Ce volume comporte les réponses de la Mère aux questions des enfants de l’Ashram et des disciples, et ses commentaires sur son livre Éducation, et sur trois œuvres courtes de Sri Aurobindo : Les Éléments du Yoga, La Mère et Les Bases du Yoga.
Pourquoi est-ce maintenant que tu as écrit « La Peur de la Mort » ?
Parce que c’était nécessaire à dire.
Jusqu’à présent tu ne l’avais pas dit, Mère, pourquoi cette fois le dis-tu ?
Ah! il y a beaucoup de choses que je n’ai pas dites! Il faut bien commencer un jour. Je ne pense pas, je n’ai pas l’impression d’en avoir eu l’occasion. Peut-être est-ce le résultat d’une expérience... Mais oui, j’ai pensé, après, que les gens y verraient une signification spéciale, mais il n’y en a pas! (rires) Peut-être au-dedans de vous y en a-t-il.
Il y a une chose que j’ai remarquée, c’est que chaque fois que quelqu’un meurt dans l’Ashram, beaucoup de gens sont pris de panique. Alors je ne peux pas dire que j’apprécie cela beaucoup! Peut-être est-ce à cause de ça que j’ai écrit cet article. Parce que, vraiment, il est temps que nous soyons libres de ces choses — une sorte de tremblement. Je me souviens la première fois que quelqu’un est mort dans l’Ashram, c’était une véritable panique. Je connais nombre de gens comme ça, que je ne nommerai pas; ils sont venus ici (ils étaient déjà suffisamment vieux) avec l’idée que parce qu’ils vivaient ici ils ne mourraient pas! C’était une vieille idée, il y a fort longtemps. Et la première fois que quelqu’un est mort, cela a fait littéralement une panique. On a reçu des tas de lettres disant : « Comment est-ce possible? Mais alors, nous ne sommes pas en sécurité! » J’étais obligée de leur dire que la vie immortelle est une chose qui s’acquiert avec beaucoup d’efforts, et non seulement beaucoup d’efforts, mais le renoncement à tant de choses qu’il n’y en a pas un, sur tous ceux qui réclamaient, qui abandonnerait ses attachements pour la vie immortelle. C’est-à-dire qu’ils aimeraient mieux mourir et garder leurs habitudes que de vivre d’une façon immortelle et les perdre! Il y a beaucoup de choses qu’il faut perdre... J’ai simplement mentionné cela en passant dans cet article, mais il y en a encore bien davantage. Toutes les petites satisfactions personnelles généralement doivent disparaître, de tout ordre. Je me souviens d’avoir parlé à quelqu’un, il y a extrêmement longtemps, de la possibilité de la transformation physique, et je lui ai dit que l’un des résultats serait la disparition du besoin de manger, que l’on récupérerait les forces directement des forces universelles, ou bien du Divin. Alors, j’ai vu cette personne absolument consternée me dire : « Et toutes les bonnes choses que l’on mange! » (rires) C’est comme ça.
Si nous devenons immortels, alors il faut cesser la création?
Quelle création?
La naissance des hommes.
Oh! naturellement. Cela, même longtemps avant de devenir immortel. Si l’on veut le moins du monde se transformer, c’est la première chose qu’il faut cesser. Je l’ai dit ailleurs, mais...
La peur est-elle la seule cause de la mort?
Oh! non, pas du tout. Ce n’est pas cela que j’ai dit, d’ailleurs. J’ai dit que si l’on voulait vaincre la mort, il fallait commencer par ne pas en avoir peur, ce qui est tout à fait autre chose. Mais je n’ai pas dit que c’était la peur qui causait la mort.
Tu as dit : « On ne peut ni hâter ni reculer son moment. » Mais la mort vient de ce que l’on cesse de progresser. Alors, si l’on progresse, on peut reculer le moment. Ou est-ce à dire que, dès sa naissance, le jour et le moment où l’on va mourir sont prédestinés?
Non. Ça, c’est tout autre chose et sur un autre plan. J’ai écrit ailleurs que l’on ne mourait que quand on acceptait de mourir. Ce qui a l’air d’une contradiction avec ce que j’ai écrit ici. Mais c’est la vérité. Je vous l’ai dit déjà une fois, je crois; en tout cas, je l’ai écrit quelque part. Il y a deux points de vue. Ici, je me suis placée à un point de vue tout à fait matériel, ordinaire, de la conscience physique. Mais j’ai expliqué quelque part qu’il y avait comme des « couches de déterminisme » différentes dans une existence. L’existence physique a un déterminisme; l’existence vitale a un déterminisme; l’existence mentale a un déterminisme; l’existence du mental supérieur, l’existence psychique ont un déterminisme. Et puis les existences supérieures ont des déterminismes — l’existence supramentale a un déterminisme. Et le déterminisme de chacune provient de la combinaison de tous ces déterminismes (je suis sûre d’avoir écrit cela quelque part). Si, par exemple, à un moment donné, quand tout le déterminisme physique amène nécessairement la mort, vous entrez subitement en rapport avec un déterminisme extrêmement élevé, comme le déterminisme supramental, par exemple, et que vous arriviez à joindre les deux, vous changez complètement votre déterminisme physique à ce moment-là : la mort qui était déterminée par le déterminisme physique est abolie, et les conditions changent et reculent.
