Sri Aurobindo's principal work of philosophy and metaphysics, expounding a vision of spiritual evolution culminating in the transformation of man from a mental into a supramental being and the advent of a divine life upon earth.
Sri Aurobindo's principal work of philosophy and metaphysics. In this book, Sri Aurobindo expounds a vision of spiritual evolution culminating in the transformation of man from a mental into a supramental being and the advent of a divine life upon earth. The material first appeared as a series of essays published in the monthly review Arya between 1914 and 1919. They were revised by Sri Aurobindo in 1939 and 1940 for publication as a book.
Avant-propos
The Life Divine de Sri Aurobindo, dont nous publions ici la traduction, diffère considérablement du texte original publié dans la revue Arya entre 1916 et 1919. Sri Aurobindo l'a entièrement revu et corrigé vingt ans plus tard, pour sa première parution sous forme de livre. De tous ses ouvrages en prose, c'est sans doute celui qui a fait l'objet de la révision la plus complète.
Le Livre I, " La Réalité omniprésente et l'Univers ", faisait partie du " Volume 1 " dans l'édition de 1939, publiée par l'Arya Publishing House, Calcutta. La version révisée comporte les vingt-sept premiers chapitres de l'Arya, dans le même ordre et avec les mêmes titres que lors de la première publication. Un vingt-huitième chapitre, " Le Supramental, le Mental et la Maya du Surmental ", vient compléter ce livre.
Le Livre II, lors de sa première parution (Arya Publishing House, 1940), s'intitulait " La Connaissance et l'Ignorance — l'Évolution spirituelle ". Il comportait vingt-huit chapitres divisés en deux parties. Les quatorze premiers chapitres, dont six sont entièrement nouveaux, et huit révisés, constituent la première partie, " La Conscience infinie et l'Ignorance ".
Les chapitres XV, XVI, XXI et XXII ont été largement révisés. Les chapitres I, II, V, VI, X, XIV de la première partie, et les chapitres XXIII-XXVIII de la deuxième partie, sont entièrement nouveaux. Ils ont été écrits à la main, sur de grandes feuilles de papier, alors que Sri Aurobindo avait l'habitude d'utiliser de petites feuilles de carnet. Le texte coule, pratiquement sans ratures. Parfois, pourtant, tout un passage est barré et réécrit en dessous. Il arrive aussi qu'un chapitre soit abandonné, et un autre commencé sur un autre feuillet.
Les textes en exergue ont été choisis et traduits par Sri Aurobindo, à partir de citations sanskrites que lui proposait un disciple.
Cette nouvelle traduction de Thé Life Divine a deux sources : un manuscrit laissé, peu avant sa disparition, par Archaka (Alexandre Kalda), et qu'il souhaitait réviser, et la traduction des six derniers chapitres par la Mère, qui a été publiée pour la première fois en 1956-57 dans le Bulletin du Centre International d'Éducation Sri Aurobindo, puis sous forme de livre en 1992, sous le titre L'Évolution spirituelle.
Je tiens enfin à remercier Krishnakumari-di, Françoise Arati, Gilles Froelich, Michèle Lupsa, Svetlana et Sébastien pour l'aide précieuse qu'ils m'ont apportée.
Cristof Alward-Pitoëff
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Usha poursuit son chemin vers le but de celles qui vont au-delà. Elle est la première dans l'éternelle succession des aurores à venir. Elle s'élargit, faisant surgir l'être vivant, éveillant quelqu'un qui était mort.... Quelle est son ampleur quand elle s'harmonise avec les aurores qui brillèrent jadis et avec celles qui doivent briller maintenant? Elle désire les anciens matins et accomplit leur lumière ; projetant au loin son illumination, elle entre en communion avec les aurores futures.
Kutsa Angirasa Rig-Véda. 1.113. 8,10.
Triples sont ces suprêmes naissances de la force divine qui est dans le monde, elles sont vraies, elles sont désirables; c'est là qu'il se meut, vaste, manifesté dans l'Infini, c'est là qu'il brille, pur, lumineux, et en lui tout s'accomplit.... Ce qui est immortel dans le mortel, ce qui possède la vérité, est un dieu établi au-dedans comme une énergie à l'œuvre dans nos pouvoirs divins.... Exalte-toi, ô force, perce tous les voiles, manifeste en nous tout ce qui est Divin.
Vâmadeva Rig-Véda. IV. 1. 7; IV. 2.1 ; IV. 4. 5.
La première préoccupation de l'homme à l'éveil de sa pensée et, semble-t-il, son inévitable et ultime préoccupation (car elle survit aux plus longues périodes de scepticisme et revient après tous les bannissements) est aussi la plus haute que sa pensée puisse envisager. Elle se manifeste par le pressentiment du Divin, l'élan vers la perfection, la quête de la Vérité pure et de la Félicité sans mélange, le sens d'une secrète immortalité. Les anciennes aurores de la connaissance humaine nous ont laissé le témoignage de cette constante aspiration. Aujourd'hui, nous voyons une humanité rassasiée, mais non point satisfaite par l'analyse victorieuse des aspects extérieurs de la Nature, se préparant à retourner à ses aspirations premières. La plus ancienne formule de la Sagesse promet d'être aussi la dernière : Dieu, Lumière, Liberté, Immortalité.
Ces idéaux persistants de l'humanité contredisent son expérience normale, mais affirment en même temps des expériences plus hautes et plus profondes, anormales pour elle, et qui ne peuvent être atteintes, dans leur totalité organisée, que par un effort individuel révolutionnaire, ou par un progrès évolutif général. Connaître, posséder et devenir l'être divin, même dans une conscience animale et égoïste, transformer notre mentalité physique à demi éclairée ou obscure en la pleine illumination supramentale, édifier la paix et une félicité existant en soi là où n'existe que la tension de satisfactions éphémères, assiégées par la douleur physique et les souffrances émotives, fonder une infinie liberté dans un monde qui apparaît comme un ensemble de nécessités mécaniques, découvrir et réaliser la vie immortelle dans un corps soumis à la mort et à un perpétuel changement, voilà ce qui nous est offert comme la manifestation de Dieu dans la Matière et comme but de la Nature dans son évolution terrestre. Pour l'intelligence physique ordinaire qui prend la présente organisation de sa conscience pour la limite de ses possibilités, la contradiction flagrante entre les idéaux irréalisés et la réalité actuelle est un argument décisif contre la valeur de l'idéal. Mais
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un examen plus attentif des processus de ce monde nous révèle que cette opposition catégorique fait plutôt partie de la méthode la plus profonde de la Nature et qu'elle est le sceau de sa plus complète adhésion.
Car tous les problèmes de l'existence sont essentiellement des problèmes d'harmonie. Ils naissent de la perception d'une discorde irrésolue et du pressentiment d'un accord ou d'une unité à découvrir. La nature pratique et plus animale de l'homme peut se contenter d'une telle discorde sans solution, mais cela est impossible pour son mental pleinement éveillé ; et généralement, même sa nature la plus pragmatique n'échappe à la nécessité générale qu'en excluant le problème ou en acceptant un compromis grossier, utilitaire et obscur. Car au fond, la Nature entière cherche une harmonie, aussi bien la vie et la matière dans leur sphère propre que le mental dans l'organisation de ses perceptions. Plus grand est le désordre apparent des matériaux offerts ou l'apparente disparité et même l'irréductible opposition des éléments qui doivent être utilisés, plus intense est l'élan; et l'ordre plus subtil et puissant auquel il aspire, il est rare qu'une tentative, qu'un effort moins ardu puisse l'accomplir. Accorder la Vie active avec le matériau d'une forme où l'inertie semble être la condition même de l'activité, est une contradiction que la Nature a résolue et aspire toujours à mieux résoudre dans des structures de plus en plus complexes; car sa solution parfaite serait l'immortalité matérielle d'un corps animal pleinement organisé et servant de support au mental. Accorder un mental conscient et une volonté consciente à une formé et une vie qui ne sont pas manifestement conscientes d'elles-mêmes et sont au mieux capables d'une volonté mécanique ou subconsciente, est une autre contradiction dont elle a su tirer des résultats étonnants ; et elle vise toujours à de plus grandes merveilles, car sur terre, son miracle ultime serait celui d'une conscience animale qui n'aurait plus à chercher la Vérité et la Lumière, mais les posséderait avec une omnipotence pratique qui serait le fruit d'une connaissance directe et parfaite. Ainsi cet élan ascendant vers l'harmonisation de contraires encore plus élevés, n'est pas seulement rationnel, il est le seul aboutissement logique d'une règle et d'un effort qui semblent constituer la méthode fondamentale de la Nature et la signification même de son effort cosmique.
Nous parlons de l'évolution de la Vie dans la Matière, de l'évolution du Mental dans la Matière, mais ce mot d'évolution expose seulement le phénomène, sans l'expliquer. Car il n'y a apparemment
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aucune raison pour que la Vie évolue à partir d'éléments matériels ou que le Mental évolue à partir de formes vivantes, à moins d'accepter la solution védântique, à savoir que la Vie est déjà involuée dans la Matière et le Mental dans la Vie, parce que dans son essence la Matière est une forme voilée de la Vie, la Vie une forme voilée de la Conscience. Par suite, rien, semble-t-il, ne nous interdit de monter d'un degré dans l'échelle et d'admettre que la conscience mentale peut n'être elle-même que la forme et le voile d'états supérieurs au-delà du Mental. Ainsi l'invincible élan de l'homme vers Dieu, vers la Lumière, la Béatitude, la Liberté, l'Immortalité trouve sa vraie place dans la chaîne ; il est tout simplement l'élan impérieux par lequel la Nature cherche à se développer au-delà du Mental, et qui nous apparaît aussi naturel, vrai et juste que l'élan vers la Vie qu'elle a implanté dans certaine formes de la Matière, ou que l'élan vers le Mental qu'elle a implanté dans certaines formes de la Vie. Ici, comme là, l'impulsion existe plus ou moins obscurément dans ses instruments différents, le pouvoir de sa volonté d'être gravissant les degrés toujours plus hauts de l'échelle ; ici comme là, la Nature développe graduellement, et ne pourra que développer pleinement les organes et les facultés nécessaires. De même que l'impulsion vers le Mental part des réactions les plus sensitives de la Vie dans le minéral et la plante jusqu'à sa pleine organisation en l'homme, de même il existe en l'homme une série ascendante analogue qui, pour le moins, prépare l'apparition d'une vie supérieure et divine. L'animal est un laboratoire vivant où, dit-on, la Nature a élaboré l'homme. L'homme lui-même pourrait bien être un laboratoire vivant et pensant, en qui, et avec la collaboration consciente de qui, elle veut élaborer le surhomme, le dieu. Ou ne dirons-nous pas plutôt : manifester Dieu ? Car si l'évolution est la manifestation progressive par la Nature de ce qui, involué, dormait ou œuvrait en elle, elle est aussi la réalisation manifeste de ce que la Nature est secrètement. Nous ne pouvons donc pas lui ordonner de s'arrêter à un stade quelconque de son évolution, et nous n'avons pas non plus le droit, à l'instar du religieux, de condamner comme perverse et présomptueuse, ou, à l'instar du rationaliste, comme maladive ou hallucinatoire, toute intention manifeste d'aller plus loin ou tout effort qu'elle accomplit dans ce sens. S'il est vrai que l'Esprit est involué dans la Matière et que la Nature apparente est Dieu caché, alors manifester le divin en lui-même et réaliser Dieu intérieurement et extérieurement, est le but le plus haut et le plus légitime qui s'offre à l'homme sur la terre.
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Ainsi se justifie au regard de la raison réfléchie comme à celui de l'intuition ou de l'instinct persistant de l'humanité, l'éternel paradoxe et l'éternelle vérité d'une vie divine dans un corps animal, d'une aspiration ou d'une réalité immortelle dans une demeure mortelle, d'une conscience unique et universelle se représentant à travers des mentalités limitées et des ego séparés, d'un Être transcendant indéfinissable, hors du temps et de l'espace qui seul rend le temps, l'espace et l'univers possibles, et, en tout cela, d'une vérité supérieure réalisable par le terme inférieur. Des tentatives ont parfois été faites pour mettre un point final à des interrogations que la pensée logique a si souvent déclarées insolubles et pour persuader les hommes de limiter leurs activités mentales à la solution des problèmes pratiques et immédiats de leur existence matérielle dans l'univers; mais de telles échappatoires n'ont jamais un effet permanent. L'humanité en revient toujours avec un plus violent désir de recherche, une soif plus ardente de solution immédiate. C'est le mysticisme qui profite de cette soif, et de nouvelles religions surgissent pour remplacer les anciennes, détruites ou dépouillées de leur sens par un scepticisme qui laissait l'homme sur sa faim, car tout en professant d'examiner les choses, il ne les examinait jamais suffisamment. S'efforcer de nier ou d'étouffer une vérité sous prétexte qu'elle est encore obscure dans ses manifestations extérieures et trop souvent représentée par la superstition et l'obscurantisme ou par une foi encore fruste, est aussi une forme d'obscurantisme. Il nous apparaît finalement que la volonté d'échapper à une nécessité cosmique, parce qu'elle est ardue, difficile à justifier par des résultats immédiats et tangibles, lente à régler ses opérations, suppose non point une acceptation de la vérité de la Nature, mais une révolte contre la volonté secrète et plus puissante de la grande Mère. Il est préférable et plus rationnel d'accepter ce qu'elle ne nous permet pas, en tant que race, de rejeter, et de l'élever hors du domaine de l'instinct aveugle, de l'obscure intuition et des aspirations erratiques, jusqu'à la lumière de la raison et à une volonté éclairée et consciemment dirigée. Et s'il existe une plus haute lumière d'intuition illuminée ou de vérité révélatrice qui se trouve encore obscurcie en l'homme ou inopérante, ou n'agit que de façon intermittente et fugitive, comme à travers un voile, ou ne se déploie que rarement dans toute sa splendeur comme les aurores boréales de nos cieux terrestres, il nous faut malgré tout en faire sans crainte l'objet de notre aspiration. Car il est probable que c'est là le prochain état supérieur de conscience dont le Mental n'est qu'une
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forme et un voile, et c'est à travers les splendeurs de cette lumière que s'ouvrira peut-être le chemin de notre élargissement progressif vers l'état le plus haut, quel qu'il soit, où l'humanité trouvera son ultime refuge.
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Il dynamisa la force-consciente (dans l'austérité de la pensée) et parvint à la connaissance que la Matière est le Brahman. Car de la Matière toutes les existences naissent, par la Matière elles croissent, et à la Matière elles retournent. Alors il approcha Varuna son père et dit: " Seigneur, enseigne-moi le Brahman. " Mais il lui répondit : "Concentre (encore) l'énergie consciente en toi; car l'Énergie est le Brahman. "
Taittirîya Upanishad. m. 1,2.
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L'affirmation d'une vie divine sur la terre et d'un sens immortel au cœur de l'existence mortelle, ne peut se justifier à moins, non seulement de reconnaître que l'Esprit éternel est l'habitant de cette demeure corporelle et revêt cette robe changeante, mais d'admettre que la Matière dont elle est faite est un matériau noble et seyant dont Il tisse constamment Ses parures et construit la série récurrente et sans fin de Ses demeures.
Et cela même ne suffirait pas à se prémunir contre un certain dégoût pour la vie dans le corps, à moins de percevoir derrière leurs apparences l'identité essentielle de ces deux termes extrêmes de l'existence qu'ont perçue les Upanishad, et de déclarer dans le langage même de ces anciennes Écritures : " La Matière aussi est le Brahman ", donnant ainsi sa pleine valeur à la puissante image qui fait de l'univers physique le corps extérieur de l'Être divin. En outre, ces deux termes extrêmes sont, en apparence, si éloignés l'un de l'autre, que l'intellect rationnel ne peut être convaincu de leur identité si nous refusons d'admettre qu'il existe, entre l'Esprit et la Matière, une série de termes ascendants (Vie, Mental, Supramental et les échelons qui relient le Mental au Supramental). Sinon, la Matière et l'Esprit nous apparaîtront nécessairement comme des adversaires irréconciliables, enchaînés par un mariage malheureux, et leur divorce serait dès lors la seule solution raisonnable. Les identifier l'un à l'autre, les représenter chacun dans les termes de l'autre, devient une création artificielle de la Pensée, contraire à la logique des faits et possible seulement pour un mysticisme irrationnel.
Si nous affirmons seulement un pur Esprit et une substance ou énergie mécanique et inintelligente, appelant l'un Dieu ou Âme, et l'autre Nature, le résultat sera inévitable : nous serons amenés, soit à nier Dieu, soit à nous détourner de la Nature. Pour la Pensée comme pour la Vie, le choix devient impératif. La Pensée en vient à nier l'un comme une illusion de l'imagination, ou l'autre comme une illusion des
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sens; la Vie finit par se fixer dans l'immatériel et se fuir elle-même, par dégoût ou par oubli de soi dans l'extase, ou en vient à nier sa propre immortalité et, se détournant de Dieu, à se rapprocher de l'animal. Purusha et Prakriti, l'Âme passivement lumineuse et l'Énergie mécaniquement active des Sânkhyas, n'ont rien en commun, même dans leur mode d'inertie opposé; leurs antinomies ne peuvent se résoudre que lorsque l'Activité mue par l'inertie cesse dans le Repos immuable sur lequel elle a projeté le déroulement stérile de ses images. Le Moi inactif et muet de Shankara et sa Maya aux noms et formes multiples sont des entités tout aussi disparates et inconciliables ; leur antagonisme irréductible ne prend fin que si l'illusion multiforme se dissout dans l'unique Vérité d'un éternel Silence.
Pour le matérialiste, la tâche est plus aisée ; il peut, en niant l'Esprit, arriver à une formule plus simple et plus immédiatement convaincante, à un véritable monisme, le monisme de la Matière, ou bien celui de la Force. Mais il ne peut s'attacher de façon permanente à une formule aussi rigide. Lui aussi finit par postuler un inconnaissable aussi inerte, aussi étranger à l'univers connu, que l'est le Purusha passif ou l'Atman silencieux. Cela ne sert à rien, qu'à repousser, par une vague concession, les exigences inexorables de la pensée, ou à justifier son refus, d'étendre le champ de sa recherche.
C'est pourquoi le mental humain ne peut se satisfaire de ces contradictions stériles. Il est toujours en quête d'une affirmation complète, et il ne peut la trouver que par une lumineuse réconciliation des contraires. Pour atteindre à cette réconciliation, il doit traverser les gradations que notre conscience intérieure nous impose, et, soit par la méthode objective de l'analyse appliquée à la Vie et au Mental comme à la Matière, soit par une synthèse et une illumination subjectives, arriver au repos de l'unité ultime, sans nier pour autant l'énergie de la multiplicité qui l'exprime. Seule une telle affirmation, complexe et universelle, permettra d'harmoniser les données multiples et apparemment contradictoires de l'existence, et les innombrables forces en conflit qui gouvernent notre pensée et notre vie pourront alors découvrir la Vérité centrale dont elles sont ici les symboles et les modes divers d'accomplissement. Alors seulement notre Pensée, ayant atteint à son vrai centre et cessant de tourner en rond, pourra œuvrer tel le Brahman de l'Upanishad, fixe et stable même dans son jeu et sa course cosmique, et notre
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vie, connaissant son but, pourra le servir dans une joie et une lumière sereines et immuables, et avec une énergie rythmique et discursive.
Mais une fois que ce rythme a été perturbé, il est nécessaire et utile de remettre à l'épreuve, séparément et dans leur affirmation extrême, chacun des deux grands opposés. C'est le procédé naturel du mental pour revenir plus parfaitement à l'affirmation perdue. En chemin, il peut être tenté de se reposer sur les échelons intermédiaires, réduisant toutes choses à une Énergie de vie originelle, à des sensations ou des Idées; mais ces solutions exclusives ont toujours un air d'irréalité. Elles peuvent satisfaire pendant un temps la raison logique qui ne traite que des idées pures, mais ne peuvent satisfaire, dans notre mental, ce sens de la réalité. Le mental sait, en effet, qu'au-delà de lui il y a quelque chose qui n'est pas l'Idée ; il sait, d'autre part, qu'il y a en lui quelque chose qui est plus que le Souffle vital. L'Esprit ou la Matière peuvent lui donner provisoirement le sens d'une réalité ultime, mais aucun des principes intermédiaires n'a ce pouvoir. Il doit donc aller jusqu'aux deux extrêmes avant de pouvoir reconsidérer l'ensemble avec profit. Servi par des sens qui ne perçoivent distinctement que des fragments d'existence, et par un langage qui, lui aussi, n'arrive à la précision qu'en divisant et délimitant avec soin, l'intellect confronté à cette multiplicité de principes élémentaires, est conduit par sa nature même à rechercher l'unité en réduisant impitoyablement tous ces principes aux termes d'un seul. Et afin de l'affirmer, il tente pratiquement de se débarrasser des autres. Pour percevoir la source réelle de leur identité sans recourir à ce procédé d'exclusion, ï doit s'être surpassé lui-même ou avoir parcouru tout le cercle pour découvrir en fin de compte que tous se réduisent également à Cela qui échappe à toute définition et à toute description, et qui pourtant est non seulement réel, mais accessible. Quelle que soit la voie que nous parcourions. Cela est toujours le terme auquel nous parvenons et nous ne pouvons y échapper qu'en refusant d'achever le voyage.
Il est donc de bon augure qu'après tant d'expériences et de solutions verbales, nous nous trouvions aujourd'hui confrontés à ces deux extrêmes, les seuls qui aient depuis longtemps subi les épreuves les plus rigoureuses de l'expérience, et que, l'expérience accomplie, tous deux aient abouti à un résultat que l'instinct universel de l'humanité, ce juge voilé, cette sentinelle et ce représentant de l'Esprit de Vérité universel, refuse de reconnaître comme juste ou satisfaisant. En Europe et en Inde,
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la négation matérialiste et le refus ascétique ont cherché à s'affirmer respectivement comme l'unique vérité et à imposer leur conception de la Vie. En Inde, il en résulta un grand amoncellement des trésors de l'Esprit —ou d'une part d'entre eux — mais aussi une immense faillite de la Vie. En Europe, l'accumulation des richesses matérielles et la maîtrise triomphante des pouvoirs et des biens de ce monde, ont abouti à une égale faillite sur le plan spirituel. Et l'intellect qui cherchait la solution de tous les problèmes dans le seul principe de la Matière, n'est pas non plus satisfait de la réponse qu'il a reçue.
Les temps sont donc venus où le monde doit s'orienter vers une affirmation nouvelle et plus globale, dans le domaine de la pensée et dans celui de l'expérience intérieure et extérieure, et, par conséquent, vers de nouvelles et plus riches réalisations de soi dans une existence humaine intégrale, pour l'individu et pour l'humanité.
De la différence dans les rapports de l'Esprit et de la Matière avec l'Inconnaissable, que tous deux représentent, résulte aussi une différence d'efficacité entre la négation matérielle et la négation spirituelle. La négation matérialiste, bien que plus véhémente et plus immédiatement victorieuse, plus facilement séduisante pour l'humanité en général, est cependant moins durable et finalement moins efficace que le périlleux refus de l'ascète. Car elle porte en elle-même son propre palliatif. Son plus puissant élément est l'agnosticisme, qui, en admettant un Inconnaissable derrière toute manifestation, étend les limites de l'Inconnaissable jusqu'à y inclure tout ce qui est simplement inconnu. Il part du principe que nos sens physiques sont notre seul moyen de Connaissance et que la Raison, même dans ses essors les plus vastes et les plus vigoureux, ne peut donc s'échapper de leur sphère; elle doit s'occuper toujours et exclusivement des faits qu'ils lui fournissent ou lui suggèrent; et les suggestions elles-mêmes doivent toujours rester liées à leurs origines ; nous ne pouvons aller au-delà, nous ne pouvons en faire un pont qui nous conduise vers un domaine où entrent en jeu des facultés plus puissantes et moins limitées, et où un autre mode de recherche doit s'établir.
Un postulat aussi arbitraire se condamne lui-même à l'insuffisance. Il ne peut être maintenu qu'en ignorant ou en trouvant mille raisons de rejeter tout un vaste champ de preuves et d'expérience
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qui le contredit, en niant ou dénigrant de nobles et utiles facultés qui agissent consciemment ou obscurément, ou sont, au pire, latentes chez tous les êtres humains, et en refusant d'examiner les phénomènes supraphysiques, excepté quand ils se manifestent en relation avec la matière et ses mouvements et sont conçus comme une activité secondaire de forces physiques. Dès que nous commençons à étudier les opérations du mental et du supramental en elles-mêmes, et sans le préjugé qui, dès le début, insiste pour ne voir en elles qu'un terme accessoire de la Matière, nous venons en contact avec une quantité de phénomènes qui échappent entièrement à l'emprise rigide et au dogmatisme réducteur de la formule matérialiste. Et dès que nous reconnaissons, comme nous y contraint notre expérience élargie, qu'il y a dans l'univers des réalités connaissables par-delà le domaine des sens, et en l'homme des pouvoirs et des facultés qui déterminent les organes physiques plus qu'ils ne sont déterminés par eux, organes qui leur servent à garder le contact avec le monde des sens — enveloppe extérieure de notre existence vraie et complète —, alors les prémisses de l'agnosticisme matérialiste s'évanouissent. Nous sommes prêts pour une affirmation plus large et une recherche toujours plus poussée.
Mais il est bon que d'abord nous reconnaissions l'énorme, l'indispensable utilité de la période, si brève, du matérialisme rationaliste que l'humanité a traversée. Car pour pénétrer en toute sécurité dans ce vaste champ de données et d'expérience qui commence maintenant à nous rouvrir ses portes, il est nécessaire que l'intellect, par une discipline sévère, soit parvenu à un état de claire austérité. Chez les esprits immatures, cette expérience peut conduire aux plus dangereuses déformations, aux imaginations les plus trompeuses. C'est ainsi que dans le passé, un authentique noyau de vérité fut étouffé sous une telle accumulation de superstitions dévoyées et de dogmes irrationnels, que tout progrès vers la vraie connaissance devint impossible. Il fut alors nécessaire, pendant quelque temps, de balayer d'un seul coup et la vérité et ses déguisements, afin que le chemin soit libre pour un nouveau départ et un plus sûr progrès. La tendance rationaliste du matérialisme a rendu ce grand service à l'humanité.
Car les facultés suprasensibles, par le fait même qu'elles sont imbriquées dans la Matière, conçues pour agir dans un corps physique, attelées avec les désirs émotifs et les impulsions nerveuses pour traîner
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un même véhicule, voient leurs opérations exposées à ce mélange et, de ce fait, courent le danger d'illuminer la confusion, plutôt que d'éclairer la vérité. Ce fonctionnement mixte est tout particulièrement dangereux quand les hommes dont le mental n'a pas été clarifié, ni la sensibilité purifiée, tentent de s'élever vers les domaines supérieurs de l'expérience spirituelle. En quelles régions de nuages immatériels et de brouillards scintillants, ou de ténèbres trouées d'éclairs qui aveuglent plus qu'ils n'illuminent, ne se perdent-ils pas dans cette aventure téméraire et prématurée ! Une aventure nécessaire en vérité sur le chemin que la Nature a choisi pour progresser — car elle s'amuse tout en travaillant —, mais néanmoins téméraire et prématurée au regard de la Raison.
Il est donc nécessaire que la Connaissance progressive ait pour base un intellect clair, pur et discipliné. Il est nécessaire aussi qu'elle corrige ses erreurs, parfois par un retour aux restrictions du fait sensible, aux réalités concrètes du monde physique. Le contact de la Terre redonne toujours de la vigueur au fils de la Terre, même quand il est à la recherche de la connaissance supraphysique. On peut même dire que le supraphysique ne peut être réellement et pleinement maîtrisé — à ses sommets nous pouvons toujours atteindre — que lorsque nos pieds sont fermement ancrés dans le physique. " La Terre est Son assise",¹ dit l'Upanishad chaque fois qu'elle décrit le Moi manifesté dans cet univers. Et il est certain que plus nous nous étendons et plus nous assurons notre connaissance du monde physique, plus étendus et plus sûrs deviennent les fondements de la connaissance supérieure, même de la plus élevée, même de la Brahmavidyâ.
Maintenant que nous émergeons de cette phase matérialiste de la connaissance humaine, nous devons donc prendre soin de ne pas condamner imprudemment les choses que nous quittons, ou de ne point rejeter la part la plus infime de ses gains, avant de pouvoir inviter, pour occuper leur place, des perceptions et des pouvoirs bien maîtrisés et sûrs. Nous observerons plutôt, avec respect, avec émerveillement, le travail que l'athéisme a accompli pour le Divin, et nous admirerons les services que l'agnosticisme a rendus en préparant la croissance illimitable de la connaissance. Dans notre monde, l'erreur a toujours été la servante
¹ "Padbhyâm prithivî. " — Mundaka Upanishad. Il 1. 4. " Prithivî pâjasyam. — Brihadâranyaka Upanishad. I. 1. 1
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et le précurseur de la Vérité; car elle est réellement une demi-vérité qui trébuche à cause de ses limitations ; souvent c'est la Vérité qui se déguise pour s'approcher inaperçue de son but. A condition, bien sûr, qu'elle soit toujours, comme elle le fut au cours de la grande époque que nous quittons, une servante fidèle, sévère, consciencieuse, impeccable, lumineuse au sein de ses limites, une demi-vérité, et non pas une aberration impulsive et présomptueuse.
Une certaine forme d'agnosticisme est la vérité finale de toute connaissance. En effet, quel que soit le chemin, quand nous arrivons à son terme, l'univers ne nous apparaît plus que comme le symbole ou l'apparence d'une Réalité inconnaissable qui se traduit ici en différents systèmes de valeurs, valeurs physiques, vitales et sensorielles, valeurs intellectuelles, idéales, spirituelles. Et plus Cela devient réel pour nous, plus Cela nous paraît transcender toute pensée et ses définitions, toute expression et ses formules. " Le Mental n'y atteint point, non plus que la parole."¹ Cependant, de même qu'il est possible d'exagérer, avec les illusionnistes, l'irréalité de l'apparence, de même il est possible d'exagérer l'inconnaissabilité de l'Inconnaissable. Quand nous disons qu'il est inconnaissable, nous voulons dire en réalité qu'il ne peut être appréhendé par la pensée et le langage, instruments qui s'appuient toujours sur le sens de la différence et s'expriment au moyen de définitions; mais s'il n'est pas connaissable par la pensée. Il peut être atteint par un suprême effort de la conscience. Il y a même une certaine Connaissance par Identité qui, en un sens, permet de Le connaître. Celte Connaissance ne peut certes pas être traduite avec succès dans les termes de la pensée et du langage, mais quand nous l'avons atteinte, elle entraîne une réévaluation de Cela dans les symboles de notre conscience cosmique, couvrant non point un seul domaine mais toute l'étendue du champ symbolique. Cela produit une révolution de l'être intérieur qui, à son tour, produit une révolution dans notre vie extérieure. Il y a encore une autre forme de Connaissance par laquelle Cela se révèle sous tous les noms et toutes les formes de l'existence phénoménale qui ne font que Le dissimuler à l'intelligence ordinaire. C'est à ce processus supérieur de Connaissance, qui n'est pourtant pas. le plus haut, que nous pouvons atteindre en dépassant les limites de la formule matérialiste et en explorant la Vie, le Mental et le Supramental,
¹Kéna Upanishad. I. 3.
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dans leurs phénomènes spécifiques, et pas seulement dans les mouvements subordonnés par lesquels ils se relient à la Matière.
L'Inconnu n'est pas l'Inconnaissable;¹ il ne reste pour nous l'inconnu que si nous tenons à notre ignorance ou persistons dans nos premières limitations. Car à toutes les choses qui ne sont pas inconnaissables, à toutes les choses de l'univers, correspondent, dans cet univers, des facultés capables d'en prendre connaissance; et en l'homme, le microcosme, ces facultés existent toujours et, à un certain stade, peuvent être développées. Certes, nous pouvons choisir de ne pas les cultiver, et, là où elles le sont en partie, de les décourager et de leur imposer une sorte d'atrophie. Mais, fondamentalement, toute connaissance possible est une connaissance accessible à l'humanité. Et puisqu'il y a en l'homme l'élan inaliénable de la nature vers la réalisation de soi, aucun effort de l'intellect pour limiter l'action de nos capacités à un champ déterminé ne saurait prévaloir pour toujours. Quand nous avons prouvé la réalité de la Matière et réalisé ses pouvoirs secrets, la connaissance même qui s'était confortablement installée dans ce cadre temporaire, doit nous crier, comme les Restricteurs védiques : " Allez de l'avant et passez au-delà vers d'autres domaines."²
Si le matérialisme moderne n'était qu'un acquiescement inintelligent à la vie matérielle, le progrès pourrait être indéfiniment retardée Mais puisque la recherche de la Connaissance est son âme même, il ne lui sera pas possible de crier halte ; quand il aura atteint les barrières dé la connaissance sensorielle et du raisonnement qui en découle, son élan même l'emportera plus loin, et la rapidité et la certitude avec lesquelles il a embrassé l'univers visible, sont le gage de l'énergie et du succès que nous pouvons espérer voir se reproduire dans la conquête de ce qui s'étend au-delà, dès que les barrières seront enjambées. Nous assistons déjà aux obscurs débuts de cette progression.
Quel que soit le chemin suivi, la Connaissance tend vers l'unité, non seulement dans son unique et ultime conception, mais aussi dans les grandes lignes de ses résultats généraux. Rien n'est plus remarquable et plus suggestif que de constater à quel point la science moderne confirme,
¹" Autre que le Connu est Cela ; mais Cela dépasse aussi l'Inconnu. " ( Kéna Upanishad. 13.)
²Rig-Véda. 1.4. 5.
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dans le domaine de la Matière, les conceptions, et même les formules auxquelles, par une méthode très différente, aboutit le Védânta — le Védânta originel, qui n'est pas celui des écoles de philosophie métaphysique, mais celui des Upanishad. Conceptions et formules qui, à leur tour, ne révèlent bien souvent leur pleine signification, la richesse de leur contenu que lorsqu'elles sont vues à la lumière des découvertes de la science moderne. Ainsi en est-il de l'expression védânrique qui décrit les choses du cosmos comme un germe unique que Énergie universelle a ordonné en une multitude de formes.¹ Il est particulièrement significatif que la science tende vers un monisme qui n'exclut pas la multiplicité, vers l'idée védique d'une essence unique et de ses nombreux devenirs. Même l'accent mis sur la dualité apparente de la Matière et de la Force ne contredit pas vraiment ce monisme. Il devient évident, en effet, que la Matière dans son essence est non existante pour les sens, et, comme le Pradhâna des Sânkhya, seulement une forme conceptuelle de la substance. En fait, l'on en arrive au point où seule une distinction arbitraire de la pensée permet encore de séparer la forme de la substance, de la forme de l'énergie.
La Matière s'exprime, en définitive, comme une formulation de quelque Force inconnue. La Vie aussi, ce mystère encore impénétrable, commence à se révéler comme une obscure énergie de sensibilité, emprisonnée dans sa formule matérielle ; et quand est guérie l'ignorance séparatrice qui nous donne le sentiment d'un abîme entre la Vie et la Matière, il est difficile de supposer que le Mental, la Vie et la Matière soient autre' chose qu'une Énergie unique sous sa triple formulation, le triple monde des voyants védiques. Alors la conception d'une Force matérielle brute donnant naissance au Mental ne pourra plus subsister. L'Énergie qui crée le monde ne peut rien être d'autre qu'une Volonté, et la Volonté n'est que la conscience s'appliquant à une œuvre en vue d'un résultat.
Quelle est cette œuvre et quel est ce résultat, sinon une involution de la Conscience dans la forme, et son évolution à partir de la forme, afin d'actualiser une sublime possibilité dans l'univers qu'elle a créé ? Et quelle est sa volonté en l'Homme, si ce n'est la volonté d'une Vie sans fin, d'une Connaissance sans bornes, d'un Pouvoir sans entraves ?
¹Shvetâshvatara Upanishad. VI. 12.
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La science elle-même commence à rêver d'une victoire physique sur la mort, à exprimer une soif insatiable de connaissance et à réaliser pour l'humanité quelque chose qui ressemble à une omnipotence terrestre. En ses travaux, l'Espace et le Temps se contractent au point de presque disparaître; de mille façons, elle s'efforce de rendre l'homme maître des circonstances et d'alléger ainsi les chaînes de la causalité. La notion de limite, d'impossibilité commence à s'estomper, et il apparaît au. contraire que tout ce que l'homme veut avec constance, il doit être finalement capable de l'accomplir, car la conscience de l'espèce finit toujours par en découvrir le moyen. Ce n'est pas dans l'individu que cette omnipotence s'exprime ; c'est la Volonté collective de l'humanité qui la réalise au moyen des individus. Et un regard plus profond nous révèle que ce n'est même pas la Volonté consciente de la collectivité, mais une Puissance supraconsciente qui utilise l'individu comme centre et comme moyen, et la collectivité comme condition et champ d'action. Or, qu'est cette puissance sinon le Dieu en l'homme, l'Identité infinie, l'Unité multiforme, l'Omniscient, l'Omnipotent, qui, ayant fait l'homme à Son image, avec l'ego pour centre d'action, et la race, le Nârâyana collectif,¹ le vishvamânava1²', pour forme et délimitation, cherche à exprimer en eux quelque image de l'unité, de l'omniscience, de l'omnipotence qui sont la propre conception du Divin ? " Ce qui est immortel dans les mortels est un Dieu établi au-dedans, comme une énergie que nos pouvoirs divins manifestent."³ C'est ce vaste élan cosmique que le monde moderne, sans vraiment connaître son propre but, sert pourtant dans toutes ses activités et s'efforce subconsciemment de réaliser.
Cependant il y a toujours une limite et un obstacle — pour la connaissance, c'est la limite du champ matériel, et pour le Pouvoir, l'obstacle du mécanisme matériel. Mais là aussi, la tendance la plus récente est le signe puissant d'un avenir plus libre. De même que nous voyons les avant-postes de la Connaissance scientifique se fixer de plus en plus sur les frontières séparant la matière de l'immatériel, de même les plus hautes réalisations des sciences appliquées sont celles qui tendent à simplifier, à réduire au minimum les mécanismes produisant ses effets les plus puissants. La télégraphie sans fil est le signe et le prétexte
¹Un nom de Vishnu qui, en tant que Dieu en l'homme, vit constamment associé en une unité duelle à Nara, i'être humain.
²L'homme universel.
³Rig-Véda. IV. 2. 1.
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extérieur qu'a trouvé la Nature pour prendre une nouvelle orientation. Le moyen physique sensible de transmission intermédiaire de la force physique est supprimé; il n'existe plus qu'aux points d'émission et de réception. Eux-mêmes finiront par disparaître, car lorsqu'on partira d'une base juste pour étudier les lois et les forces supraphysiques, on trouvera infailliblement le moyen pour que le Mental se saisisse directement de l'énergie physique et la dirige avec précision vers son but. Là sont les portes — il nous faudra bien un jour le reconnaître — qui s'ouvrent sur les horizons immenses de l'avenir.
Et pourtant, même si nous avions la connaissance et la maîtrise complètes des mondes situés juste au-dessus de la Matière, il y aurait encore une limitation, et encore un au-delà. Le dernier nœud de notre servitude se trouve au point où l'extérieur devient un avec l'intérieur, où le mécanisme de l'ego lui-même s'affine jusqu'à se dissoudre, et où la loi de notre action est enfin l'unité embrassant et possédant la multiplicité et non plus, comme elle l'est à présent, la multiplicité s'efforçant de reproduire une image de l'unité. Là se dresse le trône central de la Connaissance cosmique dominant son plus vaste empire ; là est le royaume du moi et celui de son monde;¹ là est la vie dans l'Être éternellement accompli2² et la réalisation de Sa nature divine dans notre existence humaine.³
¹Svârâjya et Sâmrâjya, le double but que se propose le Yoga positif des Anciens.
²Sâlokya-mukti, la libération en vivant consciemment avec le Divin en un seul monde d'être.
³Sâdharmya-mukti la libération en assumant la Nature divine.
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Tout ceci est le Brahman; ce Moi est le Brahman et le Moi est quadruple.
Par-delà toute relation, sans traits, inconcevable, en quoi tout est immobile.
Mândûkya Upanishad. Versets 2,7.
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Et il y a encore quelque chose au-delà.
Car de l'autre côté de la conscience cosmique, il y a une conscience plus transcendante encore qui nous est accessible. Elle transcende non seulement l'ego mais le cosmos lui-même, et l'univers s'y détache comme une minuscule image sur un fond incommensurable. Elle soutient l'activité universelle — ou peut-être la tolère seulement; Elle embrasse la Vie dans Son immensité — à moins qu'elle ne la rejette de Son infinitude.
Si, de son point de vue, le matérialiste a raison de soutenir que la Matière est la réalité, que le monde relatif est la seule chose dont nous puissions en quelque sorte être sûr, que l'Au-delà est totalement Inconnaissable, voire inexistant, un rêve du mental, une abstraction de la Pensée dissociée de la réalité, de même le sannyâsi épris de cet Au-delà a-t-il raison, de son point de vue, de soutenir que le pur Esprit est la réalité, la seule chose qui ne soit pas soumise au changement, à la naissance et à la mort, et que le monde relatif n'est qu'une création du mental et des sens, un rêve, une abstraction inverse de la Mentalité se retirant de la Connaissance pure et éternelle.
Quelle justification la logique ou l'expérience peuvent-elles apporter à l'appui de l'une de ces conceptions extrêmes, qui ne puisse être contredite, à l'autre extrême, par une logique également puissante et une expérience également valable ? La réalité du monde de la Matière est affirmée par l'expérience des sens physiques qui, étant eux-mêmes incapables de percevoir ce qui est immatériel ou ce qui, par sa structure, diffère de la Matière brute, voudraient nous convaincre que le suprasensible est irréel. Cette erreur grossière ou primaire de nos organes corporels ne voit pas sa valeur rehaussée par sa promotion dans le domaine du raisonnement philosophique. Leurs prétentions sont bien évidemment injustifiées. Même dans le monde de la Matière, il y a des existences dont les sens physiques ne peuvent prendre connaissance. Et cependant, la négation du suprasensible comme étant nécessairement
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une illusion et une hallucination, repose sur le fait que nos sens associent le réel à ce qui est matériellement perceptible; or cela même est une hallucination. Affirmant d'un bout à l'autre ce qu'il cherche à démontrer, cet argument tourne dans un cercle vicieux et ne peut avoir aucune valeur dans un raisonnement impartial.
Non seulement il y a des réalités physiques qui sont suprasensibles, mais si l'évidence et l'expérience peuvent être tenues pour un critère de vérité, il y a aussi des sens supraphysiques,¹ qui peuvent non seulement prendre connaissance des réalités du monde matériel sans l'aide des organes sensoriels corporels, mais nous mettre en contact avec d'autres réalités, supraphysiques et appartenant à un autre monde — des réalités, autrement dit, relevant d'un ordre d'expériences conscientes qui dépendent d'un autre principe que celui de la Matière grossière dont semblent être faits nos soleils et nos terres.
Constamment affirmée par l'expérience et la croyance humaines depuis les origines de la pensée, cette vérité commence à être confirmée par de toutes nouvelles formes de recherche scientifique, maintenant qu'elle n'est plus obligée de se concentrer exclusivement sur les secrets du monde matériel. Les preuves se multiplient — seules les plus évidentes, les plus extérieures sont reconnues sous le nom de télépathie et autres phénomènes apparentés — et elles ne pourront être longtemps repoussées, excepté par des esprits emprisonnés dans la brillante coquille du passé, par des intelligences qui, en dépit de leur acuité, s'enferment dans les limites de leur champ d'expérience et de recherche, ou par ceux qui confondent lumière et raison avec la répétition fidèle des formules héritées d'un siècle révolu, et avec la préservation jalouse de dogmes intellectuels morts ou agonisants.
Il est vrai que les aperçus des réalités supraphysiques obtenus par des recherches méthodiques étaient imparfaits et sont encore mal assurés, car les méthodes employées restent rudimentaires et défectueuses. Mais il s'est avéré, en tout cas, que ces sens subtils redécouverts sont de vrais témoins de faits physiques qui se trouvent hors du champ des organes corporels. Rien ne nous autorise donc à les rejeter avec
¹sûkshma indriya, les organes subtils qui existent dans le corps subtil (sûkshma deha), et les moyens de vision et d'expérience subtiles (sûkshma drishti).
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mépris comme de faux témoins lorsqu'ils attestent des phénomènes supraphysiques par-delà le champ de l'organisation matérielle de la conscience. Leurs témoignages, comme tout témoignage, comme celui des sens physiques eux-mêmes, doivent être contrôlés, analysés et classés par la raison, correctement traduits et reliés les uns aux autres, et leur champ, leurs lois et leurs procédés bien déterminés. Mais la vérité de grands domaines d'expérience dont les objets existent dans une substance plus subtile, et sont perçus par des instruments eux aussi plus subtils que ceux de la matière physique grossière, peut prétendre en fin de compte à la même validité que celle de l'univers matériel. Il existe des mondes au-delà ; ils ont leur rythme universel, leurs grandes lignes et leurs formations, leurs propres lois, leurs puissantes énergies, leurs moyens de connaissance justes et lumineux. Ils exercent ici leurs influences sur notre existence et dans notre corps physiques, et, ici également, ils organisent leurs moyens de manifestation et délèguent leurs messagers et leurs témoins.
Mais les mondes ne sont que les cadres de notre expérience, et nos sens en sont les outils et les moyens pratiques. La conscience est le grand fait qui soutient tout, le témoin universel pour lequel le monde est un champ, et les sens des instruments. C'est à ce témoin que les mondes et leurs objets en appellent pour établir leur réalité ; et, qu'il s'agisse d'un seul monde ou de multiples mondes, du monde physique ou du monde supraphysique, nous n'avons pas d'autre preuve de leur existence. On a soutenu que ce n'est pas là une relation particulière à la constitution de l'humanité et à son point de vue extérieur sur un monde objectif, mais que c'est la nature fondamentale de l'existence elle-même ; toute existence phénoménale consiste en une conscience qui observe, et une objectivité qui agit; or l'Action ne peut se produire sans le Témoin, car l'univers n'existe que dans la conscience qui observe, ou pour elle, et n'a pas de réalité indépendante. D'autres ont alors soutenu que l'univers matériel jouit d'une éternelle existence en soi; il était là avant que n'apparaissent la vie et le mental, et il survivra quand ils auront disparu et ne troubleront plus de leurs luttes éphémères et de leurs pensées limitées le rythme éternel et inconscient des soleils. Le différend, si métaphysique qu'il soit en apparence, a pourtant la plus grande importance pratique, car il détermine toute l'attitude de l'homme à l'égard de la vie, le but qu'il assignera à ses efforts, et le champ dans lequel il circonscrira ses énergies. Il soulève en effet la question de la réalité de l'existence cosmique et celle, plus importante encore, de la valeur de la vie humaine.
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Si nous poussons assez loin le raisonnement matérialiste, il faut en conclure à l'insignifiance, à l'irréalité de la vie de l'individu et de la race qui, logiquement, nous laisse le choix entre l'effort fiévreux de l'individu pour arracher ce qu'il peut à une existence éphémère, pour " vivre sa vie " comme on dit, et le service, détaché et sans objet, de la race et de l'individu, tout en sachant que l'un est une fiction passagère de la mentalité nerveuse et l'autre une forme collective un peu plus durable du même spasme nerveux et régulier de la matière. Nous travaillons ou éprouvons du plaisir sous l'impulsion d'une énergie matérielle qui nous leurre avec la brève illusion de la vie, ou avec l'illusion plus noble d'un but éthique et d'un accomplissement mental. Le matérialisme, comme le monisme spirituel, aboutit à une Maya qui existe et cependant n'existe pas — elle existe, car elle est présente et s'impose à nous, et n'existe pas, car elle est accidentelle et transitoire en ses œuvres. À l'autre extrême, si nous insistons trop sur l'irréalité du monde objectif, nous arrivons par un chemin différent à des conclusions similaires, mais plus catégoriques encore : le caractère fictif de l'ego individuel, l'irréalité et l'inanité de l'existence humaine, le retour au Non-Être ou à un Absolu sans rapport avec rien, comme seul moyen rationnel d'échapper à l'absurde confusion de la vie phénoménale.
Et cependant la question ne peut être résolue par une argumentation logique basée sur les données de notre existence physique ordinaire ; car dans ces données il y a toujours un manque d'expérience qui rend tout argument inopérant. Nous n'avons habituellement ni l'expérience définitive d'un mental cosmique ou d'un supramental affranchi de la vie corporelle individuelle, ni une expérience fermement délimitée nous permettant de supposer que notre moi subjectif dépend réellement de son enveloppe physique et ne peut ni lui survivre ni s'élargir au-delà du corps individuel. Seule une extension du champ de notre conscience, seul un accroissement inespéré de nos instruments de connaissance, permettraient de résoudre l'ancienne dispute.
Pour être satisfaisante, l'extension de notre conscience doit nécessairement impliquer un élargissement intérieur de l'individu en l'existence cosmique. Car le Témoin, s'il existe, n'est pas le mental individuel incarné, né dans ce monde, mais la Conscience cosmique embrassant l'univers et apparaissant dans toutes ses œuvres comme une Intelligence immanente, pour laquelle le monde subsiste éternellement et réellement
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comme Sa propre existence active, ou de laquelle le monde est né et en laquelle il disparaîtra par un acte de connaissance ou de pouvoir conscient. Le Témoin de l'existence cosmique, son Seigneur, n'est pas le mental organisé, mais cela qui, éternel et calme, veille également au sein de la terre vivante et du corps humain vivant, et pour qui le mental et les sens ne sont pas des instruments indispensables.
La psychologie moderne commence lentement à admettre la possibilité d'une conscience cosmique, comme elle a admis qu'il puisse exister des instruments de connaissance plus plastiques; mais tout en reconnaissant désormais sa valeur et son pouvoir, elle la range encore parmi les hallucinations. Dans la psychologie orientale, par contre, la conscience cosmique a toujours été considérée comme une réalité et comme le but de notre progrès subjectif. La condition essentielle pour atteindre ce but est le dépassement des limites qui nous sont imposées par le sens de l'ego, et au moins une participation, au mieux une identification avec la connaissance de soi qui veille secrètement au cœur de toute vie et en tout ce qui nous semble inanimé.
Une fois plongés dans cette Conscience, nous pouvons continuer, comme elle, à nous concentrer sur l'existence universelle. Tous nos termes de conscience et même notre expérience sensorielle se transforment et nous percevons alors que la Matière est une seule existence et que les corps sont ses formations, et en chacun cette existence unique se sépare physiquement d'elle-même en tous les autres corps, pour établir ensuite par des moyens physiques une communication entre ces innombrables points de son être. Notre expérience du Mental, et de la Vie également, est similaire ; nous les percevons comme une même existence, unique en sa multiplicité, se séparant et se réunissant dans chaque domaine par des moyens appropriés à ce mouvement. Mais si nous le voulons, nous pouvons aller plus loin et, passant par de nombreux degrés intermédiaires, prendre conscience d'un supramental dont les opérations universelles sont la clef de toutes les activités subordonnées. Et nous ne devenons pas seulement conscients de cette existence cosmique, mais conscients en elle et comme elle — nos sensations la reçoivent et nous pénétrons en elle en toute conscience. En elle nous vivons comme nous vivions auparavant dans le sens de l'ego, actifs et de plus en plus en contact et même de plus en plus unifiés avec d'autres mentalités, d'autres vies, d'autres corps que l'organisme que nous appelons nous-mêmes, agissant non seulement sur
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notre être moral et mental et sur l'être subjectif des autres, mais même sur le monde physique et sur ses événements, par des moyens plus divins que ceux dont disposent nos capacités égoïstes.
Pour l'homme qui est entré en contact avec elle ou vit en elle, cette conscience cosmique est donc bien réelle, et d'une réalité plus grande que la réalité physique ; réelle en soi, réelle en ses effets et en ses œuvres. Et de même qu'elle est réelle pour le monde qui est son expression totale, de même le monde est-il réel pour elle, mais non comme une existence indépendante. Car dans cette expérience plus haute et moins entravée, nous percevons que la conscience et l'être ne diffèrent pas l'un de l'autre, que tout être est une conscience suprême, toute conscience une existence en soi, éternelle en soi, réelle dans ses œuvres et non point un rêve ou un produit de l'évolution. Le monde est réel précisément parce qu'il existe seulement dans la conscience, étant la création d'une Énergie consciente qui est une avec l'Être. Ce qui serait contraire à la vérité des choses, c'est qu'une forme matérielle puisse exister indépendamment de l'énergie lumineuse en soi qui l'assume ; ce serait une fantasmagorie, un cauchemar, un impossible mensonge.
Mais cet Être conscient qui est la vérité du supramental infini, est plus que l'univers et vit indépendamment, dans sa propre infinitude inexprimable aussi bien que dans les harmonies cosmiques. Le monde vit par Cela, Cela ne vit pas par le monde. Et comme nous pouvons entrer dans la conscience de l'univers et devenir un avec toute l'existence cosmique, de même nous pouvons entrer dans la conscience qui transcende le inonde et nous élever au-dessus de toute l'existence cosmique. Alors se pose la question qui s'était présentée dès l'abord: cette transcendance implique-t-elle nécessairement un rejet de la vie cosmique ? Quel rapport cet univers a-t-il avec l'Au-delà ?
Car aux portes du Transcendant se tient ce simple et parfait Esprit décrit dans les Upanishad : lumineux, pur, soutenant le monde mais inactif en lui, sans nerfs d'énergie, sans fissure de dualité, sans cicatrice de division, unique, identique, libre de toute apparence de relation et de multiplicité — le Moi pur des Advaïtins,¹ le Brahman inactif, le Silence transcendant. Et quand il franchit ces portes soudainement et
¹Les monistes védântiques.
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sans transition, le mental est saisi par le sens de l'irréalité du monde et de la seule réalité du Silence, et c'est là une des expériences les plus puissantes et les plus convaincantes accessibles au mental humain. C'est là, dans la perception du pur Moi et du Non-Être derrière lui, que se trouve la source d'une seconde négation — parallèle et diamétralement opposée à la négation matérialiste, mais plus complète, plus irrévocable, plus périlleuse encore dans ses effets sur les individus et les collectivités qui répondent à son puissant appel vers le désert : le refus de l'ascète.
C'est cette révolte de l'Esprit contre la Matière qui depuis deux mille ans, depuis que le bouddhisme a dérangé l'équilibre du vieux monde aryen, a de plus en plus fortement marqué la mentalité indienne. Non pas que le sens de l'illusion cosmique résume toute la pensée indienne ; il y a en elle d'autres points de vue philosophiques, d'autres aspirations religieuses. Et les tentatives d'harmonisation entre ces deux termes n'ont pas manqué non plus, même dans les doctrines les plus radicales. Mais toutes ont vécu dans l'ombre du grand Refus, et pour toutes, la robe de l'ascète est l'aboutissement final de la vie. La conception générale de l'existence fut toute imprégnée de la théorie bouddhiste de la chaîne du karma et de l'antinomie qui en dérive entre l'esclavage et la libération, l'esclavage par la naissance, la libération par la cessation de la naissance. Ainsi toutes les voix se sont-elles unies pour déclarer d'un même accord que le royaume des cieux ne saurait exister en ce monde des dualités, mais au-delà, dans les joies de l'éternel Vrindâvan,¹ ou dans la haute béatitude du Brahmaloka,² au-delà de toute manifestation, en quelque Nirvana³ ineffable, ou bien là où toute expérience séparée se perd dans l'unité sans traits de l'indéfinissable Existence. Et au long des siècles, une immense cohorte de brillants témoins, saints et instructeurs, noms sacrés pour la mémoire de l'Inde et qui ont profondément marqué son imagination, ont toujours porté le même témoignage et fait grandir le même appel sublime vers le large : le renoncement est le seul chemin qui mène à la connaissance, l'acceptation de la vie physique est le choix de l'ignorant, et la cessation de la naissance le meilleur profit que l'homme puisse tirer de la naissance; l'appel de l'Esprit, le recul devant la Matière.
¹Goloka, le Ciel de Beauté et de Béatitude éternelles des vishnouites.
²L'état le plus haut d'existence pure, de conscience pure, de pure béatitude que l'âme puisse atteindre sans s'éteindre complètement dans l'Indéfinissable.
³L'extinction pas nécessairement de tout l'être, mais de l'être te! que nous le connaissons ; l'extinction de l'ego, du désir et de l'action et de la mentalité égoïste.
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Pour un âge qui se détourne de l'esprit ascétique — et dans le reste du monde il semble que l'heure de l'anachorète soit passée ou soit en voie de l'être —, il est facile d'attribuer cette forte tendance à quelque dépression de l'énergie vitale chez une race ancienne, épuisée par un fardeau qui fut jadis son apport immense au progrès général, exténuée par ses diverses contributions à la somme de l'effort humain et de la connaissance humaine. Nous avons vu, cependant, que cette tendance correspond à une vérité de l'existence, à un état de réalisation consciente qui se trouve au sommet de nos possibilités. Dans la pratique aussi, l'esprit ascétique est un élément indispensable de la perfection humaine ; et même son affirmation exclusive ne peut être évitée tant que la race n'a pas, à l'autre extrême, libéré son intelligence et ses habitudes vitales de leur asservissement aux exigences obstinées de l'animalité.
En vérité, nous cherchons une affirmation plus large et plus complète. Nous constatons que dans l'idéal ascétique de l'Inde, la grande formule védântique, " l'Un sans second ", n'a pas été suffisamment interprétée à la lumière de cette autre formule également impérative : " Tout ceci est le Brahman ". L'aspiration fervente de l'homme dans son ascension vers le Divin n'a pas été suffisamment reliée au mouvement descendant du Divin qui se penche vers sa manifestation pour l'embrasser éternellement. La signification du Divin dans la Matière n'a pas été aussi bien comprise que Sa vérité dans l'Esprit. La Réalité que cherche le sannyâsin a été saisie dans toute sa hauteur, mais non pas, comme surent le faire les anciens védântins, dans toute son étendue et toute son intégralité. Dans notre affirmation plus complète, nous veillerons cependant à ne pas minimiser la part du pur élan spirituel. De même que nous avons reconnu l'immense service que le matérialisme a rendu au Divin pour l'accomplissement de Ses desseins, de même devons-nous reconnaître le service plus considérable encore que l'ascétisme a rendu à la Vie. Nous préserverons, dans l'harmonie finale, les vérités de la science matérielle et ses réels apports, même si nombre de ses formes présentes, ou peut-être même toutes, doivent être brisées ou délaissées. Et nous devons être guidés par un scrupule plus grand encore quand il s'agit de la juste préservation de notre héritage aryen, quelle que soit la diminution ou la dépréciation qu'il ait pu subir.
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Power qui connaît le Brahman comme le Non-Être, il devient simplement le non-existant. Pour qui sait que le Brahman Est, il est connu comme le réel dans l'existence.
Taittirîya Upanishad. Il. 6.
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Puisque nous avons admis à la fois les revendications du pur Esprit et celle de la Matière universelle, le droit de l'un à manifester en nous sa liberté absolue, et le droit de l'autre à être le moule et la condition de notre manifestation, nous devons découvrir une vérité qui puisse réconcilier complètement ces termes antagonistes et donner à chacun la part qui lui est due dans la Vie et sa justification légitime dans la Pensée, ne privant aucun d'eux de ses droits, ne refusant ni à l'un ni à l'autre la vérité souveraine où même leurs erreurs, même leurs exagérations et leur exclusivisme, puisent une force M constante. Car chaque fois qu'une profession de foi radicale exerce sur le mental humain un attrait aussi puissant, nous pouvons être sûrs que nous nous trouvons en présence, non d'une simple erreur, d'une superstition ou d'une hallucination, mais d'un fait souverain travesti qui revendique notre allégeance et se venge s'il est renié ou exclu. C'est pourquoi il est si difficile de trouver une solution satisfaisante et c'est aussi pourquoi les simples compromis entre l'Esprit et la Matière n'ont jamais un caractère définitif. Un compromis n'est qu'un marché, un pacte entre deux puissances en conflit ; ce n'est pas une vraie réconciliation. Toute vraie réconciliation implique une compréhension mutuelle conduisant à une union plus ou moins étroite. L'unification la plus complète possible entre l'Esprit et la Matière est donc le meilleur moyen d'atteindre à la vérité qui les réconcilie et d'établir ainsi des bases suffisamment solides pour les réconcilier pratiquement dans la vie intérieure de l'individu et dans son existence extérieure.
Nous avons déjà trouvé dans la conscience cosmique un point de rencontre où la Matière devient réelle pour l'Esprit, l'Esprit réel pour la Matière. Car dans la conscience cosmique, le Mental et la Vie sont des intermédiaires et non plus, comme ils semblent l'être dans la mentalité égoïste ordinaire, des facteurs de séparation, des fauteurs de
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trouble opposant artificiellement les principes positif et négatif d'une même Réalité inconnaissable. En atteignant à la conscience cosmique, le Mental, illuminé par une connaissance qui perçoit à la fois la vérité de l'Unité et la vérité de la Multiplicité et s'empare des formules de leur interaction, trouve ses propres désaccords expliqués et réconciliés par la divine Harmonie; satisfait, il consent à devenir l'agent de cette suprême union entre Dieu et la Vie à laquelle nous aspirons. A la pensée qui comprend et aux sens rendus plus subtils, la Matière se révèle comme l'image et le corps de l'Esprit, l'Esprit dans son extension formatrice. L'Esprit se révèle, à travers les mêmes agents consentants, comme l'âme, la vérité, l'essence de la Matière. Tous deux se reconnaissent et s'affirment divins, réels et essentiellement un. Dans cette illumination, le Mental et la Vie se découvrent à la fois comme les représentations et les instruments du suprême Être conscient qui, par eux, s'étend et se loge dans la forme matérielle et qui, en elle, se dévoile Lui-même à Ses multiples centres de conscience. Le Mental atteint sa plénitude quand il devient un pur miroir de la Vérité de l'Être s'exprimant dans les symboles de l'univers, et la Vie, quand elle prête consciemment ses énergies à la parfaite représentation de soi du Divin dans les formes et les activités toujours renouvelées de l'existence universelle.
A la lumière de cette conception, nous pouvons percevoir la possibilité, pour l'homme dans le monde, d'une vie divine qui justifiera la science en dévoilant et donnant un sens vivant et un but intelligible à l'évolution cosmique et terrestre, et, en même temps, réalisera, par la transfiguration d~ l'âme humaine en l'âme divine, le rêve idéal et sublime de toutes les grandes religions.
Mais qu'advient-il alors du Moi silencieux, inactif, pur, existant en soi, trouvant sa joie en lui-même, qui s'est présenté à nous comme la justification permanente de l'ascète? Ici aussi c'est l'harmonie, et non une opposition irréductible, qui doit être la vérité illuminatrice. Le Brahman silencieux et le Brahman actif ne sont pas des entités différentes, opposées et irréconciliables, l'un niant, l'autre affirmant l'illusion cosmique; ils sont le Brahman unique sous deux aspects, l'un positif, l'autre négatif, et chacun est nécessaire à l'autre. C'est de ce Silence que jaillit éternellement le Verbe qui crée les mondes; car le Verbe exprime ce qui se cache à soi-même dans le Silence. C'est une éternelle passivité qui rend possible la liberté et l'omnipotence parfaites d'une éternelle activité
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divine dans d'innombrables systèmes cosmiques. Car les devenirs de cette activité tirent leurs énergies et leur pouvoir illimité de variation et d'harmonie du support impartial de l'Être immuable et de son consentement à cette fécondité infinie de sa propre Nature dynamique.
L'homme, lui aussi, ne devient parfait que lorsqu'il a trouvé en lui-même ce calme absolu, cette passivité du Brahman, et qu'il soutient en elle, avec la même tolérance divine et la même divine félicité, une activité libre et inépuisable. Ceux qui ont ainsi conquis le Calme intérieur peuvent percevoir toujours, jaillissant de son silence, le flux perpétuel des énergies qui sont à l'œuvre dans l'univers. Aussi n'est-il pas juste de dire que le Silence exclut par nature l'activité cosmique. L'incompatibilité apparente des deux états est une erreur du Mental limité qui, habitué à opposer radicalement affirmation et négation, et passant subitement d'un extrême à l'autre, est incapable de concevoir une conscience globale assez vaste et puissante pour embrasser les deux simultanément. Le silence ne rejette pas le monde; il le soutient. Ou plutôt il supporte avec une égale impartialité l'activité et le retrait de l'activité, et il approuve aussi la réconciliation par laquelle l'âme demeure libre et tranquille même lorsqu'elle se livre à toute activité.
Il y a néanmoins le retrait absolu, il ya le Non-Être. " Hors du Non-Être, l'Être est apparu ¹", dit l'ancienne Écriture. L'Être doit donc sûrement se replonger dans le Non-Être. Si l'Existence infinie et sans discriminations permet toutes les possibilités de discriminations et de réalisations multiples, le Non-Être, en tant qu'état primordial et unique réalité, ne dément~il et ne rejette-t-il pas au moins toute possibilité d'un univers réel? Le Néant de certaines écoles bouddhistes serait donc la vraie solution ascétique; le Moi, comme l'ego, ne serait que la formation idéative d'une conscience phénoménale illusoire.
Mais nous constatons une fois de plus que nous sommes abusés par les mots, trompés par les oppositions tranchantes de notre mentalité limitée, si attachée à ses distinctions verbales, comme si elles représentaient parfaitement les vérités ultimes, et qui traduit nos expériences supramentales en fonction de ces distinctions intolérantes. Le Non-Être
¹"Au commencement, tout ceci était le Non·Être. C'est de là que l'Être est né. " - Taittirîya Upanishad. Il 7.
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n'est qu'un mot. Quand nous examinons le fait qu'il représente, nous ne pouvons plus être certains que l'absolue non-existence ait une meilleure chance que le Moi infini d'être plus qu'une formation idéative du mental. Par ce Rien nous voulons réellement dire quelque chose au-delà du dernier terme auquel nous puissions réduire notre conception la plus pure et notre expérience la plus abstraite, la plus subtile de l'être réel, tel que nous le connaissons ou le concevons dans cet univers. Ce Rien est donc simplement un quelque chose au-delà de notre conception positive. Nous érigeons une fiction de néant afin de dépasser, par la méthode de l'exclusion totale, tout ce que nous pouvons connaître et tout ce que nous sommes consciemment. En fait, quand nous examinons attentivement le Néant de certaines philosophies, nous commençons à percevoir que c'est un zéro qui est Tout, ou un Infini indéfinissable qui apparaît au mental comme un vide, parce que le mental ne saisit que des constructions finies, mais qui est en réalité la seule Existence¹ vraie.
Et quand nous disons que du Non-Être est apparu l'Être, nous sentons bien que nous parlons en termes de Temps de ce qui est au-delà du Temps. Quelle fut en effet cette date prodigieuse dans l'histoire du Rien éternel, où l'Être naquit de ce Rien ? Ou quand viendra cette autre date, également stupéfiante, où un tout irréel retombera dans le vide perpétuel ? Dans notre conception, Sat et Asat, s'il faut les affirmer tous deux, doivent prévaloir simultanément. Ils s'acceptent mais refusent de s'unir. Dans notre langage forcément temporel, nous disons que tous deux sont éternels. Et qui persuadera l'Être éternel qu'il n'existe pas réellement et que seul existe l'éternel Non-Être ? Dans cette négation de toute expérience, comment trouverons-nous la solution qui explique toute expérience ?
L'Être pur est l'Inconnaissable s'affirmant Lui-même comme le libre fondement de toute l'existence cosmique. Non-Être est le nom que nous donnons à l'affirmation contraire de Sa liberté vis-à-vis de toute existence cosmique, et par liberté nous voulons dire qu'il n'est pas lié par les termes positifs de l'existence concrète que la conscience dans l'univers peut se formuler à elle-même, même les plus abstraits, même
¹Une autre Upanishad rejette la naissance de l'Être hors du Non-Être comme une impossibilité ; l'Être, dit-elle, ne peut naître que de l'Être. Mais si nous prenons te Non-Être dans le sens, non d'un Néant inexistant, mais d'un x qui dépasse notre idée ou notre expérience de l'existence — sens qui peut s'appliquer au Brahman Absolu de l'Advaïta aussi bien qu'au Vide ou Zéro des bouddhistes — l'impossibilité disparaît, car Cela peut très bien être la source de l'Être, par une Maya conceptrice ou formatrice ou par une manifestation ou création de soi.
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les plus transcendants. Il ne les nie pas en tant qu'expression réelle de Lui-même, mais Il se refuse à être limité par l'expression totale, ou quelque expression que ce soit. Le Non-Être permet l'Être, de même que le Silence permet l'Activité. Par cette négation et cette affirmation simultanées, qui ne se détruisent pas mutuellement, mais sont complémentaires comme tous les contraires, l'âme humaine éveillée devient capable de percevoir simultanément la réalité de l'Être-en-soi conscient et la Réalité identique de l'Inconnaissable au-delà. C'est ainsi qu'il fut possible au Bouddha d'atteindre l'état de Nirvana et cependant d'agir puissamment dans le monde, impersonnel dans sa conscience intérieure et, dans son action, la plus puissante personnalité dont la vie et l'œuvre sur tarie nous soient connues.
Quand nous réfléchissons à ces choses, nous commençons à percevoir combien les mots que nous employons sont faibles malgré la violence de leurs affirmations, et combien déconcertants malgré leur précision trompeuse. Nous commençons aussi à sentir que les limitations que nous imposons au Brahman proviennent de l'étroitesse de l'expérience dans le mental individuel qui se concentre sur un des aspects de l'Inconnaissable et se hâte de nier ou de dénigrer tout le reste. Nous avons toujours tendance à traduire de façon trop rigide ce que nous pouvons concevoir ou connaître de l'Absolu dans les termes de notre propre relativité. Nous affirmons l'Unique et l'Identique en affirmant passionnément l'égoïsme de notre propre opinion et de nos expériences partielles et en les opposant aux opinions et aux expériences partielles d'autrui. Il est plus sage d'attendre, d'apprendre, de croître, et puisque la nécessité de notre propre perfection nous oblige à parler de choses qu'aucun langage humain ne peut exprimer, plus sage aussi de rechercher l'affirmation la plus vaste, la plus souple, la plus universelle, et de fonder sur elle l'harmonie la plus large et la plus intégrale.
Nous reconnaissons alors qu'il est possible à la conscience dans l'individu d'entrer dans un état où l'existence relative semble se dissoudre et où le Moi lui-même paraît être une conception inadéquate. Il est possible de pénétrer dans un Silence au-delà du Silence. Mais ce n'est pas la totalité de notre expérience ultime, ni la vérité unique excluant tout le reste. Car nous trouvons que ce Nirvana, cette abolition du moi, si elle donne intérieurement à l'âme une paix et une liberté absolues, est pourtant compatible en pratique avec une action extérieure sans désir,
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Biais efficace. Cette possibilité d'une impersonnalité totale et immobile et d'un Calme vide au-dedans, accomplissant extérieurement les œuvres des vérités éternelles, de l'Amour, de la Vérité, de la Droiture, était peut-être la véritable essence de l'enseignement du Bouddha — transcender l'ego et la chaîne des œuvres personnelles et l'identification avec les formes et les idées impermanentes, et non pas l'idéal mesquin d'une fuite hors de la souffrance et du tourment de la naissance physique. En tout cas, de même que l'homme parfait combinerait en lui-même le silence et l'activité, de même l'âme pleinement consciente recouvrerait la liberté absolue du Non-Être, sans pour autant perdre contact avec l'Existence et l'univers. Elle reproduirait ainsi perpétuellement en elle-même le miracle éternel de l'Existence divine, dans l'univers et cependant toujours au-delà de l'univers et même, pour ainsi dire, au-delà d'elle-même. L'expérience opposée ne pourrait être qu'une concentration de la mentalité individuelle sur la Non-existence, ayant pour résultat un oubli, un retrait personnel hors d'une activité cosmique se poursuivant encore et à jamais dans la conscience de l'Être éternel.
Ainsi, après avoir réconcilié l'Esprit et la Matière dans la conscience cosmique, nous percevons la réconciliation, dans la conscience transcendante, entre l'affirmation finale de tout et sa négation. Nous découvrons que toutes les affirmations témoignent d'un état statique ou d'une activité dynamique dans l'Inconnaissable; et que toutes les négations correspondantes attestent sa liberté, à la fois en dehors et au-dedans de cet état ou de cette activité. L'Inconnaissable est pour nous Quelque chose de suprême, de merveilleux et d'ineffable qui se formule sans cesse à notre conscience et sans cesse échappe à cette formulation qu'il a établie. Mais il ne le fait pas comme quelque esprit malin ou quelque magicien lunatique nous conduisant d'un mensonge à un plus grand mensonge et ainsi à la négation finale de toute chose, mais ici même comme le Sage dépassant notre sagesse, nous guidant d'une réalité à une autre réalité toujours plus profonde et plus vaste, jusqu'à ce que nous découvrions la plus profonde et la plus vaste dont nous soyons capables. Le Brahman est une réalité omniprésente et non pas une cause omniprésente d'illusions persistantes.
Si nous acceptons ainsi une base positive à notre harmonie — et sur quelle autre base l'harmonie pourrait-elle s'établir ? —, les diverses formulations conceptuelles de l'Inconnaissable, chacune représentant
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une vérité inconcevable, doivent être, autant que possible, comprises dans leurs relations mutuelles et dans leur effet sur la vie, et non séparément ou exclusivement, ni affirmées de façon à détruire ou à rabaisser indûment toutes les autres affirmations. Le vrai monisme, le réel Advaïta, est celui qui reconnaît toute chose comme l'unique Brahman et ne cherche point à disséquer Son existence en deux entités incompatibles : une Vérité éternelle et un éternel Mensonge, le Brahman et le Non-Brahman, le Moi et Non-Moi, un Moi réel et une Maya irréelle et pourtant perpétuelle. S'il est vrai que le Moi seul existe, il doit être vrai aussi que tout est le Moi. Et si ce Moi, Dieu ou Brahman n'est pas un état d'impuissance, un pouvoir enchaîné, une personnalité limitée, mais le Tout conscient de soi, il doit y avoir en Lui, inhérente, quelque bonne raison d'être à la manifestation, et pour la découvrir nous devons partir de l'hypothèse qu'il existe un pouvoir, une sagesse, une vérité d'être dans tout ce qui est manifesté. La discorde et le mal apparent du monde doivent être admis dans leur propre sphère, mais nous ne devons pas nous laisser vaincre par eux. L'instinct le plus profond de l'humanité cherche toujours, avec raison, le dernier mot de la manifestation dans la sagesse, et non pas dans une parodie et une illusion éternelles — un bien secret et finalement triomphant, pas un mal invincible qui aurait tout créé —, dans une victoire et un accomplissement ultimes et non pas dans le recul de l'âme qui, déçue, renonce à sa grande aventure.
Car nous ne pouvons supposer que l'Entité unique subisse la contrainte de quelque chose d'extérieur à Elle ou autre qu'Elle, puisque rien de tel n'existe. Nous ne pouvons pas non plus supposer qu'Elle se soumette contre son gré à quelque élément partial en Elle qui serait hostile à son Être total, nié par Elle et pourtant plus fort qu'Elle; car cela reviendrait simplement à formuler en d'autres termes la même contradiction entre un Tout et quelque chose d'autre que le Tout. Même si nous disons que l'univers existe seulement parce que le Moi, dans son impartialité absolue, tolère toutes choses également, et regarde avec indifférence toutes les activités et toutes les possibilités, il y a néanmoins quelque chose qui veut la manifestation et la soutient; et cela ne peut être autre chose que le Tout. Le Brahman est indivisible en toutes choses et finalement tout ce qui est voulu dans le monde, a été voulu par le Brahman. C'est seulement notre conscience relative, alarmée ou déconcertée par les phénomènes du mal, de l'ignorance et de la douleur dans le cosmos, qui essaie de libérer le Brahman de sa responsabilité
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vis-à-vis de Lui-même et de ses œuvres, en érigeant un principe opposé, Maya ou Mâra, Diable conscient ou principe du mal existant en soi. Il y a un seul Seigneur, un seul Moi, et le multiple -n'est autre que Ses représentations et Ses devenirs.
Par conséquent, si le monde est un rêve, une illusion ou une erreur, c'est un rêve créé et voulu par le Moi dans sa totalité, et non seulement créé et voulu, mais soutenu et perpétuellement entretenu. De plus, c'est un rêve existant dans une Réalité, et cette Réalité constitue son étoffe même, car le Brahman doit être la matière du monde aussi bien que sa base et son contenant. Si l'or dont le vase est fait est réel, comment supposer que le vase lui-même soit un mirage ? Nous voyons que ces mots, rêve, illusion, sont des artifices du langage, des habitudes de notre conscience relative; ils représentent une certaine vérité, et même une grande vérité, mais ils la défigurent aussi. Tout comme le Non-Être se révèle autre qu'une simple nullité, ainsi le rêve cosmique ne nous apparaît plus comme une pure fantasmagorie, une hallucination mentale. Le phénomène n'est pas une chimère ; il est la forme substantielle d'une Vérité.
Nous partons donc de la conception d'une Réalité omniprésente, dont ni le Non-Être à une extrémité, ni l'univers à l'autre extrémité, ne sont des négations annihilatrices ; ils sont plutôt des états différents de la Réalité, l'avers et l'envers d'une même affirmation. La plus haute expérience de cette Réalité dans l'univers nous montre qu'elle est non seulement une Existence consciente, mais une Intelligence et une Force suprêmes, et une Béatitude existant en soi. Et au-delà de l'univers, elle est encore une autre existence inconnaissable, une Béatitude absolue et ineffable. Nous avons donc raison de supposer que même les dualités de l'univers se résoudront elles aussi en ces termes supérieurs, une fois qu'elles seront interprétées, non comme elles le sont maintenant par des conceptions partielles fondées sur nos sensations, mais par notre intelligence et notre expérience libérées. Tant que nous continuons à peiner sous le fardeau des dualités, cette perception doit constamment, sans doute, s'appuyer sur un acte de foi, mais une foi que la Raison supérieure, la réflexion la plus vaste et la plus patiente ne démentent pas, mais confirment au contraire. En vérité, cette croyance est donnée à l'humanité pour la soutenir dans son voyage, jusqu'à ce qu'elle atteigne une étape de son développement où la foi sera changée en connaissance et en expérience parfaite, et où les œuvres de la Sagesse se trouveront justifiées.
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Par l'Ignorance ils passent au-delà de la Mort, et par la Connaissance ils fouissent de l'Immortalité.... Par la Non-Naissance ils passent au-delà de la Mort, et par la Naissance ils jouissent de l'Immortalité.
Îshâ Upanishad. Versets 11,14.
Une Réalité omniprésente est la vérité de toute vie et de toute existence, qu'elle soit absolue ou relative, corporelle ou incorporelle, animée ou inanimée, intelligente ou inintelligente. Et dans toutes ses expressions infiniment variées et même constamment opposées, depuis les contradictions les plus proches de notre expérience ordinaire jusqu'aux plus lointaines antinomies qui se perdent aux confins de l'Ineffable, la Réalité est une, non une somme et un assemblage. De cette Réalité partent toutes les variations, en elle toutes les variations sont contenues, à elle toutes les variations retournent. Toutes les affirmations sont niées seulement pour nous conduire à une plus vaste affirmation de la même Réalité. Toutes les antinomies s'affrontent afin de reconnaître une Vérité unique dans leurs aspects opposés et d'embrasser, à travers le conflit, leur Unité mutuelle. Brahman est l'alpha et l'oméga. Brahman est l'Un en dehors de qui rien d'autre n'existe.
Mais cette unité est par nature indéfinissable. Quand nous essayons de l'envisager mentalement, nous sommes contraints de passer par une série infinie de conceptions et d'expériences. Et pourtant nous sommes finalement obligés de nier nos conceptions les plus larges, nos expériences les plus complètes, afin d'affirmer que la Réalité dépasse toute définition. Nous arrivons à la formule des sages de l'Inde, neti neti, « Ce n'est pas ceci. Ce n'est pas cela », il n'y a pas d'expérience qui puisse Le limiter, pas de conception qui puisse Le définir.
Un Inconnaissable qui nous apparaît en de nombreux états et attributs de l'être, de nombreuses formes de conscience, de nombreuses activités de l'énergie — voilà tout ce que le Mental, en définitive, peut dire de l'existence qui est la nôtre, et que nous voyons dans tout ce qui s'offre à notre pensée et à nos sens. C'est dans et à travers ces états, ces formes, ces activités qu'il nous faut approcher et connaître l'Inconnaissable. Mais si,
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dans notre hâte d'atteindre une Unité que notre mental puisse saisir et préserver, si dans notre insistance à confiner l'Infini dans notre étreinte, nous identifions la Réalité à quelque état définissable de l'être, si pur et éternel soit-il, à quelque attribut particulier, si général et global soit-il, à une formulation de conscience déterminée, si vaste soit son champ, à une énergie, à une activité quelconques, si illimitée soit son application, tt que nous excluons tout le reste, alors nos pensées pèchent contre Son inconnaissabilité et n'arrivent pas à une vraie unité, mais à une division de l'Indivisible.
Les anciens avaient si puissamment conscience de cette vérité que les Voyants védântiques, même après avoir atteint à la conception .suprême, à l'expérience impérieuse de Satchidânanda comme la plus haute expression positive de la Réalité pour notre conscience, poussèrent leurs spéculations ou leurs perceptions jusqu'à ériger un Asat, un Non-Être au-delà, qui n'est pas l'existence ultime, la conscience pure, la béatitude infinie dont toutes nos expériences sont l'expression ou la déformation. Même si ce Non-Être est existence, conscience et béatitude, il demeure au-delà de la forme positive la plus haute et la plus pure de ces choses, telles que nous pouvons les connaître sur terre, et, par suite, différent de ce que nous entendons par ces termes. Le bouddhisme, dont la doctrine a été jugée, plutôt arbitrairement, comme non védique par les théologiens, sous prétexte qu'elle rejette .l'autorité des Écritures, retourne pourtant à cette conception essentiellement védântique. Seulement, l'enseignement positif et synthétique des Upanishad tenait Sat et Asat non pour des opposés mutuellement destructeurs, mais pour la dernière antinomie à travers laquelle nous .élevons nos regards vers l'Inconnaissable. Et dans les transactions de notre conscience positive, l'Unité elle-même doit tenir compte de la Multiplicité ; car les Multiples aussi sont le Brahman. C'est par Vidyâ, la Connaissance de l'Unité, que nous connaissons Dieu; sans elle, Avidyâ, la conscience relative et multiple, est une nuit de ténèbres et un désordre d'Ignorance. Pourtant, si nous excluons le champ de cette Ignorance, si nous nous débarrassons d'Avidyâ comme d'une chose inexistante et irréelle, alors la Connaissance elle-même devient une sorte d'obscurité et une source d'imperfection. Nous devenons pareils à des hommes aveuglés par une lumière, qui ne peuvent plus voir le champ que cette lumière illumine.
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Tel est l'enseignement, calme; "sage et limpide de nos plus anciens sages. Ils avaient la patience et la force de chercher et de connaître; ils avaient aussi la lucidité et l'humilité d'admettre les limitations de notre connaissance. Ils percevaient les frontières qu'elle doit franchir pour entrer dans quelque chose qui la dépasse. Ce fut, plus tard, une impatience du cœur et du mental, une violente attirance pour l'ultime béatitude ou la suprême maîtrise d'une expérience pure, et un intellect intransigeant, qui les poussèrent à rechercher l'Un pour nier le Multiple, et parce qu'ils avaient respiré l'air des cimes, à mépriser ou fuir le secret des profondeurs. Mais le regard imperturbable de l'ancienne sagesse savait que pour connaître Dieu vraiment, il faut Le connaître partout également et sans distinctions, considérant et appréciant — mais sans se laisser d'outiller par eux — les opposés à travers lesquels Il répand sa lumière.
Nous écarterons donc les distinctions tranchantes d'une logique partiale qui déclare que, puisque l'Un est la réalité, le Multiple est une illusion, et puisque l'Absolu est Sat, l'existence unique, le relatif est Asat et non-existant. Si dans le Multiple nous recherchons l'Un avec persistance, c'est pour revenir avec la bénédiction et la révélation de l'Un confirmé dans le Multiple.
Nous nous garderons aussi de l'importance excessive que le "mental attache à des points de vue particuliers auxquels il parvient dans ses expansions et ses transitions les plus puissantes. La perception du mental spiritualisé regardant l'univers comme un rêve irréel ne saurait avoir pour nous une valeur plus absolue que la perception du mental matérialisé regardant Dieu et l'Au-delà comme des concepts illusoires. Dans un cas le mental qui, par habitude, se fie exclusivement au témoignage des sens et associe la réalité au fait corporel, n'est pas accoutumé à se servir d'autres moyens de connaissance, ou bien est incapable d'étendre la notion de réalité à une expérience supraphysique. Dans l'autre cas, le même mental, s'élevant au-delà de l'expérience physique jusqu'à l'expérience toute-puissante d'une réalité incorporelle, attribue simplement à l'expérience sensorielle la même incapacité et, par conséquent, le même sentiment de rêve ou d'hallucination qui en résulte. Mais nous percevons aussi la vérité que ces deux conceptions défigurent. Il est vrai que dans ce monde de la forme où nous sommes établis pour nous y réaliser nous-mêmes, rien n'est entièrement valable, à moins
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d'avoir pris possession de notre conscience physique et à moins que sa manifestation sur les niveaux inférieurs soit en harmonie avec sa manifestation sur les plus hauts sommets. Il est vrai, également, que la forme et la matière, lorsqu'elles s'affirment comme une réalité existant en soi, sont une illusion de l'Ignorance. La forme et la matière n'ont de valeur qu'en tant qu'aspect et substance de manifestation pour l'incorporel et l'immatériel. Elles sont dans leur nature un acte de conscience divine, dans leur. but la .représentation d'un état de l'Esprit.
Autrement dit, si le Brahman est entré dans la forme et a représenté Son être dans la substance matérielle, ce ne peut être que pour jouir de cette manifestation de Lui-même dans les termes de la conscience relative et phénoménale. Le Brahman est dans ce monde pour Se représenter dans les valeurs de la Vie. La Vie existe dans le Brahman afin de découvrir le Brahman en elle-même. Par conséquent, l'importance de l'homme dans le monde, est qu'il lui apporte ce développement de la conscience qui rend possible sa transfiguration par une parfaite découverte de soi. L'accomplissement du Divin dans la vie est la vraie humanité de l'homme. Son point de départ est la vitalité animale et ses activités,, mais son objectif est une existence divine.
Mais dans la Vie, comme dans la Pensée, la vraie loi de la réalisation de soi est une intégration progressive. Le Brahman s'exprime en maintes formes de conscience successives, successives dans leur relation, même si elles coexistent dans l'être ou dans le Temps, et la Vie en son déploiement doit aussi s'élever vers des régions toujours nouvelles de son être. Mais si, en passant d'un domaine à un autre, exalté par notre nouvel accomplissement, nous renonçons à ce qui nous a déjà été donné, si, en parvenant à la vie mentale, nous rejetons ou méprisons la vie physique qui est notre base, ou si, attirés par le spirituel, nous rejetons le mental et le physique, nous ne réalisons pas intégralement le Divin, ni ne remplissons les conditions de Sa manifestation de Luimême. Nous ne devenons pas parfaits, mais déplaçons seulement le champ de notre imperfection ou atteignons tout au plus une altitude limitée. À quelque hauteur que nous nous élevions, fût-ce au Non-Être lui-même, imparfaite est l'ascension si nous oublions notre base. La vraie divinité de la nature n'est pas d'abandonner le plus bas à lui-même, mais de le transfigurer en la lumière du plan le plus haut que nous avons, atteint. Le Brahman est intégral et unifie de nombreux
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états de conscience à la fois; -nous aussi, en manifestant: la nature du Brahman, devons réaliser cette intégralité et' tout embrasser.
Outre le recul devant la vie physique, il y a dans l'impulsion ascétique une autre exagération que corrige cet idéal d'une manifestation intégrale. Le nœud de la Vie est formé par la relation entre trois formes générales de conscience ; l'individuelle, l'universelle et la transcendante ou supracosmique. Dans l'agencement ordinaire des activités de la vie, l'individu se considère comme un être séparé, inclus dans l'univers, cet univers et lui-même dépendant de ce qui les transcende tous deux. C'est cette Transcendance, que d'ordinaire nous nommons Dieu, qui devient ainsi dans notre conception, non point tant supracosmique qu'extra-cosmique. La conséquence naturelle de cette division est un amoindrissement et une dévalorisation de l'univers comme de l'individu ; et la conclusion ultime serait, logiquement, que le cosmos et l'individu s'éteignent tous deux une fois qu'ils ont atteint la Transcendance.
La vision intégrale de l'unité du Brahman échappe à de telles conséquences. De même qu'il n'est pas indispensable de renoncer à la vie corporelle pour atteindre à la vie mentale et spirituelle, de même pouvons-nous percevoir qu'il n'y a pas d'incompatibilité entre la poursuite des activités individuelles et notre conception de la conscience cosmique ou notre réalisation du transcendant et supracosmique. Car le Transcendant par-delà le monde embrasse l'univers, est un avec lui et ne l'exclut pas, de même que l'univers embrasse l'individu, est un avec lui et ne l'exclut pas. L'Individu est un centre de la conscience universelle tout entière ; l'univers est une forme, une définition, occupée par l'immanence totale du Sans-forme, de l'Indéfinissable.
Telle est toujours la vraie relation, qui nous est voilée par notre ignorance ou notre fausse conscience des choses. Quand nous atteignons à la connaissance ou conscience juste, rien d'essentiel n'est changé dans la relation éternelle; seule la vision intérieure et extérieure du centre individuel est profondément modifiée, et par conséquent aussi l'esprit et les effets de son activité. L'individu est encore nécessaire pour l'action du Transcendant dans l'univers, et cette action en lui ne cesse pas d'être possible après son illumination. Au contraire, puisque la manifestation consciente du Transcendant dans l'individu est le moyen par lequel le collectif, l'universel, doit aussi devenir conscient de lui-même, il
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est absolument indispensable pour le jeu cosmique que l'individu illuminé continue d'agir dans le monde. Si cette illumination même doit provoquer inexorablement son retrait, si telle est la loi, alors le monde est condamné à demeurer éternellement une scène de ténèbres, de souffrance et de mort irrémédiables. Et un tel monde ne peut être qu'une épreuve impitoyable ou une illusion mécanique.
La philosophie ascétique a tendance à le concevoir ainsi. Mais le salut individuel ne peut avoir réellement un sens si l'existence dans le cosmos est elle-même une illusion. Du point de vue moniste, l'âme individuelle est une avec le Suprême, son sens de la séparation est une ignorance; échapper au sens de la séparation et s'identifier au Suprême est son salut. Mais qui profite alors de cette évasion ? Ce ne peut être le Moi suprême, car par définition, il est toujours et inaliénablement libre, immobile, silencieux et pur. Ce ne peut être le monde, car il demeure constamment enchaîné et ce n'est pas l'évasion d'une âme individuelle hors de l'Illusion universelle qui peut le délivrer. C'est l'âme individuelle elle-même qui réalise son bien suprême en s'évadant de la douleur et de la division pour entrer dans la paix et la béatitude. Il semblerait donc que l'âme individuelle ait une certaine forme de réalité, distincte du monde et du Suprême, même au moment de sa libération et de son illumination. Mais pour l'illusionniste, l'âme individuelle est une illusion, elle est non existante, excepté dans le mystère inexplicable de la Maya. L'évasion d'une âme illusoire et inexistante hors d'un esclavage illusoire et inexistant dans un monde illusoire et inexistant serait donc en fin de compte le bien suprême que cette âme inexistante doit poursuivre ! Car tel est le dernier mot de la Connaissance : « Nul n'est enchaîné, nul n'est libéré, nul ne cherche la libération. » Il s'avère en définitive que Vidyâ fait autant qu'Avidyâ partie du Phénoménal. Maya nous rejoint même dans notre évasion, et se rit de la logique triomphante qui avait .paru trancher le nœud de son mystère.
Ces choses, dit-on, ne peuvent être expliquées; elles constituent le miracle initial et insoluble. Pour nous, elles sont un fait pratique et doivent être acceptées. Il nous faut échapper à une confusion par une autre confusion. L'âme individuelle ne peut trancher le nœud de l'ego que par un acte suprême d'égoïsme, un attachement exclusif à son propre salut individuel, ce qui équivaut à une affirmation absolue de son existence séparée dans la Maya. Nous sommes amenés à. considérer les
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autres âmes comme des fictions de notre mental et leur salut comme sans importance, et notre âme seule comme entièrement réelle, et son salut comme la seule chose qui importe. J'en viens à considérer comme réelle mon évasion personnelle hors de mes chaînes, tandis que les autres âmes, qui sont également moi-même, restent en arrière dans leurs chaînes!
C'est seulement quand nous écartons toute antinomie irréconciliable entre le Moi et le monde que les choses, par une logique moins paradoxale, trouvent leur juste place. Nous devons accepter les multiples aspects de la manifestation tout en affirmant l'unité du Manifesté. Et après tout, n'est-ce pas la vérité qui nous poursuit où que nous portions notre regard, à moins que, voyant, nous choisissions de ne pas voir? N'est-ce point là finalement le mystère parfaitement naturel et simple de l'Être conscient : n'être lié ni par son unité, ni par sa multiplicité ? Il est « absolu », en ce sens qu'il est entièrement libre d'inclure et d'arranger à sa manière tous les termes possibles de son expression propre. Nul n'est enchaîné, nul n'est libéré, nul ne cherche la libération — cal; toujours. Cela est liberté parfaite. Libre au point de n'être pas même lié par sa liberté. Il peut jouer à être enchaîné sans risque d'être pris dans ses chaînes. Sa chaîne est une convention qu'il s'impose à lui-même; sa limitation dans l'ego, un artifice provisoire qu'il utilise pour reproduire sa transcendance et son universalité sur le plan du Brahman individuel.)
Le Transcendant, le Supracosmique est absolu et libre en soi» au-delà du Temps et de l'Espace, et au-delà des concepts opposés du fini et de l'infini. Mais dans le cosmos il se sert de sa liberté de formation propre, de sa Maya, pour organiser un plan de lui-même dans les termes complémentaires d'unité et de multiplicité, et il établit cette unité multiple dans les trois états, subconscient, conscient et supraconscient. Car nous voyons en fait que le Multiple, objectivé dans les formes de notre univers matériel, part d'une unité subconsciente qui s'exprime assez ouvertement dans l'action et la substance cosmiques, mais dont il n'est pas lui-même superficiellement conscient. Dans le conscient, l'ego devient le point superficiel où peut émerger la perception de l'unité.} mais il applique cette perception de l'unité à la forme et à l'action de surface et, incapable de tenir compte de tout ce qui agit derrière les apparences, il n'arrive pas non plus à comprendre qu'il est un, non seulement en lui-même, mais avec les autres. Cette limitation du-«Je »
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universel dans le sens séparateur de l'ego constitue notre personnalité individualisée imparfaite. Mais quand l'ego transcende la conscience personnelle, il commence à inclure ce qui est pour nous supraconscient et à céder à sa puissance; il prend conscience de l'unité cosmique et s'immerge dans le Moi transcendant que le cosmos exprima ici par une multiple unité.
La libération de l'âme individuelle est donc la clef de l'action divine décisive; elle est la nécessité divine primordiale et le pivot sur lequel tourne tout le reste. C'est le point de Lumière où la complète manifestation de soi voulue dans le Multiple commence à émerger. Mais l'âme libérée étend sa perfection de l'unité horizontalement aussi bien que verticalement. Son unité avec l'Un transcendant est incomplète sans son unité avec le Multiple cosmique. Et cette unité latérale se traduit par une multiplication, une reproduction de son propre état de libération en d'autres points de la Multiplicité. L'âme divine se reproduit en de semblables âmes libérées, comme l'animal se reproduit dans des corps similaires. Ainsi, même quand une seule âme est libérée, il y a une tendance à l'expansion et même à l'éclosion d'une même divine conscience de soi en d'autres âmes individuelles de notre humanité terrestre, et, qui sait, peut-être même au-delà de la conscience terrestre. Où fixerons-nous la limite de cette extension ? N'est-elle que légende cette parole qui veut que l'âme du Bouddha, lorsqu'il se tint au seuil du Nirvana, du Non-Être, se retourna et fit vœu de ne jamais franchir le pas irrévocable tant qu'il y aurait sur terre un seul être non libéré du nœud de la souffrance, des chaînes de l'ego ?
Mais nous pouvons atteindre le plus haut sans nous effacer de l'extension cosmique. Le Brahman conserve toujours ses deux termes, liberté au-dedans et formation au-dehors, liberté de s'exprimer et de ne pas s'exprimer. Nous aussi, étant Cela, pouvons atteindre à la même divine possession de nous-mêmes. L'harmonie des deux tendances est la condition de toute vie ayant pour but de devenir vraiment divine. Rechercher la liberté en excluant ce qui est dépassé, mène, sur le chemin de la négation, au refus de ce que Dieu a accepté. Rechercher l'action en s'absorbant dans l'acte et dans l'énergie, conduit à une affirmation inférieure et à la négation du Suprême. Mais ce que Dieu combine et synthétise, pourquoi l'homme insisterait-il pour le fragmenter ? Être parfait comme Il est parfait est la condition pour Le réaliser intégralement.
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C'est par Avidyâ, par la Multiplicité, que passe le chemin qui nous' conduit hors du domaine de l'expression de soi transitoire et égoïste où' règnent la mort et la souffrance; et c'est quand Vidyâ s'accorde avec Avidyâ par un sens parfait de l'unité jusque dans cette multiplicité, que" nous jouissons intégralement de l'immortalité et de la béatitude. Et atteignant au Non-né au-delà de tout devenir, nous sommes libérés de la naissance inférieure et de la mort; en acceptant librement le Devenir comme le Divin, le mortel s'emplit de la béatitude immortelle et nous devenons les centres lumineux de son expression consciente dans l'humanité.
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L'Ame de l'homme, cette voyageuse, erre dans ce cycle du Brahman, immense, une totalité de vies, une totalité d'états, se pensant différente de l'Inspirateur du voyage. Acceptée par Lui, elle atteint son but, l'Immortalité.
Shvetâshvatara Upanishad. 1.6.
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La révélation progressive d'une grande, transcendante et lumineuse Réalité, dont les innombrables relativités de ce monde que nous voyons et des autres mondes que nous ne voyons pas sont les moyens et les matériaux, les conditions et le champ d'action, semblerait donc être le sens de l'univers — puisque cet univers a un sens et un but et n'est ni une illusion futile, ni un accident fortuit. Car le même raisonnement qui nous amène à conclure que l'existence cosmique n'est pas une ruse ni une supercherie du Mental, justifie également la conviction qu'il n'est pas une masse aveugle et impuissante d'existences phénoménales, s'accrochant les unes aux autres et se débattant comme elles peuvent dans leur orbite pour l'éternité ; qu'il n'est pas non plus la formidable création, la terrible impulsion spontanées d'une Force ignorante, privée de toute Intelligence secrète qui soit consciente de son point de départ et de son but, et guide sa marche et son mouvement. Une existence entièrement consciente d'elle-même, et par conséquent pleinement maîtresse d'elle-même, possède l'être phénoménal où elle est involuée, se réalise dans la i forme, se déploie dans l'individu.
Cette Émergence lumineuse est l'aurore que les premiers aryens adoraient jadis. Sa perfection accomplie est le pas suprême de Vishnu embrassant tout l'univers, qu'ils percevaient comme un œil dont la vision s'étend à travers les cieux les plus purs du Mental. Car elle existe déjà comme une Vérité des choses qui révèle et guide tout, veille sur le monde et pousse l'homme mortel à tenter l'ascension divine, d'abord à l'insu de son mental conscient, en suivant la marche générale de la Nature, mais enfin consciemment, par un éveil et un élargissement de soi progressif. L'ascension vers la Vie divine est le voyage humain, l'Œuvre des œuvres, le Sacrifice acceptable. Elle est la seule tâche véritable de l'homme dans le monde, et la justification de son existence; sans elle, il ne serait qu'un insecte rampant parmi d'autres insectes éphémères sur la surface d'une goutte d'eau et de
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boue qui a réussi à se former parmi les formidables immensités de l'univers physique.
Cette Vérité des choses, qui doit surgir des contradictions du monde phénoménal, est décrite comme une Béatitude infinie et une Existence consciente de soi, partout la même, en toute chose, en tous les temps et par-delà le Temps, consciente d'elle-même derrière tous ces phénomènes, et ne pouvant jamais être complètement exprimée ou d'aucune façon limitée par leurs vibrations dynamiques les plus intenses, ni par leur plus vaste totalité ; car elle existe en soi et son être ne dépend pas de ses manifestations. Ils la représentent, mais jamais complètement; ils l'indiquent, mais ne la révèlent pas. Elle se révèle seulement à elle-même au cœur de leurs formes. L'existence consciente involuée dans la forme en vient, au cours de son évolution, à se connaître par intuition, par une vision et une expérience de soi. Elle devient elle-même dans le monde en se connaissant elle-même; elle se connaît en devenant ce qu'elle est. Ainsi, se possédant elle-même au-dedans, elle partage aussi avec ses formes et ses modes d'être le délice conscient de Satchidânanda. Ce devenir de la Béatitude-Existence-Conscience infinie dans le mental, la vie et le corps — car indépendamment d'eux, elle existe éternellement — est la transfiguration voulue et l'utilité de l'existence individuelle. Dans l'individu elle se manifeste par la relation, de même qu'en soi elle existe dans l'identité.
L'Inconnaissable se connaissant comme Satchidânanda est la suprême affirmation du Védânta; elle contient toutes les autres ou toutes dépendent d'elle. Telle est la seule, la véritable expérience qui subsiste lorsqu'on a rendu compte de toutes les apparences, négativement en éliminant leurs formes et leurs revêtements, positivement en réduisant leurs noms et formes à la vérité constante qu'elles renferment. Que nous recherchions le plein accomplissement de la vie ou sa transcendance, que notre but soit la pureté, le calme et la liberté spirituelle, ou la puissance, la joie et la perfection, Satchidânanda est le terme inconnu, omniprésent et indispensable que la conscience humaine cherche éternellement, soit dans la connaissance et le sentiment, soit dans la sensation et l'action.
L'univers et l'individu sont les deux apparences essentielles en lesquelles descend l'Inconnaissable et à travers lesquelles il doit être
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approché; car les autres agrégats intermédiaires naissent seulement de leur interaction. Cette descente de la Réalité suprême est par nature une occultation; dans la descente il y a des plans successifs, dans cette occultation, des voiles successifs. La révélation prend nécessairement la forme d'une ascension; et nécessairement aussi, l'ascension et la révélation sont toutes deux progressives. Car chaque niveau successif de la descente du Divin est, pour l'homme, une étape de son ascension; chaque voile qui cache le Dieu inconnu devient, pour celui qui aime et cherche le Divin, un instrument de Son dévoilement. Hors du sommeil rythmique de la Nature matérielle inconsciente de l'Ame et de l'Idée qui maintiennent les activités ordonnées de son énergie, même dans sa transe matérielle muette et puissante, le monde s'efforce vers le rythme plus rapide, plus varié et plus désordonné de la Vie qui œuvre à l'extrême limite de la conscience de soi. Hors de la Vie, il poursuit péniblement son ascension jusqu'au Mental où chaque élément s'éveille à la conscience de lui-même et de son monde, et dans cet éveil l'univers trouve le levier dont il avait besoin pour son œuvre la plus haute : une individualité consciente de soi. Mais le Mental reprend le travail pour le mener plus loin, non pour l'achever. C'est un ouvrier à l'intelligence aiguë mais limitée, qui prend les matériaux confus que lui offre la Vie, et, après les avoir améliorés, adaptés, diversifiés, organisés selon son propre pouvoir, les remet à l'Artiste suprême de notre humanité divine. Cet Artiste demeure dans le Supramental, car le Supramental est le Surhomme. Ainsi notre monde doit-il encore s'élever par-delà le Mental jusqu'à un principe supérieur, un état supérieur, un dynamisme supérieur, dans lequel l'univers et l'individu prennent conscience de ce qu'ils sont tous deux et le possèdent, de telle sorte qu'ils s'expliquent, s'harmonisent, s'unissent l'un à l'autre.
Les désordres de la vie et du mental cessent quand on discerne le secret d'un ordre plus parfait que l'ordre physique. La matière sous-jacente à la vie et au mental contient en elle-même l'équilibre entre une tranquillité parfaitement stable et l'action d'une énergie incommensurable, mais elle ne possède pas ce qu'elle contient. Sa paix porte le masque terne d'une obscure inertie, du sommeil de l'inconscience, ou plutôt d'une conscience stupéfiée et emprisonnée. Poussée par une force qui est son vrai moi, mais dont elle ne peut encore saisir ou partager le sens, elle n'a pas la joie éveillée de ses propres énergies harmonieuses.
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Quand la vie et le mental commencent à ressentir ce besoin, cela prend la forme d'une ignorance qui fait effort et cherche, et d'un désir tourmenté et déçu ; ce sont là les premiers pas vers la connaissance et l'accomplissement de soi. Mais où se trouve le royaume de leur accomplissement ? Il leur est donné lorsqu'ils se surpassent eux-mêmes. Au-delà de la vie et du mental, nous recouvrons consciemment, dans sa vérité divine, ce que l'équilibre de la Nature matérielle représentait grossièrement : une tranquillité qui n'est ni une inertie, ni une transe hermétique de la conscience, mais la concentration d'une force absolue, d'une conscience de soi absolue, et une action d'énergie incommensurable qui est en même temps le premier frémissement d'une ineffable félicité, car chacun de ses actes est l'expression, non d'un besoin et d'un effort ignorant, mais d'une paix et d'une maîtrise de soi absolues. Dans cet accomplissement notre ignorance prend conscience de la lumière dont elle était un reflet obscurci et partiel; nos désirs s'éteignent dans la plénitude, dans l'accomplissement vers lequel, même dans leurs formes les plus grossièrement matérielles, même déchus, ils aspiraient obscurément.
L'univers et l'individu sont nécessaires l'un à l'autre dans leur ascension. En vérité, ils existent toujours l'un pour l'autre et s'enrichissent mutuellement. L'univers est la diffusion du Tout divin dans l'Espace et le Temps infinis; l'individu est sa concentration dans les limites du Temps et de l'Espace. L'univers cherche dans l'extension infinie la totalité divine qu'il se sent être, mais qu'il ne peut réaliser entièrement; car dans l'extension l'existence tend vers une somme plurielle qui ne peut être l'unité première ou finale, mais seulement une fraction périodique sans fin ni commencement. Il crée donc en lui-même une concentration du Tout consciente de soi, à travers laquelle il peut aspirer. Dans l'individu conscient, la Prakriti se retourne pour percevoir le Purusha, le Monde se met en quête du Moi ; Dieu étant devenu complètement la Nature, la Nature cherche à devenir progressivement Dieu.
D'autre part, l'univers est le moyen qui contraint l'individu à se réaliser lui-même. Il n'est pas seulement son fondement, son instrument, son champ, le matériau de l'Ouvre divine ; mais puisque la concentration de la Vie universelle que l'individu représente se fait dans certaines limites et n'est pas, comme l'unité intensive du Brahman, libre de toute notion de limite et de terme, l'individu doit
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aussi, nécessairement, s'universaliser et s'impersonnaliser afin de manifester le Tout divin qui est sa réalité. Cependant, même lorsqu'il s'élargit le plus dans l'universalisation de la conscience, il se sent poussé à conserver un quelque chose, mystérieux et transcendant, que son sens de la personnalité représente de façon obscure et égoïste. Autrement il a manqué son but, il n'a pas résolu le problème qui lui a été posé, ni accompli l'œuvre divine pour laquelle il a accepté de naître.
L'univers se présente à l'individu comme Vie, comme un dynamisme dont il doit maîtriser tout le secret, et comme une masse de résultats qui s'entrechoquent, un tourbillon d'énergies potentielles dont il doit extraire un ordre suprême et une harmonie qui n'a pas encore été réalisée. Car tel est après tout le sens réel du progrès humain. Ce n'est pas seulement une reformulation, en termes légèrement différents, de ce que la Nature physique a déjà accompli. La vie humaine ne saurait avoir non plus pour idéal le simple animal, reproduit sur un échelon mental supérieur. S'il en était ainsi, tout système ou tout ordre assurant un bien-être acceptable et une satisfaction mentale modérée aurait interrompu notre progrès. L'animal se satisfait d'un minimum vital; les dieux se contentent de leur splendeur. Mais l'homme n'aura de cesse qu'il n'ait atteint à quelque bien suprême. Il est le plus grand des êtres vivants parce qu'il est le plus insatisfait, parce que, plus que tout autre, il se sent étouffé par ses limitations. Lui seul, peut-être, est capable d'être saisi d'une frénésie divine pour un lointain idéal.
Pour l'Esprit-de-Vie, par conséquent, l'individu dans lequel ses possibilités se centralisent est, par excellence, l'Homme, le Purusha. C'est le Fils de l'homme qui est suprêmement capable d'incarner Dieu. Cet homme est le Manu, le penseur, le Manomaya Purusha, la personne mentale ou l'âme-dans-le-mental des anciens sages. Il n'est pas seulement un mammifère supérieur, mais une âme qui peut concevoir, et dont le corps animal est l'assise dans la Matière. Il est le Nom conscient ou Numen, acceptant et utilisant la forme comme un milieu à travers lequel la Personne peut manier la substance. La vie animale émergeant de la Matière n'est que le terme inférieur de son existence. La vie de la pensée, des sentiments, de la volonté, des impulsions conscientes — ce que nous appelons globalement le Mental et qui cherche à s'emparer de la Matière et de ses énergies vitales pour les soumettre à la loi de sa propre transformation progressive — est le terme intermédiaire où
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il s'établit effectivement. Mais il y a également un terme suprême que le Mental en l'homme recherche, afin qu'une fois découvert il puisse l'affirmer dans son existence mentale et corporelle. Cette affirmation pratique de quelque chose d'essentiellement supérieur à son moi actuel est la base de la vie divine dans l'être humain.
Éveillé à une connaissance de soi plus profonde que sa première notion mentale de lui-même, l'Homme commence à concevoir une formule et à percevoir une apparence de ce qu'il doit affirmer. Mais à ses yeux, cela paraît suspendu entre deux négations de soi-même. Si, au-delà de son accomplissement actuel, il perçoit le pouvoir, la lumière, la félicité d'une existence infinie, consciente d'elle-même, s'il est touché par eux et traduit sa pensée ou son expérience en termes conformes à sa mentalité — Infinité, Omniscience, Omnipotence, Immortalité, Liberté, Amour, Béatitude, Dieu —, néanmoins ce soleil de sa vision semble briller entre une double Nuit, une obscurité en dessous, une plus vaste obscurité au-dessus. Car lorsqu'il s'efforce de le connaître parfaitement, cela paraît s'évanouir en quelque chose que pas un seul, ni même l'ensemble de ces termes, ne peut aucunement représenter. Finalement, son mental nie Dieu pour affirmer un Au-delà, ou du moins il semble trouver un Dieu qui se transcende Lui-même et se refuse à toutes nos conceptions. Dans le monde également, en lui-même et autour de lui, l'Homme se heurte toujours aux opposés de ce qu'il affirme. La mort est son éternelle compagne, la limitation assiège son être et son expérience, l'erreur, l'inconscience, la faiblesse, l'inertie, le chagrin, la douleur, le mal oppriment constamment son effort. Tout cela le conduit encore à nier Dieu, ou, tout au moins, à penser que le Divin se nie Lui-même ou se cache sous un aspect ou un effet étranger à sa réalité véritable et éternelle.
Les termes de cette négation ne sont pas — comme ceux de la négation première et plus insaisissable — impossibles à concevoir et, par suite, naturellement mystérieux, inconnaissables pour le mental humain; au contraire, ils paraissent connaissables, connus, définis — et pourtant mystérieux. L'homme ne sait pas ce qu'ils sont, pourquoi ils existent, comment ils en sont venus à exister. Il voit leurs processus, la façon dont ils l'affectent et lui apparaissent, mais il ne peut sonder leur réalité essentielle.
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Peut-être sont-ils insondables, peut-être sont-ils eux aussi inconnaissables en leur essence ? Il se peut même qu'ils n'aient aucune réalité essentielle — qu'ils soient une illusion, un non-être, Asat. La Négation supérieure nous apparaît parfois comme un Néant, une Non-existence ; cette négation inférieure pourrait bien être aussi, dans son essence, un Néant, une non-existence. Mais de même que nous avons refusé de fuir la difficulté que nous posait l'Asat supérieur, de même nous y refusons-nous pour cet Asat inférieur. En niant complètement sa réalité ou en cherchant un moyen de lui échapper comme à une simple illusion désastreuse, nous écartons le problème et nous nous détournons de notre tâche. Pour la Vie, ces choses qui semblent nier Dieu, être les opposés de Satchidânanda, sont réelles, même si elles s'avèrent temporaires. Ces choses et leurs contraires — bien, connaissance, joie, plaisir, vie, survie, force, pouvoir, croissance —, sont les matériaux mêmes de son action.
En vérité, il est probable qu'elles sont le résultat ou plutôt l'accompagnement inséparable, non d'une illusion, mais d'une relation fausse, fausse parce que fondée sur une vision erronée de ce que l'individu est dans l'univers, et, par conséquent, d'une attitude fausse envers Dieu comme envers la Nature, envers notre moi comme envers notre milieu, Car ce que l'homme est devenu n'est plus en harmonie ni avec ce qu'est le monde qu'il habite, ni avec ce que lui-même devrait être et sera, et c'est pourquoi il est asservi à ces contradictions de la Vérité secrète des choses. Vues ainsi, elles ne sont plus la punition d'une chute, mais les conditions d'un progrès. Elles sont les premiers éléments du travail qu'il doit accomplir, le prix qu'il doit payer pour la couronne qu'il espère gagner, le chemin étroit que suit la Nature pour s'affranchir de la Matière et devenir consciente; elles sont à la fois sa rançon et son bien.
Car c'est sur la base, et à l'aide de ces relations fausses que les vraies doivent être trouvées. Par l'Ignorance nous devons traverser la mort. Le Véda lui aussi évoque, de façon cryptique, ces énergies pareilles à des femmes aux impulsions perverties, fourvoyées, qui font souffrir leur Seigneur et qui pourtant, malgré leur fausseté et leur malheur, construisent finalement « cette vaste Vérité », la Vérité qui est Béatitude. Ce n'est donc pas quand il aura extirpé de lui-même le mal de la Nature par un acte de chirurgie morale, ou se sera séparé de la vie dans un recul d'horreur, mais quand il aura changé la Mort en une vie plus parfaite, quand il aura soulevé les petites choses de la limitation
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humaine jusqu'aux grandes choses de l'immensité divine, quand il aura transformé la souffrance en béatitude, converti le mal en son propre bien, traduit l'erreur et le mensonge en leur vérité secrète, que le sacrifice sera accompli, le voyage achevé, et que le Ciel et la Terre, devenus égaux, s'uniront dans la béatitude du Suprême.
Mais comment de tels contraires peuvent-ils se muer l'un en l'autre ? Par quelle alchimie ce plomb de la mortalité sera-t-il changé en l'or de l'Être divin? Et si, dans leur essence, ils n'étaient pas des contraires ? S'ils étaient les manifestations d'une Réalité unique, identique en substance ? Alors, en vérité, une transmutation divine serait concevable.
Nous avons vu que le Non-Être au-delà pourrait bien être une existence inconcevable, et peut-être aussi une ineffable Béatitude. Tout au moins le Nirvana du bouddhisme, qui exprimait un des plus lumineux efforts de l'homme pour atteindre à cette suprême Non-Existence et y trouver le repos, se présente, dans la psychologie de l'âme libérée mais vivant sur la terre, comme une paix et un bonheur inexprimables ; pratiquement, elle conduit à l'élimination de toute souffrance par l'abolition de toute idée ou sensation égoïstes; et la conception positive la plus proche que nous puissions nous en former, est celle d'une Béatitude inexprimable (si ce terme, ou tout autre, peut s'appliquer à une paix aussi vide de contenu) en laquelle la notion même d'existence du moi semble être engloutie et disparaître. C'est un Satchidânanda auquel nous n'osons même plus appliquer ces termes suprêmes que sont Sat, Chit et Ânanda, car tous les termes sont annulés et toute expérience cognitive est transcendée.
D'autre part, puisque tout est une Réalité unique, nous avons avancé la suggestion que cette négation inférieure, elle aussi, cette autre contradiction ou non-existence de Satchidânanda, n'est autre que Satchidânanda lui-même. Il est possible que notre intellect la conçoive, que notre vision intérieure la perçoive et même qu'elle se transmette à nos sensations comme cela même qu'elle semble nier; et en fait, nous en aurions toujours et consciemment l'expérience si les choses n'étaient pas falsifiées par une grande erreur fondamentale, par une ignorance qui nous possède et s'impose à nous, par Maya ou Avidyâ. C'est dans ce sens qu'une solution pourrait être cherchée, une solution qui ne serait
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peut-être pas métaphysiquement satisfaisante pour le mental logique -— car nous nous tenons sur la frontière de l'inconnaissable, de l'ineffable, nous efforçant de voir au-delà —, mais qui serait une base d'expérience suffisante pour la réalisation de la vie divine.
Pour cela, il faut oser plonger sous la surface limpide des choses où le mental aime à se concentrer, explorer le vaste et l'obscur, pénétrer les profondeurs insondables de la conscience et nous identifier avec des états d'être qui nous sont étrangers. Le langage humain est d'un piètre secours dans une telle recherche; mais nous pouvons du moins y trouver certains symboles, certaines images, et revenir avec quelques indications tout juste exprimables qui, comme une aide à la lumière de l'âme, projetteront sur le mental quelque reflet du dessein ineffable.
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L'âme qui se tient sur le même arbre de la Nature est absorbée et leurrée, et elle s'afflige de n'être pas le Seigneur; mais quand elle voit cet autre moi et sa grandeur qui est le Seigneur et qu'elle s'unit à Lui, alors toute affliction la quitte.
Shvetâshvatara Upanishad. 1. IV. 7.
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Si, en vérité, tout est Satchidânanda, la mort, la souffrance, le mal, la limitation ne peuvent être que les créations, positives dans leur effet pratique, négatives dans leur essence, d'une conscience déformante qui, depuis sa connaissance d'elle-même totale et unificatrice, est tombée dans l'erreur de la division et de l'expérience partielle. Telle est la chute de l'homme symbolisée par la parabole poétique de la Genèse hébraïque. Cette chute est un détour : il quitte l'état de complète et pure acceptation de Dieu et de lui-même, ou, plutôt, de Dieu en lui, pour entrer dans une conscience séparatrice qui apporte avec elle tout le cortège des dualités, la vie et la mort, le bien et le mal, la joie et la douleur, la plénitude et le besoin, le fruit d'un être divisé. C'est à ce fruit qu'Adam et Eve, Purusha et Prakriti, l'âme tentée par la Nature, ont goûté. La rédemption est accomplie lorsque l'homme recouvre l'universel dans l'individu et le spirituel dans la conscience physique. Alors seulement l'âme dans la Nature est-elle autorisée à goûter au fruit de l'arbre de la vie, d'être comme le Divin et de vivre à jamais. Car c'est alors seule> ment que le but de sa descente dans la conscience matérielle peut être atteint : quand la connaissance du bien et du mal, de la joie et de la souffrance, de la vie et de la mort a été réalisée, quand l'âme humaine a recouvré une connaissance supérieure en laquelle ces contraires s'harmonisent et s'identifient dans l'universel, et qui transforme leurs divisions à l'image de l'Unité divine.
Pour Satchidânanda, étendu en toute chose dans le plus vaste partage et la plus impartiale universalité, la mort, la souffrance, le mal et la limitation ne peuvent être, au plus, que les termes inverses, les ombres de leurs lumineux contraires. Nous les ressentons comme des notes dans une dissonance. Elles expriment la séparation là où devrait exister l'unité, le malentendu au lieu de la compréhension, un effort pour trouver des harmonies indépendantes au lieu d'une adaptation de
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chacune à l'ensemble orchestral. Toute totalité, même si elle n'existe que sur un seul registre des vibrations universelles, même si elle n'est que la totalité de la conscience physique et ne possède pas tout ce qui est en mouvement au-delà et par-derrière, doit être, dans cette mesure, un retour à l'harmonie et une réconciliation de contraires discordants. D'autre part, pour Satchidânanda qui transcende les formes de l'univers, ces termes duels eux-mêmes ne peuvent plus, même dans une telle conception, être légitimement applicables. La transcendance transfigure; elle ne réconcilie pas les contraires, mais plutôt les transmue en quelque chose qui les surpasse et qui efface leurs oppositions.
Cependant, nous devons tout d'abord nous efforcer de remettre l'individu en rapport avec l'harmonie de la totalité. Nous devons donc comprendre — sinon le problème resterait insoluble — que les termes par lesquels notre conscience actuelle traduit les valeurs de l'univers, bien qu'ils aient une justification pratique pour les besoins de l'expérience et du progrès humains, ne sont pas les seuls termes qui' puissent les exprimer, ni des formulations complètes, correctes et définitives. De même qu'il peut y avoir des organes sensoriels ou certaines formations disposant de capacités sensorielles qui voient le monde physique autrement, et peut-être mieux parce que plus complètement, de même peut-il y avoir d'autres façons, mentales et supramentales, d'envisager l'univers qui dépassent les nôtres. Il y a des états de conscience où la Mort n'est qu'un changement dans la Vie immortelle, la douleur un violent reflux de l'océan du délice universel, la limitation un retour de l'Infini sur lui-même, le mal un cercle que le bien décrit autour de sa propre perfection; et tout cela n'existe pas seulement dans une conception abstraite, mais dans une vision concrète et dans une expérience constante et tangible. Parvenir à de tels états de conscience est peut-être pour l'individu l'une des étapes les plus importantes et les plus indispensables de son progrès vers sa propre perfection.
Il est certain que les valeurs pratiques provenant des sens et du mental sensoriel dualiste doivent être reconnues dans leur propre domaine et acceptées comme la norme pour les expériences de la vie ordinaire, jusqu'à ce qu'une harmonie plus vaste soit prête, en laquelle elles pourront entrer et se transformer, sans perdre le contact avec les réalités qu'elles représentent. Élargir les facultés sensorielles, sans posséder la connaissance qui peut donner aux anciennes valeurs
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sensorielles leur juste interprétation du point de vue nouveau, pourrait provoquer des désordres et des incapacités graves, rendant l'individu inapte à la vie pratique et à l'usage ordonné et discipliné de la raison. De même, un élargissement de notre conscience mentale, passant de l'expérience des dualités de l'ego à une unité sans règles, avec une certaine forme de conscience globale, pourrait facilement susciter une confusion et une incapacité à mener une vie active parmi les hommes, au sein de l'ordre établi des relativités de ce monde. Telle est sans doute la raison profonde de l'injonction de la Gîta, qui impose à l'homme de connaissance de ne pas ébranler les bases de la vie et de la pensée des ignorants ; car, stimulés par son exemple, mais incapables de comprendre le principe de son action, ils perdraient leur propre système de valeurs sans pouvoir atteindre à une base plus élevée.
