CWM (Fre) Set of 18 volumes
Éducation Vol. 12 of CWM (Fre) 502 pages 2008 Edition
French

ABOUT

Dans ce volume ont été réunis des articles, des messages, des lettres et des conversations de la Mère avec des étudiants et des professeurs de l’école de l’Ashram, et trois pièces de théâtre.

Éducation

The Mother symbol
The Mother

Dans ce volume ont été réunis des articles, des messages, des lettres et des conversations de la Mère avec des étudiants et des professeurs de l’école de l’Ashram, et trois pièces de théâtre : Vers l’Avenir, Le Grand Secret et L’Ascension vers la Vérité.

Collection des œuvres de La Mère Éducation Vol. 12 502 pages 2008 Edition
French
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Le Grand Secret : narration by The Mother

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Troisième partie

Théâtre




Vers L'avenir




Vers L’avenir

Un acte en prose pouvant se jouer dans n’importe quel pays, avec les petits changements de détail dans la mise en scène que les habitudes locales peuvent rendre nécessaires.

PERSONNAGES

ELLE
LE POÈTE
LA VOYANTE
LE PEINTRE
L’AMIE D’ENFANCE


(Lorsque le rideau se lève, Elle et l’Amie d’enfance sont assises côte à côte sur le divan.)

ELLE

Comme tu es gentille d’être venue me voir, après si longtemps... Je pensais que tu m’avais oubliée.

L’AMIE

Certes non, mais j’avais perdu ta trace, et je ne savais plus où te trouver. Et maintenant que je te retrouve, quelle surprise! Toi, mariée... quelle chose étrange, je n’y puis croire.

ELLE

Moi aussi, j’en suis toute étonnée.

L’AMIE

Je le comprends... Avec quelle ironie tu appelais le mariage une coopérative de consommation et de production, je m’en souviens; et aussi du dégoût que tu éprouvais à tout ce qui révélait l’animalité humaine, la bête dans l’homme. De quel ton tu disais : Ne soyons pas des mammifères.

ELLE

Oui, j’ai toujours pris plaisir à me moquer des idées courantes et des conventions sociales. Mais tu me rendras cette justice que je n’ai jamais rien dit contre l’amour vrai, celui qui provient d’une affinité profonde et s’accompagne d’une identité de vues et d’aspirations. J’ai toujours rêvé d’un grand amour partagé qui serait libre de toute activité animale; quelque chose qui puisse reproduire physiquement le grand amour qui est à l’origine des mondes. C’est ce rêve qui est responsable de mon mariage. Mais l’expérience n’a pas été bien heureuse. J’ai beaucoup, très sincèrement, très intensément aimé, mais mon amour n’a pas rencontré la réponse qu’il espérait...

L’AMIE

Pauvre amie...

ELLE

Oh! Ce n’est pas pour me faire plaindre que je te dis cela. Je ne suis pas à plaindre; mon rêve est pratiquement irréalisable dans le monde tel qu’il est. Il faudrait, pour que cela devienne possible, que la nature humaine change tellement! Nous sommes d’ailleurs de très bons camarades, mon mari et moi, ce qui n’empêche pas que nous nous sentions tout à fait isolés, chacun de son côté. L’estime et les concessions réciproques établissent une harmonie qui rend la vie mieux que supportable; mais est-ce là le bonheur?...

L’AMIE

Pour beaucoup peut-être ce serait le bonheur.

ELLE

C’est vrai; mais parfois je sens un tel vide dans ma vie! C’est pour combler ce vide, sans doute, que je me suis donnée toute entière et en toute sincérité à la cause merveilleuse qui m’est si chère : le soulagement de l’humanité souffrante, son éveil à ses capacités et à son but véritable, et sa transformation finale.

L’AMIE

Je vois que quelque chose de grand, de peu commun gouverne ta vie. Mais comme je ne sais pas de quoi il s’agit, cela me paraît assez mystérieux.