Je ne parle pas de cela dans cet article. Je me suis placée au point de vue purement matériel. J’ai donné l’exemple de gens, et de gens qui vivaient presque exclusivement dans leur conscience matérielle, leur conscience physique, n’est-ce pas, mentale, vitale et matérielle, et qui désiraient ardemment la mort dès l’âge de cinquante ans — ils ont vécu jusqu’à quatre vingt-sept ans! J’en ai eu un exemple. J’ai eu l’exemple tout à fait opposé de quelqu’un qui vraiment désirait vivement vivre très longtemps, qui avait l’impression qu’il avait beaucoup de choses très importantes à faire et qu’il ne fallait pas qu’il meure, et qui prenait toutes sortes de précautions pour cela — et qui est mort. Il peut y avoir des cas qui paraissent contradictoires mais ce n’est qu’une apparence. Il y a des explications pour toutes ces choses, elles obéissent à des lois différentes. Ici, je me suis placée au point de vue purement matériel.
Si vous ne faites pas intervenir un déterminisme supérieur, vraiment vous ne pouvez rien changer. C’est le seul moyen de changer votre déterminisme physique. Si vous restez dans votre conscience physique et que vous vouliez changer votre déterminisme, vous ne pouvez pas... Pendant la Première Guerre, j’ai connu un garçon à qui l’on avait dit qu’il mourrait d’un coup de feu (n’est-ce pas, à la guerre on meurt facilement), et on lui avait même fixé une date approximative. Et c’était pour lui une telle angoisse qu’il avait réussi à se faire mettre en congé. Il est arrivé en permission à Paris. C’était un officier et il avait son pistolet dans sa poche. Il a sauté d’un tramway : il est tombé, cela a fait partir le pistolet et il a été tué net. Il n’a pas pu échapper.
Des exemples comme celui-là, je pourrais vous en raconter des quantités. Mais cela appartient à un seul plan, le plan matériel — le plan physique, mental et vital purement matériel. Ce n’est qu’une connaissance supérieure et un rapport avec les plans supérieurs et la descente de ces plans supérieurs dans le plan physique, qui peuvent changer les circonstances. De même, si l’on arrivait à faire descendre le plan supramental d’une façon permanente dans la vie physique, la vie physique serait transformée, c’est-à-dire qu’elle changerait totalement. Mais c’est à cette condition. Je ne parle pas de cela dans cet article, c’est un autre sujet.
Autre chose?
Pourquoi a-t-on peur?
Il m’a été dit — et c’était l’un des enseignements d’une très vieille tradition — que c’était l’influence des forces adverses sur la terre qui avait créé la peur, parce que c’était leur moyen d’action sur les êtres humains. Mais les animaux aussi ont peur. Alors ça enlève un peu de la solidité à l’argument, parce que je ne crois pas que les êtres adverses aient un intérêt spécial à créer la peur chez les animaux.
La peur est un phénomène d’inconscience. C’est une sorte d’angoisse qui provient de l’ignorance. On ignore la nature d’une chose, on ignore son effet, on ignore ce qui arrivera, on ignore les conséquences de ses actes, on ignore toutes sortes de choses; et cette ignorance donne la peur. On craint ce que l’on ne connaît pas. Prenez un enfant, si on l’amène devant quelqu’un qu’il ne connaît pas (je ne parle pas d’un enfant avec une conscience intérieure éveillée, je parle d’un enfant ordinaire), vous l’amenez devant quelqu’un qu’il ne connaît pas, son premier mouvement sera toujours un mouvement de peur. Il n’y a que de très rares enfants — et qui ont une autre conscience — qui sont très hardis. Ce peut être aussi un mélange d’appréhension, une sorte d’instinct. Quand on a l’instinct que quelque chose est dangereux et que l’on n’a pas le moyen d’y porter remède, que l’on ignore ce qu’il faut faire pour s’en protéger, on a peur. Il y a, je crois, d’innombrables raisons à la peur. Mais c’est un mouvement d’inconscience, dans tous les cas.