Ce genre de désordre et d'incapacité peut être accepté individuellement, et bien des grandes âmes l'acceptent en fait comme une étape à franchir ou comme le prix à payer pour accéder à une existence plus vaste. Mais le véritable but du progrès humain doit toujours être une réinterprétation efficace et synthétique qui permette de représenter la loi de cette plus vaste existence dans un nouvel ordre de vérités, et dans une action plus juste et plus puissante des facultés sur le matériau de la vie dans l'universel. Pour les sens, le soleil tourne autour de la terre; c'était pour eux le centre de l'existence et les mouvements de la vie se sont organisés sur la base d'une fausse conception. La vérité est l'opposé même, mais sa découverte eût été de peu d'utilité, à moins qu'une science ait fait de la nouvelle conception le centre d'une connaissance rationnelle et ordonnée, donnant leur vraie valeur aux perceptions des sens. De même, pour la conscience mentale. Dieu tourne autour de l'ego personnel, et toutes Ses œuvres, toutes Ses voies sont soumises au jugement de nos sensations, de nos émotions, de nos conceptions égoïstes, et en reçoivent des valeurs et des interprétations qui, bien qu'elles pervertissent et inversent la vérité des choses, sont cependant utiles et pratiquement suffisantes à un certain développement de la vie et du progrès humains. Elles sont une systématisation grossière et pratique de notre expérience des choses, valables tant que nous avons affaire à un certain ordre d'idées et d'activités. Mais elles ne représentent pas l'état ultime et suprême de la vie et de la connaissance humaines. " La vérité est le chemin, et non pas la fausseté. " La vérité n'est pas que Dieu tourne autour de l'ego comme centre de l'existence, ni qu'il puisse
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être jugé par l'ego et sa conception des dualités, mais que le Divin est lui-même le centre, et que l'expérience de l'individu ne trouve sa vraie vérité que lorsqu'elle est connue dans les termes de l'universel et du transcendant. Néanmoins, substituer cette conception à la conception de l'ego sans disposer d'une base de connaissance adéquate, peut nous amener à substituer aux vieilles idées des idées nouvelles, mais encore fausses et arbitraires, et produire un violent désordre des vraies valeurs, au lieu d'un désordre établi. Un tel bouleversement marque souvent la naissance de philosophies et de religions nouvelles et provoque d'utiles révolutions. Mais pour atteindre le but véritable, il faut pouvoir rassembler autour de la vraie conception centrale, une connaissance raisonnée et efficace où la vie égoïste redécouvrira toutes ses valeurs transformées et corrigées. Alors nous posséderons ce nouvel ordre de vérités qui nous permettra de substituer une vie plus divine à l'existence que nous menons à présent, et d'amener nos facultés à agir de façon plus divine et plus puissante sur le matériau de la vie dans l'univers.
La vie et la puissance nouvelles de cet " entier " humain doivent nécessairement se fonder sur la réalisation des grandes vérités qui traduisent, dans notre propre conception des choses, la nature de l'existence divine. Pour que cela soit possible, il faut que l'ego renonce à ses faux points de vue et à ses fausses certitudes, qu'il établisse une relation et une harmonie véritables avec les totalités dont il fait partie, et avec les transcendances d'où il est descendu, et qu'il s'ouvre parfaitement à une vérité et à une loi qui dépassent ses conventions — une vérité qui sera son accomplissement, et une loi qui sera sa délivrance. Son but doit être d'abolir ces valeurs créées par une vision des choses basée sur l'ego; son couronnement, de transcender les limitations, l'ignorance, la mort, la souffrance et le mal.
Cette transcendance, cette abolition ne seraient pas possibles ici, sur terre et dans notre vie humaine, si les termes de notre vie devaient nécessairement rester liés à nos valeurs actuelles fondées sur l'ego. Si, par nature, la vie est un phénomène individuel et non la représentation d'une existence universelle et le souffle d'un puissant Esprit-de-Vie, si les dualités qui sont la réponse de l'individu à ses contacts ne sont pas simplement une réponse, mais l'essence même et la condition de toute existence, si la limitation est la nature inhérente à la substance qui donne forme à notre mental et à notre corps, si cette désintégration qu'est la
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mort est la première et l'ultime condition de toute vie, sa fin et son commencement, si le plaisir et la douleur sont la double et indissociable étoffe de toute sensation, la joie et le chagrin la lumière et l'ombre nécessaires à toute émotion, la vérité et l'erreur les deux pôles entre lesquels toute connaissance doit éternellement se mouvoir, alors la transcendance ne peut être atteinte que par l'abandon de la vie humaine dans un Nirvana au-delà de toute existence, ou en atteignant un autre monde, un ciel tout autrement constitué que cet univers matériel.
Il est assez difficile pour le mental humain ordinaire, toujours attaché à ses associations passées et présentes, de concevoir une existence qui, tout en restant humaine, puisse changer radicalement dans les conditions rigidement établies qui prévalent actuellement. Par rapport à l'évolution supérieure dont la possibilité s'ouvre devant nous, nous nous trouvons dans une situation très similaire à celle du Singe ancestral de la théorie darwinienne. Il eût été impossible pour ce Singe, menant sa vie instinctive dans les arbres des forêts primitives, de concevoir qu'il y aurait un jour sur la terre un animal qui se servirait d'une nouvelle faculté appelée raison pour agir sur les matériaux de son existence intérieure et extérieure, et qui, par ce pouvoir, dominerait ses instincts et ses habitudes, changerait les circonstances de sa vie physique, se construirait des maisons de pierre, manipulerait les forces de la nature, voguerait sur les mers et volerait dans les airs, élaborerait des règles de conduite et inventerait des méthodes conscientes de développement mental et spirituel. Et même si le mental simiesque avait pu le concevoir, il lui eût été difficile néanmoins d'imaginer que, par quelque progrès de la Nature ou par un long effort de volonté et en suivant son propre penchant, il pourrait lui-même se transformer en cet animal. Parce qu'il a acquis la raison et, plus encore, parce qu'il a développé son pouvoir d'imagination et d'intuition, l'homme est capable de concevoir une existence plus haute que la sienne et même d'envisager la possibilité de s'élever par-delà son état actuel jusqu'à elle. Il conçoit l'état suprême comme un absolu de tout ce que ses propres concepts jugent positif et de tout ce que ses aspirations instinctives trouvent désirables — la Connaissance sans l'ombre négative de l'erreur, la Félicité sans l'expérience de la souffrance qui la nie, le Pouvoir sans l'incapacité qui en est le démenti constant, la pureté et la plénitude de l'être sans le sentiment d'imperfection et de limitation qui les contredit. C'est ainsi qu'il conçoit ses dieux ; c'est ainsi qu'il construit ses cieux. Mais ce n'est pas ainsi que
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sa raison conçoit l'avenir possible de la terre et de l'humanité. Son rêve de Dieu et du Ciel est en réalité le rêve de sa propre perfection; mais il éprouve autant de difficulté à admettre que son but ultime soit de réaliser ce rêve concrètement sur la terre, qu'en aurait éprouvé le Singe ancestral si on lui avait demandé de croire qu'un jour il deviendrait l'Homme. Son imagination, ses aspirations religieuses peuvent lui présenter ce but; mais quand sa raison s'affirme, rejetant l'imagination et l'intuition transcendante, il l'écarté comme une brillante superstition que contredit la dure réalité de l'univers matériel. Ce n'est plus alors que sa vision inspirée de l'impossible. Seuls sont possibles une connaissance, un bonheur, un pouvoir et un bien conditionnés, limités et précaires.
Et pourtant, le principe même de la raison porte en lui l'affirmation d'une Transcendance. Car dans son essence et sa finalité mêmes, la raison est une quête de la Connaissance, c'est-à-dire une quête de la Vérité par l'élimination de l'erreur. Son objectif, son but n'est pas de passer d'une grande à une moindre erreur, mais suppose une Vérité positive et préexistante, vers laquelle, à travers les dualités de la connaissance juste et de la connaissance fausse, nous pouvons avancer progressivement. Si notre raison n'a pas la même certitude instinctive vis-à-vis des autres aspirations de l'humanité, c'est parce que l'illumination essentielle inhérente à sa propre activité positive lui fait ici défaut. Nous pouvons à la limite concevoir une réalisation positive ou absolue du bonheur, parce que le cœur, qui possède ce sens inné du bonheur, a sa propre certitude, parce qu'il est capable d'avoir la foi et que notre mental peut envisager l'élimination de ce besoin insatisfait qui est la cause apparente de la souffrance. Mais comment concevoir l'élimination de la douleur dans la sensation nerveuse ou de la mort dans la vie du corps ? Pourtant le rejet de la douleur est un instinct impérieux des sensations, le rejet de la mort une revendication impérieuse inhérente à l'essence de notre vitalité. Mais ces choses se présentent à notre raison comme des aspirations instinctives, non comme des possibilités réalisables.
Cependant la même loi doit pouvoir s'appliquer dans tous les cas. L'erreur de la raison pratique est d'être trop soumise au fait apparent dont elle peut immédiatement sentir la réalité, et de manquer de courage pour pousser l'examen des faits potentiels plus profonds jusqu'à ses conclusions logiques. Tout ce qui est, est la réalisation d'une potentialité antérieure; la potentialité présente est l'indication d'une réalisation
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future. Et dans ce cas particulier, les potentialités existent; car la maîtrise des phénomènes dépend de la connaissance de leurs causes et de leurs processus, et si nous connaissons les causes de l'erreur, de la peine, de la douleur, de la mort, nous pouvons, avec quelque espoir de réussir, nous efforcer de les éliminer. Car la connaissance est pouvoir et maîtrise.
En fait, nous poursuivons comme idéal, aussi loin que possible, l'élimination de tous ces phénomènes négatifs ou adverses. Nous cherchons constamment à réduire les causes d'erreur, de douleur et de souffrance. La science, à mesure que son savoir augmente, rêve de régenter la naissance et de prolonger indéfiniment la vie, sinon de triompher entièrement de la mort. Mais n'envisageant que les causes extérieures ou secondaires, nous ne pouvons penser qu'à tenir ces phénomènes à distance et non à arracher, à sa racine même, ce contre quoi nous luttons. Et ainsi nous sommes limités parce que notre effort se porte sur des perceptions secondaires et non vers la connaissance fondamentale, et que nous connaissons le procédé des choses, et non leur essence. Nous arrivons de la sorte à une manipulation plus puissante des circonstances, pas à une réelle maîtrise. Mais si nous pouvions saisir la nature et la cause essentielles de l'erreur, de la souffrance et de la mort, nous pourrions espérer en acquérir une maîtrise, non point relative, mais totale. Nous pourrions même espérer les éliminer complètement et justifier l'instinct dominant de notre nature par la conquête de ce bien, cette félicité, cette connaissance et cette immortalité absolus que nos intuitions perçoivent comme la condition véritable et ultime de l'être humain.
L'ancien Védânta nous offre une telle solution, dans la conception et l'expérience du Brahman comme l'unique fait universel et essentiel, et de la nature du Brahman comme Satchidânanda.
Dans ce point de vue, l'essence de toute vie est le mouvement d'une existence universelle et immortelle, l'essence de toute sensation et de toute émotion est le jeu d'une félicité d'être universelle et existant en soi, l'essence de toute pensée et de toute perception est le rayonnement d'une vérité universelle imprégnant toute chose, l'essence de toute activité est la progression d'un bien universel qui s'accomplit.
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Mais le jeu, le mouvement se manifeste dans des formes multiples, des tendances variées, dans une interaction d'énergies. La multiplicité rend possible l'intervention d'un facteur déterminant et temporairement déformant : l'ego individuel; or l'ego, par nature, est une auto-limitation de la conscience qui ignore à dessein le reste de son jeu et se concentre exclusivement sur une seule forme, une seule combinaison de tendances, un seul champ du mouvement des énergies. L'ego est le facteur qui détermine les réactions d'erreur, de souffrance, de douleur, de mal, de mort; car il donne ces valeurs à des mouvements qui, autrement, auraient été représentés dans leur relation juste avec l'unique Existence, l'unique Félicité, l'unique Vérité, le Bien unique. En rétablissant la relation vraie, nous pouvons éliminer les réactions déterminées par l'ego, les réduisant finalement à leurs véritables valeurs; et cela peut s'accomplir par la juste participation de l'individu à la conscience de la totalité, et à la conscience du transcendant que la totalité représente.
Dans le Védânta ultérieur s'est introduite et enracinée l'idée que l'ego limité n'est pas seulement la cause des dualités mais la condition essentielle de l'existence de l'univers. En nous débarrassant de l'ignorance de l'ego et des limites qui en résultent, nous éliminons effectivement les dualités, mais nous éliminons en même temps notre existence dans le mouvement cosmique. Et cela nous ramène à la nature essentiellement mauvaise et illusoire de l'existence humaine et à la vanité de tout effort vers la perfection dans la vie de ce monde. Un bien relatif, toujours lié à son contraire, est tout ce que nous pouvons rechercher ici-bas. Mais si nous acceptons l'idée plus vaste et plus profonde que l'ego n'est qu'une représentation intermédiaire de quelque chose qui le dépasse, nous échapperons à cette conséquence, et nous appliquerons le Védânta pour l'accomplissement de la vie, et pas seulement pour échapper à la vie. La cause et la condition essentielles de l'existence universelle est le Seigneur, îshwara ou Purusha, qui manifeste et habite les formes individuelles. L'ego limité est seulement un phénomène de conscience intermédiaire, nécessaire pour une certaine ligne de développement. En suivant cette ligne, l'individu peut atteindre à ce qui est au-delà de lui et qu'il représente, et continuer à le représenter, non plus comme un ego obscurci et limité, mais comme un centre du Divin et de la conscience universelle, embrassant, utilisant toutes les déterminations individuelles et en les transformant en une harmonie avec le Divin.
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Ainsi le fondement de l'existence humaine dans l'univers matériel est la manifestation de l'Être divin conscient dans la totalité de la Nature physique. La condition de nos activités est l'émergence de cet Être conscient dans une Vie, un Mental et un Supramental involués et inévitablement évolutifs; car c'est cette évolution qui a permis à l'homme d'apparaître dans la Matière, et c'est cette évolution qui lui permettra progressivement de manifester Dieu dans le corps — l'Incarnation universelle. La formation de l'ego est le facteur intermédiaire et décisif qui permet à l'Unique d'émerger, comme Multiplicité consciente, hors de cette totalité générale et indéterminée, obscure et sans forme que nous appelons le subconscient, hridya samudra, le cœur-océan des choses, dans le Rig-Véda. Les dualités — la vie et la mort, la joie et la peine, le plaisir et la douleur, la vérité et l'erreur, le bien et le mal — sont les premières formations de la conscience de l'ego, conséquence naturelle et inévitable de sa tentative pour réaliser l'unité dans sa propre construction artificielle, excluant l'intégralité de la vérité, du bien, de la vie et de la joie d'être dans l'univers. La dissolution de cette construction de l'ego par l'ouverture de l'individu à l'univers et à Dieu, est le moyen de cet accomplissement suprême, dont la vie égoïste n'est qu'un prélude, tout comme la vie animale n'était qu'un prélude à la vie humaine. La réalisation du Tout dans l'individu par la transformation de l'ego limité en un centre conscient de l'unité et de la liberté divines, est le terme final de cet accomplissement. Et le déferlement de l'Existence, de la Vérité, du Bien et de la Joie d'être infinis et absolus sur la Multiplicité dans le monde, est le résultat divin vers lequel se dirigent les cycles de notre évolution. Telle est la naissance suprême que la Nature maternelle porte en son sein; c'est cet enfantement que son labeur prépare.
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Ce Moi secret en tous les êtres n'est pas apparent, mais ceux qui ont la vision subtile le voient au moyen de la suprême raison, qui est subtile.
Katha Upanishad. 1. 3.12.
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Il nous faut maintenant déterminer comment ce Satchidânanda agit dans le monde, et par quel processus ses rapports avec l'ego qui le représente se forment, puis s'accomplissent, car de ces rapports et de leur processus dépendent toute la philosophie et la pratique d'une vie divine pour l'homme.
Nous arrivons à la conception et à la connaissance d'une existence divine en dépassant le témoignage des sens et en perçant les murs du mental physique pour découvrir ce qui se trouve au-delà. Tant que nous nous bornons au témoignage des sens et à la conscience physique, nous ne pouvons rien concevoir ni connaître, que ce monde matériel et ses phénomènes. Mais nous possédons certaines facultés qui permettent à notre mental de parvenir à des conceptions que nous pouvons sans doute, par ratiocination ou par le jeu varié de l'imagination, déduire des faits du monde physique tels que nous les voyons, mais que ne justifient aucune donnée, ni aucune expérience physiques. Le premier de ces instruments est la raison pure.
La raison humaine a une double action : mélangée ou subordonnée, pure ou souveraine. La raison accepte une action mélangée lorsqu'elle se limite au cercle de notre expérience sensible, admet sa loi comme vérité ultime et ne s'occupe que de l'étude des phénomènes, c'est-à-dire de l'apparence des choses en leurs relations, leurs processus et leur utilité. Cette action rationnelle est incapable de connaître ce qui est, elle ne connaît que l'apparence de l'être, elle ne possède point de sonde pour explorer les profondeurs de l'être et ne peut qu'étudier le champ du devenir. La raison, en revanche, affirme la pureté de son action quand, acceptant nos expériences sensibles comme point de départ mais refusant les limites que celles-ci lui imposent, elle passe au travers, juge et œuvre en toute liberté, s'efforçant de parvenir à des concepts généraux et invariables qui s'attachent non point à l'apparence des choses, mais à ce qui se tient derrière les apparences. Elle peut arriver à ses fins par un jugement direct, en passant immédiatement de l'apparence à ce qui se trouve derrière, et dans ce cas, le concept
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auquel elle parvient peut sembler résulter de l'expérience sensible et en dépendre, bien que ce soit en réalité une perception de la raison œuvrant selon sa propre loi. Mais les perceptions de la raison pure — et c'est là leur action plus caractéristique — peuvent aussi prendre l'expérience initiale comme un simple prétexte, et la laisser loin derrière elles avant d'atteindre leur résultat, à tel point que ce dernier peut nous apparaître comme le contraire de ce que notre expérience sensible cherche à nous imposer. Ce mouvement est légitime et indispensable, parce que notre expérience normale, non seulement ne couvre qu'une faible part de la réalité universelle, mais, dans les limites de son propre domaine, se sert d'instruments défectueux et nous donne des poids et mesures erronés. Il nous faut dépasser cette expérience, l'écarter et souvent refuser ce qu'elle voudrait nous imposer, si nous voulons arriver à des conceptions plus adéquates de la vérité des choses. Le pouvoir de corriger les erreurs du mental sensoriel en recourant à la raison est l'un des plus précieux que l'homme ait développés, et c'est en cela que réside avant tout sa supériorité parmi lès êtres terrestres.
L'usage complet de la raison pure nous fait finalement passer de la connaissance physique à la connaissance métaphysique. Mais en eux-mêmes les concepts de la connaissance métaphysique ne satisfont pas pleinement aux exigences de notre être intégral. Sans doute sont-ils entièrement satisfaisants pour la raison pure elle-même, car ils sont justement le matériau de sa propre existence. Mais notre nature voit toujours les choses sous un double regard : en tant qu'idées et en tant que faits; chaque concept est par conséquent incomplet pour nous et presque irréel pour une partie de notre nature tant qu'il n'est pas devenu une expérience. Mais les vérités dont il s'agit ici sont d'un ordre qui échappe à notre expérience normale. Par nature, elles sont " au-delà de la perception des sens mais peuvent être perçues par la raison ". Une autre faculté d'expérience est donc nécessaire, qui puisse satisfaire aux exigences de notre nature et, puisque nous touchons ici au supraphysique, nous ne pourrons l'obtenir que par un prolongement de l'expérience psychologique.
En un sens, toute notre expérience est psychologique, puisque même ce que nous recevons par les sens n'a pour nous de signification et de valeur qu'une fois traduit dans les termes du mental sensoriel, le Manas de la terminologie philosophique indienne. Le Manas, disent nos
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philosophes, est te. sixième sens. Mais nous pouvons aller jusqu'à dire que c'est l'unique sens et que les autres, la vision, l'ouïe, le toucher, l'odorat et le goût, sont simplement des spécialisations du mental sensoriel qui, bien qu'il utilise habituellement les organes des sens pour fonder son expérience, les dépasse néanmoins et peut avoir une expérience directe, qui caractérise son action. Il s'ensuit que l'expérience psychologique, telle la cognition rationnelle, est capable en l'homme d'une double action : mélangée ou subordonnée, pure ou souveraine. L'action mélangée a lieu d'ordinaire quand le mental cherche à prendre conscience du monde extérieur, de l'objet; l'action pure, quand il cherche à prendre conscience de lui-même, du sujet. Dans la première activité, il dépend des sens et forme ses perceptions d'après leur témoignage; dans la seconde, il agit en lui-même et prend directement conscience des choses par une sorte d'identité avec elles. C'est ainsi que nous sommes conscients de nos émotions ; comme on l'a dit pertinemment, nous sommes conscients de la colère parce que nous devenons la colère. C'est ainsi également que nous devenons conscients de notre propre existence; et là, la nature de l'expérience comme connaissance par identité nous apparaît clairement. En réalité, toute expérience, dans sa nature secrète, est connaissance par identité ; mais son vrai caractère nous est dissimulé, car nous nous sommes séparés du reste du monde par exclusion, en nous distinguant comme sujets et en considérant tout le reste comme objet, et nous sommes obligés de mettre au point des méthodes et des organes qui nous permettent d'entrer à nouveau en communion avec tout ce que nous avons exclu. Il faut que la connaissance directe par identité consciente soit remplacée par la connaissance indirecte que le contact physique et la sympathie mentale semblent susciter. Cette limitation est une création fondamentale de l'ego et un exemple de la méthode qu'il a toujours suivie : partir d'une fausseté originelle et recouvrir la vraie vérité des choses de faussetés contingentes qui, pour nous, deviennent des vérités pratiques de relation.
Ce caractère de la connaissance mentale et sensorielle telle qu'elle est à présent organisée en nous, prouve que nos limitations actuelles ne sont pas une inévitable nécessité. Elles résultent d'une évolution où le mental s'est habitué à dépendre de certains fonctionnements physiologiques et de leurs réactions pour entrer normalement en relation avec l'univers matériel. Dès lors, et bien qu'en règle générale nous devions, pour prendre conscience du monde extérieur, recourir
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au moyen indirect des organes sensoriels, et que notre expérience; de la vérité des choses et des hommes soit limitée à ce que les sens nous en transmettent, cette règle n'est pourtant que la régularité d'une habitude dominante. Le mental pourrait — et cela lui deviendrait naturel si l'on pouvait le persuader de s'affranchir de la domination de la matière, de n'y plus consentir — prendre connaissance des objets des sens directement, sans l'aide des organes sensoriels. C'est ce qui se produit dans les expériences d'hypnose et les phénomènes psychologiques du même ordre. Notre conscience de veille étant déterminée et limitée par l'équilibre que la vie, en évoluant, élabore entre le mental et la matière, cette connaissance directe est d'habitude impossible dans notre état de veille ordinaire ; il faut donc la susciter en précipitant le mental de veille dans un état de sommeil qui libère le mental vrai ou subliminal. Le mental peut alors affirmer son véritable caractère, à savoir qu'il est le seul sens autonome, libre d'appliquer aux objets des sens son action pure et souveraine, au lieu d'une action mélangée et subordonnée. Et l'extension de cette faculté n'est pas réellement impossible, elle est seulement plus difficile dans notre état de veille — comme le savent tous ceux qui ont pu aller assez loin sur certains chemins de l'expérience psychologique.
L'action souveraine du mental sensoriel peut servir à développer d'autres sens que les cinq que nous utilisons ordinairement. Par exemple, il est possible de développer le pouvoir d'évaluer exactement, sans recourir à aucun moyen physique, le poids d'un objet que nous tenons dans nos mains. Le sens du contact et de la pression sert ici simplement de point de départ, exactement de la même façon que la raison pure utilise les données de l'expérience sensorielle ; mais ce n'est pas vraiment le sens du toucher qui permet au mental d'évaluer le poids; le mental trouve la juste mesure grâce à sa perception indépendante, il ne se sert du toucher que pour entrer en rapport avec l'objet. Or il en est du mental sensoriel comme de la raison pure : il peut prendre l'expérience sensorielle comme simple point de départ, et progresser vers une connaissance qui n'a aucun rapport avec les organes des sens et contredit souvent leur témoignage. Et ce prolongement des facultés ne se borne pas aux apparences et aux surfaces. Une fois que, par l'un quelconque de nos sens, nous avons établi un contact avec un objet extérieur, il est possible d'appliquer le Manas de façon à prendre conscience du contenu de l'objet, par exemple à recevoir ou percevoir les pensées ou les sentiments d'autres personnes sans l'aide d'aucune parole, d'aucun
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geste, d'aucune; action ou expression du visage, perception qui peut même contredire ces données toujours partielles et souvent trompeuses. Finalement, par un usage des sens intérieurs — c'est-à-dire des pouvoirs sensoriels en eux-mêmes, en leur activité purement mentale ou subtile, par opposition à l'activité physique qui, elle, n'est qu'une sélection, pour les desseins de la vie extérieure, à partir de leur action générale et complète —, nous pouvons prendre connaissance des expériences sensorielles, de l'apparence et de l'image de choses autres que celles qui relèvent de l'organisation de notre milieu matériel. Bien que le mental les accueille avec hésitation et scepticisme, parce qu'ils sont anormaux par rapport au plan habituel de notre vie et de notre expérience ordinaires, qu'il est difficile de les mettre en œuvre, plus difficile encore de les systématiser pour en faire un ensemble pratique et ordonné d'instruments, tous ces prolongements des facultés doivent cependant être admis, puisqu'ils sont l'invariable aboutissement de toute tentative pour élargir le champ de notre conscience superficiellement active, que ce soit par un certain effort naturel et un effet fortuit et désordonné, ou par une pratique scientifique bien réglée.
Aucun d'entre eux, cependant, ne conduit au but que nous nous proposons : l'expérience psychologique de ces vérités qui sont " au-delà de la perception des sens, mais peuvent être perçues par la raison ", buddhigrâhyam atîndriyam.¹ Ils ne font que nous donner un plus vaste champ de phénomènes et des moyens plus efficaces pour observer ceux-ci. La vérité des choses nous échappe toujours et dépasse les sens. Néanmoins, conformément à une règle saine inhérente à la constitution même de l'existence universelle, s'il y a des vérités accessibles à la raison, il doit y avoir aussi, quelque part dans l'organisme qui possède cette raison, un moyen de les atteindre ou de les vérifier par l'expérience. Le seul moyen mental qui nous reste, est un prolongement de cette forme de connaissance par identité qui nous rend conscients de notre propre existence. C'est en réalité sur une perception de nous-mêmes plus ou moins consciente, plus ou moins présente à notre entendement, qu'est fondée la connaissance du contenu de notre moi. Ou, pour le formuler d'une façon plus générale, la connaissance du contenant contient la connaissance du contenu. Dès lors, si nous pouvons étendre notre prise de conscience mentale de nous-mêmes à une prise de conscience du Moi qui
¹Gîta. VI. 21.
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est au-delà et hors de nous, l'Âtman ou le Brahman des Upanishad, nous pourrons, dans notre expérience, entrer en possession des vérités qui forment le contenu de l'Âtman ou du Brahman dans l'univers. C'est sur cette possibilité que s'est fondé le Védânta indien. Par la connaissance du Moi, il a cherché la connaissance de l'univers.
Mais il a toujours considéré l'expérience mentale et les concepts de la raison, même à leur plus haut degré, comme des reflets dans des identifications mentales, et non comme la suprême identité existant en soi. Il nous faut dépasser le mental et la raison. La raison active dans notre conscience de veille n'est qu'un intermédiaire entre le Tout subconscient d'où part notre évolution ascendante et le Tout supraconscient vers lequel elle nous porte. Le subconscient et le supraconscient sont deux formulations différentes du même Tout. Le maître mot du subconscient est la Vie, le maître mot du supraconscient est la Lumière. Dans le subconscient, la connaissance ou la conscience sont involuées dans l'action, car l'action est l'essence de la Vie. Dans le supraconscient, l'action réintègre la Lumière et ne contient plus la connaissance involuée, mais est elle-même contenue dans une suprême conscience. Ils ont en commun la connaissance intuitive fondée sur l'identité consciente ou effective entre ce qui connaît et ce qui est connu ; c'est un même état d'existence en soi où le connaissant et le connu sont unifiés dans la connaissance. Mais dans le subconscient, l'intuition se manifeste et s'effectue dans l'action, et la connaissance ou identité consciente est entièrement, ou plus ou moins, dissimulée dans l'action. Dans le supraconscient, au contraire, la Lumière étant la loi et le principe, l'intuition se manifeste dans sa vraie nature comme connaissance émergeant de l'identité consciente, et l'action effectuée en est plutôt l'accompagnement ou la conséquence nécessaire, et ne se fait plus passer pour le fait primordial. Entre ces deux états, la raison et le mental agissent comme des intermédiaires qui permettent à l'être de libérer la connaissance de son emprisonnement dans l'acte et de la préparer à reprendre sa primauté essentielle. Quand la conscience de soi dans le mental, appliquée à la fois au contenant et au contenu, à notre moi et au moi d'autrui, s'exhausse en l'identité lumineuse et manifeste, la raison change elle aussi et revêt la forme de la connaissance intuitive¹
¹J'emploie le mot " intuition ", faute d'un meilleur terme. En vérité, c'est un pis-aller, car ce mot ne correspond pas au sens suggéré. Il en est de même du mot " conscience " et de bien d'autres termes ; la pauvreté de notre vocabulaire nous oblige à en étendre indûment la 'signification.
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lumineuse en soi. C'est le plus haut état possible de notre connaissance, où le mental s'accomplit dans le supramental.
Tel est le plan de l'entendement humain sur lequel se sont édifiées les conclusions du plus ancien Védânta. Il n'est pas dans mon propos d'examiner en détail les résultats auxquels les sages d'antan sont parvenus en s'appuyant sur cette base, mais il est nécessaire de passer brièvement en revue certaines de leurs principales conclusions dans la mesure où elles concernent le problème de la Vie divine qui, seul, nous occupe à présent. Car c'est dans ces idées que nous trouverons le meilleur fondement, parmi ceux qui existent déjà, pour ce que nous cherchons à reconstruire ; et si, comme pour toute connaissance, il faut que l'ancienne expression soit dans une certaine mesure remplacée par une expression nouvelle, adaptée à la mentalité récente, et que l'ancienne lumière se fonde en une lumière nouvelle, comme l'aube succède à l'aube, c'est néanmoins en prenant pour capital de base le trésor ancien, ou ce que nous en pouvons recouvrer, que nous parviendrons le mieux à amasser les plus larges gains dans notre nouveau commerce avec l'Infini qui ne change jamais tout en changeant sans cesse.
Sad Brahman,, l'Existence pure, indéfinissable, infinie, absolue, est le dernier concept auquel parvient l'analyse védântique dans sa vision de l'univers, la Réalité fondamentale que l'expérience védântique découvre derrière tout le mouvement et toute la formation qui constituent la réalité apparente. Il est évident que, lorsque nous énonçons cette conception, nous dépassons tout à fait ce que notre conscience ordinaire et notre expérience normale contiennent ou certifient. Les sens et le mental sensoriel n'ont pas la moindre notion de ce que peut être une existence pure ou absolue. Notre expérience sensorielle ne nous parle que de forme et de mouvement. Les formes existent, mais leur existence n'est pas pure; au contraire, elle est toujours mélangée, combinée, agrégée, relative. Lorsque nous pénétrons en nous-mêmes, nous pouvons nous débarrasser de la forme précise, mais non pas du mouvement, ni du changement. Mouvement de Matière dans l'Espace, mouvement de changement dans le Temps, telle semble être la condition de l'existence. Certes, on peut dire, si l'on veut, que c'est là l'existence, et que l'idée d'existence en soi ne correspond à aucune réalité que l'on puisse découvrir. Tout au plus, dans le phénomène de la conscience de soi, ou à l'arrière-plan, avons-nous parfois un aperçu de quelque
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chose; d'immobile et. d'immuable, quelque chose, que nous" percevons vaguement ou imaginons être nous-mêmes par-delà toute vie et toute mort, par-delà tout changement, toute formation et toute action. Là, se trouve en nous l'unique porte qui, parfois, s'ouvre toute grande sur la splendeur d'une vérité au-delà et, avant de se refermer, laisse un rayon nous toucher — lumineuse suggestion à laquelle, si nous avons force et fermeté, nous pouvons nous attacher dans notre foi et dont nous pouvons faire un point de départ pour un jeu de la conscience différent de celui du mental sensoriel, pour le jeu de l'Intuition.
Un examen attentif, en effet, nous permettra de constater que l'Intuition est notre premier instructeur. L'Intuition est toujours là, voilée derrière nos opérations mentales. Elle apporte à l'homme ces brillants messages de l'Inconnu qui marquent le début de sa connaissance supérieure. La raison intervient ensuite seulement pour voir quel profit elle peut tirer de cette moisson de lumière. C'est l'Intuition qui nous donne l'idée qu'il existe quelque chose derrière et par-delà tout ce que nous connaissons et semblons être, qui poursuit l'homme et contredit toujours sa raison inférieure et toute son expérience normale et qui l'incite à formuler cette perception sans forme en des idées plus positives — idées de Dieu, d'Immortalité, de Ciel, et tant d'autres — par lesquelles nous nous efforçons de l'exprimer pour le mental. Car l'Intuition est aussi forte que la Nature elle-même, elle a jailli de son âme et n'a cure des contradictions de la raison ou des démentis de l'expérience. Elle connaît ce qui est parce qu'elle est cela, parce qu'elle-même fait partie de cela et vient de cela, et ne le livrera pas au jugement de ce qui ne fait que devenir et paraître. Ce dont nous parle l'Intuition n'est pas tant l'Existence que l'Existant, car elle provient de cet unique point de lumière en nous qui fait sa force, cette porte qui s'ouvre parfois dans notre conscience de nous-mêmes. L'ancien Védânta saisit ce message de l'Intuition et le formula dans les trois grandes affirmations des Upanishad : " Je suis Lui ", " Tu es Cela, ô Svetaketu ", " Tout ceci est le Brahman ; ce Moi est le Brahman. "
Mais l'Intuition, par la nature même de son action en l'homme, œuvre en fait de derrière le voile; active surtout dans les parties les moins éclairées, les moins organisées de son être, et servie devant le voile, dans l'étroite lumière qu'est notre conscience de veille, seulement par des instruments incapables d'assimiler pleinement ses messages,
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elle ne peut nous donner la vérité sous cette forme ordonnée et bien exprimée qu'exige notre nature. Pour pouvoir réaliser en nous une telle plénitude de connaissance directe, il faudrait qu'elle s'organise dans notre être de surface et y assume le rôle principal. Mais dans notre être de surface, ce n'est pas l'Intuition, c'est la Raison qui est organisée et qui nous aide à mettre en ordre nos perceptions, nos pensées et nos actions. C'est pourquoi l'âge de la connaissance intuitive, représentée par la plus ancienne pensée védântique, celle des Upanishad, dut faire place à l'âge de la connaissance rationnelle; l'Écriture inspirée céda le pas à la philosophie métaphysique, de même que, par la suite, la philosophie métaphysique dut faire place à la Science expérimentale. Messagère du supraconscient, la pensée intuitive qui, de ce fait, est notre plus haute faculté, fut supplantée par la raison pure ; mais celle-ci n'est qu'une sorte de député vivant sur les hauteurs moyennes de notre être ; et elle fut à son tour supplantée provisoirement par l'action mélangée de la raison qui vit dans nos plaines et en basse altitude, et dont la vision ne dépasse pas l'horizon de l'expérience que peuvent nous apporter le mental physique et les sens physiques ou tout ce que nous sommes capables d'inventer pour leur venir en aide. Et ce processus qui semble être une descente, est en réalité un cycle de progrès. Car dans chaque cas, la faculté inférieure est obligée de reprendre tout ce qu'elle peut assimiler de ce que la faculté supérieure avait déjà donné et d'essayer de le rétablir par ses propres méthodes. Cette tentative lui permet d'élargir son propre champ, et finalement elle arrive à s'adapter avec plus de souplesse et plus d'ampleur aux facultés supérieures. Sans cette succession et cette tentative d'assimilation séparée, nous serions contraints de rester sous la domination exclusive d'une partie de notre nature, tandis que le reste demeurerait réprimé et indûment asservi ou isolé dans son domaine et, par suite, insuffisamment développé. Grâce à cette succession et ces tentatives séparées, l'équilibre est rétabli ; une plus complète harmonie des parties qui, en nous, possèdent la connaissance, se prépare.
Cette succession, nous la trouvons dans les Upanishad et dans les philosophies indiennes ultérieures. Les sages du Véda et du Védânta se fiaient entièrement à l'intuition et à l'expérience spirituelle. C'est par erreur que les érudits parlent quelquefois de grands débats ou de grandes discussions dans les Upanishad. Chaque fois qu'il semble y avoir controverse, ce n'est pas sur la discussion, la dialectique ou le
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raisonnement logique qu'elle s'appuie, mais elle compare intuitions et expériences, et la moins lumineuse cède la place à la plus lumineuse, la plus étroite et la plus imparfaite, ou la moins essentielle, à la plus globale, la plus parfaite, la plus essentielle. La question qu'un sage pose à l'autre est : " Que connais-tu ? ", non " Que penses-tu ? " ni " À quelle conclusion ton raisonnement t'a-t-il conduit ? " Nulle part dans les Upanishad, nous ne trouvons trace d'un raisonnement logique invoqué pour soutenir les vérités du Védânta. Les sages semblent admettre que l'Intuition doit être corrigée par une intuition plus parfaite ; le raisonnement logique n'en peut être le juge.
Et pourtant, 'la raison humaine exige sa propre satisfaction, par sa propre méthode. C'est pourquoi, lorsque s'ouvrit l'âge de la spéculation rationaliste, les philosophes indiens, respectant l'héritage du passé, adoptèrent une double attitude à l'égard de la Vérité qu'ils recherchaient. Dans la Shruti, ces premiers résultats de l'Intuition ou, comme ils préféraient l'appeler, de la Révélation inspirée, ils reconnurent une autorité supérieure à la Raison. Mais en même temps, ils partirent de la Raison et mirent à l'épreuve les résultats qu'elle leur donnait, ne tenant pour valables que les conclusions confirmées par l'autorité suprême. Ainsi évitèrent-ils, jusqu'à un certain point, le grand défaut de la métaphysique : sa tendance à batailler dans les nuages, parce qu'elle traite les mots comme s'il s'agissait de faits impératifs et non de symboles que l'on doit toujours soigneusement examiner et constamment ramener au sens de ce qu'ils représentent. Ils cherchèrent d'abord, au centre de leurs spéculations, à rester proches de l'expérience la plus haute et la plus profonde, procédant avec le consentement unanime des deux grandes autorités, la Raison et l'Intuition. Néanmoins, dans la pratique, la tendance naturelle de la Raison à affirmer sa suprématie l'emporta sur la théorie qui lui assigne une place secondaire. D'où la naissance d'écoles opposées, toutes fondées théoriquement sur le Véda, dont elles utilisaient les textes comme armes pour se battre les unes contre les autres. La plus haute Connaissance intuitive voit les choses comme un tout, dans leur ensemble, et les détails ne sont pour elle que des aspects du tout indivisible; elle est naturellement portée vers la synthèse immédiate et vers l'unité de la connaissance. La Raison, au contraire, procède par analyse et division et assemble les faits de manière à former un tout; mais dans l'assemblage ainsi constitué se trouvent des opposés, des anomalies, des incompatibilités logiques, et
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la tendance naturelle de la Raison est; d'en affirmer certains et de nier ceux qui contredisent les conclusions qu'elle a choisies, afin de pouvoir former un système parfaitement cohérent. Ainsi fut brisée l'unité de la première connaissance intuitive, et l'ingéniosité des logiciens a toujours su découvrir des astuces, des méthodes d'interprétation, des normes aux valeurs variables, grâce auxquelles ils purent pratiquement se débarrasser des textes gênants de l'Écriture et se livrer en toute liberté à leurs spéculations métaphysiques.
Toutefois, les principales conceptions du plus ancien Védânta furent en partie préservées dans les divers systèmes philosophiques, et l'on fit de temps en temps des efforts pour les combiner à nouveau en quelque image de l'ancienne universalité, de l'ancienne unité de la pensée intuitive. Et derrière chacune de ces pensées, survécut, sous des formes diverses, la même conception fondamentale du Purusha, de l'Âtman, ou du Sad Brahman, le pur Existant des Upanishad, souvent transformé par la raison en une idée ou un état psychologique, mais portant encore un peu de son ancien contenu d'inexprimable réalité. Quelle peut être la relation entre ce mouvement du devenir que nous appelons le monde et cette Unité absolue, et comment l'ego, qu'il soit le produit du mouvement ou sa cause, peut-il retourner à ce vrai Moi, à cette Divinité ou à cette Réalité que proclame le Védânta ? Telles sont les questions d'ordre spéculatif et pratique qui ont depuis toujours occupé la pensée de l'Inde.
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L'Un indivisible qui est pure existence.
Chândogya Upanishad. VI, 2; 1.
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Lorsque nous détournons notre regard de nos préoccupations égoïstes pour des intérêts limités et fugaces et que nous considérons le monde avec un calme détachement, et une curiosité qui ne cherche que la Vérité, nous commençons par percevoir une énergie illimitée d'existence infinie, de mouvement infini, d'activité infinie qui se déverse dans l'Espace sans bornes, dans le Temps éternel — une existence qui dépasse infiniment notre ego, et tout ego, et toute collectivité d'ego : dans sa balance, les grandioses créations des âges ne sont que la poussière d'un moment, et dans sa somme incalculable, d'innombrables myriades n'ont pas plus de valeur qu'un essaim dérisoire. Instinctivement, nous agissons et sentons et tissons les pensées de notre vie comme si nous étions le centre de ce formidable mouvement cosmique et que celui-ci devait servir nos intérêts, nous aider ou nous nuire, ou que justifier nos appétits, nos émotions, nos idées, nos normes égoïstes était sa véritable tâche, et notre préoccupation majeure. Lorsque nos yeux s'ouvrent, nous prenons conscience que ce mouvement universel existe pour lui-même et non pour nous, qu'il a ses propres desseins gigantesques, sa propre idée complexe et sans limites, son immense désir ou son immense félicité qu'il cherche à satisfaire, ses propres normes vastes et prodigieuses, qui considèrent notre petitesse avec un sourire plein d'indulgence et d'ironie. Mais ne passons pas pour autant à l'autre extrême, et ne nous formons pas une idée trop catégorique de notre insignifiance. Ce serait aussi faire preuve d'ignorance et fermer les yeux sur les grandes réalités de l'univers.
Pour ce Mouvement illimité, en effet, nous ne sommes pas sans importance. La science nous révèle quel soin minutieux, quelle ingéniosité, quelle intense concentration il prodigue à la plus modeste comme à la plus grande de ses œuvres. Cette puissante énergie est une mère égale et impartiale, samam brahma, selon l'admirable expression
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de la Gîta, et elle tria. dans son mouvement autant d'intensité et de force pour former et soutenir un système solaire que pour organiser la vie d'une fourmilière. C'est l'illusion de la dimension, de la quantité, qui nous amène à considérer que l'un est grand, et l'autre petit. Si, au contraire, nous considérons non pas la masse quantitative, mais la force qualitative, nous dirons que la fourmi est plus grande que le système solaire où elle vit, et l'homme plus grand que toute la Nature inanimée prise dans son ensemble. Mais cela est à son tour l'illusion de la qualité. Lorsque nous passons au-delà et que nous examinons la seule intensité du mouvement dont qualité et quantité sont des aspects, nous réalisons que ce Brahman demeure également dans toutes les existences. Son être est également partagé entre tous, son énergie également distribuée à tous, sommes-nous tenté de dire. Mais cela aussi est une illusion de la quantité. Le Brahman demeure en tous, indivisible et pourtant comme divisé et distribué. Et d'ailleurs une perception plus attentive, qui n'est pas dominée par les concepts intellectuels mais pénétrée par l'intuition et culmine dans la connaissance par identité, nous révélera que la conscience de cette Énergie infinie est autre que notre conscience mentale, qu'elle est indivisible et qu'elle donne, non pas une part égale d'elle-même, mais tout son être, à la fois et en même temps, au système solaire et à la fourmilière. Pour le Brahman, il n'y a pas de tout et de parties, chaque chose est Lui tout entier et profite de la totalité du Brahman. Qualité et quantité diffèrent, le moi est égal. La forme, la manière et le résultat de la force d'action varient à l'infini, mais l'énergie éternelle, première et infinie est la même en tout. Dans leur pouvoir, la force qui sert à créer l'homme fort n'est pas d'un iota plus grande que la faiblesse qui sert à créer le faible. L'énergie dépensée est aussi grande dans la répression que dans l'expression, dans la négation que dans l'affirmation, dans le silence que dans le son.
Dès lors, la première évaluation qu'il nous faille rectifier est celle du rapport entre ce Mouvement infini, cette énergie d'existence qu'est le monde, et nous-mêmes. Pour le moment, nos comptes sont faux. Nous sommes infiniment importants pour le Tout, mais pour nous, le Tout est quantité négligeable ; nous seuls sommes importants à nos yeux. C'est là le signe de l'ignorance originelle, racine de l'ego, de ne pouvoir penser qu'en se mettant au centre, comme si l'ego était le Tout, et de n'accepter, de ce qui n'est pas lui-même, que ce qu'il est mentalement disposé à admettre ou ce que les chocs de son milieu le forcent à
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reconnaître. Même lorsqu'il commence à philosopher, n'affirm-t-il pas que le monde n'existe qu'en sa conscience et par elle ? Son propre état de conscience ou ses propres normes mentales sont pour lui la pierre de touche de la réalité ; tout ce qui se trouve en dehors de son orbite ou de sa vision tend à devenir faux ou inexistant. Cette autosuffisance mentale de l'homme crée un système de fausse comptabilité qui nous empêche de tirer la pleine et juste valeur de la vie. Dans un certain sens, ces prétentions du mental et de l'ego humains reposent sur une vérité, mais celle-ci n'émerge qu'au moment où le mental a reconnu son ignorance et où l'ego s'est soumis au Tout et a perdu en lui son affirmation de soi séparée. Reconnaître que nous, ou plutôt les résultats et les apparences que nous appelons nous-mêmes, ne sommes qu'un mouvement partiel de ce Mouvement infini et que c'est cet infini qu'il nous faut connaître, qu'il nous faut être consciemment et accomplir fidèlement, est le commencement d'une existence véritable. Reconnaître que, dans notre vrai moi, nous ne faisons qu'un avec le mouvement total et ne lui sommes ni inférieurs ni subordonnés, est l'autre aspect du compte, et il est nécessaire de l'exprimer dans notre façon d'être, de penser, de sentir et d'agir afin de parvenir à la culmination d'une existence véritable ou divine.
Mais pour régler le compte, nous devons savoir ce qu'est ce Tout, cette énergie infinie et toute-puissante. Et nous voilà confrontés à une nouvelle complication. En effet, comme la raison pure et, semble-t-il, le Védânta nous l'affirment, de même que nous sommes subordonnés au Mouvement et en représentons un aspect, de même le mouvement est-il subordonné à quelque chose d'autre que lui-même dont il est un aspect, à une grande Stabilité, sthânu, hors du temps et de l'espace, immuable, inépuisable et inépuisée, non agissante bien qu'elle contienne toute cette action, non pas énergie, mais existence pure. Ceux qui voient seulement cette énergie cosmique peuvent certes déclarer qu'il n'existe rien de tel : notre idée d'une éternelle stabilité, d'une pure existence immuable est une fiction de nos conceptions intellectuelles découlant d'une fausse idée du stable : car il n'y a rien de stable ; tout est mouvement, et notre conception du stable n'est qu'un artifice de notre conscience mentale, pour que nos rapports pratiques avec le mouvement puissent s'établir à partir d'une position sûre. Il est aisé de montrer que cela est vrai dans le mouvement lui-même. Rien n'y est stable. Tout ce qui semble stationnaire n'est qu'un bloc de mouvement, une formulation de l'énergie à l'œuvre qui affecte notre conscience de telle sorte qu'elle paraît immobile, un
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peu comme la terre nous paraît immobile, ou comme le train dans lequel nous voyageons semble immobile au milieu du paysage qui défile. Mais est-il également vrai qu'à la base de ce mouvement il n'y ait, pour le soutenir, rien qui soit immobile et immuable ? Est-il vrai que l'existence ne soit rien autre qu'une action de l'énergie ? Ou l'énergie n'est-elle pas plutôt un produit de l'Existence ?
Nous voyons aussitôt qu'une telle Existence, si elle existe, doit, comme l'Énergie, être infinie. Ni la raison, ni l'expérience, ni l'intuition, ni l'imagination ne peuvent témoigner pour nous de la possibilité d'un terme ultime. Toute fin et tout début présupposent quelque chose par-delà la fin ou le commencement. Parler d'une fin absolue, d'un commencement absolu, n'est pas seulement contradictoire en soi, cela contredit l'essence même des choses, c'est une outrance, une fiction. L'infinité s'impose aux apparences du fini par son inéluctable existence en soi.
Mais c'est une infinité relativement au Temps et à l'Espace, c'est une durée éternelle, une expansion sans fin. La Raison pure va plus loin et, considérant l'Espace et le Temps dans sa lumière incolore et austère, elle fait ressortir que tous deux sont des catégories de notre conscience, des conditions dans lesquelles nous organisons notre perception des phénomènes. Lorsque notre regard se porte sur l'existence en soi, l'Espace et le Temps disparaissent. S'il y a expansion, elle n'est pas spatiale mais psychologique; s'il y a durée, elle n'est pas temporelle mais psychologique ; et dès lors il est facile de voir que cette expansion et cette durée ne sont que des symboles représentant pour le mental quelque chose qui ne peut se traduire en termes intellectuels, une éternité qui nous semble être le même moment qui contient tout et est toujours nouveau, une infinité qui nous paraît être le même point sans étendue qui contient et imprègne tout. Des termes aussi violemment contradictoires, qui expriment néanmoins avec précision quelque chose que nous percevons, indiquent en outre que le mental et le langage ont dépassé leurs limites naturelles et s'efforcent d'exprimer une Réalité où leurs propres conventions et leurs nécessaires oppositions disparaissent dans une ineffable identité.
Mais cette analyse est-elle juste ? Si l'Espace et le Temps disparaissent ainsi, ne serait-ce pas plutôt, tout simplement, parce que l'existence envisagée est une fiction de l'intellect, un fantastique Néant créé par la
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parole et dont nous. nous efforçons de faire une réalité conceptuelle? Nous tournons à nouveau nos regards vers cette Existence en soi, et nous disons : non. Il y a, derrière le phénomène, quelque chose qui n'est pas seulement infini mais indéfinissable. D'aucun phénomène, d'aucune totalité de phénomènes, nous ne pouvons dire de façon absolue : cela est. Même si nous réduisons tous les phénomènes à un seul phénomène fondamental, universel et irréductible de mouvement ou d'énergie, nous n'obtenons qu'un phénomène indéfinissable. La conception même du mouvement porte en soi la potentialité du repos et se révèle être l'activité d'une certaine existence; l'idée même d'énergie en action porte en soi l'idée d'une énergie se retenant d'agir; or une énergie absolue qui n'est pas en action est, purement et simplement, une existence absolue. Nous n'avons pas d'autre alternative : ou bien une pure existence indéfinissable ou bien une indéfinissable énergie en action, et, si cette dernière seule est vraie, si cette énergie n'a aucune base stable ni aucune cause, c'est qu'elle est un résultat et un phénomène engendrés par l'action, par le mouvement qui, seul, existe. Il n'y a donc pas d'Existence, ou il y a le Néant des bouddhistes, et l'existence n'est que l'attribut d'un phénomène éternel, de l'Action, du Karma, du Mouvement. La raison pure affirme que cela laisse insatisfaites ses perceptions, contredit sa vision fondamentale et, par conséquent, ne peut pas être, car cela nous conduit à la dernière marche, à l'arrêt brutal d'une ascension qui laisse tout l'escalier sans support, suspendu dans le Vide.
Si cette Existence indéfinissable, infinie, hors du temps et de l'espace est, elle est nécessairement un pur absolu. On ne peut la réduire à une ou plusieurs quantités, elle ne peut se composer d'aucune qualité ou combinaison de qualités. Elle n'est ni un agrégat de formes, ni un substrat formel de formes. Si toutes les formes, toutes les quantités, toutes les qualités devaient disparaître, elle demeurerait. L'existence sans quantité, sans qualité, sans forme n'est pas seulement concevable, c'est la seule chose que nous puissions concevoir derrière ces phénomènes. Nécessairement, lorsque nous disons qu'elle existe sans eux, nous voulons dire qu'elle les dépasse, que c'est quelque chose en quoi ils pénètrent de telle façon qu'ils cessent d'être ce que nous appelons forme, qualité, quantité, et hors de quoi ils émergent comme forme, qualité et quantité dans le mouvement. Ils ne disparaissent pas dans une forme unique, une qualité unique, une quantité unique qui serait la base de tout le reste — car il n'existe rien de tel —, mais en quelque
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chose qu'aucun de ces termes ne peut définir. Ainsi, toutes les choses qui sont des conditions et des apparences du mouvement, passent en Cela d'où elles sont venues, et là, pour autant qu'elles y existent, deviennent quelque chose que ne peuvent plus décrire les termes qui leur conviennent dans le mouvement. Nous disons donc que la pure existence est un Absolu que notre pensée ne peut connaître en soi, bien que nous puissions y revenir en une suprême identité qui transcende les termes de la connaissance. Le mouvement, au contraire, est le domaine du relatif et, cependant, de par la définition même du relatif, toutes choses dans le mouvement contiennent l'Absolu, sont contenues dans l'Absolu, sont l'Absolu. La relation entre les phénomènes de la Nature et l'éther fondamental qui est contenu en eux, qui les constitue, les contient et qui est pourtant si différent d'eux qu'en y pénétrant ils cessent d'être ce qu'ils sont, constitue, selon le Védânta, l'image la plus représentative de cette identité .dans la différence qui existe entre l'Absolu et le relatif.
Quand nous parlons de choses qui retournent à leur origine, nous utilisons nécessairement le langage de notre conscience temporelle et devons nous garder de ses illusions. L'émergence du mouvement hors de l'Immuable est un phénomène éternel, et c'est uniquement parce que nous ne pouvons le concevoir dans ce moment sans commencement, sans fin et toujours nouveau qu'est l'éternité de l'Intemporel, que nos notions et nos perceptions sont obligées de le situer dans une éternité temporelle de durées successives à laquelle s'attache l'idée de l'éternelle récurrence d'un commencement, d'un milieu et d'une fin.
Cependant, on peut dire que tout cela n'est valable qu'aussi longtemps que nous acceptons les concepts de la raison pure et y demeurons soumis. Or, les concepts de la raison n'ont pas force de loi. Nous devons juger l'existence non d'après ce que nous concevons mentalement, mais d'après ce que nous voyons exister. Or la forme la plus pure, la plus libre que revêt notre perception intime de l'existence, ne nous révèle que mouvement. Seules deux choses existent : le mouvement dans l'Espace et le mouvement dans le Temps. Le premier est objectif, le second, subjectif. L'extension est réelle, la durée est réelle, l'Espace et le Temps sont réels. Même si nous parvenons à passer au-delà de l'extension dans l'Espace et à la percevoir comme un phénomène psychologique, comme une tentative du mental pour mettre l'existence à sa portée en distribuant le tout indivisible en un Espace conceptuel, nous ne
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pouvons passer au-delà du mouvement de .succession et de changement temporels. Car c'est la substance même de notre conscience. Comme nous-mêmes, le monde est un mouvement qui progresse et s'accroît sans cesse en intégrant toutes les successions du passé dans un présent qui se représente à nous comme le commencement de toutes les successions à venir — un commencement, un présent qui nous échappe toujours parce qu'il n'existe pas, ayant péri avant que de naître. Ce qui est, c'est l'éternelle et indivisible succession du Temps emportant dans son flux un mouvement progressif de conscience également indivisible.¹ Ainsi, la durée, mouvement et changement éternellement successifs dans le Temps, est-elle le seul absolu. Le devenir seul est l'être.
En réalité, cette opposition entre la perception intime et concrète de l'être et les fictions conceptuelles de la Raison pure est fallacieuse. À dire vrai, si l'intuition, en ce domaine, contredisait réellement l'intelligence, nous ne pourrions soutenir avec assurance un simple raisonnement conceptuel contre une perception intime fondamentale. Mais ce recours à l'expérience intuitive est incomplet. Celle-ci n'est valable que dans la mesure où elle progresse, et se fourvoie lorsqu'elle s'arrête au seuil de l'expérience intégrale. Tant que l'intuition se fixe seulement sur ce que nous devenons, nous nous voyons comme une continuelle progression de mouvement et de changement de conscience dans l'éternelle succession du Temps. Nous sommes le fleuve, la flamme de l'image bouddhique. Mais il y a une suprême expérience et une suprême intuition par lesquelles nous passons derrière notre moi de surface et découvrons que ce devenir, ce changement, cette succession ne sont qu'un mode de notre être et qu'il y a quelque chose en nous qui n'est nullement impliqué dans le devenir. Non seulement nous pouvons avoir l'intuition de ce qui est stable et éternel en nous, non seulement nous pouvons en avoir un aperçu par une expérience derrière le voile des devenirs au flux incessant, mais nous pouvons nous y retirer et y vivre entièrement, effectuant ainsi un changement complet dans notre vie extérieure, dans notre attitude et notre action sur le mouvement du monde. Et cette stabilité en laquelle nous pouvons vivre ainsi, est
¹Indivisible dans la totalité du mouvement. On peut considérer chaque moment du Temps ou de la Conscience comme distinct du moment précédent ou du moment suivant, chaque action successive de l'Énergie comme un nouveau quantum ou une nouvelle création; mais cela n'abolit pas la continuité, sans laquelle le Temps n'aurait pas de durée ni la conscience de cohérence. Les pas d'un homme qui marche ou court ou saute sont distincts, mais il y a quelque chose qui s'en saisit et rend le mouvement continu.
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précisément celle que la Raison pure nous a déjà donnée, bien que l'on puisse y atteindre sans aucun raisonnement, sans savoir au préalable ce qu'elle est — elle est pure existence, éternelle, infinie, indéfinissable, non affectée par la succession du Temps, non impliquée dans l'expansion de l'Espace, par-delà la forme, la quantité, la qualité. Moi unique et absolu.
Le pur existant est donc un fait, et pas simplement un concept ; il est la réalité fondamentale. Mais hâtons-nous d'ajouter que le mouvement, l'énergie, le devenir sont aussi un fait, une réalité. L'intuition suprême et l'expérience qui y correspond peuvent corriger l'autre réalité, peuvent la dépasser, ou la suspendre, mais non point l'abolir. Nous avons par conséquent deux faits fondamentaux : la pure existence et l'existence cosmique, un fait d'Être, un fait de Devenir. Nier l'un ou l'autre est facile ; reconnaître les faits de la conscience et découvrir ce qui les relie est la sagesse véritable et féconde.
La stabilité et le mouvement, ne l'oublions pas, ne sont que nos représentations psychologiques de l'Absolu, de même que l'unité et la multitude. L'Absolu est par-delà la stabilité et le mouvement, comme il est par-delà l'unité et la multiplicité. Mais il prend son assise éternelle en l'un et le stable, et tourbillonne autour de lui-même infiniment, inconcevablement, fermement établi dans le mouvant et le multiple. L'existence cosmique est la danse extatique de Shiva qui multiplie innombrablement le corps du Dieu rendu visible : elle laisse cette pure existence précisément là où elle était et telle qu'elle était, est et sera toujours; son seul objet absolu est la joie de la danse.
Mais comme il nous est impossible de décrire ou de nous faire une idée de l'absolu en soi, par-delà la stabilité et le mouvement, par-delà l'unité et la multitude — et ce n'est pas non plus notre affaire —, il nous faut accepter le double fait, admettre et Shiva et Kâlî et chercher à savoir ce qu'est cet incommensurable Mouvement dans l'Espace et le Temps par rapport à cette pure Existence hors du Temps et de l'Espace, une et stable, à laquelle ne peuvent s'appliquer ni la mesure ni l'absence de mesure. Nous avons vu ce que la Raison pure, l'intuition et l'expérience ont à dire de la pure Existence, de Sat; mais qu'ont-elles à dire de la Force, du Mouvement, de la Shakti ?
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La première question que nous devons nous poser est donc la suivante : cette Force est-elle simplement force, simplement une énergie inintelligente de mouvement, ou bien la conscience qui semble en émerger dans ce monde matériel où nous vivons est-elle, non pas simplement l'un de ses résultats phénoménaux, mais plutôt sa vraie nature secrète? En termes védântiques, la Force est-elle simplement Prakriti, seulement le mouvement d'une action et d'un processus, ou la Prakriti est-elle réellement un pouvoir de Chit, en sa force naturelle de conscience-de-soi créatrice? Tout le reste dépend de ce problème essentiel.
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Ils contemplèrent la force en soi de l'Être divin cachée profondément par ses propres modes conscients d'action.
Shvetâshvatara Upanishad. I. 3.
C'est lui qui veille en ceux qui dorment.
Katha Upanishad. II. 2. 8.
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Toute existence phénoménale se réduit à une Force, à un mouvement d'énergie qui revêt des formes plus ou moins matérielles, plus ou moins grossières ou subtiles, pour se représenter à sa propre expérience. Jadis, la pensée humaine recourait à certaines images, pour essayer de comprendre et de percevoir la réalité de cette origine et de cette loi d'être. Elle se représentait cette existence infinie de la Force comme un océan, initialement au repos et donc privé de formes ; mais la première perturbation, la première ébauche de mouvement nécessite la création de formes, et c'est la ; semence d'un univers.
La Matière est la représentation de la force que peut le plus facilement comprendre notre intelligence modelée par les contacts dans la Matière auxquels répond un mental involué dans le cerveau matériel. Selon les physiciens de l'Inde antique, l'état élémentaire de la Force matérielle est une condition de pure extension matérielle dans l'Espace, dont la propriété particulière est la vibration que figure pour nous le phénomène du son. Mais dans cet état éthéré, la vibration ne suffit pas pour créer des formes. Il doit d'abord y avoir quelque obstruction dans le flot de cet océan de Force, une contraction et une expansion, un jeu de vibrations, une collision de forces afin de créer de premières relations fixes et des effets mutuels. La Force matérielle modifiant son état initial, celui d'éther, en revêt un second, appelé aérien dans le langage d'antan, et dont la propriété spécifique est de permettre le contact entre les forces, contact qui est la base de toutes les relations matérielles. Cependant, ce ne sont pas encore des formes réelles, mais seulement des forces variables. Un principe sustentateur est nécessaire. Ce principe est fourni par une troisième modification de la Force primitive, dont le principe de la lumière, de l'électricité, du feu et de la chaleur est pour nous la manifestation caractéristique. Même alors, certains types de force peuvent préserver leur caractère et leur action propres, mais il n'existe pas encore de formes stables de la Matière. Un quatrième état, caractérisé par la diffusion et par un premier milieu
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d'attraction et de répulsion permanentes, appelé de façon imagée eau, ou état liquide, et un cinquième état, de cohésion, nommé terre, ou état solide, complètent les éléments nécessaires.
Toutes les formes de Matière dont nous sommes conscients, toutes les choses physiques, et jusqu'aux plus subtiles, proviennent de la combinaison de ces cinq éléments. Toute notre expérience sensible repose également sur eux; car de la réception des vibrations provient le sens du son ; du contact des choses dans un monde de vibrations de Force, provient le sens du toucher; de l'action de la lumière dans les formes couvées, délimitées, soutenues par la force de la lumière, du feu et de la chaleur, provient le sens de la vue; du quatrième élément, le sens du goût; du cinquième, le sens de l'odorat. Tout ce qui existe, est essentiellement une réaction aux contacts vibratoires entre forces. Ainsi, les penseurs d'autrefois ont-ils jeté un pont sur l'abîme qui sépare la Force pure de ses modifications finales, et résolu la difficulté qui empêche le mental humain ordinaire de comprendre comment toutes ces formes qui, pour les sens, sont si réelles, solides et durables, peuvent n'être en fait que des phénomènes temporaires, et comment une chose telle que l'énergie pure, qui pour les sens est non existante, intangible et presque inconcevable, peut être l'unique réalité cosmique permanente.
Cette théorie ne résout pas le problème de la conscience, car elle n'explique pas comment le contact de vibrations de Force en vient à susciter des sensations conscientes. C'est pourquoi les penseurs sânkhyens, esprits analytiques, supposèrent l'existence de deux principes supportant ces cinq éléments; en réalité, ces principes, qu'ils appelèrent mahat et ahamkâra, ne sont pas matériels ; car le premier n'est rien d'autre que le vaste principe cosmique de la Force, et l'autre le principe de division qui préside à la formation de l'Ego. Néanmoins, ces deux principes, de même que celui de l'intelligence, deviennent actifs dans la conscience non par la vertu de la Force elle-même, mais par celle d'une Âme-Consciente inactive, ou de multiples âmes en lesquelles les activités de la Force se reflètent et, par cette réflexion, prennent la coloration de la conscience.
Telle est l'explication des choses offerte par l'école de philosophie indienne qui se rapproche le plus des idées matérialistes modernes; elle impliquait l'idée d'une Force mécanique ou inconsciente dans la Nature, pour autant que. ce fût possible à un mental indien sérieux
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dans sa réflexion; Quels -qu'en fussent les défauts, l'idée centrale était si indiscutable que l'on finit généralement par l'accepter. De quelque façon que l'on explique le phénomène de la conscience, que la Nature soit une impulsion inerte ou un principe conscient, elle est certainement Force; le principe des choses est un mouvement d'énergies, un mouvement formateur : toutes ces formes naissent de la rencontre et de l'adaptation mutuelle de forces amorphes; toute sensation, toute action est une réaction de quelque chose, d'une forme de la Force, aux contacts d'autres formes de la Force. Tel est le monde dont nous faisons l'expérience, et nous devons toujours partir de cette expérience.
L'analyse physique de la Matière par la science moderne est arrivée à la même conclusion générale, même s'il subsiste encore quelques doutes. L'intuition et l'expérience confirment cet accord entre la science et la philosophie. La raison pure y trouve la satisfaction de ses propres concepts fondamentaux. Car même si l'on conçoit que le monde est essentiellement un acte de conscience, l'acte même qui se trouve impliqué, implique également un mouvement de la Force, un jeu de l'Énergie. Lorsque nous l'examinons au cœur de notre propre expérience, cela aussi nous apparaît comme la nature fondamentale du monde. Toutes nos activités sont le jeu de la triple force des anciennes philosophies ; connaissance-force, désir-force, action-force, qui se révèlent être en réalité trois courants d'un seul Pouvoir originel et identique, Âdyâ Shakti. Nos états de repos ne sont eux-mêmes que l'état d'égalité ou l'équilibre du jeu de son mouvement.
Une fois admis le fait que la nature entière du Cosmos est un mouvement de la Force, deux questions se posent. D'abord, comment ce mouvement a-t-il seulement pu se produire au sein de l'existence? Si nous supposons qu'il est non seulement éternel, mais qu'il constitue l'essence même de toute existence, la question ne se pose pas. Mais nous avons réfuté cette théorie. Nous sommes conscients d'une existence qui n'est pas soumise au mouvement. Comment donc ce mouvement étranger à son repos éternel peut-il s'y produire ? Par quelle cause ? quelle possibilité ? quelle mystérieuse impulsion ?
La réponse privilégiée par l'ancienne mentalité indienne, était que la Force est inhérente à l'Existence. Shiva et Kâlî, le Brahman et la Shakti sont un et non pas deux. On ne peut les séparer. La Force inhérente à
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l'existence peut être au repos ou en mouvement, mais lorsqu'elle est au repos, elle n'en existe pas moins, elle n'est pas abolie, diminuée, et son essence n'est aucunement altérée. Cette réponse est si entièrement rationnelle et si conforme à la nature des choses que nous pouvons l'accepter sans hésiter. En effet, il est impossible, car cela contredit la raison, de supposer que la Force est étrangère à l'existence une et infinie, et qu'elle y est entrée du dehors ou n'existait pas auparavant et y est apparue à un certain moment du Temps. Même la théorie illusionniste doit admettre que la Maya, le pouvoir d'auto-illusion du Brahman, est éternelle en puissance dans l'Être éternel, et la seule question concerne donc sa manifestation ou sa non-manifestation. Le Sânkhya affirme lui aussi la coexistence éternelle de la Prakriti et du Purusha, de la Nature et de l'Âme-Consciente, et les états alternatifs de repos ou d'équilibre de la Prakriti, et de mouvement ou de perturbation de l'équilibre.
Mais puisque la Force est ainsi inhérente à l'existence et qu'elle a, de par sa nature même, cette double potentialité, cette alternance de repos et de mouvement — autrement dit, qu'elle peut être une Force qui se concentre ou une Force qui se diffuse —, la question de savoir comment se produit ce mouvement, quelle est sa possibilité, son impulsion première ou sa cause motrice ne se pose pas. Car alors nous pouvons facilement concevoir que cette potentialité doive se traduire, soit par un rythme alternatif de repos et de mouvement se succédant dans le Temps, soit par une éternelle auto-concentration de la Force en l'existence immuable avec un jeu superficiel de mouvement, de changement et de formation, comme les vagues s'élèvent et retombent à la surface de l'océan. Et ce jeu superficiel — nous employons fatalement des images inadéquates — peut coexister avec l'auto-concentration et être lui-même éternel, ou bien il peut commencer et finir dans le Temps, et recommencer de nouveau, en une sorte de rythme constant ; il est alors éternel, non dans sa continuité, mais dans sa récurrence.
Le problème du comment ainsi éliminé, se pose la question du pourquoi. Pourquoi cette possibilité d'un jeu du mouvement de la Force devrait-elle même se traduire ? Pourquoi la Force de l'existence ne resterait-elle pas éternellement concentrée en elle-même, infinie, libre de toute variation et de toute formation ? Cette question non plus ne se pose pas si nous supposons que l'Existence n'est pas consciente et que la conscience n'est qu'un développement de l'énergie matérielle qu'à
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tort nous supposons immatérielle. Car alors, nous pouvons simplement dire que ce rythme est la nature de la Force dans l'existence et qu'il n'y a absolument aucune raison de chercher un pourquoi, une cause, un mobile initial ou un dessein ultime pour ce qui, par nature, existe éternellement en soi. Nous ne pouvons poser cette question à l'éternelle existence en soi et lui demander pourquoi elle existe ou comment elle est venue à l'existence ; nous ne pouvons pas non plus la poser à la force en soi de l'existence et à sa nature inhérente qui l'incite à se mouvoir. Tout ce que nous pouvons chercher à connaître, c'est son mode de manifestation, ses principes de mouvement et de formation, son processus évolutif. L'Existence et la Force étant toutes deux inertes — état inerte et impulsion inerte —, toutes deux inconscientes et inintelligentes, il ne peut y avoir aucun dessein, aucun but final dans l'évolution, ni aucune cause, aucune intention originelle.
Mais si nous supposons ou découvrons que l'Existence est l'Être conscient, alors le problème se pose. Certes, nous pouvons imaginer un Être conscient soumis à sa nature de Force et qui, subissant sa loi, n'ait pas la possibilité de choisir s'il se manifestera dans l'univers ou demeurera non manifesté. Tel est le dieu cosmique des tantriques et des mâyâvâdîns, qui est soumis à la Shakti ou à la Maya — Purusha involué en la Maya ou gouverné par la Shakti. Mais il est évident qu'un tel dieu n'est pas la suprême Existence infinie que nous avions conçue au départ. Il nous faut reconnaître que c'est simplement, dans le cosmos, une formulation du Brahman par le Brahman qui est lui-même logiquement antérieur à la Shakti ou à la Maya et la reprend en son être transcendantal lorsqu'elle met fin à son action. Dans une existence consciente qui est absolue, indépendante de ses formations et non déterminée par ses œuvres, nous devons supposer une liberté inhérente de manifester ou de ne pas manifester la potentialité de mouvement. Un Brahman contraint par la Prakriti n'est pas un Brahman, mais un Infini inerte dont le contenu actif est plus puissant que le contenant, possesseur conscient d'une Force qui serait son maître. Si nous disons qu'il est contraint par lui-même en tant que Force, par sa propre nature, nous ne nous débarrassons pas de la contradiction, du subterfuge de notre premier postulat. Nous sommes revenus à une Existence qui, en réalité, n'est que Force, Force au repos ou en mouvement, Force absolue peut-être, mais non point Être absolu.
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II est donc nécessaire d'examiner le rapport entre la Force et la Conscience. Mais qu'entendons-nous par ce dernier terme ? La première idée qui s'impose généralement à nous, est celle d'une conscience mentale éveillée, comme celle que possède l'être humain durant la majeure partie de son existence corporelle, lorsqu'il n'est pas endormi, stupéfié, ou privé de ses modes physiques et superficiels de sensation. En ce sens, il est clair que la conscience est l'exception et non la règle dans l'ordre de l'univers matériel. Nous-mêmes ne la possédons pas toujours. Cette conception de la nature de la conscience, fort commune et superficielle, fausse encore notre pensée et nos associations d'idées habituelles; mais elle doit maintenant disparaître définitivement de la pensée philosophique, car nous savons qu'il y a quelque chose en nous qui demeure conscient lorsque nous dormons, lorsque nous sommes stupéfiés, drogués ou évanouis, dans tous les états apparemment inconscients de notre être physique. Nous avons même aujourd'hui la certitude que les penseurs de l'antiquité avaient raison d'affirmer que notre conscience " éveillée " n'est en fait qu'une petite fraction de notre être conscient intégral. C'est une superficie, ce n'est même pas notre mentalité tout entière. Elle cache un mental subliminal ou subconscient beaucoup plus vaste, qui représente la plus grande partie de notre être et contient des sommets et des profondeurs que nul homme n'a encore mesurés ni sondés. Cette connaissance nous servira de base pour établir une science véritable de la Force et de ses opérations, et nous affranchira définitivement des limites du matériel et de l'illusion de l'évident. "
Le matérialisme affirme en fait que la conscience, si vaste soit-elle, est un phénomène matériel indissociable de nos organes physiques, qu'elle n'utilise pas, mais dont elle est le résultat. Cependant, cet argument traditionnel est en train de céder devant la marée montante de la connaissance. Ses explications deviennent de plus en plus inadéquates et forcées. Il apparaît de plus en plus clairement que non seulement la capacité de notre conscience totale dépasse de beaucoup celle de nos organes — les sens, les nerfs, le cerveau —, mais que ces organes, même pour notre pensée et notre conscience ordinaires, ne sont que des instruments habituels. Ils n'en sont pas l'origine. La conscience utilise le cerveau que ses efforts pour s'élever ont engendré, ce n'est pas le cerveau qui a engendré et qui utilise la conscience. Certains cas anormaux tendraient même à prouver que nos organes ne sont pas des instruments vraiment indispensables — que les battements du cœur ne sont pas
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absolument essentiels à là vie, pas plus que la respiration, et que les cellules cérébrales organisées ne sont pas non plus indispensables à la pensée. Notre organisme physique n'est pas plus la cause ou l'explication de la pensée et de la conscience que la construction d'une machine n'est la cause ou l'explication de la puissance motrice de la vapeur ou de l'électricité. C''est -là force qui précède, et non l'instrument physique.
Les conséquences logiques qui en résultent sont d'une importance capitale. Tout d'abord, puisqu'une conscience mentale se trouve même dans ce qui, pour nous, est un état inanimé ou inerte, nous pouvons nous demander s'il n'est pas possible qu'un mental universel subconscient soit présent dans les objets matériels eux-mêmes, bien que, faute d'organes, il soit incapable d'agir ou d'entrer en communication avec la surface. L'état matériel est-il privé de toute conscience, ou n'est-il pas plutôt un simple sommeil de la conscience, même si, du point de vue de l'évolution, il paraît être un sommeil originel et non point intermédiaire ? Et par sommeil, comme l'exemple humain nous l'enseigne, nous entendons, non pas une suspension de la conscience, mais un recueillement intérieur, détaché des réactions physiques conscientes aux impacts des choses extérieures. Et n'est-ce pas l'état de toute existence qui n'a pas encore développé des moyens de communication externe avec le monde physique extérieur ? N'y a-t-il pas une Âme consciente, un Purusha qui veille à jamais, même en tout ce qui dort ?
Nous pouvons aller plus loin. Lorsque nous parlons de mental subconscient, il faut entendre par ces termes un mental qui ne diffère pas de la mentalité extérieure, mais qui, sans que l'homme éveillé en soit conscient, agit simplement sous la surface, dans le même sens, mais avec peut-être une plus grande pénétration et une plus vaste portée. Mais les phénomènes du moi subliminal dépassent de beaucoup les limites d'une telle définition. Ils impliquent une action dont le pouvoir est très largement supérieur, et dont la nature est, en outre, tout à fait différente de la mentalité telle que la perçoit notre moi à l'état de veille. L'existence de ce subconscient nous permet donc de supposer l'existence en nous d'un supraconscient, d'une gamme de facultés conscientes — et donc d'une organisation de la conscience — qui s'élèvent bien au-dessus de la strate psychologique que nous appelons mentalité. Et puisque le moi subliminal en nous s'élève ainsi jusqu'à la supraconscience au-delà de la mentalité, ne peut-il également plonger dans la subconscience en
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deçà? N'y a-t-il pas, en nous et dans'te'ai0ndë"-'des formes de conscience submentales que nous puissions appeler conscience vitale ou conscience physique ? Si tel est le cas, nous devons supposer que, dans la plante et le métal également, se trouve une force que nous pouvons nommer conscience, bien qu'elle diffère de la mentalité humaine ou animale à laquelle nous avons jusqu'ici réservé le monopole de cette description.
Cela est non seulement probable, mais certain, pour peu que nous considérions les choses objectivement. Il y a en nous une conscience vitale qui agit dans les cellules du corps et les fonctions vitales automatiques, si bien que nous exécutons des mouvements délibérés et obéissons à des attractions et à des répulsions auxquelles notre mental est étranger. Chez les animaux, cette conscience vitale joue un rôle plus important encore. Dans les plantes, elle est intuitivement évidente. Les aspirations et les rétractions de la plante, son plaisir et sa douleur, son sommeil et sa veille et toute cette étrange vie dont un savant indien, par des méthodes rigoureusement scientifiques, a mis la réalité en lumière, sont des mouvements de la conscience, et non pas du mental, apparemment tout au moins. Il y a donc une conscience sub-mentale, vitale, qui a précisément les mêmes réactions initiales que la conscience mentale, mais qui en diffère par la nature de son expérience de soi, tout comme le supraconscient diffère de l'être mental.
Le domaine que nous appelons conscience prend-il fin avec la plante, où nous reconnaissons l'existence d'une vie sub-animale ? Dans ce cas, il nous faudrait supposer qu'il existe une force de vie et de conscience originellement étrangère à la Matière et qui a toutefois pénétré et investi la Matière — venue peut-être d'un autre monde¹? Car autrement, d'où aurait-elle pu venir ? Les penseurs de l'antiquité croyaient en l'existence de ces autres mondes qui soutiennent peut-être la vie et la conscience dans le nôtre, ou même exercent une pression qui les fait émerger, mais ne les créent pas en y pénétrant. Rien ne peut évoluer à partir de la Matière qui n'y soit déjà contenu.
¹Selon une étrange théorie, assez répandue de nos jours, la Vie terrestre n'aurait pas son origine dans un autre monde, mais viendrait d'une autre planète. Pour le penseur, cela n'explique rien. La question fondamentale est en effet de savoir comment la Vie a pu venir dans la Matière et non comment elle pénètre dans la matière d'une certaine planète.
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Mais il n'y a aucune, raison de supposer que l'horizon de la vie et de la conscience se referme brusquement et s'arrête aux apparences purement matérielles. Le développement de la recherche et de la pensée contemporaines semble indiquer quelque obscur commencement de la vie, et peut-être une certaine conscience inerte ou réprimée dans le métal et dans la terre et en d'autres formes "inanimées". Elles suggèrent du moins la présence d'un premier matériau qui, en nous, devient la conscience. Mais si, dans la plante, nous pouvons vaguement reconnaître et concevoir ce que j'ai appelé conscience vitale, il nous est effectivement difficile de comprendre ou d'imaginer la conscience de la Matière, de la forme inerte ; et nous estimons avoir le droit de nier ce que nous avons du mal à comprendre ou à imaginer. Néanmoins, lorsqu'on a pénétré aussi loin dans les profondeurs de la conscience, on ne peut plus croire qu'un tel abîme s'ouvre brusquement dans la Nature. La pensée a le droit de supposer une unité là où cette unité est attestée par toutes les autres catégories de phénomènes, même si dans une seule d'entre elles, elle se trouve, non pas niée, mais simplement plus dissimulée que dans les autres. Et si nous supposons que l'unité n'est pas rompue, il faut en déduire que la conscience existe en toutes les formes de la Force qui est à l'œuvre dans le monde. Même si aucun Purusha conscient ou supraconscient ne demeure en toutes les formes, une force d'être consciente s'y trouve néanmoins, et leurs parties extérieures elles-mêmes l'expriment de façon passive ou manifeste.
Dans une telle conception, le mot conscience change nécessairement de sens. Il n'est plus synonyme de mentalité mais indique une force d'existence consciente-de-soi dont la mentalité est un moyen terme; au-dessous du niveau mental, elle plonge dans les mouvements vitaux et matériels qui, pour nous, sont subconscients; au-dessus, elle s'élève dans le supramental qui est pour nous le supraconscient. Mais en tout, elle est une seule et même chose, organisée différemment. C'est, là encore, la conception indienne de Chit qui, en tant qu'énergie, crée les mondes. Essentiellement, nous arrivons à cette unité que la science matérialiste perçoit depuis l'autre extrémité lorsqu'elle affirme que le Mental ne peut être une force différente de la Matière, mais doit être simplement un développement et un résultat de l'énergie matérielle. La pensée indienne, en ce qu'elle a de plus profond, affirme pour sa part que le Mental et la Matière sont plutôt différents degrés de la même énergie, différentes organisations de l'unique Force consciente de l'Existence.
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Mais de quel droit supposons-nous que la conscience est une description adéquate de cette Force ? Car la conscience implique une certaine intelligence, une intention, une connaissance de soi, même si elles ne revêtent pas les formes auxquelles notre mental est habitué. Et même de ce point de vue, tout supporte, plutôt que contredit, l'idée d'une Force consciente universelle. Chez l'animal, par exemple, nous observons des actes parfaitement délibérés et une connaissance exacte et, en vérité, scientifiquement détaillée, qui dépassent largement les capacités de la mentalité animale. L'homme lui-même ne peut les acquérir que par de longues années d'apprentissage et d'éducation, et même alors, il utilise ces capacités avec une rapidité beaucoup moins sûre. Dans ce fait général, nous sommes en droit de voir la preuve qu'une Force consciente est à l'œuvre dans l'animal et l'insecte, Force plus intelligente, plus délibérée et plus consciente de son intention, de ses fins, de ses moyens, de ses conditions que la mentalité la plus haute qui se soit manifestée à ce jour sur la terre dans une forme individuelle. Et dans toutes les opérations de la Nature inanimée, nous retrouvons la même caractéristique, celle d'une suprême intelligence " cachée dans les modes de son propre fonctionnement ".
Le seul argument qui pourrait contredire l'existence d'une source consciente et intelligente de ce travail délibéré, ce travail d'intelligence, de sélection, d'adaptation et de recherche, est la présence d'un élément largement répandu dans les opérations de la Nature, et que nous nommons gaspillage. Mais c'est bien évidemment une objection fondée sur les limitations de notre intellect humain qui cherche à imposer sa rationalité particulière, suffisante pour des buts humains limités, aux opérations générales de la Force universelle. Nous ne voyons qu'une partie du dessein de la Nature, et appelons gâchis tout ce qui ne lui est pas favorable. Or, même notre action humaine est faite d'un apparent gaspillage, qui semble tel du point de vue individuel et qui sert pourtant fort bien, soyons-en sûrs, le vaste dessein universel. Cette part de son intention que nous pouvons déceler, la Nature l'exécute non sans assurance, malgré son gaspillage apparent, ou peut-être grâce à lui. Nous pouvons bien lui faire confiance pour tout ce que nous n'avons pas encore découvert.
Pour le reste, il est impossible d'ignorer la poussée vers un objectif déterminé, l'orientation de cette tendance apparemment aveugle, l'accomplissement final ou immédiat du but recherché qui caractérisent les
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opérations de la Force universelle dans l'animal, la plante et les choses inanimées. Tant que la Matière était l'alpha et l'oméga de l'esprit scientifique, la réticence à admettre que l'intelligence fût la mère de l'intelligence partait d'un honnête scrupule. Mais aujourd'hui, affirmer l'émergence d'une conscience, d'une intelligence et d'une maîtrise humaines hors d'une inconscience inintelligente qui nous pousse aveuglément et où elles n'auraient eu auparavant ni forme ni substance, n'est plus qu'un paradoxe éculé. La conscience de l'homme ne peut rien être d'autre qu'une forme de la conscience de la Nature. Elle est présente, en d'autres formes involuées au-dessous du Mental, elle émerge dans le Mental, et doit s'élever pour assumer des formes encore supérieures par-delà le Mental. Car la Force qui édifie les mondes est une Force consciente, l'Existence qui se manifeste en eux est un Être conscient, et une parfaite émergence de ses potentialités dans la forme est l'unique objet que nous puissions rationnellement concevoir pour sa manifestation de ce monde de formes.
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Qui pourrait vivre, en effet, ou respirer, s'il n'y avait cette joie d'être comme éther où nous demeurons ?
De la Joie tous ces êtres sont nés, par la Joie Us existent et croissent, à la Joie ils retournent.
Taittirîya Upanishad. II. 7; III. 6.
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Même si nous acceptions cette pure Existence, ce Brahman, ce Sat comme le commencement, la fin et le contenant absolus des choses, et le Brahman comme une conscience de soi inhérente, inséparable de son être et se projetant comme la force d'un mouvement de conscience qui 'crée les forces, les formes et les mondes, nous ne saurions toujours pas " pourquoi le Brahman parfait, absolu, infini, qui n'a besoin de rien et ne désire rien, aurait dû projeter un pouvoir de conscience pour créer en lui-même ces mondes de formes ". Car nous avons écarté la solution selon laquelle sa propre nature, qui est Force, l'obligerait à créer, et obligerait ses potentialités de mouvement et de formation à se projeter dans des formes. Il est vrai qu'il a cette possibilité, mais il n'est pas limité, lié ou contraint par elle; il est libre. Et si, étant libre de se mouvoir ou de demeurer éternellement immobile, de se projeter dans les formes ou de retenir en lui-même la potentialité de la forme, il donne libre cours à son pouvoir de mouvement et de formation, ce ne peut être que pour une seule raison : la joie.
Cette Existence primordiale, ultime et éternelle, dont les Védântins eurent la vision, n'est pas seulement une pure existence, ou une existence consciente dont la conscience serait une force ou un pouvoir à l'état brut; c'est une existence consciente dont l'être et la conscience ont précisément pour terme la béatitude. De même que dans l'existence absolue il ne peut y avoir de néant, de nuit de l'inconscience, ni aucune déficience, autrement dit, aucune défaillance de la Force — car alors elle ne serait pas absolue —, de même il ne peut y avoir aucune souffrance, aucune négation de la félicité. L'absolu de l'existence consciente est une béatitude illimitable de l'existence consciente; ce ne sont là que deux formulations différentes d'une même chose. Tout ce qui est illimitable, toute infinité, tout absolu, est pure félicité. Même notre humanité relative ressent toute insatisfaction comme une limite, comme un obstacle — la satisfaction provient de l'accomplissement de ce qui
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était réprimé, et du fait que l'on dépasse la limite et surmonte l'obstacle. S'il en est ainsi, c'est parce que notre être originel est l'absolu en pleine possession de sa propre conscience et de son propre pouvoir infinis et illimitables; pure possession de soi que nous pourrions aussi bien appeler pure félicité d'être. Et dans la mesure où le relatif touche à cet état, il trouve peu à peu cette satisfaction, touche à la félicité.
Cette félicité que le Brahman trouve en lui-même ne se limite pourtant pas à la calme et immuable possession de son être en soi absolu. Tout comme sa force de conscience peut se projeter infiniment en des formes, avec des variations sans fin, de même sa propre félicité est-elle capable de mouvement, de variation, de jubilation dans ce flux et cette mutabilité infinis de lui-même que représente l'innombrable foisonnement des univers. Le jeu d'expansion ou de création de sa Force a pour objet de libérer ce mouvement et cette variation infinis de sa propre félicité, et d'en jouir.
Autrement dit, ce qui s'est projeté dans les formes est une triple et unique Existence-Conscience-Béatitude, Satchidânanda, dont la conscience est par nature une Force créatrice, ou plutôt une Force qui s'exprime elle-même ; capable de variation infinie dans le phénomène et la forme de son être conscient de soi, elle goûte éternellement le délice de cette variation. Par conséquent, toutes les choses qui existent sont ce qu'elles sont en tant que termes de cette existence, termes de cette force consciente, termes de cette joie d'être. De même que toutes choses nous apparaissent comme des formes muables de l'être unique et immuable, des résultats finis de la force unique et infinie, de même nous découvrirons que toutes choses sont une expression variable de cette joie d'être pure et invariable qui embrasse tout. Dans tout ce qui est, demeure la force consciente, et tout existe, toute chose est ce qu'elle est en vertu de cette force consciente ; et de même, dans tout ce qui est, se trouve la joie d'être, et. tout existe, toute chose est ce qu'elle est en vertu de cette joie.
Cette ancienne théorie védântique de l'origine cosmique se heurte immédiatement à deux puissantes contradictions dans le mental humain : la conscience émotive et sensorielle de la douleur, et le problème éthique du mal. Car, si le monde est une expression de Satchidânanda, non, pas seulement de l'existence qui est force
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consciente — ce que l'on peut en effet admettre sans difficulté —, mais de l'existence qui est aussi joie inhérente et infinie, comment expliquer la présence universelle du chagrin, de la souffrance, de la douleur? Car ce monde nous apparaît plutôt comme un monde de souffrance que comme un monde de la joie d'être. Cette vision du monde est sans doute une exagération, une erreur de perspective. Si nous le considérons objectivement, à seule fin d'en avoir une appréciation juste et détachée, nous verrons que, dans l'existence, la somme de plaisir dépasse de beaucoup la somme de douleur — en dépit des apparences et de certains cas individuels qui semblent prouver le contraire — et que le plaisir de l'existence, actif ou passif, superficiel ou sous-jacent, est l'état naturel normal, et la douleur un événement contraire qui suspend ou recouvre provisoirement cet état normal. Mais pour cette raison même, une petite somme de douleur nous affecte plus intensément et revêt pour nous plus d'importance qu'une grande somme de plaisir; c'est justement parce que celui-ci est normal, que nous ne l'apprécions pas à sa juste valeur, à peine même si nous le remarquons, à moins qu'en s'intensifiant il ne prenne une forme plus vive, ne devienne une vague de bonheur, un sommet de joie ou d'extase. C'est cela que nous nommons félicité, et que nous recherchons, et la satisfaction normale de l'existence, qui est toujours présente, indépendamment de l'événement, de la cause ou de l'objet particuliers, nous la ressentons comme quelque chose de neutre qui n'est ni plaisir ni douleur. Elle est là, et c'est un fait bien réel, car sans elle l'universel et tout-puissant instinct de conservation n'existerait pas; mais ce n'est pas ce que nous recherchons, aussi ne l'inscrivons-nous pas dans le bilan des profits et pertes de nos émotions et sensations. Nous n'y inscrivons que les plaisirs positifs d'une part, et, de l'autre, le malaise et la douleur; la douleur nous affecte plus intensément parce qu'elle est anormale pour notre être, contraire à notre tendance naturelle et que nous la ressentons comme une atteinte à notre existence, une agression, une attaque extérieure contre ce que nous sommes et cherchons à être.
Néanmoins, que la douleur soit anormale, ou que sa somme soit plus ou moins grande, ne change pas le problème philosophique; petite ou grande, sa seule présence constitue tout le problème. Puisque tout est Satchidânanda, comment la douleur et la souffrance peuvent-elles seulement exister ? Telle est la vraie question, qui se trouve souvent encore plus embrouillée par un faux problème provenant de l'idée d'un Dieu personnel extracosmique, et par un problème partiel, la difficulté éthique.
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On peut soutenir que Satchidânanda est Dieu, un Être conscient qui est l'auteur de l'existence. Comment Dieu peut-Il donc avoir créé un monde où Il inflige la souffrance à Ses créatures, sanctionne la douleur et permet le mal ? Dieu étant Toute-Bonté, qui a créé la douleur et le mal ? Si nous disons que la douleur est une épreuve, une ordalie, nous ne résolvons point le problème moral, nous aboutissons à un Dieu immoral ou amoral — un excellent machiniste cosmique, peut-être, un psychologue astucieux, mais non un Dieu du Bien et de l'Amour que nous puissions adorer : simplement un Dieu de Puissance dont nous devons subir la loi ou dont nous pouvons espérer satisfaire le caprice. Car celui qui invente la torture comme examen ou comme épreuve, est coupable soit de cruauté délibérée, soit d'insensibilité morale et, à supposer qu'il soit un être moral, il est inférieur à l'instinct le plus haut de ses propres créatures. Et si pour éluder cette difficulté morale, nous disons que la douleur est le résultat inévitable et le châtiment naturel du mal sur le plan éthique — explication qui ne cadre même pas avec les faits de la vie, à moins que nous n'admettions la théorie du Karma et de la renaissance, selon laquelle l'âme souffre à présent à cause de péchés commis en d'autres corps, avant cette naissance —, la racine même du problème éthique demeure : ce mal moral qui entraîne le châtiment de la douleur et de la souffrance, qui l'a créé ? Ou pourquoi a-t-il été créé ? À partir de quoi ? Et puisque le mal moral est en réalité une forme de maladie mentale ou d'ignorance, qui ou qu'est-ce qui a créé cette loi ou ce lien inévitable qui punit une maladie mentale ou un acte d'ignorance par une répercussion si terrible, par des tortures souvent si extrêmes et monstrueuses ? La loi inexorable du Karma est inconciliable avec une suprême Déité morale et personnelle, et c'est pourquoi le Bouddha, avec sa claire logique, a nié l'existence d'un Dieu personnel libre et gouvernant tout, et affirmé que toute personnalité est une création de l'ignorance, soumise au Karma.
En vérité, la difficulté, présentée de façon aussi tranchée, ne surgit que si nous supposons l'existence d'un Dieu personnel extracosmique, qui ne serait pas Lui-même l'univers, qui aurait créé le bien et le mal, la douleur et la souffrance pour Ses créatures mais qui. Lui, se tiendrait au-dessus sans en être affecté, observant, gouvernant, exerçant Sa volonté sur un monde qui souffre et lutte; ou, s'il ne l'exerce pas, s'il permet que le monde soit mené par une loi inexorable, sans l'aider ou en l'aidant insuffisamment, alors il ne serait pas Dieu, il ne serait pas toute
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puissance, toute bonté et tout amour. Nulle théorie d'un Dieu moral extracosmique ne peut expliquer le mal et la souffrance — la création du mal et de la souffrance —, à moins d'un subterfuge insatisfaisant qui élude la question au lieu d'y répondre, ou d'un manichéisme déclaré ou implicite qui annule en fait le Divin en tentant de justifier ses voies ou d'excuser ses œuvres. Mais un tel Dieu n'est pas le Satchidânanda du Védânta. Le Satchidânanda du Védânta est une existence unique et sans second ; tout ce qui est, est Lui. Dès lors, si le mal et la souffrance existent, c'est Lui qui supporte le mal et la souffrance dans la créature en laquelle Il s'est incarné. Le problème change donc complètement. La question n'est plus de savoir comment Dieu en est arrivé à créer pour Ses créatures une souffrance et un mal dont Il est Lui-même incapable et par conséquent protégé, mais comment l'Existence-Conscience-Béatitude unique et infinie en est venue à admettre en elle-même ce qui n'est pas béatitude, ce qui semble être sa négation absolue.
La moitié de la difficulté morale — cette difficulté sous la seule forme qui ne puisse trouver de réponse — disparaît. Elle ne se présente plus, on ne peut plus la formuler. Être cruel envers les autres, sans en être affecté soi-même, ou même en ne participant pas à leurs souffrances par un repentir ultérieur ou une pitié tardive, est une chose; s'infliger la souffrance à soi-même, alors qu'on est soi-même l'unique existence, est une tout autre chose. La difficulté éthique peut néanmoins ressurgir sous une autre forme. La Toute-Félicité étant fatalement toute bonté et tout "amour, comment le mal et la souffrance peuvent-ils exister en Satchidânanda, puisqu'il n'est pas une existence mécanique, mais un être libre et conscient, libre de condamner et de rejeter le mal et la souffrance ? Il nous faut reconnaître que le problème ainsi formulé est également un faux problème, car il suppose que les termes d'un énoncé partiel peuvent s'appliquer au tout. Les idées de bonté et d'amour que nous introduisons ainsi dans le concept de Toute-Félicité proviennent en effet d'une conception dualiste et séparative des choses, elles reposent entièrement sur les relations de créature à créature, et cependant nous persistons à les appliquer à un problème qui, au contraire, part de l'hypothèse selon laquelle l'Un est tout. Il nous faut d'abord voir comment le problème se présente ou comment on peut le résoudre en sa pureté originelle, sur la base de l'unité dans la différence ; alors seulement pourrons-nous en toute sûreté traiter de ses parties et de ses développements, notamment des relations de créature à créature sur la base de la division et de la dualité.
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Si nous considérons ainsi le tout, saris nous limiter' à; la difficulté humaine et au point de vue humain, il nous faut reconnaître que nous ne vivons pas dans un monde éthique. La tentative que fait la pensée humaine pour imposer une signification éthique à l'ensemble de la Nature est un de ces actes d'égarement volontaire et obstiné, un de ces efforts pathétiques de l'être humain pour se découvrir lui-même, découvrir son moi humain habituel et limité en toutes choses, pour juger celles-ci du point de vue qu'il a personnellement développé et qui l'empêche très efficacement d'arriver à la connaissance réelle et à la vision complète. La Nature matérielle n'est pas éthique ; la loi qui la gouverne est une coordination d'habitudes fixes qui ne connaissent ni bien ni mal, mais seulement la force qui crée, la force qui arrange et préserve, la force qui dérange et détruit impartialement, sans aucune éthique, selon la secrète Volonté en elle et la muette satisfaction de cette Volonté qui se forme et se dissout elle-même. La Nature animale ou vitale est, elle aussi, non éthique, bien qu'en progressant elle manifeste le matériau brut que l'animal supérieur utilise pour développer ses tendances morales. Nous ne blâmons pas le tigre parce qu'il tue et dévore sa proie, pas plus que nous ne blâmons la tempête qui détruit ou le feu qui torture et qui tue ; et la force-consciente dans la tempête, le feu ou le tigre ne se blâme pas non plus, ni ne se condamne. Blâme et condamnation, ou plutôt le blâme et la condamnation de soi, marquent le début de l'éthique véritable. Lorsque nous blâmons autrui sans nous appliquer à nous-mêmes la même loi, nous ne portons pas un vrai jugement éthique, nous ne faisons qu'appliquer le langage que l'éthique a développé pour nous à une impulsion émotive, répulsion ou antipathie pour ce qui nous déplaît ou nous blesse.
Cette répulsion, ou cette antipathie, est l'origine première de l'éthique, mais elle n'a rien d'éthique en soi. La peur qu'éprouve le daim face au tigre, la fureur que la créature forte ressent contre son agresseur, sont des mouvements de répulsion vitale de la joie d'être individuelle devant ce qui la menace. À mesure que le mental évolue, cela prend une forme plus subtile et devient répugnance, antipathie, désapprobation. Cette désapprobation de ce qui nous menace et nous blesse, et cette approbation de ce qui nous flatte et nous satisfait, s'affine encore et conduit à la conception du bien et du mal, qu'il s'agisse de nous-mêmes et de notre communauté, ou bien des autres hommes et des autres communautés, et finalement à l'approbation générale du bien et à la désapprobation générale du mal. Mais c'est toujours le même caractère
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fondamental. L'homme désire exprimer, développer, son moi, autrement dit il veut que le jeu de la force-consciente de l'existence progresse en lui-même; telle est sa joie fondamentale. Pour lui, le mal est tout ce qui porte atteinte à cette expression, à ce développement, à cette satisfaction de son moi qui progresse ; le bien, tout ce qui les aide, les consolide, les élève, les agrandit, les ennoblit. Seulement, sa conception du développement de soi se modifie, devient plus haute et plus vaste, commence à dépasser sa personnalité limitée, à embrasser autrui, à tout embrasser dans son champ.
En d'autres termes, l'éthique est un stade de l'évolution. Ce qui est commun à tous les stades, c'est l'élan de Satchidânanda qui cherche à s'exprimer. Cet élan est d'abord non éthique, puis infra-éthique chez l'animal, puis chez l'animal intelligent il devient même anti-éthique, car il nous permet d'approuver le mal fait à autrui, alors que nous le désapprouvons quand c'est à nous qu'il est infligé. À cet égard, l'homme n'est encore qu'à demi éthique. Et de même que tout ce qui est au-dessous de nous est infra-éthique, de même se peut-il qu'il y ait, au-dessus de nous, quelque chose que nous atteindrons finalement, et qui est supra-éthique, qui n'a pas besoin d'éthique. L'élan et l'attitude éthiques, si essentiels pour l'humanité, sont pour elle un moyen de s'extraire avec effort de l'harmonie et de l'universalité inférieures basées sur l'inconscience et brisées par la Vie en discordes individuelles, pour atteindre à une harmonie et une universalité supérieures basées sur l'unité consciente avec toutes les existences. Quand nous aurons atteint ce but, ce moyen ne sera plus nécessaire, ni même possible, puisque les qualités et les oppositions dont il dépend se dissoudront naturellement et disparaîtront dans la réconciliation finale. .
Par conséquent, si le point de vue éthique ne vaut que pour le passage, temporaire bien qu'essentiel, d'une universalité à une autre, nous ne pouvons y recourir pour résoudre entièrement le problème de l'univers, mais seulement l'admettre comme un élément de cette solution. Agir autrement, c'est courir le risque de falsifier tous les faits de l'univers, tout le sens de l'évolution antérieure et future afin qu'ils s'accordent avec un point de vue temporaire et une conception à demi évoluée de l'utilité des choses. Le monde comporte trois couches, infra-éthique, éthique et supra-éthique. Il nous faut découvrir ce qui est commun aux trois ; c'est en effet la seule façon de résoudre le problème.
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Ce qui leur est commun, c'est, nous l'avons vu, la satisfaction de la force-consciente de l'existence qui se développe dans des formes et, dans ce développement, recherche son délice. C'est de cette satisfaction, de ce délice de l'existence en soi, qu'elle est évidemment issue; car c'est cela. qui est normal pour elle, cela à quoi elle s'accroche, cela qu'elle a pris pour base; mais elle cherche de nouvelles formes d'elle-même, et, au cours du passage aux formes supérieures, intervient le phénomène de la douleur et de la souffrance qui semble contredire la nature profonde de son être. Tel est le vrai, le seul problème fondamental.
Gomment le résoudre ? Dirons-nous que Satchidânanda n'est pas le commencement et la fin des choses, mais que le commencement et la fin sont le Néant, un vide impartial, qui lui-même n'est rien mais contient toutes les potentialités d'existence ou de non-existence, de conscience ou de non-conscience, de délice ou de non-délice ? Libre à nous d'accepter cette réponse; mais bien que nous cherchions ainsi à tout expliquer, nous n'avons, en fait, rien expliqué du tout, nous n'avons fait que tout amalgamer. Un Rien contenant toutes les potentialités est une contradiction absolue, dans les termes comme dans les faits : cela revient à expliquer une contradiction mineure par une contradiction majeure, en poussant à l'extrême le principe de non-contradiction. Le Néant est le vide, où il ne peut y avoir de potentialités; un indéterminé impartial de toutes les potentialités est le Chaos, et tout ce que nous avons fait, c'est de mettre le Chaos dans le Vide sans expliquer comment il est arrivée là. Retournons, par conséquent, à notre conception originelle de Satchidânanda et voyons si, sur cette base, une solution plus complète s'avère possible.
D'abord, il nous faut bien comprendre une chose : lorsque nous parlons de conscience universelle, nous entendons par là quelque chose de différent de la conscience mentale éveillée de l'être humain, de plus fondamental et de plus vaste; de même, lorsque nous parlons d'une joie d'être universelle, nous entendons par là quelque chose de différent, de plus fondamental et de plus vaste que le plaisir ordinaire des émotions et des sensations de la créature humaine individuelle. Plaisir, joie et félicité, au sens humain ordinaire, sont des mouvements limités et occasionnels qui dépendent de certaines causes habituelles ; et comme leurs opposés, la douleur et le chagrin, qui sont également des mouvements limités et occasionnels, ils émergent d'un arrière-plan
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autre qu'eux-mêmes. La joie d'être est universelle, illimitable, elle existe en soi et ne dépend pas de causes particulières; elle est l'arrière-plan de tous les arrière-plans, c'est d'elle que naissent le plaisir et la douleur et d'autres expériences plus neutres. Lorsque la joie d'être cherche à se réaliser comme joie du devenir, elle se meut dans le mouvement de la force et prend elle-même différentes formes de mouvement dont le plaisir et la douleur sont des courants positif et négatif. Subconsciente dans la Matière, supraconsciente au-delà du Mental, cette joie cherche dans le Mental et la Vie à se réaliser en émergeant dans le devenir, dans un mouvement toujours plus conscient de lui-même. Ses premiers phénomènes sont duels et impurs et se meuvent entre les pôles du plaisir et de la douleur ; mais elle cherche à se révéler à elle-même dans la pureté d'une suprême félicité d'être existante en soi et indépendante des objets et des causes. Tout comme il tend vers la réalisation de l'existence universelle dans l'individu et de la conscience qui, sous la forme du corps et du mental, dépasse la forme, Satchidânanda tend également vers la réalisation d'une joie universelle, existant en soi et sans objet, dans le flux des expériences et des objets particuliers. Ces objets, nous les recherchons actuellement comme causes stimulantes d'un plaisir et d'une satisfaction transitoires; quand nous serons libres et en pleine possession de notre moi, nous ne les chercherons plus mais les posséderons comme réflecteurs, plutôt que comme causes, d'un plaisir qui existe éternellement.
Chez l'être humain égoïste, la personne mentale qui émerge de son obscure coquille de matière, la joie d'être est neutre, à demi latente, encore dans l'ombre du subconscient; ce n'est guère plus qu'un sol fertile caché, que le désir recouvre de ce foisonnement d'herbes vénéneuses et de fleurs à peine moins empoisonnées que sont les douleurs et les plaisirs de notre existence égoïste. Lorsque la force-consciente divine qui œuvre secrètement en nous aura dévoré ces pousses de désir, lorsque, selon l'image du Rig-Véda, le Flamme divine aura consumé les sarments de la terre, alors ce qui est caché à la racine de ces douleurs et de ces plaisirs, leur cause et leur être secret, la sève du délice en eux, verra le jour sous des formes nouvelles, non plus des formes du désir, mais d'une satisfaction intrinsèque qui remplacera le plaisir mortel par l'extase de l'Immortel. Et cette transformation est possible parce que ces pousses de sensation et d'émotion, les douleurs non moins que les plaisirs, sont essentiellement cette joie d'être qu'elles recherchent mais ne parviennent pas à révéler — échec qui est dû à la division, à l'ignorance de soi et à l'égoïsme.
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Le nom de Cela est félicité; en tant que félicité nous devons L'adorer et Le rechercher.
Kéna Upanishad. IV, 6.
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Cette conception d'une joie d'être fondamentale et inaliénable dont toutes les sensations extérieures ou superficielles sont un jeu positif, négatif ou neutre, écume ou vagues de cette profondeur infinie, nous amène à la vraie solution du problème qui nous occupe. Le moi des choses est une existence infinie et indivisible; la nature essentielle, le pouvoir essentiel de cette existence est la force infinie, impérissable, d'un être conscient de soi; et la nature essentielle, l'essentielle connaissance de soi de cette conscience de soi est également une joie d'être infinie et inaliénable. Dans le sans-forme et dans toutes les formes, dans l'éternelle conscience de l'être infini et indivisible et dans les apparences multiformes de la division finie, cette existence en soi préserve perpétuellement sa joie intrinsèque. De même que, dans l'apparente inconscience de la Matière, notre âme croît et s'affranchit de ses propres habitudes superficielles et de son propre mode d'existence consciente de soi pour découvrir cette infinie Force-Consciente, constante, immobile, enveloppante, de même, dans l'apparente nonsensation de la Matière, elle finit par découvrir, par s'accorder à une Félicité consciente et infinie, imperturbable, extatique, embrassant tout. Cette félicité est sa propre félicité, ce moi est son propre moi en tout ; mais pour notre vision ordinaire du moi et des choses, qui ne s'éveille et ne se meut qu'à la surface, cette félicité demeure cachée, enfouie dans les profondeurs, subconsciente. Et de même qu'elle existe en toute forme, elle existe aussi en toute expérience, qu'elle soit agréable, douloureuse ou neutre. Là aussi, cachée dans les profondeurs, subconsciente, c'est elle qui permet aux choses d'exister, et les y contraint. C'est la raison de cet attachement à la vie, cette toute-puissante volonté d'être, traduite vitalement par l'instinct de conservation, physiquement par le caractère impérissable de la matière, mentalement par le sens de l'immortalité qui accompagne
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l'existence dans la forme à travers toutes les phases de son développement ; même l'élan occasionnel d'autodestruction n'en est que l'envers, c'est une attirance pour un autre état d'être et, par conséquent, un recul devant l'état d'être présent. La Joie est l'existence, la Joie est le secret de la création, la Joie est la racine de la naissance, la Joie est ce pour quoi nous demeurons en vie, la Joie est la fin de la naissance et ce en quoi cesse la création. " De l'Ananda, dit l'Upanishad, toutes les existences naissent, par l'Ananda elles continuent d'être et s'accroissent, à l'Ananda elles retournent. "
Considérant ces trois aspects de l'Être essentiel — un en réalité, tri-un pour notre vision mentale, séparable en apparence seulement — dans les phénomènes de la conscience divisée, nous pouvons mettre à leur juste place les formules divergentes des anciennes philosophies, en sorte que, renonçant à leurs antiques controverses, elles se rejoignent et ne font plus qu'une. Car si nous regardons l'existence du monde en ses seules apparences et en sa seule relation avec l'Existence pure, infinie, indivisible et immuable, nous sommes en droit de la considérer, de la décrire et de la réaliser comme Maya. La Maya, en son sens originel, signifiait une conscience qui inclut et contient, une conscience capable d'embrasser, de mesurer et de limiter et, par conséquent, une conscience formatrice; c'est cela qui dessine, délimite, façonne des formes dans le sans-forme, rend psychologique et semble rendre connaissable l'Inconnaissable, rend géométrique et semble rendre mesurable l'illimité. Par la suite, le mot a perdu son sens originel de connaissance, d'habileté, d'intelligence pour acquérir le sens péjoratif de ruse, de tromperie ou d'illusion, et c'est dans ce sens d'enchantement ou d'illusion qu'il est utilisé dans les systèmes philosophiques.
Le monde est Maya. Le monde n'est pas irréel dans le sens où il n'aurait aucune existence d'aucune sorte; car même s'il n'était qu'un rêve du Moi, il n'en existerait pas moins dans le Moi comme rêve, réel pour le Moi dans le présent, même s'il s'avère finalement irréel. Nous ne devons pas dire non plus que le monde est irréel, dans le sens où il n'aurait aucune existence éternelle; car si des mondes particuliers et des formes particulières peuvent se dissoudre physiquement et retourner mentalement de la conscience de la manifestation à la nonmanifestation, néanmoins la Forme en soi, le Monde en soi ' sont
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éternels. De la non-manifestation ils retournent inévitablement à la manifestation; leur récurrence, sinon leur persistance, est éternelle, une éternelle immutabilité en leur somme et leur fondement, en même temps qu'une éternelle mutabilité en leur aspect et leur apparition. Nous n'avons pas davantage la certitude qu'il y ait jamais eu, ou qu'il existera jamais une période dans le Temps où nulle forme d'univers, nul jeu de l'être puisse se représenter à lui-même en l'éternel Être-Conscient, mais seulement une perception intuitive que le monde que nous connaissons peut émerger, et émerge effectivement de Cela, et y retourne perpétuellement.
Et pourtant, le monde est Maya parce qu'il n'est pas la vérité essentielle de l'existence infinie, mais seulement une création de l'être conscient de soi — non point une création dans le vide, non point une création dans le rien et à partir de rien, mais une création dans la Vérité éternelle et à partir de la Vérité éternelle de cet Être en soi; son contenant, son origine, sa substance sont l'Existence essentielle et réelle, ses formes sont des formations muables de Cela perçues par Sa propre conscience, déterminées pas Sa propre force-consciente créatrice. Elles sont capables de manifestation, capables de non-manifestation, capables de manifestation autre. Par conséquent, nous pouvons, si nous voulons, les appeler illusions de la conscience infinie, projetant ainsi audacieusement une ombre de notre sens mental de l'assujettissement à l'erreur et à l'incapacité sur ce qui, plus grand que le Mental, n'est plus assujetti au mensonge et à l'illusion. Mais voyant que l'essence et la substance de l'Existence ne sont pas un mensonge et que toutes les erreurs et toutes les déformations de notre conscience divisée représentent quelque vérité de l'indivisible Existence consciente de soi, nous pouvons seulement dire que le monde est non pas l'essentielle vérité de Cela, mais la vérité phénoménale de Sa libre multiplicité et de Son infinie mutabilité superficielle, non pas la vérité de Sa fondamentale et immuable Unité.
En revanche, si nous considérons l'existence cosmique seulement par rapport à la seule conscience et à la force de la conscience, nous pouvons la voir, la décrire et la réaliser comme un mouvement de la Force obéissant à quelque volonté secrète ou bien à quelque nécessité que lui impose l'existence même de la Conscience qui la possède ou la regarde. C'est alors le jeu de la Prakriti, la Force exécutrice, pour satisfaire le Purusha, l'Être-Conscient qui regarde et jouit; ou c'est le
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jeu du Purusha, réfléchi dans les mouvements de la Force et s'identifiant avec eux. Le monde est alors le jeu de la Mère des choses qui aspire à Se couler à jamais dans des formes infinies et a soif d'un flot d'expériences qui se déverse éternellement.
Mais si nous regardons l'Existence cosmique plutôt dans sa relation avec la félicité inhérente de l'être existant éternellement, nous pouvons la considérer, la décrire et la réaliser comme Lîlâ, le jeu, la joie de l'enfant, la joie du poète, la joie de l'acteur, la joie de l'artisan qu'éprouve l'Ame de toute chose. Âme éternellement jeune, à jamais inépuisable, se créant et se recréant Elle-même en Elle-même* pour la simple béatitude de cette création de soi, de cette représentation de soi — Elle-même le jeu, le joueur et le terrain de jeu. Ces trois généralisations du jeu de l'existence dans sa relation avec l'éternel et stable, l'immuable Satchidânanda, issues des trois conceptions de Maya, Prakriti et Lîlâ, apparaissent, dans nos systèmes philosophiques, comme des philosophies contradictoires; mais elles sont en réalité parfaitement compatibles, complémentaires et nécessaires en leur totalité à une vision intégrale de la vie et du monde. Le monde, dont nous faisons partie, est en son aspect le plus évident un mouvement de la Force ; mais, lorsque nous en pénétrons les apparences, cette Force s'avère être un rythme constant et néanmoins toujours changeant de conscience créatrice qui fait jaillir, qui projette en elle-même les vérités phénoménales de son être infini et éternel; et en son essence, sa ca"use et son dessein, ce rythme est un jeu de la joie d'être infinie, toujours absorbée en ses innombrables représentations d'elle-même. Cette vision triple ou tri-une doit être le point de départ de toute notre compréhension de l'univers.
Puisque l'éternelle et immuable joie d'être se déversant dans la joie infinie et toujours changeante du devenir est le cœur de tout le problème, il nous faut concevoir un Être conscient, un et indivisible, derrière toutes nos expériences, qui les soutient de son inaliénable félicité, et qui, par son mouvement, produit les variations du plaisir, de la douleur et de l'indifférence neutre dans toutes nos sensations. C'est notre moi réel, et l'être mental soumis à cette triple vibration ne peut être qu'une représentation de ce moi réel, mise en avant pour les besoins de l'expérience sensible des
*En anglais : " Himself in Himself ", " Lui-même en Lui-même ". L'Âme est le Purusha, la Nature est la Prakriti. IN.d.t.)
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choses, expérience qui est le premier rythme de notre conscience divisée lorsqu'elle répond et réagit aux multiples contacts de l'univers. C'est une réponse imparfaite, un rythme confus et discordant, une préparation et un prélude au jeu complet et unifié de l'Être conscient en nous. Ce n'est pas la vraie, la parfaite symphonie qui peut être nôtre, quand nous pouvons vivre en harmonie avec l'Un en toutes les variations et nous accorder au diapason absolu et universel.
Si cette conception est juste, alors certaines conséquences s'imposent inévitablement. En premier lieu, puisqu'on nos profondeurs nous sommes nous-mêmes cet Un, puisque dans la réalité de notre être nous sommes l'indivisible Toute-Conscience et, par conséquent, l'inaliénable Toute-Béatitude, la disposition de notre expérience sensorielle dans les trois vibrations de douleur, de plaisir et d'indifférence ne peut être qu'un arrangement superficiel créé par cette partie limitée de nous-mêmes qui domine dans notre conscience de veille. Derrière, il doit y avoir quelque chose en nous — beaucoup plus vaste, plus profond, plus vrai que la conscience de surface — qui puise impartialement sa joie en toutes les expériences; c'est cette joie qui soutient secrètement l'être mental superficiel et lui permet de persévérer à travers tous les labeurs, les souffrances et les épreuves dans le mouvement tumultueux du Devenir. Ce que nous appelons nous-mêmes n'est qu'un rayon tremblant à la surface; derrière, il y a tout le vaste subconscient, le vaste supraconscient qui profite de toutes ces expériences de surface et les impose à son moi extérieur qu'il expose, comme une sorte de revêtement sensible, aux contacts du monde ; lui-même voilé, il reçoit ces contacts et les assimile pour en faire les valeurs d'une expérience plus vraie et plus profonde, souveraine et créatrice. De ses profondeurs, il les renvoie à la surface sous forme de force, de caractère, de connaissance, d'impulsion dont les racines nous semblent mystérieuses, car notre mental se meut et frémit à la surface et n'a pas appris à se concentrer et à vivre dans les profondeurs.
Dans notre vie ordinaire, cette vérité nous est cachée, ou il nous arrive parfois de l'entrevoir vaguement, ou de la saisir et de la concevoir imparfaitement. Mais si nous apprenons à vivre au-dedans, nous nous éveillons infailliblement à cette présence en nous qui est notre moi plus réel, présence profonde, calme, joyeuse et puissante dont le monde n'est pas le maître — une présence qui, si elle n'est pas le Seigneur Luimême, est le rayonnement du Seigneur au-dedans. Nous la percevons
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en nous, soutenant, aidant le moi de surface et souriant de ses plaisirs et de ses douleurs comme des erreurs et des colères d'un petit enfant. Et si nous pouvons rentrer en nous-mêmes et nous identifier, non avec notre expérience de surface, mais avec cette radieuse pénombre du Divin, alors nous pouvons garder dans la vie cette attitude face aux contacts du monde; prenant du recul, dans notre conscience tout entière, par rapport aux plaisirs et aux douleurs du corps, de l'être vital et du mental, nous les vivons comme des expériences dont la nature superficielle n'affecte pas notre être centra) réel, ni ne s'impose à lui. Comme les termes sanskrits l'expriment si parfaitement, il y a un ânandamaya derrière le manomaya, un vaste Moi-de-Béatitude derrière le moi mental limité, dont celui-ci n'est qu'une image trouble et un reflet agité. La vérité de nous-mêmes demeure au-dedans et non à la surface.
Et comme nous l'avons dit, cette triple vibration du plaisir, de la douleur et de l'indifférence est superficielle, c'est un arrangement et un résultat de notre évolution imparfaite ; elle ne peut donc rien avoir d'absolu et d'inévitable. Rien ne nous oblige réellement à donner à un contact particulier une réponse particulière de plaisir ou de douleur, ou une réaction neutre; seule l'habitude nous y contraint. Nous ressentons plaisir ou douleur à un contact particulier parce que c'est l'habitude qu'a formée notre nature, et c'est la relation constante que le récepteur a établie avec le contact. Nous avons la capacité de renvoyer la réponse inverse, le plaisir là où nous éprouvions de la douleur, la douleur là où nous éprouvions du plaisir. Nous avons également le pouvoir d'habituer l'être de surface à renvoyer, à la place des réactions mécaniques de plaisir, de douleur et d'indifférence, cette libre réponse de ravissement inaliénable dont le vrai et vaste Moi-de-Béatitude en nous a constamment l'expérience. Et c'est là une conquête plus grande, une possession de soi plus profonde et plus complète encore que ne l'est la réception profonde, heureuse et détachée, des réactions superficielles habituelles. Car il ne s'agit plus d'une simple acceptation sans sujétion, d'un libre consentement au sein des valeurs imparfaites de notre expérience ; cela nous permet de convertir l'imparfait en parfait, des valeurs fausses en de vraies valeurs — le ravissement constant mais véritable de l'Esprit dans les choses se substituant aux dualités dont l'être mental fait l'expérience.
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Dans le domaine mental, il n'est pas difficile de percevoir cette pure relativité des réactions habituelles de plaisir et de douleur. L'être nerveux en nous est en effet accoutumé à une certaine fixité, à une fausse impression d'absolu dans ce domaine. Pour lui, la victoire, le succès, les honneurs, toute bonne fortune, sont choses agréables en soi, absolument, et doivent susciter la joie, tout comme le sucre doit avoir une douée saveur; la défaite, l'échec, la déception, la disgrâce, l'infortune sous toutes leurs formes, sont choses déplaisantes en soi, absolument, et doivent susciter le chagrin, tout comme l'absinthe doit avoir un goût amer. Modifier ces réponses revient à s'éloigner des faits, c'est pour lui une chose anormale et morbide ; car l'être nerveux, esclave de ses habitudes, est lui-même le moyen imaginé par la Nature pour fixer la constance de la réaction, l'identité de l'expérience, le plan établi des relations de l'homme avec la vie. L'être mental, par contre, est libre, car il est le moyen qu'a imaginé la Nature pour assurer la plasticité et la variation, le changement et le progrès; il n'est soumis qu'aussi longtemps qu'il choisit de le demeurer, de perpétuer une habitude mentale plutôt qu'une autre, ou aussi longtemps qu'il se laisse dominer par son instrument nerveux. Il n'est pas obligé de s'affliger de la défaite, de la disgrâce, de la perte : il peut affronter ces choses, ainsi que toutes choses, avec une parfaite indifférence; il peut même y faire face avec une parfaite sérénité. L'homme découvre donc que plus il refuse d'être dominé par ses nerfs et son corps et, par son retrait, de s'impliquer vitalement et physiquement, plus grande est sa liberté. Il devient maître des réponses qu'il donne aux contacts du monde, et n'est plus esclave des contacts extérieurs.
Il est plus difficile d'appliquer la vérité universelle au plaisir et à la douleur physiques, car il s'agit précisément du domaine nerveux et corporel, du centre et du siège de ce qui, en nous, est naturellement dominé par le contact et la pression extérieurs. Cependant, même là, nous avons des aperçus de la vérité. Nous voyons cela dans le fait que, selon l'habitude, le même contact physique peut être agréable ou douloureux, non seulement pour différents individus mais pour le même individu dans des conditions différentes ou à diverses étapes de son développement. Nous le voyons dans le fait que l'homme, aux heures de grande excitation ou de haute exaltation, demeure physiquement indifférent à la douleur ou n'en a pas conscience, au contact de choses qui, d'ordinaire, lui infligeraient une torture ou des souffrances
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terribles. Dans de nombreux cas, c'est seulement lorsque les nerfs s'imposent à nouveau et rappellent au mental son obligation habituelle de souffrir, que revient le sens de la souffrance. Mais ce retour aux contraintes de l'habitude n'est pas inévitable; ce n'est justement qu'une habitude. Nous voyons, dans les phénomènes de l'hypnose, que l'on peut non seulement arriver à interdire au sujet hypnotisé d'éprouver la douleur d'une blessure ou d'une piqûre lorsqu'il se trouve dans cet état anormal, mais qu'on peut l'empêcher, avec tout autant de succès, de retourner à sa réaction habituelle de souffrance lorsqu'il est réveillé. La raison de ce phénomène est parfaitement simple ; elle tient à ce que l'hypnotiseur suspend la conscience de veille qui est esclave d'habitudes nerveuses et qu'il peut faire appel à l'être mental subliminal dans les profondeurs, à l'être mental intérieur qui, s'il le veut, est maître des nerfs et du corps. Mais cette liberté qui s'obtient anormalement par l'hypnose, rapidement et sans véritable possession par une volonté étrangère, on peut également la gagner soi-même normalement, graduellement, avec une véritable maîtrise, par sa propre volonté, afin d'obtenir une victoire partielle ou complète de l'être mental sur les réactions nerveuses habituelles du corps.
