CWM (Fre) Set of 18 volumes
Entretiens - 1954 Vol. 6 of CWM (Fre) 533 pages 2009 Edition
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Ce volume comporte les réponses de la Mère aux questions des enfants de l’Ashram et des disciples, et ses commentaires sur son livre Éducation, et sur trois œuvres courtes de Sri Aurobindo : Les Éléments du Yoga, La Mère et Les Bases du Yoga.

Entretiens - 1954


août




Le 18 août 1954

Cet Entretien est basé sur le chapitre VI de La Mère. Avant de commencer à lire, Mère demande aux enfants quel livre ils voudraient étudier après celui-ci. Plusieurs titres sont suggérés, et la décision est remise à la semaine suivante. Puis, Mère commence sa lecture.

Si on arrêtait là ? La prochaine fois, nous allons le finir.

Douce Mère, je n’ai pas compris ici : « Tel est le Pouvoir de Mahâlakshmî et aucun aspect de la divine Shakti n’est plus attrayant pour le cœur des êtres incarnés. »

Cela veut dire, des hommes. C’est une autre façon de dire les êtres humains, sur la terre, des êtres sur la terre. Il y a aussi... cela veut dire aussi les animaux. Elle est très, très amicale avec les animaux, et les animaux l’aiment beaucoup; même les plus féroces deviennent très doux avec elle, et c’est pour cela qu’au lieu de mettre ce mot « êtres humains », Sri Aurobindo a mis « les êtres incarnés », qui ont un corps sur terre.

(silence)

Questions?

Douce Mère, je n’ai pas compris : « Elle jette le sortilège de la douceur enivrante du Divin... »

Pas compris? Parce que tu n’as pas l’esprit poétique, alors... C’est une forme poétique de dire... Il ne faut pas comprendre ces choses avec un esprit positiviste; il faut avoir un peu le sens de l’harmonie des mots et des phrases.

« Maheshwarî trace les grandes lignes des forces mondiales... » Qu’est-ce que cela veut dire, « les grandes lignes des forces mondiales » ?

Cela veut dire qu’elle fait le plan de ce que le monde doit être. Alors on trace les grandes lignes du plan, de ce que le monde doit être, de l’univers. Elle a une vision d’ensemble, une création d’ensemble; au lieu de voir les détails, elle voit l’ensemble des choses, elle trace les grandes lignes du plan, et comment la création doit être, vers quoi elle doit s’avancer, et puis quels seront les résultats. Elle a une vision universelle, elle s’attache moins aux détails qu’à l’ensemble.

« Tout le travail des autres pouvoirs dépend d’elle pour sa perfection... »

Mahâsaraswatî. Oui. Parce qu’elle est (silence) justement la déesse de la perfection. Pour elle, tout doit être fait dans les moindres détails, et fait d’une façon absolument parfaite. Et elle veut, elle insiste que ce soit fait physiquement, totalement, matériellement; non pas que cela reste dans l’air, n’est-ce pas, comme une action mentale ou vitale, mais que cela soit une réalisation physique dans tous les détails, et que tous les détails soient parfaits, que rien ne soit négligé. Alors tout ce que les autres entreprennent dans les autres domaines, c’est elle qui le concrétise, et qui l’amène à sa perfection matérielle.

J’ai une question de la dernière leçon. Ici, Sri Aurobindo a écrit : « Toutes les scènes du jeu terrestre ont été, comme dans un drame, organisées, conçues et jouées par elle avec les dieux cosmiques comme auxiliaires et elle-même comme un acteur voilé. » Cela veut dire que tout ce qui se passe ici a déjà été joué dans un plan supérieur. Alors tout est prédestiné, Mère? Alors il n’y a pas de « choix libre » ?

Ce n’est pas comme cela. C’est dit comme cela et c’est une certaine façon de voir les choses. Mais en fait, c’est... (Après un silence) On peut dire, avec autant d’exactitude, qu’à chaque minute l’univers tout entier est recréé, et les deux sont également vrais.

(long silence)

Si nous prenons le monde tel qu’il est, comme une composition chimique, d’une nature quelconque, avec toutes les conséquences inévitables provenant de la composition de ce corps, et que nous concevions que dans cette composition il peut, à n’importe quel moment, entrer un élément nouveau, il changera forcément la composition du tout, n’est-ce pas? Eh bien, c’est quelque chose comme cela, en plus grand et plus compliqué; mais c’est quelque chose comme cela.