Ce qui sait n’a pas peur. Ce qui est parfaitement éveillé, ce qui est tout à fait conscient, et ce qui sait, n’a pas peur. C’est toujours quelque chose d’obscur qui a peur.
L’un des grands remèdes pour vaincre la peur est de faire face à ce que l’on craint. On vous met en face du péril que vous craignez, et vous ne le craignez plus. La peur s’en va. Au point de vue yoguique, au point de vue discipline, c’est le remède préconisé. Dans les anciennes initiations, spécialement en Égypte, pour pouvoir faire de l’occultisme, comme je vous le disais la semaine dernière, il fallait abolir complètement la peur de la mort. Eh bien, l’une des pratiques de ce temps-là était de coucher le néophyte dans un sarcophage et de le laisser là-dedans pendant quelques jours, comme s’il était mort. Naturellement, on ne le laissait pas mourir, ni de faim ni d’étouffement, mais enfin il restait couché là comme s’il était mort. Il paraît que cela vous guérissait de la peur.
Si l’on arrive, au moment où elle vient, à mettre sur elle la conscience, la connaissance, la force, la lumière, alors on peut la guérir tout à fait. Il y a bien la religion chrétienne qui dit que la peur vient d’avoir mangé la pomme dans les jardins d’Éden — qu’avec la connaissance est venue la peur; et sur terre, c’est toujours cette peur-là qui gouverne toute la vie, pour tous les êtres humains. Seulement, là encore, je répète mon argument que les animaux ont peur — les animaux n’ont pas péché, n’ont pas mangé la pomme, alors ils ne devraient pas avoir peur! C’est une demi-conscience mélangée à une sorte d’instinct ignorant qui pressent un danger et en même temps n’en connaît pas le remède. Mais certainement, le fait est que les êtres adverses, les êtres du monde vital qui luttent contre l’Œuvre divine, font un usage très étendu de la peur. C’est avec cela qu’ils tiennent le plus les êtres humains. D’ailleurs il n’y a pas qu’eux : il y a aussi tous les moyens politiques et tous les moyens religieux qui sont de cet ordre-là. Il y a des religions qui fondent leur pouvoir sur les croyants simplement par la peur de la mort et de ce qui arrivera après la mort, et de toutes les catastrophes qui vous attendent après la mort si vous n’obéissez pas aveuglément aux lois qu’elles vous ordonnent.
Cela peut venir aussi d’une antipathie, c’est-à-dire d’un manque d’affinité avec quelque chose. Certaines personnes ont spécialement peur du feu, d’autres ont spécialement peur de l’eau, d’autres ont spécialement peur d’un animal ou d’un autre. Cela provient d’un désaccord entre les vibrations vitales. Et alors, cela se traduit, dans cette inconscience corporelle, par la peur. Le corps est une chose terriblement inconsciente. Comme il faut travailler pour lui donner un tout petit peu de conscience! Ça vit automatiquement, par habitude. C’est terriblement inconscient.
Alors, la suite?
« L’heure de la mort semble donc fixée inéluctablement, excepté pour un tout petit nombre d’êtres qui possèdent des pouvoirs dont la race humaine ne dispose pas généralement. »
C’est justement ce que je viens d’expliquer. C’est le petit nombre d’êtres qui sont capables de faire descendre un autre déterminisme dans le déterminisme physique. Ceux-là peuvent changer l’heure de la mort. C’est justement ce que je viens d’expliquer tout au long. Le pouvoir, c’est de faire descendre une conscience supérieure dans la conscience matérielle, et avec la conscience supérieure, de faire descendre un déterminisme supérieur qui change le déterminisme matériel. Et il n’y en a pas beaucoup qui aient ce pouvoir-là. J’ai dit un petit nombre. En fait c’est un très petit nombre.
Le dernier moyen, as-tu dit, est d’entrer dans le domaine de la mort volontairement et consciemment tandis que l’on est en vie...
Oui.
Quelle différence y a-t-il entre entrer consciemment dans la mort et sortir consciemment de son corps? Il y a beaucoup de gens qui peuvent sortir de leur corps, n’est-ce pas?
Oui, mais ils ne vont pas tous dans le domaine de la mort.
C’est le même moyen que pour sortir de son corps?
Oui, mais ceci n’est que le commencement. On commence par savoir sortir de son corps. Beaucoup de gens, quand ils dorment, sortent de leur corps. Ils le font plus au moins consciemment — la plupart inconsciemment, mais enfin il y en a un certain nombre qui le font consciemment. Ils sortent de leur corps, mais ils restent dans le domaine physique. Tout au plus vontils dans quelque région mentale, mais ils ne vont pas dans le domaine de la mort.