ELLE

En effet, je te dois une explication. Il faut que je t’en parle en détail, mais cela prendra du temps. Si j’allais te voir chez toi, qu’en dirais-tu?

L’AMIE

Quelle excellente idée; rien ne pourrait me faire plus plaisir. Et pour quand la visite? Aujourd’hui même, veux-tu?

ELLE

Oui, très volontiers. J’éprouve toujours une joie profonde à faire connaître cet enseignement merveilleux qui guide notre vie et oriente nos volontés. Pour le moment, j’ai à faire quelques petits arrangements afin que mon mari trouve tout prêt lorsqu’il reviendra de sa promenade. Et quand il se sera mis au travail, je pourrai sortir à mon tour et je viendrai te trouver.

L’AMIE

C’est entendu. Alors, au revoir, à bientôt.

(Elle accompagne son amie jusqu’à la porte derrière le tambour. Puis elle revient vers la table à écrire, y range quelques papiers, des livres, et tout ce qu’il faut pour écrire. Elle place quelques fleurs dans un vase sur la table, et jette un coup d’œil à la ronde pour voir si tout est en ordre. À ce moment on entend une clef qui tourne dans la serrure.)

ELLE

Ah! Le voilà. (Le poète entre; allant vers lui affectueusement.) La promenade a-t-elle été agréable?

LE POÈTE

(Distrait.) Oui, merci. (Il dépose son chapeau sur une chaise.) J’ai trouvé la fin de mon poème. Elle est venue pendant que je marchais. Décidément un peu d’activité en plein air facilite l’inspiration. Oui, je pense que ce sera bien comme cela : je termine sur un chant de triomphe, un hymne de victoire, la glorification de l’homme évolué ayant retrouvé, avec la conscience de son origine, la connaissance de tout ce dont il est capable, et le pouvoir de le réaliser; je le décris marchant dans la splendeur heureuse de l’union à la conquête de l’immortalité terrestre. Ce sera beau et vraiment universel, n’est-ce pas? Il est grand temps que l’art ne soit plus une apologie de la laideur et de la défaite... Comme il sera heureux le jour où la poésie, la peinture, la musique exprimeront seulement la beauté, la victoire et la joie, ouvrant ainsi le chemin qui mène vers la réalisation future, vers l’avènement d’un monde où n’existeront plus le mensonge, la souffrance, la laideur et la mort... Mais en attendant, que de misères encore pour les hommes, que de douleurs, que d’angoisses, que d’âpres solitudes, c’est terrible! Et chacun a son fardeau qu’il doit porter coûte que coûte, qu’il le veuille ou non. (Il reste plongé dans ses réflexions.)

ELLE

(S’approchant de lui affectueusement et posant la main sur son bras.) Allons, mets-toi au travail, tu sais que c’est le meilleur remède contre la tristesse. Je vais te laisser à ton inspiration. J’ai promis à mon amie d’aller passer l’après-midi avec elle pour lui faire connaître quelque chose du merveilleux enseignement qui guide notre vie. Sans doute lirons-nous ensemble quelquesunes de ces pages si pleines de vérité profonde. Réfléchir à toutes ces choses est notre grande joie à toutes deux. Voilà qui bouleverserait les idées de bien des hommes, n’est-ce pas? Ils sont persuadés que les femmes ne sont bonnes qu’à parler chiffons... En général ils n’ont pas tout à fait tort, la majorité des femmes sont terriblement frivoles, du moins en apparence; car bien souvent cette légèreté superficielle cache un cœur bien lourd, sert de voile à une vie bien peu satisfaite; les pauvres, j’en connais tant qui sont si à plaindre.

LE POÈTE

Tu as raison, les femmes sont bien à plaindre, presque toutes manquent de la protection nécessaire et sont comme de frêles barques sans port pour se mettre à l’abri de la tempête. Car la plupart ne reçoivent pas l’éducation qui leur apprendrait à se protéger elles-mêmes.