La douleur mentale et physique est un moyen que la Nature, autrement dit la Force en ses œuvres, utilise pour effectuer une transition déterminée dans son évolution ascendante. Du point de vue individuel, le monde est un jeu et un choc complexe de forces multiples. Au cœur de ce jeu complexe, l'individu apparaît comme un être construit et limité; pourvu d'une somme limitée de force, exposé à d'innombrables chocs qui peuvent blesser, mutiler, démembrer, désintégrer la construction qu'il appelle lui-même. La douleur est, en sa nature, un recul nerveux et physique devant un contact dangereux ou nuisible; elle fait partie de ce que l'Upanishad appelle jugupsâ, le repli de l'être limité devant ce qui n'est pas lui ou ce qui n'est pas en affinité ou en harmonie avec lui, c'est son instinct d'autodéfense contre " les autres ". Vue sous cet angle, c'est une indication donnée par la Nature de ce que l'on doit éviter, ou, si l'on n'y parvient pas, qu'il faut soigner. Elle n'apparaît pas dans le monde purement physique tant que la vie n'y entre pas; car jusque-là les méthodes mécaniques suffisent. Sa tâche commence lorsque la vie, avec sa fragilité et sa maîtrise imparfaite de la Matière, entre en scène ; elle augmente avec la croissance du Mental dans la vie, et se poursuit aussi longtemps que le Mental reste enchaîné dans la vie et dans le corps dont il se sert, dépend d'eux pour; sa connaissance et
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ses moyens d'action" est soumis à leurs limitations et aux impulsions et aux buts égoïstes qu'engendrent ces limitations. Mais dans la mesure où le Mental en l'homme devient capable d'être libre, sans égoïsme, en harmonie avec tous les êtres et avec le jeu des forces universelles, l'utilité de la souffrance et son rôle diminuent, sa raison d'être finit par disparaître et elle ne peut se perpétuer que comme un atavisme de la nature, une habitude qui a survécu à son utilité, une persistance de l'inférieur dans l'organisation encore imparfaite du supérieur. Son élimination finale doit être un point essentiel dans la victoire prédestinée de l'âme sur la sujétion à la Matière et à la limitation égoïste dans le Mental.
Cette élimination est possible parce que la douleur et le plaisir sont eux-mêmes des courants de la joie d'être, même si l'un est imparfait, et l'autre perverti. La cause de cette imperfection et de cette perversion est la division de l'être en sa conscience, effectuée par la Maya qui mesure et limite, et c'est pourquoi l'individu reçoit les contacts de façon égoïste et morcelée, et non plus universelle. Pour l'âme universelle, toute chose, et tout contact, porte en soi une essence de délice ; dans notre esthétique, rien ne saurait mieux l'exprimer que le terme sanskrit rassa, qui signifie à la fois la sève ou l'essence d'une chose, et sa saveur. C'est parce que nous ne recherchons pas l'essence de la chose qui entre en contact avec nous, mais considérons seulement la façon dont elle affecte nos désirs et nos craintes, nos appétits et nos répulsions, que le rassa prend la forme du chagrin et de la douleur, du plaisir imparfait et éphémère ou de l'indifférence, c'est-à-dire d'une neutralité incapable de saisir l'essence. Si nous pouvions être entièrement désintéressés dans notre mental et notre cœur, et imposer ce détachement à l'être nerveux, il serait possible d'éliminer peu à peu ces formes imparfaites et perverses du rassa, et la vraie saveur essentielle de l'inaliénable délice de l'existence en toutes ses variations serait à notre portée. Nous parvenons, dans une certaine mesure, à goûter ce délice variable mais universel lorsque nous devenons sensibles à la beauté des choses, telles que les représentent l'Art et la Poésie ; nous y trouvons la joie délicieuse, le rassa de l'émouvant, du terrible, voire de l'horrible et du repoussant¹; et c'est parce que nous sommes détachés, désintéressés, parce que nous ne pensons pas à nous ni à nous défendre
¹Dans la rhétorique sanskrite, ils sont appelés les rassa karuna, bhayânaka et bîbhatsa.
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(jugupsâ), mais seulement à la chose et à son essence. Certes, cette réception esthétique des contacts n'est pas une image ni un reflet précis du pur délice, qui est supramental et supra-esthétique; ce dernier, en effet, éliminerait le chagrin, la terreur, l'horreur et le dégoût avec leur cause, tandis que celle-là les admet : mais elle représente partiellement et imparfaitement un stade du délice progressif dans la manifestation de l'Ame universelle en toutes choses et, dans une partie de notre nature, elle nous permet de nous détacher des sensations égoïstes et d'avoir cette attitude universelle par laquelle l'Âme unique voit l'harmonie et la beauté là où nous-mêmes, êtres divisés, nous éprouvons plutôt le chaos et la discorde. La complète libération ne peut venir que par une libération similaire en toutes les parties de notre être, l'aesthesis universelle, le point de vue universel de la connaissance, le détachement universel de toutes choses et pourtant la sympathie envers tout en notre être émotif et nerveux.
La souffrance étant par nature une incapacité de la force-consciente en nous à supporter les chocs de l'existence et, par conséquent, un repli et une contraction, et puisqu'elle est, à sa racine, une inégalité de cette force de réception et de possession — inégalité due au fait que nous sommes limités par l'égoïsme qui découle de l'ignorance où nous sommes de notre Moi réel, de Satchidânanda —, pour éliminer la souffrance il faut d'abord substituer la titiksha, qui consiste à affronter, endurer et surmonter tous les chocs de l'existence, à la jugupsâ, le repli sur soi, la contraction; ainsi nous gagnons peu à peu une égalité qui peut être une égale indifférence à tous les contacts ou un égal bonheur dans tous les contacts; et pour que cette égalité trouve à son tour un fondement solide, nous devons remplacer la conscience de l'ego, qui jouit et qui souffre, par la conscience du Satchidânanda qui est toute-Béatitude. Cette conscience peut transcender l'univers et s'en détacher, et le chemin qui mène à cet état de distante Béatitude est l'égale indifférence : c'est le chemin de l'ascète. Ou bien, la conscience du Satchidânanda peut être à la fois transcendante et universelle, et le chemin qui mène à cet état de Béatitude, présente et embrassant tout, est la soumission et la perte de l'ego en l'universel et la possession d'un ravissement invariable et qui pénètre tout : c'est le chemin des anciens sages védiques. Mais la neutralité par rapport aux contacts imparfaits du plaisir et aux contacts pervers de la douleur est le premier résultat direct et naturel de là discipliné de l'âme, et leur conversion en un
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ravissement invariable ne peut, d'ordinaire, se produire qu'ultérieurement. La transformation directe de la triple vibration en Ânanda est possible, mais moins facile pour l'être humain.
Telle est donc la vision de l'univers qui procède de l'affirmation védântique intégrale. Une existence infinie et indivisible, toute-béatitude en sa pure conscience de sol, quitte sa pureté fondamentale pour entrer dans le jeu varié de la Force qui est conscience, dans le mouvement de la Prakriti qui est le jeu de la Maya. Le délice de cette existence est d'abord recueilli, absorbé en soi-même, subconscient dans la base de l'univers physique; puis il émerge en une grande masse de mouvement neutre, qui n'est point encore ce que nous appelons sensation ; son émergence se poursuit avec la croissance du mental et de l'ego, dans la triple vibration de la douleur, du plaisir et de l'indifférence produite par la limitation de la force de la conscience dans la forme, et également par le fait qu'elle est exposée aux chocs de la Force universelle qu'elle trouve étrangère à son être, et en désaccord avec ses mesures et ses normes; finalement, c'est l'émergence consciente de l'intégralité de Satchidânanda dans ses créations par l'universalité, l'égalité, la possession de soi et la conquête de la Nature. Tel est le cours du. monde, et tel est son mouvement.
Maintenant, si l'on demande pourquoi l'Unique Existence doit se réjouir d'un tel mouvement, la réponse se trouve dans le fait que toutes les possibilités sont inhérentes à Son infinité et que le délice de l'existence — en son devenir changeant, pas en son être immuable — réside précisément dans la réalisation variée de ses possibilités. Or la possibilité qui s'élabore ici dans l'univers dont nous faisons partie, commence avec le voilement de Satchidânanda dans ce qui semble être son opposé, et avec sa découverte de lui-même jusque dans les termes de cet opposé. L'être infini se perd dans l'apparence du non-être et émerge dans l'apparence d'une Ame finie; la conscience infinie se perd dans l'apparence d'une vaste inconscience indéterminée et émerge dans l'apparence d'une conscience superficielle limitée ; la Force infinie qui se soutient elle-même se perd dans l'apparence d'un chaos d'atomes et émerge dans l'apparence de l'équilibre instable d'un monde; la Joie infinie se perd dans l'apparence d'une Matière insensible et émerge dans l'apparence d'un rythme discordant où varient la douleur, le plaisir et la sensation neutre, l'amour, la haine et l'indifférence; l'unité infinie se perd dans l'apparence d'une multiplicité chaotique et émerge dans
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une discorde de forces et d'êtres qui cherchent à recouvrer l'unité en se possédant, se dissolvant et se dévorant les uns les autres. Le vrai Satchidânanda doit émerger dans cette création. L'homme, l'individu doit devenir un être universel et vivre comme tel ; sa conscience mentale limitée doit s'élargir jusqu'en l'unité supraconsciente où tout contient tout; son cœur étroit doit apprendre l'étreinte de l'infini et remplacer ses appétits et ses discordes par l'amour universel ; son être vital limité doit apprendre l'égalité face à toutes les forces de l'universel qui s'abattent sur lui et ressentir la joie universelle; son être physique lui-même doit se connaître, percevoir qu'il n'est pas une entité séparée, mais qu'il est un avec tout le flot de la Force indivisible qui est toutes choses, et qu'il nourrit en lui-même; sa nature entière doit reproduire intérieurement l'harmonie, l'un-en-tout de la suprême Existence-Conscience-Béatitude.
Tout au long de ce jeu, la réalité secrète est toujours une seule et même félicité d'être — la même dans le délice du sommeil subconscient avant l'émergence de l'individu, dans le délice de la lutte et de toutes les variations, vicissitudes, perversions, conversions, réversions de l'effort, pour se trouver parmi les dédales du rêve à demi conscient dont l'individu est le centre, et dans le délice de l'éternelle et supraconsciente possession de soi en laquelle il doit s'éveiller pour devenir un avec l'indivisible Satchidânanda. C'est le jeu de l'Un, du Seigneur, du Tout tel qu'il se révèle à notre connaissance libérée et éclairée, du point de vue conceptuel de cet univers matériel.
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Par les Noms du Seigneur et par ses noms à elle, ils ont façonné et mesuré la force de la Mère de Lumière; revêtant l'un après l'autre les pouvoirs de cette Force ainsi qu'une robe, les seigneurs de la Maya ont modelé la Forme en cet Être.
Les Maîtres de la Maya ont tout formé par Sa Maya ; les Pères qui ont la vision divine L'ont placé au-dedans, tel un enfant qui doit naître.
Rig-Véda. III. 38. 7; IX. 83. 3.
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L'existence qui agit et qui crée par le pouvoir de son être conscient et à partir de sa pure félicité, est la réalité que nous sommes, le moi de tous nos états d'être, la cause, l'objet et le but de tout ce que nous faisons, devenons et créons. De même que le poète, le peintre ou le musicien, lorsqu'ils créent, ne font en réalité que donner une forme de manifestation à une certaine potentialité en leur moi non manifesté, et de même que le penseur, l'homme d'État, l'ingénieur ne font que donner une forme extérieure à ce qui demeurait secrètement en eux, était eux-mêmes et le demeure une fois coulé dans ces formes, de même en est-il du monde et de l'Éternel. Toute création, tout devenir n'est autre que cette manifestation de soi. De la semence, évolue ce qui est déjà contenu dans la semence, préexistant en son être, prédestiné en sa volonté de devenir, pré-arrangé dans la joie du devenir. Le plasma originel contenait en soi, en tant que force d'être, l'organisme qui devait en émerger. Car c'est toujours cette force secrète et féconde, se connaissant elle-même, qui, mue par sa propre impulsion irrésistible, s'efforce de manifester la forme qu'elle porte en • elle. Simplement, l'individu qui se crée ou se manifeste ainsi, fait une distinction entre lui-même, la force qui œuvre en lui et le matériau qu'il façonne. En réalité, la force est lui-même, la conscience individualisée dont elle fait son instrument est lui-même, le matériau dont elle se sert est lui-même, la forme qui en émerge est lui-même. Autrement dit, c'est une seule existence, une seule force, une seule joie d'être qui se concentre en divers points, disant de chacun : " C'est moi " et œuvrant en chacun par un jeu varié de la force du moi, pour le jeu varié de la formation du moi.
Ce qu'elle produit est elle-même et ne peut être qu'elle-même; elle élabore un jeu, un rythme, un développement de sa propre existence, de sa propre force de conscience et de sa propre joie d'être. Par conséquent, tout ce qui vient au monde, ne cherche que cela : être, atteindre la
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forme voulue, élargir l'existence de son moi en cette forme, développer, manifester, augmenter, réaliser infiniment la conscience et le pouvoir qui s'y trouvent contenus, goûter la joie d'entrer dans la manifestation, la joie de la forme de l'être, la joie du rythme de la conscience, la joie du jeu de la force, et agrandir et parfaire cette joie par tous les moyens possibles, dans quelque direction, grâce à quelque idée de soi-même que puissent lui suggérer l'Existence, la Force-Consciente, la Joie agissant en son être le plus profond.
Et s'il existe un but, une plénitude vers lesquels tendent les choses, ce ne peut être que la plénitude — dans l'individu et dans l'ensemble que constituent les individus — de l'existence en soi, du pouvoir, de la conscience et de la joie d'être qui leur sont propres. Mais une telle plénitude n'est pas possible dans la conscience individuelle concentrée dans les limites de la formation individuelle; la plénitude absolue ne peut se réaliser dans le fini, car elle est étrangère à la façon dont ce fini se conçoit. C'est pourquoi le seul but final possible est l'émergence de la conscience infinie dans l'individu ; sa propre vérité, il la recouvrera par la connaissance de soi et la réalisation de soi; la vérité de l'Infini dans l'être, de l'Infini dans la conscience, de l'Infini dans la félicité, il les possédera à nouveau comme son propre Moi et sa propre Réalité dont le fini n'est qu'un masque et un instrument d'expression variée.
Ainsi, la nature même du jeu cosmique tel que l'a réalisé Satchîdânanda dans la vastitude de Son existence étendue comme Espace et Temps, nous amène à concevoir d'abord une involution et une absorption de l'être conscient dans la densité et l'infinie divisibilité de la substance, car autrement il ne peut y avoir de variation finie; puis, une émergence en l'être formel, en l'être vivant, en l'être pensant, de la force qui s'est elle-même emprisonnée; et, finalement, un affranchissement de l'être formé et pensant qui se réalise librement comme l'Un et Infini jouant dans le monde et, par cet affranchissement, recouvre l'existence-conscience-béatitude illimitée qu'il est déjà secrètement, réellement et éternellement. Ce triple mouvement est toute la clef de l'énigme du monde.
C'est ainsi que l'ancienne et éternelle vérité du Védânta intègre et illumine, justifie et nous montre toute la signification de la vérité moderne et phénoménale de l'évolution dans l'univers. Et c'est seulement ainsi que
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cette vérité nouvelle de l'évolution, qui est l'ancienne Vérité de l'Universel se développant graduellement dans le Temps, perçue obscurément grâce à l'étude de la Force et de la Matière, peut trouver tout son sens et sa justification — en s'éclairant à la Lumière de l'antique et éternelle vérité que les Écritures védântiques ont préservée pour nous. La pensée du monde se tourne d'ores et déjà vers cette découverte de soi et cette illumination de soi mutuelles par la fusion de l'ancienne connaissance de l'Orient et de la nouvelle connaissance de l'Occident.
Et pourtant, lorsque nous avons découvert que toutes choses sont Satchidânanda, nous n'avons pas encore tout expliqué. Nous connaissons la Réalité de l'univers, nous ne connaissons pas encore le processus par lequel cette Réalité s'est transformée en ce phénomène particulier. Nous avons la clef de l'énigme, il nous reste à trouver la serrure. Car cette Existence, Force-Consciente, Félicité n'œuvre pas directement ou avec une souveraine irresponsabilité comme un magicien édifiant mondes et univers par le simple fiât de sa parole. Nous percevons un processus, nous sommes conscients d'une Loi.
Il est vrai que, lorsque nous l'analysons, cette Loi semble se réduire à un équilibre du jeu des forces et à une détermination de ce jeu, en des lignes fixes de fonctionnement, par le fait accidentel du développement et l'habitude de l'énergie déjà réalisée. Mais cette vérité apparente et secondaire ne devient pour nous une vérité ultime que si nous concevons la Force seule. Quand nous percevons que la Force est une expression de soi de l'Existence, nous percevons aussi, nécessairement, que cette ligne qu'a choisie la Force correspond à quelque vérité intrinsèque de cette Existence qui gouverne et détermine sa courbe et sa destination constantes. Et puisque la conscience est la nature de l'Existence originelle et l'essence de sa Force, cette vérité doit être une perception de soi dans l'Être-Conscient, et cette détermination de la ligne prise par la Force doit elle-même résulter d'un pouvoir de connaissance se dirigeant elle-même, inhérente à la Conscience, qui lui permet de guider infailliblement sa propre Force suivant la direction logique de la perception de soi originelle. C'est donc un pouvoir se déterminant lui-même dans la conscience universelle, une capacité, dans la conscience de soi de l'existence infinie, de percevoir en elle-même une certaine Vérité et de diriger sa force créatrice selon la ligne de cette Vérité, qui a présidé à la manifestation cosmique.
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Mais pourquoi devrions-nous interposer une faculté ou un pouvoir spécial entre la Conscience infinie elle-même et le résultat de ses opérations ? Cette Conscience de soi de l'Infini ne peut-elle se mouvoir librement en créant des formes qui, par la suite, demeurent en jeu tant qu'un fiât ne leur commande pas d'y mettre fin (comme l'exprime l'ancienne Révélation sémitique : " Dieu dit : Que la Lumière soit, et la Lumière fut ") ? Mais quand nous disons : " Dieu dit : Que la Lumière soit ", nous supposons l'acte d'un pouvoir de conscience qui choisit la Lumière parmi tout ce qui n'est pas la lumière ; et quand nous disons " et la Lumière fut ", nous présumons une faculté directrice, un pouvoir actif correspondant au pouvoir originel de perception, qui produit le phénomène et, faisant jaillir peu à peu la Lumière suivant la ligne de la perception originelle, empêche qu'elle ne soit submergée par toutes les infinies possibilités autres qu'elle. La conscience infinie dans son action infinie ne peut produire que des résultats infinis ; se baser sur une Vérité ou un ordre de Vérités déterminés et bâtir un monde en accord avec ce qui est déterminé, demande une faculté sélective de connaissance ayant pour mission de façonner l'apparence finie hors de la Réalité infinie.
Ce pouvoir, les Voyants védiques le connaissaient sous le nom de Maya. Pour eux, Maya représentait le pouvoir qu'a la conscience infinie d'embrasser, de contenir en soi et de définir la mesure, autrement dit de former — car la forme est une délimitation — le Nom et la Forme à partir de la vaste, de l'illimitable Vérité de l'existence infinie. C'est par Maya que la vérité statique de l'être essentiel devient vérité ordonnée de l'être actif — ou pour employer un langage plus métaphysique : hors de l'Être suprême où tout est tout, sans barrière de conscience séparatrice, émerge l'être phénoménal en lequel tout est en chacun et chacun est en tout pour le jeu de l'existence avec l'existence, de la conscience avec la conscience, de la force avec la force, de la joie avec la joie. Ce jeu de tout en chacun et de chacun en tout nous est d'abord caché par le jeu mental ou l'illusion de la Maya qui persuade chacun qu'il est en tout, mais pas que tout est en lui, et qu'il est en tout en tant qu'être séparé et non en tant qu'être toujours inséparablement un avec le reste de l'existence. Ensuite, nous devons nous libérer de cette erreur pour émerger dans le jeu supramental, dans la vérité de la Maya, où le " chacun " et le " tout " coexistent dans l'indissociable unité de la vérité unique et du symbole multiple. Il faut d'abord embrasser, puis subjuguer la Maya mentale actuelle, inférieure et trompeuse, car elle est ,1e jeu de Dieu
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avec la division, l'obscurité, la limitation, avec le désir, la lutte et la souffrance où Il se soumet à la Force issue de Lui et consent à Se laisser obscurcir par son obscurité. Lui-même (et, obscurci par elle, consent à Se laisser obscurcir). Cette autre Maya que cache la Maya mentale doit être dépassée, puis embrassée ; car elle est le jeu de Dieu avec les infinités de l'existence, les splendeurs de la connaissance, les gloires de la force maîtrisée et les extases de l'amour illimitable où Il émerge de l'emprise de la Force, la possède à son tour et accomplit en elle, illuminée, ce pour quoi elle s'est dès l'origine séparée de Lui.
Cette distinction entre la Maya inférieure et la Maya supérieure est le lien, dans la pensée comme dans le Fait cosmique, qui échappe aux philosophies pessimistes et illusionnistes, ou qu'elles négligent. Pour elles, la Maya mentale — ou peut-être un Surmental— est la créatrice du monde ; or un monde créé par une Maya mentale serait en vérité un paradoxe inexplicable et un cauchemar, figé et fluctuant à la fois, de l'existence consciente que l'on ne pourrait classer ni comme illusion, ni comme réalité. Il nous faut voir que le Mental n'est qu'un terme intermédiaire entre la connaissance créatrice qui gouverne et l'âme emprisonnée dans ses œuvres. Involué par l'un de Ses mouvements inférieurs en l'absorption où s'oublie la Force perdue dans la forme de ses propres opérations, Satchidânanda fait retour vers Lui-même, émergeant de cet oubli de soi ; le Mental n'est qu'un de Ses instruments dans la descente comme dans l'ascension. C'est un instrument de la création descendante, non point la force créatrice secrète — une étape de transition dans l'ascension, et non point notre haute source originelle et le terme parfait de l'existence cosmique.
Les philosophies qui font du seul Mental le créateur des mondes, ou qui acceptent un principe originel avec le Mental comme seul médiateur entre lui-même et les formes de l'univers, peuvent se diviser en philosophies purement nouménales et philosophies idéalistes. Les premières ne voient dans le cosmos que l'œuvre du Mental, de la Pensée, de l'Idée; mais l'Idée peut être purement arbitraire et n'avoir aucun rapport essentiel avec une quelconque Vérité réelle de l'existence ; ou si elle existe, cette Vérité peut être considérée comme un simple Absolu, à l'écart de toutes relations et inconciliable avec un monde de relations. L'interprétation idéaliste suppose une relation entre la Vérité à l'arrière-plan et le phénomène conceptuel au premier plan, relation qui n'est pas
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simplement d'antinomie et d'opposition. Le point de vue que je propose va plus loin dans l'idéalisme ; il voit l'Idée créatrice comme Idée-Réelle, c'est-à-dire un pouvoir de la Force-Consciente exprimant l'être réel, née de l'être réel et de même nature, et non pas une enfant du Vide ni une brodeuse de fictions. C'est la Réalité consciente qui se projette dans des formes muables de sa propre substance impérissable et immuable. Le monde n'est donc pas un concept fictif dans le Mental universel, mais une naissance consciente, en ses propres formes, de ce qui est au-delà du Mental. Une Vérité de l'être conscient soutient ces formes et s'y exprime, et la connaissance correspondant à la vérité ainsi exprimée, règne comme Conscience-de-Vérité¹ supramentale organisant les idées réelles en une parfaite harmonie avant qu'elles ne soient coulées dans le moule mental-vital-matériel. Le Mental, la Vie et le Corps sont une conscience inférieure et une expression partielle qui, dans le moule d'une évolution variée, lutte pour atteindre à cette expression supérieure d'elle-même qui existe déjà pour l'Au-delà-du-Mental. Ce qui est dans l'Au-delà-du-Mental est l'idéal que, dans ses conditions propres, elle s'efforce de réaliser.
De notre point de vue ascendant, nous pouvons dire que le Réel est derrière tout ce qui existe; il s'exprime sur un plan intermédiaire dans un Idéal qui est une vérité harmonisée de lui-même; l'Idéal projette une réalité phénoménale d'être-conscient variable qui, attiré inévitablement vers sa propre Réalité essentielle, essaie enfin de la recouvrer entièrement, soit par un saut radical, soit normalement, au moyen de l'Idéal qui l'a manifestée. C'est ce qui explique la réalité imparfaite de l'existence humaine telle que la voit le Mental, l'aspiration instinctive de l'être mental vers une perfectibilité qui le dépasse toujours, vers l'harmonie cachée de l'Idéal et l'élan suprême de l'esprit qui, par-delà l'idéal, s'élance vers le transcendantal. Les faits mêmes de notre conscience, sa constitution et sa nécessité présupposent cet ordre triple ; ils réfutent l'antithèse duelle et irréconciliable d'un simple Absolu et d'une simple relativité.
Le Mental ne suffit pas à expliquer l'existence dans l'univers. La Conscience infinie doit d'abord se traduire en une faculté infinie de Connaissance, ou, comme nous l'appelons de notre point de vue, en
¹J'emprunte cette phrase au Rig-Véda — rita-cit, qui signifie la conscience de la vérité d'être essentielle (satyam), de la vérité ordonnée de l'être actif (ritam) et la vaste conscience de soi (brihat) qui, seule, rend cette conscience possible.
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une omniscience. Mais le Mental n'est pas une faculté de connaissance, ni un instrument d'omniscience ; c'est une faculté dont l'objet est de chercher la connaissance, d'en exprimer tout ce qu'elle en peut acquérir dans certaines formes d'une pensée relative, et de la mettre au service de certaines capacités d'action. Même lorsqu'il trouve, il ne possède point ; il conserve simplement un certain fonds de monnaie courante de Vérité — non point la Vérité elle-même — à la banque de la Mémoire pour y puiser selon ses besoins. Car le Mental est ce qui ne connaît pas, ce qui essaie de connaître et qui ne connaît jamais qu'à travers une vitre obscure. Il est le pouvoir qui interprète la vérité de l'existence universelle pour les usages pratiques d'un certain ordre de choses; il n'est pas le pouvoir qui connaît et guide cette existence, et ne peut donc être le pouvoir qui l'a créée ou manifestée.
Mais si nous supposons l'existence d'un Mental infini qui serait libre de nos limitations, se pourrait-il qu'il fût le créateur de l'univers ? Un tel Mental, cependant, ne correspondrait pas du tout à la définition du mental tel que nous le connaissons : ce serait quelque chose qui dépasse la mentalité ; ce serait la Vérité supramentale. Un Mental infini, constitué dans les termes de la mentalité telle que nous la connaissons, ne pourrait créer qu'un chaos infini, une vaste collision de hasard, d'accidents, de vicissitudes, errant vers une fin indéterminée à laquelle il aspirerait toujours et qu'il s'efforcerait d'atteindre à tâtons. Un Mental infini, omniscient, omnipotent ne serait pas du tout un mental, mais la connaissance supramentale.
Le Mental tel que nous le connaissons est un miroir réflecteur qui reçoit les représentations ou les images d'une Vérité ou d'un Fait préexistants, extérieurs à lui, ou du moins plus vastes que lui. De moment en moment, il se représente le phénomène qui est ou qui a été. Il possède aussi la faculté de construire en lui-même des images possibles, autres que celles du fait concret qui lui est présenté; autrement dit, il se représente non seulement le phénomène qui a été, mais aussi le phénomène qui peut être; il ne peut, notons-le, se représenter un phénomène qui se produira certainement, sauf lorsqu'il s'agit d'une répétition assurée de ce qui est ou a été. Il a, enfin, la faculté de prévoir de nouvelles modifications qu'il cherche à construire à partir de la rencontre de ce qui a été et de ce qui peut être, de la possibilité accomplie et de celle qui ne l'est pas, quelque chose qu'il réussit parfois
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à construire plus ou moins exactement, et que parfois il ne parvient pas à réaliser, mais qu'il trouve d'habitude coulé en d'autres formes que Celles qu'il avait prévues, et orienté vers d'autres fins que celles qu'il avait souhaitées ou voulues.
Un Mental infini de cette nature pourrait éventuellement construire un cosmos accidentel de possibilités en conflit, et lui donner la forme de quelque chose de fluctuant, toujours transitoire, toujours incertain en son mouvement, ni réel ni irréel, ne possédant ni fin ni but définis, mais seulement une succession ininterrompue de buts momentanés ne menant finalement nulle part — puisqu'il n'y aurait nul pouvoir supérieur et directeur de connaissance. Le nihilisme ou l'illusionnisme ou quelque philosophie analogue serait la seule conclusion logique d'un aussi pur nouménalisme. Le cosmos ainsi construit serait une représentation ou un reflet de quelque chose qui ne serait pas lui, mais toujours et jusqu'à la fin une représentation fausse, un reflet déformé; toute existence cosmique serait un Mental luttant pour donner pleinement forme à ses imaginations, mais sans y parvenir, car elles n'auraient pas l'assise souveraine d'une vérité intrinsèque; subjugué, entraîné par le courant de ses énergies passées, il suivrait à jamais ce flot indéterminé, sans trouver aucune issue, à moins, ou jusqu'à tant qu'il puisse, soit se détruire lui-même, soit tomber dans une immobilité éternelle. Tels sont les principes de base du nihilisme et de l'illusionnisme, et c'est la seule sagesse si nous supposons que notre mentalité humaine, ou quoi que ce soit de similaire, représente la plus haute force cosmique et la conception originelle à l'œuvre dans l'univers.
Mais dès que nous trouvons dans le pouvoir originel de connaissance une force supérieure à celle que représente notre mentalité humaine, cette conception de l'univers devient insuffisante, et par conséquent n'est plus valable. Elle a sa vérité, mais ce n'est pas toute la vérité. C'est une loi de l'apparence immédiate de l'univers, mais non de sa vérité originelle et de son fait ultime. Derrière l'action du Mental, de la Vie et du Corps, nous percevons en effet quelque chose qui n'est pas inclus dans le courant de la Force, mais l'embrasse et le gouverne ; quelque chose qui n'est pas né dans un monde qu'il cherche à interpréter, mais qui a créé en son être un monde dont il a la connaissance intégrale; quelque chose qui ne peine pas perpétuellement pour tirer autre chose de soi-même, tout en dérivant dans le flux irrésistible des
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énergies passées qu'il ne peut plus maîtriser mais qui, en sa conscience, a déjà sa Forme parfaite qu'il déploie peu à peu ici-bas. Le monde exprime une Vérité prévue, obéit à une Volonté prédéterminante, réalise une vision de soi originelle et formatrice — c'est l'image croissante d'une création divine.
Tant que nous agissons seulement au moyen de la mentalité gouvernée par les apparences, ce quelque chose au-delà et à arrière-plan, et cependant toujours immanent, ne peut être qu'une inférence ou qu'une présence vaguement ressentie. Nous percevons une loi de progrès cyclique et en déduisons une perfection toujours croissante de quelque chose que, quelque part, nous connaissons déjà. Partout, en effet, nous voyons une Loi fondée sur l'être en soi, et lorsque nous pénétrons le principe fondamental de son processus, nous découvrons que la Loi est l'expression d'une connaissance innée, d'une connaissance inhérente à l'existence qui s'exprime, impliquée dans la force qui l'exprime ; et la Loi développée par la Connaissance afin de permettre le progrès implique un but divinement perçu vers lequel le mouvement est dirigé. Nous voyons aussi que notre raison cherche à émerger de l'impuissante dérive de notre mentalité et à la dominer, et nous percevons que la Raison n'est qu'une messagère, une représentante ou une ombre d'une conscience plus grande au-delà qui n'a pas besoin de raisonner parce qu'elle est tout et connaît tout ce qui est. Et nous pouvons alors en déduire que cette source de la Raison est identique à la Connaissance qui agit comme Loi dans le monde. Cette Connaissance détermine souverainement sa propre loi, car elle sait ce qui a été, ce qui est et ce qui sera, et elle le connaît parce qu'elle est éternellement et se connaît elle-même infiniment. Lorsque l'être qui est conscience infinie, conscience infinie qui est force omnipotente, fait d'un monde — c'est-à-dire d'une harmonie de lui-même — l'objet de sa conscience, notre pensée parvient alors à le saisir comme existence cosmique qui connaît sa propre vérité et réalise en des formes ce qu'elle connaît.
Mais c'est seulement quand nous cessons de raisonner et pénétrons profondément en nous-mêmes, en cet espace secret où cesse toute activité mentale, que cette autre conscience devient pour nous réellement manifeste — si imparfaitement que ce soit, du fait de notre longue habitude de réagir mentalement et de vivre dans nos limitations mentales. Alors, dans une croissante illumination, nous pouvons connaître avec
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assurance ce que nous avions conçu de manière incertaine à la paie et vacillante lumière de la Raison. La Connaissance attend, souveraine, par-delà le mental et le raisonnement intellectuel, dans l'immensité lumineuse d'une vision de soi illimitable.
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Toutes choses sont les déploiements de la Connaissance divine.
Vishnu Purâna. II, 12.39.
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Un principe de Volonté et de Connaissance actives, supérieur au Mental et créateur des mondes, est donc le pouvoir et l'état d'être intermédiaires entre cette possession de soi de l'Un et ce flux du Multiple. Ce principe ne nous est pas tout à fait étranger; il n'appartient pas uniquement, et de façon incommunicable, à un Être entièrement autre que nous, ou à un état d'existence d'où nous serions mystérieusement projetés dans la naissance, mais également rejetés, sans pouvoir y retourner. S'il nous paraît situé sur des cimes bien au-dessus de nous, ce sont néanmoins des hauteurs de notre être, et nous pouvons y accéder. Cette Vérité, nous sommes capables, non seulement de l'admettre et de l'entrevoir, mais de la réaliser. Par un élargissement progressif ou par un soudain et lumineux dépassement de nous-mêmes, nous pouvons nous élever jusqu'à ces sommets en des moments inoubliables, ou bien y demeurer durant des heures ou des jours d'expérience toute-puissante, surhumaine. Lorsque nous en revenons, il y a des portes de communication qu'il est possible de garder toujours ouvertes, ou d'ouvrir à nouveau, même si elles se referment constamment. Mais demeurer là en permanence, sur cet ultime et suprême sommet de l'être créé et créateur est, en fin de compte, l'idéal le plus haut pour notre conscience humaine évolutive lorsqu'elle cherche, non l'anéantissement, mais la perfection de soi. Comme nous l'avons vu, en effet, c'est l'Idée originelle, c'est l'harmonie et la vérité finales auxquelles retourne notre expression progressive de nous-mêmes dans le monde, et qu'elle est destinée à réaliser.
Nous pouvons cependant douter qu'il soit à présent ou même jamais possible d'expliquer cet état à l'intellect humain, ou d'utiliser, de façon organisée et communicable, ses fonctions divines afin d'élever notre connaissance et notre action humaines. Ce doute ne vient pas seulement de la rareté ou de l'incertitude de phénomènes connus qui nous laissent entrevoir un fonctionnement humain de cette faculté
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divine, ou de l'écart qui existe entre cette action, et l'expérience et la connaissance vendable de l'humanité ordinaire; il est fortement suggéré, aussi, par l'apparente contradiction, tant dans leur essence que dans leur mode de fonctionnement, entre la mentalité humaine et le Supramental divin.
Il est vrai que si cette conscience n'avait absolument aucun® relation avec le Mental, s'il n'existait nulle part aucune identité entre elle et l'être mental, il serait pratiquement impossible d'en donner une définition quelconque à notre entendement humain. Ou si elle n'était" en sa nature, qu'une vision dans la connaissance et nullement un pouvoir dynamique de la connaissance, nous pourrions espérer atteindre, à son contact, un état béatifique d'illumination mentale, mais pas une lumière et un pouvoir plus grands pour agir en ce monde. Mais puisque Cette conscience est la créatrice du monde, elle doit être non seulement un état de connaissance, mais un pouvoir de connaissance, et non seulement une Volonté de lumière et de vision, mais une Volonté de pouvoir et d'action. Et puisque le Mental, lui aussi, a été créé à partir de cette conscience, il doit être un développement, par limitation, de cette faculté première et de cet acte médiateur de la Conscience suprême, et il doit donc être capable de se fondre à nouveau en elle par un développement inverse d'expansion. Car le Mental demeure nécessairement identique en essence au Supramental et doit cacher en lui-même le Supramental en puissance, si différent ou même si contraire qu'il ait pu devenir en ses formes réalisées et ses modes d'action établis. Aussi n'est-il peut-être pas irrationnel ni stérile d'essayer, en les comparant et en les opposant, de nous faire une idée du Supramental en partant du point de vue de notre connaissance intellectuelle et selon ses propres termes. L'idée, les termes peuvent fort bien s'avérer inadéquats et néanmoins servir d'indication lumineuse, nous montrer le chemin que, jusqu'à un certain point tout au moins, nous pouvons suivre. En outre, le Mental est capable de s'élever au-delà de lui-même jusqu'à certaines hauteurs ou plans de conscience qui reçoivent en eux une lumière ou un pouvoir modifiés de la conscience supramentale, et de connaître celle-ci par une illumination, une intuition, un contact une expérience directs, bien que vivre en elle et en faire la source de notre vision et de notre action représente une victoire qui n'a pas encore été rendue humainement possible.
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Et tout d'abord, arrêtons-nous un moment et demandons-nous s'il n'est pas possible de découvrir, dans le passé, une lumière qui pourrait nous guider vers ces domaines mal explorés. Nous avons besoin d'un nom, et nous avons besoin d'un point de départ. Car nous avons appelé cet état de conscience le Supramental, mais ce terme est ambigu, puisqu'il peut désigner un mental supra-éminent, soulevé au-dessus de la mentalité ordinaire mais non point radicalement transformé ; ou il peut, au contraire, signifier tout ce qui se trouve par-delà le Mental et, par suite, posséder un caractère global trop étendu, incluant jusqu'à l'Ineffable lui-même. Il est donc nécessaire d'en donner une description complémentaire qui en délimitera plus exactement le sens.
Ce sont les versets cryptiques du Véda qui nous viennent ici en aide, car ils contiennent secrètement l'évangile du Supramental divin et immortel, et, à travers le voile, quelques éclairs nous parviennent •et nous illuminent. Ces paroles nous laissent entrevoir que ce Supramental est conçu comme une immensité par-delà les firmaments ordinaires de notre conscience, où la vérité de l'être est lumineusement une avec tout ce qui l'exprime et assure inévitablement la vérité de la vision, de la formulation, de la disposition, du mot, de l'acte et du mouvement et, par conséquent, également la vérité du résultat du mouvement, du résultat de l'action et de l'expression, de l'agencement ou de la loi infaillibles. Une vaste compréhension qui embrasse tout, une vérité et une harmonie lumineuses de l'être en cette immensité et non un vague chaos ni une obscurité perdue en elle-même, une vérité de loi, d'action et de connaissance exprimant cette harmonieuse vérité de l'être, tels semblent être les termes essentiels de la description védique. Les Dieux, qui en leur suprême et secrète entité sont des pouvoirs de ce Supramental, nés de lui, siégeant en lui comme en leur propre demeure, sont en leur connaissance " consciente-de-la-vérité " et possèdent en leur action la " volonté-dû-voyant ". Orientée vers les œuvres et la création, leur force-consciente est possédée et guidée par une connaissance parfaite et directe de la chose à faire, de son essence et de sa loi — connaissance qui détermine une puissance de volonté entièrement efficace, qui ne dévie ni ne trébuche en son processus ou son résultat, mais exprime et accomplit spontanément et inévitablement dans l'acte ce qui a été vu dans la vision. Ici, la Lumière ne fait qu'un avec la Force, les vibrations de la connaissance ne font qu'un avec le rythme de la volonté, et les deux ne font qu'un, parfaitement et sans avoir à le rechercher, sans tâtonnements
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ni efforts; avec le 'résultat assuré. La Nature divine a un double pouvoir : d'une part, une capacité de se formuler et de s'agencer spontanément qui jaillit naturellement de l'essence de la chose manifestée et en exprime la vérité originelle, et, d'autre part, une force essentielle de lumière, inhérente à la chose elle-même et source de son propre arrangement spontané et inévitable.
Il y a des détails secondaires, mais importants. Les voyants védiques semblent parler de deux facultés fondamentales de l'âme qui est " conscients-de-la-vérité"; ce sont la Vue et l'Ouïe, à savoir les opérations directes d'une Connaissance inhérente que l'on peut décrire comme vision-de-vérité et audition-de-vérité, et dont les facultés de révélation et d'inspiration sont le très lointain reflet dans notre mentalité humaine. En outre, une distinction semble s'établir, dans les opérations du Supramental, entre la connaissance obtenue par une conscience compréhensive qui pénètre tout, et qui est très proche de la connaissance subjective par identité, et la connaissance obtenue par une conscience qui projette, confronte, appréhende, et constitue le point de départ de la cognition objective. Telles sont les clefs du Véda. Et nous pouvons accepter de cette expérience millénaire le terme dérivé " conscience-de-vérité " pour délimiter le sens plus large du terme Supramental.
Nous voyons aussitôt qu'une telle conscience" ainsi caractérisée, doit être une formulation intermédiaire qui renvoie à un terme précédent et supérieur, et à un autre, ultérieur et inférieur ; nous voyons en même temps qu'elle est évidemment le lien et le moyen par lesquels l'inférieur émerge du supérieur et qu'elle doit également être le lien et le moyen par lesquels il peut, en se développant, revenir à sa source. Le terme supérieur est la conscience unitaire ou indivisible du pur Satchidânanda où n'existe aucune distinction séparatrice ; le terme inférieur est la conscience analytique ou divisante du Mental qui ne peut connaître qu'en séparant et distinguant, et qui appréhende tout au plus l'unité et l'infinité de façon vague et dérivée — car bien qu'elle puisse faire la synthèse de ses divisions, elle ne peut parvenir à une vraie totalité. Entre les deux, se trouve cette conscience compréhensive et créatrice ; par son pouvoir de connaissance globale, pénétrante et intime, elle est l'enfant de cette conscience de soi par identité qui est l'assise du Brahman, et par son pouvoir de connaissance qui projette, confronte et appréhende, elle est parente de cette conscience discriminatrice qui constitue le processus du Mental.
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Au-dessus, la formule de l'Un, éternellement stable et immuable ; au-dessous, la formule du Multiple qui, éternellement changeant, cherche un point d'appui solide et immuable dans le flux des choses, mais n'en trouve guère; entre les deux, le siège de toutes les trinités, de tout ce qui est duel, de tout ce qui devient le Multiple-en-1'Un et néanmoins demeure l'Un-dans-le-Multiple, parce que tout était à l'origine l'Un qui est toujours le Multiple en puissance. Ce terme intermédiaire est donc le commencement et la fin de toute création et de tout arrangement, l'Alpha et l'Oméga, le point de départ de toute différenciation, l'instrument de toute unification, qui engendre, exécute et parachève toutes les harmonies réalisées et réalisables. Il a la connaissance de l'Un, mais peut tirer de cet Un ses multitudes cachées; il manifeste le Multiple, mais ne se perd pas dans ses différenciations. Et ne dirons-nous pas que son existence même renvoie à Quelque chose qui dépasse notre suprême perception de l'ineffable Unité, Quelque chose d'ineffable que le Mental ne peut concevoir, non point à cause de son unité et de son indivisibilité, mais parce qu'il reste libre, même de ces formulations mentales, et qui dépasse à la fois l'unité et la multiplicité ? Ce serait le suprême Absolu et le suprême Réel qui justifierait pourtant à nos yeux notre connaissance de Dieu aussi bien que notre connaissance du monde.
Mais ces termes sont vastes et difficiles à saisir, aussi précisons-les. Nous parlons de l'Un comme de Satchidânanda; or, dans sa description même, nous postulons trois entités et les unissons pour arriver à une trinité. Nous disons " Existence, Conscience, Béatitude ", puis nous disons : " Elles sont une. " C'est un processus mental. Mais pour la conscience unitaire, un tel processus est inacceptable. L'Existence est Conscience, et il ne peut y avoir de distinction entre les deux ; la Conscience est Béatitude, et on ne saurait non plus établir de distinction entre elles. Et puisque cette différenciation elle-même n'existe pas, il ne peut y avoir de monde. Si c'est là l'unique réalité, alors le monde n'est pas, il n'a jamais existé, et n'a jamais pu être conçu; car la conscience indivisible est une conscience qui ne divise point et ne peut engendrer la division et la différenciation. Mais c'est là une reductio ad absurdum; nous ne pouvons l'admettre, à moins que nous ne nous contentions de tout fonder sur un impossible paradoxe .et une antithèse irrésolue.
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Le Mental, en revanche, peut, avec précision, concevoir que les divisions sont réelles ; il peut concevoir une totalité synthétique, ou bien un fini s'étendant indéfiniment; il peut saisir des agrégats de choses divisées et leur identité sous-jacente; mais l'ultime unité et l'infinité absolue sont, pour sa conscience des choses, des notions abstraites et des quantités insaisissables, non quelque chose de réel qu'il puisse appréhender, encore moins quelque chose qui seul est réel. Ce terme est donc le contraire même de la conscience unitaire ; face à l'essentielle et indivisible unité, nous avons une multiplicité essentielle qui ne peut atteindre à l'unité sans s'abolir et sans, par cet acte même, reconnaître qu'elle n'a jamais pu réellement exister. Et pourtant, elle a été; car c'est cela qui a trouvé l'unité et s'est aboli. C'est une nouvelle reductio ad absurdum répétant le violent paradoxe qui cherche à convaincre la pensée en la confondant, une nouvelle antithèse irrésolue et insoluble.
En son terme inférieur, la difficulté disparaît si nous réalisons que le Mental n'est qu'une forme préparatoire de notre conscience. Le Mental est un instrument d'analyse et de synthèse, mais pas de connaissance essentielle. Son rôle est de découper vaguement une partie de la Chose en soi inconnue et d'appeler cette chose ainsi mesurée ou délimitée un " tout ", puis d'analyser à nouveau le tout en ses parties qu'il considère comme des objets mentaux séparés. Le Mental ne peut voir avec précision, et ne peut connaître à sa manière, que les parties et les accidents. Il ne conçoit clairement le tout que comme un assemblage de parties ou une totalité de propriétés et d'accidents. Voir le tout autrement que comme une partie d'autre chose ou dans ses propres parties, propriétés et accidents, ne peut être, pour le Mental, qu'une vague perception; c'est seulement lorsqu'il l'a analysé et en a fait un objet distinct, une totalité dans une totalité plus grande, que le Mental peut se dire à lui-même : " Cela, maintenant je le connais. " Mais en réalité, il ne le connaît pas. Il ne connaît que sa propre analyse de l'objet et l'idée qu'il s'en est formé par une synthèse des parties et des propriétés distinctes qu'il a vues. Son pouvoir caractéristique et sa fonction assurée s'arrêtent là, et si nous aspirons à une connaissance plus grande, plus profonde et réelle — une connaissance et non pas un sentiment intense mais indistinct, comme il en vient parfois à certaines parties profondes et inexprimées de notre mentalité —, le Mental doit céder la place à une autre conscience qui l'accomplit en le transcendant, où qui inverse, et ainsi rectifie ses opérations après l'avoir dépassé d'un
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bond: le sommet de la connaissance mentale n'est qu'un tremplin d'où l'on peut faire un tel bond. La plus haute mission du Mental est d'éduquer notre conscience obscure qui a émergé de la sombre prison de la Matière, d'en éclairer les instincts aveugles, les intuitions imprévisibles, les vagues perceptions jusqu'à ce qu'elle s'ouvre à cette lumière plus vaste et entreprenne cette plus haute ascension. Le Mental est un passage, pas un apogée.
D'autre part, la conscience unitaire, l'Unité indivisible, ne peut être cette impossible entité, cette chose sans contenu d'où seraient issus tous les contenus et en laquelle tous disparaîtraient et s'anéantiraient. Ce doit être une concentration-de-soi originelle où tout est contenu, mais d'une autre manière qu'en cette manifestation temporelle et spatiale. Ce qui s'est ainsi concentré, c'est l'Existence absolument ineffable et inconcevable que le nihiliste se représente mentalement comme le Vide négatif de tout ce que nous connaissons et de tout ce que nous sommes, mais que le transcendantaliste peut aussi légitimement se représenter comme la Réalité positive, bien qu'insaisissable, de tout ce que nous connaissons et de tout ce que nous sommes. " Au commencement, dit le Védânta, était l'Existence unique et sans second ", mais avant et après le commencement, maintenant, à jamais et par-delà le Temps, est Cela que nous ne pouvons décrire, fût-ce comme l'Un, même quand nous disons que rien n'existe que Cela. Nous percevons tout d'abord sa concentration de soi originelle, et nous nous efforçons de la réaliser comme l'Un indivisible; nous percevons ensuite la diffusion et l'apparente désintégration de tout ce qui était concentré en son unité, à savoir la conception que le Mental se fait de l'univers ; et enfin, nous percevons son extension de soi solidement établie dans la conscience-de-Vérité qui contient et soutient la diffusion et l'empêche d'être une réelle désintégration, maintient l'unité dans l'extrême diversité et la stabilité dans l'extrême mutabilité, insiste sur l'harmonie dans ce qui paraît être une lutte et une collision omniprésentes, préserve le cosmos éternel là où le Mental n'arriverait qu'à un chaos cherchant éternellement à prendre forme. Cela, c'est le Supramental, la conscience-de-Vérité, l'Idée-Réelle qui se connaît elle-même et tout son devenir.
Le Supramental est la vaste extension de soi du Brahman qui contient et développe toutes choses. Par l'Idée, il développe le principe tri-un de l'existence, de la conscience et de la béatitude à partir de
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leur indivisible unité. Il les différencie, mais ne les divise pas. Il établit une Trinité, sans passer, comme le Mental, des trois à l'Un, mais en manifestant les trois à partir de l'Un — car il manifeste et développe — tout en les maintenant dans l'unité, car il connaît et contient tout. Par la différenciation, il peut amener au premier plan l'une ou l'autre comme Déité effective où les autres se trouvent contenues, involuées ou explicites, et il fait de ce processus la base de toutes les autres différenciations. Et il agit de façon analogue sur tous les principes et toutes les possibilités qu'il élabore à partir de cette trinité qui constitue tout. Il possède le pouvoir de développer, de faire évoluer, de rendre explicite, et ce pouvoir porte en lui l'autre pouvoir, celui d'involuer, d'envelopper, de rendre implicite. En un sens, on peut dire que toute la création est un mouvement entre deux involutions : l'Esprit en lequel tout est involué et hors duquel tout évolue en descendant vers l'autre pôle qu'est la Matière ; la Matière en laquelle tout est également involué et hors de laquelle tout évolue en s'élevant vers l'autre pôle, qui est l'Esprit.
Ainsi tout le processus de différenciation par l'Idée-Réelle créatrice de l'univers consiste-t-il à mettre en avant des principes, des forces, des formes qui, pour la conscience compréhensive, contiennent tout le reste de l'existence et se présentent à la conscience appréhensive en gardant implicite, à l'arrière-plan, tout le reste de l'existence. Ainsi, tout est en chacun comme chacun est en tout. Ainsi, chaque semence porte en soi toute l'infinité des diverses possibilités, mais le processus et le résultat sont soumis à une seule loi maintenue par la Volonté, autrement dit par la Connaissance-Force de l'Être-Conscient qui se manifeste et qui, sûr de l'Idée en lui, prédétermine, par cette Idée même, ses propres formes et mouvements. La semence est la Vérité de son être que cette Existence-en-soi voit en elle-même, la résultante de cette semence de vision de soi est la Vérité de l'action en soi, la loi naturelle de développement, de formation et de fonctionnement qui découle inévitablement de la vision de soi et ne s'écarte pas des processus impliqués dans la Vérité originelle. Par conséquent, la Nature entière n'est rien autre que la Volonté-qui-Voit, la Connaissance-Force de l'Être-Conscient œuvrant pour faire évoluer dans la force et la forme toute la vérité inéluctable de l'Idée en laquelle il s'est projeté à l'origine.
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Cette conception de l'Idée nous indique le contraste fondamental entre notre conscience mentale et la conscience-de-Vérité. Nous considérons la pensée comme séparée de l'existence, abstraite, sans substance, différente de la réalité, quelque chose qui apparaît on ne sait d'où et se détache de la réalité objective afin de l'observer, de la comprendre et de la juger; c'est en .effet ce qu'elle paraît être, et, par conséquent, ce qu'elle est pour notre mentalité qui divise et analyse tout. La première tâche du Mental est de rendre " discret ", de fissurer, beaucoup plus que de discerner; et cela explique la fissure paralysante qu'il a créée entre la pensée et la réalité. Dans le Supramental, par contre, tout être est conscience, toute conscience est un être, et l'idée, féconde vibration de conscience, est également une vibration d'être qui s'enfante elle-même; c'est une émergence initiale, dans la connaissance de soi créatrice, de ce qui était concentré dans la conscience de soi non créatrice. Elle émerge en tant qu'Idée qui est réalité, et c'est cette réalité de l'Idée qui évolue, toujours par son propre pouvoir et sa conscience de soi. Toujours consciente de soi, elle se développe suivant la volonté inhérente à l'Idée et se réalise toujours suivant la connaissance enracinée en chacune de ses impulsions. Telle est la vérité de toute création, de toute évolution.
Dans le Supramental, l'être, la conscience de connaissance et la conscience de volonté ne sont pas divisés comme ils semblent l'être dans nos opérations mentales; ils forment une trinité, un seul mouvement doté de trois aspects effectifs. Chacun produit son effet propre. L'être produit la substance, la conscience produit la connaissance, l'idée qui se guide elle-même et façonne, la compréhension et l'appréhension; la volonté produit la force qui s'accomplit. Mais l'idée n'est que la lumière de la réalité s'illuminant elle-même; elle n'est ni pensée mentale ni imagination, mais conscience de soi effective. Elle est l'Idée-Réelle.
Dans le Supramental, la connaissance dans l'Idée n'est pas séparée de la volonté dans l'Idée. Elles ne font qu'un. De même, la connaissance n'y est pas différente, mais indissociable de l'être ou substance, dont elle est le pouvoir lumineux. De même que le pouvoir de la lumière rayonnante n'est pas différent de la substance du feu, de même le pouvoir de l'Idée n'est pas différent de la substance de l'Être qui se réalise dans l'Idée et dans son développement. Dans notre mentalité, toutes ces choses sont différentes. Nous avons une idée et une volonté correspondante, ou une impulsion de volonté et une idée qui s'en
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détache; mais en réalité nous différencions l'idée de la volonté et celles-ci de nous-mêmes. Je suis : l'idée est une mystérieuse abstraction qui apparaît en moi, la volonté est un autre mystère, une force plus concrète, bien qu'elle ne le soit pas, mais qui demeure toujours quelque chose qui n'est pas moi, quelque chose que j'ai ou que je reçois ou qui s'empare de moi, mais que je ne suis pas. Je creuse aussi un abîme entre ma volonté, ses moyens et le résultat, car ce sont à mes yeux des réalités concrètes extérieures à moi et différentes de moi. Par conséquent, ni moi-même, ni l'idée, ni la volonté en moi n'ont d'efficacité propre. L'idée peut se détacher de moi, la volonté peut faillir, les moyens peuvent manquer, et si l'une de ces choses, ou toutes, me font défaut, il me sera peut-être impossible de me réaliser moi-même.
Mais dans le Supramental une telle division paralysante n'existe pas, car ni la connaissance, ni la force, ni l'être ne sont divisés en soi comme ils le sont dans le Mental; ils ne sont ni fragmentés en eux-mêmes, ni séparés les uns des autres. Car le Supramental est le Vaste; il part de l'unité, non de la division; par essence, il comprend tout, et la différenciation n'est pour lui qu'un acte secondaire. Dès lors, quelle que soit la vérité de l'être qui s'exprime, l'idée lui correspond exactement, la force-de-volonté correspond à l'idée — la force n'étant qu'un pouvoir de la conscience — et le résultat à la volonté. L'idée n'entre pas non plus en conflit avec d'autres idées, la volonté ou la force avec d'autres volontés ou d'autres forces comme en l'homme et son monde ; car il y a une seule vaste Conscience qui contient et relie en soi toutes les idées comme ses idées propres, une seule vaste Volonté qui contient et relie en soi toutes les énergies comme ses propres énergies. Elle en retient une, en projette une autre, mais elle le fait en accord avec son Idée-Volonté qui les a préconçues.
Ainsi se trouvent justifiées les notions religieuses courantes d'omniprésence, d'omniscience et d'omnipotence de l'Être Divin. Loin d'être une imagination irrationnelle, elles sont parfaitement rationnelles et ne contredisent nullement la logique d'une philosophie globale, ni les indications de l'observation et de l'expérience. L'erreur consiste à créer un abîme infranchissable entre Dieu et l'homme, entre le Brahman et le monde, à faire d'une différenciation réelle et pratique dans l'être, dans la conscience et dans la force, une division fondamentale. Mais nous aborderons plus tard cet aspect de la question. Nous sommes à présent
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arrivés à une -affirmation et à une certaine conception du Supramental divin et créateur où tout est un en son être, sa conscience, sa volonté et sa félicité, mais avec une infinie capacité de différenciation qui déploie l'unité sans toutefois la détruire — où la Vérité est la substance, où la Vérité s'élève en l'Idée, où la Vérité émerge dans la forme et où il n'y a qu'une seule vérité de connaissance et de volonté, qu'une vérité d'accomplissement de soi et par conséquent de félicité; car tout accomplissement de soi est satisfaction de l'être. Dès lors, en toutes les mutations et toutes les combinaisons, se trouve toujours une inaliénable harmonie qui existe en soi.
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Établi dans te sommeil de la Supraconscience, Intelligence condensée. Il est la toute-félicité et celui qui goûte la Félicité... C'est lui l'omnipotent, lui l'omniscient, lui le guide intérieur, lui la source de tout.
Mândûkya Upanishad. Versets 5,6.1.
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Il nous faut donc considérer ce Supramental qui contient tout, est l'origine et l'achèvement de tout, comme la nature de l'Être divin, non pas certes en son absolue existence en soi, mais en son action, comme Seigneur et Créateur de ses propres mondes. Telle est la vérité de ce que nous appelons Dieu. Ce n'est évidemment pas la Divinité trop personnelle et limitée, l'Homme magnifié et supranaturel de la conception occidentale ordinaire; car cette conception érige l'eidolon trop humain d'un certain rapport entre le Supramental créateur et l'ego. Nous ne devons certainement pas exclure l'aspect personnel de la Divinité, car l'impersonnel n'est qu'une face de l'existence ; le Divin est toute l'Existence, mais il est aussi l'unique Existant — il est le seul Être-Conscient, mais toujours un Être Toutefois, ce n'est pas cet aspect qui nous occupe à présent; ce que nous cherchons à explorer, c'est la vérité psychologique impersonnelle de la Conscience divine; c'est elle dont nous devons établir la conception vaste et lumineuse.
La Conscience-de-Vérité est partout présente dans l'univers comme connaissance de soi ordonnatrice par laquelle l'Un manifeste les harmonies de son infinie multiplicité potentielle. Sans une telle connaissance, la manifestation ne serait qu'un chaos mouvant, précisément parce que la potentialité est infinie, ce qui, en soi, pourrait n'aboutir qu'au jeu d'un Hasard échappant à tout contrôle et toute mesure. S'il n'y avait qu'une potentialité infinie sans aucune loi de vérité directrice et d'harmonieuse vision de soi, sans aucune Idée prédéterminante dans la semence même des choses projetées dans l'évolution, le monde ne pourrait être qu'une incertitude foisonnante, amorphe et confuse. Mais puisque ce sont ses propres formes et ses propres pouvoirs qu'elle crée ou libère, et non des choses différentes d'elle-même, la connaissance créatrice possède en son être la vision de la vérité et de la loi qui gouvernent chaque potentialité, en même temps qu'une conscience intrinsèque de sa relation avec d'autres potentialités,
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et des harmonies possibles entre elles ; tout ceci est contenu en elle, préfiguré dans l'harmonie générale déterminante que l'Idée rythmique d'un univers doit tout entière contenir en sa naissance, lorsqu'elle se conçoit elle-même, et qui, par conséquent, doit inévitablement se réaliser par l'interaction de ses éléments. Elle est la source et la gardienne de la Loi dans le monde; car cette loi n'a rien d'arbitraire, elle est l'expression de la nature profonde de l'être, déterminée par la vérité impérative de l'idée-réelle que chaque chose est en son origine. Dès le début, tout le développement est donc prédéterminé en sa connaissance de soi et à chaque moment en son fonctionnement essentiel : il est ce qu'il doit être à chaque instant, de par sa Vérité originelle inhérente ; par cette même Vérité, il progresse vers ce qu'il doit devenir; et il sera finalement ce qui était contenu et prévu en sa semence.
Ce développement et ce progrès du monde en accord avec une vérité originelle de son être, impliquent une succession dans le Temps, une relation dans l'Espace et une interaction organisée des choses reliées dans l'Espace, à laquelle la succession temporelle donne l'aspect de Causalité. Le Temps et l'Espace, selon les métaphysiciens, n'ont qu'une existence conceptuelle et non pas réelle ; mais puisque toutes choses, et pas simplement l'Espace et le Temps, ne sont que des formes revêtues par l'Être-Conscient en sa propre conscience, la distinction n'a pas grande importance. Le Temps et l'Espace sont cet Être-Conscient unique qui se voit dans l'extension, subjectivement comme Temps, objectivement comme Espace. Notre conception mentale de ces deux catégories est déterminée par l'idée de mesure inhérente à l'action du mouvement analytique et diviseur du Mental. Pour le Mental, le Temps est une extension mobile que mesure la succession du passé, du présent et de l'avenir, et où le Mental prend une certaine position d'où il regarde ce qui précède et ce qui suit. L'Espace est une extension stable que mesure la divisibilité de la substance ; à un certain point dans cette extension divisible, le Mental se situe et regarde la disposition de la substance environnante.
En réalité, le Mental mesure le Temps au moyen de l'événement, et l'Espace au moyen de la Matière; mais dans la mentalité pure, il est possible d'ignorer le mouvement de l'événement et la disposition de la substance, et de réaliser le pur mouvement de la Force-Consciente qui constitue l'Espace et le Temps ; ceux-ci sont alors simplement deux aspects de la force universelle de la Conscience qui, en leur interaction,
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s'entremêlent et englobent la chaîne et la trame de son action sur elle-même. À une conscience supérieure au Mental qui embrasserait d'un seul regard notre passé, notre présent et notre avenir, qui les contiendrait au lieu d'être contenue en eux, qui ne serait pas située à un moment particulier du Temps servant de point de départ à son exploration, le Temps pourrait bien apparaître comme un éternel présent. Et à la même conscience qui ne se situerait en aucun point particulier de l'Espace, mais contiendrait tous les points et toutes les régions, l'Espace aussi pourrait bien apparaître comme une extension subjective et indivisible — non moins subjective que le Temps. À certains moments, nous prenons conscience d'un tel regard indivisible qui, de son immuable unité consciente d'elle-même, soutient les variations de l'univers. Mais nous ne devons pas demander maintenant comment les contenus de l'Espace et du Temps s'y présenteraient dans leur vérité transcendante ; car cela, notre mental ne peut le concevoir — et il est même prêt à refuser à cet Indivisible toute possibilité de connaître le monde autrement que par le mental et les sens.
Ce dont nous devons prendre conscience, et ce que nous pouvons dans une certaine mesure concevoir, c'est la vision une et indivisible du Supramental, son regard qui englobe tout et lui permet d'embrasser et d'unifier les successions du Temps et les divisions de l'Espace. Et d'abord, n'était ce facteur des successions temporelles, il n'y aurait ni changement, ni progression ; une parfaite harmonie serait perpétuellement manifeste, en même temps que d'autres harmonies dans une sorte de moment éternel, sans leur succéder dans le mouvement du passé vers l'avenir. Nous avons au contraire la constante succession d'une harmonie progressive, où une mélodie naît d'une autre qui l'a précédée et dissimule en elle-même celle qu'elle a remplacée. Ou si la manifestation de soi devait exister sans le facteur de l'Espace divisible, il n'y aurait aucune relation changeante entre les formes, aucune collision entre les forces; tout existerait sans avoir à s'élaborer — une conscience de soi aspatiale et purement subjective contiendrait toutes choses en une appréhension subjective infinie comme dans l'esprit d'un poète ou d'un rêveur cosmique, mais ne se répartirait pas en toutes dans une extension de soi objective et indéfinie. Ou encore, si le Temps était seul réel, ses successions seraient un pur développement où une mélodie naîtrait d'une autre en une libre spontanéité subjective, comme dans une série de sons musicaux ou une suite d'images poétiques. Au lieu de quoi, nous avons
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une harmonie élaborée par le Temps en termes de formes et de forces reliées les unes aux autres dans une extension spatiale qui contient tout; une succession ininterrompue de pouvoirs et de représentations de choses et d'événements dans notre vision de l'existence.
Différentes potentialités sont incarnées, placées, reliées dans ce champ du Temps et de l'Espace, chacune affrontant avec ses pouvoirs et ses possibilités d'autres pouvoirs et d'autres possibilités; c'est pourquoi les successions du Temps prennent pour le mental l'apparence d'une élaboration au moyen de chocs et de luttes, et non d'une succession spontanée. En réalité, les choses s'élaborent spontanément du dedans, les chocs et les luttes extérieurs n'étant que l'aspect superficiel de ce processus ; car la loi intérieure et inhérente de l'un et du tout — qui est nécessairement une harmonie — gouverne les lois extérieures d'exécution des parties ou des formes qui semblent s'affronter; et pour la vision supramentale, cette vérité de l'harmonie, plus grande et plus profonde, est toujours présente. Ce qui est discorde apparente pour le mental, parce qu'il considère chaque chose en soi, séparément, est pour le Supramental un élément de l'harmonie générale toujours présente et toujours croissante, parce qu'il voit toutes choses dans une multiple unité. En outre, le mental ne voit qu'un temps et un espace donnés et envisage pêle-mêle nombre de possibilités qui, selon lui, sont toutes plus ou moins réalisables dans ce temps et cet espace ; le Supramental divin, lui, voit l'entière extension de l'Espace et du Temps et peut embrasser toutes les possibilités du mental et beaucoup d'autres que le mental ne voit pas; mais il le fait sans erreur ni tâtonnement, ni confusion, car il perçoit chaque potentialité en sa force propre, sa nécessité essentielle, son juste rapport avec les autres, et le moment, le lieu et les circonstances de sa réalisation graduelle et ultime. Voir les choses uniment et comme un tout n'est pas possible pour le mental; mais c'est la nature même du Supramental transcendant.
En sa vision consciente, ce Supramental non seulement contient toutes les formes de lui-même que crée sa force consciente, mais il les imprègne de sa Présence immanente et de sa Lumière révélatrice. Bien que caché, il est présent en chaque forme et chaque force de l'univers; c'est lui qui détermine souverainement et spontanément la forme, la force et le fonctionnement; il limite les variations qu'il impose; il rassemble, disperse, modifie l'énergie qu'il emploie ; et tout cela est fait
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en accord avec les premières lois¹ que sa connaissance de soi a établies à la naissance même de la forme, à l'origine même de la force. Établi en toutes choses, il est le Seigneur au cœur de toutes les existences, qui les fait tourner comme sur une machine par le pouvoir de sa Maya;² il est en elles et les embrasse, car il est le Voyant divin qui a diversement disposé et ordonné les objets, chacun de la manière juste, conformément à ce qu'il est, de toute éternité³.
Dès lors, chaque chose dans la Nature, qu'elle soit animée ou inanimée, mentalement consciente ou non consciente de soi, est gouvernée en son être et ses opérations par une Vision, un Pouvoir immanent, qui nous paraît subconscient ou inconscient parce que nous n'en sommes pas conscients; mais ils ne sont pas inconscients pour eux-mêmes, au contraire, ils sont profondément et universellement conscients. Chaque chose, fût-elle privée d'intelligence, semble donc accomplir les œuvres de l'intelligence, parce qu'elle obéit, subconsciemment comme dans la plante et l'animal, à demi consciemment comme chez l'homme, à l'idée-réelle du divin Supramental qui est en elle. Mais ce n'est pas une Intelligence mentale qui anime et gouverne toutes choses ; c'est une Vérité d'être consciente-de-soi où la connaissance de soi est inséparable de l'existence en soi : c'est cette Conscience-de-Vérité qui n'a pas à penser les choses, mais qui les élabore à l'aide d'une connaissance accordée à l'infaillible vision-de-soi et à la force inéluctable d'une Existence unique s'accomplissant elle-même. L'intelligence mentale pense, parce qu'elle est simplement une force réflexive de la conscience qui ne sait pas, mais cherche à savoir ; elle suit pas à pas dans le Temps le processus d'une connaissance plus haute, d'une connaissance qui existe à jamais, une et entière, qui embrasse le Temps, voit le passé, le présent et l'avenir d'un seul regard.
Tel est donc le premier principe d'action du Supramental divin; c'est une vision cosmique qui embrasse tout, pénètre tout, demeure en tout. Parce qu'il embrasse en l'être et en la conscience de soi statique toutes choses subjectives, intemporelles et aspatiales, il embrasse donc toutes choses en la connaissance dynamique et gouverne leur incarnation objective dans l'Espace et le Temps.
¹Une expression védique. Les dieux agissent conformément aux premières lois, originelles et donc suprêmes, qui sont la loi de la vérité des choses.
²Gîta, XVIII, 61.
³îshâ Upanishad, verset 8.
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Dans cette conscience, le connaissant, la connaissance et le connu ne sont pas des entités différentes, mais sont fondamentalement un. Notre mentalité fait une distinction entre les trois parce qu'elle ne peut procéder sans distinctions ; perdant ses moyens propres et sa loi d'action fondamentale, elle devient immobile et inactive. Par conséquent, même quand c'est moi que je considère mentalement, il me faut encore faire cette distinction. Je suis, en tant que connaissant; ce que j'observe en moi, je le considère comme un objet de connaissance, qui est moi et cependant n'est pas moi; la connaissance est une opération par laquelle je relie le connaissant au connu. Mais l'artificialité, le caractère purement pratique et utilitaire de cette opération est évident : elle ne représente certainement pas la vérité fondamentale des choses. En réalité, moi le connaissant, je suis la conscience qui connaît; la connaissance est cette conscience, elle est moi-même à l'œuvre; le connu est également moi, c'est une forme ou un mouvement de la même conscience. Les trois sont clairement un seul mouvement, une seule existence indivisible, bien qu'apparemment divisée, non répartie entre ses formes, bien qu'apparemment elle se répartisse et se trouve séparément en chacune. Or c'est là une connaissance que le mental peut atteindre, qu'il peut expliquer rationnellement, qu'il peut sentir, mais dont il ne peut aisément faire la base pratique de ses opérations intellectuelles. Et la difficulté devient presque insurmontable lorsqu'il s'agit des objets extérieurs à la forme de conscience que j'appelle moi; éprouver là ne fût-ce qu'un sentiment d'unité, représente un effort anormal; le conserver et agir constamment en conséquence serait une action nouvelle et étrangère, n'appartenant pas en propre au Mental. Le Mental peut tout au plus considérer cette unité comme une vérité comprise, lui permettant de corriger et modifier ses propres activités normales qui demeurent fondées sur la division, un peu comme nous savons intellectuellement que la terre tourne autour du soleil et pouvons ainsi corriger, mais non pas abolir, l'arrangement artificiel et physiquement pratique par lequel les sens persistent à considérer que le soleil tourne autour de la terre.
Mais le Supramental possède toujours cette vérité de l'unité, et, fondamentalement, il agit sur cette base, alors que pour le mental ce n'est qu'une possession secondaire ou acquise, et non la texture même de sa vision. Le Supramental voit l'univers et son contenu comme lui-même, en un seul acte indivisible de connaissance, un acte qui est sa
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vie, qui est le mouvement même de sa propre existence. Dès lors, cette conscience divine globale, en son aspect de Volonté, ne guide ou ne gouverne pas tant le développement de la vie cosmique qu'elle ne l'accomplit en elle-même par un acte de pouvoir inséparable de l'acte de connaissance et du mouvement de l'existence en soi, qui sont en fait un seul et même acte. Car nous avons vu que la force universelle et la conscience universelle sont une — la force cosmique est la mise en œuvre de la conscience cosmique. De même la Connaissance divine et la Volonté divine sont une ; elles sont le même mouvement, le même acte fondamental de l'existence.
L'indivisibilité du Supramental qui embrasse et contient toute la multiplicité sans déroger à sa propre unité, est une vérité sur laquelle nous devons toujours insister si nous voulons comprendre le cosmos et nous débarrasser de l'erreur initiale de notre mental analytique. Un arbre évolue à partir de la graine où il est déjà contenu, la graine évolue à partir de l'arbre; une loi fixe, un processus invariable gouverne la permanence de la forme de manifestation que nous appelons arbre. Le mental considère ce phénomène, cette naissance, cette vie et cette reproduction d'un arbre comme une chose en soi, et c'est sur cette base qu'il l'étudié, la classe et l'explique. Il explique l'arbre par la graine, la graine par l'arbre; il énonce une loi de la Nature. Mais il n'a rien expliqué; il n'a fait qu'analyser et enregistrer le processus d'un mystère. À supposer même qu'il finisse par percevoir qu'une force consciente secrète est l'âme, l'être réel de cette forme, et le reste simplement une opération et une manifestation déterminées de cette force, il tend néanmoins à considérer la forme comme une existence séparée, dotée de sa loi naturelle et de son processus de développement distinct. Chez l'animal et chez l'homme qui possède une mentalité consciente, cette tendance séparatrice du Mental le conduit à se regarder lui-même comme une existence séparée, le sujet conscient, et les autres formes comme des objets distincts dans sa mentalité. Cet agencement utile, nécessaire à la vie et première base de toute sa pratique, le mental l'accepte comme un fait, comme une réalité ; de là procède toute l'erreur de l'ego.
Mais le Supramental œuvre autrement. L'arbre et son processus ne seraient pas ce qu'ils sont, ne pourraient même exister, s'il s'agissait d'une existence séparée; les formes sont ce qu'elles sont par la force de l'existence cosmique; leur développement, tel qu'il se produit, résulte
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de leur relation avec elle et avec toutes ses autres manifestations. La loi distincte de leur nature n'est qu'une application de la loi et de la vérité universelle de toute la Nature; leur développement particulier est déterminé par leur place dans le développement général. L'arbre n'explique pas la graine, ni la graine l'arbre ; le cosmos les explique tous deux, et Dieu explique le cosmos. Pénétrant et habitant à la fois la graine et l'arbre et tous les objets, le Supramental vit dans cette connaissance plus vaste, une et indivisible, bien que cette indivisibilité et cette unité soient modifiées et non pas absolues. Dans cette connaissance globale, il n'y a pas de centre d'existence indépendant, pas d'ego individuel sépare comme nous le percevons en nous-mêmes; l'existence entière est pour sa conscience de soi une extension égale, une dans l'unité, une dans la multiplicité, une dans toutes les conditions et partout. Ici, le Tout et l'Un sont la même existence; l'être individuel ne perd pas, et ne peut pas perdre la conscience de son identité avec tous les êtres et avec l'Être Unique ; car cette identité est inhérente à la cognition supramentale, elle fait partie de l'évidence supramentale.
En cette vaste égalité de l'unité, l'Être n'est pas divisé et distribué; uniformément étendu, pénétrant son extension comme l'Un, habitant comme l'Un la multiplicité des formes, il est partout à la fois le Brahman égal et unique. Car cette extension de l'Être dans l'Espace et le Temps, cette pénétration et cette habitation sont intimement reliées à l'Unité absolue dont elles ont émergé, avec cet Indivisible absolu où il n'y a ni centre ni circonférence, mais seulement l'Un aspatial et intemporel. Cette haute concentration de l'unité dans le Brahman non déployé doit nécessairement se traduire dans le déploiement par cette concentration uniformément répandue, cette inclusion indivisible de toutes choses, cette immanence universelle et non dispersée, cette unité qu'aucun jeu de la multiplicité ne peut abolir ni diminuer. " Le Brahman est en toutes choses, toutes choses sont en le Brahman, toutes choses sont le Brahman ", telle est la triple formule du Supramental qui englobe tout : une seule vérité de manifestation de soi sous trois aspects inséparablement unis dans sa vision de lui-même comme la connaissance fondamentale d'où il déploie le jeu du cosmos.
Mais quelle est alors l'origine de la mentalité et l'organisation de cette conscience inférieure dans les trois termes du Mental, de la Vie et de la Matière, qui constitue notre vision de l'univers ? Puisque
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tout ce qui existe doit provenir de l'action du Supramental qui effectue tout, de ses opérations dans les trois termes originels — Existence, Conscience-Force et Béatitude —, il doit en effet exister une faculté de la Conscience-de-Vérité créatrice dont l'action les façonne en ces ternies nouveaux, en ce trio inférieur que sont la mentalité, la vitalité et la substance physique. Cette faculté, nous la trouvons dans un pouvoir secondaire de la connaissance créatrice; le pouvoir d'une conscience qui projette, confronte, appréhende, et en laquelle la connaissance se centralise et se tient en retrait par rapport à ses œuvres afin de les observer. Et quand nous parlons de centralisation, nous la distinguons de l'uniforme concentration de conscience dont nous avons parlé plus haut, et entendons par là une concentration inégale où commence la division de soi — ou son apparence phénoménale.
Tout d'abord, le Connaissant se tient concentré dans la connaissance comme sujet et considère la Force de sa conscience comme si elle passait continuellement de lui en la forme de lui-même, y travaillant, s'en retirant, s'y projetant à nouveau, continuellement. De ce seul acte de modification de soi, découlent toutes les distinctions pratiques sur lesquelles sont basées la vision et l'action relatives de l'univers. Une distinction pratique a été créée entre le Connaissant, la Connaissance et le Connu, entre le Seigneur, Sa force et les enfants et les oeuvres de la Force, entre Celui qui jouit, la jouissance et ce dont Il jouit, entre le Moi, la Maya et les devenirs du Moi.
Ensuite, cette Âme consciente concentrée dans la connaissance, ce Purusha qui observe et gouverne la Force issue de lui, sa Shakti ou sa Prakriti, se réplique en toutes les formes de lui-même. Il accompagne, en quelque sorte, la Force de sa conscience en ses œuvres et y reproduit l'acte d'auto-division dont naît cette conscience appréhensive. En chaque forme, cette Âme demeure avec sa Nature et s'observe en d'autres formes depuis ce centre artificiel et pratique de conscience. En toutes, c'est la même Âme, le même Être divin; la multiplication des centres n'est qu'un acte pratique de la conscience visant à instituer un jeu de différence, de réciprocité — de connaissance mutuelle, de choc mutuel de force, de jouissance mutuelle —, une différence fondée sur une unité essentielle, une unité réalisée sur une base pratique de différence.
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Dans ce nouveau statut, le Supramental omnipénétrant se sépare davantage encore de la vérité unitaire des choses et de la conscience indivisible qui constitue inaliénablement l'unité essentielle à l'existence du cosmos. Nous pouvons voir que, poussé un peu plus loin, il peut vraiment devenir l'Avidyâ, la grande Ignorance qui prend la multiplicité pour la réalité fondamentale et qui, afin de revenir à l'unité réelle, doit partir de la fausse unité de l'ego. Et une fois admis le fait que le centre individuel est la position déterminante, qu'il est le connaissant, alors la sensation mentale, l'intelligence mentale, l'action mentale de la volonté et toutes leurs conséquences ne peuvent manquer d'émerger à leur tour. Cependant, aussi longtemps que l'âme agit dans le Supramental, l'Ignorance, notons-le, n'a pas encore commencé ; le champ de la connaissance et de l'action est encore la Conscience-de-Vérité, la base est encore l'unité.
Car le Moi se considère encore comme un en tout et considère toutes choses comme des devenirs de lui-même en lui-même. Le Seigneur connaît encore sa Force comme lui-même en acte et chaque être comme lui-même en âme et lui-même en forme; c'est encore de son être que jouit Celui qui jouit, même si c'est dans une multiplicité. Le seul changement réel, c'est l'inégale concentration de conscience et la multiple distribution de force. Il y a une distinction pratique dans la conscience, mais il n'y a pas de différence essentielle de conscience ni de vraie division dans sa vision de soi. La Conscience-de-Vérité est parvenue à une position qui prépare notre mentalité, mais sans être encore celle de notre mentalité. Et c'est cela qu'il nous faut étudier afin de saisir le Mental à son origine, au point où se produit sa grande chute depuis la haute et vaste étendue de la Conscience-de-Vérité dans la division et l'ignorance. Heureusement, cette Conscience-de-Vérité appréhensive,¹ parce qu'elle est proche de nous et préfigure nos opérations mentales, est beaucoup plus facile à saisir que la réalisation plus lointaine que nous nous sommes jusqu'ici efforcé d'exprimer dans le langage inadéquat de l'intellect. La barrière à franchir est moins formidable.
¹Prajñâna.
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Mon moi est ce qui soutient tous les êtres et constitue leur existence... Je suis le moi qui demeure en tous les êtres.
Gîta. IX.5.X.20.
Trois pouvoirs de la Lumière soutiennent trois mondes divins lumineux.
Rig-Véda. V. 29.1.
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Avant de passer à cette compréhension plus facile du monde où nous vivons, du point de vue d'une Conscience-de-Vérité appréhensive qui voit les choses comme les verrait une âme individuelle affranchie des limitations de la mentalité et admise à participer à l'action du Supramental divin, nous devons nous arrêter et résumer brièvement ce que nous avons saisi ou pouvons encore saisir de la conscience du Seigneur, l'îshwara, déployant le monde par sa Maya, hors de l'unité originelle concentrée de Son être.
Nous sommes partis de l'affirmation que toute l'existence est un Être unique dont la nature essentielle est Conscience, une Conscience unique dont la nature active est Force ou Volonté; et cet Être est Félicité, cette Conscience est Félicité, cette Force ou cette Volonté est Félicité. Éternelle et inaliénable Béatitude d'Existence, Béatitude de Conscience, Béatitude de Force ou de Volonté, qu'elle soit concentrée en elle-même et au repos, ou bien active et créatrice, tel est Dieu, et tels sommes-nous en notre être essentiel, notre être non phénoménal. Concentré en lui-même, il possède ou plutôt, il est la Béatitude essentielle, éternelle, inaliénable ; actif et créateur, il possède ou plutôt devient la félicité du jeu de l'existence, du jeu de la conscience, du jeu de la force et de la volonté. Ce jeu est l'univers, et cette félicité est la seule cause, le seul mobile et le seul objet de l'existence cosmique. La Conscience divine possède éternellement et inaliénablement ce jeu et cette félicité; notre être essentiel, notre moi réel qui nous est caché par le faux moi ou ego mental, jouit lui aussi éternellement et inaliénablement de ce jeu et de cette félicité et ne peut en vérité faire autrement, puisqu'il est un en son être avec la Conscience divine. Dès lors, si nous aspirons à une vie divine, nous ne pouvons l'atteindre qu'en dévoilant ce moi voilé en nous, qu'en nous élevant de notre condition présente dans le faux moi ou ego mental à une condition supérieure dans le vrai moi, l'Âtman, qu'en pénétrant dans cette unité avec la Conscience divine, dont quelque chose de supraconscient en nous jouit toujours — autrement, nous ne pourrions exister —, mais qu'a renié notre mentalité consciente.
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Mais lorsque nous affirmons ainsi cette unité de Satchidânanda d'une part, et cette mentalité divisée de l'autre, nous postulons deux entités opposées dont l'une doit être fausse si l'autre doit être tenue pour vraie, et l'une abolie si l'on doit jouir de l'autre. Or, c'est dans le mental et sa forme vitale et corporelle que nous existons sur terre et, s'il nous faut abolir la conscience du mental, de la vie et du corps pour atteindre à l'unique Existence, Conscience et Béatitude, alors une vie divine sur terre est impossible. Nous devons renoncer entièrement à l'existence cosmique comme à une illusion afin de jouir du Transcendant ou de le redevenir. Il n'est point d'autre issue à moins qu'il n'y ait entre ces deux entités un chaînon intermédiaire qui puisse les expliquer l'une à l'autre et établir entre elles une relation qui nous permettrait de réaliser l'unique Existence, Conscience, Félicité dans le moule du mental, de la vie et du corps.
Le chaînon intermédiaire existe. Nous l'appelons le Supramental, ou Conscience-de-Vérité, parce qu'il est un principe supérieur à la mentalité et qu'il existe, agit et procède dans la vérité et l'unité fondamentales des choses, et non, comme le mental, en leurs apparences et leurs divisions phénoménales. L'existence du Supramental est une nécessité logique qui résulte directement de la position dont nous sommes partis. Car Satchidânanda doit être en soi un absolu aspatial et intemporel d'existence consciente qui est béatitude ; mais le monde, au contraire, est une extension dans l'Espace et le Temps et un mouvement, une élaboration, un développement de relations et de possibilités par la causalité — ou ce qui nous apparaît ainsi — dans l'Espace et le Temps. Le vrai nom de cette Causalité est Loi divine, et l'essence de cette Loi est un inévitable auto-développement de la vérité de la chose qui, en tant qu'Idée, existe dans l'essence même de ce qui est développé; c'est une détermination préétablie de mouvements relatifs issus de la substance de l'infinie possibilité. Ce qui développe ainsi toutes choses doit être une Connaissance-Volonté ou Force-Consciente; car toute manifestation d'univers est un jeu de la Force-Consciente, qui est la nature essentielle de l'existence. Mais la Connaissance-Volonté en développement ne peut être mentale. Le mental, en effet, ne connaît, ne possède ni ne gouverne cette Loi, mais est gouverné par elle; il est l'un de ses résultats et se meut dans les phénomènes du développement de soi et non à sa racine, observe les résultats du développement comme des choses divisées et s'efforce en vain d'arriver à leur source, à leur réalité. De plus, cette
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Connaissance-Volonté qui développe tout, doit être en possession de l'unité des choses et, à partir de cette unité, manifester leur multiplicité ; mais le mental n'est pas en possession de cette unité, il ne possède, imparfaitement, qu'une partie de la multiplicité.
Il doit donc exister un principe supérieur au Mental qui satisfasse aux conditions que le Mental ne peut remplir. Sans aucun doute, c'est Satchidânanda lui-même qui est ce principe, non pas Satchidânanda reposant en sa pure conscience infinie et invariable, mais Satchidânanda émergeant de cet équilibre primordial, ou plutôt le prenant pour base et pour demeure, afin d'entrer dans un mouvement qui est sa forme d'Énergie et son instrument de création cosmique. La Conscience et la Force sont les deux aspects jumeaux essentiels du pur Pouvoir d'existence ; la Connaissance et la Volonté doivent par conséquent être la forme que prend ce Pouvoir lorsqu'il crée un monde de relations dans l'extension de l'Espace et du Temps. Cette Connaissance et cette Volonté doivent être une et infinies, tout embrasser, tout posséder, tout former, et contenir éternellement ce qu'elles projettent dans le mouvement et la forme. Le Supramental est donc l'Être se déployant dans une connaissance de soi déterminatrice qui perçoit certaines vérités de lui-même et veut les réaliser dans une extension temporelle et spatiale de sa propre existence intemporelle et aspatiale. Tout ce qui est en son être prend forme comme connaissance de soi, comme Conscience-de-Vérité, comme Idée-Réelle et, cette connaissance étant aussi force, s'accomplit ou se réalise inévitablement dans l'Espace et le Temps.
Telle est donc la nature de la Conscience divine qui crée en soi toutes choses par un mouvement de sa force-consciente et gouverne leur développement à travers une évolution, par la connaissance-volonté inhérente de la vérité de l'existence ou idée-réelle qui les a formées. L'Être qui possède une telle conscience est ce que nous appelons Dieu ; et Il doit de toute évidence être omniprésent, omniscient, omnipotent. Omniprésent, car toutes formes sont formes de Son être conscient, créées par la force dynamique de cet être déployé comme Espace-Temps; omniscient, car toutes choses existent en Son être-conscient, qui les forme et les possède; omnipotent, car cette Conscience qui possède tout est aussi une Force qui possède tout et une Volonté qui imprègne tout. Et cette Volonté et cette Connaissance ne sont pas en conflit, comme peuvent l'être notre volonté et notre connaissance, car
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elles ne sont pas différentes, mais sont un seul mouvement du même être. Elles ne peuvent pas non plus être contredites par aucune autre volonté, force ou conscience venant du dehors ou du dedans ; car il n'y a point de conscience ni de force extérieure à l'Un, et toutes les énergies et formations de connaissance intérieures ne sont autres que l'Un ; elles représentent simplement un jeu de l'unique Volonté qui détermine tout et de l'unique Connaissance qui harmonise tout. Ce qui nous apparaît comme un conflit de volontés et de forces, parce que nous demeurons dans le particulier et le divisé et ne pouvons voir le tout, le Supramental l'envisage comme les éléments aspirant secrètement à une harmonie prédéterminée qui, pour lui, est toujours présente du fait que la totalité des choses est éternellement embrassée par son regard.
Quels que soient l'équilibre ou la forme que prenne son action, telle sera toujours la nature de la Conscience divine. Mais, son existence étant absolue en soi, son pouvoir d'existence est lui aussi absolu en son extension, et il n'est donc pas limité à un seul équilibre ou à une seule forme d'action. Nous, êtres humains, sommes phénoménalement une forme particulière de conscience, soumise au Temps et à l'Espace, et, dans notre conscience de surface qui est tout ce que nous connaissons de nous-mêmes, nous ne pouvons être qu'une chose à la fois, une seule formation, un seul équilibre de l'être, un seul agrégat d'expériences; et cette chose unique est pour nous la vérité de nous-mêmes que nous reconnaissons ; le reste n'est pas vrai ou n'est plus vrai, car cela a disparu dans le passé, hors de notre champ de connaissance, ou bien n'est pas encore vrai, car cela attend dans le futur et ne fait pas encore partie de ce champ. Mais la Conscience divine n'est pas si particularisée ni si limitée; elle peut être beaucoup de choses à la fois et maintenir plus d'un équilibre pendant longtemps, voire pour toujours. Nous constatons que, dans le principe du Supramental lui-même, elle présente ainsi trois positions ou assises générales de sa conscience fondatrice du monde. La première fonde l'inaliénable unité des choses, la seconde modifie cette unité de façon à soutenir la manifestation du Multiple dans l'Un et de l'Un dans le Multiple ; la troisième la modifie encore davantage afin de soutenir l'évolution d'une individualité diversifiée qui, par l'action de l'Ignorance, devient en nous, à un niveau inférieur, l'illusion de l'ego séparé.
Nous avons vu quelle est la nature de cet équilibre premier et primordial du Supramental qui fonde l'inaliénable unité des choses. Ce
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n'est pas la pure conscience unitaire, car celle-ci est une concentration intemporelle et aspatiale de Satchidânanda en lui-même, où la Force-Consciente ne se projette en aucune extension, quelle qu'elle soit, et si jamais elle contient l'univers, c'est comme potentialité éternelle et non comme actualisation temporelle. Cet équilibre, au contraire, est une extension égale de Satchidânanda qui englobe tout, possède tout, constitue tout. Mais ce tout est un, et non multiple ; il n'y a pas d'individualisation. C'est quand le reflet de ce Supramental tombe sur notre moi apaisé et purifié que nous perdons tout sens d'individualité ; car il ne s'y trouve pas de concentration de conscience pour soutenir un développement individuel. Tout se développe dans l'unité, comme étant un ; tout est maintenu par cette Conscience divine comme formes de son existence et en aucune mesure comme existences séparées. À peu près de la même façon que les pensées et les images qui naissent dans notre mental ne sont pas pour nous des existences séparées, mais des formes qu'assume notre conscience, de même en est-il de tout nom et de toute forme pour ce Supramental primordial. C'est la pure idéation et formation divine dans l'Infini — seulement c'est une idéation-formation organisée non comme un jeu irréel de la pensée mentale, mais comme un jeu réel de l'être conscient. L'âme divine, en cet équilibre, ne ferait aucune différence entre l'Âme-Consciente et l'Âme-Force, car toute force serait action de la conscience, ni entre la Matière et l'Esprit puisque toute forme serait simplement une forme de l'Esprit.
'Dans le second équilibre du Supramental, la Conscience divine se tient dans l'idée, en retrait du mouvement qu'elle contient. Elle le réalise par une sorte de conscience appréhensive, le suit, occupe et habite ses œuvres, et semble se distribuer en ses formes. Et c'est pourquoi, en chaque nom et en chaque forme, elle se réaliserait comme le Moi-conscient stable, le même en tout; mais elle se réaliserait aussi comme une concentration du Moi-Conscient suivant et supportant le jeu individuel du mouvement, et maintenant ce qui le différencie des autres jeux du mouvement — l'essence de l'âme demeurant partout identique, tandis que sa forme varie. Cette concentration supportant la forme d'âme serait le Divin individuel ou Jîvâtman, distinct du Divin universel ou moi unique qui constitue tout. Il n'y aurait pas de différence essentielle, mais seulement une différenciation pratique pour le jeu, qui n'annulerait pas l'unité réelle. Le Divin universel connaîtrait toutes les formes d'âme comme étant lui-même et Il établirait cependant une relation différente
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avec chacune séparément et, en chacune, avec toutes les autres. Le Divin individuel envisagerait son existence comme une forme d'âme et un mouvement d'âme de l'Un, et, tout en jouissant de son unité avec l'Un et avec toutes les formes d'âme grâce à l'action compréhensive de sa conscience. Il soutiendrait et goûterait aussi son mouvement individuel et ses relations de libre différence dans l'unité avec l'Un et avec toutes ses formes, grâce à une action appréhensive frontale ou de surface. Si notre mental purifié parvenait à refléter cet équilibre secondaire du Supramental, notre âme pourrait soutenir son existence individuelle et y demeurer, et néanmoins réaliser qu'elle est l'Un qui est devenu tout, qui demeure en tout, contient tout, jouissant jusque dans sa modification particulière de son unité avec Dieu et avec les autres âmes. Il n'y aurait de changement caractéristique en aucune autre circonstance de l'existence supramentale ; le seul changement serait ce jeu de l'Un qui a manifesté sa multiplicité et du Multiple qui est toujours un, avec tout ce qui est nécessaire pour maintenir et conduire le jeu.
Un troisième équilibre du Supramental serait atteint si la concentration de base, au lieu de se tenir en quelque sorte en retrait du mouvement, au lieu de demeurer en lui tout en gardant une certaine supériorité, et de le suivre ainsi et d'y trouver sa joie, se projetait dans le mouvement et s'y involuait pour ainsi dire. Dans ce cas, le caractère du jeu se trouverait modifié, mais seulement dans la mesure où le Divin individuel ferait du jeu avec le Divin universel et avec ses autres formes le champ pratique de son expérience consciente, et le ferait de façon si dominante que la réalisation de l'unité absolue avec eux ne serait que le suprême accompagnement et la constante apothéose de toute expérience ; mais dans la position supérieure, l'unité serait l'expérience dominante et fondamentale, et la variation ne serait qu'un jeu de l'unité. Cet équilibre tertiaire serait par conséquent celui d'une sorte de dualisme fondamental et bienheureux dans l'unité — non plus l'unité modifiée par un dualisme subordonné — entre le Divin individuel et sa source universelle, avec toutes les conséquences qu'entraîneraient le maintien et les modalités d'action d'un tel dualisme.
On peut dire que la première conséquence serait une chute dans l'ignorance d'Avidyâ qui prend le Multiple pour le fait réel de l'existence et ne voit en l'Un qu'une somme cosmique du Multiple. Mais une telle chute ne se produirait pas nécessairement. Car le Divin individuel serait
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encore conscient d'être issu de l'Un et de son pouvoir de création de soi consciente, autrement dit de sa multiple concentration de soi ainsi conçue pour qu'il puisse gouverner et goûter multiplement sa multiple existence dans l'extension de l'Espace et du Temps; ce vrai individu spirituel ne s'arrogerait pas une existence indépendante ou séparée. Il affirmerait seulement la vérité de ce mouvement différenciateur en même temps que la vérité de l'unité stable, les considérant comme les pôles supérieur et inférieur de la même vérité, le fondement et la culmination du même jeu divin; et il affirmerait que la joie de la différenciation est nécessaire à la plénitude de la joie de l'unité.
De toute évidence, ces trois positions ne seraient que différentes manières d'aborder la même Vérité; la Vérité de l'existence dont on jouit serait identique, la façon d'en jouir, ou plutôt l'équilibre de l'âme qui en jouit, serait différent. La félicité, l'Ananda varierait, mais demeurerait toujours au niveau de la Conscience-de-Vérité sans impliquer de chute dans le Mensonge et l'Ignorance. Car à ses deuxième et troisième niveaux, le Supramental ne ferait que développer et appliquer dans les termes de la multiplicité divine ce que le Supramental primordial contenait dans les termes de l'unité divine. Nous ne pouvons condamner aucune de ces trois positions comme fausse ou illusoire. Lorsqu'elles parlent de l'existence Divine et de sa manifestation, les Upanishad, qui demeurent l'antique et suprême autorité pour ce qui concerne ces vérités d'une expérience supérieure, admettent la validité de toutes ces expériences. Nous ne pouvons qu'affirmer la priorité de l'unité sur la multiplicité, une priorité non pas dans le temps, mais dans le rapport de conscience, et nul exposé de la suprême expérience spirituelle, nulle philosophie védântique ne nie cette priorité, ou cette éternelle subordination du Multiple à l'Un. Si l'on nie la réalité du Multiple, c'est parce que, dans le Temps, le Multiple semble ne pas être éternel mais se manifester à partir de l'Un et y retourner comme à son essence ; mais on pourrait aussi bien arguer que l'éternelle persistance ou, si l'on veut, l'éternelle récurrence de la manifestation dans le Temps est une preuve que la multiplicité divine est tout autant que l'unité divine un fait éternel du Suprême par-delà le Temps ; autrement, la manifestation ne pourrait avoir ce caractère d'inévitable récurrence éternelle dans le Temps.
En vérité, ce n'est que lorsque notre mentalité humaine insiste exclusivement sur un seul aspect de l'expérience spirituelle, affirme
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qu'il est l'unique vérité éternelle et l'expose dans les termes de notre logique mentale qui divise tout, que l'apparition d'écoles de philosophie antagonistes s'avère nécessaire. Ainsi, insistant sur la seule vérité de la conscience unitaire, nous observons le jeu de l'unité divine que notre mentalité traduit de façon erronée dans les termes d'une différence réelle ; mais non contents de corriger cette erreur du mental par la vérité d'un principe supérieur, nous affirmons que le jeu lui-même est une illusion. Ou bien, mettant l'accent sur le jeu de l'Un dans le Multiple, nous parlons d'unité diminuée et considérons l'âme individuelle comme une forme d'âme du Suprême, quitte à affirmer l'éternité de cette existence diminuée et à nier tout à fait l'expérience d'une conscience pure dans une unité parfaite. Ou encore, mettant l'accent sur le jeu de la différence, nous affirmons que le Suprême et l'âme humaine sont éternellement différents et rejetons la validité d'une expérience qui dépasse et semble abolir cette différence. Mais la position que nous avons maintenant fermement adoptée nous dispense de la nécessité de ces négations et de ces exclusions : nous voyons qu'il existe une vérité derrière toutes ces affirmations, mais en même temps un excès qui mène à une négation injustifiée. Affirmant, comme nous l'avons fait, le caractère absolument absolu de Cela, sans être limités, ni par nos conceptions de l'unité, ni par nos conceptions de la multiplicité, affirmant que l'unité est une base pour la manifestation de la multiplicité, et la multiplicité une base pour le retour à l'unité et pour la jouissance de l'unité dans la manifestation divine, nous n'avons pas besoin d'alourdir notre présent exposé par de telles discussions, ni d'entreprendre le vain labeur d'asservir à nos distinctions et définitions mentales l'absolue liberté de l'Infini Divin.
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Celui dont le moi est devenu toutes les existences, car il a la connaissance, comment pourrait-il être trompé, d'où lui viendrait la peine, lui qui partout voit l'unité ?
Îshâ Upanishad. Verset 7.
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Cette conception du Supramental que nous venons d'élaborer, et qui s'oppose aux notions mentales sur lesquelles se fonde notre existence humaine, nous donne une idée, non plus vague, mais bien précise, de la divinité et de la vie divine, termes qu'autrement nous sommes condamnés à employer sans rigueur pour formuler, de manière assez floue, une aspiration vaste et cependant presque intangible ; elle nous permet aussi d'appuyer ces idées sur un raisonnement philosophique solide, d'établir clairement leur relation avec l'humanité, et avec la vie humaine où nous puisons encore toute notre joie. Notre espoir et notre aspiration se trouveront ainsi justifiés par la nature même du monde, par nos antécédents cosmiques et par l'avenir inéluctable de notre évolution. Nous commençons à saisir intellectuellement ce qu'est le Divin, la Réalité éternelle, et comment le monde est issu de Lui. Nous commençons aussi à percevoir comment ce qui vient du Divin doit inévitablement retourner au Divin. Nous pouvons maintenant nous demander avec profit, et avec une chance d'obtenir une réponse plus claire, de quelle manière doit s'effectuer le changement et ce qu'il nous faut devenir pour réaliser ces choses dans notre nature et notre vie et dans nos relations avec les autres, puisqu'il ne s'agit pas seulement d'une réalisation extatique et solitaire dans les profondeurs de notre être. Certes, il y a encore un défaut dans nos prémisses; car nous nous sommes jusqu'ici efforcés de définir pour nous-mêmes ce qu'est le Divin en sa descente vers la Nature limitée, alors qu'en fait nous sommes nous-mêmes le Divin qui, dans l'individu, s'élève de la Nature limitée pour retourner à sa propre divinité. Cette différence de mouvement doit impliquer une différence entre la vie des dieux qui n'ont jamais connu la chute, et la vie de l'homme rédimé, conquérant la divinité perdue et portant l'expérience en lui, et peut-être aussi les nouvelles richesses qu'il a amassées en acceptant l'extrême descente. Quoi qu'il en soit, il ne peut y avoir de différence
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dans les caractères essentiels, mais seulement dans la forme et la coloration. Sur la base des conclusions auxquelles nous sommes arrivés, nous pouvons d'ores et déjà déterminer la nature essentielle de la vie divine à laquelle nous aspirons.
Que serait donc l'existence d'une âme divine qui ne serait point descendue dans l'ignorance du fait de la chute de l'Esprit dans la Matière et de l'éclipsé de l'âme par la Nature matérielle ? Quelle serait la conscience de cette âme vivant dans la Vérité originelle des choses, dans l'unité inaliénable, dans le monde de son propre être infini comme l'Existence divine elle-même, mais qui, grâce au jeu de la divine Maya et à la distinction entre la Conscience-de-Vérité compréhensive et la Conscience-de-Vérité appréhensive, serait capable de jouir aussi de sa différence avec Dieu et de son unité avec Lui, d'embrasser la différence et néanmoins l'unité avec d'autres âmes divines dans le jeu infini de l'Identique qui se multiplie ?
Évidemment, l'existence d'une telle âme serait toujours contenue en soi dans le jeu conscient de Satchidânanda. Elle serait, en son être, existence en soi pure et infinie ; en son devenir, elle serait un libre jeu de la vie immortelle que n'envahiraient ni la mort, ni la naissance, ni le changement de corps, parce que l'ignorance ne l'obscurcirait pas et qu'elle ne serait pas involuée dans les ténèbres de notre être matériel. Elle serait en son énergie une conscience pure et illimitée, qui aurait pour assise une tranquillité lumineuse, éternelle, et serait cependant capable de jouer librement avec les formes de la connaissance et les formes du pouvoir conscient, calme, non affectée par les trébuchements de l'erreur mentale et les méprises de notre volonté en lutte, car elle ne s'écarterait jamais de la vérité ni de l'unité, ne déchoirait jamais de la lumière inhérente et de l'harmonie naturelle de son existence divine. Elle serait finalement la pure et inaliénable félicité de son éternelle expérience de soi et, dans le Temps, une libre variation de béatitude non affectée par nos perversions — antipathie, haine, mécontentement, souffrance —, parce qu'elle ne serait pas divisée en son être, ni déconcertée par la volonté personnelle qui s'égare, ni pervertie par la stimulation ignorante du désir.
Sa conscience ne serait exclue d'aucune partie de la vérité infinie, ni limitée par aucune position, aucun statut qu'elle pourrait assumer dans ses rapports avec les autres, ni non plus condamnée à perdre
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aucunement sa connaissance de soi en acceptant une individualité purement phénoménale et le jeu d'une différenciation pratique. Dans son expérience de soi, elle vivrait éternellement dans la présence de l'Absolu. Pour nous, l'Absolu n'est qu'une conception intellectuelle de l'existence indéfinissable. L'intellect nous dit simplement qu'il y a un Brahman plus haut que le plus haut,¹ un Inconnaissable qui se connaît d'une façon qui n'est pas celle de notre connaissance ; mais l'intellect ne peut nous conduire en sa présence. Au contraire, l'âme divine vivant en la Vérité des choses se percevrait toujours consciemment comme une manifestation de l'Absolu. Elle aurait conscience de son existence immuable comme de la " forme inhérente² " originelle de ce Transcendant, Satchidânanda, et percevrait le jeu de son être conscient comme la manifestation de Cela dans les formes de Satchidânanda. Dans tous ses états, tous ses actes de connaissance, elle serait consciente de l'Inconnaissable prenant connaissance de lui-même par une forme changeante de connaissance de soi ; dans tous ses états, tous ses actes de pouvoir, de volonté ou de force, elle serait consciente de la Transcendance se possédant elle-même par une forme de pouvoir d'être et de connaissance conscients ; dans tous ses états, tous ses actes de félicité, de joie ou d'amour, elle serait consciente de la Transcendance s'embrassant elle-même par une forme de jouissance de soi consciente. Cette présence de l'Absolu ne l'accompagnerait pas comme une expérience entrevue par instants ou finalement atteinte et conservée non sans peine, ni comme un supplément, une acquisition ou un couronnement surajouté à son état d'être ordinaire; ce serait la base même de son être à la fois dans l'unité et dans la différenciation ; cet Absolu serait présent pour elle dans tout ce qu'elle connaît, veut, fait et goûte ; il ne serait absent ni de son moi intemporel, ni d'aucun moment du Temps, ni de son être aspatial, ni d'aucune détermination de son existence déployée, ni de sa pureté inconditionnée au-delà de toute cause et de toute circonstance, ni d'aucune relation de circonstance, de condition et de causalité. Cette présence constante de l'Absolu serait la base de sa liberté et de son ravissement infinis, garantirait sa sécurité: dans le jeu et serait la racine, la sève et l'essence de son être divin.
De plus, cette âme divine vivrait simultanément dans les deux termes de l'existence éternelle de Satchidânanda, dans les deux pôles inséparables du déploiement de soi de l'Absolu que nous appelons l'Un
¹parâtpara.
²svarûpa.
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et le Multiple; Tout être vit ainsi en réalité; mais pour noire conscience de nous-mêmes divisée, il y a une incompatibilité, un abîme entre les deux, qui nous oblige à faire un choix : demeurer dans la multiplicité, exilés de la conscience directe et entière de l'Un, ou bien dans l'unité qui repousse la conscience du Multiple. Mais l'âme divine ne serait pas asservie à ce divorce et à cette dualité. Elle prendrait conscience en elle-même, à la fois de son infinie concentration et de son expansion et diffusion infinies. Elle percevrait simultanément l'Un en sa conscience unitaire contenant en soi l'innombrable multiplicité comme en puissance, inexprimée et donc non existante pour notre expérience mentale de cet état, et l'Un en sa conscience déployée contenant la multiplicité projetée et active comme jeu de son être, de son vouloir et de son ravissement conscients. Elle percevrait également le Multiple tirant toujours à lui l'Un qui est la source et la réalité éternelles de son existence, et le Multiple s'élevant toujours, attiré vers l'Un qui est l'éternel couronnement et la bienheureuse justification de tout son jeu de différence. Cette vaste vision des choses est le moule de la Conscience-de-Vérité, la fondation de la large Vérité et du Juste¹ chantés par les voyants védiques ; l'unité de tous ces contraires est l'Advaïta véritable, la parole suprême et intégrale de la connaissance de l'Inconnaissable.
L'âme divine percevra toutes les variations de l'être, de la conscience, de la volonté et de la félicité comme la coulée, l'extension, la diffusion de cette Unité concentrée en soi qui se développe, non dans la différence et la division, mais dans une autre forme, déployée, de l'unité infinie. Elle sera elle-même toujours concentrée en l'unité dans l'essence de son être, toujours manifestée en la diversité dans l'extension de son être. Tout ce qui prend forme en elle sera l'une des potentialités manifestées de l'Un : le Mot ou le Nom vibrant hors du Silence sans nom, la Forme réalisant l'essence sans forme, la Volonté ou la Puissance actives émergeant de la Force tranquille, le rayon de la connaissance de soi dont la lumière émane du soleil de l'intemporelle conscience de soi, la vague du devenir s'élevant, pour revêtir la forme de l'existence consciente de soi, hors de l'Être éternellement conscient de soi, la joie et l'amour jaillissant à jamais de l'éternel, de l'immuable Félicité. L'âme divine sera l'Absolu duel en son propre déploiement, et chaque relativité en elle y sera absolue pour elle-même parce qu'elle se percevra comme l'Absolu
¹En sanskrit, satyam ritam brihat (N.d.t.).
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manifesté, mais sans cette ignorance qui exclut les autres relativités comme étrangères à Son être ou moins complètes qu'elle.
Dans l'extension, l'âme divine aura conscience des trois degrés de l'existence supramentale, non point comme nous sommes mentalement forcés de les considérer, non point comme des degrés, mais comme un fait tri-un de la manifestation de soi de Satchidânanda. Elle pourra les embrasser dans une seule et unique réalisation de soi globale — car une vaste globalité est le fondement du Supramental conscient de la vérité. Elle pourra divinement concevoir, percevoir et sentir toutes choses comme le Moi, son propre moi, l'unique moi de tout, unique être du Moi et devenir du Moi, mais non divisé en ses devenirs qui n'ont d'autre existence que sa conscience de soi. Elle pourra divinement concevoir, percevoir et sentir toutes les existences comme des formes d'âme de l'Un dont chacune a son être propre en l'Un, son propre point de vue en l'Un, ses propres rapports avec toutes les autres existences qui peuplent l'unité infinie, mais qui toutes dépendent de l'Un, chacune étant une forme consciente de Lui en Sa propre infinité. Elle pourra divinement concevoir, percevoir et sentir que toutes ces existences, en leur individualité, en leur point de vue séparé, vivent comme le Divin individuel, que chacune est habitée par l'Un et Suprême, et qu'elle n'est donc pas seulement une forme ou une effigie, pas réellement une partie illusoire d'un tout réel, ni simplement une vague écumante à la surface d'un immobile Océan — car après tout, ce ne sont là qu'images mentales inadéquates, et rien de plus —, mais un tout dans le tout, une vérité qui répète la Vérité infinie, une vague qui est toute la mer, un relatif qui se révèle être l'Absolu lui-même quand nous regardons derrière la forme et la voyons en sa totalité.
Ce sont là, en effet, trois aspects de l'unique Existence. Le premier repose sur cette connaissance de soi que, selon notre réalisation humaine du Divin, l'Upanishad décrit comme le Moi en nous qui devient toutes les existences; le second, comme la vision de toutes les existences dans le Moi et le troisième comme la vision du Moi en toutes les existences. Le Moi qui devient toutes les existences est la base de notre unité avec le tout ; le Moi qui contient toutes les existences est la base de notre unité dans la différence; le Moi qui demeure en tout est la base de notre individualité dans l'universel. Si l'imperfection de notre mentalité, si son besoin de concentration exclusive l'obligent à insister
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sur l'un ou l'autre de ces aspects de la connaissance de soi à l'exclusion des autres, si une réalisation imparfaite autant qu'exclusive nous pousse toujours à introduire un élément humain d'erreur jusque dans la Vérité elle-même, et de conflit, de négation mutuelle dans l'unité qui comprend tout, il n'en est pas moins vrai que, pour un être divin supramental, de par le caractère essentiel du supramental qui est unité globale et totalité infinie, ces trois aspects doivent se présenter comme une réalisation triple et, en fait, tri-une.
Si nous supposons que cette âme trouve son équilibre, son centre dans la conscience du Divin individuel vivant et agissant en relation distincte avec les "autres", elle possédera néanmoins, dans les fondements de sa conscience, l'entière unité dont tout émerge, et, à l'arrière-plan de cette conscience, l'unité déployée et l'unité restreinte, et elle pourra retourner à l'une ou à l'autre et, de là, contempler son individualité. Dans le Véda, toutes ces positions sont l'apanage des dieux. Par essence, les dieux sont une seule existence à laquelle les sages donnent différents noms ; mais en son action fondée dans la vaste Vérité et dans la Justice, et ce qui en découle, on dit d'Agni, ou de toute autre divinité, qu'il est tous les dieux, qu'il est l'Un qui devient tout; on dit aussi qu'il contient tous les dieux comme le moyeu d'une roue contient les rayons, qu'il est l'Un qui contient tout; et cependant, en tant qu'Agni, on le décrit comme une divinité séparée, celle qui aide toutes les autres, les dépasse en force et en connaissance, bien qu'il occupe une position inférieure dans le cosmos et leur serve de messager, de prêtre et d'ouvrier — créateur et père du monde, il est pourtant le fils né de nos œuvres ; il est, autrement dit, le Moi ou Divin originel et le Moi ou Divin immanent manifesté, l'Un qui demeure en tout.
Toutes les relations de l'âme divine avec Dieu, son Moi suprême, et avec ses autres moi en d'autres formes seront déterminées par cette connaissance de soi compréhensive. Ces relations seront des relations d'être, de conscience et de connaissance, de volonté et de force, d'amour et de félicité. Pouvant varier à l'infini, elles n'ont besoin d'exclure aucune relation d'âme à âme compatible avec la préservation du sens inaliénable d'unité, malgré tous les phénomènes de différence. Ainsi, dans la joie que lui procurent ces relations, l'âme divine goûtera le délice de toute sa propre expérience en elle-même, et le délice de toute son expérience dans ses 'rapports avec les autres, comme une
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communion avec d'autres moi en d'autres formes créées pour un jeu varié dans l'univers ; elle connaîtra aussi le délice des expériences de ses autres moi comme si elles étaient siennes — ce qu'elles sont en vérité. Et elle aura tous ces pouvoirs parce qu'elle sera consciente de ses propres expériences, de ses relations avec les autres et des expériences des autres ainsi que de leurs relations avec elle comme étant toute la joie, tout l'Ananda de l'Un, du Moi suprême, de son moi propre, différencié parce qu'il habite séparément toutes ces formes comprises en son être, et pourtant un dans la différence. Cette unité étant la base de toute son expérience, elle sera libre des discordes de notre conscience divisée, divisée par l'ignorance et un égoïsme séparateur ; tous ces moi et leurs relations joueront chacun consciemment le jeu de tous les autres; ils se sépareront et se fondront les uns dans les autres comme les notes innombrables d'une harmonie éternelle.
Et la même règle s'appliquera aux relations de son être, de sa connaissance, de sa volonté avec l'être, la connaissance et la volonté des autres. Car toute son expérience et tout son délice seront le jeu d'une force d'être consciente qui trouve en soi sa propre félicité ; et obéissant à cette vérité de l'unité, la volonté qui l'anime ne pourra entrer en conflit avec la connaissance, pas plus que la connaissance et la volonté ne pourront s'opposer à la félicité. La connaissance, la volonté et la félicité d'une âme n'entreront pas non plus en conflit avec la connaissance, la volonté et la félicité d'une autre âme car, étant conscientes de leur unité, c'e qui est conflit, lutte et discorde en notre être divisé, y sera la rencontre, l'entrelacement, le jeu combiné des différentes notes d'une harmonie unique et infinie.
Dans ses rapports avec son Moi suprême, avec Dieu, l'âme divine aura ce sens de l'unité du Divin transcendant et universel avec son être. Elle goûtera cette unité de Dieu avec elle-même en sa propre individualité et avec ses autres moi dans l'universalité. Ses rapports de connaissance seront le jeu de l'omniscience divine, car Dieu est Connaissance, et ce qui, en nous, est ignorance ne sera là que retenue de la connaissance dans le repos de la perception de soi consciente, afin que certaines formes de cette perception puissent être projetées comme activité de Lumière. Ses rapports de volonté seront le jeu de l'omnipotence divine, car Dieu est Force, Volonté et Pouvoir, et ce qui, en nous, est faiblesse et incapacité sera retenue de la volonté dans use ;force tranquille et concentrée, afin
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que certaines formes de la divine force-consciente puissent se réaliser une fois projetées dans une forme de Pouvoir. Ses relations d'amour et de félicité seront le jeu de l'extase divine, car Dieu est Amour et Félicité, et ce qui, en nous, serait la négation de l'amour et de la joie sera retenue de la joie dans l'immobile océan de la Béatitude afin que certaines formes d'union et de joie divines puissent être projetées dans un soulèvement des vagues de la Béatitude. De même tout son devenir sera la formation de l'être divin en réponse à ces activités, et ce qui, en nous, est cessation, mort, annihilation ne sera que repos, transition, ou retenue de la Maya et de sa joie créatrice dans l'être éternel de Satchidânanda. En même temps, cette unité n'exclura pas les relations de l'âme divine avec Dieu, avec son Moi suprême, fondées sur la joie de la différence se séparant de l'unité pour goûter autrement cette unité ; elle n'annulera la possibilité d'aucune de ces formes exquises de la joie divine qui sont le ravissement suprême de l'amant de Dieu lorsqu'il étreint le Divin.
Mais quelles seront les conditions dans lesquelles et par lesquelles se réalisera cette nature de la vie de l'âme divine? Toute expérience relationnelle s'effectue au moyen de certaines forces d'être s'exprimant par des instruments que nous appelons propriétés, qualités, activités, facultés. De même, par exemple, que le Mental se projette en des formes variées de pouvoir mental — tels le jugement, l'observation, la mémoire, la sympathie propres à son être —, de même la Conscience-de-Vérité ou Supramental doit-elle effectuer les relations d'âme à âme au moyen de forces, de facultés, de fonctionnements propres à l'être supramental ; autrement, il n'y aurait aucun jeu de différenciation. Ce que sont ces fonctionnements, nous le verrons lorsque nous en viendrons à considérer les conditions psychologiques de la Vie divine; nous ne considérons à présent que ses fondements métaphysiques, sa nature et ses principes essentiels. Qu'il suffise pour le moment d'observer que l'absence ou l'abolition de l'égoïsme séparateur et de la division effective dans la conscience est l'unique condition essentielle de la Vie divine et que, par conséquent, leur présence en nous est ce qui constitue notre mortalité et notre chute du Divin. C'est là notre " péché originel ", ou disons plutôt, pour employer un langage plus philosophique, c'est ce qui nous a écartés de la Justice et de la Vérité de l'Esprit, de son unité, de son intégralité et de son harmonie, et qui était en même temps la condition nécessaire à cette grande plongée dans l'Ignorance qu'est l'aventure de l'âme dans le monde, et dont est née notre humanité qui souffre et qui aspire.
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Il découvrit que le Mental était le Brahman.
Taittirîya Upanishad. ni. 4.
Indivisible, mais comme divisé en êtres.
Gîta. XIII. 17.
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Jusqu'à présent, nous nous sommes efforcés de concevoir ce que peut être l'essence de la vie supramentale, que l'âme divine possède parfaitement dans l'être de Satchidânanda, mais que l'âme humaine doit manifester dans ce corps de Satchidânanda formé ici dans le moule d'une vie mentale et physique. Mais pour autant que nous ayons pu envisager cette existence supramentale, elle ne semble avoir aucun lien, aucune correspondance avec la vie telle que nous la connaissons, la vie qui se meut entre les deux termes de notre existence normale, les deux firmaments du mental et du corps. Elle serait plutôt un état d'être, un état de conscience, fait de rapports dynamiques et de jouissance mutuelle, comme des âmes désincarnées pourraient en posséder et en faire l'expérience dans un monde sans formes physiques, un monde où la différenciation des âmes aurait été accomplie, mais pas celle des corps, un monde d'activés et joyeuses infinités, et non d'esprits captifs de la forme. On pourrait donc raisonnablement douter qu'une vie divine de ce type soit possible, compte tenu de la limitation de la forme corporelle, de la limitation du mental emprisonné dans la forme et de la force entravée par la forme, qui constituent l'existence telle que nous la connaissons actuellement.
En fait, nous nous sommes efforcés de parvenir à une certaine conception de cet être, de cette force-consciente et de cette pure félicité, suprêmes et infinis, dont notre monde est une création et notre mentalité une image pervertie ; nous avons essayé de nous faire une idée de ce que peut être cette divine Maya, cette Conscience-de-Vérité, cette Idée-réelle par quoi la force consciente de l'Existence transcendante et universelle conçoit, forme et gouverne l'univers, l'ordre, le cosmos de sa joie d'être manifestée. Mais nous n'avons pas étudié les rapports de ces quatre grands termes divins avec les trois autres, les seuls auxquels notre expérience humaine soit accoutumée — le mental, la vie et le corps. Nous n'avons pas examiné en détail cette autre Maya, apparemment non
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divine, qui est la source de tout notre effort, de toute notre souffrance, ni vu précisément comment elle se développe à partir de la réalité divine, de la Maya divine. Et tant que nous ne l'avons pas fait, tant que nous n'avons pas tissé les fils de connexion manquants, notre monde reste incompréhensible, et l'on peut encore légitimement douter qu'une unification soit possible entre cette existence supérieure et cette vie terrestre inférieure. Nous savons que notre monde a émergé de Satchidânanda et subsiste en Son être ; nous concevons qu'il y demeure comme Celui qui goûte la Joie et la Connaissance, comme le Seigneur et le Moi ; nous avons vu que les termes duels que sont la sensation, le mental, la force, l'être, ne peuvent être que les représentations de Sa félicité, de Sa force consciente, de Sa divine existence. Mais elles nous paraissent en fait tellement opposées à ce qu'il est réellement et supérieurement que, tant que nous restons concentrés sur la cause de cette opposition, contenus que nous sommes dans le triple terme inférieur de l'existence, nous ne pouvons en même temps vivre une vie divine. Il nous faut ou bien élever cet être inférieur en cet état supérieur ou échanger le corps contre cette pure existence, la vie contre cette pure condition de force-consciente, les sensations et la mentalité contre cette pure félicité et cette pure connaissance qui vivent dans la vérité de la réalité spirituelle. Et cela ne doit-il pas signifier que nous abandonnions toute existence mentale limitée ou terrestre pour quelque chose qui en est l'opposé — quelque pur état de l'Esprit, ou, s'ils existent, quelque monde de la Vérité des choses, ou d'autres mondes de Béatitude divine, de divine Énergie, d'Être divin? En ce cas, la perfection de l'humanité se trouve ailleurs qu'en l'humanité elle-même; le sommet de son évolution terrestre ne peut être que le pinacle subtil d'une mentalité qui se dissout et d'où elle fait le grand saut dans l'être sans forme ou en des mondes hors de portée pour le Mental incarné.
Mais en réalité, tout ce que nous appelons non divin ne peut être qu'une action des quatre principes divins eux-mêmes, l'action même qui était nécessaire pour créer cet univers de formes. Ces formes ont été créées non pas en dehors de l'existence, de la force-consciente et de la béatitude divines, mais en elles, non pas en dehors mais au sein même des opérations de la divine Idée-Réelle, dont elles font partie. Il n'y a donc aucune raison de supposer qu'il ne peut y avoir de jeu réel de la conscience divine supérieure dans un monde de formes ou que les formes et leurs supports immédiats — la conscience mentale, l'énergie
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de la force vitale et la substance de la forme — doivent obligatoirement défigurer ce qu'ils représentent. Il est possible, et même probable, que le mental, le corps et la vie existent en leurs formes pures dans la Vérité divine elle-même, qu'ils soient en quelque sorte des activités subordonnées de sa conscience et fassent partie de l'instrumentation complète dont la Force suprême se sert toujours dans ses œuvres. Le mental, la vie et le corps doivent alors être capables de se diviniser; leurs formes et leurs opérations, durant la brève période d'un cycle de l'évolution terrestre, le seul, parmi beaucoup d'autres sans doute, que nous révèle la Science, ne représentent pas nécessairement toutes les opérations potentielles de ces trois principes dans le corps vivant. Leur fonctionnement actuel dépend du fait qu'ils sont d'une certaine manière séparés, en conscience, de la Vérité divine dont ils sont issus. Si cette séparation pouvait être abolie par l'énergie en expansion du Divin dans l'humanité, il se pourrait que leur fonctionnement actuel se transforme, et c'est en fait ce qui se produirait tout naturellement par une évolution et une progression suprêmes les menant à ce jeu plus pur qu'ils possèdent dans la Conscience-de-Vérité.
