Dans ce volume ont été réunis des articles, des messages, des lettres et des conversations de la Mère avec des étudiants et des professeurs de l’école de l’Ashram, et trois pièces de théâtre.
Dans ce volume ont été réunis des articles, des messages, des lettres et des conversations de la Mère avec des étudiants et des professeurs de l’école de l’Ashram, et trois pièces de théâtre : Vers l’Avenir, Le Grand Secret et L’Ascension vers la Vérité.
(Conversation de la Mère avec cinq professeurs du Centre d’Éducation)
Alors?
A. — La réponse que tu as donnée à la récente lettre de
B. a été interprétée de deux manières.
Les uns, insistant sur la première phrase qui dit : « Il serait infiniment préférable que la division disparaisse immédiatement », pensent que nous devrions chercher à faire disparaître cette division tout de suite jusque sur le plan pratique, en adoptant une organisation unique pour toute l’école, c’est-à-dire la généralisation des classes actuelles de Libre Progrès, ou un compromis.
Les autres estiment que c’est surtout les différences psychologiques qu’il s’agit de dissiper et que c’est l’esprit de Libre Progrès qu’il faut généraliser d’abord. Se fondant sur la suite de ta réponse, ils conçoivent la nécessité d’un délai de transition pour les classes qui ont suivi jusqu’à maintenant les voies traditionnelles, puis nous aviserions.
Moi, je voudrais d’abord, avant de répondre, savoir exactement, d’une façon tout à fait, tout à fait pratique et matérielle, quelle est la différence.
Voilà ce que je pense : au Libre Progrès, il n’y a pas de classe avec tous les élèves assis, le professeur sur son estrade qui fait son discours tout le temps; ce sont des élèves assis indifféremment, n’est-ce pas, à leur table. Ils font le travail qu’ils veulent faire et le professeur est simplement je ne sais où, ou dans une chambre ou dans un endroit spécial; ils vont le trouver pour lui poser des questions. C’est comme ça que je comprends, tout à fait...
A. — C’est exactement ça, Mère.
Alors, maintenant, pour continuer le vieux système, il faudrait qu’il y ait encore tous les élèves assis en rang, et puis le professeur assis sur son estrade, c’est-à-dire une situation qui est tout à fait ridicule. N’est-ce pas, je me souviens moi-même, quand j’allais au Playgroun Playground [terrain de Jeux], j’étais contente quand j’étais assise et tout le monde autour de moi et on était libre... Mais une table, une estrade, des élèves qui sont cloués sur... Je parle tout à fait matériellement, pas du tout au point de vue psychologique; par conséquent si ça, ça change, ce sera déjà une grande amélioration.
Pas que tous les élèves arrivent, n’est-ce pas, comme ça, presque en rang, et puis s’assoient chacun à sa place, et alors le professeur vient, s’assoit... Alors, quand on est bien élevé, tous les élèves se lèvent (rires), il s’assoit et commence son discours. Les élèves pensent à n’importe quoi, toutes leurs idées sont de tous les côtés, et puis ils écoutent si ça leur fait plaisir. Enfin, c’est du temps perdu, c’est tout. Voilà.
Ça, c’est très, très, très matériel et pratique, cela peut changer tout de suite. Le professeur peut choisir ou un coin ou un endroit, ou une petite chambre, je n’en sais rien, ça m’est égal, mais un endroit où les élèves peuvent venir lui demander un conseil, ou dans la salle ou dans une salle à côté. Lui-même peut être occupé d’une façon intéressante à préparer les réponses qu’il aura à faire à ses élèves, pas à penser à autre chose.
Ça, ça peut être fait tout de suite, hein? Voilà. Maintenant, n’est-ce pas, il n’est pas nécessaire qu’on prenne tous le même titre. C’est là, n’est-ce pas... Il y a dans l’homme une espèce d’esprit de... ah! on peut l’appeler poliment, mais enfin un esprit mouton... Il faut toujours que... qu’il y ait là quelqu’un pour les conduire.
L’élève doit venir à l’école non pas comme on va à un embêtement quotidien parce qu’on ne peut pas l’éviter, mais parce qu’il aurait la possibilité de faire quelque chose d’intéressant. Le professeur ne doit pas être à l’école, venir à l’école avec l’idée qu’il va, pendant une demi-heure ou trois quarts d’heure, réciter quelque chose qu’il a plus ou moins bien préparé et qui l’embête lui-même, et par conséquent qu’il ne peut pas amuser les élèves, mais essayer d’entrer en contact mental — et si possible plus profond — avec une quantité de petites individualités en formation qui, espérons-le, ont des curiosités, et pour pouvoir satisfaire ces curiosités. Alors lui-même, très modestement, il doit se rendre compte qu’il ne sait pas assez et qu’il faut qu’il apprenne beaucoup; mais pas apprendre dans les livres — essayer de comprendre la vie.