Il y en a qui y vont, mais alors pour que le procédé soit complet... Il faut vous dire que quand on sort de son corps, on reste relié au corps par un certain nombre de liens... comment les appeler... cela peut être des liens vitaux, des liens du mental, des liens psychiques. Quand on sort, il y a toutes sortes de choses qui peuvent sortir du corps. Généralement ce qui sort, c’est quelque chose d’assez subtil, comme le mental ou comme le vital supérieur, et beaucoup reste dans le corps, suffisamment pour que le corps n’entre pas en transe. Parmi les gens qui dorment, il y en a même qui bougent souvent dans leur sommeil : il y a une partie d’eux-mêmes qui est extériorisée, mais la partie la plus matérielle de leur être vital est dans le corps. Et tant que ça c’est là, c’est tout à fait dans le domaine de la vie. D’abord, ce n’est pas facile de faire sortir du corps justement ce qui en sort au moment de la mort. Cela demande une discipline très sévère et pendant très longtemps. Il y a un procédé d’extériorisation à suivre pour arriver à faire sortir tout ce qui sort quand on meurt; et dans ce cas, le corps entre en état cataleptique. Il entre dans l’état où il est quand on meurt. Il devient même très vite d’une rigidité complète. Eh bien, c’est une chose qu’il faut apprendre à faire et ce n’est pas très facile; et si l’on veut le faire d’une façon tout à fait complète, il faut toujours qu’il y ait quelqu’un là pour garder le corps afin qu’il n’arrive rien. On ne peut jamais le faire tout seul. Il faut quelqu’un pour garder le corps.
Mais même si l’on fait tout cela, ce n’est pas complètement l’expérience dont je parle. L’expérience dont je parle est encore beaucoup plus difficile. Une fois que l’on est sorti comme ça et que l’on a laissé son corps en état cataleptique, on coupe les liens. Alors, vous êtes vraiment mort; c’est-à-dire que le cœur ne bat plus. Mais comme il y a encore la « vie de la forme » et que ce n’est pas par un accident que vous êtes sorti, que c’est un acte volontaire, avec la connaissance et le pouvoir, on peut rentrer de force : rétablir le lien et rentrer de force dans son corps. Ce n’est pas une affaire commode — toute l’affaire est difficile. Comme ça, sur le papier, ça n’a l’air de rien. Ce n’est pas facile.
Tu as dit ici : « C’est à la portée d’un très petit nombre. » Donc cela implique qu’il y a des gens qui l’ont fait. Donc ils ont atteint à l’immortalité, mais jusqu’à présent...
Immortalité! Non, je n’ai pas dit que c’était l’immortalité. J’ai dit qu’ils abolissaient toute peur de la mort. C’est une chose tout à fait différente.
Mais ils entrent dans le domaine de la mort?
Oui, mais à ce moment-là le corps est en bon état. Le corps est en bon état et on peut le retrouver — il ne s’agit pas de rester longtemps dehors comme ça !
Mais ils ont eu l’expérience, alors quand ils meurent vraiment, ils peuvent encore une fois essayer la même chose?
Si leur corps est en bon état. Mais généralement, quand on meurt, il est arrivé quelque chose au corps, n’est-ce pas. Il y a quelque chose de sérieusement dérangé dans le corps. Mais enfin, encore n’est-ce pas sûr que l’on ne garde pas la capacité, une fois sorti de son corps, de remettre en ordre ce qui est défait, à moins que ce ne soit une chose grave comme, par exemple, un coup de couteau dans le cœur ou la tête enlevée! C’est assez sérieux, mais enfin si le corps reste intact, que ce soit seulement un déséquilibre, on peut le rétablir.
Mère, qu’arrive-t-il si les liens sont coupés?
Si les liens sont coupés? On meurt! Mais la partie qui est sortie du corps? Elle, si elle est consciente, elle reste absolument consciente. Elle a sa vie indépendante, elle reste absolument consciente. Coupés ou pas coupés, cela ne change rien à sa vie. Cela ne lui donne pas plus de conscience, cela ne lui en enlève pas — la conscience qu’elle a, la connaissance qu’elle a, le pouvoir qu’elle a, elle les garde. Quelqu’un qui est capable de faire ça ne dépend pas de son corps. C’est-à-dire que, pour être conscient, on ne dépend plus du tout — du tout — du corps. Ils ont une conscience tout à fait indépendante.
« Domaine de la mort » veut dire quoi?
Chaque religion en a parlé d’une façon différente. Les Grecs avaient leur « Élysée », on traversait dans un « bateau ». Il y a tous les paradis, tous les enfers.
Non, pas les religions.
