues sciences qui traitent du mental et de l'homme (psychologie, etc.) dépendent tellement des sciences physiques qu'elles ne peuvent sortir de limites étroites. Si la Science doit tourner son visage vers le Divin, ce doit être une science nouvelle, non encore élaborée, qui s'occuperait directement des forces du monde de la vie et du Mental, et par là arriverait à ce qui est au-delà du Mental; mais la science d'aujourd'hui ne peut pas le faire.

2. Du point de vue spirituel des phénomènes aussi temporaires que le penchant des hindous cultivés pour le matérialisme sont de peu d'importance. Il y a toujours eu des périodes où le mental des nations, des continents ou des cultures se tournait vers le matérialisme, et s'éloignait de toute croyance spirituelle. L'Europe a connu une de ces périodes au dix-neuvième siècle, mais elles sont en général de courte durée. L'Europe occidentale a déjà perdu sa foi dans le matérialisme et cherche ailleurs, qu'elle retourne vers les anciennes religions ou tâtonne à la recherche de quelque chose de nouveau. La Russie et l'Asie passent maintenant par la même vague matérialiste. Ces vagues surviennent à cause d'une certaine nécessité dans le développement de l'humanité — pour détruire l'esclavage des formes anciennes et faire place à une nouvelle vérité et à de nouvelles formes de vérité et d'action dans la vie comme dans ce qui est derrière la vie.

 

 

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Je crois que X fonde ses idées sur la tentative de Jeans, d'Eddington et d'autres hommes de science anglais de bourrer des conclusions métaphysiques dans des faits scientifiques; il faudrait qu'il prenne pleinement conscience des objections que pourrait susciter un tel mélange dans des esprits plus austèrement scientifiques. En outre, la recherche spirituelle a sa propre accumulation de connaissance qui ne dépend en rien des théories ou des découvertes de la science dans le domaine purement physique. La tentative de X, comme celle de Jeans et des autres, est une réaction contre les tentatives injustifiées de quelques esprits scientifiques du dix-neuvième siècle et de bien d'autres qui profitèrent des progrès de la découverte scientifique pour discréditer ou abolir, autant que possible, l'esprit religieux, et discréditer aussi la métaphysique considérée comme un verbiage nébuleux, en exaltant la science, seule clé de la vérité de l'univers. Mais je pense que cette attitude est maintenant morte ou moribonde; les hommes de science reconnaissent, comme vous le remarquez, les limites de leur propre sphère. Je puis observer que le conflit entre la religion et la science n'est jamais apparu en Inde (avant l'apparition de l'enseignement européen) parce que la religion ne s'ingérait pas dans la découverte scientifique, et que les hommes de science ne mettaient pas en doute la vérité religieuse ou spirituelle, les deux domaines étant maintenus dans des voies séparées mais non opposées.

 

La faille dans ce que X écrit sur la Science semble être son insistance véhémente sur l'idée que la Science est encore matérialiste ou du moins que les hommes de science, à l'exception de Jeans et Eddington, sont toujours fondamentalement des matérialistes. Ce n'est pas le cas. La plupart des hommes de science européens ont abandonné l'idée que la Science peut expliquer les principes fondamentaux de l'existence. Ils soutiennent que la Science ne traite que des procédés et non des principes. Ils déclarent que la Science n'a

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pas à décider de quoi que ce soit, et n'en est pas capable, dans les grands problèmes de la philosophie et de la religion. C'est l'énorme changement apporté par les récentes évolutions de la Science. La Science, de nos jours, n'est ni matérialiste ni idéaliste. Le roc sur lequel était bâti le matérialisme et qui, au dix-neuvième siècle, semblait inébranlable, a maintenant volé en éclats. Le matérialisme est maintenant devenu une spéculation philosophique, tout comme n'importe quelle autre théorie; il ne peut prétendre se fonder sur une sorte de théorie biblique infaillible, basée sur des faits et des conclusions scientifiques. Ce changement, quelqu'un comme moi, qui ai grandi au dix-neuvième siècle dans les beaux jours du règne absolu du matérialisme scientifique, peut le sentir. La voie qui avait été entièrement bloquée, rébellion exceptée, est maintenant largement ouverte aux vérités spirituelles, aux idées spirituelles, aux expériences spirituelles. Telle est la véritable révolution. Le mentalisme n'est qu'une étape, mais le mentalisme et le vitalisme sont maintenant des hypothèses parfaitement admissibles, fondées sur les faits de l'existence, faits aussi scientifiques que les autres. Les faits de la science n'obligent personne à prendre une direction philosophique particulière. Ils sont maintenant neutres et peuvent même être utilisés d'un côté ou de l'autre, bien que les hommes de science, pour la plupart, ne considèrent pas que cette utilisation soit admissible. Personne ici n'a jamais dit que les nouvelles découvertes de la Physique soutenaient les idées de la religion ou des églises; elles soutenaient simplement que la Science avait perdu son ancien dogmatisme matérialiste et quittait, par un changement révolutionnaire, ses anciennes amarres.

C'est ce changement que j'avais prévu et prophétisé dans mes poèmes du premier volume Âhânâ, "Vision de la Science" et "Dans le clair de lune".

 

 

J'ai bien peur d'avoir perdu tout intérêt pour ces spéculations; les choses deviennent trop graves pour que je perde mon

 

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temps à ces débats intellectuels sans conclusion. Vous pouvez — je n'y vois aucun inconvénient — avancer triomphalement votre argument décisif et replacer un dogmatisme déduit de la science matérialiste sur son trône vieux d'un demi-siècle, d'où cette science pourrait victorieusement bannir toute pensée qui déborde ses étroites limites comme étant verbiage métaphysique, mysticisme ou fantasmagorie. Évidemment, si seules peuvent exister les énergies matérielles dans le monde matériel, il ne peut y avoir aucune possibilité de vie divine sur la terre. Un simple "tour mental de passe-passe" métaphysique, si l'on peut dire, ne pourrait la justifier face aux objections de la négation scientifique et du bon sens concret. J'avais même pensé que de nombreux esprits scientifiques en Europe en étaient venus à admettre que la science ne pouvait plus prétendre décider quelle était la cause réelle des choses, qu'elle n'avait aucun moyen d'en décider et qu'elle ne pouvait que découvrir et décrire le moyen et le procédé des opérations de la Force matérielle sur le front physique des choses. Cela laissait le champ libre à une pensée et à une spéculation plus hautes, à l'expérience spirituelle et même au mysticisme, à l'occultisme et à toutes ces choses plus grandes dont tout le monde, ou presque, a fini par douter en les considérant comme d'impossibles absurdités. Telle était la situation quand j'étais en Angleterre. Si cela doit revenir ou si la Russie avec son matérialisme dialectique doit gouverner le monde, alors, obéissons à la fatalité et la vie divine doit se contenter d'attendre peut-être encore un millénaire. Mais l'idée que l'un de nos périodiques soit l'arène d'un combat de cette sorte ne me plaît pas. C'est tout. J'écris sous l'impression de votre précédent article sur ce sujet, étant donné que je n'ai pas lu très attentivement les plus récents; je dois dire que ces derniers sont peut-être très convaincants, et que je m'apercevrais, après les avoir lus, que ma propre opinion était erronée, et que seul un mystique obstiné pourrait encore croire à une conquête de la Matière par l'Esprit semblable à celle que j'avais osé considérer comme possible. Mais justement, je suis un mystique obstiné; par conséquent, si j'autorisais

 

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la publication de votre exposé de la question dans un de nos périodiques, je serais dans l'obligation de revenir sur ce sujet pour lequel j'ai perdu tout intérêt, et par conséquent toute envie d'écrire afin de réaffirmer ma position, et je devrais combattre la prétention de la Science matérialiste de se prononcer sur ces questions où elle n'a aucun moyen d'investigation, ni aucune possibilité de parvenir à une conclusion valable. Peut-être que, pratiquement, je devrais récrire La Vie Divine en réponse à la victorieuse "négation du matérialiste"! À part le simple fait que le temps me manque pour attaquer ce problème, c'est la seule explication que je puisse donner à mon long et décevant silence.

 

Je sais que c'est l'explication que donnent les Russes à la tendance récente à la spiritualité et au mysticisme: un phénomène de la société capitaliste en décadence. Mais déchiffrer une cause économique, consciente ou inconsciente, dans tous les phénomènes de l'histoire humaine fait partie de l'évangile bolchevique né des sophismes de Karl Marx. La nature de l'homme n'est pas si simple ni si monocorde que cela — elle a beaucoup de voies et chacune produit un besoin dans sa vie. La voie spirituelle ou mystique est l'une d'elles et l'homme essaie de satisfaire son besoin de diverses manières, par des superstitions de toutes sortes, par une religiosité ignorante, par le spiritisme, le démonisme et bien d'autres choses; dans ses parties plus éclairées, par la philosophie spirituelle, l'occultisme supérieur et le reste; à son plus haut niveau, par l'union avec le Tout, l'Éternel ou le Divin. La tendance à la recherche de la spiritualité a commencé en Europe par un recul du matérialisme scientifique du dix-neuvième siècle, une insatisfaction à l'égard de la prétention de la raison et de l'intellect de suffire à tout, et un tâtonnement à la recherche de quelque chose de plus profond. Ce phénomène était antérieur à la guerre et a commencé alors qu'il n'y avait aucune menace de communisme, que le monde capitaliste  

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était à l'apogée de son succès et de son triomphe insolents, et il est apparu plutôt comme une révolte contre la vie bourgeoise matérialiste et ses idéaux que comme une tentative de la servir ou de la sanctifier. La désillusion de l'après-guerre l'a servi tout en s'y opposant — elle s'y est opposée parce que le monde d'après-guerre est retombé soit dans le cynisme et la vie des sens, soit dans des mouvements tels que le Fascisme et le Communisme; elle l'a servi parce que les esprits étant plus profonds, l'insatisfaction à l'égard des idéaux du passé ou du présent, à l'égard de toutes les solutions mentales, vitales ou matérielles des problèmes de la vie a augmenté, et il ne reste plus que le sentier spirituel. Il est vrai que le mental européen, n'ayant que peu de lumière sur tout cela, s'amuse avec des feux-follets comme le spiritisme ou la théosophie, ou retombe dans l'ancienne religiosité; mais les esprits plus profonds dont je parle passent à côté ou à travers à la recherche d'une plus grande Lumière. J'ai eu des contacts avec bon nombre d'entre eux et ces tendances sont très claires. Ils viennent de tous les pays et seule une minorité débarque d'Angleterre ou d'Amérique. La Russie est différente — à l'inverse des autres elle s'est attardée dans la religiosité médiévale et n'a traversé aucune période de révolte; aussi la révolte, quand elle est venue, était-elle naturellement anti-religieuse et athée. Ce n'est que lorsque cette phase sera épuisée que le mysticisme russe pourra recevoir et prendre une direction, non pas étroitement religieuse, mais spirituelle. Il est vrai que le mysticisme à revers¹, tourné sens dessus dessous, a fait du bolchévisme et de son entreprise une croyance plutôt qu'un thème politique, et la recherche d'un âge d'or secret et paradisiaque sur terre plutôt que la construction d'une structure purement sociale. Mais principalement la Russie essaie de faire sur la base communiste tout ce que l'idéalisme du dix-neuvième siècle a espéré accomplir — sans y avoir réussi — dans un climat de concurrence industrielle ou contre lui. Réussira-t-elle vraiment mieux? L'avenir en décidera — car à présent elle ne fait que conserver ce qu'elle a par une tension, une

 

¹En français dans le texte.

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contrainte violente qui n'est pas près de cesser.

 

Ce passage de l'Îsha Oupanishad¹ est évidemment un exposé beaucoup plus vaste de la nature de l'existence universelle que la théorie d'Einstein, qui se limite à l'univers physique. Vous pouvez aussi déduire de l'exposé du poème une loi de relativité beaucoup plus vaste. De ce point de vue (car il contient beaucoup plus), il signifie que la Réalité absolue existe, mais qu'elle est immuable et toujours la même, le mouvement universel est un mouvement de conscience dans cette Réalité dont seul le Transcendant lui-même peut saisir la vérité, qui pour lui est évidente, alors que son appréhension par les Dieux (le mental, les sens, etc.) doit nécessairement être imparfaite et relative, puisqu'ils peuvent essayer de suivre cette Vérité mais qu'aucun ne peut vraiment la dépasser (l'appréhender ou la saisir), chacun étant limité par son propre point de vue,² ses instruments moindres ou sa moindre capacité de conscience, etc. Telle est l'attitude habituelle de la mentalité indienne ou du moins védântique, qui soutient que notre connaissance, notre perception, notre expérience des choses dans le monde et du monde lui-même doit être vyâvahârika, relative, pratique ou pragmatique seulement — c'est ce que déclarait Shankara — c'est en fait une connaissance illusoire, la vraie Vérité des choses résidant au-delà de notre conscience mentale et sensorielle. La relativité d'Einstein est une démonstration scientifique et non métaphysique. Sa forme et sa portée sont différentes — mais je suppose que si l'on en revient et que l'on passe au-delà pour

 

¹"Sans bouger Il est plus vif que la Pensée, les Dieux ne le rejoignent pas, car Il avance toujours en tête. Immobile, il va plus vite que ceux qui courent." (Isha Oupanishad, verset 4. Traduit de l'anglais de Sri Aurobindo, Eight Upanishad, édition du Centenaire, volume XII, p. 64).

²Par ailleurs les Dieux sont dans le Temps et l'Espace et soumis à eux, ils font partie du mouvement dans l'Espace et le Temps et ne lui sont pas supérieurs.

 

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trouver sa signification essentielle, la véritable raison pour qu'elle soit telle qu'elle est, on peut la relier à la conclusion védântique. Mais pour justifier cela vis-à-vis de l'intellect, il faudrait que vous passiez par tout un processus pour montrer comment se produit la liaison — elle ne découle pas de façon évidente.

Quant à Jeans, beaucoup diraient que ses conclusions ne sont pas du tout justifiées. La loi d'Einstein est une généralisation scientifique fondée sur certaines relations propres au domaine de la physique et, si elle est valable, elle l'est ici même, dans les limites de ce domaine, ou si vous voulez, dans le domaine général de l'observation et de la mesure des processus et des mouvements physiques; mais comment pouvez-vous transformer cela d'un coup en une généralisation métaphysique? C'est un bond par-dessus un abîme considérable — transformer de force une chose en une autre, un résultat physique limité en une formule illimitée qui embrasse tout. Je ne sais pas vraiment à quoi se résume la loi d'Einstein, mais signifie-t-elle plus que ceci: nos mesures scientifiques du temps et des autres choses sont, dans les conditions où elles doivent être effectuées, relatives parce qu'elles sont soumises aux obstacles inévitables de ces conditions? Ce qui s'ensuit métaphysiquement — s'il s'ensuit vraiment quelque chose — est l'affaire des métaphysiciens, non des hommes de science. La position védântique était que le Mental lui-même (tout comme les sens) est un pouvoir limité qui fabrique ses propres représentations, constructions, formations, et les impose à la Réalité. C'est là une affaire bien plus grande et plus compliquée qui plonge aux racines mêmes de notre existence. Je pense pour ma part que bien des positions adoptées par la Science moderne tendent à renforcer ce point de vue — même si dans la nature des choses elles ne peuvent pas suffire à la prouver.

Je ne soulève que les objections; je vois moi-même certaines vérités fondamentales sous-jacentes à tous les domaines et une seule Réalité partout. Mais il y a aussi une grande différence dans les instruments utilisés et dans les

 

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modes de recherche suivis par les chercheurs dans ces différentes voies (physique, occulte et spirituelle) et, du moins pour l'intellect, le pont entre elles n'est pas encore construit. On peut relever des analogies, mais on peut très bien soutenir que la Science ne peut être utilisée pour concéder ou étayer les résultats de la connaissance spirituelle. L'autre aspect peut aussi être soutenu et il vaut mieux exposer les deux — aussi n'ai-je pas l'intention, en écrivant ceci, de décourager votre thèse.

 

Comment sir James Jeans ou tout autre homme de science peut-il savoir que c'est par un "simple accident" que la vie est venue à exister, ou qu'il n'y a de vie nulle part ailleurs dans l'univers, ou que la vie ailleurs doit, ou bien être exactement semblable à celle d'ici, dans les mêmes conditions, ou bien ne pas exister du tout? Ce sont de pures spéculations mentales qui n'apportent aucune conclusion. La vie ne peut être un accident que si le monde entier est aussi un accident — une chose créée par le Hasard et gouvernée par le Hasard. Cela ne vaut pas la peine de perdre du temps en spéculations de ce genre, qui ne sont que baudruches éphémères.

L'univers matériel n'est que la façade d'une immense construction qui a derrière elle d'autres structures, et ce n'est que si l'on connaît l'ensemble qu'on peut avoir quelque connaissance de la vérité de l'univers matériel. Il y a des étendues vitales, mentales et spirituelles par-derrière qui donnent à l'étendue matérielle sa signification. Si la terre est le seul domaine de l'évolution spirituelle dans la Matière — en admettant qu'il en soit ainsi — alors elle doit faire partie du dessein d'ensemble. L'idée que tout le reste doit être un désert est une idée humaine qui ne troublerait pas le vaste Esprit Cosmique dont la conscience et la vie sont partout, dans la pierre et la poussière comme dans l'intelligence humaine. Mais c'est là une question spéculative qui est tout à fait étrangère à notre but pratique. Pour nous, c'est le développement de la  

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conscience spirituelle dans le corps humain qui compte.

Dans ce développement il y a des étapes — la vérité entière ne peut être connue avant qu'elles ne soient dépassées et que l'étape finale soit atteinte. L'étape où vous êtes est l'une de celles où le moi commence à se réaliser, le moi libre de toute incarnation et ne dépendant pas de l'incarnation pour son existence perpétuelle. Il est par conséquent naturel que vous ressentiez l'incarnation comme quelque chose de tout à fait secondaire et, comme la vie terrestre de Jeans, de presque accidentel. C'est à cause de cette étape que les mâyâvâdin, la croyant finale, ont pensé que le monde était une illusion. Mais ce n'est qu'une étape du voyage. Au-delà de ce moi qui est statique, séparé, sans forme, il y a une Conscience plus grande dans laquelle le Silence et l'Activité cosmique sont unis mais dans une connaissance autre que l'ignorance emmurée de l'être humain incarné. Ce Moi n'est qu'un des aspects de la Réalité divine. C'est quand on arrive à cette Conscience plus grande que l'existence cosmique, la forme, la vie, le mental n'apparaissent plus comme un accident, mais trouvent leur signification. Et même là il y a deux étapes, le surmental et le supramental, et ce n'est que quand on arrive à la dernière que la pleine vérité de l'existence peut devenir entièrement réelle pour la conscience. Observez votre expérience et sachez qu'elle a sa valeur et qu'elle est indispensable en tant qu'étape, mais ne prenez pas l'expérience d'une étape pour la connaissance finale.

 

Je n'ai pas suffisamment lu Bergson pour me prononcer. À ma connaissance, il semble avoir une certaine perception de l'intuition créatrice dynamique involuée dans la Vie, mais aucune de l'intuition au-dessus qui est vraiment suprarationnelle. S'il en est ainsi, cette Intuition qu'il prend pour le seul secret des choses n'est qu'une manifestation secondaire d'une transcendance qui n'est elle-même que "les rayons du Soleil".

 

 

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Non, l'"élan vital"de Bergson n'est pas le supramental. Mais r"intuition" de Bergson semble être une Intuition de Vie qui est évidemment le supramental fragmenté et modifié pour agir comme une Connaissance dans la "Vie dans la Matière". Je ne peux pas le dire encore avec certitude, mais c'est l'impression que cela m'a donné.

 

 

Bergson voit la Conscience (Chit) non dans sa vérité essentielle mais comme une Force créatrice=une sorte d'énergie de Vie transcendante descendant dans la Matière et y agissant.

 

[Élan Vital:] Non pas le Satchidânanda mais Chit-Shakti sous le déguisement de Prânashakti. Bergson est, je crois, un vitaliste (par opposition à un matérialiste d'une part et à un idéaliste de l'autre) avec une forte perception du Temps (à l'époque des Oupanishad on se demandait si le Temps n'était pas le Brahman et certaines écoles soutenaient cette idée). Donc pour lui Brahman =Force-de-Conscience=Force-de-Temps ==Force-de-Vie. Mais il voit avec précision les deux derniers termes alors que les premiers, qui sont la vraie chose derrière la création, il ne les voit qu'obscurément.

 

 

L'instinct et l'intuition tels que Bergson les décrit sont vitaux, mais il est possible d'élaborer une intuition mentale correspondante, et c'est probablement ce qu'il suggère — et qui dépend non de la pensée, mais d'une sorte de contact mental direct avec les choses. Ce n'est pas exactement du mysticisme, bien que ce soit le premier pas qui y mène.

 

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Je suppose que Bergson doit déjà savoir ce que disent les "mystiques" sur la question et qu'il a donné sa propre interprétation, ou sa propre opinion sur la valeur qu'il y accorde. Il ne serait donc pas du tout impressionné par votre suggestion. Il dirait: "Je sais déjà tout sur ce sujet."

 

 

Ces incidents extraordinaires qui s'écartent du cours ordinaire de la Nature physique se produisent fréquemment en Inde et ne sont pas inconnus ailleurs; ils s'apparentent à ce qu'on appelle en Europe les phénomènes produits par les esprits. Les hommes de science ne parlent pas de ces événements extraordinaires et n'y pensent pas, sauf pour les tourner en ridicule ou pour prouver qu'ils sont simplement des supercheries d'enfants simulant des manifestations surnaturelles.

Les lois scientifiques ne font que définir schématiquement le processus matériel de la Nature — elles peuvent être utilisées valablement pour reproduire ou étendre à volonté un processus matériel, mais il est clair qu'elles ne peuvent pas définir la chose elle-même. L'eau, par exemple, n'est pas seulement un peu d'oxygène et d'hydrogène mis ensemble la — combinaison est simplement un procédé ou un système qui permet la matérialisation d'une nouvelle chose nommée eau; ce qu'est en réalité cette nouvelle chose est une tout autre affaire. En fait, il y a différents plans de substance — grossiers, subtils et plus subtils jusqu'à ce qui est appelé la substance causale (kârana). Ce qui est plus grossier peut être réduit à l'état subtil et du subtil amené à l'état grossier; cela explique la dématérialisation et la rematérialisation. Ce sont des procédés occultes qui sont considérés vulgairement comme de la magie. Ordinairement le magicien ne sait rien du pourquoi de ce qu'il fait, il a simplement appris la formule ou le procédé, ou encore il maîtrise des êtres élémentaires appartenant à des états plus subtils (plans ou mondes) qui exécutent à sa place. Les Tibétains pratiquent largement les procédés occultes; si vous lisez les livres de Madame David Neel qui a vécu au Tibet

 

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vous aurez une idée de leur virtuosité dans ce domaine. Mais les Lamas tibétains ont aussi quelque connaissance des lois de l'énergie occulte (mentale et vitale) et de la manière de la faire agir sur les objets physiques. Il y a là quelque chose qui va au-delà de la simple magie. Le pouvoir direct de la force mentale ou de la force de vie sur la Matière peut être étendu à un degré presque illimité. Il faut se rappeler que l'Énergie est fondamentalement une dans tous les plans, et ne fait que prendre une forme de plus en plus dense, de sorte que rien n'est a priori impossible à l'énergie mentale ou à l'énergie de vie agissant directement sur l'énergie et la substance matérielles; si elles agissent, elles peuvent faire agir un objet matériel, ou plutôt peuvent faire accomplir à un objet matériel les choses qui seraient pour cet objet, dans son équilibre ou selon sa "loi" ordinaire, inhabituelles et par conséquent apparemment impossibles.

Je ne vois pas comment les rayons cosmiques pourraient expliquer l'origine de la Matière; c'est comme l'explication que donne sir Oliver Lodge de l'apparition de la vie sur terre, qui viendrait d'une autre planète; cela ne fait que reculer le problème — car comment les rayons cosmiques seraient-ils venus à exister? Mais c'est un fait qu'Agni est la base des formes, comme l'ont indiqué il y a longtemps les Sâmkhya, c'est-à-dire que le principe du feu dans ses trois pouvoirs, rayonnant, électrique et gazeux (la trinité védique d'Agni) est l'agent qui produit les formes liquides et solides de ce qui est appelé Matière.

Évidemment un profane ne peut pas faire ces choses, à moins qu'il n'ait une faculté "psychique" (c'est-à-dire occulte) innée, et même dans ce cas il devra apprendre la loi de la chose avant de pouvoir l'utiliser à volonté. Il est toujours possible d'utiliser la force spirituelle ou le pouvoir mental ou la volonté ou une certaine sorte d'énergie vitale pour produire des effets dans les hommes, les choses et les événements; mais la connaissance et une grande pratique sont nécessaires avant que cette possibilité cesse d'être intermittente et fortuite et puisse être utilisée tout à fait consciemment, à volonté ou

 

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parfaitement. Même alors, avoir "une maîtrise du monde matériel tout entier" est un objectif trop vaste, une maîtrise locale et partielle est davantage possible, ou, plus largement, certaines sortes de maîtrise sur la Matière.

 

L'univers entier, selon la Science, n'est qu'un jeu d'Énergie — on l'appelait autrefois une Énergie matérielle, mais on doute maintenant que la Matière, scientifiquement parlant, existe, sinon en tant que phénomène d'Énergie. L'univers entier, selon le Védânta, est le jeu du pouvoir d'une entité spirituelle, le pouvoir d'une conscience originelle, qu'elle soit Maya ou Shakti, que le résultat soit une illusion ou une réalité. Dans le monde, et dans la mesure où il s'agit de l'homme, nous ne sommes conscients que de l'énergie mentale, de l'énergie de vie, de l'énergie dans la Matière; mais on suppose qu'il y a aussi une énergie ou une force spirituelle derrière elles d'où elles tirent leur origine. Dans les deux cas, toutes choses résultent d'une Shakti, énergie ou force. Il n'y a pas d'action sans une Force ou une Énergie accomplissant l'action et amenant sa conséquence. En outre, ce qui n'a pas de Force en soi est ou quelque chose de mort, ou quelque chose d'irréel, ou quelque chose d'inerte et qui n'a pas de conséquence. Si la conscience spirituelle n'existe pas, le yoga ne peut pas avoir de réalité, et s'il n'y a pas de force yoguique, de force spirituelle, de yoga-shakti, alors le yoga ne peut avoir aucune efficacité. Une conscience de yoga ou une conscience spirituelle qui ne contient pas de pouvoir ou de force peut ne pas être morte ou irréelle, mais c'est évidemment quelque chose d'inerte, sans effet ni conséquence. De même, un homme qui s'embarque pour devenir un yogi ou un gourou et qui n'a pas de conscience spirituelle, ou pas de pouvoir dans sa conscience spirituelle — force yoguique ou force spirituelle — proclame une contre-vérité et est soit un charlatan, soit un imbécile qui se leurre lui-même; plus encore si, n'ayant pas de force spirituelle, il prétend avoir ouvert une voie que d'autres

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peuvent suivre. Si le yoga est une réalité, si la spiritualité est un peu plus qu'une illusion, il doit exister une force yoguique ou une force spirituelle.

Il est évident que si la force spirituelle existe, elle doit être capable de produire des résultats spirituels — par conséquent il n'y a rien d'irrationnel dans les déclarations des sâdhak qui disent sentir la force du gourou ou la force du Divin travailler en eux et les mener à l'accomplissement et à l'expérience spirituelle. Qu'il en soit ainsi ou non dans un cas particulier est une question personnelle, mais la déclaration ne peut être dénoncée comme en elle-même incroyable et manifestement fausse sous prétexte que des choses de ce genre ne peuvent pas exister. De plus, s'il est vrai que la force spirituelle est la force originelle et que les autres en dérivent, alors il n'y a rien d'irrationnel à supposer que la force spirituelle peut produire des résultats mentaux, vitaux, physiques. Elle peut agir à travers les énergies mentales, vitales ou physiques et par les moyens qu'utilisent ces énergies, ou elle peut agir directement sur le mental, la vie ou la Matière choisis comme domaines de son action propre, spéciale et immédiate. Les deux modes d'action sont à première vue possibles. Prenons le cas de la guérison d'une maladie; quelqu'un est malade pendant deux jours, faible, éprouvant des douleurs et de la fièvre; il ne prend pas de médicament, mais finalement demande à son gourou de le guérir; le lendemain matin il se lève en bonne santé, plein de force et d'énergie. Il a au moins quelque justification à penser qu'une force a été utilisée sur lui et placée en lui, et que c'est un pouvoir spirituel qui a agi. Mais dans un autre cas, on peut utiliser des médicaments tout en faisant appel à la force invisible pour aider les moyens matériels, car il est bien connu que les médicaments agissent ou n'agissent pas — il n'y a pas de certitude. Là, pour la raison d'un observateur extérieur (quelqu'un qui n'est ni l'utilisateur de la force, ni le médecin, ni le patient), il demeure incertain que le patient ait été guéri par les médicaments seuls ou par la force spirituelle utilisant les médicaments comme instruments. Les deux sont possibles, et on ne peut pas dire que parce que

 

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des médicaments ont été utilisés, l'œuvre de la force spirituelle est en soi incroyable et que sa fausseté peut être démontrée. D'autre part, il est possible que le docteur ait senti une force travaillant en lui et le guidant, ou il peut voir la santé du patient s'améliorer avec une rapidité qui, selon la science médicale, est incroyable. Le patient peut fort bien sentir la force qui travaille en lui apporter la santé, l'énergie, la guérison rapide, l'utilisateur de la force observer les résultats, voir diminuer les symptômes sur lesquels il travaille, augmenter ceux sur lesquels il n'a pas travaillé jusqu'à ce qu'il travaille sur eux et les voie immédiatement diminuer, le docteur travaillant selon ses suggestions non formulées, etc., etc., jusqu'à ce que la guérison soit effectuée. (D'autre part, il peut voir les forces travailler contre la guérison et conclure que la force spirituelle doit se contenter de se retirer ou de ne réussir qu'imparfaitement.) Dans tout cela le médecin, le patient ou l'utilisateur de la force peuvent légitimement croire que la guérison est au moins partiellement ou même fondamentalement due à la force spirituelle. Leur expérience est évidemment valable pour eux seuls, et non pour l'observateur extérieur qui raisonne. Mais celui-ci n'est pas logiquement qualifié pour dire que leur expérience est incroyable et nécessairement fausse.

Autre chose. Il ne s'ensuit pas qu'une force spirituelle doive ou bien réussir dans tous les cas, ou, si elle ne réussit pas, que cela prouve son inexistence. On ne peut dire cela d'aucune force. La force du feu est de brûler, mais il y a des choses qu'il ne brûle pas; dans certaines circonstances il ne brûle même pas l'homme qui marche pieds nus sur des charbons rougis. Cela ne prouve pas que le feu ne peut pas brûler, ou même qu'il n'existe pas de force du feu, Agni Shakti.

Je n'ai pas le temps d'écrire davantage; ce n'est pas non plus nécessaire. Mon propos n'était pas de démontrer qu'il faut croire à la force spirituelle, mais que cette croyance n'est pas nécessairement une illusion et qu'elle peut être non seulement possible, mais aussi rationnelle.

 

 

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La Force invisible produisant des résultats tangibles, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur, est le sens même de la conscience yoguique. Votre question sur le yoga qui n'apporterait qu'un sentiment de Pouvoir sans aucun résultat était vraiment très étrange. Qui se satisferait d'une hallucination aussi absurde et l'appellerait Pouvoir? Si nous n'avions pas eu des milliers d'expériences démontrant que le Pouvoir au-dedans peut changer le mental, développer ses pouvoirs, en ajouter d'autres, introduire de nouveaux ordres de connaissance, maîtriser les mouvements vitaux, transformer le caractère, influencer les hommes et les choses, contrôler l'état et le fonctionnement du corps, travailler comme une Force dynamique concrète sur d'autres forces, modifier les événements, etc., etc., nous n'en parlerions pas de cette façon. De plus, ce n'est pas seulement dans ses résultats, mais dans ses mouvements que la Force est tangible et concrète. Quand je parle de ressentir la Force ou le Pouvoir, je n'entends pas simplement en avoir un vague sentiment, mais le sentir concrètement et par conséquent être capable de le diriger, de le manipuler, d'observer son mouvement, d'être conscient de sa masse et de son intensité, et de la même manière que de ceux d'autres forces, peut-être contraires; tout cela est possible et habituel par le développement du yoga.

Sauf s'il s'agit de la Force supramentale, ce Pouvoir n'agit pas sans conditions ni limites. Les conditions et les limites dans lesquelles le yoga ou la sâdhanâ doit s'effectuer ne sont ni arbitraires ni capricieuses; elles naissent de la nature des choses. La force yoguique doit tenir compte de ces conditions et de ces limites qui englobent la volonté, la réceptivité, l'assentiment, l'ouverture de soi et la consécration du sâdhak, jusqu'à ce qu'elle reçoive une sanction du Suprême qui lui permette d'outrepasser tout et d'accomplir quelque chose, mais cette sanction est donnée parcimonieusement. Si le Pouvoir supramental descendait tout entier, sans se contenter d'envoyer ses influences à travers le surmental, alors seulement les choses pourraient être très radicalement dirigées vers

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cet objectif — car alors la sanction ne serait pas rare. Car la Loi de la Vérité serait à l'œuvre, et non constamment contrebalancée par la loi de l'Ignorance.

Cependant la force yoguique est toujours tangible et concrète de la manière que j'ai décrite et a des résultats tangibles. Mais elle est invisible — elle n'est pas comme un coup qu'on porte ou l'élan d'une automobile qui renverse quelqu'un, et que les sens physiques peuvent immédiatement percevoir. Comment le mental purement physique peut-il savoir qu'elle est présente et travaille? Par ses résultats? Mais comment peut-il savoir que les résultats étaient ceux de la force yoguique et non d'autre chose? De deux choses l'une. Ou il doit permettre à la conscience d'aller au-dedans et de percevoir les choses intérieures, de croire en l'expérience de l'invisible et du supraphysique, et ensuite par l'expérience, par l'ouverture de nouvelles capacités, il devient conscient de ces forces et peut voir, suivre et utiliser leurs opérations, tout comme l'homme de science utilise les forces cachées de la Nature. Ou bien il faut avoir la foi et observer, s'ouvrir, puis le mental commencera à voir comment les choses se produisent, il notera que quand la Force a été appelée, un résultat a commencé, après un certain temps, à se produire, puis des répétitions, de plus en plus de répétitions, des résultats plus clairs et plus tangibles, une fréquence croissante, une cohérence croissante des résultats, un sentiment et une conscience de la Force au travail — jusqu'à ce que l'expérience devienne quotidienne, régulière, normale, complète. Ce sont les deux principales méthodes, l'une intérieure, procédant de l'intérieur vers l'extérieur, l'autre extérieure, procédant du dehors et appelant la force intérieure à sortir jusqu'à ce qu'elle pénètre et soit visible dans la conscience extérieure. Mais aucune ne peut être appliquée si on persiste dans l'attitude extrovertie, si on insiste sur le concret extérieur seul, et qu'on refuse de le joindre au concret intérieur, ou si le mental physique à chaque pas entame une ronde de doutes qui refuse de laisser l'expérience naissante se développer. Même l'homme de science pratiquant une expérience nouvelle ne réussirait

 

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jamais s'il permettait à son mental de se conduire de cette façon.

 

Concret? Qu'entendez-vous par concret? La force spirituelle a son propre caractère concret; elle peut prendre une forme (comme un cours d'eau, par exemple) dont on est conscient et qu'on peut envoyer très concrètement sur n'importe quel objet choisi.

Il s'agit là d'un fait concernant le pouvoir inhérent à la conscience spirituelle. Mais il existe aussi un usage volontaire de n'importe quelle force subtile elle peut être spirituelle, mentale ou vitale — pour obtenir un résultat particulier sur un point de l'univers. Tout comme il y a des ondes de forces physiques invisibles (ondes cosmiques, etc.) ou des courants d'électricité, il y a des ondes mentales, des courants de pensée, des ondes d'émotion — par exemple, de colère, de chagrin, etc., qui sortent et affectent les autres sans qu'ils sachent d'où elles viennent ni même si elles viennent, ils ne sentent que le résultat. Celui dont les sens occultes ou intérieurs sont éveillés peut les sentir qui viennent et l'envahissent. Les influences, bonnes ou mauvaises, peuvent se propager de cette manière; cela peut arriver sans intention et naturellement, mais on peut aussi en faire un usage délibéré. Il peut aussi y avoir une génération de force, spirituelle ou autre, dans un but précis. Il peut également y voir l'usage d'une volonté ou d'une idée efficace agissant directement, sans l'aide d'une action extérieure, parole ou autre, usage qui n'est pas concret dans ce sens, mais est tout de même efficace. Ces choses ne sont ni des imaginations, ni des illusions, ni des fariboles, mais des phénomènes véritables.

 

 

Le fait de ne pas sentir une force ne signifie pas qu'elle n'est pas là. La locomotive ne sent pas la force qui la meut, mais la

 

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force est là. Un homme n'est pas une locomotive? Il ne vaut guère mieux, car il n'est conscient que d'un pétillement à la surface qu'il appelle "lui-même" et est absolument inconscient de toutes les forces subconscientes, subliminales, supraconscientes qui le font mouvoir, (C'est un fait qui est de plus en plus établi par la psychologie moderne, bien qu'elle n'ait saisi que la force inférieure et non supérieure vous ne devez donc pas le considérer du haut de votre dédain rationnel). Il gazouille intellectuellement et stupidement à propos de résultats superficiels et les attribue tous à son "noble moi", ignorant le fait que son noble moi est caché très loin de sa vue derrière le voile de son intellect clignotant et le brouillard fétide des sentiments, émotions, impulsions, sensations et impressions de son vital. Votre argument est par conséquent totalement absurde et futile. Notre but est de faire sortir les forces secrètes de leurs murailles, afin qu'au lieu de recevoir des ombres ou des éclairs de ces forces à travers le voile ou qu'elles soient complètement obstruées, elles puissent se déverser à flot et couler en rivières. Mais s'attendre à cela dans l'immédiat est une exigence présomptueuse qui montre votre ignorance impatiente et votre inexpérience. Si elles commencent d'abord par couler en un mince filet, cela suffit pour justifier la foi en une averse future; cela prouve que la force était et est là, au travail, et que seule la sueur de votre labeur herculéen vous empêche de la sentir. C'est aussi le mince filet qui donne la certitude que l'averse est possible. Il suffit de continuer et de mériter l'averse par sa patience, ou, sans la mériter, de se laisser glisser jusqu'à ce qu'on la reçoive. Dans le yoga l'expérience est une promesse et un avant-goût, mais elle se renferme jusqu'à ce que la nature soit prête pour l'accomplissement. C'est un phénomène familier à tout yogi qui se remémore son expérience passée. C'était le cas des brèves périodes d'Ânanda qui vous ont visité quelquefois. Peu importe que vous n'ayez pas la ténacité d'une sangsue — les yogi ne sont pas tous du type sangsue. Si vous pouvez vous accrocher d'une manière quelconque, ou être accroché, cela suffit.

 

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Il ne faut pas parler de ces choses mais les garder cachées... Même dans les choses ordinaires, non spirituelles, l'action des forces invisibles ou subjectives prête au doute et à la discussion lorsqu'il ne peut pas y avoir de certitude matérielle, alors que la force spirituelle est invisible en elle-même et aussi dans son action. Il est donc oiseux d'essayer de prouver que tel ou tel résultat était l'effet de la force spirituelle. Chacun doit se faire sa propre idée à ce sujet, car si elle est admise, elle ne peut être le résultat d'une preuve ou d'une argumentation, mais d'une expérience, de la foi ou de cette perspicacité au plus profond du cœur ou au plus profond de l'intelligence qui regarde par-delà les apparences et voit ce qu'il y a derrière. La conscience spirituelle ne revendique pas de cette façon, elle peut énoncer la vérité sur elle-même mais ne lutte pas pour être acceptée. Une vérité générale et impersonnelle sur la force spirituelle est autre chose, mais je doute que le temps en soit venu, ou qu'elle puisse être comprise par l'intelligence purement rationnelle.

 

Si j'écris sur ces questions du point de vue du yoga, même sur une base logique, il est inévitable que cela se trouve pour une grande part en conflit avec les opinions courantes, par exemple en ce qui concerne les miracles, les limites du jugement basé sur les sens, etc. J'ai évité autant que possible d'écrire sur ces sujets parce que j'aurais dû énoncer des choses qui ne peuvent être comprises si l'on ne se réfère pas à des données autres que celles des sens physiques ou de la raison fondée sur eux seuls. J'aurais dû parler de lois et de forces qui ne sont pas reconnues par la raison ou la science physique. Dans mes écrits publics et dans ceux que j'adresse aux sâdhak, je n'ai pas traité de ces questions parce qu'elles sortent des limites de la connaissance ordinaire et de la compréhension fondée sur elle. Ces choses sont connues de certains, mais ils n'en parlent pas habituellement, alors que l'opinion du public sur ce qu'il en connaît est soit crédule, soit incrédule, mais dans les deux cas elle n'est

 

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fondée ni sur l'expérience, ni sur la connaissance.

 

D'après ce que vous écrivez sur votre expérience et vos idées, il ne s'agit, semble-t-il, que de vieilles pensées et d'anciens mouvements qui réapparaissent, comme cela leur arrive souvent, pour former un obstacle sur le droit chemin de la sâdhanâ. Les réalisations et les idées mentales de ce genre ne sont, en mettant les choses au mieux, que des demi-vérités, et même pas toujours; lorsqu'on a entrepris une sâdhanâ qui va au-delà du mental, c'est une erreur de leur donner trop d'importance. Mal appliquées, elles peuvent facilement devenir un riche terrain d'erreur.

Si vous examinez les idées qui vous sont venues, vous verrez qu'elles sont tout à fait inappropriées. Par exemple:

1. La Matière n'est jada qu'en apparence. Comme l'admet la Science moderne elle-même, la Matière n'est que de l'énergie en action, et, comme nous le savons en Inde, l'énergie est une force de conscience en action.

2. Prakriti dans le monde matériel semble être jada, mais cela aussi n'est qu'une apparence. Prakriti est en réalité le pouvoir conscient de l'Esprit.

3. Faire descendre l'Esprit dans la Matière ne peut conduire à laya dans jada prakriti. Une descente de l'Esprit ne peut être qu'une descente de Lumière, de conscience et de pouvoir, non une croissance de l'inconscience et de l'inertie, ce qui est la signification de jada-laya.

4. L'Esprit est déjà là, dans la Matière comme partout ailleurs; seule une inconscience apparente et superficielle ou une conscience involuée voile sa présence. Ce que nous devons faire, c'est éveiller la Matière à la conscience spirituelle cachée en elle.

5. Ce que nous voulons faire descendre dans le monde matériel est la conscience, la lumière et l'énergie du supramental, parce que cela seul peut le transformer véritablement.

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Si, à un moment quelconque, il se produit une croissance de l'inconscience et de l'inertie, c'est à cause de la résistance de la nature ordinaire au changement spirituel. Mais cela apparaît en général pour être traité et éliminé. Si on permet à la difficulté de demeurer cachée, et non d'apparaître, jamais il ne sera possible de l'empoigner et aucune vraie transformation ne se produira.¹

 

S'il n'y avait pas de pouvoir créateur dans l'énergie matérielle, il n'y aurait pas d'univers matériel. La Matière n'est pas inconsciente et sans dynamisme — mais c'est une force et une conscience involuées qui travaillent en elle. C'est ce que les psychologues appellent l'inconscient d'où tout provient — mais ce n'est pas réellement inconscient.

 

Il n'est pas nécessaire² de mettre "la" devant "qualité" — en anglais cela changerait le sens. La matière n'est pas considérée dans ce passage comme une qualité d'être perçue par les sens; je pense que cela ne voudrait rien dire. Elle est considérée comme le résultat d'un certain pouvoir et d'une action de la conscience qui présenterait des formes d'elle-même à la perception sensorielle, et c'est cette qualité d'objet de perception par les sens, pour ainsi dire, qui leur donne l'apparence de la Matière, c'est-à-dire d'une certaine sorte de substantialité — qui leur est inhérente — mais en fait elles ne sont pas des objets substantiels existant en eux-mêmes mais des formes de conscience. L'idée est que la Matière existant

 

¹Nouvelles Lumières sur le Yoga, chapitre 1.

²Cette explication est donnée à propos du passage suivant de "The Yoga and Its Object" (édition du Centenaire, volume XVI, pages 416-417): "La Matière elle-même, vous vous en rendrez compte un jour, n'est pas matérielle, ce n'est pas une substance mais une forme de conscience, gouna, le résultat d'une qualité d'être perçue par la connaissance sensorielle".

 

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en soi, posée en principe par la science du dix-neuvième siècle, ne correspond à rien.

 

 

Vous raisonnez par analogie avec votre propre conscience sensorielle étroite et limitée et avec ses relations plutôt maladroites à l'égard de ce qui se produit dans l'espace matériel. Qu'est-ce après tout que l'espace, sinon l'extension d'un être conscient dans lequel la Force-de-Conscience bâtit son propre entourage? Dans le plan physique subtil il y a non pas une, mais de nombreuses couches de conscience et chacune se meut dans son propre être, c'est-à-dire dans son propre espace. J'ai dit que chaque plan subtil est un conglomérat ou une série de mondes. Chaque espace, à n'importe quel point, rencontre, pénètre ou coïncide avec un autre; par conséquent à un point de rencontre ou de coïncidence il peut y avoir plusieurs objets subtils occupant ce que nous pourrions appeler assez arbitrairement le même espace, et pourtant ils ne peuvent avoir entre eux aucune relation réelle. Si une relation se crée, c'est la conscience multiple du Voyant, où apparaît le point de rencontre, qui la crée.

D'autre part, il peut y avoir une relation entre des objets de différentes régions de l'espace reliés entre eux, comme dans le cas d'un objet physique grossier et de son homologue subtil. Là vous pouvez plus facilement parler de relations entre un espace et un autre.¹

 

 

Le Temps et l'Espace ne sont pas limités, ils sont infinis ils sont les termes d'une extension de conscience dans laquelle les choses ont lieu ou sont disposées dans une certaine relation, une certaine succession, un certain ordre. Il y a également différents ordres de Temps et d'Espace; cela aussi dépend de la conscience. L'Éternel s'étend dans le Temps et

 

¹Nouvelles Lumières sur le Yoga, chapitre 1.

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l'Espace, mais il est aussi au-delà de tout Temps et de tout Espace. L'absence de Temps et le Temps sont deux termes de l'existence éternelle. L'Éternel sans Espace n'est pas une infinité indivisible d'Espace, il n'y a en Lui ni près ni loin, ni ici ni là — l'Éternel sans Temps n'est pas mesurable en années, en heures ou en ères, l'expérience en a été décrite comme un moment éternel Mais pour le mental cet état ne peut être décrit que par des négations — il faut aller au-delà et le réaliser.

 

L'objection¹ se fonde sur les idées humaines tri-dimensionnelles d'espace et de division de l'espace, qui sont elles-mêmes fondées sur la nature limitée des sens de l'homme. Pour certains êtres l'espace est à une dimension, pour d'autres à deux dimensions, pour d'autres à trois dimensions — mais il y a aussi d'autres dimensions. Il est reconnu en métaphysique que l'Infini peut être dans un point et pas seulement dans une étendue d'espace — tout comme il y a une éternité d'extension dans le temps, mais aussi une Éternité qui est indépendante du Temps, si bien qu'elle peut être sentie en un moment — il n'est pas nécessaire de penser en millions et millions d'années pour la réaliser. De même la distinction rigide entre l'Un et le Multiple, un Un qui ne peut être multiple, ou d'un Tout qui est fait d'une addition et n'existe pas en soi, sont des notions mentales grossières de l'intellect extérieur fini, qui ne peuvent pas s'appliquer à l'Infini. Si le caractère du Tout était matériel et non spirituel, lié à une arithmétique et à une géométrie primaires, la réalisation de l'Univers en soi, du tout en chacun et de chacun dans le tout, de l'Univers dans le hindou serait impossible. Vos amis X ignorent évidemment les rudiments de la pensée métaphysique, sinon ils ne soulèveraient pas des objections de ce genre.

 

 

¹"Comment le Divin, qui est l'Infini pénétrant tout et contenant tout, peut-il s'incarner dans le petit espace d'un corps humain?"

 

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Ce n'est qu'en sentant toutes choses comme une substance spirituelle unique que l'on peut arriver à l'unité — l'unité est dans la conscience spirituelle. Le point matériel n'est qu'un point parmi des millions de millions — ce n'est donc pas la base de l'unité. Mais dès que vous avez l'unité dans la conscience, vous pouvez sentir à travers elle l'unité de la substance mentale, de la force mentale, etc., l'unité de la substance (mobile) de la vie, et de la force de vie, l'unité de la substance et de l'énergie matérielle. Être — Conscience d'être — énergie de conscience — forme de conscience, toutes choses sont réellement cela.

 

 

Il est bien vrai que le mot "superstition" a été habituellement utilisé comme un gourdin commode pour abattre toute croyance qui n'était pas en accord avec les idées de la raison matérialiste, c'est-à-dire du mental physique qui traite de la loi apparente des processus physiques et ne voit pas plus loin. Certains l'ont aussi employé pour écarter des idées et des croyances qui n'étaient pas conformes à leur propre idée de ce qu'est la norme rationnelle des vérités supraphysiques. Durant de longs siècles l'homme a chéri des croyances qui impliquaient l'existence d'une force cachée agissant selon des principes inconnus du mental physique et dépassant le témoignage de la raison extérieure et des sens. Vint la Science, avec une méthode nouvelle de connaissance qui étendait le témoignage de ce domaine extérieur de conscience, et pensait que par cette méthode tout ce qui existe deviendrait explicable. Elle balaya d'un coup sans examen toutes les anciennes croyances en les qualifiant de "superstitions" vraies, à-demi vraies ou fausses, toutes partirent à la poubelle d'un coup de balai impartial, parce qu'elles ne reposaient pas sur la méthode de la Science physique, et se trouvaient hors de ses données ou semblaient incompatibles avec son point de vue. Même dans le domaine de l'expérience supraphysique, seuls étaient admis les faits qui pouvaient se prêter à une explication

 

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mentalement rationnelle selon un certain ordre d'idées — tout le reste, tout ce qui semblait exiger une origine occulte, mystique ou intérieure pour s'expliquer, était mis de côté et qualifié de superstition. Des croyances populaires qui étaient parfois le fruit de l'imagination, mais aussi parfois celui d'une connaissance empirique traditionnelle ou d'un instinct juste partageaient naturellement le même sort. Il devient maintenant de plus en plus évident que toute cette opération était hâtive et injustifiée, et se fondait sur la "superstition" que la nouvelle méthode suffisait à tout, alors qu'en réalité elle ne s'applique qu'à un domaine très limité. Je pense, comme vous, que le mot superstition est un mot qui ne doit pas être utilisé du tout, ou alors avec beaucoup de prudence. C'est évidemment un anachronisme que de l'appliquer à des croyances qui ne sont pas admises par la forme de religion que l'on se trouve pratiquer ou préférer.

Le renversement croissant de l'opinion sur beaucoup de choses autrefois condamnées qui sont maintenant en vogue, est très frappant. Aux exemples que vous citez on pourrait ajouter une centaine d'autres. On ne voit pas vraiment pourquoi une croyance à la graphologie devrait être condamnée comme irrationnelle ou superstitieuse; il me semble tout à fait rationnel de croire que l'écriture d'un homme est le résultat de son caractère et de sa nature, ou est en harmonie avec eux; et s'il en est ainsi, elle pourrait très bien, après examen, se révéler être une indication de son caractère. Il est bien connu que chaque homme est en lui-même un individu avec sa propre formation particulière, différente des autres, et faite de minuscules variations par rapport au schéma humain général — c'est vrai des petites caractéristiques physiques, c'est évidemment vrai aussi des caractéristiques psychologiques; il n'est pas déraisonnable de supposer une corrélation entre les deux. Sur cette base, la chiromancie pourrait bien contenir une vérité, car il est bien connu que les lignes de la main d'un individu sont différentes de celles des autres, et le fait que cela, comme les différences de physionomie, puisse comporter des indications psychologiques n'est pas impossible. La

 

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difficulté, pour des mentalités formées par des influences rationalistes, devient plus grande quand ces lignes, ou les faits astrologiques, sont interprétés comme des signes de la destinée, parce que le rationalisme moderne refuse absolument d'admettre que l'avenir soit déterminé ou puisse être déterminable. Mais de plus en plus cela semble être l'une des "superstitions" du mental moderne, une croyance curieusement en contradiction avec les notions fondamentales de la Science. Car la Science croyait, hier encore, que tout était déterminé dans la Nature et elle tentait de découvrir les lois de cette détermination, et de prédire sur cette base les événements physiques à venir. S'il en est ainsi, il serait raisonnable de supposer qu'il y a des liens invisibles qui déterminent les événements humains dans le monde et qu'il est donc possible de prédire ces événements futurs. Que cela puisse se faire selon l'astrologie ou la chiromancie est affaire de recherche, et on ne va pas beaucoup plus loin en opposant à cette possibilité une négation sommaire. La cause de l'astrologie est assez forte ; il semble que celle de la chiromancie soit aussi défendable.

D'autre part, il serait hasardeux de s'élancer trop vite dans l'autre direction. La tendance opposée est de tout croire dans ces domaines et de ne pas garder l'œil ouvert aux éléments de limitation ou d'erreur dans ces branches difficiles de la connaissance — l'excès de croyance a aidé à les discréditer, parce que leurs erreurs étaient flagrantes. Il ne me semble pas établi que les étoiles déterminent l'avenir — bien que ce soit possible — , mais il semblerait qu'elles l'indiquent — ou plutôt, qu'elles indiquent certaines certitudes et certaines possibilités de l'avenir. Les astrologues eux-mêmes admettent qu'il y a un autre élément de détermination dans l'homme lui-même qui limite le champ de la prédiction astrologique et peut même modifier beaucoup ses résultats acquis. Toute détermination des choses dans le monde obéit à un complexe de forces très embrouillé et difficile, et quand nous avons démêlé un fil de l'écheveau et que nous le suivons nous pouvons obtenir des résultats très frappants, mais nous ne pouvons pas nous fier à

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ce fil comme au seul indice sérieux. Les méthodes du mental sont trop rigides et d'une simplicité trop commode pour démêler le vrai ou la vérité totale soit de la Réalité, soit de ses phénomènes séparés.

J'admets, comme vous l'affirmez, qu'il est possible de connaître beaucoup de choses d'un homme en observant une petite partie de son être, physique ou psychologique, mais je pense que c'est aller trop loin que de dire qu'on peut reconstruire tout l'homme à partir d'une minuscule partie de cheveu. Je dirais que, connaissant la complexité et la multiplicité des éléments de l'être humain, un tel procédé serait aléatoire et laisserait une grande part d'Inconnu assombrir la trop grande certitude de cette structure déductive.

 

Je suppose que nous ne pouvons pas aller jusqu'à nier l'existence de la superstition — d'une croyance ferme sans aucune base en quelque chose qui est peu solide et ne tient pas debout. Le mental humain est prompt à applaudir ces croyances en des choses qui peuvent être vraies, ou le sont en elles-mêmes, et c'est ce mélange qui sème très malheureusement la confusion dans la recherche de la connaissance. Mais précisément à cause de ce mélange, parce que quelque part derrière la superstition ou pas très loin d'elle il y a très souvent une vérité réelle, il faut être prudent quand on emploie ce mot ou qu'on envoie promener comme avec un balai commode à la fois ce qui est vrai, ce qui est partiellement vrai et ce qui est sans fondement, et quand on proclame que le sol laissé nu est la seule vérité de toute l'affaire.

 

Quand j'ai écrit cette phrase sur "la croyance ferme et aveugle", je ne pensais pas vraiment aux croyances religieuses, mais aux idées et aux croyances courantes et populaires. Votre sentiment sur la question est en tout cas très sain.  

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On peut et on doit croire et suivre son propre sentier sans condamner ni mépriser les autres parce qu'ils ont des croyances différentes de celles qu'on pense ou considère être les meilleures ou les plus vastes en vérité. Le domaine spirituel a beaucoup d'aspects, il est plein de complexité, et il y a place pour une immense variété d'expériences. En outre, tout égoïsme mental — et tout égoïsme spirituel — doit être surmonté ; ce sens de supériorité ne devrait donc pas être cultivé.

P.S. — En suivant sincèrement, de tout cœur et sans dévier ce yoga, on devrait parvenir à un niveau où ces divisions mentales rigides n'existent pas, car ce sont des murailles mentales élevées autour d'une partie de la Vérité et de la Connaissance pour la couper du reste, alors que cette vision d'au-dessus du mental est globale et tout tombe à sa place dans l'ensemble. 

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GLOSSAIRE

Dans ce volume, l'orthographe des mots sanskrits, et de ceux des autres langues indiennes, suit un principe de translittération qui rend leur lecture plus facile pour le lecteur de langue française auquel sont étrangères les lois couramment proposées.

Pour les consonnes, le principe est le suivant: en début de mot, le ch a la valeur du ch anglais (tch), Chit se prononce Tchit; le j a de même en début de mot la valeur du j anglais (dj), jîva se prononce djîva; le s est toujours dur, asoura se prononce assoura, rasa se prononce rassa. Toutes les consonnes, redoublées ou non, se prononcent fortement; et le h est toujours aspiré, qu'il soit placé au début, au milieu ou à la fin d'un mot, ou encore après une autre consonne. Ainsi, dans Bouddha, le d et le dh se prononcent-ils distinctement.

Pour les voyelles, il faut noter que le e est toujours fermé (é), même suivi d'une valeur consonantique qui, en français, en ferait un è ouvert; Maheshwari, par exemple, se prononce Mahé-shwarî. Le o est lui aussi toujours fermé (ô), même suivi d'une valeur consonantique qui, en français, en ferait un o ouvert; ainsi Pouroushôttama se prononce Pouroushô-ttama. Le a, selon qu'il est accentué (à) ou non (a), se prononce comme un a long (Maya) ou comme le e français; sâdhanâ se prononce donc sâdhenâ. Le i accentué (î), ainsi que le où indiquent les autres syllabes longues: lîlâ, vibhoûti.

Enfin, les règles du pluriel sanskrit étant complexes, la pratique suivante a été adoptée: tout mot sanskrit figurant dans une phrase française reste invariable au pluriel.

 

abhimân (n.m.): en sanskrit, orgueil; dans les langues modernes, comme c'est le cas dans ce volume, amour déçu, amour-propre blessé.

adharma (n.m.): absence de dharma, de règle de conduite et de vie, de loi morale, sociale et religieuse. Licence, désordre.

âdityarvarma (adj.): qui a la couleur du soleil.

Adwaïta Védânta (n.m.): monisme absolu.

Âdyâ Shakti (n.f.): littéralement "l'Énergie primordiale"; la Mère transcendante.

 

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Agni (n.m.): la divinité du feu; la volonté divine inspirée par la divine Sagesse, et une avec elle, pouvoir actif et réalisateur de la Conscience-de-Vérité.

ahaïtouki(adj.): sans cause; désintéressé.

Ahanâ (n.f.): l'Aurore..

akartâ (adj.): qui n'agit pas.

Akshara (adj. et n.m.): immuable; l'Immuable.

Ananda (n.m.): béatitude.

ashtasiddhi (n.f.): pouvoirs occultes (littéralement, l'octuple pouvoir).

Âtman (n.m.): moi, esprit.

Âtma-shakti (n.f.): pouvoir du Moi.

Avatar (n.m.): littéralement "descente"; incarnation divine.

 

Bhagavad-Guîtâ: littéralement "Le Chant du Bienheureux"; cet épisode du Mahâbhârata constitue l'évangile de l'action dans la soumission parfaite au Divin. En renonçant à tout désir, en devenant un instrument du seul Seigneur suprême, l'homme atteint à l'union totale avec Lui et à la libération.

Bhagavân (n.m.): Dieu, Seigneur de l'Amour et de la Félicité. bhakti (n.f.): dévotion.

bhakti-yoga (n.m.): yoga de la dévotion (v. Karma-yoga).

bhâva (n.m.): statut, état d'être.

bhédâbhéda (n.m.): différence et identité.

bhoga (n.m.): jouissance.

bouddhi (n.f.): mental pensant; principe de discrimination, à la fois intelligence et volonté.

Brahman (n.m.): l'Éternel, l'Absolu, le Suprême.

Brahmasthiti (n.f.): l'état du Brahman.

Brahmatédja (n.m.): pouvoir de lumière, plein de force spirituelle.

 

 

chakra (n.m.): cercle, roue; centre de conscience dans le corps subtil. (On dit aussi lotus.) On en compte habituellement sept: moûlâdhâra, à la base de l'épine dorsale;

swâdhishthâna, le centre abdominal;

manipoura ou nâbhipadma, le centre ombilical;

anâhata ou hrt-padma, le centre du cœur (plexus solaire);

vishouddha, le centre de la gorge;

âjnâ, entre les sourcils;

sahasrâra ou sahasradala, le lotus aux mille pétales, au-dessus de la tête.

 

 

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Chit Shakti (n.f.): Pouvoir (Shakti) de la Conscience (Chit).

chittashouddhi (n.f.): purification de la conscience.

chittavritti (n.f.): vagues d'action mentale (pensées, souvenirs, désirs, sensations, perceptions, sentiments...).

 

Daridras Nârâyan Sivâ: service des pauvres accompli pour Dieu.

daridrer sévâ (bengali): service des pauvres.

dâsya (n.m.): service.

dharma (n.m.): loi; loi de l'être, norme de Vérité, règle d'action.

doukha (n.m.): chagrin. doukham déhavadbhih: avec difficulté pour les âmes incarnées.

 

gouna (n.m.): mode de la Nature (Prakriti). Il y en a trois:

tamas,, le principe de l'ignorance et de l'inertie;

radjas, le principe du mouvement, de l'effort et de la passion;

sattwa, le principe de l'équilibre et de la lumière.

De ces noms, dérivent trois adjectifs: tamasique, radjasique, sattwique.

gourou (n.m.): guide, instructeur spirituel.

gourouvâda (n.m.): doctrine selon laquelle le gourou est indispensable au chercheur.

grihastha (n.m.): chef de famille, propriétaire.

 

hatha-yoga (n.m.): yoga du corps.

hrit-padma (n.m.): centre du cœur (v. chakra).

 

indriya (n.m.): faculté sensorielle.

Îshwara (n.m.): le Seigneur.

Îshwara-Shakti: le principe duel du Seigneur (îshwara) et de son Pouvoir d'exécution (Shakti).

Îshwarî (n.f..): la Souveraine, la Mère suprême.

Îshwarî Shakti (n.f.): la Shakti de l'îshwara, la Force consciente divine, la Mère universelle.

 

jada (adj.): mécanique, inconscient, inerte.

jadavat Paramahamsa (n.m.): grand être spirituel extérieurement inerte, mû par les circonstances mais non actif par lui-même, bien qu'il soit intérieurement illuminé.

jagat (n.m.): le monde; le perpétuel mouvement.

jîva ou jîvâtman (n.m.): l'être central; l'esprit individualisé et qui

 

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soutient l'être vivant dans son évolution de naissance en naissance.

jivanmoukta (n.m.): être humain qui a atteint la libération dans la vie.

jnâna-yoga (n.m.): yoga de la connaissance (v. karma-yoga).

 

Kâli: l'aspect de destruction et de transformation de la Mère.

kalyânatama (adj.): le plus béni.

karma (n.m.): l'action, les œuvres; le principe de causalité qui détermine la nature des vies successives de l'âme.

karma-yoga (n.m.): le yoga des œuvres, le travail offert au Divin étant considéré comme un moyen de réalisation et d'union avec Lui, tandis que dans le bhakti-yoga le moyen est la dévotion pure, et dans le jnâna-yoga la connaissance. Le yoga intégral de Sri Aurobindo et de la Mère embrasse ces trois voies.

Koundalinî Shakti ou Koundalinî (n.f.): lovée à la base de la colonne vertébrale, dans le corps subtil, c'est l'Énergie divine en l'homme. Son éveil, recherché dans les yoga traditionnels, entraîne l'ouverture des différents centres (chakra) de conscience jusqu'au plus élevé, situé au-dessus de la tête, là où l'individu s'unit au Divin.

Krishna: l'un des Avatars de Vishnou; le Seigneur de l'Amour et de l'Ânanda; le Seigneur suprême (Pouroushôttama).

Kshara (adj. et n.m.): mobile, muable; le Muable.

kshâtratédja (n.m.): pouvoir du kshatrya (guerrier, homme d'action).

 

Laya (n.m.): dissolution, disparition; annulation de l'âme individuelle dans l'Infini.

lîlâ (n.f.): jeu; la manifestation en tant que jeu du Suprême.

 

madhoura (n.m.): sentiment doux, tendre.

Mahâbhârata: littéralement "la grande Inde"; épopée de Vyâsa centrée autour du conflit fratricide qui opposa deux clans, les Pândava et les Kaourava, ainsi que leurs alliés, et marqua la fin d'un monde. C'est dans le Mahâbhârata que Krishna eut, sur le champ de bataille de Kouroukshétra, un dialogue initiatique avec Ardjouna: la Shakti (Il est l'ami et le conducteur du char d'Ardjouna.)

mahâyâna (n.m.): le "grand véhicule" du bouddhisme.

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mantra (n.m.): syllable ou nom sacrés, ou formule mystique possédant un pouvoir de réalisation.

Mâyâ (n.f.): dans la langue des Véda, la Connaissance créatrice; par suite, le Pouvoir d'Illusion, le monde manifesté étant alors considéré comme une irrémédiable illusion dont il faut se défaire en s'immergeant dans l'unique Réalité transcendante.

Mâyâvâda (n.m.): doctrine selon laquelle le monde est une illusion, Maya.

milana (n.m.): contact, union.

mithyâ (mot inv.): mensonge.

môksha (n.m.): libération hors de l'Ignorance et de l'Illusion.

moukti (n.f.): libération hors de l'Ignorance et de l'Illusion.

 

Nirâkâra Brahman (n.m.): le Brahman sans forme.

nirgouna (adj. et n.m.): sans (nir) attributs (gouna); l'Impersonnel.

nirvana (n.m.): extinction de l'ego.

nirvikalpa samâdhi (n.m.): transe yoguique complète où il n'est de conscience ni des mondes intérieurs ni du monde extérieur.

 

oupadésha (n.m.): instruction, enseignement.

Oupanishad (n.f.): ensemble de brefs textes sacrés qui font suite au Véda, dont ils diffèrent par leur caractère métaphysique (alors que le Véda est composé d'hymnes).

 

Paramahamsa (n.m.): grande personnalité spirituelle.

Para Prakriti (n.f.): la Nature suprême.

Para Shakti (n.f.): l'Énergie suprême, la Mère divine.

poûdjâ (n.f.): culte, adoration.

Pourâna (n.m.): Écritures sacrées postérieures au Véda et au Védânta.

poûrna yoga (n.m.): le yoga intégral.

poûrna yogi (n.m.): celui qui pratique le yoga intégral.

Pourousha (n.m.): l'Âme, l'Être essentiel, l'Esprit, le Témoin, par opposition à la Nature active (Prakriti).

Pourousha-Prakriti: l'Âme (Pourousha) et la Nature (Prakriti) en leur unité duelle.

Pouroushôttama (n.m.): l'Esprit suprême (Pourousha+outtama), par-delà le manifesté et le Non-Manifesté.

Prakriti (n.f.): la Nature.

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radjas (n.m.): le principe du mouvement, de l'effort et de la passion (v. gouna).

radja-yoga (n.m.): yoga du mental.

rasa (n.m.): goût, saveur.

rishi (n.m.): voyant, sage.

 

sâdhak (n.m.): celui qui suit une discipline yoguique.

sâdhanâ (n.f.): discipline yoguique.

sâdhikâ (n.f.): féminin de sâdhak.

sâdrishya moukti (n.f.): libération par identité avec le Divin.

sagouna (adj, et n.m.): avec (sa) attributs (gouna), le Personnel.

samâdhi (n.m.): transe yoguique.

samatâ (n.f.): égalité, équanimité.

samsara (n.m.): le monde, la vie ordinaire dans l'Ignorance.

samskâra (n.m.): habitude réflexe, notion établie par l'expérience, prédisposition.

sannyâsî (n.m.): renonçant, ascète.

satchidânanda (n.m.): l'Être divin en Sa formulation triple: Être (Sat), Conscience (Chit) et Béatitude (Ânanda), les trois termes étant concomitants et se contenant les uns les autres.

sattwa: le principe de l'équilibre et de la lumière (v. gouna).

Shakti(n.f.): l'Énergie consciente, le Pouvoir du Seigneur, la Force par laquelle Il s'exprime dans la Nature, la Mère universelle.

Shankara: philosophe contemporain de Charlemagne; fondateur de l'Illusionnisme (Mâyâvâda) qui considère que le monde est une illusion et que, seul, le Suprême est réel. (Cette philosophie, qui a détrôné le bouddhisme en Inde, a laissé une empreinte considérable dans la pensée métaphysique.)

shloka (n.m.): quatrain.

shouddhi (n.f.): purification.

shoûnyam (n.m.): vide; le Rien qui est Tout.

shoûnyavâda (n.m.): doctrine selon laquelle l'ultime Réalité est le Vide.

shoûnya-panthé (n.m.): adepte du shoûnyavâda.

siddha (adj. et n.m.): accompli, parfait; l'homme parfait.

siddha yogi (n.m.): celui qui a atteint à la perfection de son yoga.

siddhi (n.f.): accomplissement, perfection, réalisation.

so'hamasmi: littéralement, "Lui je suis".

svar (n.m.): soleil; les régions du mental illuminé.

swapna-samâdhi (n.m.): transe (samâdhi) dans le sommeil (swapna).

 

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swarga (n.m.): paradis.

swaroûpa (n.m.): l'aspect essentiel du moi propre.

 

tamas (n.m.): le principe de l'ignorance et de l'inertie (v. gouna).

Tantra (n.m.): système yoguique reposant sur la reconnaissance de la Nature, et non sur son rejet, ainsi que sur le culte dynamique de la Mère divine sous l'un de ses multiples aspects, afin de spiritualiser la nature.

tapas (n.m.): principe essentiel de l'Énergie.

tapaswî (n.m.): ascète.

tapasyâ (n.f.): ascèse, austérités.

 

Vairâgya (n.m.): dégoût; dégoût du monde; cessation complète du désir et de l'attachement.

vasoudhaïva koutoumbakam: la terre entière est ma famille.

Véda (n.m.): le Livre de la Connaissance; le Véda est le plus vieux livre du monde et se divise en plusieurs parties, dont la plus importante et la plus ancienne, le Rig-Véda, est composée d'hymnes en vers illuminateurs (riks).

Védânta (n.m.): étymologiquement "la fin ou la culmination des Véda"; nom que l'on donne parfois aux Oupanishad, qui, héritières de la pensée védique, sont, dans la littérature sacrée, placées à la fin des Véda. Par extension, le Védânta désigne la philosophie basée sur le système oupanishadique et prônant la connaissance de l'Un sans second.

védântin (n.m.): adepte du Védânta.

vibhoûti (n.f.): émanation divine.

viraha (n.m.): séparation d'avec l'être aimé.

Vishnou: l'aspect préservateur de la trinité (trimoûrtî) indienne; c'est de lui que, selon la tradition, dérivent les Avatars.

vishwaprakriti (n.f.): la nature du monde.

vitchâra (n.m.): réflexion intellectuelle.

vitchârabouddhi (n.f.): mental de réflexion.

vivéka (n.m.): discernement.

 

yama-niyama: règle morale de contrôle de soi et contrôle des habitudes morales.

youktivâda (n.m.): discipline qui procède par argumentation.

 

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Action, doit venir de l'intérieur, 178
Activité, libre, 153, 154, 155
Adesh(a), 49
Adwaita. 52-53

réaliste (dans La Vie Divine), 53 voir aussi Monisme

Agnosticisme, 183-84

de la conscience physique, 128

Ahanâ. et autres poèmes, 243
Âme, un tout qui ne se désintègre pas, 54
Amour, de l'âme pour le Divin, de Râdhâ,202

et consécration, 225-26
Ânanda. 202-03

montée au plan de l'Ânanda, sentiment de la conscience

de l'Ânanda, 24

n'est pas la seule voie vers le transcendant, 94-95
Art, musique, littérature (poésie) peuvent faire partie du yoga,

233-35
Ârya, 58
Asat, 77

Ascension, et centres (chakra), 88-89 et expériences des

autres yoga, 128-30

et descente de l'évolution, 4

aux plans supérieurs et descentes, 121, 128-30, 138
Ascétisme, excessif, 208-09
Astasiddhi, 93
Astral, plan, 91
Astrologie, 268
Athéisme, 203
Atlantide, 1, 2
 

B

 

Bergson, Henri, 250-52
Bhakti, ahaïtoukî bhakti, 202

bhakti vishnouïte, 102-03
Bhâva, et école vishnouïte, 97

Bien, et mal, 40, 140-41
Bonté, et cruauté, 141

Bouddha, 71-72. 74
Bouddhisme, 70-82

conception de l'ego et de la libération,78-79

octuple sentier, 72

diverses sortes de bouddhisme, 73,74

conception européenne du bouddhisme tibétain, 79-81

Nirvana bouddhiste, 55, 74

Brahman, Maya et Lîlâ, 57

dans la philosophie de Shankara, 50-51

silencieux (inactif), 23

ses aspects objectif et subjectif, 139

 

C

 

Centre(s), du cœur, 138

dans le yoga intégral et dans le Tantra, 88, 89
Chaïtanya, son expérience, 109

et l'amour psychique, 103

son école, 95

Chakra, leur ouverture dans le yoga intégral et dans le Tantra,

88

et le processus de montée et de descente dans le yoga

intégral, 88
Changement, de nature, 114, 126
Chiromancie, 267-68
Chittashouddhi, 66-67
Christianisme, conception chrétienne de Dieu, 67

et yoga intégral, 152-57

enseignement faussé par une descente vitale, 7

Civilisation, actuelle, 4
Cœur, centre du c., 138
Communisme, 245

et la tendance à la spiritualité, 246
Composés et désintégration, 54-55
Connaissance, unité de la c., 235-36

yoga de la c, 134-39

Conscience, au-delà du mental, 183-84 de l'Ânanda, 24

corporelle, sa supramentalisation, 42

évolutive, émergeant de la Matière, 1-2, 32, 53

vraie conscience, 126

ses deux pôles, 38

divine, cachée derrière l'ignorance,10-11

terrestre, 20

physique, habituellement agnostique,127-28

spirituelle, et évolution, 1-5

spirituelle, son stade de développement dans le corps humain, 249-50

mahâyâna, 14-15, 50, 126

Consécration, définition, 226

par l'amour, et par le mental et la volonté, 225-26

de la conscience terrestre, 19

Corps, s'identifier à lui est une erreur, 68-69

et immortalité, 23

sa transformation, 13

Cosmique, v. Divin, Force
Création, supramentale, 20, 96

sa signification, 50

intellectuelle, 179

Cruauté, et bonté, 141

Culte, 162

Cycles, de l'évolution, 1

 

D

 

David-Neel, Alexandra, 252-53

Descente, d'êtres supérieurs, 11

absence d'expérience des descentes dans les anciens yoga, 129-30

de tranquillité, 209

du supramental, 17, 120., v. Supramental

Destruction, et création, 41

Dévotion,v. bhakti

Dharma, et Adharma, 173

inférieur et Dharma spirituel, 173

Dieu, dans l'Adwaïta, 65

conception chrétienne, 67, 203

Difficultés, vitales et mentales, 228-29

Discorde, but et origine, 35

Discrimination, indispensable à l'expérience spirituelle, 225

Divin, 34, 218

et Ânanda, Paix, Lumière, etc., 202-03

peut être réalisé sur n'importe quel plan, 126

cosmique et Divin transcendant, 128

diverses manières de l'approcher, 94-95

en tout, au-dessus et au-delà de tout, 31

plus grand, non moins grand, que le mental, 199

conception indienne du Divin, 40

nombreux niveaux de conscience dynamique, 138

réponse du Divin, 227-28

le rechercher pour ce qu'on peut en obtenir, 162-63

et Science, 241

au-dessus mais aussi ici-bas, 34

Suprême, 23

personnel, 23

Divinisation, crainte de la divinisation, 106-07

un plus grand art de vivre, 148

Divinités, védiques, 131

Doute(s), 145-46, 195-201
existe pour lui-même, 196
et foi, 194-95, 201

Dualités, et forces cosmiques, 140-41
dans l'individu, 157

E

 

Eddington, sir Arthur, 242

Ego. 55-56

dans le bouddhisme, 78-79

son élimination, 154

et chute dans l'Ignorance, 34

et amertume, 177

Égypte, ancienne, et occultisme, 1

Einstein, Albert, 237, 247-48

Élan vital (Bergson), 251

Éléments, 55

Énergie, différentes formes (mentale, matérielle, spirituelle), 254
l'Inconscient: Conscience-Force du Divin, 53

matérielle. Pouvoir de l'Esprit, 55

Énigme de ce Monde, L', 27-39,39-40, 205

Équilibre, 114

Esprit, réalisation de l'E., 125

et Matière, 262-63

Éternité, du Temps et sans Temps, 264-65

Être(s), descente d'êtres supérieurs, 11

supramentaux, 11

Europe, matérialiste, 240-41

Evans-Wentz, W. Y., Yoga Tibétain et doctrines secrètes, 79-81

Évolution, 1-5, 8, 31-40, 56-57

et montée-descente de la conscience, 4

pourrait être une floraison lente et belle du Divin, 27

cycles d'évolution, 1

et descente du Supramental, 1-43

double (intérieure et extérieure), 53

terre, lieu de l'é., 12, 19, 79-80

et involution, 10-11, 41

qui prépare l'être spirituel et supramental, 2-3

spirituelle, 9, 32, 56-57

conversion de la conscience, inévitable dans l'évolution, 25

donne son sens à l'existence ici-bas, 57

Expérience, yoguique, 223-24
partout similaire, 222
spirituelle, 220-21
et discrimination, 225
description, 212-16
usage des métaphores, 210-11
généralisations fondées sur l'expérience, 217-18
sa permanence, 197
et la philosophie de l'Orient et de l'Occident, 185-86

preuve de l'expérience, 216-17

et l'intellect raisonnant, 212-16

épreuve de la raison, 223-25

et transformation, 21

Famille, devoirs familiaux et yoga, 173

Foi, et doute, 189-90, 194-95, 201

sa signification, 195

moyen nécessaire à la réalisation, 25

non ignorante, mais lumineuse, 194

et raison, 191-94

Force, cosmique, et dualité, 139-42

usage volontaire de la f. subtile, 259-60

yoguique, 260

spirituelle, 254-59

son caractère concret, 259

sa réalité, 260-61

supramentale, 257-58

Forme(s), et Sans-Forme, 98

 

G

 

Gandhi, Mahatma, et réalisation, 24-25

et religion, 164-65

Guîtâ, 48

ne mentionne pas la Mère Divine, 85-86

consécration selon la Guîtâ, 83-84

et yoga intégral, 82-87

méthode de la Guîtâ, 95

n'est pas une allégorie, 85

pas exclusivement un évangile d'amour, 85

réconcilie des vérités apparemment opposées, 84-85

Gourou, et disciple (shishya), 103-04, 146

et dissimulation, 92

Grâce (divine), 204

conception n'est pas spécifiquement chrétienne, 154, note

Graphologie, 267

Guerre, mondiale, combat entre deux ignorances, 180

H

 

Harmonie, période d'h. dans l'évolution, 10

Harmonisation, de la personnalité, 63-64

Hatha-yoga, 4

Hindouisme, 163

Hostiles (forces, êtres), leur réalité, 27

Housman, A E.,207

Humain, éléments humains dans le yoga, 147
conscience humaine, 100

Humanitarisme, 175-76; v. aussi philanthropie

Humanité, et le yoga intégral, 174-78
et progrès, 176-77

histoire spirituelle de l'h., 163-64
ordinaire, effet de la descente du supramental, 18

Huxley, Aldous, 149-50

 

I

 

Idéalisme, 179

Ignorance, 22, 26

cause réelle de la chute dans l'i., 34

et inconscience, 10, 34

transcender l'i., 26

Illusion, (cosmique), 47, 60

Image(s). dans la description des expériences spirituelles, 210-11

Immensité, 129

immortalité, conscience de l'i. dans le corps, 23

Impersonnel, et yoga intégral, 127

sa connaissance n'affecte pas les faits matériels sur terre, 128

Incarnation, 131-32

et yoga intégral, 132

ses difficultés, 105

non de la vie, mais de la conscience, 25

Inconscience, 53

base du monde matériel, 10

et ignorance, 10, 33

Inde, védique, 1, 3

histoire spirituelle, 3-4,163-64

Individu, et établissement de la conscience supramentale, 16-17
véritable, 55-56
universalisé, 67

Infini, impressions à son approche, 75

Intégral, yoga i., v. Yoga

Intégration, (de l'être, de la personnalité), 63-64, 218

Intellect, incapable de connaître la Vérité suprême, 183-84

et expérience mystique ou spirituelle, 212-16

Intelligence, suprême, 53

Intuition, bergsonienne, 250-51

dans la Matière, dans la Vie, mentale, sur le plan spirituel, 2-3

et raison, 219

Involution, 41

Îsha Oupanishad, et la Loi de la relativité, 247

Îshwarakôti, 70, 85

 

J

 

Jainisme, 82, 128

"Je", disparition du sens du "je", 67

v. aussi Ego

Jeans, sir James, 242-43, 248-49

Jeûne, 91,92

Jîvakôti, 70, 85

 

K

 

Karma, prârabdha karma, 68
réconcilie déterminisme et libre arbitre, 218

Koundalini, et yoga intégral, 87-88

Krishna, forme de K., 98

dans la vision de Shankara, Râmânoudja, Chaïtanya, dans le Mahâbhârata et la Guîtâ, 97-98

 

L

 

Laya, 69-70

Libération, dans le bouddhisme et chez

les Mâyâvâdin (Shankara), 79

n'impose pas la disparition, 37

Lîlâ, 57
conception vishnouïte (jeu divin), 99

Logique, sa place, 58

Lumière(s), 77

n'est pas une métaphore, 211

de la réalisation, diffère de celle de la Descente, 116-17

 

M

 

Magie, 252-53

Maladie, et la Force (spirituelle, de la Mère), 255-56

Manifestation, essentielle et cosmique, 10

ses possibilités infinies, 35

limitée par le pouvoir de conscience auquel elle appartient, 38

équilibre d'énergies, 37

sa Vérité, 36-37

Massis, Henry, La Défense de l'Occident, 151-57

Matérialisme, 5-6

spéculation philosophique, 242-43

tendance des Hindous cultivés, 241

Matériel, (monde, plan, univers), 249

Matière, pas réellement inconsciente, 262

n'existe pas, 263-64

Maya, 57-58

des Illusionnistes (Mâyâvâdin), 58-59

dans la philosophie de Shankara, 50-52

Être 60-62

de Shankara, 66

Médecine, et la Force, 255-56

Mental, essentiel et permanent, 55

conscience d'ignorance, 62

incapable d'ultime certitude, 197-98

moindre, non égal ou supérieur au Divin, 199

voie d'approche du Suprême, 76-77

peut devenir un instrument de la Vérité, 188

tranquille, 211

mental, vie et corps: leur transformation, 113

Mère, 85-86

Suprême, 48
et Râmprasâd. 102

Métaphore, dans la description de l'expérience mystique, 210-11

Métaphysique, européenne, 183-87

et science, 238

Moi, 139

vide paisible et vaste, 77-78

silencieux (statique, passif, pur), 64

aspect subjectif du Brahman, 139

réalisation du Moi, 115, 116, 139

réalisation de toutes choses dans le Moi et de toutes choses comme le Moi, 134

Môksha, (libération), de l'Adwaïta, et

Nirvana bouddhiste, 74

Monde, vital, 7

selon la Science et selon le Védânta, 254

n'est pas une illusion, 47

v. aussi Univers

Monisme, européen, 40

védantique, 12

Montée, v. ascension

Morale, fait partie de la vie ordinaire, 161

et vie spirituelle, 169

Mots, et pensée, 206-07

Mystique, 216

similarité des expériences, 222

 

N

 

Nature, physique, 93

sa beauté extérieure, 27

sa transformation, 93-94

Nirgouna. et sagouna, 53-54

Nirvana, 55-56, 58-65, 80, 81-82

bouddhiste, 74

expérience du N., 78

et yoga intégral, 70

expérience de Sri Aurobindo, 59-61

Nouveauté, du message de Sri

Aurobindo, 82-83,117-20, 122-23

O

 

Occultisme, définition, 89-90

et yoga intégral, 89-92

au Tibet, 252-53

fraternités ou sociétés occultes, 92

Orient-Occident, pensée philosophique, 185-86

Ouspensky. P. D., 185

Oupanishad. contient en germe l'idée du supramental, 82

mentionne les plans supérieurs, 130

interpénétration des plans, 208

 

P

 

Paradis. 99, 156-57

Paramahamsa (grandes personnalités spirituelles), 113, 114

Para Shakti,, et Pouroushôttama, 48

Patanjali. 123

Pensée, philosophique en Orient et en Occident, 185-86

intellectuelle, et celle qui est une expérience, 206-07

et mots, 207

Permanent (le), 31

Personnalité, formation temporaire, 155-56

Personnel,, Divin personnel, 23

Personnel, et Impersonnel, 96, 127

Philanthropie, 174-75

Physique, conscience physique, habituellement agnostique, 128

nature physique, 93

transformation physique, n'était pas le but de Sri Krishna, Bouddha, etc., 111

Physique (science). 235-36

Plan, interpénétration des plans, 207

Polythéisme, 208

Progrès, 176-77

 

Q

 

Questionner (dans la sâdhanâ), 190

Râdhà.202

Raison, et foi, 192-94

et intuition, 219

et expérience mystique et spirituelle, 212-16

infaillible et universelle, n'existe pas, 192

des hommes politiques et des intellectuels, 180

Ramakrishna, son yoga, 104

et la transformation, 111

Râmatîrtha. 139

Râmprasâd, 102

Ravissement, émerge dans l'évolution, 53

de la réalisation du Brahman, 204

Réalisation, "divine" (spirituelle), 112

ne transforme pas forcément l'être, 116-17

de l'impersonnel, 127

n'est pas la même chose que la Descente, 116-17

mentale-spirituelle, 112

supramentale et spirituelle, 112

du yoga de la Connaissance, 139

peut exister sur n'importe quel plan, 21-22

du Moi, v. Moi

Réalisme, nécessaire sur le sentier, 179

Réalité, n'est pas liée par nirgouna et sagouna, 53-54

n'est pas froide, sèche et vide, 204

Rejet, 114, 148-49, 167

Relativité, théorie de la relativité, 248

Religion, changer de religion, 164-65

imperfection des religions, 163

et science, 242

vie religieuse, vie ordinaire et vie spirituelle, 161-62

Renaissance, 56

Résistance, dans le vital, 148

Retraite, 226-27

de Ramakrishna, 104

Rishi, 121-122

et supramental, 120

Royaume, de Dieu, des Cieux, 99, 156-57

Russie, 246-47

S

 

Sacrifice, du Pourousha (le grand Sacrifice), 36

Sagouna. et nirgouna, 53-54

Samkhya, et Védânta, 87

Sannyâsa, 169

Sans-Forme, représentation intellectuelle, 204

Sat,, et Asat, 77

Sattwa. 168

homme sattwique, ses difficultés, 169

Scepticisme, 8

Science, 221-70

et métaphysique, 238-39

et procédés, 230-31, 241, 243

et religion, 243

et spiritualité, 240-41

et Vérité, 221-22

l'univers selon la Science, 254

Shakti, toutes choses en proviennent, 254

Para Shakti et Pouroushôttama, 48

chez les tantriques, et Shankara, 47

Shankara. 64-66

explication de l'univers, 50-52

sa philosophie, 50-52

sa connaissance n'est qu'un côté de la Vérité, 47

Silence, descente du s., 128

intérieur, et activité, 125

obstacle au s., 228

mental, expérience de Sri Aurobindo, 150

Sincérité, centrale et totale, 113

Soleil, symbolique, 121

Sorley, prof., 205, 209, 212

Spiritisme, 236-37, 239

Spiritualisation, définition, 125-26

Spiritualité, vient par l'ouverture au Divin du mental, du vital et du physique, 6-7

et science, 240-41

toute-connaissance, 22

n'est pas grandiose, lointain, 107

êtres supramentaux, 11

Véda et Oupanishad, 82, 121-22

descente du Supramental, 17, 120

conscience supramentale, 96

s'établira d'abord dans les individus, 16

création supramentale, 20, 96

descente inévitable, 9

et descente vitale, 7

transformation supramentale, 21

Supramentalisation. 11-12, 111-12

principe, 11, 13, 17

ses effets sur l'individu, 108

stade ultime (siddhi), 23-24

Suprême, aspects statique et dynamique, 47

Surmental. 22

son principe, 42

et supramental, 22-23

Surmoi. 134

Svar, 121

Symbole(s), dans la description de l'expérience spirituelle, 210

Système(s), métaphysiques, 183

 

T

 

Tant, et yoga intégral, 87-89

et Védânta, 47, 86, 87

Spirituel, définition, 90

et supramental, 21

Sri Aurobindo, sa vie et son yoga, 143-44

son message, 82-83

et l'expérience védântique, 142

son enseignement, public ou aux sâdhak,261

Superstition, 266-70

Supramental, 7, 14-15, 22, 77

et surmental, 22

et spirituel, 21

et Royaume des cieux, 156-57

et vie terrestre, 17

et évolution, 1-43

sa base, calme absolu, 109

sa base, unification, 95-96

Tao, 74

Temps, et Espace, 264-65

et Espace, 264-65

et prédiction de l'avenir, 239

Terre, lieu de l'évolution, 12, 19, 80

champ du progrès, 12

base des mondes, 208

conscience terrestre, 19

Tibet, et occultisme, 253

Yoga tibétain et doctrines secrètes (W. Hvans-Wentz), 79-81

Tranquillité, du mental, 209, 211

Transformation, 12

définition, 116-18, 136-37

ne peut être faite individuellement, 16

différents états, 113

intégral, 151

dans le yoga intégral et chez un écrivain chrétien, 151-57

de la nature inférieure (mental, vital et corps), 113

triple transformation (psychique, spirituelle et supramentale), 113, 135-36

de la Nature physique, 93-94

et expérience spirituelle, 21

 

U

 

Un(1'), des bouddhistes, 75

silencieux et dynamique, 48

et le Multiple, 52, 265

compromis entre l'Un et le Multiple, 39-40

Unité, 266

de l'Infini, non limité à son unité, 52

Univers, 77

selon la science et selon le Védânta, 254

selon Shankara, 50-52

 

V

 

Vaïrâgya, (dégoût du monde), 165-68

vital, 63

Véda, divinités védiques, 131

Inde védique, 1-3

Védânta, expérience védântique, 142-43

Vérité, aucune n'est complète au-dessous de la Vérité supramentale, 22

et Science, 222-23

Conscience-de-Vérité, 126

Vie, essentielle et permanente, 55

origine de la vie, 249

ordinaire, vie spirituelle et vie religieuse, 161-62

ordinaire et yoguique, 172-73

organisation d'une vie humaine,170-71

vitale, égoïste, 99-101

spirituelle: donner, non exiger, 163

La Vie Divine, 52, 145

Vishnou(ite), religion, 97-99, 101-03

yoga,151

bhakti, 102-03

Vision de la Science, 243

Vital, divin, 106

résistance du vital, 148

transformation du vital, 102

être du vital, 91-92

monde vital, 5-7

forces vitales, pouvoirs vitaux, 91-92

Vivékànanda, 175-76

Volonté, divine, 23, 203

 

W

 

Woolf, Léonard, 216-17

 

Y

 

Yoga, intégral, son principe, 4

intégral, son but, 16, 50,132-33

intégral, sa base, 82-83

intégral, sa méthode, 221

intégral, sa nouveauté, 83, 118-20

technique d'un yoga qui change le monde,14

orienté vers Dieu, non l'homme, 174-75

n'est pas w\e question d'idées, 188

force du yoga, force concrète, 254-59

expérience yoguique, partout similaire, 222

yoga intégral et autres sentiers, 47-157

yoga de la Guîtâ et yoga intégral, 82-83

yoga de la Connaissance, 134, 139

yoga vishnouïte, 151

yoga intégral et Tantra, 87-89

et koundalinî, 87-88

et Védânta, 87

et occultisme, 89-92

Yoga and Its Objecte (The), 76-77

 

Sri Aurobindo

  Lettres sur le Yoga

 

DEUXIÈME PARTIE

 

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Première édition: 15 août 1984

SRI AUROBINDO ASHRAM
PONDICHÉRY

NOTE BIBLIOGRAPHIQUE

 

Les premières lettres de Sri Aurobindo publiées en français, dans une traduction de la Mère, ont paru en 1939 sous le titre Les Bases du Yoga (Jean Herbert, Bruxelles). Ce recueil, publié en anglais en 1936, avait été préparé sous la direction de Sri Aurobindo. L'Énigme de ce Monde, lettre figurant aux pages 27 à 39 du volume 1 de la présente série et publiée en anglais dès 1933, avait été traduite par la Mère lors de l'envoi à son destinataire; elle a été publiée en français en 1947 (Sri Aurobindo Ashram, Pondichéry).

