Conversations with Satprem.
Pondichéry - 21 Juillet 1973
Jean Biès : Votre course aux expériences, aux aventures, vous fait ressembler à un Rimbaud qui aurait réussi ce que l'autre n'avait qu'espéré. Mais pourquoi une telle course ?
Satprem : Ma question lancinante, pendant des années, c'était : Qu'est-ce qui reste quand il n'y a plus rien ?
Quand on a perdu tous ses trucs, tout son atavisme, toute son éducation, sa littérature et ses fanfares, qu'est-ce qui reste là-dessous? Quand il n'y a plus d'amis, plus de famille, plus de pays, qu'est-ce qui reste là-dedans? Quelle est la chose qui est vraiment moi, sans tout ce qu'on a ajouté dessus d'arrière-grands-pères en pères et d'écoles en écoles, sans livres, sans « je sais », sans recours.
Là où c'est nu, vide, pur. Est-ce qu'il y a quelque chose encore qui n'est plus l'addition de chromosomes et de curriculum vitae ? - Ou rien du tout ? C'était ma question. Et je me suis mis à l'épreuve d'une façon forcenée, si j'ose dire. Quand je suis parti dans la forêt vierge (une merveilleuse expérience), et que j'ai commencé à m'apercevoir que je devenais un bourgeois de la forêt vierge, j'ai plié bagage en huit jours et je suis parti pour le Brésil, laissant derrière moi un monde que j'aimais tant. Quand tout l'argent et les mines de mica me sont venus au Brésil, avec un grand voilier qu'on m'offrait, une île merveilleuse, bref, le piège de la grande « réussite », j'ai tout laissé tomber et j'ai pris un ticket d'entrepont pour l'Afrique, sans un sou. Jamais je n'ai voulu m'arrêter nulle part, à aucune expérience, aucune réussite, aucune « réalisation » ; je voulais trouver l'absolument absolu. Ce qui est plein, et pour toujours.
J.B. : Cet absolument absolu, était-ce Dieu ?
Satprem : Je me fichais de « Dieu » ou de quoi que ce soit, j'étais aussi antireligieux que possible, mais je voulais le « ça » de mon être, qui est comme la suprême possibilité et la suprême aventure de l'homme. Qu'est-ce qu'un homme ? Qu'est-ce que ça peut? Vers quoi ça va? Quel est le mystère là-dedans,
et s'il n'y a pas de mystère, alors, fichons cette vie en l'air !... J'ai vécu comme en sursis de suicide. Une sorte de pari avec moi-même ou avec « quelque chose », dans moi-même, que je ne connaissais pas et qui était comme la clef de l'homme, sa clef matérielle, entendons bien; parce que le « spirituel », je m'en moquais tout à fait. Si « spirituel » il y avait, je voulais le toucher dans mon corps, dans ma vie de chaque seconde.
J.B. : Mère vous a donné la clef?
Satprem : Oui, c'est elle, quand, au bout de toutes ces galipettes, je me suis trouvé acculé à la dernière et suprême aventure : « L'homme n'est pas encore, c'est une espèce à venir. » Ah ! comme j'ai compris Mère : « Ce n'est pas adorer qu'il faut,
c'est devenir. C'est la paresse de devenir qui fait qu'on adore!... » Je voulais tellement trouver la clef de cette espèce misérable, ridicule, futile, et pourtant, si poignante. Voilà. J'ai promené mon feu jusqu'à ce qu'il m'amène à la porte de l'Autre Chose : l'aventure de l'espèce nouvelle qui est vraiment l'aventure de l'homme-pas-encore. Je me suis battu contre cet âshram pendant des années, parce que je croyais encore que c'était une espèce d'Église exotique, jusqu'au jour où Mère m'a démoli la « spiritualité » avec la matérialité », pour me faire toucher, découvrir ce que j'ai appelé « le matérialisme divin », lequel n'a rien à voir avec nos deux extrêmes enfantins du pur « Esprit » et de la pure « Matière ». Nous ne connaissons rien de l'un, ni de l'autre surtout.
Nous connaîtrons et vivrons la matière vraiment lorsque nous aurons découvert ce qu'elle est vraiment, dans notre corps, c'est-à-dire quand nous serons vraiment sortis de la prison mentale du faux petit homme que nous sommes, pour émerger dans la matière directe, telle qu'elle est, sans revêtement mental et sans électronique de remplacement...
Je m'étonnais toujours, quand j'étais petit, que l'on ne puisse pas être immédiatement partout, être dans tous les corps et dans tous les lieux. J'étais perpétuellement en prison, et c'était cette prison que je voulais casser à tout prix par mes « expériences ». Alors, quand Mère m'a parlé « d'espèce nouvelle », et comment on y allait, et le mystère du chemin et de l'impossible cheminement,
toutes les forêts vierges du monde et toutes les aventures du monde m'ont paru pâles et vaines devant cette aventure-là !... Mère, c'est la plus grande aventurière du monde. Je continue avec Elle. Voilà... C'est la seule aventure possible; sinon, tirons l'échelle ! Notez bien que ça ne m'intéresse pas pour moi :
ça m'intéresse pour tous mes frères, parce que cette histoire humaine a assez douloureusement duré. Ils ont trouvé des ondes longues, des ondes courtes, des microscopes, des télescopes... Si l'on trouvait l'homme vraiment? Et le pouvoir de l'homme ferait qu'il pourrait être sans tout cet attirail artificiel, voler sans avion, communiquer sans téléphone, voir partout sans télescope
ni télévision, être partout et avoir la joie de tout ce qui est. La vraie vie, enfin. La vraie raison du pourquoi l'on est dans cette peau ; pas la raison « spirituelle », la raison matérielle. Et, au bout du compte, on s'apercevra peut-être que l'esprit, c'est la matière même. Il faut expérimenter. Il faut voir. Il n'y a rien à croire, il y a tout à voir. Alors, toutes nos histoires spiritualistes et matérialistes s'évanouiront comme les balbutiements d'un âge qui appartenait seulement au singe supérieur... Mère m'a fait sauter du passé de la terre et de l'anthropoïde nostalgique à l'avenir de la terre et à l'homme enfin doué de tous ses sens et d'un certain nombre d'autres, inconnus, qui feront apparaître, un peu plus tard, nos petits hommes mentaux tels des têtards dans leur bocal. Sans Mère, je me serais suicidé, un jour, dans la forêt vierge ; ou bien, je me serais noyé sur quelque côte bretonne, dans une de ces vieilles aventures qui n'inventent rien.