Alors vous avez un autre cadre dans votre travail. Ça, je ne sais pas, n’est-ce pas... vous distribuez des choses aux élèves...
A. — Mère, je te dirai tout à l’heure comment nous allons travailler : c’est une liberté intégrale...
Bon, bon. Alors maintenant, continue. Ta question.
A. — De toute façon, dans notre optique nouvelle et même pour des raisons pratiques, une organisation unique et d’un seul bloc pour plusieurs centaines d’élèves se conçoit difficilement, surtout si l’on veut établir l’atmosphère d’intimité nécessaire à l’épanouissement de l’enfant. Lorsque nous avons évoqué ce problème avec C., nous avions songé à la formation de familles, c’est-à-dire d’ensembles parallèles de cent quatre-vingts à deux cents enfants au grand maximum, ayant certes une organisation inspirée du même idéal et comportant Conversations toutes les facilités que requiert le développement d’un enfant durant le cycle dit secondaire, mais gardant chacun une certaine originalité.
Ces ensembles conserveraient évidemment toutes les possibilités d’échanges et de contacts multiples entre eux, voire même certaines activités occasionnelles communes et de plus en plus fréquentes jusqu’à la fin du secondaire, au moment où une autre organisation intervient, adaptée aux spécialisations de la vie universitaire.
Tout en manifestant sur le plan général une grande unité d’intention, nous garderions ainsi une vivante diversité. Qu’est ce que tu en penses?
D’accord. Ça, ça va. Ça, c’est bien. C’est le principe, hein?
A. — Oui, Mère.
C’est le principe, et maintenant, pour descendre à la pratique, vous avez un certain nombre de salles et tout ça... Comment est-ce que vous allez...?
A. — Alors voilà, Mère, je parle de nos classes, c’est-à-dire de la continuation de ce qui existait, Mère, n’est ce pas?
Bon.
(Ici A. fait un long rapport à Mère au sujet de l’organisation des classes de Libre Progrès.)
C’est bien, c’est bien. Alors qu’est-ce que tu veux donc...? C’est bien. Mais ça peut être généralisé, ça !
A. — Mère, nous avons quelques hésitations parce que, dans les classes traditionnelles, il y a des enfants, évidemment grands, mais qui n’ont pas appris à travailler de cette façon. Alors nous pensions, conformément à ce que tu as écrit, n’est ce pas, dans ta dernière lettre, observer un délai de transition et si, par exemple, comme tu l’as suggéré, au bout de trois mois la situation était favorable à une évolution plus rapide, eh bien, nous changerions.
(à B.) Mais toi, par exemple, qu’est-ce que tu proposes pour remplacer ce que tu faisais?
B. — En principe c’est la même chose que ce que A. a suggéré.
Oui.
B. — La seule différence c’est que, l’après-midi, les professeurs veulent voir les élèves à une heure fixe, comme avant.
À une heure fixe? Les élèves viennent à l’école à une heure fixe, non?
B. — Il y aura l’après-midi trois périodes chaque jour.
Trois périodes?
B. — Trois périodes de quarante ou cinquante minutes.
Ça veut dire qu’on veut garder, l’après-midi, ce qui était avant. Le même principe.
Trois périodes? Voyons...
C. — Trois classes successives, Mère.
L’école ouvre à une heure fixe, n’est-ce pas? Les élèves doivent y être à cette heure-là. Ils ne peuvent pas arriver à n’importe quelle heure.
Parce que Libre Progrès ne veut pas dire indiscipline...
A. — Non, non, ça, c’est entendu.
Il ne faut pas que l’élève arrive une demi-heure en retard sous prétexte qu’il est libre, parce que ce genre de liberté, ce n’est pas de la liberté, c’est tout simplement du dérèglement. Il faut que chacun ait une discipline très stricte pour lui-même. Mais un enfant n’est pas capable de se discipliner, il faut lui donner l’habitude de la discipline. Par conséquent, il faut qu’il se lève à la même heure, qu’il soit prêt à la même heure et qu’il aille à l’école à la même heure. Ça, c’est indispensable; autrement, ça devient un fouillis impossible.
A. — À huit heures moins le quart, Mère.
Bon. Alors l’école, officiellement, ouvre à huit heures.
A. — Huit heures moins le quart.
Non. L’école, le bâtiment ouvre à huit heures moins le quart.
A. — Non, non... Les classes commencent à huit heures moins le quart.
Ah! Elles commencent à huit heures moins le quart. Et elles finissent?
A. — À onze heures et demie.
Onze heures et demie. (à B.) Alors toi, tu dis, l’après-midi, vous voulez...