En 1945 fut entreprise la première édition importante des lettres de Sri Aurobindo. Elle comportait quatre volumes, publiés de 1947 à 1951 (Sri Aurobindo Circle, Bombay); l'un (le troisième) portait sur la littérature et la poésie, les trois autres sur le yoga. Ce sont ces trois derniers volumes, traduits par Jean Herbert, qui ont été publiés chez Adyar de 1950 à 1958 sous le titre Lettres sur le Yoga, dans une édition maintenant épuisée.

Deux autres courts recueils intitulés Lumières sur le Yoga et Nouvelles Lumières sur le Yoga avaient été publiés en anglais en 1935 et 1948. Les trois recueils: Les Bases du Yoga, traduit par la Mère, Lumières sur le Yoga, traduit par Lizelle Reymond et Jean Herbert, et Nouvelles Lumières sur le Yoga, traduit par Jean Herbert, ont été regroupés par celui-ci en un volume qu'il a intitulé Le Guide du Yoga (Albin Michel, 1951). Une traduction des Lumières sur le Yoga par la Mère a paru en 1955 (Sri Aurobindo Ashram).

Toutes les lettres mentionnées jusqu'ici ont été revues par Sri Aurobindo dans l'original anglais et publiées dans cette langue sous sa direction.

Deux nouvelles éditions, successivement augmentées, des lettres sur le yoga, publiées en 1958 et 1969 par le Centre international d'éducation Sri Aurobindo (Pondichéry) n'ont jamais été traduites en français.

Enfin la collection des œuvres complètes de Sri Aurobindo, publiée en 1972 à l'occasion du centenaire de sa naissance, contient trois volumes (XXII, XXIII et XXIV) de lettres sur le yoga dont de nombreuses lettres jusqu'alors inédites. C'est la traduction de ces trois volumes qui constitue la présente série; le volume Il contient les textes figurant aux pages 233 à 502 du volume XXII de l'édition du Centenaire.  

 PLANS ET PARTIES DE L'ÊTRE

 

Les hommes ne se connaissent pas eux-mêmes et n'ont pas appris à distinguer les différentes parties de leur être; d'ordinaire, ils les réunissent en bloc sous le nom de mental, parce que c'est par la voie d'une perception et d'une compréhension mentales ou mentalisées qu'ils les connaissent ou les sentent. C'est pourquoi ils ne comprennent pas leurs propres états de conscience, leurs propres actions, ou en tout cas ils ne les comprennent que superficiellement. Devenir conscient de la grande complexité de notre nature, voir les différentes forces qui la font mouvoir, établir sur elle le contrôle de la connaissance directrice, sont autant d'éléments fondamentaux du yoga.

Nous sommes composés de nombreuses parties, et chacune apporte sa part au mouvement total de notre conscience, de notre pensée, notre volonté, nos sensations, sentiments et actions. Mais nous ne voyons ni l'origine ni la trajectoire de ces impulsions; nous percevons seulement leurs résultats de surface, confus et pêle-mêle, et nous ne savons rien leur imposer de mieux qu'un ordre précaire et changeant tout au plus.

Le remède ne peut venir que des parties de l'être déjà tournées vers la lumière. Appeler et faire descendre en soi la lumière de la Conscience divine, faire passer l'être psychique au premier plan, allumer une flamme d'aspiration qui éveillera spirituellement le mental extérieur et embrasera l'être vital, telle est la solution.1  

 

Chaque partie de l'être a sa nature propre; il est même possible que différentes natures soient contenues dans une seule partie.

 

1. Lumières sur le Yoga, chapitre 2. Traduction de la Mère.

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Selon mon expérience, la conscience n'est pas un phénomène dépendant des réactions de la personnalité aux forces de la Nature et réduit à une vision ou à une interprétation de ces réactions. S'il en était ainsi, lorsque la personnalité devient silencieuse et immobile, et qu'elle ne réagit pas, il n'y aurait pas de conscience puisqu'elle ne verrait plus et n'interpréterait plus. Cela est en contradiction avec certaines expériences fondamentales du yoga, par exemple celle d'une conscience silencieuse et immobile s'étendant à l'infini, ne dépendant pas de la personnalité mais impersonnelle et universelle, ne voyant pas et n'interprétant pas les contacts mais consciente d'elle-même dans l'immobilité, ne dépendant pas des réactions mais permanente en soi, même lorsqu'aucune réaction ne se produit. La personnalité subjective elle-même est seulement une formation de conscience qui est un pouvoir inhérent, non à l'activité de la personnalité temporairement manifestée, mais à l'être, au Moi ou Pourousha.

La conscience est une réalité inhérente à l'existence. Elle est là, même quand elle n'est pas active à la surface, mais silencieuse et immobile; elle est là, même quand elle est invisible à la surface, quand elle ne réagit pas aux objets extérieurs ou y est insensible, mais qu'elle est retirée et active ou inactive au-dedans; elle est là, même quand elle nous semble tout à fait absente et que l'être paraît à nos yeux inconscient et inanimé.

La conscience n'est pas seulement le pouvoir de se percevoir soi-même et de percevoir les choses, elle est ou possède aussi une énergie dynamique et créatrice. Elle peut déterminer ses propres réactions ou s'abstenir de réagir; elle peut non seulement répondre aux forces, mais créer des forces ou en émaner. La conscience est Chit, mais aussi Chit Shakti.

La conscience est habituellement identifiée au mental, mais la conscience mentale n'est que le domaine humain et ne couvre pas plus tous les domaines possibles de conscience que la vision humaine ne couvre toute la gamme des couleurs, ou l'ouïe humaine toute la gamme des sons - car au-dessus et

 

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au-dessous, bien des degrés sont pour l'homme invisibles et inaudibles. Il y a de même des domaines de conscience au-dessus et au-dessous du domaine humain, avec lesquels l'homme normal n'a aucun contact et qui lui semblent inconscients: les domaines du supramental, du surmental et du sous-mental.

Quand Yâjnavalkya dit qu'il n'y a pas de conscience dans l'état du Brahman, il parle de la conscience telle que l'être humain la connaît. L'état du Brahman est celui d'une existence suprême suprêmement consciente d'elle-même, swayamprakâsha - c'est Satchidânanda, Existence-Conscience-Béatitude. Même s'il est décrit comme au-delà de Cela, parâtparam, cela ne signifie pas qu'il est un état de Non-existence ou de Non-conscience, mais qu'il est au-delà même du substrat spirituel le plus élevé (la "fondation au-dessus" selon le paradoxe lumineux du Rig-Véda) de l'existence et de la conscience cosmiques. Selon la description du Tao chinois et du Shoûnya bouddhiste, il s'agit de toute évidence d'un Néant qui contient tout; il en est de même ici de la négation de la conscience. Les termes supraconscient et subconscient ne sont que relatifs; à mesure que nous nous élevons dans le supraconscient, nous voyons que c'est une conscience plus grande que la plus haute que nous ayons déjà atteinte, et par conséquent, dans notre état normal, elle est pour nous inaccessible; si nous pouvons descendre dans le subconscient, nous y trouvons une conscience autre que la nôtre à sa limite mentale inférieure, qui par conséquent nous est d'ordinaire inaccessible. L'inconscient lui-même n'est qu'un état involué de conscience qui, comme le Tao ou le Shoûnya, bien que d'une manière différente, contient toutes choses comprimées en lui, de sorte que sous une pression d'en haut ou du dedans, tout peut évoluer hors de lui - "Âme inerte dotée d'une Force somnambule".

Les gradations de la conscience sont des états universels qui ne dépendent pas de la vision de la personnalité subjective; c'est plutôt la vision de la personnalité subjective qui est déterminée par le niveau de conscience dans lequel elle est

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organisée, selon la nature de son type ou le stade de son évolution.

Il devient évident que la conscience désigne quelque chose qui est partout essentiellement semblable, mais qui varie en état, en condition et en mode d'action; en elle, à certains niveaux ou dans certaines conditions, les activités que nous appelons conscience peuvent exister, dans un état soit comprimé, soit inorganisé, soit organisé différemment; alors que dans d'autres états, certaines autres activités peuvent se manifester qui, en nous, sont réprimées, inorganisées ou latentes, ou encore se manifestent moins parfaitement, sont moins intenses, moins étendues et moins puissantes que dans ces degrés supérieurs à notre limite mentale la plus haute.

 

 

Tout dépend du lieu où la conscience se place et se concentre. Si la conscience se place ou se concentre dans l'ego, vous vous identifiez à l'ego; si elle se place ou se concentre dans le mental, elle s'identifie au mental et à ses activités, et ainsi de suite. Si la conscience exerce sa pression au dehors, on dit qu'elle vit dans l'être extérieur, qu'elle oublie son mental et son vital intérieurs comme son psychique le plus profond; si elle va au-dedans, qu'elle y exerce une pression centralisatrice, alors elle se connaît comme l'être intérieur ou, plus profondément encore, comme l'être psychique; si elle s'élève hors du corps jusqu'aux plans où le moi est naturellement conscient de son immensité et de sa liberté, elle se connaît comme le Moi et non le mental, la vie ou le corps. Toute la différence provient du point où s'exerce cette pression de la conscience C'est pourquoi il faut concentrer la conscience dans le cœur ou dans le mental afin d'aller au-dedans ou au-dessus: la position de la conscience détermine tout, fait qu'on est plutôt mental, vital, physique ou psychique, enchaîné ou libre, séparé dans le Pourousha ou involué dans la Prakriti.  

 

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La conscience n'a pas besoin d'un "je" clair et individuel pour exercer de diverses façons sa pression centralisatrice: quel que soit le lieu où elle la place, le "je" s'y attache, de sorte qu'on se considère soi-même comme un être mental, un être physique ou n'importe quoi d'autre. La conscience en moi peut s'organiser d'une manière ou d'une autre; elle peut descendre dans le physique et y travailler sur la nature physique, gardant tout le reste à l'arrière-plan ou au-dessus pendant un certain temps; ou elle peut monter au-dessus de la tête et se tenir alors au-dessus du mental, de la vie et du corps, les voyant ainsi comme des formes instrumentales inférieures d'elle-même, ou ne les voyant pas du tout, plongée dans le Moi libre et indifférencié; ou elle peut se jeter dans une conscience cosmique active et dynamique et s'y identifier, ou encore faire toutes sortes d'autres choses sans recourir à cette mouche du coche qui se mêle de tout, à laquelle on accorde beaucoup trop d'importance, et que vous appelez le "je" clair et individuel. Le vrai "je" - si vous tenez à ce mot - n'est pas "clair et individuel", il n'est pas un ego séparé, nettement délimité, il est aussi vaste que l'univers et même plus vaste, il peut contenir l'univers en lui, mais ce n'est pas l'Ahamkâr, c'est l'Âtman.

La conscience est un élément fondamental, l'élément fondamental de l'existence - c'est l'énergie, l'impulsion, le mouvement de conscience qui crée l'univers et tout ce qu'il contient: non seulement le macrocosme, mais aussi le microcosme ne sont rien d'autre que de la conscience en train de s'organiser. Par exemple, quand la conscience dans son mouvement ou plutôt dans une certaine intensité de mouvement s'oublie dans l'action, elle devient une énergie apparemment "inconsciente"; quand elle s'oublie dans la forme, elle devient l'électron, l'atome, l'objet matériel. En réalité, c'est toujours la conscience qui est à l'oeuvre dans l'énergie et détermine la forme et l'évolution de la forme. Quand elle veut se libérer de la Matière, lentement, par évolution, mais toujours dans la forme, elle émerge en vie, en animal, en homme, et elle peut continuer à évoluer en sortant plus

 

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encore de son involution et devenir quelque chose de plus qu'un homme. Si vous pouvez saisir cela, alors il ne devrait pas vous être très difficile de voir ensuite qu'elle peut se formuler subjectivement en conscience physique, vitale, mentale, psychique; toutes sont présentes en l'homme, mais comme elles sont toutes mélangées dans la conscience extérieure et que leur état véritable reste à l'arrière-plan dans l'être intérieur, on ne peut devenir pleinement conscient de leur présence qu'en élargissant la limitation imposée à l'origine par la conscience, qui nous fait vivre dans notre être extérieur, en s'éveillant et en se centrant au-dedans sur l'être intérieur. Comme la conscience en nous, lorsqu'elle se concentre ou se place principalement à l'extérieur, doit renvoyer tout cela à l'arrière-plan, derrière un mur ou un voile, elle doit détruire le mur ou le voile et revenir se concentrer dans ces parties intérieures de l'existence - c'est ce que nous appelons vivre au-dedans; alors notre être extérieur nous paraît petit et superficiel, nous sommes, ou pouvons devenir conscients du royaume intérieur, vaste, riche, inépuisable. En même temps, la conscience en nous a placé un couvercle, un écran - appelez cela comme vous voulez - entre les plans inférieurs du mental, de la vie, du corps soutenus par le psychique, et les plans supérieurs qui contiennent les royaumes spirituels où le moi est toujours libre et sans limite, et elle peut briser ou ouvrir le couvercle, l'écran, monter dans ces plans supérieurs et devenir le Moi libre, vaste et lumineux, ou faire descendre l'influence, le reflet et finalement même la présence et le pouvoir de la conscience supérieure dans la nature inférieure.

C'est donc cela la conscience: elle n'est pas composée de parties, elle est le fondement de l'être et donne elle-même une forme à toutes les parties qu'elle choisit de manifester, en les élaborant depuis le haut vers le bas dans une descente progressive depuis les niveaux spirituels vers l'involution dans la Matière, ou en leur donnant une forme au premier plan, dans un mouvement ascendant, par ce que nous appelons l'évolution. Si elle choisit de travailler en vous à travers le sentiment de l'ego, vous pensez que c'est le "je" clairement

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délimité qui fait tout; si elle commence à se libérer de ce fonctionnement limité, vous commencez à étendre votre sentiment du "je" jusqu'à ce qu'il éclate pour devenir infini et n'existe plus, ou vous vous en dépouillez et vous vous épanouissez pour devenir une immensité spirituelle. Évidemment, ce n'est pas là ce que la pensée matérialiste moderne appelle conscience, parce que cette pensée est assujettie à la science et ne voit la conscience que comme un phénomène qui émerge de la Matière inconsciente et qui consiste en certaines réactions de l'organisme aux objets extérieurs. Mais cela, c'est un phénomène de conscience, ce n'est pas la conscience elle-même, ce n'est même qu'une très petite partie de tous les phénomènes possibles de conscience, et cela ne peut donner aucune indication sur la Conscience, cette Réalité qui est l'essence même de l'existence.

C'est tout pour le moment. Il faudra que vous vous arrêtiez là-dessus - car c'est fondamental - avant qu'il soit utile d'aller plus loin.

 

 

 

La Conscience est faite de deux éléments: la perception du moi, des choses et des forces, et le pouvoir conscient. La perception est la première nécessité, vous devez percevoir les choses dans la conscience juste, de la manière juste, les voir dans leur vérité; mais la perception en elle-même ne suffit pas. Il doit y avoir une Volonté et une Force qui rendent la conscience efficace. L'un peut avoir la pleine conscience de ce qui doit être changé, de ce qui doit partir et de ce qui doit le remplacer, mais il peut se trouver dans l'incapacité d'opérer le changement. Un autre peut avoir la force de volonté, mais faute d'avoir une perception juste, être incapable de l'appliquer de la bonne manière au bon endroit. L'avantage, quand vous êtes dans la vraie conscience, est que vous avez la perception juste, et comme sa volonté est en harmonie avec la volonté de la Mère, vous pouvez appeler la Force de la Mère pour qu'elle opère le changement. Ceux qui vivent dans le

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mental et le vital ne sont pas capables de le faire aussi bien; ils sont obligés d'utiliser principalement leur effort personnel, et comme la perception, la volonté et la force du mental et du vital sont divisées et imparfaites, le travail effectué est imparfait et n'est pas définitif. C'est seulement dans le supramental que la Perception, la Volonté, la Force sont toujours un seul mouvement et sont automatiquement efficaces.

 

II

 

Satchidânanda (sat-chit-ânandd) est l'Un sous un triple aspect. Dans le Suprême, les trois ne sont pas trois mais un - l'existence (sat) est conscience (chit), et la conscience est béatitude (ananda); ainsi les trois sont inséparables, et non seulement inséparables mais tellement l'un l'autre qu'ils ne sont aucunement distincts l'un de l'autre. Sur les plans supérieurs de la manifestation, ils deviennent trois en un; bien qu'ils restent inséparables, l'un des trois peut devenir prédominant et servir de base aux autres ou les diriger. En dessous, sur les plans inférieurs, ils deviennent séparables en apparence, sans l'être cependant en leur réalité secrète; et dans le monde phénoménal, l'un peut exister sans les autres, si bien que nous percevons ce qui nous paraît être une existence inconsciente ou douloureuse, ou une conscience sans Ânanda. En fait, sans cette séparation des trois aspects dans notre expérience, la douleur, l'ignorance, le mensonge, la mort et ce que nous appelons l'inconscience, n'auraient pas pu se manifester, et cette évolution d'une conscience limitée et souffrante sortant de la nescience universelle de la matière n'aurait pas pu avoir lieu..2

 

Le Supramental se situe entre Satchidânanda et la création inférieure. Lui seul contient directement la Vérité déterminante

 

2. Lumières sur le Yoga, chapitre 2. Traduction de la Mère.

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de la Conscience divine, et il est nécessaire à une création de Vérité.

On peut évidemment réaliser Satchidânanda dans ses rapports avec le mental, la vie et le corps aussi - mais c'est alors quelque chose de stable, qui soutient par sa présence la Prakriti inférieure mais ne la transforme pas. Seul le Supramental peut transformer la nature inférieure.3

 

 

C'est le Pouvoir supramental qui transforme le mental, la vie et le corps, et non la conscience de Satchidânanda qui soutient tout impartialement. Mais c'est par l'expérience de Satchidânanda, pure existence-conscience-béatitude, que l'ascension jusqu'au supramental et la descente du supramental deviennent (très longtemps après) possibles. Car on doit d'abord se libérer de la limitation ordinaire des formations mentales, vitales et physiques, et l'expérience de la paix, du calme, de la pureté et de l'immensité de Satchidânanda donne cette libération.

Le supramental n'est en rien une entrée dans un vide. C'est le Mental, dépassant ses propres limites et suivant à cette fin une voie négative et quiétiste, qui atteint le grand vide. Le mental, étant Ignorance, doit s'annuler pour entrer dans la Vérité suprême - ou du moins, c'est ce qu'il pense. Mais le Supramental étant la Conscience-de-Vérité et la Connaissance divine n'a pas besoin de s'annuler pour cela.4  

 

 

Dans la conscience supramentale, il n'y a pas de problème: les problèmes sont créés par la division qu'instaure le Mental. Le supramental voit la Vérité comme une totalité unique et tout se met à sa place dans cette totalité. Le supramental est aussi spirituel, mais les anciens yoga atteignent Satchidânanda à

 

3. Lumières sur le Yoga, chapitre 2.Traduction de la Mère.

4. Nouvelles Lumières sur le Yoga, chapitre 1.

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travers le mental spiritualisé et partent dans l'unité éternellement statique de Satchidânanda ou plutôt du pur Sat (existence) absolu et éternel, ou encore dans une pure Non-existence, absolue et éternelle. Notre yoga, après avoir réalisé Satchidânanda sur le plan du mental spiritualisé, le réalise ensuite sur le plan supramental.

Le Satchidânanda suprême et supracosmique est au-dessus de tout. Le Supramental peut être décrit comme son pouvoir de perception de soi et de perception du monde, le monde étant connu comme étant en lui et non en dehors de lui. Ainsi pour vivre consciemment dans le Satchidânanda suprême, on doit passer par le supramental. Si l'on est dans le supracosmique en dehors de la manifestation, il n'y a pas place pour les problèmes et les solutions. Si l'on vit à la fois dans la transcendance et dans la vision cosmique, cela ne peut être que par la conscience supramentale dans la conscience suprême de Satchidânanda - alors pourquoi la question se poserait-elle? Pourquoi y aurait-il une différence entre la version du cosmos donnée par le Satchidânanda suprême et la version qui en est donnée par le supramental? Votre difficulté vient sans doute de ce que vous pensez aux deux en termes du mental.

La conscience supramentale est entièrement différente, non seulement du Mental spiritualisé, mais aussi des plans au-dessus du Mental spiritualisé qui interviennent entre celui-ci et le plan supramental. Une fois que l'on dépasse le surmental pour entrer dans le supramental, on pénètre dans une conscience où les normes des autres plans ne s'appliquent pas et où la même Vérité - par exemple Satchidânanda et vérité de notre univers - est vue d'une manière tout à fait différente et a un effet dynamique différent. C'est la conséquence nécessaire du fait que le supramental a une connaissance indivisible, alors que le surmental procède par union dans la division et le Mental par division, prenant la division comme fait premier, car tel est le processus naturel de sa connaissance.

Dans tous les plans l'expérience essentielle de Satchidânanda,

 

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pure Existence, Conscience, Béatitude, est la même; le Mental se contente souvent d'elle, la considérant comme la seule Vérité, et rejette tout le reste comme faisant partie de la grande Illusion, mais il y a aussi une expérience dynamique du Divin ou de l'Existence - par exemple de l'Un et du Multiple, du Personnel et de l'Impersonnel, de l'Infini et du Fini, etc. - qui est essentielle à la connaissance intégrale. L'expérience dynamique n'est pas la même sur les plans inférieurs et sur les plans supérieurs, dans les plans spirituels intermédiaires et dans le supramental. Dans ces plans, les oppositions peuvent seulement être rapprochées et harmonisées, dans le supramental elles se fondent et sont inséparablement une, ce qui fait une énorme différence.

L'univers est dynamisme, mouvement - l'expérience essentielle de Satchidânanda, séparée du dynamisme et du mouvement, est statique. L'entière vérité dynamique de Satchidânanda et de l'univers, avec ses conséquences, ne peut être saisie par une conscience autre que le supramental, parce que les instruments de tous les autres plans (plus bas) sont inférieurs et qu'il existe donc une disparité entre la plénitude de l'expérience statique et le caractère incomplet de la connaissance et du pouvoir dynamique résultant de la lumière et du pouvoir inférieurs des autres plans. C'est pour cette raison que la conscience des autres plans spirituels, même si elle descend, ne peut opérer aucun changement radical dans la conscience terrestre, elle ne peut que la modifier ou l'enrichir. Pour la transformation radicale, la descente du pouvoir et de la nature du supramental est nécessaire.

On ne peut pas parler de deux catégories de Satchidânanda, car le Satchidânanda est toujours le même - mais la connaissance du Satchidânanda et de l'univers est différente selon le degré de la conscience qui en a l'expérience.

Le Divin personnel peut être réalisé parfois avec une Forme, parfois sans Forme. Sans Forme, c'est la Présence de la Personne divine vivante, ressentie en tout. Avec Forme, il apparaît comme une image de l'Un à qui l'adoration est offerte. Le Divin peut toujours se manifester dans une forme

 

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au bhakta ou au chercheur. On le voit dans la forme sous laquelle on l'adore ou on le cherche, ou sous une forme appropriée à la Personnalité divine qui est l'objet de l'adoration. Son mode de manifestation dépend de bien des choses et est trop varié pour se résumer en une règle unique. Parfois, c'est dans le cœur qu'on voit la Présence revêtue d'une forme, parfois dans un autre centre, parfois au-dessus, et, de là, guidant le chercheur; parfois on la voit au-dehors et devant soi, comme si c'était une Personne dans un corps. Les avantages en sont une relation intime et des directives constantes, ou si on la sent ou la voit au-dedans, une réalisation très forte et très concrète de la Présence constante. Mais on doit être très sûr de la pureté de son adoration et de sa recherche, car l'inconvénient de cette sorte de relation incarnée est que d'autres Forces peuvent imiter la Forme ou contrefaire la voix et les directives, et cela prend d'autant plus de force que c'est associé à une image fabriquée qui n'est pas la vraie chose. Plusieurs disciples ont été abusés de cette manière parce que l'orgueil, la vanité ou le désir étaient forts en eux et leur soustrayaient la perception psychique plus fine qui n'est pas mentale et peut aussitôt projeter la lumière de la Mère sur ces duperies ou ces erreurs.

 

 

 

1. J'appelle Réalité supracosmique le Satchidânanda Suprême qui est au-dessus de cette manifestation-ci et de toutes les manifestations, qui n'est lié par aucune, et de qui procèdent cependant toute manifestation et tout univers.

2. Le supramental et le supracosmique ne sont pas la même chose. S'il en était ainsi, il ne pourrait pas y avoir de monde supramental ni de descente du principe supramental dans le monde matériel; nous serions ramenés à l'idée que la Vérité et la Réalité divines ne peuvent exister qu'au-delà, et que l'univers - n'importe quel univers - ne peut être qu'une demi-vérité ou une illusion de l'ignorance.

3. J'appelle supramental la Conscience-de-Vérité, qu'elle

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soit dans l'univers ou au-dessus, par laquelle le Divin connaît non seulement sa propre essence et son être, mais aussi sa manifestation. Son caractère fondamental est la connaissance par identité: par elle le Moi est connu, le Satchidânanda est connu, mais aussi la vérité de la manifestation est connue, parce qu'elle aussi est Cela - sarvam khalvidam brahma,5 vâsoudévah sarvam,6 etc. Le Mental est un instrument de l'Ignorance qui essaie de connaître, le supramental est le Connaisseur possédant la Connaissance, parce qu'il est un avec elle et avec le connu, et donc voit toutes choses dans la lumière de sa propre Vérité, dans la lumière de leur vrai moi qui est Lui. C'est un Pouvoir dynamique et pas seulement statique, non seulement une Connaissance, mais une Volonté selon la Connaissance: il existe un Pouvoir ou Shakti supramental qui peut manifester directement son monde de Lumière et de Vérité où tout est fondé lumineusement sur l'harmonie et l'unité de l'Un, et non troublé par un voile d'Ignorance ni par aucun déguisement. Le supramental, par conséquent, ne transcende pas toute manifestation possible, mais il est au-dessus de la triplicité du mental, de la vie et de la Matière qui constitue actuellement notre expérience de cette manifestation.

4. Le surmental est une sorte de délégation du supramental (ce n'est qu'une métaphore) qui soutient l'univers évolutif actuel où nous vivons ici dans la Matière. Si le supramental avait été le Pouvoir créateur direct ici, dès le commencement, un monde similaire à celui que nous voyons maintenant n'aurait pas pu exister; il aurait été plein de la Lumière divine dès le commencement, il n'y aurait pas eu d'involution dans l'inconscience de la Matière, et par conséquent pas d'évolution graduelle et laborieuse de la conscience dans la Matière. Une frontière est donc tracée entre la moitié supérieure de l'univers de conscience, parârdha, et la moitié inférieure, aparârdha. La moitié supérieure est constituée par Sat, Chit

 

5. En vérité tout ce qui est, est Brahman (Chândoukiya Oupanishad, 5.14.1).

6. Le Divin est Tout (Guîtâ, 7.19).

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Ânanda, Mahas (le supramental); la moitié inférieure par le mental, la vie, la matière. Cette frontière est le surmental intermédiaire qui, bien que lumineux lui-même, nous empêche de voir la pleine Lumière supramentale indivisible, dont il dépend en fait, mais que, en la recevant, il divise, répartit, brise en aspects distincts, en pouvoirs séparés, en multiplicités de toutes sortes, qu'il est possible, par une diminution supplémentaire de conscience comme celle que nous atteignons dans le Mental, de considérer chacun comme la seule ou la principale Vérité et tout le reste comme subordonné ou contraire à elle. À cette action du surmental peuvent être appliquées les paroles de l'Oupanishad: "la face de la Vérité est cachée par un Couvercle d'or", ou celles de l'expression védique riténa ritam apihitam.7 Ici est à l'œuvre une sorte de vidyâ-avidyâmayî maya8 qui rend possible la prédominance d'avidyâ. C'est par ce principe primitif de division que le Mental est capable de considérer, par exemple, l'Impersonnel comme la Vérité et le Personnel comme un simple masque, ou le Divin personnel comme la Vérité majeure et l'impersonnalité comme un simple aspect; c'est ainsi, de même, que naissent toutes les philosophies et toutes les religions contradictoires, chacune exaltant un aspect ou une potentialité de la Vérité qu'elle présente au mental comme l'explication totale et suffisante des choses, ou exaltant l'une des Divinités du Divin au-dessus de toutes les autres comme le seul vrai Dieu, tel qu'il ne peut y en avoir aucun autre, ou aucun aussi grand ou plus grand. Ce principe de division suit partout la connaissance mentale de l'homme, et même quand il croit être parvenu à l'unité définitive, ce n'est qu'une unité fabriquée, fondée sur un Aspect. Ainsi, l'homme de science cherche à fonder l'unité de la connaissance sur un aspect physique originel des choses, Énergie ou Matière, Électricité ou Éther; ainsi, le mâyâvâdin se croit arrivé à l'Adwaïta absolu en coupant l'existence en deux, appelant la partie supérieure Brahman et la partie inférieure Maya. C'est

 

7. Vérité cachée par la vérité (Rig-Véda, 5.62.1.).

8. Maya composée de connaissance et d'ignorance.

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pourquoi la connaissance mentale ne peut jamais parvenir à une solution définitive en quoi que ce soit, car les aspects de l'Existence tels qu'ils sont dispersés par le surmental sont innombrables et on peut continuer à multiplier sans fin philosophies et religions.

Le surmental lui-même échappe à cette confusion, car le surmental connaît l'Un comme le soutien, l'essence, le pouvoir fondamental de toutes choses, mais dans le jeu dynamique qui lui est propre, il fait valoir son pouvoir de division dans la multiplicité et cherche à donner à chaque pouvoir ou Aspect toutes les occasions de se manifester, se reposant sur l'Unité sous-jacente pour qu'elle empêche le manque d'harmonie ou le conflit. Chaque Divinité, pour ainsi dire, crée son propre monde, mais sans conflit avec les autres; chaque Aspect, chaque Idée, chaque Force des choses peut être ressentie dans la plénitude de son énergie séparée, dans la plénitude de sa splendeur séparée, et élabore ses valeurs, mais cela ne crée pas un manque d'harmonie, parce que le surmental a le sens de l'Infini et que dans l'Infini véritable (non spatial), il est possible à de nombreuses infinités de concorder. Cette sécurité particulière du surmental ne peut cependant pas être transférée aux plans inférieurs de conscience qu'il soutient et dirige, parce qu'à mesure qu'on descend dans l'échelle, la division et la multiplicité s'accroissent; dans le Mental l'unité sous-jacente devient vague, abstraite, indéterminée et indéterminable, et la seule apparence concrète est celle du monde phénoménal qui est, par nature, une forme et une représentation: la vision que l'Un a de lui-même a déjà commencé à disparaître. Le Mental agit par représentations et constructions, en séparant et en tissant ensemble les données qu'il construit; il peut faire une construction synthétique et la voir comme le tout, mais quand il cherche la réalité des choses, il se réfugie dans les abstractions; il n'a pas la vision, l'expérience, le contact concret que recherchent le mystique et le chercheur spirituel. Pour connaître le Moi et la Réalité directement ou véritablement, le Mental doit être silencieux et en refléter une certaine lumière,

 

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ou subir un dépassement de soi et une transformation, et cela n'est possible que si une Lumière supérieure descend en lui ou s'il s'élève, est englobé ou est immergé dans une Lumière d'existence plus haute. Dans la Matière, en descendant au-dessous du Mental, nous arrivons au paroxysme de la fragmentation et de la division; l'Un, bien qu'il soit secrètement là, est perdu pour la connaissance; nous avons l'Ignorance complète, et même une Inconscience fondamentale hors de laquelle l'univers doit faire évoluer conscience et connaissance.

5. Si nous considérions Vaïkountha ou Goloka comme étant chacun le monde d'une Divinité, Vishnou ou Krishna, nous serions naturellement conduits à chercher son emplacement ou son origine dans le plan surmental. Le surmental est le plan des mondes supérieurs des Dieux. Mais Vaïkountha et Goloka sont des conceptions humaines d'états d'être qui sont au-delà de l'humanité. Goloka est évidemment un monde d'Amour, de Beauté et d'Ânanda plein de radiances spirituelles (la vache est le symbole de la Lumière spirituelle) dont les âmes sont les gardiens ou les possesseurs, Gopa et Gopî. Il n'est pas nécessaire d'assigner un plan particulier à cette manifestation - en fait cette manifestation ou ses conditions peuvent se refléter ou être possédées sur n'importe quel plan de conscience: le plan mental, le plan vital ou même le plan physique subtil. L'explication qui en est donnée et que vous avez mentionnée n'est donc pas exclue, elle est tout à fait plausible.

6. Il n'est pas possible de situer le Nirvana en tant que monde ou plan, car l'impulsion vers le Nirvana incite à un retrait hors du monde et de ses valeurs; c'est par conséquent un état de conscience ou plutôt de supraconscience qui ne réside en aucun lieu ni à aucun niveau. Il y a plusieurs espèces possibles de Nirvana (extinction ou dissolution). L'homme étant un être mental dans un corps, manômaya pourousha, tente de se retirer hors du cosmos par la voie du mental spiritualisé; il ne peut pas faire autrement, et c'est cela qui donne au Nirvana cette apparence d'extinction ou de dissolution, laya, nirvana; car l'extinction du mental et de tout ce qui

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en dépend, y compris l'ego séparateur, dans quelque Au-delà, est la voie naturelle, presque inéluctable d'un tel retrait. Dans un yoga plus positif qui rechercherait la transcendance, mais non le retrait, cela ne serait pas indispensable, car il serait possible d'emprunter la voie, à laquelle j'ai déjà fait allusion, du dépassement de soi ou de la transformation de l'être mental. Mais on peut aussi arriver à la transcendance par une certaine expérience du Nirvana, un silence absolu du mental et une cessation des activités, des constructions et des représentations, qui peut être si complète que non seulement pour le mental silencieux, mais aussi pour les sens passifs, le monde entier est vidé de sa solidité et de sa réalité, et les choses n'apparaissent que comme des formes insubstantielles et n'ayant aucune demeure véritable, ou encore flottant dans une sorte d'Infini ineffable; cet infini, ou bien quelque chose d'autre encore au-delà, est Cela qui seul est réel; un état de calme, de paix, de libération absolus en serait le résultat. L'action continuerait, mais sans initiative ni participation de la part de la conscience silencieuse et libérée; un pouvoir ineffable ferait tout jusqu'à ce que commence une descente d'en haut qui transformerait la conscience, faisant de son silence et de sa liberté une base pour une connaissance, une action lumineuses, pour l'Ânanda. Mais un tel cheminement serait rare; ordinairement un silence du mental, une libération de la conscience, une renonciation à sa croyance en la valeur ou en la vérité définitive des représentations ou des constructions imparfaites du mental suffiraient pour que le fonctionnement supérieur soit possible.

7. Parlons maintenant de la conscience cosmique et du Nirvana. La conscience cosmique est une affaire complexe. Pour commencer elle a deux faces: l'expérience du Moi libre, infini, silencieux, inactif, un en tout et au-delà de tout, et l'expérience directe de l'Énergie cosmique et de ses forces, de ses fonctionnements et de ses formations, cette expérience-ci étant incomplète tant qu'on n'a pas le sentiment d'être aussi vaste que l'Univers et de l'emplir, de le déborder et de le contenir. Auparavant, il peut y avoir des contacts, des communications,

 

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des échanges directs avec les forces, les êtres, les mouvements cosmiques, non la complète union du mental avec le Mental cosmique, de la vie avec la Vie cosmique, de la conscience corporelle et physique avec l'Énergie cosmique matérielle et sa substance. Il peut y avoir aussi une réalisation du Moi cosmique non suivie de la réalisation de l'unité dynamique universelle. Ou, au contraire, il peut y avoir une certaine universalisation dynamique de la conscience sans l'expérience du Moi libre et statique omniprésent: l'absorption dans les énergies plus grandes et dans les plaisirs qu'elles procurent barrerait la route qui mène à cette libération. De même, l'identification ou l'universalisation peut se situer sur un plan ou sur un niveau plutôt que sur un autre, à prédominance mentale ou à prédominance émotionnelle (à travers la compassion ou l'amour universel) ou à prédominance vitale d'une autre sorte (expérience des forces de la vie universelle) ou physique. Mais quoi qu'il en soit, même avec la pleine réalisation et l'expérience complète, il devrait être évident que le jeu cosmique serait quelque chose qu'on ressentirait finalement comme limité, ignorant, imparfait par sa nature même. L'âme libre pourrait le contempler sans être touchée ni émue par ses imperfections et ses vicissitudes, et exécuter un travail assigné, essayer de venir en aide à tous ou d'être un instrument du Divin, mais ni le travail, ni l'instrument n'approcherait de la perfection ni même de la pleine lumière, du plein pouvoir, de la pleine béatitude du Divin. Cette perfection, cette plénitude ne pourraient être atteintes que par une ascension dans les plans supérieurs de l'existence cosmique ou par leur descente dans la conscience de l'individu; et si cela n'était ni envisagé ni accepté, il resterait encore l'échappatoire du Nirvana. L'autre voie serait, après la mort, une ascension dans ces plans supérieurs: les paradis des religions ne signifient après tout rien d'autre que ce besoin d'atteindre une Existence plus grande, lumineuse, béatifique, divine.

Cependant, pourrait-on demander, si les plans supérieurs, ou si le surmental lui-même manifestaient leur conscience

 

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avec tout leur pouvoir, leur lumière, leur liberté, leur immensité; et si tout cela descendait ici-bas dans une conscience individuelle, est-ce que cela même ne rendrait pas superflu à la fois la négation cosmique ou l'impulsion vers le Nirvana, et le besoin d'atteindre une Transcendance divine? Mais finalement, bien que l'on puisse vivre en union avec le Divin dans une conscience lumineuse, vaste, libre, embrassant en elle-même l'univers, et être le canal de grandes énergies ou de grandes créations, spirituelles ou extérieures, ce monde-ci n'en demeurerait pas moins fondamentalement le même: il y aurait un abîme entre, d'une part, l'Esprit au-dedans, et d'autre part, le milieu où il s'exprime et la substance sur laquelle il agit, entre la conscience intérieure et le monde dans lequel elle est à l'œuvre. L'accomplissement intérieur subjectif, individuel, pourrait être parfait, mais le résultat dynamique serait peu satisfaisant, disparate; ce serait un mélange, non une parfaite harmonie de l'intérieur et de l'extérieur, non un nouveau rythme intégral d'existence ici-bas qui puisse être qualifié de vraiment divin. Seule une conscience comme le supramental, inconditionnée et en parfaite union avec son origine, une Conscience-de-Vérité dotée du pouvoir de se déterminer elle-même librement, serait capable d'instaurer un reflet de la parfaite harmonie, du rythme parfait de l'hémisphère supérieur dans cet échelon le plus bas de l'hémisphère inférieur. Que cela se réalise ou non dépend de la signification de l'existence évolutive; il s'agit de savoir si cette existence est quelque chose d'imparfait par sa nature même, et voué à l'échec, et dans ce cas soit une voie négative de transcendance par un quelconque Nirvana, soit une voie positive de transcendance, peut-être par la rupture de l'écran brillant du surmental, hiranmaya pâtra9 pour aller vers ce qui est au-dessus, serait le but final de l'âme s'échappant de cet univers sans signification; à moins toutefois que, comme le Bouddha Amitâbha, on ne soit tenu par la compassion, ou encore par la Volonté divine au-dedans, de continuer à aider et à partager la lutte vers le haut, vers la Lumière, de ceux qui,

 

9. Îsha Oupanishad, 15.

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ici-bas, sont encore dans la nuit de l'Ignorance. Si, au contraire, ce monde est une Lîlâ d'involution et d'évolution spirituelles dans laquelle tous les pouvoirs, jusqu'au plus haut, doivent apparaître successivement, tout comme la Matière, la Vie et le Mental sont déjà apparus hors d'une Inconscience apparemment indéterminée, alors il est possible d'atteindre un autre sommet.

L'impulsion vers le Nirvana a derrière elle deux forces motrices. L'une est le sens de l'imperfection, de la douleur, de la mort, de la souffrance de ce monde: la force motrice originelle du Bouddha. Mais pour échapper à ces afflictions, le Nirvana peut ne pas être nécessaire, s'il y a des mondes supérieurs dans lesquels on peut s'élever, où cette imperfection, cette douleur, cette mort, cette souffrance n'existent pas. Mais cette autre possibilité d'évasion est contrariée par l'idée que ces mondes supérieurs sont eux aussi transitoires et font partie de l'Ignorance, qu'on doit revenir sans cesse ici-bas, jusqu'à ce qu'on ait surmonté l'Ignorance; que la Réalité et l'existence cosmique sont, comme la Vérité et le Mensonge, opposées, incompatibles. C'est là qu'intervient la seconde force motrice, celle de l'appel vers la transcendance. Si le Transcendant n'est pas seulement supracosmique, mais est un Incommunicable lointain, avyavahâryam, que l'on ne peut atteindre sinon par une négation de tout ce qui existe ici-bas, alors une sorte de Nirvana, voire même un Nirvana absolu, est inévitable. Si, au contraire, le Divin est transcendant mais non incommunicable, l'appel demeurera, et l'âme quittera le jeu cosmique plein de vicissitudes pour la béatitude de l'existence transcendante, mais un Nirvana absolu ne sera pas indispensable; une union béatifique avec le Divin offrira son chemin au chercheur. C'est pourquoi la Conscience cosmique est insuffisante et l'impulsion qui pousse les âmes à en sortir si forte; c'est seulement si le couvercle d'or du surmental est dépassé et ouvert, si le contact dynamique avec le supramental et une descente de sa Lumière et de son Pouvoir ici-bas ont été décidés, qu'il peut en être autrement.

 

 

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Le Divin est partout, sur tous les plans de conscience, et nous le voyons de différentes manières et sous différents aspects de Son être. Mais il y a un Suprême au-dessus de tous ces plans, de toutes ces manières et de tous ces aspects, et c'est de lui qu'ils viennent.

 

Le Divin peut être partout et est partout, masqué ou à-demi manifesté, ou commençant à se manifester, dans tous les plans de conscience; dans le Supramental, il commence à se manifester sans déguisement ni voile, dans son propre swaroûpa.10  

 

 

Je ne pense pas qu'il soit toujours possible d'établir des corrélations exactes entre un système de connaissance spirituelle et occulte et un autre. Tous utilisent le même matériau, mais les points de vue et les horizons diffèrent, il y a des divergences dans les conceptions mentales de ce qu'on voit et de ce qu'on expérimente, des objectifs pragmatiques divers et, par conséquent, les sentiers relevés, tracés ou suivis sont différents; les systèmes varient, chacun construit son propre schéma et sa propre technique.

Dans le système de l'Inde antique il n'y a qu'une Trinité céleste, Satchidânanda. Ou si, par hémisphère supérieur, vous entendez l'univers céleste, il y en a trois, le plan de Sat, le plan de Chit et le plan d'Ânanda. On pourrait y ajouter un quatrième, le supramental, puisqu'il procède des trois autres et appartient à l'hémisphère supérieur. Les systèmes indiens ne faisaient pas la distinction entre deux pouvoirs et niveaux de conscience tout à fait différents, l'un que nous pouvons appeler surmental et l'autre qui est le vrai supramental ou Gnose Divine. C'est la raison pour laquelle ils se sont trompés au sujet de Maya (Force surmentale ou Vidyâ-Avidyâ) et l'ont

 

10. Nouvelles Lumières sur le Yoga, chapitre 1,

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prise pour le pouvoir créateur suprême. En s'en tenant à ce qui n'était encore qu'une demi-lumière, ils ont perdu le secret de la transformation, même si les yoga vishnouïtes et tantriques ont tâtonné pour le retrouver et ont été parfois sur le point de réussir. Au reste, cela a été, je crois, la pierre d'achoppement de toutes les tentatives menées pour découvrir la Vérité divine dynamique; je n'en connais aucune qui n'ait imaginé, sitôt qu'elle sentait descendre les clartés surmentales, que c'était la véritable illumination, la Gnose, de sorte qu'elle s'arrêtait là et ne pouvait aller plus loin, ou encore en tirait la conclusion que cela aussi n'était que Maya ou Lîlâ, et que la seule chose à faire était de passer au-delà dans quelque silence immuable et inactif du Suprême.

Il se pourrait peut-être que les plans célestes signifient plutôt les trois principes de base de la manifestation actuelle. Dans le système indien, ce sont îshwara, Shakti et Jîva, ou encore Satchidânanda, Maya et Jîva. Mais dans notre système qui cherche à aller au-delà de la manifestation actuelle, il serait très possible d'admettre ceux-ci comme allant de soi et, du point de vue des plans de conscience, les trois plans les plus élevés: Ananda (sur lequel reposent Sat et Chit), le supramental et le surmental pourraient être appelés les trois Plans célestes. Le Surmental se trouve au sommet de l'hémisphère inférieur, et on doit traverser et dépasser le surmental, si l'on veut atteindre le supramental, alors qu'au-dessus et au-delà du supramental se trouvent les mondes du Satchidânanda.

Vous parlez d'un abîme au-dessous du surmental. Mais y a-t-il un abîme - ou un abîme autre que l'inconscience humaine? Dans toute la série des plans ou des degrés de conscience il n'y a nulle part aucun abîme véritable, il y a toujours des gradations intermédiaires, et on peut monter degré par degré. Entre le surmental et le mental humain se trouvent un certain nombre de gradations de plus en plus lumineuses; mais comme elles sont supraconscientes pour le mental humain (sauf une ou deux parmi les plus basses dont lui parviennent quelques contacts directs), celui-ci est enclin à les considérer comme une Inconscience supérieure. Ainsi,

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l'une des Oupanishad parle de la conscience de l'îshwara comme d'un soushoupti. Sommeil profond, parce que, habituellement, l'homme n'y entre qu'en Samâdhi tant qu'il n'essaie pas de transformer sa conscience de veille en un état supérieur.

Il y a, en fait, deux systèmes simultanément actifs dans l'organisation de l'être et de ses parties: l'un est concentrique, série d'anneaux ou d'enveloppes dont le psychique est le centre; l'autre est vertical, une montée et une descente, comme un escalier, une série de plans superposés ou le surmental-supramental est le nœud crucial du passage par-delà l'humain vers le Divin. Pour ce passage, s'il doit être en même temps une transformation, il n'y a qu'un moyen, qu'un sentier. D'abord il doit y avoir une conversion vers l'intérieur, une plongée au-dedans pour y chercher l'être psychique profond et le ramener à la surface, découvrant du même coup les parties mentales intérieures, vitales intérieures, physiques intérieures de la nature. Ensuite, il doit y avoir une ascension, une série de conversions vers le haut et un retour vers le bas pour convertir les parties inférieures. Quand on a effectué la conversion intérieure, on répand l'influence psychique dans toute la nature inférieure, afin qu'elle soit prête pour la transformation divine. En s'élevant on passe au-delà du mental humain et, à chaque étape de la montée, il y a une conversion en une nouvelle conscience et une infusion de cette conscience nouvelle dans la totalité de la nature. En nous élevant ainsi au-delà de l'intellect, à travers le mental supérieur illuminé, jusqu'à la conscience intuitive, nous commençons à tout regarder non dans les limites de l'intellect ou à travers l'intellect en tant qu'instrument, mais d'une hauteur intuitive plus grande et à travers une volonté, un sentiment, une émotion, une sensation, un contact physique devenus intuitifs. Ainsi, procédant de l'Intuition vers une hauteur surmentale plus grande, une nouvelle conversion se produit et nous voyons, nous ressentons tout à partir de la conscience surmentale et à travers un mental, un cœur, un vital et un corps chargés de la pensée, de la vision, de la volonté, du

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sentiment, de la sensation, du jeu de force et du contact du surmental. Mais la dernière conversion est la conversion supramentale, car une fois arrivés là - une fois que la nature est supramentalisée - nous sommes au-delà de l'Ignorance, et une conversion de la conscience n'est plus nécessaire, encore qu'une progression divine ultérieure et même un développement infini soient encore possibles.

 

Il y a un monde de l'Ignorance, il y a aussi des mondes de la Vérité. La création n'a ni commencement ni fin. C'est seulement en parlant d'une création particulière que l'on peut dire qu'elle a un commencement et une fin.

 

 

Vous devez vous rappeler qu'il y a dans les plans inférieurs des reflets des Mondes supérieurs qui peuvent facilement être ressentis comme suprêmes à ce stade de l'évolution. Mais le Satchidânanda suprême n'est pas un monde, il est supracosmique. Le monde de Sat (Satyaloka) est, dans l'échelle, le plus haut qui soit relié à cet univers-ci.  

 

 

 

C'est le Tapoloka originel, dans lequel le principe est Chit et son pouvoir de Tapas, mais il y a d'autres mondes de Tapas sur les autres plans au-dessous. Il y en a un dans le domaine mental, un autre dans le domaine vital. L'être que vous avez vu venait sans doute d'un de ces mondes de Tapas.

 

 

Au-dessus de l'univers matériel que nous voyons, il y a un plan vital (existant en soi); au-dessus du matériel et du vital, il y a un plan mental (existant en soi). Les trois ensemble - mental,

 

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vital et physique - sont appelés le triple univers de l'hémisphère inférieur. Ils se sont établis dans la conscience terrestre par l'évolution; mais ils existaient en eux-mêmes avant l'évolution, au-dessus de la conscience terrestre et du plan matériel auquel appartient la terre.11

 

 

Si nous contemplons dans son ensemble la gradation des mondes ou des plans, nous voyons un grand mouvement complexe dans lequel ils sont reliés; les plus hauts précipitent leurs influences dans les plus bas, les plus bas réagissent aux plus hauts et élaborent ou manifestent en eux-mêmes, à l'intérieur de leur formule propre, quelque chose qui correspond au pouvoir supérieur et à son action. Le monde matériel a fait évoluer la vie en obéissant à une pression du plan vital, et le mental en obéissant à une pression du plan mental. Il essaie maintenant de faire évoluer le supramental en obéissant à une pression du plan supramental. Pour parler d'une manière plus détaillée, certaines forces, certains mouvements, pouvoirs et êtres particuliers d'un monde supérieur peuvent se jeter dans le monde inférieur pour établir des formes appropriées et correspondantes qui les relieront au domaine matériel et, pour ainsi dire, y reproduiront ou y projetteront leur action. Et chaque chose créée ici-bas a, pour la soutenir, des enveloppes ou des formes plus subtiles d'elle-même qui la font subsister et la relient à des forces agissant d'en haut. L'homme, par exemple, possède, en plus de son corps physique grossier, des enveloppes ou corps plus subtils grâce auxquels il vit, derrière le voile, en liaison directe avec les plans supraphysiques de conscience, et peut être influencé par leurs pouvoirs, leurs mouvements et leurs êtres. Ce qui a lieu dans la vie a toujours, par derrière, des mouvements et des formes préexistant sur les plans du vital occulte; ce qui a lieu dans le mental présuppose des mouvements et des formes préexistant dans les plans du mental occulte. C'est un aspect

 

11. Lumières sur le Yoga, chapitre 2. Traduction de la Mère.

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des choses qui devient de plus en plus évident, pressant, important, à mesure que nous progressons dans un yoga dynamique.

Mais tout ceci ne doit pas être pris dans un sens trop rigide ou trop mécanique. C'est un mouvement immense et souple plein du jeu des possibilités et que l'on doit saisir par un toucher ou un sens souple et subtil dans la conscience qui voit. Cela ne peut pas se réduire à une formule trop rigoureusement logique ou mathématique. Deux ou trois points doivent être soulignés pour que nous ne perdions pas de vue cette plasticité.

D'abord, chaque plan, malgré sa relation avec les autres plans au-dessus et au-dessous de lui, est cependant un monde en soi, avec ses mouvements, forces, êtres, types, formes propres, existant comme pour lui-même et pour eux, soumis à ses propres lois, pour sa propre manifestation, apparemment sans tenir compte des autres membres de la grande série. Ainsi, si nous considérons le plan vital ou le plan physique subtil, nous en voyons de grandes étendues (la plus grande partie) existant en elles-mêmes, sans aucun relation avec le monde matériel et sans aucun mouvement qui l'affecte ni ne l'influence ni, encore moins, qui précipite une manifestation correspondante dans la formule physique. Tout au plus pouvons-nous dire que l'existence de quoi que ce soit dans le vital, dans le physique subtil ou dans tout autre plan crée la possibilité d'un mouvement de manifestation qui lui correspond dans le monde physique. Mais il faut quelque chose de plus pour que cette possibilité statique ou latente se change en une potentialité dynamique ou en un élan réel vers une création matérielle. Ce quelque chose peut être un appel du plan matériel, par exemple une force ou un être de l'existence physique qui entre en contact avec un pouvoir, un monde ou une partie d'un monde supraphysique, et qui est poussé à le faire descendre dans la vie sur terre. Ou ce peut être une impulsion dans le plan vital lui-même ou dans un autre plan, par exemple un être vital poussé à étendre son action vers la terre et à y établir un royaume pour lui-même ou pour le jeu

 

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de forces qu'il représente dans son propre domaine. Ou ce peut être une pression d'au-dessus: par exemple, un pouvoir supramental ou mental précipitant sa formation venue d'en haut et élaborant des formes et des mouvements au niveau vital comme un moyen de faire passer sa propre création dans le monde matériel. Ou toutes ces choses peuvent agir ensemble, et c'est là qu'apparaît la plus grande possibilité d'une véritable création.

Deuxièmement, il s'ensuit que seule une partie limitée de l'action du plan vital ou d'autres plans plus élevés concerne l'existence terrestre. Mais même cette partie limitée crée une masse de possibilités bien plus grande que ce que la terre peut, à un moment donné, manifester ou contenir dans ses propres formules moins souples. Toutes ces possibilités ne se réalisent pas; certaines échouent complètement et laissent tout au plus une idée qui n'aboutit pas; certaines font une tentative sérieuse et sont repoussées et vaincues, et même si elles sont actives pendant un certain temps, n'arrivent à rien. D'autres se manifestent à moitié, et c'est le résultat le plus fréquent, d'autant plus que ces forces supraphysiques, vitales ou autres, entrent en conflit et ne doivent pas seulement surmonter la résistance de la conscience physique et de la matière, mais encore leur propre résistance par laquelle elles s'exterminent mutuellement. Certaines arrivent à précipiter leurs résultats en une création plus complète et plus réussie, de sorte que si l'on compare cette création à son original dans le plan supérieur, il y a une ressemblance plus ou moins étroite ou même une reproduction ou une traduction apparemment exacte de la formule supraphysique en formule physique. Et pourtant même là, l'exactitude n'est qu'apparente; le fait même de traduire en une autre substance et un autre rythme de manifestation crée une différence. C'est quelque chose de nouveau qui s'est manifesté, et c'est ce qui fait la valeur de la création. Quelle serait, par exemple, l'utilité d'une création supramentale sur terre, si elle était identique à une création supramentale sur le plan supramental? Elle est la même, en principe, mais pourtant différente: c'est une nouvelle et

 

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triomphante découverte de Soi du Divin dans des conditions qui n'existent pas ailleurs.

C'est sans aucun doute le physique subtil qui est le plus proche du physique et le plus semblable à lui. Cependant, les conditions sont différentes et la chose aussi est différente. Par exemple, le physique subtil a une liberté, une souplesse, une intensité, un pouvoir, une couleur, un jeu vaste et multiple (il contient des milliers de choses qui n'existent pas ici) dont, jusqu'à présent, nous n'avons aucune possibilité sur terre. Et pourtant il y a ici quelque chose, une potentialité de Divin, que l'autre plan, en dépit de ses plus grandes libertés, n'a pas, quelque chose qui rend la création plus difficile, mais qui, par son résultat final, justifie le labeur.

 

 

La plupart des événements se produisent dans le vital avant de se produire dans le physique, mais ce qui arrive dans le vital ne se réalise pas toujours dans le physique, ou ne se réalise pas de la même façon. Il y a toujours, ou du moins habituellement, un changement dans la forme, le moment, les circonstances, dû aux conditions différentes du plan physique.

 

 

Ces perceptions sont justes dans l'ensemble. Chaque plan est vrai en soi, mais n'est vrai que partiellement pour le supramental. Quand ces vérités plus hautes pénètrent le physique, elles essaient de s'y réaliser, mais ne peuvent le faire qu'en partie et dans les conditions du plan matériel. Seul le supramental peut surmonter cette difficulté.  

 

 

Les mondes célestes sont au-dessus du corps. Les parties du corps correspondent à des plans: physique subtil, vital

 

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supérieur, moyen et inférieur, mental. Chaque plan est en communication avec les divers mondes qui lui appartiennent.

 

 

Il s'agit ici de la conscience extérieure, de la conscience intérieure et du supraconscient.12 Les termes éveil, rêve, sommeil sont utilisés parce que dans la conscience ordinaire de l'homme, seul l'être extérieur est éveillé, l'être intérieur est en grande partie subliminal et n'agit directement que dans un état de sommeil où ses mouvements sont ressentis comme des objets de rêve et de vision; alors que le supraconscient (supramental, surmental, etc.) est encore plus loin que ce domaine et apparaît au mental comme un sommeil profond.

 

 

Mais pourquoi voulez-vous rattacher ces choses à l'âme? Ces quatre noms13 désignent quatre conditions du Brahman ou du Moi transcendant et universel; ce sont simplement des condition d'Être et de Conscience: le Moi qui soutient l'état de veille ou conscience de sthoûla, le Moi qui soutient l'État de Rêve ou conscience subtile, le Moi qui soutient l'État de Sommeil profond ou Conscience causale, kârana, et le Moi dans la conscience supracosmique. L'individu participe évidemment, mais ce sont des conditions du Moi, non le Moi et l'âme. Le sens de ces expressions est défini dans la Mandoukya Oupanishad.

 

 

Ces deux groupes de trois noms chacun signifient les mêmes choses. Vishwa ou Virât = l'Esprit de l'univers extérieur; Hiranyagarbha ou Taïdjasa (le Lumineux) = l'Esprit dans les plans intérieurs; Prâjna ou îshwara = l'Esprit supraconscient,

 

12. Vaïshwanara, Taïdjasa et Prâjna dans la Mandoukiya Oupanishad.

13. Vaïshwanara, Taïdjasa, Prâjna et Koûtastha.

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Maître de toutes choses et Moi supérieur dont tout dépend. Le Mental ne peut pas être îshwara.

 

 

 

Virât est la manifestation extérieure, et si nous considérons tout cela comme Brahman sans savoir ce qui est derrière la manifestation, nous tomberons dans l'erreur intellectuelle du panthéisme, et nous ne nous rendrons pas compte alors que le Divin est plus que cette manifestation extérieure et ne peut pas être connu par elle seule. Dans le vital, nous risquons de tomber dans l'erreur d'accepter ce qui est obscur et imparfait au même titre que ce qui œuvre pour la lumière et la perfection divine. Bien d'autres erreurs peuvent aussi en découler.  

III

 

Le terme supramental désigne la pleine Conscience-de-Vérité de la Nature divine dans laquelle le principe de division et d'ignorance ne peut trouver place; c'est toujours une pleine lumière et une pleine connaissance supérieures à toute substance mentale, à tout mouvement mental. Entre le supramental et le mental humain se situent un certain nombre de domaines, de plans ou de zones de conscience - on peut les considérer de diverses manières - dans lesquels l'élément ou la substance du mental, et par conséquent ses mouvements aussi, deviennent de plus en plus illuminés, puissants, vastes. Le surmental est le plus haut de ces domaines; il est plein de lumières et de pouvoirs; mais du point de vue de ce qui est au-dessus de lui, c'est la frontière où l'âme se détourne de la connaissance complète et indivisible et commence sa descente vers l'Ignorance. Car bien qu'il procède de la Vérité, c'est en lui que commence la séparation des aspects de la Vérité, des forces et de leurs résultats, comme s'il s'agissait de vérités indépendantes, et c'est un processus qui aboutit, à mesure

 

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que l'on descend vers le Mental ordinaire, la Vie et la Matière, 'à une division, une fragmentation, une séparation complète de la vérité indivisible au-dessus. Il n'y a plus cette connaissance essentielle, totale, parfaitement harmonisatrice et unificatrice, ou plutôt cette connaissance à jamais harmonieuse parce qu'à jamais une qui caractérise le supramental. Dans le supramental, les divisions et les oppositions mentales cessent d'exister, les problèmes créés par notre mental de division et de fragmentation disparaissent et la Vérité est vue comme un tout lumineux. Dans le surmental, ce n'est pas encore la véritable chute dans l'Ignorance, mais le premier pas est fait qui rendra la chute inévitable.  

 

 

Le supramental est la Vérité Unique déployant et définissant la manifestation de ses Pouvoirs; tous ces Pouvoirs agissent comme une Unité multiple, en harmonie, sans opposition ni conflit, selon l'Unique Volonté inhérente à tous. Le surmental s'empare de ces Vérités et de ces Pouvoirs et les met en œuvre comme si chacun était en lui-même une force, avec les conséquences que cela implique: il peut y avoir une harmonie dans leur action, mais elle est synthétique et surtout partielle plutôt qu'inhérente et inévitable, et à mesure que l'on descend du surmental le plus élevé, la séparation, les heurts et les conflits entre les forces augmentent, la possibilité de séparation domine, l'ignorance croît, l'existence devient un conflit de possibilités qui s'entrechoquent, un mélange de demi-vérités discordantes, une énigme, un rébus non résolu et apparemment insoluble.  

 

 

Si le Supramental ne devait pas nous donner une vérité plus grande et plus complète qu'aucune de celles des plans inférieurs, cela ne vaudrait pas la peine de chercher à l'atteindre. Chaque plan possède ses propres vérités. Quelques-unes

 

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cessent d'être vraies sur un plan plus élevé; le désir et l'ego, par exemple, sont des vérités de l'Ignorance mentale, vitale et physique; à ce niveau, un homme sans ego ni désir serait un automate tamasique. Lorsque nous montons plus haut, l'ego et le désir n'apparaissent plus comme des vérités; ce sont des mensonges qui défigurent la personne véritable et la volonté véritable. La lutte entre les Puissances de Lumière et les Puissances des Ténèbres est une vérité ici-bas; mais à mesure que nous nous élevons, elle perd de sa vérité, et dans le Supramental elle n'en a plus du tout. D'autres vérités subsistent, mais changent de caractère et d'importance, de place dans l'ensemble. La différence ou le contraste entre le Personnel et l'Impersonnel est une vérité du surmental (Overmind): dans le Supramental (Supermind), ces aspects n'ont pas de vérité séparée, ils sont un, inséparablement. Mais celui qui n'a pas maîtrisé ni vécu les vérités du surmental ne peut pas atteindre à la Vérité supramentale. L'orgueil incompétent de l'intellect humain établit des distinctions tranchantes; il veut s'élancer d'un seul bond vers la plus haute vérité, quelle qu'elle soit, et appeler tout le reste mensonge - mais c'est une erreur ambitieuse et arrogante. On doit gravir l'échelle en posant le pied fermement sur chaque échelon si l'on veut arriver au sommet.14  

 

 

Je ne comprends pas. Divin Personnel ne signifie pas Avatar. J'ai dit que la scission entre les deux aspects du Divin est une création du surmental qui saisit divers aspects du Divin et les sépare en des entités distinctes. Il divise ainsi Sat, Chit et Ânanda qui deviennent alors trois aspects séparés, différents l'un de l'autre. En fait, dans la Réalité, il n'y a pas de séparation: les trois aspects sont si fondus l'un dans l'autre, si inséparablement un qu'ils sont une seule réalité indivise. Il en est de même du Personnel et de l'Impersonnel, de Sagouna et Nirgouna, du Brahman silencieux et du Brahman actif. Dans

 

14. Lumières sur le Yoga, chapitre 1. Traduction de la Mère.

 

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la Réalité, ce ne sont pas des aspects contrastés et incompatibles; ce que nous appelons Personnel et ce que nous appelons Impersonnel sont inséparablement fondus ensemble en une Unique Vérité. En fait, même l'expression "fondus ensemble" est erronée: n'ayant jamais été séparés, ils n'ont pas à être "fondus". Toutes les querelles sur l'Impersonnel qui serait la seule vraie vérité ou le Personnel qui serait la seule vérité suprême sont des créations du mental et dérivent de cet aspect séparateur du surmental. Le surmental, contrairement au mental, ne nie aucun des aspects, il les admet tous comme des aspects de l'Unique Vérité, mais en les séparant, il engendre cette querelle dans le mental qui est plus ignorant, plus limité et plus divisé, parce que le mental n'a pas la faculté de voir comment deux contraires peuvent exister ensemble dans une seule Vérité, comment le Divin peut être nirgouno gouni;15 n'ayant pas l'expérience de ce qui est derrière ces deux termes, il donne à chacun son sens absolu. L'Impersonnel est Existence, Conscience, Béatitude, il n'est pas une Personne, mais un état. La Personne est l'Existant, le Conscient, le Béatifique; conscience, existence, béatitude, prises séparément, ne sont que des états de son être. Mais en fait les deux (être personnel et état éternel) sont inséparables et sont une seule réalité.  

 

 

Il n'est guère possible de dire ce qu'est le supramental dans le langage du Mental, même du Mental spiritualisé, car il est une conscience tout à fait différente et agit d'une manière différente. Tout ce qu'on peut en dire sera vraisemblablement incompris ou mal compris. Ce n'est qu'en le devenant que nous pouvons savoir ce qu'il est, et cela aussi ne peut se faire qu'après un long processus par lequel le mental, s'élevant et s'illuminant, devient Intuition pure (non cette chose mélangée qu'on nomme ordinairement ainsi) et s'agglomère pour devenir le surmental; ensuite le surmental peut être soulevé

 

15. Le Qualifié sans qualités.

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jusqu'au supramental et s'en infuser jusqu'à ce que s'opère sa transformation.

Dans le supramental, tout se connaît par sa propre lumière, il n'y a ni divisions, ni oppositions, ni aspects séparés comme dans le mental dont le principe consiste à diviser la Connaissance en parties et à opposer toutes les parties entre elles. Le surmental s'en approche à son sommet et est souvent pris à tort pour le supramental, mais il ne peut l'atteindre - sauf par l'élévation et la transformation.

 

C'est (parfois directement, parfois indirectement) par le pouvoir du surmental libérant le mental de ses cloisonnements étroits que la conscience cosmique s'ouvre dans le chercheur et qu'il commence à percevoir l'esprit cosmique et le jeu des forces cosmiques.

C'est à partir du plan surmental, ou du moins à travers lui, que se fait l'aménagement préalable, originel, des choses de ce monde, car c'est lui qui est à l'origine des vibrations déterminantes. Mais il y a des mouvements correspondants sur tous les plans: le mental, le vital, le physique même, et il est possible, dans un état très clair et illuminé de la conscience inférieure, de commencer à percevoir ces mouvements, de comprendre le schéma des choses, d'être un instrument conscient ou même, dans une mesure limitée, une Volonté ou une Force déterminante. Mais la substance des plans inférieurs se mêle toujours aux forces du surmental quand elles descendent et diminue ou même falsifie et pervertit leur vérité et leur pouvoir.

Il est même possible au surmental de transmettre aux plans inférieurs de conscience un reflet de la Lumière supramentale; mais tant que le supramental ne se manifeste pas directement, sa Lumière est modifiée dans le surmental même, et plus encore dans l'application qui en est faite, par les besoins, les exigences, les possibilités limitées de la nature individuelle. L'effet de cette Lumière amoindrie et modifiée,

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par exemple dans la purification du physique, ne peut pas être immédiat et absolu comme le serait l'action pleine et directe du supramental; il est encore relatif, subordonné à la nature individuelle et à l'équilibre des forces universelles; les pouvoirs adverses y résistent, la perfection de son résultat est contrecarrée par le mauvais vouloir des mécanismes inférieurs qui refusent de cesser de fonctionner, il est limité soit dans son étendue, soit dans son efficacité par l'absence d'un consentement total de la nature physique.16

 

Il faut atteindre le Surmental et le faire descendre avant que le Supramental ait la moindre possibilité de descendre, car le Surmental est le passage par lequel on va du Mental au Supramental.

C'est dans le Surmental que prennent naissance tous les arrangements divers de la Vérité créatrice des choses. Du Surmental, ils descendent à l'Intuition, d'où ils sont transmis au Mental illuminé et au Mental Supérieur afin d'y être adaptés à notre compréhension. Mais au cours de cette transmission et à mesure qu'ils descendent vers les niveaux inférieurs, ils perdent de plus en plus leur pouvoir et leur certitude. Dans le mental humain, ils perdent ce qu'ils possédaient d'énergie de Vérité directement perçue; car à l'intellect, ils se présentent seulement comme des considérations spéculatives et non comme une Vérité éprouvée, non comme une vue directe ou comme une vision dynamique jointe à une expérience concrète et indéniable.17

 

 

Le surmental a différents plans. L'un est mental, créateur direct de toutes les formations qui se manifestent au-dessous dans le monde mental: c'est le-surmental mental. Au-dessus

 

16. Nouvelles Lumières sur le Yoga, chapitre 4.

17. Lumières sur le Yoga, chapitre 2. Traduction de la Mère.

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est l'intuition surmentale. Encore au-dessus sont les plans du surmental qui sont reliés de plus en plus étroitement au supramental et sont d'un caractère partiellement supramental. Au sommet des plans du surmental est le surmental supramental ou gnose surmentale. Mais cela, vous ne pouvez pas le comprendre avant d'avoir une expérience plus haute. Cela ne vous est pas accessible actuellement. Seuls ceux qui sont entrés pleinement dans la conscience cosmique peuvent comprendre, et même ceux-là n'en sont pas capables au début. Il faut d'abord avoir pleinement l'expérience du mental supérieur, du mental illuminé et de l'intuition avant que ce soit possible.

 

Ce n'est pas si simple - mais il [le surmental] peut, pour plus de commodité, être divisé en quatre plans: le surmental mental et les trois dont vous parlez (surmental intuitif, surmental vrai et surmental supramental), mais il y a bien d'autres zones à l'intérieur de chacun, et chacune de ces zones peut être considérée en elle-même comme un plan.  

 

 

Ce n'est pas impossible - c'est parfaitement possible sur les plans plus vastes. L'infini est partout, une fois qu'on a brisé les limites individuelles.

Il y a de nombreuses étapes dans le passage du surmental mental au surmental supramentalisé, et de celui-ci au supramental. Ne vous hâtez pas de dire: "Voici le dernier, le plus élevé des plans du surmental."  

 

 

Ce que vous appelez surmental supramental18 est encore le

 

  P 18. Cette expression n'est pas appropriée, puisque le surmental ne peut pas être supramental: tout au plus peut-il recevoir une certaine lumière et une certaine vérité de la source supérieure. (Note de Sri Aurobindo)

 

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surmental, et non pas une partie du vrai supramental. On ne peut entrer dans le vrai supramental (sauf dans une sorte de transe ou Samâdhi) avant d'avoir objectivé la vérité surmentale dans la vie, la parole, l'action, la connaissance extérieure ; il ne suffit pas d'en avoir eu l'expérience intérieure en méditation.

 

À l'époque où les derniers chapitres de La Synthèse des yoga ont été écrits dans l'Arya, le mot "surmental" n'avait pas été trouvé, c'est pourquoi il n'y figure pas. Ces chapitres décrivent l'action du supramental quand il descend dans le plan surmental, s'empare des fonctionnements du surmental et les transforme. Le supramental le plus élevé ou gnose divine, existant en soi, est situé encore au-delà et bien au-dessus. L'intention était de montrer, dans les derniers chapitres, à quel point même cela est difficile, combien de niveaux il y a entre le mental humain et le supramental, et comment même le supramental, en descendant, pouvait se trouver mélangé à l'action inférieure et changé en une vérité moindre que la vraie Vérité. Mais ces derniers chapitres n'ont pas été écrits.

 

La distinction [entre surmental et supramental] n'a pas été faite dans l'Arya parce qu'à cette époque ce que j'appelle maintenant le surmental était censé être un plan inférieur du supramental. Mais c'était parce que je les voyais du Mental. La véritable insuffisance du surmental, la limitation qu'il contient et qui a donné naissance à un monde d'ignorance, n'apparaît pleinement que lorsqu'on le regarde à partir de la conscience physique, depuis le résultat (Ignorance dans la Matière) jusqu'à la cause (division surmentale de la Vérité). Sur son propre plan, le surmental semble n'être qu'un jeu divisé, à facettes multiples, de la Vérité, et le Mental peut facilement le prendre pour une région du supramental. Le

 

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Mental aussi, quand il est inondé par les lumières du surmental, se sent vivre dans une révélation surprenante de la divine Vérité. La difficulté intervient quand nous avons affaire au vital et plus encore au physique. Il devient alors impératif de faire face à la difficulté et de distinguer nettement entre surmental et supramental - car il est alors évident que le Pouvoir surmental (en dépit de ses lumières et de ses splendeurs) ne suffit pas à surmonter l'Ignorance, parce qu'il subit lui-même la loi de la Division d'où est sortie l'Ignorance. Il faut passer au-delà et supramentaliser le surmental pour que dans le mental et tout le reste puisse s'opérer la transformation finale.

 

 

Ce qu'il appelle surmental, ce sont probablement les premières zones de la conscience au-dessus du mental. Ou peut-être s'agit-il des expériences venues des régions plus vastes du Mental ou du Vital. Pour le mental humain, celles-ci sont si grandes qu'il est facile de les prendre pour le surmental ou même le supramental. On peut recevoir des contacts indirects du surmental si l'on s'ouvre à la conscience cosmique, et mieux encore si l'on entre librement dans cette conscience. L'expérience directe du surmental ne peut venir que si une partie au moins de l'être est fermement établie dans l'immensité et la paix.  

 

 

L'Intuition est au-dessus du Mental illuminé, qui est simplement le Mental supérieur élevé à une plus grande luminosité et davantage ouvert aux formes modifiées de l'intuition et de l'inspiration.  

 

 

L'Intuition est le premier plan où il y ait une réelle ouverture à

 

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la pleine possibilité de réalisation - c'est à travers elle que l'on va plus loin: d'abord au surmental et ensuite au supramental.  

 

 

L'Intuition voit la vérité des choses par un contact intérieur direct, non pas, comme l'intelligence mentale ordinaire, en tâtonnant à la recherche de contacts indirects par les sens, etc. Mais l'Intuition est limitée, par comparaison au supramental, en ce qu'elle voit les choses par éclairs, point par point, non comme une totalité. De plus, en entrant dans le mental, elle se mêle au mouvement mental et forme une sorte d'activité mentale intuitive qui n'est pas la vérité pure, mais quelque chose d'intermédiaire entre la Vérité supérieure et la recherche mentale. Elle peut aider la conscience à franchir une sorte d'étape de transition, et c'est là pratiquement sa fonction.

 

 

La connaissance mentale intuitive attrape directement un aspect de la vérité, mais. sans qu'il soit en rien complet ni certain, et l'intuition se mêle facilement à une substance mentale ordinaire qui peut être erronée; dans son application, elle se laisse facilement traduire en une demi-vérité ou alors être mal interprétée et mal appliquée au point de devenir une erreur. De plus, le mental imite aisément l'intuition d'une manière qui rend difficile la distinction entre une véritable intuition et une fausse. C'est la raison pour laquelle les intellectuels se méfient de l'intuition mentale et disent que ses suggestions ne peuvent être adoptées ou suivies à moins d'avoir été mises à l'épreuve et confirmées par l'intellect. Ce qui vient de l'intuition surmentale contient une lumière, une certitude, une force efficace de Vérité que le mental intuitif n'a pas, même dans les meilleures conditions.  

 

 

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Il y a des intuitions mentales, vitales, physique-subtiles, de même qu'il y a des intuitions venant du Mental supérieur et du Mental illuminé.

 

Cette erreur [l'identification de bouddhi19 avec vijnâna20 et avec l'intuition] a été introduite par l'intellectualisme excessif des philosophes et des commentateurs. Je ne pense pas que le terme bouddhi englobe l'intuition considérée comme un élément séparé, par nature, de l'intellect: les intellectualistes considéraient que l'intuition n'était qu'une opération rapide de la pensée intellectuelle - et ils le pensent toujours. Dans la Taïttiriya Oupanishad le sens de vijnâna est très clair: son essence est ritam, la Vérité spirituelle; mais ensuite l'identification avec bouddhi s'est généralisée.  

 

Je ne pense pas qu'ils veuillent dire expressément intuition; ils considèrent bouddhi comme le moyen de la connaissance et y incluent donc toute la connaissance; et comme le vijnânamaya kosha est l'enveloppe de la Connaissance, ils pensent que cette expression doit signifier bouddhi. Il est évident que non. Le texte que vous avez cité décrit évidemment quelque chose de beaucoup plus élevé que bouddhi. C'est le satyam ritam brihat de l'Oupanishad - la conscience-de-vérité du Véda.  

 

IV

 

Dans notre yoga, l'expression "être central" sert généralement à désigner la partie du Divin dans l'homme qui soutient tout le reste et qui survit à travers la mort et la naissance. Cet

 

19. Volonté-intelligence; compréhension, intellect, raison; mental pensant.

20. Intelligence spirituelle libre; Idée causale; Vérité, gnose.

 

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être central a deux formes: en haut, il est le jîvâtman, notre être véritable, dont nous prenons conscience quand vient la connaissance de soi supérieure; en bas, il est l'être psychique qui se tient derrière le mental, le corps et la vie. Le jîvâtman est au-dessus de la manifestation dans la vie et y préside; l'être psychique est présent derrière cette manifestation et la soutient.

L'attitude naturelle de l'être psychique est de se sentir l'Enfant, le Fils de Dieu, le Bhakta; c'est une parcelle du Divin, une avec lui en essence, quoique dans la dynamique de la manifestation il existe toujours une différence, même dans l'identité. Le jîvâtman, au contraire, vit dans l'essence et peut se fondre en une identité avec le Divin; mais lui aussi, dès l'instant où il préside à la dynamique de la manifestation, se reconnaît comme un centre du Divin multiple et non comme le Paraméshwara. Il est important de se rappeler cette distinction; car autrement, si l'on a le moindre égoïsme vital, on peut commencer à se croire un Avatar, ou bien perdre l'équilibre, comme Hridaya21 avec Râmakrishna.22  

 

 

Le mot jîva a deux sens dans les langues sanskritiques: il signifie une créature vivante,23 et il signifie aussi l'esprit individualisé qui soutient l'être vivant dans son évolution de naissance en naissance. Dans ce second sens, le terme complet est jîvâtman: l'Âtman, esprit ou moi éternel de l'être vivant. La Guîtâ en parle d'une façon imagée comme "d'une parcelle éternelle du Divin" mais le terme "fragmentation" (employé par vous) est trop fort; il pourrait s'appliquer aux formes, non à l'esprit qu'elles contiennent. En outre, le Divin multiple est une réalité éternelle antérieure à la création ici-bas. Une

 

21. Hridaya était le neveu de Râmakrishna et l'un de ses disciples.

22. Lumières sur le Yoga, chapitre 2. Traduction de la Mère.

23. Au Bengale, quand quelqu'un est sur le point de tuer un petit animal, souvent on entend protester: "Ne le tuez pas, c'est un jîva de Krishna (sa créature vivante)". (Note de Sri Aurobindo)

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description détaillée du jîvâtman serait: "le Divin multiple manifesté ici-bas en tant que moi ou esprit individualisé de l'être créé". Le jîvâtman, dans son essence, ne change ni n'évolue; son essence reste au-dessus de l'évolution personnelle. Dans l'évolution, il est représenté par l'être psychique qui se développe et soutient tout le reste de la nature.

Le védânta adwaïta (monisme) déclare que le jîva n'a pas d'existence réelle, puisque le Divin est indivisible. Une autre école attribue au jîva une existence réelle, mais non indépendante: il est, dit-on, un en essence, différent dans la manifestation, et puisque la manifestation est réelle, éternelle, et n'est pas une illusion, le jîva ne peut être appelé irréel. Les écoles dualistes affirment que le jîva constitue une catégorie indépendante et insistent sur la triplicité: Dieu, Âme et Nature.24  

 

 

Le jîvâtman n'est pas l'être psychique - nous avons adopté chaïtya pourousha comme équivalent sanskrit de l'être psychique. Le jîvâtman est le Moi individuel - l'être central.

L'être central est ce qui n'est pas né, n'évolue pas, mais préside à toute la manifestation individuelle. Le psychique est sa projection ici-bas - car l'être psychique est dans l'évolution et soutient du dedans toute notre évolution; il reçoit l'essence de toute expérience et par ce moyen fait progresser la personnalité vers Dieu.

Le Moi est à la fois un en tous et multiple - un dans son essence, il se manifeste aussi comme le moi individuel qu'on peut décrire comme une éternelle parcelle du Divin dans la Nature et, dans l'esprit, comme un centre de la manifestation, individuel mais étendant son universalité et s'élevant à la transcendance.  

 

 

24. Lumières sur le Yoga, chapitre 2. Traduction de la Mère.

 

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Nous appelons jîvâtman le moi individuel. En essence il est un avec tous les autres, mais dans la multiplicité du Divin il est le moi individuel, un centre individuel de l'univers: il voit tout en lui-même, ou lui-même en tout, ou les deux ensemble, selon son état de conscience et son point de vue.

 

Le moi, Âtman, est dans sa nature soit transcendant, soit universel (Paramâtmâ, Âtmâ). Quand il s'individualise et devient un être central, alors il est le jîvâtman. Le jîvâtman sent à la fois son unité avec l'universel et sa séparation centrale en tant que parcelle du Divin.

 

L'âme, qui représente l'être central, est une étincelle du Divin et soutient toute existence individuelle dans la Nature; l'être psychique est une forme consciente de cette âme, il croît dans l'évolution, dans le processus continu qui élabore en premier lieu la vie dans la Matière, puis le mental dans la vie, jusqu'à ce qu'enfin le mental puisse se développer pour devenir le surmental et le surmental se transformer en Vérité supramentale. L'âme soutient la nature dans son évolution à travers ces degrés, mais n'est elle-même aucun d'eux.

La Nature inférieure, aparâ prakriti, est cette Nature visible, extérieurement objective, superficiellement subjective, qui manifeste toutes ces mentalités, ces vies et ces corps. La Nature suprême, para prakriti, dissimulée derrière elle, est la nature même du Divin - Conscience-Force suprême qui manifeste le Divin multiple sous forme de Multiples. Ces Multiples sont en eux-mêmes des Moi éternels du Suprême dans sa suprême Nature, para prakriti. Ici, par rapport à notre monde, ils apparaissent comme les jîvâtman soutenant l'évolution des existences naturelles, sarva-bhoûtâni, dans le Devenir mouvant qui est la vie du Kshara (mobile ou mouvant) Pourousha. Les Jîva (ou jîvâtman) ne sont pas la même chose

 

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que les créatures, sarva bhoûtani. Les jîvâtman, en réalité, se tiennent au-dessus de la création, bien qu'ils s'y intéressent; les existences naturelles, sarva bhoûtani, sont les créatures de la Nature. L'homme, l'oiseau, la bête, le reptile sont des existences naturelles, mais le Moi individuel en eux n'est pas, même pour un instant, de la nature de l'homme, de l'oiseau, de la bête ou du reptile; dans son évolution, il est le même à travers tous ces changements, être spirituel qui se prête au jeu de la Nature.

Ce qui est originel et éternel à jamais dans le Divin, c'est l'Être; ce que le Pouvoir divin élabore en conscience: états, forces, formes, etc., c'est le Devenir. Le Divin éternel est l'Être; l'univers dans le Temps et tout ce qui est visible en lui est un Devenir. L'Être éternel dans sa nature supérieure, Para Prakriti, est à la fois Un et Multiple; mais la Multiplicité éternelle du Divin, quand il se tient derrière les existences créées, sarva-bhoûtani, apparaît comme (ou, comme nous disons, devient) le Jîva, para prakritir jivabhoûtâ. Dans le psychique, au contraire, il y a deux aspects: l'existence psychique ou âme située en arrière, et au premier plan la forme d'individualité qu'elle prend en évoluant dans la Nature.

L'âme ou psyché n'est immuable que dans le sens où elle contient toutes les possibilités du Divin; mais elle doit les développer et, dans cette évolution, elle prend la forme d'un individu psychique en développement qui fait évoluer, dans la manifestation, la Prakriti individuelle et participe à l'évolution. C'est l'étincelle du Feu divin qui croît derrière le mental, le vital et le physique au moyen de l'être psychique, jusqu'à ce qu'elle soit capable de transformer la Prakriti d'Ignorance en Prakriti de Connaissance. Cet être psychique en évolution n'est donc à aucun moment la totalité de ce que l'âme ou existence psychique essentielle porte en elle; il rend temporel et individuel ce qui est potentiellement éternel, transcendant par essence, dans cette projection de l'esprit.