Généralement, on appelle « domaine de la mort » une certaine région du vital le plus matériel dans lequel on est projeté au moment où l’on sort de son corps. La partie... comment dire... généralement la plus consciente de sa vie, est projetée là au moment de la mort. Eh bien, cette région-là, ce monde vital matériel est très obscur, il est rempli de formations adverses qui ont à leur centre des désirs, ou même des volontés adverses, et ce sont des entités très, très primaires qui ont une vie très partielle et qui sont comme des vampires, en ce sens qu’ils se nourrissent de tout ce qui est projeté hors des êtres humains. Et alors, à ce moment-là, au choc de la mort (parce qu’il y a très peu de gens qui meurent sans choc, qui sortent consciemment, en toute connaissance de cause, il n’y en a pas beaucoup; généralement c’est un accident : un dernier accident), à ce choc de la mort, ils se précipitent sur ça, sur cette vitalité qui sort, et ils s’en nourrissent. Tant que l’on est vivant, ils ne peuvent pas vous toucher. Parce que vous avez tous eu cette expérience du cauchemar où, quand la situation devient vraiment très dangereuse, tout d’un coup vous vous réveillez — vous rentrez dans votre corps, parce que le corps est votre protection. Dans le physique, ils ne peuvent rien vous faire; mais quand vous êtes hors du physique tout à fait (et même ce lien dont je parlais sert de protection quand vous sortez, dans une certaine mesure), mais si les liens sont coupés et que vous soyez tout à fait sans corps, eh bien, à moins que vous ne profitiez de circonstances spéciales comme, par exemple, quand la personne qui meurt est très aimée par d’autres qui sont encore vivantes, si ceux qui aiment concentrent à ce moment-là leur pensée et leur amour sur la personne qui est partie, elle trouve refuge là-dedans, et cela la protège complètement contre ces entités; mais quelqu’un qui partirait sans que personne ait un attachement spécial pour lui, ou bien qui est entouré de gens à qui il a fait du mal et qui ne l’aiment pas, ou bien qui se trouve dans un état d’inconscience terrible, il est comme une proie livrée à ces forces. Et ça, c’est une expérience difficile à supporter. Ils ne peuvent pas toucher à autre chose que ce qui appartient à leur propre domaine, c’est-à-dire le vital le plus matériel — le vital supérieur leur échappe tout à fait, ils ne peuvent rien y faire. Et alors ce vital matériel part, mais l’autre reste; et ce vital supérieur est attaqué par d’autres dangers, tout simplement. Et si, lui, disparaît, le mental reste. Mais derrière tout cela, il y a un psychique que rien ne peut toucher, qui est au-dessus de toute attaque possible, et lui, il est libre d’aller où il veut. Généralement (à moins qu’il n’ait une occasion spéciale et qu’il soit arrivé à un état de développement complet), il va se reposer dans les domaines psychiques. Là, il entre dans une sorte de contemplation béatifique où il reste, et c’est une assimilation de toutes ses expériences, et quand il a fini d’assimiler et de se reposer, eh bien, il se prépare à redescendre pour une nouvelle vie. Cela, rien ne peut y toucher. Mais il y a si peu de gens qui sont conscients de leur psychique que l’on peut à peine dire que c’est « telle personne » que l’on a connue. Parce que les gens tels qu’on les connaît sont faits de quoi? De toutes leurs expériences physiques, de toutes leurs réactions vitales, de toutes leurs formations mentales; c’est-à-dire le corps, le caractère, et la pensée — et avec cela, vous avez un être humain. Eh bien, tout cela ne peut persister après la mort que si c’est organisé et centralisé autour de l’être psychique et dans la mesure où c’est parfaitement unifié avec l’être psychique. Autrement, tout cet amalgame se dissout et l’être psychique seul demeure, quelquefois simplement comme une flamme, quelquefois comme un être tout à fait conscient.
Cela, c’est la loi générale. Maintenant, il y a des ponts, pour ainsi dire, des « passages protégés » qui ont été construits dans le monde vital pour passer à travers tous ces dangers. Il y a des atmosphères qui reçoivent les gens qui quittent leur corps, qui leur donnent abri, leur donnent protection. Il y a toutes sortes d’autres conditions; ce que je vous ai dit tout à l’heure, c’est l’état normal des êtres morts, de l’humanité ordinaire, mais dès que l’on s’approche d’une humanité un peu supérieure, toutes ces conditions changent. La loi générale reste, à moins qu’il n’y ait au-dedans de l’être un degré de développement spécial. Il y a des gens dont l’être a une cohésion si totale qu’ils ne dépendent plus du tout de leur corps, plus du tout, qu’il soit là, qu’il ne soit pas là.