Dans ce cas, non seulement il serait possible de manifester et de maintenir la conscience divine dans le mental et le corps humains, mais cette conscience divine pourrait même, finalement, étendant ses conquêtes, refaçonner plus parfaitement le mental, la vie et le corps eux-mêmes à l'image de sa Vérité éternelle et réaliser, non seulement dans l'âme mais dans la substance, son royaume des cieux sur la terre. La première de ces victoires, la victoire intérieure, a certes été remportée, à un degré plus ou moins grand, par certains, peut-être par un grand nombre, sur la terre ; l'autre, la victoire extérieure, si elle n'a jamais été même partiellement réalisée au cours des âges révolus comme un prototype pour les cycles à venir, conservé dans la mémoire subconsciente de la nature terrestre, est peut-être destinée malgré tout à devenir le futur et victorieux accomplissement de Dieu dans l'humanité. Il n'est pas nécessaire que cette vie terrestre tourne à jamais sur la roue d'un effort où se mêlent la joie et l'angoisse ; le succès aussi nous est peut-être promis, peut-être la splendeur et la joie divines seront-elles un jour manifestées sur la terre.
Que sont donc le Mental, la Vie et le Corps en leur source suprême et, par conséquent, que deviendront-ils dans l'intégrale plénitude de la manifestation divine, lorsqu'ils seront pénétrés par la Vérité au lieu
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d'en être coupés du fait de la séparation et de l'ignorance où nous vivons à présent — tel est donc le problème qu'il nous faut maintenant considérer. Car ils doivent d'ores et déjà posséder leur perfection vers laquelle nous progressons ici — nous qui sommes seulement les premiers mouvements entravés du Mental évoluant dans la Matière, et ne sommes pas encore affranchis des conditions et des effets de cette involution de l'esprit dans la forme, de cette plongée de la Lumière en son ombre, par quoi fut créée la conscience matérielle obscurcie de la Nature physique. L'archétype de toute perfection vers laquelle nous progressons, les termes de notre évolution la plus haute doivent déjà se trouver contenus dans l'Idée-Réelle divine; ils doivent y être formés et conscients pour que nous puissions nous élever vers eux et les devenir : car cette préexistence dans la connaissance divine est ce que notre mentalité humaine nomme Idéal et recherche comme tel. L'Idéal est une Réalité éternelle que nous n'avons pas encore réalisée dans les conditions de notre être, et pas un non-existant que l'Éternel et Divin n'a pas encore saisi et que nous seuls, êtres imparfaits, avons entrevu et aspirons à créer.
Le Mental, d'abord, ce souverain enchaîné et empêtré de notre vie humaine, est essentiellement une conscience qui mesure, limite, découpe les formes des choses dans le tout indivisible, et les contient comme si chacune était une unité séparée. Même aux choses qui, de toute évidence, n'existent que comme parties et fractions, le Mental impose cette fiction propre à son commerce ordinaire, les traitant séparément, et non pas simplement en tant qu'aspects d'un tout. Car, même quand il sait que ce ne sont pas des choses en soi, il est obligé de les traiter comme telles; il ne pourrait autrement les soumettre à son action caractéristique. C'est ce caractère fondamental du Mental qui conditionne le fonctionnement de tous ses pouvoirs d'action, que ce soit la conception, la perception, la sensation ou les opérations de la pensée créatrice. Il conçoit, perçoit, sent les choses comme si elles se découpaient rigidement sur un fond ou dans une masse et il les utilise comme unités fixes du matériau qui lui est donné pour ses créations ou ses possessions. Toute son action et tout son plaisir se rapportent donc à des ensembles qui font partie d'un ensemble plus grand, et ces ensembles subordonnés sont eux-mêmes fractionnés en parties qui, à leur tour, sont traitées comme des ensembles pour les desseins particuliers qu'elles servent. Le Mental peut diviser, multiplier, ajouter,
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soustraire, mais il ne peut dépasser les limites de cette mathématique. S'il passe au-delà et tente de concevoir un tout véritable, il se perd dans un élément étranger ; il tombe de sa terre ferme dans l'océan de l'intangible, dans les abîmes de l'infini où il ne peut percevoir, ni concevoir, ni sentir, ni traiter son sujet pour sa création et son plaisir. Car si le Mental semble parfois concevoir, percevoir, sentir ou goûter et posséder l'infini, c'est seulement en apparence et toujours comme une simple représentation de l'infini. Ce qu'en fait il possède ainsi de façon vague, a'est qu'une Immensité sans forme et non pas le réel infini aspatial. Dès qu'il essaie d'entrer en rapport avec cet infini, de le posséder, aussitôt sa tendance innée à la délimitation intervient, et il recommence à manier les images, les formes et les mots. Le Mental ne peut posséder l'infini, il ne peut que le subir ou être possédé par lui ; il ne peut que s'étendre dans une bienheureuse impuissance sous l'ombre lumineuse du Réel projetée sur lui depuis des plans d'existence hors de sa portée. On ne peut posséder l'infini qu'en s'élevant jusqu'à ces plans supramentaux, et on ne peut le connaître que si le Mental immobile accepte les messages venus des hauteurs de la Réalité consciente-de-la-Vérité.
Cette faculté essentielle et l'essentielle limitation qui l'accompagne sont la vérité du Mental et fixent sa nature et son action véritables, svabhâva et svadharma; c'est la marque du fiât divin qui lui assigne son rôle dans l'instrumentation complète de la suprême Maya — rôle déterminé par ce qu'il est dès sa naissance hors de l'éternelle conception de soi de l'Existant-en-soi. Ce rôle est de toujours traduire l'infini dans les termes du fini, de mesurer, limiter, morceler. À vrai dire, il le fait dans notre conscience au point d'exclure tout sens réel de l'infini ; aussi le Mental est-il le nœud gordien de la grande Ignorance, car c'est lui qui, à l'origine, divise et distribue, et on l'a même pris pour la cause de l'univers et pour la totalité de la divine Maya. Mais celle-ci comprend Vidyâ aussi bien qu'Avidyâ, la Connaissance aussi bien que l'Ignorance. En effet, le fini n'étant qu'une apparence de l'Infini, un résultat de son action, un jeu de sa conception, et puisqu'il ne peut exister que par lui, en lui, avec lui comme arrière-plan, et n'est lui-même qu'une forme de cette substance et qu'une action de cette force, il doit évidemment y avoir une conscience originelle qui contient et voit les deux en même temps et qui est intimement consciente de toutes les relations de l'un avec l'autre. Dans cette conscience, il n'y a point d'ignorance, car l'infini est connu, et le fini n'en est pas séparé comme une réalité indépendante;
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mais il n'y en a pas moins un processus subordonné de délimitation, sans lequel aucun monde ne pourrait exister ; ce processus permet à la conscience du Mental qui divise et réunit sans cesse, à l'action de la Vie qui sans cesse converge et diverge, et à la substance de la Matière qui se divise et s'agrège à l'infini, de se manifester, toutes par un seul principe et un seul acte originel, dans l'existence phénoménale. Ce processus subordonné de l'éternel Voyant et Penseur, parfaitement lumineux, parfaitement conscient de Lui-même et de tout, sachant parfaitement ce qu'il fait, conscient de l'infini dans le fini qu'il crée, peut être appelé le Mental divin. Et il est évident que ce doit être un fonctionnement subordonné, et non pas réellement séparé de l'Idée-Réelle, du Supramental, et qu'il doit agir suivant le mouvement d'appréhension de la Conscience-de-Vérité, tel que nous l'avons décrit.
Comme nous l'avons vu, cette conscience appréhensive, Prajñâna, place l'action du Tout indivisible, dynamique et formateur, en tant que processus et objet de la connaissance créatrice, devant la conscience de ce même Tout, créateur et concepteur, en tant que possesseur et témoin de sa propre action — à l'image du poète qui considère les créations de sa propre conscience, placées en elle et sous ses yeux, comme si elles étaient différentes du créateur et de sa force créatrice, alors qu'elles ne sont en fait que le jeu de son être se formant en lui-même, où elles sont inséparables de leur créateur. Ainsi la Prajñâna effectue la division fondamentale qui aboutit à tout le reste, la division entre le Purusha, l'âme consciente qui connaît et qui voit et, par sa vision, crée et met en ordre, et la Prakriti, l'Âme-Force ou Âme-Nature qui est sa connaissance et sa vision, sa création et son pouvoir qui organise tout. Tous deux ne constituent qu'un seul Être, une seule Existence, et les formes vues et créées sont les formes multiples de cet Être qui, par Lui en tant que connaissance, sont placées devant Lui-même en tant que Connaissant, et par Lui-même en tant que Force devant Lui-même en tant que Créateur. L'action ultime de cette conscience appréhensive a lieu quand le Purusha, pénétrant la consciente extension de son être, présent en chaque point de lui-même aussi bien qu'en sa totalité, habitant chaque forme, regarde le tout séparativement, en quelque sorte, à partir de chacun de ses divers points de vue ; il voit et gouverne les relations de chacune de ses formes d'âme avec les autres formes d'âme, du point de vue de la volonté et de la connaissance appropriées à chaque forme particulière.
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Ainsi les éléments de la division ont-ils été créés. D'abord, l'infinité de l'Un s'est traduite par une extension dans l'Espace et le Temps conceptuels ; ensuite, l'omniprésence de l'Un en cette extension consciente de soi s'est traduite par une multiplicité de l'âme consciente, les multiples Purusha du Sânkhya; enfin, la multiplicité des formes d'âme s'est exprimée par une habitation divisée de l'unité déployée. Il est inévitable que cette habitation se divise dès que chacun de ces multiples Purusha n'habite plus son propre monde séparé, ne possède plus sa propre Prakriti distincte construisant un univers séparé, mais où tous jouissent plutôt de la même Prakriti — et il ne peut en être autrement puisqu'ils ne sont que des formes d'âme de l'Un présidant aux multiples créations de Son pouvoir — tout en établissant des relations mutuelles dans l'unique monde de l'être créé par l'unique Prakriti. Le Purusha s'identifie activement avec chaque forme qu'il habite; il s'y délimite et la distingue de ses autres formes de lui-même en sa conscience, formes contenant ses autres moi qui sont identiques à lui en leur être, mais en diffèrent dans leurs relations et dans leur étendue, dans le champ du mouvement et la vision variés de la substance unique, de la force, de la conscience, de la félicité uniques, que chacun déploie en fait à tout moment donné du Temps ou en tout champ donné de l'Espace. Même si nous admettons que dans l'Existence divine, parfaitement consciente d'elle-même, ce ne soit pas une limitation imposée, pas une identification dont l'âme devienne l'esclave et qu'elle ne puisse surmonter — comme nous sommes les esclaves de notre identification avec le corps et ne pouvons surmonter la limitation de notre ego conscient, ni échapper à un mouvement particulier de notre conscience dans le Temps qui détermine notre champ particulier dans l'Espace —, une libre identification de moment en moment persiste néanmoins, que seule l'inaliénable connaissance de soi de l'âme divine empêche de se fixer en une chaîne apparemment rigide de séparation et de succession dans le Temps, semblable à celle où notre conscience paraît fixée et enchaînée.
Ainsi le morcellement existe-t-il déjà; le rapport de forme à forme comme s'il s'agissait d'êtres séparés, de volonté d'être à volonté d'être comme s'il s'agissait de forces séparées, de connaissance d'être à connaissance d'être comme s'il s'agissait de consciences séparées, est déjà établi. Jusque-là, c'est encore " comme si "; car l'âme divine n'est pas abusée, elle est consciente de tout en tant que phénomène de l'être et maintient son existence dans la réalité de l'être ; elle ne renonce pas à son unité :
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elle utilise le mental comme une action secondaire de la connaissance infinie, comme une définition des choses subordonnée à sa conscience de l'infinité, comme une délimitation dépendant de sa conscience de la totalité essentielle — non de cette totalité apparente et plurielle, somme et agrégat collectif, qui n'est qu'un autre phénomène du Mental. Ainsi n'y a-t-il pas de limitation réelle; c'est l'âme qui utilise son pouvoir de définition pour le jeu de formes et de forces bien distinctes, et non l'inverse.
Un nouveau facteur, une nouvelle action de la force consciente sont donc nécessaires pour créer le fonctionnement d'un mental irrémédiablement limité, par opposition à un mental qui limite librement —'c'est-à-dire d'un mental soumis à son propre jeu, abusé par lui, par opposition à un mental maître de son jeu et qui l'envisage en sa vérité, le mental de la créature par opposition au mental divin. Ce nouveau facteur est l'Avidyâ, la faculté d'ignorance de soi qui sépare l'action du mental de l'action du Supramental, qui l'a engendrée et la gouverne encore de derrière le voile. Ainsi séparé, le Mental ne perçoit que le particulier et non l'universel, ou ne conçoit que le particulier dans un universel qu'il ne possède pas ; il ne conçoit plus à la fois le particulier et l'universel comme des phénomènes de l'Infini. Ainsi, le mental limité envisage chaque phénomène comme une chose en soi, un fragment séparé d'un tout qui, lui-même, existe séparément dans une totalité plus vaste, et ainsi de suite, élargissant sans cesse ses agrégats, sans retrouver le sens d'une véritable infinité.
Le Mental, étant une action de l'Infini, morcelle autant qu'il agrège, ad infinitum. Il découpe l'être en ensembles, des ensembles de plus en plus petits, en atomes, et ces atomes en atomes primaires et, s'il le pouvait, il dissoudrait l'atome primitif jusqu'à l'anéantir. Mais il n'y parvient pas, car derrière cette action qui divise se trouve la connaissance salvatrice du supramental qui sait que chaque ensemble, chaque atome n'est qu'une concentration de la force totale, de la conscience totale, de l'être total en des formes phénoménales de lui-même. La dissolution de l'agrégat en un néant infini à laquelle semble arriver le Mental, n'est pour le Supramental qu'un moyen par lequel l'être-conscient, concentré en lui-même, retourne de son existence phénoménale à son existence infinie. Quelque chemin que prenne sa conscience, celui de la division infime ou celui de l'élargissement infini, il n'arrive qu'à lui-même, qu'à son unité infinie et à son être éternel. Et quand l'action du mental est
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consciemment subordonnée à cette connaissance du supramental, la vérité du processus lui est aussi connue — il n'en ignore rien, il n'y a pas de réelle division, mais simplement une concentration infiniment multiple en des formes d'être, et en des arrangements de leurs rapports mutuels, où la division est une apparence secondaire de tout le processus nécessaire à leur jeu spatio-temporel. Car vous aurez beau diviser, pénétrer jusqu'à l'atome le plus infinitésimal ou former l'agrégat de mondes et de systèmes le plus gigantesque, vous ne pourrez, en aucun cas, parvenir à une chose en soi; toutes sont les formes d'une Force qui, seule, est réelle en soi, tandis que le reste n'a de réalité que comme les propres images de l'éternelle Conscience-Force ou comme ses propres formes de manifestation.
D'où provient donc l'Avidyâ limitative, la chute du mental depuis le Supramental et l'idée de division réelle qui en résulte ? De quelle perversion précise du fonctionnement supramental ? Elle provient de l'âme individualisée qui envisage toutes choses de son point de vue et exclut tous les autres; autrement dit, elle procède d'une concentration exclusive de la conscience, d'une exclusive identification de l'âme avec une action spatio-temporelle particulière qui n'est qu'une partie du jeu de son être; elle vient de ce que l'âme ignore le fait que toutes les autres âmes sont elle-même également, que toute action est sa propre action et que tous les autres états d'être et de conscience sont également les siens, tout autant que l'action du moment particulier du Temps, de la position particulière dans l'Espace et de la forme particulière qu'elle occupe à présent. Elle se concentre sur le moment, le champ, la forme, le mouvement afin de perdre le reste, qu'elle doit ensuite recouvrer en reliant la succession des moments, la succession des points de l'Espace, la succession des formes et des mouvements dans l'Espace et le Temps. Elle a ainsi perdu la vérité de l'indivisibilité du Temps, de l'indivisibilité de la Force et de la Substance. Elle a même perdu de vue le fait évident •que tous les mentais sont un seul Mental assumant de multiples points de vue, toutes les vies une seule Vie développant divers courants d'activité, tout corps et toute forme une seule substance de Force et de Conscience se concentrant en de nombreuses stabilités apparentes de force et de conscience ; mais en vérité toutes ces stabilités ne sont qu'un tourbillon incessant où les formes se reproduisent tout en se modifiant ; elles ne sont rien de plus. Car le Mental essaie d'ancrer toutes choses en des formes rigidement établies et des facteurs extérieurs apparemment invariables ou immuables, autrement il ne peut agir; il pense alors avoir obtenu ce
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qu'il voulait ; en réalité, tout change et se renouvelle en un flot constant et il n'y pas de forme en soi fixe, ni de facteur extérieur invariable. Seule l'Idée-Réelle éternelle est immuable et maintient une certaine permanence ordonnée de figures et de rapports dans le flux des choses, permanence que le Mental essaie vainement d'imiter en attribuant une fixité à ce qui est toujours impermanent. Ces vérités, le Mental doit les redécouvrir; il les connaît toujours, mais seulement dans l'arrière-plan caché de sa conscience, dans la secrète lumière de son être ; et pour lui, cette lumière est une obscurité parce qu'il a créé l'ignorance, parce qu'il a plongé de la mentalité qui divise en la mentalité divisée et s'est involué dans ses propres opérations et créations.
Cette ignorance s'approfondit encore du fait que l'homme s'identifie avec le corps. Pour nous, le mental semble déterminé par le corps, parce qu'il s'en préoccupe et se consacre aux opérations physiques qu'il utilise pour son action consciente superficielle dans ce monde matériel grossier. Recourant constamment au fonctionnement cérébral et nerveux qu'il a mis au point au cours de son développement dans le corps, il est trop absorbé par l'observation de ce que lui offre ce mécanisme physique pour s'en détacher et retrouver son propre fonctionnement infaillible qui, pour lui, est en majeure partie subconscient. Cependant, nous pouvons concevoir un mental-de-vie ou un être-de-vie qui ait dépassé la nécessité évolutive de cette absorption et soit capable de voir — et même de faire l'expérience — qu'il revêt un corps après l'autre, qu'il n'est pas créé séparément en chaque corps et ne disparaît pas avec lui ; car c'est seulement l'empreinte physique du mental sur la matière, la mentalité corporelle, qui est ainsi créée, et non l'être mental tout entier. Cette mentalité corporelle est simplement la surface de notre mental, la façade qu'il présente à l'expérience physique. Derrière, même dans notre être terrestre, se trouve cet autre mental, subconscient ou subliminal pour nous, qui sait qu'il est plus que le corps et qui est capable d'une action moins matérialisée. C'est à lui que nous devons directement la majeure partie de l'action dynamique plus vaste, plus profonde et plus énergique de notre mental de surface ; lorsque nous devenons conscients de lui ou de son empreinte en nous, nous avons une première idée ou une première réalisation de l'âme ou être intérieur, Purusha.¹
¹Perçu comme l'être de vie ou être vital, prânamaya purusha.
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Mais cette mentalité de la vie, bien qu'elle puisse s'affranchir de l'erreur corporelle, ne nous libère pas non plus de toute l'erreur du mental; elle reste soumise à l'acte originel de l'ignorance qui fait que l'âme individualisée considère chaque chose de son propre point de vue, et sa vision de la vérité des choses dépend de la façon dont celles-ci se présentent à elle de l'extérieur, ou bien surgissent de sa conscience spatio-temporelle séparée, et sont les formes et les résultats de son expérience passée et présente. Elle n'est pas consciente de ses autres moi, sinon par les indications extérieures qu'ils donnent de leur existence par une communication de pensée, par la parole et l'action, par le résultat de l'action, ou par les indications plus subtiles — que l'être physique ne sent pas directement — des impacts et rapports vitaux. Elle est également ignorante d'elle-même, car elle ne connaît son moi que par un mouvement dans le Temps et une succession de vies où elle a utilisé ses énergies au cours de ses diverses incarnations. De même que notre mental physique instrumental a l'illusion du corps, de même ce mental dynamique subconscient a l'illusion de la vie. Il est absorbé et concentré en elle, limité par elle, et identifie son être avec elle. Nous ne sommes pas encore revenus au lieu de rencontre entre le mental et le supramental, ni au point où ils se sont séparés à l'origine.
Mais derrière la mentalité dynamique et vitale, il en est une autre encore, réflexive et plus claire, qui peut échapper à cette absorption dans la vie et qui se voit revêtir une vie et un corps afin que sous forme d'images elle projette en d'actifs rapports d'énergie ce qu'elle perçoit en sa volonté et sa pensée. C'est la source du pur penseur en nous ; c'est ce qui connaît la mentalité en soi et voit le monde, non pas en termes de vie et de corps, mais de mental ; lorsque nous y revenons, c'est cela¹ que nous prenons parfois à tort pour l'esprit pur, comme nous prenons le mental dynamique pour l'âme. Ce mental supérieur est capable de percevoir et de traiter les autres âmes comme d'autres formes de son moi pur; il peut les sentir par un impact et une communication de la mentalité pure, et non plus seulement par un impact vital et nerveux et par des indications physiques ; il conçoit aussi une représentation mentale de l'unité, et en son activité et sa volonté il peut créer et posséder les choses plus directement — et pas seulement de façon indirecte comme dans la vie physique ordinaire — en d'autres mentais et d'autres vies
¹L'être mental, manomaya purusha.
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aussi bien que dans les siens propres. Toutefois, cette mentalité pure n'échappe pas à l'erreur originelle du mental. Car c'est encore de son moi mental séparé qu'elle fait le juge, le témoin et le centre de l'univers, et c'est par son seul intermédiaire qu'elle s'efforce d'atteindre à son moi et à sa réalité supérieurs; tous les autres sont les " autres ", groupés autour d'elle et liés à elle; lorsqu'elle veut se libérer, elle doit se retirer de la vie et du mental afin de disparaître en l'unité réelle. Car il reste encore le voile créé par l'Avidyâ entre l'action mentale et l'action supramentale : une image de la Vérité passe au travers, non la Vérité elle-même.
Ce n'est que lorsque le voile se déchire et que le mental divisé se soumet, silencieux et passif, à l'action supramentale, que le mental lui-même recouvre la Vérité des choses. Nous découvrons alors une mentalité réflexive lumineuse, qui obéit et sert d'instrument à l'Idée-Réelle divine. Alors nous percevons ce que le monde est réellement. Nous nous connaissons nous-même dans les autres de toutes les manières possibles, nous savons que nous sommes les autres, que les autres sont nous et que tout est l'Un universel qui s'est multiplié. Nous perdons le point de vue individuel rigidement séparé qui est à la source de toute limitation et de toute erreur. Nous percevons aussi, cependant, que tout ce que l'ignorance du Mental prenait pour la vérité était bien la vérité, mais une vérité déviée, fourvoyée, fausse dans sa conception. Nous percevons encore la division, l'individualisation, la création atomique, mais nous les connaissons pour ce qu'ils sont et nous nous connaissons nous-mêmes pour ce que nous sommes vraiment. Ainsi percevons-nous que le Mental était en réalité une action et une instrumentation subordonnées de la Conscience-de-Vérité. Tant que, dans l'expérience de soi, il ne se sépare pas de la Conscience-Maîtresse qui l'enveloppe et n'essaie pas de bâtir sa propre demeure, tant qu'il sert passivement d'instrument et ne cherche pas à tout s'approprier pour son propre bénéfice, le Mental remplit lumineusement son rôle : maintenir dans la Vérité les formes séparées les unes des autres par une délimitation phénoménale et purement formelle de leur activité, derrière laquelle l'universalité directrice de l'être demeure consciente et inaffectée. Il doit recevoir la vérité des choses et la répartir selon l'infaillible perception d'un Œil et d'une Volonté suprêmes et universels. Il doit soutenir une individualisation de la conscience active, de la félicité, de la force, de la substance actives, qui tient tout son pouvoir, sa réalité et sa joie
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de l'inaliénable universalité qu'elle recouvre. Il doit transformer la multiplicité de l'Un en une division apparente qui définisse les rapports des divers éléments et les oppose de façon qu'ils puissent se retrouver et se rejoindre. Il doit fonder le délice de la séparation et du contact au milieu d'une unité et d'une interpénétration éternelles. Il doit permettre à l'Un de se comporter comme s'il était un individu en rapport avec d'autres individus, mais toujours dans Son unité. Tel est réellement le monde. Le Mental est l'opération finale de la Conscience-de-Vérité appréhensive qui rend tout cela possible, et ce que nous appelons Ignorance ne crée pas quelque chose de nouveau, ni une fausseté absolue, mais donne simplement une fausse représentation de la Vérité. L'Ignorance est le Mental dont la connaissance s'est séparée de sa source et qui donne une fausse rigidité et une apparence trompeuse d'opposition et de conflit au jeu harmonieux de la suprême Vérité en sa manifestation universelle.
L'erreur fondamentale du Mental est donc cette perte de la connaissance de soi qui amène l'âme individuelle à concevoir son individualité comme un fait séparé au lieu d'y voir une forme de l'Unité, et à se considérer elle-même comme le centre de son propre univers au lieu de se connaître comme une concentration de l'universel. De cette erreur originelle proviennent toutes ses ignorances et limitations particulières. N'envisageant le flux des choses que lorsqu'il se déverse sur elle et à travers elle, elle établit en effet une limitation de l'être qui produit une limitation de la conscience et donc de la connaissance, une limitation de la force et de la volonté conscientes et donc du pouvoir, une limitation de la joie d'être et donc de la félicité. Comme elle n'est consciente des choses et ne les connaît que telles qu'elles se présentent à son individualité, elle tombe dans l'ignorance de tout le reste et, par suite, dans une conception erronée même de ce qu'elle semble connaître ; en effet, tout l'être étant interdépendant, la connaissance du tout ou de l'essence est nécessaire à la connaissance juste de la partie. Il y a donc un élément d'erreur dans toute connaissance humaine. De même, notre volonté, ignorant l'ensemble de la toute-volonté, tombe fatalement dans un fonctionnement erroné et une incapacité ou une impuissance plus ou moins grandes; la félicité que l'âme puise en elle-même et dans les choses, ignorant la toute-béatitude et incapable, du fait d'une volonté et d'une connaissance défectueuses, de gouverner ' son monde, perd sa capacité de le posséder dans la joie, et succombe donc à la souffrance. L'ignorance de soi est par conséquent la racine
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de toute la perversion de notre existence, et cette perversion se trouve fortifiée par la limitation de soi, le sens de l'ego qui est la forme prise par cette ignorance de soi.
Cependant, toute ignorance et toute perversion ne sont que la déformation de ce qui est vrai et juste, et non le jeu d'une fausseté absolue. Elles proviennent du fait que le Mental envisage les choses dans la division qu'il crée, avidyâyâm antare, au lieu de se considérer, lui-même et ses divisions, comme l'instrumentation et le phénomène du jeu de la vérité de Satchidânanda. Si le Mental retourne à la vérité d'où il est tombé, il redeviendra l'action finale de la Conscience-de-Vérité en sa faculté d'appréhension, et les rapports qu'il aidera à créer dans cette lumière et ce pouvoir seront des rapports de Vérité et non de perversion. Ce seront des choses droites et non point tordues, pour reprendre la distinction imagée des rishis védiques — autrement dit, des Vérités de l'être divin dont la conscience, la volonté et la félicité, en pleine possession d'eux-mêmes, se meuvent harmonieusement en lui. À présent, nous sommes plutôt témoin des mouvements distordus et en zigzags du mental et de la vie, des contorsions créées par la lutte de l'âme qui a perdu la mémoire de son être vrai et veut se retrouver, transmuer toute erreur en la vérité que notre idée du vrai et de l'erreur, du juste et de l'injuste limite et déforme, transmuer toute incapacité en la force que notre pouvoir aussi bien que notre faiblesse font effort pour saisir, toute souffrance en la félicité que, dans leurs convulsions, notre joie Comme notre peine aspirent à ressentir, toute mort en l'immortalité à laquelle, par notre vie et par notre mort, l'être s'efforce constamment de retourner.
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L'énergie prânique est la vie des créatures; car c'est elle que l'on appelle le principe universel de la vie.
Taittirîya Upanishad. II. 3.
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Nous percevons donc ce qu'est le Mental en son origine divine et comment il se trouve relié à la Conscience-de-Vérité — le Mental, le plus haut des trois principes inférieurs qui constituent notre existence humaine. C'est une action particulière de la conscience divine, ou plutôt, c'est le dernier chaînon de toute son action créatrice. Il permet au Purusha de tenir séparées ses formes et ses forces multiples en leurs relations mutuelles ; il crée des différences phénoménales qui, pour l'âme individuelle après sa chute hors de la Conscience-de-Vérité, prennent l'apparence de divisions radicales; c'est lui qui, par cette perversion originelle, a engendré toutes les autres perversions qui portent la marque de dualités antagonistes et d'oppositions propres à la vie de l'Ame dans l'Ignorance. Mais tant qu'il n'est pas séparé du Supramental, il soutient, non point ce qui est perverti et faux, mais le fonctionnement divers de la Vérité universelle.
Le Mental apparaît dès lors comme un agent cosmique créateur. Ce n'est pas l'impression que, d'ordinaire, nous avons de notre mentalité ; nous la considérons plutôt, avant tout, comme un organe de perception — perception de choses déjà créées par la Force œuvrant dans la Matière —, et la seule chose dont nous consentions à lui attribuer l'origine est une création secondaire de formes nouvelles et combinées, à partir de celles qu'a déjà développées la Force dans la Matière. Mais la connaissance que nous redécouvrons à présent, grâce aux récentes découvertes de la science, nous laisse entrevoir que, dans cette Force et dans cette Matière, un Mental subconscient est à l'œuvre, qui est certainement responsable de sa propre émergence, d'abord dans les formes de la vie, puis dans les formes du mental lui-même : d'abord, donc, dans la conscience nerveuse de la vie végétale et de l'animal primitif, puis dans la mentalité progressive de l'animal évolué et de l'homme. Et de même que nous avons déjà découvert que la Matière n'est qu'une forme substantielle de la Force, de même découvrirons-nous que la Force matérielle n'est qu'une forme d'énergie du Mental. La Force matérielle
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est en fait une opération subconsciente de la Volonté; la Volonté qui œuvre en nous dans ce qui semble être la lumière, bien qu'en vérité ce ne soit guère qu'une demi-lumière, et la Force matérielle qui œuvre dans ce qui nous semble être une obscurité d'inintelligence, sont réellement et essentiellement la même chose, comme la pensée matérialiste l'a toujours instinctivement perçu, mais en partant du mauvais bout, de l'extrémité inférieure des choses, et comme la connaissance spirituelle, agissant depuis le sommet, l'a depuis longtemps découvert. Par conséquent, nous pouvons dire qu'il y a un Mental subconscient, ou une Intelligence subconsciente qui, manifestant la Force comme pouvoir dynamique, comme Nature exécutrice, comme Prakriti, a créé ce monde matériel.
Mais comme nous l'avons maintenant découvert, le Mental n'est pas: une entité indépendante et originelle, il n'est qu'une opération finale de la Conscience-de-Vérité ou Supramental ; il s'ensuit que, là où se trouve le Mental, doit se trouver le Supramental. Le Supramental ou Conscience-de-Vérité est le véritable agent créateur de l'Existence universelle. Même quand, dans sa conscience obscurcie, le Mental est séparé de sa source, ce plus vaste mouvement demeure toujours présent dans son action; même les opérations de la Force matérielle, qui est pourtant si grossière, inerte et obscurcie, il les oblige à préserver leurs justes relations, élabore les résultats inévitables qu'elles portent en elles, fait naître le bon arbre de la bonne graine, et les contraint à produire un monde de Loi, d'ordre, de justes rapports et non, comme il en serait autrement, les collisions foudroyantes du hasard et du chaos. De toute évidence, cet ordre et ces justes rapports ne peuvent être que relatifs, et non l'ordre suprême et la suprême justice qui régneraient si le Mental n'était, en sa conscience, séparé du Supramental; c'est un agencement de résultats, un ordre juste, propre à l'action du Mental diviseur qui crée ses oppositions séparatrices, ses dualités contradictoires de l'unique Vérité. Ayant conçu l'Idée de cette représentation de soi duelle ou divisée et l'ayant projetée dans l'action, la Conscience divine en déduit, comme idée-réelle, et en extrait pratiquement, comme substance de vie, sa propre vérité inférieure, résultat inévitable de ces relations variées ; et tout cela, elle l'accomplit grâce à l'action directrice de la Conscience-de-Vérité intégrale qui est derrière l'Idée. Car telle est la nature de la Loi, de la Vérité dans le monde : le juste fonctionnement et la juste émergence de ce qui est contenu dans l'être, implicite dans l'essence et la nature de la chose elle-même, latent en son être essentiel
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et sa loi essentielle, svabhâva et svadharma, tels que les voit la Connaissance divine. Pour citer l'une des merveilleuses formules de l'îshâ Upanishad,¹ qui contiennent un monde de connaissance en quelques mots révélateurs, c'est l'Existant-en-soi qui, de toute éternité, en tant que voyant et penseur partout en devenir, a disposé en Lui-même toutes choses à leur. juste place selon la vérité de leur être.
Par conséquent, le triple monde où nous vivons, le monde du Mental-Vie-Corps, n'est triple qu'à son stade d'évolution actuel. La Vie involuée dans la Matière a émergé sous forme de vie pensante et mentalement consciente. Mais il y a aussi le Supramental qui, involué dans le Mental, et donc dans la Vie et dans la Matière, est l'origine et le souverain des trois autres, et cela aussi doit émerger. Nous cherchons une intelligence à l'origine du monde, parce que l'intelligence est le plus haut principe dont nous soyons conscients et celui qui, à nos yeux, semble gouverner et expliquer toute nos actions et toutes nos créations ; dès lors, et à condition qu'une Conscience existe dans l'univers, nous présumons que ce doit être une Intelligence, une Conscience mentale. Mais l'intelligence ne fait que percevoir, réfléchir et utiliser dans la mesure de ses moyens l'action d'une Vérité d'être qui lui est supérieure; aussi le pouvoir qui agit à travers lui doit-il être une forme différente et supérieure de la Conscience propre à cette Vérité. Il nous faut par conséquent rectifier notre conception et affirmer que cet univers matériel a été créé, non par un Mental ou une Intelligence subconscients, mais par un Supramental involué qui projette le Mental comme la forme particulière et immédiatement active de sa connaissance-volonté subconsciente dans la Force, et qui utilise la Force ou la Volonté matérielles subconscientes dans la,substance de l'être comme sa Nature exécutrice ou Prakriti.
Nous observons cependant que le Mental se manifeste ici dans une spécialisation de la Force que nous appelons Vie. Qu'est-ce donc que la Vie ? et quelle relation a-t-elle avec le Supramental, cette suprême trinité de Satchidânanda qui œuvre dans la création au moyen de l'Idée-Réelle ou Conscience-de-Vérité ? De quel principe dans la trinité prend-elle naissance ? ou de quelle nécessité, divine ou non divine, de la Vérité ou de l'illusion, provient son être ? Un cri retentit d'âge en âge : la Vie est un mal, un mirage, un délire, une folie que nous
¹Kavir manîshî paribhûh, svayambhûr yâthâtathyato'rthân vyadadhât shâshvatîbhyah samâbhyah. Îshâ Upanishad, verset 8.
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devons fuir pour entrer dans le repos de l'être éternel. Et, en admettant que cela soit vrai, quelle en est la raison ? Pourquoi l'Éternel s'est-il gratuitement infligé ce mal, pourquoi est-il imposé ce délire ou cette folie, ou l'a-t-il imposé à toutes les créatures engendrées et trompées par Sa terrible Maya ? Ou ne serait-ce pas plutôt un principe divin qui s'exprime ainsi, un pouvoir de la Joie de l'être éternel qui devait s'exprimer et s'est ainsi projeté dans l'Espace et le Temps, dans ce perpétuel jaillissement des millions et des millions de formes de vie qui peuplent les innombrables mondes de l'univers ?
Lorsque nous étudions cette Vie telle qu'elle se manifeste sur terre, avec la Matière pour base, nous remarquons qu'elle est essentiellement une forme de l'unique Énergie cosmique, un mouvement ou un courant dynamique de cette Énergie positive ou négative, un acte ou un jeu constant de la Force qui construit les formes, les dynamise par un flux continuel de stimulations et les maintient par un processus incessant de désintégration et de renouvellement de leur substance. Ce qui semblerait indiquer que l'opposition naturelle entre la mort et la vie est une erreur de notre mentalité, une de ces fausses oppositions —fausses pour la vérité intérieure, bien que valables dans l'expérience concrète superficielle — que, trompée par les apparences, elle introduit constamment dans l'unité universelle. La mort n'a de réalité que comme processus de la vie. La désintégration de la substance et le renouvellement de la substance, la préservation de la forme et le changement de forme sont le processus constant de la vie ; la mort n'est qu'une rapide désintégration résultant de la nécessité, pour la vie, de changer et de varier son expérience dans les formes. Même à la mort du corps, il n'y a point cessation de la Vie ; simplement, le matériau d'une forme de vie se désagrège pour servir de matériau à d'autres formes de vie. De même, nous pouvons être sûrs, selon la loi uniforme de la Nature, que s'il existe dans ta forme corporelle une énergie mentale ou une énergie psychique, elles non plus ne sont pas détruites, mais ne font que se libérer d'une forme pour en assumer d'autres par quelque processus de métempsycose ou en insufflant l'âme dans le corps. Tout se renouvelle",rien ne périt.
On pourrait en conséquence affirmer qu'une seule Vie, ou. une seule énergie dynamique, imprègne tout — l'aspect matériel n'en étant que le mouvement le plus extérieur — et crée toutes ces formes de
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l'univers physique:: 'Vie impérissable, éternelle qui, même si toute représentation de l'univers était entièrement abolie, continuerait néanmoins d'exister et pourrait produire à sa place un nouvel univers, et continuerait nécessairement et inévitablement de créer, à moins qu'elle ne se retienne elle-même ou ne soit retenue dans un état de repos par un Pouvoir supérieur. Dans ce cas, la Vie ne serait autre que la Force qui édifie, préserve et détruit les formes dans le monde ; c'est la Vie qui se manifeste sous la forme de la terre aussi bien qu'en la plante qui croît sur la terre et dans les animaux qui se maintiennent en vie en dévorant la force vitale de la plante ou en se dévorant les uns les autres. Toute existence terrestre est une Vie universelle qui prend la forme de la Matière. Dans ce but, elle pourrait cacher le processus de vie dans le processus physique avant d'émerger comme sensibilité submentale et vitalité mentalisée, mais elle n'en serait pas moins, tout du long, le même principe de Vie créateur.
Toutefois, ce n'est pas là, nous dira-t-on, ce que nous entendons par la vie; pour nous, la vie est un résultat particulier de la force universelle qui nous est familier et qui ne se manifeste qu'en l'animal et la plante, mais pas dans le métal, la pierre ou le gaz, qui agit dans la cellule animale, mais pas dans l'atome purement physique. Par conséquent, pour être sûrs de notre base, nous devons examiner en quoi consiste précisément ce résultat particulier du jeu de la Force que nous appelons vie, et en quoi il diffère de cet autre résultat du jeu de la Force dans les choses inanimées qui, selon nous, n'est pas la vie. Tout d'abord, nous voyons qu'il y a ici, sur la terre, trois royaumes du jeu de la Force : le règne animal de l'ancienne classification — auquel nous appartenons —, le règne végétal et, enfin, le règne purement matériel que nous prétendons dénué de vie. En quoi la vie en nous diffère-t-elle de la vie de la plante, et la vie de la plante de la non-vie du métal, par exemple, du règne minéral comme on disait jadis, ou de ce nouveau règne chimique qu'a découvert la science ?
D'ordinaire, quand 'nous parlions de la vie, nous entendions par là la vie animale, celle qui se meut, respire, mange, sent, désire, et, si nous parlions de la vie des plantes, c'était presque une métaphore, et non une réalité, car nous considérions la vie végétale comme un processus purement matériel plutôt que comme un phénomène biologique. Nous avons notamment associé la vie à la respiration; le souffle est la vie, a-t-on dit
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dans toutes les langues, et la formule est vraie si nous modifions notre conception du Souffle de Vie. Mais il est évident que le mouvement ou la locomotion spontanées, la respiration, l'alimentation ne sont que des processus de la vie et non la vie elle-même; ce sont des moyens de produire ou de libérer cette énergie constamment stimulante qu'est notre vitalité et de mettre en œuvre le processus de désintégration et de renouvellement par lequel elle soutient notre existence substantielle; mais ces processus de notre vitalité peuvent être maintenus autrement que par la respiration et l'alimentation. C'est un fait avéré que même la vie humaine peut demeurer dans le corps, et y demeurer tout à fait consciemment, alors que la respiration, les battements du cœur et d'autres conditions autrefois tenues pour essentielles à la vie ont été provisoirement suspendus. En outre, l'observation de certains phénomènes a apporté de nouvelles preuves que la plante, en laquelle nous pouvons encore refuser de reconnaître aucune réaction consciente, possède au moins une vie physique identique à la nôtre, et même organisée essentiellement comme la nôtre, bien que différente en son organisation apparente. Si cela se trouve vérifié, il nous faudra balayer nos vieilles conceptions faciles et fausses et, par-delà les symptômes et les caractères extérieurs, pénétrer jusqu'à la racine du problème.
Par ses récentes découvertes¹ qui, si l'on en accepte les conclusions, devraient jeter une vive clarté sur le problème de la Vie dans la Matière, un grand physicien indien a attiré l'attention sur le fait que la réponse à un stimulus est un signe irréfutable de la présence de la vie. Ses expériences ont surtout mis en lumière le phénomène de la vie des plantes et décrit tous ses fonctionnements subtils ; mais nous ne devons pas oublier que, pour l'essentiel, il a affirmé avoir trouvé la même preuve de vitalité
¹Ces considérations, inspirées par des recherches scientifiques récentes, servent non à prouver, mais à illustrer ta nature et le processus de la Vie dans la Matière, tels qu'ils se sont développés sur terre. La science et la métaphysique (qu'elle soit fondée sur la pure spéculation intellectuelle, ou, finalement, comme en Inde, sur la vision spirituelle des choses et sur l'expérience spirituelle) ont chacune son domaine et sa méthode de recherche. La science ne peut dicter ses conclusions à la métaphysique, pas plus que la métaphysique ne peut imposer ses conclusions à la science. Cependant, si nous acceptons la croyance raisonnable selon laquelle l'Être et la Nature ont, en tous leurs états, un système de correspondances exprimant une Vérité commune sous-jacente, il est permis de supposer que les vérités de l'univers physique peuvent ' jeter quelque lumière sur la nature comme sur le processus de la Force qui est à l'œuvre dans l'univers — pas une lumière complète, car le champ d'étude de la science physique est fatalement incomplet, et celle-ci ne dispose d'aucune clef qui lui permettrait de comprendre les mouvements occultes de la Force.
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— réponse à un stimulus, état positif de la vie et son état négatif que nous appelons mort —, dans les métaux que dans les plantes. Certes, ces preuves ne sont pas aussi abondantes, et ne révèlent pas une organisation de la vie fondamentalement identique; mais si l'on pouvait inventer des instruments appropriés et suffisamment sensibles, on découvrirait sans doute davantage de similarités entre la vie du métal et celle de la plante ; et à défaut de preuves, cela indiquerait au moins la présence d'une vitalité rudimentaire dans le métal, même si la vie n'y est pas organisée de la même façon. Or si la vie, même à l'état le plus rudimentaire, existe dans le métal, on doit admettre sa présence, involuée peut-être ou élémentaire et élémentale, dans la terre ou dans d'autres formes d'existence matérielle proches du métal. Si nous poursuivons nos recherches sans être obligés de nous arrêter en chemin quand nos moyens immédiats d'investigation s'avèrent impuissants, nous pouvons être sûrs, comme nous le prouve invariablement notre expérience de la Nature, que les recherches ainsi menées finiront par nous prouver qu'il n'y a pas de rupture, pas de ligne de démarcation rigide entre la terre et le métal qui s'y est formé, ni entre le métal et la plante et, poussant plus loin la synthèse, qu'il n'y en a pas non plus entre les éléments et les atomes qui constituent la terre ou le métal, et le métal ou la terre qu'ils constituent. Chaque étape de cette existence progressive prépare le suivant, il porte en lui-même ce qui apparaîtra à la prochaine étape. La vie est partout, secrète ou manifeste, organisée ou élémentaire, involuée ou évoluée, mais universelle, imprégnant tout, impérissable ; seules diffèrent ses formes et son organisation.
Nous devons nous rappeler que la réponse physique au stimulus n'est qu'un signe extérieur de vie, comme le sont en nous la respiration et la locomotion. L'expérimentateur transmet un stimulus exceptionnel et de vives réactions se produisent que nous pouvons aussitôt reconnaître comme des indices de vitalité dans l'objet de l'expérience. Mais durant toute son existence, la plante répond constamment à une masse constante de stimuli provenant de son milieu ; autrement dit, il y a en elle une force constamment maintenue qui est capable de répondre à l'application de la force issue de son milieu. On dit que ces expériences ont détruit l'idée selon laquelle une force vitale existerait dans la plante ou dans tout autre organisme vivant. Mais quand nous disons qu'un stimulus a été appliqué à la plante, nous voulons dire qu'une force chargée d'énergie, une force en mouvement, dynamique, a été dirigée
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sur cet objet; et quand nous disons qu'une réaction s'est produite, nous voulons dire qu'une force chargée d'énergie, capable d'un mouvement dynamique et d'une vibration sensitive, a répondu à l'impact. Il y a eu réception et réponse vibratoire, ainsi qu'une volonté de croître et d'être indiquant une organisation submentale, vitale-physique de la conscience-force cachée dans la forme de l'être. De même qu'il y a une énergie dynamique constante en mouvement dans l'univers, qui assume diverses formes matérielles plus ou moins subtiles ou grossières, de même il semblerait qu'en chaque corps ou objet physique, plante, animal, ou métal, une force dynamique constante et identique se trouve emmagasinée et active; un certain échange entre ces deux formes d'énergie produit les phénomènes que nous associons à l'idée de vie. C'est cette action que nous reconnaissons comme l'action de l'Énergie-de-Vie, et ce qui se charge ainsi d'énergie est la Force-de-Vie. L'Énergie-du-Mental, l'Énergie-de-Vie, l'Énergie matérielle sont différents dynamismes d'une seule Force cosmique.
Même quand une forme nous paraît morte, cette force existe encore en elle en puissance, bien que ses opérations familières de vitalité soient suspendues et sur le point de prendre fin définitivement. Dans certaines limites, ce qui est mort peut être ramené à la vie ; les opérations habituelles, la réaction, la circulation de l'énergie active, peuvent être rétablies ; et cela prouve que ce que nous appelons vie était encore présent dans le corps, à l'état latent, autrement dit non actif selon ses normes habituelles : ses fonctionnements physiques ordinaires, ses actions et réactions nerveuses, et chez l'animal, ses réactions mentales conscientes. On a peine à supposer l'existence d'une entité distincte appelée vie qui sortirait entièrement du corps pour y rentrer à nouveau quand elle sent — on se demande comment, puisque rien ne la rattache plus au corps — que quelqu'un stimule la forme. Dans certains cas, comme la catalepsie, nous notons l'absence de signes extérieurs de vie, l'interruption de tout fonctionnement physique, mais la mentalité est là, maîtresse d'elle-même et consciente bien qu'elle ne puisse provoquer les réactions physiques habituelles. Cela ne signifie certainement pas que l'homme soit physiquement mort mais mentalement vivant, ou que la vie soit sortie du corps alors que le mental l'habite encore, mais simplement que le fonctionnement physique ordinaire est suspendu, tandis que le mental demeure actif.
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De même,dans certaines formes dé transe, les fonctionnements physiques et ceux du mental extérieur sont suspendus, mais ils reprennent ensuite leurs opérations, dans certains cas par une stimulation externe, mais plus généralement du dedans, par un retour spontané à l'activité. Ce qui se produit en réalité, c'est que la force mentale superficielle se retire dans le mental subconscient, et la force vitale superficielle dans la vie sub-active, et que l'homme tout entier plonge dans l'existence subconsciente, ou retire sa vie extérieure dans le subconscient tandis que son être intérieur s'élève dans le supraconscient. Mais dans le cas présent, le point principal, à nos yeux, c'est que la Force, quelle qu'elle Soit, qui maintient l'énergie dynamique de la vie dans le corps, a certes suspendu ses opérations extérieures, mais anime encore la substance organisée. Il arrive toutefois un moment où il n'est plus possible de rétablir les activités interrompues, soit que le corps ait subi une lésion qui le rend inutilisable ou incapable de remplir ses fonctions habituelles, ou, s'il n'a souffert aucun dommage irréparable, lorsque le processus de désintégration a commencé, autrement dit lorsque la Force qui devrait ranimer l'activité vitale, devenue complètement inerte, ne répond plus à la pression des forces environnantes, ni à la masse de leurs stimulations avec lesquelles elle entretenait des échanges constants. Même alors, la Vie demeure présente dans le corps, mais une Vie qui ne s'occupe que du processus de désintégration de la substance formée, de façon à pouvoir se libérer du corps et, réintégrant ses propres éléments, constituer avec eux" de nouvelles formes. La Volonté, dans la Force universelle, qui maintenait la cohésion de la forme, se retire de l'organisme et soutient maintenant un processus de dispersion. Avant cela, le corps n'est pas réellement mort.
La Vie est donc le jeu dynamique d'une Force universelle, une Force en laquelle la conscience mentale et la vitalité nerveuse sont, sous une certaine forme ou du moins en leur principe, toujours inhérentes et, dès lors, apparaissent et s'organisent en notre monde dans les formes de la Matière. Le jeu vital de cette Force se manifeste comme un échange mutuel de stimulations, et de réactions à ces stimulations, entre les différentes formes qu'elle a construites et où elle maintient sa constante pulsation dynamique; chaque forme inspire et exhale constamment le souffle et l'énergie de la Force commune; chaque forme y puise et s'en nourrit de diverses manières, indirectement en tirant d'autres formes l'énergie qui y est accumulée, ou directement en
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absorbant les décharges dynamiques qu'elle reçoit de l'extérieur. Tout cela est le jeu de la Vie ; mais nous le reconnaissons surtout quand il est suffisamment organisé pour que nous puissions percevoir ses mouvements plus extérieurs et complexes et, en particulier, quand il possède le même type nerveux d'énergie vitale que notre organisation propre. C'est pour cette raison que nous admettons volontiers la présence de la vie dans la plante, des phénomènes de vie y étant évidents — et nous l'admettons plus facilement encore si l'on peut démontrer qu'elle manifeste des symptômes de nervosité et qu'elle possède un système vital peu différent du nôtre —, mais ne sommes pas prêts à reconnaître sa présence dans le métal et la terre et dans l'atome chimique où ces développements phénoménaux sont difficiles, à détectai; ou apparemment inexistants.
Mais est-il légitime d'accorder tant d'importance à cette distinction au point d'en faire une différence essentielle ? Quelle différence y a-t-il, par exemple, entre la vie en nous et la vie dans la plante ? Nous voyons qu'elles diffèrent dans la mesure où nous possédons, d'abord le pouvoir de locomotion, lequel n'a évidemment rien à voir avec l'essence de la vitalité et, ensuite, une sensation consciente qui, à notre connaissance, n'est pas encore développée dans la plante. Nos réactions nerveuses s'accompagnent en grande partie — mais certainement pas dans tous les cas, ni entièrement — de la réponse mentale de la sensation consciente; elles ont une valeur pour le mental tout autant que pour le système nerveux et le corps agité par l'activité nerveuse. Dans la plante, il semble qu'il y ait des symptômes de sensation nerveuse, y compris ceux qui, en nous, se traduiraient par le plaisir et la douleur, la veille et le sommeil, l'exaltation, l'abattement et la fatigue, et que l'organisme s'agite intérieurement sous l'effet de l'action nerveuse; il n'y a cependant aucun signe de la présence concrète d'une sensation mentalement consciente. Mais la sensation est la sensation, qu'elle relève de la conscience mentale ou de la sensibilité vitale, et la sensation est une forme de conscience. Quand la plante sensitive se rétracte au toucher, il apparaît que cette plante est nerveusement affectée, que quelque chose en elle n'aime pas le contact et tente de s'y soustraire ; il y a, autrement dit, une sensation subconsciente dans la plante, tout comme il y a, nous l'avons vu, des opérations subconscientes analogues en nous-mêmes. Dans l'organisme humain, il est tout à fait possible d'amener à la surface. ces perceptions! et sensations subconscientes longtemps après
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qu'elles se sont produites et ont cessé d'affecter le système nerveux ; et des preuves, toujours plus nombreuses et irréfutables, ont démontré l'existence en nous d'une mentalité subconsciente beaucoup plus vaste que la mentalité consciente. Le simple fait que la plante ne dispose pas d'un mental de surface vigilant qui. une fois éveillé, puisse évaluer ses sensations subconscientes, ne change rien au fait que ces phénomènes sont essentiellement identiques ; étant identiques, ce qu'ils manifestent doit également être identique : il s'agit du mental subconscient. Et il est tout à fait possible qu'un fonctionnement vital plus rudimentaire encore du mental sensoriel subconscient existe dans le métal, bien qu'il n'y ait pas ici d'agitation correspondant à la réponse nerveuse ; mais l'absence d'agitation corporelle ne dément absolument pas la présence de la vitalité dans le métal, pas plus que l'absence de locomotion ne dément la présence de la vitalité dans la plante.
Que se passe-t-il lorsque le conscient dévient subconscient dans le corps ou que le subconscient devient conscient ? La vraie différence tient à l'absorption de l'énergie consciente dans une partie de son activité, à. sa concentration plus ou moins exclusive. Dans certaines formes de concentration, ce que nous appelons mentalité, c'est-à-dire la Prajñâna ou conscience appréhensive, interrompt presque, voire complètement, toute activité consciente; et pourtant, l'activité du corps, des nerfs et du mental sensoriel se poursuit à notre insu, mais elle demeure constante et parfaite ; elle est devenue entièrement subconsciente, et le mental n'est lumineusement actif que dans une seule activité ou un seul enchaînement d'activités. Tandis que j'écris, l'acte physique d'écrire est largement ou parfois entièrement exécuté par le mental subconscient ; le corps fait, inconsciemment disons-nous, certains mouvements nerveux; le mental n'est éveillé qu'à la pensée qui l'occupe. L'homme tout entier peut, en fait, sombrer dans le subconscient; et pourtant, des mouvements habituels impliquant l'action du mental peuvent se poursuivre, comme dans de nombreux phénomènes du sommeil; ou il peut s'élever jusqu'au supraconscient et demeurer actif grâce au mental subliminal dans le corps, comme dans certains phénomènes de samâdhi ou transe yoguique. Il est donc évident que ce qui distingue la sensation de la plante de la nôtre, c'est simplement le fait que, dans la plante, la Force consciente se manifestant dans l'univers n'a pas encore émergé complètement du sommeil de la Matière, de l'absorption qui coupe entièrement la Force à l'oeuvre de' la source de son œuvre dans
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la connaissance supraconsciente et, par conséquent, quelle accomplit subconsciemment ce qu'elle fera consciemment quand, en l'homme, elle émergera de son absorption et commencera de s'éveiller, bien qu'indirectement, à son moi-de-connaissance. Elle fait exactement les mêmes choses, mais d'une façon différente et en donnant au terme conscience uns valeur différente.
Il devient maintenant possible de concevoir l'existence, dans l'atome lui-même, de quelque chose qui, en nous, devient volonté et désir, d'une attraction et d'une répulsion qui, quoique phénoménalement différentes, sont essentiellement identiques à la sympathie et l'antipathie humaines, bien qu'ils soient, comme nous disons, inconscients ou subconscients. Cette volonté et ce désir essentiels sont partout évidents dans la Nature, et bien qu'on n'en tienne pas encore suffisamment compte, ils sont associés à un sens et une intelligence subconscients — ou, si l'on veut, inconscients ou tout à fait involués —, qui imprègnent également toutes choses, et dont ils sont en vérité l'expression. Présent en chaque atome de la Matière, tout cela est nécessairement présent aussi en tout ce qui est formé par l'agrégation de ces atomes; et cette volonté et ce désir sont présents dans l'atome parce qu'ils sont présents dans la Force qui construit et constitue l'atome. Fondamentalement, cette Force est le Chit-Tapas ou Chit-Shakti du Védânta, la conscience-force, la force consciente inhérente à l'être-conscient, qui se manifeste comme énergie nerveuse pleine de sensations submentales dans la plante, comme sens-de-désir et volonté-de-désir dans les formes animales primitives, comme sens et force conscients de soi dans l'animal qui évolue, comme volonté et connaissance mentales qui, en l'homme, couronnent tout le reste. La Vie est une gradation de l'Énergie universelle où s'opère le passage de l'inconscience à la conscience; elle en est un pouvoir intermédiaire, latent ou submergé dans la Matière; délivrée par sa propre force, elle accède à l'être submental et finalement, délivrée par l'émergence du Mental, elle réalise toutes les possibilités de sa dynamis.
Toute autre considération mise à part, cette conclusion s'impose comme une nécessité logique, si nous observons ne serait-ce que le processus le plus extérieur de cette émergence à la lumière du thème de l'évolution. Il est évident que la Vie dans la plante, si elle est organisée autrement que dans l'animal, est cependant le même pouvoir, marqué par la naissance, la croissance et la mort : propagation par la semence, mort
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par déclin, maladie violence, conservation par absorption d'éléments nutritifs extérieurs, dépendance vis-à-vis de la lumière et de la chaleur, fécondité et stérilité, et même des états de sommeil et de veille, énergie et dépression du dynamisme-de-vie, passage de l'enfance à la maturité et à la vieillesse ; la plante contient en outre les essences de la force de vie, elle est donc l'aliment naturel de la vie animale. Si l'on admet qu'elle possède un système nerveux et réagit aux stimuli, qu'il y a en elle un début ou un courant sous-jacent de sensations submentales ou purement vitales, la similarité se précise encore ; mais elle demeure évidemment un stade de l'évolution de la vie, intermédiaire entre l'existence animale et la Matière " inanimée ". Cela n'a rien de surprenant si la Vie est une force qui évolue à partir de la Matière et atteint son point culminant dans le Mental ; et dans ce cas, nous sommes amenés à supposer qu'elle est déjà présente dans la Matière elle-même, submergée ou latente dans la subconscience ou l'inconscience matérielle. Car de quelle autre source pourrait-elle émerger ? L'évolution de la Vie dans la Matière implique une involution préalable, à moins de supposer qu'elle soit une création nouvelle magiquement et inexplicablement introduite dans la Nature. Elle serait alors, ou bien une création ex nihilo, ou bien le résultat d'opérations matérielles qui ne s'expliqueraient ni par ces opérations elles-mêmes, ni par aucun élément en elles doté d'un caractère analogue ; ou encore, on peut la concevoir comme une descente à partir d'un plan supraphysique au-dessus de l'univers matériel. On peut rejeter les deux premières suppositions comme des conceptions arbitraires ; la dernière explication est possible, et il est tout à fait concevable et, selon la vision occulte des choses, il est vrai qu'une pression provenant d'un plan de la Vie au-dessus de l'univers matériel a aidé à l'émergence de la Vie sur terre. Mais cela n'exclut pas le fait que l'apparition de la Vie dans là Matière elle-même soit un mouvement nécessaire et primordial; car l'existence d'un monde ou d'un plan de la Vie au-dessus du monde ou du plan matériel n'entraîne pas nécessairement l'émergence de la Vie dans la matière, à moins que ce plan de la Vie n'existe comme une étape formatrice lors d'une descente de l'Être dans l'Inconscience à travers plusieurs degrés ou pouvoirs de lui-même, avec pour résultat son involution et celle de tous ces pouvoirs dans la Matière en vue d'une évolution et d'une émergence ultérieures. Il n'est pas d'une importance capitale de savoir s'il :est possible de découvrir les signes, encore inorganisés ou rudimentaires, de cette vie submergée dans les choses matérielles, ou s'ils sont inexistants du fait que la Vie involuée est en
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plein sommeil. L'Énergie matérielle qui assemble, forme et désagrège¹ est, à un autre degré, le même Pouvoir que cette Énergie-de-Vie qui s'exprime dans la naissance, la croissance et la mort, de même qu'en accomplissant les œuvres de l'Intelligence dans une subconscience Somnambule elle se révèle être le même Pouvoir qui, à un autre degré encore, atteint l'état du Mental; son caractère même indique qu'elle renferme, bien que leur organisation ou leur processus caractéristiques ne soient pas encore développés, les pouvoirs pas encore libérés du Mental et de la Vie.
La Vie se révèle être alors essentiellement et partout identique, depuis l'atome jusqu'à l'homme, l'atome contenant le matériau et le mouvement subconscients de l'être qui, libérés, deviennent la conscience dans l'animal, la vie végétale servant d'étape intermédiaire dans l'évolution. La Vie est en réalité une opération universelle de la Force-Consciente agissant subconsciemment sur la Matière, et en elle ; c'est l'opération qui crée, maintient, détruit et recrée les formes ou les corps et qui, par le jeu de la force nerveuse, autrement dit par les courants interactifs d'énergie stimulatrice, essaie d'éveiller la sensation consciente dans ces corps. Il y a trois stades dans cette opération : le plus bas est celui où la vibration est encore plongée dans le sommeil de la Matière, entièrement subconsciente, au point de paraître tout à fait mécanique; le stade intermédiaire est celui où elle devient capable d'une réponse, encore submentale, mais juste à la frontière de la conscience telle que nous la concevons ; le plus haut est celui où . là vie élabore une mentalité consciente sous la forme d'une sensation mentalement perceptible qui, dans cette transition, devient la base du développement du mental sensoriel et de l'intelligence. C'est au stade intermédiaire que nous concevons la Vie comme distincte de la Matière et du Mental, mais en fait elle est identique à tous les stades, étant toujours un moyen terme entre le Mental et la Matière, constituant l'une, animée par l'autre. C'est une opération de la Force-Consciente
¹La naissance, la croissance et la mort sont, sous leur aspect extérieur, le même processus d'agrégation, de formation et de désagrégation, mais ils sont plus que cela en leur processus et leur signification intérieurs. Si la vision occulte de ces choses est correcte, l'" animation " du corps par l'être psychique suit un processus extérieur analogue, car, pour la naissance, l'âme, en tant que noyau, attire à elle et agrège les éléments de ses enveloppes mentale, vitale et physique, ainsi que leur contenu, développe ces formations dans la vie et, lors de son départ, abandonne et désagrège à nouveau ces agrégats, recueillant en elle ses pouvoirs intérieurs jusqu'à sa prochaine naissance où elle répète le processus originel.
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qui n'est ni une simple formation de substance, ni une opération du mental, avec la substance et la forme comme objet d'appréhension, mais plutôt une dynamisation de l'être conscient, qui est la cause et le soutien de la formation de la substance, ainsi que la source et le support intermédiaires de l'appréhension mentale consciente. La Vie, en tant que dynamisation intermédiaire de l'être conscient, libère dans l'action et la réaction sensibles une forme de la force créatrice de l'existence qui, absorbée dans sa propre substance, œuvrait subconsciemment ou inconsciemment; elle soutient et libère dans l'action la conscience appréhensive de l'existence appelée Mental, et lui fournit une instrumentation dynamique, afin qu'elle puisse agir non seulement sur ses propres formes, mais sur les formes de la Vie et de la Matière ; elle relie également et soutient, comme moyen terme, les échanges mutuels entre le Mental et la Matière. Ce moyen d'échange, la Vie le procure dans les courants continuels de son énergie nerveuse, dans ses pulsations portant la force de la forme comme sensation pour modifier le Mental et rapportant la force du Mental comme volonté pour modifier la Matière. C'est donc à cette énergie nerveuse que nous pensons quand nous parlons de la Vie ; c'est le prâna ou force-de-Vie de la philosophie indienne. Mais l'énergie nerveuse n'est que la forme qu'elle assume dans l'être animal ; la même énergie prânique est présente dans toutes les formes jusqu'à l'atome, puisqu'elle est partout la même en son essence, partout la même opération de la Force-Consciente — la Force qui soutient et modifie l'existence substantielle de ses propres formes, la Force avec les sens et le mental secrètement actifs, mais d'abord involués dans la forme et se préparant à émerger, puis émergeant finalement de leur involution. Telle est toute la signification de la Vie omniprésente qui s'est manifestée et habite l'univers matériel.
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Au commencement, tout était recouvert par la Faim qui est la Mort; cela créa pour soi-même le Mental pour atteindre à la possession du moi.
Brihadâranyaka Upanishad. 1.2.1.
Le voici, le Pouvoir découvert par le mortel et qui possède la multitude de ses désirs afin de pouvoir soutenir toutes choses ; il recueille la saveur de toute nourriture et bâtit pour l'être une demeure.
Rig-Véda. V. 7. 6.
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Dans le chapitre précédent, nous avons considéré la Vie du point de vue de l'existence matérielle, de l'apparition et du fonctionnement du principe vital dans la Matière, et nous avons raisonné à partir des données que nous offre cette existence terrestre évolutive. Mais il est évident que, où qu'elle puisse apparaître et de quelque façon qu'elle puisse agir, dans quelque condition que ce soit, le principe général doit être partout identique. La Vie est la Force universelle dont l'œuvre consiste à créer, dynamiser, préserver et modifier, fût-ce au point de les dissoudre et de les reconstruire, des formes de substance, et dont le caractère fondamental est le jeu mutuel et l'échange d'une énergie ouvertement ou secrètement consciente. Dans le monde matériel où nous demeurons, le Mental est involué et subconscient dans la Vie, tout comme le Supramental est involué et subconscient dans le Mental, et cette Vie imprégnée d'un Mental subconscient involué est elle-même involuée dans la Matière. Par conséquent, la Matière est ici la base et le commencement apparent; dans la langue des Upanishad, Prithivî, le Principe-Terre, est notre assise. L'univers matériel part de l'atome formel surchargé d'énergie, riche de la substance informe d'un désir, d'une volonté, d'une intelligence subconscients. Dans cette Matière se manifeste la Vie apparente qui, au moyen du corps vivant, délivre le Mental qu'elle tient emprisonné en elle ; le Mental, à son tour, doit délivrer le Supramental dissimulé en ses opérations. Mais nous pouvons concevoir un monde différemment constitué où le Mental, à l'origine, ne serait pas involué, mais se servirait consciemment de son énergie innée pour créer des formes originales de substance, au lieu d'être, comme il l'est ici, uniquement subconscient au début. Le fonctionnement d'un tel monde serait certes très différent du nôtre, mais le véhicule intermédiaire du jeu de cette énergie serait toujours la Vie. La chose en soi serait identique, même si le processus était entièrement inverse.
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Mais une chose nous apparaît alors immédiatement: de même que le Mental n'est qu'une opération finale du Supramental, de même la Vie n'est qu'une opération finale de la Conscience-Force dont l'Idée-Réelle est la forme déterminante et l'agent créateur. La Conscience qui est Force est la nature de l'Être, et cet Être conscient manifesté comme Connaissance-Volonté créatrice est l'Idée-Réelle ou Supramental. La Connaissance-Volonté supramentale est la Conscience-Force rendue opérante pour la création de formes d'être unifié, dans cette harmonie ordonnée que nous appelons un monde ou un univers ; le Mental et la Vie sont aussi la même Conscience-Force, la même Connaissance-Volonté, mais opérant pour le maintien de formes distinctement individuelles en une sorte de délimitation, d'opposition et d'échange où l'âme, en chaque forme d'être, élabore son mental et sa vie comme s'ils étaient séparés des autres, bien qu'en fait ils ne le soient pas ; ils sont le jeu de l'Ame-Mental-Vie unique dans les différentes formes de sa seule réalité. En d'autres termes, de même que le Mental est l'opération finale d'individualisation effectuée par le Supramental qui comprend et appréhende tout (processus par lequel sa conscience agit, individualisée en chaque forme du point de vue qui lui est propre et avec les relations cosmiques qui découlent de ce point de vue), de même la Vie est-elle l'opération finale par laquelle la Force de l'Être-Conscient — agissant au moyen de la Volonté du Supramental universel qui possède et crée toutes choses —, maintient et dynamise, constitue et reconstitue les formes individuelles et sert de base à toutes les activités de l'âme ainsi incarnée. La Vie est l'énergie du Divin qui s'engendre sans fin dans les formes, comme en une dynamo, et qui ne se contente pas de jouer avec les batteries dont les courants sont dirigés sur les formes environnantes des choses, mais reçoit elle-même les chocs de toute la vie à l'entour, à mesure qu'ils se déversent de l'extérieur, de l'univers environnant, et pénètrent la forme.
Dans cette conception, la Vie apparaît comme une forme d'énergie de la conscience, intermédiaire et appropriée à l'action du Mental sur la Matière ; on peut dire, en un sens, qu'elle est un aspect d'énergie du Mental lorsqu'il crée, non plus des idées, mais des mouvements de force et des formes de substance et se rattache à eux. Cependant, il faut ajouter aussitôt que le Mental n'est pas une entité séparée ; à l'arrière-plan, se trouve la totalité du Supramental. Or, c'est le Supramental qui crée, le Mental n'est que son opération finale d'individualisation. De même, la Vie n'est pas une entité ou un mouvement séparé ; à l'arrière-plan et
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en chacune de ses opérations, se trouve la Force-Consciente, et c'est cette Force-Consciente seule qui existe et agit dans les choses créées. La Vie n'est que son opération finale, intermédiaire entre le Mental et le Corps. Tout ce que nous disons de la Vie doit donc nécessairement tenir compte des modifications dues à cette dépendance. Nous ne connaissons pas vraiment la Vie, sa nature et son processus, à moins de percevoir, à moins de devenir conscient de cette Force-Consciente qui agit en elle et dont elle n'est que l'aspect et l'instrument extérieurs. Alors seulement, en tant que formes-d'âme individuelles et instruments corporels et mentaux du Divin, nous pouvons percevoir et exécuter sciemment la Volonté de Dieu dans la Vie ; alors seulement la Vie et le Mental peuvent suivre les voies et les mouvements toujours plus droits de la vérité en nous-mêmes et dans les choses, en réduisant constamment les distorsions et perversions de l'Ignorance. Tout comme le Mental doit consciemment s'unir au Supramental dont il est séparé par l'action de l'Avidyâ, de même la Vie doit-elle prendre conscience de la Force-Consciente qui œuvre en elle à des fins et avec une signification dont la vie en nous — parce qu'elle est absorbée dans le simple processus de vivre, comme notre mental est absorbé dans le simple processus de mentaliser la vie et la matière — est inconsciente en son action obscurcie, de sorte qu'elle les sert de façon aveugle et ignorante, et non, comme elle doit le faire et le fera une fois libérée et réalisée, lumineusement ou avec une connaissance, une puissance et une béatitude qui s'accomplissent d'elles-mêmes.
En fait, étant subordonnée à l'action obscurcie et séparatrice du Mental, notre Vie est elle-même obscurcie et divisée et assujettie à la mort, à la limitation, la faiblesse, la souffrance, au fonctionnement ignorant que le Mental-de-la-créature, asservi et limité, engendre et suscite. La source originelle de la perversion se trouve, nous l'avons vu, dans cette limitation que l'âme individuelle s'est imposée à elle-même, âme enchaînée à l'ignorance de soi du fait que, par une concentration exclusive, elle se considère comme une individualité séparée existant en soi, et considère toute l'action cosmique seulement telle qu'elle se présente à sa conscience, sa connaissance, sa volonté, sa force, son plaisir et son être limité, au lieu de se voir comme une forme consciente de l'Un et d'embrasser toute conscience, toute connaissance, toute volonté, toute force, tout plaisir et tout être comme s'ils étaient siens. Obéissant à cette direction de l'âme emprisonnée dans le mental, la vie universelle se trouve, elle-même emprisonnée dans une action individuelle. Elle existe
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et agit comme une vie séparée, avec une capacité insuffisante et limitée, subissant le choc et la pression de toute la vie cosmique autour d'elle, au lieu de l'embrasser librement. Jetée dans le constant échange cosmique de la Force dans l'univers comme une pauvre existence individuelle limitée, la Vie commence par consentir et obéir, impuissante, à ce jeu mutuel et gigantesque, et ne réagit que mécaniquement à tout ce qui l'assaille, la dévore, jouit d'elle, l'utilise et la dirige. Mais à mesure que se développe la conscience, à mesure que la lumière de son être émerge de l'inerte obscurité du sommeil involutif, l'existence individuelle commence à percevoir faiblement le pouvoir qui est en elle et cherche, d'abord nerveusement, puis mentalement, à maîtriser le jeu, à l'utiliser et en jouir. Cet éveil au Pouvoir qui est en elle est l'éveil progressif au moi. Car la Vie est la Force, et la Force est le Pouvoir, et le Pouvoir est la Volonté, et la Volonté est l'action de la Conscience-Maîtresse. La Vie dans l'individu devient de plus en plus consciente, en ses profondeurs, qu'elle aussi est la Volonté-Force de Satchidânanda, maître de l'univers, et elle aspire elle-même à devenir individuellement maîtresse de son propre monde. Réaliser son pouvoir et maîtriser aussi bien que connaître son monde est donc l'impulsion toujours plus forte de toute vie individuelle ; cette impulsion est un trait essentiel de la croissante manifestation du Divin dans' l'existence cosmique.
Bien que la Vie soit Pouvoir et que la croissance de la vie individuelle signifie la croissance du Pouvoir individuel, le simple fait qu'elle soit une vie et une force divisées et individualisées l'empêche néanmoins de devenir vraiment maîtresse de son monde. Car cela reviendrait à maîtriser la Toute-Force, et il est impossible à une conscience divisée et individualisée dotée d'un pouvoir et d'une volonté divisés, individualisés et dès lors limités, d'être maîtresse de la Toute-Force; seule la Toute-Volonté en est capable, et l'individu, si tant est que cela soit possible, ne peut y parvenir qu'en redevenant un avec la Toute-Volonté, et donc avec la Toute-Force. Autrement, la vie individuelle dans la forme individuelle sera toujours soumise aux trois attributs de sa limitation : la Mort, le Désir et l'Incapacité.
La morte est imposée à la vie individuelle à la fois par les conditions de sa propre existence et par ses relations avec la Toute-Force qui se manifeste dans l'univers. Car la vie individuelle est un jeu particulier de l'énergie dont l'action spécifique est de constituer, maintenu, dynamiser
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et finalement dissoudre, une fois son utilité révolue, l'une des myriades de formes qui, chacune en son temps, son lieu et son domaine, servent toutes le jeu intégral de l'univers. L'énergie de vie dans le corps doit soutenir l'assaut des énergies de l'univers, qui lui sont extérieures ; elle doit les absorber et s'en nourrir, cependant qu'elle-même est constamment dévorée par elles. Selon l'Upanishad, toute la Matière est nourriture, et telle est la formule du monde matériel : " Le mangeur mangeant est lui-même mangé. " La vie organisée dans le corps est constamment menacée de destruction sous les assauts de la vie extérieure, ou, si son pouvoir de dévorer est insuffisant ou mal servi, ou s'il n'y a pas de juste équilibre entre la capacité de dévorer et la capacité ou la nécessité de nourrir la vie extérieure, alors elle ne peut plus se protéger et elle est dévorée, ou bien, incapable de se renouveler, elle dépérit et se dissout; elle doit suivre le processus de la mort afin de se reconstruire et de se renouveler.
Ce n'est pas tout; pour reprendre Une autre formule des Upanishad, la force de vie est l'aliment du corps, et le corps l'aliment de la force de vie; en d'autres termes, l'énergie de vie en nous fournit le matériau grâce auquel la forme est construite, préservée et renouvelée, et, en même temps, elle utilise constamment la forme de sa propre substance, qu'elle crée ainsi et maintient en vie. Si l'équilibre entre ces deux opérations est imparfait ou rompu, ou si le jeu ordonné des différents courants de la force de vie se dérègle, la maladie et le déclin surviennent et déclenchent le processus de désintégration. De plus, le combat pour obtenir une maîtrise consciente, et même la croissance du mental, rendent plus difficile encore le maintien de la vie. Car l'énergie de vie exige toujours plus de la forme, et cette exigence dépasse la capacité du système originel d'approvisionnement et rompt l'équilibre originel d'offre et de demande; alors, avant qu'un nouvel équilibre ne puisse s'établir, de nombreux désordres se produisent, qui sont contraires à l'harmonie et au maintien prolongé de la vie ; en outre, l'effort de maîtrise suscite toujours une réaction correspondante dans l'environnement, où d'innombrables forces désirent elles aussi s'accomplir, et ne supportant pas l'existence qui cherche à les subjuguer, elle se révoltent et l'attaquent. Là encore, un équilibre est rompu, et un combat plus intense se produit ; si forte que soit la vie dominatrice, elle ne peut éternellement résister et triompher. Un jour, elle subit la défaite et se désintègre, à moins qu'elle ne soit illimitée ou ne réussisse à établir une nouvelle harmonie avec son milieu.
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Mais outre ces nécessités, il y a la grande nécessité fondamentale de la nature, l'objectif de la vie incarnée elle-même, qui est de rechercher une expérience infinie sur une base finie ; et puisque la forme, la base, de par son organisation même, limite la possibilité de l'expérience, cela ne peut se faire que par la dissolution de cette forme et qu'en en cherchant de nouvelles. Car l'âme, une fois qu'elle s'est limitée en se concentrant sur le moment et le champ, est amenée à chercher de nouveau son infinité par le principe de la succession, en ajoutant un moment à l'autre et en emmagasinant ainsi une expérience du temps qu'elle appelle son passé ; elle se déplace dans ce temps, traversant des champs successifs, des expériences ou des vies successives, des accumulations successives de connaissance, de capacité, de plaisir, et elle conserve tout cela dans la mémoire subconsciente ou supraconsciente comme fonds de son acquis passé dans le temps. Le changement de forme est essentiel à ce processus; et pour l'âme involuée dans un corps individuel, le changement de forme signifie la dissolution du corps, selon la loi et la compulsion de la Toute-Vie dans l'univers matériel, selon sa loi d'offre du matériau. pour la forme et de demande de matériau — son principe étant que tout s'entrechoque constamment et que la vie incarnée lutte pour exister dans un monde où tout s'entredévore. Et cela, c'est la loi de la Mort.
Telles sont donc la nécessité et la justification de la Mort, considérée non point comme une négation de la Vie, mais comme un processus de la Vie; la mort est nécessaire parce que l'éternel changement de forme est la seule immortalité à laquelle la substance vivante finie puisse aspirer, et l'éternel changement d'expérience la seule infinité que le mental fini involué dans le corps vivant puisse atteindre. Un tel changement de forme ne saurait demeurer simplement un renouvellement constant de la même forme-type, comme celle qui constitue notre vie corporelle entre la naissance et la mort ; à moins, en effet, que la forme-type ne soit transformée et le mental expérimentateur coulé dans des formes nouvelles, en de nouvelles circonstances, en un temps, un lieu et un milieu nouveaux, le changement d'expérience nécessaire qu'exige la nature même de l'existence dans l'Espace et le Temps ne peut s'effectuer. Or seul le processus de la Mort par dissolution et par le dévorement de la vie par la Vie, seules l'absence de liberté, la compulsion, la lutte, la douleur, la sujétion à ce qui semble être un non-moi, font que ce changement nécessaire et salutaire paraît terrible et indésirable à notre mentalité mortelle. C'est le sentiment d'être dévoré, brisé, détruit ou
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expulsé qui constitue l'aiguillon de la Mort, et même la croyance en la survie de la personne après la mort ne peut l'abolir entièrement.
Mais ce processus est une nécessité de cet entredévorement dont nous voyons qu'il constitue la loi initiale de la Vie dans la Matière. La Vie, dit l'Upanishad, est la Faim qui est la Mort, et par cette Faim qui est la Mort, ashanâyâ mrityuh, le monde matériel a été créé. Car la Vie sur terre emprunte le moule de la substance matérielle, et la substance matérielle est l'Être infiniment divisé qui aspire infiniment à s'agréger ; entre ces deux impulsions de division infinie et d'infinie agrégation, se forme l'existence matérielle de l'univers. La tentative que fait l'individu, l'atome vivant, pour subsister et s'accroître, voilà toute la signification du Désir; un accroissement physique, vital, moral, mental par une expérience qui s'élargit pour embrasser toutes choses, une possession, une absorption, une assimilation, une jouissance de plus en plus complètes, constituent l'impulsion inévitable, fondamentale, indéracinable de l'Existence qui s'est divisée et individualisée, mais demeure secrètement consciente de son infinité qui embrasse et possède tout. L'élan qui nous pousse à réaliser cette conscience secrète est l'aiguillon du Divin cosmique, la soif du Moi incarné en chaque créature individuelle ; et il est inévitable, juste et salutaire que celle-ci cherche à la réaliser d'abord dans les conditions de la vie par une croissance et une expansion toujours plus vastes. Dans le monde physique, cela ne peut se faire qu'en tirant sa nourriture du milieu : on s'élargit en absorbant les autres ou ce qu'ils possèdent; et cette nécessité est la justification universelle de la Faim sous toutes ses formes. Cependant, ce qui dévore doit aussi être dévoré ; car la loi d'échange, d'action et de réaction, de capacité limitée et donc, pour finir, d'épuisement et de disparition, gouverne toute vie dans le monde physique.
Ce qui n'était encore qu'une faim vitale dans la vie subconsciente se transforme, dans le mental conscient, en des formes supérieures; la faim dans les parties vitales devient, dans la vie mentalisée, la brûlure du Désir, et la tension de la Volonté dans la vie intellectuelle ou pensante. Ce mouvement de désir doit continuer, et il est même indispensable jusqu'à ce que l'individu se soit suffisamment développé pour devenir enfin maître de lui-même et, par une croissante union avec l'Infini, prendre possession de cet univers. Le Désir est le levier grâce auquel le divin principe-de-Vie atteint son but, qui est de s'affirmer dans
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l'univers ; essayer de l'étouffer au profit de l'inertie est une négation de ce principe-de-Vie, une Volonté-de-ne-pas-être qui est nécessairement une ignorance; car pour cesser d'être individuellement, il faut être infiniment. En outre, le Désir ne peut être conduit à sa fin véritable qu'en devenant le désir de l'infini et en étant comblé par une plénitude supérieure et une satisfaction infinie dans l'intégrale félicité de l'Infini. Jusque-là, il lui faut progresser, de la faim où l'on s'entredévore jusqu'au don réciproque, au sacrifice mutuel toujours plus joyeux. L'individu se donne à d'autres individus et les reçoit en lui, l'inférieur se donne au supérieur et le supérieur à l'inférieur de façon à pouvoir s'accomplir l'un en l'autre; l'humain se donne au Divin, et le Divin à l'humain; le Tout dans l'individu se donne au Tout dans l'univers, et reçoit, en récompense divine, son universalité réalisée. Ainsi la loi de la Faim doit céder graduellement la place à la loi de l'Amour, la loi de la Division à la loi de l'Unité, la loi de la Mort à la loi de l'Immortalité ; tels sont la nécessité et la justification, tels sont le couronnement et l'accomplissement du Désir qui est à l'œuvre dans l'univers.
De même que ce masque de la Mort dont se couvre la Vie résulte du mouvement du fini qui cherche à affirmer son immortalité, de même le Désir est-il l'impulsion de la Force Être qui s'est individualisée dans la Vie pour affirmer peu à peu, selon le principe de succession dans le Temps et d'extension de soi dans l'Espace et dans le cadre du fini, sa Béatitude infinie, l'Ânanda de Satchidânanda. Le masque du Désir que revêt 'cette impulsion est directement issu du troisième phénomène de la Vie, sa loi d'incapacité. La Vie est une Force infinie œuvrant dans les conditions du fini; tout au long de son action manifeste et individualisée dans le fini, son omnipotence doit inévitablement apparaître et agir comme capacité limitée, comme impuissance partielle, bien que derrière chaque acte de l'individu, si faible, si futile, si trébuchant soit-il, il y ait toute la présence supraconsciente et subconsciente de la Force infinie et omnipotente; sans cette présence à l'arrière-plan, pas un seul mouvement, même le plus infime, ne pourrait se produire dans le cosmos ; par le fiât de l'omnipotente omniscience qui œuvre en tant que Supramental inhérent dans les choses, chaque acte et chaque mouvement séparés rentrent dans la somme de son action universelle. Mais la force de vie individualisée est, pour sa propre conscience, limitée et pleine d'incapacités ; car dans son action elle se trouve non seulement confrontée à la masse des autres forces de vie individualisée
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qui l'entourent, mais soumise au contrôle et à la négation de la Vie infinie elle-même dont la volonté et l'orientation globales peuvent ne pas s'accorder immédiatement avec les siennes. C'est pourquoi la limitation de la force, le phénomène d'incapacité, est la troisième caractéristique de la Vie individualisée et divisée. Par contre, cet élan qui la pousse à s'étendre et à tout posséder ne se mesure pas, et n'est pas limité par sa force ou sa capacité présentes, et rien ne l'y prédestine. Il s'ensuit que, du gouffre qui sépare cette soif de posséder de la force de possession, s'élève le désir; car si cette disparité n'existait pas, si la force pouvait toujours posséder son objet, toujours atteindre son but en toute sûreté, alors le désir ne naîtrait point, seule existerait une Volonté calme et maîtresse d'elle-même, sans convoitise, pareille à la Volonté du Divin.
Si la force individualisée était l'énergie d'un mental libre de l'ignorance, cette limitation n'interviendrait pas, ni la nécessité du désir. Car un mental non séparé du Supramental, un mental de connaissance divine connaîtrait l'intention, la portée et le résultat inévitable de chacun de ses actes; il ne brûlerait pas de désir ni ne lutterait, mais émanerait une force assurée, se limitant à l'objet immédiatement en vue. Même en se projetant au-delà du présent, même en initiant des mouvements non destinés à réussir dans l'immédiat, il ne saurait être assujetti au désir ou à la limitation. Car les échecs du Divin sont eux aussi des actes de Son omnisciente omnipotence qui connaît le moment juste et la juste circonstance pour le commencement, les variations, les résultais immédiats et ultimes de toutes Ses entreprises cosmiques. Étant à l'unisson du Supramental divin, le mental de connaissance participerait à cette omniscience et à ce pouvoir qui détermine tout. Mais, comme nous l'avons vu, la force-de-vie individualisée est ici une énergie du Mental individualisateur et ignorant, du Mental exilé de la connaissance de son propre Supramental. L'incapacité est dès lors nécessaire à ses relations dans la Vie, et inévitable dans la nature des choses; car l'omnipotence pratique d'une force ignorante est impensable, même en une sphère limitée, puisque, dans cette sphère, une telle force s'opposerait au fonctionnement de l'omnipotence divine et omnisciente et renverserait le dessein établi des choses — une situation cosmique impossible. La lutte de forces limitées accroissant leur capacité du fait de cette lutte même, sous l'impulsion du désir instinctif ou conscient, est par conséquent la première loi de la Vie. Il en est de ce combat comme; du désir ; il doit s'élever, devenir une épreuve de force
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mutuellement profitable, une lutte consciente de forces fraternelles où le vainqueur et le vaincu, ou plutôt où les deux influences, celle qui agit d'en haut et celle qui, en réponse, agit d'en bas, ne peuvent que s'enrichir et s'accroître l'une comme l'autre. Et finalement, cela doit à son tour devenir le choc bienheureux d'un échange divin, la vigoureuse étreinte de l'Amour remplaçant l'embrassement convulsif de la lutte. Et pourtant, la lutte est un commencement nécessaire et salutaire. La Mort, le Désir et la Lutte sont la trinité de la vie divisée, le triple masque du divin principe-de-Vie et son premier essai pour s'affirmer dans le cosmos.
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Que le chemin du Verbe conduise aux divinités, vers les Eaux par l'action du Mental... Ô Flamme, tu vas vers l'océan du Gel, vers les dieux ; grâce à toi se rencontrent les divinités des plans, les eaux qui sont dans le royaume de la lumière au-dessus du soleil et les eaux qui demeurent au-dessous.
Le Seigneur de la Félicité conquiert le troisième statut; il maintient et gouverne suivant l'Ame d'universalité; tel un faucon, tel un milan, il se fixe sur le vaisseau et l'élève, découvreur de la Lumière, il manifeste le quatrième statut et s'accroche à l'océan qu'est la houle de ces eaux.
Vishnu fit trois pas et garda son pied au-dessus de la poussière primitive; il fît trois enjambées. Lui, le Gardien, l'Invincible, qui d'au-delà soutient leurs lois. Explore les œuvres de Vishnu et vois d'où il a manifesté leurs lois. C'est son pas le plus haut que voient toujours les rishis, tel un œil grand ouvert dans le ciel; cela, les illuminés, les éveillés l'allument et en font un brasier, ce pas suprême de Vishnu...
Rig-Véda. X. 30.1 ; III. 22. 3, IX. 96.18,19; I. 22.17-21.
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Nous avons vu que le Mental mortel divisé, qui engendre la limitation, l'ignorance et les dualités, n'est qu'une image obscurcie du Supramental, de la Conscience divine lumineuse en soi dans ses premiers rapports avec l'apparente négation d'elle-même d'où notre cosmos est issu; de même la Vie, telle qu'elle émerge dans notre univers matériel, énergie du Mental diviseur, subconsciente, submergée, emprisonnée dans la Matière, la Vie qui engendre la mort, la faim et l'incapacité, n'est qu'une image obscurcie de la Force divine supraconsciente dont les termes les plus hauts sont l'immortalité, la félicité accomplie et la toute-puissance. Cette relation fixe la nature de ce grand processus cosmique dont nous faisons partie; il détermine les termes, premier, intermédiaire et ultime, de notre évolution. Les premiers termes de la Vie sont la division, une volonté subconsciente mue par la force et qui apparaît sous l'aspect, non d'une volonté mais d'une sourde impulsion de l'énergie physique, et l'impuissance d'une inerte sujétion aux forces mécaniques qui gouvernent l'échange entre la forme et son milieu. Cette inconscience et cette action aveugle mais puissante de l'Énergie caractérisent l'univers matériel tel que le physicien le voit, et cette vision des choses, il l'étend et en fait la totalité de l'existence de base ; c'est la conscience de la Matière et le type accompli de la vie matérielle. Mais un nouvel équilibre se manifeste alors, un nouvel ensemble intervient dont les termes se développent à mesure que la Vie se libère de cette forme et commence à évoluer vers le Mental conscient ; car les moyens termes de la Vie sont la naissance et l'entre-dévorement, la faim et le désir conscient, le sens d'un espace vital et d'une capacité limités, et la lutte pour s'élargir, s'étendre, conquérir et posséder. Ces trois termes sont à la base de ce principe évolutif que la théorie darwinienne fut la première à exposer clairement à l'intelligence humaine. Car le phénomène de la mort implique une lutte pour survivre, la mort n'étant que le
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terme négatif où la Vie se dissimule à sa propre vue et incite son être concret à rechercher l'immortalité. Le phénomène de la faim et du désir implique une lutte pour atteindre un état de satisfaction et de sécurité, le désir n'étant que le stimulus par lequel la Vie incite son être concret à émerger de la négativité de la faim inassouvie pour posséder pleinement la joie de l'existence. Le phénomène de la capacité limitée implique une lutte pour s'étendre, maîtriser et posséder, pour posséder son moi et conquérir son milieu, la limitation n'étant que la négation par laquelle la Vie incite son être concret à rechercher la perfection dont elle est éternellement capable. La lutte pour la vie n'est pas seulement une lutte pour survivre, c'est aussi une lutte pour la possession et la perfection, car ce n'est qu'en prenant possession de son milieu, dans quelque mesure que ce soit, en s'y adaptant ou en l'adaptant à soi-même — soit qu'on l'accepte et s'en accommode, soit qu'on le conquiert et le transforme — que la survie peut être assurée; et il est également vrai que, seule, une perfection toujours plus grande peut garantir une permanence continue, une survie durable. C'est cette vérité que le darwinisme cherche à exprimer quand il parle de la survie du mieux adapté.
Mais tout comme le mental scientifique cherche à étendre à la Vie le principe mécanique propre à l'existence et à la conscience mécanique dissimulée dans la Matière, sans voir qu'un nouveau principe y a pénétré, dont la vraie raison d'être est de se rendre maître du principe mécanique, ainsi s'est-on servi de la formule darwinienne pour exagérer l'importance du principe de Vie agressif, l'égoïsme vital de l'individu, l'instinct et le processus de conservation, d'affirmation de soi et d'agressivité. Car ces deux premiers états de la Vie contiennent en eux-mêmes les semences d'un nouveau principe et d'un autre état qui doivent croître à mesure que le Mental évolue hors de la Matière, progressant de la formule vitale jusqu'à sa propre loi. Et toutes choses changeront encore davantage lorsque le Mental, dans son évolution, s'élèvera vers le Supramental et vers l'Esprit, comme la Vie évolutive s'élève vers le Mental. C'est précisément parce que la lutte pour la survie et l'instinct de conservation se trouvent contredits par la loi de la mort, que la vie individuelle se voit contrainte d'assurer la conservation de l'espèce
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plutôt que la sienne propre, et qu'elle sert ce dessein ; mais elle ne peut le faire sans la collaboration des autres ; et le principe de coopération et d'entraide, le désir de l'autre — épouse, enfant, ami et soutien, groupement —, l'habitude de s'associer, de se réunir et d'établir des échanges conscients, sont les semences d'où fleurit le principe d'amour. Même en admettant qu'au début l'amour ne soit qu'un égoïsme magnifié et que cet aspect, comme il le fait encore, persiste et domine au cours des stades supérieurs de l'évolution, néanmoins à mesure que le mental évolue et se révèle à lui-même, il finit par percevoir, grâce à l'expérience de la vie, de l'amour et de l'entraide, que l'individu naturel est un terme mineur de l'être et qu'il existe par l'universel. Cette découverte, que l'homme, l'être mental, fait inévitablement, détermine sa destinée ; car il atteint alors le point où le Mental peut commencer à s'ouvrir à cette vérité qu'il y a quelque chose au-delà de lui ; et à partir de ce moment, pour obscure et lente qu'elle soit, son évolution vers ce quelque chose de supérieur, vers l'Esprit, vers le supramental, vers la surhumanité, est inévitablement prédéterminée.
La nature même de la Vie la prédestine donc à un troisième statut, un troisième ensemble de termes de son expression de soi. Si nous examinons cette ascension de la Vie, nous verrons que les derniers termes de son évolution actuelle, les termes de ce que nous avons appelé son troisième statut, doivent nécessairement apparaître comme la contradiction et l'opposé même des premières conditions de la Vie, mais qu'en réalité ils en sont l'accomplissement et la transfiguration. La Vie commence avec les divisions extrêmes et les formes rigides de la Matière, et le type même de cette division rigide est l'atome, base de toute forme matérielle. L'atome demeure dissocié de tous les autres atomes, même lorsqu'il s'unit à eux, il rejette la mort et la dissolution, par quelque force ordinaire qu'elle lui soit imposée, et il est le type physique de l'ego séparé définissant son existence par opposition au principe de fusion dans la Nature. Mais, dans la Nature, l'unité est un principe aussi puissant que la division ; elle est, en fait, le principe maître dont la division n'est qu'un terme subordonné, et il faut donc qu'à ce principe d'unité toute forme divisée se soumette d'une façon ou d'une autre, par nécessité pratique, par la contrainte, par assentiment ou persuasion. Par conséquent, si la Nature, pour ses propres fins, et surtout pour disposer d'une base solide pour ses combinaisons et d'une semence immuable pour. ses, formes, laisse ordinairement l'atome résister au processus
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de fusion par dissolution, elle l'oblige néanmoins à se soumettre au processus de fusion par agrégation; étant le premier agrégat, l'atome est aussi la première base des unités agrégées.
Lorsque la Vie atteint son deuxième statut, que nous appelons vitalité, c'est le phénomène opposé qui s'impose et la base physique de l'ego vital se voit contrainte d'accepter la dissolution. Ses constituants se désagrègent afin que les éléments d'une vie puissent servir à former les éléments d'autres vies. On n'a pas encore pleinement reconnu à quel point cette loi règne dans la Nature et, à vrai dire, il faudra attendre pour cela que notre science de la vie mentale et de l'existence spirituelle soit devenue aussi sûre que notre science actuelle de la vie physique et de l'existence de la Matière. Cependant nous pouvons voir, d'une façon générale, que non seulement les éléments de notre corps physique, mais ceux de notre être vital plus subtil, notre énergie de vie, notre énergie de désir, nos pouvoirs, nos efforts, nos passions entrent, pendant notre vie comme après notre mort, dans l'existence vitale d'autrui. Une ancienne connaissance occulte nous dit que nous avons un corps vital, comme nous avons un corps physique, et que lui aussi se dissout après la mort et se prête à la constitution d'autres corps vitaux; pendant notre vie, nos énergies vitales se mêlent continuellement aux énergies d'autres êtres. Une loi analogue gouverne les relations entre notre vie mentale et la vie mentale d'autres créatures pensantes. Le choc entre mentalités, l'échange, la fusion incessante des éléments produisent une dissolution, une dispersion et une reconstruction constantes. Or cet échange, ce mélange et cette fusion d'un être avec l'autre, constituent le processus même de la vie, une des lois de son existence.
Il y a donc deux principes dans la Vie : la volonté ou la nécessité, pour l'ego séparé, de survivre comme une entité distincte et de protéger son identité, et l'obligation que lui impose la Nature de fusionner avec les autres ego. Dans le monde physique, la Nature accorde une grande importance à cette première impulsion; car elle a besoin de créer des formes séparées qui soient stables, puisque son premier problème, et en fait le plus difficile, est de créer et de préserver tout élément qui puisse favoriser la survie de l'individualité séparée et lui offrir une forme stable dans le flux et le mouvement incessants de Énergie et dans l'unité de l'infini. Dans la vie atomique, par conséquent, la vie individuelle demeure la base et, en se joignant à d'autres vies, assure
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l'existence plus ou moins prolongée d'agrégats qui serviront de base aux individualisations vitales et mentales. Mais dès que la Nature réussit à donner à ces formes une solidité suffisante pour la bonne marche de ses opérations ultérieures, elle renverse le processus : la forme individuelle périt et la vie de l'agrégat profite des éléments de la forme ainsi dissoute. Toutefois, ce ne saurait être la dernière étape ; celle-ci ne peut être atteinte que lorsque les deux principes sont harmonisés, et que l'individu, tout en gardant la conscience de son individualité, parvient néanmoins à se fondre avec les autres sans que l'équilibre préservateur soit perturbé, ni le processus de survie de l'individu interrompu.
Les termes du problème présupposent la pleine émergence du Mental; car dans la vitalité sans mental conscient, il ne peut y avoir d'égalisation, mais seulement un équilibre précaire et momentané aboutissant à la mort du corps, à la dissolution de l'individu et à la dispersion de ses éléments dans l'universalité. La nature de la Vie physique est incompatible avec l'idée d'une forme individuelle possédant le même pouvoir inhérent de persistance, et donc d'existence individuelle continue, que les atomes qui la composent. Seul un être mental, soutenu au-dedans par le noyau psychique qui exprime ou commence d'exprimer l'âme secrète, peut espérer persister grâce à son pouvoir de rattacher le passé à l'avenir en un flot continu que la rupture de la forme peut briser dans la mémoire physique sans nécessairement le détruire dans l'être mental lui-même, et qui, au stade ultime de sa croissance, peut" même combler le hiatus de la mémoire physique créé par la mort et la naissance du corps. Même en l'état actuel du mental incarné imparfaitement développé, l'être mental est conscient, dans l'ensemble, d'un passé et d'un avenir s'étendant par-delà la vie du corps ; il prend conscience d'un passé individuel, de vies individuelles qui ont créé la sienne, et dont il est un développement et une reproduction modifiée, et de vies individuelles futures qu'engendre sa propre vie; il est conscient, également, d'une vie collective passée et future que sa propre vie traverse sans interruption, comme si elle était l'une de ses fibres. Ce qui, pour la Science physique, revêt la forme évidente de l'hérédité, revêt pour l'âme qui se développe derrière l'être mental une forme différente, mais tout aussi évidente, manifestant la persistance de la personnalité. L'être mental exprimant cette conscience de l'âme est donc le noyau de la vie individuelle et collective permanentes ; en lui, leur union et leur harmonisation deviennent possibles.
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L'association, dont l'amour est le principe secret et la cime qui émerge progressivement, représente le type, le pouvoir de ce rapport nouveau, et donc le principe qui gouverne le développement du troisième statut de la vie. La préservation consciente de l'individualité, ainsi que le désir et la nécessité consciemment acceptés de l'échange, du don de soi et de la fusion avec d'autres individus sont nécessaires pour que ce principe d'amour soit effectif; car si l'un ou l'autre est aboli, l'amour cesse d'agir, peu importe ce qui le remplace. Réaliser l'amour en s'immolant soi-même complètement, en ayant même l'illusion de s'anéantir, est certes une idée et un élan de l'être mental, mais il indique un nouveau développement par-delà ce troisième état de la Vie. À partir de ce niveau, nous nous élevons peu à peu au-delà de la lutte pour la vie par dévorement mutuel, et de la survie du plus apte qu'elle assure ; car c'est ici, et de plus en plus, une survie par l'entraide, et un perfectionnement de soi par une adaptation réciproque, par un échange et une fusion. La Vie, c'est l'être qui s'affirme, c'est même l'ego qui se développe et survit, mais cet être a besoin d'autres êtres, cet ego cherche à rencontrer et inclure d'autres ego et à être inclus dans leur vie. Les individus et les groupes qui développeront le plus la loi d'association et la loi d'amour, d'aide collective, de bienveillance, d'affection, de camaraderie, d'unité, qui harmoniseront avec le plus de succès la survie et le don de soi mutuel — le groupe enrichissant l'individu et l'individu enrichissant le groupe, l'individu enrichissant également l'individu et le groupe enrichissant le groupe par des échanges mutuels —, seront les plus aptes à survivre, une fois atteint ce troisième stade de l'évolution.
Ce développement est un signe de la prédominance croissante du Mental¹ qui impose progressivement sa loi à l'existence matérielle. Car le mental, du fait de sa plus grande subtilité, n'a pas besoin de dévorer pour assimiler, posséder et s'accroître ; au contraire, plus il donne, plus il reçoit et grandit; et plus il se fond dans les autres, plus il amène les autres à se fondre en lui, élargissant ainsi le champ de son être. La vie physique s'épuise à trop donner et se ruine elle-même en dévorant trop ; dans la mesure où il s'appuie sur la loi de la Matière, le Mental
¹Nous partons ici du mental tel qu'il agit directement dans la vie, dans l'être vital, par l'intermédiaire du cœur. L'amour — le principe relatif, non son absolu — est un principe de la vie, non du mental, mais il ne peut se posséder, et devenir permanent, que si le mental l'intègre dans sa propre lumière. Ce que l'on appelle amour dans le corps et les parties vitales est dans une très large mesure une forme d'appétit impermanente.
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souffre de la même limitation ; par contre, dès qu'il se développe selon sa loi propre, il tend à surmonter cette limitation, et à mesure qu'il surmonte la limitation matérielle, donner et recevoir pour lui ne font plus qu'un. Car durant son ascension, il réalise progressivement le principe de l'unité consciente dans la différenciation qui est la loi divine du Satchidânanda manifesté.
Le deuxième terme du statut originel de la vie, est la volonté subconsciente qui, au second niveau, devient la faim et le désir conscient — la faim et le désir, ces premières semences du mental conscient. Le passage au troisième statut de la vie grâce au principe d'association, à la croissance de l'amour, n'abolit pas la loi du désir, mais la transforme et l'accomplit. En sa nature, l'amour est le désir de se donner aux autres et de recevoir les autres en échange ; c'est un commerce entre les êtres. La vie physique ne désire point se donner, elle désire seulement recevoir. Il est vrai qu'elle est obligée de se donner, car la vie qui ne fait que recevoir sans rien donner ne peut que devenir stérile, s'étioler et périr — à supposer qu'il soit même possible de vivre complètement une telle existence en ce monde ou dans aucun autre monde ; mais c'est une contrainte, et elle obéit contre sa volonté à l'impulsion subconsciente de la Nature, plutôt qu'elle n'y adhère consciemment. Même quand l'amour intervient, le don de soi conserve encore au début, dans une large mesure, le caractère mécanique de la volonté subconsciente dans l'atome. Au début, l'amour lui-même obéit à la loi de la faim et se plaît à recevoir et exiger des autres plutôt qu'à se donner et se soumettre à eux, ce qu'il accepte surtout comme un prix à payer pour obtenir ce qu'il désire. Mais il n'a pas encore atteint ici à sa vraie nature; sa vraie loi est d'établir un commerce égal où la joie de donner soit égale à la joie de recevoir et finalement la surpasse ; mais pour cela, il faut qu'il s'élance au-delà de lui-même sous la pression de la flamme psychique pour atteindre à la plénitude de l'unité totale ; il doit donc réaliser que ce qui lui semblait être un non-moi est un moi plus grand et plus cher même que sa propre individualité. À l'origine de la vie, la loi d'amour est cet élan qui nous pousse à nous réaliser et nous accomplir dans les autres et par les autres, à nous enrichir en enrichissant autrui, à posséder et être possédé, car faute d'être possédé, on ne se possède pas entièrement soi-même.
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L'inerte incapacité de l'existence atomique à se posséder, la sujétion de l'individu matériel au non-moi appartiennent au premier état de la vie. La conscience de la limitation et la lutte pour posséder, pour maîtriser le moi aussi bien que le non-moi, caractérisent le second. Là aussi, le développement qui conduit au troisième état entraîne une transformation des conditions originelles en un accomplissement et une harmonie qui reproduisent ces conditions tout en paraissant les contredire. Par l'association et l'amour, le non-moi commence à être perçu comme un moi plus grand, et il en résulte une soumission à sa loi et à ses besoins qui, consciemment acceptée, permet de satisfaire l'élan, la tendance croissante de la vie collective à absorber l'individu ; et en même temps, l'individu commence à prendre possession de la vie d'autrui comme de la sienne propre, et de tout ce qu'elle a à lui offrir comme si cela lui appartenait, et ainsi la tendance opposée, la possession individuelle, se trouve-t-elle satisfaite. Mais cette relation de réciprocité entre l'individu et le monde où il vit ne peut être exprimée, elle ne peut être complète et sûre que si la même relation s'établit entre individus, et entre corps collectifs. Tout le difficile effort de l'homme pour harmoniser l'affirmation de soi et la liberté — par lesquelles il se possède lui-même— avec l'association et l'amour, avec la fraternité, la camaraderie — où il se donne aux autres —, ses idéaux d'harmonieux équilibre, de justice, de partage, d'égalité par lesquels il harmonise les deux tendances contraires, sont en fait une tentative, dont le cours est inéluctablement prédéterminé, pour résoudre le problème originel de la Nature, le problème même de la Vie, en résolvant le conflit entre les deux opposés présents dans les fondations mêmes de la Vie dans la Matière. Cette solution, c'est le principe supérieur du Mental qui tente de la fournir, car lui seul peut trouver la voie menant à l'harmonie voulue, bien que cette harmonie ne puisse être découverte qu'en un Pouvoir qui nous dépasse encore.
En effet, si nos données initiales sont correctes, nous ne pourrons atteindre notre destination, notre but, que si le Mental se dépasse lui-même pour accéder à ce qui est au-delà de lui, puisque le Mental n'est qu'un terme inférieur de Cela, un instrument, d'abord pour descendre dans la forme et l'individualité et, ensuite, pour s'élever à nouveau en cette réalité que la forme incarne et que l'individualité représente. Il est donc peu probable que le problème de la Vie puisse trouver une solution parfaite uniquement par l'association, l'échange et les compromis de
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l'amour, ou par la seule loi du mental et du cœur. Pour cela, il faut atteindre un quatrième état de la vie où l'éternelle unité du multiple est accomplie par l'esprit, et où la base consciente de toutes les opérations de la vie s'établit, non plus sur les divisions du corps, ni sur les passions et les appétits de la vitalité, ni sur les groupements et les harmonies imparfaites du mental, ni sur une combinaison de toutes ces choses, mais sur l'unité et la liberté de l'Esprit.
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C'est cela que l'on appelle la Vie universelle.
Le Seigneur siège au cœur de tous les êtres, et par sa Maya les fait tourner comme s'ils étaient montés sur une machine.
Gîta. XVIII. 61.
Celui qui connaît la Vérité, la Connaissance, l'Infinité qu'est le Brahman, goûtera, en Lui qui est toute-sagesse, tous les objets du désir.
Taittirîya Upanishad. II. 1.
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La Vie, nous l'avons vu, est la projection, dans certaines circonstances cosmiques, d'une Force-Consciente qui, en sa nature, est infinie, absolue, sans entraves, et possède inaliénablement son unité et sa béatitude : c'est la Force-Consciente de Satchidânanda. La circonstance centrale de ce processus cosmique, dans la mesure où il diffère en apparence de la pureté de l'Existence infinie et de la possession de soi de l'Énergie indivise, est le pouvoir de division du Mental obscurci par l'ignorance. De cette action divisée d'une Force indivise, surgissent les dualités, les oppositions, les apparentes négations de la nature de Satchidânanda; pour le Mental, elles existent comme une réalité durable, alors que pour la Conscience divine cosmique, dissimulée derrière le voile du mental, ce n'est qu'un simple phénomène, une représentation déformée de la multiple Réalité. C'est pourquoi le monde revêt l'apparence d'un affrontement de vérités opposées, chacune cherchant à se réaliser, et chacune y ayant droit, et donc d'un ensemble de problèmes et de mystères qu'il faut résoudre parce que, derrière toute cette confusion, se trouvent ' la Vérité et l'unité cachées qui exercent leur pression pour que soit trouvée la solution, et qu'ainsi elles puissent se manifester ouvertement dans le monde.
Cette solution, il faut que le mental la recherche, mais pas le mental seul; elle doit être trouvée dans la Vie, dans l'action aussi bien que dans la conscience de l'être. La conscience en tant que Force a créé le mouvement du monde et ses problèmes; elle doit donc résoudre les problèmes qu'elle a créés et amener le mouvement universel à l'inévitable épanouissement de son sens secret et de sa Vérité qui évolue. Mais cette Vie a pris successivement trois apparences. La première est matérielle — une conscience submergée est cachée dans l'action superficielle qui l'exprime et dans les formes représentatives de sa force; car, dans l'action, la conscience elle-même disparaît à nos yeux et se perd dans la forme. La seconde est vitale — une conscience qui émerge, apparaît en
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partie comme pouvoir de vie et processus de la croissance, de l'activité et du déclin de la forme ; à moitié délivrée de son emprisonnement originel, elle émet de premières vibrations de pouvoir, sous forme d'appétit, de satisfaction ou de répulsion vitales, mais au début elle ne vibre pas de lumière (et même par la suite, elle ne le fera qu'imparfaitement), comme connaissance de sa propre existence et de son milieu. La troisième est mentale — une conscience qui a émergé réfléchit le fait de la vie comme sens mental, comme perception et idée réceptives, tandis que, comme idée nouvelle, elle essaie de devenir une réalité de la vie, modifie l'existence intérieure de l'être et essaie de modifier son existence extérieure en conséquence. Ici, dans le mental, la conscience est délivrée de son emprisonnement dans l'action et la forme de sa propre force; mais elle n'est pas encore maîtresse de l'acte et de la forme, parce que son émergence est celle d'une conscience individuelle et qu'elle ne perçoit donc qu'un mouvement fragmentaire de l'ensemble de ses activités.
C'est là le nœud, c'est là toute la difficulté de la vie humaine. L'homme est cet être mental, cette conscience mentale œuvrant comme force mentale, d'une certaine manière conscient de la force et de la vie universelles dont il fait partie, mais, faute d'en connaître l'universalité, ou même de connaître la totalité de son propre être, incapable de maîtriser la vie en général ou sa propre vie de façon réellement efficace et infaillible. Il cherche à connaître la Matière afin d'être maître de son environnement matériel, à connaître la Vie afin d'être maître de l'existence vitale ; à connaître le Mental afin d'être maître du grand et obscur mouvement de mentalité où il est non seulement une étincelle de conscience de soi comme l'animal, mais aussi, et de plus en plus, une flamme de connaissance croissante. Ainsi cherche-t-il à se connaître afin d'être son propre maître, à connaître le monde afin d'être maître du monde. Tel est l'élan de l'Existence en lui, telle l'exigence de la Conscience qu'il est, telle l'impulsion de la Force qui est sa vie, telle la volonté secrète de Satchidânanda apparaissant comme individu dans un monde où Il s'exprime et cependant semble se nier. Trouver les conditions dans lesquelles cette impulsion intérieure est satisfaite est le problème que l'homme doit constamment s'efforcer de résoudre, et il y est contraint par la nature même de son existence et par la Divinité qui est en lui; et tant que ce problème n'aura pas été résolu, et cette impulsion satisfaite, l'espèce humaine devra poursuivre son labeur. L'homme doit ou bien s'accomplir en satisfaisant le Divin en lui, ou
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bien engendrer un être nouveau et plus grand qui sera mieux à même de le satisfaire. Il doit ou bien devenir lui-même une humanité divine, ou bien céder la place au Surhomme.
Cela découle de la logique même des choses ; en effet, la conscience mentale de l'homme n'étant pas la conscience totalement illuminée, tout entière émergée de l'obscurcissement de la Matière, mais seulement un terme progressif de cette grande émergence, le cours de la création évolutive où il est apparu ne peut s'interrompre là où il se trouve à présent; elle doit ou bien dépasser le terme qu'elle a actuellement atteint en lui, ou bien le dépasser lui-même s'il n'a pas la force d'aller de l'avant. L'idée mentale qui essaie de devenir un fait de la vie doit cheminer jusqu'à ce qu'elle devienne l'entière Vérité de l'existence délivrée de ses revêtements successifs, révélée et progressivement accomplie dans la lumière de la conscience, et joyeusement accomplie dans le pouvoir ; car en ces deux termes que sont le pouvoir et la lumière, et grâce à eux, l'Existence se manifeste, l'existence étant en sa nature Conscience et Force; mais le troisième terme, où la Conscience et la Force qui le constituent se rapprochent, fusionnent et finalement s'accomplissent, est la Félicité satisfaite de l'existence en soi. Pour une vie évolutive comme la nôtre, cet inévitable apogée doit nécessairement signifier la découverte du moi qui était contenu dans le germe de sa propre naissance et, accompagnant cette découverte, la réalisation complète des potentialités déposées dans le mouvement de la Force-Consciente d'où cette vie prit son essor. La potentialité ainsi contenue en notre existence humaine est Satchidânanda se réalisant Lui-même dans une certaine harmonie et une certaine unification de la vie individuelle et de la vie universelle, afin que l'humanité puisse exprimer, en une conscience commune, un mouvement commun de puissance, une joie commune, le transcendant Quelque Chose qui s'est coulé dans cette forme des choses.
La nature de toute vie dépend de l'équilibre fondamental de sa conscience constitutive; telle est la Conscience, et telle sera la Force. Là où la Conscience est une et infinie, où elle transcende ses actes et ses formes lors même qu'elle les embrasse et les pénètre, les organise et les exécute, comme le fait la conscience de Satchidânanda, telle sera la Force : infinie en son étendue, une en ses œuvres, transcendante en son pouvoir et sa connaissance de soi. Là où la Conscience est pareille à
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celle de la Nature matérielle, là où elle est submergée, oublieuse de soi, entraînée par le courant de sa propre Force sans le savoir apparemment, bien qu'en réalité, de par la nature même de l'éternelle relation unissant ces deux termes, elle détermine le courant qui l'entraîne, ainsi sera la Force : ce sera un monstrueux mouvement de l'Inerte et de l'Inconscient, ignorant de ce qu'il contient, paraissant s'accomplir mécaniquement par une sorte d'accident inexorable, un hasard inévitablement heureux, lors même que, tout du long, la Force obéit infailliblement à la loi du Juste et du Vrai qu'a fixée pour elle la volonté du suprême Être-Conscient dissimulé dans son mouvement. Là où la Conscience est divisée en soi, comme dans le Mental, où elle se limite en divers centres, demande à chacun de s'accomplir sans savoir ce qui se trouve dans les autres centres ni connaître sa relation avec eux, ne percevant des choses et des forces que ce qui apparemment les divise et les oppose, et non leur unité véritable, ainsi sera la Force : ce sera une vie comme celle que nous sommes et voyons autour de nous, un choc et un entrelacement de vies individuelles cherchant chacune à se réaliser sans connaître ses rapports avec les autres, un conflit et un difficile ajustement de forces antagonistes qui s'opposent ou diffèrent et, dans la mentalité, un mélange, une collision et une lutte, une combinaison instable d'idées divisées, contraires ou divergentes, qui n'arrivent pas à comprendre en quoi elles sont nécessaires les unes aux autres ni ne peuvent saisir leur place comme éléments de cette Unité sous-jacente qui s'exprime à travers elles et en laquelle doivent cesser leurs discordes. Mais là où la Conscience est en possession à la fois de la diversité et de l'unité, l'unité contenant et gouvernant la diversité, là où elle perçoit immédiatement la Loi, la Vérité et la Justice du Tout et la Loi, la Vérité et la Justice individuelles, et où les deux s'harmonisent consciemment en une mutuelle unité, là où toute la nature de la conscience est l'Un qui se connaît comme le Multiple et le Multiple qui se connaît comme l'Un, alors la Force aussi sera de même nature : ce sera une Vie qui obéit consciemment à la loi de l'Unité, tout en accomplissant chaque chose dans la diversité selon sa règle et sa fonction propres ; ce sera une vie où tous les individus vivent à la fois en eux-mêmes et en chacun comme un seul Être conscient en maintes âmes, un seul pouvoir de Conscience en maintes mentalités, une seule joie de Force à l'œuvre en maintes vies, une seule réalité de Félicité s'accomplissant en maints cœurs et maints corps.
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La première de ces quatre positions, la source de toute cette relation progressive entre la Conscience et la Force, est leur équilibre dans l'être de Satchidânanda où elles sont une ; là, en effet, la Force est la conscience d'être qui s'élabore sans jamais cesser d'être la conscience, et de même la Conscience est-elle la lumineuse Force d'être éternellement consciente d'elle-même et de sa propre Félicité et ne cessant jamais d'être ce pouvoir de lumière absolue et d'absolue possession de soi. La seconde relation est celle de la Nature matérielle; c'est l'équilibre de l'être dans l'univers matériel qui est la grande négation de Satchidânanda par Lui-même; ici, en effet, l'on trouve en apparence l'absolue séparation de la Force et de la Conscience, le miracle trompeur de l'infaillible Inconscient qui gouverne tout : ce n'est qu'un masque, mais la connaissance moderne l'a pris pour le vrai visage de la Divinité cosmique. La troisième relation est l'équilibre de l'être dans le Mental et dans la Vie que nous voyons émerger de cette négation et qui, déconcertée, continue de lutter — sans arrêt, sans jamais pouvoir abdiquer, mais sans avoir non plus aucune connaissance claire ni aucune intuition d'une solution victorieuse — contre les innombrables problèmes qu'implique cette déroutante apparition de l'homme, l'être conscient doté de demi-pouvoirs, hors de l'omnipotente Inconscience de l'univers matériel. La quatrième relation est l'équilibre de l'être dans le Supramental : c'est l'existence accomplie qui, finalement, résoudra tout ce problème complexe créé par l'affirmation partielle émergeant de cette complète négation ; et elle doit absolument le résoudre de la seule façon possible, par une affirmation complète qui permettra d'accomplir tout ce qui se trouvait contenu secrètement en elle, en puissance, et qui, dissimulé derrière le masque de la grande négation, était destiné à devenir une réalité de l'évolution. C'est cela, la vraie vie de l'Homme vrai, que cette vie partielle, cette humanité partielle et inachevée s'efforcent d'atteindre, avec une connaissance et une direction parfaites dans ce que l'on appelle l'Inconscient en nous ; mais dans les parties conscientes de notre être, son pouvoir de prévision est encore faible et tâtonnant, bien que l'on trouve des fragments de réalisation, des aperçus de l'idéal ou des éclairs de révélation et d'inspiration chez le poète et le prophète, le voyant et le métaphysicien, le mystique et le penseur, les grands intellects et les grandes âmes de l'humanité.
D'après les données dont nous disposons maintenant, nous voyons qu'il existe trois difficultés principales, dues à l'équilibre imparfait de
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la Conscience et de la Force en l'homme, dans l'état actuel de son mental et de sa vie. D'abord, il n'est conscient que d'une petite partie de son être; sa mentalité, sa vie, son être physique superficiels, voilà tout ce qu'il connaît, et pas même dans leur totalité ; en dessous, grondent les vagues occultes de son mental subconscient et subliminal, de ses impulsions vitales subconscientes et subliminales, de sa nature physique subconsciente, toute cette immense part de lui-même qu'il ignore et ne peut gouverner, mais qui, au contraire, le connaît et le gouverne. Car l'existence, la conscience et la force ne faisant qu'un, nous ne pouvons exercer un réel pouvoir que sur cette part de notre existence avec laquelle nous nous identifions en prenant conscience de nous-mêmes; le reste doit être gouverné par sa propre conscience, qui est subliminale par rapport à notre mental, notre vie et notre corps de surface. Et pourtant, les deux formant un seul mouvement, et non point deux mouvements distincts, la plus grande et la plus puissante partie de nous-mêmes doit, dans la masse, gouverner et déterminer la plus petite et la plus faible; c'est pourquoi nous sommes gouvernés par le subconscient et le subliminal jusqu'en notre existence consciente, et même quand nous parvenons à nous maîtriser et nous diriger nous-mêmes, nous ne sommes que les instruments de ce qui nous paraît être l'Inconscient au-dedans de nous.
C'est ce qu'entendait l'antique sagesse lorsqu'elle disait que l'homme croit agir selon son libre arbitre, alors qu'en réalité c'est la Nature qui détermine toutes ses œuvres, et que les sages eux-mêmes sont obligés de suivre leur Nature. Mais la Nature étant la force créatrice de la conscience de Être en nous, que masquent Son propre mouvement contraire et Son apparente négation de Lui-même, on appela Maya ou pouvoir d'Illusion du Seigneur ce mouvement créateur inverse de Sa conscience, et l'on dit que, par Sa Maya, le Seigneur établi au cœur de toutes les existences, les fait tourner comme sur une machine. Il est donc évident que l'homme ne peut devenir maître de lui-même qu'en dépassant ce mental au point de devenir un avec le Seigneur en sa conscience de soi. Et puisque cela n'est pas possible dans l'inconscience ou dans le subconscient lui-même, puisqu'il ne sert à rien de plonger dans les profondeurs de notre être pour retourner à l'Inconscient, c'est seulement en allant au-dedans, là où se tient le Seigneur, et en nous élevant jusqu'à ce qui, pour nous, est encore supraconscient, dans le Supramental, que cette unité pourra être entièrement établie. C'est là, en effet, dans la divine Maya supérieure, que
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se trouve, en sa loi et en sa vérité, la connaissance consciente de ce qui agit dans le subconscient par l'intermédiaire de la Maya inférieure et selon les conditions de la Négation qui cherche à devenir Affirmation. Cette Nature inférieure, en effet, élabore ce qui est voulu et connu dans la Nature supérieure. Le Pouvoir d'Illusion de la connaissance divine dans le monde, qui crée les apparences, est gouverné par le Pouvoir de Vérité de cette même connaissance qui connaît la vérité derrière les apparences, et tient prête pour nous l'Affirmation vers laquelle elles tendent. L'Homme partiel et apparent d'ici-bas trouvera là l'Homme réel et parfait capable d'être entièrement conscient de lui-même en étant totalement uni à l'Existant-en-soi, l'omniscient seigneur de Sa propre évolution et de Sa progression cosmiques.