L'être central est l'être qui préside aux naissances successives, mais il est lui-même non-né, car il ne descend pas dans l'être, mais se tient au-dessus de lui; il assure la cohésion de

 

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l'être mental, vital et physique, et de toutes les parties diverses de la personnalité; il dirige la vie soit par l'intermédiaire de l'être mental, de la pensée et de la volonté mentales, soit par l'intermédiaire du psychique, selon que l'un ou l'autre se trouve plus en avant ou plus puissant dans la nature. S'il n'exerce pas son autorité, la conscience est dans un grand désordre et chaque partie de la personnalité agit pour son propre compte, de sorte qu'il n'y a aucune cohérence dans la pensée, le sentiment ou l'action.

L'être psychique n'est pas au-dessus mais derrière; il est situé derrière le cœur, son pouvoir n'est pas une connaissance, mais un sentiment essentiel ou spirituel: il a au plus haut degré le sens clair de la Vérité et une sorte de perception innée de la Vérité qui est de la nature d'une perception de l'âme, d'un sentiment de l'âme. C'est notre être le plus profond, et il soutient tous les autres: mental, vital, physique, mais il est aussi très voilé par eux et doit agir sur eux comme une influence plutôt que par son droit souverain à agir directement; son action directe ne devient normale et prépondérante qu'à un stade élevé de développement ou par le yoga. Ce n'est pas l'être psychique qui, comme vous le sentez, vous donne des intuitions sur l'avenir ou vous met en garde contre les conséquences de certaines actions: c'est une certaine partie de l'être intérieur, tantôt le mental intérieur, tantôt le vital intérieur, tantôt (cela se peut) le Pourousha physique intérieur ou subtil. L'être intérieur - mental intérieur, vital intérieur, physique intérieur ou subtil - sait beaucoup de choses qui ne sont pas connues du mental extérieur, du vital extérieur, du physique extérieur, car il a un contact plus direct avec les forces secrètes de la Nature. L'être psychique est, de tous, le plus intérieur; ses prérogatives sont une perception de la vérité qui est inhérente à la substance la plus profonde de la conscience, un sens du bien, du vrai, du beau, du Divin.

L'être central - le jîvâtman qui ne naît pas, n'évolue pas, mais préside à la naissance de l'individu et à son évolution - émane un représentant de lui-même sur chaque plan de la

 

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conscience. Sur le plan mental, c'est l'être mental véritable, manômaya pourousha; sur le plan vital, c'est l'être vital véritable, prânamaya pourousha; sur le plan physique, l'être physique véritable, annamaya pourousha. Chaque être, tant que persiste l'Ignorance, est par conséquent centré autour de son pourousha mental, vital ou physique selon le plan sur lequel il vit principalement, et c'est pour lui son être central. Mais le vrai représentant est tout le temps caché derrière le mental, le vital et le physique: c'est le psychique, notre être le plus profond.

Quand la connaissance la plus profonde commence à apparaître, nous devenons conscients de l'être psychique en nous, il vient au premier plan et conduit la sâdhanâ. Nous devenons conscients aussi du jîvâtman. Moi indivisé ou Esprit au-dessus de la manifestation dont le psychique est le représentant ici-bas.

 

Le vrai mental, le vrai vital et le vrai physique, qui constituent l'être intérieur véritable, représentent, chacun sur son plan, l'être central et lui obéissent, mais l'ensemble de la nature (en particulier la nature extérieure) ne le fait pas, non plus que la personnalité ordinaire, mentale, vitale ou physique. C'est l'être psychique qui est l'être central pour les besoins de l'évolution: il croît et se développe, mais il y a un être central au-dessus, ignoré du mental, qui préside secrètement à l'existence et dont l'être psychique est le représentant dans la nature manifestée. C'est lui qu'on appelle le jîvâtman.

 

 

Le psychique est une étincelle du Divin, mais je ne pense pas qu'on puisse dire qu'il soit une parcelle du jîvâtman: c'est la même chose émanée d'une manière différente.

 

 

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C'est un peu difficile à expliquer. Le mieux serait peut-être que je divise ma réponse en un certain nombre d'exposés séparés: tout est devenu trop compliqué pour qu'on puisse faire autrement.

1. Il est impossible d'assimiler ma conception ou mon expérience du jîvâtman, au "je" pur de l'Adwaïta, par lequel vous désignez, je suppose, quelque chose qui dit "je suis Lui" et qui par cette perception se fond dans le Brahman. Selon l'Adwaïta des mâyâvâdin, ce jîvâtman, comme l'Îshwara lui-même, est simplement une apparence du Brahman dans la Maya illusoire. Il n'y a pas d'îshwara. Seigneur du monde, parce qu'il n'y a pas de monde, sauf en Maya; il n'y a pas non plus de jîvâtman, mais seulement le Paramâtman illusoirement perçu comme un moi individuel par la conscience inférieure (illusoire) dans Maya. Au contraire, ceux qui veulent s'unir à l'îshwara considèrent le jîva ou le ressentent soit comme un être séparé dépendant de l'îshwara, soit comme quelque chose qui est un en essence avec lui et cependant en diffère, mais cette différence est éternelle comme l'unité essentielle; il y a aussi d'autres conceptions du jîvâtman et de sa relation avec le Divin ou Suprême. Donc ce "je" pur, s'il faut le décrire ainsi, se présente différemment, sous des aspects différents, peut-on dire, à des personnes différentes. Si vous demandez pourquoi, je vous renvoie à la réponse que j'ai adressée à X: le surmental présente la vérité des choses sous toutes sortes d'aspects et le mental, même le mental spirituel, s'accroche à l'un ou à l'autre, le considérant comme la vérité même. comme la vérité unique et réelle de chacun de ces aspects. C'est le mental qui établit ces différences, mais cela n'a pas d'importance, parce que l'être mental, à travers sa propre manière de voir et de ressentir l'âme ou la conscience individualisée (appelez cela comme vous voulez) va là où il doit aller. J'espère que cette première étape de l'exposé est claire.

2. Je ne conteste pas du tout qu'il soit possible de réaliser le Moi, le Brahman ou l'îshwara sans entrer dans les régions au-dessus de la tête, les plans spirituels dynamiques, ou sans

 

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s'installer en permanence au-dessus du corps comme dans notre yoga. Même si cette réalisation s'opère par la voie du sahasrâra25 celui-ci s'étend jusqu'au mental spiritualisé et est senti au sommet de la tête, donc aucune montée au-dessus n'est indispensable. Mais à part cela, on peut très bien, comme vous le dites, réaliser l'Âtman en se tenant en arrière du mental et du cœur, en se détachant des parties de Prakriti, en cessant de s'identifier au mental, à la vie et au corps, en entrant dans un silence intérieur. Il n'est même pas besoin d'explorer les royaumes du mental intérieur ou du vital intérieur, moins encore est-il obligatoire d'étendre ses ailes dans les régions au-dessus. Le Moi est partout, et en entrant dans le détachement et le silence complets, ou même soit par l'un, soit par l'autre, on peut recevoir n'importe où quelque aperçu, quelque reflet, peut-être même un reflet complet du Moi, ou un sentiment de sa présence ou d'une immersion de soi dans ce qui est libre, vaste, silencieux, éternel, infini. De toute évidence, si c'est un "je" pur, de quelque nature qu'il soit, qui a l'expérience, la conscience qui en a la réalisation doit le considérer comme le moi individuel de l'Être, le jîvâtman.

3. On peut aussi avoir l'expérience de soi-même comme étant non le mental, mais le penseur, non le cœur, mais le moi ou "je" qui soutient les sentiments, non la vie, mais ce qui soutient la vie, non le corps, mais ce qui revêt un corps. Ce moi peut évidemment être dynamique autant que silencieux; ou encore, on pourrait dire que bien qu'il soit silencieux et immobile, de son silence il fait naître le dynamisme de la Nature. On peut aussi sentir que cela est l'Esprit un en tous autant que le vrai "je" au-dedans de soi. Tout dépend de l'expérience. Très fréquemment, c'est l'expérience du Pourousha, souvent senti d'abord comme le Témoin silencieux, soutenant toute la nature; mais on peut aussi avoir l'expérience du Pourousha comme le Connaisseur et l'îshwara. Tantôt c'est en tant que Pourousha mental ou à travers lui, dans un centre ou dans un autre, tantôt en tant que Pourousha

 

25. Le lotus aux mille pétales, centre de la conscience supérieure.

 

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vital ou à travers lui, que l'on peut commencer à percevoir son moi ou esprit. Il est possible aussi de devenir conscient de son être psychique secret au-dedans, comme étant par lui-même l'individu vrai; ou on peut percevoir l'être psychique comme le "je" pur, les autres se tenant dans le mental ou le vital comme ses représentants dans ces domaines ou à ces niveaux. Selon son expérience, chacun peut parler de l'un ou de l'autre comme du jîva ou du "je" pur (cette dernière expression est très ambiguë) ou de la vraie Personne, ou du véritable Individu qui se connaît comme un avec l'Être universel ou transcendant, ou parcelle de lui, ou entièrement dépendant de lui, et cherche à se fondre en lui ou à monter jusqu'à lui pour être lui ou vivre en unité avec lui. Tout cela est tout à fait possible sans que soit nécessaire l'expérience au-dessus de la tête ou la Permanence stable au-dessus de la tête.

4. Deux questions se posent alors: pourquoi ne dirait-on pas que le jîvâtman qui peut être réalisé de cette manière est le "je" pur dont le moi inférieur a l'expérience et à travers lequel il atteint le salut? Pourquoi serait-il nécessaire d'entrer dans les plans au-dessus de la tête? En premier lieu ce "je" pur ne semble pas être un intermédiaire indispensable à la libération, qu'elle consiste à entrer dans le Moi ou le Brahman impersonnel ou dans tout ce qui est éternel. Les bouddhistes n'admettent aucune âme ou moi, aucune expérience du "je" pur; ils réduisent la conscience à un paquet de samskâra,26 se débarrassent des samskâra et ainsi se libèrent pour entrer dans un Permanent qu'ils refusent de décrire, ou dans un shoûnya. L'expérience d'un "je" pur ou jîvâtman n'est donc pas obligatoire pour ceux qui, tout en voulant entrer par la libération dans l'Éternel, se contentent d'y parvenir sans s'élever au-delà du mental spiritualisé pour pénétrer dans une Lumière supérieure au-dessus. J'ai moi-même eu l'expérience du Nirvana, du silence dans le Brahman, etc., bien avant d'avoir eu aucune connaissance des plans spirituels au-dessus de la tête; cela a commencé simplement

 

26. Associations d'idées, impressions, conceptions fixes, réactions habituelles formées par le passé.

 

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par une tranquillité absolue et un effacement, pour ainsi dire, de toute activité intérieure mentale, émotionnelle ou autre - le corps continuait, en fait, à voir, marcher, parler et vaquer à ses affaires, mais comme un automate vide et rien de plus. Je ne suis devenu conscient d'aucun "je" pur, ni même d'aucun moi, impersonnel ou autre - il y avait seulement une perception de Cela comme étant la seule Réalité, tout le reste étant totalement insubstantiel, vide, non réel. Ce qui réalisait cette Réalité, c'était une conscience sans nom qui n'était pas différente de Cela;27 peut-être pourrait-on l'exprimer ainsi - mais on ne peut pas aller jusque-là puisqu'il n'y avait pas de concept mental - et on ne peut pas en dire plus. Je ne percevais pas non plus une âme inférieure ou un moi extérieur portant tel ou tel nom personnel, qui aurait accompli l'exploit de parvenir à la conscience du Nirvana. Alors qu'advient-il de votre "je" pur ou de votre "je" inférieur dans tout cela? La conscience (non telle ou telle partie de la conscience, ni aucun "je" d'aucune sorte) se vida soudain de tout contenu intérieur et ne garda plus que la perception d'un cadre irréel et de Quelque Chose de réel mais d'ineffable. Vous pouvez dire qu'il devait y avoir la conscience, sinon d'un "je" pur, du moins d'une existence en train de percevoir; mais s'il en était ainsi, c'était une chose pour laquelle aucun de ces termes ne semble approprié.

5. J'ai dit que l'ascension au-dessus de la tête n'est pas indispensable aux objectifs spirituels habituels, mais elle est indispensable aux objectifs de notre yoga. Car le but est de devenir conscient de tout l'être, de le libérer, de le transformer et de l'unifier dans la lumière d'une Conscience-de-Vérité qui est au-dessus et ne peut être atteinte s'il n'y a pas de mouvement entièrement tourné vers l'intérieur, s'il n'y a pas de mouvement qui transcende et se tourne vers le haut. D'où la complexité de tous mes exposés psychologiques pris comme un ensemble; celui-ci n'est pas nouveau dans son essence, car

 

27. Notez que je ne pensais pas ces choses, il n'y avait ni pensée ni concept, elles ne se présentaient pas ainsi elles-mêmes à un "je" quelconque; c'était simplement ainsi, ou cela apparaissait ainsi à soi-même. (Note de Sri Aurobindo)

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on en trouve une grande partie dans les Oupanishad et ailleurs; il l'est par le caractère complet de sa formulation d'ensemble et par ses développements orientés vers un yoga intégral. Nul n'a besoin d'admettre tout cela, à moins de partager le même but; pour atteindre d'autres objectifs, c'est inutile et cela peut même fort bien être excessif.

6. Mais il ne faudrait pas s'attendre à ce que celui qui a accompli l'exploration intérieure et l'ascension, et dont la conscience est établie au-dessus, voie les choses exactement comme on les voit d'en-dessous. Le jîvâtman est pour moi le Non-Né qui préside à l'être individuel et à ses développements, s'associe à lui mais est au-dessus de lui et d'eux, et qui, par la nature même de son existence, se connaît comme universel et transcendant autant qu'individuel et sent que le Divin est son origine, la vérité de son être, le maître de sa nature, la substance même de son existence. Il est plongé dans le Divin et il est un avec l'Éternel pour toujours, il perçoit sa propre expression et son propre dynamisme instrumental qui sont ceux du Divin, il dépend en amour et en félicité, dans l'adoration, de Cela avec quoi, dans l'amour et la félicité, il est un, capable de relation dans l'unité, harmonieux dans sa multiplicité, sans contradictions parce que sa conscience et son existence sont autres que le mental, même le mental spiritualisé; il est une conscience intrinsèque de l'Infini, infini non seulement en essence mais en capacité, qui peut être, dans sa propre perception de soi, toutes choses et pourtant à jamais semblable et un. La réalisation du trois-en-un, pleine de difficultés pour le mental, est par conséquent tout à fait naturelle, aisée, indiscutable pour la conscience supramentale ou, en général, pour la conscience de l'hémisphère supérieur. Elle peut être vue et sentie comme connaissance dans tous les plans spirituels, mais la connaissance complètement indivisible, la pleine dynamique ne peut en être réalisée qu'au moyen de la conscience supramentale elle-même, sur son propre plan ou par sa descente ici-bas.

7. La description du "je" pur est tout à fait insuffisante pour exprimer la réalisation du jîvâtman; on pourrait plutôt le

 

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décrire comme la vraie Personne ou l'Individu divin, bien que cela non plus ne soit pas approprié. Au fond le mot "je" suggère toujours l'ego, la séparativité; mais il n'y a pas de séparativité dans cette vision du moi, car l'individu ici est un centre vivant et spirituel d'action pour l'Un, et ne se sent pas séparé de tout ce qui est l'Un.

8. Le jîvâtman a, dans la nature individuelle ici-bas, un pouvoir qui le représente; ce pouvoir est le Pourousha soutenant la Prakriti - centralement dans le psychique, plus instrumentalement dans l'être et la nature du mental, du vital et du physique. Il est par conséquent possible de considérer ceux-ci ou l'un ou l'autre d'entre eux comme s'ils étaient le jîva ici-bas. Je suis tout de même obligé de faire la distinction, non seulement pour que la pensée soit claire, mais en raison des nécessités de l'expérience et de la connaissance de soi intégrale et dynamique sans lesquelles il est difficile de mener à bien ce yoga. Il n'est pas indispensable de se formuler tout cela mentalement à soi-même, on peut en avoir l'expérience et, si l'on voit clairement au moyen d'une perception intérieure, cela suffit pour progresser vers le but. Néanmoins, si le mental se clarifie sans tomber dans la rigidité mentale et l'erreur, les choses sont plus faciles pour le sâdhak du yoga. Mais la plasticité doit être sauvegardée: une formulation intellectuelle systématique expose au danger de la perdre; on doit examiner la chose elle-même sans se laisser ligoter par l'idée. Rien de tout cela ne peut être réellement saisi, si ce n'est par l'expérience spirituelle elle-même.  

 

 

J'ai employé les mots jîva et jîvâtman dans ces passages, et dans tous les autres, exactement dans le même sens: il ne m'est jamais venu à l'idée qu'il pourrait y avoir une différence. Si je l'avais voulu, j'aurais très clairement défini la distinction, les deux mots étant similaires, et je n'aurais pas laissé au lecteur le soin de l'établir par déduction.

Dans le passage du chapitre concernant le triple état du

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supramental, je décrivais comment le supramental, agissant en tant que force de la plus haute expression du Divin, manifestait cette force en trois équilibres, et ce qu'était la conscience du jîvâtman dans la création supramentale. Nulle part je ne dis que le jîvâtman se trouve seulement sur le plan supramental; si c'était le cas, l'homme ne pourrait rien connaître de son Moi ou Esprit individuel avant de s'élever au plan supramental; il ne pourrait avoir aucune expérience de son Moi, bien qu'il puisse avoir le sens de la dissolution de son ego en quelque chose d'Universel. Mais il peut, bien avant cela, devenir conscient de son Moi qui ne naît ni n'évolue, de ce centre de la conscience divine; on a l'expérience du Moi cosmique ou individuel bien avant de s'élever jusqu'au Supramental. S'il n'en était pas ainsi, il serait impossible à l'homme mental d'avoir une expérience spirituelle aussi élevée, la libération serait impossible; il lui faudrait tout d'abord devenir un être supramental. Quant au Pourousha, il est là sur tous les plans; il y a un Pourousha mental, manomaya, conducteur de la vie et du corps, selon l'expression de l'Oupanishad, il y a un Pourousha vital, un Pourousha physique; il y a l'être psychique ou Chaïtya Pourousha qui pour ainsi dire soutient tous ces Pourousha et les porte tous. On peut dire qu'ils sont des projections du jîvâtman qui sont là pour soutenir la Prakriti sur les différents plans de l'être. L'Oupanishad parle également d'un Pourousha supramental et d'un Pourousha de Béatitude et, si la Nature supramentale et la Nature de Béatitude étaient organisées dans l'évolution sur terre, nous pourrions devenir conscients du fait qu'ils soutiennent les mouvements ici-bas.

Quant à l'être psychique, il entre dans l'évolution, il entre dans le corps à la naissance et en sort au moment de la mort; mais le jîvâtman, tel que je le connais, est non né et éternel bien qu'il soutienne d'en haut la personnalité manifestée. On Peut, si vous voulez, décrire l'être psychique comme le Jîvâtman prenant naissance, mais si l'on ne fait pas la distinction, la nature de l'Âtman devient quelque chose de vague et cela crée une confusion. Cette distinction est nécessaire

 

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à la connaissance métaphysique et à quelque chose de très important dans l'expérience spirituelle. Le mot "Âtman", comme le mot "spirit" [esprit] en anglais, a dans l'usage courant toutes sortes de significations mais, aussi bien pour la connaissance spirituelle que pour la connaissance philosophique, les termes que l'on emploie doivent être choisis avec clarté et précision afin d'éviter la confusion de la pensée et de la vision créée par la confusion dans les mots que nous employons pour les exprimer.

 

Le jîva est réalisé en tant que Moi individuel, Âtman, être central au-dessus de la Nature, calme, non touché par les mouvements de la Nature, mais soutenant leur évolution sans pourtant y participer. Grâce à cette réalisation, le silence, la liberté, l'élargissement, la maîtrise, la pureté, un sentiment d'universalité dans l'individu qui est comme un centre de cette divine universalité, deviennent l'expérience de la vie normale. Le psychique est réalisé en tant que Pourousha derrière le cœur. Il n'est pas universalisé comme le jîvâtman, mais il est l'âme individuelle qui, de derrière le centre du cœur où elle se trouve, soutient l'évolution mentale, vitale, physique, psychique de l'être dans la Nature. Cette réalisation apporte la bhakti, le don de soi, la soumission,28 l'orientation de tous les mouvements vers Dieu, la discrimination et le choix de tout ce qui appartient à la Vérité divine, au Bien divin, à la Beauté divine, le rejet de tout ce qui est faux, pervers, laid, discordant, l'union, par l'amour et la sympathie, avec tout ce qui existe, l'ouverture à la Vérité du Moi et du Divin.  

 

 

 

28. Le mot français "soumission" ne rend qu'imparfaitement le sens de l'anglais "surrender" employé ici. "Se soumettre [surrender], c'est se donner au Divin, donner tout ce que l'on est et tout ce que l'on a au Divin, ne rien considérer comme sa propre possession, obéir à la seule volonté divine et à nulle autre, vivre pour le Divin et non pour l'ego." (Sri Aurobindo, Letters on Yoga, édition du Centenaire, volume XXIII, page 585)

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Vivre dans la conscience de l'Âtman, c'est vivre dans le calme de l'unité et de la paix qui se tient au-dessus des choses, séparé du monde bien qu'il le pénètre de toutes parts. Mais pour la conscience psychique il y a deux choses: le monde, et elle-même agissant dans le monde. Le jîvâtman n'est pas descendu dans le monde, il se tient au-dessus, toujours le même, soutenant les différents êtres: mental, etc., qui agissent ici-bas. Le psychique est ce qui est descendu ici-bas; sa fonction est d'offrir toutes choses au Divin pour qu'elles soient transformées.

 

L'être véritable peut être réalisé sous l'un des deux aspects suivants, ou sous les deux: le Moi ou Âtman, et l'âme ou Antarâtman appelée aussi être psychique ou chaïtya pourousha. La différence est que l'un est perçu comme universel, l'autre comme individuel et soutenant le mental, la vie et le corps. Quand on réalise d'abord l'Âtman, on le sent séparé de toutes choses, existant en lui-même et détaché, et c'est à cette réalisation que l'image de la noix de coco sèche peut s'appliquer.29 Quand on réalise l'être psychique, il n'en est pas de même; car il nous apporte le sentiment d'union avec le Divin, de dépendance de Lui, d'exclusive consécration au Divin seul, et le pouvoir de changer la nature et de découvrir en nous-même le véritable être mental, le véritable être vital, le véritable être physique. L'une et l'autre de ces réalisations sont nécessaires à notre yoga.

Le "je" ou le petit ego est constitué par la Nature; c'est une formation mentale, vitale et physique à la fois, destinée à faciliter la centralisation et l'individualisation de la conscience et de l'action extérieures. Quand on découvre l'être véritable,

 

29. Une image employée par Shrî Râmakrishna; celui qui a la Connaissance, réalise que le Moi ou Âtman et le corps sont deux choses séparées, et que l'un se meut librement en l'autre, telle la noix de coco sèche dans son écorce extérieure quand a séché le lait de coco (de l'attachement au monde).

 

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l'utilité de l'ego est passée et cette formation doit disparaître; à sa place, on perçoit l'être véritable.30  

 

 

L'Esprit est la conscience au-dessus du mental, l'Âtman ou Moi, qui est toujours en union avec le Divin; une conscience est spirituelle quand elle est toujours en union ou au moins en contact avec le Divin.

Le psychique est une étincelle venue du Divin qui est en toutes choses et, à mesure que l'individu évolue, elle croît en lui et se manifeste en tant qu'être psychique, en tant qu'âme qui cherche toujours le Divin et la Vérité et répond au Divin et à la Vérité chaque fois et partout où elle les rencontre.

 

 

L'Esprit est l'Âtman, Brahman, le Divin essentiel.

Quand l'Un Divin manifeste la multiplicité toujours inhérente en lui, ce Moi essentiel, ou Âtman, devient, pour cette manifestation, l'être central qui d'en haut préside à l'évolution de ses personnalités et de ses vies terrestres ici-bas, mais il est lui-même une parcelle éternelle du Divin et est antérieur à la manifestation terrestre, para prakritir jîvabhoûtâ.

Dans la manifestation inférieure, apârâ prakriti, cette parcelle éternelle du Divin se manifeste en tant qu'âme - étincelle du Feu divin - qui sert d'appui à l'évolution individuelle et soutient l'être mental, vital et physique. L'être psychique est l'étincelle qui grandit et devient un Feu, qui évolue avec le développement de la conscience. L'être psychique est par conséquent évolutif et non, comme le jîvâtman, antérieur à l'évolution.

Mais l'homme n'a pas conscience du moi ou jîvâtman, il n'a conscience que de son ego, ou de l'être mental qui dirige la vie et le corps. Pourtant, en allant plus profondément, il peut prendre conscience de son âme ou être psychique comme de

 

30. Lumières sur le Yoga, chapitre 1. Traduction de la Mère.

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son centre véritable, le Pourousha dans le cœur. Le psychique est l'être central dans l'évolution, il émane du jîvâtman, parcelle éternelle du Divin, et le représente. Dans l'état de pleine conscience, le jîvâtman et l'être psychique se joignent.

L'ego est une formation de la Nature; mais il n'est pas une formation de la nature physique seulement et, par suite, il ne cesse pas avec le corps. Il y a aussi un ego mental et vital.

La base de la conscience matérielle ici-bas n'est pas seulement l'Ignorance, mais l'Inconscience - c'est-à-dire que la conscience est "involuée", enfermée dans les formes de la matière et dans l'énergie de la matière. Ce n'est pas seulement la conscience matérielle, mais la conscience vitale et la conscience mentale aussi qui sont séparées de la Vérité par l'Ignorance.31  

 

La plupart du temps, le Suprême agit à travers le Jîva et sa nature; le Jîva et la nature agissent à travers l'ego, et l'ego agit à travers les instruments extérieurs: tel est le jeu de l'Ignorance.  

 

Il n'y a pas de différence entre jîva et jîvâtman dans cette langue - donc on ne peut pas faire cette distinction. L'Aparâ Prakriti est la Nature qui manifeste toutes ces mentalités, ces vies et ces corps. La Para Prakriti est la nature même du Divin - Îsha suprême qui manifeste le Divin multiple dans les Multiples.  

 

 

Le corps n'est pas le moi individuel - il est la base de la personnalité extérieure ou du moi physique, si vous voulez vous exprimer ainsi; mais ce n'est pas le moi individuel. Le moi individuel est l'être central (jîvâtman) se manifestant

 

31. Lumières sur le Yoga, chapitre 2. Traduction de la Mère.

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dans la nature inférieure en tant qu'être psychique - il est directement une parcelle du Divin.  

 

 

Le jîvâtman est au-dessus de tous les plans. Il n'a ni forme, ni couleur fixe, bien qu'il puisse se représenter lui-même sous une forme.

 

 

 

(a) Il [chaque jîvâtman] est un et pourtant différent [des autres jîvâtman]. Selon l'expression de la Guîtâ, le jîva est amsah sanâthanah32 de l'Un. On peut aussi dire qu'il est l'un des nombreux centres de l'Être et de la Conscience universels.

(b) Essentiellement chaque jîva a la même nature que tous les autres, mais dans la manifestation chacun exprime sa propre ligne de swabhava.

(c) Non. Koûtastha33 est l'akshara pourousha 34 - ce n'est pas le jîvâtman.

(d) Il [le jîvâtman] se tient toujours sur le plan spirituel qui est au-dessus du mental, mais là il n'est fixé à aucun niveau.

(e) Non [un être psychique ne peut pas s'unir à un autre]. Affinité, harmonie, sympathie, mais pas union. L'Union se fait avec le Divin.

 

35 Le jîvâtman, l'étincelle de l'âme et l'être psychique sont

 

32. Une parcelle éternelle (Guîtâ, 15.7).

33. Celui qui est sur le sommet (le Moi dans la conscience supracosmique).

34. Le Pourousha immobile.

35. Cette lettre a été révisée par Sri Aurobindo à deux reprises. Comme les deux versions diffèrent sensiblement par endroits, nous les publions toutes les deux.

 

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trois formes différentes d'une même réalité et il ne faut pas les confondre, car cela brouille la clarté de l'expérience intérieure.

Le jîvâtman ou esprit existe en soi au-dessus de l'être manifesté ou instrumental - il est au-delà de la naissance et de la mort, toujours le même, c'est le Moi individuel ou Âtman, l'être vrai éternel de l'individu.

L'âme est une étincelle du Divin au cœur des créatures vivantes de la Nature. Elle ne se tient pas au-dessus de l'être manifesté; elle descend dans la manifestation du moi, consent à participer à son devenir phénoménal dans la nature, soutient son évolution dans le monde de la Nature matérielle. Elle porte tout d'abord en elle un pouvoir indifférencié de la Conscience divine qui contient toutes les possibilités encore sans formes, mais auxquelles l'évolution a pour fonction de donner une forme. Cette étincelle de la Divinité est présente dans tous les êtres vivants sur terre, depuis les créatures terrestres les plus élevées jusqu'aux plus basses.

L'être psychique est une personnalité spirituelle formée par l'âme au cours de son évolution; son développement indique le stade atteint par l'individu dans son évolution spirituelle et ses possibilités immédiates pour l'avenir. Il se tient derrière la nature mentale, vitale et physique, croît par leurs expériences, porte la conscience de vie en vie. C'est la personne psychique, chaïtya pourousha. Il est d'abord voilé par les parties mentales, vitales et physiques, limité dans son expression par leurs limitations, lié aux réactions de la Nature mais, au fur et à mesure de sa croissance, il devient capable de venir en avant et de dominer le mental, la vie et le corps. Chez l'homme ordinaire, il dépend encore d'eux pour s'exprimer et il ne peut s'en saisir ni les utiliser librement. La vie de l'être est animale et humaine, et non divine. Lorsque l'être psychique, par la sâdhanâ, peut prédominer et utiliser librement ses instruments, l'élan vers le Divin devient alors complet et ce n'est pas seulement la libération, mais la transformation du mental, du vital et du corps qui devient possible.

Le Moi ou Âtman étant libre et au-delà de la naissance et

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de la mort, l'expérience du jîvâtman et de son unité avec le Moi suprême ou universel suffit à apporter le sentiment de la libération; mais la pleine conscience et l'éveil complet de l'être psychique sont également indispensables pour la transformation de la vie et de la nature.

À ce stade l'être psychique réalise son unité avec l'être vrai, le Moi, mais il ne se fond pas, il ne se transforme pas non plus en lui; il subsiste comme un instrument de son expression psychique et spirituelle, une divine manifestation dans la Nature.

Le hindou36 que vous avez vu au-dessus peut être une manière symbolique de voir le jîvâtman, le moi individuel, comme une goutte d'eau de la mer, une parcelle individuelle du Divin universel; à ce niveau, c'est à l'ouverture de la conscience plus haute qu'on aspire naturellement, afin que l'être puisse demeurer sur ce plan et non plus dans l'Ignorance. Le jîvâtman, en réalité, est déjà un avec le Divin, mais spirituellement il peut exiger que le reste de la conscience réalise aussi cela.

Dans l'être psychique, cette exigence se traduirait alors par une aspiration à ce que la nature inférieure tout entière, le mental, le vital et le corps, s'ouvrent au Divin par une aspiration à l'amour et à l'union avec le Divin, à sa présence et son pouvoir dans le cœur, à la transformation du mental, de la vie et du corps par la descente d'une conscience plus haute dans cette nature et dans cet être qui en sont les instruments.

Ces deux aspirations sont nécessaires à la plénitude de notre yoga: d'en haut l'exigence du moi à l'égard de la nature, d'en bas l'aspiration psychique de la nature. Lorsque le psychique impose son aspiration au mental, au vital et au corps, ils aspirent alors eux aussi et c'est ce que vous avez senti comme une aspiration venant du niveau de l'être inférieur. L'aspiration sentie au-dessus est l'aspiration du jîvâtman à la conscience plus haute, avec la réalisation de l'Un qui doit se manifester dans tout l'être. Les deux aspirations s'aident donc mutuellement et sont nécessaires l'une à l'autre. Mais au

 

36. Point, tache.

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début, la quête de l'être inférieur est intermittente et étouffée par l'obscurité et les limitations de la conscience ordinaire. Par la sâdhanâ, elle doit devenir claire, constante, forte et persistante; elle force alors la réalisation, la rend inévitable.

Le sentiment de paix, de pureté et de calme que vous avez eu vient de l'union de la conscience inférieure avec la conscience supérieure ou d'un fort contact entre elles; il ne peut pas être permanent dès le début, mais peut le devenir quand le calme et la paix se font plus fréquents et plus durables et enfin quand la nature inférieure reçoit pleinement la descente de la paix, du calme et du silence éternels de la conscience supérieure.

 

 

Le jîvâtman, l'étincelle de l'âme et l'être psychique sont trois formes différentes d'une même réalité et il ne faut pas les confondre, car cela brouille la clarté de l'expérience intérieure.

Le jîvâtman ou "spirit" [esprit], comme on l'appelle généralement en anglais, existe en soi au-dessus de l'être manifesté ou instrumental - il est au-delà de la naissance et de la mort, toujours le même, Moi individuel ou Âtman. C'est l'être véritable, éternel, de l'individu.

L'âme est une étincelle du Divin; elle ne se tient pas au-dessus de l'être manifesté, mais descend dans la manifestation afin de soutenir son évolution dans le monde matériel. C'est tout d'abord un pouvoir indifférencié de la Conscience divine qui contient toutes les possibilités encore sans forme, mais auxquelles l'évolution a pour fonction de donner une forme. Cette étincelle est présente dans tous les êtres vivants, du plus bas au plus élevé.

L'être psychique est formé par l'âme au cours de son évolution. Il soutient le mental, le vital, le corps, croît par leurs expériences, porte la nature de vie en vie. C'est le psychique ou chaïtya pourousha. Il est d'abord voilé par le mental, le vital et le corps mais, au fur et à mesure de sa

 

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croissance, il devient capable de venir en avant et de dominer le mental, la vie et le corps; chez l'homme ordinaire, il dépend d'eux pour s'exprimer et il ne peut s'en saisir ni les utiliser librement. La vie de l'être est animale ou humaine et non divine. Lorsque l'être psychique, par la sâdhanâ, peut prédominer et utiliser librement ses instruments, l'élan vers le Divin devient alors complet et ce n'est pas seulement la libération, mais la transformation du mental, du vital et du corps qui devient possible.

Le Moi ou Âtman étant libre et au-delà de la naissance et de la mort, l'expérience du jîvâtman et de son unité avec le Moi suprême ou universel apporte le sentiment de la libération; c'est cela qui est nécessaire à la suprême délivrance spirituelle; mais l'éveil de l'être psychique et sa domination sur la nature sont indispensables pour la transformation de la vie et de la nature.

L'être psychique réalise son unité avec l'être vrai, le jîvâtman, mais il ne devient pas le jîvâtman.

Le hindou36 vu au-dessus peut être une manière symbolique de voir le jîvâtman, parcelle du Divin; là, c'est à l'ouverture de la conscience plus haute qu'on aspire naturellement, afin que l'être puisse demeurer sur ce plan et non plus dans l'Ignorance. Le jîvâtman, en réalité, est déjà un avec le Divin mais il est nécessaire que le reste de la conscience aussi le réalise.

L'être psychique aspire à ce que la nature inférieure tout entière, le mental, le vital, le corps, s'ouvrent au Divin, il aspire à l'amour et l'union avec le Divin, à sa présence et son pouvoir dans le cœur, à la transformation du mental, de la vie et du corps par la descente d'une conscience plus haute dans cette nature et cet être qui en sont les instruments.

Ces deux aspirations sont essentielles et indispensables à la plénitude de notre yoga. Lorsque le psychique impose son aspiration au mental, au vital et au corps, ils aspirent alors eux aussi et c'est ce qui a été senti comme l'aspiration venant du niveau de l'être inférieur. L'aspiration sentie au-dessus est

 

36. Point, tache.

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l'aspiration du jîvâtman à la conscience plus haute, avec la réalisation de l'Un qui doit se manifester dans l'être. Les deux aspirations s'aident donc mutuellement. Au début, la quête de l'être inférieur est nécessairement intermittente et étouffée par la conscience ordinaire. Par la sâdhanâ, elle doit devenir claire, constante, forte et persistante.

Le sentiment de paix, de pureté et de calme provient de l'union de la conscience inférieure avec la conscience supérieure. Habituellement il est intermittent, ou alors il réside dans une conscience plus profonde, souvent voilé par les tempêtes et les agitations de la surface; il est rarement permanent au début, mais il peut le devenir lorsque le calme et la paix se font plus fréquents et plus durables, et lorsqu'enfin la nature inférieure reçoit pleinement la descente de la paix, du calme et du silence éternels de la conscience supérieure.

 

Dans l'expérience du yoga, le moi ou être est un dans son essence avec le Divin ou, en tout cas, c'est une parcelle du Divin qui contient toutes les potentialités divines. Mais dans la manifestation, il prend deux aspects, le Pourousha et la Prakriti, l'être conscient et la Nature. Dans la Nature ici-bas le Divin est voilé, et l'être individuel est soumis à la Nature qui agit ici en tant que Prakriti inférieure, force de l'Ignorance, Avidyâ. Le pourousha en lui-même est divin mais, extériorisé dans l'ignorance de la Nature, il est l'être individuel apparent et participe de son imperfection. Ainsi, l'âme ou essence psychique, qui est le Pourousha entrant dans l'évolution et le soutenant, porte en elle-même toutes les potentialités divines; mais l'être psychique individuel qu'il met en avant comme son représentant assume l'imperfection de la Nature et y évolue jusqu'à ce qu'il ait recouvre son essence psychique tout entière et qu'il se soit uni au Moi au-dessus dont l'âme est la projection individuelle dans l'évolution. Cette dualité dans l'être sur tous ses plans - car cela est vrai, de diverses manières, non seulement du Moi et du psychique mais des

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Pourousha mental, vital et physique - il faut en saisir le sens et l'accepter avant de pouvoir comprendre pleinement les expériences du yoga.

L'Être est toujours un, mais sur chaque plan de la Nature, il est représenté par une forme de lui-même qui est propre à ce plan: Pourousha mental sur le plan mental, Pourousha vital sur le plan vital, Pourousha physique sur le plan physique. La Taïttiriya Oupanishad parle de deux autres plans de l'être, le plan de la Connaissance ou de la Vérité, et le plan de l'Ânanda, chacun ayant son Pourousha, mais bien que des influences puissent descendre de ces plans, ils sont supraconscients pour le mental humain et leur nature n'est pas encore organisée ici-bas.

 

 

Le moi individuel est habituellement décrit comme une parcelle du Transcendant et du Moi cosmique - dans les domaines plus élevés et plus subtils de la conscience il se connaît comme tel, mais dans les domaines inférieurs où la conscience est de plus en plus voilée, il s'identifie à des formes superficielles de la personnalité, à des créations de Prakriti et perd la notion de son origine divine. Le Moi, quand on en devient conscient, est ressenti comme quelque chose d'existant en soi et éternel qui n'est pas identifié à des formes de la personnalité mentale, vitale et physique; ces formes ne sont que des expressions mineures de ses potentialités dans la Nature. Ce que les gens appellent maintenant eux-mêmes n'est que l'ego, ou le mental, ou la force de vie, ou le corps, mais c'est parce qu'ils pensent en termes de formations de la Prakriti et ne voient pas ce qu'il y a derrière.

 

L'être central et l'âme sont tous deux, chacun à sa manière, des parcelles du Divin. Ils sont en fait deux aspects de la même

 

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entité; mais l'un est au-dessus de la Nature et n'évolue pas, l'autre fait évoluer un être psychique dans la Nature.  

 

 

C'est l'être individuel qui est une parcelle du Divin. Le moi universel ou Âtman, qui est le même en tous, n'est pas une parcelle, mais un aspect du Divin.

 

 

Le moi est le Divin lui-même dans un aspect essentiel; ce n'est pas une parcelle. L'expression "pas même une parcelle" ou "seulement un aspect" n'a pas de sens. Un aspect n'est pas inférieur à une parcelle.

 

Ne savez-vous pas ce que signifie "essentiel"? Il y a une différence entre l'essence d'une chose, qui est toujours la même, et ses formations et ses développements, qui varient. Il y a, par exemple, l'essence de l'or, et il y a les nombreuses formes que l'or peut prendre.

 

 

L'essence ne peut pas être définie - elle est, c'est tout.

 

Le Divin est plus que l'Âtman. Il est aussi la Nature. Il contient tout en Lui.  

 

Pour arriver à la réalisation dynamique, il ne suffit pas de délivrer le Pourousha de sa sujétion à Prakriti; il faut que l'obéissance du Pourousha soit transférée de la Prakriti

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inférieure et de son jeu de forces ignorantes, à la suprême Shakti divine, la Mère.

C'est une erreur d'identifier la Mère à la Prakriti inférieure et à son mécanisme de forces. Prakriti est seulement un mécanisme établi ici-bas pour le fonctionnement de l'ignorance évolutive. De même que l'être mental, vital ou physique ignorant n'est pas lui-même le Divin, bien qu'il vienne du Divin, de même le mécanisme de Prakriti n'est pas la Mère divine. Sans doute y a-t-il quelque chose de la Mère dans ce mécanisme et derrière lui, qui le soutient aux fins de l'évolution; mais en elle-même, la Mère n'est pas une shakti de l'avidyâ, elle est la Conscience, la Lumière, le Pouvoir divins, Parâprakriti, vers qui nous nous tournons pour obtenir la libération et l'accomplissement divin.

La réalisation de la conscience du Pourousha, calme et libre, observant le jeu des forces sans être attaché ni entraîné par elles, est un moyen de libération. Le calme, le détachement, une énergie et une joie paisibles (âtmaratih) doivent être amenés d'en haut dans le vital et le physique autant que dans le mental; quand ceci est établi, on n'est plus la proie du tourbillon des forces vitales. Mais ce calme, cette paix, cette énergie et cette joie silencieuses, ne sont que la première descente du Pouvoir de la Mère dans l'âdhâr. Au-delà, existent une Connaissance, un Pouvoir d'exécution, un Ânanda dynamique, qui ne sont pas ceux de la Prakriti ordinaire, même en ce qu'elle a de meilleur et de plus sattwique, mais qui sont de nature divine.

Cependant, le calme, la paix et la libération sont d'abord nécessaires. Essayer de faire descendre trop tôt l'aspect dynamique, n'est pas à conseiller, car il descendrait alors dans une nature trouble et impure, incapable de l'assimiler, et de sérieuses perturbations pourraient en résulter.37

 

Ce que l'on entend par Prakriti, ou Nature, est le côté

 

37. Lumières sur le Yoga, chapitre 1. Traduction de la Mère.

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extérieur ou exécutif de la Shakti ou Force Consciente qui forme les mondes et qui les meut. Ce côté extérieur semble ici être mécanique, un jeu des forces, des gouna, etc. Mais derrière lui, se trouvent la Conscience et la Force vivantes du Divin, la Shakti divine. Prakriti elle-même est divisée en inférieure et supérieure; l'inférieure est la Prakriti de l'Ignorance, la Prakriti du mental, de la vie et de la matière, séparée du Divin en sa conscience; la supérieure est la Prakriti divine du Satchidânanda avec son pouvoir de manifester le supramental, elle est toujours consciente du Divin et libre de l'Ignorance et de ses conséquences. L'homme, tant qu'il reste dans l'ignorance, est soumis à la Prakriti inférieure, mais par l'évolution spirituelle il prend conscience de la Nature supérieure et cherche à entrer en contact avec elle. Il peut s'élever en elle et elle peut descendre en lui; ce mouvement d'ascension et de descente rend possible la transformation de la nature inférieure du mental, de la vie et de la matière.38  

V

 

Le psychique n'est pas, par définition,39 la partie qui est en contact direct avec le plan supramental, bien qu'il soit le plus

 

38. Lumières sur le Yoga, chapitre 2. Traduction de la Mère.

39. Quelqu'un avait demandé ce qu'est l'être psychique, si l'on pouvait le définir comme cette partie de l'être qui est toujours en contact direct avec le Supramental. J'ai répondu qu'il ne pouvait être ainsi défini, car l'être psychique chez les animaux ou chez la plupart des êtres humains n'est pas en contact direct avec le Supramental; par conséquent, on ne peut le décrire ainsi, par définition. Mais une fois établie la liaison entre le Supramental et la conscience humaine, c'est l'être psychique qui est le plus prompt à répondre - plus prompt que le mental, le vital ou le physique. On peut ajouter que sa réponse est aussi plus pure; le mental, le vital et le physique peuvent permettre à d'autres choses de se mêler à leur réception de l'influence supramentale, et de gâcher ainsi sa vérité. La réponse du psychique est pure et ne permet pas un tel mélange.

Le changement supramental ne peut se produire que si le psychique est éveillé et devient le principal soutien du pouvoir supramental qui descend. (Note de Sri Aurobindo)

 

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prompt à y répondre une fois que le lien avec le Supramental est établi. La partie psychique en nous est quelque chose qui vient directement du Divin et qui est en contact avec le Divin. Dans son origine, c'est le noyau fécond en possibilités divines qui sert d'appui à cette triple manifestation inférieure du mental, de la vie et du corps. Cet élément divin est là dans tous les êtres vivants, mais il se tient caché derrière la conscience ordinaire; au début, il n'est pas développé et même lorsqu'il l'est, il n'est pas toujours ou pas souvent au premier plan; il s'exprime au moyen de ses instruments et selon leurs limites, dans la mesure où leur imperfection le lui permet. Il grandit dans la conscience par l'expérience qui mène vers le Divin; il prend de la force chaque fois qu'il y a en nous un mouvement supérieur et enfin, par l'accumulation de ces mouvements plus profonds et plus élevés, une individualité psychique se forme - celle que nous appelons généralement l'être psychique. C'est toujours cet être psychique qui, en réalité, bien que souvent d'une façon voilée, pousse l'homme à se tourner vers la vie spirituelle, et qui devient alors sa plus grande aide. Par conséquent, c'est cela, dans le yoga, que nous devons amener en avant.

Le mot "soûl" [âme], tout comme le mot "psychic" [psychique], a, dans la langue anglaise, un emploi très vague et de nombreuses significations différentes. Dans le langage ordinaire, on a trop souvent tendance à ne pas faire une claire distinction entre le mental et l'âme et il se fait souvent une confusion plus grave encore: c'est en effet de l'être vital de désir - de la fausse âme ou âme de désir - que l'on parle lorsqu'on emploie les mots "âme" et "psychique", et non de l'âme vraie, de l'être psychique. L'être psychique est tout à fait différent du mental ou du vital; il se tient derrière eux, là où ils se joignent dans le cœur. C'est là qu'est sa place centrale, mais derrière le cœur plutôt qu'au-dedans de lui; car ce que les hommes appellent d'ordinaire le cœur est le siège de l'émotion, et les émotions humaines sont des impulsions mentales-vitales qui n'ont pas, en général, un caractère psychique. Ce pouvoir profondément secret qui se tient

 

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derrière - autre que le mental et la force de vie - est l'âme vraie, l'être psychique en nous. Le pouvoir du psychique peut néanmoins agir sur le mental, le vital et le corps, purifiant la pensée, la perception et l'émotion (qui devient alors le sentiment psychique), la sensation, l'action et toutes choses en nous, et les préparant ainsi à devenir des mouvements divins.

L'être psychique peut être décrit, en langue indienne, comme le Pourousha dans le cœur ou Chaïtya Pourousha;40 mais il faut entendre par là le cœur intérieur ou secret, hridayé gouhâyâm, non le centre extérieur vital et émotionnel. C'est la véritable entité psychique (distincte du mental de désir du vital) - la psyché - dont il est question dans la page de l'Arya à laquelle vous vous référez.

 

Dans les anciens systèmes, l'être psychique était appelé le Pourousha dans le cœur (le cœur secret - hridayé gouhâyâm), ce qui correspond très bien à ce que nous définissons comme l'être psychique derrière le centre du cœur. C'est aussi ce qui sortait du corps à la mort et subsistait - ce qui correspond

 

40. Le Chitta et la partie psychique ne sont pas du tout la même chose. Le terme "Par" appartient à une catégorie tout à fait différente, dans laquelle sont coordonnés et mis à leur place les principaux fonctionnements de notre conscience extérieure, et pour le connaître nous n'avons pas besoin d'aller derrière notre nature superficielle ou extérieure.

"Catégorie" désigne ici une autre classe de facteurs psychologiques, tattwa-vibhâga. Le psychique appartient à une certaine classification - supramental, mental, vie, psychique, physique - qui inclut à la fois la nature intérieure et la nature extérieure. Par appartient à une tout autre classification ou catégorie - bouddhi, manas, chitta, prâna, etc. - qui est celle de la psychologie indienne ordinaire; celle-ci concerne seulement la psychologie de l'être extérieur. Dans cette classification, seules les principales fonctions de notre conscience extérieure sont coordonnées et mises à leur place par les penseurs indiens: Par est l'une de ces fonctions principales de la conscience extérieure, et par conséquent pour la connaître, nous n'avons pas besoin d'aller derrière la nature extérieure. (Note de Sri Aurobindo)

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également à notre enseignement, selon lequel c'est cela qui part et revient, reliant une nouvelle vie à la précédente. Nous disons aussi que le psychique est la parcelle divine en nous; de même, le Pourousha dans le cœur est décrit quelque part comme l'îshwara de la nature individuelle.

Le mot âme est utilisé très vaguement en anglais, car il désigne souvent l'ensemble de la conscience non physique, y compris même le vital avec ses désirs et ses passions. C'est pourquoi l'expression être psychique a dû être utilisée pour distinguer cette parcelle divine des parties instrumentales de la nature.  

 

 

Apparemment, X supposait que par l'expression "être psychique", je désignais l'ego illuminé. Mais les gens ne comprennent pas ce que je veux dire par être psychique, parce que le mot psychique a été utilisé en anglais pour désigner n'importe quoi dans le mental intérieur, le vital intérieur ou le physique intérieur, ou tout ce qui est anormal, ou occulte, ou même les mouvements plus subtils de l'être extérieur, tout cela mélangé: les phénomènes occultes sont souvent qualifiés de psychiques. On ne sait pas distinguer ces différentes parties de l'être. Même en Inde, l'ancienne connaissance des Oupanishad qui faisait cette distinction s'est perdue. Le Jivâtman, l'être psychique (Pourousha Antarâtman), le Manomaya Pourousha, le Prânamaya Pourousha, tout cela est confondu.

 

 

Je ne sais pas ce que signifie exactement cette expression - elle est trop vague et limitée pour être une définition du psychique. Antah-karana signifie habituellement le mental et le vital par opposition au corps, le corps étant l'instrument extérieur et manah-prâna l'instrument intérieur de l'âme. Par psychique, je désigne autre chose qu'un mental et un vital purifiés. Un mental et un vital purifiés sont le résultat de

 

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l'action de l'être psychique éveillé et libéré, mais ne constituent pas eux-mêmes le psychique.

De même, cela dépend de ce qu'on entend par ahambhâva. Mais le psychique n'est pas un bhâva. C'est un Pourousha. Ahambhâva est une formation de Prakriti, ce n'est pas un être ou un Pourousha. Ahambhâva peut disparaître, et cependant le Pourousha sera là.

J'appelle être psychique libéré celui qui n'est plus obligé de s'exprimer de derrière le voile, dans les conditions imposées par les instruments obscurs et ignorants, mais qui est capable de venir en avant, de maîtriser et de transformer l'action du mental, de la vie et du corps.

Si l'on dit peut-être quelquefois que l'être psychique est purifié et rendu parfait, on doit désigner par là l'action psychique dans les instruments du mental, de la vie et du physique. Par être intérieur purifié, on n'entend pas un psychique purifié, mais un être intérieur mental, vital et physique purifié. Les qualificatifs que j'ai utilisés pour le psychique sont "éveillé et libéré".

Individualité spirituelle est un terme plutôt vague qui pourrait être interprété de différentes façons. J'ai écrit, à propos de l'être psychique, que le psychique est l'âme ou étincelle du Feu divin qui soutient l'évolution individuelle sur terre, et que l'être psychique est l'âme dont la conscience se développe, ou plutôt dont la manifestation devient de plus en plus consciente de vie en vie, et dont le mental, le vital et le corps sont les instruments, jusqu'à ce que tout soit prêt pour l'union avec le Divin. Je ne vois pas ce que je peux ajouter à cela.

 

Pourousha en Prakriti est le Kshara Pourousha; en arrière de lui se tient l'Akshara Pourousha.

Le sentiment de l'ego et le Pourousha sont deux choses entièrement différentes: le sentiment de l'ego est un mécanisme de Prakriti, le Pourousha est l'être conscient.

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L'être psychique évolue, il n'est donc pas l'immuable.

L'être psychique, en particulier, est l'âme de l'individu qui élabore, dans la manifestation, la Prakriti individuelle et qui prend part à l'évolution. C'est cette étincelle du Feu divin qui croît derrière le mental, le vital et le physique sous forme d'être psychique, jusqu'à ce que celui-ci soit capable de transformer la Prakriti de l'Ignorance en une Prakriti de connaissance. Ce n'est pas dans la Guîtâ, mais nous ne pouvons pas limiter notre connaissance aux points qui sont dans la Guîtâ.  

 

 

Non, le moi intuitif est tout à fait différent - ou plutôt la conscience intuitive qui est quelque part au-dessus du mental. Le psychique se tient derrière l'être; une dévotion simple et sincère au Divin, un sentiment immédiat et sincère de ce qui est juste et aide à parvenir à la Vérité et au Divin, un recul instinctif devant tout ce qui s'y oppose sont ses caractéristiques les plus visibles.

 

Il faut faire une distinction41 entre l'âme dans son essence et l'être psychique. À l'arrière-plan, chacun a une âme qui est l'étincelle du Divin; nul ne pourrait exister sans elle. Mais il est tout à fait possible qu'un être vital et physique soit soutenu par l'essence d'une âme, sans qu'il ait derrière lui un être psychique clairement évolué.

Il existe, en fait, un être intérieur composé du mental intérieur, du vital intérieur, du physique intérieur, mais ce n'est pas l'être psychique. Le psychique est l'être le plus intérieur de tous, tout à fait distinct de ceux-là. Le mot psychique est utilisé en anglais pour qualifier tout ce qui est

 

41. Cette lettre a été révisée par Sri Aurobindo à deux reprises. Comme les deux versions diffèrent sensiblement par endroits, nous les publions toutes les deux.

 

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différent du mental extérieur, de la vie et du corps ou plus profond qu'eux; parfois il désigne tout ce qui est occulte ou supraphysique; mais cet usage introduit la confusion et l'erreur et nous devons l'écarter presque entièrement.

L'être psychique est voilé par les mouvements de surface; il s'exprime de son mieux au moyen des trois instruments extérieurs qui sont régis davantage par les forces extérieures que par l'être intérieur ou l'entité psychique. Mais cela ne signifie pas qu'ils soient entièrement coupés de l'âme. L'âme est dans le corps de la même manière que le mental ou le vital; mais le corps n'est pas seulement ce corps physique grossier, il est aussi le corps subtil. Quand le corps grossier tombe, les enveloppes vitale et mentale du corps subsistent en tant que véhicules de l'âme jusqu'à ce qu'elles aussi se dissolvent.

L'âme d'une plante ou d'un animal n'est pas latente: simplement, ses moyens d'expression sont moins développés que ceux d'un être humain. Il y a beaucoup de psychique dans un plante, beaucoup de psychique dans l'animal. Dans la forme de la plante, seuls les éléments physico-vitaux sont évolués; la conscience, derrière la forme de la plante, ne dispose pas d'une mentalité développée ou organisée pour s'exprimer. L'animal fait un pas de plus; il a un mental vital et peut, dans une certaine mesure, s'exprimer, mais sa conscience est limitée, sa mentalité est limitée, ses expériences sont limitées; en outre l'essence psychique projette, pour se représenter, une conscience et une expérience moins développées qu'elle ne peut le faire en l'homme. Malgré tout, les animaux ont une âme et répondent très volontiers au psychique en l'homme.

Le "fantôme" d'un homme n'est évidemment pas son âme. C'est soit l'homme qui apparaît dans son corps vital, soit un fragment de sa structure vitale dont une force ou un être du monde vital se saisit à ses propres fins. Car normalement, après la dissolution du corps physique, l'être vital et sa personnalité ne subsistent que quelque temps; ensuite, l'être vital passe dans le plan vital où il demeure jusqu'à ce que l'enveloppe vitale soit dissoute. Puis on passe dans l'enveloppe  

 

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mentale vers un monde mental; mais finalement l'âme quitte aussi son enveloppe mentale et va vers son lieu de repos. Si le mental est fortement développé l'être mental peut subsister; de même pour un vital fortement développé, à condition qu'ils soient organisés et groupés autour du véritable être psychique; ils peuvent alors partager l'immortalité du psychique. Mais ordinairement cela n'arrive pas; il y a une dissolution des parties mentales et vitales comme des parties physiques et l'âme, en renaissant, revêt un nouveau mental, une nouvelle vie et un nouveau corps, et non, comme on le suppose souvent, une réplique de son ancienne nature. Une telle répétition n'aurait ni sens ni utilité et irait à rencontre des fins de la renaissance, dont le but est un progrès de la nature par l'expérience, une croissance de l'âme évoluant dans la nature vers la découverte de soi. En même temps, l'âme conserve l'empreinte de ce qui était essentiel dans ses vies et ses personnalités passées; la nouvelle vie et la nouvelle personnalité sont un équilibre entre ce passé et les besoins de l'âme pour l'avenir.

P.S. Dans certains cas, l'être extérieur renaît rapidement en conservant l'ancienne personnalité et même le souvenir de sa vie passée, mais cela est exceptionnel et se produit habituellement lorsqu'une mort prématurée entraîne un sentiment d'insatisfaction et une forte volonté du vital de continuer son expérience inachevée.  

 

 

Il faut faire une distinction entre l'âme dans son essence et l'être psychique. À l'arrière-plan, chacun a une âme qui est l'étincelle du Divin - nul ne pourrait exister sans elle. Mais il est tout à fait possible qu'un être vital et physique existe sans avoir, derrière lui, un être psychique clairement évolué. Et pourtant on ne peut pas affirmer d'une manière générale que les hommes primitifs n'ont pas d'âme ou que leur âme ne se montre nulle part.

L'être intérieur se compose du mental intérieur, du vital

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intérieur, du physique intérieur - mais ce n'est pas l'être psychique. Le psychique est l'être le plus intérieur, tout à fait distinct de ceux-là. En réalité, le mot psychique est utilisé en anglais pour qualifier tout ce qui est différent ou plus profond que le mental, la vie et le corps extérieurs, tout ce qui est occulte ou supraphysique; mais cet usage est une source de confusion et d'erreur et nous l'écartons entièrement lorsque nous parlons ou écrivons au sujet du yoga. Dans le langage ordinaire, nous pouvons parfois utiliser le mot "psychique" au sens large et courant; ou en poésie, où la précision intellectuelle n'est pas de rigueur, nous pouvons quelquefois parler de l'âme au sens ordinaire et plus extérieur, ou dans le sens d'une vraie psyché.

L'être psychique est voilé par les mouvements de surface et s'exprime de son mieux à travers les instruments extérieurs qui sont régis davantage par les forces extérieures que par les influences intérieures du psychique. Mais cela ne signifie pas qu'ils soient entièrement coupés de l'âme. L'âme est dans le corps de la même manière que le mental ou le vital; mais le corps qu'elle habite n'est pas seulement ce corps physique grossier, c'est aussi le corps subtil. Quand l'enveloppe grossière tombe, les enveloppes vitale et mentale du corps subsistent en tant que véhicules de l'âme jusqu'à ce qu'elles aussi se dissolvent.

L'âme d'une plante ou d'un animal n'est pas complètement latente: simplement, ses moyens d'expression sont moins développés que ceux d'un être humain. Il y a beaucoup de psychique dans une plante, beaucoup de psychique dans l'animal. Dans la forme de la plante, seul le vital-physique est évolué, donc elle ne peut pas s'exprimer; l'animal a un mental vital et le peut, mais sa conscience est limitée et ses expériences sont limitées, aussi la conscience et l'expérience de l'essence psychique sont-elles moins développées que dans l'homme ou du moins que ce n'est possible dans l'homme. Tout de même, les animaux ont une âme et répondent très volontiers au psychique en l'homme.

Le fantôme n'est évidemment pas l'âme. C'est soit l'homme

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apparaissant dans son corps vital, soit un fragment de son vital dont s'empare une force ou un être vital. La partie vitale en nous persiste normalement pendant quelque temps après la dissolution du corps et passe dans le plan vital où elle demeure jusqu'à ce que l'enveloppe vitale se dissolve. Ensuite elle passe, si elle est mentalement évoluée, dans l'enveloppe mentale vers un monde mental et, finalement, le psychique quitte aussi son enveloppe mentale et va à son lieu de repos. Si le mental est fortement développé, la partie mentale en nous peut rester et il en est de même du vital, à condition qu'ils soient organisés par l'être psychique véritable et groupés autour de lui - car ils partagent alors l'immortalité du psychique. Autrement, le psychique attire en lui le mental et la vie et entre dans une quiétude internatale.

 

 

Dans un vampire, il n'y a pas de psychique, car le vampire est un être vital - mais dans chaque humain, même dominé par un être vital ou une force vampirique, il y a un psychique voilé derrière tout le reste.  

 

L'âme est décrite comme une étincelle du Feu divin dans la vie et la matière, c'est une image. Elle n'a pas été décrite comme une étincelle de conscience.

Il y a une conscience mentale, vitale, physique-différente du psychique. L'être psychique et la conscience ne sont pas la même chose.

Quand l'âme ou "étincelle du Feu divin" commence à élaborer une individualité psychique, cette individualité psychique est appelée l'être psychique.

L'âme ou étincelle est là avant que ne se développent un vital et un mental organisés. L'âme est quelque chose du Divin qui descend dans l'évolution en tant que Principe divin, afin de soutenir en elle l'évolution de l'individu sortant de

 

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l'Ignorance pour entrer dans la Lumière. Elle élabore, au cours de l'évolution, un individu psychique ou individualité d'âme qui croît de vie en vie, utilisant le mental, le vital et le corps en évolution comme ses instruments. C'est l'âme qui est immortelle, alors que le reste se désintègre; elle passe de vie en vie, transportant l'essence de son expérience et la continuité de l'évolution de l'individu.

C'est toute la conscience - mentale, vitale et aussi physique - qui doit s'élever et rejoindre la conscience supérieure et, une fois que la jonction est faite, la conscience supérieure doit descendre en eux. Le psychique est derrière tout cela et le soutient.

 

 

Le Supramental est la Conscience-de-Vérité; au-dessous intervient le Surmental dont le principe consiste à recevoir les pouvoirs du Divin et à essayer de les mettre en œuvre séparément, chacun agissant de son propre chef et travaillant à réaliser un monde à lui ou, s'il doit agir avec d'autres, à imposer le plus possible son propre principe. Les âmes qui descendent dans le Surmental agissent de même. Le principe de l'Individualité vient de là. Encore consciente tout d'abord de son origine divine, l'âme s'en sépare à mesure qu'elle descend et l'oublie de plus en plus, étant dirigée par le principe de la division et de l'ego. Car le Mental est beaucoup plus éloigné encore de la Vérité que le Surmental, la Nature vitale est absorbée dans la réalisation de forces ignorantes, alors que dans la Matière tout cela entre dans ce qui semble une Inconscience originelle. C'est la Maya du Surmental qui gouverne ce monde, mais dans la Matière elle s'est épaissie en une Inconscience d'où la conscience ressort pour monter de nouveau et faire descendre dans la Matière la vie et le mental, ouvrir le mental à de plus hauts sommets - qui gardent encore un contact plus ou moins direct avec la Vérité (intuition, surmental, supramental).

 

 

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Les âmes formées n'entrent que dans des organismes formés - dans le protoplasme, etc., seule l'étincelle du Divin est là, non l'âme formée.

 

 

Le psychique est l'étincelle du Divin involuée ici-bas dans l'existence individuelle. Il croît et évolue pour devenir l'être psychique; il est donc évident qu'il ne peut pas posséder déjà les pouvoirs du Divin. Mais sa présence permet à l'individu de s'ouvrir au Divin et de croître vers la Conscience divine et, quand il agit, c'est toujours dans le sens de la Lumière et de la Vérité et avec un élan qui porte vers le Divin.

 

 

C'est la fonction du psychique - il doit travailler sur chaque plan, afin d'aider chacun à s'éveiller à la vraie vérité et à la Réalité divine.

 

 

Toutes les âmes ne sont pas évoluées ni actives; elles ne sont pas non plus toutes tournées directement vers le Divin avant la pratique du yoga. Pendant longtemps, l'âme ne cherche pas le Divin directement mais plutôt à travers les hommes et les choses.

 

 

Il semble que vous n'avez pas du tout compris ma réponse. Dans la conscience ordinaire, où le mental et le reste ne sont pas éveillés, le psychique agit de son mieux à travers eux, mais selon les lois de l'Ignorance.  

 

 

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Tout appartient à la Nature - l'âme elle-même agit selon les conditions de la Nature et par son intermédiaire.  

 

 

L'âme est toujours pure, mais la connaissance et la force qui sont en elle sont involuées et sortent seulement à mesure que le psychique évolue et se fortifie.

 

 

L'être psychique est l'âme qui évolue au cours des naissances et des renaissances, et l'âme est une parcelle du Divin - mais avec l'âme il y a toujours le Divin voilé, Hrishikesha.42

 

Le Divin est toujours dans le cœur intérieur et ne le quitte pas.  

 

Il [le psychique] est constamment en contact avec le Divin immanent, le Divin secret dans l'individu.  

 

 

Ce sont [l'être psychique et la Présence divine dans le cœur] deux choses très différentes. L'être psychique est l'être d'âme de chaque individu. Ce n'est pas le Divin, bien qu'il soit venu du Divin et évolue vers le Divin.  

 

C'est le psychique qui est en relation directe avec le Divin transcendant et élève la nature vers le Suprême.  

 

 

42. Le Seigneur des sens (l'un des noms de Krishna).

 

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Le psychique est le support de l'évolution individuelle; il est relié à l'universel à la fois par contact direct et par l'intermédiaire du mental, du vital et du corps.

 

 

 

Voici ce que l'être psychique apporte à la sâdhanâ: l)l'amour et la bhakti ; un amour qui n'est pas vital, qui n'est pas exigeant ni égoïste, qui ne pose aucune condition, qui ne réclame rien, qui existe en soi; 2) le contact ou la présence de la Mère au-dedans; 3) des indications intérieures infaillibles; 4) un apaisement et une purification de la conscience mentale, vitale et physique par leur soumission à l'influence et à la direction psychiques; 5) l'ouverture de toute cette conscience inférieure à la conscience spirituelle supérieure au-dessus pour qu'elle descende dans une nature préparée à la recevoir avec une complète réceptivité et une attitude juste; car le psychique apporte en toutes choses une pensée juste, une perception juste, un sentiment juste, une attitude juste.

On peut faire monter sa conscience à partir du mental et du vital et faire descendre le pouvoir, l'Ânanda, la lumière, la connaissance d'en haut; mais c'est beaucoup plus difficile et le résultat est incertain, et c'est même dangereux si l'être n'est pas préparé ou pas assez pur. S'élever avec le psychique est de loin la meilleure méthode d'ascension. Si vous vous élevez ainsi à partir du centre psychique, c'est bien.

Ce que vous dites indique que les centres psychique et mental sont en communication et, à travers, eux, vous pouvez faire descendre ce qui vient de la conscience supérieure. Mais vous vous situez encore dans le centre de la tête et non dans le centre au-dessus de la tête ou dans l'immensité au-dessus de la tête. Cela vient habituellement par une ascension progressive des parties conscientes vers le sommet de la tête et ensuite au-dessus. Mais il ne faut ni tirer ni forcer dans ce sens; cela viendra de soi-même.

 

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L'être psychique est l'âme, le Pourousha dans le cœur secret soutenant par sa présence l'action du mental, de la vie et du corps. Le vital est le prânamaya pourousha dont parle la Taïttiriya Oupanishad, l'être derrière la Force de Vie; sous sa forme extérieure, dans l'Ignorance, il engendre l'âme de désir qui gouverne la plupart des hommes, et qu'ils prennent souvent à tort pour l'âme véritable.

L'Âtman est le Moi ou Esprit qui demeure au-dessus, pur et sans tache, non affecté par les souillures de la vie, par le désir, par l'ego, par l'ignorance. Il est réalisé comme l'être vrai de l'individu, mais aussi, plus largement, comme le même être en tous et comme le Moi dans le cosmos; il a aussi son existence propre au-dessus de l'individu et du cosmos et est alors appelé le Paramâtma, l'Être divin suprême. Cette distinction n'a rien à voir avec la distinction entre psychique et vital: l'être vital n'est pas ce qui est appelé l'Âtman.

Le vital, en tant qu'âme de désir et nature de désir, domine dans une large mesure la conscience chez la plupart des hommes, parce que les hommes sont gouvernés par le désir. Mais même dans la nature humaine de surface, le vrai souverain de la conscience est l'être mental, manomayah pouroushah, prâna-sharîra-nétâ de l'Oupanishad. Le psychique influence la conscience par derrière, mais il faut sortir de la conscience ordinaire et entrer dans l'être le plus intérieur pour le trouver et en faire le souverain de la conscience qu'il devrait être. C'est l'un des buts principaux du yoga. Le vital doit être un instrument de la conscience, non son souverain.

L'être vital n'est pas le "je"; l'ego est mental, vital, physique. L'ego suppose l'identification de notre existence au moi extérieur, l'ignorance de notre vrai moi au-dessus et de notre être psychique au-dedans.

Dans un certain sens, les différents Pourousha ou êtres en nous: psychique, mental, vital, physique, sont des projections de l'Âtman, mais cela ne prend sa pleine vérité que lorsque nous pénétrons dans notre être intérieur et connaissons notre propre vérité intérieure. À la surface, dans l'Ignorance, c'est la Prakriti mentale, vitale et physique qui agit et le Pourousha

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est en quelque sorte défiguré dans l'action de la Prakriti. Nous ne sommes pas même conscients de notre être mental vrai, de notre être vital vrai, de notre être physique vrai; ceux-ci restent derrière, voilés et silencieux. C'est l'ego mental, vital et physique que nous prenons pour notre être, jusqu'à ce que nous ayons la connaissance.  

 

L'âme et la vie sont deux pouvoirs tout à fait différents. L'âme est une étincelle de l'Esprit divin qui soutient la nature individuelle; le mental, la vie, le corps, sont des instruments pour la manifestation de la nature. Chez la plupart des hommes, l'âme est cachée et recouverte par l'action de la nature extérieure; les hommes confondent l'être vital et l'âme, parce que c'est le vital qui anime et fait mouvoir le corps. Mais cet être vital est une chose faite de désirs et de forces exécutrices, bonnes et mauvaises; c'est l'âme de désir, non l'âme véritable. Lorsque l'âme vraie (psyché) vient en avant et commence, d'abord à influencer, puis à gouverner les actions de la nature instrumentale, l'homme commence à surmonter le désir vital et à croître vers une nature divine.43

 

 

1. L'âme et l'être psychique sont pratiquement la même chose, à cette différence près que même dans les choses qui n'ont pas élaboré un être psychique, il y a pourtant une étincelle du Divin qu'on peut appeler âme. En sanskrit l'être psychique est appelé Pourousha dans le cœur, ou Chaïtya Pourousha. (L'être psychique est l'âme qui se développe dans l'évolution.)

2. La distinction entre Pourousha et Prakriti appartient au système du Sâmkhya;44 le Pourousha est la conscience du

 

43. Nouvelles Lumières sur le Yoga, chapitre 2.

44. Analyse, énumération et discrimination des principes de notre être; réalisation abstraite et analytique de la vérité.

 

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témoin silencieux qui observe les actions de Prakriti, Prakriti est la force de la Nature que l'on sent accomplir toutes les actions dès que l'on se débarrasse du sentiment que c'est l'ego qui les accomplit. Alors on réalise ces deux entités. Cette réalisation est très différente de celle de l'être psychique. On la sent dans le mental, le vital, le physique - plus facilement dans le mental où l'être mental (Pourousha) est établi et gouverne les autres (manomayah pourousah, prâna-sharîra-nétâ).

3. Prâjna, Taïdjasa, etc. correspondent à une classification différente et concernent, non des parties différentes de l'être, mais trois états différents (éveil, rêve, sommeil - grossier, subtil, causal).

Je pense qu'il ne faut pas essayer de relier ces différentes choses entre elles, car cela peut créer une confusion. Elles appartiennent à des catégories différentes et à un ordre différent d'expériences.

 

L'être mental au-dedans surveille, observe et juge tout ce qui se passe en nous. Le psychique ne surveille pas et n'observe pas de la sorte, comme un témoin, mais il sent et il sait spontanément d'une manière beaucoup plus directe et plus lumineuse, par la pureté même de sa propre nature et par l'instinct divin qui est en lui, et ainsi, dès qu'il passe au premier plan, il révèle immédiatement les mouvements justes et les mouvements faux dans notre nature.

L'être humain est composé des éléments suivants: en arrière, le psychique qui soutient tout; puis le mental, le vital et le physique internes; et à l'extérieur, l'instrument par lequel ceux-ci s'expriment: la nature tout à fait extérieure du mental, de la vie et du corps. Mais au-dessus de tous ces éléments, se tient l'être central (jîvâtman) qui les utilise tous pour se manifester - c'est une parcelle du Moi divin; or, cette réalité de lui-même reste cachée à l'homme extérieur qui remplace cette âme ou moi profond par l'ego mental et vital. Seuls ceux qui ont commencé à se connaître eux-mêmes,

 

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prennent conscience de leur être central véritable, et pourtant il est toujours là, présent derrière l'action du mental, de la vie et du corps, et c'est le psychique qui le représente le plus directement car il est lui-même une étincelle du Divin. C'est par la croissance de l'élément psychique dans notre nature que nous commençons à entrer consciemment en contact avec notre être central au-dessus. Quand ce contact se produit et que l'être central fait usage d'une volonté consciente pour contrôler et organiser les mouvements de la nature, alors on possède une maîtrise de soi réelle, spirituelle, au lieu d'une maîtrise partielle, purement mentale ou morale.45

 

 

L'être mental dont parlent les Oupanishad n'est pas une partie de l'ensemble physique-nerveux-mental. C'est le manomayah pouroushah prâna-sharîra-nétâ, l'être mental qui conduit la vie et le corps. Il ne pourrait pas être décrit ainsi s'il était une partie de l'ensemble. Ni l'ensemble, ni une de ses parties ne peuvent non plus être le Pourousha - car l'ensemble est un composé de Prakriti. Il est décrit comme manomayah dans les Oupanishad parce que l'être psychique est derrière le voile et que l'homme, étant l'être mental dans la vie et le corps, vit dans son mental et non dans son psychique, donc pour lui le manomaya pourousha guide la vie et le corps; du psychique caché soutenant l'ensemble, il n'est pas conscient ou il n'est que faiblement conscient à ses meilleurs moments. Le psychique est représenté dans l'homme par le premier ministre, manomaya, le psychique lui-même étant un roi constitutionnel débonnaire; c'est au manomaya que la Prakriti en réfère pour qu'il donne son assentiment à ses actions. Cependant, le texte des Oupanishad ne donne que la vérité apparente de la question, valable seulement pour l'homme et le stade humain - car dans l'animal ce serait plutôt le prânamaya pourousha qui serait le nétâ, le guide du mental et du corps. C'est une des raisons pour lesquelles je n'ai pas encore autorisé la publication 

 

45. Lumières sur le Yoga, chapitre 2. Traduction de la Mère.

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de "Renaissance et Karma",46 parce que ceci devait être corrigé et remplacé par cette vérité plus profonde. J'avais l'intention de le faire plus tard, mais je n'ai pas eu le temps de finir les articles manquants.  

 

L'incohérence "tragi-ridicule" dont vous pariez vient du fait que l'homme n'est pas fait d'une seule pièce, mais de nombreux morceaux, et que chacune de ses parties a sa personnalité propre. Les gens ne s'en sont pas encore suffisamment rendus compte; les psychologues ont commencé à l'entrevoir, mais ne le reconnaissent que lorsque se présente un cas prononcé de double ou de multiple personnalité. En réalité, tous les hommes sont ainsi. Dans le yoga, le but doit être de faire croître (si on ne l'a pas déjà) un être central vigoureux, et d'harmoniser tout le reste sous son influence, en changeant ce qui doit être changé. Si cet être central est le psychique, il n'y a pas de grande difficulté. Si c'est l'être mental, manomayah pouroushah prâna-sharîra-nétâ, alors c'est plus difficile - à moins que l'être mental n'apprenne à rester toujours en contact avec la Volonté et le Pouvoir plus grands du Divin et à recevoir leur aide.  

 

 

Je ne comprends pas la question telle qu'elle est posée. Chaque partie doit être tenue séparée des autres et faire son propre travail, et chacune doit recevoir la Vérité du psychique ou d'au-dessus. La Vérité qui descend d'en haut harmonisera de plus en plus leur action, bien que la parfaite harmonie ne puisse venir qu'avec la réalisation supramentale.  

 

46. Série incomplète d'articles publiés dans puisse, de façon intermittente, de 1915 à 1921 (Édition du Centenaire, volume XVI, pp. 77 à 222).

 

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Ce que vous ressentez est le premier état de la conscience yoguique et de la connaissance de soi. Le mental ordinaire ne se connaît que comme un ego, tous les mouvements de la nature étant pêle-mêle; il s'identifie à ces mouvements et pense: "Je fais ceci, je ressens cela, je pense, je suis joyeux, je suis malheureux, etc." La vraie connaissance de soi commence à apparaître quand vous vous sentez séparé de la nature en vous et de ses mouvements et quand vous voyez que votre être contient de nombreuses parties, de nombreuses personnalités, chacune agissant pour son propre compte et à sa propre manière. Les deux êtres différents que vous sentez sont l'un, l'être psychique qui vous attire vers la Mère, l'autre l'être extérieur, principalement vital, qui vous attire au-dehors et vers le bas, vers le jeu de la nature inférieure. Il y a aussi en vous, derrière le mental, l'être qui observe, le Pourousha témoin, qui peut rester détaché du jeu de la nature, l'observer et choisir. Il doit se mettre toujours du côté de l'être psychique, consentir à son mouvement et le soutenir, et rejeter le mouvement, dirigé vers l'extérieur et vers le bas, de la nature inférieure qui doit être soumise au psychique et transformée par son influence.  

 

 

La leçon à tirer de l'état que vous décrivez n'est pas que vous ne devez pas faire le yoga, mais que vous devez continuer fermement à réparer la déchirure qui sépare les deux parties de l'être. Cette division est très fréquente, presque universelle dans la nature humaine, et il arrive presque à tout le monde de suivre l'impulsion inférieure en dépit de la volonté contraire des parties supérieures. C'est le phénomène que note Ardjouna dans sa question à Krishna: "Pourquoi fait-on le mal tout en souhaitant ne pas le faire, comme si on y était contraint par force?" et qu'exprime la sentence d'Horace: "vidéo meliora proboque, détériora sequor".47 Par une aspiration et un effort constants, on peut parvenir à un tournant où le psychique

 

47. "Je vois le mieux et l'approuve, tout en suivant le pire."

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s'affirme, et ce qui semble un très léger renversement psychologique modifie tout l'équilibre de la nature.  

 

 

Vous considérez la conscience extérieure éveillée comme la personne ou l'être véritable, et vous en concluez que si ce n'est pas cela qui a la réalisation ou s'y fixe, mais quelque chose d'autre, alors personne ne l'a - car personne n'existe ici hormis cette conscience éveillée. C'est précisément à cause de cette erreur que l'ignorance persiste et qu'on ne peut pas s'en débarrasser. Le tout premier pas pour sortir de l'ignorance est d'accepter le fait que cette conscience extérieure n'est pas votre âme, pas vous-même, pas la vraie personne, mais uniquement une formation temporaire à la surface qui existe pour les besoins du jeu de la surface. L'âme, la personne est au-dedans, non à la surface; la personnalité extérieure est la personne uniquement au sens premier du mot latin persona qui, à l'origine, signifiait masque.

 

Le psychique a la position dont vous parlez, parce qu'il est en contact avec le Divin dans la nature inférieure. Mais le mental, le vital et le physique intérieurs font partie de l'universel et sont ouverts aux dualités - seulement ils sont plus vastes que le mental extérieur, la vie et le corps, et peuvent recevoir plus largement et plus facilement l'influence divine.48

 

Le mot réalise est utilisé très vaguement, comme le mot âme en anglais; employé ainsi, il englobe tout l'être intérieur, mental intérieur, vital intérieur, physique intérieur même, ainsi que l'être le plus profond, le psychique.  

 

48. Nouvelles Lumières sur le Yoga, chapitre 2.

 

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Le mental européen, en général, n'a jamais été capable de dépasser la formule âme + corps - où habituellement le mental est inclus dans l'âme, et tout sauf le corps est inclus dans le mental. Certains occultistes font une distinction entre l'esprit, l'âme et le corps. En même temps, il doit y avoir, un sentiment vague que l'âme et le mental ne sont pas tout à fait la même chose, puisque l'on entend dire: "Cet homme n'a pas d'âme", ou: "C'est une âme", ce qui signifierait qu'il y a quelque chose en lui en plus du mental et du corps. Mais tout cela est très vague. La distinction entre le mental et l'âme n'est pas claire, il n'y en a aucune entre le mental et le vital, et souvent le vital est pris pour l'âme.  

 

Mais c'est justement cela49 qui est controversé par le mental scientifique occidental ou qui l'était encore hier, et qui est considéré encore aujourd'hui comme invérifiable. On soutient que l'idée du moi est une illusion - en dehors du corps. Ce sont les expériences du corps qui créent l'idée d'un moi et le désir de vivre trouve un prolongement illusoire dans la notion d'un moi qui survit au corps. L'Occident est en outre accoutumé à l'idée chrétienne d'un moi créé en même temps que le corps - idée que les chrétiens ont reprise des juifs, qui croient en Dieu, mais non en l'immortalité; le mental occidental est donc obstinément opposé à toute idée de réincarnation. Même les esprits religieux pensaient que l'âme naissait dans le corps, Dieu façonnant d'abord le corps, puis y insufflant l'âme (Prâna?). Il est difficile pour les Européens de se défaire de cet héritage mental du passé.

 

Les Oupanishad décrivent l'être psychique comme n'étant pas plus grand que le pouce d'un homme! C'est évidemment

 

49. La croyance que le corps est une résidence temporaire du moi pour une seule vie.

 

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une image symbolique. Car habituellement quand on voit l'être psychique de quelqu'un sous une forme, il est plus grand que cela. Quant à l'être intérieur, on sent qu'il est grand parce que l'être mental vrai ou l'être vital vrai ou même l'être physique vrai a une conscience beaucoup plus vaste que la conscience extérieure qui est limitée par le corps. Quand les parties extérieures semblent occuper toute la conscience, c'est que l'on descend dans le physique et que l'on sent toutes les activités de la Nature agir sur elle-même les mouvements mentaux et vitaux sont alors ressentis à travers le physique et comme appartenant à un plan séparé. Mais quand on vit dans l'être intérieur, on perçoit une conscience qui commence à s'étendre dans l'universel, et le mouvement extérieur n'est qu'un mouvement projeté à la surface par les forces universelles.  

 

Oui, l'être psychique a une forme. Mais cela n'apparaît pas sur la photographie; car le psychique n'a pas toujours, ou pas habituellement, une forme qui ressemble de près à celle du corps physique, il est même parfois très différent. Quand nous regardons la photographie, ce que nous voyons n'est pas une forme, mais quelque chose de la conscience qui est exprimé par le corps, ou transparaît d'une manière ou d'une autre; on le perçoit ou on le sent à travers la photographie.  

 

 

L'âme n'est limitée par aucune forme, mais l'être psychique émane une forme pour s'exprimer, tout comme les Pourousha du mental, du vital et du physique subtil: c'est-à-dire qu'on peut voir son propre être psychique sous telle ou telle forme, ou quelqu'un d'autre peut le voir. Mais cette vision est de deux sortes: il y a la forme caractéristique stable prise par cet être-ci dans cette vie-ci, et il y a des formes symboliques, comme lorsqu'on voit le psychique sous l'apparence d'un nouveau-né sur les genoux de la Mère.

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Si le sâdhak en question a vraiment vu son psychique sous la forme d'une femme, ce ne pouvait être qu'une apparence construite pour exprimer une qualité ou un attribut du psychique.  

VI

 

Il y a toujours deux consciences différentes dans l'être humain, l'une extérieure dans laquelle il vit ordinairement, l'autre intérieure et cachée dont il ne sait rien. Quand on fait la sâdhanâ, la conscience intérieure commence à s'ouvrir et on devient capable d'aller au-dedans et d'y avoir toutes sortes d'expériences. À mesure que la sâdhanâ progresse, on commence à vivre de plus en plus dans cet être intérieur et l'être extérieur devient de plus en plus superficiel. Au début, la conscience intérieure semble être le rêve et la conscience extérieure la réalité de veille. Ensuite la conscience intérieure devient la réalité et beaucoup de sâdhak ressentent la conscience extérieure comme un rêve ou une illusion trompeuse, ou encore comme quelque chose de superficiel et d'extérieur. La conscience intérieure commence à être un lieu de paix profonde, de lumière, de bonheur, d'amour, d'intimité avec le Divin ou la présence du Divin, avec la Mère. On perçoit alors deux consciences, l'une intérieure, l'autre extérieure qui doit être changée en homologue et instrument de la première - celle-ci aussi doit s'emplir de paix, de lumière, d'union avec le Divin. En ce moment, vous allez de l'une à l'autre et tous les sentiments que vous éprouvez pendant cette période sont tout à fait naturels. Vous ne devez pas vous en inquiéter du tout, mais attendre le plein développement de la conscience intérieure dans laquelle vous serez capable de vivre.  

 

 

Par être intérieur, je n'entendais pas l'être psychique ou l'être le plus profond. C'est l'être psychique qui ressent l'amour, la

 

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bhakti et l'union avec la Mère. Je parlais du mental intérieur, du vital intérieur, du physique intérieur; afin d'atteindre le siège caché du psychique, on doit d'abord passer par là. Quand on quitte la conscience extérieure pour aller au-dedans, on entre là. Certains sâdhak - la plupart - pénètrent d'abord dans le vital intérieur, d'autres dans le mental intérieur ou le physique intérieur; le vital émotionnel est la route la plus directe, car le siège du psychique est juste derrière l'émotionnel dans le centre du cœur. Il est absolument nécessaire pour atteindre le but de devenir conscient dans ces régions intérieures, car si elles ne sont pas éveillées, l'être psychique ne possède pas les instruments appropriés et suffisants pour ses activités; il n'a alors comme moyens d'action que le mental extérieur, le vital extérieur et le corps, et ceux-ci sont trop petits, trop étriqués et obscurs. Jusqu'à présent, vous n'avez pu entrer que dans la périphérie du vital intérieur et vous y êtes encore insuffisamment conscient. En y devenant plus conscient et en pénétrant plus profondément, on peut atteindre le psychique - le refuge sûr, nirâpada sthâna, dont vous parlez; alors vous ne serez plus troublé par les visions et les expériences confuses du vital intérieur à sa périphérie.

 

 

Conscience intérieure signifie mental intérieur, vital intérieur, physique intérieur, et derrière eux le psychique qui est leur être le plus profond. Mais le mental intérieur n'est pas le mental supérieur; il est davantage en contact avec les forces universelles et plus ouvert à la conscience supérieure que le mental extérieur ou de surface, et possède un rayon d'action immensément plus profond et plus vaste; mais il est essentiellement de la même nature. La conscience supérieure est celle qui se tient au-dessus du mental ordinaire et en diffère dans son fonctionnement; elle va du mental supérieur, par le mental illuminé, l'intuition et le surmental, jusqu'à la frontière du supramental.

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Si le psychique était libéré, libre d'agir à sa propre manière, tous ces faux pas dans l'Ignorance ne se produiraient pas. Mais le psychique est recouvert par le mental, le vital et le physique ignorants, et il est contraint d'agir à travers eux selon la loi de l'Ignorance. S'il est libéré de cette enveloppe, alors il peut agir selon sa propre nature dans une aspiration libre, un contact direct avec la conscience supérieure et un pouvoir de transformer la nature ignorante.  

 

 

L'être mental, vital ou physique subtil véritable a toujours les plus grandes qualités de son plan il est le Pourousha, et comme le psychique, bien que d'une manière différente, il est la projection du Divin; il est par conséquent en contact avec la conscience supérieure et en reflète quelque chose, bien qu'il ne soit pas vraiment elle; il est aussi en harmonie avec la Vérité cosmique.