L’univers est une masse d’éléments qui forment une certaine composition, et d’après cette composition, toutes les choses sont organisées, comme une organisation interne, n’est-ce pas (Mère fait le geste de tenir un globe entre ses mains), d’une façon tout à fait rigoureuse. Mais ce n’est pas un aboutissement; c’est quelque chose qui est en voie de construction. Et à n’importe quel moment, par moments, par une action d’un certain genre, un ou plusieurs éléments nouveaux peuvent être introduits dans l’ensemble, et immédiatement, forcément, toutes les combinaisons intérieures changent. Eh bien, l’univers est une chose comme cela.

Je parle de l’univers matériel. L’univers matériel est une concrétisation d’un certain aspect, d’une certaine émanation du Suprême. Mais cette concrétisation est progressive — et d’une façon pas nécessairement constante, pas nécessairement régulière, mais répondant à une loi de liberté beaucoup plus subtile.

Dans cette composition, des éléments nouveaux pénètrent et changent toute l’organisation. Alors cette organisation qui était parfaite en soi, et qui se déroulait selon sa loi propre, est presque soudainement changée et toutes les relations internes deviennent différentes. Alors cela donne l’impression de, ou l’incohérent, ou l’imprévu, ou le miracle, suivant la manière dont on regarde le problème. Et cela fait les deux choses concomitantes : un déterminisme qui serait absolu en soi, s’il n’y avait pas cette liberté, absolue aussi, d’imprévu et d’addition dans l’univers. Je ne sais pas si tu as suivi, mais enfin j’ai tâché d’exprimer cela.

Mais cette addition se fait comment?

Hein, cette addition...?

Cette addition d’un nouvel élément...

Oui. Par l’aspiration de la Conscience suprême.

L’aspiration de la Conscience suprême?

Oui. Elle est à l’œuvre dans ce monde, et, travaillant dans ce monde, pour la nécessité du travail, elle travaille dans un certain but, n’est-ce pas, pour ramener la conscience obscurcie à son état normal de Conscience divine. Et chaque fois que dans son travail elle rencontre un obstacle nouveau, une nouvelle chose à vaincre ou à transformer, elle fait appel à une Force nouvelle. (Mère ouvre une main) Et cette Force nouvelle est comme une création nouvelle. Et alors, comme toute chose a sa correspondance, on peut dire de la même façon que, pour chaque être, il a dans ses différents domaines (un être humain), il a dans ses différents domaines un destin qui est, pour ainsi dire, absolu. Mais il a toujours la capacité, par l’aspiration, d’entrer en rapport avec un domaine supérieur et d’introduire l’action de ce domaine supérieur dans ces déterminismes plus matériels. Et c’est encore là la même chose; ces deux choses combinées : un déterminisme que nous pourrions appeler « horizontal » (pour se faire comprendre) dans chaque domaine, qui est absolu, et l’intervention d’autres domaines, ou d’un domaine tout à fait supérieur, dans ce déterminisme-là, ce qui le change complètement. Alors chacun est à la fois un ensemble de déterminismes qui paraît tout à fait absolu, et a une liberté totale de faire intervenir des états d’être, ou des états de conscience, ou des forces d’un domaine supérieur; et en faisant appel à ces forces, et en les amenant dans les déterminismes extérieurs, cela l’altère complètement. Et ce n’est que comme cela que les choses peuvent donner l’impression de l’imprévu, de l’inconnu et de la liberté.

Mère, est-ce que c’est cela que nous appelons « la Grâce » ?

(Après un silence) À un certain point de vue, oui. C’est-à-dire que, sans la Grâce, cela ne pourrait pas être. (silence) Mais ce n’est pas... À moins qu’on ne ramène tout à la Grâce; il y a certainement un état de conscience et une vision des choses qui font que l’on ramène tout à la Grâce et que l’on finit par découvrir qu’Elle seule existe, et que c’est Elle qui fait tout. Mais à moins que l’on n’aille à cet extrême, avant cela, on peut très bien concevoir qu’il y a un élément d’aspiration personnelle dans l’être, et que la Grâce répond. C’est une façon de dire. L’autre aussi est une façon de dire. La chose est plus subtile que cela, plus insaisissable. C’est très difficile d’exprimer ces choses dans des mots, parce que, nécessairement, cela prend une rigidité mentale, et il y a toute une partie de la réalité qui disparaît. Mais si on a l’expérience, alors on comprend très bien. Conclusion : il faut avoir l’expérience.