J.B. : Mère et Sri Aurobindo se sont voulus les pionniers d'un nouveau monde. Qu'est-ce que ce nouveau monde ? Quel travail accomplir pour le réaliser?
Satprem : Il faut partir du B-A-BA. Que faire, avec quoi? Avec la matière que nous sommes. Mère et Sri Aurobindo ne sont pas venus faire de la philosophie, n'est-ce pas, ils sont venus faire une Œuvre dans la matière; ils sont venus trouver le passage vers ce qui sera la prochaine espèce... On ne va pas rester éternellement des
« petits hommes », ni même des « grands hommes »... Tous nos moyens mentaux font faillite, on le voit bien... Or, l'évolution ne se déroule pas dans le mental, elle se déroule dans la matière.
J.B. : Mais qu'est-ce que cette matière?
Satprem : Les savants eux-mêmes ne le savent pas très bien. Nous sommes une matière revêtue de toutes sortes de couches minérales, végétales, animales, mentales surtout. La matière est quelque chose qui est caché là-dessous. Ce n'est pas ce que nous voyons ni ce que nos instruments peuvent voir,
qui sont seulement le prolongement de notre propre intellect. La matière, c'est le grand mystère, c'est le premier et le dernier de tous les mystères... On peut dire, pour simplifier, que le travail de Mère et de Sri Aurobindo consiste, plutôt que de faire un trou dans la coque qui nous enferme, et partir dans la conscience soi-disant cosmique, lumineuse, libérée (qui n'est libérée de rien du tout ; on nage là-haut, et puis notre corps continue d'être ce qu'il était, il vieillit et il meurt, c'est toujours la même vieille bête qui est là), à chercher le chemin inverse : non plus monter mais descendre, descendre vers cette matière, c'est-à-dire, traverser toutes les couches de conscience et d'habitudes, qui revêtent ce quelque chose de primordial qui est la matière vraie.
Ils ont trouvé toutes ces couches, et, tout au fond, une autre conscience, une conscience cellulaire.
J.B. : Soit, mais qu'est-ce que cette conscience cellulaire?
Satprem : C'est une conscience libre comme on est libre dans les libertés d'en-haut, matériellement sans loi, sans maladie, sans mort... Un fantastique mystère ! Toutes les libertés de là-haut, on les retrouve dans la matière, quand elle est dépouillée de tous ses revêtements : une matière continue, ayant une communication immédiate avec tout.
La mort, la maladie ne sont que le produit de tous les revêtements empilés sur cette matière. Au-dessous des lois implacables, des lois de notre mental, de notre cage, on découvre tout au fond la liberté de la matière, une conscience infiniment souple, qui peut se recréer à chaque instant, se transformer quand elle veut, comme elle veut.
Cela signifie que si cette conscience était réellement dégagée dans un corps humain, elle pourrait transformer la matière de ce corps, la modeler, la doter de qualités et de pouvoirs insoupçonnés. C'est cela, la matière de l'espèce nouvelle...
Le premier levier a toujours été dans la matière ; c'est elle qui doit opérer sa propre transformation, la matière pure, non recouverte de toutes les couches qui ont servi à l'enfermer, à la limiter, à l'individualiser, à la solidifier.
J.B. : Le travail consiste donc à retrouver la liberté de la matière dans un corps nouveau qui serait élaboré par la conscience cellulaire ?
Satprem : Il s'agit de dégager cette conscience cellulaire; c'est là qu'est le miracle possible... C'est toute l'histoire de Mère et de Sri Aurobindo. Pas seulement un travail sur eux-mêmes, ce qui est encore une apparence ; car on s'imagine qu'on est séparé en individus bien distincts, alors que rien n’est séparé, que tout communique... Ils se sont efforcés d'atteindre expérimentalement l'assise première, la matière première du monde en traversant toute la conscience terrestre.
Ils ont taillé le chemin dans la conscience terrestre, pour arriver à cette conscience fondamentale; ils ont brisé les couches... C'était un yoga impensable.
J.B. : Y a-t-il un résultat actuellement visible de leur travail ?
Satprem : Le résultat est parfaitement visible, n'est-ce pas... Ils ont brisé toutes ces couches... Et ça commence à se briser partout. On le voit bien... Toutes les vieilles structures s'effondrent et, partout, quelque chose d'autre se met à fuser, à jaillir par tous les pores de la terre. Il se passe des choses qu’on n'explique pas ; ça prend des allures extravagantes selon les consciences, selon les pays ; mais il y a partout quelque chose qui est en train de traverser la vieille croûte terrestre.
C'est ce que nous sommes en train de vivre : pas seulement la démolition de l'ancien, mais quelque chose de très nouveau qui est en train de naître, une conscience nouvelle traversant les débris des vieilles structures. Cela se traduit par toutes sortes d'aberrations, des drogues, des Églises, des sectes... Mais une perception nouvelle essaie de frayer son chemin.
Tout le monde attend autre chose, sous une forme ou une autre.
J.B. : Mais quelles sont les méthodes que nous avons à notre disposition pour traverser les couches profondes de notre individu ?... Il doit exister un moyen pratique à utiliser quotidiennement ?
Satprem : La transparence...
J.B. : Comment atteindre cette transparence ?
Satprem : Il faut un feu de besoin, quelque part dans le cœur. Le besoin a toujours été la clé, partout et toujours. On ne devient que selon son besoin. Quand une espèce est en train de mourir, il faut un autre oxygène, quelque chose d'autre qui fera qu'elle survivra... Il s'agit d'un besoin d'être, besoin d'une réalité concrète au milieu de la ruée des choses, d'une permanence légère au milieu de leur épaisseur, d'une lumière douce au milieu de l'obscurité... Ce besoin est un feu qui nettoie, purifie... Plus c'est purifié, plus ça devient limpide...
Quand on est limpide au-dedans, tout est limpide au-dehors; le chemin se déroule tout seul.
J.B. : Vous savez bien que l'Amour n'est pas aimé.