 

Derrière toute la nature vitale de l'homme existe, caché et immobile, son être vital véritable, qui est tout à fait différent de la nature vitale superficielle. Le vital de surface est étroit, ignorant, borné, plein d'obscurs désirs, de passions, d'appétits, de révoltes, de plaisirs et de peines, de joies et de douleurs éphémères, d'exultations et de dépressions. L'être vital véritable, au contraire, est large, vaste, calme, fort, sans limitations, ferme et inébranlable, capable de toute puissance, de toute connaissance, de tout Ânanda. En outre, il est sans ego, car il sait qu'il est une projection et un instrument du Divin: il est le Guerrier divin, pur et parfait; en lui, se trouve une Force instrumentale capable de toutes les réalisations divines. C'est l'être vital vrai qui s'est éveillé et est venu au premier plan en vous. De même, il existe aussi un être mental véritable, un être physique véritable. Quand ceux-ci se manifestent, on devient conscient d'une double existence en soi:

 

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l'une profonde, qui est toujours calme et forte, et l'autre, en surface, qui seule est tourmentée et obscure. Mais si l'être véritable en arrière reste stable et que vous vivez en lui, l'agitation et l'obscurité restent uniquement à la surface; dans cet état, les parties extérieures peuvent être maniées avec plus d'efficacité et, elles aussi, rendues libres et parfaites.50  

 

Il [le vital véritable] est capable de recevoir les mouvements de la conscience supérieure, et ensuite il peut être capable de recevoir le pouvoir plus grand encore du supramental et de l'Ânanda. S'il ne l'était pas, la descente de la conscience supérieure serait impossible, et la supramentalisation serait impossible. Cela ne signifie pas que tout cela lui appartienne en propre et qu'aussitôt que l'on devient conscient de son vital véritable, on reçoive tout cela comme si c'était inhérent au vital véritable.  

 

Le vital véritable est dans la conscience intérieure, le vital extérieur est ce qui sert d'instrument au jeu actuel de Prakriti dans la personnalité de surface. Quand vient la transformation, le vital véritable rejette hors du vital extérieur ce qui n'est pas en harmonie avec sa propre vérité et en fait un instrument vrai pour s'exprimer, un moyen d'exprimer sa volonté intérieure, et non quelque chose qui répond aux suggestions de la Nature inférieure. Pratiquement, la distinction très nette entre les deux disparaît.

 

 

Dans la conscience vitale véritable, le vital se donne entièrement, se convertit en un instrument du Divin, n'exige rien, ne cherche à imposer aucun désir, répond à la force de la Mère et

 

50. Lumières sur le Yoga, chapitre 2. Traduction de la Mère.

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à nulle autre; il est calme, sans égoïsme, entièrement loyal et obéissant, sans ambition ni vanité personnelle, ne demande qu'à être un pur et parfait instrument, ne désire rien pour lui-même si ce n'est que la Vérité règne en lui et partout, que la Victoire divine arrive et que l'Œuvre divine soit accomplie.

 

 

Il [le vital illuminé] est en contact avec le Pouvoir divin ou la Vérité supérieure et cherche à se transformer et à devenir un instrument véritable; il rejette les mouvements vitaux ordinaires.

 

Si l'être intérieur ne se manifeste pas ou n'agit pas, l'être extérieur ne sera jamais transformé.  

 

 

La conscience extérieure est celle qui s'exprime habituellement dans la vie ordinaire. C'est le mental, le vital, le physique extérieurs. Elle n'est pas reliée très étroitement avec l'être intérieur, sauf chez quelques-uns, jusqu'au moment où l'on établit le contact entre eux au cours de la sâdhanâ.

 

 

Ils [le mental intérieur et le vital intérieur] exercent une influence et émettent leurs pouvoirs ou leurs suggestions, que le mental et le vital extérieurs tantôt suivent de leur mieux, tantôt ne suivent pas. Le degré de leur action sur les parties extérieures dépend de la mesure dans laquelle l'individu a une vie intérieure. Par exemple, la vie du poète, du musicien, de l'artiste, du penseur est gouvernée en grande partie de l'intérieur; celle des hommes de génie aussi, et de ceux qui essaient de vivre selon un idéal. Mais quantité de gens ont très

 

 

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peu de vie intérieure et sont entièrement dominés par les forces de la Nature.  

 

À mesure que, de vie en vie, on accumule de l'expérience, mentale ou vitale, le mental intérieur et le vital intérieur se développent aussi, selon l'usage que nous faisons de nos expériences et la mesure dans laquelle elles sont utilisées pour la croissance de l'être.

 

 

L'être extérieur n'est qu'un moyen d'expression, il n'est pas le moi. On ne doit pas s'identifier à lui, car il exprime une personnalité formée par la vieille nature ignorante. Si l'on ne s'identifie pas à lui, on peut le transformer, afin d'exprimer la vraie personnalité intérieure de Lumière.

 

 

Ils [le mental, le vital et le corps extérieurs] sont petits, mais ils ne sont pas sans importance malgré leur apparence insignifiante: car ils sont une voie nécessaire de transmission entre l'âme et le monde extérieur.

 

La conscience extérieure est enfermée dans les limites du corps et dans le petit brin de mental et de sens personnels qui dépend du corps - elle ne voit que l'extérieur, que les objets. Mais la conscience intérieure peut voir derrière la chose, elle perçoit le jeu des forces, personnelles ou universelles - car elle est en contact conscient avec l'action universelle.  

 

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Notre être intérieur est en contact avec le mental, la vie et la Matière universels; il en est une partie et, de ce fait même, il ne peut pas posséder la libération et la paix. Vous pensez probablement à l'Âtman, et vous le confondez avec l'être intérieur.51  

 

 

L'être intérieur ne peut pas être "situé" au-dessus, il ne peut que se joindre à ce qui est au-dessus, le pénétrer et en être pénétré. S'il était situé au-dessus, alors il n'y aurait pas d'être intérieur.  

 

Je ne vois pas ce que vous voulez dire en parlant de l'être intérieur situé "autour" du psychique. Il est évidemment plus proche du psychique que le mental, le vital ou le physique extérieurs, mais cela ne garantit pas qu'il soit ouvert au psychique seul et non aux autres forces universelles.

 

 

Le psychique peut avoir la paix derrière lui, mais le mental, le vital et le physique intérieurs ne sont pas nécessairement silencieux: ils sont pleins de mouvements. C'est la conscience supérieure qui a une base de paix.  

 

L'être intérieur n'est pas habituellement agité, mais il peut être calme ou agité, comme l'être extérieur.  

 

 

Chez tout le monde les parties intérieures restent vulgaires ou

 

51. Nouvelles Lumières sur le Yoga, chapitre 2.

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deviennent nobles selon qu'elles sont orientées vers; les forces extérieures de l'Ignorance, ou vers les forces supérieures qui viennent d'au-dessus et vers l'impulsion intérieure du psychique. Là toutes les forces peuvent entrer en jeu. C'est l'être extérieur qui est fixé dans un certain caractère, certaines tendances, certains mouvements.  

 

L'être intérieur a un temps qui lui est propre, et qui est parfois plus lent, parfois plus rapide que le temps de l'être physique.

 

VII

 

L'individu ne se limite pas au corps physique — seule la conscience extérieure a cette impression. Dès que l'om dépasse ce sentiment de limitation, on sent d'abord la conscience intérieure qui est liée au corps, mais ne lui appartient pas, puis les plans de conscience au-dessus du corps, ainsi qu'une conscience qui entoure le corps mais fait partie de soi, fait partie de l'être individuel et à travers laquelle on est en contact avec les forces cosmiques et avec d'autres êtres. J'ai appelé cette conscience la conscience environnante.52

 

 

Chaque homme a sa propre conscience personnelle retranchée dans son corps et n'entre en contact avec ce qui l'entoure qu'à travers son corps et ses sens, et à travers le mental utilisant les sens.

Et pourtant les forces universelles se déversent en lui continuellement sans qu'il le sache. Il ne perçoit que les pensées, les sentiments, etc., qui montent à la surface et ceux-là, il les prend pour siens. En réalité, ils viennent de l'extérieur par vagues mentales, vagues vitales, vagues de

 

52. Nouvelles Lumières sur le Yoga, chapitre 2.

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sentiments et de sensations, etc., qui prennent une forme particulière en lui et montent à la surface après être entrés à l'intérieur.

Mais ils n'entrent pas dans son corps tout de suite. L'homme transporte avec lui une conscience environnante (que les théosophes appellent l'aura) dans laquelle ils entrent en premier lieu. Si vous pouvez devenir conscient de votre moi environnant, alors vous pouvez attraper la pensée, la passion, la suggestion ou la force de maladie et l'empêcher d'entrer en vous. Si vous rejetez des choses hors de vous, souvent elles ne s'en vont pas complètement, mais se réfugient dans cette atmosphère environnante, et de là essaient de s'introduire de nouveau; ou elles vont à une certaine distance au-dehors, mais traînent aux alentours ou même plus loin, attendant que se présente l'occasion d'une tentative d'incursion.  

 

 

La conscience environnante n'est pas un monde, c'est une chose individuelle.  

 

[Le subconscient et la conscience environnante:] ce sont deux choses tout à fait différentes. Ce qui est entreposé dans le subconscient - impressions, souvenirs, etc. - s'élève de là vers les parties conscientes. Dans la conscience environnante les choses ne sont pas emmagasinées ni fixées, bien qu'elles s'y déplacent. Celle-ci est extrêmement mobile, c'est un champ de vibration ou un lieu de passage des forces.

 

 

Elle [la conscience environnante] peut devenir silencieuse quand la conscience s'élargit. On peut en devenir conscient et agir sur ce qui passe à travers elle. Sans elle, l'homme serait sans contact avec le reste du monde.

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VIII

 

La conscience de l'individu s'élargit dans la conscience cosmique au-dehors et peut avoir avec elle toutes sortes de relations: elle peut pénétrer, connaître ses mouvements, agir sur elle ou recevoir d'elle, et même être aussi vaste qu'elle ou la contenir; c'est ce que les anciens yoga entendaient par l'expression "avoir le Brahmânda en soi".

La conscience cosmique est celle de l'univers, de l'esprit cosmique et de la Nature cosmique, avec tous les êtres et toutes les forces qui y sont contenus. Tout cela est aussi conscient globalement que l'est l'individu séparément, bien que d'une manière différente. La conscience de l'individu en est une partie, mais c'est une partie qui se perçoit comme un être distinct. Et pourtant, à tout moment, la plus grande partie de ce qu'il est lui vient de la conscience cosmique. Mais il y a un mur d'ignorance séparatrice entre les deux. Une fois ce mur écroulé, l'individu commence à sentir le Moi cosmique, la conscience de la Nature cosmique, les forces qui y jouent, etc. Il sent tout cela comme il sent maintenant les choses et les chocs physiques. Il découvre que le tout ne fait qu'un avec son moi plus vaste ou universel.

Il y a une Nature mentale universelle, une Nature vitale universelle, une Nature physique universelle; c'est d'une sélection parmi leurs forces et leurs mouvements que sont faits le mental, le vital et le physique individuels. L'âme vient de par-delà cette nature mentale, vitale et corporelle. Elle appartient au Transcendant, et c'est pourquoi il nous est possible de nous ouvrir à la Nature supérieure qui est par-delà.

Le Divin est toujours l'Un qui est Multiple. L'esprit (ou moi) individuel fait partie de l'aspect "multiple" de l'Un, et l'être psychique est ce qu'il émane pour se développer ici-bas dans la nature terrestre. En parvenant à la libération, le moi individuel réalise qu'il est l'Un (qui est pourtant le Multiple). Il peut plonger en l'Un et se fondre ou se cacher en son sein - c'est la laya de l'Adwaïta; il peut aussi sentir son unité et

 

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néanmoins, en tant que partie du Multiple qui est l'Un, jouir du Divin - c'est la libération du Dvaïtâdvaïta; il peut encore insister sur l'aspect "multiple" et être possédé par le Divin - c'est la libération du Vishishtâdwaïta; ou bien continuer à jouer avec Krishna dans l'éternel Vrindâvan - c'est la libération du Dwaïta. Ou encore, il peut, même lorsqu'il est libéré, rester dans la lîlâ (ou manifestation) ou y descendre aussi souvent qu'il veut. Le Divin n'est pas lié par les philosophies humaines; il est libre en son jeu et libre en son essence53

 

Il n'y a pas de différence entre les termes "cosmique" et "universel", sauf que "universel" peut être utilisé d'une manière plus large que "cosmique". Universel peut signifier "de l'univers", cosmique dans ce sens général. Mais il peut aussi signifier "commun à tous", par exemple vous pouvez dire: "c'est une faiblesse universelle"; vous ne diriez pas: "c'est une faiblesse cosmique".  

 

1. La conscience spirituelle est celle dans laquelle nous accédons à la perception du Moi, de l'Esprit, du Divin, et où nous sommes capables de voir en toutes choses la réalité essentielle et le jeu des forces et des phénomènes comme procédant de cette Réalité essentielle.

2. La conscience cosmique est celle où les limites de l'ego, du mental personnel et du corps disparaissent, et où l'on devient conscient de l'existence d'une immensité cosmique qui est un esprit cosmique, ou est remplie d'esprit cosmique; on perçoit aussi le jeu direct des forces cosmiques, des forces du mental universel, des forces de la vie universelle, des énergies universelles de la Matière, des forces du surmental universel. Mais on ne devient pas conscient de tout cela à la fois; l'ouverture de la conscience cosmique est en général  

53. Lumières sur le Yoga, chapitre 2. Traduction de la Mère.

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progressive. Non que l'ego, le corps, le mental personnel disparaissent, mais on les ressent comme n'étant qu'une petite partie de soi-même, ou comme des répliques diverses de soi - le même moi modifié par la Nature dans d'autres corps - ou pour le moins, comme vivant dans le moi universel plus vaste qui est dès lors la plus grande réalité de soi-même. Tout, en fait, commence à changer de nature et d'apparence; toute notre expérience du monde est radicalement différente de l'expérience de ceux qui sont enfermés dans leur moi personnel. On commence à connaître les choses par un mode différent d'expérience, plus direct, ne dépendant pas du mental extérieur et des sens. La possibilité d'erreur ne disparaît pas pour autant: cela ne peut pas se produire tant que le mental, sous quelque forme que ce soit, sert d'instrument pour transcrire la connaissance, mais il y a une manière nouvelle, vaste et profonde, de sentir, de voir, de connaître les choses, d'entrer en contact avec elles; et les confins de la connaissance peuvent être reculés dans une mesure presque infinie. Ce dont il faut se garder, dans la conscience cosmique, c'est du jeu d'un ego agrandi, des attaques amplifiées des forces hostiles - car elles aussi font partie de la conscience cosmique - et des tentatives de l'Illusion cosmique (Ignorance, Avidyâ) pour empêcher la croissance de l'âme jusqu'à la Vérité cosmique. Ce sont des choses qu'il faut apprendre par expérience; l'enseignement intellectuel ou les explications mentales sont tout à fait insuffisants. Pour entrer en toute sécurité dans la conscience cosmique et la traverser sans danger, il faut avoir une sincérité centrale forte et sans égoïsme; il faut aussi que l'être psychique, avec son pouvoir divinateur de la vérité et son orientation infaillible vers le Divin, soit déjà au premier plan dans la nature.

3. La conscience ordinaire est celle dans laquelle on connaît les choses uniquement ou principalement par l'intellect, le mental extérieur et les sens, et où on ne connaît les forces, etc., que par leurs manifestations extérieures et leurs résultats, et le reste par ce que l'on déduit de ces données. L'intuition mentale, la vision ou les impulsions psychiques

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plus profondes, les suggestions spirituelles, etc., peuvent dans une certaine mesure entrer en jeu, mais dans la conscience ordinaire elles ne sont qu'accidentelles et ne modifient pas le caractère fondamental de cette conscience.  

 

L'homme ordinaire vit dans sa propre conscience personnelle et connaît les choses à travers son mental et ses sens, dans la mesure où ceux-ci sont en contact avec un monde qui est extérieur à lui, extérieur à sa conscience. Quand la conscience devient subtile, elle commence à entrer en contact avec les choses d'une manière beaucoup plus directe, non seulement avec leur forme et leurs effets extérieurs, mais avec leur contenu; son étendue peut cependant être encore limitée. Mais la conscience peut aussi s'élargir et commencer d'abord à entrer en contact direct avec un univers ou une certaine catégorie de choses dans le monde, puis à les contenir pour ainsi dire - on parle de voir le monde en soi-même - et à être d'une certaine manière identifié à cela. Voir toutes choses dans le moi et le moi en toutes choses, percevoir en toutes choses un être unique, être conscient directement des différents plans, de leurs forces, de leurs êtres - c'est cela l'universalisation.

 

 

Oui, certainement [dans le mental cosmique il y a une zone de mental physique], rien n'existe dans l'individu qui n'existe dans l'Énergie cosmique. Ordinairement, l'individu n'est qu'un centre différencié des forces universelles - bien que son âme vienne d'ailleurs.

 

 

Comme il [tout être humain] vit dans une conscience séparée, il fabrique un monde mental qui lui est propre à partir de ses

 

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expériences du monde commun où tout le monde vit. Ce monde est bâti de la même manière que celui des autres, et l'homme y reçoit les pensées, les sentiments des autres, le plus souvent sans le savoir, et cela aussi il l'utilise comme matériau pour construire son monde séparé.

 

 

Toute vie est le jeu de forces universelles. L'individu donne une forme personnelle à ces forces universelles. Mais il peut choisir de réagir ou de ne pas réagir à l'action d'une force particulière. Seulement la plupart des gens n'exercent pas réellement un choix - ils se prêtent au jeu des forces. Vos maladies, vos dépressions, etc., sont le jeu répété de forces de ce genre. C'est seulement lorsqu'on parvient à s'en libérer que l'on peut devenir la vraie personne et avoir une vie véritable; mais on ne peut être libre qu'en vivant dans le Divin.

 

 

C'est Prakriti (la Nature) qui envoie ces impulsions. La Nature envoie à chacun toutes sortes de forces et d'expériences. C'est à vous qu'il appartient, en tant qu'être conscient (Pourousha) de choisir ce que vous ferez ou ne ferez pas; vous devez rejeter ce que vous trouvez faux, n'accepter que ce qui est vrai et juste. Dans la Nature, il y a le supérieur et l'inférieur, le vrai et le faux. Ce que le Divin veut de vous, c'est que vous croissiez dans la Vérité et la Nature supérieure, que vous rejetiez la Nature fausse et inférieure.

 

On peut recevoir non seulement une force, mais une impulsion, une pensée ou une sensation. On peut recevoir cela des autres, ou d'êtres qui sont dans la Nature, ou encore de la Nature elle-même, si elle choisit de donner à sa Force une forme toute faite de ce genre.

 

 

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1. Il peut exister un vital sans désir. Quand le désir disparaît de l'être, le vital ne disparaît pas avec lui.

2. Par Prakriti on entend la Prakriti universelle. La Prakriti universelle, en entrant dans le vital, crée des désirs qui prennent l'apparence d'une nature individuelle par le fait que l'être vital réagit toujours de la même façon; si les désirs habituels qu'elle y projette ont été rejetés et bannis, l'être reste, mais l'ancienne Prakriti individuelle de désir vital n'est plus là; une nouvelle nature se forme qui répond à la Vérité au-dessus et non plus à la Nature inférieure.

3. La Prakriti universelle l'a déterminée [cette réaction habituelle] et l'âme ou Pourousha l'a acceptée. C'est dans cette acceptation que réside la responsabilité. Le Pourousha est ce qui ratifie ou refuse. Chez l'animal, l'être vital réagit aux ondes ordinaires de vie; l'homme y réagit aussi, mais a le pouvoir de les contrôler mentalement. Dans la mesure où le Pourousha mental en lui est éveillé, il a aussi le pouvoir de choisir s'il aura du désir ou s'il exercera son être à le surmonter. Enfin, il y a aussi la possibilité de faire descendre une nature plus haute qui ne sera pas soumise au désir, mais agira selon un autre principe vital.

 

 

Tant que le mental humain reste enfermé dans sa personnalité, il ne lui est pas possible de comprendre les fonctionnements de la Volonté cosmique, car les normes établies par la conscience personnelle ne s'appliquent pas à eux. Une cellule dans le corps, si elle était consciente, pourrait aussi penser que l'être humain et ses actes ne sont que la résultante des relations et des fonctionnements d'un certain nombre de cellules comme elle et non de l'action d'un moi unifié. C'est seulement si l'on entre dans la Conscience cosmique que l'on peut commencer à voir les forces à l'œuvre et les principes selon lesquels elles agissent, et à entrevoir le Moi cosmique, le Mental et la Volonté cosmiques.

 

 

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Il n'existe aucune ignorance qui ne fasse partie de l'Ignorance cosmique, mais dans l'individu elle devient une formation et un mouvement limités, alors que l'Ignorance cosmique est le mouvement total de la conscience du monde séparée de la Vérité suprême et agissant dans une impulsion inférieure où la Vérité est pervertie, amoindrie, mélangée et voilée par le mensonge et l'erreur. La Vérité cosmique est le regard que porte sur les choses une conscience cosmique qui les montre dans leur essence véritable et dans leur vraie relation avec le Divin et entre elles.  

 

La Vérité cosmique est la vérité des choses telles qu'elles s'expriment actuellement dans l'univers. La Vérité divine est indépendante de l'univers, au-dessus de lui, et c'est d'elle qu'il provient.  

 

Les expériences du yogi sont des expériences spirituelles - l'expérience du jeu des Forces et de sa relation avec le moi, de l'action du Guide, de ce qui est derrière l'apparence des choses, des événements, etc., etc., de la vraie réalité des fonctionnements du Pourousha et de la Prakriti, etc. La Vérité divine est la Vérité de l'Essence divine, de la Conscience, du Moi, de la Connaissance, de la Lumière, du Pouvoir, de la Béatitude du Divin. C'est de là que le Cosmos, avec tous ses mouvements, tire son origine, mais c'est quelque chose de plus que le cosmos.  

 

IX

 

Le "mental", au sens courant, embrasse indifféremment toute la conscience, car l'homme est un être mental et voit tout sous l'aspect mental; mais dans la terminologie de notre

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yoga, le substantif "mental" et l'adjectif "mental"54 sont utilisés pour désigner spécialement la partie de la nature qui a rapport avec la cognition et l'intelligence, avec les idées, les perceptions mentales ou perceptions de pensée, les réactions de la pensée devant les objets, avec les formations et les mouvements purement mentaux, la vision et la volonté mentales, etc. - toutes choses qui font partie de l'intelligence de l'homme. Du mental, il faut soigneusement distinguer le vital, quoiqu'un élément mental y ait transfusé. Le vital est la nature de la Vie, faite de désirs, de sensations, de sentiments, de passions, d'énergies d'action, de volontés du désir, de réactions de l'âme-de-désir en l'homme, et de tout le jeu des instincts de possession et autres apparentés: colère, peur, avidité, convoitise, etc., qui appartiennent à ce domaine de la nature. À la surface de la conscience, le mental et le vital sont mélangés, mais en eux-mêmes ce sont des forces tout à fait distinctes et dès que l'on passe derrière la conscience ordinaire superficielle, on les voit séparés, on découvre leur différence et on peut, à l'aide de cette connaissance, analyser leurs mélanges superficiels. Il est tout à fait possible - et c'est même courant pendant un temps plus ou moins long, parfois très long - que le mental accepte le Divin ou l'idéal yoguique, tandis que le vital n'est pas convaincu ni soumis et continue obstinément son chemin de désir, de passion et d'attirance pour la vie ordinaire. Cette division ou ce conflit entre le mental et le vital, est la cause de la plupart des difficultés les plus aiguës de la sâdhanâ.55

 

 

Saint Augustin était un homme de Dieu et un grand saint, mais les grands saints ne sont pas toujours - pas souvent - de grands psychologues ou de grands penseurs. La psychologie, ici, est celle des écoles les plus superficielles, sinon celle de l'homme de la rue; elle contient autant d'erreurs que de

 

54. Mind et mental.

55. Lumières sur le Yoga, chapitre 2. Traduction de la Mère.

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postulats psychologiques - et même plus, car certaines ne sont pas exprimées, mais implicites dans ce qu'il écrit. Je sais bien que ces erreurs sont pratiquement universelles, car l'investigation psychologique en Europe (et sans investigation il ne peut y avoir aucune connaissance solide) ne fait que commencer et n'est pas encore allée très loin, et ce qui a dominé le mental des hommes jusqu'à présent est une description superficielle des apparences superficielles de notre conscience, telles qu'elles nous apparaissent à première vue, et rien de plus. Mais la connaissance commence seulement quand nous nous éloignons des phénomènes de surface et recherchons, derrière eux, leurs fonctionnements et leurs causes véritables. Pour la vision superficielle du mental extérieur et des sens, le soleil est une petite boule de feu au milieu des airs qui décrit un cercle autour de la terre, et les étoiles de petits objets scintillants piqués dans le ciel à notre intention pendant la nuit. La recherche scientifique intervient alors et met en pièces cette première vision infantile. Le soleil est une énorme chose (à des millions de kilomètres de notre atmosphère) autour de laquelle tourne la petite terre, et les étoiles sont les énormes parties d'énormes systèmes situés à des distances indescriptibles, et qui n'ont apparemment rien à voir avec la minuscule terre et ses créatures. Tout la Science est ainsi, elle contredit la vision des sens ou les apparences superficielles des choses et affirme des vérités que la raison ordinaire et non éduquée ne devine pas. Le même procédé doit être appliqué en psychologie si nous voulons vraiment savoir ce qu'est notre conscience, comment elle est construite et fabriquée, quel est le secret de ses fonctionnements, ou comment sortir de son désordre.

Il y a ici plusieurs erreurs capitales et courantes:

1. Le mental et l'esprit sont la même chose.

2. Toute conscience peut être désignée par le mot "mental".

3. Toute conscience est par conséquent faite d'une substance spirituelle.

4. Le corps n'est que matière, il n'est pas conscient et est

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par conséquent quelque chose de tout à fait différent de la partie spirituelle de la nature.

Premièrement, l'esprit et le mental sont deux choses différentes et il ne faudrait pas les confondre. Le mental est une entité instrumentale ou une conscience instrumentale dont la fonction est de penser et de percevoir; l'esprit est une entité ou une conscience essentielle qui n'a pas besoin de penser ni de percevoir, que ce soit par le mental ou par les sens, parce que toute la connaissance qu'il a est une connaissance directe ou essentielle, swâyamprakâsh.

Deuxièmement, il s'ensuit que toute conscience n'est pas nécessairement de fabrication spirituelle, et il n'est pas nécessairement vrai, il n'est pas vrai que la chose qui commande et la chose commandée soient identiques, ne soient en rien différentes, soient de la même substance et par conséquent liées ou du moins doivent s'accorder.

Troisièmement, il n'est même pas vrai que ce soit le mental qui commande le mental et se désobéisse lui-même. D'abord, le mental a plusieurs parties, chacune est en elle-même une force avec ses formations, ses fonctionnements, ses intérêts, et elles peuvent ne pas s'entendre. Une partie du mental peut être sous une influence spirituelle, aimer penser au Divin et obéir à l'impulsion spirituelle, une autre partie peut être rationnelle, ou scientifique, ou littéraire, et préférer suivre les formations, les croyances ou les doutes, les préférences mentales et les intérêts intellectuels qui sont conformes à son éducation et à sa nature. Mais tout cela mis à part, ce qui commandait en Saint Augustin pouvait fort bien être le mental pensant ou la raison, alors que ce qui était commandé était le vital; et mental et vital, quoi que l'on en dise, ne sont pas la même chose. Le mental pensant ou bouddhi vit, si imparfaitement que ce soit dans l'homme, par l'intelligence et la raison. Le vital, au contraire, est une chose de désirs, d'impulsions, de poussées de force, d'émotions, de sensations, de poursuite des satisfactions de la vie, de possession et de jouissance; telles sont ses fonctions, telle est sa nature; il est cette partie en nous qui recherche la vie et ses mouvements

 

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pour eux-mêmes, et qui refuse de s'en dessaisir, même s'ils apportent la souffrance autant ou plus que le plaisir; il est même capable de s'abandonner avec délice aux larmes et à la souffrance parce qu'elles font partie du drame de la vie. Qu'y a-t-il donc de commun entre l'intelligence pensante et le vital, et pourquoi celui-ci devrait-il obéir au mental et non suivre sa propre nature? Cette désobéissance est parfaitement normale et non, comme le suggère Saint Augustin, inintelligible. Évidemment, l'homme peut établir une domination mentale sur son vital, et c'est dans cette mesure qu'il est un homme - parce que le mental pensant est une entité, une conscience plus noble et plus éclairée que le vital et devrait, par conséquent, gouverner, et qu'il peut le faire si la volonté mentale est forte. Mais son règne est précaire, incomplet et ne peut être maintenu que par une grande discipline de soi. Car si le mental est plus éclairé, le vital est plus proche de la terre, plus intense, plus véhément, plus directement capable d'influencer le corps. Il y a aussi un mental vital qui vit d'imagination, de pensées de désir, de volonté d'agir et de jouir par sa propre impulsion, et il est capable de se saisir de la raison, d'en faire une aide et une conseillère qui le justifie, qui lui fournit prétextes et excuses. Il y a aussi en l'homme la pure force du Désir qui est le principal soutien du vital, et qui est assez forte pour balayer la raison "tel un navire sur les flots déchaînés", nâvamivâmbhasi, comme dit la Guîtâ.

Enfin, le corps obéit au mental automatiquement dans les domaines où il est exercé ou dressé à obéir, mais la relation du corps avec le mental n'a pas, en toutes choses, la perfection d'un instrument automatique. Le corps aussi a une conscience qui lui est propre et, bien qu'elle soit un instrument submental ou une conscience subalterne, elle peut aussi désobéir ou ne pas obéir. Dans beaucoup de domaines, ceux de la santé et de la maladie par exemple, dans tous les fonctionnements automatiques, le corps agit par lui-même et n'est pas le serviteur du mental. S'il est épuisé, il peut opposer une résistance passive à la volonté du mental. Il peut brouiller le mental par le tamas, l'inertie, la pesanteur, les fumées du subconscient,

 

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de sorte que le mental ne peut agir. Le bras se lève, certes, quand il reçoit la suggestion, mais au début les jambes n'obéissent pas quand il leur est demandé de marcher; elles doivent apprendre à quitter l'attitude et le mouvement de la reptation et prendre l'habitude de la posture verticale et de la marche. Quand vous demandez pour la première fois à la main de tracer une ligne droite ou de jouer de la musique, elle ne peut pas le faire et ne le fera pas. Elle doit être dressée, entraînée, éduquée, et ensuite elle fait automatiquement ce qui lui est demandé. Tout cela prouve qu'il y a une conscience du corps qui peut agir sur ordre du mental, mais qui doit être éveillée, exercée, transformée en un instrument efficace et conscient. Elle peut même être entraînée au point qu'une volonté ou une suggestion mentale soit capable de guérir la maladie du corps. Mais tout cela, toutes ces relations du mental et du corps, est essentiellement du même ordre que la relation du mental avec le vital, et la question n'est ni aussi simple, ni aussi élémentaire que Saint Augustin le prétend.

Cela place le problème sur une autre base, en rend les causes plus claires et, si nous sommes prêts à poursuivre assez loin, suggère une porte de sortie: la voie du yoga.

P. S. Tout cela en dehors du facteur introduit par le problème, très important, des personnalités multiples, que l'investigation psychologique commence tout juste à prendre assez obscurément en considération, et qui est une question plus complexe.

 

 

Quand le mental est tourné vers le Divin et la Vérité, qu'il est sensible et réagit seulement ou principalement à cela, il peut être appelé mental psychique; c'est quelque chose qui est formé par l'influence de l'être psychique sur le plan mental.

Le mental spirituel est un mental qui, dans sa plénitude, est conscient du Moi, reflète le Divin, voit et comprend la nature du Moi et ses relations avec la manifestation, vit en cela ou en contact avec cela, calme, vaste et éveillé à la connaissance  

 

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supérieure, non perturbé par le jeu des forces. Quand son mouvement se libère pleinement, d'habitude on le sent dans sa position centrale au-dessus de la tête, bien que son influence puisse s'étendre vers le bas à travers tout l'être et au-dehors à travers l'espace.

 

 

La capacité spirituelle est simplement une aptitude naturelle à l'expérience et au développement spirituels véritables. On peut l'avoir sur n'importe quel plan, mais la conséquence naturelle en est que l'on entre facilement en contact avec le Moi et les plans supérieurs.

Mental psychique et psychique mental56 sont pratiquement la même chose - quand, dans un mouvement du mental, l'influence psychique prédomine, cela s'appelle le psychique dans le mental ou le mental psychique.  

 

Le Mental supérieur est l'un des plans du mental spirituel, le premier et le plus bas; il se situe au-dessus du niveau mental ordinaire. Le mental intérieur est celui qui s'étend derrière le mental de surface (notre mentalité ordinaire) et dont on ne peut avoir l'expérience directe (en dehors de ses vritti57 dans le mental de surface comme la philosophie, la poésie, l'idéalisme, etc.) que par la sâdhanâ, en rompant avec l'habitude de rester à la surface et en allant plus profondément au-dedans.

"Mental plus vaste" est un terme général englobant les royaumes du mental qui deviennent notre domaine soit quand nous allons au-dedans, soit quand nous nous élargissons dans la conscience cosmique.

L'être mental véritable n'est pas la même chose que le mental intérieur: les expressions être mental vrai, être vital vrai, être physique vrai désignent le Pourousha de chacun de ces niveaux, libéré de l'erreur, de la pensée et de la volonté  

 

56. Psychic mind et mental psychic.

57. Fonctionnement des qualités mentales et morales.

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ignorantes de la Prakriti inférieure et directement ouvert à la connaissance et à la direction d'en haut.

"Vital supérieur" désigne habituellement le mental vital et l'être émotif, par opposition au vital moyen qui a son siège à l'ombilic et qui est dynamique, lié aux sens, passionné, et au vital inférieur qui est fait des petits mouvements des désirs vitaux humains et des réactions vitales.58

 

 

Tout ce qui, ici-bas, appartient strictement au plan terrestre est sorti par évolution de l'Inconscient, de la Matière - mais l'être mental essentiel existe déjà, non involué, dans le plan mental. Seul le mental personnel a évolué ici à partir de quelque chose qui est sorti de l'Inconscient et s'est développé sous une pression venue d'en haut.

La tendance à s'enquérir et à savoir est bonne en elle-même mais elle doit être maîtrisée. Ce qui est nécessaire au progrès dans la sâdhanâ s'acquiert mieux par l'accroissement de la conscience, de l'expérience et de la connaissance intuitive.

Au-dessus de la tête se tient la Conscience, la Force universelle ou divine. La Koundalini est le pouvoir latent assoupi dans les chakra.

 

 

Le mental proprement dit est divisé en trois parties: le mental pensant, le mental dynamique, le mental extériorisant, le premier s'occupant des idées et de la connaissance en elles-mêmes, le second s'occupant d'émaner des forces mentales pour réaliser l'idée, le troisième de les exprimer dans la vie (non seulement au moyen du langage, mais par toutes les formes qu'il peut leur donner). Le terme "mental physique" est plutôt ambigu, car sa signification peut englober à la fois ce mental extériorisant et le mental dans le physique.

Le mental vital proprement dit est une sorte de médiateur  

58. Nouvelles Lumières sur le Yoga, chapitre 2.

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entre l'émotion, le désir, l'impulsion, etc. du vital, et le mental proprement dit. Il exprime les désirs, les sentiments, les émotions, les passions, les ambitions, les tendances possessives et actives du vital et les projette en formes mentales (les imaginations pures ou les rêves de grandeur, de bonheur, etc., auxquels s'adonnent les hommes sont une forme particulière de l'activité du mental-vital). Il y a un niveau encore plus bas du vital dans le mental, qui ne fait qu'exprimer la substance vitale sans la soumettre à aucun jeu de l'intelligence. C'est à travers ce mental vital que les passions, les impulsions, les désirs du vital montent et gagnent la bouddhi pour la voiler ou la fausser.

De même que le mental vital est limité par le point de vue et le sentiment vital des choses (alors que l'Intelligence dynamique ne l'est pas, car elle agit au moyen de l'idée et de la raison), de même le mental dans le physique ou mental physique est limité par le point de vue et l'expérience physiques des choses; il mentalise les expériences suscitées par les contacts de la vie et des choses extérieures, et ne va pas au-delà (bien qu'il puisse le faire avec beaucoup d'intelligence), à la différence du mental extériorisant qui les manipule davantage du point de vue de la raison et de son intelligence plus haute. Dans la pratique cependant, en général les deux se mêlent. Le mental mécanique est une action très inférieure du mental physique qui, laissé à lui-même, ne ferait que répéter les idées habituelles et enregistrer les réactions réflexes naturelles de la conscience physique aux contacts de la vie et des choses extérieures.

Le vital inférieur, distinct du vital supérieur, est préoccupé uniquement des petits appétits, des petits désirs, des petites passions, etc. qui constituent la substance quotidienne de la vie pour l'homme ordinaire soumis aux sensations - alors que le physique vital proprement dit est l'être nerveux qui réagit par des réflexes vitaux aux contacts des choses avec la conscience physique.59

59. Nouvelles Lumières sur le Yoga, chapitre 2.

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Il arrive fréquemment que la partie dynamique et formatrice du mental soit plus prompte à agir que la partie réflexive et discriminatrice à contrôler l'action. Il s'agit d'établir une sorte d'équilibre et d'harmonie entre les deux.  

 

Le mental pensant ne mène pas les hommes, ce n'est pas lui qui les influence le plus: ce sont les tendances vitales et le mental vital qui prédominent. Chez la plupart d'entre eux le mental pensant n'est, en ce qui concerne la vie, qu'un instrument du vital.

 

 

 

Le vrai mental pensant n'appartient pas au physique, c'est un pouvoir séparé. Le mental physique est cette partie du mental qui ne s'occupe que des choses physiques; il dépend du mental sensoriel, voit seulement les objets, les actions extérieures, tire ses idées des données fournies par les choses extérieures, ne tire des déductions que de cela, et ne connaît aucune autre Vérité avant d'être illuminé d'en haut.

 

 

Le mental physique ne peut s'occuper que de choses extérieures. Dans les autres domaines, il faut penser et décider avec le mental lui-même (bouddhi), non avec la partie physique du mental.  

 

Cette partie de l'être [le mental physique] n'a pas de raison, mais seulement des caprices, des habitudes ou un penchant à être tamasique.

 

 

 

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C'est le mental physique qui aimerait que tout soit rendu facile.  

 

Le mental physique a pour habitude d'observer les choses, que ce soit utile ou non.

 

 

La répétition est une habitude du physique mental - ce n'est pas le vrai mental pensant qui répète, c'est le physique mental, ou alors la partie la plus basse du mental physique.

 

Mais ici, l'erreur principale réside dans votre description de la partie physique du mental - ce que vous avez décrit là est le physique mental mécanique ou mental corporel qui, lorsqu'il est livré à lui-même, se contente de répéter les pensées coutumières et les mouvements habituels du passé, ou tout au plus ajoute à ceux-ci d'autres réactions mécaniques aux choses et d'autres réflexes propres au train-train de la vie. Le véritable mental physique est l'intelligence qui reçoit et extériorise et qui a deux fonctions: d'abord agir sur les éléments extérieurs et les ordonner mentalement afin de pouvoir les manipuler dans la pratique, et ensuite être un canal pour matérialiser et mettre à exécution tout ce que le mental pensant et dynamique lui transmet à cette fin.

 

 

Le mental mécanique est une sorte de moteur; tout ce qui vient à lui il le met dans la machine et le fait tourner en rond sans arrêt, peu importe ce que c'est.

 

 

 

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Il est dans la nature du physique mental de continuer à répéter sans utilité le mouvement qui s'est produit. C'est ce que nous appelons le mental mécanique - il est puissant chez les enfants parce que leur mental pensant n'est pas développé et n'a, par ailleurs, qu'un domaine d'intérêt réduit. Ensuite, il devient un courant sous-jacent aux activités mentales. S'il a surgi maintenant, en même temps que les autres caractéristiques du physique mental, c'est sans doute parce que l'action est descendue dans le physique. Il arrive également que ces choses surgissent quand le mental est silencieux, jusqu'à ce qu'elles soient apaisées elles aussi.

 

 

D'après votre description, il semble que vous êtes entré en contact avec le mental mécanique dont la nature est de tourner en rond autour des pensées qui pénètrent en lui. Cela se produit parfois quand le mental pensant est calme. C'est une partie du mental physique et vous ne devez pas vous laisser troubler ni alarmer par cette irruption, mais voir ce que c'est et le calmer ou acquérir la maîtrise de ses mouvements.

 

 

Le mental vital est habituellement énergique et créateur, même dans ses rondes les plus mécaniques; donc ce doit être le physique qui tourne. C'est lui, et le mental mécanique, qui durent le plus longtemps, mais eux aussi se taisent quand la paix et le silence deviennent massifs et complets. Ensuite la connaissance commence à venir des plans supérieurs: le Mental supérieur d'abord, et cela crée une nouvelle action de pensée et de perception qui remplace le mental ordinaire. Elle le fait d'abord dans le mental pensant, mais aussi ensuite dans le mental vital et dans le mental physique, de sorte que tous ceux-ci commencent à se transformer. Cette sorte de pensée n'est pas désordonnée et agitée, mais précise et réfléchie; elle ne vient que lorsque c'est nécessaire ou qu'on l'appelle, et ne

 

 

 

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trouble pas le silence. De plus l'élément que nous appelons ici pensée est secondaire et remplacé par ce qu'on pourrait appeler une perception qui voit (intuition). Mais tant que le mental n'est pas devenu capable d'un silence complet, cette connaissance, cette pensée, cette perception supérieure ou bien ne descend pas ou, si elle descend partiellement, peut fort bien se mêler à ses homologues inférieurs ou être imitée par eux, et cela, c'est un tracas et un obstacle. Aussi le silence est-il nécessaire.

 

Quand la conscience supérieure s'empare du mental mécanique, il cesse d'être mécanique.

 

 

Les termes Manas, etc. appartiennent à la psychologie ordinaire appliquée à la conscience de surface. Dans notre yoga, nous adoptons une classification différente, basée sur l'expérience yoguique. Il y aurait deux éléments distincts répondant à ce mouvement du Manas: une partie du mental physique et, en communication avec elle, le vital physique. Le Manas reçoit une communication des sens physiques et transmet à la Bouddhi, c'est-à-dire à telle ou telle partie du Mental pensant. La Bouddhi lui renvoie l'idée et la volonté et il les transmet aux organes de sensation et d'action. Tout cela est indispensable dans l'action ordinaire de la conscience. Mais dans la conscience ordinaire tout se mélange et il n'y a aucun ordre, aucune règle claire. Dans le yoga, on devient conscient des différentes parties et de leur action propre, et on met chacune à sa place, chacune à son travail sous la surveillance de la conscience supérieure, ou encore sous celle du Pouvoir divin. Ensuite tout se charge de conscience spirituelle et il y a automatiquement la perception juste, l'action juste des différentes parties, parce qu'elles sont dominées entièrement d'en haut et ne falsifient pas les édits de cette Conscience ou de ce  

 

 

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Pouvoir, ne s'y opposent pas, n'y introduisent pas de confusion.  

 

Il peut y avoir, dans le mental physique, une action intelligente de raisonnement et de coordination qui est déléguée par la Bouddhi et ne serait peut-être pas attribuée au Manas par l'ancienne psychologie. La plus grande partie de l'action du mental physique correspond pourtant à celle du Manas, mais elle englobe aussi une grande part de ce que nous attribuerions au mental vital et à l'être nerveux. C'est un peu difficile de faire coïncider cette ancienne terminologie avec celle de notre yoga, car la première considère l'action mélangée à la surface et cherche à l'analyser, alors que notre yoga sépare ce qui est mêlé à la surface et le considère à la lumière d'une action plus profonde qui est dissimulée à la perception de surface. Aussi devons-nous adopter une classification différente.

Le mental physique doit d'abord s'ouvrir à la conscience supérieure; alors ses limitations disparaissent, il admet ce qui est supraphysique et commence à voir les choses en harmonie avec la connaissance supérieure. Il devient un instrument d'extériorisation de cette connaissance dans les perceptions et les actions pragmatiques de la vie physique. Il voit les choses telles qu'elles sont et les traite en accord avec la Vérité plus vaste, avec une justesse automatique de perception, de volonté et de réaction aux contacts.

 

Je n'utilise pas moi-même ces termes [Manas, etc.] en règle générale - ils appartiennent à la terminologie psychologique de l'ancien yoga.

 

[La fonction du Manas:] Percevoir les choses par les Sens,

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réagir mentalement aux objets, transmettre des impressions à la Bouddhi, etc.  

 

Chitta est la substance générale de la conscience mentale qui soutient le Manas et tout le reste; c'est une conscience indéterminée qui se détermine en pensée, souvenirs, désirs, sensations, perceptions, impulsions, sentiments (chittavrittî).  

 

Le Chitta est la conscience à partir de laquelle tout est formé, mais cette formation est faite par le mental, le vital ou une autre force qui sont, pour ainsi dire, les instruments par lesquels s'exprime le Chitta.  

 

Dans les deux sens: le Chitta reçoit ces choses, les communique au vital et au mental pour qu'ils leur donnent une forme, et le tout est transmis à la Bouddhi; mais il reçoit aussi des pensées de la Bouddhi et les transforme en désirs, en sensations, en impulsions.

 

 

Oui. Mais le Chitta ne reçoit pas les désirs et les sensations de la Bouddhi. Il puise des pensées dans la Bouddhi et les transforme en désirs.

 

 

Il y a toujours, ou au moins généralement, dans le Chitta, une réaction qui les modifie [les pensées, etc., reçues de l'extérieur], sauf quand il se contente de les recevoir et de les emmagasiner sans les transmettre aux instruments.  

 

 

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Oui, certainement, mais comme tout le travail [du Chitta] consiste à recevoir d'en haut, d'en bas ou d'alentour, il ne peut s'arrêter de le faire, il ne peut pas décider par lui-même ce qu'il recevra ou ne recevra pas. Il doit être aidé par la Bouddhi, la volonté vitale ou un pouvoir supérieur. Ensuite, quand la conscience supérieure descend, il commence à se transformer et devient capable de rejeter automatiquement ce qui n'est pas vrai, juste, divin, ou n'est pas utile à la croissance de ce qui est divin dans l'être.

 

Le Chitta est, en réalité, la conscience ordinaire, qui comprend le mental, le vital et le physique; mais pratiquement on peut admettre qu'il désigne quelque chose de central dans la conscience. Si on le concentre sur le Divin, le reste suit plus ou moins vite, comme une conséquence naturelle.

 

 

Le Chitta n'est pas près du cœur: si vous parlez de la substance de la conscience inférieure, elle n'a pas d'emplacement particulier. Toutes les choses de cette vie-ci sont là, dans cette substance de la conscience, mais le souvenir des vies passées est replié et enfoui ailleurs. Le cœur est le centre principal de cette conscience chez la plupart des hommes, c'est évident, de sorte que vous pouvez Sentir ses activités centrées à ce niveau.

 

 

Comme pour n'importe quelle partie de l'être - il y a une partie subconsciente du Chitta qui conserve les impressions passées et les transmet sous d'autres formes à la conscience dans le rêve, ou encore garde l'habitude de mouvements anciens et les fait surgir chaque fois qu'elle en trouve l'occasion.

 

 

 

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Si le mot vâsanâ est utilisé dans l'original, 60  il ne signifie pas "désir". Il désigne habituellement l'idée ou le sentiment mental émergeant du chitta: imaginations, impressions, souvenirs, etc., impressions agréables et désagréables, impressions de douleur et de plaisir. Ce que Vasistha voulait dire, c'est que si les idées, les impressions, les impulsions qui conduisent l'homme ordinaire à l'action viennent du chitta, celles qui apparaissent chez le Jîvanmoukta viennent tout droit du sattwa - de la conscience essentielle de l'être; en d'autres termes, ces formations ne sont pas mentales, mais spirituelles. On pourrait dire qu'au lieu de chittavritti, elles sont sattwapréranâ, indications directes de l'être intérieur sur ce qu'il faut penser, sentir ou faire. Quand le chitta n'est plus actif et que le mental est silencieux, ce qui arrive quand vient la moukti, et nul ne peut être Jîvanmoukta sans cela, alors ce qui reste, et qui perçoit et fait les choses, est ressenti comme une conscience essentielle, la conscience du vrai moi ou être vrai.

 

Mahat est, je suppose, la matrice essentielle et originelle de la conscience (involuée, non évoluée) en Prakriti, d'où viennent l'individualité et la formation.

 

 

Tanmâtrâ est seulement la base de matière. Dans le sâmkhya, la base est Pradhâna (de Prakriti) d'où provient la bouddhi et tout le reste. Dans le Védânta c'est la substance spirituelle d'où tout provient.  

60. Yoga-vâsistha.

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X

 

L'être vital contient quatre parties: d'abord le vital mental qui, par la pensée, le langage ou tout autre moyen, donne une expression mentale aux émotions, désirs, passions, sensations et autres mouvements de l'être vital; le vital émotif qui est le siège de sentiments divers, tels que l'amour, la joie, la tristesse, la haine, et le reste ; le vital central qui est le siège des désirs les plus ardents et des réactions les plus fortes du vital: ambition, orgueil, peur, amour de la gloire, attractions et répulsions, désirs et passions d'ordres divers, et qui est le champ d'un grand nombre d'énergies vitales; enfin le vital inférieur préoccupé des petits désirs et des petits sentiments dont est faite pour la plus grande partie notre vie quotidienne: désir de nourriture, désir sexuel, petits penchants, aversions, vanité, disputes, amour des louanges, colère devant les reproches, petites envies de toutes sortes et une foule innombrable d'autres choses. Leurs sièges se situent respectivement: 1) entre la gorge et le cœur, 2) dans le cœur (c'est un centre double qui, en avant, appartient à l'émotivité et au vital et, en arrière, au psychique), 3) entre le cœur et l'ombilic, 4) en-dessous de l'ombilic.

 

Il y a une partie de la nature que j'ai appelée le mental vital; ce mental n'a pas pour fonction de penser et de raisonner, de percevoir, de réfléchir et de découvrir ou d'évaluer les choses, car cette fonction appartient au mental pensant proprement dit, bouddhi - mais de faire des projets ou de rêver, ou d'imaginer ce qui peut être fait. Il fait des formations pour l'avenir que la volonté peut essayer de réaliser si l'occasion ou les circonstances deviennent favorables, ou même il peut travailler à les rendre favorables. Chez les hommes d'action, cette faculté prédomine et conduit leur nature; les grands hommes d'action la possèdent toujours à un très haut degré. Mais même si l'on n'est pas un homme d'action ou de réalisation  

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pratique, ou si les circonstances ne sont pas favorables, ou si l'on ne peut faire que de petites choses ordinaires, ce mental vital est là. Il agit alors sur une petite échelle, ou, s'il a besoin d'un certain sentiment d'élargissement, il lui arrive très souvent de faire des projets dans le vide, sachant qu'il ne peut réaliser ses plans, ou alors il imagine de grandes choses, des histoires, des aventures, de hauts faits dont il est lui-même le héros ou le créateur. Ce qui se passe en vous, et que vous décrivez, est la ruée de ce mental vital, de cette imagination vitale qui fabrique ses formations; son action ne vous est pas particulière, elle fonctionne à peu près de la même manière chez la plupart des gens, mais en chacun selon la tournure de sa fantaisie, de ses intérêts, de ses idées ou désirs préférés. Il vous faut devenir maître de son action et non pas lui permettre de s'emparer de votre mental, de l'entraîner quand et où elle veut. Dans la sâdhanâ, quand les expériences commencent à venir, il est extrêmement important de ne pas laisser ce pouvoir faire de vous ce qu'il veut; car il crée alors de fausses expériences conformes à sa nature et persuade le sâdhak que ces expériences sont vraies, ou il construit des formations irréelles et le persuade que c'est ce qu'il doit faire. Certains ont été emportés par cette force trompeuse utilisée par des pouvoirs du Mensonge qui s'en sont servi pour les persuader qu'ils avaient un grand travail spirituel, politique ou social à accomplir dans le monde et qui les ont entraînés vers les déconvenues et l'échec. Cela s'élève en vous afin que vous puissiez comprendre ce que c'est et le rejeter. Car il y a plusieurs choses que vous devez éliminer du plan vital avant que les expériences spirituelles plus grandes et plus profondes puissent, en toute sécurité, commencer ou continuer.

La descente de la paix est souvent l'une des premières expériences positives majeures de la sâdhanâ. Dans cet état de paix, le mental pensant normal (bouddhi) tend à devenir silencieux ou à faire cesser la plupart de ses activités, et quand cela se produit, il peut très souvent arriver soit que ce mental vital se précipite au-dedans, si l'on n'est pas sur ses gardes, soit qu'une sorte de mental physique mécanique ou de mental

 

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subconscient désordonné commence à surgir et à agir; ce sont eux les principaux perturbateurs du silence. Ou encore le mental vital inférieur peut essayer de créer des troubles, ce qui fait surgir l'ego, les passions et leur jeu. Tout cela indique des éléments à éliminer, parce que s'ils restent et que d'autres, venant des pouvoirs supérieurs, commencent à descendre: Pouvoir et Force, Connaissance, Amour ou Ânanda, ces choses inférieures peuvent s'interposer, de sorte que la conscience supérieure se retire, ou bien sa descente est recouverte et la stimulation qu'elle procure est utilisée à tort pour les desseins de la nature inférieure. C'est pour cette raison que bien des sâdhak, après avoir eu de grandes expériences, tombent dans les griffes d'un ego magnifié, dans les bouleversements, l'ambition, l'activité sexuelle exagérée ou d'autres passions et déformations vitales. Il est toujours bon, par conséquent, qu'une purification complète du vital précède ou accompagne l'expérience positive - au moins dans les natures où le vital est puissamment actif.

 

 

[Le mental vital:] c'est un mental de volonté dynamique (et non rationnalisante), d'action, de désir, préoccupé de force et d'accomplissement, de satisfaction et de possession, de jouissance et de souffrance, du besoin de donner et de prendre, de croître et de s'étendre, soucieux de réussite et d'échec, de bonne et de mauvaise fortune, etc., etc.  

 

La pensée vitale exprime des mouvements vitaux, le jeu des forces vitales - elle ne pense pas librement et indépendamment d'eux comme peut le faire le mental pensant. Le vrai mental pensant peut se tenir au-dessus des mouvements vitaux, les regarder, les observer, les juger librement, comme il observerait et jugerait des objets extérieurs. Chez la plupart des hommes, cependant, le mental pensant (la

 

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raison) est envahi par le mental vital et n'est pas libre.  

 

Dans son activité ordinaire, le mental vital est toujours en train d'imaginer, de penser, de prévoir ce qu'il faut faire pour ceci, de se demander comment arranger cela. Il a évidemment son utilité dans la nature humaine et l'action humaine, mais il agit à tort et à travers et avec excès, sans discipline, sans économiser ses pouvoirs ni se concentrer sur ce qu'il est réellement nécessaire de faire.

 

Ce qui vous vient ainsi dans le sommeil ou dans la veille appartient par nature aux imaginations et aux activités du mental vital qui concernent les choses, le travail, quoi que ce soit qui se présente au mental. Sur tout ce qui se présente au mental, l'imagination vitale en l'homme est capable de travailler, d'imaginer, de spéculer, de bâtir des idées ou des plans pour l'avenir, etc., etc. Cette imagination vitale a son utilité pour la conscience dans la vie ordinaire, mais dans le yoga elle doit s'apaiser et être remplacée par une action supérieure. C'est aussi dans le plan vital que vous entrez en dormant. Si vos expériences sur ce plan sont correctement observées et coordonnées, elles ont leur valeur, apportent une connaissance qui est utile et donnent une maîtrise sur le moi vital et sur le plan vital. Mais tout cela vous vient par l'intermédiaire du subconscient d'une manière incohérente - c'est cela qui est la cause de vos ennuis. Il faut calmer tout cela, et nous allons essayer de le faire. Quand je vous ai parlé de vous ouvrir, je voulais simplement dire que vous deviez vous persuader que l'aide vient, et avoir la volonté de la recevoir - pas nécessairement que vous deviez vous ouvrir par un effort.  

Ces imaginations proviennent d'une source qui n'a rien à voir

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avec la raison et ne tient compte d'aucune objection rationnelle. Elles viennent soit du mental vital - source même de toutes les belles imaginations, des longues histoires que les hommes se racontent, dont ils sont les héros, où ils font de grandes choses; soit de petites entités attachées au mental physique qui attrapent au hasard n'importe quelle suggestion et la présentent au mental uniquement pour voir si elle sera acceptée. Si l'on s'observe de près, on s'aperçoit que les choses les plus étranges, les plus extraordinaires, les plus absurdes traversent ainsi le mental ou y montrent leur nez. Habituellement on rit, on y fait à peine attention, et la chose retombe dans le monde de pensée incohérente d'où elle était sortie.

 

Là encore c'est le mental vital. Il n'a aucun sens des proportions ni de la mesure et il est impatient d'être ou d'accomplir quelque chose de grand tout de suite.

 

 

[Rêverie:] Tout cela c'est le mental vital; cette habitude d'imaginer se trouve chez tout le monde. Ce n'est pas très important, mais évidemment il faut s'en débarrasser, puisque la base en est l'ego.  

 

 

Le mental vital, dans la nature ordinaire, ne peut pas fonctionner sans ces imaginations: c'est pourquoi l'habitude en persiste longtemps. Le mieux est d'être détaché et indifférent, après un certain temps le mental vital s'en dégoûtera et abandonnera cette habitude.

 

 

Ce genre de conversation [parler mentalement à une autre personne] est très courant dans le mental vital. C'est une  

 

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manière qu'il a d'agir, sur le plan subtil, sur les choses auxquelles il s'intéresse, surtout quand l'action physique est interrompue ou réduite.

 

 

La question concernant le vital émotif et le vital supérieur est assez compliquée. Selon la classification dans laquelle le mental est considéré comme quelque chose de plus que l'intelligence qui pense, perçoit et veut, le vital émotif peut être compté comme une partie du mental, comme le vital dans le mental. Selon une autre classification, il est plutôt la partie la plus mentalisée de la nature vitale. Dans le premier cas, le terme "vital supérieur" se restreint à ce mouvement plus vaste de la force de vie consciente qui concerne la création, le pouvoir, la force, la conquête, l'acte de donner et de se donner, de moissonner dans le monde pour poursuivre l'action et dépenser le pouvoir, de se projeter au dehors dans les mouvements plus vastes de la vie; il répond aux objectifs plus grands de la Nature. Dans le second cas, l'être émotif se tient au sommet de la nature vitale et tous deux constituent le vital supérieur. À leur opposé se trouve le vital inférieur qui se préoccupe des mouvements plus étriqués de l'action et du désir, et qui s'étend jusqu'au vital physique où il soutient la vie des activités plus extérieures et toutes les sensations, tous les appétits, les convoitises, les satisfactions physiques. Le terme "inférieur" ne doit pas être pris dans un sens péjoratif; il s'applique seulement à la position dans la hiérarchie des plans. Car bien que cette partie de la nature, dans les êtres terrestres, tende à être très obscure et soit pleine de perversions - désir, avidités de toutes sortes, vanité, petites ambitions, colère mesquine, envie, jalousie sont ses hôtes ordinaires - elle a pourtant un autre aspect qui en fait un médiateur indispensable entre l'être intérieur et la vie extérieure.

Il n'est pas exact de dire que toute expérience psychique se traduit par un courant vital purifié et dirigé correctement: cela se produit quand l'expérience doit s'extérioriser en action.

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L'expérience psychique est en elle-même tout à fait indépendante et a ses propres formes caractéristiques. L'être psychique se tient derrière tous les autres; sa force est le vrai pouvoir de l'âme. Mais s'il vient au premier plan, il peut s'infuser dans tout le reste: le mental, le vital, la conscience physique peuvent être marqués de son empreinte et transformés par son influence. Quand la nature est correctement développée, il y a un psychique dans le mental, un psychique dans le vital, un psychique dans le physique. C'est quand le psychique est présent et puissant que nous pouvons dire de quelqu'un qu'il a manifestement une âme. Mais chez certains , il est tellement absent que nous devons faire appel à la foi pour nous persuader qu'ils ont une âme. Le centre de l'être psychique est derrière le centre de l'être émotif, c'est l'être émotif qui est le plus près, dynamiquement, du psychique; chez la plupart des hommes c'est à travers le centre émotif que le psychique peut être atteint le plus aisément, et à travers l'émotion devenue psychique qu'il peut s'exprimer le plus aisément. Beaucoup, par conséquent, confondent l'un et l'autre; mais il y a un monde entre les deux. Normalement, les émotions sont, par nature, vitales et ne font pas partie de la nature psychique.

Il ne faut pas oublier que si cette classification est indispensable à la connaissance psychologique de soi, à la discipline et à la pratique, elle rend le meilleur service quand on n'en fait pas une formule trop rigide ni trop tranchée. Car les choses s'interpénètrent beaucoup, et la perception synthétique de ces pouvoirs est aussi nécessaire que leur analyse. Le mental, par exemple, est partout. Le mental physique est placé, techniquement, sous le vital, et pourtant il est une prolongation du mental proprement dit et peut agir dans sa propre sphère par contact direct avec l'intelligence mentale supérieure. Et il y a aussi un obscur mental du corps, des cellules mêmes, des molécules, des corpuscules. Le matérialiste allemand Haeckel a parlé quelque part de la volonté dans l'atome, et la science récente traitant de l'incalculable variation individuelle dans l'activité des électrons, n'est pas loin de

 

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percevoir que cela n'est pas une métaphore, mais l'ombre projetée par une secrète réalité. Ce mental corporel est une vérité très tangible; en raison de son obscurité et de son attachement mécanique aux mouvements passés, de sa facilité à oublier et à rejeter les mouvements nouveaux, nous trouvons en lui l'un des obstacles majeurs qui empêchent la Force supramentale de pénétrer les fonctionnements du corps et de les transformer. En revanche, une fois que ce mental corporel sera effectivement converti, il sera l'un des instruments les plus précieux pour stabiliser la Lumière et la Force supramentales dans la Nature matérielle.

 

 

Il n'est pas possible de dire avec précision ce que sera la résistance dans les parties supérieures du vital, quelle forme elle prendra, car ces formes peuvent être différentes selon les caractères. Il est tout à fait normal qu'une résistance à la descente de la conscience supérieure se manifeste presque à chaque point; car chacune des différentes parties de la nature actuelle est plus ou moins attachée à sa manière particulière et établie de voir, d'agir, de sentir, de réagir aux choses, aux mouvements habituels et aux formations coutumières de son propre domaine, que chaque individu s'est fabriquée dans le passé ou dans sa vie actuelle. Ce qui est nécessaire, c'est une plasticité générale de la conscience mentale, vitale, physique, une promptitude à abandonner tout attachement à ces choses, à accepter tout ce que la conscience supérieure fait descendre avec elle, si contraire que ce soit aux idées reçues, aux sentiments acquis, aux habitudes du caractère de chacun. Plus la plasticité sera grande dans une partie quelconque de la nature et moindre sera la résistance.

J'appelle parties vitales supérieures de la nature le mental vital, la nature émotive, la dynamique de la force de vie dans l'être. Le mental vital est cette partie de l'être vital qui construit, prévoit, imagine, dispose les choses et les pensées selon les impulsions de vie, les désirs, la volonté de pouvoir ou

 

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de possession, la volonté d'action, les émotions, les réactions de l'ego vital dans la nature. Il faut le distinguer de la volonté raisonnante qui organise et dispose les choses suivant les ordres du mental pensant proprement dit, de la raison discriminatrice ou encore suivant l'intuition mentale, ou une perspicacité et un jugement directs. Le mental vital utilise la pensée pour servir, non la raison, mais l'impulsion de vie et le pouvoir de vie, et quand il fait appel au raisonnement, c'est pour légitimer les ordres de ces pouvoirs, imposer leurs ordres à la raison au lieu de gouverner l'action des forces de vie par une volonté discriminatrice. Ce vital supérieur, avec toutes ses parties, est situé dans la poitrine; sa principale citadelle est le centre cardiaque qui régit toute cette partie jusqu'à l'ombilic. Inutile de parler de la nature émotive: son caractère et ses mouvements sont connus de tous. Depuis l'ombilic jusqu'en bas, c'est le règne des passions, des sensations vitales et de toutes les petites impulsions de vie qui constituent l'essentiel de la vie et du caractère de l'homme ordinaire. C'est ce que nous appelons la nature vitale inférieure. Le moûlâdhâra est le principal support de la conscience physique et des parties matérielles de la nature.

L'antarâtman est l'âme, la parcelle du Divin qui est la base la plus profonde de l'individu en évolution et soutient le mental, la vie, le corps, parties instrumentales de la nature à travers lesquelles l'âme essaie de croître depuis l'Inconscience matérielle jusqu'à la Lumière et l'Immortalité divines qui constituent son être véritable. Les limitations de ses instruments la contraignent d'accepter les mouvements inférieurs et de consentir à des compromis entre l'âme et la nature, ce qui retarde son mouvement, alors même qu'elle tire de ces échanges ses moyens d'avancer. L'être psychique est la forme d'âme ou la personnalité d'âme qui se développe à travers cette évolution et passe de vie en vie jusqu'à ce que tout soit prêt pour l'évolution supérieure au-delà de l'Ignorance.

La réalisation de l'être psychique, son éveil et sa venue au premier plan dépendent principalement de la mesure dans laquelle on peut élaborer une relation personnelle avec le

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Divin, une relation de Bhakti, d'amour, de confiance, de don de soi, de rejet des obstinations de l'ego mental, vital et physique séparateur qui cherche à s'affirmer.

J'ai peu à dire sur la dernière question. Sanatkoumar est, je crois, l'un des quatre fils nés du mental de Brahmâ; il ne peut donc pas être identifié à Skanda qui est un fils de Shiva.

 

L'être émotif est lui-même une partie du vital.

 

Le cœur est le centre de l'être émotif et les émotions sont des mouvements vitaux. Quand le cœur est purifié, les émotions vitales se changent en sentiments psychiques ou encore en mouvements vitaux transformés par le psychique.  

 

Il arrive que les pensées, les émotions, les impulsions qui émergent du mental, du cœur et du vital de l'homme soient pures et vraies, car tout n'y est pas mauvais. Le cœur peut ne pas être purifié, mais cela ne signifie pas que tout ce qu'il contient soit impur.

 

 

Au-dessus du cœur est le mental vital, mais le point d'où s'élèvent les sensations est plus bas, non plus haut que celui d'où s'élève l'émotion.

La sensation est beaucoup plus proche du physique que l'émotion.

Le désir est situé sous le cœur, dans le vital central (ombilic) et dans le vital inférieur, mais il met en mouvement l'émotion et le mental vital.

 

 

 

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Je fais la distinction [entre les mouvements du vital inférieur et les émotions du cœur] en observant d'où ils proviennent. La colère, la peur, la jalousie touchent le cœur, sans aucun doute, de même qu'elles touchent le mental, mais elles surgissent de la région de l'ombilic et des entrailles (c'est-à-dire du vital inférieur ou, au plus haut, du vital médian). Il y a dans "Kidnapped" de Stevenson un passage frappant où le héros note qu'il ressent la peur non dans le cœur, mais surtout dans le ventre. L'amour, l'espoir ont leur siège principal dans le cœur, comme la pitié, etc.  

La joie est un sentiment vital, comme son opposé, le chagrin.

 

Mais est-il vrai que même la colère, qui appartient au vital inférieur et par conséquent est proche du corps, produise invariablement ces effets?61 Évidemment, le psychologue ne peut pas savoir qu'un homme est en colère, à moins d'en voir des signes physiques, mais il ne peut pas savoir non plus ce qu'un homme pense à moins que celui-ci ne le dise ou l'écrive - est-ce qu'il s'ensuit qu'un état d'esprit ne peut pas être "imaginé" sans aucun signe prononcé ou écrit? Un Japonais qui a l'habitude de contrôler toutes ses "émotions" et de n'en donner aucun signe (s'il est en colère, le premier signe que vous sentirez sera un couteau planté dans le ventre par un assaillant calme ou souriant) ne montre rien de tel quand il est en colère - pas même le "bouillonnement" dans la poitrine; à la place, un feu stable brûlera jusqu'à ce que sa colère se traduise en acte.  

 

61. Signes physiques: bouillonnement dans la poitrine, rougeur du visage, etc.

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Un vital fort est un vital plein de force de vie, qui a de l'ambition, du courage, une grande énergie, une force pour l'action ou pour la création, un large mouvement d'expansion, que ce soit dans le don généreux ou dans la possession, le commandement, la domination, le pouvoir de réaliser et de matérialiser - et bien d'autres formes de la force vitale. Il est souvent difficile à un vital comme celui-là de se soumettre, car il a le sens de ses propres pouvoirs - mais s'il peut le faire, il devient un admirable instrument de l'Œuvre divine.62

 

Non, un vital faible n'a pas la force de se tourner vers la spiritualité; et étant faible, il tombe plus facilement sous une mauvaise influence et éprouve des difficultés, même quand il le veut, à accepter tout ce qui dépasse sa propre nature habituelle. Le vital fort, quand la volonté est là, peut le faire beaucoup plus facilement; son unique difficulté centrale est l'orgueil de l'ego et l'attirance de ses pouvoirs.

La poitrine a plus de liens avec le psychique qu'avec le vital. Un vital fort peut avoir un physique solide, mais tout aussi souvent ce n'est pas le cas - il tire trop sur le physique, le dévore en quelque sorte.63

 

Je crois avoir dit qu'il [un ancien désir] subsistait dans la partie subconsciente du vital physique. De même qu'il existe un mental physique, il y a un vital physique, un vital entièrement tourné vers les choses physiques, plein de désirs et d'appétits, entièrement adonné à la recherche des plaisirs sur le plan physique.

 

62. Nouvelles Lumières sur le Yoga, chapitre 2.

63. Nouvelles Lumières sur le Yoga, chapitre 2.

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Le vital physique est l'être des petits désirs, des petites convoitises, etc. ; le physique vital est l'être nerveux; ils sont étroitement liés.

 

 

Le physique vital gouverne toutes les petites réactions quotidiennes aux choses extérieures: réactions des nerfs, de la conscience physique et des émotions et sensations réflexes; il motive la plupart des actions ordinaires de l'homme et se joint aux parties inférieures du vital proprement dit pour produire le désir, la jalousie, la colère, la violence, etc. Dans ses parties les plus basses (vital matériel) il est l'agent de la douleur, de la maladie physique, etc.  

 

 

Oui - elles [les distinctions entre le vital inférieur, le vital physique et le vital le plus matériel] deviennent très claires pour la conscience qui grandit. Et ces distinctions sont nécessaires - autrement on peut influencer ou maîtriser le vital inférieur ou une partie du vital physique, et constater ensuite avec stupéfaction que quelque chose d'insaisissable, mais d'apparemment invincible, continue à résister: c'est le vital matériel avec tout ce que, dans les autres parties, il peut influencer par sa résistance.

 

 

La partie nerveuse de l'être est une portion du vital - c'est le physique-vital, la force de vie étroitement engrenée dans les réactions, désirs, besoins, sensations du corps. Le vital proprement dit est la force de vie agissant selon sa nature propre, ses impulsions, ses émotions, ses sentiments, ses désirs, ses ambitions, etc., dont le centre le plus haut est ce qu'on pourrait appeler le cœur extérieur de l'émotion, tandis qu'il y a un cœur intérieur où se trouvent les sentiments et

 

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sensibilités supérieurs ou psychiques, les émotions ou les impulsions et les élans intuitifs de l'âme. Pour que nous soyons complets, cette partie vitale de nous-mêmes est bien entendu nécessaire, mais elle ne devient un instrument vrai que lorsque ses sentiments et ses tendances ont été purifiés par le contact psychique et qu'ils sont pris en main et gouvernés par la lumière et le pouvoir spirituels.

 

Un vital subtil - je ne sais pas. On parle du physique subtil pour le distinguer du physique matériel grossier, parce que dans notre expérience normale tout physique est grossier, sthoûla. Mais le vital est, de par sa nature, non matériel; l'adjectif est donc superflu. Nous appelons vital matériel le vital qui est involué dans la Matière au point que celle-ci l'enchaîne par ses mouvements et son caractère grossièrement physique; son action consiste à soutenir le corps, à lui donner de l'énergie, à conserver en lui la capacité de vivre, de grandir, de se mouvoir, etc., et aussi d'être sensible aux contacts extérieurs.  

 

 

Cette question n'a aucune signification pratique, car le corps peut recevoir les forces physiques-vitales de partout: autour, au-dessous et au-dessus. Les plans s'ordonnent l'un par rapport à l'autre et non par rapport au corps. L'un par rapport à l'autre, le physique vital est au-dessous du mental physique, mais au-dessus du mental matériel; mais en même temps ces pouvoirs interpénètrent

 

L'énergie du corps est une manifestation de forces matérielles soutenue par l'énergie physique-vitale, qui est l'énergie vitale précipitée dans la matière et soumise à ses conditions.

 

 

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Le mot vitalité désigne la force de vie - partout où est la vie, dans la plante, dans l'animal ou dans l'homme, il y a une force de vie; sans le vital, il ne peut pas y avoir de vie dans la matière, ni d'action vivante. Le vital est une force nécessaire et rien ne peut être fait ni créé dans l'existence corporelle, si le vital n'est pas là en tant qu'instrument. Même la sâdhanâ a besoin de la force vitale.

Mais si le vital n'est pas régénéré et qu'il est esclave du désir, de la passion et de l'ego, alors il est aussi nuisible qu'il pourrait, autrement, être une aide. Même dans la vie ordinaire le vital doit être dominé par le mental et la volonté mentale, sinon il apporte désordre ou désastre. Quand les gens parlent d'un homme vital, ils entendent par là qu'il est sous l'empire d'une force vitale non dominée par le mental ou par l'esprit. Le vital peut être un bon instrument, mais il est un mauvais maître.

Il ne faut ni tuer ni détruire le vital, mais le purifier et le transformer par la direction psychique et spirituelle.

 

 

Le physique dépend du vital, à chaque pas - il ne pourrait rien faire sans l'aide du vital; il est donc tout à fait naturel qu'il accepte ses suggestions.

 

 

La vie physique ne peut durer sans le corps, pas plus que le corps ne peut vivre sans la force de vie, mais la vie elle-même a une existence séparée et un corps séparé qui lui sont propres; c'est le corps vital, tout comme le mental a une existence séparée et peut exister sur son propre plan. C'est le psychique qui assure la cohésion de toute l'organisation et qui soutient tout.

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XI

 

Chaque plan de notre être - mental, vital, physique - a sa propre conscience, chacune étant séparée bien qu'elles soient reliées entre elles et agissent l'une sur l'autre; mais pour notre mental et nos sens extérieurs, dans notre expérience de veille, elles sont toutes confondues. Le corps, par exemple, a sa propre conscience à partir de laquelle il agit, même sans aucune volonté mentale de notre part, ou même à rencontre de cette volonté, et notre mental de surface sait très peu de chose de cette conscience corporelle, ne la ressent que d'une manière imparfaite, n'en voit que les effets dont il a la plus grande difficulté à découvrir les causes. Acquérir la perception de cette conscience corporelle séparée, voir et sentir ses mouvements et les forces qui agissent sur elle de l'intérieur ou de l'extérieur, et apprendre à la maîtriser et à la diriger même dans ce que ses processus ont de plus caché et (pour nous) de plus subconscient, tout cela fait partie du yoga. Mais la conscience corporelle elle-même n'est qu'une partie de la conscience physique individualisée en nous, que nous rassemblons et construisons à partir des forces secrètement conscientes de la Nature physique universelle.

Il y a la conscience physique universelle de la Nature, et il y a la nôtre, qui en fait partie, est mue par elle, et que l'être central utilise comme support de son expression dans le monde physique, et pour manipuler directement tous ces objets, ces mouvements et ces forces extérieurs. Ce plan de conscience physique reçoit des autres plans leurs pouvoirs et leurs influences et en fait des formations dans son propre domaine. Par conséquent, nous avons un mental physique en plus du mental vital et du mental proprement dit; nous avons, en nous, une partie physique-vitale - l'être nerveux - en plus du vital proprement dit; et tous deux sont largement soumis aux conditions de la partie corporelle grossièrement matérielle qui est, pour notre expérience, presque entièrement subconsciente.

Le mental physique est celui qui est fixé sur les objets et les

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événements physiques, ne voit et ne comprend qu'eux, et les manie selon leur propre nature, mais ne réagit qu'avec difficulté aux forces supérieures. Livré à lui-même, il est sceptique à l'égard de l'existence de ce qui est supraphysique, dont il n'a aucune expérience directe et à quoi il ne peut trouver aucune explication; même quand il a des expériences spirituelles, il les oublie facilement, en perd l'impression et le résultat, et peut difficilement y croire. L'illumination du mental physique par la conscience des plans supérieurs, spirituel et supramental, est l'un des objectifs de ce yoga, de même que son illumination par les pouvoirs des éléments du vital supérieur et du mental supérieur de l'être constitue la plus grande partie du développement de l'homme par lui-même, de la civilisation et de la culture.

Le physique vital, au contraire, est le véhicule des réactions nerveuses de notre nature physique; c'est le domaine et l'instrument des sensations mineures, des petits désirs, des petites réactions de toutes sortes aux chocs de la vie physique extérieure et grossièrement matérielle. Cette partie physique vitale (soutenue par la partie la plus basse du vital proprement dit) est par conséquent l'agent de la plupart des petits mouvements de notre vie extérieure; ses réactions habituelles, ses mesquineries obstinées sont la principale pierre d'achoppement sur le chemin de la transformation de la conscience extérieure par le yoga. Elle est aussi en grande partie responsable de la plupart dès souffrances et des maladies du mental ou du corps que subit l'être physique dans la Nature.

Quant à la partie grossièrement matérielle, il n'est pas nécessaire de préciser sa place, car elle est évidente; mais il faut se souvenir qu'elle aussi a une conscience qui lui est propre, l'obscure conscience propre aux membres, aux cellules, aux tissus, aux glandes, aux organes. Rendre cette obscurité lumineuse, utilisable directement par les plans supérieurs et par le mouvement divin est ce que nous appelons, dans notre yoga, rendre le corps conscient - c'est-à-dire plein d'une perception vraie, éveillée, capable de répondre, et non

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de sa demi-subconscience obscure et limitée.

Il y a, en plus de la conscience extérieure, une conscience intérieure dans tout notre être, à tous les niveaux. L'homme ordinaire ne perçoit que son moi de surface et non tout ce qui est caché par cette surface. Et pourtant ce qui est à la surface, ce que nous connaissons ou pensons connaître de nous-mêmes, ou même que nous croyons être tout ce que nous sommes, n'est qu'une petite partie de notre être; et sous là - surface se trouve la partie de nous-mêmes qui est, de loin, la plus vaste. Ou, plus précisément, elle est derrière la conscience de surface, derrière le voile, occulte, et ne peut être connue que par la connaissance occulte. La psychologie moderne et la science psychique ont commencé à percevoir un tout petit peu cette vérité. La psychologie matérialiste appelle cette partie cachée l'Inconscient, tout en admettant, pratiquement, qu'elle est beaucoup plus grande, plus profonde et plus puissante que le moi conscient de surface - rejoignant en cela les Oupanishad qui appelaient le supraconscient en nous le moi de Sommeil, quoiqu'il soit dit aussi que ce moi de Sommeil est une Intelligence infiniment plus grande, omnisciente, omnipotente, Prâjna, l'îshwara. La science psychique appelle cette conscience cachée le moi subliminal et là aussi on constate que ce moi subliminal a davantage de pouvoirs, plus de connaissance, un champ d'activité plus libre que le moi plus petit qui est à la surface. Mais la vérité est que tout cela, qui est derrière, cet océan dont notre conscience de veille n'est qu'une vague ou une série de vagues, ne peut être décrit par un terme unique, car c'est très complexe. Une partie en est subconsciente, inférieure à notre conscience de veille, une partie est au même niveau, mais en arrière et beaucoup plus vaste qu'elle; une partie est au-dessus et, pour nous, supraconsciente. Ce que nous appelons notre mental n'est qu'un mental extérieur, une action mentale de surface, utilisable seulement pour l'expression partielle d'un mental plus vaste par derrière que nous ne percevons pas habituellement, et que nous ne pouvons connaître qu'en entrant à l'intérieur de nous-mêmes. De même aussi, ce que nous connaissons du

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vital en nous n'est que le vital extérieur, une activité de surface qui exprime partiellement un vital secret plus vaste que nous ne pouvons connaître qu'en allant à l'intérieur. De même, ce que nous appelons notre être physique n'est que la projection visible d'une conscience physique invisible, plus grande et plus subtile, qui est beaucoup plus complexe, beaucoup plus éveillée, beaucoup plus vaste dans sa réceptivité, beaucoup plus ouverte, souple, libre.

Si vous comprenez cette vérité et en avez l'expérience, alors seulement vous serez capable de réaliser ce qu'on entend par mental intérieur, vital intérieur, conscience physique intérieure. Mais il faut noter que ce terme "intérieur" est utilisé dans deux sens différents. Parfois il désigne la conscience voilée de l'être extérieur, le mental, le vital ou le physique au-dedans, qui est en contact direct avec le mental universel, les forces de vie universelles, les forces physiques universelles. Parfois, au contraire, nous parlons d'un mental, d'un vital, d'un physique intérieurs profonds, appelés plus précisément conscience mentale vraie, vitale vraie, physique vraie, plus proches de l'âme et capables de réagir très facilement et très directement à la Lumière et au Pouvoir du Divin. Aucun yoga véritable n'est possible, et moins encore un yoga intégral, si nous ne nous retirons pas du moi extérieur pour commencer à percevoir tout cet être intérieur et toute cette nature intérieure. Car alors seulement nous pouvons briser les limites de notre moi extérieur ignorant qui ne reçoit consciemment que les contacts extérieurs et connaît les choses indirectement à travers le mental et les sens extérieurs, et commencer à percevoir directement la conscience universelle et les forces universelles qui jouent à travers nous et autour de nous. Alors seulement aussi, nous pouvons espérer percevoir directement le Divin en nous, et être directement en contact avec la Lumière divine et la Force divine. Autrement, nous ne pouvons sentir le Divin qu'à travers des signes extérieurs et des résultats extérieurs; c'est une voie difficile et incertaine, très intermittente et inconstante, qui mène seulement à la croyance et non à la connaissance, non à la conscience et à la

 

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perception directe de la présence constante.

Pour illustrer cette différence, je puis vous donner deux exemples tirés de deux pôles d'expérience opposés: l'un concerne les phénomènes les plus extérieurs et montre comment l'intérieur s'ouvre à la perception des forces universelles; l'autre concerne l'expérience spirituelle et indique comme l'intérieur s'ouvre au Divin. Prenez la maladie. Si nous vivons seulement dans la conscience physique extérieure, d'habitude nous ne savons pas que nous allons tomber malades avant que les symptômes de la maladie ne se déclarent dans le corps. Mais si notre conscience physique intérieure est développée, nous percevons une atmosphère subtile environnante et nous pouvons sentir les forces de la maladie venir vers nous à travers elle, nous les sentons même à distance et, si nous avons appris à le faire, nous pouvons les arrêter par la volonté ou autrement. Nous avons aussi, autour de nous, la sensation d'une enveloppe physique-vitale ou nerveuse qui irradie autour du corps et le protège, et nous pouvons sentir les forces adverses essayer de la percer; nous pouvons alors intervenir, les arrêter ou renforcer l'enveloppe nerveuse. Ou nous pouvons sentir les symptômes de la maladie - d'une fièvre ou d'un rhume, par exemple - dans l'enveloppe physique subtile, avant qu'ils ne se manifestent dans le corps grossier, et les y détruire, les empêcher de se manifester dans le corps. Prenez maintenant l'appel au Pouvoir, à la Lumière, à l'Ânanda du Divin. Si nous vivons seulement dans la conscience physique extérieure, cela peut descendre et agir derrière le voile, mais nous ne sentirons rien; nous verrons seulement certains résultats longtemps après. Ou tout au plus sentirons-nous une certaine clarté, une certaine paix dans le mental, une joie dans le vital, un état heureux dans le physique, et nous en déduirons que le contact du Divin est là. Mais si nous sommes éveillés dans le physique, nous sentirons la lumière, le pouvoir ou l'Ânanda parcourir le corps, les membres, les nerfs, le sang, la respiration et, à travers le corps subtil, atteindre les cellules les plus matérielles, les rendre conscientes et béatifiques, et nous aurons directement la

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sensation du Pouvoir et de la Présence du Divin. Ce ne sont que deux exemples parmi des milliers, dont le sâdhak peut avoir constamment l'expérience.

 

 

En tout il y a une partie physique: même le mental a une partie physique; il y a un physique mental, un mental du corps et un mental matériel. L'être émotif aussi a une partie physique, dont la localisation n'est pas séparée du reste de l'être émotif. On ne peut faire cette distinction que lorsque la conscience devient suffisamment subtile.  

 

[Le matériel:] C'est le degré le plus physique du physique. Il y a le physique mental, le physique vital, le physique matériel.  

 

 

Oui - ou du moins c'est [la conscience matérielle] une partie distincte de la conscience physique. Le mental physique, par exemple, est étroit, borné, souvent stupide, mais il n'est pas inerte. La conscience matérielle, au contraire, est inerte et aussi, dans une large mesure, subconsciente; elle n'est active que lorsqu'une énergie l'entraîne, autrement elle reste inactive et immobile. Quand, pour la première fois, on entre en contact direct avec ce niveau, le corps a une sensation d'inertie et d'immobilité, le vital physique se sent épuisé ou las; dans le mental physique, il y a une absence de prakâsha et pravritti 64 ou seulement des pensées et des impulsions très ordinaires. J'ai mis beaucoup de temps à faire descendre une lumière ou un pouvoir quelconque à ce niveau. Mais dès qu'il est illuminé, l'avantage est que le subconscient devient conscient, et ainsi un obstacle très fondamental est éliminé de la sâdhanâ.

 

64. Prakâsha: illumination, irradiation de clarté; pravritti: élan vers l'action et le travail.

 

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L'expression "physique grossier" désigne le physique terrestre et corporel, tel que le mental sensoriel extérieur et les sens en ont l'expérience. Mais il ne constitue pas la totalité de la Matière. Il y a aussi un physique subtil qui contient une conscience plus subtile, et peut, par exemple, aller à une certaine distance du corps et cependant sentir et percevoir les choses d'une manière qui n'est pas purement vitale ou mentale. Le mental et le vital, quant à eux, sont partout - il y a un mental et une vie obscurs, même dans les cellules du corps, dans les pierres, les molécules et les atomes.  

 

 

Les nerfs physiques font partie du corps matériel,  mais ils s'étendent jusqu'à pénétrer le corps subtil, et il y a une connexion entre les deux.

 

 

Oui, il y a des nerfs dans le corps subtil.

Oui - enveloppes est simplement un terme qui désigne les corps, parce que chacun est superposé à l'autre, agit comme un revêtement et peut être enlevé. Ainsi le corps physique lui-même est appelé l'enveloppe de nourriture, et quand il est rejeté cela s'appelle la mort.

 

C'est ce qui est appelé l'enveloppe nerveuse entourant le corps. Vous voyez probablement le soûkshma et l'enveloppe nerveuse en même temps. Le soûkshma déha contient le sthoûla déha, 65  mais il n'est pas enfermé dans ses limites.  

 

Vous ne pouvez distinguer les différentes enveloppes que par  

65. Soûkshma: subtil; soûkshma déha: corps subtil; sthoûla déha: corps grossier.

 

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intuition ou par expérience; vous aurez alors établi la connaissance directe des différentes enveloppes.  

 

 

L'apparence de l'être dans d'autres plans n'est pas nécessairement semblable à celle du corps physique. Très souvent, la forme que prend l'être vital, psychique ou mental est très différente de la forme physique. Même si, en gros, ils se ressemblent, il y a toujours une certaine différence.

 

XII

 

Dans notre yoga, nous entendons par subconscient cette partie tout à fait submergée de notre être où il n'y a ni pensée, ni volonté, ni sentiment consciemment éveillés et cohérents, ni réaction organisée, mais qui pourtant reçoit obscurément les moindres impressions et les emmagasine au fond de soi; c'est de là aussi que peuvent surgir en rêve, ou même à l'état de veille, toutes sortes d'impulsions et de mouvements habituels invétérés qui se répètent grossièrement ou se déguisent sous d'étranges formes. Car, si ces impressions surgissent surtout en rêve d'une manière incohérente et chaotique, elles peuvent aussi surgir, et en fait surgissent dans notre conscience de veille, sous forme de répétition mécanique d'anciennes pensées, d'anciennes habitudes mentales, vitales et physiques, sous forme d'obscure excitation à des sensations, des actions, des émotions dont notre pensée ou notre volonté conscientes ne sont ni l'origine ni la cause et qui souvent même sont contraires à leurs perceptions et à leur choix ou à leurs injonctions. Il y a, dans le subconscient, un mental obscur plein de samskâra opiniâtres, impressions, associations, idées fixes, réactions habituelles formées par notre passé; un vital obscur qui contient la semence des sensations, des réactions nerveuses et des désirs habituels; un physique matériel extrêmement obscur qui gouverne en grande partie

 

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l'état de notre corps. Il est largement responsable de nos maladies; en fait, les maladies chroniques ou récurrentes sont surtout dues au subconscient, à sa mémoire obstinée et à son habitude de répéter tout ce qui s'est imprimé sur la conscience corporelle. Mais il faut distinguer clairement ce subconscient physique des parties subliminales de notre être, tels la conscience physique interne ou subtile, le vital interne ou le mental interne; car ces parties-là ne sont nullement obscures, incohérentes ou inorganisées, mais seulement voilées à notre conscience superficielle. Notre surface reçoit constamment des impulsions de ces sources - contacts, communications ou influences intérieures -, mais la plupart du temps sans savoir d'où elles viennent. 66  

 

 

Non, "subliminal" est un terme général employé pour toutes les parties de l'être qui ne sont pas à la surface de veille. "Subconscient" est très souvent utilisé dans ce sens par les psychologues européens, parce qu'ils ne connaissent pas cette différence. Mais quand j'utilise ce mot, je parle toujours de ce qui est au-dessus de la conscience physique ordinaire, non de ce qui est derrière elle. Le mental intérieur, le vital intérieur, le physique intérieur, le psychique ne sont pas subconscients dans ce sens, mais on peut dire qu'ils sont subliminaux.