ELLE

C’est vrai; d’ailleurs même chez les plus fortes, il y a dans la femme le besoin profond d’une tendresse protectrice, d’une force pour elle toute-puissante qui se penche vers elle et l’enveloppe de sa douceur réconfortante; c’est cela qu’elle recherche dans l’amour, et lorsqu’elle a le bonheur de le trouver, c’est cela qui lui donne confiance dans la vie et qui ouvre devant elle la porte de tous les espoirs. Sans cela, la vie est pour elle un désert aride qui brûle et dessèche le cœur.

LE POÈTE

Ah! Comme tu dis bien ces choses, tu les dis comme quelqu’un qui les a fortement éprouvées. Je vais en prendre note pour mon prochain livre qui traitera de l’éducation à donner aux femmes. Allons, je me mets au travail.

ELLE

C’est cela, je sors. Au revoir, bon travail. (Elle prend un livre et sort.)

LE POÈTE

(S’installe à sa table et voit tout préparé pour son travail.) Toujours les mêmes attentions affectueuses et gentilles; elle ne se départ jamais de sa prévenance et de sa douceur. Quand je la regarde, il me semble voir une lumière, tant son intelligence et sa bonté rayonnent autour d’elle, se répandant sur tous ceux qui l’entourent et qu’elle guide vers des horizons meilleurs. Je l’admire, j’ai pour elle un profond respect... Mais tout cela n’est pas de l’amour... l’amour! Quel rêve! Deviendra-t-il jamais une réalité? (On entend une mélodie chantée par une voix superbe. Le poète se lève vivement et va à la fenêtre ouverte.) Quelle voix admirable! (Il écoute en silence, jusqu’à ce que la mélodie s’éteigne. Il pousse alors un soupir et s’apprête à retourner à la table, quand un coup est frappé à la porte.) Tiens, qui frappe? (Il va ouvrir la porte, le Peintre entre.)

LE POÈTE

C’est toi! Bonjour, mon vieux. Quel bon vent t’amène?

LE PEINTRE

J’avais à te parler et j’ai rencontré ta femme qui m’a dit que tu étais dans ton sanctuaire, alors, voilà, je suis venu...

LE POÈTE

Tu as très bien fait. Pénètre donc dans ce que tu appelles le « sanctuaire » et parle, ne me fais pas languir. S’agit-il de peinture?

LE PEINTRE

Non, la peinture va bien, mais je t’en parlerai une autre fois. Il s’agit de musique. (Le Poète devient attentif.) Hier, en soirée chez des amis, j’ai entendu chanter une vraie artiste, qui est, paraît-il, ta voisine. (Le poète fait un geste de surprise et d’intérêt.) Tu la connais?

LE POÈTE

Non, mais je l’entends souvent chanter d’ici ; elle a une voix superbe, une voix qui fait vibrer toutes les fibres de mon être; dès la première fois qu’elle a frappé mes oreilles, elle m’a semblé familière, comme l’écho d’un temps très ancien. Depuis près de six mois j’entends cette voix qui forme une sorte d’accompagnement sympathique à mon travail. Bien souvent j’ai désiré faire la connaissance de la personne qui possède un si bel organe.

LE PEINTRE

Voilà qui tombe à merveille. Hier soir j’ai donc été présenté à cette jeune personne qui m’a paru tout à fait gentille. Nous avons pas mal bavardé et au cours de la conversation elle m’a exprimé l’admiration qu’elle éprouve pour tes œuvres poétiques qu’elle semble lire avec ferveur. Elle m’a dit aussi qu’elle est toute seule dans la vie et qu’elle ne peut compter que sur elle-même, que parfois c’est difficile de se tirer d’affaire, etc. Elle rêve de chanter dans des concerts. J’ai de suite pensé à toi et à toutes tes relations. Ta complaisance est bien connue; je lui ai donc offert de te parler d’elle et de te demander si tu peux la présenter à quelques musiciens ou compositeurs en renom. Voilà pourquoi je suis venu.

LE POÈTE

Tu as rudement bien fait. C’est avec le plus grand plaisir que je m’occuperai d’elle. Qu’avez-vous donc décidé tous les deux ?