Douce Mère, qu’est-ce que c’est qu’un « dégoût divin » ?

Ah, mon enfant! (silence) C’est un dégoût qui est plein d’une compassion totale.

C’est quelque chose qui prend sur soi la vibration mauvaise afin d’en guérir les autres. Les conséquences (silence) d’un mouvement mauvais, et bas, au lieu de le rejeter avec une froide justice sur celui qui a commis la faute, Il absorbe cela, pour le transformer en soi-même, et diminue autant que possible les conséquences matérielles de la faute commise. Je crois que cette vieille histoire de Shiva, qui avait une tache noire au cou parce qu’il avait avalé tout ce qu’il y avait de mauvais dans le monde, c’est une façon imagée d’exprimer ce dégoût divin. Cela lui a fait une tache noire au cou.

Mère, quand le Divin prend le malheur humain sur Lui-même...

Oui...

... est-ce que ces malheurs ont le même effet sur Lui que sur nous? C’est-à-dire, sent-Il les douleurs comme nous les sentons?

Non! Je peux dire non! Parce qu’il y a évidemment une différence essentielle entre un état d’ignorance et un état de connaissance. Il vous arrive une chose pénible, n’est-ce pas; mais dans l’ignorance, cette chose pénible prend un certain caractère. Mais cette chose pénible, si vous la recevez dans un état de connaissance, elle n’a pas les mêmes effets. Prenons même une chose matérielle, n’est-ce pas, un coup très matériel, un bon coup comme ça (geste). Eh bien, quand on est dans l’état humain ordinaire d’ignorance, le coup a sa pleine conséquence. Cela dépend exclusivement de sa violence, de ce qui a donné le coup et de ce qui l’a reçu, n’est-ce pas. Mais ce même coup, donné de la même manière et par la même chose sur un être qui a la connaissance au lieu d’avoir l’ignorance, instantanément la réaction du corps sera celle qui rend les conséquences, qui réduit les conséquences au minimum. Et cela, c’est un fait concret! Cela peut être au point de même annuler les conséquences tout à fait, quelquefois. Cela peut aller jusque-là ; c’est-à-dire, cela peut abolir les conséquences, parce que la réaction est une réaction de connaissance, au lieu d’être une réaction d’ignorance. Alors on ne peut pas dire que c’est la même chose.

Dans les choses morales, c’est tout à fait évident, n’est-ce pas, parce qu’au lieu de recevoir le choc émotif, par exemple, avec tout l’aveuglement égoïste de l’émotion ordinaire, on objective, on voit ce que c’est, on voit la combinaison de la vibration; et instantanément, on met dessus de la Lumière, de la Connaissance et de la Vérité, et toutes les choses se remettent en place. Ça, ça se fait instantanément. Mais moi, j’insiste que même sur le corps le plus matériel, et de la façon la plus matérielle, l’effet n’est pas le même. D’ailleurs, c’est assez simple à comprendre, parce que si l’effet était le même, cela n’aurait aucune espèce de conséquence heureuse que le Divin prenne sur Lui les choses mauvaises! Parce qu’elles resteraient telles qu’elles sont, et l’univers continuerait à être ce qu’il est. C’est parce qu’Il a le pouvoir de transformer ces vibrations obscures en vibrations de Lumière qu’Il peut prendre tout sur Lui. Autrement, non seulement cela serait inutile, mais ce serait impossible, ce serait une absurdité.

C’est le coup matériel qu’on reçoit...

Hein?

La « connaissance » veut dire quoi, ici?

« Connaissance » veut dire quoi? Si tu as la connaissance — la connaissance interne des cellules, de leur existence, de leur composition, et des résultats du coup, c’est-à-dire de l’effet du coup sur les cellules —, et qu’en même temps on a la connaissance de ce que ces cellules doivent être, et de comment elles doivent réagir au coup qu’elles ont reçu, au lieu d’un procédé comme celui de la nature physique, qui prend des heures, ou des jours, ou des mois pour réparer quelque chose qui est endommagé, on peut le faire immédiatement. Et en fait, c’est cela qui se produit.