B. — Ils viendront à l’école à deux heures moins dix.
Deux heures moins dix. Et puis ils s’en vont quand?
B. — À quatre heures.
Quatre heures. À quel moment est-ce qu’il faut qu’ils soient au Playground?
A. — Quatre heures et demie, Mère, quelque chose comme ça.
B. — Quatre heures et demie ou cinq heures.
A. — Quelquefois cinq heures.
Quand ils y vont, ils mangent, on leur donne à manger. C’est à quatre heures et demie. Enfin, c’est possible...
B. — On leur donne à manger, Mère, entre trois heures et demie et quatre heures et demie.
C’est possible, si on est bien réglé. Mais je voudrais comprendre. « Trois périodes » veut dire... le même professeur prend trois groupes différents d’élèves, ou les mêmes élèves vont à trois professeurs différents et le professeur enseigne à chacun particulièrement?
B. — Non, c’est un peu différent, Douce Mère.
Conversations 353 Explique-toi clairement. Vous avez combien d’élèves dans ta classe?
B. — Nous en avons presque cent cinquante.
Cent cinquante! Bon. Alors tes cent cinquante arrivent. Alors qu’est-ce qui se passe?
B. — Là, il y aura pour chaque élève une classe fixe où il est obligé d’aller.
Cent cinquante? Cent cinquante élèves dans une classe! Ce n’est pas possible!
B. — Pas dans une classe. On les divise en classes, pour le français et l’anglais, en niveaux différents.
Ah! Ils ne sont pas tous du même niveau.
B. — De cinq à dix 42.
Oh! Oh! Oh! Et alors, ça fait combien de professeurs pour ces cent cinquante élèves?
B. — Une trentaine de professeurs... presque une trentaine de professeurs.
Une trentaine de professeurs. Bon. Alors, qu’est-ce qui va se passer? Vous avez combien de classes, de salles?
B. — On a presque quinze ou seize salles.
Et alors qu’est-ce qu’on enseigne dans l’après-midi? Voilà : est-ce qu’on enseigne des choses fixes ou est-ce que c’est encore le même genre de travail?
A. — Mère, si tu permets... La différence qui subsistera, c’est que pour nous, n’est ce pas, le progrès est entièrement libre, alors que eux veulent laisser persister dans une certaine mesure des classes fixes comme auparavant.
Des classes fixes?
A. — C’est-à-dire un niveau déterminé, avec un nombre d’élèves déterminé, avec un professeur déterminé.
Ah! Et alors c’est la méthode d’enseigner du professeur qui va changer, mais il enseignera un sujet spécial à des élèves spéciaux...
A. — ... qui seront obligés de venir à ce moment-là.
Oui, oui. Ça, c’est bien. Ça peut aller. Seulement, ça veut dire qu’il faut... Mais qu’est-ce que vous enseignez à ce moment-là ? Les langues?
A. — Essentiellement les langues, oui, Mère.
Ah! c’est seulement pour les langues.
A. — C’est seulement pour les langues.
Ça, je comprends. Et alors il y aura combien de langues pour ces cent cinquante élèves?
B. — En principe trois : anglais, français, et leur langue maternelle.
Ah! mais ça fait beaucoup! Il y a bengali, goujérati, hindi, et puis tamoul, télougou. Ça fait déjà cinq.
B. — Sanskrit!
Ça, ce n’est pas... Ça, tout le monde devrait l’apprendre. Surtout tout le monde qui travaille ici devrait l’apprendre... pas le sanskrit des érudits... Tous, tous, quel que soit leur lieu de naissance.
A. — En principe, Mère, c’est la chose à laquelle nous pensons. L’année prochaine, faire faire du sanskrit à tous les enfants, plus leur langue maternelle.
Oui. Pas le sanskrit sur le plan de l’érudition, mais le sanskrit, un sanskrit... comment dire... qui ouvre la porte à toutes les langues de l’Inde. Je crois que c’est indispensable. L’idéal serait, dans quelques années, que la langue représentative de l’Inde soit un sanskrit rajeuni, c’est-à-dire un sanskrit parlé de façon à ce que... on retrouve le sanskrit derrière toutes les langues de l’Inde, et que ce soit ça. C’était une idée de Sri Aurobindo, quand nous avions parlé de cela. Parce que, n’est-ce pas, maintenant, c’est l’anglais qui est la langue de tout le pays; mais c’est anormal. C’est très bon pour faciliter les relations avec le reste du monde, mais de même que chaque pays a sa propre langue, il faudrait que... Et alors ici, dès que l’on commence à vouloir une langue du pays, tout le monde se met à se disputer. Chacun veut que ce soit la sienne, ce qui est idiot. Mais le sanskrit, personne n’aurait rien à dire, et c’est une langue plus ancienne que les autres et où il y a les sons, n’est-ce pas, les sons-racines de beaucoup de mots.