LE PEINTRE

Il a été entendu que si tu y consentais, j’irais la chercher tout de suite — il n’y a pas loin à aller — et que je te l’amènerais pour que vous fassiez connaissance.

LE POÈTE

C’est parfait. Va donc la chercher, je vous attends. (Le Peintre sort.)

LE POÈTE

(Marchant fiévreusement de long en large.) C’est étrange, étrange... le hasard n’existe pas; tout est l’effet de causes qui échappent simplement à notre contrôle... l’affinité peut beaucoup, qui sait?... Je suis curieux de savoir si l’instrument est aussi beau que le son qu’il donne. Les voilà. (La porte qui n’était que tirée est poussée du dehors.) Oh! Qu’elle est jolie! (La Voyante entre souriante, suivie du Peintre.)

LE PEINTRE

Mademoiselle, je vous présente mon ami le poète bien connu que vous admirez tant.

LE POÈTE

Très heureux, mademoiselle, de faire votre connaissance et de pouvoir vous dire toute l’admiration que j’éprouve pour votre voix si belle, dont vous vous servez avec tant d’art.

LA VOYANTE

Vous êtes très aimable, monsieur, et je vous remercie. Vous m’excuserez, n’est-ce pas, d’être venue sans façon; mais nous sommes si proches voisins. Je vous connaissais déjà avant de vous être présentée. J’avais remarqué que vous vous mettiez souvent à la fenêtre pour m’écouter chanter; et même les premiers temps je n’étais pas contente quand vous m’applaudissiez. Je croyais que vous vous moquiez de moi.

LE POÈTE

Quelle erreur! C’était simplement pour vous exprimer mon admiration et pour vous remercier des joies artistiques que vous me procurez.

LE PEINTRE

Maintenant que j’ai rempli mon office, je vais m’en aller. J’ai rendez-vous avec mon marchand de tableaux. Ah! le bougre! Il veut me faire faire des choses absurdes sous prétexte que c’est le goût du jour... Mais je résiste.

LE POÈTE

Oui, résiste, résiste vaillamment; n’encourage pas cette dégénérescence du goût moderne, cette chute dans le mensonge qui semble s’être répandue dans la conscience de tous nos contemporains, dans tous les domaines de la production humaine.

LE PEINTRE

C’est bon, mon vieux, je pars, animé d’un courage nouveau, en guerre pour la vérité. Au revoir.

LE POÈTE ET LA VOYANTE

Au revoir!

LE POÈTE

(Montrant le divan.) Asseyez-vous, mademoiselle, je vous en prie.

LA VOYANTE

(S’asseyant.) Ainsi vous voulez bien me présenter à quelques personnes et me faire entendre?

LE POÈTE

Certainement. Un de nos plus grands chefs d’orchestre est de mes amis, et avec un talent comme le vôtre, toutes les portes vous seront facilement ouvertes.

LA VOYANTE

Vous me rendrez un si grand service; je vous remercie.

LE POÈTE

Non, non, ne me remerciez pas. (Il vient s’asseoir à côté d’elle.) Si vous saviez toutes les belles joies que vous m’avez procurées... Si vous saviez comme l’harmonie de votre voix chaude faisait un accompagnement agréable à mon travail quotidien. Je vous dois de bonnes et belles heures, allez, et c’est moi qui vous ai de la reconnaissance.

LA VOYANTE

C’est très gentil de me dire tout cela. (Elle regarde autour d’elle, puis se tourne vers le Poète en souriant.) C’est curieux, tout m’est comme familier ici, peut-être pas tant les objets que l’air, l’atmosphère qui enveloppe les choses. Excusez ma hardiesse, mais je me sens pour ainsi dire comme chez moi; il me semble que je suis venue ici depuis toujours. Et j’ai l’impression qu’il va m’arriver toutes sortes de bonheurs maintenant.

LE POÈTE

Je serai le premier à en être heureux.