 

Le subconscient est au-dessous de la conscience physique de veille - c'est un domaine automatique, obscur, incohérent, à-demi inconscient, dans lequel la lumière et la perception ne peuvent pénétrer qu'avec difficulté. Le vital intérieur et le physique intérieur sont tout différents; leur conscience est plus largement plastique, plus subtile, plus libre et plus riche que celle du vital et du physique de surface, beaucoup plus ouverte à la Vérité et en contact direct avec l'universel.

 

66. Lumières sur le Yoga, chapitre 2. Traduction de la Mère.

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Le subconscient est universel autant qu'individuel, comme toutes les autres parties principales de la nature. Mais il y a des parties ou des plans différents dans le subconscient. Tout sur terre est basé sur l'"Inconscient", comme on l'appelle, bien que réellement il ne soit pas du tout inconscient mais au contraire une complète sub-conscience, une conscience "involuée" ou enfermée, qui contient tout, mais en laquelle rien n'est formulé ni exprimé. Le subconscient se trouve entre cet Inconscient et la conscience du mental, de la vie et du corps. Il contient en puissance toutes les réactions primitives devant la vie, qui luttent pour émerger, sortir des rivages ternes et inertes de la Matière, et qui, par un développement constant, forment une conscience en évolution se formulant peu à peu; il les contient, non comme des idées ou des perceptions ou des réactions conscientes, mais comme la substance fluide de ces choses. En outre, toutes nos expériences conscientes s'enfoncent dans le subconscient, non pas comme des souvenirs précis, bien que submergés, mais comme des impressions d'expérience, à la fois obscures et obstinées; et ces impressions peuvent à tout moment remonter sous forme de rêves, de répétitions mécaniques de pensées et de sentiments ou d'actions du passé, de "complexes" explosant en actions ou en événements, etc. C'est surtout à cause du subconscient que tout se répète et que jamais rien ne change, sauf en apparence. C'est pourquoi l'on dit que le caractère ne peut être changé, et c'est aussi la cause du retour constant des difficultés dont on espérait s'être débarrassé pour toujours. Toutes les semences sont là, ainsi que tous les samskâra du mental, du vital et du corps; c'est le principal support de la mort et de la maladie, et la dernière forteresse (imprenable à ce qu'il semble) de l'Ignorance. Tout ce qui est réprimé, mais non complètement rejeté, s'y enfonce et y demeure comme une semence, prêt à surgir à la surface ou à germer à la première occasion. 67

 

67. Les Bases du Yoga, chapitre 5. Traduction de la Mère.

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Le subconscient ne constitue pas toute la fondation de la nature; il est seulement la base inférieure de l'Ignorance et affecte principalement la conscience vitale inférieure et la conscience physique extérieure, et celles-ci, à leur tour, influencent les parties supérieures de la nature. S'il est bon de voir ce qu'il est et comment il agit, on ne doit pas être trop préoccupé par ce côté obscur ou par cette apparence de l'être instrumental. On doit plutôt le considérer comme quelque chose qui n'est pas soi, comme le masque d'une nature fausse posé sur l'être vrai par l'Ignorance. L'être vrai est l'être intérieur, avec toutes ses vastes possibilités d'atteindre et d'exprimer le Divin, et spécialement l'être le plus profond, l'âme, le Pourousha psychique qui est toujours, dans son essence, pur, divin, tourné vers tout ce qui est bon, vrai, beau. L'être extérieur doit être saisi par l'être intérieur et transformé pour n'être plus l'instrument des éruptions de la Nature subconsciente ignorante, mais celui du Divin. C'est en se souvenant constamment du cela, et en ouvrant la nature vers le haut que l'on peut atteindre la Conscience divine et qu'elle peut descendre dans toute l'existence intérieure et extérieure, mentale, vitale, physique, dans le subconscient, le subliminal, dans tout ce que nous sommes, ouvertement ou secrètement. Ce doit être la préoccupation principale. S'occuper seulement du subconscient et de l'aspect imparfait engendre la dépression et doit être évité. Il faut conserver un juste équilibre et insister principalement sur le côté positif, en reconnaissant que l'autre existe, mais seulement pour le rejeter et le changer. C'est cela, et aussi une foi, une confiance constantes en la Mère, qui est nécessaire pour que vienne la transformation.

P. S. Il est certain qu'en ce qui concerne les habitudes vitales, la rupture brutale et décisive est la voie la plus facile et la meilleure.

 

Le subconscient est une conscience muette, cachée et inexprimée  

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qui fonctionne sous toutes nos activités physiques conscientes. Tout comme ce que nous appelons le supraconscient est en réalité une conscience supérieure, située au-dessus, et d'où certaines choses descendent dans l'être, de même le subconscient est au-dessous de la conscience corporelle et certaines choses s'élèvent de là pour pénétrer dans le physique, le vital et la nature mentale.

De même que la conscience supérieure est supraconsciente pour nous et soutient toutes nos possibilités et notre nature spirituelles, de même le subconscient est la base de notre être matériel et soutient tout ce qui monte dans la nature physique.

Les hommes ne sont habituellement conscients ni de l'un, ni de l'autre de ces plans de leur être, mais par la sâdhanâ ils peuvent en acquérir la perception.

Le subconscient conserve les impressions de toutes nos expériences passées dans la vie; celles-ci peuvent en remonter sous forme de rêves: la plupart des rêves dans le sommeil ordinaire sont des formations constituées d'impressions subconscientes.

Si certaines choses reviennent périodiquement et avec force dans notre conscience physique, au point qu'il lui est difficile de se débarrasser de ses habitudes, c'est en grande partie parce que le subconscient leur donne son appui. Le subconscient est plein d'habitudes irrationnelles.

Quand les choses sont rejetées de toutes les autres parties de la nature, ou bien elles vont dans la conscience environnante autour de nous, à travers laquelle nous communiquons avec les autres et avec la Nature universelle, et de là essaient de revenir, ou bien elles s'enfoncent dans le subconscient et peuvent en émerger de nouveau, même après être restées si longtemps en repos que nous les croyons parties.

Quand on entreprend de changer la conscience physique, la résistance principale vient du subconscient. Il entretient ou ramène constamment l'inertie, la faiblesse, l'obscurité, le manque d'intelligence qui affligent le mental et le vital

 

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physiques, ou les peurs, les désirs, les colères, les appétits obscurs du vital physique, ou les maladies, les lourdeurs, les douleurs, les incapacités auxquelles est sujette la nature corporelle.

Si la lumière, la force, la Conscience de la Mère est amenée dans le corps, elle peut pénétrer le subconscient aussi et convertir son obscurité et sa résistance.

Quand une chose est effacée du subconscient si complètement qu'elle ne laisse aucun germe, et qu'elle est jetée hors du circumconscient si complètement qu'elle ne peut plus revenir, alors seulement nous pouvons être sûrs que nous en avons fini avec elle pour toujours.

 

Le moûlâdhâra est le centre de la conscience physique proprement dite; 68  tout œ qui se trouve au-dessous dans le corps, est le pur physique agui, à mesure qu'il descend, devient de plus en plus subconscient; mais le vrai siège du subconscient est au-dessous du corps, comme le vrai siège de la conscience supérieure (le supraconscient) est au-dessus du corps. On peut aussi sentir le subconscient n'importe où, le sentir comme quelque chasse qui est sous les mouvements de la conscience et qui, en un certain sens, la supporte d'en dessous ou bien la tire à lui vers lebas. Le subconscient est le principal support de tous les mouvements habituels, surtout des mouvements physiques et du vital inférieur. Quand une chose est rejetée du vital ou du physique, elle descend généralement dans le subconscient et y reste comme en semence pour remonter quand elle peut. C'est pourquoi il est si difficile de se débarrasser des mouvements vitaux habituels ou de changer son caractère; car, soutenus ou rafraîchis à cette source, préservés dans cette matrice, les mouvements vitaux, même lorsqu'ils sont refoulés osa réprimés, remontent encore et se reproduisent. L'action du subconscient est irrationnelle, mécanique et répétitive. Elle n'écoute pas la raison ni la  

68. À la base de la colonne vertébrale.  

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volonté mentale. C'est seulement en y introduisant la Lumière et la Force d'en haut qu'on peut la changer. 69

 

 

Le subconscient est le support de l'action habituelle - il peut soutenir de bonnes habitudes comme de mauvaises.

 

 

Le subconscient est la base évolutive en nous, ce n'est pas la totalité de notre nature cachée ni l'entière origine de ce que nous sommes. Mais certaines choses peuvent surgir du subconscient, puis prendre forme dans les parties conscientes; la plupart de nos petits instincts, mouvements, habitudes, formes de caractère, vitaux et physiques, ont cette origine.

Notre action a trois sources occultes: supraconsciente, subliminale, subconsciente; mais nous ne gouvernons aucune d'elles et n'en sommes même pas conscients. C'est de l'être de surface que nous avons conscience, mais ce n'est qu'un dispositif instrumental. La source du tout est la Nature générale: la Nature universelle qui s'individualise en chaque personne; car cette Nature générale dépose en nous certaines habitudes de mouvement, de personnalité, de caractère, de facultés, de dispositions, de tendances, et tout cela, qui s'est formé maintenant ou avant notre naissance, est ce que nous appelons généralement nous-même. De cela, une bonne part s'exprime en mouvements habituels et en usage courant dans nos parties conscientes, connues à la surface; une bien plus grande part reste cachée dans les trois autres sources inconnues qui se tiennent derrière la surface et au-dessous.

Mais ce que nous sommes à la surface, est constamment mis en mouvement, changé, développé ou répété par les vagues de la Nature générale, qui viennent sur nous, soit  

69. Les Bases du Yoga, chapitre 5. Traduction de la Mère.

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directement soit indirectement, à travers les autres, à travers les circonstances, à travers divers agents ou canaux. Quelques-unes de ces vagues se versent directement dans les parties conscientes et y agissent, mais notre mental ignore leur source, se les approprie et considère tout cela comme lui appartenant; quelques-unes entrent secrètement dans le subconscient ou s'y enfoncent et attendent l'occasion de surgir à la surface consciente; un bon nombre vont dans le subliminal et peuvent à tout moment en ressortir, ou bien n'en ressortent pas et y restent comme matériaux inutilisés. Quelques-unes passent à travers et sont refusées, renvoyées ou rejetées, ou reversées dans la mer universelle. Notre nature est une activité constante de forces qui nous sont fournies et avec lesquelles (ou plutôt avec une très petite quantité desquelles) nous faisons ce que nous voulons ou pouvons. Ce que nous faisons, semble fixé et formé pour de bon, mais en réalité ce n'est qu'un jeu de forces, un flux, rien de fixe ni de stable; l'apparence de stabilité nous est donnée par la constante répétition ou récurrence des mêmes vibrations et formations. C'est pourquoi notre nature peut être changée en dépit du dire de Vivékânanda 70 et de l'adage d'Horace,71 et en dépit de la résistance conservatrice du subconscient; mais c'est une besogne difficile, car cette répétition et cette récurrence obstinées constituent le mode dominant de la Nature.

Quant aux choses de notre nature que nous repoussons par un rejet, mais qui reviennent, tout dépend de l'endroit où on les rejette. Très souvent, il y a une sorte de méthode. Le mental rejette ses mentalités, le vital ses vitalités, le physique ses manières d'être; les unes et les autres retournent généralement au domaine correspondant de la Nature générale. Quand ceci arrive, elle restent tout d'abord dans la conscience environnante 72 que nous transportons partout avec nous et par

 

70. La nature est comme la queue du chien: redressez-la et elle reprendra tout de suite sa forme tortueuse.

71. Naturam expelles furca, tamen usque recurret (chassez la nature avec une fourche,-elle reviendra toujours en courant).

72. Ou circumconscient.

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laquelle nous communiquons avec la Nature extérieure, et souvent, de là, elles se reprécipitent obstinément - jusqu'à ce qu'elles soient refusées si absolument, ou rejetées si loin pour ainsi dire, qu'elles ne puissent plus revenir sur nous. Mais quand la chose rejetée par le mental pensant et voulant, est fortement soutenue par le vital, elle quitte le mental, en effet, mais s'enfonce dans le vital, s'exaspère là et essaie de se reprécipiter en haut et d'occuper de nouveau le mental pour forcer ou capturer notre acceptation. De même, quand le vital supérieur (le cœur ou le dynamisme vital plus large) rejette quelque chose, cela s'enfonce et prend refuge dans le vital inférieur avec toute sa masse de petits mouvements courants qui constituent notre mesquinerie quotidienne. Quand cette chose est rejetée aussi par le vital inférieur, elle s'enfonce dans la conscience physique et essaye de se planter là par inertie ou répétition mécanique. Rejetée même de là, elle entre dans le subconscient et remonte en rêve ou quand nous sommes en état de passivité ou d'extrême tamas. L'inconscient est le dernier refuge de l'Ignorance.

Quant aux vagues qui reviennent de la Nature générale, la tendance naturelle des forces inférieures est d'essayer de perpétuer leur action dans l'individu et de reconstruire ce qu'il a démoli de leurs dépôts en lui; ainsi, elles reviennent sur lui, souvent avec une force accrue, parfois même avec une violence prodigieuse, quand elles s'aperçoivent que leur influence est rejetée. Mais elles ne peuvent pas durer longtemps quand la conscience environnante ou circumconscient est clarifiée - à moins que les "Hostiles" ne s'en mêlent. Même alors, ceux-ci peuvent attaquer, certes, mais si le sâdhak a pris position en son moi intérieur, ils peuvent seulement attaquer et se retirer.

Il est vrai que nous apportons de nos vies passées la plus grande part de nous-même, ou plutôt de nos prédispositions, de nos tendances à réagir vis-à-vis de la Nature universelle. L'hérédité n'affecte fortement que l'être extérieur mais même là, tous les effets de l'hérédité ne passent pas toujours, sauf

 

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ceux qui sont en accord avec ce que nous devons être, ou en tout cas qui ne peuvent pas l'empêcher 73

 

 

Ce qu'il écrit sur le subconscient et la nature extérieure est vrai. Mais on ne peut pas dire que les forces subliminales n'ont qu'un rôle mineur, puisque c'est d'elles que viennent toutes les grandes aspirations, les idéaux, les efforts pour s'améliorer et pour améliorer l'humanité, sans lesquels l'homme ne serait qu'un animal pensant - comme aussi presque tout l'art, la poésie, la philosophie, la soif de connaissance qui allègent l'ignorance, s'ils ne la dispersent pas encore.

Le rôle du supraconscient a été de faire évoluer lentement l'homme spirituel hors du demi-animal mental. Ce rôle ne peut pas non plus être qualifié d'insignifiant.

 

 

 

À propos du subconscient - c'est la base sub-mentale de l'être, et il est fait des impressions, des instincts, des mouvements habituels qui y sont emmagasinés. Quel que soit le mouvement qui s'y imprime, il le garde. Si l'on y imprime le mouvement juste, il le gardera et le fera émerger. C'est pourquoi il doit être débarrassé des mouvements anciens avant que la transformation de la nature puisse être permanente et totale. Une fois que la conscience supérieure est établie dans les parties de veille, elle descend dans le subconscient et le change aussi; elle se constitue là aussi en un soubassement solide. Alors aucun ennui ne peut plus venir du subconscient. Mais même avant, on peut réduire les ennuis au minimum en plaçant dans les parties subconscientes la volonté juste et l'habitude de réagir correctement.  

 

73. Les Bases du Yoga, chapitre 5. Traduction de la Mère.

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Le subconscient est fait d'habitudes et de souvenirs; il répète constamment ou chaque fois qu'il le peut, ce qui a été réprimé: vieilles réactions, anciens réflexes, réponses mentales, vitales ou physiques. On doit l'éduquer en faisant une pression encore plus persistante avec les parties supérieures de notre être afin qu'il abandonne ses vieilles réponses et qu'il en prenne de nouvelles et de vraies. 74

 

Tout comme on peut concentrer la pensée sur un objet ou la vision sur un point, on peut concentrer la volonté sur une partie ou un point particulier du corps et donner un ordre à la conscience qui y réside. Cet ordre atteint le subconscient.

 

 

Le mental humain, comme le mental animal, vit en grande partie dans des impressions qui émergent du subconscient.

 

 

Vous ne savez pas combien l'être naturel ordinaire vit dans le physique subconscient. C'est là que les mouvements habituels, mentaux et vitaux, sont emmagasinés, et c'est de là qu'ils remontent dans le mental de veille. Chassés de la conscience supérieure, c'est dans cette caverne des pani 75 qu'ils trouvent refuge. N'étant plus autorisés à émerger librement à l'état de veille, ils remontent dans le sommeil, en rêves. Il ne cessent pour de bon que quand ils sont clarifiés du subconscient et que leur semence même est tuée par l'illumination de ces zones cachées. Quand votre conscience s'approfondira et que la lumière d'en haut descendra dans ces parties

 

74. Les Bases du Yoga, chapitre 5. Traduction de la Mère.

75. Les voleurs de lumière et des trésors spirituels dont parle le Véda, "dévoreurs" et "obstructeurs" de la vérité, déformateurs et faussaires de la pensée, qui ont noué "le nœud de fausseté".

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inférieures dissimulées, les choses qui maintenant se répètent de cette manière, disparaîtront. 76

 

 

Vous m'aviez interrogé l'autre jour sur le subconscient, sur ce qu'il est. La vision que vous décrivez vous a montré le subconscient universel sous la forme du Patala, lieu sans lumière de conscience et, parce qu'il est universel, sans fin ni limites: infini sombre, inconscient, d'où notre univers matériel a émergé; il est muré de tous côtés par l'obscurité, il semble aussi n'avoir pas de fond. La Lumière vient d'en haut, de la conscience supérieure et, en descendant à travers le mental, le cœur, le vital, le physique, doit se déverser dans le subconscient et le rendre lumineux.

 

 

Patala est évidemment ici un nom donné au subconscient-là, les êtres n'ont "pas de tête", c'est-à-dire qu'il n'y a pas de conscience mentale; les hommes ont tous, dans leur être, un plan subconscient comme celui-là, d'où émergent toutes sortes d'instincts, d'impulsions, de souvenirs, etc., irrationnels et ignorants (sans tête) qui ont un effet sur leurs actes et leurs sentiments sans qu'ils en détectent la véritable source. La nuit, bien des rêves incohérents viennent de ce monde ou plan. Le monde au-dessus est le plan supraconscient de l'être - au-dessus de la conscience humaine; il y a beaucoup de mondes de ce genre, ce sont les mondes divins. 77

 

 

Les sombres puits du subconscient sont profonds, et tant qu'ils ne sont pas entièrement déblayés, il est toujours possible que les anciennes sources recommencent à jaillir.

 

76. Les Bases du Yoga, chapitre 5. Traduction de la Mère.

77. Nouvelles Lumières sur le Yoga, chapitre 2.

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Le subconscient contient beaucoup plus de frayeurs que la conscience de veille n'en accepte ou n'en reconnaît.

 

 

Tout ce que rencontre notre conscience dans l'expérience quotidienne est enregistré dans la mémoire subconsciente, et de là peut être ramené à la surface du mental ou revenir de son propre mouvement. Mais ce que nous appelons souvenir, c'est ce qui est enregistré et gardé en arrière du mental conscient et ramené en avant à volonté - c'est cela, la mémoire consciente.  

 

La mémoire claire des mots, des images et des pensées est une action du mental conscient, non de l'inconscient. Évidemment le souvenir va derrière, pour ainsi dire, dans la partie arrière du mental, mais peut être ressorti. Le souvenir peut aussi être perdu ou déformé, de sorte qu'on se souvient de travers ou qu'on oublie complètement, mais là encore il s'agit d'une action imparfaite du mental conscient, non d'une action du subconscient. Ce que conserve le subconscient, c'est une masse d'impressions, non une masse d'images claires ou exactes, et celles-ci peuvent resurgir, comme dans les rêves, en un méli-mélo incohérent complètement distordu ou, dans l'état de veille, comme une récurrence ou une répétition mécanique de ces mêmes suggestions, impulsions (vital subconscient) ou sensations. La différence entre les deux fonctionnements est reconnaissable.  

 

La mémoire subliminale retient des images exactes. Tout ce qui est subliminal est qualifié par la psychologie ordinaire de subconscient; mais dans notre psychologie cela ne peut pas se faire, car la conscience qui retient tout cela est aussi précise et

 

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bien plus vaste, bien plus complète que notre conscience de veille ou de surface, aussi comment pourrait-on la qualifier de subconsciente? La mémoire consciente est ce qui. peut ramener un souvenir dès que nous le désirons; nous en avons la maîtrise. La mémoire subliminale peut tout retenir, même ce que notre mental ne peut pas comprendre: par exemple, si vous entendez quelqu'un parler hébreu, la mémoire subliminale peut retenir ces paroles et les rapporter exactement dans un état anormal comme l'hypnose. La mémoire subconsciente est une mémoire d'impressions; quand ces impressions surgissent, comme dans le rêve, le résultat est

 

incohérent ou réorganisé de façon fantaisiste, ou alors seule surgit l'essence de la chose, son sédiment psychologique: sexe, peur, une libido particulière, comme disent les psychanalystes, mais l'expression qui en est donnée n'est pas nécessairement la même que celle qui serait fournie par la mémoire - la mémoire du subconscient peut reproduire les mêmes formes si elle fait appel au mental mécanique dans le physique pour qu'il l'aide à s'exprimer, mais le souvenir peut aussi être très différent de tout ce qui existe dans la vie réelle.  

 

Non - [le "Registre de Chitragupta" 78] est tout à fait différent [du subconscient cosmique], puisqu'il appartient à un domaine où les notations sont précises et exactes. Le subconscient est un état de semence refoulé et obscur, où les choses émergent de l'inconscience indéterminée de la Nature originelle, mais sont pourtant fluides et imprécises, ayant en elles toutes les capacités de se déterminer, mais non encore déterminées. Les choses du passé y tombent non comme des souvenirs, mais comme des impressions, ce qui est tout différent. Quand elles remontent de là, elles revêtent toutes sortes de formes bizarres, avec des variantes et des mélanges.

 

 

78. Serviteur de Yama, dieu de la mort, qui enregistre les bonnes et les mauvaises actions de chacun.

 

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Le sous-mental fournit constamment aux expériences du vital ou des autres plans des associations venues de la vie passée ou de la vie terrestre en général. Il faut se débarrasser de ces intrusions pour parvenir à la vraie expérience.  

 

Je ne sais pas si cela existe [un terme correspondant au subconscient dans les livres traditionnels]. Ce plan était qualifié d'inconscient plutôt que de subconscient - pratiquement, c'est peut-être la prakriti indifférenciée ou jada prakriti - ou l'état de semence. Dans le Véda, il est symbolisé par la caverne des Pani. Peut-être qu'en parcourant des livres comme le Yoga-vâshistha on pourrait trouver quelque chose sur le subconscient dans les faits, sinon en termes explicites.  

 

XIII

 

Les centres, ou Chakra, sont au nombre de sept:

1. Le lotus aux mille pétales au sommet de la tête.

2. Au milieu du front - Âjnâ Chakra (volonté, vision, pensée dynamique).

3. Le centre de la gorge - mental extériorisant.

4. Le lotus du cœur - centre émotif. Derrière lui est situé le psychique.

5. Le nombril - vital supérieur (proprement dit).

6. Au-dessous du nombril - vital inférieur.

7. Le Moûlâdhâra - physique.

Tous ces centres sont situés au milieu du corps, ils sont censés être attachés à la moelle épinière; mais en fait, toutes ces choses sont dans le corps subtil, soûkshma déha, bien que lorsque la conscience est éveillée, on ressente leurs activités comme si elles se produisaient dans le corps physique. 79

 

79. Nouvelles Lumières sur le Yoga, chapitre 2.

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Dans le processus de notre yoga, les centres ont chacun un emploi psychologique déterminé et un rôle général qui forment la base de tous les pouvoirs particuliers et de toutes les fonctions relevant de ces centres. Le moûlâdhâra régit le physique jusqu'au subconscient; le centre abdominal (swâdhishthâna) régit le vital inférieur; le centre ombilical (nâbhipadma ou manipoura) régit le vital plus vaste; le centre du cœur (hritpadma ou anâhata) régit l'être émotif; le centre de la gorge (vishouddha) régit le pouvoir mental d'expression et d'extériorisation; le centre entre les sourcils (âjnâchakra) régit le mental dynamique, la volonté, la vision et le pouvoir de formation mentale; au-dessus, le lotus aux mille pétales (sahasradala) régit le mental pensant supérieur, abrite plus haut encore le mental illuminé, et tout en haut, s'ouvre à l'intuition par laquelle (à moins d'une action directe irrésistible) le surmental peut entrer en communication ou en contact immédiat avec les autres plans. 80  

 

Je n'ai jamais entendu parler de deux lotus dans le centre du cœur; mais celui-ci est le siège de deux pouvoir: en avant le vital supérieur ou être émotif; en arrière et cachée, l'âme ou être psychique.

Les couleurs des lotus et le nombre de pétales sont respectivement, de bas en haut: 1) le Moûlâdhâra ou centre de la conscience physique, quatre pétales, rouge; 2) le centre abdominal, six pétales, rouge-violet sombre; 3) le centre du nombril, dix pétales, violet; 4) le centre du cœur, douze pétales, rosé-doré; 5) le centre de la gorge, seize pétales, gris; 6) le centre du front, entre les sourcils, deux pétales, blanc; 7) le lotus aux mille pétales, au-dessus de la tête, bleu entouré d'une lumière dorée. Voici leur fonctions, selon notre yoga: 1) régit la conscience physique et le subconscient; 2) régit les petits mouvements du vital, les petits appétits, convoitises, désirs, les petits mouvements des sens: 3) régit les forces de  

80. Lumières sur le Yoga, chapitre 2. Traduction de la Mère.

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vie plus vastes, les passions et les plus vastes mouvements de désir; 4) régit l'être émotif supérieur, avec le psychique profondément derrière lui; 5) régit l'expression et l'extériorisation des mouvements du mental et des forces mentales; 6) régit la pensée, la volonté, la vision;?) régit le mental pensant supérieur et le mental illuminé et s'ouvre au-dessus vers l'intuition et le surmental. Le septième centre est parfois, ou par certains, identifié au cerveau, mais c'est une erreur - le cerveau n'est qu'un chenal de communication situé entre le lotus aux mille pétales et le centre du front. Le lotus aux mille pétales est parfois nommé le centre du vide, shoûnya, soit parce qu'il n'est pas dans le corps mais dans un vide apparent au-dessus, soit parce que, quand on s'élève au-dessus de la tête, on entre tout d'abord dans le silence du moi et «de l'être spirituel. 81  

 

Quand, dans le yoga, nous parlons de concentration» dans le cœur, il s'agit du centre émotif qui est situé, comme tous les autres centres, au milieu du corps, sur une ligne correspondant à la moelle épinière. Les plans dont parle X sont les quatre centres suivants: 1) le sommet de la tête, ou contre du mental supérieur; 2) entre les sourcils, centre de la volonté et de la vision; 3) gorge, centre du mental extériorisant; et 4) cœur, c'est-à-dire vital mental, centre émotif, avec le psychique derrière (l'âme, Pourousha dans le cœur).

Chitta, par opposition à Chit ou Vijnâna n'est que la conscience de base de la vie mentale, d'où surgit la substance des pensées, des sentiments, des sensations, etc. ordinaires. La Force que sent X est tout autre: c'est la force plus vaste qui dépasse l'individu, et quand on la sent dans sa plénitude, elle apparaît à l'expérience comme la force cosmique ou un élément de la force cosmique ou encore comme la Force divine venue d'en haut, selon sa nature.

Son mental n'est pas encore prêt pour l'action de la force

 

81. Nouvelles Lumières sur le Yoga, chapitre 2.  

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plus grande, parce qu'il est plein de conceptions et d'activités mentales, et c'est pour cette raison que la friction entre les deux engendre de la chaleur: quand l'autre force se retire et n'essaie plus de s'emparer du cerveau, alors l'action mentale personnelle se sent soulagée (d'où cette sensation de fraîcheur) et agit selon ses conceptions ordinaires. C'est seulement dans un mental silencieux (calme, pas nécessairement vide) que la force plus grande peut être reçue et travailler sur l'organisme sans trop de réactions et de résistances.

 

C'est bien que vous ayez pu surmonter cette difficulté et avoir une bonne méditation. Vous observez que la difficulté est seulement dans la tête et dans la gorge, surtout dans la gorge; c'est très significatif. Ce sont les centres du mental, et par conséquent la difficulté vient évidemment du mental physique. La partie supérieure du mental appartient au mental pensant proprement dit, bouddhi, celui qui comprend, observe et guide; la gorge est le centre du mental extériorisant, celui qui s'occupe des choses extérieures et physiques et y réagit. Son activité est toujours l'une des principales difficultés de la sâdhanâ. S'il est tranquille, tout l'être physique se tranquillise plus facilement, comme vous l'avez constaté.

La dernière des quatre expériences, celles de l'être au-dedans organisé en zones, l'une recouvrant l'autre comme les marches d'une échelle, est aussi très significative et très vraie. C'est ainsi que la conscience intérieure est ordonnée. Il y a cinq divisions principales de cette échelle". Au sommet au-dessus de la tête, sont les zones (nous disons les plans) dont nous ne sommes pas conscients et qui ne deviennent conscientes pour nous que par la sâdhanâ, celles qui sont au-dessus du mental humain: c'est la conscience supérieure. Au-dessous, depuis le sommet de la tête jusqu'à la gorge, sont les zones (qui sont nombreuses) du mental, les trois principales étant situées l'une au sommet de la tête, communiquant avec la conscience supérieure, une autre entre les sourcils, où se

 

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trouvent la pensée, la vision et la volonté, une troisième dans la gorge où est le mental extériorisant. Une deuxième division va des épaules au nombril; là sont les zones du vital supérieur sur lesquelles règne le centre du cœur où se trouve l'être émotif, le psychique étant caché derrière lui. Depuis le nombril vers le bas se trouve le reste de l'être vital, qui contient plusieurs zones. Depuis le bas de la colonne vertébrale et au-dessous se trouvent les zones de la conscience physique proprement dite, la conscience matérielle, et sous les pieds le subconscient qui contient aussi de nombreuses zones.

L'expérience de l'éclatement du front par le milieu et du déversement de lumière indiquait l'ouverture du centre de la vue, de la volonté et de la vision à cet endroit. Quand celui-ci s'ouvre, il y a une ouverture de la conscience mentale intérieure à travers laquelle la lumière de la conscience supérieure peut se déverser-ici, c'est la lumière blanche de la Mère qui se déversait à travers l'ouverture.

Les lumières que vous avez vues étaient les nombreuses lumières (pouvoirs, forces, pleins de lumière) de la conscience supérieure, conscience de Vérité ou conscience divine. Leur déversement a été précédé et rendu possible par l'apparition de la lune, lumière spirituelle. C'est quand la lumière spirituelle est là que la présence de la Mère se révèle, et son action fait descendre les pouvoirs de la Vérité, du Divin, et elle les donne au sâdhak.

 

 

Quand nous parlons du tous dans la tête, le cœur, etc., nous utilisons une métaphore. Le moûlâdhâra d'où s'élève la Koundalini n'est pas dans le corps physique, mais dans le corps subtil (c'est dans le corps subtil que l'être s'en va quand il entre en transe profonde ou, plus radicalement, au moment de la mort); il en est de même pour tous les centres. Mais comme le corps subtil pénètre le corps grossier et qu'ils s'entremêlent, il y a une certaine correspondance entre ces chakra et certains centres physiques. C'est pourquoi, figurativement,

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nous parlons du Pourousha dans ce centre-ci du corps ou dans celui-là. C'est aussi à cause de cette correspondance que lorsque l'Ânanda ou autre chose descend dans l'être, c'est dans le corps subtil qu'il s'infiltre, mais à travers lui il se communique au corps grossier et à sa conscience, de telle sorte qu'on le sent s'infiltrer dans le corps. Mais de là à dire que l'esprit est logé dans une glande, il y a une grande différence. Le corps grossier est un moteur, un moyen par lequel l'esprit communique avec le monde et agit sur lui, il n'est qu'une petite partie de l'ensemble des instruments. Il est absurde de lui donner tant d'importance. Cette sorte de faux matérialisme a pour but d'apaiser les esprits dotés d'une connaissance scientifique sommaire. Mais à. quoi bon? Tout le monde sait maintenant que la Science n'est pas une description de la vérité des choses, mais seulement un langage qui exprime une certaine expérience des objets, de leur structure, de leurs mathématiques, une impression ordonnée et utilisable de leurs processus - rien de plus. La matière elle-même est quelque chose (peut-être une formation d'énergie?) dont nous connaissons superficiellement la structure telle qu'elle apparaît à notre mental et à nos sens, ainsi qu'à certains instruments d'observation (dont on soupçonne maintenant qu'ils déterminent largement leurs propres résultats, la Nature adaptant ses réactions à l'instrument employé), mais aucun homme de science n'en sait ni ne peut en savoir davantage.  

 

Comment une entité spirituelle peut-elle être enfermée dans une glande matérielle? À ma connaissance, le moi ou esprit n'est pas enfermé dans le corps, c'est plutôt le corps qui est dans le moi. Quand nous avons la pleine expérience du moi, nous le sentons comme une vaste conscience dans laquelle le corps est une très petite chose, un accessoire ou un contenu, non un contenant.

 

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On ne peut parler de chakra que par référence au yoga. Chez les gens ordinaires, les chakra ne sont pas ouverts, c'est seulement quand ils font la sâdhanâ que les chakra s'ouvrent. Car les chakra sont les centres de la conscience intérieure et appartiennent à l'origine au corps subtil. Seule une très petite partie en est active chez les gens ordinaires car, chez eux, c'est la conscience extérieure qui est active.

 

Les centres de conscience, les chakra. C'est grâce à leur ouverture que la conscience yoguique, ou conscience intérieure, se développe - sinon vous êtes enchaîné à la conscience extérieure ordinaire.

 

Ce doit être l'être mental supérieur rendu psychique - la position au-dessus de la tête l'indique. En d'autres termes, vous avez commencé à percevoir votre être mental supérieur, qui est en contact à la fois avec le Divin au-dessus et avec le psychique derrière le cœur, et qui perçoit la Vérité, voit les choses avec la vision psychique et spirituelle.

Au-dessus de la tête s'étend le centre de la conscience supérieure, sahasradala padma. Mais habituellement, quand le sahasradala s'ouvre, il y a aussi un fonctionnement partiel du centre du front.

Le mental ordinaire, à son plus haut sommet, est l'intelligence libre qui reçoit peut-être des intuitions et des suggestions d'au-dessus qu'elle intellectualise. Il est à la surface et voit les choses de l'extérieur, sauf dans la mesure où l'intuition, ou d'autres pouvoirs, l'aident à voir un peu plus en profondeur. Quand ce mental ordinaire s'ouvre au-dedans au mental et au psychique intérieurs, et au-dessus au mental supérieur et à la conscience supérieure générale, alors il commence à être spiritualisé et ses régions les plus hautes se fondent dans la conscience mentale spirituelle, dont ce mental

 

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plus élevé peut être un début. Cette fusion fait partie de la transformation spirituelle.

Le mental a de nombreux centres: (1) le sahasradala qui centralise le mental spirituel, le mental supérieur, le mental intuitif et qui agit comme un récepteur de l'intuition proprement dite et du surmental; (2) le centre du front pour la pensée, la volonté et la vision intérieures; (3) le centre de la gorge pour le mental extériorisant ou mental physique.

 

Le lotus aux mille pétales est au-dessus de la tête. C'est le septième centre et le plus haut.

Habituellement ceux qui considèrent seulement les centres dans le corps n'en comptent que six, le sahasrâra étant exclu.

 

 

C'est évidemment le sahasradala padma à travers lequel l'intuition supérieure, le mental illuminé et le surmental font tous passer leurs rayons.

 

 

Le supramental n'est pas organisé dans le corps, il n'a donc pas de centre distinct; mais tout ce qui vient d'au-dessus du Mental passe par le sahasrâra et donc y ouvre quelque chose.

 

Le centre au sommet de la tête doit être une partie du sahasradala, centre de communication directe entre l'être individuel et la Conscience infinie au-dessus. Aucun autre centre principal de dynamisme n'est censé exister entre lui et l'âjnâchakra. Mais il peut y avoir de nombreux centres nerveux dans diverses parties du corps, en plus des six ou plutôt sept centres principaux.  

 

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Le sommet de la tête est le lieu de passage entre la conscience corporelle, avec tout ce qu'elle contient de mental et de vie, et l'être supérieur au-dessus du corps. C'est là que les deux consciences commencent à se rejoindre.  

 

L'ouverture du centre au sommet de la tête élimine la difficulté provoquée par le couvercle entre le mental ordinaire et la conscience supérieure au-dessus. Si l'ajnâchakra est ouvert aussi, une communication claire est possible entre la conscience supérieure et le mental intérieur, et aussi le mental extérieur (centre de la gorge). Cette ouverture est la condition nécessaire à la réalisation de la connaissance, à l'illumination mentale et à la transformation. Le centre du cœur régit le psychique et le vital - son ouverture permet à l'influence psychique de travailler dans le vital et se termine par la venue au premier plan de l'être psychique.

 

 

Le cerveau est seulement un centre de la conscience physique. On se sent établi là tant que l'on demeure dans le mental physique, ou que l'on est identifié à la conscience corporelle; alors on reçoit, à travers le sahasrâra, dans le cerveau. Quand on cesse d'être établi dans le corps, alors le cerveau n'est pas un lieu de résidence, mais seulement un canal de transmission passif et silencieux.

 

Au front, entre les yeux mais un peu au-dessus, se trouve l'ajnâchakra, centre de la volonté intérieure et aussi de la vision intérieure, du mental dynamique, etc. (non pas la volonté et la vision du mental extérieur ordinaire, ^mais quelque chose de plus puissant, qui appartient à l'être intérieur). Quand ce centre s'ouvre, et que la Force qui s'y trouve

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est active, alors s'ouvrent une volonté plus grande, un pouvoir plus grand de décision, de formation, une efficacité plus grande qui dépassent ce que le mental ordinaire peut accomplir.  

 

Le centre de la vision est entre les sourcils, au milieu du front. Quand il s'ouvre, on obtient la vision intérieure, on voit les formes et les images intérieures des choses et des gens, et on commence à comprendre les choses et les gens de l'intérieur et pas seulement de l'extérieur; un pouvoir de volonté se développe qui, lui aussi, agit à la manière intérieure (yoguique) sur les choses et les gens, etc. Son ouverture est souvent le commencement de la conscience yoguique, par opposition à la conscience mentale ordinaire. 82

 

Ce centre [âjnâchakra] est à l'endroit que j'ai indiqué, mais la pression peut être ressentie dans tout le front et aussi aux sourcils, ou n'importe où dans cette région. Elle s'irradie autour de ce centre.  

 

Oui. Un troisième œil s'ouvre là, en effet [au milieu du front]. Il représente la vision occulte et le pouvoir occulte qui accompagne cette vision; il est relié à l'ajnâchakra.

 

Si le centre du front s'ouvre, il est à peu près certain que le centre au sommet de la tête s'est ouvert au moins suffisamment pour permettre le passage de la force supérieure qui est au-dessus de lui. Pour le psychique, c'est autre chose - il se tient derrière les centres, et le moment de son ouverture varie  

82. Nouvelles Lumières sur le Yoga, chapitre 2.

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avec chacun; en fait, c'est moins l'ouverture d'un centre que la venue au premier plan de l'être psychique.

En règle générale, dans notre yoga, le mouvement se fait du haut vers le bas. Il peut y avoir des variantes au stade préparatoire. Par exemple, le centre du cœur peut s'ouvrir partiellement le premier. Le centre vital supérieur peut aussi devenir actif le premier, mais cela entraîne beaucoup de luttes et de difficultés.

 

 

Savez-vous que l'être intérieur comprend le mental intérieur, le vital intérieur, le physique intérieur, avec l'être psychique derrière, le plus intérieur? Comment pourrait-il n'y avoir qu'un seul centre pour tout cela?  

 

Oui, le centre de la gorge est le centre du mental physique. C'est le centre de l'extériorisation - en paroles, en expression, en pouvoir de traiter mentalement les choses physiques, etc. Son ouverture apporte le pouvoir d'ouvrir le mental physique à la lumière de la conscience divine, alors qu'autrement on reste dans la mentalité ordinaire tournée vers l'extérieur.  

 

Le cou, la gorge et la partie inférieure du visage appartiennent au mental extériorisant, au mental physique; le front au Mental intérieur. Au-dessus de la tête sont les plans supérieurs du mental.  

 

Le nez est relié à la partie vitale dynamique du mental: un homme qui a un grand nez est censé avoir une forte volonté ou une forte personnalité mentale - j'ignore toutefois si c'est

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invariablement vrai. Mais le physique vital? évidemment, le nez est le passage du Prâna, et le Prâna est ce qui soutient le physique vital.

 

 

Ce son ne peut pas être quelque chose de physique: il ne peut être qu'une sensation physique subtile. L'oreille est le passage de la communication entre le centre mental intérieur et les forces de pensée ou vagues de pensée de la Nature universelle. Le son en question évoque une sensation d'ouverture et d'élargissement de ce passage.  

 

C'est le mental physique qui agit ainsi. Dans le corps subtil, le centre du mental physique ou mental extériorisant se trouve dans la gorge et il est fortement lié à la parole; mais il agit en liaison avec le cerveau. Toutes les forces qui veulent recouvrir la conscience s'élèvent et entourent à cette fin les centres mentaux en agissant sur eux si elles le peuvent; elles les entourent parce qu'autrement elles ne les recouvriraient pas complètement.

 

 

L'organe de la parole est un instrument du mental physique ou mental expressif extériorisant.

 

 

La parole vient du centre de la gorge, mais elle est associée au centre ou au plan qui dirige la conscience, quel qu'il soit - à tout endroit où l'on se situe pour penser. Si on s'élève au-dessus de la tête, la pensée a lieu au-dessus de la tête et la parole tire de là son origine, c'est-à-dire qu'elle est gouvernée de là.

 

 

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Pashyantî est évidemment la parole qui contient la vision de la Vérité; Para est probablement la parole révélatrice et inspirée. Je ne suis pas certain de la nature exacte des autres [Vaïkharî et Madhyamâ].

Les tantriques localisent ces formes de paroles dans différents chakra. La parole peut être intérieure ou extérieure, les deux peuvent porter l'empreinte du même pouvoir. Mais si l'on mesure la parole selon qu'elle s'éloigne plus ou moins de l'extériorité, alors Para devrait désigner quelque chose dans le royaume causal au-delà du mental.  

 

Le centre de la gorge est le mental (physique) extériorisant, le cœur est le mental émotif et le commencement du vital supérieur. Quand le centre du cœur est, si peu que ce soit, dominé par le mental physique, il est nécessairement ouvert aux attaques extérieures qui affectent la conscience physique et nerveuse. Le cœur doit être en liaison avec le psychique et la conscience supérieure.

 

Le cœur physique est du côté gauche, mais le centre du cœur, dans le yoga, est au milieu de la poitrine.

 

 

La pointe du centre psychique et émotif (comme la pointe de tous les centres) est dans la colonne vertébrale, la base est en avant au milieu du sternum.

 

 

Le cœur est le centre de l'être et commande à tout le reste, puisque l'être psychique ou chaïtya pourousha s'y trouve. C'est seulement dans ce sens que tout se déverse de lui, car

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c'est l'être psychique qui, chaque fois, crée pour lui-même un nouveau mental, un nouveau vital et un nouveau corps.

 

 

L'être psychique (qui est l'âme) ne se fabrique pas de centres dans l'âdhâr. Les centres sont là. L'être psychique peut devenir maître des centres qui sont déjà là: le centre du cœur, le centre de l'ombilic et les deux centres sous l'ombilic. De plus, le mental et le vital ne sont pas abolis; ils sont amenés sous l'influence du psychique et rendus psychiques, ou ils sont occupés par la conscience supérieure venue d'en haut et transformés en instruments de son action.

 

 

On ne passe pas à travers le centre psychique, ni aucun autre centre. Les centres s'ouvrent sous la pression de la sâdhanâ. Vous pouvez dire que la Force descend ou monte pour pénétrer dans un centre.  

 

L'ombilic est le principal centre vital au-dessous du centre émotif; il y a, au-dessous de lui, un autre centre de petits mouvements vitaux, entre l'ombilic et le moûlâdhâra.

C'est l'énergie vitale inférieure qui envahit le cerveau et y introduit la confusion, ou empêche la maîtrise mentale de soi, ou encore fait du mental son esclave et utilise la raison pour légitimer les passions.  

 

Le centre du mental physique est dans la gorge et la bouche, le centre vital est entre les deux centres inférieurs, la conscience matérielle est dans le moûlâdhâra.

 

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Les nerfs sont répartis dans tout le corps, mais l'origine de l'action physique-vitale est concentrée entre le moûlâdhâra et le centre juste au-dessus de lui.

 

 

Yoguiquement, psycho-physiquement, etc., etc., l'estomac, le cœur et l'intestin abritent les mouvements vitaux, non la conscience physique - c'est là que la colère, la peur, l'amour, la haine et autres privilèges psychologiques de l'animal s'agitent en tous sens et bouleversent la digestion physique et morale. Le moûlâdhâra est le siège de la conscience physique proprement dite.

 

C'est là [à la base de l'épine dorsale] que se situe le centre physique qui est aussi le centre sexuel. Son sommet est au bas de l'épine dorsale et il se projette de là, dirigeant l'organe et son action.  

 

Le centre le plus bas, au bas de l'épine dorsale, contient beaucoup d'autres choses, mais à l'avant il est le point d'appui des mouvements sexuels.

 

 

Non, le subconscient est trop vague pour avoir un centre. Il a un plan - sous les pieds, comme le supraconscient est au-dessus de la tête, mais à partir de là il peut surgir n'importe où.

  Oui, il [le cervelet] a un certain lien avec le subconscient.

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LES POUVOIRS DIVINS ET LES POUVOIRS HOSTILES

 

1. Mensonge et Ignorance1

Ignorance signifie Avidyâ, la conscience séparative ainsi que le mental et la vie égoïstes qui en découlent et tout ce qui est inhérent à la conscience séparative, au mental et à la vie égoïstes. Cette Ignorance résulte d'un mouvement par lequel l'Intelligence cosmique s'est séparée de la lumière du Supramental (la Gnose divine) et a perdu la Vérité - vérité d'être, vérité de conscience divine, vérité de force et d'action, vérité d'Ânanda. En conséquence, au lieu d'un monde de vérité intégrale et de divine harmonie créé en la lumière de la Gnose divine, nous avons un monde fondé sur les vérités partielles d'une Intelligence cosmique inférieure où tout est mi-vérité, mi-erreur. C'est cela que certains penseurs d'autrefois, tel Shankara, faute de percevoir la plus grande Force-de-Vérité derrière, ont stigmatisé comme Maya et qu'ils ont pris pour le plus haut pouvoir créateur du Divin. Tout, dans la conscience de cette création, est soit limité, soit perverti par la séparation d'avec la Lumière intégrale; même la Vérité qu'elle perçoit n'est qu'une demi-connaissance. C'est pourquoi elle est appelée Ignorance.

Le Mensonge, lui, n'est pas cette Avidyâ, mais en est un résultat extrême. Il est créé par un pouvoir asourique qui intervient dans cette création et est non seulement séparé de la Vérité et dès lors limité en sa connaissance et ouvert à l'erreur, mais révolté contre la Vérité ou accoutumé à ne saisir la Vérité que pour la pervertir. Ce pouvoir, l'obscure Shakti asourique, la Maya râkshasique, fait passer sa propre conscience pervertie pour connaissance vraie et ses déformations et ses inversions délibérées de la Vérité pour la vraie vérité des choses. Ce sont les pouvoirs et les personnalités de cette conscience pervertie et pervertissante que nous appelons  

1. Sri Aurobindo a écrit cette lettre pour expliquer certains termes figurant dans son livre La Mère.

 

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êtres hostiles, forces hostiles. Chaque fois que ces perversions qu'ils tirent de la substance de l'Ignorance sont présentées comme la Vérité des choses, alors existe le Mensonge au sens yoguique, mithyâ, môha.

 

2. Pouvoirs et Apparences

Ce sont les forces et les êtres qui ont intérêt à maintenir les mensonges qu'ils ont créés dans le monde de l'Ignorance et à les faire passer pour la Vérité que les hommes doivent suivre. En Inde, on les appelle asoura, râkshasa, pishâtcha (êtres qui appartiennent respectivement au plan vital mentalisé, au plan vital intermédiaire et au plan vital inférieur); ils s'opposent aux dieux, aux Pouvoirs de la Lumière. Eux aussi ont des Pouvoirs, car eux aussi ont un champ cosmique où ils exercent leurs fonctions et leur autorité; certains furent jadis des Pouvoirs divins (les anciens dieux, poûrvé dévâh, comme on les appelle quelque part dans le Mahâbhârata) qui sont tombés vers les ténèbres par révolte contre la Volonté divine qui est derrière le cosmos. Le mot "apparences" se rapporte aux formes qu'ils prennent afin de gouverner le monde. Formes souvent fausses, incarnant toujours le mensonge et parfois pseudo-divines.

 

3. Pouvoirs et Personnalités

L'emploi du mot Pouvoir a déjà été expliqué - il peut s'appliquer à tout ce qui, être ou chose, exerce un pouvoir conscient dans le domaine cosmique et a autorité sur le mouvement universel ou tel mouvement qui en fait partie. Mais les Quatre2 dont vous parlez sont également des Shakti, les manifestations de différents pouvoirs de la Conscience et de la Force suprême, de la Mère divine, grâce auxquelles elle gouverne l'univers ou y agit. Ce sont en même temps des personnalités divines: chacune, en effet, est un être qui manifeste différentes qualités et formes-de-conscience personnelles   

2. Maheshwarî, Mahâkâlî, Mahâlakshmî, Mahâsaraswatî.

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de la Divinité. En ce sens, tous les dieux supérieurs sont des personnalités du Divin - Conscience unique jouant en de multiples personnalités, ékam sat bahoudhâ.3 Même chez l'être humain, contrairement à ce que l'on imaginait autrefois, il existe non pas une, mais de nombreuses personnalités; car toute conscience peut être à la fois une et multiple. "Pouvoirs et Personnalités" ne font que décrire différents aspects du même être; un Pouvoir n'est pas nécessairement impersonnel et certainement pas avyakta,4 comme vous le suggérez - c'est au contraire une manifestation œuvrant dans les mondes de la Manifestation divine.

 

4. Émanations

Les Émanations correspondent aux Mâtrikâs dont vous donnez la description dans vos lettres. Une émanation de la Mère est quelque chose de sa conscience et de son pouvoir, puisé en elle et mis en avant, et qui, aussi longtemps que dure son action, est maintenu en contact étroit avec elle et, lorsque son action n'a plus de raison d'être, se trouve réabsorbé en sa source, mais peut toujours être à nouveau exprimé et mis en action. Toutefois, le fil qui maintient la liaison peut également être tranché ou relâché, et ce qui est venu en avant comme émanation poursuivre alors son chemin comme être divin autonome nanti d'un rôle personnel dans le monde. Tous les dieux peuvent ainsi extérioriser de telles émanations, qui leur sont essentiellement identiques en conscience et en pouvoir, bien qu'à un moindre degré. D'une certaine manière, on peut dire de l'univers qu'il est lui-même une émanation du Suprême. Dans la conscience du sâdhak, une émanation de la Mère revêtira généralement l'apparence, la forme et les traits caractéristiques auxquels il est accoutumé.

Du fait de leur origine, on peut dire qu'en un sens, les quatre Pouvoirs de la Mère sont ses émanations, tout comme  

 

3. Ekam sad viprâ bahoudhâ vadanti: l'Existant est un, les sages l'expriment diversement (Rig Véda, 1. 164. 46).

4. Non manifesté.

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on peut dire que les dieux sont des émanations du Divin. Mais les quatre Pouvoirs de la Mère présentent un caractère plus établi et permanent: ce sont à la fois des êtres indépendants dont le jeu est autorisé par l'Âdyâ Shakti et des portions de la Mère, la Mahâshakti, qui peut toujours ou bien se manifester par leur intermédiaire sous forme d'êtres séparés ou bien les rassembler comme ses propres Personnalités variées et les conserver au-dedans d'elle-même, tantôt à l'arrière-plan et tantôt en action, selon sa volonté. Sur le plan supramental, ils demeurent en elle et n'agissent pas de manière autonome, mais comme d'intimes portions de la Mahâshakti supramentale et en étroite union et harmonie les uns avec les autres.

 

5. Dieux

Ces quatre Pouvoirs sont les Divinités cosmiques de la Mère, permanentes en le jeu universel, ils figurent parmi les Divinités cosmiques majeures auxquelles il est fait allusion lorsqu'il est dit que la Mère, en tant que Mahâshakti de ce triple monde, "se tient là (sur le plan du Surmental) au-dessus des dieux". Les dieux, comme il a déjà été dit, sont en leur origine et leur essence des Émanations permanentes du Divin, projetées du Suprême par la Mère transcendante, l'Âdyâ Shakti; en leur action cosmique, ce sont des Pouvoirs et des Personnalités du Divin, chacun doté d'un rang, d'un rôle et d'une tâche cosmiques autonomes dans l'univers. Ce ne sont pas des entités impersonnelles, mais des personnalités cosmiques, bien qu'ils puissent se retrancher et d'ordinaire se retranchent effectivement derrière le mouvement de forces impersonnelles. Mais tandis que, dans le Surmental et le triple monde, ils apparaissent comme des êtres indépendants, dans le Supramental ils retournent à l'Un et là, unis en une seule action harmonieuse, représentent les multiples personnalités de la Personne unique, le Divin Pouroushôttama.

 

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6. Présence

Le mot Présence est utilisé pour indiquer le sentiment et la perception du Divin en tant qu'Être dont on sent la présence dans l'existence et la conscience ou en relation avec elles, sans qu'il soit besoin de recourir à d'autres qualifications ou descriptions. Ainsi, de "l'ineffable Présence", on peut seulement dire qu'elle est là, et il est impossible ou inutile d'en dire davantage, bien que l'on sache, au même moment, que tout s'y trouve, personnalité et impersonnalité. Pouvoir et Lumière et Ânanda et tout le reste, et que tout cela découle de cette Présence indescriptible. On peut parfois utiliser ce mot dans un sens moins absolu, mais telle en est toujours la signification fondamentale - la perception essentielle de l'essentielle Présence qui supporte tout le reste.

 

7. La Mère transcendante

C'est ce que l'on appelle l'Âdyâ Shakti; c'est la Conscience et la Puissance suprêmes au-dessus de l'univers par qui sont manifestés tous les dieux. Pour entrer dans la manifestation, l'îshwara supramental lui-même passe par elle - le Pouroushôttama supramental dont les dieux sont les Pouvoirs et les Personnalités.  

 

 

Bien sûr, les dieux existent - c'est-à-dire qu'il y a des Pouvoirs qui se tiennent au-dessus du monde et transmettent l'action du Divin. Le mental physique ne croit qu'en ce qui est physique, et c'est lui qui nie leur existence. Il y a aussi des êtres d'autres mondes: dieux et Asoura, etc.5

 

Il y a des dieux partout sur tous les plans.

 

5. Nouvelles Lumières sur le Yoga, chapitre 7.

 

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L'aspect dynamique du Divin, c'est le Suprême Brahman, non les Dieux. Les Dieux sont des Personnalités et des Pouvoirs du Divin dynamique. Vous parlez comme si l'évolution était la seule création; mais la création ou manifestation est très vaste et contient de nombreux plans et mondes qui existaient avant l'évolution, tous différents par leur caractère et comportant différentes sortes d'êtres. Le fait qu'ils sont antérieurs à l'évolution ne les rend pas indifférenciés. Le monde des Asoura est antérieur à l'évolution, il en est de même des mondes des Déva mentaux, vitaux ou physiques subtils - mais ces êtres sont tous différents les uns des autres. Les Dieux majeurs appartiennent au plan surmental; dans le supramental, ils sont unifiés en tant qu'aspects du Divin; dans le surmental, ils apparaissent comme des personnalités séparées. Toute divinité peut descendre, par émanation, sur le plan physique et s'associer à l'évolution d'un être humain qui a des affinités avec lui par sa ligne de manifestation. Mais tout cela, le mental ne peut pas facilement le comprendre, parce qu'il a une conception trop rigide de la personnalité; la difficulté disparaît seulement quand on entre dans une conscience plus souple au-dessus où l'on est plus proche de l'expérience de l'Un en tout et du Tout en un.

 

Les Formateurs du surmental n'ont rien formé de mauvais: ce sont les forces inférieures qui reçoivent du surmental et défigurent ses formes.

 

Dans la descente, il [le mensonge] commence avec le Mental; dans l'ascension évolutive, il est difficile de dire où il commence - car là, le début est Inconscience et Ignorance; mais nous pouvons dire, je suppose, que le mensonge conscient commence là où commence le mental, lorsqu'il est encore involué dans la vie ou dès qu'il sort de la vie.

 

 

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Les Dieux" sont dans le Moi universel - si on est identifié avec le Moi universel, on peut y sentir leur présence. Il y a aussi l'expérience du microcosme (l'univers en soi-même) dans lequel tout ce qui est dans le macrocosme (l'univers plus vaste) est présent. Toutes ces choses servent à l'expérience, à la connaissance, et doivent être prises comme telles. Il ne faut leur donner aucune signification purement personnelle.

 

Mais qu'entendez-vous par âme? Ma phrase signifiait simplement qu'il n'y a aucune existence qui n'ait, derrière elle, le soutien de quelque chose du Divin. Mais le mot âme a différents sens selon le contexte; il peut désigner le Pourousha soutenant la formation de Prakriti, que nous appelons un être, bien qu'à proprement parler il s'agisse plutôt d'un devenir; il peut ailleurs désigner spécifiquement l'être psychique dans une créature évolutive comme l'homme; il peut désigner l'étincelle du Divin qui a été introduite dans la Matière par la descente du Divin dans le monde matériel et qui soutient toutes les formations en évolution ici-bas. Il n'y a pas, il ne peut pas y avoir d'être psychique dans une créature non évolutive comme l'Asoura; il ne peut pas y en avoir dans un dieu qui n'en a pas besoin pour exister. En revanche, le dieu a un Pourousha et une Prakriti, ou Énergie de nature de ce Pourousha. Si un être quelconque des mondes typiques veut évoluer, il doit descendre sur terre, revêtir un corps humain et accepter de participer à l'évolution. C'est parce qu'ils ne veulent pas le faire que les êtres vitaux essaient de posséder les hommes pour pouvoir jouir des possibilités matérielles de la vie physique sans porter le fardeau de l'évolution ou subir le processus de conversion qui en est le sommet. J'espère que cela est clair et résout le problème.

 

 

Les trois stades dont vous parlez ne sont pas des stades

 

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d'évolution, mais des stades de l'involution du Divin dans la Matière. Les Déva et les Asoura n'évoluent pas dans la Matière: les êtres typiques n'ont besoin que d'un Pourousha et de sa Prakriti; ce Pourousha peut émaner un Pourousha mental et vital pour le représenter, et selon qu'il a son centre dans l'un ou l'autre, il appartient au monde mental ou au monde vital. C'est tout.

Nulle part il n'y a de différence essentielle, car tout est fondamentalement le Divin essentiel; la différence est dans la manifestation. Pratiquement, nous pouvons dire que le Jîvâtman est l'un des Divins Multiples et est subordonné à l'Unique, l'Âtman est l'Unique soutenant les Multiples. L'être psychique ne se fond pas dans le Jîvâtman, il s'unit à lui, de sorte qu'il n'y a pas de différence entre l'être éternel soutenant la manifestation d'en haut et le même être soutenant la manifestation du dedans, parce que l'être psychique a pleinement pris conscience de l'action du Divin à travers lui. Ce qui est appelé fusion a lieu dans la Conscience divine, quand le Jîvâtman se sent tellement un avec le Divin qu'il n'existe rien d'autre.

 

 

Si les Dieux ne peuvent pas être transformés - car ce sont des êtres typiques non évolutifs - ils peuvent venir ici-bas pour être convertis, c'est-à-dire pour abandonner leurs propres conceptions et leur propre vision des choses, et se conformer à la Volonté plus haute et à la Vérité supramentale du Divin.  

 

Où, dans "Les Cieux de la Vie"6 avez-vous trouvé que je disais (ou que n'importe qui disait) que les conditions de la terre sont glorieuses et appropriées à la Vie divine? Il n'y a rien de tel dans ce poème! Les Cieux de la Vie sont les paradis des dieux du vital, et il y a là une parfaite harmonie, mais cette

 

6. Poème de Sri Aurobindo (Édition du Centenaire, volume V. p. 574).

 

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harmonie est seulement celle des sens satisfaits et sublimés et des désirs vitaux. S'il doit y avoir une Harmonie, ce doit être celle de tous les pouvoirs élevés à leur sommet et harmonisés. Tous les mondes non évolutifs sont des mondes limités à leur propre harmonie comme les Cieux de la Vie. La Terre, au contraire, est un monde évolutif qui n'est pas du tout glorieux ni harmonieux, même en tant que monde matériel (sauf sous certaines apparences); il est plutôt très douloureux, inharmonieux, imparfait. Pourtant, dans cette imperfection se trouve l'élan vers une perfection plus grande et plus multiforme. Elle contient l'ultime fini qui pourtant aspire ardemment à l'Infini suprême (elle ne se satisfait pas des joies sensuelles, précisément parce que, dans les conditions qui règnent sur terre, elle est capable de voir leurs limites). Dieu est enfermé dans le bourbier (le bourbier n'est pas glorieux, donc rien ici ne prétend à la gloire ni à la beauté), mais ce fait même impose la nécessité de percer le mur de cette prison pour entrer dans une conscience qui s'élève sans cesse vers les sommets. Et ainsi de suite. C'est cela qui est un "pouvoir plus profond", bien que ce ne soit pas réellement une gloire ou une perfection plus grande. Tout cela peut être vrai, ou ne pas l'être, pour le mental, mais c'est l'attitude traditionnelle de l'expérience spirituelle indienne. Demandez à n'importe quel yogi, il vous dira que les Cieux de la Vie sont des choses puériles; même les dieux, dit le Pourana, doivent descendre sur la terre et s'y incarner en abandonnant l'orgueil de leur perfection limitée s'ils veulent la moukti; ils doivent entrer dans l'ultime fini s'ils veulent atteindre l'ultime infini. Un poème n'est ni un traité de philosophie ni une profession de foi religieuse; c'est l'expression d'une vision ou d'une expérience quelconque, profane ou spirituelle. Ici, c'est la vision des Cieux de la Vie, de leur perfection, de leurs limites, et l'exigence de la Terre, ou plutôt de l'Esprit ou du Pouvoir derrière la conscience terrestre. Il faut le prendre ainsi, comme l'expression d'un certain aspect des choses, l'expression d'une certaine sorte d'expérience, non d'un dogme mental. Il y a une vérité profonde derrière, bien que ce ne soit peut-être pas toute la

 

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vérité de l'affaire. Dans le poème, il n'est pas non plus question d'une vie divine ici-bas, bien qu'il y soit fait allusion comme un résultat possible et inexprimé de l'ascension - parce que la Terre n'est pas écartée ("je sentais encore, au-dessous de moi, battre le cœur de la Terre"); néanmoins le poème exprime seulement une ascension vers le Suprême Sommet, loin au-delà des Cieux de la Vie, et l'Esprit de la Terre revendique ce pouvoir sans parler de la descente d'une vie divine.

 

 

Les Dieux ont leurs propres jouissances, mais celles-ci n'ont pas forcément un caractère matériel.  

 

 

Il ne semble pas possible qu'une absence d'harmonie existe entre les êtres supérieurs, puisqu'ils ne sont pas soumis à l'ignorance inférieure.

 

Il n'y a pas de plans de manifestation sans formes - car sans forme la création, ou la manifestation, ne peut pas être complète. Mais les plans supraphysiques ne sont pas liés aux formes comme le plan physique. Là, les formes sont expressives, et non déterminantes. Ce qui est important dans le plan vital, c'est la force ou le sentiment, et c'est ce qu'exprime la forme. Un être vital a une forme caractéristique, mais il peut la faire varier, ou masquer sa vraie forme sous d'autres formes. Ce qui est primordial sur le plan mental, c'est la perception, l'idée, la signification mentale, et la forme exprime cela, et ces formes mentales aussi peuvent varier - il peut y avoir de nombreuses formes pour exprimer une idée de différentes manières ou de différents points de vue. La forme existe, mais elle est plus plastique et plus variable que dans la nature physique.

 

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Quant aux dieux, l'homme peut construire des formes qu'ils accepteront, mais ces formes sont, elles aussi, introduites dans le mental de l'homme par une inspiration venue des plans auxquels appartient le dieu. Toute création a deux aspects, l'un avec une forme, l'autre sans: les Dieux aussi sont sans forme et pourtant ont des formes, mais une divinité peut revêtir de nombreuses formes, ici Maheshwarî, là Pallas Athénée. Maheshwarî elle-même a de nombreuses formes dans ses manifestations mineures: Dourgâ, Oumâ, Pârvatî, Chandî, etc. Les dieux ne sont pas limités aux formes humaines - et l'homme ne les a pas toujours vus sous la seule forme humaine.

 

Le lion monté par Dourgâ est le symbole de la Conscience divine agissant à travers une force du vital physique et du vital émotif divinisés.

 

Le lion est l'attribut de la déesse Dourgâ, aspect conquérant et protecteur de la Mère universelle.

La tête de mort est le symbole de l'Asoura (adversaire des dieux) vaincu et tué par le Pouvoir divin.

 

 

Mahâkâlî et Kâlî ne sont pas identiques. Kâlî est une forme mineure. Sur les plans supérieurs, Mahâkâlî apparaît généralement couleur d'or.

 

 

Voici les pouvoirs psychologiques que les dieux apportent avec eux:  

 

 

Mitra - Harmonie.

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Varouna - Immensité.

Aryamana - Pouvoir, Tapasyâ.

Brihaspati - Sagesse (Verbe et Connaissance).

Vishnou - Conscience cosmique.

Vâyou - Vie.

 

Oui, Mitra est plutôt une combinaison de deux pouvoirs [Mahâlakshmî et Mahâsaraswatî].

 

 

 

Vâyou et Indra sont des divinités cosmiques qui président à l'action des principes cosmiques- ils ne sont pas le manomaya pourousha ou le prânamaya pourousha dans chaque être humain.

Le Pourousha est un être essentiel qui soutient l'action de Prakriti; la divinité (Indra, Vâyou,.etc.) est un être dynamique manifesté en Prakriti pour accomplir les œuvres du plan auquel cette divinité appartient.

 

 

Brahmâ, Vishnou, Shiva ne sont que trois Pouvoirs et Personnalités de l'unique Divinité cosmique.

 

 

Brahmâ est le pouvoir du Divin qui se tient derrière la formation et la création.7  

 

 

Pour ce qui est de Vishnou le créateur - on dit souvent des

 

7. Nouvelles

Lumières sûr le Yoga, chapitre 7.  

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trois dieux qu'ils créent l'univers, même de Shiva qui est, traditionnellement, le Destructeur.  

 

 

Il n'y a pas de relation particulière entre Shiva et le surmental; le surmental est l'habitat le plus élevé de tous les Dieux. Il vaut mieux ne pas parler du surmental jusqu'à ce que son action soit claire et qu'il ne puisse y avoir aucune méprise.  

 

 

Mahâshiva désigne une manifestation plus grande que celle qui est ordinairement vénérée en Shiva - la danse créatrice d'un Divin plus grand manifestant le Pouvoir.

 

C'est probablement le royaume de l'esprit créateur et dynamique venant du plan mental le plus élevé que vous avez vu comme le monde de Pârvatî-Shankara.8

 

Shiva est le Seigneur de Tapas. Le pouvoir est le pouvoir de Tapas. Krishna, en tant que divinité, est le Seigneur de l'Ânanda, de l'Amour et de la Bhakti; en tant qu'incarnation, il manifeste l'union de la sagesse (jnâna) et des œuvres, et conduit l'évolution terrestre, à travers elle, vers l'union avec le Divin, par l'Ânanda, l'Amour et la Bhakti.

La Dévi est la shakti divine - Conscience et Pouvoir du Divin, Mère et Énergie des mondes. Tous les pouvoirs sont siens. Le pouvoir de Dévi peut parfois désigner le pouvoir de la Force universelle du Monde; mais ce n'est qu'un aspect de la Shakti.9

 

8. Shiva et sa compagne Pârvatî.

9. Nouvelles Lumières sur le Yoga, chapitre 1.

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C'est, je suppose, l'image de Sri Krishna, Seigneur de l'amour divin et de l'Ânanda - et sa flûte appelle l'être physique à s'éveiller et à sortir des attachements du monde physique pour se tourner vers cet amour et cet Ânanda.  

 

 

Le jeune garçon à la flûte est Sri Krishna, le Seigneur descendu de l'Ânanda divin dans le jeu du monde; sa flûte est la musique de l'appel qui veut transformer le jeu inférieur ignorant de la vie mortelle pour y apporter la Lîlâ de son Ânanda divin et l'y établir. C'est le psychique en vous qui a entendu l'appel et l'a suivi.10  

 

 

C'est le Krishna de la Guîtâ (l'enfant Krishna est le Krishna de Brindâvan), Krishna apportant la Connaissance spirituelle, la Volonté, la bhakti - et pas seulement l'amour et la bhakti.

L'œil indique la vision de la conscience spirituelle supérieure, et l'espace bleu cette conscience.

 

 

Bouddha représente la victoire remportée sur l'Ignorance de la nature inférieure.  

 

 

Nârada représente l'expression de l'Amour divin et de la Connaissance divine.  

 

 

Ganesha est le Pouvoir qui écarte les obstacles par la force de la Connaissance; Kartikeya représente la victoire sur les  

10. Nouvelles Lumières sur le Yoga, chapitre 7.

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Pouvoirs hostiles. Évidemment, les noms qui leur sont donnés sont humains, mais les dieux existent.11

 

 

Ganesha (entre autres choses) est la Divinité de la Connaissance spirituelle - donc, puisque vous êtres en train d'acquérir cette Connaissance, vous vous êtes vu sous cette forme, identifié à Ganesha.

 

 

Le paon est l'oiseau de la Victoire et Kartikeya le conducteur des forces divines.  

 

II

Les forces hostiles existent et étaient connues de l'expérience yoguique dès l'époque des Véda et de Zoroastre en Asie (et aussi des mystères d'Égypte et de la Cabale), ainsi qu'en Europe depuis l'antiquité. Ces forces, évidemment, ne peuvent être senties ni connues tant que l'on vit dans le mental ordinaire, ses idées et ses perceptions; car là, on reconnaît seulement deux catégories d'influences: les idées, sentiments, actions de soi-même et des autres, et l'action de l'environnement et des forces physiques. Mais dès que l'on commence à acquérir la vision intérieure des choses, c'est différent. On commence à avoir l'expérience du fait que tout est une action de forces: forces de Prakriti, psychologiques autant que physiques, qui agissent sur notre nature - et ces forces sont conscientes, ou soutenues à l'arrière-plan par une ou des consciences. On se trouve au milieu d'un vaste fonctionnement universel et il n'est plus possible de tout expliquer comme un résultat de sa propre personnalité, seule et indépendante. Vous avez vous-même écrit, à un certain moment,

 

11. Nouvelles Lumières sur le Yoga, chapitre 7.

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que vos crises de désespoir, etc., vous venaient comme si elles étaient jetées sur vous, et suivaient leur cours jusqu'au bout sans que vous soyez capable de les infléchir ou d'y mettre fin. Cela indique une action des forces universelles et pas seulement une action indépendante menée par votre propre personnalité, bien que ces forces utilisent quelque chose qui fait partie de votre nature. Mais vous n'êtes pas conscient - et les autres non plus - de la source de cette intervention et de cette pression, pour la raison que j'ai indiquée. Ceux qui ont développé la vision intérieure des choses sur le plan vital connaissent bien les forces hostiles. Il n'est cependant pas nécessaire que vous vous en préoccupiez personnellement, tant qu'elles gardent l'incognito.

On peut avoir des expériences sur le plan mental sans que vienne cette connaissance; car sur ce plan l'intellect et l'idée prédominent; et on ne sent pas le jeu des Forces - c'est seulement dans le vital qu'il devient clair. Sur le plan mental, elles se manifestent le plus souvent comme des suggestions mentales et non comme des Pouvoirs concrets. En outre, si l'on regarde les choses avec le mental seul (même si c'est le mental intérieur), on peut voir le jeu subtil des forces de la Nature, mais sans reconnaître l'intention consciente que nous qualifions d'hostile. 

 

Il y a deux sortes d'Asoura - les uns étaient d'origine divine, mais ont chu de leur divinité par leur volonté personnelle et par leur opposition aux intentions du Divin: les Écritures hindoues les appellent les anciens ou les premiers dieux; ils peuvent être convertis et leur conversion est, en fait, nécessaire aux desseins ultimes de l'univers. Mais l'Asoura ordinaire n'est pas de cette espèce: il n'est pas un être évolutif, mais typique, il représente un principe fixe de la création qui n'évolue pas, ne change pas, et n'est pas destiné à changer. Ces Asoura, comme aussi les autres êtres hostiles, Râkshasa, Pishâtcha et autres, ressemblent aux démons de la tradition

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chrétienne et s'opposent à l'intention divine et au dessein évolutif dans l'être humain; ils ne changent pas l'intention qui est en eux, pour laquelle ils existent, c'est-à-dire le mal, mais doivent, comme le mal, être détruits. L'Asoura n'a pas une âme, il n'a pas d'être psychique destiné à évoluer jusqu'à un état supérieur; il a seulement un ego et, habituellement, un ego très puissant; il a un mental, parfois même un mental hautement intellectualisé; mais la base de sa pensée et de son sentiment est vitale et non mentale, au service de son désir et non de la vérité. C'est une formation dont se revêt le principe de vie pour un genre de travail particulier, et non une formation divine ou une âme.

 

Les Asoura, Râkshasa, etc., n'appartiennent pas à la terre, mais aux mondes supraphysiques; mais ils agissent sur la vie terrestre et disputent aux Dieux la domination de la vie, du caractère et de l'action des hommes. Ce sont des Pouvoirs des Ténèbres qui combattent les Pouvoirs de Lumière.

Parfois, ils possèdent les hommes afin d'agir à travers eux, parfois ils prennent naissance dans un corps humain. Quand ils n'auront plus d'utilité dans le jeu, ils changeront ou disparaîtront, ou encore ne chercheront plus à intervenir dans le jeu terrestre.

 

Les Asoura sont, en réalité, le côté sombre du mental, ou plus précisément, du plan mental vital. Ce mental est le domaine même des Asoura. Ils se caractérisent principalement par une force et une lutte égoïstes qui refusent la loi supérieure. L'Asoura a la maîtrise de soi, le tapas et l'intelligence, mais tout cela est au service de son ego. Nous appelons Râkshasa les forces correspondantes sur le plan vital inférieur; ils représentent les passions et les influences violentes. Il y a aussi d'autres sortes d'êtres sur le plan vital qui sont appelés

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Pishâtcha et Pramatha. Ils se manifestent plus ou moins dans le vital physique.

Sur le plan physique, les forces correspondantes sont des êtres obscurs, plutôt des forces que des êtres, ce que les théosophes appellent les élémentaux. Ce ne sont pas des êtres fortement individualisés comme les Râkshasa ou les Asoura, mais des forces ignorantes et obscures à l'œuvre dans le plan physique subtil. Ce que nous appelons, en sanskrit, les Bhouta12 entrent pour la plupart dans cette catégorie. Mais il y a deux sortes d'élémentaux: les uns sont malfaisants, les autres non.

Il n'y a pas d'Asoura dans les plans supérieurs où règne la Vérité, sauf dans le sens védique - "le Divin dans sa force". Les Asoura du mental et du vital ne sont qu'une déviation de ce pouvoir.  

 

 

Oui, certains Asoura sont très religieux, très fanatiques à l'égard de leur religion, très stricts quant aux règles de la conduite morale. D'autres, évidemment, sont tout à l'opposé. D'autres encore utilisent des idées spirituelles sans y croire, pour leur donner un tour pervers et égarer le sâdhak. C'est ce que Shakespeare décrivait comme le Démon citant les Écritures pour servir ses desseins.

Actuellement, leur principale activité est d'essayer de soulever l'obscurité et la faiblesse des parties les plus physiques du mental, du vital et de la matière pour empêcher le progrès ou l'accomplissement de la sâdhanâ.  

 

 

Les Gandharva appartiennent au plan vital, mais ce sont des Dieux du vital, non des Asoura. De nombreux Asoura ont une belle apparence et peuvent même être revêtus de splendeur ou de lumière. Ce sont les Râkshasa, Pishâtcha, etc. qui ont une apparence laide ou mauvaise.

12. Éléments.

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Forces hostiles. Leur utilité dans le monde est de donner toute leur chance aux possibilités de l'Inconscience et de l'Ignorance — car ce monde a été conçu pour développer ces possibilités, l'harmonisation supramentale étant son issue finale. La vie, le travail qui s'élaborent ici dans l'Ashram doivent affronter le problème du monde, et doivent par conséquent entrer en conflit - c'était inévitable - avec l'action des Pouvoirs hostiles dans l'être humain.13  

 

 

L'univers est certainement ou a été jusqu'à présent en apparence un jeu brutal et plein de gaspillage où les dés du hasard sont pipés en faveur des Pouvoirs de l'ombre, des Seigneurs de l'obscurité, du mensonge, de la mort et de la souffrance. Mais il nous faut le prendre comme il est et découvrir - si nous refusons la porte de sortie des anciens sages - le moyen de le conquérir. L'expérience spirituelle montre qu'il y a derrière tout cela un vaste domaine d'équanimité, de paix, de calme, de liberté, et c'est seulement en y pénétrant que nous pouvons acquérir l'œil qui voit et espérer gagner le pouvoir qui conquiert14

 

 

S'il n'y avait pas de forces hostiles, mais qu'il existait pourtant un monde évolutif, il pourrait y avoir l'ignorance, mais non la perversité dans l'ignorance. Tout serait une vérité partielle agissant à travers des instruments imparfaits, mais répondant le mieux possible aux fins de tel ou tel stade d'une manifestation progressive.  

 

 

 

Ce ne sont pas des forces hostiles, ce sont simplement les  

 

13. Nouvelles Lumières sur le Yoga, chapitre 1.

14. Nouvelles Lumières sur le Yoga, chapitre 1.

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forces de la Nature ordinaire. Les forces hostiles sont celles qui essaient de tout pervertir, qui sont en révolte contre le Divin et s'opposent au yoga.

 

Les forces mineures de la Lumière apportent généralement trop d'obstination dans leur recherche de la Vérité pour que l'efficacité soit leur logique ou leur règle - les êtres hostiles ,sont trop pragmatiques pour se soucier de la Vérité, ils ne veulent que la réussite. Quant aux Forces majeures (comme le surmental), elles sont dynamiques et essaient toujours de rendre la conscience efficace, mais elles mettent l'accent sur la conscience, alors que les êtres hostiles ne s'en soucient pas: plus vous êtes inconscient et plus vous êtes un instrument automatique à leur service, plus ils sont contents, car c'est l'inconscience qui leur donne une chance de réussir.

 

Le contact avec le monde et les forces hostiles est toujours, évidemment, l'une des difficultés majeures du sâdhak, mais transformer le monde et les forces hostiles est une tâche trop vaste, et la transformation personnelle ne peut attendre que cela soit réalisé. Ce qu'il faut faire, c'est vivre dans le Pouvoir où ces éléments perturbateurs ne peuvent pas pénétrer ou, s'ils y pénètrent, ne peuvent rien perturber, et être suffisamment purifié et fortifié par lui pour n'avoir en soi aucune réaction à ce qui est hostile. S'il se produit un enveloppement protecteur, une descente purificatrice intérieure, et qu'il en résulte dans l'être intérieur l'établissement d'une conscience supérieure qui finalement se substitue à l'ancienne conscience ignorante, jusque dans les parties extérieures les plus extérieurement actives, alors le monde et les forces hostiles n'auront plus d'importance - du moins pour l'âme de chacun; car il y a un travail plus vaste, non personnel, au cours duquel

 

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il faudra bien s'en occuper; mais il n'est pas nécessaire que ce soit la préoccupation principale au stade actuel.

 

 

Ce sont les mouvements de la nature inférieure qui se purifient. Les Asoura ne se transforment pas si facilement.

 

 

Peu nombreux sont les Asoura qui ont montré des signes de repentir ou des possibilités de conversion jusqu'à présent. Il n'est pas surprenant qu'ils soient puissants dans un monde d'ignorance, puisqu'ils n'ont qu'à persuader les gens de suivre la pente établie de leur nature inférieure, alors que le Divin leur demande toujours de changer de nature. Il ne faut pas s'étonner que l'Asoura ait une tâche plus facile et, momentanément, plus de succès dans ses machinations. Mais ce succès temporaire n'engage pas l'avenir.

 

Certains êtres du vital sont très intelligents, mais ils ne se lient pas d'amitié avec la Lumière - ils essaient seulement d'éviter la destruction et attendent leur heure.

 

Les forces mauvaises sont des perversions de la Vérité par l'Ignorance; dans une transformation complète, elles doivent disparaître et la Vérité derrière elle doit être libérée. De cette manière, on peut dire qu'elles seront transformées par destruction.

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Le Principe De L'Avatar

Assurément, pour la conscience terrestre, le fait même que le Divin se manifeste est la plus grande de toutes les splendeurs, Considérez l'obscurité ici-bas et ce qu'elle serait si le Divin n'intervenait pas directement, et si la Lumière des Lumières ne jaillissait pas de l'obscurité - car tel est le sens de la manifestation.  

 

 

Une incarnation, c'est la Conscience divine et l'Être divin se manifestant au moyen du corps. L'incarnation peut venir de n'importe quel plan.

 

 

C'est le Divin cosmique omniprésent qui soutient l'action de l'univers; s'il y a une Incarnation, cela ne diminue en rien la Présence cosmique et l'action cosmique dans les univers, qu'ils soient trois ou trente millions.  

 

Le Pouvoir qui descend (Avatar) choisit lui-même le lieu, le corps et l'époque de sa manifestation.

 

 

L'Avatar est nécessaire quand un travail spécial doit être fait, et dans les crises de l'évolution. L'Avatar est une manifestation spéciale, alors que le reste du temps c'est le Divin qui est à l'œuvre, dans les limites humaines ordinaires, en tant que Vibhoûti.

 

 

 

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Le principe de l'Avatar aurait peu de signification s'il n'était pas lié à l'évolution. La succession hindoue des dix Avatar est en elle-même, en quelque sorte, une parabole de l'évolution. D'abord l'Avatar Poisson, puis l'animal amphibie entre terre et eau, puis l'animal terrestre, puis l'Avatar Homme-Lion, pont entre l'homme et l'animal, puis l'homme-nain, petit et non développé, physique mais contenant en lui la divinité et prenant possession de l'existence, puis les Avatar radjasique, sattwique, nirgouna, conduisant le développement humain depuis l'homme vital radjasique jusqu'à l'homme mental sattwique, et ensuite jusqu'au surhomme surmental. Krishna, Bouddha et Kalki figurent les trois dernières étapes, les étapes du développement spirituel - Krishna ouvre la possibilité du surmental, Bouddha veut aller plus loin vers la suprême libération, mais cette libération est encore négative, non suivie d'un retour sur terre qui pourrait achever positivement l'évolution; Kalki est censé corriger cela en apportant le royaume du Divin sur la terre, en détruisant les forces asouriques qui s'y opposent. Cette progression est frappante et on ne peut s'y méprendre.

En ce qui concerne les vies intermédiaires de l'Avatar, Krishna, il ne faut pas l'oublier, parle de nombreuses vies dans le passé et pas seulement de quelques vies suprêmes; ensuite, lorsqu'il parle de lui-même comme du Divin, il y a un passage où il se décrit comme une Vibhoûti, vrishninâm vâsoudevah.1 Nous pouvons donc à juste titre supposer qu'il s'est manifesté dans de nombreuses vies comme la Vibhoûti voilant la Conscience divine plus complète. Si nous admettons que l'Avatar a pour but de conduire l'évolution, c'est tout à fait raisonnable, le Divin apparaissant sous forme d'Avatar dans les grandes étapes de transition, et de Vibhoûti pour faciliter les transitions mineures.  

 

1. Vâsoudéva : le Divin ; vrishninâm : parmi les Vrani (tribu de Krishna). Guîtâ, 10.37.

 

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Elle [la libération surmentale] ne peut pas être la libération suprême, puisqu'il y a quelque chose au-delà; mais il y a une libération même dans le Mental supérieur. En parlant de libération suprême, je considérais simplement comme admise la manière de voir bouddhiste-adwaïtiste et je la corrigeais en disant que cette façon d'envisager le Nirvana est trop négative. Krishna a ouvert la possibilité du surmental avec les deux aspects de sa réalisation, statique et dynamique. Bouddha a voulu s'élancer du mental au Nirvana dans le Suprême, comme après lui Shankara, mais d'une autre manière. Tous deux s'accordent pour sauter les autres étapes et essayer d'atteindre un Absolu sans nom et sans caractéristiques. Krishna, en revanche, était le guide sur la voie normale de l'évolution. Normalement, la prochaine étape n'est pas un Absolu sans caractéristiques, mais le surmental. Je considère qu'en voulant dépasser le but, Bouddha, comme Shankara, a commis l'erreur d'écarter l'aspect dynamique de la libération. Par conséquent, il faut une correction qui devra être faite par Kalki.

Je parlais évidemment des dix Avatar comme d'une "parabole de l'évolution", et je ne faisais qu'expliquer l'interprétation que nous pouvons en donner en partant de ce point de vue. Ce n'était pas ma propre manière de voir que j'exposais.  

 

 

Il n'est pas nécessaire d'accorder trop d'importance aux détails en ce qui concerne Kalki - ce sont des symboles plutôt qu'une prophétie qui tente de décrire en détails l'histoire future. Ils expriment quelque chose qui doit venir, mais l'indiquent symboliquement, sans plus.

De même, il n'est pas nécessaire de donner trop de poids au chiffre exact des Youga2 dans le Pourana. Ici encore, le Kala3 et les Youga indiquent des périodes successives dans le

2. Youga: ère, âge. Kali Youga: l'âge du fer. Satya Youga: l'âge de la Vérité ou âge d'or.

3. Kala: Temps.

 

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cycle de l'évolution - état parfait, déclin, désintégration des âges successifs de l'humanité, suivis d'une renaissance - les calculs mathématiques ne sont pas l'élément important. La thèse de la fin du Kali Youga qui serait déjà venue ou sur le point de venir et de l'arrivée d'un Satya Youga est bien connue et nombreux sont ceux qui l'ont soutenue.

 

J'ai seulement pris la liste pouranique des Avatar et l'ai interprétée comme une parabole de l'évolution, afin de montrer que l'idée d'évolution est implicitement contenue dans la théorie de l'Avatar. Quant à savoir si l'on admet que Bouddha est un Avatar ou si l'on préfère en mettre un autre à sa place (dans certaines listes, Balarâm remplace Bouddha), c'est une affaire d'opinion personnelle. Les Jataka bouddhistes sont des légendes sur les incarnations passées de Bouddha, qui contiennent souvent un enseignement implicite; ils ne font pas partie du système hindou. Pour les bouddhistes, Bouddha n'était pas du tout un Avatar, il était l'âme gravissant l'échelle de l'évolution spirituelle jusqu'au stade final de l'émancipation; bien que l'influence hindouiste ait amené le bouddhisme à élaborer l'idée d'un Bouddha éternel au-dessus, ce n'était pas une idée universelle ou fondamentale du bouddhisme. Que le Divin, en se manifestant comme Avatar, puisse choisir de suivre la ligne de l'évolution depuis l'échelon le plus bas, se manifestant à chaque étape comme Vibhoûti, pose une autre question dont la réponse n'est pas inévitablement négative. Si nous acceptons l'idée d'évolution, cette conception peut trouver sa place.