Mais tout ce développement ne se fait pas comme ça, simplement en y pensant de temps en temps, en le désirant encore moins souvent et en l’oubliant la plupart du temps — non, ce n’est pas comme cela que ça se fait. Ce sont des disciplines qui sont, je puis le dire, au moins aussi sévères que les disciplines spirituelles les plus sévères... Au fond, c’est pour cela que l’on est sur la terre. À vrai dire, les êtres humains ont été construits à cet effet, pour faire ce travail-là, et c’est peut-être parce qu’ils s’y refusent qu’il y a tant de désordre dans le monde. S’ils le faisaient vraiment, les choses iraient beaucoup mieux.
Mes enfants, il est neuf heures vingt, s’il y a quelque question très intéressante à poser, posez-la !
Tu avais dit que tu raconterais l’histoire des pierres?
Ça, c’est un autre domaine. Ce n’est plus le domaine de la mort : c’est un domaine du vital matériel, le plus matériel, celui qui commande le physique, juste derrière le physique — le vital matériel.
Il fut un temps où l’on habitait le « Guest House 5 ». Sri Aurobindo habitait au premier étage, la chambre tout au bout qui est maintenant la salle de méditation du Dortoir. Je crois bien qu’il y a deux chambres côte à côte, l’une qui était une salle de bains et qui maintenant est devenue une chambre, et une chambre à côté qui était ma chambre. La salle de bains et une chambre. Sri Aurobindo était à côté.
Combien étions-nous dans cette maison?... Amrita était là. (Se tournant vers le disciple) N’est-ce pas, Amrita, vous vous souvenez de ce jour? (rires) On avait un cuisinier qui s’appelait Vatel. Ce cuisinier avait assez mauvais caractère et n’aimait pas beaucoup qu’on lui fasse des reproches sur son travail. De plus, il était en relation avec certains musulmans qui, paraît-il, avaient des facultés magiques — ils avaient un livre de magie et la capacité de faire de la magie. Un jour, il avait fait quelque chose de très mal et on l’avait grondé (je ne sais pas si quelqu’un d’entre vous connaissait Datta, mais c’était Datta qui l’avait grondé), et il était furieux. Il avait proféré des menaces en disant : « Vous verrez, vous serez obligés de quitter cette maison. » Nous n’en avions tenu aucun compte.
Deux ou trois jours après, je crois, on est venu me dire qu’il était tombé des pierres dans la cour — quelques pierres, trois ou quatre : des morceaux de brique. On s’est demandé qui jetait des pierres de la maison voisine. Nous avons fait justement ce que l’on défend aux enfants : nous avons circulé sur les murs et les toits pour voir si l’on trouvait des gens ou des pierres, ou quelque chose — mais nous n’avons rien trouvé.
Ceci se passait, je crois, entre quatre et cinq heures de l’aprèsmidi. À mesure que le jour descendait, les pierres augmentaient. Le second jour, il y en a eu davantage. Elles commençaient à frapper particulièrement la porte de la cuisine et il y en a une qui est venue frapper le bras de Datta qui passait dans la cour. Le nombre augmentait beaucoup. L’intérêt allait croissant. Et, à mesure que l’intérêt croissait, cela produisait comme un effet de multiplication! Et les pierres ont commencé à tomber dans plusieurs directions en même temps, à des endroits où il n’y avait pas de fenêtres ni de portes — il y a un escalier, mais cet escalier n’avait pas d’ouverture à ce moment-là : il y avait seulement un petit hublot. Et les pierres tombaient comme ça dans l’escalier (geste vertical); si elles avaient passé par le hublot, elles auraient fait comme ça (geste en biais), mais elles tombaient tout droit. Alors, je crois qu’ils ont tous commencé à être vraiment intéressés. Il faut vous dire que ce Vatel avait prévenu qu’il était malade et, depuis deux jours (depuis que les pierres avaient commencé à tomber), il ne venait plus. Mais il avait laissé son aide-cuisinier qui était un jeune garçon entre treize et quatorze ans, assez gras, quelque chose d’un peu mou et d’un peu paisible, peut-être un peu stupide. Et nous avons remarqué que quand ce garçon se déplaçait et là où il allait, les pierres augmentaient. Les jeunes gens qui étaient là (dont Amrita) ont enfermé le garçon dans une chambre, avec toutes les portes et toutes les fenêtres fermées; ils ont commencé à faire les expériences que font les spirites : (riant) « Fermez toutes les portes, fermez toutes les fenêtres. » Et voilà que le garçon était assis làdedans et que les pierres ont commencé à tomber, avec toutes les portes et toutes les fenêtres fermées! Et elles sont tombées de plus en plus, et finalement le garçon a eu la jambe blessée. Alors ils ont commencé à trouver que ça allait un peu fort.