La seconde difficulté tient au fait que l'homme, dans son mental, sa vie et son corps, est séparé de l'universel; par conséquent, il ne se connaît pas lui-même, et il est également et même encore plus incapable de connaître ses semblables. Par ses déductions, ses théories, ses observations et un certain don imparfait de sympathie, il s'en forme une image mentale rudimentaire ; mais ce n'est pas une connaissance. La connaissance ne peut venir que d'une identité consciente, car c'est la seule connaissance véritable : l'existence consciente d'elle-même. Nous connaissons ce que nous sommes dans la mesure où nous avons une perception consciente de nous-mêmes, le reste demeure caché; de même, nous pouvons arriver à connaître réellement ce avec quoi nous devenons un en notre conscience, mais seulement à condition de réaliser cette unité. Si les moyens de connaissance sont indirects et imparfaits, la connaissance obtenue sera, elle aussi, indirecte et imparfaite. Elle nous permettra d'élaborer — avec une certaine maladresse et de façon précaire, mais malgré tout avec une perfection suffisante de notre point de vue mental — certains buts, certaines nécessités, certains avantages pratiques limités, et une imparfaite et fragile harmonie dans nos relations avec ce que nous connaissons ; mais ce n'est que par une unité consciente avec cela, que la relation devient parfaite. Aussi nous faut-il parvenir à une unité consciente avec nos semblables et non pas simplement à la sympathie que crée l'amour ou à la compréhension que crée la connaissance mentale, qui sera toujours la connaissance de leur existence superficielle, et demeurera donc toujours imparfaite en soi et soumise à la négation et à l'échec lorsque surgit du subconscient ou du subliminal, en eux comme en nous, tout ce qui n'est pas encore connu
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ni maîtrisé. Mais cette unité consciente ne peut s'établir que si nous pénétrons là où nous ne faisons plus qu'un avec eux : en l'universel ; or la plénitude de l'universel n'existe consciemment qu'en ce qui, pour nous, est supraconscient, dans le Supramental ; car ici, dans notre être normal, la plus grande partie en est subconsciente et ne peut donc être possédée dans cet équilibre normal du mental, de la vie et du corps. La nature consciente inférieure est liée à l'ego dans toutes ses activités, enchaînée triplement au pilier de l'individualité différenciée. Seul, le Supramental commande l'unité dans la diversité.
La troisième difficulté tient à la division entre la force et la conscience dans l'existence évolutive. Il y a d'abord la division qu'a créée l'évolution elle-même lorsqu'elle a successivement formé la Matière, la Vie et le Mental, chacun agissant selon son propre principe. La Vie est en guerre avec le corps ; elle essaie de le forcer à satisfaire ses désirs, ses impulsions, ses plaisirs, et exige de sa capacité limitée ce qui ne serait possible qu'à un corps immortel et divin ; et le corps, asservi et tyrannisé, souffre et mène constamment une sourde révolte contre les exigences que la Vie lui impose. Le Mental est en guerre avec les deux : parfois, il s'allie à la Vie contre le Corps, parfois réprime l'élan vital et cherche à protéger le corps physique contre les désirs, les passions et les énergies oppressives de la vie ; il cherche aussi à posséder la Vie et à mettre son énergie au service du Mental, pour goûter aux plus grandes joies de ses activités, pour que ses recherches mentales, esthétiques, émotives soient satisfaites et s'accomplissent dans l'existence humaine; et la Vie, elle aussi, se trouve asservie et malmenée et s'insurge fréquemment contre le tyran ignorant qui, dans sa demi-sagesse, siège au-dessus d'elle. Tel est le conflit qui oppose ces parties de notre être et que le mental ne peut résoudre de façon satisfaisante, car il se trouve confronté à un problème insoluble pour lui : l'aspiration d'un être immortel dans une vie et un corps mortels. Il doit finalement se résoudre à une longue suite de compromis, ou, abandonnant le problème, il consent, avec le matérialiste, à la mortalité de notre être apparent, ou, avec l'ascète et le religieux, rejette et condamne la vie terrestre, et se retire dans des domaines d'existence plus heureux et plus confortables. Mais la vraie solution consiste à trouver, au-delà du Mental, le principe dont l'Immortalité est la loi et, grâce à lui, à triompher de la mortalité de notre existence.
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Mais il y a aussi, en nous-mêmes, cette division fondamentale entre la force de la Nature et l'être conscient, qui est la cause originelle de cette incapacité. Non seulement il y a une division entre l'être mental, l'être vital et l'être physique, mais chacun est également divisé et en lutte contre lui-même. La capacité du corps est moindre que la capacité de l'âme instinctive, l'être conscient ou Purusha physique en lui; la capacité de la force vitale moindre que la capacité de l'âme impulsive, l'être conscient ou Purusha vital en elle ; la capacité de l'énergie mentale moindre que la capacité de l'âme intellectuelle et émotive, le Purusha mental en elle. Car l'âme est la conscience intérieure qui aspire à la complète réalisation de soi et, par suite, dépasse toujours la formation individuelle du moment, et la Force qui a pris son équilibre dans cette formation est toujours poussée par son âme vers ce qui est anormal pour l'équilibre, vers ce qui le transcende ; ainsi poussée constamment, elle a beaucoup de mal à répondre, et davantage encore à évoluer de sa capacité présente à une capacité supérieure. En essayant de satisfaire les exigences de cette âme triple, elle est déroutée et se voit conduite à dresser instinct contre instinct, impulsion contre impulsion, émotion contre émotion, idée contre idée, satisfaisant ceci, refusant cela, puis se repentant et revenant sur ce qu'elle a fait, ajustant, compensant, réajustant ad infinitum, mais sans parvenir à aucun principe d'unité. Et dans le mental, d'autre part, non seulement le pouvoir-conscient qui devrait harmoniser et unir est limité en sa connaissance et sa volonté, mais la connaissance et la volonté elles-mêmes sont disparates et souvent en désaccord. Le principe de l'unité est au-dessus, dans le Supramental; là seulement, se trouve en effet l'unité consciente de toutes les diversités ; là seulement, la volonté et la connaissance sont égales et en parfaite harmonie ; là seulement, la Conscience et la Force accèdent à leur divine identité.
À mesure qu'il devient un être conscient de soi, un véritable être pensant, l'homme perçoit de façon aiguë toute cette discorde et cette disparité dans les différentes parties de son être et il cherche à atteindre une harmonie dans son mental, dans sa vie et dans son corps, une harmonie dans sa connaissance, sa volonté et ses émotions, une harmonie entre toutes ces parties de son être. Parfois, ce désir s'épuise et se satisfait d'un compromis possible qui amènera une paix relative; mais un compromis ne peut être qu'une halte sur le chemin, puisque, en fin de compte, rien moins qu'une parfaite harmonie combinant en
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elle-même le développement intégral de nos potentialités multiformes, ne saurait satisfaire la Divinité intérieure. Se satisfaire à moins serait éluder le problème, non le résoudre, ou bien, ce ne serait qu'une solution provisoire, une halte pour l'âme en son expansion et son ascension continuelles. Une parfaite harmonie de ce genre exigerait, comme conditions essentielles, une parfaite mentalité, un jeu parfait de la force vitale, une existence physique parfaite. Mais où trouver le principe et le pouvoir de perfection dans ce qui est radicalement imparfait ? Enraciné dans la division et la limitation, le mental ne peut nous les fournir, pas plus que la vie et le corps, où ce mental qui divise et limite trouve son énergie et son cadre d'action. Le principe et le pouvoir de perfection existent dans le subconscient, mais enveloppés dans le tégument ou le voile de la Maya inférieure, muette prémonition émergeant sous l'aspect d'un idéal irréalisé ; dans le supraconscient, ils attendent, découverts, éternellement réalisés, mais encore séparés de nous par le voile de notre ignorance de nous-mêmes. C'est donc au-dessus de notre présent équilibre, et non pas en lui ni au-dessous, qu'il nous faut rechercher la puissance et la connaissance harmonisatrices.
Il y a aussi le fait que l'homme, à mesure qu'il se développe, perçoit de façon aiguë la discorde et l'ignorance qui gouvernent ses relations avec le monde ; elles lui deviennent intolérables, et il est de plus en plus résolu à trouver un principe d'harmonie, de paix, de joie et d'unité. Ce principe également ne peut lui venir que d'en haut. Car pour que notre vie puisse devenir une, spirituellement et concrètement, avec celle de nos semblables, pour que l'individu puisse reprendre possession de son moi universel, il faut que, délivrés de notre mutuelle ignorance et de nos malentendus, nous développions un mental qui connaisse l'autre comme il se connaît lui-même, une volonté qui se sente et devienne une avec la volonté des autres, un cœur qui porte en lui, comme les siennes, les émotions des autres, une force de vie qui sente leurs énergies, les accepte comme ses propres énergies et aspire à les réaliser comme si elles étaient les siennes, un corps qui ne soit pas un mur d'emprisonnement et de défense contre le monde. Mais il faudra que ce changement soit conforme à la loi d'une Lumière et d'une Vérité qui transcendent les aberrations et les erreurs et toute cette masse de perversité et de fausseté qui accablent notre mental, notre volonté, nos émotions et nos énergies de vie. Cette vie du Tout se trouve dans le subconscient, et dans le supraconscient également, mais dans des conditions qui rendent notre ascension nécessaire.
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Car ce n'est pas vers la Divinité cachée dans " l'océan inconscient où les ténèbres sont enveloppées dans les ténèbres ",¹ mais vers la Divinité établie sur la mer de lumière éternelle,² dans le suprême éther de notre être, que monte l'élan originel qui a porté l'âme évolutive jusqu'au type humain.
Par conséquent, à moins qu'elle ne succombe en chemin et n'abandonne la victoire à d'autres, à de nouvelles créations de l'ardente Mère en travail, l'humanité doit aspirer à cette ascension qui passe en vérité par l'amour, par l'illumination mentale et l'élan du vital à posséder et à se donner, mais conduit au-delà à l'unité supramentale qui les transcende et les accomplit ; c'est en fondant la vie humaine sur la réalisation supramentale de l'unité consciente avec l'Un et avec tous en notre être et en toutes ses parties, que l'humanité doit chercher son bien ultime et son salut. Et c'est ce que nous avons appelé le quatrième état de la Vie en son ascension vers la Divinité.
¹Rig-Véda, X. 129. 3.
²Les Eaux qui sont dans le royaume de la lumière au-dessus du Soleil et celles qui demeurent au-dessous. Rig-Véda, III. 22. 3.
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Le Purusha, le Moi intérieur, pas plus grand que le pouce d'un homme,
Katha Upanishad. n. 1.12,13, II. 3.17.
Shvetâshvatara Upanishad. ni. 13.
Celui qui connaît ce Moi qui savoure le miel de l'existence et qui est le seigneur de tout ce qui est et qui sera, n'éprouve plus aucune répulsion.
Katha Upanishad. II. 1.5.
D'où lui viendrait le chagrin, qui pourrait l'abuser, celui qui voit partout l'Unité S
Celui qui a trouvé la félicité de l'Éternel est délivré de toute peur.
Taittirîya Upanishad. II. 9.
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Nous avons vu que le premier état de la Vie était caractérisé par une sourde poussée, une sourde impulsion inconsciente, par la force d'une volonté involuée dans l'existence matérielle ou atomique, qui n'est pas libre, et n'est maîtresse ni d'elle-même, ni de ses œuvres et de leurs résultats, mais est entièrement gouvernée par le mouvement universel d'où elle émerge, informe et obscure semence de l'individualité. Le deuxième état de la Vie s'enracine dans le désir, avide de posséder, mais limité dans son pouvoir ; le bourgeon du troisième est l'Amour qui cherche à posséder et à être possédé, à recevoir et à se donner ; la fleur délicate du quatrième, le signe de sa perfection, nous la concevons comme la pure et complète émergence de la volonté originelle, l'accomplissement du désir intermédiaire illuminé, la haute et profonde satisfaction de l'échange conscient de l'Amour par l'union du possesseur et du possédé dans la divine unité des âmes qui constitue la base de l'existence supramentale. Si nous examinons attentivement ces termes, nous verrons qu'ils sont des formes et des étapes que traverse l'âme dans sa quête de la joie individuelle et universelle des choses; l'ascension de la Vie est, en sa nature, l'ascension de la Félicité divine en toute chose, depuis sa secrète conception dans la Matière, pour atteindre, à travers vicissitudes et oppositions, son lumineux achèvement dans l'Esprit.
Le monde étant ce qu'il est, il ne pouvait en être autrement. Car le monde est une forme déguisée de Satchidânanda. La nature de la conscience de Satchidânanda, et, par conséquent, ce en quoi Sa force doit toujours se trouver et s'accomplir, est la Béatitude divine, une félicité omniprésente qui se suffit à elle-même. Puisque la Vie est une énergie de Sa force-consciente, le secret de tous ses mouvements doit être une félicité cachée, inhérente à toutes choses, qui est à la fois la cause, le mobile et l'objet de ses activités; et si, du fait de la division que crée l'ego, cette félicité nous échappe, si elle est retenue derrière un
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voile et revêt la forme de son propre contraire — de même que l'être revêt le masque de la mort, que la conscience prend l'apparence de l'inconscient et que la force se rit d'elle-même sous le déguisement de l'incapacité —, alors ce qui vit ne peut être satisfait, et ne peut ni se reposer du mouvement, ni l'accomplir, à moins de s'emparer de cette félicité universelle qui est à la fois la félicité secrète et intégrale de son propre être et la félicité originelle du Satchidânanda transcendant et immanent qui embrasse, inspire et soutient tout. Rechercher la félicité est donc l'impulsion et la signification fondamentales de la Vie; la découvrir, la posséder, la réaliser pleinement est son seul but.
Mais où se trouve en nous ce principe de Félicité ? Quel terme de notre être utilise-t-il pour se manifester et s'accomplir dans l'activité cosmique, de la même façon que le principe de la Force-Consciente manifeste et utilise la Vie comme terme cosmique et que le principe du Supramental manifeste et utilise le Mental ? Nous avons distingué un quadruple principe de l'Être divin créateur de l'univers : Existence, Force-Consciente, Béatitude et Supramental. Nous avons vu que le Supramental est omniprésent, mais voilé, dans le cosmos matériel; il se trouve derrière la réalité phénoménale des choses et s'y exprime de manière occulte, mais pour l'exécution, il recourt à son terme subordonné, le Mental. La Force-Consciente divine est omniprésente, mais voilée, dans le cosmos matériel ; secrètement à l'œuvre derrière cette réalité phénoménale, elle s'y exprime de façon caractéristique par son terme subordonné, la Vie. Et bien que nous n'ayons pas encore examiné séparément le principe de la Matière, nous pouvons déjà voir que la divine Toute-Existence est elle aussi omniprésente dans le cosmos matériel, mais voilée, dissimulée derrière la réalité phénoménale, et qu'elle s'y manifeste d'abord à travers son terme subordonné, la Substance, la Forme d'être ou Matière. Par conséquent, le principe de la Béatitude divine doit être, lui aussi, omniprésent dans le cosmos ; et si, en vérité, il demeure voilé et se possède lui-même derrière la réalité phénoménale concrète, il se manifeste pourtant en nous au moyen d'un principe subordonné qui lui est propre et où il se cache, et par lequel nous devons le découvrir et le réaliser dans l'action universelle.
Ce terme est ce quelque chose en nous que, dans un sens particulier, nous appelons parfois l'âme — c'est-à-dire le principe psychique qui n'est ni la vie ni le mental et encore moins le corps, et qui détient
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pourtant le secret de l'éclosion et de l'épanouissement de leur essence à la félicité particulière du moi, à la lumière, à l'amour, à la joie et à la beauté, et à une pureté subtile de l'être. En réalité, cependant, cette âme, cet élément psychique, est double, comme le sont tous les autres principes cosmiques en nous. Nous possédons, en effet, un double mental : un mental de surface, qui est celui de notre ego exprimé dans l'évolution, mentalité superficielle que nous créons en émergeant de la Matière ; et un autre, subliminal, qui n'est pas entravé par notre vie mentale actuelle et ses limitations rigides, et qui est vaste, puissant, lumineux. C'est l'être mental vrai derrière cette forme superficielle de la personnalité mentale que nous prenons pour nous-mêmes. De même, nous vivons deux vies : l'une extérieure, involuée dans le corps physique, liée par son évolution passée dans la Matière, qui est née et qui mourra après avoir vécu ; l'autre, qui est une force de vie subliminale et n'est pas confinée dans les étroites limites de notre naissance et de notre mort physiques ; c'est notre être vital vrai derrière cette forme de vie que, par ignorance, nous prenons pour notre existence réelle. Cette dualité se retrouve jusque dans la matière de notre être; car notre corps cache une existence matérielle plus subtile qui fournit la substance de nos enveloppes, non seulement physique mais vitale et mentale, et constitue donc notre substance réelle soutenant cette forme physique que, par erreur, nous imaginons être tout le corps de notre esprit. De même y a-t-il une double entité psychique en nous : une âme superficielle de désir, qui se manifeste dans les appétits de notre vital, dans nos émotions, dans la faculté esthétique et la recherche mentale du pouvoir, de la connaissance et du bonheur ; et une entité psychique subliminale, une pure puissance de lumière, d'amour et de joie, essence subtile de l'être qui est notre âme véritable derrière la forme extérieure de l'existence psychique que nous honorons si souvent de ce nom. Lorsqu'un reflet de cette entité psychique plus grande et plus pure vient à la surface, alors nous disons d'un homme qu'il a une âme ; et lorsque ce reflet est absent de sa vie psychique extérieure, nous disons de lui qu'il n'a pas d'âme.
Les formes extérieures de notre être sont celles de notre petite existence égoïste ; les formes subliminales sont les formations de notre véritable et plus vaste individualité. Elles constituent donc la partie cachée de notre être où notre individualité et notre universalité se rapprochent et se touchent, établissent des rapports et des échanges constants. En nous, le mental subliminal est ouvert à la connaissance
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universelle du Mental cosmique, la vie subliminale est ouverte à la force universelle de la Vie cosmique, et le physique subliminal est ouvert à la formation-de-force universelle de la Matière cosmique ; les murs épais de notre mental, de notre vie et de notre corps superficiels qui nous en séparent, et que la Nature doit percer avec tant de peine, si imparfaitement et par tant de procédés physiques d'une ingénieuse maladresse, ne sont, dans le subliminal, qu'un moyen plus subtil à la fois de séparation et de communication. De même, l'âme subliminale en nous est ouverte à la joie universelle que l'âme cosmique goûte en sa propre existence comme en l'existence des myriades d'âmes qui la représentent, et dans les opérations du mental, de la vie et de la matière par lesquelles la Nature se prête à leur jeu et à leur développement; mais l'âme de surface est coupée de cette joie cosmique par les épaisses murailles de l'ego. Certes, ces murailles ont des portes par où l'on peut pénétrer, mais en les traversant, les effleurements de la divine Félicité cosmique s'atténuent et se déforment, ou revêtent l'apparence de leurs propres contraires.
Ce que l'on trouve dans cette âme superficielle ou âme de désir, ce n'est donc pas une vraie vie de l'âme, mais une déformation psychique et une réception fausse au contact des choses. La maladie du monde est que l'individu est incapable de découvrir son âme véritable, et la racine de ce mal est, ici encore, qu'en embrassant les choses extérieures il ne parvient pas à atteindre l'âme véritable du monde où il vit. Il essaie d'y découvrir l'essence de l'être, l'essence du pouvoir, l'essence de l'existence consciente, l'essence de la félicité, mais reçoit à la place une multitude de contacts et d'impressions contradictoires. S'il pouvait trouver cette essence, il trouverait aussi l'être, la puissance, l'existence consciente et la félicité universels et uniques, même en ces contacts et ces impressions innombrables; les contradictions des apparences seraient réconciliées dans l'unité et l'harmonie de la Vérité qui, à travers ces contacts, cherche à nous atteindre. Il trouverait en même temps son âme vraie et, grâce à elle, son moi ; car l'âme vraie est la déléguée de son moi, et son moi et le moi du monde ne font qu'un. Mais il en est empêché par l'ignorance de l'ego dans le mental pensant, dans le cœur émotif, dans les sens qui répondent au toucher des choses, non par une étreinte du monde franche et courageuse, mais par un mouvement incessant d'élan et de repli, de prudentes approches ou d'ardentes ruées suivies de reculs dépités ou contrariés, affolés ou furieux, selon que le toucher plaît ou
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déplaît, réconforte ou alarme, satisfait ou déçoit. C'est l'âme de désir qui, à cause d'une mauvaise réception de la vie, devient la cause d'une triple erreur d'interprétation du rassa, du délice en toute chose ; et ainsi, au lieu de représenter la joie pure, essentielle de l'être, ce délice se traduit inégalement en les trois termes que sont le plaisir, la douleur et l'indifférence.
Nous avons vu, en examinant les relations de la Joie d'Être avec le monde, que nos normes de plaisir, de douleur et d'indifférence n'ont rien d'absolu, n'ont aucune valeur essentielle, mais sont entièrement déterminées par le caractère subjectif de la conscience réceptrice, et que l'on peut élever au maximum le niveau du plaisir ou de la douleur, ou le réduire au minimum, voire le supprimer complètement en sa nature apparente. Le plaisir peut devenir douleur, et la douleur plaisir, car en leur secrète réalité ils sont une même chose différemment reproduite dans les sensations et les émotions. Quant à l'indifférence, elle provient de l'inattention de l'âme de désir superficielle au rassa des choses, en son mental, ses sensations, ses émotions et ses appétits, ou de son incapacité à le recevoir et y répondre, ou encore de son refus d'y réagir superficiellement; ce peut être aussi sa façon de repousser et d'écraser volontairement le plaisir ou la douleur dans la neutralité de la non-acceptations. Dans tous les cas, cela traduit, soit un refus positif, soit un manque de préparation, soit une incapacité négative quand il s'agit de traduire ou, d'une façon ou d'une autre, de représenter positivement à la surface quelque chose qui est pourtant subliminalement actif.
L'observation et l'expérience psychologiques nous ont donc appris que le mental subliminal reçoit et garde en mémoire tous les contacts qu'ignore le mental de surface; de même, nous découvrons que l'âme subliminale répond au rassa, à l'essence perçue dans l'expérience, de ce que l'âme superficielle de désir refuse et rejette par dégoût, ou qu'elle ignore parce qu'elle reste neutre et ne l'accepte pas. La connaissance de soi est impossible à moins de passer au travers de l'existence superficielle, qui est simplement un résultat d'expériences extérieures sélectives, une sonde imparfaite ou une traduction hâtive, maladroite et fragmentaire d'une petite part du beaucoup que nous sommes — à moins de traverser tout cela, de jeter notre sonde dans le subconscient et de nous ouvrir au supraconscient afin de connaître leurs relations avec notre être de surface. Car notre existence se meut entre ces trois termes
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et trouve en eux sa totalité. Le supraconscient en nous est un avec le moi et l'âme du monde et n'est assujetti à aucune diversité phénoménale ; il possède donc pleinement la vérité et le délice des choses. Au contraire, le subconscient, ou ce que l'on appelle ainsi,¹ n'est pas, en ce lumineux sommet de lui-même que nous nommons le subliminal, vraiment en possession de l'expérience. Il n'en est qu'un instrument; et s'il n'est pas réellement un avec l'âme et le moi du monde, il s'ouvre cependant à eux grâce à son expérience du monde. L'âme subliminale est intérieurement consciente du rassa des choses et goûte un même délice en tout contact; elle est également consciente des valeurs et des normes de l'âme superficielle de désir et reçoit, à sa propre surface, les contacts correspondants du plaisir, de la douleur et de l'indifférence, mais trouve une joie égale en tous. Autrement dit, notre âme véritable se réjouit de toutes ses expériences, y recueille force, plaisir et connaissance, et, grâce à elles, croît en abondance et en richesse. C'est cette âme vraie en nous qui oblige le mental de désir récalcitrant à supporter, voire à rechercher et à trouver un plaisir dans ce qui lui est douloureux, à rejeter ce qui lui est agréable, à modifier ou même à inverser ses valeurs, à rendre les choses égales dans l'indifférence ou égales dans la joie, la joie des multiples facettes de l'existence. Et elle le fait parce que l'âme universelle la pousse à se développer par toutes sortes d'expériences afin de croître dans la Nature. Autrement, si nous ne vivions que par l'âme superficielle de désir, nous ne pourrions pas plus changer ou progresser que la plante ou la pierre immobiles, menant une existence immuable — la vie n'étant pas consciente à la surface — où l'âme secrète des choses ne dispose jusqu'à présent d'aucun instrument pour tirer la vie du champ étroit et fixe où elle est née. Laissée à elle-même, l'âme de désir tournerait à jamais en rond dans les mêmes ornières.
Selon les anciennes philosophies, plaisir et douleur seraient inséparables, au même titre que la vérité intellectuelle et le mensonge, la puissance et l'incapacité, la naissance et la mort; le seul moyen d'y échapper consisterait donc en une indifférence totale, une absence de réaction aux stimulations du moi universel. Mais une connaissance
¹Le vrai subconscient est une conscience inférieure diminuée, proche de l'Inconscient ; le subliminal est une conscience plus vaste que notre existence de surface. Toutes deux, cependant, appartiennent au royaume intérieur de notre être dont nous ne sommes pas conscients à la surface, d'où la confusion et le mélange qui se crée dans l'esprit de la plupart des gens quand ils essaient de concevoir ces choses et de les formuler.
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psychologique plus subtile nous révèle que cette conception, qui repose uniquement sur les faits superficiels de l'existence, n'épuise pas vraiment les possibilités du problème. Il est possible, en amenant l'âme réelle à la surface, de remplacer les normes égoïstes de plaisir et de douleur par un délice personnel-impersonnel égal et qui embrasse tout. C'est ce que fait l'amant de la Nature lorsqu'il puise sa joie en toutes ses créatures, universellement, écartant toute répulsion et toute crainte, toute simple attirance et toute aversion, percevant la beauté dans ce qui, aux autres, semble dérisoire et insignifiant, aride et sauvage, terrible et repoussant. C'est ce que font l'artiste et le poète lorsqu'ils recherchent le rassa de l'universel dans l'émotion esthétique ou dans les traits physiques ou les formes mentales de la beauté, ou encore dans le sens et le pouvoir intérieurs, dans les choses qui rebutent l'homme ordinaire comme dans celles auxquelles il s'attache par un sentiment de plaisir. Tous font de même, à leur manière : le chercheur de la connaissance, l'amant de Dieu qui retrouve partout l'objet de son amour, l'homme spirituel, l'intellectuel, le sensuel, l'esthète. Et ils ne peuvent faire autrement s'ils veulent saisir, s'ils veulent embrasser la Connaissance, la Beauté, la Joie ou la Divinité qu'ils recherchent. C'est seulement dans les parties de notre être où le petit ego est d'ordinaire trop fort pour nous, c'est seulement dans nos joies et nos souffrances émotives ou physiques, dans les plaisirs et les douleurs de notre vie, devant lesquels l'âme de désir en nous se montre d'une faiblesse et d'une lâcheté extrêmes, qu'il devient extrêmement difficile d'appliquer le principe divin, et que pour beaucoup de gens cela semble même impossible, voire monstrueux et repoussant. Ici, l'ignorance de l'ego recule devant le principe d'impersonnalité qu'elle applique pourtant sans trop de difficulté dans la science et dans l'art, et même dans un certain genre de vie spirituelle imparfaite, parce que ce principe ne s'attaque pas aux désirs que chérit l'âme de surface, aux valeurs du désir que fixe le mental superficiel et pour lesquels notre vie extérieure se passionne au plus haut point. Dans les mouvements plus libres et plus élevés, seules sont exigées de nous une égalité et une impersonnalité limitées et spécialisées propres à un domaine particulier de la conscience et de l'action, alors que la base égoïste de notre vie pratique est conservée ; dans les mouvements inférieurs, ce sont les fondations mêmes de notre vie qui doivent être changées pour faire place à l'impersonnalité, et à l'âme de désir cela paraît impossible.
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L'âme vraie et secrète en nous — subliminale, avons-nous dit, mais le mot est trompeur, car cette présence ne se situe pas sous le seuil du mental de veille, mais brûle dans le temple du cœur le plus profond, derrière l'écran épais d'un mental, d'une vie et d'un corps ignorants, non pas subliminale, donc, mais derrière le voile —, cette entité psychique voilée est la flamme de la Divinité qui est toujours allumée en nous, et que rien ne peut éteindre, pas même cette dense inconscience qui nous empêche de percevoir notre moi spirituel intérieur et obscurcit notre nature extérieure. Cette flamme née du Divin est la lumineuse habitante de l'Ignorance, où elle grandit jusqu'à ce qu'elle puisse l'orienter vers la Connaissance. C'est le Témoin et le Maître invisibles, le Guide caché, le Daimon de Socrate, la lumière ou la voix intérieure du mystique. C'est ce qui perdure, impérissable en nous de naissance en naissance, et que n'atteint ni la mort, ni le déclin, ni la corruption. Cette indestructible étincelle du Divin n'est pas le Moi ou Atman non né, car même en présidant à l'existence de l'individu, le Moi demeure conscient de son universalité et de sa transcendance, mais elle n'en est pas moins son député dans les formes de la Nature, elle est l'âme individuelle, chaitya purusha, qui soutient le mental, la vie et le corps, se tient derrière l'être mental, l'être vital, l'être physique subtil en nous, observe leur développement et profite de leurs expériences. La véritable entité de ces autres pouvoirs de la personne en l'homme, dé ces êtres de son être, est elle aussi voilée; mais ces pouvoirs projettent des personnalités momentanées qui composent notre individualité extérieure, et nous appelons " nous-même " la combinaison de leur action superficielle et de leur état apparent. Prenant forme en nous en tant que Personne psychique, cette entité la plus profonde projette également une personnalité psychique qui change, grandit, se développe de vie en vie; car c'est elle qui voyage entre la naissance et la mort, entre la mort et la naissance; les éléments de notre nature ne sont que sa robe changeante aux formes innombrables. Au début, l'être psychique ne peut agir que de manière voilée, partielle et indirecte, par l'intermédiaire du mental, de la vie et du corps, puisque ce sont ces parties de la Nature qui doivent progressivement devenir ses moyens d'expression, et qu'il est longtemps limité par leur évolution. Ayant pour mission de conduire l'homme plongé dans l'Ignorance vers la lumière de la Conscience divine, il recueille l'essence de toute expérience dans l'Ignorance pour former un noyau de la croissance de l'âme dans la nature; il transforme le reste en matériau pour la croissance future
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des instruments qu'il doit utiliser jusqu'à ce qu'ils soient prêts à devenir une lumineuse instrumentation du Divin. C'est cette entité psychique secrète qui est la vraie Conscience originelle en nous, plus profonde que cette construction conventionnelle que le moraliste appelle conscience, car c'est elle qui indique toujours la voie vers la Vérité et ce qui est Juste, vers la Beauté, l'Amour et l'Harmonie et toute possibilité divine en nous, avec persistance, jusqu'à ce que ces choses deviennent le besoin dominant de notre nature. Le saint, le sage, le voyant en sont l'épanouissement. Lorsque cette personnalité psychique atteint le sommet de sa force, elle oriente l'être vers la Connaissance du Moi et du Divin, vers la Vérité suprême, le Bien suprême, la Beauté, l'Amour et la Béatitude suprêmes, vers les hauteurs et les immensités divines, et nous ouvre à l'influence de la sympathie, de l'universalité, de l'unité spirituelles. Au contraire, quand la personnalité psychique est faible, fruste ou insuffisamment développée, les éléments et les mouvements plus raffinés nous font défaut, ou leur caractère et leur pouvoir sont pauvres, même si le mental est brillant et vigoureux, le cœur ferme et maître de ses émotions, la force de vie dominante et victorieuse, et même si l'existence physique, heureuse et florissante, semble s'imposer en seigneur tout-puissant. C'est alors l'âme extérieure de désir, l'entité pseudo-psychique qui règne, et nous prenons ses interprétations erronées des suggestions et des aspirations psychiques, ses idées et ses idéaux, ses désirs et ses élans pour la vraie substance de l'âme et la vraie richesse de l'expérience spirituelle.¹ Si la Personne psychique secrète peut venir au premier plan et, remplaçant l'âme de désir, gouverner ouvertement et entièrement, et non plus seulement partiellement et de derrière le voile, cette nature extérieure du mental, de la vie et du corps, alors ceux-ci peuvent être transmués en des images d'âme de ce qui est vrai, juste et beau, et finalement la nature entière peut être dirigée vers le but véritable de la vie, la victoire suprême, l'ascension jusqu'en l'existence spirituelle.
¹Le mot " psychique ", dans le langage ordinaire, est plus souvent associé à cette âme de désir qu'au psychique véritable. On l'applique de façon plus vague encore aux phénomènes, psychologiques et autres, d'un caractère anormal ou supranormal, qui sont en fait liés au subliminal — mental intérieur, vital intérieur, être physique subtil — et ne sont pas des opérations directes de la psyché. Il sert même à décrire des phénomènes tels que la matérialisation et la dématérialisation, bien que ceux-ci, une fois prouvés, ne soient évidemment pas des actions de l'âme et ne puissent jeter aucune lumière sur la nature ou l'existence de l'entité psychique, mais constituent plutôt une action anormale d'une énergie physique subtile occulte, intervenant dans l'état ordinaire du corps grossier des choses, le réduisant à sa propre condition subtile, puis le reconstituant en les éléments de la matière élémentaire.
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Mais il pourrait sembler qu'en amenant au premier plan cette entité psychique, cette âme vraie en nous, et en lui confiant le soin de nous guider et de nous gouverner, nous atteindrons le plein accomplissement de notre être naturel auquel nous aspirons, et ouvrirons aussi les portes du royaume de l'Esprit. Et l'on pourrait fort bien arguer qu'il n'est besoin d'aucune intervention d'une Conscience-de-Vérité supérieure, d'un principe supramental, pour nous aider à atteindre l'état divin ou la divine perfection. Or, bien que la transformation psychique soit une condition nécessaire pour la transformation totale de notre existence, le changement spirituel le plus vaste exige quelque chose de plus. Tout d'abord, le psychique étant l'âme individuelle dans la Nature, il peut s'ouvrir aux domaines plus divins et secrets de notre être, en recevoir et en réfléchir la lumière, la puissance et l'expérience ; mais, venant des plans supérieurs, une autre transformation, une transformation spirituelle est nécessaire pour que nous puissions posséder notre moi en sa dimension universelle et transcendante. À un certain stade, l'être psychique laissé à lui-même pourrait se contenter de créer une formation de vérité, de bien et de beauté, et en faire son état permanent; à un stade ultérieur, il pourrait cesser d'agir et, se soumettant au moi universel, devenir un miroir de l'existence, de la conscience, de la puissance et de la félicité universelles, mais sans y participer ni les posséder pleinement. Bien que plus intimement et plus passionnément uni à la conscience cosmique dans sa connaissance, ses émotions et même ses perceptions sensorielles, il pourrait devenir un simple réceptacle, passif, détaché, renonçant à toute maîtrise et toute action dans le monde ; ou bien, un avec le moi statique derrière le cosmos, mais séparé intérieurement du mouvement universel, perdant son individualité dans sa Source, il pourrait revenir à cette Source et n'avoir plus ni la volonté ni le pouvoir d'accomplir ce qui était ici sa plus haute mission : mener la nature elle aussi vers sa réalisation divine. Car c'est du Moi, du Divin que l'être psychique est venu dans la Nature, et il peut se détourner de la Nature et retourner au Divin silencieux par le silence du Moi et une suprême immobilité spirituelle. Par ailleurs, cette part éternelle du Divin¹ est, de par la loi de l'Infini, inséparable de son divin Tout; elle est en fait ce Tout, excepté à la surface, en son apparence et son expérience de soi séparatrice; elle peut s'éveiller à cette réalité et y plonger au point que l'existence individuelle s'éteint apparemment, ou du moins se fond
¹Gîta. XV. 7.
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en elle. Petit noyau dans la masse de notre Nature ignorante, elle n'est pas plus grosse que le pouce d'un homme, pour reprendre la description qu'en donne l'Upanishad; mais elle peut, grâce à l'influx spirituel, grandir et embrasser le monde entier, avec le cœur et le mental, en une étroite communion, une profonde unité. Ou elle peut prendre conscience de Son Compagnon éternel et choisir de vivre à jamais en Sa présence, en une union et une unité impérissables comme l'éternel amant avec son éternel Bien-aimé, expérience qui est de toutes les expériences spirituelles la plus intense par sa beauté et son ravissement. Ce sont là de grands et splendides accomplissements de notre découverte spirituelle de nous-mêmes, mais ils ne sont pas nécessairement la fin dernière et le complet achèvement : une plus grande réalisation est possible.
Car ce sont là des accomplissements du mental spirituel en l'homme ; ce sont des mouvements de ce mental lorsqu'il passe au-delà de lui-même — tout en restant sur son propre plan — dans les splendeurs de l'Esprit. Même sur ces hauteurs suprêmes, bien au-delà de notre mentalité présente, c'est encore par division que le mental agit naturellement; il saisit les aspects de l'Éternel et traite chacun d'eux comme s'il était toute la vérité de l'Être Éternel, et peut trouver en chacun sa plénitude parfaite. Il les oppose même les uns aux autres, créant toute une gamme de contraires : le Silence du Divin et la divine Dynamis ; le Brahman immobile à l'écart de l'existence, sans qualités, et le Brahman actif doté de qualités, qui est le Seigneur de l'existence; l'Être et le Devenir; la Personne divine et une pure Existence impersonnelle. Il peut également se couper de l'un et se plonger en l'autre comme en l'unique Vérité durable de l'existence. Il peut considérer la Personne comme l'unique Réalité, ou l'Impersonnel comme seul vrai, l'Amant seulement comme un moyen d'expression de l'Amour éternel, ou l'amour seulement comme l'expression de soi de l'Amant, et les êtres comme de simples pouvoirs personnels d'une Existence impersonnelle, ou l'existence impersonnelle comme un état de l'Être unique, de la Personne infinie. Son accomplissement spirituel, la voie qui le mène vers le but suprême suivra ces lignes de division. Mais par-delà ce mouvement du Mental spirituel, se trouve l'expérience supérieure de la Conscience-de-Vérité du Supramental; là, ces opposés disparaissent et ces fragmentations sont abandonnées dans la riche totalité d'une réalisation suprême et intégrale de l'Être éternel. Tel est le but que nous avons conçu, le couronnement de notre existence sur terre par une ascension vers la Conscience-de-Vérité
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et la descente de celle-ci dans notre nature. Après s'être élevée jusqu'au changement spirituel, la transformation psychique doit être complétée, intégralisée, dépassée et soulevée par une transformation supramentale jusqu'au sommet de l'effort ascendant.
Seule, une conscience-énergie supramentale pourrait établir une parfaite harmonie entre ces deux termes — qui ne paraissent opposés qu'en raison de l'Ignorance —, entre l'état spirituel et le dynamisme cosmique en notre existence incarnée, comme entre les autres termes divisés et opposés de l'Être manifesté. Dans l'Ignorance, la Nature centralise l'ordre de ses mouvements psychologiques, non pas autour du moi spirituel secret, mais autour de son substitut, le principe de l'ego : un certain égocentrisme est la base sur laquelle nous relions nos expériences et nos rapports au milieu des contacts, des contradictions, des dualités, des incohérences complexes du monde où nous vivons ; cet égocentrisme est notre planche de salut, notre défense contre le cosmique et l'infini. Mais pour le changement spirituel, nous devons renoncer à cette défense; l'ego doit disparaître, la personne se voit dissoute en une vaste impersonnalité, et dans cette impersonnalité, il n'y a, au début, aucune clef pour un dynamisme ordonné de l'action. Il en résulte fréquemment une division de l'être en deux parties : le spirituel au-dedans, le matériel au dehors ; en l'une, la réalisation divine s'établit dans une parfaite liberté intérieure, .mais la partie naturelle poursuit l'ancienne action de la Nature, elle perpétue, par un mouvement mécanique des énergies passées, l'impulsion déjà transmise. S'il y a dissolution complète de la personne limitée et de l'ordre égocentrique, la nature extérieure peut même devenir le champ d'une incohérence apparente, bien qu'au-dedans tout rayonne de la lumière du Moi. Ainsi, nous devenons extérieurement inertes et inactifs, mus par les circonstances ou les forces, mais sans mouvement propre,¹ même si la conscience est illuminée au-dedans ; ou nous nous comportons comme un enfant, même si, intérieurement, nous avons la pleine et entière connaissance de notre moi;² ou comme un être inconséquent dans sa pensée et ses impulsions, bien que règnent au-dedans un calme absolu, une sérénité parfaite;³ ou comme une âme sauvage et déséquilibrée, alors qu'intérieurement nous vivons dans la pureté et l'équilibre de l'Esprit4.
¹jadavat.
²balavat.
³unmattavat.
4pishâchavat.
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Ou s'il y a un dynamisme ordonné dans la nature extérieure, ce peut être une continuation de l'action superficielle de l'ego à laquelle l'être intérieur assiste sans l'accepter, ou un dynamisme mental qui ne peut exprimer parfaitement la réalisation spirituelle intérieure; car il n'y a pas d'équivalence entre l'action du mental et l'état spirituel. Même dans le meilleur des cas, quand il y a une direction intuitive donnée du dedans par la Lumière, la nature de son expression dans le dynamisme de l'action porte nécessairement la marque des imperfections du mental, de la vie et du corps. C'est un Roi entouré de ministres incapables, une Connaissance exprimée dans les valeurs de l'Ignorance. Seule, la descente du Supramental avec la parfaite unité de sa Connaissance-de-Vérité et de sa Volonté-de-Vérité peut établir l'harmonie de l'Esprit dans l'existence extérieure comme dans l'existence intérieure; car elle seule peut changer entièrement les valeurs de l'Ignorance en celles de la Connaissance.
Que ce soit pour l'accomplissement de notre être psychique ou pour la plus haute réalisation des parties mentale et vitale de notre nature, le mouvement indispensable consiste à les relier à leur source divine, à la vérité qui leur correspond dans la Réalité suprême ; et pour l'un comme pour l'autre, c'est par le pouvoir du Supramental que cela peut être réalisé avec une perfection intégrale, une intimité qui devient une authentique identité; car c'est le Supramental qui relie les hémisphères supérieur et inférieur de l'unique Existence. Dans le Supramental, se trouvent la Lumière qui intègre, la Force qui parachève, la vaste plongée dans l'Ânanda suprême : soulevé par cette Lumière et cette Force, l'être psychique peut s'unir à la Joie d'être originelle dont il est issu ; triomphant des dualités de la souffrance et du plaisir, délivrant le mental, la vie et le corps de toute peur et de tout repli sur soi, il peut refaçonner les contacts de l'existence dans le monde en les termes de l'Ânanda divin.
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Il parvint à la connaissance que la Matière est le Brahman.
Taittirîya Upanishad. m. 2.
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Nous avons maintenant l'assurance rationnelle que la Vie n'est ni un rêve inexplicable, ni un mal impossible qui est pourtant devenu une réalité douloureuse, mais une puissante pulsation de la divine Toute-Existence. Nous entrevoyons ses fondements et son principe, et nos regards se tournent vers ses hautes possibilités, vers son ultime et divine efflorescence. Mais il est un principe, au-dessous de tous les autres, que nous n'avons pas encore suffisamment examiné : c'est le principe de la Matière, sur lequel la Vie repose comme sur un piédestal ou hors duquel elle évolue, telle la forme d'un arbre aux multiples branches émerge de la semence où il est enclos. Le mental, la vie et le corps de l'homme dépendent de ce principe physique, et si l'efflorescence de la Vie est le résultat de ce mouvement de la Conscience qui émerge dans le Mental, se répand, s'élève en quête de sa propre vérité dans l'immensité de l'existence supramentale, elle semble néanmoins conditionnée par cette gaine qu'est le corps et par ce fondement qu'est la Matière. L'importance du corps est évidente; c'est parce qu'il a été doté d'un corps et d'un cerveau capables de recevoir et de servir une illumination mentale progressive, ou qu'il les a développés, que l'homme s'est élevé au-dessus de l'animal. De même, ce ne peut être qu'en développant un corps, ou du moins un fonctionnement de l'instrument physique capable de recevoir et de servir une illumination plus haute encore, qu'il s'élèvera au-dessus de lui-même pour atteindre à une humanité parfaitement divine, non seulement dans sa pensée et dans son être intérieur, mais dans la vie. Sinon, ou bien la promesse de la Vie se verra annulée, son sens anéanti, et l'être terrestre ne pourra réaliser Satchidânanda qu'en s'abolissant lui-même, en se dépouillant du mental, de la vie et du corps pour retourner au pur Infini, ou bien l'homme n'est pas l'instrument divin.; une limite est fixée au pouvoir consciemment progressif qui le distingue des autres existences terrestres, et de même qu'il
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les a détrônées, de même un autre être devra finalement le remplacer pour assumer son héritage.
Il semble en vérité que le corps soit depuis le début la grande difficulté de l'âme, la pierre d'achoppement et l'écueil où elle se heurte constamment. C'est pourquoi ceux qui, pleins d'ardeur, se sont mis en quête de la réalisation spirituelle ont jeté leur anathème sur le corps, et, dans leur dégoût du monde, ils vouent une haine toute particulière à ce principe universel. Le corps est l'obscur fardeau qu'ils ne peuvent porter ; l'irréductible grossièreté matérielle est l'obsession qui les conduit à chercher leur délivrance dans la vie ascétique. Pour s'en débarrasser, ils sont même allés jusqu'à nier son existence, et la réalité de l'univers matériel. La plupart des religions ont maudit la Matière, et elles ont fait du renoncement à l'existence physique, ou de son acceptation résignée et provisoire, la mesure de la vérité religieuse et de la spiritualité. Plus patientes, plus profondes en leur méditation, à l'abri de la torture et de la fiévreuse impatience de l'âme sous le fardeau de l'âge de Fer, les croyances plus anciennes ne faisaient pas cette redoutable division; elles reconnaissaient en la Terre la Mère et en le Ciel le Père, et leur vouaient un amour égal, une égale révérence; mais leurs antiques mystères sont obscurs, et notre regard ne peut les sonder ; que notre vision des choses soit matérialiste ou spirituelle, nous sommes également satisfaits de trancher le nœud gordien du problème de l'existence d'un seul coup décisif et de nous évader dans une béatitude éternelle, ou d'en finir par un anéantissement ou un apaisement éternels.
En fait, ce conflit ne commence pas avec l'éveil à nos possibilités spirituelles; il débute avec l'apparition de la vie elle-même, avec sa lutte pour établir ses activités et ses agrégats permanents de forme vivante contre la force d'inertie, la force d'inconscience, la force de désintégration atomique qui, dans le principe matériel, constituent le nœud de la grande Négation. La Vie est constamment en guerre avec la Matière, et le combat semble toujours se terminer par l'apparente défaite de la Vie et l'écroulement, la rechute vers le principe matériel que nous appelons mort. La discorde s'accentue avec l'apparition du Mental ; car le Mental est en conflit avec la Vie et avec la Matière ; il est perpétuellement en guerre contre leurs limitations, perpétuellement révolté contre la grossièreté et l'inertie de l'une, les passions et les souffrances de l'autre auxquelles il est assujetti; et la bataille semble
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finalement s'orienter vers la victoire partielle et coûteuse — et pas Blême assurée — du Mental qui conquiert, réprime, ou va même jusqu'à supprimer les appétits du vital, altère la force physique et perturbe l'équilibre du corps au profit d'une plus grande activité mentale et d'une existence morale supérieure. C'est dans cette lutte que se manifestent l'impatience à l'égard de la Vie, le dégoût pour le corps et la volonté de s'en détacher pour se tourner vers une pure existence mentale et morale. Lorsque l'homme s'éveille à une existence par-delà le Mental, il pousse encore plus loin ce principe de discorde. Le Mental, le Corps et la Vie sont condamnés en tant que trinité du monde, de la chair et du diable. Le Mental est lui aussi banni, sous prétexte qu'il est la source de tous nos maux. La guerre est déclarée entre l'esprit et ses instruments, et l'on recherche la victoire de l'Habitant spirituel par une évasion hors de son étroite résidence, un rejet du mental, de la vie et du corps et un retrait en ses propres infinitudes. Le monde est discorde, et c'est en portant le principe même de la discorde jusqu'à ses possibilités les plus extrêmes, en nous coupant du monde jusqu'à la rupture finale, que nous en résoudrons le mieux les perplexités.
Mais ces défaites et ces victoires ne sont qu'apparentes, et cette solution n'en est pas une, car elle élude le problème. La Vie n'est pas réellement vaincue par la Matière; elle accepte un compromis en recourant à la mort pour prolonger la vie. Le Mental n'a pas vraiment triomphé de la Vie et de la Matière; il n'a atteint qu'un développement imparfait de certaines de ses possibilités au détriment de certaines autres qui sont elles-mêmes liées aux possibilités, pas encore réalisées ou rejetées, qui lui permettraient de faire un meilleur usage de la vie et du corps. L'âme individuelle n'a pas conquis la triplicité inférieure; elle n'a fait qu'en rejeter les revendications et s'est dérobée au travail entrepris par l'Esprit lorsqu'il s'est projeté sous forme d'univers. Le problème persiste parce que le labeur du Divin dans l'univers se poursuit lui aussi, mais le problème n'a toujours pas reçu de solution satisfaisante et le labeur attend toujours son accomplissement et sa victoire. Et puisque Satchidânanda, selon notre point de vue, est le commencement et le milieu et la fin, et que lutte et discorde ne peuvent être des principes éternels et fondamentaux de Son être mais supposent, par leur existence même, un effort vers une solution parfaite et une victoire totale, nous devons donc chercher cette solution dans une victoire réelle de la Vie sur la Matière, rendue possible grâce à un parfait et libre usage du corps par
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la Vie, dans une victoire réelle du Mental sur la Vie et la Matière grâce à un parfait et libre usage de la force de vie et de la forme par le Mental, dans une victoire réelle de l'Esprit sur la triplicité grâce à une libre et parfaite occupation du mental, de la vie et du corps par l'esprit conscient ; à nos yeux, seule cette ultime conquête peut rendre les autres réellement possibles. Ainsi, pour voir dans quelle mesure ces conquêtes sont vraiment ou complètement possibles, nous devons découvrir la réalité de la Matière, de même qu'en cherchant la connaissance fondamentale nous avons découvert la réalité du Mental, de l'Âme et de la Vie.
Dans un sens, la Matière est irréelle et non existante ; c'est-à-dire que notre connaissance, notre idée et notre expérience actuelles de la Matière ne représentent pas sa vérité, mais sont simplement un phénomène exprimant une relation particulière entre nos sens et la toute-existence en laquelle nous nous mouvons. Quand la Science découvre que la Matière se résout en des formes d'Énergie, elle saisit une vérité universelle et fondamentale; et quand la philosophie découvre que la Matière n'existe pour la conscience que comme apparence substantielle et que l'unique réalité est l'Esprit, ou pur Être conscient, elle saisit une vérité plus grande et plus complète et plus fondamentale encore. Mais la question demeure : pourquoi l'Énergie doit-elle prendre la forme de la Matière et non celle de simples courants de force, ou pourquoi ce qui est en réalité Esprit doit-il admettre le phénomène de la Matière et non demeurer en des états, des volontés et des joies de l'Esprit ? C'est, dit-on, l'oeuvre du Mental, ou bien, comme de toute évidence la Pensée ne crée ni même ne perçoit directement la forme matérielle des choses, c'est l'œuvre des Sens ; le mental sensoriel crée les formes qu'il semble percevoir et le mental pensant travaille sur les formes que celui-ci lui présente. Mais il est bien évident que le mental individuel incarné n'a pas créé le phénomène de la Matière ; l'existence terrestre ne saurait être le produit du mental humain qui est lui-même le produit de l'existence terrestre. Si nous disons que le monde n'existe que dans notre mental, nous exprimons un non-fait et une confusion; car le monde matériel existait avant que l'homme ne fût sur la terre et il continuera d'exister même si l'homme disparaît de la terre ou même si notre mental individuel s'abolit dans l'Infini. Nous devons donc en conclure qu'il existe un Mental universel, subconscient pour nous dans la forme de l'Univers ou supraconscient en son esprit, qui a créé cette forme pour y habiter. Et puisque le créateur a dû précéder sa création et doit la transcender,
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cela implique en réalité l'existence d'un Mental supraconscient qui, par l'instrumentalité d'un sens universel, crée¹ en lui-même la relation de forme à forme et constitue le rythme de l'univers matériel. Mais cette solution non plus n'est pas complète; elle nous apprend que la Matière est une création de la Conscience, mais ne nous explique pas comment la Conscience en est venue à créer la Matière comme base de ses opérations cosmiques.
Nous comprendrons mieux si nous retournons immédiatement au principe originel des choses. L'Existence, en son activité, est une Force-consciente qui présente à sa conscience les opérations de sa force comme des formes de son être. La Force n'étant qu'une action de l'Être-conscient unique, qui seul existe, elle ne peut rien produire d'autre que des formes de cet Être-Conscient; la Substance ou Matière n'est donc qu'une forme de l'Esprit. L'apparence que cette forme de l'Esprit revêt pour nos sens est due à cette action séparatrice du Mental qui, nous l'avons logiquement déduit, est à l'origine de tout le phénomène de l'univers. Nous savons maintenant que la Vie est une action de la Force-consciente dont les formes matérielles sont le produit; la Vie involuée dans ces formes, qui prend tout d'abord en elles l'apparence d'une force inconsciente, évolue et ramène dans la manifestation, sous la forme du Mental, la conscience qui est le moi réel de la force et qui n'a jamais cessé d'exister en elle, même lorsqu'elle n'était pas manifestée. Nous savons aussi que le Mental est un pouvoir inférieur de la Connaissance originelle supérieure ou Supramental, pouvoir dont la Vie est l'énergie instrumentale ; car, descendant par le Supramental, la Conscience ou Chit se représente comme Mental, et la Force de conscience ou Tapas se représente comme Vie. Le Mental, en se séparant de sa propre réalité supérieure dans le Supramental, donne à la Vie l'apparence de la division et, en s'involuant davantage encore dans sa propre Force-de-Vie, devient subconscient dans la Vie et donne ainsi à ses opérations matérielles l'apparence extérieure d'une force
¹Le Mental, tel que nous le connaissons, ne crée que dans un sens relatif et instrumental ; il a un pouvoir illimité de combinaison, mais ses inspirations créatrices et ses formes lui viennent d'un plan supérieur : routes les formes créées ont leur base en l'Infini au-dessus du Mental, de la Vie et de la Matière et sont ici-bas représentées, reconstruites — et mal construites le plus souvent — à partir de l'infinitésimal. Leur fondation est en haut, leurs branches sont dirigées vers le bas, dit le Rig-Véda. Le Mental supraconscient dont nous parlons pourrait plus justement être appelé Surmental; dans l'ordre hiérarchique des pouvoirs de l'Esprit, il réside en une zone qui dépend directement de la conscience supramentale.
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inconsciente. Par conséquent, l'inconscience, l'inertie, la désagrégation atomique de la Matière doivent avoir leur source dans cette action involuée du Mental qui divise tout et qui donna naissance à notre univers. De même que le Mental n'est qu'une action finale du Supramental dans la descente vers la création, et la Vie une action de la Force-consciente œuvrant dans les conditions de l'Ignorance créée par cette descente du Mental, de même la Matière, telle que nous la connaissons, n'est que la forme finale prise par l'être-conscient à la suite de cette opération. La Matière est la substance de l'unique Être-Conscient phénoménalement divisé en lui-même par l'action d'un Mental universel¹ — division que le mental individuel reproduit et sur laquelle il se concentre, mais qui n'abolit pas et ne diminue en rien l'unité de l'Esprit, ni l'unité de l'Énergie, ni l'unité réelle de la Matière.
Mais pourquoi cette division phénoménale et pragmatique d'une Existence indivisible ? Parce que le Mental doit amener le principe de la multiplicité jusqu'à son extrême possibilité, et cela n'est possible que par un processus de séparation et de division. Ainsi, se précipitant dans la Vie afin d'y créer des formes pour le Multiple, il doit, pour y parvenir, donner au principe universel de l'Être l'apparence d'une substance grossière et matérielle au lieu d'une substance pure ou subtile. Autrement dit, il faut qu'il lui donne l'apparence d'une substance qui s'offre au contact du Mental comme une chose ou un objet stable dans une multiplicité durable d'objets, et non celle d'une substance qui s'offre au contact de la conscience pure comme quelque chose qui participerait de sa pure existence éternelle et de son éternelle et pure réalité, ou qui s'offrirait aux sens subtils comme un principe de forme plastique exprimant librement l'être conscient. Le contact du Mental avec ses objets crée ce que nous appelons sensibilité, mais ce doit être ici un sens obscur et extériorisé, assuré de la réalité de ce avec quoi il entre en contact. La descente de la pure substance dans la substance matérielle suit alors inévitablement la descente de Satchidânanda, à travers le Supramental, dans le Mental et la Vie. C'est une conséquence nécessaire de la volonté de faire de la multiplicité de l'être — et d'une perception des choses à partir de centres de conscience séparés —, la première méthode de cette expérience inférieure de l'existence. Si nous
¹Le mot mental est employé ici dans son sens le plus large, et inclut les opérations d'un pouvoir surmental qui est le plus proche de la Conscience-de-Vérité supramentale et qui est la source première de la création de l'Ignorance.
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revenons à la base spirituelle des choses, la substance en son extrême pureté se résout en pur être conscient, existant en soi, conscient de soi de façon inhérente, par identité, mais ne dirigeant pas encore sa conscience sur soi-même en tant qu'objet. Le Supramental conserve cette conscience de soi par identité comme sa substance de connaissance de soi et sa lumière de création de soi ; mais pour cette création, il présente l'Être à lui-même comme le sujet-objet, un et multiple, de sa propre conscience active. L'Être en tant qu'objet y est saisi en une suprême connaissance qui, par compréhension, peut à la fois le voir en elle-même comme objet de cognition et le voir subjectivement comme elle-même, mais peut aussi et simultanément, par appréhension, le projeter comme objet (ou objets) de cognition dans la circonférence de sa conscience; cet objet n'est pas autre, il fait partie de son être, mais cette partie, ou ces parties sont éloignées d'elle — autrement dit du centre de vision où l'être se concentre comme Connaissant, Témoin ou Purusha. Nous avons vu que, de cette conscience appréhensive, émerge le mouvement du Mental, le mouvement par lequel le connaissant individuel perçoit une forme de son être universel dans son altérité ; mais dans le Mental divin, il y a immédiatement, ou plutôt simultanément, un autre mouvement ou l'envers du même mouvement, un acte d'union dans l'être qui supprime cette division phénoménale et l'empêche, fût-ce pour un moment, de devenir pour le connaissant la seule chose réelle. Cet acte d'union consciente est représenté autrement dans le Mental diviseur, de façon obtuse, ignorante, toute extérieure, comme un contact, dans la conscience, entre êtres divisés et objets séparés, et en nous ce contact dans la conscience divisée est représenté, en son essence, par le principe sensoriel. Sur cette base des sens, sur ce contact d'union sujette à la division, l'action du mental pensant se fonde et prépare son retour à un principe supérieur d'union où la division est soumise et subordonnée à l'unité. La substance telle que nous la connaissons, la substance matérielle, est donc la forme en laquelle, agissant par les sens, le Mental entre en contact avec l'Être conscient dont il est lui-même un mouvement de connaissance.
Mais, de par sa nature même, le Mental tend à connaître et à percevoir la substance de l'être-conscient, non en son unité ou sa totalité, mais selon le principe de division. Il la voit, en quelque sorte, en points infinitésimaux qu'il réunit afin d'arriver à une totalité, et le Mental cosmique se projette en ces points de vue et ces associations
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et y demeure. Ainsi établi en eux, créateur par sa force inhérente en tant qu'exécutant de l'Idée-Réelle, contraint par sa propre nature de convertir toutes ses perceptions en énergie de vie — de même que le Tout-Existant convertit tous les aspects actualisés de Lui-même en l'énergie variée de Sa Force de conscience créatrice —, le Mental cosmique change ces multiples points de vue de l'existence universelle en points de vue de la Vie universelle ; il les change dans la Matière en formes d'être atomique animées par la vie qui les forme et gouvernées par le mental et la volonté qui actualisent la formation. En même temps, les existences atomiques qu'il forme ainsi, obéissant à la loi de leur être, tendent nécessairement à s'associer, à s'agréger ; et à tous ces agrégats, animés par la vie cachée qui les forme et par le mental et la volonté cachés qui les actualisent, s'attache la fiction d'une existence individuelle séparée. Selon que le mental y est implicite ou explicite, manifesté ou non manifesté, chaque objet, ou chaque existence individuelle de ce type, est soutenu par l'ego mécanique de sa force où la volonté d'être est muette et emprisonnée, mais néanmoins puissante, ou par son ego mental conscient de soi où la volonté d'être est libérée, consciente, séparément active.
Ce n'est donc pas la loi éternelle et originelle d'une Matière éternelle et originelle qui est la cause de l'existence atomique, mais la nature de l'action du Mental cosmique. La Matière est une création, et pour cette création l'infinitésimal, cette extrême fragmentation de l'Infini, était nécessaire comme point de départ ou comme base. L'éther peut exister et existe effectivement comme support intangible et quasi spirituel de la Matière, mais comme phénomène il ne semble pas qu'on puisse matériellement le déceler, du moins dans l'état actuel de notre connaissance. Subdivisons l'agrégat visible ou l'atome formel en atomes essentiels, réduisons-les en la poussière d'être la plus infinitésimale, nous arriverons encore — du fait de la nature du Mental et de la Vie qui les ont formés — à quelque ultime existence non atomique, instable peut-être, mais se reconstituant sans cesse dans le flux éternel de la force, phénoménalement, mais nous n'arriverons pas à une simple extension non atomique de la substance incapable de rien contenir. Une extension non atomique de la substance, une extension qui n'est pas une agrégation, une coexistence établie autrement que par distribution dans l'espace, sont des réalités d'existence et de substance pures; elles constituent une connaissance du supramental et un principe de son dynamisme, non un concept créateur du Mental diviseur, bien que
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le Mental puisse en prendre conscience derrière ses opérations. Elles sont la réalité qui sous-tend la Matière, non le phénomène que nous appelons Matière. Le Mental, la Vie et la Matière elle-même peuvent, en leur réalité statique, se fondre en cette pure existence et cette extension consciente, mais ils ne peuvent fonctionner, dans leur action, leur perception et leur formation de soi dynamiques, sur la base de cette unité.
Nous arrivons donc à cette vérité de la Matière, à savoir qu'il existe une extension conceptuelle de l'être qui s'élabore dans l'univers comme substance ou objet de conscience, et qu'en leur action créatrice le Mental et la Vie cosmiques représentent, au moyen de la division et de l'agrégation atomiques, par ce que nous appelons Matière. Mais cette Matière, de même que le Mental et la Vie, est encore l'Être ou Brahman en son action auto-créatrice. C'est une forme de la force de l'Être conscient, donnée par le Mental et réalisée par la Vie. Elle contient en soi, comme sa propre réalité, la conscience qui se cache à elle-même, involuée et absorbée dans le résultat de son auto-formation et donc oublieuse d'elle-même. Et si grossière ou si dénuée de sensibilité qu'elle nous paraisse, elle n'en est pas moins, pour l'expérience secrète de la conscience cachée en elle, la joie d'être qui s'offre à cette conscience secrète comme objet de sensation afin d'attirer cette divinité cachée hors de sa retraite. Être manifesté comme substance, la force de l'Être coulée en la forme, en une représentation imagée de la secrète conscience de soi, la joie s'offrant à sa propre conscience comme objet — qu'est-ce d'autre que Satchidânanda ? La Matière est Satchidânanda représenté à Sa propre expérience mentale comme base formelle de la connaissance, de l'action et de la joie d'être objectives.
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Je ne puis voyager vers la Vérité du lumineux Seigneur par la force ou la dualité... Qui sont ceux qui protègent les fondations du mensonge ? Qui sont les gardiens du mot irréel?
Alors l'existence n'était point, ni la non-existence, le monde intermédiaire n'était point, ni l'Éther, ni ce qui est au-delà. Qu'est-ce qui recouvrait tout? Où était-ce? En quel refuge? Qu'était cet océan dense et profond? La Mort n'était point, ni l'immortalité, ni la connaissance du jour et de la nuit. Cet Un vivait sans souffle, par la loi de son être, il n'y avait rien d'autre, ni rien au-delà. Au commencement, les Ténèbres étaient cachées par les ténèbres, tout ceci était un océan d'inconscience. Quand l'être universel fut dissimulé par la fragmentation, alors par la grandeur de son énergie naquit cet Un. Cela frémit d'abord comme désir au-dedans, ce fut la prime semence du mental. Les voyants de la Vérité découvrirent la construction de l'être dans le non-être par la volonté dans le cœur et par la pensée ; leur rayon était étendu horizontalement; mais qu'y avait-il au-dessous, qu'y avait-il au-dessus ? Il y avait Ceux qui sèment la graine, il y avait les Grandeurs ; il y avait la loi du moi au-dessous, il y avait la Volonté au-dessus.
Rig-Véda. V. 12. 2, 4; X. 129. 1-5.
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Si la conclusion à laquelle nous sommes arrivés est correcte — et nulle autre n'est possible à partir des données que nous examinons —, alors la division catégorique que l'expérience pratique et la longue habitude du mental ont créée entre l'Esprit et la Matière n'a plus aucune réalité fondamentale. Le monde est une unité différenciée, une unité multiple, non point une perpétuelle tentative de compromis entre d'éternelles dissonances, non point une lutte éternelle entre d'inconciliables opposés. Une inaliénable unité engendrant une variété infinie en est la base et le commencement; au milieu, son véritable caractère semble être une constante réconciliation derrière la division et la lutte apparentes, combinant tous les éléments disparates possibles pour de vastes fins dans une Conscience-Volonté secrète qui est toujours une et toujours maîtresse de toute son action complexe ; nous devons donc en déduire qu'un accomplissement de la Conscience-Volonté qui émerge et une triomphante harmonie en seront la conclusion. La substance est sa propre forme sur laquelle elle travaille, et si la Matière est une extrémité de cette substance, l'Esprit en est , l'autre. Les deux ne font qu'un : l'Esprit est l'âme et la réalité de ce que nous percevons comme Matière ; la Matière est une forme et un corps de ce que nous réalisons comme Esprit.
Il y a certes entre les deux une vaste différence pratique, et sur cette différence repose toute la série indivisible et tous les degrés toujours plus élevés de l'existence universelle. Nous avons dit que la substance est l'existence consciente se présentant aux sens comme objet afin que, quelle que soit la relation sensorielle établie, le travail de formation universelle et de progression cosmique puisse se poursuivre sur cette base. Mais il n'est pas nécessaire qu'il y ait une seule base, qu'un seul principe fondamental de relation soit immuablement créé entre les sens et la substance; au contraire, il y a une gradation ascendante et progressive. Nous sommes conscients d'une autre substance en laquelle le mental pur œuvre comme en son milieu naturel, et qui est de beaucoup plus subtile, plus souple, plus
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plastique que tout ce que nos sens physiques peuvent concevoir comme Matière. Nous pouvons parler d'une substance mentale parce que nous prenons conscience d'un milieu plus subtil où les formes apparaissent et où l'action a lieu ; nous pouvons également parler d'une substance d'énergie vitale dynamique pure, différente des formes les plus subtiles de la substance matérielle et de ses courants de force physiquement sensibles. L'Esprit lui-même est pure substance d'être se présentant comme objet, non plus à une perception physique, vitale ou mentale, mais à une lumière de pure connaissance spirituelle perceptive où le sujet devient son propre objet — autrement dit, où l'Intemporel et Aspatial se perçoit lui-même, dans une pure conception et extension de soi spirituelles, comme la base et le matériau primordial de toute existence. Au-delà de cette fondation, toute différenciation consciente entre le sujet et l'objet se fond dans une identité absolue, et nous ne pouvons plus, dès lors, parler de Substance.
C'est donc une différence purement conceptuelle — conception spirituelle et non mentale —, aboutissant à une distinction pratique, qui crée la série descendante ; celle-ci va de l'Esprit à la Matière en passant par le Mental et s'élève à nouveau, à travers le Mental, de la Matière à l'Esprit. Mais la véritable unité n'est jamais annulée et quand nous revenons à la vision originelle et intégrale des choses, nous voyons qu'elle n'est jamais réellement diminuée ni altérée, pas même dans les densités les plus grossières de la Matière. Le Brahman n'est pas seulement la cause de l'univers, le pouvoir qui le soutient, son principe immanent, il en est aussi le matériau, l'unique matériau. La Matière aussi est le Brahman et elle n'est rien autre que le Brahman, elle n'est pas différente de Lui. Si la Matière était effectivement coupée de l'Esprit, il n'en serait pas ainsi ; mais, comme nous l'avons vu, elle n'est qu'une forme finale et un aspect objectif de l'Existence divine, et Dieu dans sa totalité est toujours présent en elle et derrière elle. Nous avons vu également que cette Matière, apparemment brute et inerte, est partout et toujours animée par une puissante force de Vie ; que cette Vie dynamique, mais apparemment inconsciente, dissimule en elle un Mental non apparent, mais toujours à l'œuvre dans ses opérations secrètes dont elle est l'énergie manifeste; que dans le corps vivant, ce Mental ignorant, sans lumière, tâtonnant, est soutenu et souverainement guidé par son vrai moi, le Supramental, qui est aussi présent dans la Matière non mentalisée; de même, toute la Matière et toute la Vie, ainsi que le Mental et le Supramental, ne sont que des modes du Brahman, de l'Éternel, de l'Esprit, Satchidânanda, qui non seulement
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demeure en eux, mais est toutes ces choses, bien qu'aucune ne soit Son être absolu.
Cette différence conceptuelle et cette distinction pratique n'en existent pas moins et, sur ce point, même si la Matière n'est pas vraiment coupée de l'Esprit, elle paraît l'être en réalité et de façon si indiscutable, elle est si différente, sa loi est tellement opposée, la vie matérielle semble être une telle négation de toute existence spirituelle, que son rejet pourrait bien être apparemment l'unique raccourci pour sortir de la difficulté — et c'est le cas sans aucun doute; mais ni un raccourci, ni aucune coupure, ne sont la solution. Cependant, il ne fait pas de doute que c'est là, dans la Matière, que se trouve le nœud de la difficulté ; c'est elle qui dresse l'obstacle, car à cause de la Matière, la Vie est grossière et limitée, frappée par la mort et la douleur; à cause de la Matière, le Mental est plus qu'à moitié aveugle : les ailes coupées, les pattes attachées à un étroit perchoir, il ne peut s'envoler vers les hauteurs, vers cette immensité et cette liberté dont il est conscient. De son point de vue, le chercheur spirituel intransigeant a donc raison si, dégoûté de la boue de la Matière, révolté par la grossièreté animale de la Vie ou impatienté par l'étroitesse où s'emprisonne le Mental et par sa vision tournée vers le bas, il décide de s'échapper de tout cela et de retourner, par l'inaction et le silence, à l'immobile liberté de l'Esprit. Mais ce n'est pas là le seul point de vue et nous ne sommes pas tenus de le considérer comme la sagesse intégrale et ultime, sous prétexte qu'il existe de brillants et glorieux exemples de personnes qui l'ont sublimement soutenu et exalté. Affranchis de toute passion et de toute révolte, voyons plutôt ce que signifie cet ordre divin de l'univers; quant à ce grand nœud inextricable de la Matière qui nie l'Esprit, essayons d'en découvrir et d'en démêler les fils afin de le défaire par une solution, au lieu de le trancher par la violence. Nous devons d'abord formuler la difficulté, l'opposition, de façon complète et catégorique, en l'exagérant s'il le faut, plutôt qu'en la minimisant, et puis chercher l'issue.
Ce qui oppose essentiellement la Matière à l'Esprit, c'est donc, tout d'abord, que le principe de l'Ignorance atteint en elle son point culminant. La Conscience s'y est perdue et oubliée dans une forme de ses œuvres, comme un homme complètement absorbé en lui-même pourrait oublier non seulement qui il est, mais oublier même qu'il existe, et n'être plus, momentanément, que le travail qui s'accomplit et
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la force qui l'exécute. L'Esprit lumineux en soi, infiniment conscient de lui-même derrière toutes les opérations de la force, et maître de toutes, semble avoir disparu et ne plus même exister. Il existe peut-être quelque part, mais ici. Il semble n'avoir laissé qu'une Force matérielle brute et inconsciente qui crée et détruit éternellement sans se connaître elle-même ni connaître ce qu'elle crée, ni même pourquoi elle crée, ni pourquoi elle détruit ce qu'elle a jadis créé; elle ne le sait pas, car elle n'a pas de mental; elle ne s'en soucie pas, car elle n'a pas de cœur. Et si ce n'est pas la vérité réelle même de l'univers matériel, si, derrière tout ce phénomène trompeur, il y a un Mental, une Volonté et quelque chose de plus grand que le Mental ou que la Volonté mentale, c'est néanmoins cette sombre apparence que l'univers matériel présente lui-même comme vérité à la conscience qui émerge en lui de sa nuit; et si ce n'est pas une vérité mais un mensonge, c'est un mensonge fort efficace, car il détermine les conditions de notre existence phénoménale et assiège toute notre aspiration et tous nos efforts.
Telle est en effet la monstruosité, tel est l'impitoyable et terrible miracle de l'univers matériel : qu'un mental ou, du moins, des mentais, émergent de ce non-Mental et se voient contraints de lutter faiblement pour un peu de lumière; impuissants individuellement, à peine moins impuissants lorsque pour se défendre ils associent leurs faiblesses individuelles au sein de la géante Ignorance qui gouverne l'univers. Hors de cette impitoyable Inconscience et soumis à son inflexible juridiction, des cœurs sont nés, qui aspirent et sont torturés et saignent sous le poids de l'aveugle, de l'insensible cruauté de cette existence implacable, cruauté qui leur impose sa loi et devient sensible dans leur sensibilité, brutale, féroce, horrible. Mais derrière les apparences, qu'est au fond ce mystère ? Nous pouvons voir que c'est la Conscience qui s'était perdue et qui reprend conscience d'elle-même, émergeant de son gigantesque oubli de soi, lentement, péniblement, comme une Vie qui aspire à la sensibilité, devient à moitié sensible, puis faiblement sensible, puis tout à fait sensible, et qui, finalement, lutte pour être plus que sensible, pour être à nouveau . divinement consciente d'elle-même, libre, infinie, immortelle. Mais elle y travaille dans le cadre d'une loi qui est le contraire de toutes ces choses, dans les conditions de la Matière, autrement dit, contre l'étreinte de l'Ignorance. Les mouvements qu'elle doit suivre, les instruments qu'elle doit utiliser, sont établis et façonnés pour elle par cette Matière grossière et divisée et lui imposent à chaque pas l'ignorance et la limitation.
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Car la seconde opposition fondamentale que la Matière présente à l'Esprit, est cet asservissement absolu à la Loi mécanique. À tout ce qui cherche à se libérer, la Matière oppose une colossale Inertie. Non que la Matière elle-même soit inerte; elle est plutôt un mouvement infini, une force inconcevable, une action sans limites dont les mouvements grandioses suscitent notre constante admiration. Mais tandis que l'Esprit est libre, maître de lui-même et de ses œuvres, et non point soumis à elles, créateur et non point esclave de la loi, cette Matière géante est rigidement assujettie à une Loi fixe et mécanique qui lui est imposée, qu'elle ne comprend pas et n'a jamais conçue, mais qu'elle applique inconsciemment comme une machine fonctionne sans savoir qui l'a créée, par quel procédé et à quelle fin. Et lorsque la Vie s'éveille et cherche à s'imposer à la forme physique et à la force matérielle, et à se servir des choses à son gré et pour ses propres besoins, lorsque le Mental s'éveille et cherche à savoir qui il est et ce que sont toutes choses, lorsqu'il veut connaître le pourquoi et le comment et, surtout, utiliser sa connaissance pour imposer aux choses sa loi plus libre et son action autonome, la Nature matérielle semble céder, semble même approuver et collaborer, mais c'est après une lutte, à contrecœur, et seulement jusqu'à un certain point. Au-delà, elle présente une inertie, une négation, une obstruction obstinées, et elle persuade même la Vie et le Mental qu'ils ne peuvent aller plus loin, ni parachever leur victoire. La Vie tente de s'élargir et de se prolonger et elle y réussit; mais lorsqu'elle recherche l'immensité suprême et l'immortalité, elle se heurte à l'obstruction implacable de la Matière et se retrouve liée à l'étroitesse et à la mort. Le Mental cherche à aider la Vie et à satisfaire l'élan qui le pousse à embrasser toute connaissance, à devenir toute lumière, à posséder la vérité et à être la vérité, à faire régner l'amour et la joie et à être l'amour et la joie; mais il y a toujours la déviation, l'erreur et la grossièreté des instincts vitaux matériels, la négation et l'obstruction des sens matériels et des instruments physiques. L'erreur poursuit sans trêve sa connaissance, l'obscurité est l'inséparable compagne et l'arrière-plan de sa lumière; la vérité est recherchée, et découverte, et pourtant, une fois saisie, elle cesse d'être la vérité, et la quête doit continuer; l'amour est là, la joie est là, mais ils ne peuvent se satisfaire, et chacun traîne comme une chaîne ou projette comme une ombre son propre contraire, la colère, la haine et l'indifférence, la satiété, le chagrin et la douleur. L'inertie avec laquelle la Matière répond aux demandes du Mental et de la Vie, empêche la conquête de l'Ignorance et de la Force brute qui est le pouvoir de l'Ignorance.
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Et lorsque nous cherchons à savoir pourquoi il en est ainsi, nous voyons que le succès de cette inertie et de cette obstruction est dû à un troisième pouvoir de la Matière ; car la troisième opposition fondamentale que la Matière offre à l'Esprit est qu'en elle le principe de la division et de la lutte atteint son point culminant. Certes, elle est en réalité indivisible, mais la divisibilité est toute la base de son action dont, apparemment, il lui est interdit de jamais s'écarter; ses deux seuls moyens d'union, en effet, sont l'agrégation d'unités ou une assimilation qui implique la destruction d'une unité par une autre; or ces deux méthodes sont un aveu d'éternelle division, puisque la première elle-même procède par association plutôt que par unification et que, en son principe même, elle admet la constante possibilité et donc, pour finir, la nécessité de la dissociation et de la dissolution. Les deux méthodes reposent sur la mort ; pour l'une c'est un moyen, pour l'autre une condition de la vie. Et toutes deux présupposent comme condition de l'existence universelle une lutte où s'affrontent constamment les unités divisées, chacune s'efforçant de se maintenir elle-même et de maintenir ses associations, de contraindre ou de détruire ce qui lui résiste, d'absorber et de dévorer les autres pour se nourrir, tout en étant elle-même poussée à se révolter et à échapper à cette contrainte, cette destruction, cette assimilation dévorante. Quand le principe vital manifeste ses activités dans la Matière, il y trouve cette seule base pour toutes ses activités et il est obligé de se plier à ce joug; il lui faut accepter la loi de la mort, du désir et de la limitation, et cette lutte constante pour dévorer, posséder, dominer dont nous avons vu qu'elle est le premier aspect de la Vie. Et lorsque le principe mental se manifeste dans la Matière, il doit accepter du moule et du matériau où il œuvre le même principe de limitation, de recherche sans découverte sûre, la même association et la même dissociation constantes de ses gains et des constituants de ses œuvres, en sorte que la connaissance obtenue par l'homme, l'être mental, semble ne jamais être définitive ni libre du doute et du déni, et que tout son labeur semble condamné à se mouvoir selon un rythme d'action et de réaction où se font et se défont les choses, dans des cycles de création, de brève préservation et de longue destruction sans qu'aucun progrès certain soit assuré.
Et surtout, l'ignorance, l'inertie et la division de la Matière imposent fatalement à l'existence vitale et mentale qui en émergent la loi de la douleur et de la souffrance et le trouble de l'insatisfaction propres à cet état de division, d'inertie et d'ignorance. En fait, l'ignorance
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n'entraînerait pas la douleur de l'insatisfaction si la conscience mentale était totalement ignorante, si elle pouvait se reposer, satisfaite, dans sa coquille coutumière, inconsciente de sa propre ignorance ou de l'océan infini de conscience et de connaissance où son existence est plongée; mais c'est précisément à cela que la conscience s'éveille en émergeant de la Matière : d'abord à son ignorance du monde où elle vit et qu'elle doit connaître et maîtriser pour être heureuse; ensuite à la stérilité et à la limitation extrêmes de cette connaissance, à l'indigence et à l'insécurité du pouvoir et du bonheur qu'elle apporte, et à la perception d'une conscience et d'une connaissance infinies, d'un être véritable infini en qui seuls un bonheur souverain et infini peut être découvert. L'obstruction de l'inertie n'entraînerait pas non plus le trouble et l'insatisfaction si la sensibilité vitale qui émerge dans la Matière était complètement inerte, si elle se satisfaisait de son existence limitée et à demi consciente, et ne percevait pas le pouvoir infini et l'existence immortelle où elle vit, dont elle fait partie, bien qu'elle en soit séparée, ou si rien en elle ne l'incitait à faire effort pour participer réellement à cette infinité et cette immortalité. Mais c'est là précisément ce que toute vie est amenée à sentir et à rechercher depuis le début : son insécurité, le besoin de durer et de se protéger, et la lutte que cela implique ; elle prend finalement conscience des limites de son existence et commence à éprouver le besoin de s'élancer vers ce qui est vaste et permanent, vers l'infini et l'éternel.
Et lorsqu'on l'homme la vie devient pleinement consciente elle-même,'cette lutte, cet effort et cette aspiration inéluctables atteignent leur paroxysme, et il finit par ressentir la douleur et la discorde du monde de façon trop aiguë pour s'en accommoder. Pendant longtemps, l'homme peut trouver la paix en cherchant à se satisfaire de ses limitations, ou en se bornant à lutter pour gagner autant que possible la maîtrise de ce monde matériel où il vit — quelque victoire mentale et physique de sa connaissance progressive sur des rigidités inconscientes, de sa petite volonté et de son petit pouvoir conscients et concentrés sur des forces monstrueuses gouvernées par l'inertie. Mais là encore, il découvre que les plus grands résultats auxquels il puisse atteindre sont limités, pauvres, non concluants, et force lui est de regarder au-delà. Le fini ne peut demeurer à jamais satisfait, pourvu qu'il soit conscient d'un fini plus grand que lui, ou d'un infini qui le dépasse et auquel il puisse néanmoins aspirer. Et même s'il le pouvait, l'être apparemment fini, qui se sent être en réalité un infini ou qui sent simplement la présence
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ou l'impulsion ou le frémissement d'un infini au-dedans de lui, ne le pourrait jamais tant que les deux ne sont pas réconciliés, tant qu'il ne possède pas Cela ou tant que Cela ne le possède pas, à quelque degré ou de quelque façon que ce soit. L'homme est cet infini apparemment fini et il est inévitablement appelé à rechercher l'Infini. Il est le premier fils de la terre à devenir vaguement conscient de Dieu en lui, de son immortalité ou de son besoin d'immortalité, et la connaissance est un fouet qui l'oblige à avancer, et une croix où il sera crucifié jusqu'à ce qu'il soit capable de la transformer en une source de lumière, de joie et de puissance infinies.
N'était le principe de division rigide dont la Matière est issue, ce développement progressif, cette manifestation croissante de la Conscience et de la Force, de la Connaissance et de la Volonté divines qui se sont perdues dans l'ignorance et l'inertie de la Matière, pourraient bien être une heureuse efflorescence, progressant vers une joie toujours plus grande, pour atteindre finalement à la joie infinie. Mais l'individu est enfermé dans la conscience personnelle d'un mental, d'une vie et d'un corps séparés et limités, et cela s'oppose à ce qui, autrement, serait la loi naturelle de notre développement. Dans le corps, cela introduit la loi de l'attirance et de la répulsion, de la défense et de l'attaque, de la discorde et de la douleur. Chaque corps étant en effet une force-consciente limitée, il se sent exposé aux attaques, aux chocs, aux contacts violents d'autres forces conscientes limitées de même nature ou de forces universelles, et quand il se sent envahi ou incapable d'harmoniser la conscience qui contacte et celle qui reçoit, il éprouve malaise et douleur, attirance ou répulsion, il doit se défendre ou attaquer ; sans cesse, il lui est demandé de subir ce qu'il ne veut ou ne peut supporter. Dans le mental émotif et le mental sensoriel, la loi de division introduit les mêmes réactions, avec les valeurs plus hautes que sont le chagrin et la joie, l'amour et la haine, l'oppression et la dépression, valeurs coulées dans les modes du désir; et le désir engendre la tension et l'effort, qui engendrent à leur tour l'excès et le manque de force, l'incapacité, une alternance d'accomplissement et de déception, de possession et de recul, un malaise, une lutte et des troubles constants. Au lieu d'une loi divine qui fait qu'une vérité plus étroite se fond, tel un fleuve, en une vérité plus grande, qu'une lumière plus restreinte est intégrée dans une lumière plus vaste, une volonté inférieure soumise à une volonté supérieure transformatrice, que de mesquines satisfactions progressent vers une satisfaction plus noble et
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plus complète, cette loi de division introduit dans l'ensemble du mental des dualités similaires : la vérité poursuivie par l'erreur, la lumière par l'obscurité, la pouvoir par l'incapacité, le plaisir de la quête et de l'accomplissement par la douleur de la répulsion et de l'insatisfaction devant ce qui a été atteint; le mental assume sa propre affliction ainsi que l'affliction de la vie et du corps et prend conscience du triple défaut, de la triple insuffisance de notre être naturel. Tout cela implique le déni de l'Ânanda, la négation de la trinité de Satchidânanda et donc, si la négation est insurmontable, la futilité de l'existence ; car en se projetant dans le jeu de la conscience et de la force, l'existence doit chercher ce mouvement non seulement pour lui-même, mais pour sa propre satisfaction, et si nulle satisfaction réelle ne peut s'y trouver, il est évident qu'il faudra finalement abandonner ce jeu comme une vaine tentative, une erreur colossale, un délire de l'esprit qui s'incarne.
Tel est tout le fondement de la théorie pessimiste du monde — optimiste, peut-être, quant aux mondes et aux plans au-delà, mais pessimiste quant à la vie terrestre et à la destinée de l'être mental relative à l'univers matériel. Car, affirme-t-elle, la nature même de l'existence matérielle étant la division et la semence même du mental incarné étant l'auto-limitation, l'ignorance et l'égoïsme, rechercher sur terre la satisfaction de l'esprit, ou chercher un terme ou un but et un couronnement divins pour le jeu universel, est vain et illusoire; ce n'est que dans un ciel de l'Esprit et non pas dans le monde, ce n'est que dans la vraie quiétude de l'Esprit et non pas dans ses activités phénoménales, que nous pouvons réunir l'existence et la conscience à la divine félicité du moi. L'Infini ne peut se retrouver lui-même qu'en rejetant comme erreur et trébuchement sa tentative pour se trouver dans le fini. L'émergence de la conscience mentale dans l'univers matériel ne saurait non plus apporter la promesse d'un accomplissement divin, car le principe de division n'est pas propre à la Matière, mais au Mental; la Matière n'est qu'une illusion du Mental où celui-ci introduit son principe de division et d'ignorance. Au sein de cette illusion, le Mental ne peut donc trouver que lui-même ; il ne peut que voyager entre les trois termes de l'existence divisée qu'il a créée : il ne peut y trouver l'unité de l'Esprit ni la vérité de l'existence spirituelle.
Or il est vrai que le principe de division dans la Matière ne peut être qu'une création du Mental divisé qui s'est précipité dans l'existence
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matérielle; car cette existence matérielle n'a point d'être en soi, n'est point le phénomène originel mais seulement une forme créée par une force-de-Vie qui divise tout et qui élabore les conceptions d'un Mental qui, lui aussi, divise tout. En élaborant l'être dans ces apparences de l'ignorance, de l'inertie et de la division de la Matière, le Mental diviseur s'est perdu et emprisonné dans un donjon qu'il a lui-même construit, s'est chargé de chaînes qu'il a lui-même forgées. Et s'il est vrai que le Mental diviseur est le premier principe de création, alors il doit être aussi l'ultime accomplissement possible dans la création; et l'être mental qui lutte en vain contre la Vie et la Matière, qui ne les subjugue que pour être subjugué par elles, qui répète éternellement un cycle stérile, doit être le dernier terme, le terme suprême de l'existence cosmique. Mais on n'aboutit pas à de telles conséquences si, au contraire, c'est l'Esprit immortel et infini qui s'est voilé sous le dense revêtement de la substance matérielle et y travaille par le suprême pouvoir créateur du Supramental, n'acceptant les divisions du Mental et le règne du principe le plus bas, le principe matériel, que comme les conditions initiales d'un certain jeu évolutif de l'Un dans la Multiplicité. Autrement dit, si ce n'est pas simplement un être mental qui est caché dans les formes de l'univers, mais si c'est l'Être, la Connaissance, la Volonté infinis qui émergent de la Matière, d'abord comme Vie, puis comme Mental, le reste attendant d'être révélé, alors l'émergence de la conscience hors de ce qui est apparemment l'Inconscient doit avoir un autre aboutissement, plus complet, et l'apparition d'un être spirituel supramental qui imposera aux opérations de son mental, de son vital et de son corps une loi plus haute que celle du Mental diviseur, n'est plus une impossibilité. Au contraire, c'est la conséquence naturelle et inévitable de la nature de l'existence cosmique.
Comme nous l'avons vu, cet être supramental déferait le nœud qui lie le mental à son existence divisée et utiliserait l'individualisation du mental simplement comme une action subordonnée du Supramental qui embrasse tout ; il libérerait aussi la vie, déferait le nœud de son existence divisée et utiliserait son individualisation simplement comme une action subordonnée de la Force-Consciente unique qui réalise pleinement son être et sa joie dans une unité diversifiée. Y a-t-il aucune raison pour qu'il ne libère pas également l'existence corporelle de la présente loi de mort, de division et d'entre-dévorement et qu'il n'emploie pas l'individualisation du corps simplement comme terme utile et subordonné de l'unique
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et divine Existence-Consciente, mis au service de la joie de l'Infini dans le fini ? ou pourquoi cet Esprit ne serait-il pas libre en tant qu'habitant souverain de la forme, consciemment immortel alors même qu'il change sa robe de Matière, possédant son propre délice en un monde soumis à la loi de l'unité, de l'amour et de la beauté ? Et si l'homme est l'habitant de l'existence terrestre par qui cette transformation du mental en le supramental peut enfin s'effectuer, n'est-il pas possible qu'il développe un corps divin tout autant qu'un mental divin et qu'une vie divine ? ou, si cette expression choque nos conceptions bornées des possibilités humaines, l'homme ne peut-il — en développant son être vrai et sa lumière, sa joie et son pouvoir — parvenir à un usage divin du mental, de la vie et du corps qui justifierait, à la fois humainement et divinement, la descente de l'Esprit dans la forme ?
La seule chose qui pourrait s'opposer à cette ultime possibilité terrestre, serait que notre vision actuelle de la Matière et de ses lois représente la seule relation possible entre les sens et la substance, entre le Divin comme connaissant et le Divin comme objet; ou si d'autres relations sont possibles, qu'elles ne soient en aucun cas possibles ici, en ce monde, et qu'il faille les rechercher sur des plans supérieurs d'existence. En ce cas, c'est dans des cieux au-delà que nous devons chercher notre plein accomplissement divin, comme l'affirment les religions, et il faut écarter, telle une chimère, leur autre affirmation, celle d'un royaume de Dieu ou d'un royaume des parfaits sur la terre. Nous ne pouvons poursuivre ou réaliser en ce monde qu'une préparation ou qu'une victoire intérieures et, ayant libéré le mental, la vie et l'âme au-dedans, nous devons nous détourner du principe matériel qui n'a pas été conquis et ne peut l'être, d'une terre réfractaire et non régénérée, pour trouver ailleurs notre substance divine. Il n'y a, cependant, aucune raison pour que nous acceptions cette conclusion réductrice. Il existe très certainement d'autres états, et des états de la Matière elle-même; il existe sans aucun doute une série ascendante de degrés divins de la substance ; l'être matériel a la possibilité de se transfigurer en acceptant une loi supérieure à la sienne, qui pourtant lui est propre, car elle est toujours présente, latente et potentielle, dans le secret de son être.
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Il existe un moi dont l'essence est Matière; il existe un autre moi intérieur de Vie, qui emplit le premier ; il existe un autre moi intérieur de Mental; un autre moi intérieur de Connaissance-de-Vérité; un autre moi intérieur de Béatitude.
Taittirîya Upanishad. II. 1-5.
Ils escaladent Indra comme une échelle. A mesure que l'on s'élève de pic en pic, apparaît clairement tout ce qui reste à accomplir, Indra apporte la conscience que Cela est le but.
Tel un faucon, tel un milan. Il se fixe sur le Vaisseau et le soutient ; dans le flot de Son mouvement Il découvre les Rayons, car Il va portant ses armes ; Il s'attache à la houle océanique des eaux ; grand roi, Il proclame le quatrième état. Tel un mortel purifiant son corps, tel un destrier galopant à la conquête des richesses, lançant son appel Il se déverse à travers toute l'enveloppe et pénètre en ces vaisseaux.
Rig-Véda. 1.10.1,2; IX. 96.19, 20.
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Si nous considérons ce qui, pour nous, représente le mieux la matérialité de la Matière, nous verrons que ce sont ses aspects de solidité, de tangibilité, de résistance croissante, de ferme réponse au contact des sens. La substance paraît d'autant plus véritablement matérielle et réelle qu'elle nous oppose une résistance tenace et, du fait de cette résistance, présente une forme sensible permanente sur laquelle notre conscience peut se fixer; elle nous semble moins matérielle à mesure qu'elle se fait plus subtile, que sa résistance perd de sa densité et que les sens peuvent la saisir de façon moins permanente. Cette attitude de la conscience ordinaire vis-à-vis de la Matière est un symbole de l'objet essentiel pour lequel la Matière a été créée. La substance passe à l'état matériel afin de pouvoir offrir, à la conscience qui doit entrer en rapport avec elle, des images durables, fermement saisissables, sur lesquelles le mental puisse s'appuyer pour fonder ses opérations, et où la Vie puisse trouver, dans la forme qu'elle façonne, une relative garantie de permanence. C'est pourquoi, dans l'ancienne formule védique, la Terre, typique des états plus solides de la substance, est le terme symbolique reconnu désignant le principe matériel. C'est pourquoi, également, le toucher ou contact est pour nous le fondement primordial des sens ; tous les autres sens physiques, le goût, l'odorat, l'ouïe, la vue, reposent sur une série de contacts de plus en plus subtils et indirects entre le sujet qui perçoit et l'objet perçu. Nous voyons également, dans la classification sânkhyienne des cinq états élémentaires de la substance, depuis l'éther jusqu'à la terre, que leur caractéristique est une progression constante du plus subtil au moins subtil, en sorte qu'au sommet se trouvent les vibrations subtiles de la condition élémentaire éthérique, et à la base la densité plus grossière de la condition élémentaire terrestre ou solide. La Matière est donc la dernière étape connue dans la progression de la substance pure vers une base de relation cosmique
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où le premier terme sera, non point l'Esprit mais la forme, et la forme au plus haut degré possible de sa concentration, de sa résistance, de son image brute permanente, de l'impénétrabilité mutuelle de la forme et de l'Esprit — point culminant de la distinction, de la séparation et de la division. Telle est l'intention, tel est le caractère de l'univers matériel; c'est la formule de la divisibilité accomplie.
Et si, comme le veut la nature même des choses, il existe une série ascendante dans l'échelle de la substance reliant la Matière à l'Esprit, elle doit être marquée par une diminution progressive des propriétés les plus caractéristiques du principe physique et par une augmentation progressive des caractères opposés qui nous conduiront à la formule de la pure extension spirituelle. Autrement dit, ces propriétés doivent être marquées par un asservissement de plus en plus réduit à la forme, par une subtilité et une flexibilité croissantes de la substance et de la force, et par une fusion, une interpénétration, un pouvoir d'assimilation, d'échange, de variation, de transmutation, d'unification toujours plus grands. En nous éloignant de la durabilité de la forme, nous nous rapprochons de l'éternité de l'essence; en nous éloignant de notre équilibre dans la séparation et la résistance persistantes de la Matière physique, nous nous rapprochons du suprême équilibre divin dans l'infinité, l'unité et l'indivisibilité de l'Esprit. Telle doit être l'antinomie fondamentale entre la substance grossière et la pure substance spirituelle. Dans la Matière, Chit, la Force-Consciente, se condense de plus en plus pour résister à d'autres masses de la Force-Consciente, et s'affirmer; dans la substance de l'Esprit, la pure conscience se représente librement dans sa perception de soi avec une indivisibilité essentielle et un constant échange unificateur comme formule de base, qui s'applique même au jeu le plus diversifiant de sa Force. Entre ces deux pôles, une gradation infinie est possible.
Ces considérations revêtent une grande importance lorsque nous envisageons la possibilité d'une relation entre la vie divine et le mental divin d'une âme humaine ayant atteint à sa perfection, et ce corps très grossier et apparemment non divin, formule de l'être physique, où nous sommes actuellement établis. Cette formule est le résultat d'une certaine relation fixe entre les sens et la substance, qui est à l'origine de l'univers matériel. Cependant cette formule, tout comme cette relation,
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n'est pas la seule possible. La vie et le mental peuvent se manifester dans un autre type de relation avec la substance et élaborer des lois physiques différentes, d'autres habitudes d'un caractère supérieur, voire une substance corporelle différente, avec un jeu plus libre des sens, de la vie et du mental. Mort, division, résistance, exclusion mutuelles entre les masses incarnées de la même force-de-vie consciente, constituent la formule de notre existence physique ; l'étroite limitation de l'activité des sens, le déterminisme qui agit dans un petit cercle du champ, la durée et le pouvoir des opérations de la vie, l'obscurcissement, le mouvement boiteux, le fonctionnement brisé ou borné du mental, forment le joug que cette formule exprimée dans le corps animal a imposé aux principes supérieurs. Mais ces choses ne constituent pas le seul rythme possible de la Nature cosmique. Il y a des états supérieurs, il y a des mondes plus élevés, et si, par un progrès quelconque, par une libération permettant à notre substance d'échapper à ses imperfections actuelles, on réussit à imposer la loi de ces mondes à la forme, à l'instrument sensible qu'est notre être, alors, même en ce monde, peut s'élaborer le fonctionnement physique d'un mental et de sens divins, un fonctionnement physique de la vie divine dans le corps humain, et il est même possible qu'évolue sur la terre ce que nous pourrions appeler un corps divinement humain. On peut envisager qu'un jour, même le corps de l'homme sera transfiguré, et que la Terre-Mère révélera en nous sa divinité.
Il y a, jusque dans la formule du cosmos physique, une série ascendante de l'échelle de la Matière qui nous conduit du plus dense au moins dense, du moins subtil au plus subtil. Lorsque nous atteignons le plus haut degré de cette série, la subtilité la plus supra-éthérée de la substance matérielle, de la formulation de la Force, qu'est-ce qui s'étend au-delà ? Ni le Néant, ni le vide ; car il n'existe rien qui ressemble à un vide absolu ou à une réelle nullité, et ce que nous appelons ainsi est simplement quelque chose que nos sens, notre mental ou notre conscience la plus subtile ne peuvent saisir. Il n'est pas vrai non plus qu'il n'y ait rien au-delà, ou que quelque substance éthérée de la Matière soit l'éternel commencement; car nous savons que la Matière et la Force matérielle ne sont qu'un ultime résultat d'une Substance et d'une Force pures où la conscience est lumineusement consciente d'elle-même et se possède au lieu de se perdre, comme dans la Matière, en un sommeil inconscient et un mouvement inerte. Qu'y a-t-il donc entre cette substance matérielle et cette pure substance? Car nous ne sautons pas de
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l'une à l'autre, nous ne passons pas d'un seul coup de l'inconscient à la conscience absolue. Il doit y avoir, et il y a effectivement des degrés entre la substance inconsciente et l'extension parfaitement consciente de soi, comme entre le principe de la Matière et le principe de l'Esprit.
Tous ceux qui ont si peu que ce soit sondé ces abîmes témoignent qu'il existe une série de formulations de plus en plus subtiles de la substance qui échappent à la formule de l'univers matériel et la dépassent. Sans approfondir ces questions, trop occultes et difficiles pour la présente étude, nous pouvons dire, conformément à notre théorie de base, que ces degrés de la substance, sous un aspect important de leur formulation graduée, correspondent visiblement à la série ascendante Matière, Vie, Mental, Supramental, et à cette autre triplicité, supérieure et divine, qu'est Satchidânanda. En d'autres termes, nous constatons que cette substance se fonde, en son ascension, sur chacun de ces principes et se fait tour à tour le véhicule caractéristique de l'expression de soi cosmique dominante de chacun en leur série ascendante.
Ici, dans le monde matériel, tout est fondé sur la formule de la substance matérielle. Les Sens, la Vie, la Pensée se fondent sur ce que les anciens appelaient le Pouvoir-de-la-Terre ; ils sont issus de lui, obéissent à ses lois, accordent leurs opérations à ce principe fondamental, se laissent limiter par ses possibilités, et s'ils veulent en développer d'autres, ils doivent, même au cours de ce développement, tenir compte de la formule originelle, de son dessein et de ce qu'elle exige de l'évolution divine. Les sens fonctionnent par l'intermédiaire d'instruments physiques, la vie par un système nerveux physique et des organes vitaux physiques, le mental doit édifier ses opérations sur une base corporelle et se servir d'instruments matériels, et même ses pures opérations mentales doivent prendre les données ainsi obtenues comme champ d'action et comme matériau. Or, rien dans la nature essentielle du mental, des sens et de la vie n'impose une telle limitation, car les organes sensoriels physiques ne sont pas les créateurs des perceptions sensorielles, mais eux-mêmes la création, les instruments et, en ce monde, un intermédiaire nécessaire des sens cosmiques ; le système nerveux et les organes vitaux ne sont pas les créateurs de l'action et des réactions de la vie, mais eux-mêmes la création, les instruments et, en ce monde, les intermédiaires nécessaires de la force de Vie cosmique ; le cerveau n'est pas le créateur de la pensée, mais lui-même la création, l'instrument et, en ce monde, l'intermédiaire
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nécessaire du Mental cosmique. La nécessité n'est donc pas absolue, mais téléologique ; elle est le résultat d'une divine Volonté cosmique dans l'univers matériel qui veut affirmer ici une relation physique entre les sens et leur objet, établit une formule et une loi matérielles de la Force-Consciente et s'en sert pour créer des images physiques de l'Être-Conscient qui soient le fait initial, dominant et déterminant du monde où nous vivons. Ce n'est pas une loi d'être fondamentale, mais un principe constructeur rendu nécessaire par l'intention de l'Esprit, par sa volonté d'évoluer dans un monde de Matière.
Au degré suivant de la substance, le fait initial, dominant, déterminant, n'est plus la forme et la force substantielles, mais la vie et le désir conscient. Le monde au-delà de ce plan matériel doit donc être un monde fondé sur une Énergie vitale cosmique consciente, un pouvoir de recherche vitale et une force de Désir, ainsi que sur leur expression propre, et non point sur une volonté inconsciente ou subconsciente revêtant la forme d'une force et d'une énergie matérielles. Toutes les formes, tous les corps, toutes les forces, tous les mouvements de vie, de sensation, de pensée, tous les développements et les plus hautes réalisations, tous les accomplissements de soi en ce monde, sont obligatoirement dominés et déterminés par ce fait initial de la Vie-Consciente à laquelle la Matière et le Mental doivent se soumettre ; c'est leur point de départ, leur base, et ils sont limités — ou exaltés — par ses lois, ses pouvoirs, ses capacités, ses limitations. Et si le Mental cherche à y développer des possibilités plus hautes encore, il n'en doit pas moins, lui aussi, tenir compte de la formule vitale originelle de la force-de-désir, de son dessein et de ce qu'elle exige de la manifestation divine.
Il en va de même pour les gradations supérieures. La suivante, dans la série, est gouvernée par le facteur dominant et déterminant du Mental. La substance doit y être assez subtile et souple pour prendre les formes que lui impose directement le Mental, pour obéir à ses opérations et se soumettre à ce qu'il exige pour s'exprimer et se réaliser lui-même. Les rapports entre sens et substance doivent eux aussi avoir une subtilité et une souplesse correspondantes et être déterminés, non par les rapports entre l'organe physique et l'objet physique, mais par ceux du Mental avec la substance plus subtile sur laquelle il agit. Dans un tel monde, la sujétion de la vie au Mental assumerait une signification que nos faibles opérations mentales et nos facultés vitales limitées, grossières
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et rebelles ne peuvent se représenter de façon adéquate. Là, c'est le Mental qui domine, il est la formule originelle, son dessein prévaut, son exigence l'emporte sur toutes les autres dans la loi de la manifestation divine. À un niveau encore plus élevé, le Supramental — ou, sur un plan intermédiaire, les principes qu'il influence —, et plus haut encore, la pure Béatitude, le pur Pouvoir Conscient ou Être pur, remplacent le Mental comme principe dominant, et nous pénétrons alors dans ces domaines d'existence cosmique qui, pour les anciens voyants védiques, étaient les mondes d'existence divine illuminée et le fondement de ce qu'ils nommaient Immortalité et que, plus tard, les religions indiennes représentèrent par le Brahmaloka ou Goloka, une suprême expression de soi de l'Être en tant qu'Esprit où l'âme libérée en sa plus haute perfection possède l'infinité et la béatitude de l'éternelle Divinité.
Le principe qui sous-tend cette expérience et cette vision toujours ascendantes, soulevées par-delà la formulation matérielle des choses, est que toute existence cosmique est une harmonie complexe et ne se borne pas à l'étroit champ de conscience où la vie et le mental humains ordinaires acceptent d'être emprisonnés. L'être, la conscience, la force, la substance descendent et montent une échelle aux nombreux degrés, et à chaque degré l'être s'étend plus largement, la conscience possède un sens plus vaste de son propre domaine, de son ampleur et de sa joie, la force une plus grande intensité, une capacité plus vive et plus allègre, où la substance exprime sa réalité première de façon plus subtile, plastique, souple, 'aérienne. Car le plus subtil est aussi le plus puissant — le plus réellement concret, pourrait-on dire; il est moins enchaîné que le grossier, son être est plus permanent, son devenir plus riche de possibilités, plus plastique, plus étendu. À chaque plateau de la montagne de l'être, notre expérience qui s'élargit accède à un plan supérieur de notre conscience, et notre existence à un monde plus riche.
Mais comment cette série ascendante affecte-t-elle les possibilités de notre existence matérielle ? Elle ne les affecterait en rien si chaque plan de conscience, chaque monde d'existence, chaque niveau de la substance, chaque degré de la force cosmique, étaient entièrement coupés de ce qui précède et de ce qui suit. Mais c'est le contraire qui est vrai; la manifestation de l'Esprit est une trame complexe, et dans le motif et le dessein d'un principe tous les autres principes s'intègrent comme éléments de l'ensemble spirituel. Notre monde matériel est le
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résultat de tous les autres, car les autres principes sont tous descendus dans la Matière pour créer l'univers physique, et chaque particule de ce que nous appelons Matière les contient tous implicitement; leur action secrète, nous l'avons vu, est involuée en chaque moment de son existence et chaque mouvement de son activité. Et de même que la Matière est le dernier mot de la descente, de même est-elle aussi le premier de la montée; de même que les pouvoirs de tous ces plans, mondes, niveaux, degrés sont involués dans l'existence matérielle, de même sont-ils tous capables d'en évoluer. C'est pour cette raison que l'être matériel ne commence ni ne finit par des gaz, des composés chimiques, des forces et des mouvements physiques, des nébuleuses, des soleils et des terres, mais qu'il évolue et manifeste la vie, le mental et finira nécessairement par manifester le supramental et les degrés supérieurs de l'existence spirituelle. L'évolution naît d'une pression incessante des plans supra-matériels sur le plan matériel, l'obligeant à délivrer leurs principes et leurs pouvoirs qui, autrement, seraient restés endormis, emprisonnés dans la rigidité de la formule matérielle. Cela est concevable, encore qu'improbable, puisque leur présence sur le plan matériel suppose une finalité libératrice; néanmoins, cette nécessité inférieure est en fait puissamment soutenue par une pression supérieure de même nature.
Cette évolution ne saurait non plus s'achever avec la première formulation rudimentaire de la vie, du mental, du supramental, de l'esprit que le pouvoir réticent de la Matière concède à ces pouvoirs supérieurs. Car à mesure qu'ils évoluent, à mesure qu'ils s'éveillent, qu'ils deviennent plus actifs et plus impatients de réaliser leurs propres potentialités, la pression qu'exercent sur eux les plans supérieurs, pression involuée dans l'existence même des mondes, dans leur étroite relation et leur interdépendance, doit elle aussi devenir plus insistante, plus puissante, plus efficace. Ces pouvoirs ne doivent pas seulement se manifester d'en bas, en une émergence restreinte et diminuée, mais également descendre des plans supérieurs jusque dans l'être matériel, chargés de leur propre pouvoir, et s'y épanouir autant que cela leur est possible; la créature matérielle doit s'ouvrir à un jeu de plus en plus vaste de leurs activités dans la Matière; il n'est besoin que d'un réceptacle, d'un intermédiaire, d'un instrument adéquats. Le corps, la vie et la conscience de l'homme remplissent ces conditions.
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Certes, si ce corps, cette vie et cette conscience se bornaient aux possibilités du corps grossier — les seules qu'acceptent nos sens et notre mentalité physiques —, l'avenir de cette évolution serait fort limité, et l'être humain ne pourrait espérer réaliser rien de fondamentalement supérieur à ses accomplissements actuels. Mais, comme l'antique science occulte l'avait découvert, ce corps n'est pas même la totalité de notre être physique ; cette densité grossière ne constitue pas toute notre substance. La plus ancienne connaissance védântique parle de cinq degrés de notre être : le matériel, le vital, le mental, l'idéal, le spirituel ou béatifique ; à chacun de ces degrés de notre âme correspond un degré de notre substance, une enveloppe comme on l'appelait autrefois de façon imagée. Plus tard, la psychologie védântique découvrit que ces cinq enveloppes de notre substance sont le matériau de trois corps, le corps physique grossier, le corps subtil et le corps causal, et que l'âme réside en tous, concrètement et simultanément, bien qu'ici et maintenant nous ne soyons superficiellement conscients que du véhicule matériel. Mais nous pouvons devenir conscients dans nos autres corps également, et, à vrai dire, l'ouverture du voile qui les sépare et sépare donc nos personnalités physique, psychique et idéale, est la cause de ces phénomènes " psychiques " et " occultes " que l'on commence à étudier de plus près, bien que de façon encore trop insuffisante et maladroite (on ne se prive pourtant pas de les exploiter exagérément). Les anciens hathayogis et tantriques de l'Inde avaient depuis longtemps donné une dimension scientifique à ce problème de la vie et du corps humains supérieurs. Dans le corps grossier, ils avaient distingué six centres vitaux nerveux correspondant à six centres de vie et de faculté mentale dans le corps subtil, et ils avaient conçu des exercices physiques subtils permettant d'ouvrir ces centres actuellement fermés; ainsi l'homme pouvait-il accéder à la vie supraphysique supérieure propre à notre existence subtile, et même détruire ce qui, dans le physique et le vital, fait obstacle à l'expérience de l'être idéal et spirituel. Il est significatif qu'un des principaux résultats que les hathayogis affirmaient obtenir par leurs pratiques et qui, à maints égards, a été vérifié, est la maîtrise de la force vitale physique qui les affranchissait de certaines habitudes ordinaires, ces soi-disant lois que la science physique croit inséparables de la vie corporelle.
Derrière tous ces termes de l'ancienne science psycho-physique, se trouvent le grand fait et la grande loi de notre être : quel que soit l'équilibre temporaire que sa forme, sa conscience et son pouvoir ont
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acquis dans cette évolution matérielle, il doit y avoir par-derrière, et il y a en effet, une existence plus vaste et plus vraie dont celle-ci n'est que le résultat extérieur et l'aspect physiquement sensible. Notre substance ne prend pas fin avec le corps physique; elle n'est que le piédestal, la base terrestre, le point de départ matériel. De même qu'il y a derrière notre mentalité de veille de plus vastes domaines de conscience qui, par rapport à elle, sont subconscients ou supraconscients et dont nous devenons parfois conscients dans certains états paranormaux, de même y a-t-il derrière notre être physique grossier d'autres degrés de substance plus subtils ; leur loi plus pure et leur pouvoir supérieur soutiennent le corps grossier, et si nous pénétrons dans leurs propres domaines de conscience, nous pouvons obtenir d'eux qu'ils imposent cette loi et ce pouvoir à notre matière dense, et substituent leurs états d'être plus purs, plus élevés, plus intenses à notre vie, à nos impulsions et nos habitudes physiques actuelles, frustes et limitées. S'il en est ainsi, l'évolution d'une existence physique plus haute — que ne limitent pas les conditions ordinaires de la naissance, de la vie et de la mort animales, les difficultés de l'alimentation, le déséquilibre et la maladie, auxquels nous succombons si facilement, et la sujétion à des appétits vitaux mesquins et toujours insatisfaits — ne nous apparaît plus comme un rêve et une chimère, mais devient une possibilité fondée sur une vérité rationnelle et philosophique en accord avec tout ce que nous avons jusqu'à présent connu, expérimenté et conçu de la vérité manifeste ou secrète de notre existence.
Rationnellement, il devrait en être ainsi; car la série ininterrompue des principes de notre être et leur étroite relation mutuelle sont trop évidentes pour qu'aucun d'entre eux puisse être condamné et retranché, tandis que les autres seraient capables d'une libération divine. L'ascension de l'homme depuis le physique jusqu'au supramental doit ouvrir la voie à une ascension correspondante dans les degrés de la substance, jusqu'à ce corps idéal ou causal propre à notre être supramental ; et la conquête des principes inférieurs par le supramental, qui permet leur libération dans une vie divine et un mental divin, doit également rendre possible une conquête de nos limitations physiques par le pouvoir et le principe de la substance supramentale. Et cela signifie l'évolution non seulement d'une conscience désentravée, d'un mental et de sens qui ne soient pas enfermés entre les murs de l'ego physique ou limités à la maigre base de connaissance fournie par les organes
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sensoriels physiques, mais un pouvoir de vie de plus en plus affranchi de ses limitations mortelles, une vie physique digne d'un habitant divin. Mais cela ne veut pas dire que nous serons attachés ou réduits à notre structure corporelle présente : ce serait un dépassement de la loi du corps physique — la conquête de la mort, une immortalité terrestre. Car de la Béatitude divine, de la Joie d'être originelle, le Seigneur de l'Immortalité vient, versant le vin de cette Béatitude, le Soma mystique, dans ces jarres de vivante matière mentalisée; éternel et radieux, il pénètre en ces enveloppes de substance pour la transformation intégrale de l'être et de la nature.
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Dans l'ignorance de mon mental, je demande : que sont ces marches des dieux qui sont établies au-dedans? Les Dieux omniscients ont pris l'Enfant d'un an, et ils ont tissé autour de lui sept fils pour façonner cette trame.
Rig-Véda. 1.164.5.
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Notre examen des sept grands termes de l'existence que les anciens voyants ont définis comme le fondement et le septuple mode de toute l'existence cosmique, nous a permis de distinguer les degrés de l'évolution et de l'involution, et nous sommes parvenus à la base de connaissance que nous recherchions. Nous avons établi que l'origine, le réceptacle, la réalité initiale et ultime de tout ce qui existe dans le cosmos est le triple principe d'Existence-Conscience-Béatitude transcendant et infini qui constitue la nature de l'être divin. La Conscience a deux aspects — illuminateur et réalisateur, état et pouvoir de conscience intrinsèque, état et pouvoir de force intrinsèque —, par lesquels l'Être se possède, dans son état statique comme dans son mouvement dynamique ; car en son action créatrice, il connaît, par une conscience de soi omnipotente, tout ce qui est latent en lui et il engendre et gouverne l'univers de ses potentialités par sa propre énergie omnisciente. Le nœud de cette action créatrice du Tout-Existant se trouve dans le quatrième principe, le principe intermédiaire du Supramental ou Idée-Réelle, où une Connaissance divine, une avec l'existence en soi, la conscience de soi et une Volonté substantielle en parfaite harmonie avec cette Connaissance — car elle est elle-même, en sa substance et sa nature, cette existence en soi consciente de soi, dynamique en son action illuminée — développe infailliblement le mouvement, la forme et la loi des choses, conformément à leur Vérité existante en soi et en harmonie avec les significations de sa propre manifestation.
La création dépend de ce double principe d'unité et de multiplicité entre lesquelles elle se meut; c'est une multiplicité d'idées, de forces et de formes qui exprime une unité originelle, et c'est une éternelle unité qui est le fondement et la réalité des mondes multiples et rend leur jeu possible. Le Supramental procède donc par une double faculté de connaissance, compréhensive et appréhensive ; passant de
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l'unité, essentielle à la multiplicité résultante; il comprend toutes choses en lui-même comme lui-même, comme l'Un en ses multiples aspects et il appréhende séparément toutes choses en lui-même comme objets de sa volonté et de sa connaissance. Pour sa conscience de soi originelle, toutes choses sont un seul être, une seule conscience, une seule volonté, un seul délice intrinsèque et tout le mouvement des choses un mouvement unique et indivisible, alors que dans son action, le Supramental passe de l'unité à la multiplicité et de la multiplicité à l'unité, créant entre elles une relation ordonnée et une division apparente, mais non impérativement réelle, une subtile division qui ne sépare point, ou plutôt une délimitation et une détermination dans l'indivisible. Le Supramental est la Gnose divine qui crée, gouverne et soutient les mondes : c'est la Sagesse secrète sur quoi reposent à la fois notre Connaissance et notre Ignorance.
Nous avons également découvert que le Mental, la Vie et la Matière sont un triple aspect de ces principes supérieurs qui, dans le cadre de notre univers, sont soumis dans leur action au principe d'Ignorance, l'Un s'étant oublié lui-même, en apparence et en surface, dans son jeu de division et de multiplicité. En réalité, ces trois pouvoirs ne sont que les pouvoirs subordonnés du quaternaire divin : le Mental est un pouvoir subordonné du Supramental qui s'appuie sur une vision séparative, oublieux en fait de l'unité sous-jacente bien qu'il puisse y retourner par une réillumination provenant du Supramental ; de même, la Vie est un pouvoir subordonné de l'aspect d'énergie de Satchidânanda, c'est la Force élaborant la forme et le jeu de l'énergie consciente à partir de cette vision séparative que crée le Mental; la Matière est la forme de la substance d'être que revêt l'existence de Satchidânanda lorsqu'il se soumet à l'action phénoménale de sa conscience et de sa force inhérentes.
Il y a, en outre, un quatrième principe qui se manifeste derrière ce noeud du mental, de la vie et du corps, et que nous appelons âme ; mais celle-ci revêt une double apparence : au premier plan, l'âme de désir qui lutte pour posséder les choses et en jouir et, à l'arrière-plan — largement ou entièrement dissimulée par l'âme de désir —, l'entité psychique réelle qui est le véritable réceptacle des expériences de l'esprit. Et nous en avons conclu que ce quatrième principe humain est une projection et une action du troisième principe divin, qui est la Béatitude infinie, mais une action selon les modalités de notre conscience et les conditions de
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l'évolution de l'âme, en ce monde; De même que l'existence du Divin est par nature une conscience infinie et le pouvoir inhérent de cette conscience, de même la nature de cette conscience infinie est-elle pure et infinie Béatitude; la possession de soi et la conscience de soi sont l'essence de sa propre félicité. Le cosmos est lui aussi un jeu de cette félicité divine, et le ravissement de ce jeu, l'Universel le possède entièrement; mais en l'individu, du fait de l'action de l'ignorance et de la division, il est retenu dans l'être subliminal et dans le supraconscient ; à la surface, il est absent et on doit le chercher, le trouver et le posséder en développant la conscience individuelle pour qu'elle atteigne à l'universalité et à la transcendance.
Nous pourrions donc poser huit¹ principes au lieu de sept; et nous percevons alors que notre existence est, en quelque sorte, une réfraction de l'existence divine, l'ascension se faisant dans l'ordre inverse de celui de la descente, selon la gradation suivante :
Existence Conscience-Force Béatitude Supramental Matière Vie Psyché Mental
Existence
Conscience-Force
Béatitude
Supramental
Matière
Vie
Psyché
Mental
Grâce au jeu de la Conscience-Force, de la Béatitude et de l'intermédiaire créateur qu'est le Supramental, le Divin descend de l'existence pure dans l'être cosmique ; grâce à une vie, une âme et un mental qui se développent, et grâce à l'intermédiaire illuminateur qu'est le Supramental, nous nous élevons de la Matière vers l'être divin. Les deux hémisphères,² inférieur et supérieur, se joignent au point de rencontre du mental et du Supramental, qu'un voile sépare encore. Déchirer ce voile est la condition de la vie divine dans l'humanité; car par cette déchirure, et par la descente illuminatrice de l'être supérieur dans la nature de l'être inférieur et la puissante ascension de l'être inférieur vers la nature de l'être supérieur, le mental recouvre sa lumière divine dans le Supramental qui embrasse tout, l'âme réalise son moi divin dans l'Ânanda qui possède tout, et qui est toute-Béatitude; la vie reprend possession de son pouvoir divin dans le jeu de la Force-Consciente
¹Les Voyants védiques parlent des sept Rayons, mais aussi de huit, neuf, dix ou douze.
²Parârdha et Aparârdha.
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toute-puissante, et la Matière s'ouvre à sa divine liberté comme à une forme de l'Existence divine. Et si l'évolution, qui trouve ici et maintenant en l'être humain son couronnement et son souverain, a un but, autre que cette ronde sans fin et sans raison d'où s'échappent quelques individus, si l'infinie possibilité de cette créature, la seule en ce monde à se tenir entre l'Esprit et la Matière comme pouvoir médiateur, a un sens, autre qu'un éveil final l'arrachant à l'illusion de la vie et provoqué par le désespoir et le dégoût de l'effort cosmique et par son rejet complet, alors cette transfiguration et cette émergence lumineuses et puissantes du Divin dans la créature doivent être ce but élevé et cette suprême signification.
Mais avant de pouvoir aborder les conditions psychologiques et pratiques de cette transfiguration, grâce auxquelles cette possibilité essentielle se changerait en un pouvoir dynamique, nous avons bien des choses à considérer; car il nous faut discerner non seulement les principes fondamentaux de la descente de Satchidânanda dans l'existence cosmique, ce que nous avons déjà fait, mais le vaste plan de son organisation ici-bas, et la nature et l'action du pouvoir manifesté de la Force-Consciente qui détermine les conditions de notre existence actuelle. Pour le moment, ce que nous devons voir en premier lieu, c'est que les sept ou huit principes que nous avons examinés sont essentiels à toute création cosmique et, manifestés ou non, sont déjà présents en nous, en cet " Enfant d'un an " que nous sommes encore — car nous sommes fort loin d'être les adultes de la Nature évolutive. La Trinité supérieure est la source et la base de toute existence et de tout jeu de l'existence, et tout cosmos doit être une expression et une action de sa réalité essentielle. Aucun univers ne peut être simplement une forme d'être qui aurait jailli et se serait dessinée dans une nullité et un vide absolus, et qui se détacherait sur une vacuité non existante. Ce doit être une représentation de l'existence dans l'Existence infinie qui dépasse toute représentation, ou il doit être lui-même la Toute-Existence. En fait, lorsque nous unifions notre moi avec l'être cosmique, nous voyons qu'il est ces deux choses en même temps; autrement dit, qu'il est le Tout-Existant se représentant en une série infinie de rythmes dans son extension conceptuelle de Soi comme Temps et comme Espace. Nous voyons en outre que cette action, ainsi que toute action cosmique, est impossible sans le jeu d'une Force d'Existence infinie qui produit et règle toutes ces formes et tous ces mouvements ; et cette Force présuppose également — cette Force est l'action d'une Conscience infinie, car
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elle est, en sa nature, une Volonté cosmique qui détermine toutes les relations et les appréhende selon son propre mode de conscience; or elle ne pourrait les déterminer, ni les appréhender ainsi, s'il n'y avait pas, derrière ce mode de conscience cosmique, une Conscience intégrale qui puisse engendrer aussi bien que maintenir, fixer et réfléchir, en cette conscience cosmique, les relations de l'Être dans ce développement croissant ou ce devenir de lui-même que nous appelons un univers.
Enfin, puisque la Conscience est omnisciente et omnipotente, qu'elle se possède elle-même entièrement et lumineusement, et puisque cette entière et lumineuse possession de soi est nécessairement et en sa nature même Béatitude, car elle ne peut rien être d'autre, alors goûter cette félicité en soi, vaste et universelle, doit être la cause, l'essence et l'objet de l'existence cosmique. " S'il n'y avait, embrassant tout, cet éther de la Joie d'être où nous demeurons, et si cette joie n'était pas notre éther, nul ne pourrait respirer, nul ne pourrait vivre",¹ dit l'ancien Voyant. Cette béatitude essentielle peut devenir subconsciente, être apparemment perdue à la surface ; cependant, non seulement elle doit être présente, à la racine de notre être, mais toute existence doit être essentiellement une recherche et un mouvement pour l'atteindre, la découvrir et la posséder ; et dans la mesure où la créature dans le cosmos se découvre elle-même dans la volonté et le pouvoir, dans la lumière et la connaissance, dans l'être et la vastitude, dans l'amour et la joie, elle doit s'éveiller à une première vague de cette secrète extase. La joie d'être, le délice de la réalisation par la connaissance, le ravissement de la possession par la volonté et le pouvoir ou par la force créatrice, l'extase de l'union dans l'amour et la joie, sont les plus hauts termes de la vie qui s'élargit, car ils sont l'essence de l'existence elle-même en ses racines cachées comme sur ses sommets encore inaperçus. Dès lors, où que se manifeste l'existence cosmique, ces trois principes doivent se trouver derrière elle et en elle.