Si l'enseignement du Bouddha a été différent de celui de Krishna, cela n'empêche pas que sa venue ait été nécessaire dans l'évolution spirituelle. La seule question est de savoir si la tentative d'escalader les hauteurs du Nirvana absolu, au moyen de la négation de l'existence cosmique, était une étape nécessaire ou non, compte tenu du fait que l'on peut tenter

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d'atteindre le Suprême par la méthode du neti neti autant que par celle du iti iti.4  

 

 

Pratiquement, il [Bouddha] a affirmé l'existence de quelque chose d'inconnaissable qui était Permanent et Non Manifesté. L'adwaïta fait de même. Bouddha n'a jamais dit qu'il était l'Avatar d'un Dieu personnel, mais qu'il était le Bouddha. Ce sont les hindous qui en ont fait un Avatar. Si le Bouddha s'était tant soit peu considéré comme un Avatar, c'aurait été comme un Avatar de la Vérité impersonnelle.

 

 

Je ne pense pas qu'historiquement il aurait pu exister un autre Bouddha. Ce sont, je pense, les Pourana vishnouites qui ont établi la liste des Avatar, car selon le Pourousha tous sont des Avatar de Vishnou. L'acceptation générale de cette liste date peut-être d'après Shankara, après que la controverse entre. bouddhistes et brahmanistes eut cessé d'être à l'ordre du jour. Pendant un certain temps, on a eu tendance à substituer le nom Balarâma à celui de Bouddha, ou à dire que Bouddha était un Avatar de Vishnou, mais qu'il était venu pour égarer les Asoura. C'est évidemment de lui qu'il s'agit dans l'histoire de Mayamoha racontée dans le Pourana de Vishnou.

 

Si une Conscience divine et une Force divine sont descendues et, à travers la personnalité que nous appelons Bouddha, ont accompli une grande œuvre pour le monde, Bouddha peut être appelé un Avatar; la tapasyâ et l'accès à la connaissance ne sont qu'un incident de la manifestation.

Si, au contraire, Bouddha n'était qu'un être humain comme beaucoup d'autres qui sont parvenus à une certaine

 

4. Neti neti: ce n'est pas ceci, ce n'est pas cela; iti iti: c'est ceci, c'est cela.

 

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connaissance et l'ont prêchée, alors il n'était pas un Avatar, car il y en a eu des milliers et ils ne peuvent pas être tous des Avatar.

 

 

Krishna n'est pas la Lumière supramentale. La descente de Krishna désignerait la descente de la Divinité du surmental préparant, sans l'être véritablement elle-même, la descente du supramental et de l'Ânanda. Krishna est l'Ânandamaya; il soutient l'évolution à travers le surmental et la conduit vers l'Ânanda.  

 

 

On peut être le chef d'une organisation spirituelle, ou le Messie d'une religion, ou un Avatar, sans aller dans cette vie-ci jusqu'au supramental et au-delà.

 

 

Yougué yougué5 peut être utilisé dans un sens général, comme en français "d'âge en âge", sans se rattacher techniquement au youga proprement dit selon la computation pouranique. Mais le mot bahoûni6 semble faire référence à de très nombreuses vies, particulièrement associé à tava cha. En tout cas ces nombreuses naissances ne pouvaient pas être toutes des incarnations complètes - beaucoup ont dû être de simples Vibhoûti maintenant le lien d'une incarnation à l'autre. Quant à savoir si Ardjouna l'accompagnait dans chacune de ces naissances, rien n'en est dit, mais ce ne serait pas vraisemblable - dans beaucoup, c'est évident.

 

5. Au sujet de ses nombreuses renaissances, Krishna dit, dans la Guîtâ (4.8): Sambhavâmi youguéyougué, je nais d'âge en âge.

6. Bahoûni me viyatitâni tava chârjouna (Guîtâ, 4.5): nombreuses sont mes naissances passées, ô Ardjouna, et les tiennes aussi.

 

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Mais chaque être, à chaque nouvelle naissance, élabore un nouveau mental, une nouvelle vie, un nouveau corps - autrement John Smith serait toujours John Smith et n'aurait aucune chance de devenir Piyusha Kanti Ghose. Évidemment, à l'intérieur, il subsiste d'anciennes personnalités qui contribuent à la nouvelle vie, mais je parle de la nouvelle personnalité visible, de l'homme extérieur mental, vital, physique. C'est l'être psychique qui conserve le lien de naissance en naissance et produit toutes les manifestations de la même personne. Il est donc vraisemblable que l'Avatar revête une nouvelle personnalité chaque fois, une personnalité adaptée à l'époque nouvelle, à l'œuvre nouvelle et au nouveau milieu. Dans ma propre manière de voir, cependant, la nouvelle personnalité a derrière elle une série de vies d'Avatar, au cours desquelles l'évolution intermédiaire a été poursuivie et aidée d'âge en âge.

 

 

Je suppose que très peu de gens l'ont reconnu [Krishna] comme un Avatar - cette reconnaissance n'était certainement pas générale. Parmi ces quelques-uns, ceux qui étaient le plus proche de lui ne semblent pas avoir compté; c'étaient des gens peu importants comme Vidoura, etc.

 

 

Les compagnons de Krishna étaient, selon toute apparence, des hommes comme les autres. Ils parlaient et agissaient entre eux comme les hommes entre eux, et ceux qui les entouraient ne les considéraient pas comme des dieux. La plupart des gens ne voyaient en Krishna qu'un homme - quelques-uns seulement l'adoraient comme le Divin.7  

 

7. Nouvelles Lumières sur le Yoga, chapitre 7.

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Grosso modo, un Avatar est quelqu'un qui est conscient que la présence et le pouvoir du Divin sont nés en lui ou descendus en lui et gouvernent de l'intérieur sa volonté, sa vie et son action; il se sent identifié intérieurement à ce pouvoir divin et à cette présence divine.

Une Vibhoûti est censée incarner l'un des pouvoirs du Divin et est de ce fait capable d'agir avec une grande force dans le monde, mais rien d'autre n'est nécessaire pour faire d'un homme une Vibhoûti: le pouvoir peut être très grand, mais la conscience n'est pas celle d'une Divinité née en lui ou demeurant en lui. Telle est la distinction que nous pouvons tirer de la Guîtâ qui est l'autorité majeure sur ce sujet. Si nous admettons cette distinction, nous pouvons déduire en toute confiance, selon ce qu'on raconte de Rama et de Krishna, qu'ils peuvent être admis comme Avatar; Bouddha figure comme tel, bien qu'il ait eu une conscience plus impersonnelle du Pouvoir qui était en lui. Râmakrishna exprimait la même conscience quand il disait que Celui qui avait été Rama et qui avait été Krishna était en lui. Mais le cas de Chaïtanya est particulier; car selon les récits, il se sentait et se proclamait habituellement un bhakta de Krishna et rien de plus, mais dans les grands moments il manifestait Krishna, son mental et son corps devenaient lumineux, il était Krishna lui-même, parlait et agissait comme le Seigneur. Ses contemporains voyaient en lui un Avatar de Krishna, une manifestation de l'Amour divin.

Shankara et Vivékânanda étaient certainement des Vibhoûti; on ne peut pas leur attribuer plus, bien qu'en tant que Vibhoûti ils aient été très grands.

 

 

Je n'avais aucunement l'intention de mettre en doute le fait que Chaïtanya soit un Avatar de Krishna et de l'Amour divin. Cet aspect de la manifestation apparaît très clairement à travers tout ce qu'on dit de lui, et même, si l'on se fie aux récits selon lesquels Krishna apparaissait en lui de temps en

 

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temps, ces éclats de la splendeur de l'Être divin sont parmi les plus remarquables dans l'histoire de l'Avatar. Quant à Sri Râmakrishna, la manifestation en lui n'était pas aussi intense, mais elle avait plus de facettes, et fort heureusement l'authenticité des détails de ses paroles et de ses actes ne peut être contestée, puisque ceux-ci ont été consignés au jour le jour par un observateur de la compétence de Mahendranath Gupta. Je ne souhaite pas établir une comparaison entre ces deux grandes personnalités spirituelles; toutes deux ont exercé une influence extraordinaire et ont fait quelque chose de suprême, chacune dans sa sphère propre.

 

 

Il [Râmakrishna] n'a jamais écrit son autobiographie - il conversait avec ses disciples et d'autres personnes. Il était certainement un Avatar, tout autant que le Christ ou Chaïtanya.

 

Mahomet aurait lui-même rejeté l'idée qu'il était un Avatar; nous devons donc le considérer seulement comme le prophète, l'instrument, la Vibhoûti. Le Christ s'est réalisé comme le Fils qui est un avec le Père; il doit donc être un amsâvatâra, une incarnation partielle.

 

 

Ce que Léonard de Vinci portait en lui, c'était toute la nouvelle ère de l'Europe dans ses aspects variés. Mais il n'était pas question d'Avatar, de conscience d'une descente ou de pression de forces spirituelles. Le mysticisme n'avait aucune part dans ce qu'il avait à manifester.

 

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II

 

Le phénomène de l'Avatar a deux faces: la Conscience divine et la personnalité instrumentale. La Conscience divine est toute-puissante, mais elle a émané la personnalité instrumentale dans la Nature, selon les conditions imposées par la Nature, et elle l'utilise en se conformant aux règles du jeu - bien qu'il lui arrive aussi parfois de changer les règles du jeu. Si l'apparition de l'Avatar n'est qu'un éclair miraculeux, je n'en vois pas l'utilité. Si elle est une partie cohérente du plan du Divin tout-puissant dans la Nature, alors je peux la comprendre et l'admettre.

 

J'ai dit que l'Avatar est celui qui vient pour ouvrir à l'humanité la Voie vers une conscience plus haute; si personne ne peut suivre la Voie, alors, ou bien notre conception - qui est aussi celle du Christ et de Krishna, et aussi de Bouddha - est complètement fausse, ou bien toute la vie, toute l'action de l'Avatar est complètement vaine. X semble dire qu'il n'y a pas de voie, pas de possibilité de suivre, que les luttes et les souffrances de l'Avatar n'ont pas de réalité, sont des balivernes: il n'y a pas de possibilité de conflit pour qui représente le Divin. Une telle conception rend absurde tout le principe de l'Avatar; il n'a alors ni raison d'être, ni nécessité, ni signification. Le Divin, étant tout-puissant, peut élever les gens sans prendre la peine de descendre sur terre. C'est seulement si le fait qu'il doive se charger du fardeau de l'humanité et ouvrir la Voie fait partie de l'ordre du monde, que la descente de l'Avatar a une signification.  

 

 

L'Avatar n'est pas censé agir d'une manière non humaine - il assume l'action humaine et utilise des méthodes humaines, avec la conscience humaine en avant et la Conscience divine à

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l'arrière-plan. Sinon, le fait qu'il prenne un corps d'homme n'aurait aucune signification et ne serait d'aucune utilité pour personne. Il aurait aussi bien pu être resté au-dessus et avoir agi de là.  

 

La distinction entre Divin et humain est une difficulté fabriquée par le mental. Le Divin est là, dans l'humain, et l'humain accomplissant et dépassant ses aspirations et ses tendances les plus hautes devient le Divin. C'est ce que votre dépression ne pouvait pas comprendre: quand le Divin descend, il se charge du fardeau de l'humanité afin de la dépasser; il devient humain afin de montrer à l'humanité comment on devient Divin. Mais cela ne peut pas se faire s'il n'est qu'un être débile, sans Présence divine en lui, sans Force divine derrière lui; il doit être fort pour mettre sa force dans tous ceux qui sont disposés à la recevoir. Il y a par conséquent en lui un double élément: humain au premier plan, Divin à l'arrière-plan; et c'est ce qui donne cette impression de profondeur insondable dont vous vous plaignez. Si vous considérez l'humain seulement, si vous regardez avec l'œil extérieur seulement, et que vous n'êtes ni disposé, ni prêt à voir quoi que ce soit d'autre, vous ne verrez qu'un être humain; si vous cherchez le Divin, vous trouverez le Divin.

 

Il est vrai qu'il est impossible à la raison humaine limitée de juger les voies ou les desseins du Divin - c'est la manière qu'a l'Infini de traiter le fini.

 

 

Ce n'est pas avec votre mental que vous pouvez espérer comprendre le Divin et son action, mais par la croissance d'une conscience vraie et divine en vous. Si le Divin se

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dévoilait et se révélait dans toute sa gloire, le mental pourrait sentir une Présence, mais il n'en comprendrait ni l'action ni la nature. C'est dans la mesure de votre propre réalisation et par la naissance et la croissance de cette conscience plus grande en vous que vous verrez le Divin et comprendrez son action, même derrière ses déguisements terrestres.  

 

Un Avatar, ou une Vibhoûti, a la connaissance qui est nécessaire à son travail et n'a besoin de rien de plus. Il n'y avait absolument aucune raison que Bouddha sache ce qui se passait à Rome. Un Avatar ne manifeste même pas toute l'omniscience et toute l'omnipotence du Divin; il n'est pas venu pour faire un étalage aussi superflu; tout cela est derrière lui, mais pas au-devant de sa conscience. La Vibhoûti, elle, n'a même pas besoin de savoir qu'elle est un pouvoir du Divin. Quelques vibhoûti comme Jules César, par exemple, étaient athées. Bouddha lui-même ne croyait pas en un Divin personnel, mais seulement en une Permanence impersonnelle et indescriptible.

 

Les hommes, quand ils veulent faire les choses bien, agissent au moyen d'une liaison mentale claire; ils voient et font les choses avec le mental, et ce qu'ils veulent, c'est la perfection mentale et humaine. Quand ils pensent à une manifestation de la Divinité, ils imaginent que ce doit être une perfection extraordinaire dans l'exécution d'actions humaines ordinaires: une faculté commerciale extraordinaire, une faculté politique, poétique ou artistique extraordinaire, une mémoire exacte; ne pas commettre d'erreurs, ne subir ni défaite, ni échec. Ou encore ils pensent à des choses qu'ils appellent surhumaines: ne pas manger, prédire les cours de la bourse, dormir sur des clous ou les manger. Tout cela n'a rien à voir avec la manifestation du Divin... Ces conceptions humaines sont fausses.

 

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La Divinité agit selon une autre conscience, la conscience de la Vérité au-dessus et de la Lîlâ au-dessous, et Elle agit selon les nécessités de la Lîlâ, non selon les conceptions humaines de ce qu'Elle doit ou ne doit pas faire. C'est la première chose que l'on doit saisir, sans quoi on ne peut rien comprendre à la manifestation du Divin.  

 

Si le Divin n'était pas, par essence, tout-puissant, il ne pourrait être tout-puissant nulle part, que ce soit dans le supramental ou ailleurs. Qu'il choisisse de fixer les conditions pour limiter ou définir son action ne diminue pas sa toute-puissance. La limitation qu'il s'impose est en elle-même un acte d'omnipotence...

Pourquoi le Divin serait-il contraint de réussir toutes ses entreprises? Et si l'échec lui convient mieux et sert mieux ses ultimes desseins? Comme ces conceptions du Divin sont primitives et rigides!

Certaines conditions ont été établies pour le jeu, et tant que ces conditions restent inchangées, certaines choses ne se font pas - nous disons donc qu'elles sont impossibles, ne peuvent pas être faites. Si les conditions sont changées, alors les mêmes choses se font ou au moins deviennent licites - permises, légales selon les prétendues lois de la Nature; alors nous disons qu'elles sont possibles. Le Divin, lui aussi, agit selon les conditions du jeu. Il peut les changer, mais il doit les changer d'abord et non pas, tout en les maintenant, se mettre à agir par une série de miracles.  

 

 

Si les Avatar sont des imposteurs, ils n'ont pas de valeur pour les autres, ni de véritable effet: l'existence de l'Avatar devient parfaitement irrationnelle, irréelle, sans signification. Le Divin n'a pas besoin de souffrir ni de lutter pour lui-même ; s'il prend cela sur lui, c'est afin d'endosser le fardeau du monde et

 

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d'aider le monde et les hommes; pour que ces souffrances et ces luttes soient d'une aide quelconque, elles doivent être réelles. Une imposture ou un mensonge ne peuvent être d'aucune aide. Ces luttes et ces souffrances doivent être aussi réelles que celles des hommes eux-mêmes: le Divin les endure et en même temps montre comment en sortir. Autrement, le fait qu'il ait revêtu une nature humaine n'a ni signification, ni utilité, ni valeur. À quoi bon admettre le principe de l'Avatar si vous lui ôtez toute signification?

 

Selon votre argument, les luttes de l'Avatar et les actions de sa vie (par exemple, celles de Rama, de Krishna, etc.) sont irréelles parce que le Divin est là et sait que tout cela est Maya; mais dans l'homme aussi il y a un moi, un esprit qui est immortel, invulnérable, divin; vous pouvez dire que les souffrances et l'ignorance de l'homme sont seulement feintes, simulées, irréelles. Mais si l'homme les ressent comme réelles? Si l'Avatar sent que son travail et les difficultés sont sérieuses et réelles?

Si l'existence de la Divinité est sans effet pratique, à quoi sert de l'admettre en théorie? La manifestation du Divin dans l'Avatar est une aide pour l'homme, parce qu'elle l'aide à découvrir sa propre divinité et à trouver la voie pour la réaliser. Si la différence est si grande que le fait d'être humain, par sa nature même, empêche toute possibilité de suivre la voie ouverte par l'Avatar, cela signifie simplement que l'homme n'a en lui rien de divin qui puisse répondre à ce qui est Divin dans l'Avatar.  

 

Je le répète, le Divin, quand il endosse le fardeau de la nature terrestre, l'assume complètement, sincèrement, sans tour de passe-passe ni faux-semblant. Si, derrière lui, quelque chose émerge toujours de son enveloppe, c'est en essence la même

 

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chose, même si c'est à un plus grand degré, que ce qui est derrière les autres - et c'est pour éveiller cela qu'il est ici...

L'être psychique fait de même pour tous ceux qui sont destinés à la voie spirituelle - il n'est pas nécessaire que les hommes soient des êtres extraordinaires pour la suivre. C'est là votre erreur: vous revenez toujours à la grandeur comme si seuls les grands êtres pouvaient être spirituels.

 

 

Vos critiques à l'égard de Rama me laissent plutôt perplexe. La lâcheté est la dernière chose que l'on puisse reprocher au Rama de Vâlmîki: il a toujours été considéré comme un guerrier et ce sont les "peuples martiaux" de l'Inde qui en ont fait leur dieu. Vâlmîki le dépeint partout comme un grand guerrier. Qu'il ait employé la ruse contre un ennemi infrahumain ne prouve pas le contraire - car c'est toujours ainsi que l'humain (même les grands guerriers et les grands chasseurs) a traité l'infra-humain. Je pense que c'est Madhousoudan qui a terni le héros de Vâlmîki aux yeux des Bengalis et en a fait un pauvre fantoche, mais ce n'est pas le vrai Rama qui, quoi qu'on en dise, était une grande figure épique - Avatar ou non. Quant à la morale conventionnelle, toute morale est une convention: l'homme ne peut pas vivre sans conventions, mentales ou morales, sinon ils se sent perdu dans la mer houleuse des forces anarchiques de la Nature vitale. Même les Russe 11 et les Bernard Shaw n'ont pu finalement qu'établir un nouveau code de conventions à la place de celles qu'ils avaient renversées. C'est seulement en s'élevant au-dessus du mental que l'on peut vraiment dépasser les conventions; Krishna a pu le faire parce qu'il n'était pas un être humain mental, mais une divinité du surmental agissant librement à partir d'une conscience plus grande que celle de l'homme. Ce n'était pas le cas de Rama qui était l'Avatar de l'intellect sattwique - mental, émotif, moral - et qui se conformait au Dharma de son époque et de son peuple. Cela peut le rendre sympathique au tempérament de Gandhi, et

 

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pour vous c'est l'inverse; mais de même que la répugnance du tempérament de Gandhi à l'égard de Krishna ne prouve pas que Krishna n'était pas un Avatar, de même la répugnance de votre tempérament devant Rama n'établit pas qu'il n'était pas un Avatar. Mon argument principal sera cependant que la qualité d'Avatar ne repose pas du tout sur ces questions, mais qu'elle a une autre base, une autre signification et une autre finalité.

 

 

Je n'ai pas l'intention de m'engager dans une défense suprême de Rama - j'ai seulement abordé les points concernant Bali, etc., parce qu'ils sont habituellement utilisés, de nos jours, pour ravaler sa grande personnalité au niveau ordinaire. Mais du point de vue de sa qualité d'Avatar, je ne penserais pas plus à défendre sa perfection morale selon les normes modernes que je ne penserais à défendre Napoléon ou César contre les moralistes, les critiques démocrates ou les détracteurs afin de prouver qu'ils étaient des Vibhoûti. Vibhoûti, Avatar sont des termes qui ont leur signification et leur portée, et qui n'ont rien à voir avec la moralité ou l'immoralité, la perfection ou l'imperfection selon les petites normes humaines, ni avec le fait de fournir un exemple aux hommes, de montrer de nouvelles attitudes morales ou de donner un nouvel enseignement spirituel. Ils peuvent ou non le faire, mais ce n'est pas du tout l'essentiel.

Je ne considère pas non plus que votre manière d'aborder la personnalité humaine de Rama soit la bonne. Il faut prendre celle-ci comme un tout dans le cadre que Vâlmîki lui a donné (et non la traiter comme s'il s'agissait de l'histoire d'un homme moderne), et avec la signification qu'il donne à la personnalité de son héros, à ses hauts faits et à ses œuvres. Si elle est arrachée à son cadre et disséquée avec le scalpel de l'esprit moral moderne, elle perd immédiatement toute sa signification. Krishna, ainsi traité, devient un débauché et un tricheur qui, nul doute, a fait de grandes choses en politique;

 

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mais Rama en a fait autant dans la guerre. Achille et Ulysse, sortis de leur cadre, deviennent, l'un un sauvage égoïste et furieux, l'autre un sauvage rusé et cruel. Je me considère dans l'obligation d'entrer dans l'esprit, la signification, l'atmosphère du Mahâbhârata. de l'Iliade, du Râmâyana, et de m'identifier à l'esprit du temps, avant de pouvoir sentir ce que sont leurs héros en eux-mêmes, en dehors des détails de leur action extérieure.

Quant à la qualité d'Avatar, je l'accepte pour Rama parce que sans lui il manquerait quelqu'un dans le plan et que cette place me semble lui convenir; je l'accepte aussi parce qu'à la lecture du Râmâyana, je reconnais un souffle puissant qui fait de son histoire - tout conte de fée qu'elle paraisse - la parabole d'une transition grandiose et cruciale dans l'évolution terrestre; ce souffle donne aussi à la personnalité et aux actes du personnage principal une signification cosmique, vaste et typique, que ces actes n'auraient pas eue s'ils avaient été accomplis par un autre homme, dans une autre combinaison de circonstances. L'Avatar n'est pas obligé d'accomplir des actions extraordinaires, mais il est obligé de donner à ses actes, à son œuvre ou à ce qu'il est - à chacune de ces choses ou à toutes - une signification et un pouvoir efficace qui font partie de quelque chose d'essentiel à accomplir dans l'histoire de la terre et de ses peuples.

Quoi qu'il en soit, si quelqu'un ne voit pas les choses comme moi et veut chasser Rama de sa place, je n'ai pas d'objection - je n'ai pas un faible particulier pour Rama - pourvu que quelqu'un d'autre soit mis à cette place, qui puisse à juste titre combler le vide laissé par son absence. Il y avait quelqu'un là, le Rama de Valmiki ou un autre Rama, ou quelqu'un qui n'était pas Rama.

Je ne veux pas dire non plus que j'admets la valadité de vos remarques sur Rama, même prises comme une critique de détail, mais je n'ai pas le temps aujourd'hui. Je maintiens ma position en ce qui concerne le meurtre de Bali et le bannissement de Sitâ, malgré l'objection première de Bali à cette procédure, rétractée ensuite, et en dépit de l'opinion des

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proches de Rama, nécessairement du point de vue du dharma antique, non de celui de quelque norme morale universelle - qui par ailleurs n'existe pas, puisque la norme change selon l'époque ou la latitude.  

 

Non, certainement pas - il n'est pas du tout nécessaire qu'un Avatar soit un prophète spirituel - jamais il n'est, en fait, seulement un prophète, il est un réalisateur, un fondateur - non de choses extérieures seulement, bien qu'il réalise effectivement quelque chose à l'extérieur aussi, mais, comme je l'ai dit, de quelque chose d'essentiel et de radical dont a besoin l'évolution terrestre, c'est-à-dire l'évolution, par étapes successives, de l'esprit incarné vers le Divin. Rama n'avait pas du tout pour tâche de fonder l'étape spirituelle de cette évolution; il ne s'en est donc pas occupé. Il avait pour tâche de détruire Râvana et 'd'établir le Râma-râdjya8 - en d'autres termes, de fixer pour l'avenir la possibilité d'un ordre propre à l'être humain civilisé et sattwique qui gouverne sa vie par la raison, les émotions raffinées, la morale ou du moins les idéaux moraux comme la vérité, l'obéissance, la coopération et l'harmonie, le sens de l'ordre privé et public; d'établir cela dans un monde encore sous l'empire des forces anarchiques, du mental de l'Animalité et des pouvoirs de l'Ego vital qui fait de sa propre satisfaction une règle de vie; en d'autres termes, du Vânara et du Râkshasa. Telle est la signification de Rama et de l'œuvre de sa vie, et c'est selon qu'il l'a accomplie ou non qu'il faut juger s'il était ou non un Avatar. Il n'avait pas à jouer la comédie du Kshatriya chevaleresque avec la formidable bête brute qu'était Bali; il avait à le tuer et à maîtriser l'Animal. Sa tâche consistait non pas nécessairement à être un Homme parfait, mais un Homme sattwique largement représentatif, un mari fidèle et un amant, un fils aimant et obéissant, un frère, un père, un ami tendre et parfait - il est l'ami de toutes sortes de gens, l'ami du proscrit Gouhâka,

 

8. Le royaume de Rama; le royaume idéal.

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l'ami des chefs des animaux, Sougriva, Hanoumân, l'ami du vautour Jatayou, et même l'ami du Râkshasa Vibhîshana. Il était tout cela. d'une manière brillante, saisissante, mais surtout spontanée et inévitable, sans forcer cette note-ci ou celle-là comme Harishchandra ou Shivi, mais avec une certaine plénitude harmonieuse. Mais par-dessus tout, il avait à instaurer et à établir les caractéristiques des choses dont dépendent l'idée sociale et sa stabilité: vérité et honneur, sens du Dharma, esprit civique et sens de l'ordre. Aux premiers, à la vérité et à l'honneur, bien plus qu'à son amour filial et à son obéissance à son père (mais à cela aussi), il a sacrifié ses droits personnels d'élu du Roi et de l'assemblée, et quatorze des plus belles années de sa vie, pour s'exiler dans la forêt. À cet esprit civique et à son sens de l'ordre public (la vertu civique suprême, la plus grande aux yeux des Indiens, des Grecs et des Romains de l'antiquité, car à l'époque le maintien d'une communauté ordonnée, non le développement et la satisfaction de l'individu isolé, était le besoin urgent de l'évolution humaine), il sacrifia son propre bonheur et sa vie de famille, et le bonheur de Sitâ. En cela, il était en accord avec le sens moral de tous les peuples antiques, bien qu'il ait été en désaccord avec la moralité ultérieure sentimentale, romantique et individualiste de l'homme moderne qui peut se permettre cette morale moins sévère justement parce que les Anciens ont sacrifié l'individu afin que le monde soit suffisamment en sécurité pour que l'esprit de l'ordre social soit établi. Enfin Rama avait à rendre le monde suffisamment sûr pour que l'idéal de l'être humain sattwique puisse s'établir, en détruisant la souveraineté de Râvana, le menace du Râkshasa. Tout cela, il l'a fait avec un tel souffle divin dans sa personnalité et dans son action que sa personne a marqué de son sceau pendant plus de deux millénaires la mentalité de la culture indienne; ce qu'il représentait a dominé la raison et le mental idéaliste de l'homme dans tous les pays et, en dépit de la constante révolte du vital humain, continuera vraisemblablement à le faire jusqu'à ce que s'élève un plus grand idéal. Et vous dites, en dépit de tout cela, qu'il n'était pas un

 

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Avatar? Si vous voulez; mais quoi qu'il en soit, il figure parmi le petit nombre des plus grandes Vibhoûti. Vous pouvez le détrôner maintenant, car l'homme ne se satisfait plus de l'idéal sattwique et est à la recherche de quelque chose de plus - mais son œuvre et sa signification marquent toujours de leur empreinte le passé de l'espèce terrestre qui évolue. Quand j'ai parlé du vide que laisserait son absence, je ne parlais pas d'un vide parmi les prophètes et les intellectuels, mais d'un vide dans le plan de la succession des Avatar: il y avait quelqu'un qui était l'Avatar de l'Humain sattwique, comme Krishna était l'Avatar du Surhomme surmental; je ne vois nul autre que Rama pour tenir cette place. Les maîtres et les prophètes spirituels (comme aussi les intellectuels, les hommes de science, les artistes, les poètes, etc.) sont, à leur plus haut sommet, des Vibhoûti, mais ils ne sont pas des Avatar. Car à ce compte-là, tous les fondateurs de religions seraient des Avatar - le Joseph Smith (je crois que c'est ainsi qu'il s'appelle) des Mormons, St. François d'Assise, Calvin, Ignace de Loyola et une multitude d'autres - tout autant que le Christ, Chaïtanya ou Râmakrishna;

La foi, les miracles, Bijoy Goswami, j'en parlerai à une autre occasion. Je tenais à ajouter cela au sujet de Rama - ce n'est encore qu'une indication, ce n'est pas ce que je voulais écrire sur le principe général de l'Avatar.

Ce n'est pas non plus, ajouterai-je, une défense complète ou suprême de Rama. Pour cela, il aurait fallu que je parle de la signification de l'histoire du Râmâyana, que j'évalue la présentation, par Vâlmîki, des principaux personnages (aucun d'eux n'est un exemple scolaire, hommes et femmes sont de grandes personnalités, avec les défauts et les mérites de la nature humaine, comme sont tous les hommes, même les plus grands); il aurait fallu aussi que je montre comment la Divinité, qui était derrière la personnalité instrumentale de surface que nous appelons Rama, a exploité chaque incident de sa vie pour en faire une étape nécessaire de ce qui devait être accompli. Dans ma précédente lettre inachevée, j'avais répondu à votre remarque sur les pleurs de Rama. Vous

 

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plaquez l'idéal nordique, plus dur et plus froid, sur le tempérament méridional qui considérait l'expression des émotions, et non la retenue, comme une vertu. Témoin les pleurs et les lamentations d'Achille, d'Ulysse et d'autres grands héros, persans et indiens - ceux-ci particulièrement comme amants.

 

 

Pourquoi Rama n'aurait-il pas eu kâma (le désir) autant que prema (l'amour)? Les deux étaient censés aller de pair entre mari et femme, dans l'Inde ancienne. Les exploits de Rama pendant le viraha9 de Sitâ sont dus à l'idée poétique de Vâlmîki - qui était aussi celle de Kâlidâsa et de tout le monde à cette époque reculée - sur la conduite que devait tenir un amant accompli dans une telle impasse. Quant à savoir si le vrai Rama s'est donné tout ce mal, c'est une autre affaire.

Pourquoi l'Avatar ne serait-il pas inconscient? Les Vishnouïtes considèrent Chaïtanya comme un Avatar, et pourtant Chaïtanya n'était pas conscient de la Divinité à l'arrière-plan, sauf dans les rares moments où la Divinité venait au premier plan et le possédait. Le Christ disait: "Mon Père et moi sommes un", et pourtant il parlait et agissait toujours comme s'il y avait une différence. Dans la première période de sa vie, Râmakrishna cherchait le Divin, il ne s'est pas perçu tout d'abord comme identifié à lui. Tous deux sont des Avatar reconnus comme tels par les religions; ils devraient donc être plus conscients qu'un homme d'action comme Rama. Et à supposer que la conscience soit complète et permanente, pourquoi l'Avatar se proclamerait-il comme tel, sauf en de rares occasions, à un Ardjouna ou à quelques bhakta ou disciples? C'est aux autres qu'il appartient de découvrir ce qu'il est; bien qu'il ne le nie pas quand d'autres parlent de lui comme de Cela, il n'est pas toujours en train de le dire et peut-être même ne le dira-t-il jamais, ou seulement à certains moments, comme dans la Guîtâ: "Je suis Lui."  

9. Séparation d'avec l'être aimé.

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Pas le temps ce soir de répondre complètement à vos remarques réitérées sur Rama. Vous êtes intrigué seulement parce que vous vous en tenez à la norme moderne, à l'étalon moderne de perfection morale et spirituelle (introduit par Seely et Bankim) pour jauger l'Avatar - alors que je pars d'un point de vue complètement différent et que je refuse résolument ces normes humaines. Les anciens Avatar, sauf Bouddha, n'étaient ni des modèles de perfection, ni des maîtres spirituels, en dépit de la Guîtâ qui, au dire de Krishna, fut énoncée dans un état de conscience supranormal qui disparut immédiatement après. Ils étaient, si je puis dire, des hommes cosmiques représentatifs qui servaient d'instruments à une Intervention divine pour fixer certaines choses dans l'évolution de l'espèce terrestre. Je m'en tiens là et je refuse de me soumettre, dans cette querelle, à toute autre norme quelle qu'elle soit.

Je n'ai pas admis que Rama ait été un Avatar aveugle, mais vous ai proposé une alternative dont le second terme représente mon véritable point de vue, fondé sur l'impression que m'a fait le Râmayana: Rama savait très bien, mais refusait d'en parler; il avait non pas à révéler le Divin, mais à fixer l'homme mental, moral et émotif (non à le créer, car cet homme était déjà là) sur terre, par opposition aux forces de l'Animalité et du Râkshasa. Mon argument tiré de Chaïtanya (qui était la plupart du temps, pour sa propre conscience extérieure, d'abord un pandit et ensuite un bhakta, mais seulement par intermittence le Divin lui-même) est parfaitement rationnel et logique, si vous suivez mon raisonnement et n'exigez pas que l'Avatar ait une conscience élevée, spécifiquement spirituelle. Je préciserai ce que je veux dire dans le prochain paragraphe.

Par homme sattwique je n'entends pas quelqu'un qui est moral ou toujours maître de soi, mais un homme à prédominance mentale (par opposition à un homme vital ou purement physique) qui a des émotions et des passions radjasiques, mais vit principalement selon son mental, selon la volonté de son mental et ses conceptions. Il n'existe pas, je suppose, d'homme

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purement sattwique, puisque les trois gouna vont toujours ensemble dans un état d'équilibre instable, mais ce que j'ai décrit est un homme à prédominance sattwique. Voilà mon impression de Rama, tel qu'il est décrit par Vâlmîki; elle est toute différente de la vôtre. Je crains que l'image que vous en faites ne soit brouillée: vous effacez les traits principaux des personnages, vous amoindrissez et vous estompez toutes les lumières auxquelles Vâlmîki donnait tant de valeur et d'importance, et vous ressassez toujours quelques détails et quelques ombres dont vous composez la plus grande partie de Rama. C'est ce que font les détracteurs - mais une personnalité rabaissée n'est pas la personnalité véritable.

Soit dit en passant, un homme sattwique peut avoir une forte passion et une forte colère - et quand il donne libre cours à celle-ci l'individu vicieux normalement ne sait plus où il en est. J'en veux pour preuve les explosions de colère du Christ, l'indignation de Chaïtanya, et le témoignage général apporté par l'expérience et la psychologie sur ce point.

Le trait de caractère de Rama que vous présentez comme appartenant à un homme peu développé, à savoir son action spontanée et décisive, conforme à la volonté et à l'idée qui lui vient, est caractéristique de l'homme cosmique et de beaucoup de Vibhoûti, hommes d'action du type vaste et léonin auquel appartiennent César et Napoléon.

Quand je disais: "Pourquoi un Avatar ne serait-il pas inconscient?", je reprenais votre assertion (qui n'est pas mienne) selon laquelle Rama était inconscient, et comment peut-il y avoir un Avatar inconscient? Mon opinion est que Rama n'était pas aveugle, n'était pas inconscient de sa qualité d'Avatar, seulement il ne voulait pas en parler. Mais j'ai dit que même en considérant votre affirmation comme exacte, l'objection n'est pas insurmontable. J'ai donné en exemple le cas de Chaïtanya et des autres, parce que là, il est difficile de récuser les faits. Chaïtanya, pendant la première partie de sa vie, était simplement Nimaï Pandit et n'avait pas conscience d'être autre chose. Puis il se convertit et devint le bhakta Chaïtanya. Ce bhakta, par moments, semblait être possédé

 

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par la présence de Krishna, se connaissait lui-même comme Krishna, parlait, bougeait, et apparaissait avec la lumière de la Divinité; personne autour de lui ne pouvait penser à lui ni le voir autrement, quand il était dans cet état de gloire et de transfiguration. Mais de là, il retombait dans la conscience ordinaire du bhakta et, à ce que j'ai lu dans sa biographie, refusait alors de se considérer comme quelque chose de plus. Tels sont, je pense, les faits. Eh bien, que signifient-ils? Était-il seulement, tout d'abord, Nïmai Pandit? Il est tout à fait concevable qu'il l'ait été et que la descente de la Divinité en lui n'ait eu lieu qu'après sa conversion et son changement spirituel. Mais ensuite, quand il était dans sa conscience normale de bhakta, cessait-il alors d'être un Avatar? Était-il un Avatar intermittent? Krishna descendant en Chaïtanya pour lui rendre visite à une certaine heure de l'après-midi et remontant ensuite jusqu'au moment de la visite suivante? J'ai du mal à croire à ce phénomène. L'explication rationnelle est que dans le phénomène de l'Avatar, il y a une conscience à l'arrière-plan, d'abord voilée, ou parfois peut-être à demi-voilée, qui est celle de la Divinité, et une conscience de surface, humaine ou apparemment humaine, ou du moins ayant toute l'apparence du caractère terrestre, qui est la personnalité instrumentale. Dans ce cas, il est possible que la Conscience secrète ait tout le temps été là, mais ait attendu, pour se manifester, que la conversion soit effectuée; et elle se manifestait par intermittence parce que le travail principal de Chaïtanya était d'établir le type d'une bhakti et d'un amour spirituels et psychiques dans la partie vitale-émotive de l'homme, préparant de cette manière notre vital à se tourner vers le Divin - en tout cas, de fixer cette possibilité dans la nature terrestre. Non pas que ce type émotionnel de bhakti n'ait pas existé auparavant; mais sa plénitude, l'élan,10 le ravissement du vital ne s'y étaient jamais manifestés comme ils se sont manifestés en Chaïtanya. Mais pour ce travail, il n'aurait pas été bon qu'il soit toujours dans la conscience de Krishna; il aurait été le Seigneur à qui tous donnent la bhakti,

 

10. En français dans le texte.

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non l'exemple suprême du bhakta extatique et divin. Néanmoins cette manifestation intermittente montrait qui il était, et en même temps mettait en évidence la loi mystique de l'Immanence.

Voilà11 pour Chaïtanya. Mais si Chaïtanya, conscience de surface, personnalité instrumentale, était tout le temps l'Avatar, et pourtant, sauf dans ses moments suprêmes, en était inconscient et même le niait, cela établirait, en poussant un peu plus loin, la possibilité de ce que vous appelez un Avatar inconscient, c'est-à-dire d'un Avatar en qui la conscience voilée pourrait ne pas venir au premier plan, mais gouvernerait constamment la personnalité instrumentale depuis l'arrière-plan. La conscience de surface pourrait percevoir dans les parties intérieures de son être qu'elle est seulement un instrument de quelque chose de Divin, son vrai Moi, mais extérieurement elle penserait, parlerait et agirait comme si elle n'était que l'être humain exécutant un travail donné avec une puissance et une splendeur particulières. Qu'un tel Avatar ait existé ou non est une autre affaire, mais logiquement c'est possible.

 

 

La question était de savoir si certaines perfections ne doivent pas être exigées de la Manifestation divine, perfections qui me semblaient sans aucun rapport avec la réalité de cette manifestation. J'ai avancé deux propositions qui me paraissent indispensables, à moins que nous ne bouleversions toute la connaissance spirituelle pour la plier aux conceptions européennes: d'abord, la Manifestation divine, même si elle se manifeste par des voies mentales et humaines, a derrière elle une conscience plus grande que le mental et n'est pas liée aux conventions mentales et morales étriquées de cette espèce humaine très ignorante - de sorte qu'imposer ces normes au Divin, c'est vouloir faire quelque chose d'irrationnel et d'impossible. Ensuite, cette Conscience divine derrière l'apparence 

 

11. En français dans le texte.

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de la personnalité ne se préoccupe fondamentalement que de deux choses: la vérité au-dessus, et ici-bas la Lîlâ et l'objectif de l'incarnation ou de la manifestation, et elle fait ce qu'il faut pour cela d'une manière qui, selon la vision de sa conscience plus grande que la conscience humaine, est nécessaire et conforme à l'intention. Mais je ne comprends pas comment tout cela peut m'empêcher de répondre à des questions mentales. Ce que je fais en est la preuve: si c'est nécessaire au plan divin, il faut que ce soit fait. Sri Râmakrishna lui-même, je crois, a répondu à des milliers de questions. Mais les réponses doivent être, comme celles qu'il a données et comme celles que j'essaie de donner, des réponses provenant d'une expérience spirituelle supérieure, d'une source plus profonde de connaissance, non des élucubrations de l'intellect logique s'efforçant de coordonner son ignorance. Moins encore est-il possible de faire comparaître une vérité divine devant les jugements de l'intellect, pour qu'elle soit condamnée ou acquittée par cette autorité - car cette autorité-ci n'a ni une juridiction assez étendue, ni une compétence suffisante.

 

 

Qu'entendez-vous par désir? Les Avatar peuvent se marier, avoir des enfants, et c'est impossible sans le sexe; ils peuvent avoir des amitiés, des inimitiés, des sentiments familiaux, etc., qui sont des choses vitales. Vous avez, je pense, l'impression qu'un Avatar doit être un saint ou un yogi.

 

 

Dans le yoga, nous ne nous efforçons pas d'atteindre la grandeur. Il ne s'agit pas des disciples de Sri Krishna, mais de la conscience terrestre. Rama était un homme mental, il n'y a aucune trace (directe) de la conscience surmentale dans tout ce qu'il a fait ou dit, et pourtant dans ses actes il avait la grandeur de l'Avatar. Mais depuis, des hommes ont vécu en

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contact avec les plans au-dessus du mental - mental supérieur, mental illuminé, intuition. Il n'y a pas lieu de se demander s'ils étaient "plus grands" que Rama; ils peuvent avoir été moins "grands", mais ils ont été capables de vivre sur un nouveau plan de conscience. Et le fait que Krishna ait ouvert le surmental a certainement rendu possible la tentative d'amener le supramental sur la terre.

 

Une remarque à propos de plus grand ou moins grand. Le capitaine John Higgins du paquebot Mauritania est-il plus grand que Christophe Colomb parce qu'il peut rallier l'Amérique sans problème en quelques jours? Un diplômé d'université en philosophie est-il plus grand que Platon parce qu'il peut raisonner sur des problèmes et des systèmes qui n'avaient jamais effleuré l'esprit de Platon? Non; seulement l'humanité a acquis un plus grand pouvoir scientifique, que n'importe quel bon navigateur peut utiliser, ou une connaissance intellectuelle plus vaste, que tous ceux qui ont une formation philosophique peuvent utiliser. Mais, direz-vous, un pouvoir scientifique plus grand ou une connaissance plus vaste n'est pas un changement de conscience. D'accord, mais il y a Rama et Râmakrishna. Rama parlait toujours à partir de l'intelligence pensante, propriété commune aux hommes évolués; Râmakrishna toujours à partir d'une intuition spirituelle rapide et lumineuse. Pouvez-vous me dire lequel des deux est le plus grand? L'Avatar reconnu par l'Inde entière? ou le saint, le yogi reconnu comme Avatar par ses seuls disciples et quelques autres qui les suivent?

 

Il [Bouddha] avait un vital plus puissant que celui de Râmakrishna, une volonté prodigieuse et un mental pensant invincible. S'il avait mené une vie ordinaire, il aurait été un grand organisateur, un grand conquérant et un grand créateur.

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Quand un homme s'élève à un plan supérieur de conscience, il ne s'ensuit pas nécessairement qu'il sera un plus grand homme d'action ou un plus grand créateur. On peut s'élever à des plans spirituels d'inspiration auxquels Shakespeare n'aurait jamais rêvé, et pourtant ne pas être un créateur poétique aussi grand que Shakespeare. La "grandeur" ne constitue pas plus l'objet de la réalisation spirituelle que la renommée ou la réussite dans le monde - comment ces. choses seraient-elles la mesure de la réalisation spirituelle?

 

La réponse à cette question dépend de la valeur que nous attachons à l'expérience spirituelle et aux données des plans de conscience autres que le plan physique, ainsi qu'à la nature des relations entre la conscience cosmique et la conscience individuelle et collective de l'homme. Du point de vue de la Vérité spirituelle et occulte, ce qui prend forme dans la conscience de l'homme est un reflet et une sorte particulière de formation, dans un milieu difficile, de choses bien plus grandes par leur lumière, leur pouvoir et leur beauté, ou par leur force et leur portée, qui sont venues à cette conscience humaine depuis la conscience cosmique dont l'homme est une partie limitée et, au stade actuel de son évolution, encore ignorante. Toute cette explication concernant le génie de la race, une conscience de la nation qui crée les Dieux et leurs formes, est une vérité très partielle, assez superficielle et en elle-même trompeuse. Le mental de l'homme n'est pas un créateur absolu, c'est un intermédiaire; pour commencer à créer, il doit recevoir une "inspiration" de départ, une communication ou une suggestion venant de la conscience cosmique, et de cela il fait ce qu'il peut. Dieu existe, mais les conceptions humaines de Dieu sont des reflets, dans la mentalité de l'homme, tantôt du Divin, tantôt d'autres Êtres et Pouvoirs, et ces reflets sont ce que la mentalité humaine peut faire des suggestions qui lui viennent et qui sont généralement très partielles et imparfaites tant qu'elles sont encore mentales,

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tant que l'homme n'est pas parvenu à une connaissance plus haute et plus vraie, à une connaissance spirituelle ou mystique. Les Dieux existent déjà, ils ne sont pas créés par l'homme, bien qu'il semble les concevoir à son image; fondamentalement, il formule de son mieux toute vérité les concernant qu'il reçoit de la Réalité cosmique. Un artiste ou un bhakta peut avoir une vision des Dieux, et cette vision peut se stabiliser et se généraliser dans la conscience de l'espèce humaine; dans ce sens, il est peut-être vrai que l'homme donne leurs formes aux Dieux; mais il n'invente pas ces formes, il note ce qu'il voit; les formes qu'il donne sont celles qui lui sont données. Dans la forme "traditionnelle" de Krishna, les hommes ont incarné ce qu'ils ont pu voir de son éternelle beauté, et ce qu'ils ont vu peut être aussi vrai que beau, transmet quelque chose de la forme, mais il est à peu près certain que s'il y a une forme éternelle de cette éternelle beauté, elle est mille fois plus belle que ce que l'homme a jusqu'à présent été capable d'en voir. Notre Mère l'Inde n'est pas un lopin de terre; elle est un Pouvoir, une Divinité, car toutes les nations ont de même une Dévi qui soutient leur existence distincte et les maintient en vie. Ces êtres sont aussi réels, et d'une réalité plus permanente, que les hommes qu'ils influencent, mais ils appartiennent à un plan plus élevé, font partie de la conscience et de l'être cosmiques, et agissent ici sur terre en modelant la conscience humaine sur laquelle ils exercent leur influence. Il est naturel que l'homme, qui ne voit travailler que sa propre conscience individuelle, nationale ou ethnique, qui ne voit pas ce qui travaille sur elle et la modèle, pense que tout est créé par lui et qu'il n'y a pas, à l'arrière-plan, quelque chose de cosmique et de plus grand. La conscience de Krishna est une réalité, mais s'il n'y avait pas de Krishna, il ne pourrait pas y avoir de conscience de Krishna: sauf dans les abstractions métaphysiques arbitraires, il ne peut pas y avoir de conscience sans un Être qui soit conscient. C'est la personne qui donne valeur et réalité à la personnalité, elle s'exprime en elle et n'est pas constituée par elle. Krishna est un être, une personne, et c'est en tant que Personne Divine

 

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que nous le rencontrons, entendons sa voix, parlons avec lui et sentons sa présence. Parler de la conscience de Krishna comme de quelque chose qui est distinct de Krishna est une erreur du mental, qui est toujours en train de séparer l'inséparable et tend aussi à considérer l'impersonnel, parce qu'il est abstrait, comme plus grand, plus réel et plus durable que la personne. De telles divisions peuvent être utiles au mental dans ses objectifs, mais ce n'est pas la vérité réelle; dans la vérité réelle, l'être ou la personne et son impersonnalité ou son état d'être sont une seule et unique réalité.

L'historicité de Krishna est d'une importance spirituelle moindre et n'est pas essentielle; elle a pourtant une valeur considérable. Il me semble raisonnablement hors de doute que l'homme Krishna n'a pas été une légende ou une invention poétique, mais a existé réellement sur terre et a joué un rôle dans le passé de l'Inde. Deux faits ressortent clairement: il était considéré comme un personnage spirituel important dont l'illumination spirituelle fut consignée dans l'une des Oupanishad, et il était traditionnellement considéré comme un homme divin qui fut vénéré après sa mort comme une divinité; cela, mise à part l'histoire racontée par le Mahâbhârata et les Pourana. Il n'y a aucune raison de supposer que le fait que son nom ait été lié au développement de la religion du Bhagavat,12 courant important dans le fleuve de la spiritualité indienne, soit fondé sur une simple légende ou une simple invention poétique. Le Mahâbhârata est un poème et non un ouvrage historique, mais c'est clairement un poème fondé sur un grand événement historique, conservé dans la mémoire traditionnelle; quelques-uns des personnages qui gravitent autour - Dhritarashtra, Parikshit, par exemple - ont certainement existé, et l'histoire du rôle joué par Krishna comme chef, guerrier et homme d'état peut être admise comme probable en elle-même, et paraît fondée sur une tradition historiquement valable; elle n'a pas l'allure d'un mythe ou d'une pure invention poétique. C'est tout ce que

 

12. Adorateur de Bhagavân, Dieu et Seigneur de l'Amour et de la Félicité.

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l'on peut affirmer, du point de vue de la raison théorique, au sujet de la personne historique de l'homme Krishna; mais à mon avis, celle-ci contient bien davantage, et j'ai toujours considéré son incarnation comme un fait et admis l'historicité de Krishna comme j'admets l'historicité du Christ.

L'histoire de Brindâvan est une autre affaire; elle ne fait pas partie du récit principal du Mahâbhârata et a une origine pouranique: on pourrait soutenir qu'elle était tout au long destinée à avoir un caractère symbolique. À une certaine époque, j'acceptais cette explication, mais j'ai dû l'abandonner ensuite: rien dans les Pourana ne laisse supposer une telle intention. Il me semble qu'elle est racontée comme une histoire qui a réellement eu lieu ou a lieu quelque part. Les Gopî sont, pour les Pourana, des réalités et non des symboles. C'était, pour eux, au moins une vérité occulte, et occulte et symbolique ne signifient pas la même chose; le symbole peut n'être qu'une construction mentale chargée de sens ou une simple invention fantaisiste, mais l'occulte est une réalité qui existe quelque part, derrière la scène matérielle pour ainsi dire, et qui peut avoir sa vérité pour la vie terrestre, et son influence sur elle peut même y prendre corps. La Lîlâ des Gopî semble conçue comme quelque chose qui se perpétue dans un divin Gokoul, qui s'est projeté dans un Brindâvan terrestre, qui peut toujours être réalisé et dont la signification peut se concrétiser dans l'âme. Il faut présumer que les rédacteurs des Pourana ont considéré que Brindâvan avait été projeté réellement sur terre durant la vie de Krishna incarné, et c'est ainsi qu'il a été reçu par le mental religieux de l'Inde.

Ces questions et les spéculations qu'elles ont soulevées ne sont pas inévitablement liées à la vie spirituelle. Là, ce qui importe est le contact avec Krishna et la croissance vers la conscience de Krishna, la présence, la relation spirituelle, l'union dans l'âme, et en attendant que cela soit atteint, l'aspiration, la croissance en bhakti, et toute illumination que l'on peut recevoir en chemin. Pour qui a eu cela, pour celui qui a vécu dans la présence, entendu la voix, connu Krishna comme l'Ami ou comme l'Amant, comme le Guide, l'Instructeur,

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le Maître, ou plus encore dont toute la conscience a été changée par son contact, ou qui a senti la présence en lui, toute question de ce genre n'a qu'un intérêt extérieur et superficiel. De même aussi, pour qui a été en contact avec le Brindâvan intérieur et la Lîlâ des Gopî, s'est consacré et a subi l'enchantement de la joie et de la beauté, ou même s'est seulement retourné au son de la flûte, le reste importe peu. Mais d'un autre point de vue, si l'on peut admettre la réalité historique de cette incarnation, le grand avantage spirituel est que l'on trouve un point d'appui,13 qui permet une réalisation plus concrète, dans la conviction qu'une fois au moins le Divin a visiblement touché la terre, a rendu possible la complète manifestation, a permis à la supranature divine de descendre dans cette nature terrestre en évolution mais encore très imparfaite. 

 

Évidemment, le point de vue de X sur la canalisation du Niagara est aussi le mien. Mais pour le mental humain, il est difficile de passer la frontière entre mental et spirituel sans se précipiter ou se pousser avec violence sur une voie unique, et cette voie doit être celle d'une expérience pure dans laquelle, spécialement s'il s'agit de la Bhakti, on est facilement englouti par les rapides (Chaïtanya n'a-t-il pas finalement disparu dans les eaux?) sans aller plus loin. La première chose à faire est de forcer l'entrée de la conscience spirituelle dans n'importe laquelle de ses parties, n'importe comment et n'importe où; ensuite on peut explorer le pays, et à cette exploration il ne peut guère y avoir de limite; on va toujours de plus en plus haut, on devient de plus en plus vaste, mais la première plongée complète apporte une certaine extase intense qui est extraordinairement saisissante. Ce n'est pas seulement le ravissement du Bhakta, c'est aussi la plongée du Jnâni dans le Brahma-Nirvâna ou le Brahmânanda ou la libération dans l'éternité immobile du Moi qui a ce caractère saisissant et

 

13. En français dans le texte.

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absorbant - à première vue, il ne semble pas que l'on soit capable, que l'on ait envie ou besoin d'aller au-delà vers quoi que ce soit d'autre. Rien ne peut être reproché au Sannyâsî perdu dans sa laya, ni au Bhakta perdu dans son extase; ils restent là probablement parce qu'ils sont bâtis pour cela et ne peuvent pas sauter plus loin. Mais tout de même, il m'a toujours semblé que c'était une étape et non la fin; je souscris pleinement à la canalisation du Niagara.

L'adhikâra14 est évidemment affaire de psychologie, d'âme et de nature. Cela n'a rien à voir avec les normes extérieures ou artificielles.

Venons-en maintenant à l'Avatar et aux symboles. L'importance attribuée par les modernes à la réalité biographique et historique, c'est-à-dire extérieure, de l'Avatar, aux incidents de sa vie extérieure, contient, me semble-t-il, une erreur capitale. L'important, c'est la Réalité spirituelle, le Pouvoir, l'Influence qui l'accompagnent ou qu'il fait descendre par son action et son existence. Tout d'abord, l'important, dans la vie d'un homme spirituel, n'est pas ce qu'il a fait ou ce qu'il était extérieurement aux yeux des hommes de son temps (n'est-ce pas à cela que se ramène l'historicité ou la biographie?), mais ce qu'il a été et a fait intérieurement; c'est uniquement cela qui donne une valeur quelconque à sa vie extérieure. C'est la vie intérieure qui donne à la vie extérieure tout le pouvoir qu'elle peut contenir, et la vie intérieure d'un homme spirituel est quelque chose de vaste, de plein et, du moins chez les grandes personnalités, de si peuplé, de si foisonnant de détails significatifs qu'aucun biographe ou historien ne pourrait espérer en saisir ni en raconter la totalité. Ce qui est significatif dans sa vie extérieure ne l'est que parce que c'est symbolique de ce qui a été réalisé en lui; on peut aller plus loin et dire que la vie intérieure aussi n'a de signification qu'en tant qu'expression, représentation vivante du mouvement de la Divinité derrière elle. C'est pourquoi nous n'avons pas à rechercher si les histoires de Krishna étaient des transcriptions,

 

14. Capacité. Ce qui, dans la nature de l'individu, détermine son droit à suivre telle ou telle voie de yoga.

 

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si libres soient-elles, de ses actes sur la terre, ou sont des représentations symboliques de ce que Krishna était et est pour les hommes, de la Divinité s'exprimant dans la personnalité de Krishna. La renonciation de Bouddha, sa tentation par Mâra, son illumination sous l'arbre Bo sont ainsi des Symboles, de même que la naissance virginale, la tentation dans le désert, la crucifixion du Christ, sont des symboles vrais par leur signification, même s'ils ne sont pas des événements historiques scrupuleusement consignés. Tels qu'ils sont rapportés, les faits extérieurs de la vie du Christ ou de Bouddha ne sont pas beaucoup plus que ce qui est arrivé dans bien d'autres vies; pourquoi Bouddha et le Christ tiennent-ils une place considérable dans le monde spirituel? C'est parce que quelque chose s'est manifesté à travers eux, quelque chose de plus qu'un événement extérieur ou qu'un enseignement. Les documents historiques vérifiables nous renseignent très peu là-dessus; et pourtant c'est cela seul qui importe. Il me semble donc que X a fondamentalement raison dans ce qu'il dit des symboles. Pour le mental physique, les paroles, les faits, les actes d'un homme sont seuls importants; pour le mental intérieur, ce sont les événements spirituels en cet homme qui importent. Même les enseignements de Bouddha et du Christ sont spirituellement vrais, non en tant qu'enseignements purement mentaux, mais comme l'expression d'états ou d'événements spirituels en eux que leur vie sur terre a rendus possibles (ou même dynamiquement latents) chez les autres. Par ailleurs, les murs du sectarisme sont évidemment une erreur, une excroissance, une limitation mentale de la Vérité qui peut avoir une utilité mentale, non une utilité spirituelle. L'Avatar, le Gourou n'ont aucun sens s'ils ne représentent pas l'Éternel; c'est cela qui fait d'eux ce qu'ils sont pour le fidèle ou le disciple.

C'est aussi un fait que nul ne peut vous donner une réalisation spirituelle qui ne vienne de quelque chose qui se trouve dans votre propre Moi: c'est toujours le Divin qui se révèle, et le Divin est en vous; aussi Celui qui se révèle doit-il être senti dans votre propre cœur. Votre question, ici, suggère

 

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simplement qu'il s'agit d'une vérité qui peut être mal interprétée ou mal utilisée, mais il en est de même de toute vérité spirituelle mal saisie - et le mental humain a une grande propension à prendre la Vérité par le mauvais bout pour arriver au mensonge. Ces vérités ont toutes, en fin de compte, été exposées mentalement et sont à la merci de tout mental qui les interprète. Dans chacun de ces exposés, il y a un écueil créé non par la Vérité qu'il exprime, mais par l'interprétation du mental. L'écueil (ce que vous appelez la faute) réside, non dans l'énoncé lui-même qui est tout à fait correct, mais dans le sens détourné dans lequel il peut être pris par un mental ignorant ou imbu de lui-même et épris de son ego. Nombreux sont ceux qui ont proposé l'évangile de leur "propre moi" sans prendre la peine de voir si c'est le vrai Moi, ont opposé l'ignorance de leur "propre moi" - en fait, de leur ego - à la connaissance du Gourou ou ont fait de leur ego, ou de quelque chose qui le flattait ou le nourrissait, l'Ishta Dévatâ.15 L'écueil, dans le culte du Gourou ou de l'Avatar, est un parti pris sectaire qui met en relief le Représentant ou la Manifestation, mais perd de vue le Manifesté; l'écueil inverse consiste à ignorer la nécessité du Représentant ou de la Manifestation, à en déprécier la valeur et à lui substituer, comme guide et lumière, non le vrai Moi en tous, mais son "propre moi". Combien l'ont fait et se sont égarés, tirés par l'ego magnifié qui est l'un des grands périls sur le chemin! Cela, cependant, ne diminue en rien la vérité de ce que dit X - seulement en regardant les nombreuses facettes de la vérité, on doit mettre chaque chose à sa place dans l'harmonie du Tout qui est pour nous l'expression du Suprême.  

 

 

Ce que dit X - le point central - est très exact, comme toujours; c'est l'attitude de tous ceux qui ont quelque notion de la spiritualité, même si les esprits religieux semblent avoir

 

15. La divinité choisie; le nom et la forme que choisit notre nature pour sa dévotion.

 

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des difficultés à y accéder. Mais bien que le Christ et Krishna soient identiques, ils sont identiques dans la différence - c'est en fait l'utilité d'avoir tant de manifestations au lieu d'une seule, comme le voudraient les missionnaires. Mais est-ce vraiment parce qu'on a trop fait du Christ historique la pierre angulaire de la Foi que le christianisme est en baisse? Il manque peut-être quelque chose à cette religion - peut-être même au fait religieux; car toutes les religions sont un peu souffreteuses ces temps-ci. On ressent le besoin d'élargir l'ouverture par où l'âme entre dans la Lumière, d'une ouverture à travers laquelle le mental et le cœur humain s'épanouissant pourraient à leur tour pénétrer.

 

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RENAISSANCE

L'âme prend naissance chaque fois, et chaque fois un mental, un vital et un corps sont formés avec les matériaux de la Nature universelle d'après l'évolution passée de l'âme et ses besoins pour l'avenir.

Lorsque le corps se dissout, le vital va dans le plan vital et y reste un certain temps, mais au bout de ce temps, l'enveloppe vitale disparaît. La dernière à se dissoudre est l'enveloppe mentale. Enfin l'âme ou être psychique se retire dans le monde psychique pour s'y reposer jusqu'à l'approche d'une nouvelle naissance.

Tel est le processus habituel pour les êtres humains d'un développement ordinaire. Il y a des variantes selon la nature de l'individu et son développement. Par exemple, si le mental est fortement développé, l'être mental peut subsister- et de même pour le vital - à condition qu'ils aient été organisés par l'être psychique véritable et soient centrés autour de lui; ils partagent alors l'immortalité du psychique.

L'âme rassemble les éléments essentiels de ses expériences dans la vie et en fait la base de sa croissance dans l'évolution; quand elle retourne à la naissance, elle prend ses enveloppes mentale, vitale et physique, et autant de Karma qui lui sera utile dans la nouvelle vie pour acquérir davantage d'expérience.

En fait, c'est pour la partie vitale de l'être que se font le shrâddha1 et les rites - pour aider l'être à se débarrasser des vibrations vitales qui l'attachent encore à la terre ou aux inondes vitaux, afin qu'il puisse passer rapidement dans le repos de la paix psychique.2

 

Je n'ai parlé que de ce que signifiaient à l'origine les cérémonies - les rites. Je ne parlais pas de la distribution de

 

1. Cérémonie funèbre.

2. Lumières sur le Yoga, chapitre 2. Traduction de la Mère.

 

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nourriture à la caste ou aux Brahmines, qui n'est ni un rite, ni une cérémonie. Que le shrâddha, tel qu'il est célébré, soit réellement efficace ou non, est une autre affaire - car ceux qui le célèbrent n'ont ni la connaissance, ni le pouvoir occulte.

 

 

Une fois qu'elle a quitté le corps, l'âme, après certaines expériences dans d'autres mondes, se dévêt de ses personnalités mentale et vitale et entre en repos pour assimiler l'essence de son passé et se préparer à une nouvelle vie. C'est cette préparation qui détermine les circonstances de la nouvelle naissance et la guide dans sa reconstitution d'une personnalité nouvelle et dans le choix de ses matériaux.

L'âme qui est partie ne garde le souvenir de ses expériences passées que dans leur essence, non dans le détail de leurs formes. Lorsque l'âme reprend une personnalité ou des personnalités du passé pour les faire participer à sa manifestation présente, alors seulement il est vraisemblable qu'elle se souvienne des détails de la vie passée. Autrement, le souvenir ne peut venir que par Yogadrishti.3

Le Kârana-pourousha est ce que nous appelons l'être central, le Jîva. Il se tient au-dessus du jeu, le soutenant en permanence.

Certains mouvements peuvent sembler régressifs, mais ce ne sont que des zigzags; non des reculs réels, mais un retour sur quelque chose qui n'avait pas été achevé, afin de mieux avancer ensuite. L'âme ne retourne pas à l'état animal, mais une partie de la personnalité vitale peut se détacher et rejoindre une vie animale pour y épuiser ses penchants animaux.

La croyance populaire selon laquelle l'avare devient un serpent ne contient aucune vérité. Ce sont là des superstitions romanesques et populaires.

 

3. Vision yoguique, pouvoir de vision yoguique.

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L'âme, après avoir quitté le corps, voyage à travers plusieurs états ou plans jusqu'à ce que l'être psychique se soit dépouillé de ses enveloppes temporaires; elle atteint alors le monde psychique où elle repose dans une sorte de sommeil jusqu'à ce qu'elle soit prête pour la réincarnation. Elle ne conserve finalement de l'expérience humaine que l'essence de tout ce qu'elle a vécu, ce qu'elle peut utiliser pour son développement. Telle est la règle générale, mais elle ne s'applique pas aux cas exceptionnels, ni aux êtres très développés qui sont parvenus à un niveau de conscience plus grand que celui de l'homme ordinaire.

Ce n'est pas l'âme (l'être psychique) qui prend une forme moins élevée, c'est une partie de l'être manifesté, habituellement une partie du vital, en raison d'un désir, d'une affinité, du besoin d'une expérience particulière. Cela arrive assez souvent à l'homme ordinaire.

 

Au moment de la mort, l'être sort du corps par la tête; il sort dans son corps subtil et va dans différents plans d'existence pendant une brève période, jusqu'à ce qu'il soit passé par certaines expériences qui sont le résultat de son existence terrestre. Ensuite, il atteint le monde psychique où il se repose dans une sorte de sommeil, jusqu'à ce que le temps soit venu pour lui d'entamer une nouvelle vie sur terre. C'est ce qui arrive habituellement, mais certains êtres sont plus développés et ne suivent pas ce processus.

 

L'âme sort, après la mort, dans son corps subtil.

Les souvenirs ne durent qu'un temps, et non jusqu'à la naissance suivante, autrement l'empreinte en serait si forte que la remémoration des vies passées, même après que l'âme ait pris un nouveau corps, serait la règle plutôt que l'exception.

Vous dites: "Les relations d'une vie persistent dans les vies

 

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successives, cela dépend de la force de l'attachement." C'est possible, mais ce n'est pas une loi; en règle générale, la même relation ne se répéterait pas constamment: les mêmes personnes se rencontrent souvent sur terre à plusieurs reprises dans des vies différentes, mais les relations sont différentes. La renaissance ne remplirait pas son office si la même personnalité répétait sans cesse les mêmes relations et les mêmes expériences.

Il n'est pas exact de dire qu'il y a après la mort une annihilation complète de l'ego en ce qui concerne les formes de vie inférieures à l'homme.

Ce n'est pas l'ego qui se trouve en condition statique de repos complet, mais l'être psychique qui, après s'être dépouillé de son enveloppe vitale et des autres enveloppes, se repose dans le monde psychique. Avant, il traverse le monde vital et d'autres mondes sur son chemin vers le plan psychique.

Il est possible d'entrer directement en contact avec les défunts tant qu'ils sont assez près de la terre (ceux qui ont l'expérience occulte présument en général que cela ne dure que trois ans), ou s'ils sont attachés à la terre, ou encore s'ils sont de ceux qui ne se dirigent pas vers le plan psychique, mais s'attardent près de la terre et renaissent rapidement.

Il n'est guère aisé de se prononcer d'une manière universelle sur ces sujets - il y a une ligne générale, mais les cas individuels varient pour ainsi dire à l'infini.

 

Il y a, après la mort, une période au cours de laquelle on traverse le monde vital où l'on vit pendant un certain temps. Seule la première partie de ce passage peut être dangereuse ou pénible; aux étapes suivantes, on épuise, dans un certain milieu, ce qui reste des désirs et des instincts vitaux que l'on avait dans le corps. Aussitôt qu'on s'en est lassé et qu'on peut aller au-delà, l'enveloppe vitale tombe et l'âme, passé le temps dont elle a besoin pour se débarrasser de quelques survivances mentales, entre dans un état de repos dans le

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monde psychique et y demeure jusqu'à la vie suivante sur terre.

On peut aider les âmes qui sont parties par la bienveillance ou par des moyens occultes, si on a la connaissance. La seule chose qu'il ne faut pas faire, c'est les retenir par le chagrin, par les regrets ou par tout ce qui les tirerait plus près de la terre ou retarderait leur voyage vers leur lieu de repos.

 

Il peut arriver à certaines personnes de ne pas réaliser, pendant un temps assez long, qu'elles sont mortes, surtout si la mort est imprévue et soudaine, mais on ne peut pas dire que cela arrive à tout le monde ou à la plupart des gens. Certains peuvent entrer dans un état semi-inconscient ou obsessionnel à cause d'une condition intérieure ténébreuse créée par leur état d'esprit au moment de la mort, dans laquelle ils ne se rendent pas compte de l'endroit où ils se trouvent, etc.; d'autres sont très conscients du passage. Il est vrai que l'être qui s'en va dans le corps vital s'attarde quelque temps près du corps ou des lieux où il a vécu, très souvent pour une durée qui peut aller jusqu'à huit jours et, dans les anciennes religions, on employait des mantra ou d'autres moyens pour faciliter la séparation. Même après la séparation d'avec le corps, une nature très liée à la terre, ou pleine de désirs physiques intenses, peut s'attarder longtemps dans l'atmosphère terrestre, jusqu'à une période maximum de trois ans. Ensuite, elle passe dans les mondes vitaux, poursuivant son voyage qui tôt ou tard l'amènera au repos psychique jusqu'à la vie suivante. Il est vrai aussi que le chagrin et le deuil qui entourent les morts entravent leur marche en les maintenant liés à l'atmosphère terrestre et en les retenant ici.

 

Dans son mouvement normal l'être psychique se dévêt de ses enveloppes extérieures en s'acheminant vers le plan psychique.

 

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Mais il peut y avoir d'innombrables variantes: on peut revenir du plan vital et nombreux sont les cas de renaissance presque immédiate, parfois même accompagnée d'une mémoire complète des événements de la vie passée.

Le ciel et l'enfer sont souvent des états imaginaires de l'âme ou plutôt du vital qui les construit autour de lui après son départ. Ce qu'on entend par enfer est un passage pénible à travers le vital ou un séjour dans ce plan, comme par exemple dans bien des cas de suicide où l'on reste environné des forces de souffrance et de désordre créées par cette fin anormale et violente. Il y a aussi, évidemment, des mondes du mental et des mondes vitaux qui sont imprégnés d'expériences joyeuses ou sombres. On peut en passer par là si les affinités nécessaires ont été créées par des formations dans le caractère, mais l'idée de récompense ou de rétribution est une conception primitive et vulgaire, rien de plus qu'une erreur courante.

L'oubli complet qui accompagne le retour de l'âme à la naissance n'est pas une règle générale. Particulièrement chez les enfants, de nombreuses impressions de la vie passée peuvent être assez vives et fortes, mais l'éducation et l'influence matérialisantes de l'entourage empêchent leur vraie nature d'être reconnue. Un grand nombre de gens ont même des souvenirs précis d'une vie passée. Mais cette capacité, n'étant pas encouragée par l'éducation et l'atmosphère, ne peut demeurer ou se développer; dans la plupart des cas, elle est étouffée et disparaît. En même temps, il faut noter que ce que l'être psychique emporte avec lui et rapporte, c'est ordinairement l'essence des expériences qu'il a eues dans les vies précédentes, et non les détails, de sorte qu'on ne peut pas s'attendre à trouver là une mémoire semblable à celle que l'on a dans l'existence actuelle.

Une âme peut aller directement dans le monde psychique, mais cela dépend de son état de conscience au moment du départ. Si le psychique est en avant à ce moment, le passage immédiat est tout à fait possible. Il ne dépend pas de l'acquisition d'une immortalité mentale et vitale autant que psychique : ceux qui l'ont acquise auraient plutôt le pouvoir de

 

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se déplacer dans les divers mondes et même d'agir sur le monde physique sans y être liés. Dans l'ensemble, on peut dire qu'il n'y a pas de règle unique et rigide dans ce domaine, de multiples variantes sont possibles selon la conscience, ses énergies, ses tendances et ses formations, bien qu'il y ait un cadre général et un plan dans lequel tout s'insère et prend sa place.

 

 

Il est nécessaire de comprendre clairement la différence entre l'âme qui évolue (être psychique) et le pur Âtman, moi ou esprit. Le moi pur est non-né, il ne passe pas par la mort et la naissance, ne dépend ni de la naissance ni du corps, ni du mental ni de la vie, ni de la Nature manifestée. Il n'est pas lié par ces choses, n'est ni limité, ni affecté par elles, bien qu'il s'en revête et les contienne. L'âme, au contraire, descend dans la naissance et passe, au moyen de la mort - bien qu'elle ne meure pas elle-même, car elle est immortelle - d'un état à un autre, du plan terrestre à d'autres plans, puis revient à l'existence terrestre. Elle poursuit, par cette progression de vie en vie, une évolution ascendante qui la conduit jusqu'à l'état humain et fait évoluer, à travers tout cela, un être d'elle-même que nous appelons l'être psychique, qui soutient l'évolution et élabore une conscience humaine physique, une conscience humaine vitale, une conscience humaine mentale, instruments de son expérience du monde et d'une expression d'elle-même travestie, imparfaite, mais croissante. Tout cela, elle le fait de derrière un voile, laissant entrevoir son moi divin seulement dans la mesure où le lui permet l'imperfection de l'être instrumental. Mais il vient un moment où elle est capable de se préparer à sortir de derrière le voile, à prendre le commandement et à orienter toute la nature instrumentale vers un accomplissement divin. C'est le commencement de la vraie vie spirituelle. L'âme est capable alors de se préparer à l'évolution d'une conscience manifestée qui sera supérieure à la conscience mentale humaine: elle peut passer de l'état mental à l'état spirituel et, par les divers degrés de l'état

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spirituel, à l'état supramental. Jusque là, il n'y a aucune raison qu'elle cesse de naître: en fait, elle ne le peut pas. Si, ayant atteint l'état spirituel, elle a la volonté de sortir de la manifestation terrestre, elle peut en vérité le faire; mais une plus haute manifestation est également possible, dans la Connaissance et non dans l'Ignorance.

Votre question, par conséquent, ne se pose pas. Ce n'est pas l'esprit nu, mais l'être psychique qui va dans le plan psychique pour s'y reposer jusqu'à ce qu'il soit appelé à une nouvelle vie. Il n'est par conséquent pas nécessaire qu'une Force intervienne pour le contraindre à renaître de nouveau. Il est, par nature, une chose émanée par le Divin pour soutenir l'évolution, et c'est ce qu'il doit faire jusqu'à ce que le dessein du Divin dans son évolution soit accompli. Le Karma n'est qu'un mécanisme, il n'est pas la cause fondamentale de l'existence terrestre; il ne peut pas l'être, car lorsque l'âme est entrée pour la première fois dans l'existence ici-bas, elle n'avait pas de Karma.

Que voulez-vous dire aussi par "la Maya qui voile tout" ou "perdre toute conscience"? L'âme ne peut pas perdre toute conscience, car sa nature même est conscience, quoique cette conscience ne soit pas de l'espèce mentale à laquelle nous donnons ce nom. La conscience n'est ni perdue, ni abolie, elle est simplement recouverte, d'abord par la prétendue Inconscience de la Nature matérielle, ensuite par l'ignorance à-demi consciente du mental, de la vie et du corps. Elle manifeste, à mesure que le mental, la vie et le corps individuels grandissent, la plus grande part possible de cette conscience qu'elle contient potentiellement, elle la manifeste dans la nature instrumentale extérieure autant qu'elle peut et comme elle le peut, au moyen de ces instruments et de la personnalité extérieure qui a été préparée pour elle et par elle - car les deux sont vrais - dans la vie actuelle.

J'ignore tout d'une terrible souffrance qu'endurerait l'âme au moment de la renaissance; les croyances populaires, même quand elles ont quelque fondement, sont rarement éclairées et exactes.

 

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1. L'être psychique se tient derrière le mental, la vie et le corps et les soutient; de même le monde psychique n'est pas un monde parmi d'autres dans l'échelle des mondes, comme le monde mental, le monde vital ou le monde physique, mais il se tient derrière eux et c'est là que les âmes en évolution ici-bas se retirent pendant l'intervalle entre deux vies. Si le psychique n'était, dans l'ordre ascendant du corps, de la vie et du mental, qu'un principe à égalité avec les autres et placé quelque part dans l'échelle au même titre qu'eux, il ne pourrait pas être l'âme de tout le reste, l'élément divin qui rend possible l'évolution des autres et les utilise comme les instruments d'une croissance vers le Divin, au moyen d'une expérience cosmique. De même aussi, le monde psychique ne peut pas être un monde parmi les autres où se rend l'être en évolution pour y trouver une expérience supraphysique; c'est un plan où il se retire en lui-même pour se reposer, pour assimiler spirituellement ses expériences et pour se replonger dans sa conscience fondamentale et dans sa nature psychique.

2. Il n'est pas question que les quelques-uns qui sortent de l'Ignorance et entrent dans le Nirvana montent tout droit dans les mondes supérieurs de la manifestation. Le Nirvana ou Moksha est un état libéré de l'être, ce n'est pas un monde; c'est un retrait hors des mondes et de la manifestation. Il serait hasardeux d'invoquer à ce propos l'analogie entre pitryâna4 et dévayâna.5

3. Les âmes qui se retirent dans le monde psychique sont dans un état entièrement statique; chacune se retire en elle-même et elles n'agissent pas les unes sur les autres. Quand elles sortent de leur transe, elles sont prêtes à descendre dans une nouvelle vie, mais dans l'intervalle elles n'agissent pas sur la vie terrestre. Il y a d'autres êtres gardiens du monde psychique, mais ils ne s'occupent que du monde psychique lui-même et du retour des âmes à la réincarnation, non de la terre.

 

4. La route des Pères, censée conduire aux mondes inférieurs atteints par les Pères qui appartiennent encore à l'évolution dans l'Ignorance.

5. Voyage des dieux, ou vers les dieux.

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4. Un être du monde psychique ne peut pas se fondre avec l'âme d'un être humain sur terre. Il arrive parfois qu'un être psychique très avancé fasse descendre une émanation qui réside dans un être humain et le prépare jusqu'à ce qu'il soit prêt pour que l'être psychique lui-même entre dans la vie. Cela se produit lorsqu'un travail spécial doit être accompli et que le véhicule humain doit être préparé. Une telle descente entraîne un changement remarquable et soudain dans la personnalité et la nature.

5. Habituellement une âme renaît toujours dans le même sexe. S'il y a passage d'un sexe à l'autre, il s'agit, en règle générale, des parties de la personnalité qui ne sont pas centrales.

6. Aucune règle ne peut être posée en ce qui concerne le moment où l'âme qui revient pour renaître entre dans le nouveau corps, car les circonstances varient selon l'individu. Certains êtres psychiques entrent en relation avec le milieu où ils naîtront et avec les parents dès le moment de la conception et préparent dans l'embryon la personnalité et l'avenir; d'autres le rejoignent seulement -au moment de l'accouchement, d'autres plus tard encore dans la vie, et dans ce cas c'est une émanation de l'être psychique qui maintient la vie. Il faut noter que les circonstances de la naissance future sont déterminées fondamentalement, non durant le séjour dans le monde psychique, mais au moment de la mort: l'être psychique choisit alors ce qu'il devra élaborer dans sa prochaine apparition sur terre et les circonstances s'organisent elles-mêmes en conséquence.

Notez que l'idée qui fait de la renaissance et des circonstances de la nouvelle vie une récompense ou une punition de pounya 6 ou papa7 correspond à une conception humaine rudimentaire de la "justice" qui est à l'opposé de la philosophie et de la spiritualité et déforme le véritable objet de la vie. La vie ici-bas est une évolution et l'âme croît par l'expérience, élaborant par cette expérience ceci ou cela dans la nature et s'il y a souffrance, c'est afin de mener à bien cette

 

6. Bien, vertu, éthique, mérite.

7. Péché, démérite.

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élaboration, ce n'est pas une sanction infligée par Dieu ou la Loi cosmique en punition d'erreurs ou de faux pas qui sont inévitables dans l'Ignorance.

 

Il est difficile de répondre péremptoirement à ces questions, parce qu'aucune règle générale ne peut être posée qui soit applicable à tous les cas. Le mental construit des règles rigides ou une règle rigide unique, mais la Manifestation est, en réalité, très plastique, très variée, très complexe. Il ne faut par conséquent pas considérer mes réponses comme complètes, ni comme épuisant le sujet.

1. Il [Le Jîvanmoukta] peut aller où il avait fixé son but, dans un état de Nirvana ou dans l'un des mondes divins et y séjourner ou, quel que soit le lieu de ce séjour, rester en contact avec le mouvement terrestre et y retourner si sa volonté est d'aider ce mouvement.

On peut en douter [que l'âme aille directement du monde le plus haut qu'elle ait atteint à un monde encore plus élevé]. Si, à l'origine, il ne s'agissait pas d'un être de l'évolution, mais d'un être d'un monde plus élevé, il retournerait à ce monde. S'il veut aller plus haut, il est logique qu'il retourne sur le terrain de l'évolution tant qu'il n'a pas élaboré la conscience propre à ce plan plus élevé. L'idée de l'hindouisme orthodoxe selon laquelle même les dieux doivent venir sur terre s'ils veulent le salut peut s'appliquer aussi à cette ascension. S'il est à l'origine un être en évolution (la distinction que fait Râmakrishna entre Jîvakoti et Îshwarakôti peut aussi s'étendre à ce cas), il doit suivre le chemine de l'évolution, soit jusqu'au retrait négatif à travers le Nirvana, soit jusqu'à un accomplissement divin positif dans la manifestation progressive du Satchidânanda.

Quant à l'impossibilité de revenir, la question est épineuse. Un être divin peut toujours revenir: comme l'a dit Râmakrishna, Îshwarakôti peut, à volonté, monter ou descendre les degrés entre la Naissance et l'Immortalité. Quant aux autres, ils peuvent sans doute se reposer pendant

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une période relativement infinie, sâshatîh samâh,8 si telle est la volonté en eux, mais un retour ne saurait être exclu à moins qu'ils aient atteint le plus haut état dont ils soient capables.

Non, cela [le retour au monde psychique avant une nouvelle naissance] fait partie de l'évolution seulement, ce n'est pas obligatoire pour les êtres divins.

2. Dans ce contexte, l'expression "être psychique avancé" peut désigner celui qui est parvenu à la liberté de l'âme et est immergé dans le Divin; immergé ne signifie pas aboli. Un tel être n'est pas endormi dans le monde psychique, mais peut rester dans son état d'immersion béatifique ou revenir dans une certaine intention.

Le mot "descente" a des significations différentes selon le contexte; je l'ai employé ici dans le sens où l'être psychique descend dans une conscience et dans un corps humains lorsque ceux-ci sont prêts à le recevoir; cette descente peut se produire au moment de la naissance ou avant, ou elle peut se produire plus tard et emplir la personnalité que l'être psychique a préparée. Je ne comprends pas bien quelles sont ces personnalités d'en haut; c'est l'être psychique lui-même qui prend un corps.

3. Non, l'être psychique ne peut pas prendre plus d'un corps. Il y a un seul être psychique pour chaque être humain, mais les êtres des plans supérieurs, par exemple les dieux du surmental, peuvent se manifester dans plusieurs corps humains à la fois, en envoyant des émanations différentes dans différents corps. Ceux-ci seraient alors appelés les Vibhoûti de ces Dévatâ.

4. Ceux-ci [les Gardiens du monde psychique] ne sont pas des âmes humaines; ils ne sont pas préposés à un poste, ce ne sont pas non plus des fonctionnaires: ce sont des êtres du plan psychique qui se livrent à leur activité normale dans ce plan. Le mot "gardiens" que j'ai employé n'était qu'une métaphore, une image pour indiquer la nature de leur action.

 

 

8. Lit., "années sempiternelles" (Guîtâ, 6.41).

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Échapper aux naissances était un idéal universel à cette époque, sauf, je crois, pour une ou deux sectes shivaïtes. C'est en contradiction avec les nombreuses naissances du Divin, car la Guîtâ parle de l'état supérieur non comme d'une laya, mais comme d'un séjour dans le Divin. S'il en est ainsi, il semblerait qu'il n'y ait pas de raison que le moukta et le siddha, qui sont parvenus à demeurer dans la conscience du Divin, craignent la renaissance et ses difficultés plus que ne le fait le Divin.

 

 

Le Pitriyâna est censé conduire aux mondes inférieurs atteints par les Pères, qui appartiennent encore à l'évolution dans l'Ignorance. Par le Dévayâna, on dépasse l'Ignorance pour entrer dans la lumière. La difficulté, avec les Pitri, est que les Pourâna les considèrent comme les Ancêtres à qui est donné le Tarpana:9 c'est un vieux culte des Ancêtres comme celui qui existe encore au Japon, mais dans le Véda il s'agit, semble-t-il, des Pères qui furent les précurseurs et ont découvert les mondes supraphysiques.

 

L'être psychique, au moment de la mort, choisit ce qu'il va accomplir dans la prochaine vie et détermine le caractère et les circonstances de la nouvelle personnalité. La vie sert à la croissance évolutive par l'expérience dans les conditions de l'Ignorance, jusqu'à ce qu'on soit prêt pour la Lumière plus haute.

 

 

Le vœu formulé par un mourant n'est que superficiel; il peut être dicté par le psychique et aider ainsi à donner une forme à l'avenir, mais il ne détermine pas le choix du psychique. Le

 

9. "Satisfaisant" ou "rafraîchissant". Libations ou oblations offertes aux défunts.

 

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choix se fait derrière le voile. Ce n'est pas l'action de la conscience extérieure qui détermine le processus intérieur, c'est l'inverse. Il y a pourtant quelquefois des signes ou des fragments de l'action intérieure qui émergent à la surface: par exemple, certains ont une vision ou un souvenir des circonstances de leur passé dans un éclair panoramique au moment de la mort; c'est le psychique qui récapitule la vie avant de partir.

 

Le choix de l'être psychique, au moment de la mort, n'élabore pas la formation de la prochaine personnalité, il la fixe. Quand il entre dans le monde psychique, il commence à assimiler l'essence de son expérience; par cette assimilation se forme la future personnalité psychique, conformément à ce qui avait déjà été fixé. Quand cette assimilation est terminée, il est prêt pour une nouvelle naissance; mais les êtres moins développés ne conduisent pas eux-mêmes tout le processus, ce travail incombe aux êtres et aux forces du monde supérieur. En outre, quand il vient à naître, rien ne garantit que les forces du monde physique n'empêcheront pas l'élaboration de ce que voulait l'être psychique: l'ensemble de ses nouveaux instruments peut ne pas être assez fort pour cela; car il y a ici-bas une interaction de ses propres énergies et des forces cosmiques. Il peut y avoir des déceptions, des détournements, une élaboration partielle - toutes sortes de choses peuvent se produire. Tout cela n'est pas un mécanisme rigide, c'est une élaboration par des forces complexes. On peut pourtant ajouter qu'un être psychique développé est beaucoup plus conscient pendant ce passage et assure lui-même une grande partie de cette élaboration. Le temps aussi dépend du développement et d'un certain rythme de l'être; pour certains la renaissance est pratiquement immédiate, pour d'autres cela prend plus longtemps, pour certains cela peut demander des siècles; mais ici encore, une fois que l'être psychique est suffisamment développé, il est libre de choisir son propre rythme et la durée des

 

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intervalles. Les théories ordinaires sont trop mécaniques - et il en est de même des théories de pounya et papa et de leurs résultats dans la vie suivante. Nul doute, les énergies déployées dans une vie passée, entraînent certaines conséquences, mais pas selon ce principe plutôt infantile. Les souffrances d'un homme juste dans cette vie seraient une preuve, selon la théorie orthodoxe, qu'il a été un très grand malfaiteur dans sa vie passée, la prospérité d'un méchant serait la preuve qu'il a été parfaitement angélique durant sa dernière visite sur terre et qu'il a semé une quantité de vertus et d'actions méritoires assez grande pour récolter cette magnifique moisson de bonne fortune. C'est trop symétrique pour être vrai. L'objet de la naissance étant de croître par l'expérience, les réactions provenant d'actions passées doivent être des leçons qui permettent à l'être d'apprendre et de croître, non des sucettes pour les bons élèves de la classe (du passé) et des coups de canne pour les mauvais. La vraie sanction du bien et du mal n'est pas la bonne fortune pour l'un et la mauvaise fortune pour l'autre, mais ceci: les bonnes actions nous mènent vers une nature plus haute qui à la longue est soulevée au-dessus de la souffrance, et les mauvaises actions nous tirent vers la nature inférieure qui tourne toujours dans un cercle de souffrance et de mal.