Satprem : On peut l'appeler l'Amour, ou de plusieurs autres façons. C'est quelque chose qui brûle. Dès qu'on met des qualificatifs dessus, ça s'humanise, ça devient mental ou affectif, alors que c'est beaucoup plus essentiel que tout cela.
J.B. : C'est l'Amour au-delà du moi...
Satprem : Ou en plein dedans ; c'est le centre même ! C'est ce qui fait qu'on tient debout sur deux pattes !...
J.B. : Vous considérez que les différentes religions sont destinées, à plus ou moins longue échéance, à disparaître de la surface de la terre... Cela entre aussi dans le processus d'évolution ?
Satprem : Tout ce qui est essentiel est éternel; c'est ce qui est de l'essence de chaque être, de chaque groupe, de chaque nation, de chaque continent. Cela reste. Ce sont les formes qui meurent. Qu'elles soient chrétiennes, hindoues, marxistes, maoïstes, que sais-je ? Tout ce qui est vrai, essentiel, dans chacune
de ces choses, reste. Les formes sont des moyens, des bâtons de route pour permettre aux hommes d'avancer. Ils se servent un temps d'un bâton, puis d'un autre. Ce sont des philosophies, des religions successives, pour avancer. Si l'on commence à faire un dieu du bâton de route, on se trompe. C'est un instrument provisoire pour arriver à ce qui est réel.
J.B. : Une question importante est celle du guru...
Satprem : Le guru est dans le cœur de l'homme.
J.B. : Il faut d'abord réussir à l'atteindre.
Satprem : Il faut le chercher, il faut en avoir besoin. C'est toujours la même chose : s'il n'y a pas de besoin, il n'y aura rien du tout.
J.B. : Vous pensez qu'on peut cheminer seul dans l'Occident actuel, tel qu'il est?
Satprem : Bien entendu ! On peut cheminer seul... Et d'abord, on n'est pas seul!
J.B. : On vous dira que l'occasion est rare de rencontrer un maître.
Satprem : Il n'est pas nécessaire de rencontrer un maître, ni qui que ce soit. Il n'y a qu'à promener dans sa vie son besoin d'être, son feu d'être. Ce besoin, c'est le guru en personne, c'est le Divin au fond de soi, c'est la Lumière même au fond de soi-même.
Qu'a-t-on besoin d'aller écouter la bonne parole de celui-ci ou de celui-là? Si l'on a l'occasion de rencontrer des êtres ou des livres qui ont une puissance, une réalité pour nous, qui nous ouvrent une fenêtre un moment, c'est parfait. Mais pourquoi s'arrêter éternellement à une fenêtre particulière, à un homme particulier?
Ces êtres et ces livres sont simplement des prétextes pour déclencher en nous l'aspiration vers le réel. Mais si ce feu n'est pas allumé dedans, vous pouvez déverser des tonnes de bonne parole, ça ne servira à rien. Vous pouvez amener des kilomètres de Christ, ça ne vous changera pas un homme. Il faut que quelque chose, dedans, ait besoin.
Si la fleur pousse et s'épanouit, c'est qu'elle cherche le soleil; c'est aussi simple que ça. Si l'on cherche des billets de banque ou de la philosophie, on aura des billets de banque ou de la philosophie, et c’est tout. Mais si l'on a réellement besoin d'Être, au milieu de cette marée gluante de conscience obscurcie, alors, quelque chose s'allume dedans, et ça, c'est le Chemin.
J.B. : On comprend assez mal pourquoi Sri Aurobindo a considéré qu'il était bon qu'il se « retire » pour accélérer ce qu'il nomme l' « évolution nouvelle ». On pense au Christ disant : « Il est bon que je m'en aille... »
Satprem : Ce n'est pas exactement cela. Sri Aurobindo s'est retiré parce qu'il était physiquement tellement... envahi... Son travail véritable était constamment entravé par les mille et une choses de la vie quotidienne des disciples. Il a senti qu'il ferait davantage de travail en se retirant. Il ne s'agit pas de faire une nouvelle espèce tout seul dans sa chambre, n'est-ce pas...
À quoi ça sert s'il n'y a personne pour suivre, c'est-à-dire pour accepter le processus de purification et de transformation ? Et il n'y a pas beaucoup de gens prêts à accepter.
J.B. : Peut-on dire de cette « évolution nouvelle » qu'elle correspond, dans un langage moderne, adapté aux hommes d'aujourd'hui, à ce que l'Inde ancienne disait du SatyaYuga, de l'Âge de Vérité, devant succéder à l'actuel Kali-Yuga, l'Ȃge des Conflits ?
Satprem : D'une certaine façon, oui. L'humanité actuelle est manifestement au bout d'un cycle, et le bout signifie le début d'autre chose. Mais dans la tradition hindoue, le Kali-Yuga s'achève sur une catastrophe cosmique, et tout repart de zéro.
J.B. : Ne croyez-vous pas que le Pralaya peut figurer sous la forme d'une guerre thermonucléaire, par exemple?
Satprem : Je ne suis pas prophète, mais je ne le crois pas. La puissance de destruction est toujours là, partout autour de nous ; mais il existe également une formidable puissance de construction. Mère et Sri Aurobindo ne croient pas à la destruction, mais à la transformation. La destruction, c'est simplement la démolition des vieilles structures pour que quelque chose d'autre puisse apparaître. Tout va dans le sens de l'évolution, rien n'est contre.
Mais nous nous tromperions si nous pensions que le but de tout cela est un super-collectivisme meilleur, une super-religion meilleure, un super-humanisme meilleur.
J.B. : C'est ce que pensait Teilhard de Chardin.
Satprem : L'évolution, c'est l'évolution de la matière et de la conscience dans la matière. C’est une erreur de croire que l'homme est le suprême échelon de l'évolution...
J.B. : Pourtant, l'idée d'évolution est controversée par un certain nombre de savants.
Satprem : Les controverses du têtard n'ont pas empêché la grenouille d'apparaître... Nous pouvons pousser tous les cris d'homme que nous voulons, cela n'empêchera pas la Nature de nous faire devenir autre chose, de donner la réponse. Elle est d'ailleurs en train de la donner d'une façon retentissante... Si un anthropoïde avait pu avoir une discussion avec un pionnier de l'espèce humaine lui disant qu'il pouvait y avoir autre chose que sa façon de faire des galipettes dans les arbres, l'anthropoïde lui aurait ri au nez.