Ça, c’est une chose que j’ai étudiée avec Sri Aurobindo et qui est évidemment très intéressante. Il y a même de ces racines qui se retrouvent dans toutes les langues du monde, des sons, « root-sounds root-sounds 43», et qui sont dans toutes ces langues. Eh bien, ça, cette chose-là, c’est cela qu’il faudrait apprendre et c’est cela qui devrait être la langue du pays. Et tout enfant qui est né dans l’Inde doit savoir cela, comme tout enfant qui est né en France doit savoir le français. Il ne parle pas bien, il ne le sait pas à fond, mais il faut qu’il sache le français un peu, n’est-ce pas; et dans tous les pays du monde c’est la même chose. Il faut qu’il sache la langue du pays. Et puis, quand il apprend, il apprend autant de langues qu’il veut. Encore maintenant, n’est-ce pas, on se perd en querelles, ce qui est une très mauvaise atmosphère pour construire quelque chose. Mais j’espère qu’un jour viendra où ce sera possible.
Alors je voudrais qu’ici on enseigne un sanskrit simple, aussi simple que possible; mais pas « simplifié » : simple en remontant à son origine, n’est-ce pas... tous ces sons, ces sons qui sont la racine des mots qui se sont formés ensuite. Je ne sais pas si vous avez quelqu’un ici qui pourrait faire cela. En fait, je ne sais pas s’il y a quelqu’un dans l’Inde qui puisse le faire. Sri Aurobindo savait. Mais quelqu’un qui sait le sanskrit peut... Je ne sais pas. Vous avez comme professeur de sanskrit qui? V?
B. — V, W.
W? Mais il n’est jamais ici.
B. — Il revient en février.
Il y a longtemps, il y avait X, aussi.
B. — X... et puis il y a des jeunes professeurs, Y et Z.
Non, il faudrait quelqu’un qui sache un peu bien. J’avais parlé une fois à V. Il m’a dit qu’il préparait une grammaire simplifiée — je ne sais pas ce qu’il a fait — pour une langue qui puisse être universelle pour le pays. Je ne sais pas. Peut-être après tout que c’est V le meilleur.
L’après-midi, alors, qui vous avez comme professeurs? Tu dis une trentaine?
B. — Pour toutes les classes, pour les classes cinq à...
Pour toute l’école?
A. — Le secondaire, Mère.
En dessous, vous ne vous en occupez pas?
A. — Ce sont d’autres groupes de professeurs qui s’en occupent.
Oui, bien entendu. Et vous avez trente professeurs pour à peu près cent cinquante élèves du secondaire. Et alors, ils arrivent sachant quoi? Rien? Dans le Jardin d’enfants, on est censé leur apprendre le français, hein? On leur parle en français. Mais je ne sais pas si c’est strict.
A. — Pas très strict, Mère.
Pas très, hein?
D. — Avant c’était strict; maintenant on parle la plupart du temps en hindi.
Tout petits, tout petits, les enfants ont tendance à s’amuser, n’est-ce pas, ils ont... ce n’est pas cristallisé là-dedans, et ça les amuse beaucoup de savoir les différents noms que les différentes langues donnent à la même chose. Ils ont encore... ou ils n’ont pas encore la fixité mentale. Ils ont encore cette souplesse qui fait qu’on se rend compte que la chose existe en elle-même et que le nom qu’on lui donne est simplement une convention. Et alors pour eux, je pense que c’est comme ça, que le nom qu’on donne est une convention, et alors, n’est-ce pas, il y a beaucoup d’enfants qui s’amusent à dire telle chose, par exemple « oui » ou « non ». Prenez ces mots : « oui » ou « non », le sens d’affirmation ou de négation. En français on dit comme ça, en allemand on dit comme ça, en anglais on dit comme ça, en italien on dit comme ça, en hindi on dit comme ça, en sanskrit on dit comme ça... N’est-ce pas, ça, c’est un jeu très amusant. Si on savait le faire jouer, prendre un objet et puis dire : « Voilà, tu vois, ça, c’est... » Comme ça. Ou un petit chien vivant, ou un petit oiseau vivant, ou un petit arbre vivant, et puis leur dire : « Tu vois, il y a toutes ces langues et... » C’est très vierge là-dedans, ça s’apprend très bien, et très facilement. C’est un jeu très amusant. (à B.) Mais cela ne te concerne pas, toi, tu es déjà de...