LA VOYANTE

(Après un petit silence.) Il faut que je vous raconte une chose curieuse. Lorsque, il y a de cela six mois environ, je suis venue m’installer dans cette ville, après la mort de ma mère, dans l’espoir de gagner ma vie, j’avais le choix entre plusieurs petits logements qui avaient tous leurs avantages et leurs inconvénients. Celui que j’ai loué ici dans cette maison ne valait pas mieux que les autres, mais j’ai été entraînée à le prendre par une espèce d’intuition que j’y serais heureuse, que de bons événements m’y attendaient... c’est étrange, n’est-ce pas?

LE POÈTE

(Rêveur.) Étrange, oui, très étrange... (À part.) Est-ce l’affinité... qui sait? (À la Voyante.) Voyez-vous, et c’est curieux aussi, je me suis senti beaucoup plus calme et plus satisfait depuis que j’entends chaque jour votre voix ; et j’avais un très grand désir de vous connaître.

LA VOYANTE

Et moi qui ne connaissais de vous que l’écrivain dont j’admirais immensément le talent et qui osais à peine espérer qu’un jour je vous rencontrerais. Il y a des choses si extraordinaires et mystérieuses dans la vie... mystérieuses peut-être seulement parce qu’on en ignore les causes, autrement tout doit être très simple et naturel. Et tenez, moi aussi en ce moment j’éprouve une sensation de bien-être et de calme, et j’en suis toute fortifiée. J’ai si grand besoin d’être fortifiée, encouragée, si vous saviez... La vie est dure pour une orpheline sans aide et sans protection, obligée de gagner sa subsistance toute seule, et ne connaissant personne pour la soutenir dans la lutte. Mais voilà que je vous ai rencontré, et je sens que maintenant toutes les difficultés vont être aplanies.

LE POÈTE

Soyez sûre que je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour vous aider; c’est un devoir et un très grand bonheur de se rendre utile à une artiste et à une femme telle que vous.

LA VOYANTE

(Lui prenant la main dans ses mains, d’un mouvement spontané.) Merci. Il semble que nous avons toujours été assis comme cela, l’un à côté de l’autre, et que nous sommes des amis, de vieux amis... N’est-ce pas que nous sommes des amis?

LE POÈTE

(Gravement.) Oui, de tout cœur.

LA VOYANTE

Je me sens si à l’aise ici que j’en oublie toutes les convenances, et tenez, pour mettre le comble à mon incorrection, me voilà prise d’un impérieux besoin de dormir. Je dors si mal chez moi, depuis si longtemps; je me sens inquiète, guettée par des ennemis invisibles qui me veulent du mal. Je n’arrive pas à atteindre le calme qui me permettrait un repos salutaire. Tandis qu’ici, j’ai l’impression que quelque chose de chaud et de fort m’enveloppe comme un manteau vivant, et peu à peu le sommeil me gagne irrésistible...

LE POÈTE

(La regardant avec douceur.) Étendez-vous là, sur les coussins, mettez-vous bien à l’aise, que rien ne vous gêne; et surtout ne pensez pas une minute aux convenances, aux usages, ce sont des entraves sans valeur réelle, que l’homme semble avoir forgées pour le malheur de l’homme.

LA VOYANTE

J’ai grand besoin de dormir, j’ai une douleur persistante dans la tête qui me fait beaucoup souffrir; j’ai tant travaillé pour arriver le plus vite possible à un résultat, et ainsi je me suis terriblement fatigué le cerveau.

LE POÈTE

(Avec empressement.) Voulez-vous me permettre?... Je pense que je pourrai facilement vous soulager. (Il lui passe plusieurs fois la main sur le front; puis laisse sa main sur la tête pendant un moment. La Voyante qui s’est étendue sur les coussins, s’endort avec une expression de joie et de bien-être.)

LA VOYANTE

(À moitié endormie.) Cela va bien maintenant; je n’ai plus mal du tout... et je me sens si heureuse.

LE POÈTE

(Qui achève de l’installer confortablement sur le divan et reste assis à côté d’elle en tenant sa main dans la sienne — à lui-même.)