Tant pis pour lui ! Si les gens ne veulent pas comprendre, tant pis pour eux ! ça n'empêche pas les choses de se faire. On en a fini avec les philosophies. On a besoin de quelque chose de plus simplement réel, de quelque chose qui tienne.
Il y a autre chose que l'homme que nous voyons, autre chose qui n'est pas pour dans des millénaires, qui est en train de se fabriquer, que nous le voulions ou non. Ce serait mieux si nous le comprenions.
J.B. : Sri Aurobindo parle du danger pour notre humanité d'être supplantée par une autre race, si l'homme actuel ne faisait pas le travail qui lui est demandé.
Satprem : Il le fera. Malgré tout... Tout ce qui ne va pas dans le sens évolutif se détruit lui-même toujours. Ceux qui n'ont d'autre but que la consommation et la matérialité descendante s'étranglent eux-mêmes, c'est tout; ils se détruisent. Il n'y a pas besoin de rétribution collective ; la loi est automatique.
J.B. : Peut-on établir un parallélisme entre ce que Sri Aurobindo appelle le Supramental et ce que la tradition chrétienne appelle le Saint Esprit?
Satprem : Mais d'abord, qu'est-ce que ce Saint Esprit? Tout ça se situe dans des nuages dorés, qui peuvent momentanément aider les hommes à progresser. Le Supramental, c'est la conscience qui est au cœur de la matière.
J.B. : On ne peut s'empêcher ici de penser à l'Évangile de Jean: « La Lumière était dans les ténèbres », et de rapprocher ce verset du « puits de miel sous le roc », dont parle le Rig-Véda.
Satprem : On peut certainement dire cela.
J.B. : Et la Jérusalem céleste survenant à la fin du cycle? L'Apocalypse parle à ce propos de « cieux nouveaux », et aussi d'une « terre nouvelle »... On ne peut s'empêcher de mettre en regard ce verset, qui, en l'occurrence, n'a rien d'hétérodoxe, de l'Évangile de Thomas : «Le Royaume est en vous, et il est hors de vous. » De même, le Bhâgavata Purâna déclare : «Le Purusha, tel l'éther, réside à l'intérieur et à l'extérieur des êtres. »
Satprem : De tout temps et partout, des visionnaires ont pressenti et vu là-bas, au loin, des réalités de ce genre. Les rishi védiques aussi... C'est ce qui est en train de se préparer, une « terre nouvelle ». Mais pour qu'une terre nouvelle se fasse, il faut évidemment que la vieille terre change de peau. Nous assistons à cette mue.
J.B. : Dans quelle mesure peut-on aider les autres à cette transformation, s'ils le veulent ?
Satprem : Dans la mesure où l'on est soi-même. La seule façon d'aider les autres, c'est d'être soi-même quelque chose.
J.B. : Je suis assez surpris des hommages qu'on rend en Inde à la France. Ce pays semble tellement à l'opposé de la mentalité métaphysique ! Sri Aurobindo disait, peut-être en plaisantant, qu'il avait été français dans une existence antérieure.
Satprem : La France a toujours eu un esprit ouvert. Je ne dis pas ce qu'elle est maintenant, je dis ce qu'elle est dans son essence... La France est un pays généreux, un pays qui a semé beaucoup de grandes idées, qui est capable de révolutions essentielles ; très apte, en tout cas mentalement, à saisir le futur. Si la France comprenait ce sens de l'espèce nouvelle, elle pourrait faire beaucoup, au lieu de se perdre et de s'épuiser en de vaines controverses entre droite et gauche, philosophie de ceci et religion de cela; si elle pouvait attraper le problème dans sa pure simplicité évolutive, voir qu'une prochaine espèce arrive, et commençait à se demander quel est le moyen, l'instrument de transition, qu'est-ce qu'on pourrait développer en l'homme, qui l'aide à faire cette transition.
J.B. : Aujourd'hui, les hommes politiques sont à peu près les seuls à détenir le pouvoir; tout passe par eux. Or, ils semblent bien peu intéressés, c'est le moins qu'on puisse dire, par cette question.
Satprem : Apparemment, ça a l'air d'être ainsi... Mais « politique », c'est encore un adjectif... Enlevez-leur la politique, ils restent des hommes comme partout ou des absences d'hommes.
J.B. : Est-ce que, selon vous, la « pensée » d'Aurobindo se répand ailleurs qu'en Europe occidentale, par exemple, dans les pays de l'Est?
Satprem : Ce n'est pas une pensée, mais un phénomène. Oui, bien sûr, on a des preuves qu'il se répand dans les pays de l'Est et qu'il a des possibilités d'y voir le jour..., un jour ! Tout est en train de se démolir !... Vous pouvez aussi bien prendre l'expérience capitaliste que l'expérience marxiste ou post-marxiste, ou n'importe quelle autre, tout ça est en plein chaos et en pleine gestation.
J.B. : C'est même un extraordinaire spectacle, pour peu qu'on soit assez lucide. Mais en tant qu'acteurs, que faire personnellement, selon vous, pour atteindre le centre même ?
Satprem : Ça se cultive à chaque instant, n'est-ce pas... Quand on asphyxie, on cherche de l'air. Si la vie que vous menez, telle que vous la menez, vous semble respirable, plus ou moins agréable, il n'y a rien de spécial à faire. Mais si vous la trouvez asphyxiante, alors, vous commencez à chercher le moyen de respirer. Sri Aurobindo a passé quarante ans de sa vie à nous dire ce que nous devons faire, et comment procéder. Il a écrit des milliers de lettres sur la question !
J.B. : Il est certain qu'un peu partout, on cherche à voir clair dans une obscurité croissante.
Satprem : Dans un bocal bourbeux, on ne peut rien voir. Il faut clarifier le milieu. Comprendre le sens, telle est la première opération. Tant qu'on est embrouillé dans ses idées, dans ses sentiments, dans ses conceptions, dans ses idéaux, dans tout l'embrouillement collectif, on ne peut pas voir clair.
J.B. : Le rôle de la psychologie, celle de Jung en particulier, qui s'est intéressé simultanément à l'alchimie et au taoïsme, se développe en Occident. Jung aussi parle de cette descente dans la matière.