 

 

Aucune difficulté provenant des vies passées n'est insurmontable. Il y a des formations qui aident et des formations qui entravent; celles-ci doivent être écartées et dissoutes, il ne faut pas leur permettre de se répéter. La Mère vous a dit cela pour expliquer l'origine de votre tendance et la nécessité de vous en débarrasser; elle n'a pas insinué que la difficulté était insurmontable, bien au contraire.

 

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Ces mots [moûdhayonisou10 ou adho gacchanti11]ne se rapportent pas nécessairement à la naissance animale; il est vrai, cependant, qu'une croyance de ce genre était assez répandue non seulement dans l'Inde, mais partout où l'on croyait à la "transmigration" ou "métempsycose". Quand Shakespeare parle de quelqu'un dont la grand-mère passe dans un corps animal, il fait allusion à la croyance de Pythagore en la transmigration. Mais l'âme, l'être psychique, une fois qu'elle atteint la conscience humaine, ne peut pas retourner à la conscience animale inférieure, pas plus qu'elle ne peut retourner dans un arbre ou dans un insecte éphémère. La vérité, c'est qu'une certaine partie de l'énergie vitale, ou de la conscience ou nature instrumentale formée, le peut et très fréquemment le fait, si elle est fortement attachée à quelque chose qui appartient à la vie terrestre. Ainsi peuvent s'expliquer aussi certains cas de renaissances immédiates accompagnées d'une mémoire complète, dans les formes humaines. D'ordinaire, c'est seulement par le développement yoguique ou par la voyance que le souvenir exact des vies passées peut être rappelé.

 

Quand le vital se disperse, certains de ses mouvements intenses (désirs, appétits) peuvent se précipiter dans des formes animales: par exemple, le désir sexuel, avec la partie de la conscience vitale qui est sous son contrôle, dans un chien; ou un mouvement habituel de gloutonnerie peut emporter une partie de la conscience vitale dans un porc. Les animaux représentent la conscience vitale, le mental étant involué dans le vital, de sorte qu'il est naturel que des choses de ce genre gravitent autour d'eux pour se satisfaire.

 

10. "Dans les matrices de l'ignorances" (Guîtâ, 14.15).

11. "Ils s'enfoncent" (Guîtâ, 14.18).

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Ces fragments [d'un mort] ne sont pas des parties de l'être intérieur (qui s'achemine vers le monde psychique), mais appartiennent à son enveloppe vitale qui tombe après la mort. Ils peuvent rejoindre, pour naître, le vital d'un autre Jîva qui prend naissance, ou ils peuvent être utilisés par un être vital pour entrer dans un corps en train de naître et le posséder partiellement afin de satisfaire ses penchants. La jonction peut aussi s'opérer après la naissance.

 

 

Tous les humains qui s'incarnent ou naissent ont naturellement un être psychique. Seuls d'autres types d'êtres, comme les êtres vitaux, n'en ont pas, et c'est précisément la raison pour laquelle ils veulent posséder des hommes et jouir d'une vie physique sans naître eux-mêmes ici-bas, car ils échappent ainsi à la loi psychique d'évolution, de progrès spirituel et de transformation. Mais ces formations [les fragments vitaux d'un mort] sont différentes, elles ne quittent pas la terre et ne possèdent pas un être humain, mais simplement s'attachent à un être humain, ayant bien entendu un psychique, qui a des affinités avec elles et par conséquent les absorbe sans formuler d'objection ni opposer de résistance.

 

 

Asourisou12 ne peut en aucun cas signifier animal. La Guîtâ emploie des termes précis, et si elle avait voulu dire animal, elle aurait dit animal et non asourique. La punition, c'est qu'ils descendent dans leur nature à des profondeurs plus grandes d'asourisme, jusqu'à ce qu'ils touchent le fond, en quelque sorte. Mais c'est le résultat naturel de leurs tendances incontrôlées, auxquelles ils s'adonnent sans contrainte, sans aucun effort pour en sortir, alors qu'en cultivant le côté supérieur de la personnalité, on s'élève et on évolue naturellement  

 

12. "Je les jette sans répit dans les matrices asouriques du monde de la naissance et de la mort (Guîtâ, 16.19).

 

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vers la nature divine ou le Divin. Dans la Guîtâ, le Divin est considéré comme celui qui régit toute l'action cosmique à travers la Nature, donc le "je les jette" est en harmonie avec ses idées! Le monde est un mécanisme de la Nature, mais un mécanisme réglé par la présence du Divin.

 

À ma connaissance, les vies se succèdent habituellement dans l'un ou l'autre sexe et n'alternent pas - c'est, je pense, la tradition indienne aussi, bien qu'il existe des exceptions délibérées comme dans le cas de Shikhandi. S'il y a changement de sexe, seule une partie de l'être s'associe au changement, non l'être central.

 

 

Que voulez-vous dire par conception populaire? Tous les exemples que j'ai entendus dans les récits populaires de renaissances parlent d'un homme qui devient un homme et d'une femme qui devient une femme dans la vie suivante - sauf quand ils deviennent des animaux, mais même dans ce cas je crois que l'homme devient un animal mâle et la femme un animal femelle. On ne cite guère que quelques cas isolés de variations de sexe comme celui de Shikhandi dans le Mahâbhârata. La conception théosophique est pleine d'imaginations simplistes, un théosophe allant jusqu'à dire que si vous êtes un homme dans cette vie-ci, vous serez forcément une femme dans la prochaine et ainsi de suite.

 

 

Pas exactement le sexe, mais ce qu'on pourrait appeler le principe masculin ou féminin [est présent dans l'être psychique]. La question est difficile [de savoir si l'individu change de sexe quand il renaît]. La réincarnation suit certaines lignes et selon mon expérience - et l'expérience générale - on suit

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habituellement une seule ligne. Mais on ne peut pas affirmer que l'alternance des sexes est impossible. Peut-être que pour certains êtres il y a une alternance. La présence de traits de caractère féminins chez un homme n'indique pas nécessairement une vie féminine antérieure; cela peut provenir du jeu général des forces et de leurs formations. Par ailleurs, certaines qualités sont communes aux deux sexes. Un fragment de la personnalité psychologique peut aussi avoir été associé à une vie autre que celle de l'individu en question. On peut dire d'un certain personnage du passé: "ce n'était pas moi, mais un fragment de ma personnalité psychologique était présent en lui". La question des renaissances est complexe, et son mécanisme n'est pas aussi simple qu'il apparaît dans la conception populaire.

 

La question, telle qu'elle est posée dans votre lettre, me paraît formulée d'une manière trop rigide, et sans qu'il soit tenu suffisamment compte de la plasticité des faits et des forces de l'existence. Elle ressemble au problème qu'on pourrait soulever sur la base des théories scientifiques les plus récentes: si tout est fait de protons et d'électrons, tous exactement semblables (sauf par le nombre atomique, et pourquoi une différence de quantité déterminerait-elle une différence aussi extraordinaire, ou même une différence tout court, de qualité?), comment leur action résulte-t-elle en des différences aussi stupéfiantes de degré, de genre, de pouvoir, de tout? Mais pourquoi devrions-nous admettre que les graines ou les étincelles psychiques ont pris le départ d'une course toutes ensemble, égales en condition, égales en pouvoir et en nature? D'abord, le Divin unique est la source de tout et le Moi est le même en tous; mais dans la manifestation, pourquoi l'Infini ne se serait-il pas projeté dans une infinie variété, pourquoi se serait-il obligatoirement projeté dans une similitude innombrable? Combien de ces graines psychiques sont parties longtemps avant les autres et ont un grand développement  

 

 

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passé derrière elles, combien sont jeunes, novices, à-demi adultes seulement? Et même parmi celles qui sont parties ensemble, pourquoi certaines n'auraient-elles pas couru très vite et d'autres flâné et grandi avec difficulté, ou tourné en rond? Ensuite, il y a une évolution, et c'est seulement à un certain stade de l'évolution que la zone animale est dépassée et que l'humain commence; qu'est-ce qui constitue le commencement de l'homme, qui représente une révolution ou un bouleversement très considérable? Jusqu'à l'animal, c'est le vital et le physique qui se développent; pour que l'humain commence, n'est-il pas nécessaire que se produise la descente d'un être mental qui prenne en charge l'évolution vitale et physique, et ne se pourrait-il pas que les être mentaux qui descendent n'aient pas tous le même pouvoir, la même stature, et d'autre part, que les matériaux de conscience vitaux et physiques qu'ils assimilent ne soient pas tous également développés? Il existe aussi une tradition occulte selon laquelle une hiérarchie d'êtres se tient au-dessus de la manifestation actuelle, où ces êtres s'introduisent, entraînant évidemment cette surprenante différence de degrés, intervenant même dans le jeu, par leur descente à travers les portes de la naissance dans la nature humaine. Il y a bien des complexités et le problème ne peut pas être posé avec la rigidité d'une formule mathématique.

Pour une grande part, la difficulté de ces problèmes - je pense en particulier à ce qui apparaît comme une contradiction inexplicable - tient au fait que le problème lui-même est mal posé. Prenez la description populaire de la réincarnation et du karma: elle est basée sur la seule hypothèse mentale que les procédés de la Nature doivent être moraux et se dérouler selon une moralité précise, conforme à une justice équitable, loi scrupuleuse et même mathématique de récompense et de punition, ou à tout le moins de résultats conformes à l'idée humaine de correspondances justes. Mais la Nature est non-morale: elle utilise pêle-mêle des forces et des procédés moraux, immoraux et amoraux pour expédier ses affaires. La Nature, dans son aspect extérieur, semble ne se préoccuper

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de rien si ce n'est de veiller à ce que le travail soit fait, ou encore de réunir des conditions qui rendent possible une ingénieuse variété dans le fonctionnement de la vie. La Nature, dans son aspect plus profond de Pouvoir spirituel conscient, s'intéresse à la croissance, par l'expérience, des âmes dont elle a la charge, et à leur développement spirituel; et ces âmes elles-mêmes ont voix au chapitre. Tous ces braves gens se lamentent et s'étonnent d'être, comme d'autres braves gens, affligés inexplicablement de tant de souffrances et de calamités sans signification. Mais en sont-ils vraiment affligés par un Pouvoir extérieur ou une Loi mécanique de karma? N'est-il pas possible que l'âme elle-même - non le mental extérieur, mais l'esprit au-dedans - ait accepté et choisi que tout cela fasse partie de son développement, afin de passer rapidement par l'expérience nécessaire, de tailler son chemin, durchhauen, même au risque ou au prix d'un grand dommage pour la vie extérieure et le corps? Pour l'âme qui croît, pour l'esprit en nous, les difficultés, les obstacles, les attaques, ne pourraient-ils pas être un moyen de croître, d'augmenter sa force, d'élargir son expérience, de s'entraîner en vue de la victoire spirituelle? Il est bien possible que les choses soient organisées ainsi, et que ce ne soit pas une simple question de francs et de centimes dans une distribution de récompenses et d'infortunes punitives!

Il en est de même du problème que pose le fait de tuer un animal, dans les circonstances décrites par votre ami dans sa lettre. Il repose sur la base d'un bien et d'un mal éthiquement invariables qui s'appliquerait à tous les cas: est-il juste de tuer un animal, quelles que soient les circonstances, est-il juste de laisser un animal souffrir sous vos yeux quand vous pouvez le délivrer par euthanasie? Il ne peut y avoir aucune réponse indiscutable à une question ainsi posée, parce que la réponse dépend de données dont le mental ne dispose pas. En fait, bien d'autres facteurs incitent les gens à sortir de la difficulté Par ce raccourci charitable: l'incapacité nerveuse à supporter de voir et d'entendre tant de souffrances, le souci inutile, le dégoût et le dérangement - tout tend à renforcer l'idée que

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l'animal lui-même voudrait en sortir. Mais l'animal lui-même. que ressent-il? Ne se pourrait-il pas qu'il se cramponne à la vie en dépit de la douleur? Ou son âme n'aurait-elle pas accepté cela pour atteindre, par une évolution plus rapide, un état de vie plus élevé? Si tel est le cas, on peut concevoir que la pitié ainsi dispensée interfère avec le karma de l'animal. En fait, il se pourrait que la décision varie dans chaque cas et qu'elle dépende d'une connaissance que le mental humain n'a pas - et on pourrait bien dire que jusqu'à ce qu'il l'ait, il n'a pas le droit de tuer. C'est par une vague perception de cette vérité que la religion et l'éthique ont élaboré la loi d'Ahimsâ - et cependant cette loi aussi, devenue une règle mentale, s'est révélée inapplicable dans la pratique. Et la morale de l'histoire, c'est peut-être que nous devons agir dans chaque cas pour le mieux, selon nos lumières, selon les faits, mais que la solution de ces problèmes ne peut venir que par une poussée en avant vers une plus grande lumière, une plus grande conscience dans laquelle les problèmes eux-mêmes, tels qu'ils sont maintenant énoncés par le mental humain, ne se poseront pas parce que notre vision du monde sera différente, et que nous aurons un guide qu'à présent nous n'avons pas. La loi mentale et morale est un expédient que les hommes sont obligés d'utiliser, d'une façon très incertaine et chancelante, jusqu'à ce qu'ils voient toutes choses globalement dans la lumière de l'esprit.

 

 

Vous devez vous garder d'une méprise populaire courante au sujet de la réincarnation. L'idée populaire est que Titus Balbus renaît sous la forme de John Smith, avec la même personnalité, le même caractère, les mêmes capacités que dans sa vie passée, la seule différence étant qu'il porte un veston et un pantalon au lieu d'une toge et parle l'anglais faubourien au lieu du latin populaire. Ce n'est pas le cas. Quelle serait donc l'utilité de répéter la même personnalité ou le même caractère un million de fois depuis le commencement des temps jusqu'à la fin? L'âme naît pour avoir des expériences,

 

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pour croître, pour évoluer jusqu'à ce qu'elle puisse amener le Divin dans la Matière. C'est l'être central qui s'incarne, non la personnalité extérieure - la personnalité est seulement un moule qu'il crée pour les formes d'expérience de cette seule vie. Lors d'une autre naissance, il se créera une personnalité différente, des capacités différentes, une vie et une carrière différentes. Supposons que Virgile renaisse; peut-être sera-t-il poète dans une ou deux autres vies; mais il n'écrira certainement pas un poème épique, plutôt peut-être une poésie lyrique légère mais élégante et belle, telle qu'il aurait voulu en écrire à Rome sans y être jamais parvenu. Dans une autre vie, il ne sera vraisemblablement pas du tout un poète, mais un philosophe et un yogi cherchant à atteindre et à exprimer la vérité suprême - car cela aussi, c'est une tendance de sa conscience qu'il n'a pas réalisée dans cette vie-là. Peut-être avait-il été auparavant un guerrier ou un souverain comme Énée ou Auguste, accomplissant de hauts faits avant de les chanter. Et ainsi de suite - ici ou là l'être central élabore un nouveau caractère, une nouvelle personnalité, croît, se développe, passe par toutes sortes d'expériences terrestres.

À mesure que l'être en évolution se développe de plus en plus et devient plus riche et plus complexe, il accumule pour ainsi dire ses personnalités. Parfois elles se tiennent derrière les éléments actifs, y projetant une nuance, un trait de caractère, une capacité ici et là; ou bien elles sont en évidence, et il y a une personnalité multiple, un caractère à multiples facettes, parfois, semble-t-il, une capacité universelle. Mais si une personnalité antérieure, une capacité antérieure est amenée pleinement en évidence, ce ne sera pas pour répéter ^ qui a déjà été fait, mais pour mouler la même capacité en de nouvelles formes, en de nouvelles figures, et la fondre dans "ne harmonie nouvelle de l'être qui ne sera pas une reproduction de ce qui existait avant. Ainsi, vous ne devez pas vous attendre à être ce qu'étaient le guerrier et le poète. Quelque Ghose des caractéristiques extérieures peut réapparaître, mais ^ès changé et refondu dans une nouvelle combinaison. Les

 

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énergies seront guidées dans une direction nouvelle pour accomplir ce qui n'avait pas été fait auparavant.

Autre chose. Ce n'est pas la personnalité, le caractère qui importent en premier lieu dans la renaissance, c'est l'être psychique qui se tient derrière l'évolution de la nature et évolue avec elle. Le psychique, quand il se sépare du corps, se dépouillant même du mental et du vital en s'acheminant vers son lieu de repos, emporte avec lui le cœur de ses expériences: ni les événements physiques, ni les mouvements vitaux, ni les constructions mentales, ni les capacités ou les caractères, mais quelque chose d'essentiel qu'il a recueilli à travers eux, ce qui peut être appelé l'élément divin en raison duquel le reste a existé. C'est cela l'adjonction permanente, c'est cela qui aide à croître vers le Divin. C'est pourquoi il n'y a pas habituellement de mémoire des événements et des circonstances extérieurs des vies passées - pour que cette mémoire existe, il faut un fort développement tendant à une continuité incessante du mental, du vital et même du physique subtil; car bien que tout subsiste dans une sorte de mémoire en germe, d'ordinaire cela n'émerge pas. Ce qui était l'élément divin dans la magnanimité du guerrier, ce qui s'exprimait dans sa loyauté, sa noblesse, son courage élevé, ce qui était l'élément divin derrière la mentalité harmonieuse et la vitalité généreuse du poète et qui s'exprimait en elles demeure et, dans une nouvelle harmonie du caractère, peut trouver une nouvelle expression ou, si la vie est tournée vers le Divin, être repris pour former des pouvoirs utiles à la réalisation ou à l'œuvre qui doit être accomplie pour le Divin.

 

 

La conception européenne non matérialiste fait une distinction entre l'âme et le corps: le corps est périssable, la conscience vitale-mentale est l'âme immortelle et reste toujours la même (horrible idée!)-au ciel comme sur la terre ou, si renaissance il y a, c'est aussi la même maudite personnalité qui revient et refait les mêmes bêtises.

 

 

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L'être, en passant par une série de vies, revêt différentes sortes de personnalités et passe par différents types d'expériences, mais en règle générale, il ne les emporte pas dans la vie suivante. Il revêt un nouveau mental, un nouveau vital et un nouveau corps. Les aptitudes mentales, les activités, les intérêts, les particularités de l'ancien mental et de l'ancien vital ne sont pas endossés par le nouveau mental et le nouveau vital, sauf dans la mesure où ils sont utiles pour la nouvelle vie. On peut avoir un pouvoir d'expression poétique dans une vie, mais aucun pouvoir de ce genre dans la suivante, ni aucun intérêt pour la poésie. Au contraire, des tendances réfrénées, ou avortées, ou imparfaitement développées dans une vie peuvent ressortir dans la suivante. Le contraste que vous avez noté n'aurait donc rien de surprenant. L'être psychique conserve l'essence des expériences passées, mais non les formes de l'expérience ou de la personnalité, sauf celles qui sont nécessaires à la prochaine étape du progrès de l'âme.

L'être, dans la longue suite de ses expériences, peut admettre pour un temps la recherche du plaisir sensuel, et ensuite l'écarter et se tourner vers des choses plus élevées. Cela arrive même au cours d'une seule vie, a fortiori dans une deuxième vie où les personnalités anciennes ne seraient pas transférées.

 

 

Je ne me souviens pas du contexte dans lequel cette expression ["autres forces"] était employée. Mais ce que vous suggérez est vrai - c'est-à-dire quand il s'agit d'une personnalité passée ou d'une partie de cette personnalité qui se projette fortement dans la vie actuelle. Je crois qu'il est vrai que vous étiez un révolutionnaire dans une vie passée; sinon un révolutionnaire, du moins un militant engagé dans une action politique violente. Je ne peux pas lui donner un nom ni une forme précise. De là venaient, non seulement les colères et les violences soudaines, mais aussi, probablement, le désir d'aider, de réformer, de purifier, et d'autres intensités,

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d'autres véhémences. Quand une personnalité est transférée ainsi, ce ne sont pas seulement les aspects indésirables qui sont transférés, mais aussi des éléments qui, purifiés et assagis, peuvent être utiles.

 

 

Certainement, le subconscient est formé pour cette vie seulement et n'est pas emporté par l'âme d'une vie à l'autre. Le souvenir des vies passées n'est pas quelque chose qui serait actif quelque part dans l'être, si par souvenir on entend le souvenir des détails. Ce souvenir des détails est assoupi et impossible à retrouver, sauf dans la mesure où certaines personnalités constituantes, reprises du passé, retiennent les souvenirs d'une vie particulière dans laquelle elles se manifestaient: par exemple, dans le cas où une certaine personnalité, émanée par quelqu'un à Venise ou à Rome, se rappelle de temps en temps un détail ou des détails de ce qui arriva alors. Mais d'habitude, seule l'essence des vies passées devient active dans l'être, non des souvenirs particuliers. Il est donc impossible de dire que cette mémoire est située dans un endroit particulier de la conscience ou sur un plan particulier.

 

Non, le subconscient est l'instrument de la vie physique et disparaît [après la mort]. Il est trop incohérent pour avoir une existence organisée et durable.13

 

Chez la plupart des gens, le vital se dissout après un certain temps, car il n'est pas suffisamment formé pour être immortel. L'âme, en descendant, fait une nouvelle formation vitale appropriée à la nouvelle vie.

 

 

13. Nouvelles Lumières sur le Yoga, chapitre 4.

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Un fort développement spirituel facilite la conservation, après la mort, du mental ou du vital développé. Mais il n'est pas absolument nécessaire que la personne ait été un Bhakta ou un Jnânî. On peut dire que quelqu'un comme Shelley ou comme Platon, par exemple, avait un être mental développé, centré autour du psychique; on ne peut guère en dire autant du vital. Napoléon avait un vital puissant, mais non organisé autour de l'être psychique.

 

 

[Survie des "centres" après la mort:] Pas tels qu'ils sont. Ce qui reste, et dans quelle mesure, dépend du développement dans chaque cas. Évidemment, les centres eux-mêmes demeurent, car ils sont dans le corps subtil et c'est de là qu'ils agissent sur les centres physiques correspondants.

 

De même qu'un homme a beaucoup de personnalités dans les plans ordinaires conscients de sa conscience, de même aussi plusieurs êtres peuvent s'associer à sa conscience à mesure qu'elle se développe par la suite, en descendant dans son mental supérieur ou dans d'autres plans supérieurs de l'être, et en s'unissant à sa personnalité. Voilà pour le principe. Mais l'information particulière est inexacte. Elle se rapporte probablement à une période où la Mère faisait descendre des êtres pour aider au travail.

 

Il est toujours possible à des êtres des plans supérieurs de prendre naissance sur terre; dans ce cas ils se créent un mental ou un vital, ou alors ils rejoignent un être mental, vital et physique qui a déjà été préparé sous leur influence; ils ont en fait beaucoup de manières, et non une seule, de se manifester ici-bas.

 

 

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Mais on ne doit pas donner trop d'importance aux vies passées. Pour notre yoga, on est ce qu'on est, et plus encore ce qu'on sera. Ce qu'on était est d'une importance mineure.

 

Parlons sérieusement. Ces identifications historiques sont un jeu périlleux et ouvrent cent portes à l'imagination. Certaines peuvent, et dans la nature des choses doivent être vraies; mais une fois que les gens ont commencé, ils ne savent plus où s'arrêter. L'important, ce sont les lignes plutôt que les vies, l'incarnation de Forces qui expliquent ce qu'on est maintenant; quant aux vie particulières ou plutôt aux personnalités, seules importent celles qui sont très définies dans un individu et ont puissamment contribué à ce qui est en train de se développer maintenant. Mais il n'est pas toujours possible de leur donner un nom: le Temps des hommes n'a pas même conservé la cent-millième partie des noms de ceux qui ont vécu.

 

 

C'est un peu difficile à expliquer. Quand on reçoit un nouveau corps, la nature qui l'habite - nature du mental, nature du vital, nature du physique - est faite de nombreuses personnalités, non d'une personnalité simple comme on le suppose, bien qu'il y ait un être central unique. Cette personnalité complexe est formée en partie par la réunion de personnalités des vies passées, mais aussi par les expériences, les tendances, les influences de l'atmosphère terrestre qui sont recueillies et adoptées par l'une des personnalités constituantes parce qu'elles sont conformes à sa propre nature. Une influence comme celle que X ou l'un de ses disciples a laissée derrière lui a pu être adoptée par vous sans que votre être soit une incarnation de l'un ou de l'autre.

 

 

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Ces visions fréquentes [du Bouddha, de Râmakrishna, de Vivékânanda, de Shankara] sont le résultat de pensées et d'influences du passé. Elles sont de diverses sortes: parfois ce sont de simples formes de pensée créées par votre propre force de pensée pour agir comme véhicule pour une certaine réalisation mentale; parfois ce sont des Pouvoirs de différents plans qui prennent ces formes pour soutenir le travail qu'elles effectuent à travers l'individu; mais parfois on est véritablement en communion avec ce qui avait le nom, la forme, la personnalité du Bouddha, de Râmakrishna, de Vivékânanda, de Shankara.

Il n'est pas nécessaire qu'un de vos éléments s'apparente à ces personnalités: une pensée, une aspiration, une formation du mental ou du vital suffisent à créer le lien. Il suffit que n'importe où, une vibration réponde à ce que ces Pouvoirs représentent.

 

La Mère ne parle aux gens de leurs vies passées que quand, entrée en concentration, elle voit avec précision une scène ou un souvenir de leur passé; mais à présent cela se produit rarement.

Ce que l'on retient principalement des vies passées, c'est la nature de la personnalité et les résultats subtils de l'expérience de vie. Les noms, les événements, les détails physiques ne sont remémorés que dans des circonstances exceptionnelles et sont d'une importance très mineure. Quand les gens essaient de se souvenir de ces éléments extérieurs, ils construisent habituellement toutes sortes d'imaginations romanesques qui ne sont pas conformes à la vérité.

Je pense que vous devriez écarter cette idée sur les vies passées. Si le souvenir des personnalités passées vient de lui-même (sans nom, sans détails purement extérieurs), c'est parfois important dans la mesure où cela donne une indication sur un élément du développement actuel, mais il est tout à fait suffisant de connaître la nature de cette personnalité et sa part

 

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dans la constitution actuelle du caractère. Le reste est de peu d'utilité.

 

 

Il n'est pas nécessaire d'adhérer totalement à ces idées sur les vies passées. L'idée de X sur la renaissance d'Y n'est évidemment qu'une idée et rien de plus.

Quand il y a une vérité là-dedans, c'est le plus souvent la perception qu'une Force représentée autrefois dans une certaine personne a aussi une certaine part dans votre propre nature et non pas qu'il s'agit de la même personnalité.

Évidemment la renaissance existe, mais pour établir que l'un renaît en l'autre, il faut une expérience plus profonde et pas seulement une intuition mentale qui peut facilement être erronée.

 

 

Les idées de cette sorte sur X et Y sont des idées du mental auquel le vital est fortement attaché: la vérité des vies passées ne peut pas être découverte de cette manière. Ces idées mentales ne correspondent pas à la réalité. Vous devez attendre la venue de la connaissance directe dans une nature libérée pour savoir qui vous étiez dans vos vies passées.

 

 

L'être psychique n'abandonne pas les enveloppes mentale et autres (à l'exception de l'enveloppe physique) immédiatement après la mort. On dit qu'il lui faut en général trois ans pour sortir complètement de la zone où il peut communiquer avec la terre, bien que dans certains cas le passage puisse être plus lent ou plus rapide. Le monde psychique ne communique pas avec la terre, ou du moins pas de cette manière. Et le fantôme ou esprit qui surgit aux séances de spiritisme n'est pas l'être psychique. Ce qui vient par l'intermédiaire du médium

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est un méli-mélo où peuvent se trouver: le subconscient du médium lui-même (subconscient au sens ordinaire, non au sens yoguique) et celui des participants; des enveloppes vitales laissées par les défunts ou peut-être occupées ou utilisées par un esprit ou un être vital; le défunt lui-même dans son enveloppe vitale, ou encore quelque chose dont il s'est revêtu pour cette occasion (mais c'est la partie vitale qui communique); des esprits élémentaires, des esprits du monde physico-vital le plus bas qui soit près de la terre, etc., etc. En grande partie une horrible confusion, un salmigondis de toutes sortes de choses venant à travers une atmosphère de lumière grise "astrale" et d'ombre. Il semble que parmi ceux qui communiquent ainsi, beaucoup viennent d'entrer dans un monde subtil où ils ont l'impression d'être environnés d'une version améliorée de la vie terrestre qu'ils prennent pour l'autre monde véritable et définitif où l'on entre après le séjour terrestre, mais ce n'est là qu'une prolongation optimiste des idées, des images et des associations du plan humain. De là les descriptions de l'au-delà faites par les "guides" et autres informateurs spirites.

 

On ne peut guère ajouter foi à tout cela [communications de "guides" évoqués par les spirites]. En regardant de près on s'aperçoit que ces "guides" spirites ne font que suggérer à leurs sujets ce qui est dans le mental du ou des participants, ou dans l'air, et cela se réduit à peu de chose. Des influences d'autres mondes, il y en a, bien sûr, et en grand nombre, mais la direction centrale ne s'exprime pas de cette manière, sauf dans de très rares cas.

 

 

L'écriture automatique et les séances de spiritisme sont choses très mélangées. Une partie des phénomènes provient du mental subconscient du médium et une autre de celui des

 

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participants. Mais il n'est pas juste de dire que tout peut être mis sur le compte de l'imagination et de la mémoire qui dramatisent. Il se révèle parfois des choses qu'aucune des personnes présentes ne pouvait savoir ni se rappeler; ce sont même quelquefois des aperçus de l'avenir, mais c'est rare. Habituellement, ces séances et tout le reste mettent les participants en rapport avec un monde très inférieur d'êtres et de forces du vital, eux-mêmes obscurs, incohérents ou fourbes, et il est dangereux de les fréquenter ou de subir leur influence. Ouspensky et d'autres se sont certainement livrés à ces expériences avec un mental trop "mathématique" qui les a sans nul doute sauvegardés, mais les a empêchés de parvenir à autre chose qu'une vision intellectuelle et superficielle de leur signification.

 

 

Qu'entendez-vous par fantôme? Le mot fantôme, dans le langage populaire, recouvre une énorme quantité de phénomènes distincts qui n'ont pas nécessairement de rapports entre eux. Pour n'en citer que quelques-uns:

1. Contact réel avec l'âme d'un être humain dans son corps subtil, transcrit dans notre mental par l'apparition d'une image ou l'audition d'une voix.

2. Formation mentale où les pensées et les sentiments d'un être humain défunt imprègnent l'atmosphère d'un lieu ou d'une région, y vagabondent ou se répètent jusqu'à ce que cette formation s'épuise d'elle-même ou soit dissoute d'une manière ou d'une autre. C'est ce qui explique les phénomènes de maisons hantées dans lesquelles les scènes qui ont accompagné, entouré ou précédé un meurtre se répètent encore et encore, et bien d'autres phénomènes analogues.

3. Être des plans vitaux inférieurs qui a revêtu l'enveloppe vitale abandonnée par un être humain défunt ou un fragment de sa personnalité vitale, et apparaît et agit sous la forme et peut-être avec les pensées et les souvenirs superficiels de cette personne.

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4. Être du plan vital inférieur qui, au moyen d'un être humain vivant ou par un autre moyen ou agent, est capable de se matérialiser suffisamment pour apparaître et agir sous une forme visible, ou parler d'une voix audible ou, sans apparaître ainsi, de faire mouvoir des objets matériels, par exemple des meubles, ou de matérialiser des objets, ou de les changer de place. C'est l'explication des poltergeists, des phénomènes de jets de pierres, des Bhouta14 qui habitent les arbres, et d'autres phénomènes bien connus.

5. Apparitions qui sont des formations de votre propre mental et prennent pour les sens une apparence objective.

6. Possession temporaire de quelqu'un par des êtres vitaux qui parfois feignent d'être des défunts, parents ou autres.

7. Images mentales d'eux-mêmes projetées par des êtres humains, souvent au moment de leur mort, qui apparaissent à ce moment ou quelques heures après à leurs amis ou à leurs parents.

Vous voyez que dans un seul de ces cas, le premier, on peut présumer qu'il s'agit d'une âme, et là la question ne soulève aucune difficulté.

 

Chacun suit, en ce monde, la voie de sa propre destinée qui est déterminée par sa propre nature et ses propres actions - la signification et la nécessité des événements d'une vie particulière ne sont compréhensibles qu'à la lumière de toute la succession de nombreuses vies. Mais seuls ceux qui sont capables d'aller au-delà du mental et des sentiments ordinaires et de voir les choses dans leur ensemble, peuvent constater que même les erreurs, les infortunes, les calamités sont des étapes dans le voyage, car l'âme accumule de l'expérience à mesure qu'elle passe par elles et plus loin, Jusqu'à ce qu'elle soit mûre pour la transition qui la portera au-delà de tout cela vers une conscience et une vie plus hautes.

 

14. Pouvoir ou esprit élémentaire.

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Quand on arrive à cette ligne de partage, on doit laisser derrière soi le vieux mental et les vieux sentiments. On regarde alors ceux qui sont encore assujettis aux plaisirs et aux chagrins du monde ordinaire avec compassion, et chaque fois que c'est possible en leur apportant une aide spirituelle, mais dès lors sans aucun attachement. On apprend qu'ils sont guidés à travers tous leurs faux pas, et on fait confiance au Pouvoir universel qui regarde et soutient leur existence, et qui fera pour eux ce qu'il y a de mieux. Mais l'unique chose qui importe réellement pour nous, c'est d'entrer dans la Lumière plus grande et dans l'Union divine - de se tourner vers le Divin seul, de placer notre confiance là et nulle part ailleurs, que ce soit pour nous-mêmes ou pour les autres.

 

La question est très compliquée et difficile à aborder, et il n'est guère possible d'y répondre en quelques mots. De plus, il est impossible de définir en règle générale pourquoi ces contacts intérieurs étroits sont suivis d'une séparation physique par la mort - chaque cas est différent, et il faudrait connaître les personnes et savoir dans le détail quelle a été l'histoire de leur âme pour dire ce qui était derrière leur rencontre et leur séparation. D'une manière générale, une vie n'est qu'un bref épisode dans la longue histoire d'une évolution spirituelle, dans laquelle l'âme suit la trajectoire fixée pour la terre, passant par de nombreuses vies pour arriver au bout. C'est une évolution hors de l'inconscience matérielle vers la conscience et vers la Conscience divine, de l'ignorance à la Connaissance divine, de l'obscurité, en passant par le demi-jour, vers la Lumière, de la mort à l'Immortalité, de la souffrance à la Félicité divine. La souffrance provient tout d'abord de l'Ignorance, ensuite de la séparation de la conscience individuelle d'avec la Conscience divine et l'Être divin, séparation créée par l'ignorance; quand cela cesse, quand on vit dans le Divin et non plus dans son petit moi séparé, alors seulement la souffrance peut cesser complètement. Chaque

 

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âme suit sa propre voie et ces voies se rencontrent, les âmes cheminent ensemble pendant un certain temps, puis se séparent pour se rencontrer peut-être de nouveau plus tard - elles se rencontrent encore pour s'entr'aider dans le voyage d'une manière ou d'une autre. Après la mort, l'âme passe dans d'autres plans d'existence, y demeurant pendant quelque temps, jusqu'au moment où elle parvient à son lieu de repos où elle reste jusqu'à ce qu'elle soit prête pour une autre existence terrestre. C'est la loi générale, mais en ce qui concerne les liens entre les âmes incarnées, c'est affaire d'évolution personnelle des deux âmes, et sur cela on ne peut rien dire de général, puisque c'est intimement lié à l'histoire des deux âmes et qu'une connaissance personnelle est nécessaire. C'est tout ce que je peux dire, mais je ne sais pas si ce sera d'un grand secours pour elle, car habituellement ces choses ne sont une aide que lorsqu'on entre dans la conscience où elles ne sont plus de simples idées, mais deviennent des réalités. Alors on ne s'afflige plus, parce qu'on est entré dans la Vérité et que la Vérité apporte le calme et la paix.

 

Il y a généralement un lien vital - le lien psychique est comparativement rare. C'est habituellement quelque chose dans les vies passées qui détermine ces liens dans celle-ci, mais le lien dans cette vie-ci est rarement le même que celui du passé qui l'a déterminé.

 

Je comprends fort bien quel choc la mort tragique de votre femme a dû être pour vous. Mais vous êtes maintenant un sâdhak et un chercheur de la Vérité, et vous devez envisager de vous élever au-dessus des réactions normales de l'être humain et de voir les choses dans une lumière plus grande et plus vaste. Considérez l'épouse que vous avez perdue comme une âme qui progressait à travers les vicissitudes de la vie de l'Ignorance, comme toutes les âmes ici-bas; dans ce progrès,

 

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des événements se produisent, qui semblent désastreux au mental humain et une mort soudaine et accidentelle ou violente, qui coupe court prématurément à cette période toujours, brève de l'expérience terrestre que nous appelons la vie, lui semble particulièrement pénible et désastreuse. Mais celui qui va derrière la vision extérieure sait que tout ce qui arrive au cours de la progression de l'âme a sa signification, sa nécessité, sa place dans la série des expériences qui la conduisent vers le tournant où l'on peut passer de l'Ignorance à la Lumière. Il sait que tout ce qui arrive dans la Divine Providence est pour le mieux, même si le mental en juge autrement. Considérez votre femme comme une âme qui a passé la barrière entre deux états d'existence. Aidez-la à cheminer vers son lieu de repos par des pensées paisibles et en appelant l'Aide divine pour qu'elle l'assiste dans son voyage. Le chagrin trop prolongé n'aide pas, mais retarde le voyage de l'âme qui est partie. Ne ressassez pas sa perte; pensez seulement à son bien-être spirituel.

 

Ce qui est arrivé doit maintenant être accepté calmement comme un événement qui avait été décrété et qui est ce qui pouvait arriver de mieux pour le progrès de son âme de vie en vie, même si ce n'est pas le mieux pour le regard humain qui voit seulement le présent et les apparences extérieures. Pour le chercheur spirituel, la mort n'est qu'un passage d'une forme de vie à une autre, et on ne meurt pas, on ne fait que partir. Regardez cela de cette façon et, secouant toutes les réactions de chagrin vital - cela ne peut pas l'aider dans son voyage - poursuivez fermement votre chemin vers le Divin.

 

 

Bien sûr, c'est là le fait réel - la mort n'est que l'abandon du corps, non la cessation de l'existence personnelle. Un homme ne meurt pas parce qu'il va dans un autre pays et change de vêtements pour s'adapter au climat.

 

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DESTIN ET LIBRE ARBITRE, KARMA
ET HÉRÉDITÉ, ETC.

Les textes que vous m'envoyez, pris isolément, sont très impressionnants, mais à la lecture du livre, cette impression diminue et s'estompe. Vous avez cité les réussites de Cheiro, mais ses échecs? J'ai parcouru le livre et j'ai été frappé par le nombre de prophéties qui ne se sont pas réalisées. Vous ne pouvez pas déduire d'un petit nombre de prédictions, si exactes soient-elles, que tout est prédéterminé, y compris les questions que vous posez dans votre lettre et ma réponse. C'est possible, mais les faits invoqués ne suffisent pas à le prouver. Ce qui est évident, c'est qu'il existe, dans le cours des événements, un élément de pré visibilité, de prévisibilité exacte et dans le détail autant que dans les grandes lignes. Mais on le savait déjà: la question reste posée de savoir si tout peut être prédit, si la destinée est le seul facteur dans l'existence, ou si d'autres facteurs peuvent aussi modifier la destinée - ou si, la destinée étant admise, il n'y a pas d'autres sources, pouvoirs ou plans de destinée, et si nous ne pouvons pas modifier celle d'où nous sommes partis en faisant appel à une autre source, un autre pouvoir ou plan de destinée et en le rendant actif dans notre vie. Les questions métaphysiques ne sont pas simples au point qu'on puisse les trancher dans un sens ou dans l'autre - c'est la manière courante de résoudre les problèmes, mais elle est tout à fait sommaire et peu concluante. Tout est libre arbitre, ou alors tout est destinée-ce n'est pas si simple. Cette question du libre arbitre ou du déterminisme est la plus épineuse de toutes les questions métaphysiques et personne n'a été capable de la résoudre - pour la bonne raison que la destinée et la volonté existent toutes les deux, et même un libre arbitre existe quelque part; la difficulté est de savoir comment l'atteindre et le rendre opérant.

L'astrologie? Beaucoup de prédictions astrologiques se réalisent, et même un assez grand nombre, si on les considère

 

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toutes ensemble. Mais il ne s'ensuit pas que les astres régissent notre destinée; les astres ne font que consigner une destinée qui a déjà été formée, ils sont un hiéroglyphe, non une Force - ou si leur action constitue une force, c'est une énergie qui transmet, non un Pouvoir générateur. Nous pouvons dire que quelqu'un est là qui a déterminé, ou que quelque chose est là qui est le Destin; les astres donnent seulement des indications. Les astrologues eux-mêmes disent qu'il y a deux forces, daïva et pouroushakâra, le destin et l'énergie individuelle, et l'énergie individuelle peut modifier et même contrecarrer le destin. En outre, les astres indiquent souvent plusieurs destinées possibles; par exemple, un individu risque de mourir dans la force de l'âge, mais si ce déterminisme est surmonté, il pourra vivre jusqu'à un âge avancé et prévisible. Enfin, on voit des cas où les prédictions de l'horoscope se réalisent avec une grande exactitude jusqu'à un certain âge, puis ne s'appliquent plus. Cela se produit souvent quand le sujet s'écarte de la vie ordinaire pour se tourner vers la vie spirituelle. Si le tournant est radical, toute possibilité de prédiction cesse immédiatement; autrement, certaines conséquences peuvent se prolonger pendant un certain temps, mais n'ont plus le même caractère inévitable. Cela semblerait démontrer qu'il y a ou qu'il peut y avoir un pouvoir supérieur, ou un plan supérieur, ou une source supérieure de destinée spirituelle qui peut, si son heure est venue, annuler le pouvoir inférieur, le plan inférieur ou la source inférieure de destinée vitale et matérielle indiquée par les astres. Je dis vitale, parce que le caractère peut aussi être indiqué par l'horoscope de façon beaucoup plus complète et beaucoup plus satisfaisante que les événements de la vie.

L'explication indienne du destin est le Karma. Nous sommes nous-mêmes notre propre destin par nos actions, mais la destinée que nous créons nous lie; car ce que nous avons semé, nous devons le récolter, dans cette vie-ci ou dans une autre. Nous continuons à créer notre destin pour l'avenir, tout en subissant dans le présent la destinée ancienne venue du

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passé. Cela donne un sens à notre volonté et à notre action et ne constitue pas, comme le croient à tort les critiques européens, un fatalisme rigide et stérilisant. Mais de nouveau, notre volonté et notre action peuvent souvent annuler ou modifier même le Karma passé; seuls certains effets très puissants, appelés outkata Karma, ne sont pas modifiables. Ici aussi, le fait d'entrer dans la conscience et la vie spirituelles est censé annuler ou donner le pouvoir d'annuler le Karma. Car nous nous unissons à la Volonté divine, cosmique ou transcendante, qui peut annuler ce qu'elle avait approuvé sous certaines conditions, créer à nouveau ce qu'elle avait créé; les lignes étroitement tracées disparaissent, il y a une liberté et une ampleur plus souples. Ni le Karma, ni l'astrologie n'indiquent donc une destinée rigide et à jamais immuable.

Quant aux prophéties, jamais je n'ai rencontré ni entendu parler d'un prophète, quelle que soit sa réputation, qui soit infaillible. Certaines des prédictions de ces prophètes se réalisent à la lettre, d'autres non; elles se réalisent à moitié ou tombent tout à fait à côté. Il ne s'ensuit pas que le pouvoir de prophétie n'existe pas ou que toutes les prédictions exactes puissent s'expliquer par la probabilité, le hasard, la coïncidence. La nature et le nombre de celles qui sont inexplicables est trop grand. La nature variable de leur accomplissement peut s'expliquer soit par un pouvoir imparfait chez le prophète - pouvoir qui tantôt est actif et tantôt lui fait défaut - soit par le fait que les choses peuvent être prédites en partie seulement, ou ne sont qu'en partie déterminées ou alors le sont par différents facteurs ou lignes de force, différentes séries de potentialités et de faits. Tant que l'on est en contact avec l'une de ces lignes, on prédit exactement, autrement non; ou si les lignes de force changent, la prophétie aussi déraille. Néanmoins, on pourrait dire que si la prédiction est le moins du monde possible, il doit y avoir un pouvoir ou un plan au moyen duquel ou sur lequel tout est prévisible; s'il y a une Omniscience et une Omnipotence divines, il doit en être ainsi. Même dans ce cas, ce qui est prévu doit être exécuté, est

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en fait exécuté par un jeu de forces - forces spirituelles, mentales, vitales et physiques - et dans ce plan de forces on ne peut découvrir aucune rigidité absolue. La volonté ou l'effort personnel est l'une de ces forces. Napoléon, quand on lui demandait pourquoi il croyait au Destin alors qu'il était sans cesse en train de faire des plans et d'agir, répondait: "Parce qu'il est écrit que je dois agir et faire des plans"; en d'autres termes, ses plans et son action faisaient partie du Destin, contribuaient au résultat que le Destin avait en vue. Même si je prévois un résultat contraire, je dois œuvrer pour celui qui, à mon avis, doit être; car cela maintient en vie la force, le principe de Vérité que je sers, et lui donne un possibilité de triompher par la suite, pour qu'il s'intègre au processus du Destin futur favorable, même si la destinée du moment est contraire. Les hommes n'abandonnent pas une cause parce qu'ils l'ont vue échouer ou prévoient son échec; spirituellement, ils ont raison dans leur persévérance obstinée. De plus, nous ne vivons pas pour le résultat extérieur seulement; l'objectif de la vie est bien plus la croissance de l'âme - non le succès extérieur du moment ou même du proche avenir. L'âme peut croître en dépit ou même au moyen d'une destinée matérielle contraire.

Enfin, même si tout est déterminé, pourquoi dire que la vie est, selon l'expression de Shakespeare ou plutôt de Macbeth, "un conte raconté par un idiot, plein de bruit et de fureur, ne signifiant rien"? il en serait ainsi, en effet, si tout dans la vie était incertitude hasardeuse et fortuite. Mais si c'est quelque chose de prévu, d'arrêté dans le moindre détail, est-ce que cela n'implique pas plutôt que la vie signifie quelque chose, qu'il doit y avoir un Dessein secret vers lequel tout s'élève par degrés, puissamment, avec persistance, à travers les âges, et dont nous faisons nous-mêmes partie, où nous sommes des compagnons de travail dans l'accomplissement de cet invincible Dessein?

P. S. Je dois dire que l'une des plus grandes extases possibles est de se sentir porté par le Divin, non par les astres ou le Karma - car celui-ci est une triste affaire, aride et

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inconfortable, comme si on vous faisait tourner dans une machine, "yantrâroûdhâni mâyayâ''.1  

 

 

Je crains bien que les idées de Cheiro et ses prophéties ne m'inspirent guère confiance - certaines prophéties se réalisent, mais la plupart se sont révélées fausses. L'idée concernant les Juifs est une vieille croyance juive et chrétienne; on ne peut guère y ajouter foi. Quant aux nombres, il est vrai que, selon, la science occulte, ils ont une signification mystique. Il est vrai aussi qu'il y a des périodes et des cycles dans la vie comme dans la vie du monde. Mais on ne peut pas toujours attacher à ces choses une signification trop précise.

 

Je n'ai pas dit que tout était rigidement prédéterminé. Ce n'est pas ce que signifie jeu de forces. J'ai dit que derrière les événements visibles dans le monde, il y a toujours une masse de forces invisibles qui travaillent à l'insu du mental extérieur de l'homme, et par le yoga (en allant au-dedans et en établissant un lien conscient avec le Moi et la Force cosmiques et avec les forces cosmiques), on peut devenir conscient de ces forces, intervenir consciemment dans le jeu et, jusqu'à un certain point au moins, déterminer les choses dans le résultat du jeu. Tout cela n'a rien à voir avec la prédétermination. Au contraire, on regarde comment les choses évoluent et on donne une impulsion ici et là quand c'est possible ou quand c'est nécessaire. Rien de tout cela ne contredit le mot du grand savant sir C. V. Raman. Raman a dit un jour que toutes ces découvertes scientifiques ne sont que des jeux de hasard. Or quand il dit que les découvertes scientifiques sont des jeux de hasard, il ne fait que constater que les êtres humains ne savent pas comment cela aboutira. Ce n'est pas une prédétermination rigide, mais ce n'est pas non plus un Hasard  

1. Guîtâ, 18.61.

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aveugle et inconscient. C'est un jeu dans lequel il y a une exécution des possibilités dans le Temps.  

 

 

Il est vraiment difficile de démêler ce que Planck veut dire dans ces pages, quelle est sa conclusion et comment il y parvient; il a sans doute tellement condensé ses arguments que les maillons explicatifs nécessaires manquent. La question du libre arbitre, je le vois en feuilletant les pages qui précèdent, n'émerge qu'incidemment de son opinion selon laquelle les nouvelles découvertes groupées autour de la théorie des quanta n'entraînent pas de changement fondamental en physique. Si l'on tend maintenant à considérer les lois comme statistiques - auquel cas il n'y a ni "causalité stricte", ni déterminisme - rien ne prouve cependant qu'elles ne puissent pas être considérées comme dynamiques - ce qui pourrait même être avantageux - auquel cas le déterminisme demeure valide; l'incertitude du comportement individuel (électrons, quanta) n'ébranle pas réellement le déterminisme, mais ne fait qu'y introduire un nouvel élément. Telle semble être, à première vue, sa position. Certains penseurs scientifiques considèrent cette incertitude du comportement individuel comme un facteur physique correspondant à l'élément de libre arbitre dans les individus humains. C'est à ce propos que Planck introduit la question du libre arbitre pour réfuter la conclusion selon laquelle il affecte la stricte causalité et la loi du déterminisme. À ce que je crois comprendre, son argumentation est la suivante:

1. La loi de stricte causalité est valide parce que toute action ou événement intérieur chez l'être humain individuel est une conséquence entièrement déterminée par deux causes: (a) l'état antérieur de son mental pris dans son ensemble; (b) les influences extérieures.

2. La volonté est un processus mental entièrement déterminé par ces deux facteurs; par conséquent elle n'est pas libre, elle fait partie de la chaîne de la stricte causalité,

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comme aussi les résultats du libre arbitre.

3. L'important, ce n'est pas la liberté réelle de la volonté, mais la conscience qu'a l'homme de sa liberté. Cette conscience donne lieu à l'expérience intérieure d'un mobile conscient qui, à son tour, donne lieu à de nouveaux mobiles, et ainsi de suite indéfiniment. Pour cette raison, il est impossible à un homme de prédire son action future, car à tout moment un nouveau mobile peut se présenter. Mais quand nous nous reportons au passé, alors l'enchaînement des causes et des effets devient visible.

4. Le fait (ou du moins la théorie) de la stricte causalité n'est donc pas ébranlé par la conscience du libre arbitre dans l'individu. Il est seulement obscurci par le fait qu'un homme ne peut pas prédire ses propres actions ni saisir les causes de son état actuel; mais c'est parce qu'ici, sujet et objet se confondent, et ce sujet-objet est dans un état d'oscillation constante, à la différence d'un objet extérieur qui n'est pas censé changer en fonction des mouvements intérieurs de l'observateur.

Il y a une référence à la loi causale et à la loi morale qui me déconcerte. La "loi morale" est-elle quelque chose d'extérieur au strict enchaînement des effets et des causes? Une telle chose existe-t-elle? Si la "stricte causalité" régit tout, que fait donc là cette loi morale?

Telle est l'argumentation, ou ce que je puis en comprendre, mais elle ne me semble pas très concluante. Si la conduite d'un homme ne peut pas être prédite par lui-même, elle ne peut pas non plus l'être par quelqu'un d'autre, bien qu'alors le sujet et l'objet soient distincts; si elle n'est pas prévisible, ce doit être pour la même raison: l'élément de libre arbitre  et la mobilité créée par la possibilité d'intrusion indéfinie de nouveaux mobiles. S'il en est ainsi, la stricte causalité ne peut pas être affirmée - bien qu'une causalité souple, dans laquelle le pouvoir de choix que nous appelons libre arbitre est un élément (soit l'une parmi de nombreuses causes afférentes, soit l'instrument d'une cause plus lointaine) puisse cependant être considérée comme possible.

 

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Le postulat selon lequel l'action de l'individu est strictement déterminée par la totalité de son état mental, plus les influences extérieures, est douteux et ne mène pas très loin. Il est possible de saper toute la notion de causalité inévitable en soutenant que l'état total existant avant un événement n'est que la condition dans laquelle il se produit; il y a une masse d'antécédents et il y a une résultante, si l'on peut dire, ou une masse de résultantes, mais rien ne prouve que celles-ci soient des conséquences inévitables de la masse des antécédents. Il est possible que cet état total existant soit une matrice dans laquelle une semence d'événement est jetée ou devient active, de sorte que de nombreux résultats sont possibles, et dans le cas de l'action humaine il est concevable que le libre arbitre soit le facteur déterminant ou au moins l'un des facteurs déterminants.

Je ne pense pas, par conséquent, que ces arguments de Planck nous mènent très loin. Il y a aussi, évidemment, la question soulevée dans le livre lui-même de savoir si, le déterminisme étant admis, un état de choses localisé est un champ indépendant de causalité ou si tout est lié au point que c'est le tout qui détermine le résultat local. L'action d'un homme serait alors déterminée par les forces universelles; son état d'esprit et son choix apparent feraient partie des instruments de la Force universelle.

 

Dans la question que vous soulevez au sujet de Socrate et de l'ivrogne invétéré, la distinction que vous faites est correcte. L'homme dont la volonté est faible est gouverné par ses impulsions vitales et physiques, son être mental n'est pas assez dynamique pour obliger sa volonté (celle de l'être mental) à les dominer. La volonté de cet homme n'est pas "libre", parce qu'elle n'est pas assez forte pour être libre, elle est l'esclave des forces qui agissent sur la nature vitale et physique de cet homme ou en elle. Dans le cas de Socrate, la volonté est libre au point qu'elle se tient au-dessus du jeu de ces forces, et il

 

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déterminé, par son idée et sa résolution mentales, ce qu'il fera ou ne fera pas. Reste la question de savoir si la volonté de Socrate n'est libre que dans ce sens, étant déterminée elle-même en réalité par quelque chose de plus vaste que la mentalité de Socrate, quelque chose dont elle est l'instrument - que ce soit une Force universelle ou un Être en lui dont son démon était la voix et qui non seulement donnait à son mental cette perception décisive de l'idéal mental, mais le poussait impérativement à agir en obéissant à cette perception. Ou elle pouvait être soumise à une connexion entre le Pourousha intérieur et la Force universelle. Dans ce dernier cas, il y aurait eu un équilibre instable entre le déterminisme de la Nature et une auto-détermination venant de l'intérieur. Si nous partons du point de vue du Sâmkhya, cet être (c'est-à-dire celui dont son démon était la voix) serait l'âme ou Pourousha; et dans Socrate, avec sa volonté puissante, autant que dans l'homme à la volonté faible, esclave de son impulsion vitale, l'action et ses résultats seraient déterminés par l'assentiment ou le refus du Pourousha. Dans le second cas, le Pourousha donne son consentement au jeu des forces de la nature, à l'habitude de l'impulsion vitale, et les subit par une soumission vitale tandis que le mental observe, impuissant. En Socrate, le Pourousha a commencé à s'émanciper et à décider ce qu'il acceptera ou n'acceptera pas; l'être conscient a commencé à s'imposer aux forces qui agissent sur lui. Cette maîtrise est devenue si complète qu'il peut en grande partie déterminer ses propres actions et peut même, dans certaines limites, non seulement en prévoir, mais en fixer les résultats, de sorte que ce qu'il veut se produira tôt ou tard.

Le Surhomme, pour sa part, est l'être conscient dont l'émancipation est complète parce qu'il s'est élevé à une position au-delà des limites du mental. Il peut déterminer son action en complet accord avec une perception qui voit toutes les forces agissant sur lui, en lui et autour de lui, et il est capable, au lieu de les subir, de les utiliser et même de les déterminer.  

 

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Après avoir lu l'exposé convaincant de X, j'ai vu ce que l'on pourrait dire, du point de vue intellectuel, sur cette question, pour relier la réalité de la liberté suprême au phénomène du Déterminisme de la Nature - d'une manière différente de la sienne, mais avec le même objectif. En réalité, la liberté et le déterminisme sont seulement deux aspects de la même chose, car la vérité fondamentale est l'auto-détermination du cosmos et, en elle, une auto-détermination secrète de l'individu. La difficulté provient du fait que nous vivons dans le mental superficiel d'ignorance, ne savons pas ce qui se passe à l'arrière-plan et voyons seulement le processus phénoménal de la Nature. Là, le fait apparent est un déterminisme écrasant de la Nature, et comme notre conscience de surface fait partie de ce processus, nous sommes incapables de voir l'autre terme de la réalité à la fois double et unique. Pratiquement, il y a à la surface un déterminisme complet dans la Matière - bien que cela soit maintenant contesté par l'école scientifique la plus récente. À mesure qu'émerge la Vie, une certaine plasticité s'établit, de sorte qu'il est difficile de prédire exactement quoi que ce soit, comme on prédit les choses matérielles qui obéissent à une loi rigide. Cette plasticité augmente avec la croissance du Mental, si bien que l'homme peut avoir le sentiment d'un libre arbitre d'un choix dans son action, d'un mouvement propre qui aide au moins à déterminer lés circonstances. Mais cette liberté est douteuse parce qu'on peut dire qu'elle est une illusion, un artifice de la Nature, une partie de son mécanisme déterministe, seulement une liberté apparente ou tout au plus une indépendance restreinte, relative et subordonnée. C'est seulement quand on passe à l'arrière-plan en s'éloignant de la Prakriti pour aller vers le Pourousha et en s'élevant du Mental au Moi spirituel que l'aspect de liberté apparaît d'abord comme évident, puis devient complet lorsqu'on est à l'unisson de la Volonté qui est au-dessus de la Nature.  

 

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Toutes sortes de choses se présentent dans la vie. On ne peut pas prendre tout ce qui vient avec l'idée que c'est envoyé par le Divin. Il y a un choix, et le mauvais choix entraîne ses conséquences.  

 

Le Destin, au sens strict du terme, ne s'applique qu'à l'être extérieur tant qu'il vit dans l'Ignorance. Ce que nous appelons destin est seulement, en fait, le résultat de l'état actuel de l'être, de sa nature et des énergies qu'il a accumulées dans le passé, réagissant les unes sur les autres et déterminant ses entreprises actuelles et leurs résultats futurs. Mais dès que l'on prend le chemin de la vie spirituelle, cette ancienne destinée prédéterminée commence à céder du terrain. Alors intervient un nouveau facteur, la Grâce divine, l'aide d'une Force divine supérieure, autre que la force du Karma, qui peut soulever le sâdhak au-delà des possibilités actuelles de sa nature. La destinée spirituelle de chacun est alors le choix divin qui assure l'avenir. Le seul doute concerne les vicissitudes du chemin et le temps que prendra le voyage. C'est là que les forces hostiles, jouant sur les faiblesses de la nature passée, s'efforcent d'entraver la rapidité du progrès et de retarder l'accomplissement. Ceux qui tombent, ne tombent pas en raison des attaques des forces vitales, mais parce qu'ils se placent eux-mêmes du côté de la Force hostile et donnent la préférence à une ambition ou un désir vital (ambition, vanité, luxure, etc.) plutôt qu'à la siddhi spirituelle.  

 

 

Ni la Nature, ni le Destin, ni le Divin ne travaillent à la manière mentale, selon la loi du mental, ou conformément à ses normes; c'est pourquoi la Nature, le Destin, la voie du Divin demeurent un mystère même pour l'homme de science et le philosophe. La Mère n'agit pas selon le mental; il est donc vain de se servir du mental pour juger son action.  

 

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La nature est, dans une très large mesure, ce que vous en faites ou ce que vous pouvez en faire.  

 

 

Chacun a son propre destin et entrer dans une famille particulière pour une vie n'est qu'un incident.  

 

 

La conscience n'est pas une mécanique sans vie qu'on peut* découper de cette façon. L'influence de l'hérédité crée une affinité et l'affinité est une chose durable. C'est seulement quand la partie héréditaire est changée que l'affinité cesse.

 

[Empreinte de l'hérédité, de la race, de la caste et de la famille:] C'est, dans la plupart des cas, une empreinte très forte - une empreinte qui marque principalement le vital physique et le physique matériel - et elle s'accroît par l'éducation et la manière dont on a été élevé.

 

 

Bien des choses dans le corps et certaines dans le mental et le vital sont héritées du père et de la mère, ou d'autres ancêtres - cela, tout le monde est censé le savoir. D'autres choses ne sont pas héréditaires, mais particulières à la nature de chacun, ou élaborées par les événements de cette vie-ci.

 

 

Le Karma et l'hérédité sont les deux causes principales [qui¦ déterminent le tempérament à la naissance]. Selon certains, ' l'hérédité aussi est soumise au Karma, mais peut-être seulement d'une manière générale, non dans tous les détails.  

 

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Toutes les énergies mises en action - pensée, parole, sentiments, actes - entrent dans la composition du Karma. Ces choses aident à développer la nature dans une direction ou une autre, et la nature et ses actions et réactions produisent leurs conséquences à l'intérieur et à l'extérieur: elles agissent aussi sur les autres et créent, dans la somme générale des forces, des mouvements qui peuvent aussi sortir comme des forces et produire leurs effets. C'est une erreur de croire qu'une pensée ou une volonté ne peut avoir d'effet que lorsqu'elle est exprimée en parole ou en acte: la pensée muette, la volonté inexprimée sont aussi des énergies actives et peuvent produire leurs propres vibrations, leurs propres effets ou réactions.  

 

Exactement? Comment peut-on mesurer exactement où interviennent le facteur vital, le facteur mental, et le facteur spirituel? Dans le cas d'une étoile ou d'un atome c'est possible (mais non, semble-t-il, dans le cas d'un électron), mais pas pour un homme et son mental, son âme, son corps vivants.

 

II

 

Ce que dit X est vrai, le jeu des forces est très complexe; on doit en être conscient et, pour ainsi dire, voir et regarder comment elles fonctionnent avant de pouvoir véritablement comprendre pourquoi les choses se produisent comme elles le font. Toute action est entourée d'un complexe de forces, et si l'on émet une force pour qu'une action réussisse, on doit prendre grand soin de le faire complètement, d'entretenir cette force, et de ne laisser aucune porte ouverte par où d'autres forces contraires pourraient s'introduire. Chaque homme est lui-même le champ de nombreuses forces; certaines travaillent pour sa sâdhanâ, d'autres pour son ego et ses désirs. Il y a par ailleurs des pouvoirs qui cherchent à faire d'un homme, à son insu, l'instrument de desseins qui ne sont

 

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pas siens. Tout cela peut se combiner pour amener un résultat particulier. Chacune de ces forces travaille pour réaliser sa propre impulsion; elles ne sont pas nécessairement ce que nous appelons des forces hostiles, ce sont tout simplement des forces de la Nature.

Le sentiment de jalousie et d'abhimân était évidemment une survivance des mouvements passés de la nature. C'est ainsi que ces choses sortent si elles sont rejetées: elles perdent de la force, sont de moins en moins capables de rester, de moins en moins capables d'affecter la conscience; finalement, elles ne peuvent plus nous toucher et par conséquent ne viennent plus.  

 

Tous ceux qui, dotés d'intelligence et de pouvoir d'observation, vivent plutôt dans une conscience intérieure, peuvent voir à chaque pas le jeu de forces invisibles qui agissent sur les hommes et produisent les événements sans que ceux-ci sachent par quels moyens. La différence créée par le yoga ou une conscience intérieure - car il y a des gens, comme Socrate, qui élaborent ou ont une conscience intérieure sans yoga - c'est que l'on devient conscient de ces forces invisibles et que l'on peut aussi, consciemment, en profiter ou les utiliser et les diriger. C'est tout.  

 

[Échange vital:] C'est difficile de préciser. Dans toute association humaine, l'un attire toujours les forces vitales de l'autre, et cela se produit automatiquement. L'amour est l'un des moyens les plus puissants pour chacun d'attirer la force vitale de l'autre, ou pour l'un d'attirer celle de l'autre, car souvent aussi cela se produit dans un seul sens, au grand détriment de l' "autre". Au moment de ce passage interviennent beaucoup de choses bonnes et mauvaises, exaltation, sentiment de force et de soutien, infiltration de qualités bonnes et mauvaises,

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échanges d'humeurs, d'états et de mouvements psychologiques, dépression, épuisement - toute la gamme. Les gens ne le savent pas - c'est là un effet de la miséricorde divine - mais quand on entre dans une certaine conscience yoguique, on devient tout à fait conscient et très sensible à tout cet échange, à cette action et à cette réaction, mais on peut aussi dresser un mur contre cela, le rejeter, etc.

C'est un mur de conscience qu'il faut construire. La conscience n'est pas quelque chose d'abstrait, c'est, comme l'existence elle-même, ou l'Ânanda, ou le mental, ou le prâna, quelque chose de très concret. Si l'on s'éveille à la conscience intérieure, on peut faire toutes sortes de choses avec elle, l'envoyer au-dehors comme un courant de force, ériger un cercle ou un mur de conscience autour de soi, diriger une idée pour qu'elle entre dans la tête de quelqu'un en Amérique, etc., etc.  

 

Sa nouvelle conscience lui fait ressentir plus fortement les forces contraires avec lesquelles on entre en contact quand on va dans le monde, qu'on doit traiter des affaires, rencontrer des gens, et il a peur d'une réaction dans le vital qui perturberait sa sâdhanâ ou créerait des difficultés. C'est évidemment un homme qui est ou est devenu psychiquement sensible à ce jeu de forces que vous refusez aveuglément de reconnaître, même quand vous êtes en plein dedans. Vous pouvez sentir l'atmosphère de votre ami à travers sa lettre "si belle, si réconfortante, si rafraîchissante", et elle a sur vous un effet immédiat. Mais votre mental regarde fixement comme une chouette et se demande: "Qu'est-ce que c'est donc que cela?" parce que, je suppose, vos livres de médecine ne vous en ont jamais parlé, et comment une chose pourrait-elle être vraie si elle n'est pas connue du mental ordinaire ou de la science? C'est par une incursion de forces appartenant à une espèce contraire que vous tombez entre les griffes du Démon, mais vous ne pouvez que geindre et crier: "Qu'est-ce que c'est

 

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que ça?", et quand elles sont balayées en un instant par d'autres forces, cligner des yeux et murmurer: "Tiens, c'est drôle!" Quand votre ami est menacé par les forces contraires, il peut le sentir et le savoir aussitôt, et ainsi se mettre sur ses gardes et résister au Diable, parce qu'il peut détecter là immédiatement l'une de ses principales lignes d'attaque.  

 

Cette conscience [de l'influence des gens] a pour but d'amener la connaissance - une connaissance psycho-occulte nécessaire à la plénitude de la conscience et de l'expérience. Le but n'est pas de laisser ce qui est ressenti devenir une influence, bonne ou mauvaise.

 

En ce qui concerne l'autre question, il faut distinguer deux choses. Certaines personnes ont la faculté de recevoir des impressions concernant les autres, faculté qui n'est en aucune manière infaillible, mais se révèle souvent exacte. Ça, c'est une chose, et l'intuition yoguique, par laquelle on sait ou sent directement ce qu'est un homme, quelles sont ses capacités, son caractère, son tempérament, en est une autre. La première peut aider à développer la seconde, mais ce n'est pas la même faculté. La faculté yoguique doit être complète et ne peut le devenir que par un grand développement de la conscience intérieure.

 

 

Mise à part la question de Divin ou non divin, aucun homme spirituel qui agit dynamiquement n'est limité au contact physique: l'idée que le contact physique par l'écriture, la parole, les rencontres est indispensable à l'action de la force spirituelle est une contradiction en soi, car alors cette force ne serait pas spirituelle. L'esprit n'est pas limité par les objets

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physiques ou par le corps. Si vous avez la force spirituelle, elle peut agir à des milliers de kilomètres de distance, sur des gens qui ne savent pas et ne sauront jamais que vous agissez sur eux ni même que quelqu'un agit sur eux - ils savent seulement qu'il y a une force qui les rend capables de faire des choses et peuvent fort bien supposer que c'est leur grande énergie et leur génie.

 

Les Forces divines sont faites pour être utilisées; l'erreur de l'homme individualisé dans l'Ignorance est de s'en servir pour l'ego et non pour le Divin. C'est cela qui doit être rectifié par l'union avec la Conscience divine, et aussi par l'élargissement de l'être individuel afin qu'il puisse vivre consciemment dans l'universel. C'est difficile à cause de l'habitude figée de l'ego, mais ce n'est pas impossible.

 

Toute les forces viennent du Divin, mais elles sont plus fréquemment mal employées qu'utilisées spirituellement ou correctement.

 

 

Il est certainement possible d'avoir conscience des choses à distance et d'intervenir.

L'idée que les yogi n'utilisent pas ou ne devraient pas utiliser ces pouvoirs, je la considère comme une superstition ascétique. Je crois que tous les yogi qui ont ces pouvoirs les utilisent chaque fois qu'ils se trouvent appelés de l'intérieur à le faire. Ils peuvent s'en abstenir, s'ils pensent que leur utilisation, dans un cas particulier, est contraire à la Volonté divine, ou s'ils voient qu'empêcher un mal ouvrirait la porte à un mal pire, ou pour toute autre raison valable, mais non en raison d'une quelconque interdiction réglementaire et générale.

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Ce qui est interdit à tous ceux qui ont un fort sens spirituel, c'est d'être un thaumaturge, d'accomplir des choses extraordinaires pour se donner en spectacle, pour l'argent, pour la renommée, par vanité ou par orgueil. Il est interdit d'utiliser ces pouvoirs pour de simples motifs vitaux, pour en faire une ostentation asourique ou pour les transformer en support de l'arrogance, de l'amour-propre, de l'ambition ou de l'une ou l'autre des aimables faiblesses auxquelles la nature humaine est encline. C'est parce que certains yogi encore mal dégrossis tombent si souvent dans ce piège des forces hostiles que l'usage des pouvoirs yoguiques est parfois déconseillé, étant donné qu'ils peuvent nuire à celui qui les utilise.

Mais ce sont surtout les gens qui vivent beaucoup dans le vital qui tombent ainsi; avec un mental calme, fort et libre, et un psychique éveillé et vivant, de telles petitesses n'apparaîtront vraisemblablement pas. Et pour ceux qui peuvent vivre dans la vraie Conscience divine, certains pouvoirs ne sont pas du tout des pouvoirs au sens courant du terme, c'est-à-dire ne sont ni surnaturels, ni anormaux, mais sont plutôt leur manière normale de voir et d'agir, font partie de la conscience - et pourquoi leur serait-il interdit d'agir, ou refuseraient-ils d'agir selon leur conscience et sa nature?

Je suppose que j'ai eu moi-même une éducation encore plus complètement européenne que la vôtre, et je suis passé aussi par une période de négation agnostique, mais dès l'instant où j'ai jeté un regard sur ces choses, je n'ai plus jamais pu prendre l'attitude de doute et d'incrédulité qui a été si longtemps à la mode en Europe. Les expériences et les pouvoirs anormaux, ou supra-physiques, occultes ou yoguiques, m'ont toujours paru parfaitement naturels et crédibles. La conscience, par sa nature même, ne peut être limitée par la conscience humaine animale ordinaire et physique, elle doit avoir d'autres domaines. Les pouvoirs yoguiques ou occultes ne sont pas plus surnaturels ou incroyables que n'est surnaturel ou incroyable le pouvoir d'écrire un grand poème ou de composer une grande musique; peu de gens peuvent le faire, en l'état actuel des choses - pas même un sur un million;

 

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car la poésie et la musique viennent de l'être intérieur, et pour écrire ou composer des œuvres grandes et vraies, le passage doit être libre entre le mental extérieur et quelque chose dans l'être intérieur. C'est pourquoi vous avez acquis le pouvoir poétique dès que vous avez abordé le yoga; la force yoguique a dégagé le passage. Il en est de même de la conscience yoguique et de ses pouvoirs; le problème est de déblayer le passage - car ils sont déjà en vous. Évidemment, la première chose est de croire, d'aspirer, et, avec la vraie impulsion intérieure, de faire l'effort.

 

Jâdou (la magie) est une pratique particulière à laquelle s'adonnent les magiciens professionnels ou ceux qui s'initient à l'art de la magie, mais elle ne fait pas partie du yoga. Ce qui arrive dans le yoga, c'est que parfois - ou même très couramment - certains pouvoirs se développent dans le sâdhak, par lesquels il peut influencer les autres, leur faire faire certaines choses ou produire certains événements à volonté. Ces pouvoirs, et d'autres pouvoirs yoguiques, le sâdhak ne devrait jamais en faire usage à des fins égoïstes ni pour satisfaire ses désirs vitaux. Ils ne peuvent être utilisés, quand ils deviennent une partie de la conscience divine réalisée, que par la Mère elle-même ou sur son ordre, à des fins bénéfiques et non égoïstes. Il n'y a rien de mauvais dans les pouvoirs yoguiques lorsqu'ils viennent naturellement, comme une partie de la nouvelle conscience, et ne sont pas déviés pour une fin personnelle. Par exemple, vous voyez quelque chose en vision ou en rêve, et cela se produit ensuite à l'état de veille. Eh bien, connaître les choses futures est un pouvoir yoguique de prévision, et cela se produit souvent quand la conscience grandit ; il n'y a rien de mal à ce que cela arrive ; c'est une partie de la croissance dans la sâdhanâ. De même pour les autres pouvoirs. Seulement il ne faut pas en être fier, ni s'en vanter, ni en mésuser pour satisfaire ses désirs, son orgueil, pour la puissance ou la satisfaction de l'ego.

 

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Votre vision d'un homme ayant un feu à ses pieds était probablement une vision du Dieu Agni d'où jaillit le feu de la tapasyâ et de la purification dans la sâdhanâ.

Quand la sâdhanâ progresse, on acquiert presque toujours le pouvoir de vision; ce que l'on voit est vrai, si l'on reste dans la conscience juste. Il y a aussi des voix et des expériences fausses. Si certains sont devenus fous, c'est parce qu'ils étaient égoïstes, ont commencé à s'imaginer qu'ils étaient de grands sâdhak et à attacher une importance exagérée à leur propre personne et à leurs expériences; cela leur a donné une conscience fausse, des voix, des visions et des inspirations fausses. Ils leur ont donné tant d'importance qu'ils ont refusé d'écouter la Mère et finalement lui sont devenus hostiles parce qu'elle leur disait qu'ils étaient dans l'erreur et refrénait leurs aberrations. Vos visions et vos expériences sont très vraies et très bonnes, et je vous ai expliqué ce qu'elles signifiaient - des visions et des expériences fausses ont essayé de venir, mais vous les avez rejetées, parce que vous n'y étiez pas attaché et que vous êtes déterminé à poursuivre le vrai but de la sâdhanâ. On ne doit pas s'attacher à ces choses, mais les observer avec simplicité et continuer; alors elles deviennent une aide et ne peuvent pas être un danger.

 

 

La magie noire, c'est l'occultisme des pouvoirs adverses - l'occultisme des Pouvoirs divins est tout différent. L'un se fonde sur l'unité, l'autre sur la division.

 

 

C'est difficile à dire [pourquoi le Christ guérissait les malades] - il semblerait, à ce qu'en dit la Bible, qu'il le faisait pour montrer qu'il était quelqu'un que le Divin avait envoyé avec le pouvoir.  

 

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Vous avez raison. Elle [Mme Blavatsky] était une occultiste, non une personnalité spirituelle. L'enseignement spirituel qu'elle donnait semble avoir reposé sur une connaissance intellectuelle et non sur une réalisation. Son attitude était celle du bouddhisme tibétain. Elle ne croyait pas en Dieu, mais au Nirvana, aux pouvoirs miraculeux et aux Mahatma.

Il est impossible d'accorder un crédit quelconque aux histoires qu'on raconte sur ce Swami... Il a peut-être pratiqué un genre de yoga tantrique et obtenu quelques pouvoirs occultes, mais dans tout ce que vous avez dit de lui et dans ce qui a été imprimé, il n'y a pas la moindre trace de réalisation ou d'expérience spirituelle. Il ne semble penser à rien d'autre qu'aux pouvoirs occultes et aux prouesses de la thaumaturgie, Ceux qui se fondent sur des pouvoirs occultes dissociés des expériences spirituelles n'ont pas atteint un haut niveau de réalisation dans le yoga. Il existe des yogi qui se conduisent comme s'ils n'avaient aucun contrôle d'eux-mêmes - selon leur théorie, ils séparent l'esprit de la nature et vivent dans leur réalisation intérieure, abandonnant la nature à une action désordonnée "comme un enfant, un fou, un pishâtcha ou un objet inerte". D'autres usent délibérément d'un langage grossier ou violent pour tenir les gens à distance ou les éprouver. Mais la crise de rage de ce Swami, telle que vous la racontez, semble avoir été simplement un éclat de fureur dû à un égoïsme offensé. Son jugement sur Ramana Maharshi est aux limites de l'absurde.2 S'il a demandé un ongle, un cheveu, etc., et a offert des vêtements ou une chemise, c'était probablement afin d'établir un lien physique pour projeter une influence occulte sur vous et votre femme, peut-être à l'aide d'un kriyâ tantrique ou magique - au Tibet ces procédés magiques sont bien connus et couramment employés.

 

2. Absurde parce que la grandeur d'un yogi ne se mesure pas à la durée de sa vie ni à son état de santé, mais à l'élévation ou à la profondeur de sa réalisation et de son expérience spirituelle. (Note de Sri Aurobindo)

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Je ne sais pas si je peux jeter une lumière sur les expériences mystiques de Mme X. La description, au moins dans sa dernière partie, n'est pas très facile à suivre, car elle procède la plupart du temps par allusions et n'est pas toujours assez précise pour être claire. La première partie de l'expérience indique un pouvoir de guérison inné, dont elle-même ignore comment il opère. D'après ce qu'elle en dit, ce pouvoir semble venir de quelque chose en elle qui doit être, selon les termes qu'elle emploie, une conscience plus vaste, plus haute, plus lumineuse, plus puissante, avec laquelle elle est de temps en temps en communion, mais dans laquelle elle ne vit pas constamment. Par ailleurs, une autre phrase semble indiquer qu'une Divinité ou une Présence divine lui donne l'ordre de guider .les autres pour que leur conscience puisse grandir. Toutefois elle en parle clairement comme d'un plus grand "je" se tenant derrière une force ayant la couleur d'un diamant bleu. Nous devons donc nous rabattre sur l'idée d'une conscience plus grande située très haut, avec le sentiment de quelque chose de divin, l'impression d'une lumière considérable et d'une autorité spirituelle - peut-être dans l'un de ces plans supérieurs du mental spirituel dont je parle dans La Vie divine et les Lettres. La lumière couleur de diamant bleu pourrait fort bien appartenir à ces plans; elle est généralement blanche, mais là elle pourrait fort bien être bleue; c'est une lumière qui disperse ou chasse tout ce qui est impur, particulièrement la possession démoniaque ou l'influence d'une force mauvaise. De toute évidence, l'utilisateur d'un pouvoir comme celui-ci devrait se garder soigneusement de l'intrusion d'un élément d'erreur comme l'amour personnel du pouvoir, mais il ne faudrait pas que cela donne lieu à une appréhension quelconque, puisqu'un regard pénétrant porté en soi-même suffirait à rejeter cet élément ou à le maintenir à distance. Je pense que c'est tout ce que je peux en dire sur la base des renseignements donnés dans sa lettre.

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Sur le spiritisme, voici ce que je crois pouvoir dire pour le moment. Il est tout à fait possible que les morts (ou plutôt ceux qui sont partis, car ils ne sont pas morts), lorsqu'ils sont encore dans les régions proches de la terre, communiquent avec les vivants; parfois cela se produit automatiquement, parfois par un effort de communication d'un côté ou de l'autre du rideau. Cette communication, par les moyens qu'utilisent les spirites, n'est pas du tout impossible; d'habitude, cependant, les communications authentiques, ou un contact, ne peuvent se produire qu'avec ceux qui sont encore dans un monde où existe une sorte de réplique idéalisée de la conscience terrestre et où persistent une personnalité, des idées, des souvenirs identiques à ceux que la personne avait ici. Mais toutes les prétendues communications avec les âmes des défunts ne sont pas authentiques, notamment quand elles se font par l'intermédiaire d'un médium professionnel rémunéré. Il y a là une énorme part de mélange d'un genre très indésirable - car en plus de la multitude de suggestions inconscientes venant des participants et des apports de la conscience subliminale du médium, on entre en contact avec un monde d'êtres qui est par nature illusoire, très trompeur ou qui incite à se leurrer soi-même. Ces êtres viennent en grand nombre proclamer qu'ils sont les âmes de certains défunts: parents, amis, hommes connus, personnalités célèbres, etc. Il y a aussi des êtres qui recueillent les sentiments et les souvenirs abandonnés par les morts et s'en affublent. Un grand nombre d'êtres viennent à ces séances uniquement pour jouer avec la conscience des hommes ou exercer leurs pouvoirs par ce contact avec la terre, et qui dupent les médiums et les participants par leurs mensonges, leurs tours et leurs illusions. (Je prends évidemment le cas de médiums qui ne sont pas eux-mêmes des escrocs.) Le contact avec l'un de ces plans spirites peut être nuisible (la plupart des médiums deviennent des déséquilibrés nerveux ou moraux) et spirituellement dangereux. Évidemment, toutes les prétendues communications avec les morts célèbres des époques lointaines sont, par leur nature même, trompeuses comme la plupart de

 

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celles qui concernent des célébrités plus récentes - c'est une évidence qui ressort de la nature même de ces communications. On peut, par l'intermédiaire des médiums consciencieux, obtenir des résultats valables (en ce qui concerne les morts), mais ces médiums sont eux-mêmes très ignorants de la nature des forces qu'ils manipulent et n'ont aucune discrimination qui puisse les prémunir contre les supercheries venant de l'autre côté du voile. Ces séances ne peuvent apporter que très peu de connaissance authentique sur la nature de la vie future après la mort; une vraie connaissance est plus souvent acquise par l'expérience des individus qui établissent sérieusement le contact ou sont capables, d'une manière ou d'une autre, de passer la frontière.

 

[Médiums et voyantes] Ils sont pour la plupart en contact avec des mondes du physique vital ou du physique subtil et ne reçoivent absolument rien de plus élevé.

III

Le point de vue adopté par le Mahatma en ces matières est chrétien plutôt qu'hindou - pour le chrétien, s'abaisser, être humble, accepter un état inférieur pour servir l'humanité ou le Divin sont choses hautement spirituelles et le plus noble privilège de l'âme. Cette manière de voir n'admet aucune hiérarchie des castes; le Mahatma admet les castes, mais considère qu'elles sont toutes égales devant le Divin; un Bhangi3 accomplissant son Dharma vaut bien un Brahmine qui accomplit le sien, il y a division entre les fonctions mais non hiérarchie des fonctions. C'est une vision des choses, et la vision hiérarchique en est une autre; toutes deux ont un point de vue et une logique qui leur sont propres et que le mental considère valables en totalité, mais qui ne correspondent qu'à

 

3. Éboueur, balayeur des rues.

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une partie de la réalité. Toutes sortes de travaux sont égaux devant le Divin, et tous les hommes ont en eux le même Brahman: c'est une vérité; mais le fait que tous ne sont pas également développés en est une autre. L'idée qu'un certain pounya spécial est nécessaire pour naître Bhangi est, évidemment, l'une de ces exagérations vigoureuses qui sont familières au Mahatma et impressionnent grandement le mental de ses auditeurs. L'idée derrière cela, est que la fonction du Bhangi rend un service indispensable à la société, tout autant que celle du Brahmine, mais comme elle est déplaisante, il faudrait un héroïsme moral spécial pour la choisir volontairement, et le Mahatma raisonne comme si l'âme la choisissait librement comme un service héroïque, comme la récompense d'actes vertueux - mais c'est peu vraisemblable. Le service de l'éboueur est indispensable dans certaines conditions sociales, c'est l'une de ces nécessités primordiales sans lesquelles la société peut difficilement exister, sans lesquelles le développement culturel dont la vie du Brahmine fait partie n'aurait pu avoir lieu. Il est toutefois évident que le développement culturel a plus de valeur que les services pourvoyant aux besoins physiques pour le progrès de l'humanité, par opposition à sa condition statique première, et ce développement peut même conduire à minimiser et peut-être à faire disparaître entièrement, par les inventions scientifiques, la nécessité de la fonction de l'éboueur. Mais je suppose que le Mahatma n'approuverait pas cette solution, puisqu'elle entraînerait l'utilisation de machines et s'écarterait de la vie simple. Quoi qu'il en soit, il n'est pas vrai que la vie du Bhangi soit supérieure à la vie du Brahmine, et qu'elle soit la récompense d'une vertu spéciale. D'autre part, la conception traditionnelle selon laquelle un homme est supérieur aux autres parce qu'il est né Brahmine n'est ni rationnelle ni justifiable. Un homme spirituel ou cultivé, paria de naissance, est supérieur en valeurs divines à un homme non spirituel et attaché aux choses de ce monde, ou à un Brahmine grossier et non cultivé. La naissance compte, mais la valeur fondamentale réside dans l'homme lui-même, dans l'âme à l'arrière-plan,

 

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et dans la mesure où cette âme se manifeste dans nature.

Le sacrifice a toujours une valeur morale et psychologique. Cette valeur est la même quelle que soit la cause pour laquelle est accompli le sacrifice, pourvu que celui qui le fait croie à la vérité de sa cause, ou à sa justice, ou à toute autre valeur. Si l'on fait le sacrifice pour une cause que l'on sait être mauvaise ou sans valeur, tout dépend du motif et de l'esprit du sacrifice. pour acceptant la mort pour une cause qu'il savait être injuste obéissait à l'appel de la loyauté envers ce qu'il ressentait comme son devoir personnel. Nombreux sont ceux qui l'ont fait dans le passé, et la valeur morale et psychique de leur acte réside, quelle que soit la nature de la cause, dans la noblesse du mobile.

Quant au mot "sacrifice" pris dans un autre sens, l'homme n'en fait aucun lorsqu'il renonce à une chose à laquelle il n'accorde pas de valeur - sauf dans la mesure où il subit une perte, brave l'opinion publique ou risque l'opprobre, ou de quelque manière paie le prix de sa libération. Je puis dire, cependant, que sans être froid et indifférent, un homme peut être saisi par un appel spirituel ou par l'appel d'une grande cause humaine au point que les liens familiaux ou autres ne comptent pour rien à côté, et alors il abandonne tout joyeusement, sans un serrement de cœur, pour suivre la Voix qui le somme de venir.

Dans le sens spirituel, cependant, le mot sacrifice a une signification différente: il désigne moins l'abandon de ce qui est cher qu'une offrande de soi, de son être, de son mental, de son cœur, de sa volonté, de son corps, de sa vie, de ses actions au Divin. Il a le sens étymologique de "rendre sacré" et est employé comme synonyme de yajna. Quand la Guîtâ parle du "sacrifice de la connaissance", cela ne consiste pas à renoncer à quoi que ce soit, mais à orienter le mental vers le Divin pour chercher la connaissance et à s'offrir à travers elle. C'est dans

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ce sens aussi que l'on parle de l'offrande ou du sacrifice des œuvres. La Mère a écrit quelque part que le sacrifice spirituel est par nature joyeux, et non pénible. Sur le sentier spirituel, très couramment, si un chercheur sent encore fortement les liens anciens et les anciennes responsabilités, on ne lui demande pas de les briser ou de les abandonner, mais de laisser l'appel croître en lui jusqu'à ce que tout soit intérieurement prêt. En fait, nombreux sont ceux qui partent plus tôt parce qu'ils sentent que leur seule chance est de trancher les liens, et ceux-là doivent parfois passer par un conflit. Mais la douleur, le conflit ne sont pas le caractère essentiel de cette offrande spirituelle de soi.

Cela signifie simplement que votre sacrifice est toujours mental et n'a pas encore acquis un caractère spirituel. Quand votre être vital consentira à abandonner ses désirs et ses jouissances, quand il s'offrira au Divin, le Yajna aura commencé. Ce que je voulais dire, c'est que le sens européen du mot n'est ni celui du mot "Yajna" ni le sens du mot "sacrifice" dans certaines expressions comme "le sacrifice des œuvres". Il ne signifie pas que vous devez abandonner toutes les œuvres pour le Divin - car alors il n'y aurait pas de sacrifice des œuvres du tout. De même le sacrifice de la connaissance ne signifie pas que vous devez, à grand'peine et résolument, devenir parfaitement idiot pour le Seigneur. Le sacrifice est une offrande intérieure au Divin et le vrai sacrifice spirituel est très joyeux. Autrement, on ne fait qu'essayer de se rendre apte au sacrifice et on n'a pas encore commencé le vrai Yajna. C'est parce que votre mental lutte avec votre vital, animal récalcitrant, et lui demande de se laisser immoler, qu'il y a douleur et conflit. Si la volonté spirituelle (ou psychique) était davantage au premier plan, vous ne vous lamenteriez pas sur la perte du ghee4 du beurre et du fromage jetés dans le Feu, vous n'essaieriez pas d'en avoir une dernière lichée avant de

4. Beurre clarifié (de vache ou de bufflonne).

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les répandre. La seule difficulté serait de faire descendre les dieux assez complètement (labeur progressif), non de regretter le ghee. En passant, croyez-vous que la Mère ou moi-même, ou d'autres, qui avons adopté la vie spirituelle n'aimions pas la vie, et que c'est pour cette raison que la Mère peut dire que la joie du sacrifice au Divin est le véritable esprit du sacrifice spirituel? Ou croyez-vous que nous avons passé les premiers stades à regretter les oignons d'Egypte, et que c'est seulement plus tard que nous avons senti la joie du sacrifice spirituel? Évidemment non: nous, et bien d'autres, n'avons eu aucune difficulté à abandonner tout ce que nous jugions nécessaire d'abandonner, et aucune nostalgie ensuite. Votre règle est, comme d'habitude, une règle rigide qui ne s'applique pas du tout généralement.