Pauvre petite, être si jolie et si seule...

LA VOYANTE

(Parlant dans son sommeil.) Oh! comme c’est beau!

LE POÈTE

(Doucement.) Qu’est-ce qui est beau?

LA VOYANTE

(Toujours endormie.) Là tout autour de vous, la lumière violette... C’est comme une améthyste vivante et lumineuse... J’en suis toute entourée aussi; c’est cela qui me fortifie... C’est une protection, une protection sûre... rien de mauvais ne peut plus approcher de moi maintenant. (Avec extase.) Qu’il est beau le violet qui vous entoure!

LE POÈTE

Puisque vous vous trouvez bien, dormez tranquille maintenant et sans rien voir.

LA VOYANTE

(D’une voix lointaine.) Je m’endors, je m’endors. Oh! quel calme, quel bien-être.

LE POÈTE

(La regardant avec tendresse.) Oui, dors enfant, dors du sommeil réparateur; la vie a été dure pour toi et tu as grand besoin de repos. (Après un moment de silence.) À quoi servirait de vouloir me tromper moi-même? Je suis obligé de le constater; de même que sa voix faisait vibrer tout mon être, de même sa présence me remplit d’un bonheur calme et profond. Et voilà Vers l’Avenir 409 qu’elle s’est endormie, sous ma protection, de son premier sommeil conscient. Sa confiance même crée pour moi une responsabilité, une responsabilité qui me serait bien douce. Mais celle que j’ai épousée? Je sais qu’elle est forte et vaillante, je sais que depuis longtemps elle s’est aperçue que je n’avais pour elle que l’affection d’un camarade; elle-même ne peut être satisfaite ainsi; les profondeurs de son amour ne sont pas touchées. Cependant, vis-à-vis d’elle aussi j’ai des responsabilités; comment lui dire que tout mon être est concentré sur une autre? Et pourtant je ne puis dissimuler; le mensonge est le seul mal ; et de plus il serait bien inutile : une femme comme elle ne peut être trompée. Oh! la vie est souvent cruelle!

LA VOYANTE

(Toujours endormie, se retourne et lui met sa main sur les mains.) Je suis heureuse... heureuse... (Elle appuie sa tête sur les genoux du poète dans un geste d’enfant confiant.)

LE POÈTE

Chère petite! Comment faire? (Il la regarde longuement, plongé dans ses réflexions. La Voyante pousse un soupir, s’étire et se réveille.)

LA VOYANTE

(Regardant autour d’elle avec un peu de surprise.) J’ai dormi... comme j’ai bien dormi, jamais de ma vie je n’avais si bien dormi.

LE POÈTE

J’en suis tout heureux.

LA VOYANTE

(Le regardant affectueusement.) Voyez-vous, cette lumière qui vous entourait et qui s’étendait sur moi, était à la fois une nourriture et une protection; c’était si joli et si réconfortant.

Même maintenant que je suis réveillée je la sens autour de moi.

LE POÈTE

Elle reste autour de vous, en effet. Est-ce la première fois que vous voyez ainsi des lumières colorées?

LA VOYANTE

Je me souviens avoir vu tantôt des lumières, tantôt des brumes colorées autour de certaines personnes. Mais je n’en ai jamais vu de si belle que la vôtre et qui me soit aussi profondément sympathique. Souvent même autour des autres, c’est comme un brouillard trouble et malsain. Qu’est-ce donc ?

LE POÈTE

Pour être claire, la réponse devrait être un peu longue, mais je vais essayer de vous l’expliquer de mon mieux en quelques mots. Vous m’arrêterez si je vous ennuie. Nous sommes des êtres composés d’états différents qui sont, comparativement, comme la terre, l’eau, l’air et le feu. Vous suivez?

LA VOYANTE

J’écoute avec intérêt.