Satprem : Ce sont des approches... Je ne les connais pas. Généralement, la psychanalyse est assez obscure. Plus on descend dans les abîmes, plus il faut une puissante lumière... Le feu du besoin est la seule force, le seul phare qui transperce les ténèbres. Ce qui est là à chaque minute, en dessous de ces philosophies, de ces politiques,
de ces psychologies, ce qui vit en vous, quand vous montez un escalier, quand vous écrivez un poème, quand vous parlez ou ne parlez pas... C'est ça, le Chemin, c'est d'ÊTRE. Pas seulement être en méditation, les jambes croisées dans sa chambre, mais ÊTRE à chaque minute : une intensité de besoin, quelque chose qui ne se formule pas, mais qui est comme une base, un roc secret sur lequel on repose.
J.B. : Disons une pierre philosophale... Vous pensez qu'il ne fait aucun doute que Mère sera toujours vivante ?
Satprem : Certainement... Que savons-nous de la matière ? Presque rien. Nos organes des sens sont faux, nous vivons dans une formidable illusion... Que voyons-nous? C’est à peine si une petite gamme de visibilité nous est ouverte, une petite gamme de sons accessible. Nous sommes des sortes de chenilles en train de devenir papillons. La vision de la chenille n'est pas une vision totale et définitive. Dans telle autre vision, il est possible de voir mieux et autrement.
J.B. : Que faut-il entendre par cette usure de l'énergie, de la shakti intercellulaire, cause finale des maladies et de la mort ?
Satprem : Parce que nous sommes encroûtés, le courant ne passe pas. Tout notre corps est enfermé dans une espèce de prison faite de lois, d'habitudes implacables qui se sont emparées de nous dès notre naissance. Le courant circule un peu dans les premières années de notre jeunesse; puis, très vite, toutes sortes de lois médicales, physiques, philosophiques, mentales, produisent l'encroûtement : on se sclérose de plus en plus et l'on meurt. Si l'on nous laissait immortellement dans notre peau tels que nous sommes, nous continuerions à faire davantage de bébés, à avoir davantage de voitures, davantage de maisons secondaires, à développer encore notre consommation, et c'est tout. La Mère Nature est suffisamment sage pour casser cette petite forme ridicule, afin de nous diriger vers une autre forme, plus souple. Quand le courant circule librement, il n'y a plus de mort. Mais, pour cela, il faut parvenir à cette conscience cellulaire dégagée de toutes ces croûtes... En fait, il n'y a pas de mort, il y a un formidable courant qui circule partout, à travers tout. Quand il ne peut plus circuler à travers une forme, il se détourne, la forme meurt.
J.B. : Le fait que Mère et Sri Aurobindo se soient « retirés » ne prouve pas qu'ils soient morts. Prouve-t-il qu'eux-mêmes ne sont pas arrivés à la solution du problème ?...
Satprem : L'évolution n'est pas une chose individuelle, c'est une chose totale. Ce qu'ils voulaient, ce qu'ils veulent, c'est que toute l'espèce découvre sa vraie nature, qui est immortelle. Pas de miracle, qui nous esbroufe une heure ou deux, pas les feux d'artifice du surnaturel !... Le Réel doit se produire par la totalité de l'espèce, et non par quelques individus éblouissants qui laissent les autres tels qu'ils sont.
J.B. : Que l'expérience ait été interrompue ne prouve pas que ce soit un échec ?
Satprem : Où est l'échec? Il n'y a jamais eu d'échec. L'évolution avance toujours, par le bien, par le mal, par le oui, par le non, de toutes les façons possibles. L'échec, il est dans notre esprit.
J.B. : Je sais qu'en 1944 Sri Aurobindo souhaitait avoir deux cent cinquante lecteurs français pour sa revue, L'Arya ; aujourd'hui, il en a beaucoup plus ; mais cela ne veut pas dire que ces lecteurs soient des « êtres gnostiques » ! ...
Satprem : L'être gnostique, nous le fabriquerons doucement, douloureusement, à travers l'aberration de notre conscience mentale. Mais tant qu'on n'est pas arrivé au bout des vieux moyens, le nouveau moyen ne peut pas sortir, il est bloqué. Jusqu'à ce que nous ayons cessé de croire en nos équations, en nos machines, en nos brillantes intelligences ; ou jusqu'à ce que la Nature en ait assez, et donne un petit coup pour arrêter cette prétentieuse mécanique. Eh bien ! on peut collaborer, agir avec compréhension. On est en train d'étouffer les hommes justement pour les décider à ouvrir une lucarne dans la forteresse.
J.B. : Mère et Sri Aurobindo prévoyaient au moins trois siècles avant l'avènement de la nouvelle conscience ?
Satprem : L'espèce nouvelle n'apparaîtra pas tout d'un coup... Il s'agit d'une perception nouvelle, d'une conscience qui transformera sa matière. Il faut faire le premier pas... On ne va pas faire un autre homme avec la conscience d'un métaphysicien mental de notre vieille espèce.
J.B. : Ne croyez-vous pas que les premiers êtres gnostiques risqueraient fort d'être purement et simplement supprimés par la masse des individus, par les puissances en place qui craindraient d'être dépassées ?
Satprem : Il y a toujours cet antagonisme entre une certaine lumière et une certaine obscurité. Mais c'est toute l'espèce qui deviendra la nouvelle espèce. Ceux qui ne veulent pas suivre le courant se détruisent eux-mêmes. Tout ce qui aspire, tout ce qui tend vers, tout ce qui est en mouvement va vers cela... «Toutes les difficultés sont des grâces », disait Mère. Il faut prendre les obstacles d'une façon positive. Si on les prend d'une façon négative en disant : « Oh ! comme c'est difficile... Oh ! comme ils sont méchants », etc., on pousse beaucoup de « oh ! »
et l'on n'arrive à rien. Mais si l'on dit : « Tiens ! ça, c'est un défi pour que j'aie la force suffisante de faire un pas de plus », alors, l'obstacle se défonce. En ce moment, nous avons l'obstacle d'une civilisation folle qui nous étrangle. On peut passer son temps à le déplorer, mais on peut dire aussi : « Il faut puiser dans cette aberration même le pouvoir d'aller plus loin... ». Tous les obstacles sont des leviers.