Mais l'Existence, la Conscience et la Béatitude infinies n'auraient nul besoin de se projeter dans l'être apparent — ou, si elles le faisaient, ce ne serait pas l'être cosmique, mais simplement une infinité de représentations sans ordre ni relation fixes —, si elles ne contenaient ou ne développaient et ne faisaient émerger d'elles-mêmes ce quatrième terme
¹Taittirîya Upanishad.
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qu'est le Supramental, la Gnose divine. En tout cosmos doit exister un pouvoir de Connaissance et de Volonté qui, à partir de la potentialité infinie, fixe des relations déterminées, tire le fruit de la semence, déroule les puissants rythmes de la Loi cosmique et contemple et gouverne les mondes dont il est le Voyant et le Souverain immortel et infini.¹ Ce pouvoir n'est rien autre, en fait, que Satchidânanda Lui-même; il ne crée rien qui ne soit en sa propre existence, et c'est pourquoi toute Loi cosmique véritable est imposée, non du dehors mais du dedans; tout développement est un développement de soi, toute semence est la semence d'une Vérité des choses, et tout résultat le produit de cette semence déterminé à partir de ses potentialités. Pour la même raison, nulle Loi n'est absolue, car seul l'infini est absolu, et toute chose contient en soi des potentialités infinies dépassant de beaucoup sa forme et son cours établis, qui ne sont déterminés que par une auto-limitation de l'Idée procédant d'une liberté intérieure infinie. Le pouvoir d'autolimitation est forcément inhérent au Tout-Existant illimité. L'Infini ne serait pas l'Infini s'il ne pouvait revêtir une multiple finitude ; l'Absolu ne serait pas l'Absolu si, en sa connaissance, son pouvoir, sa volonté et la manifestation de son être, lui était refusée une capacité illimitée d'auto-détermination. Ce Supramental est donc la Vérité ou Idée-Réelle, inhérente à toute force et à toute existence cosmiques; tout en demeurant infinie, elle est nécessaire pour déterminer, combiner et soutenir les rapports, l'ordre et les grandes lignes de la manifestation. Comme l'exprimaient les rishis védiques : de même que l'Existence, la Conscience et la Béatitude infinies sont les trois Noms suprêmes et cachés du Sans-Nom — ce Supramental est le quatrième Nom,² quatrième par rapport à Cela en sa descente, quatrième par rapport à nous en notre ascension.
Mais le Mental, la Vie et la Matière — la trilogie inférieure — sont également indispensables à tout être cosmique, non pas nécessairement sous la forme ou dans l'action et les conditions que nous connaissons sur terre ou dans cet univers matériel, mais dans un certain genre d'action, si lumineuse, puissante et subtile qu'elle puisse être. Car le Mental est essentiellement le pouvoir du Supramental qui mesure et limite, qui
¹Le Voyant, le Penseur, Celui qui partout est en devenir, l'Existant-en-soi (îshâ Upanishad, 8).
²Turîyam svid, " un Quatrième ", aussi appelé turîyam dhâma, la quatrième position ou le quatrième équilibre de l'existence.
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fixe un centré particulier et, de là, voit le mouvement cosmique et ses interactions. Même en admettant que, dans un monde, sur un plan ou selon un arrangement cosmique particuliers, le mental ne soit pas nécessairement limité, ou plutôt que l'être qui utilise le mental comme pouvoir subordonné ne soit pas incapable de voir les choses depuis d'autres centres ou selon d'autres points de vue — ou même depuis le Centre réel de tout ou dans la vastitude d'une expansion de soi universelle —, cependant, si cet être n'était pas capable de déterminer précisément sa position normale pour la réalisation de certains desseins de l'activité divine, s'il n'y avait qu'une expansion universelle, ou seulement des centres infinis dont aucun n'aurait d'action déterminante ou librement limitative, alors il n'y aurait pas de cosmos, mais seulement un Être plongé dans sa méditation infinie, tel un créateur ou un poète méditant librement, sans se préoccuper de la forme, avant de se mettre au travail déterminant de la création. Un tel état doit exister quelque part dans l'échelle infinie de l'existence, mais ce n'est pas ce que nous entendons par cosmos. Et si un certain ordre s'y manifeste, ce sera un ordre sans fixité ni contrainte, comme celui que le Supramental a pu élaborer avant d'entreprendre de définir les modalités du développement, de fixer les mesures et d'établir des rapports interactifs invariables. Le Mental est nécessaire à cette mesure et à cette interaction, bien qu'il lui suffise de se percevoir comme une action subordonnée du Supramental et n'ait pas besoin de développer ces rapports interactifs sur la base d'un égoïsme prisonnier de lui-même comme celui que nous voyons à l'œuvre dans la Nature terrestre.
Une fois que le Mental existe, la Vie et la Forme de la substance se manifestent à leur tour, car la vie n'est autre que la détermination de la force et de l'action, des rapports et de l'interaction de l'énergie à partir de centres de conscience multiples et fixes — fixes non pas nécessairement en un lieu ou dans le temps, mais dans une persistante coexistence d'êtres ou de formes d'âme de l'Éternel soutenant une harmonie cosmique. Cette vie serait peut être fort différente de la vie telle que nous la connaissons ou la concevons, mais essentiellement le principe à l'œuvre serait semblable à celui que nous voyons ici représenté sous forme de vitalité — principe auquel les anciens penseurs de l'Inde donnèrent le nom de Vâyu ou de Prâna, le matériau-de-vie, la volonté et l'énergie substantielles dans le cosmos qui élaborent une forme et une action déterminées et une consciente dynamis de l'être. La
substance, elle aussi, pourrait être très différente de ce que notre vision et notre sensation perçoivent comme un corps matériel; beaucoup plus subtile, elle serait dotée d'un principe d'auto-division et de résistance mutuelle beaucoup moins impérieux, et le corps, ou la forme, serait alors un instrument et non une prison ; cependant, une certaine détermination de la forme et de la substance resterait nécessaire à l'interaction cosmique, ne serait-ce qu'un corps mental ou quelque chose d'encore plus lumineux, subtil, puissamment et librement réceptif que le corps mental le plus libre.
Il s'ensuit que partout où se trouve un Cosmos — même si un seul principe est apparent à l'origine et paraît être l'unique principe des choses, et même si tout ce qui peut apparaître par la suite dans le monde semble n'être rien de plus que ses formes et ses résultats, nullement indispensables en eux-mêmes à l'existence cosmique —, ce front de l'être ne peut être qu'un masque ou qu'une apparence illusoire de sa vérité réelle. Là où un principe est manifesté dans le cosmos, tous les autres doivent non seulement être présents et passivement latents, mais secrètement à l'œuvre. Dans un monde donné, quel qu'il soit, l'échelle et l'harmonie de l'être peuvent être ouvertement en possession des sept principes, à un degré plus ou moins haut d'activité; dans un autre, ils peuvent être tous involués dans un seul qui devient le principe initial ou fondamental de l'évolution en ce monde-là, mais il doit y avoir évolution de ce qui est involué. L'évolution du septuple pouvoir d'être, la réalisation de son septuple Nom, doit être la destinée de tout monde qui commence apparemment par une involution de tous les pouvoirs en un seul.¹ Il était donc dans la nature des choses que l'univers matériel fît évoluer de sa vie cachée une vie apparente, de son mental caché un mental apparent, et il est également dans la nature des choses qu'il fasse évoluer de son Supramental caché le Supramental apparent et de l'Esprit celé en lui la triple gloire de Satchidânanda. La seule question est de savoir si la terre est destinée à être la scène de cette émergence ou si la création humaine sur cette scène, ou sur toute autre scène matérielle, dans ce cycle ou un autre des vastes révolutions du Temps, doit être son instrument et son véhicule. Les anciens voyants croyaient en cette possibilité pour l'homme, et la tenaient pour sa destinée divine; le
¹Il n'est pas nécessaire qu'en un monde donné il y ait involution; il suffit que les autres principes soient subordonnes à un seul ou inclus en un seul; l'évolution n'est pas une nécessité de cet ordre universel.
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penseur moderne ne la conçoit même pas ou, s'il la concevait, ce serait pour la nier ou la mettre en doute. S'il a une vision du Surhomme, c'est sous la forme de degrés supérieurs de mentalité ou de vitalité ; il n'admet aucune autre émergence, ne voit rien au-delà de ces principes, car ils ont tracé pour nous jusqu'à maintenant notre limite et notre cercle. Dans ce monde de progrès, chez cette créature humaine en laquelle a été allumée l'étincelle divine, il est probable que la vraie sagesse coexiste avec l'aspiration la plus haute plutôt qu'avec la négation de l'aspiration, ou avec un espoir qui se limite et s'enferme entre les murs étroits de la possibilité apparente, simple refuge intermédiaire où se poursuit notre formation. Dans l'ordre spirituel des choses, plus nous projetons haut notre vision et notre aspiration, plus grande est la Vérité qui cherche à descendre en nous, car elle y est déjà présente et demande à être délivrée du revêtement qui la dissimule dans la Nature manifestée.
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Le Supramental, le Mental et la Maya du Surmental
Il y a un Permanent, une Vérité cachée par une 'Vérité là où le Soleil dételle ses chevaux. Les dix centaines (de ses rayons) se sont rassemblées — c'est l'Un. J'ai vu la plus glorieuse parmi les formes des Dieux.
Rig-Véda. V. 62.1.
La face de la Vérité est cachée par un couvercle d'or; ôte-le, 6 Soleil nourricier, pour la Loi de la Vérité, pour la vision. ô Soleil, ô unique Voyant, ordonne tes rayons, rassemble-les — que je voie ta forme la plus heureuse entre toutes; cet Être Conscient et omniprésent, je suis Lui.
Îshâ Upanishad. Versets 15,16.
Le Vrai, le Juste; le Vaste.
Atharva Véda. XII. 1.1.
Il devint à la fois ,la vérité et le mensonge. Il devint la Vérité, et même tout ce qui est.
Taittirîya Upanishad. Il 6.
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Il reste à éclaircir un point que nous avons jusqu'à présent laissé dans l'ombre : comment la chute dans l'Ignorance s'est elle produite ? Car nous avons vu que rien, dans la nature originelle du Mental, de la Vie ou de la Matière, ne nécessite cette chute hors de la Connaissance. Certes, nous avons montré que la division de la conscience est la base de l'Ignorance ; la conscience individuelle se sépare de la conscience cosmique et transcendante dont elle fait néanmoins intimement partie, ces deux consciences étant inséparables en leur essence : le Mental se sépare de la Vérité supramentale dont il devrait être une action subordonnée; la Vie se sépare de la Force originelle dont elle est une forme d'énergie; la Matière se sépare de l'Existence originelle dont elle est une forme de substance. Mais nous devons encore préciser comment cette division s'est produite dans l'Indivisible, par quelle action particulière de diminution ou d'effacement de soi de la Conscience-Force dans l'Être; tout, en effet, étant un mouvement de cette Force, seule une action de ce genre, obscurcissant sa lumière et son pouvoir absolus, a pu susciter le phénomène dynamique et effectif de l'Ignorance. Mais nous attendrons, pour aborder cette question, d'avoir examiné à fond le phénomène duel de la Connaissance-Ignorance qui fait de notre conscience un mélange de lumière et d'obscurité, une demi-lumière entre le plein jour de la Vérité supramentale et la nuit de l'Inconscience matérielle. Il suffit pour le moment de noter qu'en son caractère essentiel ce doit être une concentration exclusive sur un seul mouvement et un seul état de l'Être conscient, qui met tout le reste de la conscience et de l'être à l'arrière-plan et le voile à la connaissance, maintenant partielle, de ce mouvement unique.
Il y a toutefois un aspect de ce problème qu'il faut immédiatement considérer ; c'est l'abîme qui s'est créé entre le Mental tel que nous le connaissons et la Conscience-de-Vérité supramentale dont le Mental,
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nous l'avons vu, est à l'origine un processus subordonné. Car cet abîme est immense, et s'il n'existe pas de gradations entre les deux niveaux de conscience, le passage de l'un à l'autre — soit dans l'involution descendante de l'Esprit dans la Matière, soit dans l'évolution correspondante, dans la Matière, des degrés cachés du retour à l'Esprit — paraît au plus haut point improbable, sinon impossible. Le Mental tel que nous le connaissons est, en effet, un pouvoir de l'Ignorance en quête de la Vérité ; dans cette découverte laborieuse et tâtonnante, il ne parvient qu'à des constructions et des représentations mentales — mots, idées, formations mentales, formations sensorielles — comme s'il ne pouvait rien réaliser d'autre que des photographies ou des films, clairs ou voilés, d'une distante Réalité. Le Supramental, au contraire, possède réellement et naturellement la Vérité, et ses formations sont des formes de la Réalité, non des constructions, des représentations ou des signes indicatifs. Certes, le Mental évolutif en nous, enfermé dans l'obscurité de cette vie et de ce corps, se trouve ainsi entravé, alors que le principe du Mental originel dans la descente involutive est un pouvoir supérieur que nous n'avons pas encore pleinement atteint, capable d'agir librement dans sa sphère ou son domaine, d'édifier des structures plus révélatrices, des formations plus minutieusement inspirées, des incarnations plus subtiles et significatives où la lumière de la Vérité soit présente et tangible. Il est cependant peu probable, là encore, que ce pouvoir soit essentiellement différent du Mental en son action caractéristique, car lai aussi est un mouvement dans l'Ignorance, et non un élément qui ne s'est pas encore séparé de la Conscience-de-Vérité. Il doit y avoir quelque part dans l'échelle descendante et ascendante de l'Être un pouvoir et un plan intermédiaires de conscience, peut-être quelque chose de plus que cela, quelque chose qui possède une force créatrice originelle, par quoi s'est effectuée la transition involutive du Mental dans la Connaissance au Mental dans l'Ignorance, et par quoi la transition évolutive inverse devient à son tour intelligible et possible. Pour la transition involutive, cette intervention est un impératif logique ; pour la transition évolutive, c'est une nécessité pratique. Car dans l'évolution, il y a effectivement des transitions radicales : de l'Énergie indéterminée à la Matière organisée, de la Matière inanimée à la Vie, d'une Vie subconsciente ou submentale à une Vie perceptive, sensible et agissante, de la mentalité animale primitive à un Mental qui conçoit et raisonne, observe et gouverne la vie et s'observe aussi lui-même, capable d'agir comme une entité indépendante; et même de chercher, consciemment à se transcender;
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mais ces bonds, même lorsqu'ils sont considérables, sont dans une certaine mesure préparés par de lentes gradations qui les rendent concevables et réalisables. Il ne peut y avoir un gouffre aussi immense que celui qui paraît exister entre la Conscience-de-Vérité supramentale et le mental dans l'Ignorance.
Mais s'il existe de telles gradations intermédiaires, il est clair qu'elles doivent être supraconscientes pour le mental humain qui, en son état normal, ne semble avoir aucun accès à ces degrés supérieurs de l'être. L'homme, en sa conscience, est limité par le mental, et même par un certain champ, une certaine échelle mentale: ce qui est au-dessous de son mental, submental, ou mental mais à un registre inférieur, lui semble aisément subconscient ou impossible à distinguer de l'inconscience totale; ce qui est au-dessus lui paraît supraconscient et il tend presque à le considérer comme un vide de conscience, comme une sorte de lumineuse Inconscience. Tout comme il est limité à une certaine gamme de sons ou de couleurs — ce qui se trouve au-delà ou en deçà étant pour lui inaudible ou invisible ou du moins indiscernable —, de même l'échelle de sa conscience mentale est-elle bornée, à chaque extrémité, par une incapacité qui marque sa limite supérieure et sa limite inférieure. Il ne dispose pas de moyens suffisants pour communiquer même avec l'animal, qui est son congénère mental, même s'il n'est pas son égal, et il ira jusqu'à nier que celui-ci possède un mental ou une véritable conscience, sous prétexte que ses modes sont différents et plus restreints que ceux auxquels il est accoutumé, en lui-même et chez ses semblables ; il peut observer de l'extérieur un être submental, mais ne peut aucunement communiquer avec lui ni pénétrer jusqu'au cœur de sa nature. Le supraconscient est également pour lui un livre fermé qui peut fort bien ne contenir que des pages blanches. À première vue, il semblerait donc que l'homme n'ait aucun moyen d'entrer en contact avec ces gradations supérieures de conscience, et, dans ce cas, elles ne peuvent servir de liens ou de ponts; son évolution doit s'arrêter au domaine mental qu'il a atteint, et ne peut le dépasser; en traçant ces limites, la Nature a écrit le mot " fin " sur son effort ascendant.
Mais si nous examinons les choses plus.attentivemettt.1.nous percevons que cette normalité est trompeuse et qu'il existe en fait plusieurs directions par lesquelles le mental humain outrepasse ses limites et tend à se dépasser ;ce sont précisément les lignes nécessaires de contact, les
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passages voilés ou à demi voilés qui le relient aux degrés supérieurs de conscience de l'Esprit qui se manifeste. Tout d'abord, nous avons noté la place qu'occupe l'Intuition parmi les moyens humains de connaissance. Dans sa nature même, elle est une projection dans le mental d'Ignorance de l'action caractéristique de ces degrés supérieurs. Il est vrai que son action dans le mental humain est largement cachée par les interventions de notre intelligence normale. L'intuition pure est un phénomène rare dans notre activité mentale, car ce que nous appelons de ce nom est d'habitude un point de connaissance directe immédiatement saisi et revêtu de substance mentale, si bien qu'il sert uniquement de noyau invisible ou infime à une cristallisation, intellectuelle dans son ensemble ou de caractère mental; ou bien, avant d'avoir une chance de se manifester, l'éclair de l'intuition est promptement remplacé ou intercepté par un vif mouvement mental imitateur, une pénétration ou une perception immédiate du mental, ou quelque bond de la pensée qui doit son apparition au stimulus de l'intuition qui approche, mais lui barre l'entrée ou la recouvre d'une suggestion mentale qu'elle lui substitue et qui, vraie ou fausse, n'est pas, en tout cas, le mouvement intuitif authentique. Néanmoins, cette intervention d'en haut et la présence, derrière toute pensée originale ou toute perception authentique des choses, d'un élément intuitif voilé ou à demi voilé, ou un instant dévoilé, suffit à établir un lien entre le mental et ce qui est au-dessus de lui; un passage s'ouvre ainsi, permettant de communiquer avec les domaines supérieurs de l'esprit, et d'y pénétrer. Il y a aussi l'effort du mental pour dépasser la limitation de l'ego personnel, pour voir les choses avec une certaine impersonnalité, une certaine universalité. Si l'impersonnalité est le caractère premier du moi cosmique, l'universalité, le fait de ne pas se limiter à un seul point de vue réducteur, est le caractère de la perception et de la connaissance cosmiques : cette tendance est donc un élargissement, si rudimentaire soit-il, de ces régions bornées du mental vers la cosmicité, vers une qualité qui est la marque des plans supérieurs du mental — vers ce Mental cosmique supraconscient qui, nous l'avons suggéré, doit être, dans la nature des choses, l'action mentale originelle dont la nôtre n'est qu'un dérivé et un processus inférieur. D'autre part, même dans nos limites mentales, cette pénétration d'en haut n'est pas entièrement absente. Les phénomènes du génie sont en réalité le résultat d'une telle pénétration — voilée sans doute, parce que la lumière de la conscience supérieure agit dans d'étroites limites, d'ordinaire dans un domaine particulier, sans aucune organisation distincte et méthodique
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de ses énergies caractéristiques, souvent en fait de façon très sporadique, intermittente, en souverain supranormal ou anormal irresponsable; de plus, en entrant dans le mental elle se soumet et s'adapte à sa substance, si bien que seule une dynamis modifiée ou diminuée nous parvient, et non la complète et divine luminosité originelle de ce que l'on pourrait appeler la conscience sur-mentale¹ au-delà. Néanmoins, les phénomènes que sont l'inspiration, la vision révélatrice ou la perception intuitive et le discernement intuitif existent, ils surpassant notre action mentale normale moins illuminée ou moins puissante, et l'on ne peut se méprendre sur leur origine. Enfin, il y a le vaste et multiple domaine de l'expérience mystique et spirituelle, où les portes s'ouvrent déjà toutes grandes sur la possibilité d'étendre notre conscience au-delà de ses limites actuelles — à moins, certes, qu'un obscurantisme refusant tout examen ou un attachement aux frontières de notre normalité mentale ne nous conduise à les refermer ou à nous détourner des perspectives qu'elles nous offrent. Mais dans notre présente recherche, nous ne pouvons nous permettre de négliger les possibilités que ces domaines de l'effort humain nous rendent plus accessibles, ni la connaissance accrue de nous-mêmes et de la Réalité voilée qu'ils offrent au mental humain, ni la lumière plus grande qui leur confère le droit d'agir sur nous et constitue le pouvoir inné de leur existence.
Il existe deux mouvements successifs de conscience qui, malgré leur difficulté, sont tout à fait en notre pouvoir et peuvent nous donner accès aux degrés Supérieurs de notre existence consciente. Il y a d'abord un mouvement vers l'intérieur par lequel, au lieu de vivre dans notre mental de surface, nous abattons le mur qui sépare notre moi extérieur de notre moi encore subliminal; cela peut être le résultat d'un effort et d'une discipline graduels ou d'une violente transition, parfois d'une rupture involontaire — cette dernière n'offrant aucune sécurité au mental humain limité, habitué à ne vivre à l'abri que dans ses limites habituelles ; mais de toute façon, sûre ou non, la chose peut être faite. Ce que nous découvrons dans cette partie secrète de nous-mêmes, c'est un être intérieur — une âme, un mental intérieur, une vie intérieure, une entité physique subtile intérieure — qui est beaucoup plus vaste en ses potentialités, .plus plastique, plus puissant, plus capable d'une connaissance et d'un
¹Nous avons traduit "overhead consciousness" par "conscience sur-mentale ", et " over-mental (ou overmind) consciousness" par "conscience surmentale"(N.d.t.)
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dynamisme multiples que notre mental, notre vie ou notre corps superficiels ; il peut notamment communiquer directement avec les forces, les mouvements, les objets universels du cosmos, les sentir et s'ouvrir à eux, agir directement sur eux, et même s'élargir au-delà des limites du mental personnel, de la vie personnelle et du corps, de sorte qu'il se perçoit de plus en plus comme un être universel qui n'est plus limité par les murs actuels de notre existence mentale, vitale et physique trop étroite. Cet élargissement peut même nous permettre d'entrer complètement dans la conscience du Mental cosmique, de devenir un avec la Vie universelle, voire avec la Matière universelle. Cependant, c'est encore une identification avec une vérité cosmique diminuée ou avec l'Ignorance cosmique.
Mais une fois que nous avons pénétré dans l'être intérieur, nous constatons que le Moi intérieur peut s'ouvrir et s'élever pour atteindre à des choses qui dépassent notre niveau mental actuel; telle est la seconde possibilité spirituelle qui est en nous. Le premier résultat, -et le plus courant, est la découverte d'un vaste Moi statique et silencieux que nous ressentons comme notre existence réelle ou fondamentale, la base de tout le reste de notre être. Il peut même y avoir une abolition, un Nirvana, à la fois de notre être actif et du sens de notre moi, en une Réalité indéfinissable et inexprimable. Toutefois, nous pouvons aussi réaliser que ce moi n'est pas seulement notre être spirituel, mais le vrai moi de tous les autres ; il se présente alors comme la vérité fondamentale de l'existence cosmique. Il est possible de demeurer dans un Nirvana de toute individualité, de s'arrêter à une réalisation statique ou, considérant le mouvement cosmique comme un jeu superficiel ou une illusion imposée au Moi silencieux, de passer en quelque état suprême, immobile et immuable par-delà l'univers. Mais une autre ligne, moins négative, d'expérience supranormale s'offre également à nous; il se produit en effet une large descente dynamique de lumière, de connaissance, de pouvoir, de béatitude ou d'autres énergies supranormales dans notre moi de silence, et nous pouvons aussi nous élever dans des régions supérieures de l'Esprit où son état d'immobilité est la base de ces grandes et lumineuses énergies. Dans les deux cas, il est évident que nous nous sommes élevés, par-delà le mental d'Ignorance, dans un état spirituel ; mais dans le mouvement dynamique, il en résulte une action plus vaste de la Conscience-Force qui peut se présenter simplement comme une pure dynamis spirituelle, sans autre détermination, ou révéler un domaine spirituel du mental où celui-ci. n'est plus ignorant
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de la Réalité — pas encore un niveau supramental, mais un dérivé de la Conscience-de-Vérité supramentale qui possède encore un peu de la lumière de sa connaissance.
C'est dans cette dernière alternative que nous trouvons le secret que nous cherchons, le moyen de la transition, le pas nécessaire vers une transformation supramentale; car nous percevons que l'ascension est graduelle, que nous pouvons communiquer avec une lumière et un pouvoir d'en haut de plus en plus profonds et immenses, qu'il existe une échelle d'intensités qui constitue en quelque sorte les divers degrés dans l'ascension du Mental, ou dans la descente dans le Mental à partir de Cela qui le dépasse. Nous sommes conscients d'une descente massive, océanique, de connaissance spontanée qui revêt la nature de la Pensée, mais qui a un caractère différent du processus de pensée auquel nous sommes habitués; car il n'y a ici aucune recherche, aucune trace de construction mentale, nul effort spéculatif ni découverte laborieuse; c'est une connaissance automatique et spontanée, provenant d'un Mental supérieur qui semble en possession de la Vérité, et non pas en quête de réalités cachées et comme retenues. On observe que cette Pensée est beaucoup plus capable que le mental d'inclure, en une seule vision immédiate, une masse de connaissance; elle a un caractère cosmique, et non la marque d'une pensée individuelle. Au-delà de cette Pensée-de-Vérité, nous pouvons discerner une plus grande illumination animée d'un pouvoir, d'une intensité et d'une force dynamique accrues, une luminosité dont la nature est celle de la Vision-de-Vérité, où la formulation de la pensée n'est qu'une activité mineure et subordonnée. Si nous acceptons l'image védique du Soleil de Vérité — image qui, dans cette expérience, devient réalité —, nous pouvons comparer l'action du Mental supérieur à un rayonnement paisible et invariable, et l'énergie du Mental illuminé au-delà au déversement massif des éclairs d'une flamboyante substance solaire. Encore au-delà, on peut entrer en contact avec un pouvoir plus grand de la Force-de-Vérité, avec une vision, une pensée, une perception, un sentiment, une action de Vérité plus intimes et plus exacts auxquels, dans un sens particulier, nous pouvons donner le nom d'Intuition ; car, bien que nous ayons, faute de mieux, appliqué ce terme à tout processus direct et supra-intellectuel de connaissance, ce qu'en fait nous entendons par intuition n'est qu'un mouvement particulier de la connaissance existante en soi. Ce nouveau domaine en est; l'origine;. il donne à nos intuitions:un reflet de sa propre
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nature, et il est très clairement un intermédiaire d'une plus grande Lumière-de-Vérité avec laquelle notre mental ne peut communiquer directement. À la source de cette Intuition, nous découvrons un Mental cosmique supraconscient en contact direct avec la Conscience-de-Vérité supramentale, une intensité originelle déterminant tous les mouvements au-dessous d'elle et toutes les énergies mentales — non pas le Mental tel que nous le connaissons, mais un Surmental qui recouvre, comme des larges ailes de quelque Sur-âme créatrice, tout cet hémisphère inférieur de la Connaissance-Ignorance, le relie à cette plus vaste Conscience-de-Vérité, cependant qu'à notre vue il voile de son brillant Couvercle d'or la face de la Vérité plus haute, faisant de son flot d'infinies possibilités à la fois un obstacle et un passage dans notre recherche de la loi spirituelle de notre existence, son but le plus haut, sa secrète Réalité. Tel est donc le lien occulte que nous cherchons, le Pouvoir qui à la fois relie et sépare la Connaissance suprême et l'Ignorance cosmique.
En sa nature et sa loi, le Surmental est un délégué de la Conscience supramentale, son délégué dans l'Ignorance. Ou bien nous pourrions en parler comme d'un double protecteur, d'un écran de similarité dissemblable par l'intermédiaire duquel le Supramental peut agir indirectement sur une Ignorance dont l'obscurité ne pourrait supporter ni recevoir l'impact direct d'une Lumière suprême. C'est même par la projection de cette couronne lumineuse du Surmental que la diffusion d'une lumière atténuée dans l'Ignorance est au moins devenue possible, ainsi que la projection de cette ombre contraire, l'Inconscience, qui engloutit en elle toute lumière. Car le Supramental transmet au Surmental toutes ses réalités, mais le laisse libre de les formuler en un mouvement et selon une conscience des choses qui est encore une vision de la vérité, et cependant aussi une première origine de l'Ignorance. Une ligne sépare le Supramental du Surmental, qui permet une libre transmission, laisse le Pouvoir inférieur tirer du Pouvoir supérieur tout ce qu'il contient ou voit, mais impose automatiquement un changement du fait de cette transition. L'intégralité du Supramental conserve toujours la vérité essentielle des choses, la vérité totale et la vérité de ses auto-déterminations individuelles parfaitement soudées ; il maintient en elles une unité indivisible, et entre elles une étroite interpénétration où chacune a librement et pleinement conscience des autres; mais dans le Surmental, cette intégralité est absente. Et pourtant, le Surmental est parfaitement conscient da la Vérité essentielle des choses; il embrasse la. totalité, il 'se sert des
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auto-déterminations individuelles sans être limité par elles; mais s'il connaît leur unité, s'il peut la réaliser dans une cognition spirituelle, son mouvement dynamique, dont la sûreté dépend pourtant de cette unité, n'est pas directement déterminé par elle. L'Énergie surmentale procède par une capacité illimitable de séparer et de combiner des pouvoirs et des aspects de l'Unité intégrale et indivisible qui embrasse tout. Elle saisit chaque Aspect ou chaque Pouvoir et lui donne une action indépendante où il acquiert sa pleine importance et peut élaborer, pourrions-nous dire, son propre monde de création. Le Purusha et la Prakriti, l'Ame consciente et la Force exécutrice de la Nature sont, dans l'harmonie supramentale, une vérité unique possédant deux aspects, l'être et la dynamis de la Réalité. Il ne peut y avoir de déséquilibre entre eux, ni de prédominance. Dans le Surmental, nous trouvons l'origine du clivage, la distinction tranchante que fait la philosophie sânkhyenne où ils apparaissent comme deux entités indépendantes, la Prakriti pouvant dominer le Purusha et voiler Sa liberté et Son pouvoir, le réduisant au rôle de témoin et de réceptacle de ses formes et de ses actions à elle, le Purusha pouvant retourner à son existence séparée et demeurer dans une libre souveraineté de son être en rejetant le principe originel d'obscurcissement matériel de la Prakriti. Ainsi en est-il de tous les autres aspects ou pouvoirs de la Réalité divine, l'Un et le Multiple, la divine Personnalité et l'Impersonnalité divine, par exemple ; tout en demeurant un aspect et un pouvoir de l'unique Réalité, chacun est délégué pour agir comme une entité indépendante dans le tout, atteindre aux pleines possibilités de son expression distincte et élaborer les conséquences dynamiques de cette séparativité. Mais dans le Surmental cette séparativité est encore fondée sur la base d'une unité sous-jacente implicite; toutes les possibilités de combinaison et de relation entre les Pouvoirs et les Aspects séparés, tous les échanges et toute l'interaction de leurs énergies sont librement organisés, et peuvent toujours se réaliser.
Si nous considérons te Pouvoirs de la Réalité comme autant de Divinités, nous pouvons dire que le Surmental libère dans l'action un million de Divinités, chacune ayant pouvoir de créer son propre monde, chaque monde étant capable d'entrer en rapport, de communiquer, d'interagir avec les autres. Il y a dans le Véda différentes formulations de la nature des Dieux; il est dit qu'ils sont tous une seule Existence à laquelle les sages donnent des noms divers ; et pourtant chaque dieu est adoré comme s'il était lui-même cette Existence, comme s'il était tous.
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les autres dieux réunis ou les contenait tous en son être; et pourtant, nous l'avons dit, chacun est une déité séparée qui agit parfois en harmonie avec les autres déités, ses compagnes, parfois séparément, et parfois même semble s'opposer aux autres divinités de la même Existence. Dans le Supramental, tout cela serait maintenu comme un jeu harmonieux de l'unique Existence; dans le Surmental, chacune de ces trois modalités pourrait être une action séparée ou une base distincte pour l'action, possédant son propre principe de développement et de conséquences ; et pourtant chacune garderait le pouvoir de se combiner avec les autres en une harmonie plus variée. Ce qui est vrai de l'unique Existence, l'est aussi de sa Conscience et de sa Force. La Conscience unique est séparée en des formes de conscience et de connaissance multiples et indépendantes; chacune suit sa propre ligne de vérité qu'elle doit réaliser. L'Idée-Réelle unique, totale et multiforme, se partage en ses multiples aspects ; chacun devient une Idée-Force indépendante dotée du pouvoir de se réaliser. La Conscience-Force unique libère ses millions de forces, et chacune a le droit de s'accomplir ou, si besoin est, de s'attribuer l'hégémonie et d'utiliser les autres forces à ses fins. De même, la Joie d'être se déverse en d'innombrables joies, et chacune peut porter en soi sa plénitude indépendante ou son propre absolu. Le Supramental donne ainsi à l'unique Existence-Conscience-Béatitude le caractère d'un foisonnement de possibilités infinies qui peuvent se déployer en une multitude de mondes ou bien être précipitées ensemble dans un monde unique où le résultat infiniment variable de leur jeu détermine la création, son processus, son cours et ses conséquences.
Puisque la Conscience-Force de l'Existence éternelle est la créatrice universelle, la nature d'un monde donné dépendra de la formulation que cette Conscience choisit pour s'exprimer dans le monde. De même, pour chaque être individuel, la vision du monde où il vit, ou la représentation qu'il s'en fait, dépendra de l'équilibre que cette Conscience a assumé en lui, et de sa constitution. Notre conscience mentale humaine voit le monde en segments découpés par la raison et les sens et rassemblés en une formation, elle aussi segmentaire ; la demeure qu'édifie cette conscience est prévue pour héberger telle ou telle formule générale de la Vérité, mais elle exclut les autres ou n'en admet certaines qu'à titre d'invitées ou de pensionnaires. La Conscience surmentale est globale dans sa cognition et peut réunir un nombre indéfini de différences apparemment fondamentales en une vision harmonisatrice..
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Ainsi la raison mentale voit-elle la Personne et l'Impersonnel comme des opposés; elle conçoit une Existence impersonnelle où la personne et la personnalité sont des fictions de l'Ignorance ou des constructions provisoires ; ou, au contraire, elle peut voir la Personne comme la réalité première et l'impersonnel comme une abstraction mentale ou seulement comme un matériau ou un moyen de manifestation. Pour l'intelligence surmentale, ce sont des Pouvoirs séparables propres à l'unique Existence, qui peuvent toujours s'affirmer indépendamment et unir également leurs divers modes d'action, créant à la fois, dans leur indépendance et dans leur union, différents états de conscience et d'être, tous valables et capables de coexister. Une existence-conscience purement impersonnelle est réelle et possible, mais une conscience-existence entièrement personnelle l'est aussi; le Divin impersonnel, Nirguna Brahman, et le Divin personnel, Sagouna Brahman, sont ici des aspects égaux et coexistants de l'Éternel. L'impersonnalité peut se manifester, et la personne lui est subordonnée comme mode d'expression; mais la Personne peut également être la réalité, et l'Impersonnalité est alors un mode de sa nature : les deux aspects de la manifestation se font face dans l'infinie diversité de l'Existence consciente. Les différences qui, pour la raison mentale, sont inconciliables, se présentent à l'intelligence surmentale comme corrélatives et coexistantes; ce que l'une perçoit comme contradictoire, l'autre le perçoit comme complémentaire. Notre mental voit que toutes choses naissent de la Matière ou de l'Énergie matérielle, existent par elle et y retournent ; il en conclut que la Matière est l'éternel facteur, la réalité première et ultime, Brahman. Ou bien il voit que tout naît de la Force-de-Vie ou du Mental, existe par la Vie ou le Mental et retourne à la Vie et au Mental universels, et il en conclut que ce monde est une création de la Force-de-Vie cosmique ou d'un Mental cosmique ou Logos. Ou encore il voit que le monde et toutes choses sont issus de l'Idée-Réelle ou de la Connaissance-Volonté de l'Esprit ou issus de l'Esprit lui-même, existent par elles ou par lui et y retournent, et il aboutit à une vision idéaliste ou spirituelle de l'univers. Il peut s'arrêter à l'un ou l'autre de ces points de vue, mais pour sa vision normale séparative, ils s'excluent mutuellement. La conscience surmentale perçoit que chacun est conforme à l'action du principe qu'il érige; elle peut voir qu'il existe une formule matérielle, une formule Vitale, une formule mentale, une formule spirituelle du monde et que chacune peut prédominer dans son propre monde, et qu'en même temps toutes peuvent se combiner en un seul monde dont-elles sont
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alors les pouvoirs constitutifs. La formulation de la Force Consciente sur laquelle repose notre monde, comme sur une Inconscience apparente qui cache en elle une suprême Existence-Consciente et rassemble tous les pouvoirs de Être dans le secret de son inconscience — monde de Matière universelle réalisant en soi la Vie, le Mental, le Surmental, le Supramental, l'Esprit, chacun à son tour intégrant les autres comme moyens de sa propre expression, la Matière révélant à la vision spirituelle qu'elle a toujours été une manifestation de l'Esprit —, est pour la vision surmentale une création normale et facilement réalisable. Par son pouvoir générateur et suivant le processus de sa dynamis exécutrice, le Surmental organise de multiples potentialités de l'Existence : chacune affirme sa réalité séparée, mais toutes sont capables de se relier les unes aux autres de façons diverses, et pourtant simultanées; c'est un artisan et un magicien doué du pouvoir de tisser la chaîne et la trame multicolores de la manifestation d'une unique entité en un univers complexe.
Dans ce développement simultané de multiples Pouvoirs ou Potentiels indépendants ou combinés, il n'y a cependant pas — on' pas encore — de chaos, de conflit, de chute hors de la Vérité ou de la Connaissance. Le Surmental est un créateur de vérités, non d'illusions et de faussetés : ce qui s'élabore dans tout déploiement d'énergie ou tout mouvement surmental est la vérité de l'Aspect, du Pouvoir, de l'Idée, de la Force, de la Joie libérés dans une action indépendante, la vérité des conséquences de sa réalité dans cette indépendance. Il n'y a pas d'exclusivisme affirmant que l'une serait l'unique vérité de l'être et les autres des vérités inférieures : chaque dieu connaît tous les dieux et leur place dans l'existence ; chaque Idée admet toutes les autres idées et leur droit à l'existence ; chaque Force accorde une place à toutes les autres forces, à leur vérité et à leurs conséquences ; jamais la joie d'une existence séparée et accomplie, ou d'une expérience séparée, ne nie ou ne condamne la joie d'une autre existence ou d'une autre expérience. Le Surmental est un principe de Vérité cosmique, et une vaste, une infinie universalité en est l'esprit même ; son énergie est un dynamisme global en même temps qu'un principe de dynamismes séparés ; il est, en quelque sorte, un Supramental inférieur — bien qu'il s'occupe surtout, non d'absolus mais de ce que l'on pourrait appeler les potentiels dynamiques ou les vérités pragmatiques de la Réalité; s'il s'occupe d'absolus, c'est principalement pour leur pouvoir d'engendrer des valeurs pragmatiques
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ou créatrices; par ailleurs, sa compréhension des choses est plus globale qu'intégrale, puisque sa totalité est composée d'ensembles globaux ou constituée de réalités indépendantes séparées qui s'unissent ou se groupent, et bien que l'unité essentielle soit saisie et ressentie comme le fondement des choses et imprègne leur manifestation, elle n'est plus, comme dans le Supramental, leur secret intime et toujours présent, leur contenant prédominant, qui édifie, de manière constante et manifeste, l'ensemble harmonieux de leur activité et de leur nature.
Si nous voulons comprendre en quoi cette Conscience surmentale globale diffère de notre conscience mentale séparatrice qui n'est qu'imparfaitement synthétique, nous pouvons nous en faire une idée en comparant la vision strictement mentale des activités dans notre univers matériel, avec ce que serait une vision surmentale. Pour le, Surmental, par exemple, toutes les religions seraient vraies en tant que développements de l'unique religion éternelle, toutes les philosophies valables, chacune en son domaine, comme exposé de sa propre conception de l'univers, vu de son angle particulier, toutes les théories politiques et leur mise en pratique seraient l'élaboration légitime d'une Idée-Force ayant droit à une application et à un développement pratique dans le jeu des énergies de la Nature. Dans notre conscience séparatrice, qui ne reçoit que des aperçus imparfaits de l'intégralité et de l'universalité, ces choses existent en tant qu'opposés; chacune prétend être la vérité et taxe les autres d'erreur et de fausseté, chacune se sent tenue de réfuter ou de détruire les autres afin qu'elle seule soit la Vérité vivante ; au mieux, chacune doit se dire supérieure, n'admettre les autres que comme des expressions inférieures de la vérité. Une Intelligence surmentale refuserait d'entretenir un seul instant une telle conception, ou un tel exclusivisme ; elle les laisserait toutes vivre comme nécessaires à l'ensemble, et mettrait chacune à sa place dans cet ensemble, ou assignerait à chacune le champ de sa réalisation ou de son effort. Et c'est parce qu'en nous la conscience est complètement descendue dans les divisions de l'Ignorance; la Vérité n'est plus ni un Infini ni un tout cosmique aux multiples formulations possibles, mais une affirmation rigide tenant pour fausse toute autre affirmation sous prétexte qu'elle est différente et retranchée dans d'autres limites. Certes, notre conscience mentale peut, en sa cognition, s'approcher au plus près d'une globalité et d'une universalité totales, mais l'organiser dans l'action et dans la vie paraît être au-delà de ses capacités. Le Mental
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évolutif, manifesté dans les individus ou les collectivités, projette une multiplicité de points de vue divergents, de lignes divergentes d'action et les laisse s'élaborer côte à côte, ou bien s'entrechoquer ou encore se mêler dans une certaine mesure ; il peut réaliser des harmonies sélectives, mais n'arrive pas à maîtriser l'harmonie d'une vraie totalité. Même dans l'Ignorance évolutive, le Mental cosmique, comme toutes les totalités, doit posséder une telle harmonie, ne serait-ce qu'un arrangement d'accords et de discordances ; il y a aussi en lui un dynamisme unitaire sous-jacent; mais s'il porte la totalité de ces choses en ses profondeurs, peut-être en un substrat supramental-surmental, il ne la communique pas au Mental individuel dans l'évolution, ne la fait pas passer, ou ne l'a pas encore fait émerger des profondeurs jusqu'à la surface. Un monde surmental serait un monde d'harmonie, le monde de l'Ignorance où nous vivons est un monde de disharmonie et de lutte.
Et pourtant, nous pouvons d'emblée reconnaître dans le Surmental la Maya cosmique originelle, non une Maya de l'Ignorance mais une Maya de la Connaissance, bien que ce soit un Pouvoir qui a rendu l'Ignorance possible et même inévitable. Car si chaque principe laissé libre d'agir doit suivre sa ligne indépendante et réaliser pleinement ses conséquences, le principe de séparation doit lui aussi pouvoir suivre son cours complet jusqu'à son ultime conséquence; c'est la descente inévitable, facilis descensus, que suit la Conscience une fois qu'elle a admis le principe séparateur, jusqu'à ce que, par l'obscurcissement d'une fragmentation infinitésimale, tucchyena,¹ elle pénètre dans l'Inconscience matérielle — l'Océan inconscient du Rig-Véda —, et si l'Un naît de cela par sa propre grandeur, il est néanmoins caché, au début, par cette existence et cette conscience séparatrices fragmentaires qui nous sont propres et en lesquelles il nous faut joindre les choses pour arriver à un tout. Cette lente et difficile émergence donne une apparence de vérité à l'aphorisme d'Héraclite, qui dit que la Guerre est le père de toutes choses ; car chaque idée, chaque force, chaque conscience séparée, chaque être vivant, du fait de son ignorance, entre en collision avec les autres et tente de vivre, de croître et de s'accomplir en s'affirmant de façon indépendante, et non en s'harmonisant avec le reste de l'existence. Et pourtant, l'Unité sous-jacente inconnue est toujours présente, qui nous oblige à. lutter pas à pas pour trouver une forme d'harmonie
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d'interdépendance, un point de convergence par-delà .nos discordes", et réaliser péniblement une certaine unité. Mais ce n'est que par l'évolution en nous des pouvoirs cachés, supraconscients, de la Vérité cosmique et par l'évolution de la Réalité où ils sont un, que l'harmonie et l'unité que nous nous efforçons d'atteindre peuvent être dynamiquement réalisées dans la texture même de notre être et de toute son expression de soi, et pas simplement dans d'imparfaites tentatives, des constructions incomplètes ou des approximations toujours changeantes. Les plus hauts domaines du Mental spirituel doivent s'ouvrir à notre être et à notre conscience, et ce qui dépasse même le Mental spirituel doit se manifester aussi en nous, si nous devons accomplir la possibilité divine de notre naissance dans l'existence cosmique.
Dans sa descente, le Surmental atteint une ligne qui sépare la Vérité cosmique de l'Ignorance cosmique; c'est la ligne où, en accentuant le caractère séparé de chaque mouvement indépendant créé par le Surmental et en cachant son unité ou en l'obscurcissant, il devient possible à la pouvoir de séparer, par une concentration exclusive, le Mental de sa source surmentale. Le Surmental s'est déjà séparé, de façon similaire, de sa source supramentale, mais le voile est suffisamment transparent pour permettre une transmission consciente et maintenir une certaine parenté lumineuse ; ici, par contre, le voile est opaque et la transmission des desseins du Surmental au Mental est occulte et obscure. Le Mental séparé agit comme s'il était un principe indépendant, et chaque être mental, chaque idée, chaque puissance, chaque force mentales de base s'appuie de même sur son moi séparé; s'ils communiquent, se combinent ou entrent en contact les uns avec les autres, ce n'est pas avec l'universalité intégrale du mouvement surmental, sur une base d'unité sous-jacente, mais comme des unités indépendantes qui se joignent pour former un tout construit et séparé. C'est par ce mouvement que nous passons de la Vérité cosmique à l'Ignorance cosmique. Certes, le Mental cosmique, à ce niveau, embrasse sa propre unité, mais il n'est pas conscient de sa source et de son fondement en l'Esprit, ou il ne peut embrasser cette unité que par l'intelligence et ce n'est pas une expérience durable ; il agit en lui-même, de plein droit, et travaille sur les matériaux qu'il reçoit sans communiquer directement avec leur source. Ses unités agissent également dans l'ignorance les unes des autres et de la totalité cosmique, à part la connaissance qu'elles peuvent obtenir par contact et communication : le sens fondamental de l'identité ainsi que la pénétration
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et la compréhension mutuelles qui en découlent ont disparu. Toutes les actions de cette Énergie du Mental s'effectuent sur une base opposée, celle de l'Ignorance et de ses divisions, et bien qu'elles soient les résultats d'une certaine connaissance consciente, celle-ci n'en est pas moins partielle, ce n'est pas une connaissance de soi vraie et intégrale, ni une vraie et intégrale connaissance du monde. Ce caractère persiste dans la Vie et dans la Matière subtile et réapparaît dans l'univers matériel grossier qui naît ide la chute finale dans l'Inconscience.
Et pourtant, dans ce Mental aussi, comme en notre mental subliminal ou intérieur, subsiste un pouvoir supérieur de communication et de réciprocité, un jeu plus libre de la mentalité et des sens que n'en possède le mental humain, et l'Ignorance n'y est pas complète; une harmonie consciente, une organisation interdépendante de relations justes y est davantage possible : le mental n'est pas encore perturbé par les forces de Vie aveugles ni obscurci par la Matière insensible. C'est un plan d'Ignorance, mais pas encore de fausseté ou d'erreur — ou du moins la chute dans la fausseté et l'erreur n'est pas encore inévitable. Cette Ignorance limite, mais ne falsifie pas nécessairement. Il y a une limitation de la connaissance, une organisation de vérités partielles, mais non une négation de la vérité et de la connaissance, ou leur contradiction. Cette forme d'organisation de vérités partielles sur une base de connaissance séparatrice persiste dans la Vie et la Matière subtile, car la concentration exclusive de la pouvoir qui détermine leur action séparatrice ne crée pas une coupure ou un voile entre le Mental et la Vie, ou entre le Mental et la Vie d'une part, et la Matière de l'autre. La séparation complète ne peut se produire qu'une fois atteint le stade de l'Inconscience, et quand notre monde d'Ignorance multiforme émerge de cette ténébreuse matrice. Ces autres étapes, encore conscientes, de l'involution sont effectivement des organisations de la Force consciente où chacun vit à partir de son centre particulier, suit ses propres possibilités, et où le principe dominant lui-même, que ce soit le Mental, la Vie ou la Matière, élabore les choses sur sa base indépendante; mais ce qui est élaboré, ce sont des vérités propres à ce principe, non des illusions ou un enchevêtrement de vérité et de fausseté, de connaissance et d'ignorance. Cependant, quand par une concentration exclusive sur la Force et la Forme, la pouvoir semble séparer la Conscience de la Force sur le plan phénoménal, ou quand, dans un sommeil aveugle, elle immerge la Conscience perdue dans la Forme et la Force, alors la Conscience
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doit lutter pour reprendre conscience d'elle-même par une évolution fragmentaire qui nécessite l'erreur et rend la fausseté inévitable. Néanmoins, ces choses non plus ne sont pas des illusions jaillies d'une Non-Existence originelle; elles sont, pourrions-nous dire, les inéluctables vérités d'un monde né de l'Inconscience. Car en réalité, l'Ignorance est encore une connaissance qui se cherche derrière le masque originel de l'Inconscience ; elle échoue, et elle trouve ; ses résultats naturels, et même inévitables sur leur propre ligne, sont la vraie conséquence de la chute — et même, d'une certaine manière, le juste moyen de se relever après la chute. L'Existence plongeant dans une Non-Existence apparente, la Conscience dans une Inconscience apparente, la Joie d'être dans une vaste insensibilité cosmique, tels sont les premiers résultats de la chute ; et pour en revenir, par une expérience fragmentaire et une lutte, elles se traduisent en des termes duels : la Conscience se traduit par la vérité et la fausseté, la connaissance et l'erreur, l'Existence par la vie et la mort, et la Joie d'être par la douleur et le plaisir. Tel est le processus nécessaire du labeur de la découverte de soi. Une pure expérience de la Vérité, de la Connaissance, de la Joie, d'une existence impérissable, serait elle-même, en ce monde, une contradiction de la vérité des choses. Il ne pourrait en être autrement que si tous les êtres dans l'évolution répondaient, dans une paix immobile, aux éléments psychiques qui sont en eux, et au Supramental qui sous-tend les opérations de la Nature ; mais c'est ici qu'intervient la loi surmentale, selon laquelle chaque Force élabore ses propres possibilités. Les possibilités naturelles d'un monde où une Inconscience originelle et une division de la conscience sont les principes majeurs, entraîneraient l'émergence de Forces des Ténèbres, incitées à maintenir l'Ignorance qui les fait vivre, une lutte ignorante pour connaître qui engendre la fausseté et l'erreur, une lutte ignorante pour vivre qui engendre l'injustice et le mal, une lutte égoïste pour jouir qui est source de joies, de peines et de souffrances fragmentaires. Tels sont donc les premiers et inévitables caractères imprimés en nous, mais non les seules possibilités de notre existence évolutive. Quoi qu'il en soit, la Non-Existence étant une Existence voilée, l'Inconscience une Conscience voilée, l'insensibilité un Ananda dormant et masqué, ces réalités secrètes devront nécessairement émerger. Le Surmental et le Supramental cachés devront eux aussi, finalement, s'accomplir dans cette organisation apparemment opposée issue de un obscur Infini.
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Deux choses rendent cet ultime accomplissement plus facile qu'il ne le serait autrement. Dans sa descente vers la création matérielle, le Surmental a engendré des états modifiés de lui-même — en particulier l'Intuition dont les pénétrants éclairs de vérité illuminent des points et des territoires de notre conscience — qui peuvent nous aider à mieux comprendre la secrète vérité des choses. En nous ouvrant plus largement, d'abord en notre être intérieur et par suite également en notre moi extérieur superficiel, aux messages de ces plans supérieurs de la conscience, nous pouvons nous-mêmes croître en eux et devenir des êtres intuitifs et surmentaux qui ne soient pas limités par l'intellect et les sens, mais puissent avoir une compréhension plus universelle et un contact direct avec l'être et le corps mêmes de la vérité. En fait, des éclairs d'illumination nous parviennent déjà de ces domaines supérieurs, mais cette intervention est le plus souvent fragmentaire, fortuite ou partielle ; nous devons encore, pour commencer, nous élargir à leur image et organiser en nous les activités de la Vérité plus grande dont nous sommes potentiellement capables. Par ailleurs, non seulement l'Intuition, le Surmental et même le Supramental doivent être, nous l'avons vu, des principes inhérents et involués dans l'Inconscience d'où nous émergeons dans l'évolution et inévitablement destinés à évoluer, mais ils sont secrètement présents, activement occultes, avec des éclairs d'émergence intuitive, dans le jeu cosmique du Mental, de la Vie et de la Matière. Il est vrai que leur action est cachée et que, même lorsqu'ils émergent, celle-ci est modifiée par le milieu matériel, vital, mental où ils agissent, et difficilement reconnaissable. Le Supramental ne peut, dès le début, se manifester comme Pouvoir créateur dans l'univers. Le ferait-il, l'Ignorance et l'Inconscience seraient impossibles, ou bien la lente évolution nécessaire deviendrait la scène d'une rapide transformation. Néanmoins, à chaque progression de l'énergie matérielle nous pouvons voir le sceau de l'inévitable apposé par un créateur Supramental et, dans tout le développement de la vie et du mental, le jeu des lignes de possibilité et leur combinaison, qui est la marque de l'intervention du Surmental. De même que la Vie et le Mental ont été libérés dans la Matière, de même, en leur temps, ces pouvoirs plus grands de la Divinité cachée émergeront de l'involution, et leur Lumière suprême descendra en nous depuis les hauteurs.
Une Vie divine dans la manifestation n'est donc pas seulement possible comme suprême résultat et suprême rançon de notre vie actuelle dans l'Ignorance mais, si ces choses sont telles que nous les avons vues, elle est l'issue inéluctable et le couronnement de l'effort évolutif de la Nature.
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DEUXIÈME LIVRE
LA CONNAISSANCE ET L'IGNORANCE
L'ÉVOLUTION SPIRITUELLE
PREMIÈRE PARTIE
LA CONSCIENCE INFINE ET L'IGNORANCE
Indéterminés, déterminations cosmiques et l'Indéterminable
L'Invisible avec lequel il ne peut exister de relations pragmatiques, insaisissable, sans traits, inconcevable, qu'aucun nom ne peut désigner, dont la substance est la certitude du Moi Unique et en qui l'existence universelle est au repos, lui qui est toute paix et toute béatitude — il est le Moi, et c'est lui qu'il faut connaître.
Mândûkya Upanishad. Verset 7.
On le voit comme un mystère, on en parle ou on en entend parler comme d'un mystère, mais nul ne le connaît.
Gîta. II, 29.
Quand les hommes recherchent l'Immuable, l'indéterminable, le Non-Manifeste, l'Omnipénétrant, l'Inconcevable, le Moi suprême, l'Immobile, le Permanent égal envers tous, attentif au bien de tous les êtres, c'est à Moi qu'ils viennent.
Gîta. XII. 3,4.
Loin au-delà de l'Intelligence se trouve le Vaste Moi, par-delà le Vaste Moi se trouve le Non-Manifeste, par-delà le Non-Manifeste se trouve l'Être Conscient. Il n'y a rien au-delà de l'Être — c'est l'extrême ultime, c'est le but suprême.
Katha Upanishad. I. 3.10,11.
Rare est la grande âme pour laquelle tout est l'Être Divin.
Gîta. VII. 19.
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Une Conscience-Force, partout inhérente à l'Existence, active même lorsqu'elle est cachée, est la créatrice des mondes, le secret occulte de la Nature. Mais dans notre monde matériel et dans notre être, la conscience revêt un double aspect : un pouvoir de Connaissance, et un pouvoir d'Ignorance. Dans la conscience infinie d'une Existence consciente de soi infinie, la connaissance doit être partout implicite ou opérante en la texture même de son action. Mais en ce monde, au commencement des choses, une Inconscience, une Nescience totale nous paraît être la base ou la nature de l'énergie universelle créatrice. C'est la substance première qui est à l'origine de l'univers matériel : la conscience et la connaissance émergent d'abord en des mouvements obscurs, infinitésimaux, par points ou quanta qui s'associent; il y a une lente et difficile évolution, les opérations de la conscience s'organisent et se développent lentement, son mécanisme s'améliore, des gains croissants s'inscrivent sur l'ardoise vierge de la Nescience. Mais ils ont encore l'apparence d'une somme d'acquisitions, de constructions que ferait une Ignorance qui cherche et tente de connaître, de comprendre, de découvrir, de se changer peu à peu et péniblement en connaissance. De même qu'ici la Vie établit et maintient difficilement ses opérations sur une base et dans un milieu de Mort générale, d'abord en des points de . vie infinitésimaux, des quanta de forme de vie et d'énergie de vie, des agrégats qui s'élargissent pour créer des organismes toujours plus complexes, un mécanisme vital compliqué, de même la Conscience établit et maintient une lumière grandissante, mais précaire, dans l'obscurité d'une Nescience originelle et d'une universelle Ignorance.
De plus, la connaissance acquise est une connaissance des phénomènes, et non de la réalité des choses ou des fondements de l'existence. Partout où notre conscience rencontre ce qui lui semble être une base,
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celle-ci revêt l'apparence d'un blanc — quand ce n'est pas un vide —, d'un état originel sans traits et d'une multitude de conséquences qui ne sont pas inhérentes à l'origine et que rien ne semble justifier ou nécessiter apparemment; il y a une superstructure massive qui n'a pas de relation claire et naturelle avec l'existence fondamentale. Le premier aspect de l'existence cosmique est un Infini qui, pour notre perception, est un indéterminé, sinon un indéterminable. Dans cet Infini, l'univers lui-même, que ce soit sous son aspect d'Énergie ou sous son aspect structural, apparaît comme une détermination indéterminée, un " fini sans limites " —expressions paradoxales, mais nécessaires, qui sembleraient indiquer que nous sommes en présence d'un mystère suprarationnel qui serait le fondement de toutes choses. En cet univers, naissent — mais d'où ? — un grand nombre et une grande variété de déterminés généraux et particuliers qui ne paraissent justifiés par rien de perceptible dans la nature de l'Infini, mais lui semblent imposés — ou qu'il s'impose peut-être à lui-même. À l'Énergie qui les produit, nous donnons le nom de Nature, mais le mot ne transmet aucun sens, sinon que la nature des choses est ce qu'elle est, en vertu d'une Force qui les ordonne selon une Vérité qui leur est inhérente ; mais la nature de cette Vérité elle-même, la raison pour laquelle ces déterminés sont ce qu'ils sont, voilà qui n'est nulle part visible. Certes, il a été possible à la Science humaine de détecter le processus, ou maints processus, des choses matérielles, mais cette connaissance ne projette aucune lumière sur la question principale; nous ne connaissons même pas le principe fondamental des processus cosmiques originels, car les résultats se présentent, non comme leur conséquence nécessaire, mais seulement comme leur conséquence pragmatique et actuelle. Finalement, nous ne savons pas comment ces déterminés sont entrés ou sont sortis de l'Indéterminé ou Indéterminable originel sur lequel ils se détachent comme sur un fond vierge et plat dans l'énigme de leur apparition programmée. À l'origine des choses, nous sommes confrontés à un Infini qui contient une masse de finis inexpliqués, à un Indivisible empli de divisions sans fin, à un Immuable foisonnant de mutations et de différences spécifiques. Un paradoxe cosmique est le commencement de toutes choses, un paradoxe dont aucune clef ne nous livre le sens.
En fait, on peut s'interroger sur la nécessité de postuler un Infini qui contienne notre univers formé, bien que notre mental exige impérieusement cette conception comme base nécessaire à ses propres conceptions
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— car il est incapable de fixer ou d'assigner une limite, que ce soit dans l'Espace ou le Temps ou dans l'existence essentielle au-delà de laquelle il y a rien, avant ou après laquelle il n'y a rien — bien qu'également l'autre terme de l'alternative soit un Vide ou un Néant qui ne peut être qu'un abîme de l'Infini en lequel nous refusons de plonger le regard; un zéro infini et mystique de Non-Existence remplacerait un x infini comme postulat nécessaire, comme base pour notre vision de tout ce qui, pour nous, est l'existence. Mais même si nous refusons de reconnaître quoi que ce soit de réel, à l'exception du fini de l'univers matériel s'étendant sans limites et de ses innombrables déterminations, l'énigme demeure la même. L'existence infinie, le non-être infini ou le fini illimité, tous sont pour nous des indéterminés ou des indéterminables originels ; nous ne pouvons leur assigner de caractère ni de traits distincts, rien qui prédéterminerait leurs déterminations. Décrire le caractère fondamental de l'univers comme Espace ou comme Temps ou comme Espace-Temps ne nous avance pas; car même si ce ne sont pas des abstractions de notre intelligence plaquées sur le cosmos par notre vision mentale, perspective nécessaire au mental pour s'en faire une image, ce sont aussi des indéterminés où ne se trouve aucune clef pour découvrir l'origine des déterminations qui se produisent en eux ; il n'y a encore aucune explication de l'étrange processus par lequel les choses sont déterminées, ni de leurs pouvoirs, de leurs qualités et de leurs propriétés, aucune révélation de leur nature, origine et signification véritables.
En fait, cette Existence infinie ou indéterminée se révèle à notre science comme Énergie, connue non par elle-même mais par ses œuvres, projetant dans son mouvement des vagues de dynamisme et, en elles, une multitude d'infinitésimaux; ces derniers, se groupant pour former des infinitésimaux plus grands, deviennent une base pour toutes les créations de l'Énergie, même celles qui s'éloignent le plus de la base matérielle, pour l'émergence d'un monde de Matière organisée, pour l'émergence de la Vie, pour l'émergence de la Conscience, pour toutes les activités encore inexpliquées de la Nature évolutive. Sur le processus originel, s'érigent une multitude de processus que nous pouvons observer, suivre, utiliser, et nombre d'entre eux peuvent nous être profitables; mais il n'y en a pas un, fondamentalement, qui soit explicable. Nous savons maintenant que des groupements différents et un nombre variable d'infinitésimaux électriques peuvent produire l'occasion constituante ou en tenir lieu — occasion qu'à tort on appelle
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cause, car il semble n'y avoir qu'une condition préalable nécessaire —, pour qu'apparaissent de plus grands infinitésimaux atomiques dont la nature, les qualités, les pouvoirs diffèrent. Mais nous ne parvenons pas à découvrir comment ces dispositions différentes peuvent finir par constituer ces atomes différents — comment des circonstances ou des causes constituantes différentes entraîneraient nécessairement des conséquences ou des résultats constitués différents. Nous savons aussi que certaines combinaisons de certains infinitésimaux atomiques invisibles produisent ou causent de nouvelles déterminations visibles qui diffèrent entièrement des infinitésimaux constituants par leur nature, leur qualité et leur pouvoir ; mais nous n'arrivons pas à découvrir, par exemple, comment une formule fixe pour la combinaison de l'oxygène et de l'hydrogène en vient à déterminer l'apparition de l'eau qui, de toute évidence, est quelque chose de plus qu'une combinaison de gaz : c'est une nouvelle création, une nouvelle forme de substance, une manifestation matérielle d'un caractère tout à fait nouveau. Nous voyons qu'une graine se change en arbre, nous suivons la ligne du processus de production et nous l'utilisons ; mais nous ne découvrons pas comment un arbre peut sortir d'une graine, comment la vie et la forme de l'arbre peuvent être contenues dans la substance ou l'énergie de la graine ou, si cela paraît plus conforme à la réalité, comment la graine peut devenir un arbre. Nous savons que gènes et chromosomes sont la cause de transmissions héréditaires, de variations non seulement physiques mais psychologiques ; mais nous ne découvrons pas comment les caractères psychologiques peuvent être contenus et transmis dans ce véhicule matériel inconscient. Cela, nous ne pouvons le voir, ni le savoir, mais on nous le propose comme une explication convaincante de la méthode de la Nature : un jeu d'électrons, d'atomes et des molécules qui en résultent, de cellules, de glandes, de sécrétions chimiques et de processus physiologiques, en agissant sur les nerfs et le cerveau d'un Shakespeare ou d'un Platon, réussit à produire un Hamlet ou un Banquet ou une République ou pourrait éventuellement en fournir l'impulsion; mais nous n'arrivons pas à découvrir ni à comprendre comment ces mouvements matériels ont pu composer ces sommets de la pensée et de la littérature ou en rendre la composition nécessaire ; ici, la divergence entre les déterminants et la détermination devient si vaste que nous ne pouvons plus suivre le processus, encore moins le comprendre ou l'utiliser. Ces formules de la science peuvent être pragmatiquement justes et infaillibles, elles peuvent gouverner le comment des processus de la
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Nature, mais elles ne révèlent pas le comment et le pourquoi intimes; elles font plutôt penser aux formules d'un Magicien cosmique, précises, irrésistibles, chacune automatiquement efficace dans son domaine, mais dont la logique demeure fondamentalement inintelligible.
Il y a plus déconcertant; nous voyons en effet l'Énergie originelle indéterminée projeter hors d'elle-même des déterminés généraux — nous pourrions tout aussi bien, compte tenu de la diversité de leurs produits, les appeler des indéterminés génériques —, avec leurs états de substance appropriés et les formes déterminées de cette substance, ces dernières étant des variations nombreuses, parfois innombrables, de l'énergie-substance qui leur tient lieu de base. Mais rien dans la nature de l'indéterminé général ne semble prédéterminer une seule de ces variations. Une Énergie électrique produit des formes d'elle-même positives, négatives et neutres, qui sont à la fois des ondes et des particules ; un état gazeux de substance-énergie produit un nombre considérable de gaz différents ; un état solide de substance-énergie, dont résulte le principe terre, engendre divers types de sol, toutes sortes de roches, de nombreux minéraux et métaux; un principe de vie produit son royaume luxuriant où foisonnent plantes, arbres et fleurs les plus différents ; un principe de vie animale crée un immense éventail de genres, d'espèces, de variations individuelles; il poursuit son développement dans la vie humaine, dans le mental et les types mentaux, s'acheminant vers la fin encore non. écrite ou, peut-être, la suite encore occulte de ce chapitre inachevé de l'évolution. Tout au long du processus, l'identité générale dans le déterminé originel et, soumise à cette identité substantielle de la substance et de la nature fondamentales, l'abondante variation dans les déterminés génériques et individuels, sont la règle constante; une même loi d'identité ou de similarité prévaut dans le genre ou l'espèce avec de nombreuses variations individuelles, souvent infiniment subtiles. Mais nous ne trouvons rien, dans aucun déterminé général ou générique, qui nécessite de telles variantes dans les déterminations ainsi produites. La nécessité d'une immuable identité à la base, de variations libres et inexplicables en surface semble être la loi; mais qui, ou qu'est-ce qui détermine tout cela ou le rend nécessaire ? Quelle est la logique de la détermination, quelle en est la vérité originelle ou la signification? Qu'est-ce qui impose ou active ce jeu exubérant de possibilités changeantes qui semblent n'avoir aucun but ni aucun sens, si ce n'est la beauté ou la joie de la création? Un Mental, une Pensée
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inventive, curieuse, toujours en quête, une Volonté déterminante cachée y sont peut-être présents, mais il n'y en a aucune trace dans l'apparence première et fondamentale de la Nature matérielle.
Une première explication possible suggère qu'un Hasard dynamique s'organisant lui-même est à l'œuvre — paradoxe nécessité par l'apparence, dans le phénomène cosmique que nous appelons Nature. d'un ordre inéluctable, d'une part, et, d'autre part, d'une fantaisie et d'un caprice inexplicables. Une Force inconsciente et inconséquente qui agit au petit bonheur et crée ceci ou cela par un hasard général, sans aucun principe déterminant — les déterminations n'intervenant que comme résultat d'une répétition persistante du même rythme d'action, et arrivant à leur fin parce que seul ce rythme répétitif pouvait réussir à maintenir l'existence des choses —, telle est l'énergie de la Nature. Mais cela implique que, quelque part à l'origine des choses, il y ait une Possibilité sans limites ou une matrice d'innombrables possibilités manifestées par l'Énergie originelle — un Inconscient incommensurable que nous avons quelque hésitation à nommer Existence ou Non-Existence; car sans une origine et une base de ce genre, l'apparence et l'action de l'Énergie sont inintelligibles. Il y a pourtant un autre aspect du phénomène cosmique, tel qu'il nous apparaît, qui semble contredire la théorie d'une action aléatoire produisant un ordre durable. On insiste trop sur l'implacable nécessité d'un ordre, d'une loi fondatrice de toute possibilité. Il paraît plus raisonnable de supposer qu'il existe une Vérité innée, impérative des choses, invisible à nos yeux, capable pourtant d'une multiple manifestation, projetant une multitude de possibilités et de variantes d'elle-même que l'Énergie créatrice change par son action en autant de réalités effectives. Ce qui nous amène à une seconde explication : la présence en toutes choses d'une nécessité mécanique, agissant comme une loi de la Nature — la nécessité, pourrions-nous dire, d'une Vérité des choses inhérente et secrète, qui, comme nous l'avons supposé, gouverne automatiquement les processus que nous voyons agir dans l'univers. Mais une simple théorie de la Nécessité mécanique ne saurait éclairer le jeu des variations infinies, et inexplicables, que l'évolution nous révèle dans l'univers. Il doit y avoir, derrière la Nécessité ou en elle, une loi d'unité associée à une loi de multiplicité coexistante encore que dépendante, qui insistent l'une et l'autre sur la manifestation. Mais l'unité de quoi, la multiplicité de quoi ? La Nécessité mécanique ne peut donner de réponse. L'émergence de la conscience hors de l'Inconscient
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est pour cette théorie une autre pierre d'achoppement; car c'est un phénomène qui ne peut avoir de place dans une omnipénétrante vérité de la Nécessité mécanique inconsciente. S'il y a une nécessité qui impose l'émergence, elle ne peut venir que du fait qu'il existe déjà une conscience scellée dans l'Inconscient, qui attend d'évoluer, et, quand tout est prêt, qui s'échappe de sa prison d'apparente Nescience. Certes, nous pouvons nous débarrasser de la difficulté que crée l'ordre impératif des choses en supposant que cet ordre n'existe pas, que le déterminisme est imposé à la Nature par notre pensée qui a besoin d'un tel ordre pour établir des rapports avec son milieu, alors qu'en réalité il n'existe rien de tel : il n'y a qu'une Force qui expérimente par l'action imprévisible des infinitésimaux, et la constante récurrente qui opère dans la somme de leur action et produit un effet général permet à cette Force d'élaborer différentes déterminations; ce n'est plus la Nécessité, c'est le Hasard qui redevient la base de notre existence. Mais quel est donc ce Mental, quelle est cette Conscience qui diffère si radicalement de l'Énergie qui l'a produite que, pour agir, elle doit imposer son idée et son besoin d'ordre au monde qu'elle a créé et où elle est obligée de vivre ? Il y aurait alors une double contradiction : d'une part, une conscience émergeant d'une Inconscience fondamentale; d'autre part, un Mental méthodique et rationnel se manifestant comme la brillante et ultime conséquence d'un monde créé par le Hasard inconscient. Ces choses sont peut-être possibles, mais elles exigent une meilleure explication que toutes celles qu'on leur a donné jusqu'à présent, avant que nous ne puissions les accepter.
Cela ouvre la voie à d'autres explications qui font de la Conscience la créatrice de ce monde à partir d'une Inconscience originelle apparente. Un Mental, une Volonté, semble avoir imaginé et organisé l'univers, mais il s'est voilé derrière sa création; sa première construction a été cet écran d'Énergie inconsciente et de forme matérielle de la substance, à la fois déguisement de sa présence et base créative plastique sur laquelle il puisse travailler comme un artisan se sert, pour produire formes et modèles, d'un matériau inerte et docile. Toutes ces choses que nous voyons autour de nous sont donc les pensées d'une Divinité extracosmique, d'un Être doué d'un Mental et d'une Volonté omnipotents et omniscients, qui est responsable de la loi mathématique de l'univers physique, de son œuvre d'art et de beauté, de son jeu étrange d'identité et de variations, de concordances et de discordances, d'opposés qui se combinent et s'entremêlent, responsable du drame
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de la conscience qui lutte pour exister et cherche à s'affirmer au sein d'un ordre universel inconscient. Que cette Divinité soit pour nous invisible, que notre mental et nos sens ne la puissent découvrir, voilà qui ne présente aucune difficulté, puisque l'on ne pourrait s'attendre à trouver des preuves indiscutables ou des signes directs d'un Créateur extracosmique dans un cosmos vide de sa présence : les signes partout manifestes des œuvres d'une Intelligence, d'une loi, d'un dessein, d'une formule, d'une adaptation des moyens en vue d'une fin, d'une invention constante et inépuisable, voire d'une fantaisie, freinée cependant par une Raison ordonnatrice, pourraient être tenus pour une preuve suffisante de cette origine des choses. Et même si ce Créateur n'est pas tout entier supracosmique, s'il est également immanent dans ses œuvres, il n'est nul besoin d'autre signe de lui — sinon pour une conscience qui évoluerait dans ce monde inconscient, et seulement quand son évolution aurait atteint le point où elle pourrait percevoir la Présence immanente. L'intervention de cette conscience évolutive ne serait pas une difficulté, puisque son apparence ne contredirait pas la nature fondamentale des choses; un Mental omnipotent pourrait aisément infuser quelque élément de lui-même dans ses créatures. Une seule difficulté demeure : c'est la nature arbitraire de la création, le caractère incompréhensible de son mobile, l'absence flagrante de signification de sa loi d'ignorance, de lutte et de souffrance sans nécessité, sa fin qui ne dénoue ni ne résout rien. Un jeu ? Mais pourquoi cette marque de tant d'éléments et de caractères non divins dans le jeu de l'Un dont il faut supposer que la nature est divine ? Et à ceux qui suggèrent que ce sont les pensées de Dieu que nous voyons s'élaborer dans le monde, on peut répondre que Dieu, lui aussi, aurait pu avoir de meilleures pensées, et que la meilleure de toutes eût été de s'abstenir de créer un univers malheureux et incompréhensible. Toutes les explications théistes de l'existence partant d'une Déité extracosmique se heurtent à cette difficulté et ne peuvent que l'éluder ; elle ne disparaîtrait que si le Créateur, tout en surpassant la création, y était néanmoins immanent, si d'une façon ou d'une autre il était lui-même à la fois le joueur et le jeu, un Infini coulant des possibilités infinies dans la forme établie d'un ordre cosmique évolutif.
Selon cette hypothèse, il doit y avoir, derrière l'action de l'Énergie matérielle, une Conscience secrète involuée, cosmique et infinie, qui, par l'action de cette Énergie frontale, élabore les moyens de sa manifestation évolutive, une création qui se crée elle-même dans le fini sans limites de
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l'univers matériel. L'apparente inconscience de l'Énergie matérielle serait une condition indispensable à la structure de la substance cosmique matérielle où cette Conscience projette de s'involuer, afin de pouvoir croître en évoluant hors de son contraire apparent; sans quelque artifice de ce genre, en effet, une complète involution serait impossible. Si l'Infini projette une telle création hors de lui-même, ce doit être la manifestation, sous un déguisement matériel, de vérités ou pouvoirs de son être propre ; les formes ou véhicules de ces vérités ou pouvoirs seraient les déterminés de base généraux ou fondamentaux que nous voyons dans la Nature; les déterminés particuliers — qui autrement sont d'inexplicables variations émergeant de la substance générale indistincte où ils prennent naissance — seraient les formes ou véhicules appropriés des possibilités inhérentes aux vérités ou pouvoirs contenus dans ces déterminés fondamentaux. Le principe de libre variation des possibilités, propre à une Conscience infinie, expliquerait le fait que les opérations de la Nature revêtent pour notre conscience l'aspect d'un Hasard inconscient — inconscient en apparence seulement et paraissant tel à cause de la complète involution dans la Matière, du voile derrière lequel la Conscience secrète a dissimulé sa présence. Le principe selon lequel des vérités, des pouvoirs réels de l'Infini doivent obligatoirement s'accomplir, expliquerait l'aspect opposé, cette Nécessité mécanique que nous voyons dans la Nature — mécanique en apparence seulement et paraissant telle à cause de ce même voile d'Inconscience. On pourrait donc parfaitement comprendre pourquoi l'Inconscient accomplit ses œuvres suivant un principe constant d'architecture mathématique, de planification, d'arrangement efficace des nombres, d'adaptation des moyens en vue d'une fin, de procédés et d'inventions inépuisables, on pourrait presque parler d'un constant savoir-faire expérimental et d'un automatisme téléologique. L'apparition de la conscience hors d'une Inconscience apparente ne serait plus, elle aussi, inexplicable.
Si cette hypothèse se justifiait, tous les processus inexpliqués de la Nature trouveraient leur sens et leur place. L'énergie semble créer la substance, mais en réalité, de même que l'existence est inhérente à la Conscience-Force, ainsi la substance serait également inhérente à l'Énergie — l'Énergie étant une manifestation de la Force, la substance une manifestation de l'Existence secrète. Mais étant une substance spirituelle, elle ne pourrait être appréhendée par les sens matériels tant que Énergie ne lui aurait pas donné les formes de matière qu'ils peuvent
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saisir. On commence également à comprendre comment l'arrangement du modèle, de la quantité et du nombre peut être une base pour la manifestation de la qualité et de la propriété ; car le modèle, la quantité et le nombre sont des pouvoirs de l'existence-substance, la qualité et la propriété des pouvoirs de la conscience, et de la force de cette conscience, qui sont au cœur de l'existence ; dès lors, un rythme et un processus de la substance peuvent les manifester et les rendre actifs. La croissance de l'arbre à partir de la graine s'expliquerait, ainsi que tous les autres phénomènes analogues, par la présence immanente de ce que nous avons appelé l'Idée-Réelle. La perception que l'Infini a de sa propre forme signifiante, du corps vivant de son pouvoir d'existence qui doit émerger de cet état de compression dans l'énergie-substance, serait intérieurement portée dans la forme de la graine, portée dans la conscience occulte involuée dans cette forme et en évoluerait naturellement. Il n'y aurait pas non plus de difficulté à comprendre, selon ce principe, comment des infinitésimaux de caractère matériel, tels le gène et le chromosome, peuvent contenir des éléments psychologiques destinés à être transmis à la forme physique qui doit émerger de la semence humaine. Ce serait au fond, dans l'objectivité de la Matière, un principe analogue à celui que nous percevons dans notre expérience subjective. Nous constatons en effet que le physique subconscient porte en lui un contenu psychologique mental, des impressions d'événements passés, des habitudes, des formations mentales et vitales fixes, des formes fixes de caractère, et, par un processus occulte, les transmet à la conscience de veille, suscitant ou influençant ainsi de nombreuses activités de notre nature.
Selon cette même hypothèse, il n'y aurait aucune difficulté à comprendre pourquoi les fonctionnements physiologiques du corps aident à déterminer les opérations psychologiques du mental ; le corps, en effet, n'est pas simplement de la Matière inconsciente : il est la structure d'une Énergie secrètement consciente qui a pris forme en lui. Occultement conscient, il est en même temps le moyen d'expression d'une Conscience manifeste qui a émergé et qui est consciente de soi dans notre énergie-substance physique. Les fonctionnements du corps sont un mécanisme, ou des instruments nécessaires aux mouvements de cet Habitant mental; c'est seulement en mettant en mouvement l'instrument corporel que l'Être conscient, qui émerge et évolue en lui, peut transmettre ses formations mentales et ses formations volitives, et les changer en une manifestation physique de lui-même dans la Matière.
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La capacité, les processus de l'instrument doivent dans une certaine mesure refaçonner les formations mentales quand elles passent de la forme mentale à l'expression physique ; ses opérations sont nécessaires et doivent exercer leur influence avant que l'expression ne se réalise. L'instrument physique peut même, dans certaines directions, dominer son utilisateur, et, par la force de l'habitude, il peut aussi suggérer ou créer des réactions involontaires de la conscience qui l'habite, avant que le Mental et la Volonté à l'œuvre ne puissent les maîtriser ou intervenir. Tout cela est possible parce que le corps possède une conscience " subconsciente " qui lui est propre et qui compte dans l'expression totale de nous-mêmes ; si nous ne considérons que cette instrumentation extérieure, nous pouvons même conclure que le corps détermine le mental, mais ce n'est là qu'une vérité mineure, et la Vérité majeure est que le mental détermine le corps. Selon ce point de vue, une Vérité plus profonde encore devient concevable; une entité spirituelle "donnant âme " à la substance qui la voile est ce qui, à l'origine, détermine et le mental et le corps. D'autre part, dans l'ordre inverse du processus — celui par lequel le mental peut transmettre ses idées et ses ordres au corps, l'entraîner à être l'instrument d'une action nouvelle, voire lui imposer ses exigences et ses ordres habituels de façon que l'instinct physique les exécute automatiquement, même quand le mental ne les veut plus consciemment, et ceux également, moins courants mais authentifiés, par lesquels le mental, dans une mesure extraordinaire et difficilement limitable, peut apprendre à déterminer les réactions du corps jusqu'à lui faire dépasser la loi normale ou les conditions normales de son action —, il devient facile de comprendre ces aspects de la relation entre ces deux éléments de notre être et d'autres aspects de la même relation qui ne peuvent autrement s'expliquer; car c'est la conscience secrète en la matière vivante qui reçoit tout de son compagnon plus grand ; c'est cela qui, dans le corps, à sa façon occulte et involuée, perçoit ou sent la demande qui lui est faite et obéit à la conscience émergée ou évoluée qui préside au corps. Finalement, la conception d'un Mental divin, d'une Volonté divine créant le cosmos devient justifiable, et en même temps, les éléments déconcertants qui s'y trouvent et que notre mentalité raisonnante refuse d'attribuer à un fiât arbitraire du Créateur, s'expliquent comme les phénomènes inévitables d'une Conscience émergeant avec difficulté de son contraire — mais avec pour mission de dépasser ces phénomènes contraires et de manifester, par une lente et difficile évolution, sa plus vaste réalité et sa vraie nature.
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Mais si nous partons de l'extrémité matérielle de l'Existence, nous n'aurons jamais la certitude que cette hypothèse est valable, ni, en l'occurrence, aucune autre explication de la Nature et de ses procédés : le voile jeté par l'Inconscience originelle est trop épais pour que le Mental le traverse, et c'est derrière ce voile qu'est cachée l'origine secrète de ce qui est manifesté ; là, se tiennent les vérités et les pouvoirs sur lesquels se fondent les phénomènes et les processus qui nous apparaissent à la surface matérielle de la Nature. Pour arriver à une connaissance plus sûre, nous devons suivre la courbe de la conscience évolutive jusqu'au point où elle atteint un sommet et une vaste illumination où le secret primordial se découvre de lui-même; car on peut supposer qu'elle doit évoluer, qu'elle doit finir par amener à la lumière ce que, depuis le commencement, retenait la Conscience occulte originelle au cœur des choses et dont elle est une manifestation progressive. Il serait vain, assurément, de rechercher la vérité dans la Vie ; car dans la première formulation de la Vie, la conscience est encore submentale, et à nous, êtres mentaux, elle paraît donc inconsciente ou tout au plus subconsciente ; à ce stade, si nous étudions de l'extérieur cette étape de la vie, notre propre recherche dans ce domaine ne nous révélera rien de plus de la vérité secrète que notre examen de la Matière. Même quand le mental se développe dans la vie, son premier caractère fonctionnel est une mentalité involuée dans l'action, dans les besoins et les préoccupations du vital et du physique, dans les impulsions, les désirs, les sensations, les émotions, et incapable de prendre du recul, d'observer ces choses et de les connaître. Il y a dans le mental humain le premier espoir d'intelligence, de découverte, d'une libre compréhension, et il y aurait, semble-t-il, la possibilité d'atteindre ici à la connaissance de soi et du monde. Mais en réalité, notre mental ne peut, au début, qu'observer les faits et les processus ; pour le reste, il lui faut déduire et inférer, construire des hypothèses, raisonner, spéculer. Pour découvrir le secret de la Conscience, il lui faudrait se connaître lui-même et déterminer la réalité de son être et de son mode d'action propres ; mais de même que, dans la vie animale, la Conscience qui émerge est involuée dans l'action et le mouvement vitaux, de même, dans l'être humain, la conscience mentale est involuée dans son propre tourbillon de pensées, activité où elle est entraînée sans repos et où même ses raisonnements et ses spéculations sont déterminés, dans leur tendance, leur orientation et leurs conditions, par son tempérament, sa tournure d'esprit, sa formation passée et sa ligne d'énergie, son inclination, sa préférence,
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une sélection naturelle innée : nous ne déterminons pas librement notre façon de penser selon la vérité des choses, c'est notre nature qui la détermine pour nous. Nous pouvons certes nous tenir en retrait et observer avec un certain détachement les jeux de l'Énergie mentale en nous ; mais en elle, nous ne voyons encore que le processus, et non point la source originelle de nos déterminations mentales : nous pouvons bâtir des théories et des hypothèses sur le processus du Mental, mais un voile recouvre toujours le secret intérieur de notre moi, de notre conscience, de notre nature intégrale.
C'est seulement lorsque nous suivons la méthode yoguique qui consiste à tranquilliser le mental lui-même, que notre observation de nous-mêmes peut avoir un effet plus profond. Car nous découvrons d'abord que le mental est une substance subtile, un déterminé général (ou un indéterminé générique) que l'énergie mentale, quand elle agit, projette les formes ou en des déterminations mentales particulières : pensées, concepts, percepts, sentiments mentalisés, activités volitives et réactions émotives, qui, lorsque cette énergie est au repos, peut vivre néanmoins dans l'inerte torpeur ou dans le silence et la paix immobiles de l'existence en soi. Nous voyons ensuite que les déterminations de notre mental ne viennent pas toutes de lui ; du dehors, en effet, des ondes et des courants d'énergie mentale pénètrent et prennent forme en lui, ou semblent déjà formés dans un Mental universel ou dans d'autres mentalités, et nous les acceptons comme notre pensée propre. Nous pouvons également percevoir en nous-mêmes un mental occulte ou subliminal d'où naissent les pensées, les perceptions, les impulsions de la volonté, les sentiments du mental ; nous pouvons également percevoir des plans de conscience plus élevés d'où une énergie mentale supérieure agit à travers nous ou sur nous. Nous découvrons enfin que ce qui observe tout cela est un être mental .qui soutient la substance et l'énergie mentales; sans cette présence — soutien et origine de toute décision — elles ne pourraient exister ni agir. Cet être mental, ce Purusha, apparaît d'abord comme un témoin silencieux et, si c'était tout, il nous faudrait accepter les déterminations du mental comme une activité phénoménale imposée à l'être par la Nature, Prakriti, ou bien comme une création que lui présenterait la Prakriti, un monde de pensée que la Nature construit et offre au Purusha qui observe. Mais nous constatons ensuite que le Purusha, l'être mental, peut abandonner sa position de Témoin silencieux ou consentant; il peut devenir la source de réactions, accepter, rejeter, voire gouverner et
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réglementer, devenir le donneur d'ordres, celui qui sait. On commence aussi à comprendre que cette substance mentale manifeste l'être mental, qu'elle est sa propre substance expressive, et l'énergie mentale sa propre conscience-force, si bien qu'il est raisonnable de conclure que toutes les déterminations mentales naissent de l'être du Purusha. Mais cette conclusion se complique du fait que, d'un autre point de vue, notre mental personnel semble être à peine plus qu'une formation du Mental universel, une machine pour la réception, la modification, la propagation d'ondes de pensées cosmiques, de courants d'idées, de suggestions volitives, d'ondes de sentiments, de suggestions sensorielles, de suggestions formelles, également d'origine cosmique. Il possède, sans aucun doute, une expression qui lui est propre, ses prédispositions, ses tendances, son caractère personnel, sa nature personnelle déjà réalisés; ce qui vient de l'universel ne peut y trouver place que si cela est accepté et assimilé dans l'expression de soi de l'être mental individuel, la Prakriti personnelle du Purusha. Étant donné ces complexités, la question, néanmoins, demeure entière, de savoir si toute cette évolution et toute cette action sont la création phénoménale d'une Énergie universelle qui se présente à notre être mental, ou une activité imposée par l'Énergie du Mental à l'existence indéterminée et peut-être indéterminable du Purusha, ou si elle est tout entière prédéterminée par une vérité dynamique du Moi intérieur se manifestant à la surface du mental. Pour le savoir, il nous faudrait atteindre un état, ou bien entrer dans un état cosmique d'être et de conscience, où la totalité des choses et leur principe intégral seraient plus évidents que pour notre expérience mentale limitée.
La conscience surmentale est cet état ou ce principe au-delà du mental individuel, au-delà même du mental universel dans l'Ignorance ; elle possède une cognition directe et souveraine de la vérité cosmique ; en elle, nous pourrions donc espérer commencer à comprendre le fonctionnement originel des choses, pénétrer les mouvements fondamentaux de la Nature cosmique. Une chose, en fait, devient claire : pour cette conscience, il est évident que l'individu et le cosmos proviennent tous deux d'une Réalité transcendante qui prend forme en eux; le mental et la vie de l'être individuel, son moi dans la nature, doivent donc être une expression partielle de l'Être cosmique et, à la fois par son intermédiaire et directement, une expression de la Réalité transcendante — ce peut être une expression conditionnelle et à demi voilée, mais ce n'en est pas moins là son sens. D'autre part, nous voyons aussi que
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la forme que prendra cette expression est également déterminée par l'individu lui-même ; seul ce qu'il peut recevoir, assimiler, formuler en sa nature, et qui constitue sa part de l'Être cosmique ou de la Réalité, peut prendre forme en son mental, sa vie et ses éléments physiques; il exprime quelque chose qui dérive de la Réalité, quelque chose qui existe dans le cosmos, mais dans les termes de son expression propre, de sa propre nature. Cependant, la connaissance surmentale ne résout pas la question originelle que nous pose le phénomène de l'univers : la construction de la pensée, de l'expérience, du monde de perceptions de la Personne mentale, du Purusha mental, est-elle vraiment une expression de soi, une auto-détermination procédant d'une vérité de son être spirituel, une manifestation des possibilités dynamiques de cette vérité, ou n'est-elle pas plutôt une création ou une construction que lui présente la Nature, la Prakriti ? Et cela ne lui appartiendrait donc, et ne dépendrait de lui, que dans la mesure où ce serait individualisé dans sa formation personnelle de cette Nature ; ou encore, ce pourrait être le jeu d'une Imagination cosmique, une fantaisie de l'Infini qui s'impose sur le vide indéterminable de sa propre existence pure, éternelle. Telles sont les trois façons de voir la création qui semblent avoir d'égales chances d'être justes, et le mental est incapable de faire un choix définitif entre elles, car chacune est armée de sa logique mentale et fait appel à l'intuition et à l'expérience. Le Surmental semble ajouter à la perplexité, car la vision surmentale des choses permet à chaque possibilité de se formuler indépendamment et de réaliser sa propre existence dans la cognition, la représentation de soi dynamique, l'expérience probante.
Dans le Surmental, dans tous les domaines supérieurs du mental, nous voyons se reproduire la dichotomie d'un moi pur et silencieux, sans traits, ni qualités, ni relations, existant en soi, établi en soi, se suffisant à soi-même, et de la puissante dynamis d'un pouvoir-de-connaissance déterminant, d'une conscience-force créatrice qui se précipite dans les formes de l'univers. Cette opposition, qui est en même temps une combinaison, comme si les deux termes étaient corrélatifs ou complémentaires, quoique apparemment contradictoires, atteint son sommet dans la coexistence d'un Brahman impersonnel sans qualités. Réalité divine fondamentale, libre de toutes relations ou de tous déterminés, et d'un Brahman doté de qualités infinies, Réalité divine fondamentale qui est la source, le contenant et le maître de toutes relations et déterminations — Nirguna, Saguna. Si nous poussons
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l'expérience du Nirguna jusqu'à son extrême limite, nous parvenons à un suprême Absolu vide de toute relation et de toute détermination, à l'ineffable, le premier et le dernier mot de l'existence. Si, par le Saguna, nous atteignons à la plus haute expérience possible, nous arrivons à un Absolu divin, une Divinité personnelle suprême et omniprésente, transcendante aussi bien qu'universelle, un Maître infini de toutes relations et déterminations, qui peut soutenir en son être un million d'univers et imprégner chacun d'un seul rayon de sa propre lumière et d'un seul degré de son existence ineffable. La conscience surmentale soutient également ces deux vérités de l'Éternel qui se présentent au mental comme deux termes mutuellement exclusifs; elle admet les deux comme aspects suprêmes de l'unique Réalité : quelque part derrière elles, doit donc exister une Transcendance plus grande encore qui les engendre ou les soutient l'une et l'autre en sa suprême Éternité. Mais que peut être Cela dont ces deux contraires sont d'égales vérités, si ce n'est un Mystère originel indéterminable que le mental ne peut en aucune façon connaître ni comprendre ? Sans doute pouvons-nous le connaître jusqu'à un certain point, dans un certain genre d'expérience ou de réalisation, par ses aspects, ses pouvoirs, sa constante série de négatifs et de positifs fondamentaux au moyen desquels il nous faut le rechercher, indépendamment dans l'une ou l'autre vérité ou intégralement dans les deux à la fois ; mais en fin de compte, il semble échapper même à la plus haute mentalité et demeurer inconnaissable.
Mais si le suprême Absolu est effectivement un pur Indéterminable, alors aucune création, aucune manifestation, aucun univers n'est possible. Et pourtant l'univers existe. Alors, qu'est-ce qui crée cette contradiction, réalise l'impossible, fait naître cette énigme insoluble de la division de soi ? Ce doit être un Pouvoir, et puisque l'Absolu est la seule réalité, l'unique origine de toutes choses, ce Pouvoir doit en découler, doit avoir avec lui un rapport, un lien, une relation de dépendance. Car s'il diffère totalement de la Réalité suprême, s'il est une Imagination cosmique imposant ses déterminations au vide éternel de l'Indéterminable, alors il n'est plus possible d'admettre que seul existe un Parabrahman absolu ; il y aurait donc un dualisme à la source des choses — qui ne diffère pas fondamentalement du dualisme Âme-Nature du Sânkhya. Si c'est un Pouvoir, en vérité le seul Pouvoir de l'Absolu, nous nous trouvons devant une impossibilité logique : l'existence de l'Être suprême et le Pouvoir de son existence s'opposent
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entièrement, ce sont deux termes absolument contradictoires, car le Brahman est libre de toute possibilité de relations et de déterminations, tandis que la Maya est une Imagination créatrice qui lui impose ces choses mêmes; elle engendre des relations et des déterminations dont, nécessairement, le Brahman doit être le soutien et le témoin — formule que la raison logique ne saurait admettre. Si on l'accepte, ce ne peut être que comme mystère suprarationnel, quelque chose qui n'est ni réel ni irréel, inexplicable en sa nature, anirvachanîya. Mais les difficultés sont si grandes qu'on ne peut l'accepter que si elle s'impose indiscutablement comme l'ultime inévitable, la fin et le sommet de la recherche métaphysique et de l'expérience spirituelle. Car même si toutes choses sont des créations illusoires, du moins doivent-elles posséder une existence subjective, et elles ne peuvent exister nulle part, sinon dans la conscience de la Seule Existence ; elles sont alors des déterminations subjectives de l'Indéterminable. Si, au contraire, les déterminations de ce Pouvoir sont des créations réelles, à partir de quoi sont-elles déterminées, quelle est leur substance ? Il n'est pas possible qu'elles soient faites d'un Rien, d'une Non-Existence autre que l'Absolu ; cela érigerait un nouveau dualisme, un grand Zéro positif contrastant avec le x indéterminable et supérieur encore que nous avons posé comme l'unique Réalité. Il est donc évident que la Réalité ne peut être un Indéterminable rigide. Tout ce qui est créé doit provenir de cette Réalité et exister en elle, et ce qui a même substance que l'absolument Réel, doit aussi être réel; la négation, vaste et sans fondement, d'une réalité se prétendant réelle, ne peut être le seul produit de la Vérité éternelle, de l'Existence Infinie. Il est parfaitement compréhensible que l'Absolu soit et doive être indéterminable, en ce sens qu'il ne peut être limité par aucune détermination, ni aucune somme de déterminations possibles, mais cela ne signifie pas qu'il est incapable de se déterminer lui-même. L'Existence Suprême ne peut être incapable de créer de vraies auto-déterminations de son être, incapable de soutenir une réelle création ou manifestation de soi en son infini existant en soi.
Le Surmental ne nous donne donc aucune solution définitive et positive; c'est au-delà, dans une cognition supramentale, qu'il nous appartient de chercher la réponse. La Conscience-de-Vérité supramentale est à la fois la conscience de soi de l'Infini et Éternel et un pouvoir d'auto-détermination inhérent à cette conscience de soi; la première est la base et l'état de l'Infini et Éternel, la seconde
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est son pouvoir d'être, la dynamis de son existence en soi. Tout ce qu'une intemporelle éternité de conscience de soi voit en elle-même comme vérité d'être, le pouvoir conscient de son être le manifeste dans l'éternité-du-Temps. Pour le Supramental, le Suprême n'est donc pas un Indéterminable rigide, un Absolu qui nie tout ; un infini d'être complet en lui-même dans l'immuable pureté de sa propre existence, son seul pouvoir étant une pure conscience capable seulement de s'absorber en l'invariable éternité de l'être, en l'immuable félicité de sa pure existence, n'est pas toute la Réalité. L'Infini d'Être doit être également un Infini de Pouvoir, où se trouve un repos et une tranquillité éternels, et en même temps la possibilité d'une action et d'une création éternelles, mais une action en lui-même, une création hors de son moi éternel et infini, puisqu'il n'y aurait rien d'autre à partir de quoi il pourrait créer ; toute base de création qui semble autre que lui-même doit exister en réalité en lui-même et provenir de lui-même et ne pourrait être quelque chose d'étranger à son existence. Un Pouvoir infini ne peut être seulement une Force reposant dans une pure identité inactive, une quiétude immuable; il doit posséder en lui-même les pouvoirs infinis de son être et de son énergie : une Conscience infinie doit contenir en elle-même des vérités infinies de sa conscience de soi. Dans l'action, celles-ci apparaîtraient à notre cognition comme des aspects de son être, à notre sens spirituel comme des pouvoirs et des mouvements de sa dynamis, à notre aesthesis comme des instruments et des formulations de sa joie d'être. La création serait alors une manifestation, un déploiement ordonné des infinies possibilités de l'Infini. Mais chaque possibilité est nécessairement soutenue par une vérité d'être, une réalité dans l'Existant; car sans cette vérité, sans ce support, il n'y aurait pas de possibles. Dans la manifestation, une réalité fondamentale de l'Existant apparaîtrait à notre cognition comme un aspect spirituel fondamental de l'Absolu Divin; toutes ses manifestations possibles, ses dynamismes innés, en émergeraient, et ceux-ci, à leur tour, devraient créer ou plutôt exprimer, d'une latence non manifestée, leurs formes significatives, leurs pouvoirs d'expression, leurs processus inhérents; leur être engendrerait leur devenir, svarûpa, svabhâva. Tel serait donc le processus complet de la création. Mais dans notre mental, nous ne le voyons pas en son intégralité, nous ne voyons que des possibilités qui se déterminent pour s'actualiser, et malgré toutes nos déductions et conjectures, nous ne sommes pas certains qu'il y ait une nécessité secrète, une vérité prédéterminante, un impératif qui donne pouvoir aux possibilités et décide des actualisations. Notre mental
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est un observateur de ces actualités, un inventeur ou un découvreur de possibilités, mais il n'a pas la vision des impératifs occultes qui rendent nécessaires les mouvements et les formes d'une création; car à la surface de l'existence universelle, il n'y a que des forces qui déterminent des résultats en créant un certain équilibre quand leurs pouvoirs entrent en contact. Notre ignorance nous empêche de voir le Déterminant originel ou les déterminants originels, s'ils existent. Mais pour la Conscience-de-Vérité supramentale ces impératifs seraient apparents, seraient la substance même de sa vision et de son expérience : dans le processus créateur du Supramental, les impératifs, le réseau de possibilités, les actualités résultantes formeraient un tout unique, un mouvement indivisible ; possibilités et actualités auraient le caractère inévitable de leur impératif d'origine — tous leurs résultats, toute leur création seraient le corps de la Vérité qu'elles manifesteraient dans les formes et les pouvoirs signifiants et prédéterminés de la Toute-Existence.
Notre cognition fondamentale et notre expérience spirituelle substantielle de l'Absolu est l'intuition ou expérience directe d'une Existence éternelle et infinie, d'une Conscience éternelle et infinie, d'une Félicité d'être éternelle et infinie. Dans la cognition surmentale et mentale, il est possible de dissocier et même de scinder cette unité originelle en trois aspects existants en soi, car nous pouvons avoir l'expérience d'une pure Béatitude éternelle et sans cause, si intense que nous ne sommes plus que cela ; l'existence, la conscience semblent englouties en elle, ne plus être visiblement présentes; on peut aussi faire l'expérience analogue de la conscience pure et absolue et s'identifier exclusivement à elle, de même que l'on peut s'identifier avec l'existence pure et absolue. Mais pour une cognition supramentale, les trois sont toujours une inséparable Trinité, même si l'une se tient au premier plan et manifeste ses propres déterminés spirituels ; car chacune a ses aspects primordiaux ou ses formations propres, mais toutes ont la même origine dans l'Absolu tri-un. L'Amour, la Joie et la Beauté sont les déterminés fondamentaux de la Félicité d'être divine, et nous pouvons immédiatement voir qu'ils sont la substance et la nature mêmes de cette Félicité : ce ne sont pas des choses étrangères imposées à l'être de l'Absolu, ni des créations qu'il soutient mais qui demeureraient en dehors de lui ; ce sont des vérités de son être, inhérentes à sa conscience, des pouvoirs de sa force d'existence. Il en va de même pour les déterminés fondamentaux de la conscience absolue : la connaissance et la volonté ; ce sont des vérités et des pouvoirs
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inhérents de la Conscience-Force originelle. Cette authenticité devient encore plus évidente quand nous considérons les déterminés spirituels fondamentaux de l'Existence absolue ; ils sont ses pouvoirs tri-uns, les premiers postulats nécessaires à toute sa création, à sa manifestation de soi — le Moi, le Divin, l'Être Conscient; l'Âtman, l'îshwara, le Purusha.
Si nous poursuivons notre étude du processus de cette manifestation de soi, nous verrons que chacun de ces aspects ou pouvoirs repose en son action première sur une triade, une trinité. La Connaissance se place en effet dans une trinité : le Connaissant, le Connu et la Connaissance ; l'Amour se découvre également dans une trinité : l'Amant, le Bien-aimé et l'Amour; la Volonté s'accomplit en une trinité : le Seigneur de la Volonté, l'objet de la Volonté et la Force exécutrice ; la Joie trouve son originelle et parfaite allégresse dans une trinité : celui qui éprouve la Joie, Ce qui donne la Joie et la Félicité qui les unit; tout aussi inévitablement le Moi apparaît et fonde sa manifestation dans une trinité : le Moi comme sujet, le Moi comme objet, et la conscience de soi qui maintient l'unité du Moi en tant que sujet-objet. Ces pouvoirs et aspects primordiaux, et d'autres également, assument leur état parmi les auto-déterminations spirituelles fondamentales de l'Infini; tous les autres sont des déterminés des déterminés spirituels fondamentaux, des relations signifiantes, des pouvoirs signifiants, des formes signifiantes d'être, de conscience, de force, de félicité — énergies, conditions, modes, lignes du processus-de-vérité de la Conscience-Force de l'Éternel, impératifs, possibilités, actualités de sa manifestation. Tout ce déploiement de pouvoirs et de possibilités et de leurs conséquences inhérentes est maintenu par la cognition supramentale en une étroite unité; grâce à elle, ils restent consciemment fondés sur la vérité originelle et maintenus dans l'harmonie des vérités qu'ils manifestent et qu'ils sont en leur nature. Ici ne s'impose aucune imagination, aucune création arbitraire, il n'y a pas non plus de division, de fragmentation, de contradiction ou de disparité inconciliable. Ces phénomènes, en revanche, apparaissent dans le Mental d'Ignorance ; car là, c'est une conscience limitée qui voit et traite tout comme s'il s'agissait d'objets séparés de cognition, ou d'existences séparées ; elle cherche à les connaître, à les posséder et à en jouir, leur impose sa volonté ou subit la leur. Mais derrière son ignorance, ce que l'âme cherche en elle, c'est la Réalité, la Vérité, la Conscience, le Pouvoir, la Félicité par lesquels ils existent ; le mental doit apprendre à s'éveiller à
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cette vraie recherche et à cette vraie connaissance qui est voilée en lui, à la Réalité dont toutes choses tiennent leurs vérités, à la Conscience dont toutes les consciences sont des entités, au Pouvoir dont tous tirent la force d'être qu'ils portent en eux, au Délice dont tous les délices sont des représentations partielles. Cette limitation de la conscience et cet éveil à l'intégralité de la conscience sont aussi un processus de manifestation de soi, une détermination de soi de l'Esprit ; même lorsqu'ils sont contraires i la Vérité en leurs apparences, les phénomènes de la conscience limitée possèdent, en leur sens et leur réalité plus profonds, une signification divine; eux aussi expriment une vérité ou une possibilité de l'Infini. Pour autant qu'on puisse la traduire en formules mentales, la cognition supramentale des choses, qui voit partout l'unique Vérité, serait de cette nature et c'est ainsi qu'elle nous décrirait notre existence, qu'elle exposerait le secret de la création et le sens de l'univers.
En même temps, l'indéterminabilité est aussi un élément nécessaire dans notre conception de l'Absolu et dans notre expérience spirituelle : c'est l'autre aspect du regard supramental sur l'être et les choses. L'Absolu ne peut être limité ni défini par aucune détermination ni par aucune somme de déterminations ; d'autre part, il n'est pas enchaîné à un vide indéterminable d'existence pure. Il est au contraire la source de toutes les déterminations : son indéterminabilité est la condition naturelle et nécessaire à la fois de son infinité d'être et de son infinité de pouvoir d'être ; il peut être infiniment toutes choses parce qu'il n'en est aucune en particulier et qu'il dépasse toute totalité définissable. C'est cette indéterminabilité essentielle de l'Absolu qui se traduit dans notre conscience par les positifs négateurs fondamentaux de notre expérience spirituelle : le Moi immobile et immuable, le Nirguna Brahman, l'Éternel sans qualités, l'unique Existence pure et sans traits, l'Impersonnel, le Silence Vide d'activités, le Non-Être, l'Ineffable et l'Inconnaissable. Par ailleurs, elle est l'essence et la source de toutes les déterminations, et cette essentialité dynamique se manifeste pour nous au moyen des positifs affirmateurs fondamentaux où l'Absolu s'offre également à nous; car c'est le Moi qui devient toutes choses, le Saguna Brahman, l'Éternel aux qualités infinies, l'Un qui est le Multiple, la Personne infinie, source et fondement de toutes les personnes et de toutes les personnalités, le Seigneur de la création, le Verbe, le Maître de toutes les œuvres et de l'action. Cela connu, tout est connu ; ces affirmations correspondent à ces négations. Car il n'est pas possible, dans une cognition supramentale,
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de séparer les deux aspects de l'unique Existence — il est même excessif de les présenter comme des aspects, car chacun est en l'autre; leur coexistence ou leur existence unique est éternelle, et leurs pouvoirs qui se soutiennent mutuellement fondent la manifestation de l'Infini.
Mais leur cognition séparée n'est pas non plus une entière illusion ou une erreur complète de l'Ignorance ; cette cognition aussi a sa valeur pour l'expérience spirituelle. Car ces aspects primordiaux de l'Absolu sont des déterminés ou des indéterminés spirituels fondamentaux répondant, à cette fin ou à ce commencement spirituels, aux déterminés généraux ou aux indéterminés génériques de la fin matérielle ou du commencement inconscient de la Manifestation descendante et ascendante. Ceux qui nous semblent négatifs portent en eux la liberté de l'Infini qui n'est pas limité par ses propres déterminations ; leur réalisation dégage l'esprit au-dedans, nous libère et nous permet de partager cette suprématie : ainsi, une fois que nous nous sommes plongés dans l'expérience du moi immuable, ou que nous sommes passés au travers, nous ne sommes plus liés ni limités, dans la condition intérieure de notre être, par les déterminations et les créations de la Nature. D'autre part — la part dynamique —, cette liberté originelle permet à la Conscience de créer un monde de déterminations sans que ce monde l'enchaîne ; elle lui permet aussi de se retirer de ce qu'elle a créé et de recréer selon une formule de vérité supérieure. C'est sur cette liberté que repose le pouvoir qu'a l'Esprit de varier à l'infini les possibilités-de-vérité de l'existence, et aussi sa capacité de créer, sans se lier à ses opérations, toutes les formes possibles de Nécessité ou de système structuré ; l'être individuel, lui aussi, en faisant l'expérience de ces absolus négatifs, peut partager cette liberté dynamique et passer à un niveau d'expression supérieur. Au stade où, du mental, il doit se diriger vers son statut supramental, une expérience très utile, et peut-être même indispensable par son grand pouvoir libérateur, peut se produire. C'est l'immersion dans un total nirvana de la mentalité et de l'ego mental, un passage dans le silence de l'Esprit. En tout cas, une réalisation du Moi pur doit toujours précéder la transition vers cette éminence médiatrice de la conscience d'où l'on a une vision claire et souveraine des degrés ascendants et descendants de l'existence manifestée, tandis que la possession du libre pouvoir de s'élever et de descendre devient une prérogative spirituelle. Une identification complète, indépendante, avec chacun des aspects et pouvoirs primordiaux — qui ne se rétrécit point, comme dans le Mental,
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jusqu'à devenir une unique expérience absorbante apparemment finale et intégrale, car ce serait incompatible avec la réalisation de l'unité de tous les aspects et pouvoirs de l'existence —est une capacité inhérente à la conscience dans l'Infini ; c'est là que se trouvent en fait la base et la justification de la cognition surmentale et sa volonté d'amener à leur plénitude indépendante chaque aspect, chaque pouvoir, chaque possibilité. Mais le Supramental conserve toujours, et dans chaque statut ou condition, la réalisation spirituelle de l'Unité totale ; la présence intime de cette Unité est là, même dans la plus complète appréhension de chaque chose, et chaque état y reçoit tout son délice, tout son pouvoir et toute sa valeur ; ainsi ne perd-on pas de vue les aspects affirmatifs, même lorsque la vérité des aspects négatifs est pleinement acceptée. Le Surmental garde encore le sens de cette Unité fondamentale ; c'est pour lui la base sûre de toute expérience particulière. Dans le Mental, la connaissance de l'unité de tous les aspects est perdue à la surface, la conscience est plongée dans des affirmations séparées, exclusives et absorbantes ; mais là aussi, même dans l'ignorance du Mental, la réalité totale demeure encore présente derrière l'absorption exclusive et peut être recouvrée sous la forme d'une profonde intuition mentale ou bien dans l'idée ou le sentiment d'une vérité sous-jacente d'unité intégrale; dans le mental spirituel, cela peut devenir une expérience constante.
Tous les aspects de la Réalité omniprésente ont leur vérité fondamentale dans l'Existence suprême. Ainsi, même l'aspect ou pouvoir de l'Inconscience, qui semble être une contradiction, une négation de la Réalité éternelle, correspond néanmoins à une Vérité contenue en l'Infini conscient de lui-même et de tout. Un regard attentif nous révèle que c'est là le pouvoir qu'a l'Infini de plonger la conscience dans une transe d'involution, c'est un oubli de soi de l'Esprit voilé en ses propres abîmes où" rien n'est manifesté, mais où tout est, inconcevablement, et peut émerger de cette ineffable latence. Sur les sommets de l'Esprit, cet etat de sommeil-transe cosmique ou infini se révèle à notre connaissance comme une absolue et lumineuse Supraconscience ; à l'autre extrémité de être, nous le percevons comme le pouvoir qu'a l'Esprit de se présenter à lui-même les opposés de ses vérités d'être — un abîme de non-existence, une profonde Nuit d'inconscience, un insondable évanouissement de la sensibilité d'où peuvent, pourtant, se manifester toutes les formes être, de conscience et de joie d'être —, mais ils apparaissent dans des termes limités, dans des formulations de soi qui lentement émergent et
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croissent, voire dans leurs termes contraires ; c'est le jeu d'un tout-être secret, d'une toute-félicité secrète, d'une secrète toute-connaissance, mais il observe les règles de son oubli de soi, de sa propre opposition à soi, de son auto-limitation jusqu'à ce qu'il soit prêt à les dépasser. Telles sont l'Inconscience et l'Ignorance que nous voyons à l'œuvre dans l'univers matériel. Non pas une négation, mais un terme, une formule de l'Existence éternelle et infinie.
Il est important d'examiner ici le sens qu'assume le phénomène de l'Ignorance, dans cette cognition totale de l'être cosmique, sa place assignée dans l'économie spirituelle de l'univers. Si tout ce dont nous faisons l'expérience était imposition, création irréelle dans l'Absolu, la vie cosmique et la vie individuelle seraient l'une et l'autre, dans leur nature même, une Ignorance; la seule connaissance réelle serait une indéterminable conscience de soi de l'Absolu. Si tout était l'édification d'une création temporelle et phénoménale face à la réalité de l'Éternel, témoin hors du temps, si la création n'était pas une manifestation de la Réalité mais une construction cosmique arbitraire, effective en soi, ce serait une autre forme d'imposition. Notre connaissance de la création serait la connaissance d'une structure temporaire de conscience et d'être évanescents, d'un Devenir douteux traversant la vision de l'Éternel, mais pas une connaissance de la Réalité; cela aussi serait une Ignorance. Mais si tout est une manifestation de la Réalité, si toutes choses sont réelles du fait de l'immanence constituante et de la présence de cette Réalité, de son essence qui leur donne leur substance, alors la conscience de l'être individuel et de l'être universel serait, en son origine et sa nature spirituelles, un jeu de l'infinie connaissance de soi et de tout. L'Ignorance ne pourrait être qu'un mouvement subordonné, une cognition réprimée ou restreinte" ou une connaissance partielle et imparfaite qui se développe, avec, cachée en elle et derrière elle, la véritable et totale conscience de soi et de tout. Ce serait un phénomène temporaire, non point la cause et l'essence de l'existence cosmique; son inévitable accomplissement serait un retour de l'Esprit, non pas hors du cosmos à une unique conscience de soi supracosmique, mais dans le cosmos lui-même à une connaissance. intégrale de soi et de tout.
On pourrait objecter que la cognition supramentale n'est pas, après tout, la vérité finale des choses. Par-delà le plan supramental de la conscience, qui est une étape intermédiaire menant du Surmental et du
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Mental à l'expérience complète de Satchidânanda, se trouvent les plus hauts sommets de l'Esprit manifesté ; et là, assurément, l'existence ne pourrait être fondée sur la détermination de l'Un dans la multiplicité, mais manifesterait uniquement et tout simplement une pure identité dans l'unité. Mais la Conscience-de-Vérité supramentale ne serait pas absente de ces plans, car elle est un pouvoir inhérent de Satchidânanda ; la différence tiendrait au fait que les déterminations ne seraient pas des démarcations, elles seraient plastiques, fondues les unes aux autres, chacune constituant un infini sans limites. Car là, tout est en chacun et chacun est en tout, radicalement et intégralement — il y aurait au suprême degré une conscience fondamentale d'identité, une inclusion mutuelle et une interpénétration de conscience; la connaissance telle que nous l'envisageons n'existerait pas, car elle ne serait pas nécessaire, puisque tout serait une action directe de la conscience dans l'être même, identique, intime, intrinsèquement consciente de soi et de tout. Mais les relations de conscience, les relations de joie d'être mutuelle, les relations de pouvoir essentiel d'être, ne seraient pas exclues pour autant; ces plans spirituels les plus hauts ne seraient pas un champ de vierge indéterminabilité, un vide d'existence pure.
On pourrait dire encore que, même ainsi, en Satchidânanda lui-même tout au moins, au-dessus de tous les mondes de la manifestation, il n'y aurait rien autre que la conscience de soi d'une existence et d'une conscience pures, une joie d'être pure. Ou, en vérité, cet être tri-un lui-même pourrait bien n'être qu'une trinité d'auto-déterminations spirituelles originelles de l'Infini; comme toutes les déterminations, celles-ci aussi cesseraient d'exister dans l'ineffable Absolu. Mais selon notre point de vue, il doit exister des vérités inhérentes à l'être suprême ; leur réalité la plus haute doit préexister dans l'Absolu, même si elles sont ineffablement autres que ce qu'elles sont dans l'expérience la plus élevée qui soit accessible au mental spirituel. L'Absolu n'est pas un mystère d'infinie vacuité ni une somme suprême de négations ; rien ne peut se manifester qui ne soit justifié par un pouvoir inné de la Réalité originelle et omniprésente.
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Brahman, Purusha, Îshwara Mâyâ, Prakriti, Shakti
Cela est présent dans les êtres, indivisible et comme divisé.
Brahman, la Vérité, la Connaissance, l'Infini.
Sache que le Purusha et la Prakriti sont tous deux éternels, sans commencement.
Gîta. XIII. 30.
On doit connaître que Maya est Prakriti et que le Seigneur de la Maya est le Seigneur suprême de tout.
Shvetâshvatara Upanishad. IV. 10.
C'est le pouvoir de la Divinité dans le monde qui fait tourner la roue du Brahman. C'est Lui qu'il faut connaître, le suprême Seigneur de tous les seigneurs, la suprême Divinité au-dessus de toutes les divinités. Suprême aussi est Sa Shakti et multiple l'opération naturelle de la connaissance et de la force de celle-ci. Divinité unique, occulte en tous les êtres. Moi intérieur de tous les êtres, c'est Lui qui imprègne tout, absolu sans qualité, veillant sur toute action. Lui le témoin, le connaissant.
Shvetâshvatara Upanishad. VI. 1,7, 8,11.
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Il existe donc une suprême Réalité éternelle, absolue et infinie. Parce qu'elle est absolue et infinie, elle est en son essence indéterminable. Elle est indéfinissable et inconcevable pour le mental fini et qui définit ; elle est ineffable pour la parole créée par le mental ; elle ne peut être décrite, ni par nos négations, neti neti — car nous ne pouvons la limiter en disant qu'elle n'est pas ceci, qu'elle n'est pas cela —, ni par nos affirmations, car nous ne pouvons la fixer en disant qu'elle est ceci, qu'elle est cela, iti iti. Et pourtant, bien qu'elle nous soit inconnaissable de cette façon, elle n'est pas entièrement ni en tous points inconnaissable; elle est pour elle-même évidente en soi et, bien qu'inexprimable, elle est néanmoins évidente pour une connaissance par identité dont l'être spirituel en nous doit être capable; car, en son essence et en sa réalité originelle et intime, cet être spirituel n'est autre que cette Existence Suprême.
Bien qu'il soit indéterminable pour le mental, du fait qu'il est absolu et infini, nous découvrons pourtant que cet Infini éternel et suprême se détermine lui-même pour notre conscience dans l'univers par des vérités réelles et fondamentales de son être qui sont au-delà de l'univers et en lui, et constituent le fondement même de son existence. Ces vérités se présentent à notre intelligence conceptuelle comme les aspects fondamentaux où se forment notre vision et notre expérience de la Réalité omniprésente. Elles sont saisies directement en elles-mêmes, non par la compréhension intellectuelle, mais par une intuition spirituelle, une expérience spirituelle dans la substance même de notre conscience; une idée vaste et plastique peut toutefois les saisir sur le plan conceptuel et les exprimer d'une certaine manière dans un langage souple qui n'insiste pas trop sur les définitions rigides ni ne limite l'ampleur et la subtilité de l'idée. Afin d'exprimer cette expérience ou cette idée avec quelque fidélité, il faut créer un langage qui soit à la fois intuitivement métaphysique et poétiquement révélateur, qui admette des images significatives et vivantes comme véhicule d'une indication
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précise, suggestive et frappante — le langage des Véda et des Upanishad, taillé dans une masse subtile et féconde. Dans la langue ordinaire de la pensée métaphysique, nous devons nous contenter d'une vague indication, d'une approximation par abstraction, qui peut encore être de quelque utilité pour notre intellect, car c'est le langage qui convient à notre méthode de compréhension logique et rationnelle; mais s'il veut nous être réellement utile, l'intellect doit consentir à franchir les limites d'une logique finie et s'habituer à la logique de l'Infini. Ce n'est qu'à cette condition, par cette manière de voir et de penser, qu'il cesse d'être paradoxal et futile de parler de l'ineffable. Mais si nous insistons pour appliquer une logique finie à l'Infini, la Réalité omniprésente nous échappera, et nous ne saisirons qu'une ombre abstraite, une forme morte, pétrifiée par les mots, ou un diagramme symbolique rébarbatif qui parle de la Réalité sans l'exprimer. Notre mode de connaissance doit être adapté à l'objet de cette connaissance; à défaut de quoi, nous n'arriverons qu'à de vagues spéculations, qu'à une image de la connaissance et non à la connaissance véritable.
Le suprême aspect-de-Vérité qui se manifeste ainsi, est une existence en soi, une conscience de soi et une joie d'être inhérente, qui sont éternelles, infinies et absolues; c'est le fondement de toutes choses, ce qui les soutient et secrètement les pénètre. Cette Existence en soi se révèle par ailleurs en trois termes de sa nature essentielle — le Moi, l'Être Conscient ou Esprit, et Dieu ou Être Divin. Les termes indiens sont plus satisfaisants — Brahman, la Réalité, est Âtman, Purusha, îshwara ; car ces termes ont tous pour racine l'Intuition et, bien que d'une précision compréhensive, sont assez souples pour éviter les applications vagues aussi bien que le piège des concepts intellectuels rigides et trop limitatifs. Le Brahman suprême est ce que, dans la métaphysique occidentale, on appelle l'Absolu; mais le Brahman est en même temps la Réalité omniprésente en laquelle existe tout ce qui est relatif, et qui représente ses formes et mouvements ; c'est un Absolu qui embrasse toutes les relativités. Les Upanishad affirment que tout est le Brahman : le Mental est Brahman, la Vie est Brahman, la Matière est Brahman. Elles s'adressent en ces termes à Vâyu, le Seigneur de l'Air, de la Vie : " Ô Vâyu, tu es le Brahman manifesté ", et désignant l'homme et l'animal, et l'oiseau, et l'insecte, elles identifient chacun séparément avec l'Un : " Ô Brahman, tu es ce vieil homme et ce garçon et cette fille, tu es cet oiseau et cet insecte. " Le Brahman est la Conscience qui se connaît elle-même en
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tout ce qui existe; le Brahman est la Force qui soutient le pouvoir du Dieu, du Titan, du Démon, la Force qui agit dans l'homme et l'animal, et dans les formes et les énergies de la Nature ; le Brahman est l'Ananda, la secrète Béatitude de l'existence qui est l'éther de notre être, et sans laquelle nul ne pourrait respirer, ne pourrait vivre. Le Brahman est l'Âme intérieure en tout être ; il a pris une forme correspondant à chaque forme créée qu'il habite. Le Seigneur des Êtres est ce qui est conscient dans l'être conscient, mais il est aussi le Conscient dans les choses inconscientes, l'Un qui est le maître et souverain de la multiplicité passive entre les mains de la Nature-Force. Il est l'Intemporel et le Temps ; il est l'Espace et tout ce qui est dans l'Espace ; il est la causalité et la cause et l'effet : il est le penseur et sa pensée, le guerrier et son courage, le joueur et son coup de dés. Toutes les réalités, tous les aspects, toutes les apparences sont le Brahman. Le Brahman est l'Absolu, le transcendant et l'incommunicable, l'Existence supracosmique qui soutient le cosmos, le Moi cosmique qui supporte tous les êtres, mais Il est aussi le moi de chaque individu : l'âme ou entité psychique est une portion éternelle de l'îshwara; c'est sa Nature suprême ou Conscience-Force qui est devenue l'être vivant dans un monde d'êtres vivants. Seul le Brahman est, et grâce à Lui tous les êtres sont, car tous sont le Brahman ; cette Réalité est la réalité de tout ce que nous voyons dans le Moi et la Nature. Le Brahman, l'îshwara, est tout ceci par sa Yoga-Mâyâ, par le pouvoir de sa Conscience-Force projetée dans la manifestation de soi : il est l'Être Conscient, l'Âme, l'Esprit, le Purusha, et c'est par sa Nature, la force de sa consciente existence-en-soi, qu'il est toutes choses; il est l'îshwara, Celui qui, omniscient et omnipotent, régit tout, et c'est par sa Shakti, son Pouvoir conscient, qu'il se manifeste dans le Temps et gouverne l'univers. Toutes ces affirmations réunies, et d'autres similaires, ont un caractère global; le mental peut couper et sélectionner, construire un système clos et se justifier d'en exclure tout ce qui n'y entre pas ; ce n'en est pas moins sur l'exposé multiple et complet que nous devons nous fonder si nous voulons acquérir une connaissance intégrale.