 

Le sacrifice dépend de l'attitude intérieure. Si l'on n'a rien d'extérieur à sacrifier, on peut toujours se donner soi-même.

 

Il n'y a rien de noble dans le fanatisme - le motif n'est pas noble, bien qu'il puisse contenir un ardent enthousiasme. Le fanatisme religieux est, psychologiquement, de basse origine et ignorant - et habituellement, dans son action, il est féroce, cruel et bas. L'ardeur religieuse comme celle du martyr qui ne sacrifie que lui-même est différente.

IV

La guerre a été presque continuelle dans le monde - comme dans l'histoire de la République romaine où les portes du temple de Janus n'ont été fermées qu'une ou deux fois au cours des nombreux siècles de son existence, signe que la République était en paix avec le monde entier. Dans les temps

 

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modernes, il y a eu de longs intervalles de paix entre de longues guerres, mais de petites guerres se poursuivaient généralement ici ou là. L'homme est un animal querelleur et batailleur, et tant qu'il sera ainsi comment la paix pourrait-elle régner?

 

La guerre et la conquête font partie de l'économie de la Nature vitale, et il est inutile de blâmer tel ou tel peuple parce qu'il s'y livre - tous en font autant quand ils en ont le pouvoir et l'occasion. La Chine, qui se plaint maintenant, a été un pays impérialiste et colonialiste pendant des siècles, alors qu'à l'époque le Japon se tenait religieusement à l'intérieur de ses frontières... Si la guerre n'était pas profitable, je suppose que personne ne la ferait. L'Angleterre a fait fortune en pillant les richesses de l'Inde, la France dépend pour beaucoup de ses colonies d'Afrique. Le Japon a besoin d'un débouché pour sa population surabondante et de marchés économiques sûrs à proximité. Chaque pays est poussé par des forces qui utilisent le mental des gouvernants et des peuples pour s'accomplir; à moins que la nature humaine ne change, ce n'est pas en prêchant la morale qu'on l'empêchera.

Je préférerais éviter toute controverse publique, surtout si elle touche le moins du monde à la politique. Les théories de Gandhi sont, comme d'autres théories mentales, bâties sur un raisonnement unilatéral, et elles revendiquent pour une vérité limitée (non-violence et résistance passive) une universalité qu'elle ne peut avoir. Des théories comme celle-ci, il en existera tant que le mental sera l'instrument principal des humains dans leur recherche de la vérité. Dépenser de l'énergie pour essayer de les détruire est de peu d'utilité; si elles sont détruites, elles sont remplacées par d'autres tout aussi limitées et partielles.

 

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Rien de nouveau dans l'impérialisme - il est aussi vieux que le vital humain; à aucune époque, dans l'histoire connue de l'homme, il n'a cessé d'exister. Pour en sortir, il faudrait changer la nature humaine ou au moins la refréner par un pouvoir supérieur. Notre travail n'est pas de combattre tout cela, mais de faire descendre une nature supérieure et une création-de-Vérité qui feront de la Lumière et du Pouvoir spirituels la force principale dans l'existence terrestre.

 

Il y une vérité dans l'Ahimsâ, il y a une vérité dans la destruction aussi. Je n'enseigne pas que vous devriez prendre pour dharma spirituel de tuer tout le monde chaque jour. Je dis que la destruction peut être accomplie, quand elle fait partie du travail divin, ordonné par le Divin. La non-violence est meilleure que la violence en règle générale, et pourtant quelquefois la violence peut être la chose à faire. Je considère que le dharma est relatif, et que l'unité avec le Divin et l'action venant de la Volonté divine est la voie la plus haute. Bouddha n'avait pas pour but l'action dans le monde, mais la cessation de l'existence dans le monde. Pour cela, il a trouvé que l'Octuple Sentier était une discipline préparatoire nécessaire, et c'est ce qu'il a proclamé.

Cela [l'Ahimsâ] n'a rien à voir avec le yoga, mais concerne le sentier vers la libération découvert par Bouddha. Les sentiers sont nombreux, et il n'y a pas de raison que tous les instructeurs propagent un seul et même enseignement.

[À propos de la vivisection:] J'ai envie de m'échapper de l'arène ou de me réfugier dans la formule habituelle et salvatrice: "II y a beaucoup à dire pour et contre." Votre opinion est sans aucun doute correcte du point de vue du bon sens ou de ce qu'on pourrait appeler le point de vue "humanitaire". Selon Krishnaprem, nous devons non seulement tenir

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compte du bien temporaire pour l'humanité, mais aussi de certaines lois intérieures. Il pense que le mal. la violence, ou la cruauté envers d'autres êtres n'est pas compensée, ne peut pas être justifiée par un certain bien physique s'adressant à une section de l'humanité ou même à l'humanité tout entière; de telles méthodes provoquent, selon lui, une sorte de réaction karmique, sans compter le mal moral qu'elles infligent aux hommes qui les pratiquent. Il est aussi d'avis que la cause de la maladie est psychique, c'est-à-dire subjective, et que la recherche doit se diriger ver la guérison des causes intérieures plutôt que vers un ravaudage par des moyens physiques. Ces idées contiennent aussi leur vérité. Je reconnais pleinement la loi psychique et ses méthodes, et le fait que celles-ci sont préférables, mais le commun des mortels n'est pas prêt pour cela, et tant qu'il en sera ainsi, les médecins et leurs méthodes physiques persisteront. J'ai aussi soutenu la légitimité de la violence dans les cas où elle se justifie, comme Kouroukshétra et la guerre contre Hitler et tout ce qu'il représente. La question est donc, de ce point de vue mitigé, de savoir si, dans l'immédiat, la violence est légitime, et si l'occasion la justifie. Je me récuse.

 

La destruction n'est, en elle-même, ni bonne ni mauvaise. C'est un fait de la Nature, une nécessité dans le jeu des forces, les choses étant ce qu'elles sont dans le monde. La lumière détruit l'Ombre et les Pouvoirs de l'Ombre, et ce n'est certes pas un mouvement de l'Ignorance!

Tout dépend de la nature de la destruction et des forces qui y interviennent. Toute peur du feu ou d'autres forces violentes doit être surmontée. Car la peur indique une faiblesse - l'esprit libre peut se tenir sans peur devant les forces de la Nature, même les plus grandes.

 

 

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Pourquoi les tremblements de terre seraient-ils la conséquence des mouvements faux de l'homme? Quand l'homme n'existait pas, n'y avait-il pas de tremblements de terre? Si l'homme était exterminé - par des gaz toxiques ou autrement - cesseraient-ils de se produire? Les tremblements de terre sont des perturbations de la Nature dues à une pression de forces; la fréquence des tremblements de terre peut coïncider avec de violents bouleversements dans la vie de l'humanité, mais les bouleversements de la terre et ceux de la vie humaine sont, les uns comme les autres, des conséquences d'un conflit général ou d'une pression générale des forces, les uns ne sont pas la cause des autres.

Cela paraît très sot, ces jeûnes - comme s'ils pouvaient changer quoi que ce soit. Le jeûne peut tout au plus affecter l'état du jeûneur, mais comment pourrait-il "racheter" les actions des autres ou changer leur nature?

Ce monde a émergé de l'Inconscience; elles [la pauvreté et la misère] sont des conséquences du fonctionnement imparfait du mental humain qui, étant né dans la vie et dans la matière ignorantes, doit apprendre par l'effort et l'expérience. Il faut que l'ignorance et l'ego soient dépassés pour que les ressources de la Nature trouvent une utilisation conforme à la Vérité.

V 

Il se peut que la notion de temps soit une construction mentale, mais le sens du temps ne l'est peut-être pas. Les primitifs ont la notion du temps, mais en rapport avec le soleil, les étoiles et l'alternance des jours et des nuits, le déroulement des saisons; ce n'est peut-être pas une construction distincte -

 

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mais ce n'est pas sûr, car ils ont des conceptions métaphysiques qui leur sont propres. Je ne pense pas que la conscience des animaux soit aussi bornée que vous le dites - ils ont non seulement des sensations, mais une mémoire aiguë de certaines choses, un don d'observation, des associations d'idées claires, une intelligence qui élabore des plans, un sens très exact des lieux et la mémoire des lieux, un pouvoir de raisonnement primaire (non par la réflexion comme le mental humain, mais pratiquement, comme n'importe quel mental vital). J'ai vu un petit chat observer, parvenir à une conclusion correcte, entreprendre ce qui était nécessaire pour atteindre son but, nécessité imposée par cette conclusion, tout comme le ferait un enfant humain. Nous ne pouvons pas dire par conséquent que les animaux n'ont pas d'idées. Peut-être n'ont-ils pas la conception claire d'hier et de demain, mais ils ont la perception des besoins passés et futurs, et aussi de l'heure et des saisons - tout cela vitalement, pratiquement, non mentalement réfléchi à la manière humaine.

Mais il est vrai que lorsqu'on va au-delà du mental, ce sens du temps disparaît pour faire place à un éternel présent..

 

[Sens du temps chez les animaux] Un sens du temps très fort - au moins chez certains d'entre eux - mais qui ordinairement n'agit qu'en fonction de désirs ou d'habitudes marquées: nourriture, par exemple.

Sans aucun doute, la conscience physique de la mesure du temps appartient principalement à l'état de veille, mais elle peut être subliminale et en même temps appartenir à la conscience mentale de veille. Par exemple, le soir, on a la volonté de se lever le lendemain matin à une heure donnée, et on s'éveille à l'heure et à la minute exacte - c'est quelque

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chose dans l'être subliminal qui a enregistré l'heure et a exécuté l'ordre avec vigilance.

 

C'est le changement dans la conscience. Quand on commence à sentir l'être intérieur et à vivre en lui (c'est le résultat de l'expérience de la paix et du silence), le sens ordinaire du temps disparaît ou devient purement extérieur.

Pour l'Intuition, le temps est une extension de la conscience où les événements sont rangés; il n'a pas la même rigidité que pour l'intellect.

 

Vous avez raison. Le présent est une convention, ou seulement un mouvement constant qui sort du passé pour entrer dans l'avenir.

 

VI

 

Le mot "grandeur" désigne une capacité exceptionnelle d'un genre ou d'un autre, qui rend un homme éminent parmi ses semblables.

 

Cette sorte de grandeur n'a rien à voir avec le psychique. Elle consiste en une capacité mentale particulière (Raman, Tagore) ou en une grande force vitale qui leur permet de conduire les hommes et de les dominer. Souvent - mais pas toujours - ces facultés sont accompagnées, dans la personnalité, de quelque chose de daïvique ou d'asourique qui soutient leur action et

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donne aux hommes une impression de grandeur, même en dehors de leur capacité spéciale - le sentiment d'une grande personnalité.

 

Les gens se sont mis à essayer de prouver que les grands hommes n'étaient pas grands, ce qui est une erreur très grave. Si les hommes n'accordent plus de valeur à la grandeur, le monde deviendra mesquin, étriqué, terne, étroit et tamasique.

C'est évident, la grandeur extérieure n'est pas le but du yoga. Mais ce n'est pas une raison pour ne pas reconnaître le rôle joué par la grandeur dans l'ordre de l'univers, ou la place des grands hommes d'action, des grands poètes, des grands artistes, etc.

 

C'est le pouvoir en eux [les grands hommes] qui est grand, et ce pouvoir vient du Divin - par leurs actions et leur grandeur, ils aident le monde et contribuent au dessein cosmique. Peu importe qu'ils aient de l'ego ou non - ils ne pratiquent pas le yoga.

 

Je ne pense pas qu'on puisse dire que Napoléon avait peu d'ego - il était excessivement égocentrique. Il s'était proclamé lui-même dictateur en Brumaire, et il aurait toujours dû agir en dictateur; mais il ressentait le besoin d'un soutien, et il a commis l'erreur de le chercher dans la voie démocratique, voie pour laquelle il n'était pas du tout fait. Il avait les capacités d'un souverain, non d'un politicien; en tant que politicien, il aurait complètement échoué. Ses hésitations

 

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étaient dues à ce défaut - si on peut l'appeler ainsi. Il n'aurait pas su comment s'y prendre avec des partis ou une assemblée parlementaire.

 

Pourquoi le Divin ne s'intéresserait-il pas à la grandeur extérieure? Il s'intéresse à tout dans l'univers. Toute grandeur est la Vibhoûti du Divin, dit la Guîtâ.

 

Les grands de ce monde ne sont pas les seuls à avoir de l'importance pour le Divin - toute énergie, forte capacité, pouvoir de réalisation a de l'importance.

Quant à Napoléon, César et Shakespeare, pas un seul n'était vertueux, mais c'étaient de grands hommes; vous soutenez que seuls les hommes vertueux sont grands et que ceux qui ont des vices ne le sont pas, ce qui est absurde. Tous couraient après les femmes; deux d'entre eux étaient des ambitieux sans scrupule; Napoléon était très arrogant et très violent.

Shakespeare braconnait. Napoléon mentait couramment, César était sans scrupule.

 

Êtes-vous capable de juger de ce qui aidera ou n'aidera pas le travail de Dieu? Vous semblez avoir des conceptions très élémentaires sur ces sujets. Comment concevez-vous la divinisation? S'agit-il d'être un homme vertueux, un bon mari, un bon fils, un bon père, un bon citoyen? Dans ce cas, je dois être non-divin - car je n'ai jamais été rien de tout cela. Des hommes comme X ou Y seraient alors de Grands Hommes Divins Transformés.

 

 

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Mais croyez-vous vraiment que des hommes comme Napoléon, César, Shakespeare, n'étaient pas de grands hommes et n'ont rien fait pour le monde ou pour le dessein cosmique? que les défauts de leur caractère et leurs vices ont empêché Dieu de les utiliser à Ses fins? Quelle idée absurde!

 

Pourquoi le Divin se préoccuperait-il des vices des grands hommes? Est-il un gendarme? Tant que l'on est dans la nature ordinaire, on a des capacités et des défauts, des vertus et des vices. Quand on va au-delà, il n'y a ni vertus ni vices - car ces choses n'appartiennent pas à la Nature divine.

 

Le vice et la vertu n'ont rien à voir avec l'obscurité et la lumière, la vérité et le mensonge. L'homme spirituel s'élève au-dessus du vice et de la vertu, il ne s'élève pas au-dessus de la vérité et de la lumière, à moins que par vérité et lumière vous n'entendiez vérité humaine et lumière mentale. Celles-ci doivent être transcendées, comme doivent être transcendés le vice et la vertu.

Les vices sont simplement un débordement d'énergie hors de canaux non régularisés.

 

Les grands hommes ont davantage d'énergie (mentale, vitale, physique, toutes sortes d'énergies) et l'énergie s'exprime dans ce que les hommes appellent vices, autant que dans ce que les hommes appellent vertus.

 

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Les hommes doués de grandes capacités, ou d'un mental¦ puissant, ou d'un vital puissant, ont très souvent des imperfections de caractère plus flagrantes que les hommes ordinaires, ou du moins les défauts de ceux-ci apparaissent moins, puisqu'ils sont, comme eux, de moindre envergure

 

Oui, certainement. Beaucoup de grands hommes ont même souvent des vices très grands et nombreux. Les grands hommes ne sont pas habituellement des personnages modèles.

Que les hommes soient grands, éblouissants ou petits dans leur domaine, l'ambition est l'ambition et elle est nécessaire à la plupart d'entre eux pour que leur action soit énergique. À quoi bon appeler une chose vice quand elle est petite, et la glorifier quand elle est grande?

 

Quand il y a une grande part de vanité, elle agit habituellement ainsi. Un homme sent l'énergie dans tout ce qu'il fait, et la prend à tort pour un grand talent. C'est une erreur courante. Le grand talent ne s'exerce que dans un ou deux domaines.

C'est de la vanité, mais ce n'est pas du charlatanisme, à moins qu'il n'y croie pas. S'il n'y croit pas, c'est du charlatanisme, mais pas de la vanité.

 

La plupart des grands hommes savent parfaitement qu'ils sont grands.

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VII

[Ce que cherchent les animaux:] La satisfaction de leurs émotions, de leurs désirs et des besoins de leur corps, principalement. Les animaux sont, de façon prédominante, la création vitale sur terre; le mental en eux est aussi un mental vital, ils agissent selon l'impulsion des forces et ont une volonté vitale, mais non une volonté mentale.

Même l'animal est, plus que l'homme, en contact avec une certaine harmonie dans les choses. La seule supériorité de l'homme est une conscience plus complexe et des facultés plus diversifiées (mais terriblement perverties et distordues par un mauvais usage du Mental) et la capacité (encore peu utilisée) d'aller vers des choses plus hautes.

La vie et le mental de l'homme ne sont en accord ni avec la Nature comme les animaux, ni avec l'Esprit - ils sont troubles, incohérents, en conflit avec eux-mêmes, sans harmonie, sans équilibre. Nous pouvons donc les considérer comme malades, sinon comme en eux-mêmes une maladie.

 

Les plantes sont très psychiques, mais elles ne peuvent exprimer cela que par le silence et la beauté.

 

[La beauté d'une fleur:] Forme, couleur, parfum et, en plus, quelque chose d'indéfinissable.

 

 

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La rose n'est pas la seule fleur qui soit belle, il y en a des centaines d'autres; la plupart des fleurs sont belles.

Il y a des degrés et des genres de beauté, c'est tout.

La rosé est parmi les plus belles par la richesse de ses couleurs, la suave intensité de son parfum et la grâce, la magnificence de sa forme.

 

Il est vrai que le monde des plantes - et même celui des animaux, si on le considère de la bonne manière - peut être bien meilleur que celui des êtres humains. C'est la déformation mentale qui rend les hommes pires.

Oui, la conscience de l'animal est plus simple et plus honnête. Évidemment, il attend quelque chose, mais même s'il ne reçoit rien, l'affection demeure. Beaucoup d'animaux, même s'ils sont maltraités, "ne perdent pas leur amour, ce qui est le signe d'un remarquable développement psychique dans le vital.

 

L'être émotif des animaux est souvent beaucoup plus psychique que celui de l'homme qui peut être très insensible. On a vu récemment des photographies d'une tigresse apprivoisée qui avait vécu dans une famille et a ensuite été donnée à un zoo. L'expression de tristesse sur le visage de la tigresse dans sa cage, à la fois douce et tragiquement poignante, est d'une intensité à briser le cœur.

La plupart des animaux n'attaquent pas habituellement, à moins qu'ils ne soient menacés, ou effrayés, ou irrités d'une

 

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manière ou d'une autre - et ils peuvent sentir l'atmosphère des gens.

Les chats ont une perception vitale très sûre.

Il y a des gens qui peuvent remuer les oreilles sans faire aucun yoga ni recourir à la Koundalinî. Je suppose que c'est simplement un mouvement que l'homme a perdu par désuétude, n'ayant pas. comme les animaux, à dresser les oreilles à tout moment pour écouter les bruits qui peuvent signaler un danger. Il pourrait sans doute raviver cette faculté en cas de besoin.

[Responsabilité de la souffrance] Pourquoi incomberait-elle à l'homme? Et les animaux? ils souffrent aussi. Vous pouvez dire que la souffrance est une déformation de la conscience inférieure, mais vous ne pouvez pas en rendre l'homme ou la nature humaine seuls responsables.

 

Oui - observer les animaux avec la perception juste de leur conscience aide à sortir des limitations mentales humaines et à voir la Conscience cosmique sur terre s'individualisant dans toutes les formes-plante, animal, homme, et croissant vers ce qui est au-delà de l'homme.

 

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VIII

Je ne sache pas que les personnalités hautement évoluées n'aient pas le sens de l'humour, et je ne vois pas comment on peut dire qu'une personne est intégrée quand ce sens lui manque. "Laisser-aller" s'applique seulement à une légèreté frivole et sans substance. Aucune loi n'oblige la sagesse à être quelque chose de rigidement solennel, sans un sourire.

Le sens de l'humour? C'est le sel de l'existence. Sans lui, le monde aurait complètement perdu l'équilibre - il est déjà assez déséquilibré - et il serait allé au diable depuis longtemps.

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GLOSSAIRE

Dans ce volume, l'orthographe des mots sanskrits, et de ceux des autres langues indiennes, suit un principe de translittération qui rend leur lecture plus facile pour le lecteur de langue française auquel sont étrangères les lois couramment proposées.

Pour les consonnes, le principe est le suivant: en début de mot, le ch a la valeur du ch anglais (tch), Chit se prononce Tchit; le j a de même en début de mot la valeur du j anglais (dj), jîva se prononce djîva; le s est toujours dur, asoura se prononce assoura, rasa se prononce rassa. Toutes les consonnes, redoublées ou non, se prononcent fortement; et le h est toujours aspiré, qu'il soit placé au début, au milieu ou à la fin d'un mot, ou encore après une autre consonne. Ainsi, dans Bouddha, le d et le dh se prononcent-ils distinctement.

Pour les voyelles, il faut noter que le e est toujours fermé (é), même suivi d'une valeur consonantique qui, en français, en ferait un è ouvert; Maheshwarî, par exemple, se prononce Mahé-shwarî. Le o est toujours long et fermé (ô), même suivi d'une valeur consonantique qui, en français, en ferait un o ouvert; ainsi Pouroushottama se prononce Pouroushôttâma. Le a, selon qu'il est accentué (à) ou non (a), se prononce comme un a long (Maya) ou comme le e français; sâdhanâ se prononce donc sâdhenâ. Le i accentué (î), ainsi que le où indiquent les autres syllabes longues: lîlâ, vibhoûti.

Les genres indiqués correspondent à l'usage français, non au sanskrit qui comporte un neutre.

Enfin, les règles du pluriel sanskrit étant complexes, la pratique suivante a été adoptée: tout mot sanskrit figurant dans une phrase française reste invariable au pluriel.

 

abhimân (n.m.): en sanskrit, orgueil; dans les langues modernes, comme c'est le cas dans ce volume, amour déçu, amour-propre blessé.

âdhâr (n.m.): un vase, un support; la combinaison du mental, de la vie et du corps considérée comme un réceptacle de la conscience et de la force spirituelles.

adhikâra (n.m.): capacité; ce qui dans le pouvoir intrinsèque d'un

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individu, détermine par ses caractéristiques son aptitude à telle ou telle voie de yoga.

adho gacchanti: Ils descendent (Guîtâ 14.18).

adwaïta (n.m.): le monisme; litt., non-dualité.

Âdyâ Shakti (n.f.): litt., "l'Énergie primordiale"; la Mère transcendante.

ahambhâva (n.m.): l'état où l'on est "je".

ahamkâra (n.m.): sens de l'ego, égoïsme; c'est, dans la bouddhi, le principe subjectif qui incite le Pourousha à s'identifier à la Prakriti et à ses activités.

ahimsâ (n.f.): non-violence.

âjnâ chakra (n.m.): le centre de la volonté (v. chakra).

akshara (adj. et n.m.): immuable; l'Immuable.

Amitâbha [Bouddha}: dans la légende bouddhiste, "le Bouddha à la splendeur sans mesure", celui qui, sur le point de passer le seuil du nirvana, se détourne et fait le vœu de ne jamais le passer tant qu'un seul être restera dans la douleur et l'ignorance.

amshah sanâtanah: une parcelle éternelle (Guîtâ, 15.7).

anâhata (n.m.): le centre du cœur (v. chakra).

Ânanda (n.m.): la félicité, la béatitude divine ou spirituelle.

ânandamayî (adj. f.): extatique.

annamaya pourousha (n.m.): l'être physique conscient; l'être matériel.

antah-karana (n.m.): l'instrument intérieur; le mental; le mental et le vital, par opposition au corps.

antarâtman (n.m.): le moi intérieur.

aparâ prakriti (n.f.): la nature inférieure, la nature dans la manifestation inférieure de l'Ignorance.

aparârdha (n.m.): la moitié inférieure (de l'existence du monde); l'hémisphère inférieur.

Arya: Revue philosophique dirigée par Sri Aurobindo dans les années 1916-1921.

asoura (n.m.): être hostile appartenant au vital mentalisé. De ce nom dérive un adjectif, asourique: qui a la qualité de l'asoura, ou qui appartient à l'asoura.

âtman ou âtmâ (n.m.): le Moi ou Esprit sous ses deux aspects: suprême, paramâtman; individuel, jîvâtman.

âtmaratih (n.f.): le plaisir inhérent au Moi.

Avatar (n.m.): littéralement, "descente"; la descente du Divin dans une forme humaine.

 

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avidyâ (n.f.): le principe cosmique de l'Ignorance.

avyakta (adj.): non manifesté.

avyavahârya (adj.): incommunicable, sans relation.

 

bahoûni (adj.): nombreux.

bhakta (n.m.): celui qui suit le chemin de la dévotion.

bhakti (n.f.): dévotion, adoration, amour pour le Divin (bien que généralement traduit par dévotion, le sens est beaucoup plus proche d'"amour pour le Divin" que d'attachement à la religion et aux pratiques religieuses).

bhangi (hindi): éboueur, balayeur des rues.

bhâva (n.m.): état d'être ou devenir subjectif, nature intérieure, tempérament, manière d'être.

bhoûta (n.m.): être, créature; étymologiquement, devenir objectif (alors que bhâva est un devenir subjectif).

Brahman (n.m.): la suprême Réalité spirituelle.

Brahmânda: l'univers sous l'aspect de l'"œuf de Brahmâ".

Brindâvan. v. Vrindâvan.

bouddhi (n.f.): intelligence, raison, entendement, pensée rationnelle, compréhension.

 

chaïtya pourousha (n.m.): l'être psychique, l'âme.

chakra (n.m.): un centre, un plexus; centre de conscience dans le corps subtil. On en compte habituellement sept:

moûlâdhâra, le centre à la base de l'épine dorsale;

swâdhishthâna, le centre abdominal;

manipoura ou nâbhipadma, le centre ombilical;

anâhata ou hritpadma, le centre du cœur;

vishouddha, le centre de la gorge;

âjnâ, le centre entre les sourcils;

sahasrâra ou sahasradala, le lotus aux mille pétales, au-dessus de la tête.

Chit (n.f.): conscience.

chitta (n.m.): substance mentale, substance de la pensée.

chittavritti (n.f.): vagues de conscience, vagues de réaction qui s'élèvent de chitta; les activités multiples de la conscience (pensées, souvenirs, désirs, sensations, perceptions, sentiments).

 

daîva (n.m.): destin, influence d'un Pouvoir ou de pouvoirs autres

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que le facteur humain, autres que le mécanisme visible de la Nature.

déva (n.m.) ou dévala (n.f.): dieu, déité; dévi (n.f.): déesse.

dévayâna (n.m.): voyage des dieux ou vers les dieux.

dharma (n.m.): étymologiquement, "ce dont on peut se saisir et qui maintient les choses ensemble", donc la loi, la norme, la règle naturelle, la règle de conduite et de vie, le devoir.

dwaïta (n.m.): le dualisme.

dwaïtâdwaïta (n.m.): le monisme dualiste.

 

ékam sat bahoudhâ: l'existence est une... diversement.

 

Gandharva (n.m.): musiciens des Dieux.

Gokoul (n.m.): le village où vivait Krishna enfant.

goloka (n.m.): monde d'amour, de beauté et d'ânanda, plein de rayonnement spirituel; le paradis vishnouïte d'éternelle beauté et de béatitude sans fin.

gopa (n.m.), gopi (n.f.): vacher, vachère, gardiens et possesseurs de Goloka.

gouna (n.m.): mode de la Nature (Prakriti). Il y en a trois:

tamas, le principe de l'ignorance et de l'inertie;

radjas, le principe du mouvement, de l'effort et de la passion:

sattwa, le principe de l'équilibre et de la lumière. De ces noms, dérivent trois adjectifs: tamasique, radjasique, sattwique.

gourou (n.m.): guide, instructeur spirituel.

 

hiranmaya pâtra (n.m.): le couvercle d'or (Îsha Oupanishad, 15).

hiranyagarbha (n.m.): l'Embryon d'or; l'Esprit dans l'état de rêve.

hridayé gouhâyâm: dans le cœur; la caverne secrète du cœur.

hritpadma (n.m.): le centre du cœur (v. chakra).

Hrishikesha: le Seigneur des Sens (l'un des noms de Krishna).

 

Ishta Dévatâ (n.f.): la divinité choisie; le nom et la forme choisie par notre nature pour sa dévotion; personnalité consciente du Divin qui répond aux besoins de la personnalité particulière du chercheur.

Îshwara (n.m.): le Seigneur.

îshwarakoti (n.m.): homme divin; humain dont l'être central a été élevé, ou était dès le début élevé dans les plans supérieurs de

 

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l'existence consciente, était établi en Dieu plus qu'en la Nature; en se fondant en Dieu, il ne perd pas le contact avec le monde humain.

 

jada prakriti (n.f.): la Nature inerte.

jâdou (hindi) (n.m.): magie.

jîva (n.m.): l'âme individuelle ou conscience individuelle vraie.

jîvanmoukta (n.m.): être humain qui a atteint la libération durant sa vie.

jîvâtman (n.m.): âtman se manifestant comme jîva', dans le Védânta, jîva et jîvâtman sont pratiquement synonymes.

jîvakoti: être humain réalisé qui ne peut plus revenir à l'humanité.

jnâna (n.m.): connaissance.

jnâni (n.m.): celui qui a la connaissance, le sage.

 

kali youga: l'âge de fer.

kâma (n.m.): désir, satisfaction des désirs.

karana (n.m.): instrument.

kârana pourousha (n.m.): Personne causale.

karma (n.m.): l'action, les œuvres; le principe de causalité qui détermine la nature des vies successives de l'âme; la force résultant des actions accomplies dans le passé, surtout dans les vies antérieures. Adj.: karmique.

koundalinî (n.f.): lovée à la base de la colonne vertébrale, dans le corps subtil, c'est l'Énergie divine en l'homme. Son éveil, recherché dans les yoga traditionnels, entraîne l'ouverture des différents centres (chakra) de conscience jusqu'au plus élevé, situé au-dessus de la tête, là où l'individu s'unit au Divin.

koûtastha (n. et adj. m.): "celui qui se tient au sommet"; le Moi dans la conscience supracosmique.

kriyâ (n.f.): toute pratique qui aide à acquérir une plus grande connaissance.

kshara pourousha (adj. et n.m.): le pourousha mouvant, soumis au changement.

kshatriya (n.m.): membre de la deuxième des castes ou classes de la société brahmanique ancienne, celle des princes et des guerriers.

 

laya (n.m.): la dissolution de l'être individuel, sa fusion dans l'unique Existence.

 

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lîlâ (n.f.): jeu; la création en tant que "jeu" de la conscience divine dans l'univers.

 

madhyamâ (adj. f.): moyenne.

Mahâbhârata: littéralement "la grande Inde"; épopée de Vyâsa centrée autour du conflit fratricide qui opposa deux clans, les Pândava et les Kaourava, ainsi que leurs alliés, et marqua la fin d'un monde. Krishna était à la tête d'un des clans. C'est dans le Mahâbhârata qu'il eut, sur le champ de bataille de Kouroukshétra, un dialogue initiatique avec Ardjouna: la Bhagavad-Guîtâ. (Il est l'ami d'Ardjouna et le conducteur de son char.)

mahas (n.m.): "le Vaste"; le monde immense; le monde de Vérité; le supramental.

Mahâshakti (n.f.): la suprême Shakti (Énergie), la Mère universelle.

mahat (n.m.): dans la philosophie du Sâmkhya, vaste principe cosmique de Force; matrice essentielle et originelle de conscience (involuée, non évoluée) dans Prakriti, d'où sortent l'individualité et la formation.

mahatma (n.m.): grande âme.

manah-prâna (n.m.): mental et vital.

manas (n.m.): le mental sensoriel, qui synthétise les sensations et les transforme en perceptions; distinct de bouddhi, intelligence et raison.

manipoura (n.m.): centre ombilical (v. chakra).

manomaya (adj.): mental.

montra (n.m.): syllabe ou nom sacré, ou formule mystique possédant un pouvoir de réalisation.

mâtrikâ (n.f.): émanation de la Mère.

maya (n.f.): dans la langue des Véda, la Connaissance créatrice; par la suite, le Pouvoir d'Illusion, le monde manifesté étant alors considéré comme une irrémédiable illusion dont il faut se défaire en s'immergeant dans l'unique Réalité transcendante.

mâyâvâdin (n.m.): celui qui professe la doctrine de l'illusion.

mithyâ (mot invar.): mensonge.

moha (n.m.): illusion, tromperie envers soi-même.

moksha (n.m.): libération de l'ignorance, de l'illusion (maya), elle entraîne la libération du cycle des naissances et des morts.

moukti (n.f.): libération hors de l'Ignorance et de l'Illusion.

moûlâdhâra (n.m.): à la base de l'épine dorsale, dans le corps subtil, le centre de la conscience physique (v. chakra).

 

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nâbhipadma (n.m.): centre ombilical (v. chakra).

nâvamivâmbhasi: comme un navire sur la mer (Guîtâ, 2.67).

nétâ (n.f.): guide, conducteur.

nirâpadasthâna (n.m.): refuge sûr.

nirgouna (adj. et n.m.): sans (nir) attributs (gouna); l'Impersonnel.

nirgouno gounî: le Qualifié sans qualités; le Personnel Impersonnel.

nirvana (n.m.): "extinction" du moi personnel (sens étym.), immersion du moi personnel dans l'Existence infinie.

 

Oupanishad (n.f.): ensemble de brefs textes sacrés qui font suite au Véda, dont ils diffèrent par leur caractère métaphysique (alors que le Véda est composé d'hymnes). Les premières Oupanishad datent du VIIIe au VIe siècle avant J.-C.

outkata karma (n.m.): certains effets puissants des actions passées qui ne peuvent être modifiés.

 

pandit (n.m.): érudit.

Pani (n.m.): voleurs des vaches, dans les Véda.

pâpa (n.m.): péché.

para (adj): supérieur, suprême; forme beaucoup de mots composés (féminin: para).

paramâtman (n.m.): le Moi ou Esprit suprême, l'Absolu.

parameshwara (n.m.): le Suprême en tant que Seigneur et Maître de l'univers.

parâprakriti (n.f.): la Nature suprême.

parâprakritirjîvabhoûtâ: la Nature supérieure qui est devenue les moi individuels.

parârdha (n.m.): la moitié supérieure (de l'existence du monde); l'hémisphère supérieur.

parâtparam (n.m.): le Suprême au-delà du Suprême.

pashyantî (adj. f.): qui voit, qui a la vision.

Pâtâla (n.m.): monde de l'illusion ou de l'ombre, subconscient.

pishâtcha (n.m.): démon appartenant au vital inférieur.

pitri (n.m.pi.): traduit généralement par ancêtres; désigne proprement les mânes ou âmes des ancêtres défunts considérées comme des divinités.

pitriyâna: la Voie des Ancêtres.

pounya (n.m.): bien, vertu, éthique, mérite.

Pourâna (n.m.): litt. antiques, textes sacrés de l'hindouisme; ce

 

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sont des recueils de récits d'inspiration védique dont certains sont probablement contemporains des Véda. D'abord transmis oralement, leur rédaction s'échelonne des premiers siècles de l'ère chrétienne jusqu'au XVe siècle après J.-C.

pourousha (n.m.): l'âme, le moi ou être conscient qui, par sa présence et son assentiment, soutient les opérations de la Nature (prakriti).

pourousha antarâtman: le pourousha en tant que moi intérieur ou âme.

pouroushakâra (n.m.): effort humain; énergie individuelle.

Pouroushottama (n.m.): l'Esprit suprême (Pourousha+outtama), par-delà le Manifesté et le Non-Manifeste.

poûrvé dévâh: les anciens dieux.

pradhâna (n.m.): dans la philosophie du sâmkhya: base; substance première, premier état de la matière et son principe essentiel.

prâjna (n.m.): le Seigneur et créateur; le Maître de la Sagesse et de la Connaissance.

prakâsha (n.m.): lumière; rayonnement.

prakriti (n.f.): la Nature, l'énergie active et exécutive du cosmos, par opposition à l'âme ou être conscient qui est le témoin et le soutien (pourousha).

Pramatha: démon serviteur de Shiva.

prâna (n.m.): l'énergie de vie, le souffle.

prânamaya pourousha: l'être vital vrai.

prâna-sharîra-nétâ: qui conduit la vie et le corps.

pravritti (n.f.): l'impulsion vers l'action et les œuvres.

préma (n.f.): amour.

 

radjasique: v. gouna.

râkshasa (n.m.): pouvoir hostile du vital intermédiaire; adj.: râkshasique.

rishi (n.m.): voyant, sage.

ritam (n.m.): Vérité, conscience-de-vérité; vérité de l'être divin dirigeant l'activité du mental et du corps, vérité de connaissance et d'action.

riténa ritam apihitam: Vérité cachée par la vérité (Rig-Véda, 5.62,1).

 

sâdhak (n.m.): celui qui suit une discipline yoguique.

sâdhanâ (n.f.): a) la méthode de yoga et la discipline qui en dérive; b) la pratique du yoga et de sa discipline.

 

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sagouna (adj. et n.m.): avec (sa) attributs (gouna), le Personnel.

sahasradala, sahasrâra (n.m.): lotus aux mille pétales (v. chakra).

samâdhi (n.m.): extase ou' transe yoguique; plus exactement, concentration de la volonté et de la pensée poussée jusqu'à l'identification avec l'objet, la perte de conscience extérieure n'étant pas essentielle.

samskâra (n.m.): formations mentales fixes, impressions laissées par les vieilles habitudes ou les expériences accumulées dans les parties subconscientes.

sâmkhya (n.m.): système de philosophie et de pratique spirituelle fondé sur une analyse détaillée de la Nature et de la Conscience: pourousha et prakriti.

sannyâsî (n.m.): celui qui a fait vœu de sannyâsa, de renoncement; moine errant, ascète.

sarvabhoûtâni: toutes les existences,

sarvam khalvidam brahma: En vérité tout ce qui est, est le Brahman. (Chândoukyia Oupanishad, 5. 14.1).

shâshwatîh samâh: années sempiternelles (Guîtâ, 6-41).

Satchidânanda (n.m.): l'Être divin en Sa formulation triple. Être (Sat), Conscience (Chit) et Béatitude (Ânanda), les trois termes étant concomitants et se contenant les uns les autres.

sattwa: v. gouna.

sattwapréranâ (n.f.): indication directe, venant de l'être intérieur, de ce qui doit être pensé, senti ou fait.

satyaloka (n.m.): monde de la vérité suprême de l'être.

satyam ritam brihat: le Vrai, le Juste, le Vaste.

Satya-Youga (n.m.): l'Âge de Vérité; l'âge d'or.

Shakti (n.f.): l'énergie consciente, le Pouvoir du Seigneur, la Force par laquelle Il s'exprime dans la Nature, la Mère universelle.

Shiva (n.m.): aspect de destruction et de transformation de la trinité (trimoûrtî) indienne; le Seigneur du yoga.

shrâddha (n.m.): cérémonie funèbre, offrande aux morts.,

shoûnyam (n.m.): vide; le Rien qui est Tout.

siddha (adj. et n.m.): accompli, parfait; l'homme parfait.

siddhi (n.f.): accomplissement, perfection, réalisation. A aussi le sens de pouvoir occulte.

soûkshma sharîra (n.m.): soûkshma déha (n.m.): le corps subtil.

soushoupti (n.f.): Tant que notre corps causal ou enveloppe gnostique n'est pas développé, que ses facultés ne sont pas actives, nous ne pouvons être en relation avec les plans supérieurs  

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que dans une soushoupti, un sommeil sans rêves.

sthoûla sharîra (n.m.): sthoûla déha (n.m.): le corps grossier.

swabhâva (n.m.): la nature individuelle, propre à chaque être.

swâdhishthâna (n.m.): centre abdominal (v. chakra).

swaroûpa (n.m.): l'aspect essentiel du moi propre.

swayamprakâsha (adj.): lumineux en soi.

 

taïdjasa (adj.): "le Lumineux"; le Moi qui soutient l'État de Rêve (swapna) ou conscience subtile.

tamas (n.m.): le principe de l'ignorance et de l'inertie (v. gouna), d'où (adj.): tamasique.

tanmâtrâ (n.f.): les cinq propriétés subtiles de l'énergie ou de la matière; les cinq énergies subtiles dont l'action met la conscience sensorielle en relation avec les formes grossières de la matière: son, toucher, goût, forme, odeur.

Tantra (n.m.): au pluriel: textes sacrés de l'hindouisme; au singulier: système yoguique reposant sur la reconnaissance de la Nature et non sur son rejet, ainsi que sur le culte dynamique de la Mère divine sous l'un de ses multiples aspects, afin de spiritualiser la Nature.

tapas (n.m.): principe essentiel de l'Énergie.

tapasyâ (n.f.): (souvent synonyme de tapas) concentration de la volonté ou des énergies de l'âme sur un but spirituel; ascèse, austérités.

tapoloka (n.m.) : le monde de tapas, monde de Volonté infinie ou de force consciente.

tarpana (adj. et n.m.): "satisfaisant" ou "rafraîchissant"; offrandes portées aux défunts.

tattwa (n.m.): 1) principe, essence, vérité essentielle d'une chose; 2) spécifiquement (et dans le Sâmkhya), chacun des vingt-quatre principes de l'Énergie cosmique.

tava ca: et à toi aussi (Guîtâ, 4-5).

 

vaïkharî (n.f.): le quatrième et le plus bas des quatre niveaux de parole.

Vaïkountha (n.m.): le paradis de Vishnou.

vaïshwânara (n.m.): le moi éveillé; le Moi qui soutient l'état de veille ou conscience de sthoûla; la conscience extérieure.

vânara (n.m.): singe.

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vâsanâ (n.f.): idée ou sentiment mental sortant de china, (la mémoire passive).

Vashishtha (n.m.): un des grands rishi védiques, auteur de plusieurs hymnes du Rig-Véda.

vâsoudévah-sarvam: Vâsoudéva (l'un des noms de Krishna) est tout.

Véda (n.m.): le Livre de la Connaissance; le Véda est le plus ancien des livres sacrés de l'hindouisme et se divise en plusieurs parties, dont la plus importante et la plus ancienne, le Rig-Véda, est composée d'hymnes en vers illuminateurs (riks).

Védânta (n.m.): étymologiquement "la fin ou la culmination des Véda"; nom que l'on donne parfois aux Oupanishad, qui, héritières de la pensée védique, sont, dans la littérature sacrée, placées à la fin des Véda. Par extension, le Védânta désigne la philosophie basée sur le système oupanishadique et prônant la connaissance de l'Un sans second.

vibhâga (n.m.): division.

vibhoûti (n.f.): puissance divine manifestée dans le monde, incarnation mineure ou partielle du Divin.

vidyâ-avidyâ: traduit généralement par connaissance et ignorance, sont en réalité des états de conscience, les deux aspects de maya, la puissance idéative et formative; plus précisément, ce sont respectivement la conscience de l'unité et la conscience de la multiplicité.

vidyâ-avidyâmayî mâyâ: maya composée de connaissance et d'ignorance.

vijnâna (n.m.): Conscience-de-Vérité; la gnose supramentale.

vijnânamaya kosha: l'enveloppe de connaissance.

viraha (n.m.): séparation d'avec l'être aimé.

virât (adj. et n.m.): litt., énorme; l'Âme universelle; le Moi qui devient toutes les formes; l'Esprit de l'univers extérieur.

vishishtâdwaïta (n.m.): "le monisme qualifié", une école du Védânta.

Vishnou: l'aspect préservateur de la trinité indienne; c'est de lui que, selon la tradition, dérivent les Avatar.

vishouddha (adj. et n.m.): pur; le centre de la gorge (v. chakra).

vishwa (n.m.): univers, monde.

Vrindâvan (Brindâvan, Brindâban): le lieu, sur terre, où Krishna dansait avec les gopî; le paradis vishnouite éternelle Beauté et de Béatitude sans fin.

Vrishni: la tribu d'où descend Krishna.

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Vrishnînâm Vasoudévah: Je suis Krishna parmi les Vrishni (Guîtâ, 10.37).

vritti (n.f.): fonctionnement des qualités mentales et morales.

 

yajna (n.m.): sacrifice.

Yâjnavalkya: célèbre rishi qui tient une place importante dans la Brihadâranyaka Oupanishad.

yantrâroûdhâni mâyayâ: monté sur une machine par sa maya.

yogadrishti (n.f.): pouvoir yoguique de vision.

youga (n.m.): âge; il y en a quatre: satya youga (âge d'or); tretâyouga; dvâpara youga; kali youga (âge de fer).

yougué-yougué: d'âge en âge (Guîtâ, 4.8).

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Action, doit venir de l'intérieur, ,178

sources occultes de l'a., II, 150

Activité, libre, 153, 154, 155

Adesh(a), 49

Adhikâra, II, 231

Adwaïta, 52-53

réaliste (dans La Vie Divine), 53

v. aussi Monisme

Agnosticisme, 183-84

de la conscience physique, 128

Ahambhàva, II, 71

Ahanâ, et autres poèmes, 243

Ahimsa, et destruction, II, 304

Âjna Chakra. II, 158

v. aussi Centre(s), Chakra

Ambition, II, 312

Âme, II, 59-60, 61-62, 68-89

à. de désir et être psychique, II, 68, 82

assimile l'essence de son passé après la mort, II, 237, 238-39, 261

conception européenne de l'a., II, 88

contact intérieur entre à. différentes, II, 270-71

des défunts, II, 239-42

des plantes, II, 73, 75

emploi du mot à., II, 68, 69, 181

et Âtman, II, 243-44

et corps, II, 260

et être central, II, 64-65

et être psychique, II, 43, 44, 59-60, 61-62, 63, 70-77, 82-83

et mental européen, II, 88

et vie, II, 82

passage immédiat vers le monde psychique après la mort, II, 242-43

période internatale, II, 237-48

sa nature dépasse mental, vie et corps,II, 99

un tout qui ne se désintègre pas, 54

Amour, de l'âme pour le Divin, de Râdhâ,202

et consécration, 225-26

Ânanda. 202-03

montée au plan de l'A., conscience de l'A., 24

n'est pas la seule voie vers le transcendant, 94-95

Animal(aux), II, 313-15

âme de l'a., II, 73, 75

conscience des a., II, 307

renaissance dans un a., II, 252,253-54

tuer un a., II, 257-58

Antahkarana, II, 70-71

Antâràtman, II, 87, 130

v. aussi Âme

Art, musique, littérature (poésie) peuvent faire partie du yoga, 233-35

Arya,58

Aryaman. pouvoir psychologique, II, 186

Asat, 77

Ascension, aux plans supérieurs et descentes, 121, 128-30, 138

et centres (chakra), 88-89

et descente de l'évolution, 4

et expériences des autres yoga, 128-30

indispensable dans le yoga intégral, II, 50-51

Ascétisme, excessif, 208-09

Asoura, II, 176, 190-92, 195

de deux sortes, II, 190

dans le Véda, II, 192

Aspiration, de l'être psychique et du Jîvâtman, II, 59-60, 61-62

Astasiddhi, 93

Astral (plan), 91

Astrologie, 268

a., destinée et karma, II, 275-76

Athéisme, 203

Atlantide, 1, 2

Âtman, II, 81

et être central, II, 43, 56

et être psychique, II, 55, 56, 343-44

et Jîvâtman, II, 43, 182

réalisation de l'a., II, 47-48

Aura, II, 98

Avatar, II, 199-234

"A. inconscient", II, 219-23

A., saint et yogi, II, 224

deux aspects, II, 208

éléments humains et divins de l'A., II,209

et Divin personnel, II, 32-33

et évolution, II, 200

et grandeur, II, 224-25, 226

et prophètes, II, 216

et Vibhoûti, II, 201, 206-07

liste pouranique des A. de Vishnou,II, 200-04

souffrances et conflits réels, II, 208, 211-12

symbole et historicité, II, 231-32

vies entre les vies d'A., II, 200

Avidya, II, 175  

B

 

Bergson, Henri, 250-52

Bhakti, ahaïtouki b.,202

b. vishnouïte, 102-03
Bhàva. et école vishnouïte, 97

Bhouta, II, 192

Bien, et mal, 40, 140-41

Bindou, II, 60, 62

Blavatsky, Mme H.P., II, 295

Bonté, et cruauté, 141

Bouddha, 71-72, 74; II, 188,225

dans les Pourana et dans te bouddhisme, II, 202-03

et Ahimsa, II, 304

l'Avatar, II, 200, 201, 202, 203

Bouddhi, et Manas, II, 117, 118

et vijnâna, II, 40

Bouddhisme, 70-82

conception de l'ego et de la libération, 78-79

conception européenne du b. tibétain, 79-81

diverses sortes de b., 73, 74

négation du moi (de l'âme), II, 49

Nirvana bouddhiste, 55, 74

octuple sentier, 72

Brahman, dans la philosophie de Shankara, 50-51

Maya et Lîlâ, 57 ;

ses aspects objectif et subjectif, 139

silencieux (inactif), 23

Brihaspati. pouvoir psychologique. II,186

 

C

 

Capacité, n, 111, 231

Caste, commentaire sur les opinions du Mahatma Gandhi, II, 298-99

Causalité, commentaire sur l'opinion de Planck, II, 280-82

Centre (s), abdominal, II, 158-59

dans le yoga intégral et dans le Tantra, 88,89

de conscience, II, 158-72

de la gorge, II, 158-62, 168-71

de l'ombilic, II, 158-59, 171-72

du cœur, 138; II, 158, 159-60, 162, 170

du mental, II, 161, 164-65

du mental physique, II, 171

du sommet de la tête, II, 165-66,167

émotionnel, II, 160

entre les sourcils, II, 158, 159,160, 162, 166,167

moûlâdhâra, II, 130, 158-59, 162, 172

sahasrâdala, sahasrara, II, 159,165, 166

sexuel, II, 171-72

survivance des c. après la mort, II, 263

usage psychologique et fonctions dans le yoga intégral, II, 159,160

v. aussi Chakra, Lotus

Cerveau, II, 166

César, II, 310

sa qualité de Vibhoûti, II, 210

Chaitanya, II, 206-07, 221-23

et la conscience de l'Avatar, II, 219,221

et l'amour psychique, 103

son école, 95

son expérience, 109

Chaïtya Pourousha, II, 69

v. aussi Être psychique

Chakra, II, 158-72

leur ouverture dans le yoga intégral et dans le Tantra, 88

processus de montée et de descente dans le yoga intégral, 88

v. aussi Centre (s). Lotus

Changement, de nature, 114,126

Cheiro, II, 275, 279

Chiromancie, 267-68

Chitta, II, 119-21

et la partie psychique, II, 69, note.

Chittashouddhi, 66-67

Chittavritti, II, 119,121

Choix, II, 285

et le jeu des forces, II, 103

Christ, II, 233-34

et guérisons miraculeuses, II, 294

incarnation partielle, II, 207

Christianisme, conception chrétienne de Dieu, 67

enseignement faussé par une descente vitale, 7

et yoga intégral, 152-57

son échec, II, 233-34

Cieux de la Vie, Les, poème, II, 182-84

Civilisation, actuelle, 4

Cœur, centre du c., 138

Communisme, 245

et la tendance à la spiritualité, 246

Composés et désintégration, 54-55

Concentration, dans le cœur, II, 160

Connaissance, de l'être intérieur (subliminale), II, 45

et plans au-dessus de la tête, II, 116-17

sacrifice de la c., II, 300-01

unité de lac-, 235-36; II, 4

yoga de la c., 134-39

Conscience, au-delà du mental, 183-84

base de l'existence, II, 57

caractère concret de la c., II, 289

corporelle, II, 109-10, 137

corporelle, sa supramentalisation, 42

de l'Ânanda, 24

de l'Âtman, et c. psychique, II, 55

de l'homme, et c. cosmique, II, 227

de veille, II, 87

divine, cachée derrière l'ignorance, 10-11

environnante, II, 97-98

environnante, et rejet des choses indésirables, II, 148, 151-52

évolutive, émergeant de la Matière, 1-2, 32, 53

extérieure, II, 87

intérieure et c. extérieure, II, 90-91, 95-96

matérielle, H, 142

n'est pas nécessairement spirituelle, II, 107-08

ordinaire, II, 101-02

physique, habituellement agnostique, 127-28

physique individuelle et universelle, II, 137

physique intérieure et extérieure, II, 140-41

ses deux éléments, II, 7

ses deux pôles, 38

spirituelle, n, 100

spirituelle, et évolution, 1-5

spirituelle, son stade de développement dans le corps humain, 249-50

supérieure et c. intérieure, II, 91

terrestre, 20

vraie c., 126

Conscience cosmique, II, 99-102

et c. humaine, II, 226-27

et c. individuelle, II, 99-100

et Nirvana, II, 17-20

et surmental, II, 34

Volonté cosmique, II, 104

Conscience-de-Vérité, 14-15, 50, 126

Consécration, définition, 226

de la conscience terrestre, 19

par l'amour, et par le mental et la volonté, 225-26

Conventions, sociales, II, 213

Corps, et âme, II, 260

et immortalité, 23

et mental, II, 109-10

n'est pas le moi, II, 57

sa transformation, 13

s'identifier au c. est une erreur, 68-69

Création, intellectuelle, 179

n'a ni commencement ni fin, II, 24

nouvelle, 39

signification, 50

supramentale, 20, 96

Croyance, 269

D

 

David-Neel, Alexandra, 252-53

Démon, de Socrate, II, 283

Descente, absence d'expérience de d.dans les anciens yogas, 129-30

de tranquillité, 209

d'êtres supérieurs, 11

du monde vital, 5-6

du supramental, 17, 120

v. aussi ascension, supramental.

Désir(s), II, 32, 104, 131
Destin, II, 276-78

et Grâce divine, II, 285

et libre arbitre, II, 275

individuel, II, 269-70

Destinée, spirituelle, II, 285

Destruction, et Ahimsa, II, 304

et création, 41

ni bonne ni mauvaise, II, 305

Déterminisme, II, 275, 279-80

et liberté suprême. II, 284

Dévotion, v. bhakti
Dharma,
et Adharma, 173

inférieur et D. spirituel, 173

Dieu, conception chrétienne, 67,203

conceptions humaines, II, 227

dans Conscience-de-Vérité, 65

Dieux, II, 178-79

formes des D., II, 185, 227

Difficultés, vitales et mentales, 228-29

Discorde, but et origine, 35

Discrimination, indispensable à l'expérience spirituelle, 225

Divin, 34, 218; II, 65

au-dessus mais aussi ici-bas, 34

certitude concrète, 196

conception indienne du D., 40

cosmique, et D. transcendant, 128

diverses manières de l'approcher, 94-95

en tout, au-dessus et au-delà de tout, 31

et Ânanda, Paix, Lumière, etc., 202-03

et Science, 241

et toute-puissance, II, 211

le rechercher pour ce qu'on peut en obtenir, 162-63

ne peut être compris ni jugé par la raison, II, 210

nombreux niveaux de conscience

dynamique, 138

personnel, 23

peut être réalisé sur n'importe quel plan, 126

plus grand, non moins grand que le mental, 199

réponse du D., 227-28

Suprême, 23

Divinisation, crainte de la d., 106-07

un plus grand art de vivre, 148

Divinités et pourousha, II, 186

védiques, 131

Doute(s), 145-46, 190, 195-201

et foi, 194-95, 201

existe pour lui-même, 196

Dualité(s), dans l'individu, 157

et forces cosmiques, 140-41

 

E

 

Eddington. sir Arthur, 242

Ego, 55-56; II, 55-57

dans le bouddhisme, 78-79

et amertume, 177

et chute dans l'ignorance, 34

et être vrai, II, 55-56

magnifié, II, 233

son élimination, 154

vérité dans les plans inférieurs, mensonge dans les plans supérieurs, II, 31-32

Égypte, ancienne, et occultisme, 1

Einstein, Albert, 237, 247-48

Élan vital (Bergson), 251

Élémentaux, II, 192

Éléments, 55

Émotion, différente des mouvements du vital inférieur, II, 132

v. aussi Centre(s), Être, Vital émotifs

Énergie, différentes formes (mentale, matérielle, spirituelle), 254

"inconsciente". Conscience-force du Divin, 53

Enfer, II, 242

Énigme de ce monde, L', 27-39,39-40, 205

Enveloppe(s), et processus de la renaissance, II, 73-74

fragments abandonnés de l'e. vitale, II, 73, 253, 268

mentale et processus de la renaissance, II, 73-74

nerveuse (vitale), II, 143

physique (matérielle, de nourriture), II, 143

vitale, II, 73

Équilibre,

II, 56, 107-08

et Matière, 262-63

et mental, II, 107-08

réalisation de l'E., 125

Essence, II, 65

Éternité, du Temps et sans Temps, 264-65

Étincelle du Divin, II, 56, 58-59, 61, 76, 78, 82

Être, apparence dans les différents plans, II, 144

éléments qui le composent, II, 83

parties de l'ê., II, 1-172

systèmes d'organisation de l'ê., II, 23

Être central, II, 44-45, 46, 83

en tant que moi individuel, D, 57-58

et âme, II, 285

et Âtman, 11,56

ses deux formes: jîvâtman et être psychique, II, 40-41, 42

Être émotif, II, 129-30, 131

et être psychique, II, 127-28

et vital supérieur, II, 127-28

Être extérieur, de surface, II, 95,150-51

Être intérieur, II, 90-97

connaissance de l'ê.i., II, 45

et être extérieur, II, 87, 89, 94

et psychique, II, 44-45, 46, 72-73, 91

n'a pas de centre, II, 168

Être mental, II, 84, 85

e.m. essentiel, II, 112

et être psychique, II, 83

survie après la mort, II, 74,237,263

vrai, II, 111-12

Être psychique, II, 67-83

aspiration de l'ê.p., II, 60, 62

caché par l'ignorance du mental, du vital et du physique, II, 92

caractéristiques les plus visibles, II, 72

choix de sa naissance suivante, II, 249-50

contact avec le supramental, II, 67-68

contribution à la sâdhanâ, II, 80

créatures non évolutives n'en ont pas, II, 181

et âme, II, 43, 44-45, 60, 61, 63, 70-71, 82

et Âtman, II, 55-56, 243-44

et centres de conscience, II, 171

et être émotif, II, 128

et être intérieur, II, 45, 46, 72-73, 91

et être mental, II, 83

et jîvâtman, II, 41, 42, 53-54, 56, 58-62, 182

et renaissance, II, 237-39, 260

et vital. II, 81

forme de l'ê.p.,11,89,90

ne peut revêtir plus d'un corps. II, 248

n'est pas au-dessus, mais derrière, 11,45

peut pénétrer la conscience mentale, vitale, physique, II, 128

principe d'harmonie, 29

réalisation de l'ê.p.. Il, 130-31

repos dans le monde psychique après la mort, II, 237, 239, 240-41, 242

Être vital, et renaissance, II, 73-74, 262-63

ê.v., être mental et être psychique, II, 81-82

ê.v. vrai, II, 92-93

quatre parties, II, 122

survie après la mort, II, 73-74, 237, 263

Être vrai, II, 92

et ego, II, 55-56

peut être réalisé comme l'Âtman, comme l'être psychique, ou les deux, II, 55

Être(s), descente d'êtres supérieurs, supramentaux, 11

typaux (non évolutifs), II, 181, 182

Être et Devenir, II, 44

Europe, matérialiste, 240-41

Evans-Wentz, W.Y., Yoga tibétain et doctrines secrètes, 79-81

Évolution, 1-5, 8, 31-40, 56-57

conversion de la conscience, inévitable dans l'é., 25

cycles d'é., 1

donne son sens à l'existence ici-bas, 54

double (extérieure et intérieure), 53

et âme, II, 243

et Avatar, II, 200

et descente du supramental, 1-43

et involution, 10-11, 41

et montée-descente de la conscience, 4

pourrait être une floraison lente et belle du Divin, 27

qui prépare l'être spirituel et supramental, 2-3

spirituelle, 9, 32, 56-57

terre, lieu de l'é., 12, 19, 79-80; II, 183

Expérience, description de l'e., 212-16

épreuve de la raison, 223-25

et discrimination, 225

et intellect raisonnant, 212-16

et philosophie de l'Orient et de l'Occident, 185-86

et transformation, 21

généralisations fondées sur l'expérience, 217-18

partout similaire, 222

permanance de l'e., 197

preuve de l'e., 216-17

psychique, II, 128

spirituelle, 220-21

usage des métaphores, 210-11

yoguique, 223-24

 

F

 

Famille, devoirs familiaux et yoga, 173

Fanatisme, II, 302

Fantômes, II, 73. 75-76, 268-69

Fleurs, II, 313-314

Foi, et doute, 189-90,194-95, 201

et raison, 191-94

moyen nécessaire à la réalisation, 25

non ignorante, mais lumineuse, 194

signification de la f., 195

Force(s), caractère concret de la f., 259

complexité des jeux de f., II, 287-88

cosmique, et dualités, 139-42

de maladie, II, 141

et déterminisme, II, 279

f. hostiles, II, 176, 189-95

jeu de f., II, 103, 287-88

réalité de la f., 260-61

spirituelle, 254-59; II, 292

supramentale, 257-58

usage volontaire de la f. subtile, 259-60

yoguique, 260

Formateurs, II, 180

Formes(s), des dieux, II, 185, 226-27

et Sans-Forme, 98

sur les plans supraphysiques, II, 184

Fraternités, occultes, 92

G

 

Gandharva, II, 192

Gandhi, Mahatma, au su jet des castes, II, 298-300

et réalisation, 24-25

et religion, 164-65

Ganesha, II, 188-89

Goloka, II, 16

Gopî, II, 16, 229

Gorge, centre de la g., II, 158-61, 168-71

Goswami, yogi Bejoy, 113

Gourou, et disciple (shishya), 103-04, 146

et dissimulation, 92

Grâce, 204

conception n'est pas spécifiquement chrétienne, 154 n.

et destin, II, 285

Grandeur, II, 308-12

et l'Avatar, II, 224-26

n'est pas le but de la réalisation spirituelle, II, 224, 226

vertu, vice et g., II, 310-12

Graphologie, 267

Guérison(s), miraculeuses, II, 294,296

Guerre, II, 302-03

mondiale, combat entre deux ignorances, 180

Guîtâ, et yoga intégral, 82-87

explication de certains passages, 83 ; II, 204, 253-54

méthode de la G., 95

ne mentionne pas la Mère divine, 85-86

n'est pas une allégorie, 85

pas exclusivement un évangile d'amour, 85

réconcilie des vérités apparemment opposées, 84-85

soumission selon la Guîtâ, 83-84

 

H

 

Habitudes, et subconscient, II, 144-45, 148, 149, 153, 154

Harmonie, des mondes non évolutifs, II, 182-83

périodes d'h. dans l'évolution, 10

Harmonisation, de la personnalité, 63-64

Hatha-yoga, 4

Hindouisme, 163

Homme, personnalité multiple, II, 85

Hostile(s), création d'êtres h., II, 175-76

et destinée spirituelle, II, 285

êtres h., II, 175-76

forces h., II, 176, 189-95

réalité des forces et des êtres h., 27

utilité des forces et des êtres h., II, 193

Housman, A E.,207

Humain, conscience h., 100

éléments h. dans le yoga, 147

Humanitarisme, 175-76

v. aussi Philanthropie

Humanité, et le yoga intégral, 174-78

et progrès, 176-77

histoire spirituelle de l'h., 163-64

ordinaire, effet de la descente du supramental, 18

Humour, II, 316

Huxley, Aldous, 149-50

 

I

 

Idéalisme, 179

Ignorance, 22, 26; II, 175

cause réelle de la chute dans t'i, 34

cosmique, II, 105

et inconscience, 10, 34; II, 57

transcender l'i., 26

Illusion, cosmique, 47, 60

Image(s). dans la description des expériences spirituelles, 210-11

Imagination(s), du mental vital, II, 123, 125, 126

Immensité, 129

Immortalité, conscience de l'i. dans le corps, 23

Impérialisme, II, 303, 304

Impersonnel, et yoga intégral, 127

n'affecte pas les faits matériels sur terre, 128

Incarnation, 131-32; II, 199

en accepter la réalité historique est un gain spirituel, II, 230

et yoga intégral, 132

non de la vie, mais de la conscience, 25

ses difficultés, 105

Inconscience, 53

base du monde matériel, 10

et ignorance, 10, 33; II, 57

Inde, divinité (la Mère), II, 227

histoire spirituelle de l'I., 3-4, 163-64

védique, 1, 3

Individu, conscience individuelle et conscience cosmique, II, 99

et établissement de la conscience

supramentale, 16-17

moi individuel, II, 64

n'est pas limité au corps physique, 11,97

universalisé, 67

véritable, 55-56

véritable, est l'être central, non le corps, II, 57

véritable, est une parcelle du Moi transcendant et cosmique, II, 64

Individualité, II, 77

Infini, impressions à son approche, 75

Intégration, de l'être, de la personnalité, 63-64, 218

Intellect, et expérience mystique ou spirituelle, 212-16

incapable de connaître la Vérité suprême, 183-84

Intelligence, suprême, 53

Intuition, bergsonienne, 250-51

dans la Matière, dans la Vie mentale, sur le plan spirituel, 2-3

et raison, 219

remplace la pensée dans le mental supérieur, II, 116-17

yoguique, et faculté de "sentir" la personnalité des autres, II, 290

Involution. 41

Îsha Oupanishad, et la loi de la relativité, 247

Îshwarakoti, 70, 85

 

J

 

Jainisme, 82,128

"Je", disparition du sens du "je", 67

formation mentale, vitale et physique, 11,55

pur de Conscience-de-Vérité et jîvâtman, II, 47-52

v. aussi Ego

Jeans, sir James, 242-43, 248-49

Jeûne,91, 92

et rédemption, II, 406

Jîva, v. Jîvâtman

Jîvakoti,70,85;II,247

Jîvanmoukta, II, 247-48

Jîvâtman, II, 40-42, 51-52,83-84

et Âtman, II, 43, 182

et être psychique, II, 42,43, 53-54, 55, 56-57, 182

et étincelle de l'âme, II, 58-59,61-62

et "je" pur de Conscience-de-Vérité, II, 47

"jîva" et "j.",11,41-42,52

place du j., II, 53

pouvoir représentatif dans la nature individuelle, II, 52

 

K

 

Kâlî, et Mahâkâlî, II, 185

Kalki, II, 200, 201

Kârana, II, 29

Kârana-Pourousha. II, 238

Karma, conceptions populaires du k., II, 256-57

constitution du k. II, 287

et astrologie, II, 275-76

et destinée, II, 276

prârabdha karma, 68

réconcilie déterminisme et libre arbitre, II,218

Kartikeya, II, 188-89

Koundalini, et yoga intégral, 87-88

Koûtashtha, II, 58

Krishna, Anandamaya K., II, 204

Avatar, II, 200-01

Avatar et Vibhoûti, II, 200

conscience de K., II, 228

dans la vision de Shankara, Ramânoudja, Chaïtanya, dans la Mahâbhârata et la Guîtâ, 97-98

de la Guîta et de et Âtman, II, 188

divinité et incarnation, II, 187

et les gopî, II, 229

forme de K., 98; II, 227

historicité de K., II, 228-29

reconnaissance de la divinité de K., II, 205

Seigneur de l'Ânanda; de l'Amour et de la Bhakti, II, 187, 188

Kshara Pourousha, II, 71

 

L

 

Laya, 69-70

Libération, dans K, le Vishishtadwaïta et le Dwaïta, II, 100

dans le bouddhisme, et chez les mâyâvâdin (Shankara), 79

n'impose pas la disparition, 37

Liberté, et le déterminisme de la Nature, II, 284

Libre arbitre, et destin, II, 275

et déterminisme, II, 275, 280-82, 282-83

Lîlâ, 57

conception vishnouïte (jeu divin), 99

des gopî, II, 229-30

Logique, sa place, 58

Lotus, couleurs et nombre de pétales, II, 159

aux mille pétales, II, 158, 159, 165

v. aussi Centre(s), Chakra

Lumière, 77

de la conscience supérieure et 1. spirituelle, II, 162

de la réalisation diffère de celle de la Descente, 116-17

n'est pas une métaphore, 211

M

 

Magie, 252-53

ne fait pas partie du yoga, II, 293

noire, II, 294

v. aussi Occultisme

Mahâbhârata. et historicité de Krishna, 11,228

Mahâkâlî. et Kâlî, II, 185

Mahas, II, 13-14

Mahâshiva, II, 187

Mahat, II, 121

Mahomet, II, 207

Maladie, et la Force (spirituelle, de la Mère), 255-56

force de m., II, 141

Manas,II, 117,118

Manifestation, bases de la m. actuelle, II, 22

divine, II, 223-24

équilibre d'énergies, 37

essentielle et cosmique, 10

limitée par le pouvoir de conscience auquel elle appartient, 38

possibilités infinies, 35

Vérité de la m., 36-37

Manomaya Pourousha, II, 84

Massis. Henry, La défense de l'Occident, 151-57

Matérialisme, 5-6

spéculation philosophique, 242-43

tendance des hindous cultivés, 241

Matériel, monde, plan, univers, 249

Matière, n'existe pas, 263-64

pas réellement inconsciente, 262

Maya; 57-58

dans la philosophie de Shankara, 50-52

des Illusionnistes (Mâyâvâdin), 58-59

Mâyâvâda, 60-62

Médecine, et la Force, 255-56

Mémoire, des vies passées, II, 239, 242, 262, 265-66

subconsciente (passive), II, 156, 157

subliminale, II, 157

Mensonge, II, 175-76

où il commence, II, 180

Mental, II, 107-08

"clarté" du m., 211

conscience d'ignorance, 62

contient de nombreuses parties, II, 108

corporel, II, 115, 129

deux fonctions du m. physique, n, 115

essentiel et permanent, 55

et corps, II, 109-10

et Esprit, II, 107-08

et Supramental, 240-41

et vital (distinction), II, 106,108

extériorisant, II, 112

incapable de certitude ultime, 197-98

intérieur, II, 111

mécanique, II, 113, 115, 117

mental pensant, II, 114

mental pensant dynamique et extériorisant, II,112

mental pensant et m. physique, II, 114

mental vital, II, 113, 116, 122-27

mental vital et volonté raisonnante, II, 130

moindre, non égal ou supérieur au Divin, 199

peut devenir un instrument de la Vérité, 188

physique, II, 112-18, 137-38, 142

plus vaste, II, 111

spirituel, spiritualisé, II, 110-11

supérieur, II, 111

tranquille, 211

transformation du m., de la vie et du corps, 113

triple: physique (matériel, corporel); vital (dynamique, nerveux); pur (pensée), II, 112-13

usage du terme "m." dans le yoga intégral, II, 105-06

voie d'approche du Suprême, 76-77

Centres du m., v. Centre(s)

Mère, 85-86

émanations de la M., II, 177-78

et Râmprasâd, 102

Suprême, 48

Métaphore, dans la description de l'expérience mystique, 210-11

Métaphysique, et science, 238

européenne, 183-87

Mitra, pouvoir psychologique, II, 185

Moi, 139

aspect subjectif du Brahman, 139

conception occidentale, II, 88

et Nature, II, 79

"propre moi" et vrai moi, II 233

réalisation de toutes choses dans le Moi et de toutes choses comme le Moi, 134

réalisation du Moi, 115,116,139;II, 47-48

silencieux (statique, passif, pur), 64

Un en tous et multiple, II, 42

vide paisible et vaste, 77-78

Môksha, de K et Nirvana bouddhiste, 74

Monde(s), accès immédiat de l'âme au

m. psychique, II; 242-43

célestes, II, 28-29

dans la Guîta, 84

gardiens du m. psychique, II, 245, 248

n'est pas une illusion, 47

psychique, sans communication avec la terre. H, 266

psychique, lieu de repos de l'âme après la mort, II, 237-42

selon la Science et selon le Védânta, 254

typaux, non évolutifs, n, 181-84

vital, 7

vitaux, traversés après la mort, II, 240-42

v. aussi Univers

Monisme, européen, 40

védantique, 12

Montée, v. Ascension

Morale, et conventions, II, 213-14

et vie spirituelle, 169

expédient en attendant une lumière plus haute, II, 258

fait partie de la vie ordinaire, 161

Mort, II, 271-72

attitude du chercheur spirituel devant la m. des proches, II, 271-72

expériences internatales, II, 237-44

Mots, et pensées, 206-07

Moûlâdhâra, II, 130,158,162-63,171-72

Mystique, 216

similarité des expériences, 222

 

N

 

Napoléon, II, 309-10, 311

Nârada, II, 188

Nation, divinité de la N., II, 227

Nature, amorale, II, 256-57

beauté extérieure de la n., 27

générale, source de notre action, II, 150-51

physique, 93

supérieure (divine, etc.) et inférieure (phénoménale, etc.), II, 43-44

transformation de la n., 93-94

Nerfs, physiques et subtils, II, 143

Nirgouna, et sagouna, 53-54

Nirvana, 55-56, 58-65, 80, 81-82; II, 16-17

bouddhiste, 74

et yoga intégral, 70

expérience de Sri Aurobindo, 59-61

expérience du N., 78

motif de l'impulsion vers le N., II, 20

Nombres, signification, II, 279

Non-violence, II, 304

v. aussi Ahimsa

Nouveauté, du message de Sri Aurobindo, 82-83, 117-20, 122-23  

O

 

Occultisme, définition, 89-90

des pouvoirs adverses et des pouvoirs divins, II, 294

et yoga intégral, 89-92

fraternités ou sociétés occultes, 92

pouvoirs occultes et yoga, II, 291-96

tibétain, 252-53

v. aussi Magie

Œil, troisième œil, II, 167

Omnipotence, H, 211

Orient-Occident, pensée philosophique, 185-86

Ouspensky, P.D., 185

Oupanishad. contient en germe l'idée du supramental, 82

interpénétration des plans, 208

mentionne les plans supérieurs, 130

Panthéisme, II, 30

Paradis, 99, 156-57; II, 242

mondes paradisiaques, II, 28-29

vital, II, 182-84

v. aussi Royaume

Paramahamsa, 113, 114

Paramâtman, II, 81

Parâshakti, et Pouroushottama, 48

Parole, parler mentalement à quelqu'un, II, 126-27

théorie tantrique de la p., II, 170

Pâtâla, II, 155

Patanjali. 123

Pauvreté, II, 306

Pensée, et mots, 207

et plans supérieurs, II, 116-17

intellectuelle, et celle qui est une expérience, 206-07

philosophique en Orient et en Occident, 185-86

Pères, II, 249

Permanent, 31

Personnalité, complexe, II, 85, 264

et renaissance, II, 260, 261

formation temporaire, 155-56

multiple, II, 110

Personnel, Divin p., 23; II, 32-33

Divin p. avec forme et sans forme, II,11-12

Personnel et Impersonnel, 96,127; II, 32-33

Peur, dans le subconscient, II, 156

Philanthropie, 174-75

Philosophie, occidentale et orientale, 185-186

Photographies, contiennent une expression de la conscience,

II, 89

Physique, conscience p. habituellement agnostique, 128

dépend du vital, II, 136

mental, vital, matériel, II, 142

nature p., 93

subtil, II, 28

transformation p. n'était pas le but de Krishna, Bouddha, etc., 111

Physique (science), 235-36; II, 280-82

Physique-vital, II, 134-35, 139, 142

Pishâtcha, II, 176, 190-91

Pitri, II, 249

Pitriyana, II, 249

Plans(s), astral, 91

chaque p. est un monde, II, 26-27

de l'Ânanda, 24

interpénétration des plans, 207

mental, II, 24-25

physique et vital, II, 28

supérieurs, et connaissance, II, 116-17

supraphysiques, peuvent être atteints sans supramentalisation, 11-12

vital, II, 24-25

vital, partiellement concerné par l'existence terrestre, II, 27

Planck. Max, II, 280-82

Plantes, II, 313-14

l'âme des p., II, 73, 75

v. aussi Fleurs

Plasticité et résistance, II, 129

Poème, expression de vision et d'expérience, II, 183

v. aussi "Les Cieux de la vie", "Ahanâ"

Poésie, force yoguique et pouvoir poétique, littéraire, II, 293

Pourana. II, 228-29

et les dix Avatar, II, 200-02

Pourousha. Chaïtya P., II, 69

conscience du P., II, 66

en Prakriti, II, 71

et centre du cœur, II, 69

et décision, II, 283

et divinité, II, 186

kshara P.,11,71

Manomaya P., II, 84

mental, II, 64

triple P. inférieur, II, 64

vital, II, 64

Pourousha et Prakriti, II, 63, 65-66, 82-83

Pouroushottama. conscience du P., 86

Pouvoirs, emploi du terme p. dans "La Mère", II, 176

divins, sont faits pour être utilisés, II, 291

Prâjna. II, 29, note

Prakriti, double: supérieure (parâprakriti) et inférieure (parâprakriti), II, 43-44, 57, 65-66

et la Mère, II, 65-66

et Shakti, II, 66-67

universelle, II, 104

Présence, divine, II, 179

Primitif, notion du temps chez l'homme p., II, 306-07

Progrès, 176-77

Prophéties, II, 275, 277-78

Psychique, emploi du terme "p.", 90; II, 61-62, 70, 72-73, 75-76

entité p., II, 67-83

expérience p., II, 128

mental, II, 110-11

monde p., v. Monde(s)

sentiment p., II, 69

v. aussi Être psychique

Psychologie, moderne, occidentale, 260; II, 106-07

selon saint Augustin, II, 106-10

 

Q

 

Questionner, dans la sâdhanâ, 190

 

R

 

Râdhâ, 202

Radjas. difficultés de r., 168

Raison, des hommes politiques et des intellectuels, 180

et expérience mystique et spirituelle, 212-16

et foi, 192-94

et intuition, 219

n'est pas infaillible et universelle, 192

Râkshasa, II, 176, 190-92

Rama, II, 212-22

et la conscience de l'Avatar, II, 219, 220,221

Râmakrishna, II, 207

et la transformation, 111

son yoga, 104

Râmatirtha, 139

Râmprasâd, 102

Ravissement, de la réalisation du Brahman, 204

émerge dans l'évolution, 53

Réalisation, de l'impersonnel, 127

"divine", spirituelle, 112

du Moi, v. Moi

du yoga de la Connaissance, 139

mentale, 262

mentale-spirituelle, 112

n'est pas la même chose que la Descente, 116-17

ne transforme pas forcément l'être, 116-17

peut exister sur n'importe quel plan, 21-22

supramentale et spirituelle, 112

Réalisme, nécessaire sur le sentier, 179

Réalité, n'est pas froide, sèche et vide, 204

n'est pas liée par nirgouna et sagouna, 53-54

Réincarnation, v. Renaissance

Rejet, 114, 148-49, 167

v. aussi Subconscient

Relativité, théorie de la r., 248

Religion(s), changer de r., 164-65

et science, 242

imperfection des r., 163

inadaptation des r., II, 233-34

vie religieuse, vie ordinaire et vie spirituelle, 162-63

Renaissance, 53; II, 237-72

but de la r., II, 74

en un corps animal, II, 252, 253

époque où l'âme entre dans un nouveau corps,II, 246

et notions de récompense et de punition, II, 246-47, 251, 256-57

et personnalité, II, 260, 261

mémoire des vies passées, II, 238-39, 242, 262, 266

passage d'un sexe à l'autre, II, 246, 254-55

Résistance, à la descente de la conscience supérieure, etc., II, 129

passive, n'est pas une vérité universelle, II, 304

Retraite, 226-27

de Râmakrishna, 104

Rêves, II, 148,152, 154

Rishi, 115, 121-22,131

et supramental, 120

Royaume, de Dieu, des Cieux, 99, 156-57

Russie, 246-47

 

S

 

Sacrifice, II, 299-302

de la connaissance, II, 300-01

du Pourousha (le grand Sacrifice), 36

mental, et spirituel, II, 301-02

Sagouna, et nirgouna, 53-54

Saint Augustin, II, 106-10

Samkhya, et Védânta, 87

Samskâra, II, 144-45

Sannyâsa, 169

Sans-Forme, représentation intellectuelle, 204

Sat, et Égypte, 77

Satchidânanda, II, 12

et supramental, II, 8-11

expérience du S., H, 10-11

Un sous un triple aspect, II, 8-12

Sattwa, 168

difficultés de l'homme sattwique, 169

Scepticisme, 8

Science, 221-70

et métaphysique, 238-39

et procédés, 230-31, 241, 243

et religion, 243

et spiritualité, 240-41

et Vérité, 221-22

l'univers selon la S., 254

Sexe, centre sexuel, II, 172

dans la renaissance, II, 246, 254-55

et Avatar, II, 224

Shakespeare, II, 310, 311

Shakti, chez les Tantriques, et Shankara, 47

de l'Avidyâ (Prakriti inférieure), II, 66-67

Para Shakti et Pouroushottama, 48

toutes choses en proviennent, 254

Shankara. 64-66

connaissance de S. n'est qu'un coté de la vérité, 47

explication de l'univers, 50-52

philosophie, 50-52

Shiva, II, 186, 187

Shrâddha, II, 237-38

Silence, descente du s., 128

intérieur, et activité, 125

mental, expérience de Sri Aurobindo, 150

obstacles au silence, 228

Sincérité, centrale et totale, 113

Socrate, II, 282-83

Soleil, symbole, 121

Sorley, Prof., 205, 209, 212

Souffrance, causes et cessation, II, 246-47

qui est responsable de la s., II, 315

Soushoupti. II, 23

Sous-mental, II, 158

Spiritisme, 236-37, 239; H, 266-69, 297-98

Spiritualisation, définition, 125-26

Spiritualité, et science, 240-41

toute-connaissance, 22

vient par l'ouverture au Divin du mental, du vital et du physique, 6-7

Spirituel, définition, 90

et supramental, 21

Sri Aurobindo, et l'expérience védântique, 142

message de S.A., 82-83

son enseignement, public ou aux sâdhak,261

vie et yoga de S.A., 143-44

Subconscient, II, 144-48

et conscience environnante, II, 98

et habitudes, II, 144-45

réapparition de ce qui a été rejeté, II, 148, 149, 151-52, 154

et subliminal, II, 145

et supraconscient, II, 148

n'a pas de centre, II, 172

n'est pas transporté par l'âme d'une vie à l'autre, II, 262

rêves, II, 148, 152, 154

siège du s., II, 149

Subliminal, et subconscient, II, 145

Superstition, 266-70

Supraconscient, II, 148

Supracosmique, et supramental, II, 12

Supramental, 7,14-15,22,77; II, 21-24

base du S., calme absolu, 109

base du S., unification, 95-96

conscience s., 96

créations., 20, 96

définition, II, 12-13, 30-31

descente du S., 17, 120

descente inévitable, 9

description, mentale, II, 33-34

et descente vitale, 7

et évolution, 1-43

et Royaume des Cieux, 156-57

et Satchidânanda, II, 8-11

et spirituel, 21

et supracosmique, II, 12

et surmental, II, 10, 22, 30-31, 34-35, 37-38

et vie terrestre, 17

êtres supramentaux, 11

n'est pas grandiose, lointain, 107

s'établira d'abord dans les individus, 16

transformation s., 21

Véda et Oupanishad, 82, 121-22

Supramentalisation 11-12, 111-12

principe, 11, 13, 17

ses effets sur l'individu, 108

stade ultime (siddhi), 23-24

Suprême, aspects statique et dynamique, 47

Surhomme, II, 283

Surmontai, 22; II, 13-15, 22-24, 30-38

divers plans du S., II, 35-36

et conscience cosmique, II, 34

et supramental, 22-23; II, 10,21-22, 30-31, 34-35, 37-38

principe du S., 42

Surmoi, 134

Svar, 121

Symbole(s), dans la description de l'expérience spirituelle, 210

Lion et Dourga, II, 185

paon, II, 189

Système(s), métaphysiques, 183

 

T

 

Taidjasa. II, 29

Tanmatras, II, 121

Tantra, et Védânta, 47, 86, 87

et yoga intégral, 87-89

théorie de la parole, II, 170

Tao, 74; II, 3

Tapoloka, II, 24

Temps et Espace, 264-65

et prédiction de l'avenir, 239

sens du t., 11,306-308

Terre, base des mondes, 208

champ du progrès, 12

conscience terrestre, 19

lieu de l'évolution, 12,19,80; II, 183

Tibet, et occultisme, 253

Yoga tibétain et doctrines secrètes (W. Evans-Wentz), 79-81

Tranquillité mentale, 209, 211

Transformation, 12

dans le yoga intégral et chez un écrivain chrétien, 151-57

définition, 116-18, 136-37

de la nature inférieure (mental, vital et corps), 113;II,59, 62

de la nature physique, 93-94

différents états, 113

et expérience spirituelle, 21

intégrale, 151

ne peut être faite individuellement, 16

personnelle, et forces hostiles, II, 194

physique n'était pas le but de Krishna, Bouddha, Shankara, Râmakrishna, 111

triple t. (physique, spirituelle et supramentale), 113, 135-36

 

U

 

Un, des bouddhistes, 75

et Multiples, 39-40, 52, 265; II, 43

silencieux et dynamique, 48

Unité, 266

de l'Infini, non limité à son u., 52

Univers, 77

matériel, II, 249

n'est pas une illusion, 47

selon la science et selon le Védânta, 254

selon Shankara, 50-52

Universel, et cosmique, II, 100

Universalisation, II, 102

 

V

 

Vaïkountha. II, 16

Vaïragya, 165-68

vital, 63

Vampire, II, 76

Vanité, II, 312

Varouna, pouvoir psychologique, II, 186

Vâyou, pouvoir psychologique, II, 186

Véda, divinités du v., 131

Inde védique, 1-3

Védânta, expérience védântique, 142-43

Vérité, aucune n'est complète au-dessous de la v. supramentale, 22

Prakriti, 126

cosmique, II, 105

et science, 222-23

Vertu, et grandeur, II, 310-12

et vice, II, 310-11

Vibhoûti, II, 200, 206

n'a pas plus de connaissance qu'il n'est nécessaire à son œuvre, II, 210

Vice, et grandeur, II, 310-12

et vertu, 11,310-11

Vie, essentielle et permanente, 55

et âme. II, 82

ordinaire, spirituelle et religieuse, 161-62

ordinaire, et yoguique, 172-73

organisation d'une v. humaine, 170-71

origine de la v.. 249

signification de la v., II, 278

spirituelle, 163; II, 249

vitale, égoïste, 99-101

La Vie Divine, 52, 145

Vijnâna, et bouddhi, II, 40

Virât, II, 29-30

Vishnou, 11, 186

dix incarnations de V., II, 200-03

pouvoir psychologique, II, 186

Vishnouïte, bhakti, 102-03

religion, 97-99, 101-03

yoga 151

Vital, II, 122-36

divin, 106

échanges vitaux, II, 288

émotif, II, 122

et mental, distinction, II, 106

être émotif et v. supérieur, II, 127-29

êtres du v., 91-92

être vital, v. Être

fonctions et nature du v., II, 108-09

forces vitales, pouvoirs vitaux, 91-92

fort et faible., II, 133

inférieur, II, 122

mental, II, 122

monde v., 5-7

moyen et supérieur, II, 112

nécessaire à la sâdhanâ, II, 136

physique et matériel, II, 134-35

plan vital, v. Plan

résistance du v., 148

supérieur et être émotif, II, 127

supérieur, moyen, inférieur, II, 112

transformation du v., 102

Vivékànanda, 175-76; II, 206

Vivisection, II, 304-05

Volonté, cosmique, II, 104

divine, 23, 203

et destin. II, 275

raisonnante, II, 130

Vrindâvan, II, 229

 

W

 

Woolf, Léonard, 216-17

 

Y

 

Yoga, base du y. intégral, 82-83

but du y. intégral, 16,50, 132-33; II, 50-51

chute hors du sentier, II, 285

de la Connaissance, 134, 139

de la Supramentalisation et y. intégral, 82-83

et koundalini, 87-88

et occultisme, 89-92

et Védânta. 87

expérience yoguique partout similaire, 222

force du y., concrète, 254-59

force yoguique et pouvoir poétique, II,293

intégral et autres sentiers, 47-157

intégral et Tantra, 87-89

méthode du y. intégral, 221

n'est pas une question d'idées, 188

nouveauté du y intégral, 83, 118-20

orienté vers Dieu, non l'homme, 174-75

principe nu y. intégral, 4

technique d'un y qui change le monde.14

vishnouïte, 151

Yoga and its Objects (The). 76-77

Youga. II. 201-02









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