J.B. : N'en arrive-t-on pas à dire : « Bienheureuse souffrance » ?
Satprem : La souffrance est un état de mensonge. Quand on est vraiment, il n'y a pas de souffrance. La souffrance est un moyen pour nous obliger à devenir autre chose. Sinon, nous resterions irrémédiablement encroûtés dans notre petit bonheur d'hominien.
J.B. : Et la réduction de l'ego, en attendant sa suppression?
Satprem : Je ne comprends jamais les problèmes d'une façon négative. Ce n'est pas en luttant contre l'ego, en luttant contre ceci ou cela, qu'on résout les problèmes ; c'est en développant le côté positif en soi-même. Cela dissout l'ego, dissout les obstacles; ça fait le travail tout seul. Avec quoi voulez-vous empoigner l'ego, sinon avec l'ego?...
J.B. : La réduction de l'ego n'est donc qu'une conséquence?
Satprem : Plus vous développez ce qui est vraiment vous-même, plus la lumière se fera et le chemin s'ouvrira... Tout est bien simple, au fond. Il faut toujours aller à la simplicité des choses. La vérité est simple.
J.B. : Et Auroville, dans tout cela? On n'en voit guère le développement ?
Satprem : Auroville est un essai, un laboratoire où l'on tente consciemment de trouver le passage pour une nouvelle espèce.
Il y a là un noyau d'êtres qui, autant que je sache, essaient sincèrement de comprendre et de vivre le chemin de Mère et de Sri Aurobindo. Ils ont beaucoup de difficultés, bien sûr, de ces difficultés qui les aident à croître. Il ne s'agit pas de bâtir une ville, il s'agit de bâtir des hommes, ce quelque chose qui fera de nous des êtres réellement pleins.
J.B. : Une dernière question. Vous êtes arrivé à Pondichéry en 1946. Quelle impression vous a fait alors Sri Aurobindo ?
Satprem : Il y a des regards qui vous changent pour toujours... Il y a des regards qui ouvrent les portes...
(Extraits d’une discussion entre Satprem, Sujata et une autre personne)
Ecoutez, nous sommes le 2 Février aujourd’hui...
C’est le mois de Mère
Le mois de Mère... C’est l’anniversaire de Champaklal aussi. Et puis avec Yolande, nous avions parlé Le 27 Janvier, et à partir du 28, je voulais vous poser ses questions. Yolande, comme vous savez, c’est une force positive –une énergie, plutôt que force – énergie positive.
Oui, Positif, c’est bien, alors qu’il y plein de négativité partout dans le monde !
Partout. Or elle, comme nous tous, n’est-ce pas, nous voyons l’état du monde : exactement, c’est plein de négativité, de choses négatives, et de plus en plus négatives. C’est un grand assaut sur le Travail que vous êtes en train de faire.
C’est un grand assaut sur la Terre.
Absolument. Et alors ceux qui connaissent Sri Aurobindo et Mère, et puis vous...
Oh oui ! Sri Aurobindo, je connais, j’aime bien ! C’est lui qui voulait marier la Terre au Ciel.
Alors elle me disait comme cela, n’est-ce pas, que ce que vous faites, c’est notre seul espoir.
Oh ! Mon dieu !
Parce que c’est... (Je dis avec mes propres paroles, mais c’est le sens qu’il y avait) ce Pouvoir d’action de Sri Aurobindo et la Nouvelle Evolution qui vient derrière. Or, nous tous nous pensons que le Travail que vous faites, c’est le seul espoir pour renverser...
Le travail que je fais...
(Désespérément, d’ailleurs) Alors, elle, en très peu de mots (et aussi elle m’a dit que c’est le moment en France où on parle beaucoup des camps de concentration : ceux qui sont restés vont visiter des écoles ou des endroits comme cela, parler)
Ceux qui sont restés... qu’est-ce qui reste ?
Elle dit que vous aviez dit à Frédéric de Towarnicki dans « Sept jours en Inde avec Satprem »...Vous aviez dit que c’était une grande grâce, c’était une grâce énorme et que subitement vous aviez senti une joie, vous vous souvenez de ça ? Je dis un peu comme cela, mais elle avait dit beaucoup mieux que tout ça. Et puis on voit l’état du monde, l’état surtout politique... Alors voici sa question précise : entre la folie en Amérique et l’Europe en morceaux...
Ah oui !
...au-delà de l’Asie et de ses infinies misères
Où sont l’homme d’aujourd’hui et l’Action dont parle Sri Aurobindo ?
L’homme d’aujourd’hui, il est dans la crasse du Mensonge. Ça c’est désespérant...
Mais précisément, c’est cela, Yolande cherche un point de lumière entre tout ça. Comment peut-on s’ouvrir au Pouvoir de la Vérité, de la Conscience et le vivre ?
Le vivre on peut
Alors, voilà sa question, maintenant si vous voulez bien répondre : comment vivre ?
Comment vivre ? Il faut sortir de ce monde pour vivre la Vérité. Pour vivre la Vérité, il faut un courage immense. On peut voir cette planète, cette misérable planète de beaucoup de façons.Il y a mille façons de regarder.
Comme les astronautes de leur... et les fourmis par terre ?
Oui, on peut la regarder cette planète , cette misérable et mystérieuse planète , d’une façon aérienne , Oui. Ou d’une façon... Yolande était l’épouse du Secrétaire Général d’Air France, d’une ligne aérienne On peut la regarder d’une façon aérienne, on peut la regarder d’une façon médicale, on peut laregarder d’une façon culinaire, et on dirait que chacun veut bouffer cette terre, cette terremisérable. C’est plein de misères, la terre, et pourtant c’est le lieu d’un grand Mystère.
Il peut y avoir une façon géologique de regarder la terre, la géologie ça m’a toujours intéressé.Et plus on regarde...Tout le monde se jette à l’assaut de cette Terre pour pouvoir la bouffer, tant qu’ils peuvent,financièrement ou médicalement, spirituellement, et chacun veut la bouffer, veut se nourrir de cette Terre... Cette terre énigmatique parmi les étoiles, et c’est là où est le mystère le plus grand.