Une Existence en soi, une Conscience de soi, une Joie d'être absolus, éternels et infinis, soutenant et imprégnant l'univers tout en le dépassant : telle est donc la première vérité de l'expérience spirituelle. Mais cette vérité d'être a un aspect à la fois impersonnel et personnel ; elle n'est pas seulement Existence, elle est aussi l'Être unique absolu, éternel et infini. De même qu'il y a trois aspects fondamentaux où
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nous trouvons cette Réalité — le Moi, l'Être Conscient ou Esprit, et Dieu, l'Être Divin, ou pour employer les termes indiens, la Réalité omniprésente et absolue, Brahman, manifestée pour nous comme Âtman, Purusha et îshwara —, de même son pouvoir de Conscience nous apparaît-il sous trois aspects : c'est la force inhérente de cette conscience conceptuellement créatrice de toutes choses. Maya; c'est Prakriti, la Nature ou la Force rendue dynamiquement exécutrice, élaborant toutes choses sous le regard de l'Être conscient, du Moi ou Esprit témoin; c'est la Shakti, Pouvoir conscient de l'Être divin, qui à la fois crée conceptuellement et exécute dynamiquement toutes les œuvres divines. Ces trois aspects et leurs pouvoirs fondent et englobent toute l'existence et toute la Nature et, réunis en un tout unique, ils harmonisent la Transcendance supracosmique, l'universalité cosmique et la séparativité de notre existence individuelle qui semblent disparates et incompatibles. L'Absolu, la Nature cosmique et nous-mêmes sommes liés, unis par cet aspect tri-un de l'unique Réalité. Car considérée en soi, l'existence de l'Absolu, du Brahman Suprême contredirait l'univers relatif, et notre existence réelle serait incompatible avec son incommunicable et seule Réalité. Mais le Brahman est en même temps omniprésent dans toutes les relativités; c'est l'Absolu indépendant de tous les relatifs, l'Absolu qui est la base de tous les relatifs, l'Absolu qui gouverne, pénètre, constitue tous les relatifs. Il n'y a rien qui ne soit la Réalité omniprésente. En observant le triple aspect et le triple pouvoir, nous en arrivons à voir comment cela est possible.
Si nous considérons cette image de l'Existence-en-soi et de ses œuvres comme une vision globale, unitaire et illimitée, elle se tient et s'impose par sa convaincante totalité : mais elle offre maintes difficultés à l'analyse de l'intellect logique, ce qui est inévitable dès qu'on tente d'ériger un système logique à partir de la perception d'une Existence illimitable; car toute entreprise de ce genre doit, pour être cohérente, segmenter arbitrairement la vérité complexe des choses ou bien devenir logiquement indéfendable du fait de sa globalité. Nous voyons en effet l'Indéterminable se déterminer comme infini et fini, l'Immuable admettre une constante mutabilité et des différences sans fin, l'Un devenir une innombrable multitude, l'Impersonnel créer ou supporter la Personnalité, être lui-même une Personne. Le Moi a une nature et diffère pourtant de sa nature ; l'Être se mue en devenir tout en restant lui-même et autre que ses devenirs; l'Universel s'individualise et l'Individu s'universalise;
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le Brahman est à la fois vide de qualités et capable de qualités infinies, Seigneur et Auteur des œuvres, qui cependant n'agit point, témoin silencieux des opérations de la Nature. Si nous observons avec soin ces opérations de la Nature, une fois que nous avons rejeté le voile de l'habitude et notre consentement irréfléchi au processus des choses, que nous trouvons naturelles parce qu'elles se produisent toujours ainsi, nous découvrons que tout ce que fait la Nature, dans l'ensemble ou dans les détails, est un miracle, un acte de magie incompréhensible. L'être de l'Existence-en-soi et le monde qui y est apparu constituent, ensemble et séparément, un mystère suprarationnel. Il nous semble que les choses ont une raison parce que les processus de la finitude physique cadrent avec notre vision et que leur loi peut se déterminer ; mais si nous l'examinons de près, cette raison paraît à chaque moment trébucher contre l'irrationnel ou infrarationnel, et le suprarationnel : le caractère cohérent, déterminable du processus semble s'amenuiser plutôt que croître à mesure que nous passons de la matière à la vie et de la vie au mental ; si le fini accepte jusqu'à un certain point d'avoir l'air rationnel, l'infinitésimal refuse d'être lié par les mêmes lois, et l'infini est insaisissable. Quant au jeu de l'univers et à sa signification, ils nous échappent complètement; s'il y a un Moi, un Dieu ou un Esprit, ses rapports avec le monde et avec nous sont incompréhensibles, ils n'offrent aucun indice que nous puissions suivre. Dieu et la Nature et nous-mêmes, nous nous mouvons d'une façon mystérieuse qui n'est intelligible que partiellement et sur certains points, mais, dans l'ensemble, échappe à notre compréhension. Toutes les œuvres de la Maya semblent avoir été produites par un Pouvoir magique suprarationnel qui arrange les choses selon sa sagesse ou sa fantaisie, mais une sagesse qui n'est point la nôtre et une fantaisie qui confond notre imagination. L'Esprit qui manifeste les choses ou qui s'y manifeste si obscurément ressemble pour notre raison à un Magicien, et son pouvoir ou sa Maya à une magie créatrice : mais la magie peut créer des illusions, ou de stupéfiantes réalités, et nous trouvons difficile de décider lequel de ces processus suprarationnels se présente à nous dans cet univers.
Mais, en réalité, il faut nécessairement chercher la cause de cette impression, non pas en quelque chose d'illusoire ou de fantastique dans le Suprême ou dans l'Existence-en-soi universelle, mais dans notre incapacité à saisir le suprême indice de sa multiple existence ou à découvrir le plan et le modèle secrets de son action. L'Existant-en-soi est l'Infini,
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et sa manière d'être et d'agir doit toujours être celle de l'Infini, mais notre conscience est limitée, notre raison est bâtie sur des choses finies : il est irrationnel de croire qu'une conscience et une raison finies puissent mesurer l'Infini ; cette petitesse ne peut juger cette Immensité ; cette pauvreté liée à un usage limité de ses maigres ressources ne peut concevoir la gestion généreuse de ces richesses ; une demi-connaissance ignorante ne peut suivre les mouvements d'une Connaissance totale. Notre raisonnement repose sur notre expérience des opérations finies de la Nature physique, sur une observation incomplète et une compréhension incertaine de quelque chose qui agit dans des limites; sur cette base, il a organisé certaines conceptions qu'il cherche à rendre générales et universelles, et tout ce qui contredit ces conceptions ou s'en écarte, est jugé irrationnel, faux ou inexplicable. Mais il existe différents ordres de la réalité, et les conceptions, les mesures et les normes qui conviennent à l'un ne sont pas tenues de s'appliquer à un autre. Notre être physique se construit tout d'abord à partir d'un agrégat d'infinitésimaux : électrons, atomes, molécules, cellules; mais la loi d'action de ces infinitésimaux n'explique pas tous les fonctionnements physiques, même ceux du corps humain, et elle s'applique encore moins aux lois et aux modes d'action des parties supraphysiques de l'être humain, aux mouvements de sa vie, de son mental et de son âme. Les finis ont été formés dans le corps avec leurs habitudes et leurs propriétés, et leurs modes d'action spécifiques. Le corps lui-même est un fini, mais il n'est pas un simple agrégat de ces finis plus petits qu'il utilise comme parties, organes, instruments constitutifs de ses opérations ; il a formé un être et possède une loi générale supérieure qui ne dépend pas de ces éléments ou de ces constituants. D'autre part, la vie et le mental sont des finis supraphysiques, dotés d'un mode de fonctionnement différent et plus subtil qui leur est propre, et le fait qu'ils dépendent des instruments physiques ne supprime en aucune façon leur caractère intrinsèque. Il y a dans notre être vital et mental, dans nos forces vitales et mentales, quelque chose d'autre, quelque chose de plus que le simple fonctionnement d'un corps physique. Et de plus, chaque fini est en sa réalité, ou dissimule, un Infini qui l'a construit, le soutient et le dirige et qui s'est représenté en lui ; en sorte que même l'être, la loi et le processus du fini ne peuvent être totalement compris sans une connaissance de ce qui est occulte en lui ou derrière lui : notre connaissance et nos conceptions finies, nos normes finies peuvent être valables dans leurs limites, mais elles sont incomplètes et relatives. Une loi fondée sur l'observation de ce qui est divisé dans
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l'Espace et le Temps ne peut être appliquée en toute confiance à l'être et à l'action de l'Indivisible; non seulement on ne peut l'appliquer à l'Infini aspatial et intemporel, mais on ne peut même pas l'appliquer à un Temps Infini ou à un Espace Infini. Notre être superficiel peut être astreint à une loi et à un processus, mais il n'en est pas nécessairement de même pour ce qui est occulte en nous. Or notre intellect, se fondant sur la raison, trouve difficile d'entrer en contact avec l'infrarationnel ; la vie est infrarationnelle et nous constatons que, lorsqu'elle s'applique à la vie, notre raison intellectuelle lui impose constamment un contrôle, une mesure, une règle procrustéenne artificielle qui réussissent à la tuer ou à la pétrifier, ou bien l'enferment dans des formes et des conventions rigides qui mutilent et enchaînent son pouvoir, ou aboutissent à une gabegie, une révolte de la vie, une chute ou une dislocation des systèmes et des superstructures érigées par notre intelligence. Un instinct, une intuition sont nécessaires, que l'intellect ne contrôle pas et qu'il n'écoute pas toujours lorsqu'ils viennent d'eux-mêmes aider le fonctionnement mental. Mais il est évidemment encore plus difficile pour notre raison de comprendre le suprarationnel et de traiter avec lui ; le suprarationnel est le royaume de l'esprit, et la raison se perd dans la vastitude, la subtilité, la profondeur, la complexité de son mouvement; ici, l'intuition et l'expérience intérieure sont les seuls guides, ou, s'il en est un autre, l'intuition n'en est qu'un fil tranchant, un intense rayon projeté — l'illumination finale doit venir de la Conscience-de-Vérité suprarationnelle, d'une vision et d'une connaissance supramentales.
Mais il ne faut pas pour autant considérer l'être et l'action de l'Infini comme s'ils étaient une magie dénuée de toute raison; il y a, au contraire, une raison supérieure dans toutes les opérations de l'Infini, mais elle n'est ni mentale ni intellectuelle, c'est une raison spirituelle et supramentale : elle a sa propre logique, car relations et rapports y sont infailliblement vus et exécutés ; ce qui est magie pour notre raison finie, est la logique de l'Infini. C'est une raison, une logique supérieure parce qu'elle est plus vaste, plus subtile, plus complexe en ses opérations : elle englobe toutes les données que notre observation n'arrive pas à saisir, et en déduit des résultats imprévisibles que nous ne pouvons déduire ni supposer parce que nos conclusions et nos déductions, mal étayées, demeurent faillibles et fragiles. Si nous observons un événement, nous le jugeons et l'expliquons en fonction du résultat et d'un aperçu de ses éléments, de ses circonstances ou de ses causes les plus extérieurs.
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Mais chaque événement est le produit d'un réseau de forces complexe que nous ne voyons pas et ne pouvons observer, car toutes les forces sont pour nous invisibles. Cependant, elles ne sont pas invisibles pour la vision spirituelle de l'Infini : certaines d'entre elles s'actualisent pour produire ou susciter une nouvelle actualisation, d'autres sont des possibles proches des actualités préexistantes et, d'une certaine manière, sont incluses en leur somme; mais de nouvelles possibilités peuvent toujours intervenir, qui deviennent tout à coup des potentiels dynamiques et s'ajoutent au réseau, et, derrière tout cela, se trouvent des impératifs, ou un impératif, que ces possibilités s'efforcent d'actualiser. En outre, différents résultats sont possibles à partir du même réseau de forces; ce qui en sortira est déterminé par une sanction qui, sans nul doute, attendait et était prête depuis toujours, mais semble intervenir rapidement pour tout changer : c'est un impératif divin décisif. Tout cela, notre raison ne peut le saisir, parce qu'elle est l'instrument d'une ignorance — sa vision est extrêmement limitée et sa petite provision de connaissance accumulée n'est pas toujours très sûre ni très fiable — et aussi parce qu'elle n'a aucun moyen de perception directe. Ce qui différencie l'intuition de l'intellect, en effet, c'est que l'intuition naît d'une perception directe, tandis que l'intellect est l'action indirecte d'une connaissance qui part de l'inconnu pour s'édifier laborieusement au moyen de signes, d'indications et des données qu'elle recueille. Mais ce qui n'est pas évident pour notre raison et nos sens, est naturellement évident pour la Conscience Infinie, et, s'il existe une Volonté de l'Infini, ce doit être une Volonté qui agit avec cette pleine connaissance et qui est le résultat parfait et spontané d'une totale évidence. Ce n'est ni une Force évolutive entravée, liée par ce qu'elle a développé, ni une Volonté imaginative agissant librement dans le vide suivant ses caprices : c'est la vérité de l'Infini qui s'affirme dans les déterminations du fini.
Il est évident qu'une telle Conscience, qu'une telle Volonté n'est pas tenue d'agir en accord avec les conclusions de notre raison limitée ou selon une méthode familière ou approuvée par les notions que nous avons construites, ou en se soumettant à une raison éthique œuvrant pour un bien limité et fragmentaire; elle pourrait admettre et admet effectivement certaines choses jugées irrationnelles ou immorales par notre raison, parce que cela était nécessaire au Bien ultime et total et à l'élaboration d'un dessein cosmique. Ce qui nous semble irrationnel ou répréhensible par rapport à un ensemble fragmentaire de faits, de
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mobiles, de desiderata, peut s'avérer parfaitement rationnel et acceptable par rapport à un mobile beaucoup plus vaste et à une beaucoup plus vaste totalité de données et de desiderata. La raison, avec sa vision partielle, érige des conclusions fabriquées qu'elle s'efforce de changer en règles générales de connaissance et d'action et, par quelque subterfuge mental, elle impose sa loi ou se débarrasse de ce qui ne s'y accorde pas : une Conscience infinie n'aurait pas de telles règles, mais plutôt de vastes vérités intrinsèques gouvernant automatiquement conclusion et résultat, qu'elle adapterait pourtant différemment et spontanément à une autre totalité de circonstances, si bien que cette plasticité et cette libre adaptation pourraient donner à la raison plus étroite l'impression d'une absence totale de normes. De même, nous ne pouvons juger du principe et des opérations dynamiques de l'être infini d'après les normes de l'existence finie — ce qui pour l'une serait impossible, pourrait bien être, pour une Réalité plus vaste et plus libre, un état normal et un mobile parfaitement naturel. C'est ce qui fait la différence entre notre conscience mentale fragmentaire, construisant des nombres entiers à partir de ses fractions, et une conscience, une vision et une connaissance essentielles et totales. Tant que nous sommes obligés de prendre la raison pour support principal, il est en fait impossible qu'elle abdique complètement en faveur d'une intuition non développée ou à demi organisée ; mais il est pour nous impératif, si nous voulons considérer l'Infini, son être et son action, d'imposer à notre raison une extrême plasticité et de l'ouvrir à une perception des états et des possibilités plus vastes de ce que nous nous efforçons de considérer. Il ne servira à rien d'appliquer nos conclusions limitées et limitatives à Cela qui est illimitable. Si nous nous concentrons sur un seul aspect et le traitons comme un tout, nous illustrons l'histoire des aveugles et de l'éléphant : dans leur recherche aveugle, chacun palpait une partie différente et concluait que l'animal tout entier était à l'image de cette partie. L'expérience d'un aspect de l'Infini est valable en soi; mais nous ne pouvons la généraliser et dire que l'Infini n'est que cela ; il ne serait pas moins hasardeux d'envisager le reste de l'Infini selon les termes de ce seul aspect et d'exclure tous les autres points de vue de l'expérience spirituelle. L'Infini est à la fois un principe fondamental, une totalité sans limites et une multitude; il les faut tous connaître pour connaître vraiment l'Infini. Voir les parties seules et ignorer la totalité, ou la voir uniquement comme une somme des parties, est à la fois une connaissance, et une ignorance; voir la; totalité seule et ignorer les parties est aussi une connaissance en même
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temps qu'une ignorance, car une partie peut être plus grande que le tout, du fait qu'elle se rattache à-la transcendance; voir seulement l'essence parce qu'elle nous ramène droit à la transcendance et nier la totalité et les parties est la pénultième connaissance, mais là aussi se trouve une ignorance fondamentale. Une connaissance complète est nécessaire, et la raison doit devenir assez plastique pour considérer toutes ses facettes, tous ses aspects, et rechercher à travers eux ce en quoi ils sont un.
De même, si nous ne voyons que l'aspect du Moi, nous pouvons nous concentrer sur son silence statique, et la vérité dynamique de l'Infini nous échappera; si nous ne voyons que l'îshwara, nous pourrons saisir la vérité dynamique, mais nous perdrons de vue notre état éternel et le silence infini ; nous pourrons devenir conscients uniquement de l'être dynamique, de la conscience dynamique, de la joie d'être dynamique, mais la pure existence, la pure conscience, la pure félicité d'être nous échapperont. Si nous nous concentrons exclusivement sur Purusha-Prakriti, peut-être ne verrons-nous que la dichotomie de l'Âme et de la Nature, de l'Esprit et de la Matière, et leur unité nous échappera. En considérant l'action de l'Infini, nous devons éviter l'erreur du disciple qui s'imaginait être le Brahman; ayant refusé d'obéir à l'avertissement du cornac qui le pressait de s'écarter du sentier, il fut saisi par la trompe de l'éléphant et projeté hors du chemin. " Tu es sans aucun doute le Brahman, dit le maître à son disciple confondu, mais pourquoi n'as-tu pas obéi au Brahman-cornac et ne t'es-tu pas écarté du chemin du Brahman-éléphant ? " Nous ne devons pas commettre l'erreur d'insister sur un seul aspect de la Vérité et en tirer des conclusions, ou agir en conséquence en excluant tous les autres côtés et aspects de l'Infini. La réalisation " Je suis Cela " est vraie, mais nous ne pouvons en toute sécurité poursuivre notre quête sur cette base, à moins de réaliser aussi que tout est Cela. Si l'existence de notre moi est un fait, nous devons aussi être conscients des autres moi, du même Moi dans les autres êtres et de Cela qui dépasse et notre moi et celui d'autrui. L'Infini est un dans une multiplicité et son action ne peut être saisie que par une suprême Raison qui considère tout et agit comme une conscience-de-1'un s'observant, dans la différence et respectant ses propres différences, en sorte que chaque chose et chaque être possède sa forme d'être essentiel et sa forme de nature dynamique, svarûpa, svadharma, et que toutes sont respectées dans le fonctionnement total.
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La connaissance et l'action de l'Infini ne font qu'un, en un pouvoir de variation sans limites : du point de vue de la Vérité infinie, ce serait également une erreur d'insister sur une similitude d'action en toutes circonstances ou sur une diversité d'action sans aucune vérité ni aucune harmonie unificatrices derrière la diversité. Si, dans notre règle de conduite, nous cherchions à agir selon cette Vérité plus grande, ce serait également une erreur d'insister seulement sur notre moi, ou sur le moi d'autrui. C'est sur le Moi de tous que nous devons fonder une unité et une diversité d'action qui soit totale, infiniment plastique et cependant harmonieuse ; car c'est ainsi qu'œuvre l'Infini.
Si nous considérons du point de vue d'une raison plus plastique et plus vaste, tenant compte de la logique de l'Infini, les difficultés que rencontre notre intelligence lorsqu'elle essaie de concevoir la Réalité omniprésente et absolue, nous verrons que toute la difficulté est verbale et conceptuelle et qu'elle n'est pas réelle. Notre intelligence examine son concept de l'Absolu et voit que celui-ci doit être indéterminable, et elle voit en même temps un monde de déterminations qui émane de l'Absolu et qui existe en lui — car il ne peut émaner de nulle part ailleurs et ne peut exister nulle part ailleurs. Elle est encore plus déconcertée par l'affirmation, elle aussi difficilement discutable sur de telles prémisses, que tous ces déterminés ne sont autres que cet indéterminable Absolu lui-même. Mais la contradiction disparaît quand nous comprenons que l'indéterminabilité, en son sens véritable, n'est pas négative et ne consiste pas à imposer une incapacité à l'Infini, mais qu'elle est positive : il y a en l'Infini une liberté par rapport à la limitation créée par ses propres déterminations, et nécessairement une liberté par rapport à toute détermination extérieure produite par quoi que ce soit d'autre que lui-même, puisqu'il n'est pas possible, en réalité, qu'un tel nonmoi puisse se manifester. L'Infini est illimitablement libre, libre de se déterminer infiniment, libre de tout ce qui, dans ses propres créations, pourrait le restreindre. En fait, l'Infini ne crée pas, il manifeste ce qui est en lui, en l'essence de sa réalité ; il est lui-même cette essence de toute réalité, et toutes les réalités sont les pouvoirs de cette unique Réalité. L'Absolu ne crée ni n'est créé — au sens habituel de faire ou d'être fait; nous ne pouvons parler de création que dans le sens où l'Être devient, en forme et en mouvement, ce qu'il est déjà en sa substance et son état. Nous devons cependant souligner son indéterminabilité en ce sens particulier et positif, non comme négation, mais comme condition
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indispensable de sa libre et infinie auto-détermination ; sinon la Réalité serait un déterminé éternel et fixe, ou bien un indéterminé fixe et lié à une somme de possibilités de détermination qui lui seraient inhérentes. Sa liberté de toute limitation, de tout lien tissé par sa propre création, ne peut elle-même être changée en une limitation, en une incapacité absolue, une négation de toute liberté de se déterminer; c'est cela qui serait une contradiction : essayer de définir et de limiter négativement l'infini et illimitable. Il n'entre aucune contradiction réelle dans le fait central des deux aspects de la nature de l'Absolu, l'aspect fondamental et l'aspect auto-créateur ou dynamique ; seule une pure essence infinie peut se formuler infiniment. Chaque exposé est complémentaire de l'autre, il n'y a pas d'annulation mutuelle, pas d'incompatibilité; c'est seulement l'exposé duel d'un seul fait inéluctable énoncé par la raison humaine en un langage humain.
La même conciliation se produit partout, lorsque d'un regard direct et précis nous considérons la vérité de la Réalité. Quand nous en avons l'expérience, nous prenons conscience d'un Infini essentiellement libre de toute limitation relative aux qualités, aux propriétés, aux traits distinctifs, mais, en même temps, d'un Infini foisonnant de qualités, de propriétés, de traits innombrables. Ici encore, la liberté illimitable s'affirme de manière positive, et non point négative ; cette affirmation n'est pas une négation de la chose vue, mais fournit au contraire la condition qui lui est indispensable; elle rend possible une expression de soi libre et infinie en sa qualité comme en ses attributs. Une qualité est le caractère d'un pouvoir de l'être conscient; ou nous pouvons dire que la conscience de l'être exprimant ce qui est en elle rend le pouvoir qu'elle émane reconnaissable à une marque native que nous pouvons appeler qualité ou caractère. Le courage, en tant que qualité, est un de ces pouvoirs d'être, c'est un certain caractère de notre conscience exprimant une force formulée de notre être, émanant ou créant un type précis de force de notre nature en action. De même le pouvoir de guérison d'un médicament est sa propriété, une force d'être particulière inhérente à l'herbe ou au minéral dont il est tiré, et cette particularité est déterminée par l'Idée-Réelle celée en la conscience involuée qui réside en la plante ou le minéral; l'idée y fait resurgir ce qui était là, à l'origine de sa manifestation, et en a maintenant émergé comme la force de son être. Toutes les qualités, toutes les propriétés, toutes les caractéristiques sont de tels pouvoirs d'être conscient que l'Absolu a
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ainsi émanés de lui-même. Il possède tout en Lui, Il a le libre pouvoir de tout émaner,¹ et pourtant nous ne pouvons définir l'Absolu comme une qualité, comme courage ou pouvoir de guérison, et nous ne pouvons même pas dire que ce soit là une caractéristique de l'Absolu, ni faire une somme de qualités et dire : " Cela est l'Absolu. " Mais nous ne pouvons pas non plus parler de l'Absolu comme d'un vide pur incapable de manifester ces choses ; au contraire, toute capacité est là, les pouvoirs de toutes les qualités et de tous les caractères sont là, en sa nature même. Le mental se trouve en difficulté car il doit dire : " L'Absolu ou Infini n'est aucune de ces choses, ces choses ne sont point l'Absolu ou Infini, " et en même temps : " L'Absolu est toutes ces choses, elles ne sont rien d'autre que Cela, car Cela est la seule existence et l'existence totale. " Ici, il est évident que c'est la finitude excessive de la conception intellectuelle et de l'expression verbale qui crée la difficulté, alors qu'en réalité il n'en existe aucune; car il serait évidemment absurde de dire que l'Absolu est courage ou pouvoir de guérison, ou de dire que le courage et le pouvoir de guérison sont l'Absolu, mais il serait tout aussi absurde de nier la capacité qu'a l'Absolu d'émaner le courage ou le pouvoir de guérison pour s'exprimer lui-même dans sa manifestation. Quand la logique du fini nous trahit, nous devons voir, avec une vision directe et illimitée, ce qui se trouve derrière dans la logique de l'Infini. Nous pouvons alors réaliser que l'Infini a des qualités, des attributs, un pouvoir infinis, mais qu'aucune somme de qualités, d'attributs et de pouvoirs ne peut décrire l'Infini.
Nous voyons que l'Absolu, le Moi, le Divin, l'Esprit, l'Être est Un ; le Transcendantal est un, le Cosmique est un ; mais nous voyons aussi que les êtres sont multiples et que chacun a un moi, un esprit, une nature semblable, encore que différente. Et puisque l'esprit, l'essence des choses est un, nous sommes bien obligés d'admettre que toute cette multitude doit être cet Un. L'Un est par conséquent multiple, ou il l'est devenu. Mais comment le limité ou le relatif peuvent-ils être l'Absolu ? et comment l'homme ou l'animal ou l'oiseau peuvent-ils être l'Être Divin ? En érigeant cette contradiction apparente, le mental commet une double erreur. Il pense dans les termes de l'unité finie mathématique qui est une par limitation : un est moins que deux et ne peut devenir deux que par division et fragmentation, ou par addition et multiplication.
¹En sanskrit, le mot création signifie " libérer " ou " projeter " ce qui est dans l'être.
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Mais il s'agit ici d'une Unité infinie, c'est l'Unité essentielle et infinie qui peut contenir la centaine et le millier, et le million, et le milliard, et le trillion. On aura beau entasser et multiplier des chiffres astronomiques et plus qu'astronomiques, ils ne pourront surpasser ni dépasser cette Unité, car, comme dit l'Upanishad, l'Un ne bouge point, et pourtant il se trouve toujours loin en avant quand on veut le poursuivre et le saisir. On peut dire qu'elle ne serait pas l'Unité infinie si elle n'était pas capable d'une infinie multiplicité ; mais cela ne signifie pas que l'Un soit pluriel ni qu'on puisse le limiter ou le décrire comme une somme du Multiple ; au contraire, il peut être le Multiple infini parce qu'il ne peut être limité ou décrit par la multiplicité, ni limité par l'unité conceptuelle finie. Il est au-delà. Le pluralisme est une erreur parce que l'existence d'une pluralité spirituelle n'empêche pas que les multiples âmes soient des existences dépendantes et interdépendantes; leur somme non plus n'est pas l'Un, ni même la totalité cosmique; elles dépendent de l'Un et existent par son Unité. Pourtant, la pluralité n'est pas irréelle : c'est l'Ame Unique qui demeure en tant qu'individu en ces multiples âmes, et elles sont éternelles en l'Un et par l'unique Éternel. Cela est difficile à percevoir pour la raison mentale qui oppose l'Infini au fini et associe le caractère fini à la pluralité et l'infini à l'unité; mais dans la logique de l'Infini, une telle opposition n'existe pas, et l'éternité du Multiple en l'Un est chose parfaitement naturelle et possible.
Par ailleurs, nous voyons qu'il existe un état pur, infini, et un silence immobile de l'Esprit; nous voyons également qu'il y a un mouvement illimité de l'Esprit, un pouvoir, une extension de l'Infini, dynamique et spirituelle, qui contient tout. Nos conceptions imposent à cette perception — qui est en soi valable et correcte — une opposition entre silence et état statique d'une part, dynamis et mouvement d'autre part; mais pour la raison et la logique de l'Infini il ne peut y avoir pareille opposition. Un Infini purement silencieux et statique, un Infini sans pouvoir ni dynamis ni énergie infinis est inadmissible, à moins de n'en percevoir qu'un aspect; un Absolu sans pouvoir, un Esprit impuissant est inconcevable. Une énergie infinie doit être la dynamis de l'Infini, une toute-puissance doit être le pouvoir de l'Absolu, une force illimitable doit être la force de l'Esprit. Mais le silence, l'état statique sont la base du mouvement, une immobilité éternelle est la condition nécessaire, le champ et même l'essence de la mobilité infinie : un être stable est la condition et la fondation de la vaste action de la Force
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d'être. C'est quand nous approchons de ce silence, de cette stabilité, de cette immobilité que nous pouvons y fonder une force et une énergie qui seraient inconcevables dans notre état superficiel d'agitation. L'opposition que nous établissons est mentale et conceptuelle ; en réalité, le silence de l'Esprit et la dynamis de l'Esprit sont des vérités complémentaires et inséparables. L'Esprit silencieux et immuable peut garder en lui-même son énergie infinie, silencieuse et immobile, car il n'est pas lié par ses propres forces, il n'est ni leur sujet ni leur instrument, mais les possède, les libère, est capable d'une action éternelle et infinie ; jamais il ne se lasse ni n'a besoin de repos ; et pourtant, sa silencieuse immobilité inhérente à son action et à son mouvement n'a pas été un seul instant ébranlée, dérangée ou altérée par son action et son mouvement. Le silence témoin de l'Esprit est là, au cœur même de toutes les voix et de toutes les opérations de la Nature. Nous pouvons avoir du mal à comprendre ces choses parce que nos capacités finies, superficielles, sont limitées dans une direction comme dans l'autre, et que nos conceptions reposent sur nos limitations; mais il devrait être aisé de voir que ces conceptions relatives et finies ne s'appliquent pas à l'Absolu et Infini.
Dans notre conception, l'Infini est ce qui n'a pas de forme, et pourtant nous voyons que la forme est partout, nous sommes entourés de formes, et nous pouvons affirmer, comme on le fait d'ailleurs, que l'Être Divin est à la fois Forme et Sans-Forme. Ici non plus, en effet, l'apparente contradiction ne correspond pas à une réelle opposition. Le Sans-Forme n'est pas une négation du pouvoir de formation, mais la condition nécessaire à la libre formation de l'Infini : autrement, il n'y aurait qu'une seule Forme, ou simplement une somme déterminée de formes possibles dans un univers fini. L'absence de forme est le caractère de l'essence spirituelle, la substance spirituelle de la Réalité; toutes les réalités finies sont des pouvoirs, des formes de cette substance qui se façonne elle-même : le Divin est sans forme et sans nom, mais pour cette raison même Il est capable de manifester tous les noms, toutes les formes d'être possibles. Les formes sont des manifestations, non des inventions arbitraires tirées de rien; car la ligne et la couleur, la masse et le dessin qui sont les caractères essentiels de la forme, sont toujours porteurs d'une signification; ils sont en quelque sorte les valeurs et significations secrètes d'une invisible réalité rendue visible ; c'est pour cette raison que la forme, la ligne, la couleur, la masse, la composition peuvent incarner et transmettre ce qui, autrement, serait
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invisible et occulte pour nos sens. On peut dire que la forme est le corps natif, l'inévitable révélation de soi du sans-forme, et cela est vrai non seulement des formes extérieures, mais des formations invisibles du mental et de la vie que nous ne percevons que par la pensée, et de ces formes sensibles dont seule peut prendre conscience la perception subtile de la conscience intérieure. Le nom, en son sens plus profond, n'est pas le mot par lequel nous décrivons l'objet, mais une totalité faite du pouvoir, de la qualité, du caractère de la réalité qu'incarne une forme objective et que nous tentons de résumer par un son qui la désigne, par un nom que l'on peut connaître, Nomen. En ce sens, nous pourrions dire que Nomen est Numen ; les Noms secrets des dieux sont le pouvoir, la qualité, le caractère de leur être, saisis par la conscience et rendus intelligibles. L'Infini est sans nom, mais dans cette absence de nom tous les noms possibles, les Numen des dieux, les noms et les formes de toutes les réalités sont déjà envisagés et préfigurés, parce qu'ils sont latents et inhérents à la Toute-Existence.
Il ressort clairement de ces observations que la coexistence de l'Infini et du fini, qui est la nature même de l'être universel, n'est ni une juxtaposition ni une inclusion mutuelle de deux contraires, mais qu'elle est aussi naturelle et inévitable que la relation entre le principe de la Lumière et du Feu, et les soleils. Le fini est un aspect frontal et une auto-détermination de l'Infini ; nul fini ne peut exister en soi et par soi, il existe par l'Infini et parce qu'en son essence il est un avec l'Infini. Par Infini, en effet, nous n'entendons pas seulement une illimitable extension de soi dans l'Espace et le Temps, mais quelque chose qui est également aspatial et intemporel, un Indéfinissable et Illimitable existant-en-soi qui peut s'exprimer dans l'infinitésimal autant que dans l'immensité, en une seconde du temps, en un point de l'espace, en une circonstance éphémère. On considère le fini comme une division de l'Indivisible, mais il n'existe rien de tel, car cette division n'est qu'apparente; il y a une démarcation, mais aucune séparation réelle n'est possible. Quand, avec la vision et les sens intérieurs, et non avec l'œil physique, nous voyons un arbre ou quelque autre objet, ce dont nous prenons conscience est une Réalité une et infinie constituant l'arbre ou l'objet, imprégnant chaque atome et chaque molécule, les formant de sa propre substance, bâtissant toute la nature, tout le processus du devenir, toute l'activité de l'énergie immanente; tous sont elle, sont cet infini, cette Réalité que nous voyons se répandre indivisiblement et unir tous
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les objets en sorte qu'aucun n'est vraiment séparé d'elle ni tout à fait séparé des autres. " Cela demeure, dit la Gîta, indivisé dans les êtres et cependant comme divisé. " Ainsi, chaque objet est cet Infini, uni en son être essentiel avec tous les autres objets, qui sont aussi des formes et des noms — des pouvoirs, des numen — de l'Infini.
Cette incoercible unité dans toutes les divisions et diversités est la mathématique de l'Infini, indiquée dans un verset des Upanishad : " Ceci est le tout et Cela est le tout ; retranchez le tout du tout, et il reste le tout. " On peut également dire de l'infinie multiplication de soi de la Réalité que toutes les choses sont cette auto-multiplication. L'Un devient Multiple, mais tous ces multiples sont Cela qui était déjà et qui est toujours lui-même, et qui en devenant le Multiple demeure l'Un. Il n'y a aucune division de l'Un par l'apparence du fini, car c'est l'unique Infini qui nous apparaît comme le fini multiple : la création n'ajoute rien à l'Infini; il demeure après la création ce qu'il était avant. L'Infini n'est pas une somme de choses, il est Cela qui est toutes choses et davantage encore. Si cette logique de l'Infini contredit les conceptions de notre raison finie, c'est parce qu'elle la dépasse et ne se fonde pas sur les données du phénomène limité, mais embrasse la Réalité et voit la vérité de tous les phénomènes dans la vérité de la Réalité ; elle ne voit pas en ceux-ci des êtres, des mouvements, des noms, des formes, des choses séparés ; ils ne peuvent être cela, puisqu'il faudrait alors qu'ils soient des phénomènes dans le Vide, des choses sans base ou essence communes, fondamentalement déconnectées, liées seulement par la coexistence et par des rapports pragmatiques, non des réalités qui existent par leur racine d'unité et, dans la mesure où nous pouvons les considérer comme indépendantes, ne sont assurées de leur indépendance, en tant que formes et mouvements extérieurs ou intérieurs, que par leur perpétuelle dépendance vis-à-vis de leur Infini parental et de leur secrète identité avec l'unique Identique. L'Identique est leur racine, la raison de leur forme, le seul pouvoir de leurs divers pouvoirs, leur substance constitutive.
Nous concevons l'Identique comme l'Immuable; il est toujours le même de toute éternité, car s'il est soumis ou se soumet aux mutations, ou s'il admet des différences, il cesse d'être identique ; or, ce que nous voyons partout, c'est une unité fondamentale infiniment variable qui paraît être le principe même de la Nature. La Force de base est une, mais
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elle manifeste des forces innombrables; la substance de base est une, mais elle produit maintes substances différentes et des millions d'objets dissemblables ; le mental est un, mais il se différencie en nombre d'états mentaux, de formations mentales, de pensées, de perceptions qui diffèrent les uns des autres, s'accordent ou entrent en conflit ; la vie est une, mais les formes de vie sont diverses et innombrables ; l'humanité est une en sa nature, mais il existe différents types raciaux, et chaque individu est lui-même, d'une certaine façon, différent des autres. La Nature tient à tracer des lignes de dissemblance sur les feuilles d'un même arbre ; elle pousse si loin la différenciation que l'on a découvert que les empreintes digitales d'un homme diffèrent de celles de tous les autres hommes en sorte que cette seule différenciation suffit à l'identifier — et pourtant, tous les hommes sont fondamentalement semblables et il n'y a pas entre eux de différence essentielle. L'unité ou la similitude est partout, la différenciation est partout; la Réalité immanente a construit l'univers sur le principe du développement d'une seule graine en un million de formes différentes. Mais c'est là encore la logique de l'Infini; l'essence de la Réalité étant immuablement la même, elle peut en toute sûreté assumer ces innombrables différences de forme, de caractère et de mouvement, car seraient-elles multipliées mille milliards de fois, cela n'affecterait pas l'immutabilité fondamentale de l'éternel Identique. Parce que le Moi et Esprit dans les choses et les êtres est un partout, la Nature peut s'offrir ce luxe de la différenciation infinie : s'il n'y avait cette base sûre qui fait que rien ne change lors même que tout change, toutes ses œuvres et toutes ses créations en ce jeu se désintégreraient et sombreraient dans le chaos; il n'y aurait rien pour maintenir la cohésion de ses mouvements et de ses créations disparates. L'immutabilité de l'Identique ne consiste pas en une monotonie d'inaltérable ipséité incapable de variation; elle consiste en l'inchangeabilité de l'être qui est cependant capable de revêtir des formes d'être infinies, mais qu'aucune différenciation ne peut détruire, altérer ou diminuer. Le Moi devient insecte, oiseau, animal, homme, mais il est toujours le même Moi à travers ces mutations parce qu'il est l'Un qui se manifeste infiniment dans une infinie diversité. Notre raison superficielle tend à conclure que la diversité est peut-être irréelle, une simple apparence; mais si nous regardons un peu en profondeur nous verrons qu'une diversité réelle fait apparaître l'Unité réelle, dévoile en quelque sorte son ultime capacité, révèle tout ce qu'elle peut être et tout ce qu'elle est en soi, délivre de sa blancheur ces multiples nuances qui s'y sont
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fondues. L'Unité se trouve infiniment dans ce qui nous semble être une chute, une perte de son unité, alors que c'est là, en réalité, une multiple et inépuisable démonstration d'unité. Tel est le miracle, la Maya de l'univers, mais un miracle parfaitement logique, naturel et évident pour la vision et l'expérience que l'Infini a de lui-même.
Car la Maya du Brahman est à la fois la magie et la logique d'une Unité infiniment diverse. S'il n'y avait qu'une inaltérable monotonie d'unité et de similitude limitées, il n'y aurait en fait aucune place pour la raison et la logique, car la logique est la juste perception des relations : le suprême travail de la raison est de trouver la substance unique, la loi unique, la réalité latente qui cimente et relie et unifie le multiple, le différent, le discordant, le disparate. Toute existence universelle se meut entre ces deux termes : une diversification de l'Un, une unification du multiple et du divers, et c'est inévitable parce que l'Un et le Multiple sont des aspects fondamentaux de l'Infini. En effet, ce que la divine connaissance du Moi et la divine connaissance du Tout expriment en sa manifestation doit être une vérité de son être, et le jeu de cette vérité est sa Lîlâ.
Telle est donc la logique de la démarche de l'être universel du Brahman, et tel le fonctionnement de base de la raison, l'intelligence infinie de la Maya. Il en est de la conscience, de la Maya du Brahman, comme de son être : elle n'est pas liée à un aspect restreint et fini de son être ni à un seul état ou une seule loi de son action; elle peut être bien des choses à la fois, avoir de nombreux mouvements coordonnés qui peuvent sembler contradictoires à la raison finie; elle est une mais innombrablement multiple, infiniment plastique, inépuisablement adaptable. La Maya est la conscience et la force suprêmes et universelles de l'Éternel et Infini et, étant par nature sans entraves et illimitée, elle peut manifester en même temps de multiples états de conscience, de multiples dispositions de sa Force sans cesser d'être à jamais la même conscience-force. Elle est à la fois transcendantale, universelle et individuelle; elle est l'Être suprême supracosmique qui est conscient de soi comme du Tout-Être, comme du Moi cosmique, comme de la Conscience-Force de la Nature cosmique et qui, en même temps, fait l'expérience de soi comme être et conscience individuels en toutes les existences. La conscience individuelle peut se voir elle-même limitée et séparée, mais elle peut aussi rejeter ses limitations et se connaître comme universelle et également comme transcendant l'univers, parce que la même conscience
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tri-une en un triple statut se trouve au cœur ou à la base de tous ces états ou positions. Il n'y a dès lors aucune difficulté à ce que l'Un se voie ainsi triplement ou fasse la triple expérience de lui-même, que ce soit d'en haut dans l'Existence transcendante, ou du milieu dans le Moi cosmique, ou d'en bas dans l'être conscient individuel. Pour que cela soit accepté comme naturel et logique, il suffit d'admettre qu'il peut y avoir différents états réels de la conscience de l'Être Unique, et cela ne saurait être impossible pour une Existence libre et infinie qui ne peut être asservie à une seule condition; une conscience infinie doit avoir naturellement tout pouvoir de se diversifier. Si l'on admet la possibilité d'un multiple état de conscience, on ne peut imposer de limites à ses changements d'état, de quelque façon qu'ils se produisent, à condition que l'Un soit conscient de lui-même en tous simultanément; car l'Un et Infini doit être ainsi universellement conscient. La seule difficulté, qu'une réflexion ultérieure peut résoudre, est de comprendre le rapport entre un état de conscience limité ou construit, comme le nôtre, un état d'ignorance, et une infinie connaissance de soi et de tout.
Il faut admettre une seconde possibilité de la Conscience Infinie : son pouvoir d'auto-limitation ou d'auto-formation secondaire en un mouvement subordonné dans la conscience et la connaissance intégrales et illimitées; c'est là, en effet, une conséquence nécessaire du pouvoir d'auto-détermination de l'Infini. Chaque auto-détermination de l'être en soi doit avoir sa propre perception de sa propre vérité et de sa propre nature essentielles; ou si nous préférons, disons que l'Être, en cette détermination, doit être conscient de lui-même de cette façon. Par individualité spirituelle, on entend que chaque moi ou esprit individuel est un centre de vision de soi et de tout ; la circonférence — circonférence sans limites, pouvons-nous dire — de cette vision peut être la même pour tous, mais le centre peut être différent ; au lieu d'être situé en un point spatial dans un cercle spatial, ce serait un centre psychologique relié à d'autres centres par une coexistence du Multiple diversement conscient dans l'être universel. Chaque être dans un monde verra le même monde, mais à partir de son être essentiel, selon le mode propre de sa nature profonde : car chacun manifestera sa propre vérité de l'Infini, sa propre façon de se déterminer et de faire face aux déterminations cosmiques; sa vision, de par la loi de l'unité dans la diversité, sera sans aucun doute fondamentalement la même que celle des autres, mais elle développera néanmoins sa propre différence — ainsi voyons-nous que tous les êtres
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humains sont humainement conscients des mêmes phénomènes cosmiques, bien qu'il y ait toujours une différence individuelle. Cette autolimitation ne serait donc pas fondamentale, ce serait une spécialisation individuelle d'une universalité ou d'une totalité communes ; l'individu spirituel agirait depuis son propre centre de la Vérité unique et selon sa nature innée, mais sur une base commune et sans être le moins du monde aveugle au moi et à la nature d'autrui. La conscience limiterait son action en pleine connaissance, ce ne serait pas un mouvement de l'ignorance. Mais à part cette auto-limitation individualisante, il doit y avoir aussi dans la conscience de l'Infini un pouvoir de limitation cosmique; cette conscience doit pouvoir limiter son action de façon à donner une base à un monde ou à un univers donné, et à le maintenir dans son ordre, son harmonie, sa propre édification,; car la création d'un univers nécessite une détermination spéciale de la Conscience infinie pour présider à ce monde et exige aussi que soit gardé en retrait tout ce qui n'est pas nécessaire à ce mouvement. De la même manière, la projection de l'action indépendante d'un pouvoir comme le Mental, la Vie ou la Matière doit avoir pour support un principe analogue d'autolimitation. On ne peut dire qu'un tel mouvement soit fatalement impossible pour l'Infini, l'Infini étant illimitable ; au contraire, ce doit être un de ses nombreux pouvoirs, car ses pouvoirs aussi sont illimitables : mais pas plus que les autres auto-déterminations, ou les autres constructions finies, cette projection ne serait une séparation ou une division réelle, car toute la Conscience infinie serait autour d'elle et derrière elle et la soutiendrait, et le mouvement particulier serait lui-même naturellement conscient non seulement de lui-même, mais essentiellement de tout ce qui est derrière lui. À n'en pas douter, ce serait le cas dans la conscience intégrale de l'Infini ; mais nous pouvons également supposer qu'une conscience analogue, inhérente mais non active, qui se délimite tout en étant indivisible, pourrait elle aussi se situer dans la complète conscience de soi du mouvement du Fini. Pareille auto-limitation consciente, cosmique ou individuelle, serait évidemment possible pour l'Infini, et une raison plus large peut l'accepter comme l'une de ses possibilités spirituelles; mais sur cette base, toute division ou toute séparation ignorante, ou toute limitation qui nous astreint et nous aveugle, comme il en apparaît dans notre propre conscience, demeureraient inexplicables.
Nous pouvons cependant admettre l'existence d'un troisième pouvoir ou d'une troisième possibilité de la Conscience infinie : son pouvoir
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de s'absorber, de plonger en elle-même, en un état où la conscience de soi existe, mais ni comme une connaissance, ni comme un savoir intégral; le tout serait alors involué dans la pure conscience de soi; la connaissance et la conscience intérieure elle-même seraient perdues dans l'être pur. C'est l'état lumineux qu'en un sens absolu nous appelons Supraconscience — bien que la quasi totalité de ce que nous appelons supraconscient ne le soit pas en réalité, soit simplement un conscient supérieur, quelque chose qui a conscience de soi et n'est supraconscient que pour notre niveau limité de perception. D'autre part, cette absorption, cette transe de l'Infini est l'état, non pas lumineux mais obscur, que nous appelons Inconscient; car l'être de l'Infini est là, bien que du fait de son apparente inconscience, il nous apparaisse plutôt comme un non-être infini : une conscience et une force innées, oublieuses elles-mêmes, se trouvent en ce non-être apparent, car un monde ordonné est créé par l'énergie de l'Inconscient; il est créé dans un état de transe, d'intériorisation profonde, la force agissant de façon automatique et apparemment aveugle comme en une transe, mais avec la sûreté parfaite et le pouvoir de vérité de l'Infini. Si nous faisons un pas de plus et admettons que l'Infini peut, en une action spécifique, ou une action restreinte et partielle, s'absorber en lui-même — une action n'émanant pas toujours de son infinité illimitablement concentrée en elle-même, mais confinée à un état particulier ou à une auto-détermination individuelle ou cosmique —, nous avons alors l'explication de la condition ou de l'état de concentration par lequel l'Infini devient distinctement conscient d'un seul aspect de son être. Il peut alors y avoir un double état fondamental, tel le Nirguna se tenant en retrait du Saguna, absorbé en sa pureté et son immobilité propres, tandis que le reste est retenu derrière un voile et n'est pas admis dans cet état particulier. Nous pourrions de la même manière expliquer cet état où la conscience perçoit un seul domaine ou un seul mouvement de l'être, tandis que tout le reste est retenu et voilé ou en quelque sorte coupé, par une transe éveillée de concentration dynamique, de la perception spécialisée ou limitée qui s'attache exclusivement à son domaine ou son mouvement propres. La totalité de la conscience infinie serait présente ; loin d'être abolie, nous pourrions la recouvrer. Son action n'aurait pas un caractère évident mais implicite, inhérent, ou bien elle se ferait par l'intermédiaire de la perception limitée et non par son propre pouvoir et sa présence manifestes. On reconnaîtra que ces trois pouvoirs peuvent être acceptés comme faisant partie de la dynamique de la Conscience Infinie, et si nous examinons
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leurs multiples modes de fonctionnement nous avons une chance de trouver un indice qui puisse élucider le jeu de la Maya.
Cela jette incidemment une lumière sur l'opposition que fait notre mental entre la pure conscience, la pure existence, la pure béatitude, et l'activité débordante, la multiple application, les vicissitudes sans fin de l'être, de la conscience et de la joie d'être qui se produisent dans l'univers. Dans l'état de la conscience pure et de l'être pur, nous ne sommes conscients que de cela, qui est simple, immuable, existant en soi, sans forme ni objet, et nous sentons que cela seul est vrai et réel. Dans l'autre état, l'état dynamique, nous sentons que son dynamisme est parfaitement vrai et naturel et nous pouvons même penser qu'aucune expérience comme celle de la conscience pure n'est possible. Et pourtant, il est maintenant évident que l'état statique et l'état dynamique sont tous deux possibles pour la Conscience Infinie ; ce sont deux de ses états, et tous deux peuvent être simultanément présents dans la conscience universelle : l'un comme témoin observant l'autre et le soutenant, ou même, sans le regarder, le soutenant automatiquement; ou encore, le silence et l'état statique peuvent être présents, pénétrant l'activité ou la projetant, comme l'océan, immobile en ses profondeurs, projette le mouvement des vagues à sa surface. C'est aussi la raison pour laquelle il nous est possible, en certains états d'être, de percevoir différents états de conscience simultanément. Il y a un état d'être dont on fait l'expérience dans le Yoga, où l'on devient une conscience double, l'une à la surface, petite, active, ignorante, dominée par les pensées et les sensations, le chagrin et la joie et toutes sortes de réactions, l'autre au-dedans, calme, vaste, égale, observant l'être de surface avec un détachement ou une indulgence inébranlables ou, peut-être, essayant de calmer son agitation pour l'apaiser, l'élargir, le transformer. De même nous pouvons nous élever jusqu'à une conscience au-dessus et observer les diverses parties de notre être, intérieur et extérieur, mental, vital et physique, et le subconscient en dessous, et agir sur l'une ou l'autre ou sur l'ensemble depuis cet état supérieur. Il est également possible de descendre de cette hauteur ou de n'importe quelle hauteur en l'un quelconque de ces états inférieurs et de faire de sa lumière limitée ou de son obscurité notre lieu de travail, tandis que le reste de notre être est momentanément rejeté ou mis en retrait, ou encore conservé comme champ de référence où nous trouvons soutien ou approbation, lumière ou influence, ou comme un état en lequel nous pouvons nous élever ou nous retirer et duquel nous
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pouvons observer les mouvements inférieurs. Ou nous pouvons plonger dans une transe, rentrer en nous-mêmes et y demeurer conscients, tandis que toutes les choses extérieures sont exclues; ou bien nous pouvons même dépasser cette perception intérieure et nous perdre en quelque autre conscience plus profonde ou quelque haute supraconscience. Il existe aussi une conscience égale et qui imprègne tout, en laquelle nous pouvons pénétrer et nous voir tout entier d'un seul regard qui embrasse tout, ou avec une perception omniprésente, une et indivisible. Tout ce qui semble étrange et anormal ou peut paraître invraisemblable à la raison superficielle, consciente seulement de notre état normal d'ignorance limitée et de ses mouvements coupés de notre réalité intérieure supérieure et totale, tout cela devient aisément intelligible et admissible à la lumière de la raison et de la logique plus vastes de l'Infini ou en admettant les plus grands pouvoirs illimitables du Moi, de l'Esprit en nous qui est un en essence avec l'Infini.
Brahman, la Réalité, est l'Absolu qui existe en soi, et Maya est la Conscience et la Force de cette existence en soi; cependant, au regard de l'univers le Brahman apparaît comme le Moi de toute existence, l'Âtman, le Moi cosmique, mais aussi comme le Moi Suprême transcendant sa propre cosmicité et en même temps universel-individuel en chaque être; on peut donc voir en la Maya le pouvoir intrinsèque, l'Âtma-Shakti, de l'Âtman. Il est vrai qu'au début, quand nous prenons conscience de cet aspect, c'est habituellement dans un silence de tout l'être ou du moins dans un silence intérieur qui se retire ou se tient à l'écart de l'action de surface. On sent alors que ce Moi est un état dans le silence, un être immuable et immobile, existant en soi, imprégnant l'univers entier, omniprésent en tout, mais qui n'est pas dynamique, pas actif, éloigné de l'énergie toujours mobile de la Maya. De même, nous pouvons prendre conscience de lui comme du Purusha séparé de la Prakriti, l'Être Conscient qui se tient en retrait des activités de la Nature. Mais c'est là une concentration exclusive qui se limite à un état spirituel et rejette toute activité afin d'être libre comme le Brahman, la Réalité qui existe en soi, libre de toutes les limitations dues à sa propre action et sa propre manifestation : c'est là une réalisation essentielle, mais pas la réalisation totale. Car nous pouvons voir que le Pouvoir Conscient, la Shakti active et créatrice, n'est autre que la Maya, la connaissance totale du Brahman. C'est le Pouvoir du Moi. La Prakriti est l'action du Purusha, l'Être Conscient rendu actif par sa propre Nature : dès lors,
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la dualité de l'Âme et de l'Énergie Universelle, du Moi silencieux et du Pouvoir créateur de l'Esprit, ne correspond pas réellement à quelque chose de duel ou de séparé, c'est une bi-unité. On ne peut, dit-on, séparer le Feu et le pouvoir du Feu ; ainsi la Réalité Divine ne peut être séparée de sa Conscience-Force, Chit-Shakti. La première réalisation du Moi comme quelque chose d'intensément silencieux et de purement statique ne nous révèle pas toute sa vérité : on peut également le réaliser en tant que pouvoir, ou comme ce qui détermine l'action et l'existence universelles. Cependant, le Moi est un aspect fondamental du Brahman, mais l'accent est mis davantage sur son impersonnalité. Le Pouvoir du Moi a donc l'apparence d'une Force agissant automatiquement, soutenue par le Moi qui est le témoin et le support de ses activités dont il est l'origine et dont il jouit, mais sans y être à aucun moment impliqué. Dès que nous prenons conscience du Moi, nous sommes conscients qu'il est éternel, non né, sans corps, non impliqué dans ses œuvres : on peut le sentir dans la forme de l'être, mais également enveloppant cette forme et comme au-dessus d'elle, observant d'en haut son incarnation, adhyaksha ; il est omniprésent, le même en tout, infini et pur et intangible à jamais. On peut faire l'expérience de ce Moi comme étant le Moi de l'individu, le Moi de celui qui pense, agit, jouit, mais, même alors, il conserve ce caractère plus ample ; son individualité est en même temps une vaste universalité ou pénètre aisément en elle, l'étape suivante étant une pure transcendance ou un passage complet et ineffable en l'Absolu. ,Le Moi est cet aspect du Brahman où il est intimement senti à la fois comme individuel, cosmique et transcendant par rapport à l'univers. La réalisation du Moi est le moyen direct et rapide d'atteindre à la libération individuelle, à l'universalité statique, à la transcendance de la Nature. Il y a en même temps une réalisation du Moi où l'on sent non seulement qu'il soutient, imprègne et enveloppe toutes choses, mais qu'il constitue tout et qu'il est identifié librement avec tous les devenirs de la Nature. Même alors, la liberté et l'impersonnalité caractérisent toujours le Moi. Il ne paraît pas soumis aux fonctionnements de son Pouvoir dans l'univers, comme le Purusha semble assujetti à la Prakriti. Réaliser le Moi, c'est réaliser l'éternelle liberté de l'Esprit.
L'Être Conscient, le Purusha, est le Moi en tant qu'origine créatrice, témoin, support et seigneur des formes et des œuvres de la Nature, et qui en jouit. De même que l'aspect du Moi est essentiellement transcendantal, fût-il involué et identifié avec ses devenirs universels
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et individuels, de même l'aspect Purusha est-il, en son caractère même, universel-individuel et intimement relié à la Nature, en fût-il séparé. Car tout en préservant son impersonnalité et son éternité, son universalité, cet Esprit conscient revêt un aspect plus personnel;¹ c'est l'être impersonnel-personnel dans la Nature dont il n'est pas entièrement détaché, lui étant toujours associé : la Nature agit pour le Purusha et avec son assentiment, selon sa volonté et pour son plaisir. L'Être Conscient communique sa conscience à l'Énergie que nous nommons Nature, reçoit en cette conscience, comme en un miroir, les opérations de la Nature, accepte les formes que, Force cosmique exécutive, elle crée et lui impose, donne ou retire sa sanction aux mouvements qu'elle accomplit. L'expérience de Purusha-Prakriti, de l'Esprit ou Être Conscient dans ses rapports avec la Nature, est d'une immense importance pratique ; de ces rapports, en effet, dépend tout le jeu de la conscience dans l'être incarné. Si le Purusha en nous est passif et laisse la Nature agir, acceptant tout ce qu'elle lui impose, donnant constamment et automatiquement sa sanction, alors l'âme dans le mental, la vie et le corps — l'être mental, vital et physique en nous —, se trouve soumise à notre nature, gouvernée par sa formation, entraînée par ses activités; c'est notre état normal d'ignorance. Si le Purusha en nous prend conscience de lui-même comme du Témoin et se tient en retrait de la Nature, c'est le premier pas vers la liberté de l'âme ; car ce détachement nous permet de connaître la Nature et ses processus et — en toute indépendance, puisque nous ne sommes plus impliqués dans ses œuvres —, d'accepter ou de ne pas accepter, de rendre la sanction non plus automatique, mais libre et effective; nous pouvons choisir ce qu'elle fera ou ne fera pas en nous, ou nous pouvons nous tenir complètement en retrait de ses œuvres et nous retirer aisément dans le silence spirituel du Moi, ou encore nous pouvons rejeter ses formations actuelles et nous élever à un niveau spirituel d'existence et de là re-créer notre vie. Le Purusha peut cesser d'être sujet, anîsha, et devenir le seigneur de sa nature, îshvara.
Dans la philosophie des Sânkhyens, l'idée métaphysique de Purusha-Prakriti est présentée de la façon la plus complète. Ces deux entités sont éternellement séparées, mais en relation l'une avec l'autre. La Prakriti est
¹La philosophie sânkhyenne met l'accent sur l'aspect personnel, le Purusha y est multiple, pluriel, et la Nature universelle; dans cette conception, chaque âme est une existence indépendante, bien que toutes les âmes fassent l'expérience d'une Nature universelle commune.
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le pouvoir de la Nature, un Pouvoir exécutif: c'est l'Énergie séparée de la Conscience, car la Conscience appartient au Purusha. Sans le Purusha, la Prakriti est inerte, mécanique, inconsciente. Prenant la Matière primordiale comme moi formel et base d'action, la Prakriti la développe et y manifeste la vie et les sens, le mental et l'intelligence; mais comme l'intelligence fait partie de la Nature, et qu'elle est engendrée par elle dans la Matière primitive, elle aussi est inerte, mécanique, inconsciente. Cette conception nous fait mieux comprendre comment l'Inconscient s'organise, comment ses opérations sont parfaitement agencées dans l'univers matériel : c'est la lumière de l'âme, l'Esprit, qui est transmise aux fonctionnements mécaniques du mental sensoriel et de l'intelligence; ils deviennent conscients grâce à sa conscience, tout comme ils ne deviennent actifs que par l'assentiment de l'Esprit. Pour s'affranchir, le Purusha se retire de la Prakriti, dont il devient le maître par son refus d'être involué dans la Matière. La Nature agit selon trois principes, modes ou qualités de sa substance et de son action qui, en nous, deviennent les modes fondamentaux de notre substance psychologique et physique et de ses fonctionnements : le principe de l'inertie, le principe du dynamisme et le principe de l'équilibre, de la lumière et de l'harmonie. Quand leurs mouvements ne sont pas unifiés, l'action de la Nature se produit; lorsqu'ils s'équilibrent, la Nature entre dans le repos. Le Purusha, l'être conscient est pluriel : il n'est pas seul et unique, alors que la Nature est une ; il semblerait en découler que tous les principes d'unité que nous trouvons dans l'existence appartiennent à la Nature, mais chaque âme est indépendante et unique, seule en elle-même et séparée, tant dans la jouissance qu'elle puise en la Nature que dans sa libération hors de la Nature. Nous constatons que toutes ces affirmations du Sânkhya sont parfaitement fondées par l'expérience lorsque nous entrons intérieurement en contact direct avec les réalités de l'âme individuelle et de la Nature universelle; mais ce sont des vérités pratiques et nous ne sommes pas tenus de les accepter comme la vérité entière ou fondamentale du moi et de la Nature. La Prakriti se présente comme Énergie inconsciente dans le monde matériel, mais, à mesure que s'élèvent les degrés de la conscience, elle se révèle de plus en plus comme une force consciente, et nous percevons que même son inconscience cachait une conscience secrète ; de même, l'être conscient est multiple en ses âmes individuelles, mais en son moi nous pouvons avoir l'expérience qu'il est un en tous et un en son existence essentielle. De plus, l'expérience de l'âme et de la Nature en tant que dualité est
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vraie, mais l'expérience de leur unité est tout aussi valable. Si la Nature ou l'Énergie peut imposer ses formes et ses activités à l'Être, c'est nécessairement parce qu'elle est la Nature ou l'Énergie de l'Être, en sorte que l'Être peut les accepter comme ses propres formes ; si l'Être peut devenir le seigneur de la Nature, ce doit être parce qu'elle est sa propre Nature qu'il a passivement regardée faire son travail, mais qu'il peut contrôler et maîtriser; même en sa passivité, son consentement est nécessaire à l'action de la Prakriti, et cette relation indique suffisamment que les deux ne sont pas étrangers l'un à l'autre. La dualité est une position adoptée, un double état accepté pour les opérations de la manifestation de l'être ; mais il n'y a pas de séparativité, pas de dualisme éternels et fondamentaux de l'Être et de sa Conscience-Force, de l'Âme et de la Nature.
C'est la Réalité, le Moi, qui prend la position de l'Être Conscient qui observe et accepte ou gouverne les œuvres de sa Nature. Il se crée une dualité apparente afin qu'une libre action de la Nature puisse s'élaborer peu à peu avec le soutien de l'Esprit, ainsi qu'une libre et puissante action de l'Esprit maîtrisant et réalisant la Nature. Cette dualité est aussi nécessaire pour qu'à tout moment l'Esprit puisse être libre de se retirer de toute formation de sa Nature et de dissoudre toutes les formations, ou d'accepter, ou d'imposer une formation nouvelle ou supérieure. Ce sont là de très évidentes possibilités de l'Esprit dans ses rapports avec sa propre Force, et nous pouvons les observer et les vérifier dans notre propre expérience; elles découlent logiquement des pouvoirs de la Conscience Infinie, pouvoirs qui, nous l'avons vu, sont inhérents à son infinité. L'aspect Purusha et l'aspect Prakriti vont toujours de pair, et à tout état que, dans son action, la Nature ou la Conscience-Force assume, manifeste ou développe, correspond un état de l'Esprit. En son état suprême, l'Esprit est l'Être Conscient suprême, Purushottama, et la Conscience-Force est sa Nature suprême, Parâ-Prakriti. En chaque état, à chaque niveau de la gradation de la Nature, l'Esprit adopte un équilibre spécifique de son être ; dans la Nature-du-Mental, il devient l'être mental ; dans la Nature-de-la-Vie, il devient l'être vital ; dans la nature de la Matière, il devient l'être physique ; dans le Supramental, il devient l'Être de Connaissance ; dans le suprême état spirituel, il devient l'Être de Béatitude et de pure Existence. En nous, dans l'individu incarné, il se tient derrière tout comme l'Entité psychique, le Moi intérieur qui soutient les autres formulations de notre conscience et de notre existence spirituelle. Le Purusha, individuel en nous, est cosmique dans
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le cosmos, transcendant dans la transcendance : l'identité avec le Moi est apparente, mais c'est le Moi à l'état pur, l'état impersonnel-personnel d'un Esprit dans les choses et les êtres — impersonnel parce que non différencié par la qualité personnelle, et personnel parce que présidant aux individualisations du moi en chaque individu — qui s'occupe des œuvres de sa Conscience-Force, la force exécutrice de sa propre nature, quel que soit l'état d'équilibre nécessaire pour réaliser ce dessein.
Mais il est évident que, quelle que soit la position qu'il a prise ou la relation qu'il a formée en tout noyau individuel de Purusha-Prakriti, l'Être est, dans une relation cosmique fondamentale, le seigneur ou le souverain de sa nature ; car même quand il laisse la Nature faire de lui ce qu'elle veut, son consentement est nécessaire pour soutenir les œuvres qu'elle exécute. C'est ce qui ressort et se révèle pleinement dans le troisième aspect de la Réalité : l'Être divin en tant que maître et créateur de l'univers. Ici, la Personne suprême, l'Être en sa conscience et sa force transcendantales et cosmiques, vient au premier plan. Omnipotent, omniscient, gouvernant toutes les énergies, Il est le Conscient dans tout ce qui est conscient ou inconscient, l'Habitant de toutes les âmes, tous les mentais, tous les cœurs et tous les corps, le Maître ou le Souverain de toutes les œuvres. Celui qui goûte toute félicité, le Créateur qui a édifié toutes choses en son être, la Personne Totale dont tous les êtres sont les personnalités, le Pouvoir dont découlent tous les pouvoirs, le Moi, l'Esprit en tout. Par son être, Il est le Père de tout ce qui est, en sa Conscience-Force Il est la Mère Divine, l'Ami de toutes les créatures, le Tout-béatifique et la Toute-beauté dont la beauté et la joie sont la révélation, le Bien-Aimé et l'Amant de tous. Dans un certain sens, ainsi vu et compris, cela devient l'aspect le plus global de la Réalité, car tous les aspects sont ici réunis en une seule formulation. L'Ishwara est en effet supracosmique autant qu'intracosmique, Il est ce qui dépasse, habite et soutient toute individualité, Il est le Brahman suprême et universel, l'Absolu, le Moi suprême, le suprême Purusha. Mais il est bien clair que ce n'est pas là le Dieu personnel des religions populaires, un être limité par ses qualités, individuel et séparé de tous les autres; car tous ces dieux personnels ne sont que des représentations limitées, ou des noms et des personnalités divines de l'unique îshwara. Et ce n'est pas non plus le Saguna Brahman actif et doté de qualités, car ce n'est là qu'un aspect de l'être de l'îshwara. Le Nirguna immobile et sans qualités est un autre aspect de Son existence. L'îshwara est le Brahman, la Réalité, le Moi, l'Esprit,
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révélé comme le maître qui jouit de sa propre existence, le créateur de l'univers, qui ne fait qu'un avec lui, Panthéos, et cependant le dépasse, l'Éternel, l'Infini, l'Ineffable, la divine Transcendance.
L'opposition tranchée que fait notre pensée mentale entre personnalité et impersonnalité est une création du mental fondée sur les apparences du monde matériel; car ici, dans l'existence terrestre, l'Inconscient, qui est à l'origine de toutes choses, apparaît comme quelque chose d'entièrement impersonnel ; dans son essence manifeste et ses rapports, la Nature, l'Énergie inconsciente est, elle aussi, totalement impersonnelle. Toutes les Forces portent ce masque d'Impersonnalité; toutes les qualités et tous les pouvoirs, l'Amour, la Félicité et la Conscience elle-même, ont cet aspect. La personnalité fait son apparition comme création de la conscience dans un monde impersonnel ; c'est une limitation par une formation restreinte des pouvoirs, des qualités, des forces habituelles de l'action de la nature, un emprisonnement dans un cercle étroit d'expérience de soi qu'il nous faut transcender — perdre notre personnalité est nécessaire si nous devons atteindre l'universalité, plus nécessaire encore si nous devons nous élever jusqu'à la Transcendance. Mais ce que nous appelons personnalité n'est qu'une formation de la conscience superficielle; derrière, se trouve la Personne qui revêt diverses personnalités, qui peut assumer de nombreuses personnalités en même temps, mais demeure elle-même unique, réelle, éternelle. Si nous considérons les choses d'un plus vaste point de vue, nous pouvons dire* que ce qui est impersonnel n'est qu'un pouvoir de la Personne : l'existence elle-même n'a pas de sens sans un Existant, la conscience n'a pas de siège s'il n'existe personne qui soit conscient, la joie est inutile et sans valeur à moins que quelqu'un ne la ressente, l'amour ne peut avoir de base, ni s'accomplir, s'il n'y a pas d'amant, la toute-puissance est vaine s'il n'y a pas un Tout-Puissant. Car ce que nous entendons par Personne est un être conscient; même s'il émerge ici comme terme ou produit de l'Inconscient, il n'est pas cela en réalité : car c'est l'Inconscient lui-même qui est un terme de la Conscience secrète. Ce qui émerge est plus grand que ce en quoi il émerge : ainsi le Mental est-il plus grand que la Matière, l'Ame plus grande que le Mental. L'Esprit, ce qu'il y a de plus secret, la suprême émergence, l'ultime révélation, est de tous le plus grand. L'Esprit est le Purusha, la Personne Totale, l'Être Conscient omniprésent. C'est parce que notre mental ignore cette vraie Personne en nous, parce qu'il confond la personne et notre expérience de l'ego
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et de la personnalité limitée, et parce que l'émergence de la conscience et de la personnalité limitées dans une existence inconsciente est un phénomène trompeur, que nous avons créé une opposition entre ces deux aspects de la Réalité. Mais en vérité il n'y a pas d'opposition. Une existence en soi éternelle et infinie est la Réalité suprême. Cependant l'Être suprême, transcendant, éternel, le Moi et Esprit — une Personne infinie, pourrions-nous dire, parce que son être est l'essence et la source de toute personnalité — est la réalité et la signification de l'existence en soi : de même le Moi, l'Esprit, l'Être, la Personne cosmique est la réalité et la signification de l'existence cosmique; le même Moi, Esprit, Être ou Personne, manifestant sa multiplicité, est la réalité et la signification de l'existence individuelle.
Si nous admettons que l'Être Divin, la Personne suprême et la Personne Totale est l'Ishwara, nous avons quelque peine à comprendre sa façon de diriger ou de gouverner l'existence universelle, parce qu'immédiatement nous reportons sur lui notre conception mentale d'un souverain humain ; nous nous le représentons agissant par le mental et la volonté mentale d'une façon omnipotente et arbitraire sur un monde auquel il impose la loi de ses conceptions mentales, et nous concevons sa volonté comme un libre caprice de sa personnalité. Mais l'Être Divin n'a nul besoin d'agir selon une volonté ou une idée arbitraires, comme pourrait le faire un être humain omnipotent et cependant ignorant — à supposer qu'une telle omnipotence soit possible : car il n'est pas limité par le mental, il possède une toute-conscience en laquelle il perçoit la vérité de toutes choses, est conscient de sa propre sagesse intégrale qui les élabore en fonction de la vérité qui est en elles et, suivant leur sens, leur possibilité ou leur nécessité, le caractère inné et impérieux de leur nature. Le Divin est libre, il n'est pas enchaîné par des lois, quelle qu'en soit la nature. Il agit pourtant au moyen de lois et de processus, parce qu'ils expriment la vérité des choses — non point leur seule vérité mécanique, mathématique ou quelque autre vérité extérieure, mais la réalité spirituelle de ce qu'elles sont, de ce qu'elles sont devenues et doivent encore devenir — de ce qui, en elles, reste à accomplir. Il est lui-même présent dans le fonctionnement, mais il le dépasse également et peut ne pas en respecter la règle ; car d'une part, la Nature travaille suivant son ensemble limité de formules, elle est pénétrée et soutenue dans leur exécution par la Présence Divine, mais il existe d'autre part une vision globale, un fonctionnement et une détermination supérieurs, voire une
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intervention, libre mais non arbitraire, qui nous semble souvent magique et miraculeuse parce qu'elle procède d'une Supranature divine, à partir de laquelle elle agit sur la Nature : la Nature est ici une expression limitée de cette Supranature dont la lumière, la force, l'influence l'ouvrent et la préparent à une intervention ou à une mutation. La loi mécanique, mathématique, automatique des choses est un fait; mais en elle une loi spirituelle de la conscience est à l'œuvre qui donne à la marche mécanique des forces de la Nature un caractère et une valeur intérieurs, une justesse significative et une nécessité secrètement consciente; et au-dessus d'elle, il y a une liberté spirituelle qui sait et qui agit dans la vérité suprême et universelle de l'Esprit. Notre vision du gouvernement divin du monde ou du secret de son action est, ou bien incurablement anthropomorphique, ou bien incurablement mécanique ; l'anthropomorphisme et le mécanisme ont tous deux leur part de vérité, mais ils ne sont qu'une facette, qu'un aspect. La vérité réelle est que le monde est gouverné, en tout et au-dessus de tout, par l'Un dont la conscience est infinie ; et c'est d'après la loi et la logique d'une conscience infinie que nous devons comprendre la signification, la construction et le mouvement de l'univers.
Si nous considérons cet aspect de l'unique Réalité et le rattachons étroitement aux autres aspects, nous pouvons obtenir une vue complète de la relation qui existe entre l'éternelle Existence en Soi et la dynamique de la Conscience-Force par laquelle elle manifeste l'univers. Si nous nous situons dans une existence en Soi silencieuse, immobile, statique, inactive, il apparaîtra qu'une Conscience-Force conceptrice, Maya, capable d'en effectuer toutes les conceptions, compagne dynamique du Moi de silence, accomplit tout; elle s'appuie sur l'état éternel, immuablement établi, et projette la substance spirituelle de l'être dans toutes sortes de formes et de mouvements auxquels consent sa passivité ou en lesquels il goûte un plaisir impartial et l'immuable félicité d'une existence créatrice et mobile. Que cette existence soit réelle ou illusoire, telles doivent en être la substance et la signification. La Conscience joue avec Être, la Force de la Nature fait de l'Existence ce qu'elle veut et l'utilise comme matériau de ses créations, mais pour que cela soit possible il faut qu'à chaque pas, secrètement, l'Être y consente. Il y a une évidente vérité dans cette perception des choses. C'est ce que nous voyons se produire partout en nous et autour de nous, c'est une vérité de l'univers et elle doit correspondre à un aspect, à une vérité fondamentale de
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l'Absolu. Mais lorsque nous nous retirons des apparences dynamiques extérieures pour entrer, non dans un Silence de témoin, mais dans une expérience intérieure de participation dynamique de l'Esprit, nous découvrons que cette Conscience-Force, Maya, Shakti, est elle-même le pouvoir de l'Être, de l'Existant-en-soi, de l'îshwara. L'Être est son seigneur et celui de toutes choses, nous le voyons tout faire en sa souveraineté comme créateur et maître de sa propre manifestation ; ou, s'il se tient en retrait et laisse une liberté d'action aux forces et aux créatures de la Nature, c'est en souverain qu'il donne son accord, à chaque pas sa sanction tacite " Qu'il en soit ainsi ", tathâstu, est implicite; autrement rien ne pourrait s'accomplir, ni se produire. L'Être et sa Conscience-force, l'Esprit et la Nature ne peuvent être fondamentalement duels : ce qu'accomplit la Nature est en réalité accompli par l'Esprit. Cela aussi est une vérité qui devient évidente lorsque nous passons derrière le voile et sentons la présence d'une Réalité vivante qui est tout et détermine tout, qui est le Tout-Puissant gouvernant tout ; cela aussi est un aspect, une vérité fondamentale de l'Absolu.
Par ailleurs, si nous demeurons absorbés dans le Silence, la Conscience créatrice et ses œuvres disparaissent dans le Silence ; pour nous, la Nature et la création cessent d'exister ou d'être réelles. Par contre, si nous considérons Être exclusivement comme la Personne et le Souverain qui seul existe, alors le Pouvoir ou Shakti par lequel il accomplit toutes choses disparaît en son unité ou devient un attribut de Sa personnalité cosmique : nous percevons l'univers comme la monarchie absolue de l'Être unique. Ces deux expériences créent de nombreuses difficultés pour le mental, parce que celui-ci ne perçoit pas la réalité du Pouvoir du Moi, que ce soit au repos ou en action, ou parce qu'il a une expérience trop exclusivement négative du Moi, ou encore parce que nos conceptions de l'Être Suprême comme Souverain ont un caractère trop anthropomorphique. Il est évident qu'il s'agit là d'un Infini où le Pouvoir du Moi est capable d'exprimer de nombreux mouvements, tous aussi valables. Si nous élargissons encore notre vision et considérons la vérité tant impersonnelle que personnelle des choses comme formant une seule vérité, si dans cette lumière, la lumière de la personnalité dans l'impersonnalité, nous voyons l'aspect bi-un du Moi et du Pouvoir du Moi, alors, dans l'aspect personnel une Personne duelle émerge, îshwara-Shakti, le Moi et Créateur Divin et la Mère Divine et Créatrice de l'univers. Le mystère des Principes cosmiques masculin et
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féminin, dont le jeu et l'interaction sont nécessaires à toute création, se révèle à nous. Dans la vérité supraconsciente de l'Existence du Moi, ces deux aspects sont fondus et impliqués l'un en l'autre, ils sont un et on ne peut les dissocier ; mais dans la vérité spirituelle-pratique du dynamisme de l'univers, ils émergent et deviennent actifs. En tant que créatrice universelle, Maya, Parâ-Prakriti, Chit-Shakti, la Divine Mère-Énergie manifeste le Moi cosmique et l'îshwara et son propre pouvoir essentiel comme principe duel ; c'est à travers elle qu'agit l'Être, le Moi, l'îshwara et il ne fait rien que par elle ; bien que sa Volonté soit implicite en elle, c'est elle qui élabore tout, comme Conscience-Force suprême, portant en elle toutes les âmes et tous les êtres, et comme Nature exécutrice. Tout existe et agit selon la Nature, tout est la Conscience-Force manifestant Être et jouant avec Lui dans les millions de formes et de mouvements où elle projette Son existence. Si nous nous retirons des activités de la Nature, tout entre dans le repos, et nous-mêmes pouvons entrer dans le silence, car elle consent à cesser son activité dynamique; mais c'est dans son silence et son repos que nous trouvons notre repos et que cesse toute action. Si nous voulons affirmer notre indépendance vis-à-vis de la Nature, elle nous révèle le pouvoir suprême et omniprésent de l'îshwara et nous-mêmes comme des êtres de Son être, mais ce pouvoir n'est autre qu'elle-même, et nous le sommes en sa supranature. Si nous voulons réaliser une formation supérieure ou un état d'être supérieur, c'est encore par elle, par l'intermédiaire de la divine Shakti, de la Conscience-Force de l'Esprit, que cela doit se faire; c'est par l'intermédiaire de la Mère Divine que nous devons faire le don de nous-mêmes à l'Être Divin ; car c'est vers la Nature suprême, ou en elle, que doit s'effectuer notre ascension, et cela n'est possible que si la Shakti supramentale s'empare de notre mental et le transforme en sa supramentalité. Nous voyons donc qu'il n'y a ni contradiction ni incompatibilité entre ces trois aspects de l'Existence, ou entre eux en leur état éternel et les trois modes de sa Dynamis œuvrant dans l'univers. Un seul Être, une seule Réalité soutient, fonde, imprègne en tant que Moi, éprouve en tant que Purusha ou Être conscient, et en tant qu'îshwara veut, gouverne et possède son monde de manifestation créé et maintenu en mouvement et en action par sa propre Conscience-Force ou Pouvoir-du-Moi — Maya, Prakriti, Shakti.
Notre mental trouve assez difficile de concilier ces différents visages ou aspects de l'Unique Moi et Esprit, car nous sommes obligés d'appliquer des notions abstraites, des idées et des termes bien distincts
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à quelque chose qui n'est pas abstrait, qui est spirituellement vivant et intensément réel. Nos abstractions se figent dans des concepts différenciateurs nettement délimités. Or la Réalité n'est pas de cette nature; nombreux sont ses aspects, mais ils se fondent les uns dans les autres. Sa vérité ne pourrait être exprimée que par des idées et des images métaphysiques et cependant vivantes et concrètes — des images que la Raison pure pourrait considérer comme des figures et des symboles, mais qui sont plus que cela et revêtent un sens plus vaste pour la vision et le sentiment intuitifs, car elles sont les réalités d'une expérience spirituelle dynamique. La vérité impersonnelle des choses peut être traduite par les formules abstraites de la raison pure, mais il y a un autre aspect de la vérité qui appartient à la vision spirituelle ou mystique, et sans cette vision intérieure des réalités, la formulation abstraite demeure insuffisamment vivante, incomplète. Le mystère des choses est la vraie vérité des choses. La présentation intellectuelle n'est qu'une représentation de la vérité par des symboles abstraits, images géométriques d'un art cubiste du langage de la pensée. Dans une étude philosophique, il est nécessaire de se limiter en grande partie à cette présentation intellectuelle, mais il n'est pas inutile de rappeler que ce n'est là que l'abstraction de la Vérité et que si nous voulons la saisir ou l'exprimer complètement, nous devons en avoir l'expérience concrète et employer un langage plus vivant et plus substantiel.
Il convient ici de voir comment, dans cet aspect de la Réalité, nous devons considérer la relation que nous avons découverte entre l'Un et le Multiple ; cela revient à déterminer le vrai rapport entre l'individu et l'Être Divin, entre l'Âme et l'îshwara. Dans la conception théiste habituelle, le Multiple est créé par Dieu ; modelé par lui, tel un vase par le potier, il dépend de lui comme les créatures dépendent de leur créateur. Mais dans cette plus large vision de l'îshwara, le Multiple en sa plus profonde réalité est lui-même l'Un Divin. Ce sont les moi individuels de l'universelle et suprême Existence du Moi, éternels comme Lui mais éternels en son être : notre existence matérielle est certes une création de la Nature ; cependant l'âme est une portion immortelle de la Divinité, et derrière elle se trouve le Moi Divin dans la créature naturelle. Néanmoins, l'Un est la Vérité fondamentale de l'existence, le Multiple existe par l'Un, et l'être manifesté est donc entièrement dépendant de l'îshwara. Cette dépendance est masquée par l'ignorance séparatrice de l'ego qui s'efforce d'exister par lui-même, bien qu'à chaque pas il
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dépende manifestement du Pouvoir cosmique qui l'a créé, soit mû par lui, fasse partie de son être et de son action cosmiques. Cet effort de l'ego est évidemment une méprise, un reflet trompeur de la vérité de l'existence du moi qui est en nous. Il est vrai qu'en nous, pas dans l'ego mais dans le moi, dans notre être le plus profond, il y a quelque chose qui surpasse la Nature cosmique et appartient à la Transcendance. Mais cela aussi ne devient indépendant de la Nature qu'en dépendant d'une Réalité supérieure. C'est par le don de nous-mêmes ou la soumission de l'âme et de la nature à l'Être Divin que nous pouvons atteindre à notre moi le plus haut, à la Réalité suprême, car c'est Être Divin qui est ce moi le plus haut et cette Réalité suprême, et nous n'existons en nous-mêmes que par Son existence et ne sommes éternels qu'en son éternité. Cette dépendance ne contredit pas l'Identité : elle est elle-même la porte vers la réalisation de l'Identité ; si bien que, là encore, nous rencontrons ce phénomène de dualité exprimant l'unité, parti de l'unité et s'ouvrant à nouveau à elle, qui est l'éternel secret et l'opération fondamentale de l'univers. C'est cette vérité de la conscience de l'Infini qui crée la possibilité de toutes les relations entre le Multiple et l'Un. La réalisation de l'unité par le mental, de la présence de cette unité dans le cœur, de l'existence de cette unité dans toutes les parties de notre être, en est un des plus hauts sommets. Et pourtant, elle n'annule pas, mais confirme toutes les autres relations personnelles et leur donne leur plénitude, leur complet délice, leur entière signification. Cela aussi est la magie, mais également la logique de l'Infini.
Il reste encore un problème à résoudre, et il peut l'être sur la même base. Il s'agit de l'opposition entre le Non-Manifeste et la manifestation. Car on pourrait dire que tout ce qui a été avancé jusqu'ici est peut-être vrai de la manifestation, mais que celle-ci est une réalité d'un ordre inférieur, un mouvement partiel dérivé de la Réalité non manifestée et que, quand nous pénétrons dans ce qui est suprêmement Réel, ces vérités de l'univers perdent toute validité. Le Non-Manifeste est l'intemporel, le pur éternel, une existence en soi irréductible et absolue dont la manifestation et ses limitations ne peuvent donner aucun indice, ou un indice trop insuffisant qui, dès lors, s'avère illusoire et trompeur. Cela pose le problème de la relation entre le Temps et l'Esprit intemporel. En effet, nous avons au contraire supposé que ce qui est non-manifestation dans l'Éternel intemporel est manifesté dans l'Éternité temporelle. S'il en est ainsi, si le temporel est une expression
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de Éternel, alors, quelque différentes que soient les conditions, quelque partielle que soit l'expression, ce qui est fondamental dans l'expression temporelle doit néanmoins préexister d'une certaine manière dans la Transcendance et être tiré de la Réalité intemporelle. Car autrement, ces fondamentaux viendraient en cette réalité directement d'un Absolu autre que le Temps ou l'Intemporel, et l'Esprit Intemporel serait une suprême négation spirituelle, un indéterminable servant de base à la liberté de l'Absolu affranchi de toute limitation par ce qui est formulé dans le Temps — ce serait le négatif du Temps positif, dans une relation identique à celle du Nirguna et du Saguna. Mais en fait, ce que nous entendons par Intemporel est un état spirituel de l'existence qui n'est pas assujetti au mouvement du temps ou à l'expérience temporelle successive ou relative d'un passé, d'un présent et d'un futur. L'Esprit intemporel n'est pas nécessairement un vide; il peut tout contenir en lui, mais en essence, sans référence au temps, à la forme, aux relations ou aux circonstances, peut-être en une éternelle unité. L'Éternité est le terme commun au Temps et à l'Esprit Intemporel. Ce qui, dans l'Intemporel, est non manifesté, implicite, essentiel, apparaît dans le Temps comme mouvement, ou du moins comme dessein et relation, résultat et circonstance. Ils sont donc la même Éternité, ou le même Éternel en un double état, un état duel d'être et de conscience : l'éternité d'un état d'immobilité, et l'éternité d'un mouvement dans un état statique.
L'état originel est celui de la Réalité intemporelle et aspatiale ; cela suppose que l'Espace et le Temps sont la même Réalité s'étendant elle-même pour contenir le déploiement de ce qui était en elle. Comme dans toutes les autres oppositions, la différence serait que le même Esprit qui se regarde en son essence et en son principe d'être, se regarde dans le dynamisme de cette essence et de ce principe. L'Espace et le Temps sont les noms que nous donnons à cette extension de soi de l'unique Réalité. Nous sommes portés à voir en l'Espace une extension statique où toutes choses se tiennent ou se meuvent ensemble suivant un ordre fixe; nous concevons le Temps comme une extension mobile mesurée par le mouvement et l'événement : l'Espace serait alors le Brahman dans son état d'extension de soi; le Temps, le Brahman dans le mouvement de cette extension. Mais ce n'est peut-être là qu'une première vision inexacte : l'Espace est peut être en réalité un mobile constant, et c'est la constance et la relation persistante que les choses dans l'Espace ont avec le temps qui créent le sens de stabilité spatiale, tandis que la mobilité
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crée le sens du mouvement temporel dans l'Espace stable. Ou encore, l'Espace serait le Brahman étendu pour maintenir ensemble formes et objets; le Temps serait le Brahman s'étendant lui-même pour que se déploie le mouvement de son propre pouvoir portant formes et objets; les deux seraient alors un aspect duel d'une seule et unique extension de soi de l'Éternel cosmique.
On pourrait considérer qu'un Espace purement physique est en soi une propriété de la Matière ; mais la Matière est une création de Énergie en mouvement. Par conséquent l'Espace, dans le monde matériel, pourrait être soit une extension fondamentale de l'Énergie matérielle ou le champ d'existence qu'elle a elle-même formé, sa représentation de l'Infinité Inconsciente où elle agit, une image où elle accueille les formules et les mouvements de sa propre action et de sa création de soi. Le Temps serait lui-même le cours de ce mouvement ou bien une impression créée par lui, une impression de quelque chose qui se présente à nous comme une succession régulière en apparence — une division ou un continuum soutenant la continuité du mouvement, tout en en délimitant les phases successives — parce que le mouvement lui-même est successif et régulier. Ou bien le Temps pourrait être une dimension de l'Espace nécessaire à l'action complète de l'Énergie, mais nous ne pourrions le saisir sous cet aspect, car notre subjectivité le voit comme quelque chose d'également subjectif, senti par notre mental sans être perçu par nos sens; le temps ne .pourrait donc être reconnu comme une dimension de l'espace, car celui-ci a pour nous l'apparence d'une extension objective créée ou perçue par les sens.
.En tout cas, si l'Esprit est la réalité fondamentale, le Temps et l'Espace doivent être, ou bien les conditions conceptuelles dans lesquelles l'Esprit voit son propre mouvement d'énergie, ou bien les conditions essentielles de cet Esprit lui-même qui assume une apparence ou un état différent selon l'état de conscience où elles se manifestent. Autrement dit, il y a un Temps et un Espace différents pour chaque état de notre conscience, et même différents mouvements de Temps et d'Espace au sein de chaque état; mais tous seraient des traductions d'une réalité Spirituelle fondamentale de l'Espaee-Temps. En fait, quand nous passons derrière l'espace physique, nous prenons conscience d'une étendue sur laquelle repose tout ce mouvement, et cette étendue est spirituelle et non point matérielle ; c'est le Moi ou Esprit contenant toute l'action de sa
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propre Énergie. Cette origine, cette réalité fondamentale de l'Espace, commence à se révéler lorsque nous nous retirons du physique, car nous devenons alors conscients d'une étendue spatiale subjective où le mental lui-même vit et se meut et qui est autre que l'Espace-Temps physique. Et pourtant il y a interpénétration : notre mental peut en effet se mouvoir dans son propre espace, de façon à effectuer un mouvement aussi dans l'espace de la Matière ou à agir à distance sur quelque chose dans l'espace de la Matière. Dans un état encore plus profond de la conscience, nous sommes conscients d'un pur Espace spirituel ; le Temps, dans cette conscience, peut sembler ne plus exister, car tout mouvement cesse ou, s'il y a mouvement, ou événement, il peut se produire indépendamment de toute succession temporelle observable.
Si nous passons derrière le Temps par un mouvement intérieur analogue, nous retirant du physique et le regardant sans nous y absorber, nous découvrons que l'observation du Temps et le mouvement du Temps sont relatifs, mais que le Temps lui-même est réel et éternel. L'observation du Temps dépend non seulement des mesures employées, mais de la conscience et de la position de l'observateur; en outre, chaque état de conscience a une relation différente avec le Temps; le Temps dans la conscience du Mental et dans l'Espace du Mental n'a pas le même sens, ses mouvements n'ont pas la même mesure que dans l'Espace physique; il s'écoule rapidement ou lentement selon l'état de la conscience. Chaque état de conscience a son Temps particulier, et cependant il peut y avoir entre eux des relations temporelles; et lorsque nous passons derrière la surface physique, nous découvrons que plusieurs états et plusieurs mouvements temporels différents coexistent dans la même conscience. Cela est évident dans le temps de rêve où la durée d'une longue suite d'événements peut correspondre à une seconde ou à quelques secondes de Temps physique. Il existe donc un rapport entre différents états temporels, mais on ne peut déterminer de façon certaine leur mesure respective, leur correspondance. Il semblerait que le Temps n'ait pas de réalité objective mais dépende des conditions que peut établir l'action de la conscience relativement à l'état et au mouvement de l'être : le Temps nous semblerait donc purement subjectif. Mais en fait, l'Espace aussi paraîtrait subjectif du fait de la relation mutuelle entre l'Espace-Mental et l'Espace-Matière. Autrement dit, tous deux sont l'extension spirituelle originelle, mais le mental la traduit dans toute sa pureté en un champ mental subjectif, et le mental sensoriel en un
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champ objectif de perception sensorielle. La subjectivité et l'objectivité ne sont que les deux aspects d'une conscience unique, et le fait capital est que tout Temps ou tout Espace donnés, ou tout Espace-Temps donné, est globalement un état d'être où existe un mouvement de la conscience et de la force de l'être, un mouvement qui crée ou manifeste les faits et les événements. C'est la relation — propre à chaque état — entre la conscience qui voit et la force qui formule les événements, qui détermine le sens du Temps et nous rend conscients du mouvement du Temps, de la relation au Temps, de la mesure du Temps. Dans sa vérité fondamentale, l'état originel du Temps derrière toutes ses variations n'est rien d'autre que l'éternité de l'Éternel, de même que la vérité fondamentale de l'Espace, le sens originel de sa réalité, est l'infinité de l'Infini.
Au regard de sa propre éternité, l'Être peut assumer trois états de conscience différents. Le premier est l'état immobile du Moi en son existence essentielle, absorbé en soi ou conscient de soi, mais, dans les deux cas, il n'y a aucun développement de la conscience dans le mouvement ou l'événement; c'est ce que nous percevons comme son éternité intemporelle. Le second est sa conscience globale des relations successives de toutes les choses appartenant à une manifestation prévue ou effectivement en cours, où ce que nous appelons passé, présent et futur sont réunis comme sur une carte ou un dessin établi — ou comme un artiste, un peintre ou un architecte pourrait garder tout le détail de son œuvre dans une vision d'ensemble, projetée ou revue dans son esprit ou arrangée selon un plan d'exécution; c'est l'état stable ou l'intégralité simultanée du Temps. Cette vision du Temps ne fait nullement partie de notre perception normale des événements tels qu'ils se produisent, bien que notre regard sur le passé, du fait qu'il est déjà connu et qu'on peut le considérer dans son ensemble, puisse nous en donner un certain aperçu ; cela dit, nous savons que cette conscience existe parce qu'il est possible, dans un état exceptionnel, d'y accéder et de voir les choses ainsi, dans cette simultanéité de la vision-du-Temps. Le troisième état est celui d'un mouvement d'effectuation de la Conscience-Force, et de manifestation successive de ce qu'elle a vu dans la vision statique de l'Éternel : c'est le mouvement du Temps. Mais c'est dans une seule et unique Éternité qu'existe ce triple état et que se produit le mouvement ; il n'y a pas réellement deux éternités, une éternité d'état et une éternité de mouvement, mais différents états ou positions de la Conscience par rapport à l'unique Éternité. Car elle peut voir le développement
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du Temps dans sa totalité, en se tenant en dehors ou au-dessus du mouvement ; elle peut aussi prendre une position stable à l'intérieur du mouvement et voir " l'avant " et " l'après " dans une succession fixe, déterminée ou prévue; ou elle peut prendre au contraire une position mobile dans le mouvement, se mouvoir elle-même avec lui d'instant en instant et voir tout ce qui s'est produit s'éloigner dans le passé et tout ce qui doit venir à elle du futur ; ou encore elle peut se concentrer sur l'instant qu'elle occupe et ne rien voir d'autre que ce qui est en cet instant, et ce qui gravite immédiatement autour de lui ou derrière lui. L'être de l'Infini peut prendre toutes ces positions dans une vision ou une expérience simultanée. Il peut voir le Temps en étant lui-même au-dessus et à l'intérieur du Temps, au-delà et en dehors du Temps; il peut voir l'Intemporel développer le mouvement du Temps sans cesser d'être intemporel, il peut embrasser tout le mouvement dans une vision statique et dynamique et, en même temps, projeter une partie de lui-même dans la vision du moment. La conscience enchaînée à la vision du moment peut considérer cette simultanéité comme une magie de l'Infini, une magie de la Maya; elle qui pour percevoir a besoin de limiter, d'envisager un seul état à la fois pour trouver l'harmonie, aurait une impression d'irréalité confuse et incohérente. Mais pour une conscience infinie, une telle simultanéité intégrale de vision et d'expérience serait parfaitement logique et cohérente; tous ces éléments pourraient faire partie d'une vision globale et se lier étroitement dans un arrangement harmonieux — une vision multiple mettant en lumière l'unité de la chose vue, une présentation variée des aspects concomitants de l'Unique Réalité.
Si l'unique Réalité peut se présenter elle-même dans cette multiplicité simultanée, nous voyons alors qu'il n'est pas impossible qu'un Éternel intemporel et une Éternité temporelle coexistent. Ce serait la même Éternité envisagée par une conscience de soi duelle et il n'y aurait pas opposition, mais corrélation de deux pouvoirs de la conscience de soi de la Réalité éternelle et infinie — un pouvoir d'état et de non-manifestation, et un pouvoir d'action, de mouvement et de manifestation spontanément efficaces. Si contradictoire et difficile à admettre qu'elle puisse paraître à notre vision finie et superficielle, cette simultanéité serait une réalité naturelle et normale pour la Maya, l'éternelle connaissance de soi et de tout du Brahman, la connaissance et le pouvoir de sagesse éternels et infinis de l'îshwara, la conscience-force de Satchidânanda existant en soi.
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Je suis Lui.
Îshâ Upanishad. Verset 16.
C'est une portion éternelle de Moi qui est devenue l'être vivant dans un monde d'êtres vivants. (...) L'œil de la connaissance voit le Seigneur qui prend demeure dans le corps, y trouve sa joie et le quitte.
Gîta. XV. 7,10.
Deux oiseaux aux ailes ravissantes, amis et compagnons, sont perchés sur un même arbre, et l'un mange le fruit exquis, l'autre le regarde et ne mange point. (...) Là où les âmes ailées clament les découvertes de la connaissance sur leur part d'immortalité, là, le Seigneur de toutes choses, le Gardien du Monde, a pris possession de moi, lui le Sage, moi l'ignorant.
Rig-Véda. 1.164.20,21.
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Il y a donc une vérité fondamentale de l'existence, une Réalité omniprésente, omniprésente au-delà de la manifestation cosmique et en elle, et immanente en chaque individu. Il y a aussi un pouvoir dynamique de cette Omniprésence, une action créatrice ou une manifestation de sa Conscience-Force infinie. Il y a en outre, comme phase ou mouvement de cette manifestation, une descente dans une inconscience matérielle apparente, un éveil de l'individu hors de l'Inconscience et une évolution de son être jusque dans la conscience et le pouvoir spirituels et supramentaux de la Réalité, et dans son propre Moi universel et transcendant qui est la source de son existence. C'est sur cette base que nous devons fonder notre conception d'une vérité en notre être terrestre, et la possibilité d'une Vie divine dans la Nature matérielle. D'où la nécessité primordiale de découvrir l'origine et la nature de l'Ignorance que nous voyons émerger de l'inconscience de la matière ou se révéler en un corps matériel, et la nature de la Connaissance qui doit s'y substituer, de comprendre également le processus de ce déploiement de la Nature et de cette reconquête de l'âme. Car en fait la Connaissance est là, cachée dans l'Ignorance elle-même; il s'agit plutôt de la dévoiler que de l'acquérir : elle se révèle plutôt qu'elle ne s'apprend, par un déploiement intérieur et ascendant. Mais tout d'abord il convient d'affronter et d'écarter une difficulté qui surgit fatalement : même si nous partons du fait que le Divin est immanent en nous, que la conscience individuelle est le véhicule d'une manifestation évolutive, progressive, comment admettre que l'individu puisse être éternel, en quelque sens que ce soit, ou que l'individualité puisse aucunement persister, une fois que nous avons atteint à la libération par l'unité et la connaissance de soi ?
C'est là une difficulté de la raison logique qui doit être affrontée par une raison plus vaste, plus lumineuse et plus universelle ; ou s'il s'agit
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d'une difficulté de l'expérience spirituelle, seule une plus large expérience peut y faire face et la résoudre. Certes, on peut également l'affronter par un débat dialectique, une logomachie du mental logique; mais c'est une méthode artificielle, un combat dans les nuages souvent futile et jamais concluant. Le raisonnement logique est utile, et même indispensable dans son propre domaine pour donner au mental une certaine clarté, une précision et une subtilité dans ses rapports avec ses idées et ses mots-symboles, afin que la perception des vérités auxquelles nous accédons par l'observation et l'expérience, ou dont nous avons eu la vision, physiquement, psychologiquement ou spirituellement, soit le moins possible obscurcie par les confusions de notre intelligence humaine ordinaire, sa tendance innée à prendre l'apparence pour la réalité, son empressement à se laisser fourvoyer par une vérité partielle, ses conclusions exagérées, sa partialité intellectuelle et émotive, son incompétente maladresse à relier une vérité à une autre, seule façon pour nous d'arriver à une connaissance complète. Nous devons posséder un mental clair, pur, subtil et souple afin de céder le moins possible à cette habitude mentale, commune à notre espèce, qui fait de la vérité même une pourvoyeuse d'erreurs. Cette élucidation, cette habitude de raisonner de façon claire et logique, dont la méthode de la dialectique métaphysique est le couronnement, nous aide en vérité à atteindre notre objectif, et son rôle dans la préparation de la connaissance est donc très important. Mais par elle-même, la raison logique ne peut arriver ni à la connaissance du monde, ni à la connaissance de Dieu, moins encore réconcilier la réalisation inférieure et la réalisation supérieure. Elle se garde beaucoup plus efficacement de l'erreur qu'elle ne découvre la vérité — bien que par déduction, en partant d'une connaissance déjà acquise, elle puisse trouver par chance de nouvelles vérités et nous les indiquer pour que l'expérience ou les facultés plus hautes et plus vastes de vision de la vérité puissent les confirmer. Dans le domaine plus subtil de la connaissance synthétique ou unificatrice, l'habitude logique du mental peut même devenir un écueil, à cause de cette faculté même qui lui donne son utilité spécifique ; car le mental est si accoutumé à établir des distinctions, à insister sur ces distinctions, à procéder par distinctions, qu'il est toujours un peu perplexe quand il doit les écarter et les dépasser. En considérant les difficultés du mental ordinaire confronté à l'expérience individuelle de l'unité cosmique et transcendantale, notre seul objectif sera donc de mieux saisir, d'abord l'origine des difficultés et le moyen d'y échapper, et ce qui importe davantage, la nature réelle
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de l'unité ainsi atteinte et de l'accomplissement ultime de l'individu lorsqu'il devient un avec toutes les créatures et demeure uni à l'Éternel.
La première difficulté pour la raison est qu'elle a toujours été habituée à identifier le moi individuel avec l'ego et à penser qu'il n'existe que par les limitations et les exclusions de l'ego. S'il en était ainsi, l'individu abolirait sa propre existence en transcendant l'ego ; notre but serait de disparaître et de nous dissoudre en quelque universalité de la matière, de la vie, du mental ou de l'esprit, ou bien en quelque indéterminé d'où proviennent les déterminations égoïstes de notre individualité. Mais qu'est cette expérience de soi puissamment séparatrice que nous appelons ego ? Ce n'est rien d'essentiellement réel en soi, mais seulement une organisation pratique de notre conscience, conçue pour centraliser les activités de la Nature en nous. Nous percevons une formation d'expérience mentale, physique, vitale qui se distingue du reste de l'être, et c'est cela que nous pensons être nous-mêmes dans la nature — cette individualisation de l'être dans le devenir. Nous en venons alors à nous concevoir comme quelque chose qui s'est individualisé ainsi et qui n'existe qu'aussi longtemps que cela reste individualisé — un devenir temporaire ou du moins temporel; ou bien nous nous concevons comme quelqu'un qui serait le support ou la cause de l'individualisation, un être immortel, peut-être, mais limité par son individualité. Cette perception et cette conception constituent notre sens de l'ego. D'ordinaire, nous n'allons pas plus loin dans notre connaissance de notre existence individuelle.
Mais finalement nous devons percevoir que notre individualisation n'est qu'une formation superficielle, une sélection pratique et une synthèse consciente limitée pour les besoins momentanés de la vie dans un corps particulier, ou qu'elle est une synthèse qui change et se développe constamment et que nous poursuivons de vie en vie dans des corps successifs. Derrière, il y a une conscience, un Purusha, qui n'est pas déterminé ni limité par son individualisation ou par cette synthèse, mais au contraire la détermine et la soutient tout en la dépassant. C'est dans son expérience totale de l'être universel qu'il fait un choix afin de construire cette synthèse. C'est pourquoi notre individualisation existe en vertu de l'être universel, mais aussi en vertu d'une conscience qui se sert de l'être universel pour faire l'expérience de ses possibilités en tant qu'individualité. Ces deux pouvoirs, la Personne et le monde qui lui sert de matériau, sont l'un et l'autre nécessaires à notre expérience
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présente de l'individualité. Si le Purusha et ses synthèses individualisatrices de conscience devaient disparaître, se fondre, s'annuler d'une façon ou d'une autre, notre construction individuelle cesserait d'être, car la Réalité qui la soutient ne serait plus présente ; et si l'être universel devait se dissoudre, se fondre, disparaître, notre individualisation cesserait également, privée du matériau d'expérience qui lui permet de se réaliser. Il faut donc voir en ces deux termes de notre existence, un être universel et une conscience qui s'individualise, la cause de notre expérience de nous-mêmes et du monde.
Mais nous voyons ensuite que ce Purusha, cette cause, ce moi de notre individualité, en vient finalement à embrasser le monde entier et tous les autres êtres dans une sorte de consciente extension de soi et à percevoir qu'il est un avec l'être universel. Dans sa consciente expansion de soi, il dépasse l'expérience première et abolit les barrières de son autolimitation et de son individualisation actives; par sa perception de sa propre universalité infinie, il dépasse toute conscience de l'individualité séparatrice ou de l'être psychique limité. De ce fait, l'individu cesse d'être l'ego qui se limite ; autrement dit, la perception fausse que nous avons de n'exister que par auto-limitation, en nous distinguant catégoriquement du reste de l'être et du devenir, se trouve transcendée, et abolie notre identification de nous-mêmes avec notre individualisation personnelle et temporelle en un mental et un corps particuliers. Mais toute la vérité de l'individualité et de l'individualisation est-elle abolie ? Le Purusha cessé-t-il d'exister ou devient-il le Purusha universel, sa vie se mêlant intimement à celle d'esprits et de corps innombrables ? Ce n'est pas notre expérience. Il s'individualise encore, et c'est encore lui qui existe et qui embrasse cette plus vaste conscience tout en s'individualisant, mais le mental ne pense plus qu'une individualisation temporaire et limitée soit tout ce que nous sommes : ce n'est qu'une vague de devenir projetée par l'océan de son être, ou bien une forme ou un centre d'universalité. L'âme fait encore du devenir universel le matériau de l'expérience individuelle, mais au lieu de le considérer comme quelque chose d'extérieur et plus vaste qu'elle, où elle doit puiser, par quoi elle est affectée, à quoi elle doit s'accommoder, elle prend conscience subjectivement de sa présence en elle, embrassant à la fois son matériau universel et son expérience individualisée des activités spatio-temporelles dans une conscience libérée et élargie. Dans cette nouvelle conscience, l'individu spirituel perçoit que son vrai moi est un en son être avec la Transcendance, qu'il repose: et
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demeure en elle, et l'individualité qu'il s'est construite n'est plus à ses yeux qu'une formation pour son expérience dans le monde.
Nous sommes un avec l'être universel dans la conscience d'un Moi qui à la fois s'universalise dans le monde et s'individualise au moyen du Purusha individuel; et dans cet être universel comme dans cet être individuel et dans tous les êtres individuels, elle est consciente du même Moi qui se manifeste et fait l'expérience de ses diverses manifestations. C'est donc un Moi qui doit être un en son être — autrement nous ne pourrions avoir cette expérience de l'unité — et qui, en son unité même, doit néanmoins être capable de différenciation cosmique et d'une individualité multiple. L'unité est son être, il est vrai, mais la différenciation cosmique et la multiple individualité sont le pouvoir de son être qu'il déploie constamment, car c'est là son délice et la nature de sa conscience. Si nous devenons un avec cela, si nous arrivons même à devenir cet être, entièrement et de toutes les façons possibles, pourquoi faudrait-il retrancher le pouvoir de son être et pourquoi devrions-nous en avoir le désir ou nous y efforcer ? Nous ne ferions alors que rétrécir le champ de notre unité avec lui par une concentration exclusive, acceptant l'être divin mais refusant notre part dans le pouvoir et la conscience et l'infini délice du Divin. L'individu rechercherait en fait la paix et le repos de l'union dans une identité statique, mais rejetterait le délice et la joie variée de l'union dans la nature, l'action et le pouvoir de l'Existence divine. C'est possible, mais rien ne nous oblige à supposer que tel est le but ultime de notre être ou notre ultime perfection.
Une des explications possibles serait que dans le pouvoir, dans l'action de la conscience, il n'y a pas d'union réelle et que c'est uniquement dans l'aspect statique de la conscience qu'il y a unité parfaite, indifférenciée. Or, dans ce que nous pouvons appeler l'union éveillée de l'individu avec le Divin, par opposition à un assoupissement ou une concentration de la conscience individuelle en une identité où elle s'absorbe, il y a certainement, et nécessairement, une différenciation de l'expérience. Car dans cette unité active, le Purusha individuel étend aussi son expérience active, de même que sa conscience statique, de manière à pouvoir s'unir avec ce Moi de son être et de l'être universel, et pourtant l'individualisation demeure, et donc la différenciation. Le Purusha perçoit tous les autres individus comme des moi de lui-même ;
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par une union dynamique, il peut percevoir que leur action mentale et pratique se produit dans sa conscience universelle, tout comme il perçoit sa propre action mentale et pratique ; il peut aider à déterminer leur action en s'unissant subjectivement à eux; mais il y a néanmoins une différence pratique. L'action du Divin en lui est celle qui le concerne particulièrement et directement; l'action du Divin dans ses autres moi est celle qui le concerne universellement, non pas directement mais par son union avec eux et avec le Divin et grâce à elle. L'individu existe donc, bien qu'il dépasse le petit ego séparateur ; l'universel existe et est embrassé par l'individu, mais il n'absorbe ni n'abolit toute différenciation individuelle, même si, lorsque l'individu s'universalise, la limitation que nous nommons ego est surmontée.
Nous pouvons certes nous débarrasser de cette différenciation en nous immergeant dans une unité exclusive, mais à quelle fin ? Pour une union parfaite ? Mais nous ne la sacrifions pas en acceptant la différenciation, pas plus qu'en l'acceptant le Divin ne sacrifie Son unité. Nous pouvons jouir d'une union parfaite en Son être et nous immerger en elle à tout moment, mais cette autre unité différenciée s'offre également à nous, et nous pouvons en émerger et agir en elle librement à tout moment sans perdre l'unité, car l'ego est dissous et nous sommes libérés des pressions exclusives de notre mentalité. Ou serait-ce pour la paix et le repos ? Mais nous goûtons la paix et le repos en vertu de notre unité avec le Divin, tout comme le Divin possède à jamais Son calme éternel au sein de Son éternelle action. Ou serait-ce simplement pour la joie de nous débarrasser de toute différenciation ? Mais cette différenciation a une finalité divine : elle est l'instrument d'une plus grande unité, et non, comme dans la vie égoïste, un instrument de divisions, car grâce à elle nous éprouvons la joie de l'unité avec nos autres moi et avec Dieu en tous, ce que nous excluons en rejetant Son être multiple. Dans l'une et l'autre expériences, c'est le Divin dans l'individu qui possède et goûte, dans un cas le Divin en Sa pure unité, et dans l'autre le Divin en cette pure unité et en l'unité du cosmos : ce n'est pas que le Divin absolu recouvre Son unité après l'avoir perdue. Certes, nous pouvons préférer nous absorber dans une exclusive et pure unité ou nous en aller vers la transcendance supracosmique, mais rien dans la vérité spirituelle de l'Existence divine ne nous interdit de participer à cette vaste union, à goûter cette immense béatitude de Son être universel qui sont l'accomplissement de notre individualité.
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Mais si nous portons notre regard au-delà, nous voyons qu'en fin de compte ce n'est pas seulement en l'être cosmique que pénètre notre être individuel, mais en quelque chose où les deux sont unifiés. Si notre individualisation dans le monde est un devenir du Moi, le monde lui aussi est un devenir de ce Moi. L'être universel inclut toujours l'être individuel; par conséquent, ces deux devenirs, le cosmique et l'individuel, sont toujours reliés l'un à l'autre et interdépendants dans leurs relations pratiques. Mais nous découvrons que l'être individuel, lui aussi, finit par inclure le monde en sa conscience, et puisque cela ne se produit pas par une abolition de l'individu spirituel, mais par son accession à une conscience de soi pleine, vaste et parfaite, nous devons supposer que l'individu contenait depuis toujours le cosmos en lui-même et que, du fait de son ignorance, seule la conscience de surface se montrait incapable de l'inclure en elle, car elle s'enfermait dans les limites de l'ego. Mais lorsque nous parlons d'une inclusion mutuelle du cosmique et de l'individu — le monde en moi, moi dans le monde, tout en moi, moi en tout, car telle est l'expérience du moi libéré — nous voyageons évidemment bien au-delà des frontières du langage de la raison normale. C'est parce que les mots dont nous devons nous servir ont été forgés par le mental et que leur valeur leur a été donnée par un intellect enchaîné aux conceptions de l'Espace physique et des circonstances physiques, utilisant pour formuler une expérience psychologique supérieure des images tirées de la vie physique et de l'expérience des sens. Mais le plan de conscience où s'élève l'être humain libéré ne dépend pas du monde physique, et le cosmos qu'ainsi nous contenons et qui nous contient n'est pas le cosmos physique, mais l'être harmoniquement manifesté de Dieu en certains grands rythmes de Sa force-consciente et de Son propre délice. Cette inclusion mutuelle est donc spirituelle et psychologique; c'est une traduction des deux formes du Multiple, le tout et l'individu, en une expérience spirituelle unificatrice — une traduction de l'éternelle unité de l'Un et du Multiple; car l'Un est l'unité éternelle du Multiple se différenciant et s'indifférenciant dans le cosmos. Ce qui signifie que le cosmos et l'individu sont des manifestations d'un Moi transcendant qui est un être indivisible, bien qu'il semble divisé ou dispersé; mais il ne l'est pas en réalité, il est indivisiblement et partout présent. Tout est donc en chacun et chacun en tout, tout est en Dieu et Dieu est en tout, et quand l'âme libérée vient à s'unir avec ce Transcendant, elle a en elle-même cette expérience de soi et du cosmos qui, psychologiquement, se traduit par une mutuelle inclusion et une existence persistante des
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deux en une union divine qui est à la fois une unité, une fusion, un embrassement.
L'expérience normale de la raison ne peut donc s'appliquer à ces vérités supérieures. Pour commencer, l'ego n'est l'individu que dans l'ignorance; il y a un individu vrai qui n'est pas l'ego; il a pourtant avec tous les autres individus une relation éternelle, non égoïste et non séparative, dont le caractère essentiel est une mutualité pratique fondée dans l'unité essentielle. Cette mutualité fondée dans l'unité est tout le secret de l'existence divine en sa parfaite manifestation, et ce doit être la base de tout ce que nous pouvons appeler une vie divine. Mais ensuite nous voyons que toute la difficulté et toute la confusion où tombe la raison ordinaire viennent de ce que nous parlons d'une expérience de soi, supérieure et illimitable, fondée sur des infinis divins et que nous lui appliquons pourtant un langage formé par une expérience inférieure et limitée qui repose sur des apparences finies et sur les définitions séparatrices auxquelles nous recourons dans notre effort pour discerner et classifier les phénomènes de l'univers matériel. Ainsi devons-nous utiliser le mot individu et parler de l'ego et de l'individu vrai, tout comme nous parlons quelquefois de l'Homme apparent et de l'Homme réel. Il faut évidemment prendre ces mots, homme, apparent, réel, individu, vrai, dans un sens très relatif et ne jamais perdre de vue leur imperfection et leur incapacité à exprimer ce que nous voulons dire. Par individu, nous entendons d'habitude quelque chose qui se sépare de tout le reste et se tient à l'écart, bien qu'en réalité cela n'existe nulle part; c'est une fiction de nos conceptions mentales, utile et nécessaire pour exprimer une vérité partielle et pratique. Mais la difficulté vient de ce que le mental se laisse dominer par ses mots et oublie que la vérité partielle et pratique ne devient vraie qu'en se reliant aux autres qui, pour la raison, semblent la contredire, et que prise séparément elle contient toujours une part de fausseté. Ainsi, quand nous parlons d'un individu, nous pensons d'ordinaire à une certaine individualisation de l'être mental, vital, physique séparé de tous les autres êtres, incapable de s'unir à eux en raison même de son individualité. Si, dépassant ces trois termes que sont le mental, la vie et le corps, nous parlons de l'âme ou du moi individuel, nous pensons encore à un être individualisé séparé de tous les autres êtres, incapable de s'unir à eux et de les intégrer dans un échange mutuel, capable tout au plus d'un contact spirituel et d'une sympathie de l'âme. Il est donc nécessaire de souligner que, par individu vrai, nous n'entendons rien
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de ce genre, mais un pouvoir conscient, un pouvoir d'être de l'Éternel, existant toujours par l'unité, toujours capable de mutualité. C'est cet être qui, par la connaissance de soi, jouit de la libération et de l'immortalité.
Mais il nous faut pousser plus loin encore l'opposition entre la raison normale et la raison supérieure. Lorsque nous parlons de l'individu vrai comme d'un pouvoir-d'être-conscient de l'Éternel, nous nous servons encore de termes intellectuels — nous n'y pouvons rien, à moins de plonger dans un langage de purs symboles et dans une parole aux valeurs mystiques ; mais en tentant de nous défaire de l'idée d'ego, nous utilisons un langage trop abstrait, ce qui est encore pire. Nous parlerons donc d'un être conscient qui, pour notre évaluation de l'existence, est un être de l'Éternel en son pouvoir d'expérience de soi individualisatrice ; car ce doit être un être concret — et non un pouvoir abstrait — qui jouit de l'immortalité. Et nous arrivons alors à ceci, que non seulement je suis dans le monde et le monde est en moi, mais que Dieu est en moi et je suis en Dieu ; ce qui ne signifie pas que, pour exister, Dieu dépende de l'homme, mais qu'il se manifeste Lui-même en ce qu'il manifeste en Lui-même ; l'individu existe dans le Transcendant, mais tout le Transcendant est là, caché dans l'individu. En outre, je suis un avec Dieu en mon être et cependant je peux avoir, dans mon expérience, des relations avec Lui. Moi, l'individu libéré, je peux jouir du Divin dans Sa transcendance, unifié à Lui, et en même temps jouir du Divin dans les autres individus et dans Son être cosmique. Évidemment, nous touchons là à certaines relations primordiales de l'Absolu, et pour que le mental puisse les comprendre, il nous faut voir que le Transcendant, l'individu, l'être cosmique, sont les pouvoirs éternels de la conscience — nous retombons, et cette fois sans remède, dans un langage totalement abstrait —, d'une existence absolue, d'une unité qui est cependant plus qu'une unité, qui s'exprime ainsi à sa propre conscience en nous, mais dont nous ne pouvons parler de façon adéquate dans un langage humain; aussi, n'espérons pas la décrire à notre raison, en termes négatifs ou positifs, mais gardons seulement l'espoir de la suggérer au pouvoir suprême de notre langage.
Mais le mental ordinaire, qui n'a aucune expérience de ces choses si puissamment réelles pour la conscience libérée, peut fort bien se révolter contre ce qui lui paraît être un simple tissu de contradictions intellectuelles. Il peut dire : " Je sais très bien ce qu'est l'Absolu; c'est
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ce en quoi il n'y a point de relations. L'Absolu et le relatif sont des contraires inconciliables ; nulle part dans le relatif il n'est rien d'absolu, et dans l'Absolu il ne peut rien y avoir de relatif. Tout ce qui contredit ces premières données de ma pensée est intellectuellement faux et pratiquement impossible. Ces autres énoncés contredisent également le principe de non-contradiction qui veut que deux affirmations opposées et contradictoires ne puissent être également vraies. Il est impossible de s'unir à Dieu tout en gardant une relation avec Lui où l'on puisse goûter une félicité divine. Dans l'unité, il n'y a personne pour goûter cette félicité, excepté l'Un, et rien qui puisse nous donner cette joie, excepté l'Un. Dieu, l'individu et le cosmos doivent être trois réalités différentes, autrement il ne pourrait y avoir aucune relation entre elles. Soit elles sont éternellement différentes, soit elles sont différentes à présent, bien qu'à l'origine elles aient pu être une seule existence indifférenciée et puissent un jour redevenir cette existence unique et indifférenciée. L'unité a peut-être existé et elle existera peut-être, mais elle n'existe pas actuellement et ne peut exister tant que durent le cosmos et l'individu. L'être cosmique ne peut connaître et posséder l'unité transcendante qu'en cessant d'être cosmique ; l'individu ne peut connaître et posséder l'unité cosmique ou transcendante qu'en mettant un terme à toute individualité et à toute individualisation. Ou si l'unité est le seul fait éternel, alors le cosmos et l'individu n'existent pas, ce sont des illusions que l'Éternel s'impose à lui-même. Cela peut très bien impliquer une contradiction ou un paradoxe irrésolu; mais je suis prêt à admettre une contradiction dans l'Éternel que je ne suis pas obligé de concevoir, plutôt que d'admettre sur ce point une contradiction dans mes conceptions premières auxquelles je suis tenu de réfléchir logiquement et à des fins pratiques. Me fondant sur cette supposition, je puis tenir le monde pour pratiquement réel, y penser et y agir, ou bien le rejeter comme une irréalité et cesser de penser et d'agir; rien ne m'oblige à résoudre mes contradictions, et nul n'exige que je sois conscient de quelque chose et en quelque chose qui me dépasse, et dépasse le monde, et que sur cette base je garde pourtant, comme le fait Dieu, des relations avec un monde de contradictions. Essayer d'être comme Dieu alors que je suis encore un individu, ou d'être trois choses à la fois, me semble impliquer une confusion logique et une impossibilité pratique. " Telle pourrait bien être l'attitude de la raison ordinaire, une attitude claire, lucide, sûre de son discernement, qui ne suppose aucune gymnastique extraordinaire de la raison s'efforçant de se dépasser pour se perdre dans les ombres
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et les demi-lumières, ni aucune sorte de mysticisme, sinon le seul mysticisme originel, comparativement simple et libre de toutes les autres complexités si difficiles à résoudre. C'est pourquoi ce raisonnement est le plus satisfaisant pour le mental simplement rationnel. Et pourtant, nous relevons ici une triple erreur : l'erreur de créer un gouffre infranchissable entre l'Absolu et le relatif, l'erreur de rendre trop simple et trop rigide la loi de non-contradiction et de la pousser trop loin, et l'erreur de concevoir dans les termes du Temps la genèse de choses qui ont leur origine et leur habitation première en l'Éternel.