LE POÈTE

L’état le moins dense pénètre et traverse le plus dense, comme l’eau s’évapore à travers un vase poreux, avec cette différence qu’il ne s’ensuit aucune perte. Ainsi ce qui est plus subtil en nous forme une sorte d’enveloppe autour de notre corps, et nous appelons cet enveloppement subtil l’aura.

LA VOYANTE

Je comprends, c’est très clair. Mais alors cela peut être très utile de voir ainsi les auras?

LE POÈTE

Vous l’avez deviné; c’est d’une grande utilité. Vous comprendrez facilement que l’aura est le reflet exact de ce que nous avons au-dedans de nous, de nos sentiments et de nos pensées. Si les pensées et les sentiments sont harmonieux et calmes, l’aura sera harmonieuse et calme; si les sentiments sont tumultueux ou les pensées troublées, l’aura exprimera ce tumulte et ce trouble; elle sera semblable à ce brouillard que vous dites avoir vu autour de certaines personnes.

LA VOYANTE

Oui, je saisis; ces auras sont donc des révélatrices...

LE POÈTE

En effet, pour ceux qui voient ces entourages, la tromperie ne peut plus exister; car un homme de mauvaise volonté, par exemple, pourra bien essayer de se faire passer pour un ange de lumière, ce sera en vain : son aura dévoilera que ses pensées et ses buts sont ténébreux.

LA VOYANTE

(Avec admiration.) C’est magnifique! Quelles conséquences cette connaissance pourrait avoir dans le monde! Mais où avez-vous appris de si belles choses? Car je ne pense pas que beaucoup les sachent.

LE POÈTE

Non, surtout dans les temps modernes, à une époque comme la nôtre où seuls comptent le succès et les satisfactions matérielles qu’il donne. Pourtant un nombre toujours croissant de mécontents cherchent à savoir la raison et le but de la vie. Et d’autre part, il y a ceux qui savent et font effort pour aider l’humanité souffrante; ceux-là sont les détenteurs de la connaissance suprême transmise de génération en génération et qui sert de base à une méthode de développement qui a pour but d’éveiller l’homme à la conscience de ce qu’il est vraiment et de ce qu’il peut faire.

LA VOYANTE

Comme il doit être beau cet enseignement! Vous voudrez bien me le dévoiler peu à peu, n’est-ce pas? Car nous nous verrons souvent? Je voudrais tant que nous ne nous quittions plus... Pendant que je dormais, j’ai senti que vous êtes tout pour moi et que je vous appartiens définitivement; j’ai senti aussi que dorénavant votre protection m’envelopperait toujours et moi qui avais si peur, qui me sentais en butte à tant d’ennemis, je suis tranquille, calme et confiante maintenant, car je puis dire à tous ceux qui me veulent du mal : « Je ne vous crains plus, je suis efficacement protégée d’une protection qui ne me manquera jamais. » J’ai raison, n’est-ce pas?

LE POÈTE

Oui, oui, vous avez raison.

LA VOYANTE

Je suis si heureuse de vous avoir enfin rencontré; je vous attendais depuis si longtemps! et vous, êtes-vous heureux ?

LE POÈTE

Oui... Tout à l’heure pendant que vous dormiez, j’ai senti un calme et un bonheur tranquille que je n’avais jamais éprouvés auparavant... (Songeur.) Oui, cela c’est le vrai amour qui est une force; c’est l’union qui permet la réalisation des possibilités... Mais...

LA VOYANTE

Mais quoi? Puisque nous sommes si heureux d’être ensemble, qu’est-ce qui pourrait nous empêcher...?

LE POÈTE

(Se levant vivement.) Ah! Vous ne savez pas! (Il s’arrête en l’apercevant, Elle, qui est dans l’ombre du tambour depuis quelque temps déjà.) Oh! (Elle s’avance souriante et très calme.)

LA VOYANTE

(Bouleversée.) Je ne savais pas que vous étiez marié!