Mais le pire des obstacles ou la pire des maladies, c’est la maladie religieuse soit disant.La religieuse c’est la pire, parce que toutes les religions ont bouffé la terre, chacune au nom de son dieu particulier, qu’il soit islamique ou chrétien ou que sais-je, c’est à qui voudra dominer le plus,bouffer le plus le voisin. J’aime mieux la géologie. Ils veulent tous se nourrir de cette terre, cette mystérieuse planète sous les étoiles – il y a un grand mystère dans cette terre, il y a une grande contradiction dans cette terre. Elle devait être une terre de beauté, mais où est la beauté ? Elle voulait être musicale, mais où est la musique ? Ils se nourrissent tous très bien, ils sont tous des bouffeurs en vérité avec des prétentions américaines...Tout le monde est prétentieux, qui est ce qu’il est en vérité ?Ce sont tous des faux-jetons, ce sont tous des faussaires
Mais vous venez de dire – je peux interrompre une seconde ? Vous avez dit que c’est une planète avec des contradictions
Oui, c’est plein de contradictions
Or, la question est : on sait où est arrivée la terre – tout ce que vous venez de dire – la terre se trouve à ce point si misérable , n’est-ce pas, c’est plein de misères...
Alors qu’il y a une richesse extraordinaire !
Alors comment aller trouver cette richesse ? Où est l’autre monde ?
Ah ! Il faut creuser, creuser profond pour trouver. La vérité est au fond du trou. Au fond, il y a tout ce qui est là, il y a le Tout qui est là, le Divin-Tout qui est là. Qui a le courage de creuser jusqu’au fond ? Vous vous faites assassiner tout de suite, vous êtes ciblé tout de suite.
Mais Sri Aurobindo l’a fait, Mère l’a suivi, et vous continuez
Je ne sais pas ce que je continue.
Si !
Il faut avoir du courage pour ne pas se suicider.
Mais quand on cherche, quand on commence, prend ce chemin, est-ce qu’il y a une question de suicide là-dedans ? Ou c’est le contraire ? Non ?
Ce n’est pas un suicide, c’est qu’ils veulent tuer ce mystère C’est pour cela que Mère me disait : cache-toi ! Ne parle plus à personne , que personne ne sache même ou tu habites... Celui-là : parce que celui-làil est tout de suite visé par toutes leur religions odieuses qui se parent au nom de « Dieu ».Le plus grand obstacle, ce sont les religions, le plus grand malheur ce sont les religions. Parce que chacun veut être le seul, le seul maître. Mère disait : le temps des religions est passé.
Sri Aurobindo disait que quand il y a ce resurgissement de tout, c’est que ça doit sortir de l’évolution. Quand il y a à ce point – parce que ce ne sont que des religions maintenant !Entre l’Islam et les chrétiens, c’est à qui peut posséder le plus, psychologiquement, matériellement.
Surtout matériellement. Chacun veut être le maître.
Qui veut faire, comme le Pape a dit : la récolte des âmes.
Où est l’âme là-dedans ?
Ça, je ne discute pas, je ne veux pas savoir, mais ce que je veux savoir vraiment : tout ça on connait, n’est-ce pas, mais au point où c’est aujourd’hui, si cette question n’est pas résolue, quelle sera la destinée de la terre ? Est-ce qu’elle sera résolue de façon claire – que c’est le divin qui prend possession de sa création, ou bien il laisse tout aller comme ça ?Pourquoi a-t-il créé ce monde s’il veut laisser...
Il l’a créé pour la Joie et l’Amour
Oui, joie et amour, mais où se trouvent la joie et l’amour ? Si vous parlez de l’amour, c’est la passion et le sexe, il n’y a pas d’amour là -dedans !
Oh non !
Alors ? L’homme déforme tout, n’est-ce pas, dans sa conscience tout est déformé.Alors, notre question, on sait : arrivé à ce point d’aujourd’hui, est-ce que le Divin va laisser tout tomber et continuer cette pourriture et cette destruction ? Ou bien il prendra les choses en main et il donnera Sa Lumière, Sa Conscience, il changera tout. Parce que le temps presse !
Oh oui. Le temps presse. Il y a des âges derrière...
Oui, qui avaient tout préparé, et on est arrivés au point !
On est arrivés au point où ça doit éclater. Si ça éclate, dans quoi va-t-on naviguer ?On arrive dans rien, ou dans un Rien inconnu. L’inconnu c’est le lieu du mystère. Tout est déjà connu.Ils croient qu’ils connaissent tout, qu’ils savent tout. Ils ne savent même pas ce qu’ils sont.Ils sont le tout de l’énigme de la joie et de la vérité. Moi je ne connais qu’une façon, c’est justement d’allerdans l’inconnu si on peut le supporter. Il y a eu – comment les appelle-t-on ? – des découvreurs.Eh bien, les découvreurs, ils vont dans le mystère, ils vont dans l’inconnu , c’est très difficile de supporter, d’être sur deux pattes et de ne pas tomber en morceaux. Ils sont ciblés, ils sont la cible de tout ce qui ne veut pas. On voudrait les tuer, parce que c’est insupportable pour eux.On a essayé de me tuer combien de fois, depuis le départ de Mère ?Quand je suis allé dans les canyons de Nandanam, d’Auroville, et ils ont essayé de m’assassiner :quand ces tueurs se sont trouvés devant moi, il est tombé sur moi un formidable silence.Si j’avais répondu le moins du monde à leurs menaces, ils m’auraient tué. Mais là, il y avait un tel silence qu’ils n’ont pas pu me tuer. Si j’avais tressailli le moins du monde, ils m’auraient tué, mais je les ai regardés d’un œil absolument tranquille et ils se sont enfuis. Ils ne pouvaient pas supporter ce silence,ils ne pouvaient pas, pouvaient pas.Qu’est-ce qu’il y avait d’autre au fond de ce silence ? Au fond de ce silence il y avait : TOI TU ES.Il y avait un être qui était ce qu’il est, pas une prétention, non. Il n’y avait aucune prétention là-dedans,pas de moi-je, il y avait un formidable « quoi » d’un être qui était ce qu’il est, qui était simplement ce qu’il est. Il n’y rien de plus extraordinaire que d’être ce que l’on est. Le pire obstacle, la pire maladie du monde,ce sont les religions et on colle là-dessus toutes sortes de discours. Qui ne connait pas sa propre vérité,qui est une question justement, une formidable question qui contient son propre pouvoir, son proprepouvoir d’être ce qu’il est. Il ne peut pas y avoir de prétention là-dedans, c’est trop simple pour être supportable
Et quand les assassins sont partis, se sont enfuis sous ce regard silencieux, c’est après seulement quetout d’un coup mon cœur a éclaté. Dans cet inconnu silencieux, il y a un mystère là, au fond de soi-même, etunfondinsondable,unfondsanslimite,unformidable «quoi?»,«quoi?».Onestunquoiquicrie,quiprie. Il faut le vivre, il faut le supporter. C’est pourquoi Mère disait : cache-toi, ne vois plus personne.C’est très dangereux d’être soi-même parce que tout le mystère des Âges on le porte en soi comme uneboule terrible de feu... Il pourrait être plus que tenté...C’est très dangereux d’être ce qu’on est, c’est très insupportable. Si les hommes étaient devant cet être,sans doute ils ne pourraient pas le supporter. Ils le tueraient tout de suite.Ça, c’est le grand mystère de l’homme : qu’est-ce que c’est que ce Toi là ? Qui est ce Toi là ?