(Après un silence) C’est toute une... c’est la description d’une toute petite partie de l’action! Parce que quand l’action est intégrale et parfaite, à cette connaissance purement matérielle s’ajoute une connaissance interne, et un pouvoir de faire jouer des forces, comme les forces supramentales, qui peuvent faire instantanément ce qui dans le monde matériel prend, n’est-ce pas, une durée plus ou moins longue. Là aussi, quand on arrive à faire intervenir, non seulement la connaissance matérielle qui vous permet de remettre les choses en place aussi vite que possible, mais aussi un Pouvoir et une Connaissance supramentaux, qui font que l’on projette sur l’endroit la Force de Vérité — de façon que tout soit mis sous l’influence de cette Force, et que les choses, les éléments, les cellules et tout, tout ce qui les compose devienne réceptif à cette Puissance supramentale et que l’organisation se fasse selon une loi de Vérité —, alors cela peut être même l’occasion non seulement de guérir le coup, de réparer l’accident, mais de faire un grand progrès dans la conscience générale, et sur le point précis aussi, un grand progrès de réceptivité des forces, d’adaptation à ces forces, de réponse à leur influence.

C’est comme cela que l’on peut tourner quelque chose de mauvais en quelque chose de très bon, quand on a le pouvoir. C’est un pouvoir sans limite, celui-là, dans ce sens que, si l’on a commis une faute et que l’on a fait une chose grave, si on a le pouvoir d’amener cette Conscience de Vérité, cette Puissance supramentale, et de la laisser agir, c’est l’occasion d’un progrès formidable. (silence) Ce qui fait que l’on ne doit jamais être découragé; ou même si on s’est trompé bien des fois, il faut garder la volonté de ne plus se tromper, et être sûr qu’un jour ou l’autre on triomphera de la difficulté, si l’on persiste dans sa volonté.

Voilà !

Douce Mère, pourquoi Mahâsaraswatî est-elle la plus jeune des quatre?

Parce que son travail est venu le dernier; alors elle est venue la dernière. (silence) C’est dans cet ordre-là qu’elles se sont manifestées, dans l’ordre qui est donné là-dedans. Ce sont des aspects qui sont comme des attributs de la Mère, qui se sont manifestés successivement suivant les nécessités du travail; et cette nécessité de perfection a été la dernière, alors elle est la plus jeune.

Mais ces quatre sont indépendantes les unes des autres?

Dans une certaine mesure, mais pas totalement. C’est toujours la même chose. Il y a une indépendance, qui paraît quelquefois être totale, et en même temps un lien tout à fait étroit et même qui est pour ainsi dire absolu. La Conscience centrale, c’est-àdire ici, dans le monde matériel, c’est la Mahâshakti, n’est-ce pas. Eh bien, elle a toujours le pouvoir de contrôler l’action de ses différents aspects — quoiqu’ils soient tout à fait indépendants, et qu’ils agissent selon leurs aspirations propres. Et pourtant, elle peut les contrôler, dans ce sens que si...

Prends, par exemple, le cas de Kâlî. Si Kâlî décide qu’elle va intervenir et que la Mahâshakti — qui a une vision beaucoup plus totale et générale des choses, naturellement — voit que le moment d’intervenir n’est pas opportun ou que c’est trop tôt, eh bien, elle peut très bien mettre une pression sur Mahâkâlî et lui dire : « Tiens-toi tranquille. » Et l’autre est obligée de se tenir tranquille; et pourtant, elle agit d’une façon tout à fait indépendante.

Mais pourquoi ne laisse-t-elle pas agir Mahâkâlî? Parce qu’ici, il dit que si Mahâkâlî intervient, ce qui prend place aujourd’hui aurait demandé des siècles.

Je dis, c’est pour cela que Mahâkâlî est là et qu’elle fait son travail. Mais Mahâkâlî est une façon spéciale de voir le travail ; et quand on a la vision totale, on peut voir que cela, n’est-ce pas... Elle ne voit que son côté du travail, et quand on voit le tout, on peut dire : « Ah, non! ce n’est pas tout à fait le moment! » (silence)

Ah, je crois que c’est temps de finir.

La dernière fois, vous avez dit que Madame DavidNéel ne savait pas réavaler sa création et que vous lui aviez appris le « truc ».

(Pavitra répète à haute voix) Madame David-Néel ne savait pas réavaler sa création...

Ah oui, et alors?... Tu veux que je te donne le truc ? (rires) Attendez d’abord de savoir faire des créations, et je vous donnerai le « truc » après! (rires)









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