Bon. Alors, naturellement, avec vos trente professeurs et vos cent cinquante élèves il faut... Ils vont dans les différentes classes suivant la langue qu’ils veulent apprendre. Ça, c’est assez naturel, cela me paraît même inévitable, parce que ce n’est pas la peine d’avoir tous les professeurs ensemble, qui se mettront à bavarder... Et puis les élèves viendront et ça, ça fera tout un... Non! ça, c’est bien.
Quand on veut savoir le français on entre dans cette classe, on veut savoir l’anglais on entre là, quand...
C. — Ce n’est pas comme ça, Mère.
Et alors?
B. — Ça, c’est le matin que c’est comme ça.
Et alors toi, qu’est-ce que tu enseignes?
B. — Moi, j’enseigne les mathématiques.
Ça n’a rien à faire avec les langues!
B. — Et l’histoire.
Tu enseignes en français les mathématiques? Oui, mais alors là, le problème se complique... Quoi? (rires) Qu’est-ce qu’il y a ? (à B) Qu’est-ce que tu as à me dire?
A. — (à B. qui s’est tourné vers lui) Qu’est ce qu’il faut expliquer?
B. — Ce que nous voulons faire exactement.
C. — Est ce que vous avez aussi des classes orales?
B. — Des classes orales, pas seulement pour les langues, aussi pour les mathématiques et les sciences.
A. — Mère, ils laissent subsister des classes fixes auxquelles les enfants sont obligés d’assister pour les langues, pour les mathématiques et pour les sciences, seulement l’après-midi, le matin étant réservé au travail libre. L’après-midi, ils conservent des classes fixes pour ces trois sujets, tandis que nous, nous n’avons rien...
Langues?
A. — Langues, mathématiques et sciences... et histoire aussi.
Les sciences?
A. — Et les sciences, oui, aussi : sciences naturelles, sciences physiques...
Oui, c’est un monde. Et alors pourquoi?... Qu’est-ce qui reste? La littérature? Et quoi? En dehors de vos sciences qui couvrent tout, il y a la littérature et puis? Les arts? Ça naturellement...
A. — (à B.) C’est pour tous les sujets que vous conservez des choses fixes? (à Mère) Mère, on peut dire pour résumer que dans une certaine mesure, l’après-midi, ils conservent une organisation qui ressemble beaucoup à ce qui existait avant, c’est-à-dire la classe fixe. Mais le matin, le travail est relativement libre.
Là, j’ai une curiosité. Comment est-ce qu’on enseigne une langue? Parce que le professeur qui commence à dire à tout le monde la même chose... et on sort de là, on n’a rien compris!... Ça, une langue, c’est justement la chose qui doit être la plus vivante, la plus vivante! Et pour que ce soit vivant, il faut que les élèves participent. Il ne faut pas qu’ils soient une oreille qui écoute assise sur un banc ! Autrement, on sort de là, on n’a rien appris.
A. — Mère, en ce qui nous concerne, les langues sont organisées de la façon suivante : pour tout le travail écrit, il y a une relation individuelle entre professeur et élève... Pour tout le travail oral, rencontres, etc., nous offrons aux enfants, tous les jours, différentes possibilités auxquelles ils sont libres d’assister... à celle-ci ou à celle-là :
Possibilités?
A. — C’est-à-dire, il y a par exemple le débat, la conversation, avec différents sujets de conversations — il y a des enfants qui préfèrent un sujet scientifique, par exemple, à un sujet d’actualité, etc. Ou il y aura aussi l’improvisation théâtrale, etc. Tout ceci est annoncé la veille ou le jour même aux enfants; ils doivent aller dans une classe, mais ils peuvent choisir où ils veulent aller... et tout ce qui est rédaction, grammaire, etc., tout cela.
Oui, parce que ce sont déjà des enfants qui savent la langue. (à B.) Et toi?
A. — Aussi, aussi... c’est la même chose.
(à A.) Ça, comme ça, ça va bien.
Mais alors (à B.), votre classe de l’après-midi... comment est-ce que vous pensez les faire? Comme ça ? Les élèves assis sur le banc et le professeur qui fait un discours? Dieu! que c’est embêtant! Le professeur s’embête, il est le premier à s’embêter, alors naturellement, son embêtement, il le passe à ses élèves.
N’est-ce pas, il pourrait y avoir une organisation comme ça : prendre un sujet, et le professeur demandant... des questions ici et là, à celui-ci : « Voilà. Qu’est-ce que tu as à dire là-dessus? Qu’est-ce que tu sais là-dessus? » Et comme ça... Et puis, naturellement, si les autres écoutent, ils en profitent. Une espèce d’organisation comme ça, vivante. Pas un discours embêtant, au bout de cinq minutes on s’endort. Poser des questions, ou alors, s’il y a un tableau, faire au tableau une grande question en grandes lettres pour que tout le monde puisse lire, et dire : « Qui est-ce qui peut répondre? » On fait ainsi, et puis alors on interroge, là et là, ceux qui ont demandé à... Et puis alors, quand l’un répond, alors on dit : « Est-ce qu’il y a quelqu’un qui peut me compléter ce que celui-là a dit? » Il faut que le professeur soit vivant.