J’étais avec Sri Aurobindo. Tranquillement nous étions à travailler, à méditer ensemble. Les garçons ont jeté un coup d’œil furtif pour voir ce qui se passait et ils ont commencé à nous prévenir, car il était peut-être temps de nous dire que cela prenait des proportions assez sérieuses. J’ai compris tout de suite de quoi il s’agissait.
Je dois vous dire que nous avions fait une tentative auparavant pour épuiser toutes les possibilités d’explication physique ordinaire. Nous avons fait venir la police, nous les avons prévenus qu’il y avait des gens qui nous jetaient des pierres et qu’ils veuillent bien venir voir comment ça se passait. Alors un policier — qui était un bon garçon, bien brave — nous a dit tout de suite : « Oh! vous avez Vatel comme cuisinier! Oui, oui, nous savons ce que c’est! » Il avait un pistolet chargé et il est resté debout dans la cour — plus une pierre. Moi, je me trouvais sur la terrasse avec Sri Aurobindo, j’ai dit à Sri Aurobindo : « C’est un peu fort, nous appelons la police et voilà que les pierres cessent de tomber! Mais c’est très ennuyeux, il va croire que nous n’avons pas dit la vérité, qu’il n’y a pas de pierres qui tombent. » Instantanément les pierres ont recommencé à tomber. (rires)
Remarquez que les pierres tombaient à une très grande distance de la terrasse et qu’il n’y en avait pas une seule qui s’approchait de nous.
Alors le policier a dit : « Ce n’est pas la peine que je reste ici, je sais ce que c’est, c’est Vatel qui vous fait ça, je m’en vais. »
C’est après cela que nous avons fait l’expérience d’enfermer le garçon et que les pierres ont commencé à tomber dans la chambre fermée, et que l’on est venu me prévenir que le garçon était blessé. Alors j’ai dit : « Bon, renvoyez ce garçon de la maison immédiatement. Envoyez-le dans une autre maison, n’importe où, qu’on le soigne, mais ne le gardez pas ici. Et puis c’est tout. Tenez-vous tranquilles et n’ayez pas peur. » J’étais dans la chambre avec Sri Aurobindo et j’ai pensé : « On va voir ce que c’est. » Je me suis mise en méditation et j’ai fait un petit appel. J’ai dit : « Voyons, qui est-ce qui nous jette des pierres maintenant? Il faut venir nous dire qui nous jette des pierres. » J’ai vu trois petites entités du vital, de ces petites entités qui n’ont aucune force et qui ont juste une conscience limitée à une action — ce n’est rien —, mais ces entités sont au service de gens qui font de la magie. Quand les gens font de la magie, ils leur ordonnent de venir et elles sont obligées d’obéir. Il y a des signes, il y a des mots. Alors elles sont arrivées, elles avaient peur — elles avaient une peur terrible! J’ai dit : « Mais pourquoi envoyez-vous des pierres comme ça ? Qu’est-ce que ça veut dire, cette mauvaise plaisanterie? » Elles ont répondu : « Nous sommes obligées, nous sommes obligées... (rires) Ce n’est pas de notre faute; on nous a ordonné de le faire, ce n’est pas de notre faute. »
Moi, j’avais tellement envie de rire, mais enfin j’ai gardé mon sérieux et je leur ai dit : « Eh bien, il faut cesser ça, n’est-ce pas! » Alors elles m’ont dit : « Vous ne voulez pas nous garder? Nous ferons tout ce que vous voulez. » « Ah! ai-je pensé, tiens, ça va peut-être être intéressant. » Je leur ai dit : « Mais qu’est-ce que vous savez faire? » — « Nous savons jeter des pierres. » (rires) — « Cela ne m’intéresse pas du tout, je n’ai envie de jeter de pierres à personne... Mais est-ce que, par hasard, vous pourriez m’apporter des fleurs? Est-ce que vous pouvez m’apporter des roses? » Alors elles se sont regardées très consternées et elles ont répondu : « Non, nous ne sommes pas bâties comme ça, nous ne savons pas faire ça. » J’ai dit : « Je n’ai pas besoin de vous, allez-vous-en, et surtout prenez garde de ne jamais revenir parce que, autrement, il vous arriverait malheur! » Elles se sont sauvées et elles ne sont plus jamais revenues.
Il y a un point que j’avais noté : c’était seulement à hauteur du toit que l’on voyait les pierres — à partir du toit, en bas, on voyait les pierres; jusqu’au toit, au-dessus, il n’y avait pas de pierres. C’est-à-dire que c’était comme une formation spontanée. En l’air, on ne voyait rien : elles se matérialisaient dans l’atmosphère de la maison et elles tombaient.