Alors ils disent Dieu – un mensonge de plus – parce que c’est tous les dieux ensemble.Dans l’Inde qu’ils ont voulu inspirer, tellement inspirer, la vérité était très simple, trop simple.Alors il faut avoir le courage d’aller dans cette nullité qui est Tout, qui est tout ça. La seule chose qu’ils peuvent c’est être des conquérants, pas des petits ego, moi-je. Ils n’ont jamais su qui était ce Moi, alors ils les ont brûlés, ils les ont tués... Moi, on m’a mis je ne sais combien de fois sur le bûcher. Au bout de tous les bûchers,les tortures infernales, je sens qu’il y a ce Mystère insupportable. Le danger n’est pas ailleurs, il est là,mais c’est très insupportable d’être ce que l’on est. C’est un homme qui n’est pas encore homme.Ils ont voulu bouffer ça...
Mais quand même, l’évolution va vers cet inconnu...
Ah oui. Toute l’évolution c’est justement pour trouver cet inconnu.
Alors, est-ce que ce n’est pas le moment, ou... ?
Il y a un point où ça doit éclater.
Oui. Alors est-ce que nous ne sommes pas à ce point d’éclatement ?
Oh ! Oui ! Il faut que tout cela soit englouti dans son propre mensonge, qu’on jaillisse dans autre chose.
Et comment, nous, les autres qui ne sommes pas encore cet Être Nouveau, cet Inconnu comme vous l’appelez, comment pouvons- nous faire pour... (Parce que nous avons cette aspiration de voir le changement de la terre), alors, comment pouvons- nous aider ? Nous faisons quoi ?
Mais justement, en se posant le « quoi » à soi-même d’une façon si brûlante, si intense ! C’est très difficile de devenir ce qui n’existe pas encore.
Mais ça doit exister quelque part, déjà ! Seulement nous ne savons pas.
Quelque part...oui. Eh bien, c’est dans ce quelque part inconnu, seul, que ça doit devenir dans le silence, un silence insupportable. Alors on est chacun une note d’un grand orchestre qui ne se connait pas encore. C’est seulement un appel. Pour ceux qui appellent de façon brûlante, ils peuvent le vivre, le devenir. Devenir ce que l’on est, c’est très difficile, il faut se cacher, il faut crier, crier tant que ce soit obligé, obligé d’être, ce que l’on est depuis toujours. Il faut une densité d’être qui est très insupportable.
Parce qu’il n’y a qu’une chose qui est, il n’y en a pas trente six. Une densité silencieuse et qui peut tout.C’est d’une simplicité insupportable, c’est le mystère de tous les âges qui est là, nu.Il n’y a pas de philosophie là-dessus, il n’y a pas de mots là-dessus. Ce n’est pas découvert, et ça se découvre, justement, en soi-même... C’est pour ça que les tueurs dans les canyons n’ont pas supporté...Silencieux, c’est un rien si puissant. C’est ça qui n’est pas mesurable par nos moyens électroniques ou autres : quand ils ont mesuré à Genève, sur leur balance électronique, j’étais moi-même stupéfait du poids...C’était si lourd et si dense, et ça ne pouvait pas se mesurer. La seule chose qui se mesure là-dedans,qui elle, peut tout, c’est l’amour qui est immesurable.
C’est étrange ce que vous dites, ça recoupe avec des choses des Upanishads et du Veda certaines choses que vous avez dites là, ça recoupe...
Oh, ils disent TAD EKAM, cet UN-là... loin de leurs religions et de leurs philosophies...
Pas question de religions, là : « Un » que beaucoup appellent par différents noms, que les savants appellent par des noms différents. Mais aussi l’autre jour, vous m’aviez dit que la grande loi de ce monde supramental, comme Sri Aurobindo l’appelle, c’est qu’il n’y a pas d’opposition : c’est un monde où tout est uni, en harmonie.
Oui, c’est l’Harmonie.
C’est une harmonie. Toute opposition est réconciliée là, et cette harmonie, ce doit être une musique merveilleuse !
Mais oui ! Je l’ai entendue cette Musique ! Cette Musique merveilleuse... On peut éclater en sanglots divins...
Et pourtant tout ce que vous venez de dire, vous m’excusez, si on regarde ce que vous venez de dire,c’est que c’est une grande difficulté, une grande peine pour faire ce chemin. Mais non ! Pourquoi ?Si on va vers le Soleil, on va vers le Soleil ! Pourquoi toutes ces...comment dire, on parle d’assassinat,on parle de se cacher, on parle de toutes les difficultés du monde, mais si c’est un chemin ensoleillé,on va avec le sourire, avec la joie dans le cœur, alors, moi, je ne comprends pas, il y a une contradiction là.
La contradiction, c’est ce qui n’est pas dans le Soleil, pas encore... dans la Musique, pas encoredans cet inconnu qui est la seule Chose à crier et aimer insupportablement et qui devient ce qu’il appelle, qui devient en marchant... Un appel qui fait être...C’est très épuisant... de devenir ce qui n’est pas encore, le faire être.
A chacun de chercher, de trouver secrètement ce qu’il a toujours été. Voilà, que chacun trouve ce qu’il est...
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