Ça, je comprends — une classe par langue, des groupes séparés, c’est entendu, l’après-midi. Mais pour l’amour du ciel, pas de ça... assis sur un banc et : « Quand est-ce que ça va être fini? » On regarde sa montre... Il n’y a pas un professeur sur cent qui soit assez amusant pour amuser tout le monde. Et d’abord, il est le premier à s’embêter. N’est-ce pas, pour lui, c’est... pas ici, mais dehors, c’est le gagne-pain, n’est-ce pas, alors...
Il faut que vous ayez là vingt, trente élèves, quarante élèves... combien à la fois? Une vingtaine à peu près?
B. — Oui, Mère.
Juste : « Ah! on va s’amuser. Voyons, qu’est-ce qu’on va faire pour pouvoir s’amuser? À quel jeu est-ce qu’on va pouvoir jouer? » Et alors, naturellement, comme ça, on trouve, on invente. Et lui-même [le professeur], il reste vivant parce qu’il est obligé de trouver. Et les élèves sont là, comme ça, à... Quand ils ont un peu d’amour-propre, ils veulent pouvoir dire quelque chose, et ça fait une atmosphère vivante. Cela ne t’amuserait pas plus que de faire... d’apprendre chez toi? Si tu es honnête, tu travailles le soir pour la classe que tu feras le lendemain, tu apprends bien soigneusement, tu prends des notes et tu écris, et... Tu peux préparer un sujet, préparer, n’est-ce pas, voir, pour être prêt à répondre à toutes les questions. Ce n’est pas toujours facile. Mais préparer bien ton sujet, ça, c’est bien, tâcher de recevoir un petit peu de lumière et d’inspiration pendant la nuit, et puis alors, le lendemain, trouver une façon vivante de vivre ce que tu sais. Et pas les élèves et le professeur... non! Un groupe d’êtres vivants dont les uns savent un petit peu plus que les autres, voilà tout.
A. — Mère, maintenant il y a une question, une autre question importante. Tu nous as dit souvent que c’est seulement dans le silence intérieur que l’on trouve la vraie réponse à la question que l’on se pose. Quelle est la meilleure façon de faire découvrir aux enfants comment s’établit ce silence? Est ce ainsi que la conscience se substitue à la connaissance?
(long silence)
N’est-ce pas, justement, dans ce système de classes où tout le monde est assis, le professeur est là et on a un temps déterminé pour faire le travail, ce n’est pas possible. Ce n’est que si on a une liberté absolue que l’on peut faire le silence quand on a besoin d’être silencieux. Mais quand tous les élèves sont en classe et que le professeur est en classe... Quand le professeur va faire le silence en lui, tous les élèves... alors, ce n’est pas possible.
Il peut faire le silence à la maison, la nuit, la veille, pour se préparer pour le lendemain, mais on ne peut pas... Ça ne peut pas être une règle immédiate. Naturellement, quand on est tout au bout de l’échelle et qu’on a l’habitude de garder son mental absolument silencieux, on ne peut pas faire autrement, mais vous n’en êtes pas là, ni les uns, ni les autres. Alors il vaut mieux ne pas en parler. Alors je crois que pendant les... surtout avec ce système-là, les classes d’un temps défini, d’un nombre d’élèves défini, avec un professeur défini, et un sujet défini, il faut être actif pendant qu’on est là.
Il faut que ce soit... Si les élèves veulent pratiquer la méditation, la concentration, essayer d’entrer... c’est pour entrer en contact avec le monde intuitif, c’est pour — au lieu de recevoir une réponse purement mentale qui est comme ça, n’est-ce pas —, pour recevoir une réponse d’en haut qui est un petit peu lumineuse et vivante. Mais ça, il faut prendre l’habitude quand on est chez soi.
Naturellement, celui qui a l’habitude, dans la classe — quand le professeur posera la question, mettra au tableau telle question :
« Qui est-ce qui peut répondre? » — il y a celui-là qui peut faire comme ça (Mère porte les deux mains à son front), recevoir, ah! et puis dire... Mais ça, quand nous en serons là, ce sera un gros progrès.