ELLE

(À la Voyante.) Ne soyez pas troublée. (Se tournant vers le Poète.) Ni vous non plus. Oui, j’ai entendu toute la fin de votre conversation. Je rentrais au moment où Mademoiselle allait se réveiller. Je n’ai pas voulu vous déranger et m’apprêtais à me retirer, lorsque j’ai pensé qu’il serait plus utile pour tous que j’entende, et je suis restée. Car j’étais sûre, mon ami, que vous alliez vous trouver dans un cruel embarras. Je connais votre droiture, votre loyauté et je savais que vous seriez douloureusement partagé entre deux routes opposées. Vous savez ce que dit l’enseignement qui est pour nous la vérité : l’amour est le seul lien d’union légitime. L’absence d’amour suffit à rendre non valable une union quelle qu’elle soit. Certes il est des unions sans amour, basées sur l’estime et les concessions réciproques, qui peuvent être tout à fait tolérables, mais j’estime que lorsque l’amour paraît, toute autre chose doit s’effacer. Vous vous souvenez, mon ami, de nos conventions : nous nous sommes promis de nous laisser libres réciproquement dès que l’amour se serait éveillé chez l’un de nous. Voilà pourquoi j’ai écouté, et maintenant je viens vous dire : vous êtes libre, soyez heureux.

LE POÈTE

(Très ému.) Mais toi, toi? Je sais que tu vis toujours au sommet de ta conscience, dans une lumière pure et sereine. Mais la solitude est dure parfois, et les heures peuvent être mornes et tristes.

ELLE

Oh moi, je ne serai pas seule, puisque je vais aller rejoindre ceux grâce à qui nous avons trouvé le chemin, ceux qui détiennent le savoir éternel et qui ont, de loin, guidé nos pas jusqu’à maintenant. Sûrement ils me donneront asile. (Elle se tourne vers la Voyante et la prend par la main.) Venez, ne soyez pas troublée. C’est un droit que les femmes sensitives sincères ont de choisir librement celui qui sera leur protection et leur guide dans la vie; vous avez agi selon la loi naturelle et tout est bien. Nos manières de voir et d’agir vous étonnent peut-être; elles sont nouvelles pour vous et vous n’en connaissez pas les raisons. (Montrant le poète.) Il vous les expliquera. Je vais partir; mais auparavant laissez-moi joindre vos mains. (Elle met la main de la Voyante dans celle du Poète.) Aucune bénédiction ne vaut celle de l’amour; pourtant j’y joins la mienne, sachant qu’elle vous sera douce. Et si vous le voulez bien, j’y ajouterai un avis qui est presque une requête. Ne permettez pas à votre union de servir de prétexte pour la satisfaction d’appétits animaux ou de désirs sensoriels; tout au contraire, faites d’elle un moyen d’entraide réciproque pour vous surmonter vousmêmes, dans une aspiration constante et un effort de progrès vers le perfectionnement de votre être. Que votre association soit à la fois noble et généreuse, noble dans sa qualité, généreuse dans son action. Soyez un exemple dans le monde et montrez à tous ceux de bonne volonté quel est le but véritable de la vie humaine.

LA VOYANTE

(Très émue.) Soyez sûre que nous ferons de notre mieux pour mériter la confiance que vous nous témoignez et pour être dignes de votre estime. Mais j’aimerais entendre de votre bouche que mon entrée dans cette maison et l’événement qui s’en est suivi ne représentent pas pour vous un malheur irréparable.

ELLE

Ne craignez rien. Maintenant je sais d’une façon certaine qu’un seul amour peut satisfaire mon être; c’est l’amour pour le Divin, l’amour divin, car lui seul ne déçoit jamais. Et peutêtre rencontrerai-je un jour les conditions propices et l’aide nécessaire pour que puisse s’accomplir la réalisation suprême, cette transformation, cette divinisation de l’être physique qui changera le monde en un lieu béni, tout fait d’harmonie, de lumière, de paix et de beauté.

(La Voyante de plus en plus émue se tient silencieuse, les mains jointes, comme en prière. Le Poète se penche respectueusement devant Elle, lui prend la main et y pose le front, tandis que le rideau tombe.)









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