Et pour compléter l’action, le lendemain matin (ceci se passait le soir), le lendemain matin, je suis descendue faire une visite dans la cuisine et j’ai trouvé (il y avait des piliers dans la cuisine), sur un pilier, j’ai trouvé quelques signes avec des chiffres, très grossiers, comme s’ils étaient faits avec un morceau de charbon (je ne me souviens plus des signes), et puis des mots en tamoul. Alors j’ai soigneusement tout effacé et j’ai fait une invocation; et puis c’était fini, la comédie terminée.
Pourtant, pas tout à fait. La fille de Vatel était ayah à la maison, elle était servante. Elle est arrivée de bonne heure l’après-midi dans un état de frayeur intense et elle a dit : « Mon père est à l’hôpital, il est mourant; ce matin, il lui est arrivé quelque chose; tout d’un coup il s’est senti tout à fait mal et il est mourant, on l’a transporté à l’hôpital, j’ai atrocement peur. » Je savais ce que c’était. Je suis allée trouver Sri Aurobindo et je lui ai dit : « Vous savez, Vatel est à l’hôpital, il est mourant. » Alors Sri Aurobindo m’a regardée, il a souri : « Oh! pour quelques pierres! » (rires)
Le soir même il était guéri. Mais il n’a jamais plus recommencé.
Comment se fait-il que l’on voyait des pierres?
C’est cela qui est remarquable. Il y a des êtres qui ont la capacité de dématérialiser et de rematérialiser les objets. C’étaient des morceaux de brique tout à fait ordinaires, mais ces morceaux de brique ne se matérialisaient que dans le champ où s’exerçait la magie. La magie était faite pour cette maison, spécialement pour cette cour, et l’action des forces vitales s’exerçait seulement là. C’est pour cela que, lorsque j’ai fait sortir le garçon et qu’il est parti dans une autre maison, il n’a jamais plus reçu une pierre. La formation magique était faite pour la maison spécialement, et les pierres se matérialisaient dans la cour. Et comme c’était quelque chose de spécial contre Datta, c’est pour cela qu’elle a reçu des pierres sur le bras.
Il y avait encore autre chose... Ah! oui. Nous avons su, après, le nom du magicien chez qui Vatel était allé. Il était allé chez un magicien qui, paraît-il, est très connu ici et il lui avait dit qu’il voulait absolument nous faire sortir de cette maison — je ne sais pour quelle raison. Il était furieux. Et alors il a demandé au magicien de faire tomber des pierres. Le magicien lui a dit : « Mais c’est la maison où habite Sri Aurobindo ! » Vatel a dit : « Oui. » — « Ah! non, je ne me mêle pas de cette affaire; arrangez-vous, moi je ne m’en mêle pas! » Alors Vatel a beaucoup insisté; il lui a même promis des récompenses plus grandes, un peu plus d’argent. Le magicien lui a dit : « Eh bien, voilà, nous allons faire une règle (je crois qu’il avait dit vingt mètres ou vingt-cinq mètres) : à vingt-cinq mètres de circonférence autour de Sri Aurobindo, les pierres ne tomberont pas. Il faudra qu’il y ait toujours vingt-cinq mètres entre les pierres et Sri Aurobindo. » Et il avait arrangé son ordre magique de la sorte. Et c’est pour cela que, jamais, aucune pierre n’est venue à une petite distance de nous, jamais. Elles tombaient à l’autre bout de la cour.
Ils savent faire tout cela, c’est écrit dans leurs livres. Ce sont des mots et des cérémonies qui ont une certaine puissance. Naturellement, il faut que ceux qui le font aient un pouvoir vital. Il faut un pouvoir vital — un peu de pouvoir mental aussi, pas beaucoup, très peu même, mais un assez fort pouvoir vital pour maîtriser ces petites entités, les dominer. Et ils les dominent justement par la peur, parce qu’ils ont le pouvoir de dissoudre, alors ces entités ont très peur. Mais sur toutes ces formations, sur toutes ces entités, il suffit de mettre simplement une goutte de la vraie, pure lumière, la pure lumière blanche — vraie, pure lumière — qui est la lumière de construction suprême; vous mettez une goutte dessus : ça se dissout comme s’il n’y avait plus rien du tout. Et ce n’est pourtant pas une force de destruction : c’est une force de construction, mais c’est tellement contraire à leur nature qu’elles disparaissent. C’est de cela qu’elles avaient peur; parce que je les avais appelées en leur montrant la lumière blanche, je leur avais dit : « Voyez, il y a cela ! Venez. » Mais leur offre était touchante : « Oh! nous ferons tout ce que vous voulez. » J’ai dit : « Bon, qu’est-ce que vous savez faire? » — « Jeter des pierres! » (rires)
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