Autrement on sort du magasin, n’est-ce pas, tout ce que l’on a appris. Ce n’est pas très intéressant, mais enfin cela vous fait de la gymnastique mentale. Et, n’est-ce pas, le système de classe, c’est un système démocratique, hein? C’est parce que... il faut pouvoir en un temps limité, un espace limité, il faut enseigner au plus de gens possible, pour que tout le monde puisse en profiter. C’est tout à fait l’esprit démocratique. Alors cela nécessite, cela nécessite une sorte de... d’égalisation... enfin... on les met tous sur le même plan, ça, c’est lamentable. Mais dans l’état du monde, nous pouvons dire : « C’est encore une chose nécessaire. » Il n’y aurait que les enfants de riches qui pourraient se payer des... Évidemment, ce n’est pas agréable à penser. Non, il y aura un problème des classes primaires pour toute la population... pour Auroville. Et ça, ce sera un problème intéressant : comment préparer les enfants, des enfants pris n’importe où, qui n’ont aucun moyen pour apprendre chez eux, des parents ignorants, aucune possibilité d’avoir les moyens d’apprendre, rien, rien, rien que la matière brute, n’est-ce pas, comme ça — comment leur apprendre à vivre? Ce sera un problème intéressant.
A. — Avec ce que nous avons fait pour l’année prochaine, Mère, nous allons arriver au respect intégral de la personnalité de l’enfant, tu sais. Intégrale, à tout moment, ce sera seulement lui qui comptera, et non pas l’ensemble auquel il appartiendra. Absolument. Et alors, à propos de la question que je te posais maintenant, les conditions de travail le matin, elles sont un peu différentes puisque le travail sera libre. Alors, dans ces conditions, peut-être les enfants pourront-ils...
Oui, là, le travail du matin, le travail comme ils font là, à « Vers la Perfection 44 »... ils peuvent très bien faire ça : rester un moment silencieux, concentrés, taire tout ça, tout ce qui fait du bruit dedans, comme ça, et attendre. Ça, ça, le matin, ils peuvent le faire. Non, je veux dire, c’est quand on a une heure de classe, n’est-ce pas, ou trois quarts d’heure de classe, avec... tous ensemble et puis le professeur... on est obligé de s’occuper. Ce serait amusant que pendant trois quarts d’heure tout le monde reste... (rires)
Il y aurait bien une chose à faire une fois, au moins une fois : mettre un sujet, comme ça, n’est-ce pas, dans le cours des sujets, le mettre et leur dire : « Nous allons rester un quart d’heure silencieux, silencieux ; pas de bruit, personne ne devrait faire du bruit. On restera un quart d’heure silencieux. Tâchez pendant un quart d’heure d’être tout à fait silencieux, immobiles et attentifs, et puis nous verrons après le quart d’heure ce qui va sortir. » On peut réduire à cinq minutes pour commencer, trois minutes, deux minutes, ça ne fait rien, n’est-ce pas. Un quart d’heure, c’est beaucoup, mais faire... essayer ça... voir, n’est-ce pas. Il y en a qui vont commencer à trépigner. Il y a peut-être très peu d’enfants qui savent rester tranquilles; ou alors ils s’endorment — mais ça ne fait rien s’ils s’endorment. On pourrait essayer cela au moins une fois, voir ce que ça donne : « Voyons! Qui répondra à ma question après dix minutes de silence? Et dix minutes, non pas où vous serez en train d’essayer de raccrocher tout ce que vous pouvez savoir mentalement sur le sujet, non, non — dix minutes où vous serez bien comme ça, blancs, immobiles, silencieux, attentifs... attentifs et silencieux. »
Maintenant, si le professeur est un vrai professeur, pendant ces dix minutes, lui, il fait descendre du domaine de l’intuition la connaissance qu’il répand sur sa classe. Et alors, vous faites du travail intéressant, et vous verrez les résultats. Alors le professeur commencera lui-même à faire un peu de progrès. On peut essayer. Essayez, vous verrez bien!
A. — Nous avons essayé, Mère, ça.
N’est-ce pas, ceux qui sont sincères, sincères et très... comment dire... très droits dans leur aspiration, il y a une aide merveilleuse, il y a une conscience absolument vivante, active, n’est-ce pas, qui est prête à... à répondre à tout silence attentif. On pourrait faire en six mois le travail de six ans, mais il faut... n’est-ce pas, il ne faut pas qu’il y ait de prétention, il ne faut pas quelque chose qui essaye d’imiter, il ne faut pas vouloir avoir l’air, il faut, n’est-ce pas... il faut être vraiment, absolument honnête, pur, sincère, conscient que... on n’existe que par ce qui vient d’en haut. Alors... alors... alors on pourrait marcher à pas de géant.
Mais pas le faire quotidiennement, régulièrement, à une heure fixe, parce que cela devient une habitude et un embêtement, n’est-ce pas. Il faut... inattendu! Tout d’un coup, on dit : « Ah! si nous faisions ça... » quand on sent que soi-même on est un petit peu comme ça, un peu prêt. Ça, ce serait très intéressant.
Poser une question, une question aussi intelligente que l’on peut, n’est-ce pas, pas une question dogmatique, une question académique, non, une question un peu vivante. Ce serait intéressant.
(silence)
Vous verrez, à mesure que vous ferez effort pour réaliser, vous découvrirez dans la nature — la nature inférieure, c’est-à-dire le mental inférieur, le vital inférieur, le physique — combien il y Conversations a de prétention, de cabotinage, d’ambition... On peut utiliser n’importe quel... Le besoin de paraître, il faut que tout ça soit éliminé, absolument, radicalement, remplacé par une flamme sincère d’aspiration, d’aspiration vers cette pureté qui fait qu’on ne vit que ce que la suprême Conscience veut de vous, qu’on ne peut que ce qu’Elle veut, qu’on ne fait que ce qu’Elle veut, quand Elle veut. Alors on peut être tout autre... C’est un peu loin sur le chemin, mais on tente de faire ça, toujours, cette purification de tout l’être qui se...
Alors ce n’est plus l’école, les professeurs, les élèves, l’embêtement, c’est... la vie qui essaye de se transformer. Voilà. Ça, c’est l’idéal, il faut aller là.
Tu as encore des questions à me poser?
A. — Mère, est ce que tu voudras bien donner un message aux enfants pour la rentrée, le 16 décembre?
Si ça vient, je le donnerai.
E., donne-moi les fleurs. Il y a un vase qui a des fleurs rouges. Voilà. C’est pour ces deux-là. Voilà.
(à A.) Voilà, ça, c’est pour toi.
(à B.) Et ça, c’est pour toi. Toi, tu as tout un avenir devant toi. Il faut casser les... Tu sais, tu es encore ligoté dans de vieilles habitudes de penser. Tu n’as pas suffisamment profité du fait que tu as vécu ici tout le temps, tu es encore trop comme ça...
Alors maintenant, il faut prendre ça, casser tout, casser tout, casser tout. Ne vivre que par la Lumière qui vient d’en haut. Libérer, libérer ta conscience. C’est important. C’est bien que tu sois venu. Tu es encore très enfermé comme ça, ligoté dans toutes les vieilles habitudes et... Et encore, il y a encore autre chose, il y a encore le poids de l’atavisme et tout ça... C’est pour tout le monde, mais enfin, pour le moment c’est seulement... j’en suis à te libérer. Tu es comme ça encore... comme ça... comme ça... comme ça... tes vieilles habitudes de penser, tes vieilles habitudes d’apprendre, tes vieilles habitudes — pas très vieilles — mais des vieilles habitudes d’enseigner. Alors tout ça : casser! Comme ça... il faut que, quand tu vas en classe, tous les jours, qu’avant d’aller en classe, tu fasses une espèce de prière, une invocation à la Conscience suprême, et que tu Lui demandes de t’aider à amener toute cette masse, cette masse de matière vivante sous Son influence. Alors cela deviendra intéressant, vivant. Voilà.
Au revoir.
Et maintenant, pour D., une rose.
(à D.) Voilà. Tiens, ça, tu vois, c’est plus dynamique, tu ne le verras pas, mais c’est plus dynamique.
Mais les femmes, les femmes, elles sont en principe le pouvoir exécutif. Il ne faut jamais l’oublier. Et pour recevoir l’inspiration, vous pouvez vous appuyer sur une conscience masculine si vous en sentez le besoin. Il y a la Conscience suprême qui est plus sûre, mais enfin, si vous avez besoin d’un intermédiaire... Mais pour exécuter, c’est vous qui avez le pouvoir de le faire dans tous les détails, avec toute la puissance d’organisation. Je suis en train d’inculquer cela à nos députés-femmes — tu sais, il y a des femmes dans le Parlement, et je leur enseigne ça : ne soyez pas soumises aux hommes. C’est vous qui avez le pouvoir d’exécution. Ça fera son effet.
(à A. et B.) Oh! ce n’est pas pour diminuer... (rires) N’est-ce pas, l’inspiration vient... l’exécution est... Voilà.
Alors, je t’ai donné, je t’ai donné... (à E.) toi, je ne t’ai pas donné. Là-bas... !
Voilà. Et ça, c’est pour C.
Voilà, mes enfants. Au revoir.
(à A.) Et quand vous avez besoin de quelque chose, tu peux toujours écrire... Je ne dis pas que je répondrai immédiatement, mais comme ça (Mère porte la main à son front), je réponds immédiatement. Ça, il faut apprendre, hein? Comme ça Conversations (écrire), ça prend du temps. Mais enfin, tout de même, il vaut mieux me tenir au courant.
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