Par Absolu, nous entendons quelque chose de plus grand que nous-mêmes, plus grand que le cosmos où nous vivons, la suprême réalité de cet Être transcendant que nous appelons Dieu, quelque chose sans quoi tout ce qui pour notre vision ou notre conscience est existence, n'aurait pu être, ne pourrait un seul instant continuer d'exister. La pensée indienne l'appelle Brahman, la pensée européenne l'Absolu^ parce que c'est un existant-en-soi affranchi de tout asservissement aux relativités. Tous les relatifs, en effet, ne peuvent exister que par quelque chose qui est leur vérité à tous, qui est la source et le réceptacle de leurs pouvoirs et de leurs propriétés et cependant les dépasse ; c'est quelque chose dont non seulement chaque relativité elle-même, mais toute la somme possible de tous les relatifs connus, ne peut être — en tout ce que nous connaissons d'eux — qu'une expression partielle, inférieure ou pratique. La raison nous montre qu'un tel absolu doit exister; par l'expérience spirituelle, nous devenons conscients de son existence; mais même quand nous en sommes le plus conscients, nous ne pouvons le décrire, car notre langage et notre pensée ne peuvent traiter que du relatif. L'Absolu est pour nous l'Ineffable.
Jusqu'ici, nous ne rencontrons pas nécessairement de véritable difficulté, ni de confusion. Mais entraînés par le mental et son habitude d'établir des oppositions, de construire sa pensée sur les distinctions et les dualités, nous n'hésitons pas à déclarer ensuite, non seulement qu'il n'est point lié par les limitations du relatif, mais qu'affranchi des limitations il est esclave de cette liberté, inexorablement dépourvu de tout pouvoir d'établir des relations, et même naturellement incapable d'en avoir — quelque chose d'essentiellement hostile à la relativité et à son éternel contraire. Ce faux pas de notre logique nous conduit à une impasse. Notre existence et celle de l'univers deviennent non seulement
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un mystère, mais logiquement inconcevables. Car nous arrivons ainsi à un Absolu incapable de relativité et qui exclut tous les relatifs tout en étant la cause, ou du moins le soutien de la relativité et le réceptacle, la vérité et la substance de tous les relatifs. Nous n'avons plus alors qu'un seul moyen logique-illogique d'échapper à cette impasse, c'est de supposer que le monde est imposé à l'éternité de l'Absolu sans formes ni relations comme une puissante illusion ou comme une réalité temporelle irréelle. Cette imposition est faite par notre conscience individuelle qui nous égare, voyant par erreur le Brahman sous la forme du cosmos — tout comme un homme prend une corde pour un serpent ; mais puisque notre conscience individuelle est elle-même un relatif soutenu par le Brahman et n'existant que par lui, puisqu'elle n'est pas une réalité réelle, ou qu'en sa réalité elle est elle-même le Brahman, c'est après tout le Brahman qui, en nous, s'impose à lui-même ce mirage et qui, en quelque image de sa propre conscience, prend une corde qui existe pour un serpent qui n'existe pas, impose à sa propre Réalité indéterminable et pure l'apparence d'un univers, ou s'il ne l'impose pas à sa propre conscience, c'est à une conscience qui en dérive et en dépend, une projection de lui-même dans la Maya. Cette explication n'explique rien, car la contradiction originelle demeure ce qu'elle était, elle n'est toujours pas résolue — nous l'avons simplement formulée différemment. Il semblerait qu'en essayant de trouver une explication par le biais du raisonnement intellectuel, nous nous soyons plongés dans le brouillard d'illusion de notre logique intransigeante : nous avons imposé à l'Absolu ce que notre raisonnement trop présomptueux a lui-même imposé à notre intelligence; nous avons transformé notre difficulté mentale à comprendre la manifestation du monde en une impossibilité fondamentale pour l'Absolu de se manifester en un monde. Mais de toute évidence, l'Absolu n'éprouve aucune difficulté à manifester le monde, non plus qu'à transcender simultanément la manifestation du monde ; la difficulté n'existe que pour nos limitations mentales qui nous empêchent de comprendre la rationalité supramentale de cette coexistence de l'infini et du fini, ou de saisir le nœud où se joignent le non-conditionné et le conditionné. Pour notre rationalité intellectuelle, ce sont là des opposés ; pour la raison absolue, ce sont des expressions interdépendantes, et pas essentiellement antagonistes, d'une seule et même réalité. La conscience de l'Existence infinie est autre que notre conscience mentale et que notre conscience sensorielle, elle est plus grande et plus étendue, car elle les inclut comme termes mineurs de son
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mode d'action, et la logique de l'Existence infinie est différente de notre logique intellectuelle. Elle réconcilie dans les grands faits premiers de son être ce que notre vision mentale, occupée qu'elle est de mots et d'idées dérivés de faits secondaires, prend pour d'inconciliables contraires.
Notre erreur vient du fait que nous croyons avoir réussi dans nos efforts pour définir l'indéfinissable quand, par une négation et une exclusion de tout, nous parvenons à décrire cet Absolu, que nous sommes pourtant obligés de concevoir comme un suprême positif et la cause de tous les positifs. Il n'est pas surprenant que tant de penseurs perspicaces, attentifs aux faits de l'être et non aux distinctions du langage, en viennent à déduire que l'Absolu est une fiction de l'intelligence, une idée engendrée par les mots et par une dialectique verbale, un zéro, un non-existant, et à conclure qu'un éternel Devenir est l'unique vérité de notre existence. Certes, les sages de jadis parlaient négativement du Brahman, ils disaient : neti neti, il n'est pas ceci, il n'est pas cela. Mais ils avaient soin également d'en parler de façon positive. Ils disaient aussi : il est ceci, il est cela, il est tout ; car ils voyaient qu'en le limitant par des définitions positives ou négatives on s'écartait de sa vérité. Le Brahman, disaient-ils, est la Matière, est la Vie, est le Mental, est le Supramental, est la Joie cosmique, est Satchidânanda. Et pourtant il n'est rien de tout cela : même notre conception la plus large de Satchidânanda ne peut le définir. Dans le monde tel que nous le voyons, avec notre conscience mentale, même portée à sort plus haut niveau, nous constatons que, pour chaque positif, il existe un négatif. Mais le négatif n'est pas un zéro — en fait, tout ce qui nous semble être un zéro est saturé de force, débordant de puissance d'être, plein d'un contenu actuel ou potentiel; et l'existence du négatif ne rend pas non plus inexistant le positif correspondant ni n'en fait une irréalité ; simplement, elle fait du positif un exposé incomplet de la vérité des choses et même, pouvons-nous dire, de la propre vérité du positif. Car le positif et le négatif n'existent pas seulement côté à côte, mais l'un par rapport à l'autre et l'un par l'autre ; ils se complètent et s'expliqueraient mutuellement dans une vision intégrale que le mental limité ne peut atteindre. Il est impossible de connaître réellement l'un ou l'autre par lui-même ; nous commençons seulement à le connaître en sa vérité la plus profonde quand nous pouvons lire en lui les suggestions de son contraire apparent. C'est par une intuition universelle plus profonde de ce genre et non par des oppositions logiques exclusives que notre intelligence devrait approcher l'Absolu.
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Les positifs de l'Absolu sont les diverses manières dont il s'affirme à notre conscience; ses négatifs apportent le reste de sa positivité absolue, niant ainsi ce qui le limite à ces premières formulations. Pour commencer, il y a ses grandes relations primordiales, l'infini et le fini, le conditionné et l'inconditionné, le qualifié et le non qualifié ; en chaque dualité, le négatif dissimule tout le pouvoir du positif correspondant qui est contenu en lui et en émerge : il n'y a pas d'opposition réelle. Dans un ordre moins subtil de vérités, il y a le transcendant et le cosmique, l'universel et l'individuel; nous avons déjà vu que chaque membre de ces dualités est contenu dans son contraire apparent. L'universel se particularise dans l'individuel; l'individuel contient en lui toutes les généralités de l'universel. La conscience universelle se trouve tout entière à travers ces variations individuelles innombrables, et non en les supprimant; la conscience individuelle s'accomplit totalement quand elle s'universalise jusqu'à s'accorder et s'identifier à la conscience cosmique, non quand elle se limite dans l'ego. De même le cosmique contient-il dans la totalité de lui-même, et en chaque chose qui est en lui, la complète immanence du transcendant; il se maintient comme être universel par la conscience de sa propre réalité transcendante, il se découvre en chaque être individuel par la réalisation du divin et du transcendant en cet être et en toutes les existences. Le transcendant contient, manifeste, constitue le cosmos et, en le manifestant, manifeste ou découvre, peut-on dire, dans l'ancien sens poétique de ce mot, ses propres variantes harmoniques infinies. Mais même dans les ordres inférieurs du relatif nous trouvons ce jeu du négatif et du positif, et c'est par la réconciliation divine de ses termes, et non pas en les éradiquant ou en poussant leur opposition à outrance, que nous devons atteindre l'Absolu. Car dans l'Absolu toute cette relativité où l'Absolu s'affirme dans des rythmes variés, trouve non pas sa complète négation, mais la raison de son existence et sa justification, non point sa condamnation comme mensonge, mais la source et le principe de sa vérité. Le cosmos et l'individu retournent à quelque chose dans l'Absolu qui est la vraie vérité de l'individualité, la vraie vérité de l'être cosmique et non leur négation et la preuve de leur fausseté. L'Absolu n'est pas un logicien sceptique niant la vérité de tout ce qu'il affirme ou exprime de lui-même, c'est une existence si totalement et si infiniment positive que l'on ne saurait formuler aucun positif fini qui puisse l'épuiser ou l'enchaîner à ses définitions.
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Si telle est la vérité de l'Absolu, il est évident que nous ne pouvons pas non plus l'enchaîner par notre principe de non-contradiction. Ce principe nous est nécessaire pour énoncer des vérités partielles et pratiques, pour penser clairement, de façon décisive et utile, pour classifier, agir, manier toute chose efficacement à des fins particulières dans nos divisions de l'Espace, nos distinctions relatives à la forme et aux propriétés, nos moments du Temps. Elle représente une vérité formelle et puissamment dynamique de l'existence en ses activités pratiques, qui se montre suprêmement efficace dans l'ordre le plus extérieur des choses, le matériel, mais devient de moins en moins rigidement contraignante à mesure que nous gravissons les degrés plus subtils de l'échelle de l'être. Elle nous est particulièrement nécessaire dans nos rapports avec les forces et les phénomènes matériels. Nous devons supposer qu'ils sont une seule chose, possèdent un seul pouvoir à la fois, et sont limités par leurs capacités et propriétés manifestes et concrètement efficaces; sinon, nous ne pouvons nous en occuper. Mais même à ce niveau, comme la pensée humaine commence à s'en rendre compte, les distinctions établies par l'intellect, les classifications et les expériences pratiques de la science, parfaitement valables dans leur propre domaine et pour leurs propres fins, ne représentent cependant pas la vérité complète ou réelle des choses, des choses dans leur ensemble ou de la chose en soi que nous avons cataloguée et mise à part artificiellement, isolée pour l'analyser séparément. En l'isolant ainsi, nous pouvons certes la traiter de façon très pratique et très efficace, et nous pensons tout d'abord que l'efficacité de notre action prouve la vérité entière et suffisante de notre connaissance séparative et analytique. Mais par la suite, nous constatons qu'en dépassant cette connaissance nous pouvons atteindre à une plus grande vérité et à une plus grande efficacité.
La séparation est certes nécessaire à une première connaissance. Un diamant est un diamant, et une perle est une perle : chaque chose dans sa propre catégorie existe en se distinguant de toutes les autres choses par sa forme et ses propriétés, mais possède également des propriétés et des éléments qui sont communs aux deux, et d'autres qui sont communs aux choses matérielles en général. Et en réalité ni l'une ni l'autre n'existent seulement par ce qui les distingue, mais beaucoup plus essentiellement par ce qu'elles ont en commun, et le seul moyen de recouvrer la base même et la vérité permanente de toutes les choses' matérielles, est de percevoir que toutes sont une même chose, une seule
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énergie, une seule substance ou, si l'on veut, un seul mouvement universel qui projette, fait apparaître, combine, réalise ces formes différentes, ces diverses propriétés, ces potentialités fixes et harmonisées de leur être. Si nous nous arrêtons à la connaissance des différences, nous ne pouvons nous occuper que du diamant et de la perle tels qu'ils sont, en établir la valeur, l'emploi, les variétés, en faire le meilleur usage et en tirer le meilleur parti ordinaire possible ; mais si nous pouvons arriver à la connaissance et à la maîtrise de leurs éléments et des propriétés communes de la catégorie à laquelle ils appartiennent, il se peut que nous accédions au pouvoir de fabriquer un diamant ou une perle à notre gré. Nous pouvons aller encore plus loin et maîtriser ce que toutes les choses matérielles sont en leur essence, nous pouvons même atteindre au pouvoir de transmutation qui nous donnerait le plus grand contrôle possible sur la Nature matérielle. Ainsi, la connaissance des distinctions trouve sa vérité et son efficacité suprêmes quand nous parvenons à la connaissance plus profonde de ce qui harmonise les différences dans l'unité qui se trouve derrière toutes les variations. Cette connaissance plus profonde ne prive point l'autre, plus superficielle, de son efficacité ni ne prouve qu'elle soit vaine. De notre ultime découverte matérielle, nous ne pouvons conclure qu'il n'existe pas de substance ou de Matière originelles, mais seulement de l'énergie manifestant la substance ou se manifestant comme substance — que diamant et perle sont non existants, irréels, vrais seulement dans l'illusion de nos organes de perception et d'action, que l'unique substance, énergie ou mouvement est la seule vérité éternelle et que, par conséquent, le meilleur ou le seul usage rationnel de notre science serait de dissoudre diamants et perles, et tout ce que l'on peut dissoudre, en cette unique réalité éternelle et originelle et d'en finir à jamais avec leurs formes et leurs propriétés. Toutes les choses ont un caractère essentiel, un caractère commun, un caractère individuel ; les deux derniers sont des pouvoirs véritables et éternels du premier : celui-ci les transcende, mais ce sont les trois réunis, et non un seul, qui constituent les termes éternels de l'existence.
Cette vérité que nous pouvons voir, non sans difficulté et de façon extrêmement restreinte, même dans le monde matériel où les pouvoirs supérieurs et plus subtils de l'être se trouvent obligatoirement exclus de nos opérations intellectuelles, devient plus claire et plus puissante lorsque nous gravissons les échelons supérieurs. Nous voyons la vérité de nos classifications et de nos distinctions, mais aussi leurs limites. En
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dépit de leurs différences, toutes choses sont une. Pour des raisons pratiques, la plante, l'animal, l'homme sont des êtres différents ; et pourtant, lorsque notre regard s'approfondit, nous voyons que la plante n'est autre qu'un animal dont la conscience de soi et la force dynamique ont insuffisamment évolué ; l'animal est l'homme en gestation ; l'homme lui-même est cet animal, mais il y a cependant dans sa conscience de soi et dans son pouvoir dynamique de conscience quelque chose de plus qui fait de lui un homme ; et il est aussi ce quelque chose de plus qui est contenu et retenu en son être comme une potentialité du divin — il est un dieu en gestation. En chacun, en la plante, l'animal, l'homme et le dieu, l'Éternel est contenu et comme retenu en lui-même, afin d'obtenir une certaine formulation de son être. Chacun est tout l'Éternel caché. L'homme lui-même, qui reprend tout ce qui s'est manifesté avant lui et le transmue en termes d'humanité, est l'être humain individuel, et cependant il est toute l'humanité, l'homme universel agissant dans l'individu en tant que personnalité humaine. Il est tous les hommes, et cependant il est lui-même et il est unique. Il est ce qu'il est, mais il est aussi le passé de tout ce qu'il fut et la potentialité de tout ce qu'il n'est pas. Nous ne pouvons le comprendre si nous ne regardons que sa présente individualité, mais nous ne pouvons non plus le comprendre si nous ne considérons que ce qu'il a de commun avec les autres hommes, le caractère général de son humanité, ou si, excluant ces deux aspects, nous retournons à l'essence de son être où les traits distinctifs de son humanité et l'individualité qui le singularise semblent disparaître. Chaque chose est l'Absolu, toutes sont cet Un, mais c'est toujours en ces trois termes que l'Absolu formule l'existence-en-soi qu'il a développée. Nous ne sommes pas obligés, du fait de l'unité essentielle, de dire que toute l'action de Dieu, et tous ses multiples procédés sont vains, sans valeur, irréels, phénoménaux, illusoires et que le meilleur et le seul usage rationnel ou suprarationnel que nous puissions faire de notre connaissance est de nous en écarter, de dissoudre notre existence cosmique et individuelle en l'être essentiel et de nous débarrasser à jamais de tout devenir comme d'une futilité.
Dans nos rapports pratiques avec la vie, nous devons parvenir à la même vérité. Pour certaines fins pratiques, nous devons affirmer qu'une 'chose est bonne ou mauvaise, belle ou laide, juste ou injuste, et agir en conséquence; mais si nous nous limitons à cela, nous ne pouvons atteindre à une réelle connaissance. Ici, le principe de non-contradiction n'est valable que dans la mesure où deux énoncés différents et
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opposés ne peuvent être vrais pour une même chose au même moment, dans le même domaine, sous le même rapport, du même point de vue et pour le même objectif pratique. Une grande guerre, une destruction ou le violent bouleversement d'une révolution, par exemple, peuvent se présenter à nous comme un mal, un désordre virulent et catastrophique, et à certains égards, dans certains de leurs résultats et d'un certain point de vue, cela est vrai; mais vu autrement, ce peut être un grand bien, car cela déblaie rapidement le terrain en vue d'un bien nouveau ou d'un ordre plus satisfaisant. Aucun homme n'est simplement bon ou mauvais ; tout homme est un mélange de contraires : nous trouvons même souvent ces contraires inextricablement mêlés dans un seul sentiment, une seule action. Toutes sortes de qualités, de pouvoirs, de valeurs^ antagonistes se rencontrent et se heurtent pour constituer notre action, notre vie, notre nature. Une compréhension totale n'est possible que si nous arrivons à une certaine perception de l'Absolu, sans perdre de vue son action dans toutes les relativités qui se manifestent — les voir chacune séparément, mais aussi par rapport à toutes les autres et à ce qui les dépasse et les harmonise toutes. En fait, pour savoir vraiment, il faut approcher de la vision divine et du dessein divin dans les choses, et ne pas simplement considérer les nôtres, bien que notre vision humaine limitée et notre dessein momentané aient leur valeur dans le cadre du Tout. Car, derrière toutes les relativités, il y a cet Absolu qui est l'origine de leur être et leur justification. Il n'est au monde aucun acte, aucun arrangement particulier qui, par lui-même, soit absolument juste; mais il y a derrière tous les actes et tous les arrangements quelque chose d'absolu que nous appelons justice, qui s'exprime par leurs relativités. Et nous pourrions le saisir si notre vision et notre connaissance étaient globales au lieu d'être ce qu'elles sont : partielles, superficielles, limitées à quelques apparences et faits évidents. Il existe également un bien absolu et une absolue beauté. Mais pour les entrevoir, il nous faut embrasser impartialement toutes choses et, par-delà leurs apparences, sentir ce que toutes, ensemble et séparément, essaient de formuler et d'élaborer par leurs termes complexes : non pas un indéterminé — car l'indéterminé, n'étant que la substance originelle ou peut-être l'état où les déterminations forment un tout compact, n'expliquerait rien du tout en lui-même — mais l'Absolu. Certes, nous pouvons suivre la méthode opposée qui consiste à morceler toutes choses et à refuser de les considérer comme un tout et par rapport à ce qui les justifie, et créer ainsi une conception intellectuelle du mal absolu, de l'injustice absolue,
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de l'horreur, de la douleur, de l'insignifiance, de la vulgarité ou de la vanité absolues de toutes choses. Mais ce serait pousser à l'extrême la méthode de l'Ignorance dont la vision repose sur la division. Traiter ainsi l'action divine ne serait pas correct. Ce n'est pas parce que l'Absolu s'exprime par les relativités dont nous trouvons difficile de percer le secret, ni parce qu'à notre vue limitée tout semble être un jeu futile d'oppositions et de négativités ou une masse de contradictions, que nous pouvons en conclure que notre première vision limitée est juste, ni que tout est un leurre du mental et n'a aucune réalité. Nous ne pouvons non plus tout réduire à une contradiction originelle sans solution, qui serait supposée expliquer tout le reste. La raison humaine a tort d'attacher une valeur distincte et définitive à chaque contradiction isolée ou de se débarrasser de l'une par la négation totale de l'autre; mais elle a raison de refuser d'accepter comme définitif, et comme le dernier mot, le couplage de contradictions qui n'ont en aucune manière été réconciliées ni n'ont trouvé leur source et leur sens en quelque chose qui dépasse leur opposition.
Nous ne pouvons non plus résoudre ni expliquer les contradictions originelles de l'existence en prenant refuge dans notre concept du Temps. Le Temps, tel que nous le connaissons ou le concevons, n'est qu'un moyen pour nous de réaliser successivement les choses, c'est une condition et la cause des conditions; il varie selon les différents plans de l'existence, il varie même pour les êtres sur un seul et même plan : autrement dit, ce n'est pas un Absolu et il ne peut expliquer les relations primordiales de l'Absolu : elles s'élaborent en détail grâce au Temps et, pour notre être mental et vital, paraissent déterminées par lui; mais Cette apparence ne nous ramène pas à leurs sources et leurs principes. Nous faisons la distinction entre conditionné et inconditionné et nous imaginons que l'inconditionné est devenu conditionné, que l'Infini est devenu fini à une certaine date dans le temps et peut cesser de l'être à une autre date, parce que cela nous apparaît ainsi dans les détails, les particularités ou par rapport à tel ou tel système. Mais si nous considérons l'existence dans son ensemble, nous voyons qu'infini et fini coexistent, et existent l'un en l'autre et l'un par l'autre. Notre univers dût-il disparaître et réapparaître rythmiquement dans le Temps, comme on le croyait jadis, ce ne serait encore qu'un vaste détail et ne prouverait pas qu'à un moment particulier toute condition cesse dans l'entière étendue de l'existence infinie et que tout l'Être devient l'inconditionné,
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et qu'à un autre moment, il revêt à nouveau la réalité ou l'apparence des conditions. La première source et les relations primordiales se situent par-delà nos divisions mentales du Temps dans l'intemporalité divine, ou encore dans le Temps indivisible ou éternel dont nos divisions et nos successions ne sont que des représentations dans une expérience mentale.
Là, nous voyons que tout se rejoint, et que tous les principes, toutes les réalités permanentes de l'existence — car le fini, en tant que principe d'être, est aussi permanent que l'infini — sont dans une relation primaire les uns avec les autres, dans une unité de l'Absolu qui est libre et non pas exclusive, et que la façon dont ils se présentent à nous dans un monde matériel ou mental n'est que leur élaboration dans des relativités secondaires, tertiaires ou plus inférieures encore. L'Absolu n'est pas devenu le contraire de lui-même, il n'a pas assumé à une certaine date des relativités réelles ou irréelles dont, à l'origine, il était incapable. L'Un n'est pas non plus devenu par miracle le Multiple, l'inconditionné n'a pas soudain dévié vers le conditionné, ni le sans-qualités bourgeonne de qualités. Ces oppositions ne sont qu'une aide commode pour notre conscience mentale, elles sont nos divisions de l'indivisible. Les choses qu'elles représentent ne sont pas des fictions, ce sont des réalités, mais on ne les connaît pas pour ce qu'elles sont si on les oppose irrémédiablement ou si on les sépare les unes des autres; car dans la vision totale de l'Absolu, il n'existe pas d'opposition irréconciliable ni de séparation de ce genre. C'est là la faiblesse non seulement de nos divisions scientifiques et de nos distinctions métaphysiques, mais de nos réalisations spirituelles exclusives, exclusives uniquement parce que, pour y parvenir, nous devons partir de notre conscience mentale qui limite et divise. Ces distinctions métaphysiques devraient permettre à notre intelligence d'atteindre une vérité qui la dépasse, car c'est pour elle le seul moyen d'échapper aux confusions de notre première vision mentale indistincte des choses; mais si nous nous y attachons jusqu'au bout, nous transformons en chaînes ce qui n'aurait dû être qu'une aide préliminaire. Nous devons également nous appuyer sur des réalisations spirituelles distinctes qui, au début, peuvent sembler se contredire, car il est difficile, voire impossible pour nous, êtres mentaux, de saisir à la fois largement et complètement ce qui dépasse notre mentalité; mais permettre à notre intellect d'affirmer qu'elles sont les seules vérités, est une erreur — comme de soutenir que l'Impersonnel doit être la seule et
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ultime réalisation et le reste une création de Maya, ou, déclarant que le Saguna, le Divin doté de qualités, est Cela, de rejeter l'impersonnalité de notre expérience spirituelle. Il nous faut voir que ces deux réalisations des grands chercheurs spirituels sont également valables en elles-mêmes, également sans valeur quand elles s'opposent l'une à l'autre ; elles sont l'expérience d'une seule et même Réalité sous deux aspects également nécessaires à la pleine connaissance et à la pleine expérience l'un de l'autre et de ce qu'ils sont tous deux. Ainsi en est-il de l'Un et du Multiple, du fini et de l'infini, du transcendant et du cosmique, de l'individu et de l'universel ; chacun est l'autre tout autant que lui-même et aucun ne peut être entièrement connu sans l'autre et sans dépasser ce qui les oppose apparemment.
Nous voyons donc qu'il existe trois termes de l'unique existence : le transcendant, l'universel et l'individuel, et que secrètement ou manifestement chacun contient toujours les deux autres. Le Transcendant est toujours en possession de lui-même et contrôle l'universel et l'individuel, base de ses propres possibilités temporelles; c'est le Divin, l'éternelle conscience de Dieu possédant tout, omnipotente, omnisciente, omniprésente, qui imprègne, embrasse, gouverne toutes les existences. L'être humain est ici sur la terre le plus haut pouvoir du troisième terme, l'individuel, car lui seul peut, à son tournant critique, élaborer ce mouvement de manifestation de soi qui revêt pour nous l'apparence d'une involution et d'une évolution de la conscience divine entre les deux termes de l'Ignorance* et de la Connaissance. Ce qui rend possible l'élaboration de la divine manifestation de soi par l'individu est le pouvoir qu'a celui-ci de posséder en sa conscience, par sa connaissance de soi, son unité avec le Transcendant et l'universel, avec l'Être unique et avec tous les êtres, de vivre dans cette connaissance et de s'en servir pour transformer sa vie ; et te seul objectif concevable du mouvement est que l'individu, que tous les individus puissent vivre une vie divine. L'existence de l'individu n'est pas une erreur survenue en quelque moi de l'Absolu, et que ce moi découvrirait par la suite ; car il est impossible que l'absolue conscience de soi, ou toute chose qui en ferait intégralement partie, soit ignorante de sa propre vérité et de ses propres capacités et que, trahie par cette ignorance, elle se fasse une fausse idée d'elle-même qu'il lui faille ensuite corriger, ou se lance dans une impossible aventure à laquelle elle doive finalement renoncer. L'existence individuelle n'est pas non plus une circonstance secondaire dans un jeu divin ou Lîlâ, le jeu d'une révolution continuelle
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au fil de cycles sans fin de plaisir et de souffrance, sans aucun espoir de jamais découvrir rien de plus haut dans la Lîlâ elle-même, ni aucune issue, sinon l'évasion sporadique de quelques êtres hors de l'asservissement à cette ignorance. Nous pourrions être contraints d'adopter cette vision implacable et désastreuse de l'œuvre divine si l'homme n'avait aucun pouvoir de se transcender ou de transformer par la connaissance de soi les conditions du jeu, les rapprochant de plus en plus de la vérité de la Félicité divine. En ce pouvoir se trouve la justification de l'existence individuelle ; l'individuel et l'universel déployant en eux-mêmes la lumière, la puissance, la joie divines du Satchidânanda transcendant toujours manifesté au-dessus d'eux, toujours caché derrière leurs apparences superficielles, telle est la secrète intention, l'ultime signification du jeu divin, de la Lîlâ. Cependant, c'est en eux-mêmes, en leur transformation, mais aussi dans leur persistance et dans leurs parfaites relations, non en leur propre annihilation, que doit se faire ce déploiement. Autrement, il n'y aurait aucune raison qu'ils aient jamais existé ; la possibilité d'un déploiement du Divin dans l'individu est le secret de l'énigme. Sa présence en lui et cette volonté de déploiement sont la clef du monde de Connaissance-Ignorance.
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Le Voyant, le Penseur, l'Existant-en-soi qui est partout en devenir, a ordonné parfaitement toutes choses de toute éternité.
Îshâ Upanishad. Verset 8.
Nombreux sont ceux qui, purifiés par la connaissance, sont parvenus à Mon état d'être. (...) En la loi de leur être, ils sont devenus semblables à Moi.
Gîta. IV.1Ô ; XIV 2.
Connais Cela comme le Brahman, et non ceci que les hommes chérissent ici-bas.
Kéna Upanishad. 1.4.
Un Moi intérieur de tous les êtres qui les gouverne (...) De même que le Soleil, œil du monde, n'est point touché par les défauts extérieurs de la vision, de même ce Moi intérieur dans les êtres n'est point touché par la douleur du monde.
Katha Upanishad. II. 2.12,11.
Le Seigneur demeure dans le cœur de tous les êtres,
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L'univers est la manifestation d'une Toute-Existence éternelle et infinie : l'Être Divin demeure en tout ce qui est ; nous-mêmes, en notre moi, en notre être le plus profond, nous sommes cela; notre âme, la secrète entité psychique immanente, est une parcelle de la Conscience et de l'Essence divines. Telle est notre vision de l'existence. Mais nous parlons en même temps d'une vie divine, apogée du processus évolutif, et ces mots impliquent que notre vie actuelle n'est pas divine, non plus que toute la vie qui s'est manifestée sur les plans inférieurs. À première vue, cela paraît contradictoire; au lieu de faire une distinction entre la vie divine à laquelle nous aspirons et une existence actuellement non divine, il serait plus logique de parler d'une ascension de plan en plan dans une manifestation divine. Nous pouvons admettre, si nous considérons la seule réalité intérieure sans tenir compte des suggestions de la représentation extérieure, que ce pourrait être essentiellement le caractère de l'évolution, du changement que nous avons à subir dans la Nature; cela apparaîtrait peut-être ainsi à l'œil impartial * d'une vision universelle que ne troublent point nos dualités — connaissance et ignorance, bien et mal, bonheur et souffrance — et qui participe de la conscience et de la; joie sans entraves de Satchidânanda. Et pourtant, du point de vue pratique et relatif, à distinguer de la vision essentielle, la différenciation entre le divin et le non-divin prend une valeur et une signification qui s'imposent à nous de la façon la plus urgente et impérieuse. C'est donc là un aspect du problème qu'il est nécessaire de mettre en lumière pour en évaluer la véritable importance.
La distinction entre la vie divine et la vie non divine est en fait identique à la distinction fondamentale entre une vie de Connaissance vécue en pleine conscience et dans le pouvoir de la Lumière, et une vie d'Ignorance — c'est ainsi, en tout cas, qu'elle se présente dans
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un monde qui évolue, lentement et péniblement, à partir d'une Inconscience originelle. Toute vie qui a encore cette Inconscience pour base est marquée du sceau d'une imperfection radicale; car même si elle est satisfaite de son type propre, elle se satisfait là de quelque chose d'incomplet et d'inharmonieux, d'un patchwork de discordes : en revanche, même une vie purement mentale ou vitale pourrait être parfaite dans ses limites si elle reposait sur un pouvoir et une connaissance de soi restreints mais harmonieux. C'est ce sceau d'imperfection et de disharmonie auquel nous sommes perpétuellement asservis, qui constitue la marque du non-divin; une vie divine, au contraire, même si elle devait progresser du moins au plus, serait à chaque étape harmonieuse en son principe et ses détails ; elle serait un terrain sûr où liberté et perfection pourraient s'épanouir naturellement et croître vers leur plus haute stature, s'affiner et se déployer en leur plus subtile opulence. Toutes les imperfections, et toutes les perfections, doivent être envisagées lorsque nous considérons la différence entre une existence non divine et une existence divine; mais d'ordinaire, quand nous faisons cette distinction, c'est en tant qu'êtres humains luttant sous la pression de la vie et des difficultés que nous éprouvons à nous diriger parmi ses perplexités et ses problèmes immédiats ; surtout, nous pensons à la distinction que nous sommes tenus de faire entre le bien et le mal ou, de surcroît, au problème analogue de la dualité, ce mélange en nous de bonheur et de souffrance. Quand nous recherchons intellectuellement une présence divine dans les choses, une divine origine du monde, un divin gouvernement de ses œuvres, la présence du mal, l'insistance sur la souffrance, la grande, l'énorme part laissée à la douleur, au chagrin et à l'affliction dans l'économie de la Nature sont les phénomènes cruels qui confondent notre raison et détruisent la foi instinctive de l'humanité en une telle origine et un tel gouvernement, ou en une Immanence divine omniprésente qui voit et détermine tout. Nous pourrions résoudre plus facilement et plus heureusement d'autres difficultés et trouver le moyen d'être plus satisfaits de nos solutions commodes et définitives. Mais cette norme de jugement n'est pas assez globale et elle s'appuie sur un point de vue trop humain ; pour une vision plus large, en effet, le mal et la souffrance ne sont qu'un aspect frappant ; ils ne constituent pas tout le défaut, ni même la racine du problème. La somme des imperfections du monde n'est pas faite de ces deux seules déficiences ; il y a plus que la chute, si chute il y eut, de notre être spirituel ou matériel hors du bien et du bonheur, plus que l'incapacité de notre nature à triompher du
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mal et de la souffrance. Outre l'insuffisance des satisfactions éthiques et hédonistes exigées par notre être, outre l'indigence du Bien et de la Joie dans notre expérience du monde, il y a aussi l'insuffisance d'autres degrés divins : en effet, la Connaissance, la Vérité, la Beauté, le Pouvoir, l'Unité sont eux aussi la substance, sont eux aussi les éléments d'une vie divine, et ils nous sont donnés avec parcimonie et réticence ; et pourtant tous, en leur absolu, sont des pouvoirs de la Nature divine.
Il n'est donc pas possible de limiter la description"-de notre imperfection non divine et de celle du monde au seul mal moral ou à la seule souffrance des sens ; l'énigme universelle est plus profonde que ce double problème — car il ne s'agit là que de deux puissants résultats d'un principe commun; .Et c'est le principe général de l'imperfection qu'il nous faut admettre et envisager. Si nous regardons de près cette imperfection générale, nous verrons qu'elle consiste d'abord en une limitation en nous des éléments divins, limitation qui leur dérobe leur divinité, puis en une distorsion aux maints visages, aux multiples ramifications, une perversion, une fausse tournure, une falsification due au fait que nous nous sommes détournés d'une Vérité d'être idéale. Pour notre mental qui ne possède pas cette Vérité mais peut la concevoir, cette déviation se présente à nous de deux manières, comme le rappel d'un état dont nous sommes spirituellement déchus, ou comme une possibilité ou une promesse que nous ne pouvons tenir ni réaliser, parce qu'elle n'existe que comme idéal. Soit qu'il s'agisse d'une chute de l'esprit intérieur hors d'une conscience et d'une connaissance plus grandes, d'une joie, d'un amour et d'une beauté, d'un pouvoir et d'une capacité, d'une harmonie et d'un bien plus grands, soit d'un échec de notre nature en lutte, d'une impuissance à accomplir ce que, d'instinct, nous tenons pour divin et désirable. Si nous essayons de discerner la cause profonde de la chute ou de l'échec, nous découvrirons que tout procède du fait unique et primordial que notre être, notre conscience, notre force, notre expérience des choses représentent — non point en leur essence même, mais en leur nature pratique superficielle — un principe ou un phénomène effectif de division et de rupture dans l'unité de l'Existence divine. Le résultat pratique inévitable de cette division est une limitation de la conscience et de la connaissance divines, de la beauté et de la joie divines, de la capacité et du pouvoir divins, de l'harmonie divine et du bien divin : la plénitude et l'intégralité subissent une limitation, le regard que nous portions sur ces choses se voile,
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notre quête est frappée d'infirmité et notre expérience fragmentée voit son pouvoir .et son intensité diminuer, sa qualité s'appauvrir, signe d'une descente depuis les hauteurs spirituelles, ou d'une conscience qui émerge de l'insensible et neutre monotonie de l'Inconscience; les intensités normales et naturelles dans les domaines supérieurs se perdent en nous ou, sont atténuées afin de s'harmoniser avec les noirs et les gris de notre existence matérielle. La perversion de ces choses les plus hautes en est un effet secondaire ultérieur : inconscience et conscience fausse s'insinuent dans notre, mentalité limitée, l'ignorance recouvre notre nature tout entière, et la mauvaise application ou la mauvaise orientation d'une volonté et d'une connaissance imparfaites, les réactions automatiques de notre conscience-force diminuée et l'inepte pauvreté de notre substance engendrent les contradictions des éléments divins : l'incapacité, l'inertie, la fausseté, l'erreur, la douleur et le chagrin, l'action mauvaise, la discorde, le mal. Caché quelque part en nous, choyé dans les profondeurs de notre être, même quand il n'est pas clairement senti dans la nature consciente, même quand il se voit repoussé par les parties de notre être que ces tourments affligent, il y a aussi et toujours un attachement à cette expérience de la division : l'homme s'accroche à cette existence divisée qui l'empêche d'extirper ces afflictions ou de les rejeter et de les supprimer. Car le principe de la Conscience-Force et de l'Ananda se trouvant à la racine de toute manifestation, rien ne saurait durer sans l'appui dans notre nature d'une volonté, d'une sanction du Purusha, d'un plaisir soutenu en quelque partie de l'être, fût-ce un plaisir secret ou pervers qui prolonge son existence.
Quand nous disons que tout, même ce que nous appelons non divin, est une manifestation divine, nous voulons dire qu'essentiellement tout est divin, même si la forme nous déconcerte ou nous répugne. Ou, pour l'exprimer par une formule que notre perception psychologique accepte plus facilement, disons qu'il y a, en toutes choses, une présence, une Réalité primordiale — le Moi, le Divin, le Brahman — qui est à jamais pure, parfaite, béatifique, infinie : son infinité n'est pas affectée par les limitations des choses relatives ; sa pureté n'est pas souillée par notre péché et notre mal; sa béatitude n'est pas atteinte par notre douleur et notre souffrance, ni sa perfection altérée par les défauts de notre conscience, de notre connaissance, de notre volonté, par le manque d'unité. Dans certaines images des Upanishad le Purusha divin est décrit comme le Feu unique qui a pénétré toutes îles
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formes et se façonne lui-même selon chacune, comme le Soleil unique qui illumine tout impartialement et n'est pas affecté par nos défauts de vision. Mais cette affirmation ne suffit pas; elle ne résout pas le problème : pourquoi ce qui est en soi toujours pur, parfait, béatifique, infini, doit-il non seulement tolérer, mais paraît maintenir et encourager; et sa manifestation l'imperfection et la limitation, l'impureté et la souffrance, la fausseté et le mal. Elle exprime la dualité qui constitue le problème, mais ne la résout pas.
Si nous nous contentons de laisser face à face ces deux faits discordants de l'existence, nous sommes amenés à conclure qu'il ne peut y avoir de réconciliation; nous n'avons plus qu'à nous accrocher de notre mieux au sens de plus en plus profond de la joie que procure la pure présence essentielle, et nous accommoder autant que possible des dissonances extérieures, jusqu'à ce que nous soyons en mesure d'imposer à leur place la loi de leurs divins contraires. Ou bien nous devons chercher une échappatoire plutôt qu'une solution, et dire en effet que seule la Présence intérieure est Vérité et que les dissonances extérieures ne sont que mensonge ou illusion créées par un mystérieux principe d'Ignorance; le problème consiste alors à trouver le moyen d'échapper au mensonge du monde manifesté pour accéder à la vérité de la secrète Réalité. Ou nous pouvons affirmer avec les bouddhistes qu'il n'est nul besoin d'explication, puisque seul existe ce fait pratique de l'imperfection et de l'impermanence des choses et qu'il n'est point de Loi, de Divin ni de Brahman, cela aussi étant une illusion de notre conscience : la seule chose nécessaire à la libération est de se débarrasser de la structure des idées et de l'énergie d'action qui persistent et. maintiennent une continuité dans le flux de l'impermanence. Sur cette voie de l'évasion, nous finissons par nous annihiler nous-mêmes dans le Nirvana ; et notre propre annihilation abolit du même coup le problème. C'est là une issue, mais elle ne semble pas être la véritable et seule issue, et les autres solutions ne sont pas, elles non plus, entièrement satisfaisantes. Il est vrai qu'en excluant de notre conscience intérieure la manifestation discordante sous prétexte qu'elle est extérieure et superficielle, et en insistant seulement sur la Présence pure et parfaite, nous pouvons, individuellement, parvenir à un sens profond et béatifique de cette silencieuse Divinité, pénétrer dans le sanctuaire, vivre dans la lumière et dans le ravissement. Une concentration intérieure exclusive sur le Réel, l'Éternel est possible, et même une immersion dans le moi
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qui nous permet d'annuler ou d'écarter les 'dissonances de l'univers. Mais il y a aussi, quelque part au plus profond de nous-mêmes, le besoin d'unes conscience totale, il y a dans la Nature une quête universelle et secrète du Divin tout entier, un élan vers une conscience, une joie et un pouvoir d'être complets ; ce besoin d'un être entier, d'une connaissance totale, cette volonté intégrale en nous, n'est pas pleinement satisfaite par de telles solutions. Tant qu'on ne nous donne pas une explication divine du monde, notre connaissance du Divin demeure imparfaite ; car le monde aussi est Cela, et tant qu'il n'est pas présent à notre conscience et possédé par les pouvoirs de notre conscience dans une perception de l'être divin, nous ne possédons pas la Divinité intégrale.
Il est possible d'échapper au problème d'une autre façon. Tout en admettant une Présence essentielle, nous pouvons en effet nous efforcer de justifier la divinité de la manifestation en corrigeant l'idée humaine de perfection ou en l'écartant comme un critère mental par trop limité, et dire que non seulement l'Esprit dans les choses est absolument parfait et divin mais que chaque chose aussi est relativement parfaite et divine en soi, dans la mesure où elle exprime ce qu'elle doit exprimer des possibilités de l'existence, et assume sa juste place dans l'ensemble de la manifestation. Chaque chose est divine en soi, car chacune est un fait et une idée de l'être divin, de la connaissance et de la volonté divines s'accomplissant infailliblement selon la loi de cette manifestation particulière. Chaque être est investi de la connaissance, de la force, de l'étendue et de la joie d'être particulière qui sont justement propres à sa nature; chacun agit conformément aux gradations d'expérience décrétées par une volonté secrète inhérente, une loi innée, un pouvoir intrinsèque du moi, une signification occulte. Ainsi est-il parfait dans la relation de ses phénomènes avec la loi de son être; car tous sont en harmonie avec celle-ci, en sont issus, s'adaptent à son dessein suivant l'infaillibilité de la Volonté et de la Connaissance divines qui sont à l'œuvre dans la créature. Il est également parfait et divin dans sa relation avec le tout, à la juste place qu'il occupe dans le tout; il est nécessaire à cette totalité et, par le rôle qu'il joue, il aide à réaliser pleinement la perfection concrète et progressive de l'harmonie universelle, l'adaptation de tout ce qui est en elle à son dessein complet, à son sens intégral. Si les choses nous paraissent non divines, si nous nous hâtons de condamner tel ou tel phénomène, le jugeant incompatible avec la nature d'un être divin, c'est parce que nous ignorons le sens et le but global que poursuit
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le Divin dans lé monde. Ne voyant que parties et fragments, nous les jugeons séparément comme si chacun était le tout, et nous jugeons aussi les phénomènes extérieurs sans connaître leur signification secrète; ce faisant, nous faussons notre estimation des choses, y apposons le sceau d'une erreur initiale et fondamentale. La perfection ne peut résider dans une chose prise séparément, car cette séparation est une illusion; :la perfection est la perfection de l'harmonie divine totale.
Tout cela .est peut-être vrai jusqu'à un certain point et dans certaines limites ; mais cette solution est elle aussi incomplète en soi et ne peut nous donner entière satisfaction. Elle ne tient pas suffisamment compte de la conscience et de la vision humaines des choses qui sont notre point de départ obligé ; elle ne nous donne pas la vision de l'harmonie dont elle se prévaut, aussi ne peut-elle satisfaire notre exigence ni nous convaincre ; elle ne peut que contredire, par une froide conception intellectuelle, notre sens humain aigu de la réalité du mal et de l'imperfection ; elle ne nous met pas sur la voie de l'élément psychique en notre nature, de l'aspiration de l'âme vers la lumière et la vérité et vers une conquête spirituelle, une victoire sur l'imperfection et le mal. En, soi, cette vision des choses ne vaut guère mieux que le dogme facile selon lequel tout ce qui est, est juste, parce que tout est parfaitement décrété par la Sagesse divine. Elle ne nous apporte rien de mieux qu'un optimisme intellectuel et philosophique complaisant, et ne jette aucune lumière sur: ces réalités déconcertantes que sont la douleur, la souffrance et la discorde dont notre conscience humaine porte le perpétuel et troublant témoignage ; tout au plus est-il suggéré que la raison divine détient peut-être la clef de ces choses auxquelles nous n'avons pas accès. Ce n'est pas une réponse suffisante à notre mécontentement et notre aspiration qui, pour ignorantes que soient leurs réactions, et si mélangées que puissent être leurs motivations mentales, doivent néanmoins correspondre à une réalité divine plus profonde en notre être. Un Tout Divin parfait en raison de l'imperfection de ses parties, court le risque de n'être lui-même parfait que dans l'imperfection, car il accomplit entièrement une étape d'un objectif inaccompli ; c'est alors une Totalité actuelle et non pas ultime. Nous pourrions lui appliquer l'adage des Grecs: Theos ouk estin alla gignetai, le Divin n'est pas encore en être, mais en devenir. Le vrai Divin serait alors secret en nous et peut-être suprême au-dessus de nous; trouver le Divin en nous et au-dessus de nous serait la vraie solution : devenir parfait comme Cela
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est parfait, atteindre à la libération en devenant semblable à Gela oit en accédant à la loi de sa. nature, sâdrishya, sâdharmya.
Si la conscience humaine était liée au sens de l'imperfection; et devait accepter celle-ci comme la loi de notre vie et le caractère même de notre existence——acceptation raisonnée qui, dans notre nature humaine, correspondrait chez l'animal à l'acceptation aveugle de sa nature animale —, nous pourrions dire alors que ce que nous sommes marque la limite de l'expression de soi du divin en nous ; nous pourrions croire aussi que nos imperfections et nos souffrances contribuent à l'harmonie et à la perfection générales des choses et nous consoler avec ce baume philosophique offert à nos blessures, satisfaits de nous mouvoir parmi les traquenards de la vie avec toute la prudence rationnelle ou toute la sagacité et la résignation philosophiques que nous permettent notre sagesse mentale incomplète et l'impatience de nos éléments vitaux. Ou bien, prenant refuge dans les ferveurs plus consolantes de la religion, nous pourrions tout accepter docilement comme la volonté de Dieu, avec l'espoir ou la foi en une récompense dans un Paradis au-delà où nous connaîtrons une existence plus heureuse et revêtirons une nature plus pure et plus parfaite. Mais il y a un facteur essentiel dans notre conscience humaine et ses opérations qui, non moins que la raison, la distingue entièrement de l'animal ; il n'y a pas qu'un élément mental en nous qui reconnaît l'imperfection, il y a un élément psychique qui la rejette. L'insatisfaction de l'âme devant l'imperfection comme loi de la vie sur terre, son aspiration à éliminer de notre nature toutes les imperfections, non seulement dans un ciel au-delà où il serait automatiquement impossible d'être imparfait, mais ici et maintenant dans une vie où la perfection doit être conquise par l'évolution et la lutte" sont autant une loi de notre être que ce contre quoi elles se révoltent ; elles aussi sont divines — une divine insatisfaction, une aspiration divine. En elles se trouve la lumière inhérente d'un pouvoir intérieur qui les maintient en nous afin que le Divin puisse non seulement être présent comme Réalité cachée dans nos profondeurs spirituelles secrètes, mais se déployer dans l'évolution de la Nature.
En cette lumière nous pouvons admettre que tout œuvre parfaitement en vue d'une fin divine, suivant une sagesse divine, et qu'en ce sens chaque chose est donc parfaitement à sa place ; mais nous disons que ce n'est pas là tout le dessein divin. Car ce qui est n'est justifiable,
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ne trouve sa signification et sa satisfaction parfaites que par ce qui peut être et sera. Il y a sans aucun doute une clef dans la raison divine qui justifierait les choses telles qu'elles sont en en révélant le sens juste et le vrai secret et en les montrant autres, plus subtiles, plus profondes que leur signification extérieure et que leur apparence phénoménale, 'qui sont tout ce que notre intelligence actuelle peut généralement saisir; mais nous ne pouvons nous contenter de cette croyance; chercher et trouver la clef spirituelle des choses est la loi de notre être. Le signe de cette découverte n'est pas une reconnaissance philosophique intellectuelle et une acceptation sage ou résignée des choses telles qu'elles sont, parce qu'il y aurait en elles un sens divin, un objectif divin qui nous dépassent; le vrai signe est une élévation vers la connaissance et le;pouvoir spirituels qui transformeront la loi, les phénomènes; et les formes extérieures de notre vie en une image plus vraie de ce sens et de cet objectif divins. Il est juste et raisonnable d'endurer avec équanimité la souffrance et l'assujettissement à ce qui est défectueux comme étant la volonté immédiate de Dieu, une loi actuelle d'imperfection imposée aux parties de notre être, mais à condition de reconnaître aussi que la volonté de Dieu en nous est de transcender le mal et la souffrance, de transformer l'imperfection en perfection, de-nous élever jusqu'à une. loi supérieure de la Nature Divine. Il y a, dans notre conscience humaine, l'image d'une vérité d'être idéale, d'une nature divine, d'une divinité naissante : par rapport à cette vérité supérieure, notre état actuel d'imperfection peut être décrit, dans les fermes de la relativité, comme une vie non divine et les conditions du monde dont nous partons comme des conditions non divines ; les imperfections sont l'indication qui nous est donnée qu'elles sont là comme de premiers déguisements et ne sont pas destinées à être l'expression de l'être divin et de la nature divine. C'est un Pouvoir en nous, la Divinité cachée, qui a allumé la flamme de l'aspiration, qui dessine l'image de l'idéal, entretient notre insatisfaction et nous pousse à rejeter le déguisement et; à révéler ou, selon l'expression védique, à former et à dévoiler la Déité en l'esprit, le mental, la vie et le corps manifestés de cette créature terrestre. Notre nature présente ne peut être qu'une transition, notre condition imparfaite qu'un point de départ et une occasion pour réaliser un état plus élevé, plus vaste et plus grand, qui sera divin et parfait non seulement par l'esprit secret qui est en lui, mais en sa forme d'existence manifestée la plus extérieure.
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Ces conclusions ne sont toutefois que les premiers raisonnements ou les intuitions premières fondés sur notre expérience de notre moi intérieur et sur les faits apparents de l'existence universelle. Elles ne peuvent être entièrement validées, tant que nous ne connaissons pas la vraie cause de l'ignorance, de l'imperfection et de la souffrance, ainsi que leur place dans le dessein ou l'ordre cosmiques. Il y a trois propositions sur Dieu et le monde — si nous admettons l'Existence Divine — dont témoignent la raison et la conscience générale de l'humanité ; mais l'une des trois — que le caractère du monde où nous vivons rend nécessaire-— n& s'harmonise pas avec les deux autres et, du fait de cette disharmonie, le mental humain est jeté dans la grande perplexité des contradictions et poussé au doute et à la négation. Tout d'abord, en effet, nous trouvons l'affirmation d'une Réalité omniprésente, pure, parfaite et béatifique, :d'un Divin sans lequel et en dehors duquel rien ne pourrait exister, puisque tout n'existe que par lui et en son être. Toute pensée sur le sujet, si elle n'est pas athée ou matérialiste, ou bien primitive et anthropomorphique, doit partir de cette reconnaissance ou arriver à ce concept fondamental. Il est vrai que certaines religions semblent supposer une Déité extracosmique créatrice d'un monde extérieur à sa propre existence et séparé d'elle ; mais lorsqu'elles en viennent à construire une théologie ou une philosophie spirituelle, celles-ci a leur tour admettent l'omniprésence ou immanence — car cette omniprésence s'impose, c'est une nécessité de la pensée spirituelle. Si cette Divinité — ce Moi, cette Réalité — existe, elle doit être partout, une et* indivisible, rien ne doit pouvoir exister en dehors de son existence; rien ne peut naître d'autre chose que de Cela ; il n'est rien qui ne soit soutenu par Cela, qui soit indépendant de Cela et que n'emplissent le souffle et le pouvoir de Son être. On a certes affirmé que l'ignorance, l'imperfection, la souffrance de ce monde ne sont pas soutenues par l'Existence Divine; mais il nous faut alors supposer deux Dieux, un Ormuzd du bien et un Ahriman du mal ou, peut-être, un Être parfait supracosmique et immanent et un Démiurge cosmique imparfait ou une Nature non divine séparée. Cette conception est possible, mais elle est improbable pour notre intelligence la plus haute — elle ne peut être, tout au plus, qu'un aspect subsidiaire et non la vérité originelle, ni toute la vérité des choses ; nous ne pouvons non plus supposer que le Moi unique, l'Esprit en tout, et l'unique Pouvoir créateur de tout sont différents, que leur être présente un caractère opposé, et qu'ils diffèrent en leur volonté et leur dessein. Notre raison nous dit, notre conscience
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intuitive sent — et leur témoignage est confirmé par l'expérience spirituelle — que l'unique Existence pure et absolue existe en toutes les choses et tous les êtres, de même que toute chose et tout être existent en Elle et par Elle, et que rien ne peut exister ni se produire sans cette Présence immanente qui soutient tout.
Une seconde affirmation, que tout naturellement notre mental accepte comme la conséquence du premier postulat, est que toutes choses sont ordonnées et gouvernées dans leurs relations fondamentales et leur processus par la conscience et le pouvoir suprêmes de cette Divinité omniprésente en sa connaissance universelle parfaite et sa divine sagesse. Mais, d'autre part, le processus concret des choses, les relations concrètes, telles qu'elles se présentent à notre conscience humaine, sont des relations d'imperfection, de limitation; il semble qu'il y ait là une disharmonie, voire une perversion, quelque chose de contraire à notre conception de l'Existence Divine, une négation flagrante ou du moins une défiguration ou un déguisement de la Présence Divine. Surgit alors une troisième affirmation, selon laquelle la Réalité Divine et la réalité du monde seraient d'une essence ou d'un ordre si différents que, pour atteindre l'une, il nous faudrait nous écarter de l'autre : si nous voulons trouver l'Habitant Divin, nous devons rejeter le monde qu'il habite, gouverne, a créé ou manifesté en sa propre existence. La première de ces trois propositions est indiscutable ; la seconde aussi doit être valable si le Divin omniprésent a quelque rapport que ce soit avec le monde qu'il habite et avec sa manifestation, son édification, sa préservation et son gouvernement; mais la troisième, qui paraît tout aussi évidente, est toutefois incompatible avec les précédentes, et ce désaccord nous met en face d'un problème qu'il semble impossible de résoudre de manière satisfaisante.
On peut sans peine éluder la difficulté grâce à quelque construction de la raison philosophique ou du raisonnement théologique. Il est possible d'ériger une Déité fainéante, tels les dieux d'Épicure, immergée en sa béatitude, qui observe, mais avec indifférence, un monde conduit ou fourvoyé par une loi mécanique de la Nature. Libre à nous de supposer un Moi Témoin, une Ame silencieuse dans les choses, un Purusha qui laisse la Nature faire ce qu'elle veut et se contente de réfléchir, en sa conscience passive et immaculée, tout l'ordre et tous les désordres de la Nature — ou un Moi Suprême absolu, inactif, libre de toutes relations, non concerné par les œuvres de l'Illusion cosmique ou de la Création
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mystérieusement ou paradoxalement issue de Lui, ou contre Son gré, pour tenter et affliger un monde de créatures temporelles. Mais toutes ces solutions ne font que refléter l'apparente discordance de notre double expérience ; elles ne recherchent pas l'harmonie, ni ne nous donnent la solution ou l'explication de ce désaccord, mais se bornent à le réaffirmer par un dualisme déclaré ou voilé, et par une division essentielle de l'Indivisible. Pratiquement, on affirme une Divinité duelle, le Moi ou l'Âme, et la Nature ; mais la Nature, le Pouvoir dans les choses, ne peut rien être d'autre qu'un pouvoir du Moi, de l'Âme, de l'Être essentiel des choses ; ses œuvres ne peuvent être entièrement indépendantes de l'Ame, du Moi, elles ne peuvent créer leurs propres résultats et leurs propres activités contraires sans être affectées par le consentement ou par le refus du Moi, ou imposer la violence d'une Force mécanique à l'inertie d'une Passivité mécanique. On peut aussi postuler l'existence d'un Moi observateur et inactif, et d'une Divinité active et créatrice; mais ce procédé ne peut nous être utile, car finalement les deux doivent en réalité ne faire qu'un, sous un aspect duel — la Divinité étant l'aspect actif du Moi qui observe, le Moi un témoin de sa propre Divinité en action. Cette discorde, ce gouffre entre le Moi dans la connaissance et le même Moi dans ses œuvres exige une explication, mais cela reste inexpliqué et inexplicable. Ou encore nous pouvons supposer une double conscience du Brahman, la Réalité, l'une statique et l'autre dynamique, l'une essentielle et spirituelle où il est le Moi parfait et absolu, l'autre formatrice, pragmatique, où il devient un non-moi, et à laquelle son caractère absolu et sa perfection ne se soucient pas de participer, car ce n'est qu'une formation temporelle dans la Réalité intemporelle. Mais pour nous qui, même si nous n'existons qu'à demi et ne sommes qu'à demi-conscients, habitons néanmoins le demi-rêve de vie de l'Absolu et sommes tenus par la Nature d'y prendre un intérêt tenace, obsédant, et de le traiter comme s'il était réel, cela revêt l'apparence d'une mystification flagrante ; car cette conscience temporelle et ses formations sont aussi, en définitive, un Pouvoir du Moi unique, elles dépendent de lui et ne peuvent exister que par lui; ce qui existe par le pouvoir de la Réalité ne peut pas ne pas lui être rattaché, ou Cela ne peut pas ne pas être rattaché au monde que son propre Pouvoir a créé. Si le monde existe grâce à l'Esprit suprême, son agencement et ses relations doivent également exister grâce au pouvoir de l'Esprit ; sa loi doit être conforme à une loi de la conscience et de l'existence spirituelles. Le Moi, la Réalité, doit être conscient de la conscience et en la conscience
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dû monde qui existe en son être; un pouvoir du Moi, de la Réalité doit constamment déterminer ou du moins sanctionner ses phénomènes et ses activités, car il ne peut y avoir de pouvoir indépendant, de Nature qui ne dérive de l'Existence-en-soi originelle et éternelle. S'il ne fait rien de plus, il doit en tout cas être à l'origine de l'univers ou le déterminer par le simple fait de son omniprésence consciente. Il existe un état de paix et de silence dans l'Infini derrière l'activité cosmique, une Conscience qui est le Témoin immobile de la création; c'est là une vérité incontestable de l'expérience spirituelle, mais ce n'en est pas l'intégralité, et nous ne pouvons espérer trouver dans un seul aspect de la connaissance une explication totale et fondamentale de l'Univers.
Si nous admettons qu'il existe un gouvernement divin de l'univers, nous devons en conclure que ce pouvoir de gouverner est total et absolu, car autrement nous serions obligés d'imaginer un être et une conscience infinis et absolus, qui posséderaient une connaissance et une volonté limitées dans leur contrôle des choses, ou entravées dans leur pouvoir d'action. Il n'est pas impossible de concéder que la Divinité immanente et suprême puisse laisser une certaine liberté d'action à quelque chose qui 'est né en sa divine perfection, mais qui est soi-même imparfait et cause d'imperfection, à une Nature ignorante ou inconsciente, à l'action du mental et du vouloir humains, et même à un Pouvoir conscient ou à des Forces de ténèbres et du mal conscientes qui s'appuient sur le règne d'une Inconscience fondamentale. Mais aucune de ces choses n'est indépendante de Son existence, de Sa nature et de Sa conscience, et nulle ne peut agir qu'en Sa présence et avec Son consentement ou Son autorisation. La liberté de l'homme est relative et il ne peut être tenu pour seul responsable de l'imperfection de sa nature. L'ignorance et l'inconscience de la Nature sont apparues non pas indépendamment, mais dans l'Être unique; l'imperfection des activités de la Nature ne peut être entièrement étrangère à quelque volonté de l'Immanence. On petit concéder que les forces mises en mouvement sont laissées libres de s'accomplir selon la loi de ce mouvement; mais ce que l'Omniscience et l'Omnipotence divines, ont laissé apparaître et agir en Son omniprésence et Sa toute-existence, nous devons considérer que c'est Lui qui en est l'origine et qui l'a voulu, puisque sans le fiât de l'Être ces forces n'auraient pu être et ne pourraient continuer d'exister. Si le Divin se soucie tant soit peu du monde qu'il a manifesté, il n'est d'autre Seigneur que Lui et l'on ne peut finalement échapper à'Cette nécessité de Son être
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originel et universel, ni s'en détourner, C'est en nous fondant sur cette conséquence évidente de nos prémisses de base, sans éluder aucune de ses implications, que nous devons considérer le problème de l'imperfection, de la souffrance et du mal.
Et tout d'abord, nous devons prendre conscience que l'existence de l'ignorance, de l'erreur, de la limitation, de la souffrance, de la division et de la discorde dans le monde n'est pas nécessairement en soi, comme nous l'imaginons trop hâtivement, une négation ou une réfutation de l'être, de la conscience, du pouvoir, de la connaissance, de la volonté et de la félicité du Divin dans l'univers. Ce peut être le cas, si nous sommes tenus de considérer ces choses en elles-mêmes, séparément, mais il n'en est pas nécessairement ainsi, une fois que nous avons une vision claire de leur place et de leur signification dans un aperçu complet du fonctionnement de l'univers. Une partie arrachée du tout peut être imparfaite, laide, incompréhensible ; mais quand nous la voyons dans l'ensemble, elle retrouve sa place dans l'harmonie, elle a son sens et son utilité. La Réalité divine est infinie en son être; en cet être infini, nous trouvons partout un être limité — tel est le fait apparent dont notre existence sur terre semble découler et dont témoignent constamment notre ego étriqué et ses activités égocentriques. Mais en réalité, lorsque nous accédons à une connaissance intégrale de nous-mêmes, nous constatons que nous ne sommes point limités, car nous aussi sommes infinis. Notre ego n'est qu'un visage de l'être universel et n'a pas d'existence séparée; notre individualité séparatrice apparente n'est qu'un mouvement en surface derrière lequel notre individualité réelle s'étend jusqu'à réaliser son unité avec toutes choses et s'élève jusqu'à ne plus faire qu'un avec la Transcendante Infinité divine. Ainsi notre ego, qui semble être une limitation de l'existence, est-il en fait un pouvoir de l'infini ; la multiplicité sans bornes des êtres dans le monde est un résultat et une preuve éclatante, non de la limitation et de la finitude, mais de cette illimitable Infinité. La division apparente ne peut jamais s'ériger en séparation réelle ; la soutenant et la dominant, il y a une indivisible unité que la division elle-même ne peut diviser. Ce fait universel et fondamental que constituent l'ego et l'apparente division et leurs opérations séparatrices dans l'existence du monde, n'est pas une négation de la Nature divine, qui est unité et être indivisible; ils représentent les résultats superficiels d'une multiplicité infinie qui est un pouvoir de l'Unité infinie.
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Il n'y a donc pas de division ou de limitation réelle de l'être, pas de contradiction fondamentale de la Réalité omniprésente ; mais il semble bien y avoir une réelle limitation de la conscience : il y a une ignorance du moi, la Divinité intérieure est voilée — et toutes les imperfections en résultent. Car nous nous identifions mentalement, vitalement, physiquement avec cette conscience superficielle de l'ego qui est là première expérience impérieuse de notre moi ; elle nous impose une division non pas fondamentalement réelle, mais pratique, avec toutes les conséquences malheureuses qu'implique cette séparation d'avec la Réalité. Mais' ta encore, il nous faut découvrir que, du point de vue des œuvres divines, quelles que soient nos réactions ou notre expérience de surface, ce fait de l'ignorance est lui-même une opération de la connaissance et non pas une véritable ignorance. Le phénomène de l'ignorance est un mouvement de surface. Derrière lui, en effet, se trouve une conscience totale indivisible : l'ignorance est un pouvoir frontal de cette conscience totale qui, dans un certain domaine, à l'intérieur de certaines limites, se borne à une action particulière de la connaissance, à un mode particulier de fonctionnement conscient, et tout le reste de sa connaissance demeure en attente, comme une force à l'arrière-plan. Tout ce qui est ainsi caché est une réserve occulte de lumière et de pouvoir en laquelle peut puiser la Toute-Conscience pour l'évolution de notre être dans la Nature ; il y a un fonctionnement secret qui pallie toutes les déficiences de l'Ignorance frontale, agit à travers ses trébuchements apparents, les empêche de conduire à un résultat final autre que celui décrété par la Toute-Connaissance, aide l'âme dans l'Ignorance à tirer de son expérience, même des souffrances et des erreurs de la personnalité naturelle, ce qui est nécessaire à son évolution et à abandonner ce qui n'est plus utilisable. Ce pouvoir frontal de l'Ignorance est un pouvoir de concentration dans un fonctionnement limité, qui ressemble beaucoup à ce pouvoir de notre mentalité humaine par lequel nous nous absorbons dans un objet et dans un travail particuliers et semblons n'employer qu'autant de connaissance, autant d'idées qu'il s'avère nécessaire —le reste, qui lui est, étranger ou qui pourrait s'interposer, est retenu momentanément; mais en réalité, c'est la conscience indivisible que nous sommes qui, tout le temps, a fait le travail qui doit être fait, vu la chose qui doit être vue —, c'est cela, et non quelque fragment de conscience ou quelque ignorance exclusive en nous, qui connaît et œuvre en silence ; de même en est-il de ce pouvoir frontal de concentration de la Toute-Conscience en nous.
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Dans notre évaluation des mouvements de notre conscience cette capacité de concentration est tenue à juste titre pour, l'un des plus grands pouvoirs de la mentalité humaine. Mais le pouvoir de projeter ce qui paraît être un fonctionnement exclusif de connaissance limitée, et se présente à nous comme une ignorance, doit être également considéré comme l'un des plus grands pouvoirs de la Conscience divine. Seule une suprême Connaissance maîtresse d'elle-même peut avoir ainsi le pouvoir de se limiter dans l'acte et cependant de réaliser parfaitement toutes ses intentions au moyen de cette ignorance apparente. Dans l'univers, nous voyons cette Connaissance suprême et maîtresse d'elle-même œuvrer à travers une multitude d'ignorances, chacune s'efforçant d'agir selon son propre aveuglement ; à travers elles, pourtant, toute la connaissance construit et exécute ses harmonies universelles. Bien plus, le miracle de son omniscience apparaît de la façon la plus frappante dans ce qui nous semble être l'action d'un Inconscient, quand, par la nescience complète ou partielle — plus épaisse que notre ignorance — de l'électron, de l'atome, de la cellule, de la plante, de l'insecte, des formes inférieures de la ,vie animale, elle arrange parfaitement son ordre des choses et guide l'impulsion instinctive ou l'élan inconscient vers une fin que possède la Toute-Connaissance, mais qui est retenue derrière un voile, inconnue de la forme instrumentale de l'existence et cependant parfaitement efficace dans l'instinct ou; l'impulsion. Nous pouvons donc dire que cette action de l'ignorance ou de la nescience n'est pas une ignorance réelle, mais un pouvoir, un signe, une preuve d'une omnisciente connaissance de soi et de tout. Si nous avons besoin d'un témoin personnel et intérieur de cette indivisible Toute-Conscience derrière l'ignorance — toute la Nature en est la preuve extérieure —, nous ne pouvons le trouver avec quelque intégralité qu'en notre être intérieur plus profond ou en un état spirituel plus vaste et plus élevé, lorsque nous nous retirons derrière le voile de notre ignorance de surface et entrons en contact avec l'Idée divine et la Volonté divine qu'elle dissimulait. Nous voyons alors assez clairement que ce que nous avons accompli par nous-mêmes dans notre ignorance était néanmoins suivi" et guidé vers son résultat par l'invisible Omniscience; derrière notre mode d'action ignorant, nous en découvrons un autre supérieur, et commençons à entrevoir son dessein en nous ; alors seulement pouvons-nous voir et connaître ce que maintenant nous adorons: dans la foi, reconnaître pleinement la pure et universelle Présence, et approcher le Seigneur de tout être et de toute la Nature.
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Ce qui vaut pour la cause— l'Ignorance — vaut pour les conséquences de l'Ignorance. Tout ce qui nous semble incapacité, faiblesse, impuissance, limitation de pouvoir, lutte empêtrée et labeur entravé de notre volonté revêt, du point de vue du Divin en Ses propres activités, l'aspect d'une juste limitation d'un pouvoir omniscient par la libre volonté de ce Pouvoir lui-même pour que l'énergie de surface corresponde exactement à l'œuvre qu'elle doit accomplir, à sa tentative, au succès alloué ou à l'échec destiné parce que nécessaire, à l'équilibre de la somme des forces dont elle fait partie et au résultat plus vaste dont ses propres résultats sont une part indivisible. Derrière cette limitation de puissance, se trouve la Toute-Puissance, et dans la limitation cette Toute-Puissance est à l'œuvre ; mais c'est par la somme de multiples opérations limitées que l'Omnipotence indivisible exécute infailliblement et souverainement ses desseins. Ce pouvoir de limiter sa force et d'œuvrer par cette auto-limitation, par ce que nous appelons labeur, lutte, difficulté, par ce qui nous paraît être une série d'échecs ou de succès à demi contrariés, et d'accomplir grâce à eux son intention secrète, n'est donc pas le signe, la preuve d'une réelle faiblesse, mais le signe et la preuve — la plus grande qui soit — d'une omnipotence réelle et absolue.
Quant à la souffrance, qui est une si grande pierre d'achoppement pour notre compréhension de l'univers, elle découle évidemment de la limitation de la conscience, de la restriction de la force, qui nous empêchent de maîtriser ou d'assimiler le contact de ce que nous prenons pour une force autre ; le résultat de cette incapacité et de cette disharmonie est que le délice de ce contact ne peut être saisi, et dans notre sensibilité cela suscite une réaction de malaise ou de douleur, un manque ou un excès, une discordance provoquant une blessure intérieure ou extérieure, qui proviennent de la division entre notre pouvoir d'être et le pouvoir d'être qui nous confronte. Par derrière, dans notre moi et notre esprit, se trouve la Toute-Félicité de l'être universel qui tire profit de ce contact — félicité qu'il ressent tout d'abord à endurer la souffrance puis à la conquérir et enfin à la transmuer ; cette transmutation doit en effet se produire, car la douleur et la souffrance sont des termes pervertis et contraires de la félicité d'être, et ils peuvent se changer en leur opposé; voire même en la Toute-Félicité originelle, Ânanda. Celle-ci n'est pas seulement présente dans l'universel, elle est là, secrètement, en nous, comme nous; le découvrons lorsque, nous retirant de notre conscience
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extérieure, nous entrons dans le Moi au-dedans; l'être psychique en nous tire profit même de ces expériences les plus perverses ou les plus adverses, tout autant que des plus favorables, et il grandit aussi bien en les rejetant qu'en les acceptant; de nos souffrances, de nos difficultés, de nos infortunes les plus poignantes, il tire un sens et un usage divins. Seule, cette Toute-Félicité pouvait oser s'imposer, ou nous imposer, de telles expériences, ou les supporter ; et elle seule pouvait ainsi les mettre à son service ou les tourner à notre avantage spirituel. De même, seule une inaliénable harmonie d'être, inhérente à une inaliénable unité d'être, pouvait projeter tant de discordes apparentes, et des plus âpres, et cependant les contraindre à servir son dessein, en sorte que finalement elles ne puissent rien faire d'autre que servir et préserver un rythme universel croissant et une suprême harmonie, et même à se transformer en leurs éléments constitutifs. À chaque pas, c'est la Réalité divine que nous pouvons découvrir derrière ce que notre conscience superficielle habituelle, de par sa nature même, nous oblige à appeler non divin; et en un sens" nous avons raison de l'appeler ainsi, car ces apparences sont un voile sur la Perfection divine, un voile nécessaire à présent, mais nullement la forme véritable et complète.
Mais même quand nous regardons ainsi l'univers, nous ne pouvons ni ne devons rejeter comme entièrement et radicalement fausses et irréelles les valeurs que lui donne notre conscience humaine limitée. Car le chagrin, la douleur, la souffrance, l'erreur, la fausseté, l'ignorance, la faiblesse, la méchanceté, l'incapacité, le refus de faire ce qui doit être fait ou le mal faire, les déviations et les négations de la volonté, l'égoïsme, la limitation, la séparation d'avec les autres êtres avec qui nous devrions être un, tout ce qui constitue l'image réelle de ce que nous appelons le mal, sont des faits de la conscience universelle et non des fictions et des irréalités, bien que leur sens intégral ou leur véritable valeur ne correspondent pas à ceux que nous leur attribuons dans notre ignorance. Cependant, cette perception fait partie d'une vraie perception, les valeurs que nous leur accordons sont nécessaires à leur valeur complète. Un aspect de la vérité de ces choses se dévoile lorsque nous pénétrons dans une conscience plus profonde et plus vaste ; car nous découvrons alors l'utilité cosmique et individuelle de ce qui se présente à nous comme une adversité et comme un mal. Car sans l'expérience de la douleur, nous ne pourrions posséder toute la valeur infinie du ravissement divin que cette douleur enfante ; toute ignorance
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est une pénombre enveloppant un orbe de connaissance, chaque erreur suppose la possibilité et l'effort d'une découverte de la vérité ; toute faiblesse, tout échec est une première exploration des océans de pouvoir et de possibilité ; toute division a pour but d'enrichir, par l'expérience des multiples douceurs de l'unification, la joie de l'unité réalisée. Toute cette imperfection est pour nous le mal, mais tout mal est une gestation du bien éternel ; car selon la loi de la vie qui évolue à partir de l'Inconscience, ce monde est une imperfection qui est elle-même la première condition d'une perfection plus grande dans la manifestation de la divinité cachée. Mais en même temps, le sentiment que nous avons de ce mal et de cette imperfection, et la révolte de notre conscience qu'ils suscitent, sont aussi une évaluation nécessaire; car si nous devons d'abord les affronter et les endurer, l'ultime commandement qui nous est donné est de rejeter, de surmonter, de transformer la vie et la nature. C'est pourquoi il ne leur est pas permis de relâcher leur pression ; l'âme doit connaître les conséquences de l'Ignorance, doit commencer de sentir, en leurs réactions, un éperon qui stimule son effort de maîtrise et de conquête, et finalement la pousse à entreprendre une tâche plus grande encore, celle de la transformation et de la transcendance. Il est possible, lorsque nous vivons au-dedans, dans les profondeurs de notre être, d'arriver à un état de vaste égalité, de vaste paix intérieures que n'entament point les réactions de notre nature extérieure, et c'est là une grande libération; mais elle est incomplète, car la nature extérieure, elle aussi, a droit à la délivrance. Cependant, même si notre délivrance personnelle est complète, il reste encore la souffrance d'autrui, les affres du monde, qu'une grande âme ne peut considérer avec indifférence. Il y a une unité avec tous les êtres que quelque chose en nous éprouve, et l'on doit sentir que la délivrance des autres est intimement liée à la nôtre.
Telle est donc la loi de la manifestation, la cause de l'imperfection en ce monde. Sans doute n'est-ce qu'une loi de manifestation, et même une loi particulière à ce mouvement où nous vivons, et nous pouvons dire qu'elle aurait pu ne pas être — s'il n'y avait pas eu de mouvement de manifestation, ou pas ce mouvement-ci; mais la manifestation et le mouvement étant une réalité, la loi est nécessaire. Il ne suffit pas de dire que la loi et toutes ses circonstances sont une irréalité créée par la conscience mentale, qu'elles n'existent pas en Dieu et qu'être indifférent à ces dualités ou sortir de la manifestation pour entrer dans l'être
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pur de Dieu, est la seule sagesse. Il est vrai que ce sont des créations de la. Conscience mentale, mais le Mental ne porte qu'une responsabilité secondaire; dans une réalité plus profonde, elles sont, comme nous l'avons déjà vu, des créations de la Conscience divine projetant le mental hors de sa toute-connaissance de façon à réaliser ces valeurs opposées ou contraires de sa toute-puissance, de sa toute-connaissance, de sa toute-félicité, de sa toute-existence et de son unité. Évidemment, nous pouvons dire que cette action et ces fruits de la Conscience divine sont irréels, en ce sens qu'ils ne sont pas l'éternelle et fondamentale vérité de l'être, ou bien ils peuvent être taxés de fausseté parce qu'ils contredisent ce qui, à l'origine et à la fin, est la vérité de l'être ; néanmoins, ils ont leur réalité et leur importance persistantes dans la phase actuelle de la manifestation. Ils ne peuvent être non plus une simple erreur de la Conscience divine sans aucune signification dans la sagesse divine, sans que la joie, la puissance et la connaissance divines y poursuivent aucun dessein qui justifient leur existence. Il doit y avoir une justification, même si elle repose pour nous sur un mystère qui, tant que nous vivons une expérience de surface, peut nous apparaître comme une énigme insoluble.
Mais si, acceptant cet aspect de la Nature, nous disons que toutes choses sont fixées en leur loi d'être statuée et statique, et que l'homme lui aussi doit rester attaché à ses imperfections, à son ignorance, son péché, sa faiblesse, sa bassesse et sa souffrance, notre vie perd sa vraie signification. L'effort incessant de l'homme pour s'élever hors de l'obscurité et de l'insuffisance de sa nature ne peut alors avoir d'issue dans le monde lui-même, dans la vie elle-même; sa seule issue, .s'il en est une, doit être une fuite hors de la vie, hors du monde, hors de l'existence humaine et, par conséquent, hors de sa loi d'être imparfaite éternellement insatisfaisante, pour entrer dans un paradis des dieux ou de Dieu, dans le pur ineffable de l'Absolu. S'il en était ainsi, l'homme ne pourrait jamais délivrer de l'ignorance et de la fausseté la vérité et la connaissance, du mal et de la laideur le bien et la beauté, de la faiblesse et de la bassesse la puissance et la gloire, du chagrin et de la souffrance la joie et le ravissement que contient l'Esprit, et derrière lesquels il se dissimule; ces contradictions sont les premières conditions adverses et contraires de l'émergence de l'Esprit. Tout ce qu'il peut faire, c'est retrancher de lui les imperfections et dépasser également leurs équivalents opposés, imparfaits eux aussi — abandonner la connaissance humaine en même
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temps que l'ignorance, le bien humain en même temps que le mal, la force et la puissance humaines en même temps que la faiblesse, la joie et l'amour humains en même temps que la souffrance et le conflit ; car dans notre nature actuelle, ils sont inséparablement mêlés, telles des dualités conjointes, pôles négatifs et positifs de la même irréalité, et puisqu'ils ne peuvent être élevés et transformés, il faut les abandonner comme les autres : la nature humaine ne peut s'accomplir en la divinité ; elle doit prendre fin, être abandonnée et rejetée. Que le résultat soit une jouissance individuelle de la nature divine absolue ou de la Présence divine, ou que ce soit un Nirvana dans l'Absolu sans traits, c'est là un point sur lequel religions et philosophies diffèrent : mais dans les deux cas, on doit considérer que l'existence humaine sur la terre est condamnée, à [l'imperfection éternelle de par la loi même de son être; elle est perpétuellement et immuablement une manifestation non divine dans l'Existence divine. En revêtant la nature humaine, peut-être du fait même de sa naissance, l'âme a déchu du Divin, a commis un péché originel ou une erreur originelle que l'homme, dès qu'il est illuminé, doit avoir pour but spirituel d'annuler complètement, d'éliminer sans fléchir.
Dans ce cas, la seule explication raisonnable d'une manifestation ou d'une création aussi paradoxale, serait qu'il s'agit d'un jeu cosmique, d'une Lîlâ, d'un divertissement, d'un amusement de l'Être Divin. Peut-être fait-Il semblant d'être non divin, peut-être assume-t-il cette apparence comme le masque ou le maquillage d'un acteur; pour le seul plaisir de jouer la comédie. Ou bien Il a créé le non-divin, créé l'ignorance, le péché et la souffrance pour la seule joie d'une création multiforme. Ou comme certaines religions le supposent curieusement, peut-être a-t-Il créé tout cela pour que des créatures inférieures puissent Le louer et Le glorifier pour sa bonté, sa sagesse, sa béatitude et son omnipotence éternelles, et qu'elles essayent faiblement de s'approcher d'un pouce de cette bonté pour goûter à la béatitude, sous peine de châtiment — éternel, selon certains — s'ils échouent dans leurs efforts, échec inévitable pour l'immense majorité des hommes en raison même de leurs imperfections. Mais il est toujours possible de répondre, devant des exposés aussi grossiers de cette doctrine de la Lîlâ, qu'un Dieu, Lui-même toute béatitude, qui se délecterait de la souffrance des créatures ou leur imposerait une telle souffrance à cause des erreurs de sa propre création imparfaite, ne serait point une Divinité, et que l'être moral de l'homme, et sa raison, doivent se révolter contre Lui, ou nier
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Son existence. Mais si l'âme humaine est une portion de la Divinité, si c'est un Esprit divin en l'homme qui revêt cette imperfection et, dans ta forme humaine, consent à supporter cette souffrance, ou bien si l'âme en l'humanité doit être attirée vers l'Esprit divin et qu'elle est Son associée dans le jeu de l'imperfection ici-bas, dans la félicité de l'être parfait en d'autres mondes, la Lîlâ peut demeurer paradoxale, mais elle cesse d'être un paradoxe cruel ou révoltant; on peut tout au plus la considérer comme un mystère étrange que la raison ne peut expliquer. Pour l'expliquer, il manque deux éléments : un assentiment conscient de l'âme à cette manifestation, et une raison dans la Toute-Sagesse qui donne un sens au jeu et le rende intelligible.
L'étrangeté du jeu diminue, le paradoxe perd de son acuité si nous découvrons que, même s'il existe des degrés établis, chacun doté d'un ordre naturel approprié, ce ne sont que des marches solides pour une ascension graduelle des âmes incarnées en des formes matérielles, pour une manifestation divine progressive qui, de l'état inconscient, s'élève jusqu'à l'état supraconscient ou intégralement conscient, la conscience humaine étant son point décisif de transition. L'imperfection devient donc un terme nécessaire de la manifestation : car, toute la nature divine étant cachée, mais présente dans l'Inconscient, elle doit peu à peu en être délivrée; cette gradation nécessite un déploiement partiel, et ce caractère partiel ou incomplet du déploiement nécessite l'imperfection, Une manifestation évolutive exige un stade intermédiaire avec des degrés au-dessus et au-dessous — stade représenté justement par la conscience mentale de l'homme avec sa part de connaissance et sa part d'ignorance, pouvoir médian de l'être s'appuyant encore sur l'Inconscient, mais s'élevant lentement vers la Nature divine intégralement consciente. Un déploiement partiel impliquant l'imperfection et l'ignorance peut prendre pour inévitable compagnon, et peut-être pour base de certains mouvements, une perversion apparente de la vérité originelle de l'être. Pour que l'imperfection ou l'ignorance se perpétuent, il faut qu'il y ait le contraire apparent de tout ce qui caractérise la nature divine, son unité, sa conscience et sa puissance totales, son harmonie intégrale, son bien complet, son entière félicité ; il faut qu'apparaissent la limitation, la discorde, l'inconscience, la disharmonie, l'incapacité, l'insensibilité et la"souffrance, le mal. Car sans cette perversion, l'imperfection ne pourrait avoir de base solide, ne pourrait manifester et maintenir sa nature aussi librement face à la présence de la Divinité sous-jacente.
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Une connaissance partielle est une connaissance imparfaite, et une connaissance imparfaite est, dans cette mesure même, une .ignorance, et le contraire de la nature divine ; mais dans sa vision de ce qui dépasse sa connaissance, ce contraire négatif devient un contraire positif : il engendre l'erreur, la fausse connaissance, une relation fausse avec les choses, avec la vie, avec l'action; la fausse connaissance devient volonté fausse dans la nature, fausse d'abord par erreur, peut-être, mais ensuite par choix, par attachement, par la joie du mensonge — le simple contraire se change en une perversion complexe. L'inconscience et l'ignorance une fois admises, elles constituent un résultat naturel dans une suite logique, et nous devons les admettre aussi comme facteurs nécessaires. La seule question est de savoir pourquoi ce genre de manifestation progressive était elle-même nécessaire; c'est le seul point qui demeure obscur pour notre intelligence.
Une manifestation de cet ordre, création-de-soi ou Lîlâ, ne semblerait pas justifiable si elle était imposée à une créature non consentante; mais de toute évidence, l'assentiment de l'esprit incarné doit déjà être là, car la Prakriti ne peut agir sans l'assentiment du Purusha. C'est la volonté du Purusha divin qui, nécessairement, a rendu possible la création cosmique, mais c'est aussi l'assentiment du Purusha individuel qui a rendu possible la manifestation individuelle. On peut dire cependant que la raison d'être de la Volonté divine et de la félicité divine dans cette manifestation progressive, difficile et tourmentée, ainsi que la raison pour laquelle l'âme y consent, demeurent un mystère. Mais ce n'est plus tout à fait un mystère si nous considérons notre propre nature et supposons qu'un mouvement d'être analogue en fut, au commencement, l'origine cosmique. Au contraire, un jeu qui consiste à se cacher et se trouver soi-même est l'une des joies les plus intenses que l'être conscient puisse se donner, un jeu au charme irrésistible. Pour l'homme lui-même, il n'est de plus grand bonheur qu'une victoire qui, en son principe même, est une conquête des difficultés, une victoire de la connaissance, une victoire de la puissance, une victoire de la création sur les impossibilités de la création, un délice dans la conquête obtenue au prix d'un labeur tourmenté et de cruelles épreuves. Après la longue séparation vient la joie intense de l'union, la joie de retrouver un moi dont nous étions séparés. L'ignorance même a un charme, car elle nous donne la joie de la découverte, la surprise d'une création nouvelle et imprévue, une grande aventure de l'âme; il y a une joie du voyage, de
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la quête et de la découverte, une joie de la bataille et de la victoire, du labeur et de sa récompense. Si la joie d'être est le secret de la création, cela aussi ;est une joie d'être; nous pouvons la considérer comme la raison, ou du moins comme une raison de cette Lîlâ apparemment paradoxale et adverse. Mais, à part ce choix du Purusha individuel, il y a une vérité plus profonde inhérente à l'Existence originelle qui trouve son expression dans la plongée au fond de l'Inconscience ; il en résulte une affirmation nouvelle de Satchidânanda en son contraire apparent. Si nous accordons à l'Infini le droit de se manifester sous diverses formes, cela aussi fait partie des possibilités, et, de ce fait, devient intelligible et revêt une profonde signification.
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L'Illusion cosmique ; mental, rêve et hallucination
Toi qui es venu en ce monde transitoire et malheureux, tourne-toi vers Moi.
Gîta. IX. 33.
Ce Moi est un moi de Connaissance, une lumière intérieure dans le cœur; il est l'être conscient commun à tous les états d'être et il se meut dans les deux mondes. Il devient un moi de rêve et passe au-delà de ce monde et de ses formes de mort. (...) Il existe deux plans de cet être conscient, ce monde-ci et les autres; un troisième état est leur lieu de jonction, l'état de rêve, et, quand il se tient en ce lieu de leur jonction, il voit les deux plans de son existence, ce monde et l'autre monde. Quand il dort, il prend la substance de ce monde où existe toute chose, et où lui-même défait et édifie par sa propre illumination, par sa propre lumière; quand cet être conscient dort, il devient lumineux de sa propre lumière. (...) Il n'y a ni routes ni chars, ni joies ni plaisirs, ni bassins ni étangs ni rivières, mais il les crée par sa propre lumière, car il est le bâtisseur. Par le sommeil, il rejette son corps et, sans sommeil, voit ceux qui dorment; par son souffle de vie, il préserve ce nid inférieur et s'élance, immortel, hors de son nid; immortel, il va où il veut, le Purusha d'or, le Cygne solitaire. On dit : " Seul le pays de l'éveil est sien, car les choses qu'il voit quand il est éveillé, sont les seules qu'il voit quand il dort " ; mais là, il est sa propre lumière.
Brihadâranyaka Upanishad. IV. 3. 7,9-12,14.
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Ce qui se voit et ce qui ne se voit pas, ce dont on fait l'expérience et ce dont on ne fait pas l'expérience, ce qui est et ce qui n'est pas — il voit tout, il est tout et il voit. Prashna
Upanishad. IV. 5
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Toute la pensée humaine, toute l'expérience de l'homme mental évolue entre une affirmation et une négation constantes ; pour son mental, il n'y a aucune vérité conceptuelle, aucun résultat d'expérience que l'on ne puisse affirmer, aucun non plus que l'on ne puisse réfuter. Son mental a nié l'existence de l'être individuel, nié l'existence du cosmos, nié l'existence de toute Réalité immanente ou fondamentale, nié toute Réalité au-delà de l'individu et du cosmos; mais il affirme aussi constamment ces choses — tantôt l'une seulement, ou deux d'entre elles, ou toutes en même temps, Il doit agir ainsi, car notre mental pensant est par nature un ignorant qui s'occupe de possibilités ; d'aucune d'entre elles il ne possède la vérité, mais il les sonde et les vérifie tour à tour, ou en traite un grand nombre à la fois dans l'espoir de parvenir ainsi à une certaine croyance, à une certaine connaissance fixes les concernant, et d'aboutir à quelque certitude; mais vivant dans un monde de relativités et de possibilités, il ne peut arriver à rien de définitivement certain, à aucune conviction absolue et durable. Même ce qui est réel ou réalisé peut se présenter à notre mentalité comme quelque chose qui " peut être ou ne pas être ", syâd vâ na syâd vâ, ou comme quelque chose qui " est " à l'ombre de quelque chose qui " aurait pu ne pas être ",et qui revêt l'aspect de ce qui, plus tard, ne sera plus. Notre être vital, lui aussi, souffre de la même incertitude ; il ne peut s'abriter dans aucun but de vie dont il pourrait tirer une satisfaction sûre ou définitive, ou auquel il pourrait assigner une valeur durable. Notre nature part de faits et de réalités qu'elle prend pour réels; elle est poussée au-delà en quête de possibilités incertaines et, finalement, elle est amenée à remettre en question tout ce qu'elle prenait pour réel. Car elle part d'une ignorance fondamentale et ne peut se saisir de vérités assurées ; toutes les vérités sur lesquelles elle s'appuie pendant quelque temps, s'avèrent partielles, incomplètes et contestables.
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Au commencement, l'homme vit dans son mental physique qui perçoit l'actuel, le physique, l'objectif, et l'accepte en tant que fait, et ce fait lui-même comme une vérité évidente en soi et incontestable ; tout ce qui n'est pas actuel, physique, objectif, est pour lui irréel ou pas encore réalisé, et il ne l'accepte comme entièrement réel que dans la mesure où cela a réussi à s'actualiser, à devenir un fait physique, objectif; son propre être, il le considère aussi comme un fait objectif, dont la réalité est garantie par son existence en un corps visible et sensible; tous les autres êtres subjectifs, toutes les autres choses subjectives, il les accepte en se fondant sur la même évidence, à condition qu'ils puissent devenir des objets de notre conscience extérieure ou que cette part de notre raison, qui construit sur les données fournies par cette conscience et s'appuie sur elles comme sur la seule base solide de connaissance, les juge acceptables. La science physique est un vaste prolongement de cette mentalité : elle corrige les erreurs des sens et dépasse les premières limitations du mental sensoriel en découvrant des moyens d'amener dans le champ de l'objectivité des faits et des objets que nos organes physiques ne peuvent saisir ; mais elle possède le même critère de réalité : l'actualité physique objective; est jugé. réel ce qui peut être vérifié par la raison positive et par des preuves objectives.
Mais l'homme possède aussi un mental-de-vie, une mentalité vitale qui est un instrument de désir : cette mentalité ne se satisfait pas de l'actuel, elle traite de possibilités ; elle a la passion de 'la nouveauté et cherche toujours à repousser les limites de l'expérience pour la satisfaction du désir, pour la jouissance, pour mieux s'affirmer et étendre le champ de ses pouvoirs et de ses profits. Elle désire, goûte, possède les actualités, mais recherche également des possibilités irréalisées, s'efforce avec ardeur de les matérialiser, de les posséder et de les apprécier. Elle ne se satisfait pas seulement du physique et de l'objectif, mais cherche aussi une satisfaction et un plaisir subjectifs, Imaginatifs, purement émotifs. N'était ce facteur, le mental physique de l'homme, livré à lui-même, vivrait comme l'animal, acceptant sa vie actuelle immédiate et ses limites comme le sommet de ses possibilités, évoluerait dans l'ordre établi de la Nature matérielle sans rien exiger de plus. Mais ce mental vital, cette volonté-de-vie inquiète intervient avec ses exigences et dérange cette satisfaction inerte ou routinière enfermée dans les limites de l'actuel ; il accroît sans cesse le désir et la faim, suscite une insatisfaction, une agitation, une quête de quelque chose qui dépasse ce que
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la vie semble à même de lui donner ; il permet un élargissement considérable du domaine de l'actualité physique en actualisant nos possibilités irréalisées, mais nous pousse également à exiger toujours davantage, à nous mettre en quête de nouveaux mondes à conquérir, nous incite constamment à dépasser les bornes des circonstances et à nous dépasser nous-mêmes. Cette agitation et cette incertitude augmentent du fait de l'intervention du mental pensant qui examine tout, doute de tout, construit des affirmations pour les détruire ensuite, érige des systèmes de certitudes, mais finalement n'accorde sa foi à aucun, confirme et met en doute le témoignage des sens, suit les conclusions de la raison et les défait à nouveau pour aboutir à des conclusions différentes ou t)S)u,t à fait opposées, et il poursuit ce processus indéfiniment, si ce n'est ad infinitum. Telle est l'histoire de la pensée humaine et de l'effort humain : briser constamment les limites et, en fin de compte, tourner éternellement dans les mêmes spirales, élargies peut-être, mais suivant des, courbes et vers des objectifs identiques ou toujours similaires. Le mental de l'humanité, toujours en quête, toujours dynamique, ne parvient jamais à une réalité fermement établie, qu'il s'agisse des buts et objectifs de la vie ou de ses propres certitudes et convictions, et sa conception de l'existence ne repose jamais sur une base assurée, ne trouve aucune formation solide.
Cette agitation et ce labeur constants peuvent en arriver au point où le mental physique lui-même perd confiance en ses certitudes objectives et tombe dans un agnosticisme qui remet en question toutes ses normes de vie et de connaissance, se demande si tout cela est bien réel, ou, en admettant que ce soit réel, si ce n'est pas futile; le mental vital, déconcerté par la vie, frustré, insatisfait de tous ses plaisirs, envahi par un dégoût et un désenchantement profonds, trouve que tout est vanité et tourment de l'esprit, et il est prêt à rejeter la vie et l'existence comme irréelles, et tout ce qu'il pourchassait comme une illusion. Maya; le mental pensant, défaisant toutes ses affirmations, découvre qu'elles sont de simples constructions mentales dépourvues de toute réalité, ou que la seule réalité est quelque chose au-delà de cette existence, qui n'a été m créé ni construit, quelque chose d'Absolu et d'Éternel — tout ce qui est relatif, tout ce qui est lié au temps est un rêve, une hallucination du mental ou un vaste délire, une immense Illusion cosmique, l'image trompeuse d'une existence apparente. Le principe de négation l'emporte sur le principe d'affirmation et devient universel et absolu. Cette expérience
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est à l'origine des grandes religions et des grandes philosophies qui nient le -monde : la vie se détourne alors de ses propres élans, et l'homme se met en quête d'une autre vie, ailleurs, une vie éternelle et sans défaut, ou bien il cherche à abolir la vie elle-même dans une Réalité immuable ou une Non-Existence originelle. Deux des plus grands penseurs de l'Inde, Bouddha et Shankara, ont exprimé cette philosophie de la négation du monde et lui ont donné une puissance et une valeur suprêmes. À une époque intermédiaire, ou plus tard, d'autres philosophies d'une importance considérable virent le jour, et certaines eurent de nombreux adeptes, car elles étaient formulées avec beaucoup de perspicacité par des hommes de génie, doués d'une intuition spirituelle, et mettaient en doute, avec plus ou moins de puissance et de succès, les conclusions de ces deux grands systèmes métaphysiques; mais nulle n'a été exposée, présentée avec une égale vigueur, nulle n'était inspirée par d'aussi fortes personnalités, et nulle n'a eu une aussi large influence. L'esprit de ces deux remarquables philosophies spirituelles — car Shankara, dans le développement historique du mental philosophique de l'Inde, intégré et complète le Bouddha, et prend sa place — a puissamment marqué la pensée, la religion et la mentalité générale de l'Inde; partout l'on sent encore planer son ombre immense, partout se voit l'empreinte des trois grandes formules : la chaîne du Karma, la roue de la renaissance à laquelle il faut échapper, et la Maya. Il est donc nécessaire de jeter un regard neuf sur l'Idée ou la Vérité qui se trouve derrière la négation de l'existence cosmique et d'examiner, fût-ce brièvement, la valeur de ses formulations ou de ses suggestions principales, sur quelle réalité elles s'appuient, dans quelle mesure elles sont déterminantes pour la raison ou l'expérience. Pour le moment, il suffira de passer rapidement en revue les idées majeures associées à cette conception de la grande Illusion cosmique. Maya, et de leur opposer celles qui relèvent de notre propre ligne de pensée et de vision; car ces deux courants de pensée découlent d'une même conception de la Réalité Unique, mais l'un conduit à un Illusionnisme universel, l'autre à'un Réalisme universel —un univers irréel ou réel-irréel reposant sur une Réalité transcendante, ou un univers réel reposant sur une Réalité à la fois universelle et transcendante ou absolue.
.'L'aversion de l'être vital, le recul du mental vital devant la vie ne peuvent être tenus pour des preuves suffisamment valables ou concluantes. Ils sont essentiellement motivés par un sentiment :de
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déception et par une acceptation de l'échec, qui n'a aucune raison de se croire plus probant que l'invariable espoir, la foi et la volonté réalisatrice de l'idéaliste animé de sentiments opposés. Néanmoins, le mental n'a pas tout à fait tort de soutenir ce sentiment d'échec, ni de percevoir finalement qu'il y a une illusion derrière tout effort humain et toute tentative terrestre, l'illusion de ses évangiles politiques et sociaux, l'illusion de son éthique qui aspire à la perfection, l'illusion de la philanthropie et du service, l'illusion des œuvres, l'illusion de la renommée, du pouvoir, du succès, l'illusion de tout accomplissement. L'effort humain, social et politique tourne toujours en rond et ne mène nulle part; la vie et la nature de l'homme demeurent toujours les mêmes, toujours imparfaites; ni les lois, ni les institutions, ni l'éducation, ni la philosophie, ni la moralité, ni les enseignements religieux n'ont réussi à produire l'homme parfait, et encore moins une humanité parfaite — redressez la queue du chien autant que vous voudrez, comme on dit, elle reviendra toujours à sa forme tordue. L'altruisme, la philanthropie et le service, l'amour chrétien et la compassion bouddhique n'ont pas rendu le monde un iota plus heureux ; ils procurent seulement, ça et là, quelques particules infinitésimales de soulagement momentané, jettent quelques gouttes d'eau sur le feu de la souffrance du monde. Tous les buts s'avèrent en fin de compte transitoires et futiles, tous les accomplissements insatisfaisants ou évanescents ; que sont toutes nos œuvres sinon beaucoup de dur labeur, de succès et d'échecs qui n'aboutissent à rien de définitif; tous les changements qui se font dans la vie humaine ne sont que des changements de forme, et ces formes se suivent en une ronde futile ; quant à l'essence de la vie, son caractère général reste à jamais le même. Cette vision des choses est peut-être exagérée, mais elle a une force indéniable ; elle est soutenue par l'expérience humaine séculaire et porte en elle une signification qui, un jour ou l'autre, s'impose à l'esprit comme une évidence indiscutable. Et ce n'est pas tout. S'il est vrai que les lois et les valeurs fondamentales de l'existence terrestre sont fixées ou que celle-ci est condamnée à suivre perpétuellement des cycles récurrents — idée qui, pendant longtemps, fut largement répandue —, alors il n'est guère possible d'échapper finalement à cette vision des choses. Car l'imperfection, l'ignorance, l'échec et la souffrance sont un facteur dominant de l'ordre actuel du monde, et les éléments opposés, connaissance, bonheur, succès, perfection se révèlent constamment trompeurs ou aléatoires : les deux contraires sont si inextricablement mêlés que l'on est presque obligé d'en conclure -—si cet état de choses
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n'est pas un mouvement vers un plus grand accomplissement, si c'est le caractère permanent de l'ordre du monde — que tout ici-bas est ou bien la création d'une Énergie inconsciente — ce qui expliquerait l'incapacité d'une conscience apparente à réaliser quoi que ce soit —, ou bien un monde d'épreuve et d'échec créé intentionnellement, et dont l'issue ne se trouve pas ici-bas mais ailleurs, ou même, si ce n'est pas une vaste Illusion cosmique sans aucun but.
Parmi ces conclusions alternatives, la seconde, telle qu'on nous la présente habituellement, n'offre aucune base solide pour la raison philosophique, puisqu'elle ne nous donne aucune indication satisfaisante Sur le lien entre l'ici et l'ailleurs, que l'on suppose antagonistes sans expliquer le caractère inévitable de leurs relations, et ne jette aucune lumière sur la nécessité ou la signification fondamentale de l'épreuve et de l'échec. Ces choses ne pourraient être intelligibles — hormis la mystérieuse volonté d'un Créateur arbitraire — que si des esprits immortels avaient choisi de tenter l'aventure de l'Ignorance et qu'il leur eût été nécessaire de faire l'apprentissage de la nature d'un monde d'Ignorance afin de pouvoir la rejeter. Mais ce mobile créateur, nécessairement fortuit et d'une incidence tout à fait temporaire, dont la terre serait le champ d'expérience accidentel, ne pourrait guère suffire à expliquer l'immense et durable phénomène de cet univers complexe. Il pourrait jouer un rôle positif dans une explication satisfaisante, à condition que ce monde soit le champ de réalisation d'un plus vaste mobile créateur, la manifestation d'une Vérité divine ou d'une divine Possibilité en laquelle, dans certaines conditions, une Ignorance initiale interviendrait comme un facteur nécessaire, et si cet univers était organisé de telle sorte que l'Ignorance se Voie contrainte de progresser vers la Connaissance, la manifestation imparfaite de croître vers la perfection, l'échec de servir d'échelon vers la victoire finale, la souffrance de préparer l'émergence de la Joie d'Être divine. En ce cas, le sentiment de déception, d'échec, d'illusion et de la vanité de toutes choses ne serait pas fondé; car les aspects qui semblent le justifier ne seraient que les circonstances naturelles d'une difficile évolution : toute la tension de la lutte et de l'effort, du succès et de l'échec, de la joie et de la souffrance, le mélange d'ignorance et de connaissance, seraient une expérience nécessaire pour que l'âme, le mental, la vie et l'élément physique croissent en la pleine lumière d'un être spirituel accompli. Cela se révélerait être le processus d'une
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manifestation évolutive ; il n'y aurait aucun besoin de faire intervenir le fiât d'une Omnipotence arbitraire ou une Illusion cosmique, là fantaisie d'une Maya dénuée de sens.
Mais la philosophie de la négation du monde s'appuie également sur une base mentale et spirituelle supérieure, et nous nous trouvons ici sur un terrain plus solide : car on peut soutenir que le monde, en sa nature même, est une illusion, et l'on aura beau raisonner sur les caractères et les circonstances de cette Illusion, rien ne saurait la justifier ni en faire une Réalité — il n'existe qu'une Réalité, la transcendante, la supracosmique : même si notre vie devait se changer en une vie de dieux, nul accomplissement ne ' pourrait annuler' ou abolir l'irréalité originelle qui en est le caractère fondamental, car cet accomplissement ne serait que la face lumineuse d'une Illusion. Ou même, sans être absolument une illusion, ce serait une réalité d'un ordre inférieur qui devrait prendre fin dès que l'âme reconnaîtrait que le Brahman seul est vrai, qu'il n'y a rien d'autre que l'Absolu transcendant et immuable. Si c'est là l'unique Vérité, alors le sol s'effondre sous nos pieds; la Manifestation divine, la victoire de l'âme dans la Matière, sa maîtrise de l'existence, la vie divine dans la Nature, tout cela serait un mensonge, ou du moins quelque chose de pas absolument réel imposé pour un temps à la seule Réalité véritable. Mais ici, tout dépend de la conception mentale de la Réalité, ou de l'expérience qu'en fait l'être mental; ainsi que de la valeur de cette conception et du caractère impératif de cette expérience — et même s'il s'agit d'une expérience spirituelle, nous devons voir dans quelle mesure elle est absolument concluante ou la seule à s'imposer d'une manière aussi indiscutable.
Bien que ce ne soit pas le point de vue généralement admis, on considère parfois l'Illusion cosmique comme quelque chose qui aurait le caractère d'une expérience subjective irréelle; elle est alors — ou pourrait être — une représentation de formes et de mouvements émergeant dans le sommeil éternel des choses ou dans une conscience de rêve, et provisoirement imposée à une pure Existence consciente de soi et sans traits; c'est un rêve qui se déroule dans l'Infini. Dans les philosophies des Mâyâvâdins —car il existe plusieurs systèmes dont la base est similaire, mais qui ne coïncident pas entièrement ni en tous points —, on trouve la même analogie avec le rêve, mais c'est seulement une analogie, cela ne représente pas le caractère intrinsèque de l'illusion du monde.
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Le mental physique pragmatique a du mal à admettre l'idée que nous-mêmes, le monde et la vie, seules choses dont notre conscience témoigne avec certitude. Soient inexistants, une tromperie que cette conscience nous impose. On propose certaines analogies, notamment celles du rêve et de l'hallucination, afin de montrer que les expériences de la conscience peuvent paraître réelles à celle-ci, bien qu'elles s'avèrent dépourvues de toute base, ou de base suffisante, dans la réalité ; de même qu'un rêve est réel pour le rêveur aussi longtemps qu'il dort, mais se révèle irréel quand il s'éveille, de même notre expérience du monde nous semble positive et réelle mais, lorsque nous nous distançons de l'illusion, nous constatons qu'elle n'avait aucune réalité. Cependant, nous ferons bien de donner sa pleine valeur à l'analogie du rêve, afin de voir si notre perception de l'expérience du monde a, de quelque façon, une base similaire. Car l'idée que le monde est un rêve, que ce soit un rêve du mental subjectif ou un rêve de l'âme ou un rêve dans Éternel, est souvent contemplée et elle renforce puissamment, dans les sentiments et la pensée des hommes, la tendance à croire que tout est illusion. Si cette analogie ne se justifie pas, nous devrons le montrer clairement et distinguer les raisons pour lesquelles elle n'est pas applicable afin de l'écarter complètement ; si elle se justifie en partie, nous devrons déterminer ce qui en fait la valeur et quelle en est la limite. Et si nous affirmons que le monde est une illusion, mais pas l'illusion d'un rêve, nous devrons établir cette nouvelle distinction sur une base solide.
Nous ressentons d'abord l'irréalité du rêve, car tout rêve a une fin et perd sa validité quand nous passons de cet état de conscience à l'autre, qui est notre état normal. Mais ce n'est pas en soi une raison suffisante : car différents états de conscience peuvent fort bien exister, chacun possédant ses propres réalités; si la conscience d'un état de choses s'estompe et que son contenu se perd ou, même si nous en conservons la mémoire, s'il nous semble néanmoins illusoire dès que nous passons dans un autre état, cela peut être parfaitement normal, mais ne prouve pas la réalité de notre état présent et l'irréalité de l'état que nous venons de quitter. Si les circonstances terrestres commencent à paraître irréelles à une âme qui passe dans un monde différent ou dans un autre plan de conscience, cela ne prouve pas leur irréalité ; de même, le fait que l'existence du monde nous semble irréelle quand nous passons dans le silence spirituel ou dans quelque Nirvana, ne suffit pas à prouver que le cosmos ait toujours été une illusion. Le monde est réel pour la
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conscience qui y demeure, une existence inconditionnée est réelle pour la conscience absorbée dans le Nirvana; c'est tout ce que cela prouve. Mais la seconde raison pour ne pas ajouter foi à nos expériences dans le sommeil est qu'un rêve est évanescent, il n'a pas d'antécédent et pas de suite; et en outre, il est d'ordinaire dépourvu de cohérence suffisante et de signification intelligible pour notre être éveillé. Si nos rêves revêtaient, comme notre existence diurne, une certaine cohérence, chaque nuit reprenant et poursuivant dans le sommeil une expérience passée, de façon continue, chaque expérience se reliant aux précédentes, comme nous reprenons chaque jour le fil de notre expérience du monde à l'état de veille, alors les rêves prendraient, pour notre mental, un tout autre caractère. Il n'y a par conséquent aucune analogie entre les rêves et l'existence de veille; ce sont des expériences d'une nature, d'une valeur et d'un ordre tout à fait différents. On reproche à notre vie d'être évanescente, et souvent aussi de manquer, dans l'ensemble, de cohérence et d'une signification intérieures; mais si cette signification demeure incomplète, c'est peut-être dû à un manque de compréhension de notre part, ou à une compréhension limitée; en fait, quand nous nous intériorisons et commençons à voir la vie du dedans, elle revêt une signification complète et intelligible ; en même temps, tout ce qui était auparavant perçu comme un manque de cohérence intérieure disparaît, et nous voyons que cela était dû à l'incohérence de notre propre vision et de notre propre connaissance intérieures et n'est absolument pas un caractère de la vie. Il n'y a pas d'incohérence de surface dans la vie, celle-ci apparaît plutôt à notre mental comme un enchaînement de séquences déterminées et, si c'est là une illusion mentale comme on le prétend parfois, si la séquence est créée par notre mental et n'existe pas en fait dans la vie, cela ne supprime pas la différence entre les deux états de conscience. Car dans le rêve, la cohérence assurée par la conscience intérieure observatrice est absente, et s'il y a un sentiment de continuité, il provient d'une vague et fausse imitation des séquences de la vie de veille, à un mimétisme subconscient; mais cette séquence imitative est imprécise et imparfaite, elle n'est pas fiable et finit toujours par se briser, ou fait souvent totalement défaut. Nous voyons aussi que la conscience de rêve semble entièrement privée du contrôle que la conscience de veille exerce jusqu'à un certain point sur les circonstances de la vie ; elle a l'automatisme naturel d'une construction subconsciente, et rien de la volonté consciente et de la force d'organisation du mental évolué de l'être humain. Par contre, l'évanescence d'un rêve est radicale
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et il n'y a aucun lien entre un rêve et un autre, tandis que l'évanescence de la vie de veille tient aux détails — rien ne prouve en effet que la totalité cohérente de l'expérience du monde le soit elle aussi. Nos corps périssent, mais les âmes progressent de naissance en naissance au fil des siècles : même si étoiles et planètes disparaissent après des âges ou de nombreux cycles de lumière, il est fort possible que l'univers et l'existence cosmique aient une activité, non seulement continue, ce qui paraît certain, mais permanente; rien ne prouve que l'Énergie Infinie qui la crée ait une fin ou un commencement, pas plus elle-même que son action. La disparité entre la vie de rêve et la vie éveillée est encore trop grande pour que l'analogie soit applicable.
On peut toutefois se demander si nos rêves sont vraiment et totalement irréels et dénués de signification, s'ils ne sont pas une forme, un enregistrement d'images ou encore une transcription ou une représentation symbolique de choses qui sont réelles. Pour y répondre nous devons examiner, fût-ce sommairement, la nature du sommeil et des phénomènes de rêve, comment ils surgissent et d'où ils proviennent. Dans le sommeil, notre conscience se retire du champ de ses expériences de veille ; on suppose qu'elle est au repos, suspendue ; mais c'est là une vue superficielle. Ce qui est en suspens, ce sont les activités de veille, ce qui est au repos, c'est le mental de surface et l'action consciente habituelle de nos éléments corporels ; mais la conscience intérieure n'est pas suspendue, elle s'engage dans de nouvelles activités intérieures, dont seulement une partie, qui se déroule ou s'enregistre en nous dans un élément proche de la surface, nous reste en mémoire. Ainsi se maintient dans le sommeil, presque en surface, un élément obscur, subconscient, qui sert de réceptacle ou de passage pour nos expériences de rêve et qui est lui-même un bâtisseur de rêves ; mais derrière, se trouve la profondeur et la masse du subliminal, la totalité de notre être et de notre conscience intérieurs et cachés, qui est d'un tout autre ordre. Normalement c'est une part subconsciente en nous, intermédiaire entre la conscience et l'inconscience pure, qui, à travers cette couche superficielle, envoie ses formations sous forme de rêves, de constructions marquées par une incohérence et un illogisme apparents. Nombre de ces rêves sont des structures fugitives édifiées sur les circonstances de notre vie présente, qui semblent choisies au hasard et sont entourées de tout un jeu fantaisiste de variations ; d'autres rappellent le passé, ou plutôt des circonstances et des personnes choisies dans le passé qui lui servent
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de point de départ pour des constructions tout aussi éphémères. Il y a d'autres rêves du subconscient qui semblent être de pures fantaisies sans aucune origine ou fondement de ce genre ; mais la nouvelle méthode de la psychanalyse, qui tente pour la première fois d'explorer nos rêves avec un certain esprit scientifique, a établi dans ce domaine un système de significations, une clef pour ce qui, en nous, demande à être connu et traité par la conscience de veille ; cela suffit à changer tout le caractère et toute la valeur de notre expérience onirique. On commence à deviner la présence de quelque chose de réel derrière ces expériences, d'un élément qui aurait en outre une importance pratique non négligeable.
Mais le subconscient n'est pas le seul bâtisseur de nos rêves. Lé subconscient est l'ultime frontière de notre existence intérieure secrète, la limite où elle touche l'Inconscient, c'est un degré de notre être où l'Inconscient s'efforce d'atteindre une semi-conscience; la conscience physique de surface, quand elle retombe du niveau de veille et régresse vers l'Inconscient, se retire elle aussi dans cette subconscience intermédiaire. Ou, d'un autre point de vue, on peut décrire cette partie inférieure de notre être comme l'antichambre de l'Inconscient par laquelle ses 'formations s'élèvent jusqu'à notre être 'dé veille Ou nôtre être subliminal. Lorsque nous dormons et que la partie physique de surface en nous — qui, en son origine première, est ici un produit de l'Inconscient —, retombe dans l'inconscience dont elle est issue, elle entre dans cet élément subconscient, antichambre ou substrat, où elle trouve les impressions de ses habitudes mentales et de ses expériences passées ou persistantes, car toutes ont laissé leur marque sur notre subconscient et y Ont un pouvoir de récurrence. Quand elle agit sur notre moi de veille, cette récurrence prend souvent la forme d'une réaffirmation d'anciennes habitudes, d'impulsions endormies ou refoulées, d'éléments de la nature qui ont été rejetés, ou bien elle apparaît sous une autre forme plus difficilement reconnaissable, résultat singulier, déguisé ou subtil, de ces impulsions ou de ces éléments réprimés ou rejetés, mais non point effacés. Dans la conscience de rêve, le phénomène est une construction apparemment fantaisiste, un composé d'images et de mouvements bâtis sur les impressions enfouies, ou autour d'elles, et dont le sens échappe à l'intelligence de veille, car celle-ci ne possède pas la clef du système de signification du subconscient. Après un certain temps, cette activité subconsciente semble à nouveau sombrer dans une complète inconscience, et nous parlons de cet état comme d'un profond
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sommeil sans rêves ; de là, nous émergeons à nouveau dans des rêves peu profonds ou nous retournons à la surface de veille.
Mais en fait, dans ce " sommeil sans rêves ", comme nous l'appelons, nous avons atteint une couche plus profonde et plus dense du subconscient, un état trop involué, trop enfoui ou trop obscur, amorphe et pesant pour que nous puissions ramener ses structures à la surface, et nous rêvons dans cet état, mais sans pouvoir saisir ou retenir, dans la couche enregistreuse de la: subconscience, ces images de rêve plus obscures. Ou bien il se peut que la partie de notre mental qui demeure encore active pendant le sommeil du corps soit entrée dans les domaines intérieurs de notre être, le mental subliminal, le vital subliminal, le physique subtil, et y ait perdu tout lien actif avec les parties superficielles. Si nous demeurons dans les premières couches de ces régions, le subconscient de surface, qui est l'état de veille du sommeil, enregistre une partie de notre expérience dans ces profondeurs ; mais c'est sa propre transcription qu'il enregistre, et elle est souvent altérée par des incohérences caractéristiques et, même quand elle est le plus cohérente, est toujours déformée ou coulée dans des formes tirées du monde de l'expérience de veille. Mais si nous avons plongé plus profondément au-dedans, l'enregistrement ne se fait plus ou ne peut être récupéré, et nous avons l'illusion d'une absence de rêves ; cependant, l'activité de la conscience intérieure de rêve se poursuit derrière le voile de la surface subconsciente, maintenant muette et inactive. Cette activité onirique incessante se révèle à nous lorsque nous devenons plus conscients intérieurement, car nous entrons alors en rapport avec une couche subconsciente plus épaisse et plus profonde et nous pouvons percevoir — au moment même, ou en le reconstituant ou le recouvrant par la mémoire — ce qui s'est passé quand nous avons sombré dans ces abîmes de torpeur. Nous pouvons aussi atteindre à une conscience plus profonde dans notre moi subliminal et nous devenons alors conscients des expériences qui se déroulent sur d'autres plans de notre être ou même dans des mondes supraphysiques auxquels le sommeil nous donne secrètement accès. Une transcription de ces expériences nous parvient; mais ici le transcripteur n'est pas le subconscient, c'est le subliminal, qui est un plus grand bâtisseur de rêves.
Si le subliminal vient ainsi au premier plan dans notre conscience de rêve, notre intelligence subliminale s'éveille parfois — le rêve devient
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une série de pensées, souvent représentées de façon étrange ou frappante, des problèmes que notre conscience de veille ne pouvait résoudre sont résolus, des avertissements, des prémonitions, des indications du futur, des songes véridiques remplacent l'incohérence subconsciente habituelle. On peut aussi voir apparaître une structure d'images symboliques, les unes d'un caractère mental, les autres d'une nature vitale : les premières ont des formes précises, une signification claire ; les secondes sont souvent complexes et déroutantes pour notre conscience de veille, mais, si nous pouvons en saisir le fil conducteur, leur sens propre et leur logique singulière se révèlent. Finalement, certains événements auxquels nous avons assisté ou dont nous avons eu l'expérience sur d'autres plans de notre être ou de l'être universel en lequel nous pénétrons, et qui se sont enregistrés en nous, peuvent nous revenir en mémoire : ces souvenirs ont parfois, comme les rêves symboliques, un lien puissant avec notre vie intérieure et extérieure, ou avec la vie d'autrui; ils révèlent des éléments de notre être mental et vital, ou du leur, ou dévoilent des influences que cet être a subies et que notre moi de veille ignore complètement; parfois, cependant, ce lien n'existe pas, ce sont simplement les enregistrements d'autres systèmes organisés de conscience indépendants de notre existence physique. Les rêves subconscients constituent la majeure partie de notre expérience de sommeil la plus courante, et ce sont les rêves dont nous nous souvenons en général; mais le bâtisseur subliminal est parfois capable d'impressionner suffisamment notre conscience de sommeil pour imprimer ses activités sur notre mémoire de veille. Si nous développons notre être intérieur, si nous vivons plus profondément au-dedans que ne le font la plupart des hommes, alors l'équilibre change et une plus vaste conscience de rêve s'ouvre devant nous ; nos rêves peuvent revêtir un caractère subliminal et non plus subconscient, et assumer une réalité et une signification.
Il est même possible de devenir entièrement conscient dans le sommeil et de suivre, du début jusqu'à la fin ou sur de vastes étendues, les étapes de notre expérience de rêve ; nous constatons alors que nous nous sentons passer d'un état de conscience à un autre, jusqu'à une courte phase de repos lumineux et paisible, sans rêves, véritable restaurateur des énergies de la nature de veille, puis revenir par le même chemin à la conscience éveillée. Il est normal, quand nous passons ainsi d'un état à un autre, que les expériences précédentes nous échappent ; au retour,
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nous ne nous souvenons que des plus vives ou des plus proches de l'état de veille superficiel ; on peut toutefois y remédier -— il est possible de retenir davantage, ou de développer le pouvoir de remonter dans la mémoire, de rêve en rêve, d'état en état, jusqu'à ce que nous ayons :à nouveau la vision de l'ensemble. Une connaissance cohérente de la vie .de sommeil, bien que difficile à acquérir ou à conserver, est possible.
Notre moi subliminal n'est pas, comme notre être physique de surface, un produit de l'énergie de l'Inconscient; c'est un point de rencontre entre la conscience qui émerge d'en bas par l'évolution, et la conscience qui descend des hauteurs pour l'involution. Nous trouvons en lui un mental intérieur, un être vital intérieur, un être physique-subtil ou intérieur plus large que notre être et notre nature extérieurs. Cette existence intérieure est l'origine secrète de presque tout ce qui, dans notre moi de surface, n'est ni une construction de l'Énergie cosmique inconsciente, ni un fonctionnement naturel développé de notre conscience de surface, ni une réaction de cette conscience aux impacts de la Nature universelle extérieure — et le subliminal participe même à cette construction, à ces fonctionnements, à ces réactions, et il exerce sur eux une influence considérable. Nous y trouvons une conscience qui a le. pouvoir d'établir un contact direct avec l'universel, à la différence des contacts surtout indirects que notre être de surface maintient avec l'univers par l'intermédiaire du mental sensoriel et des sens. Noms y trouvons des sens intérieurs, une vision subliminale, un toucher Subliminal, une ouïe subliminale ; mais ces sens subtils sont des canaux que l'être intérieur utilise pour prendre directement conscience des choses, plutôt que des informateurs : le Subliminal ne dépend pas de ses sens pour sa connaissance, ceux-ci ne font que donner une forme à son expérience directe des choses ; ils ne transmettent pas, autant que dans le mental de veille, les formes des objets destinés à servir de documentation pour le mental, ou de point de départ ou de base pour une expérience constructive indirecte. Le subliminal a un droit d'accès aux plans mental, vital et physique-subtil de la conscience universelle, il n'est pas limité au plan matériel et au monde physique ; il possède des moyens de communication avec les mondes d'être que la descente vers l'involution a créés au ' cours de son passage, et avec tous les plans ou mondes correspondants qui ont pu s'élever ou se construire pour servir le dessein de la réascension depuis l'Inconscience jusqu'à la Supraconscience. C'est en ce vaste royaume de l'existence intérieure que notre mental et notre être vital se
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réfugient quand ils se retirent des activités de surface, que ce soit par le sommeil, par une concentration profonde ou par cette plongée intérieure qu'est la transe.
Notre conscience de veille ne perçoit pas ce lien avec l'être subliminal, bien que, sans en connaître le lieu d'origine, elle en reçoive les inspirations, les intuitions, les idées, les suggestions de la volonté et des sens, l'élan vers l'action, qui viennent des plans situés au-dessous ou derrière notre existence superficielle limitée. Comme la transe, le sommeil nous ouvre la porte du subliminal ; car dans le sommeil, comme dans la transe, nous nous retirons derrière le voile de l'étroite personnalité de veille, et c'est derrière ce voile que se trouve l'existence du subliminal. Mais nous recevons les enregistrements de notre expérience de sommeil par l'intermédiaire du rêve et sous les formes du rêve, et non pas dans cet état que nous pourrions appeler un éveil intérieur, et qui est la forme la plus accessible de l'état de transe, ni par des clartés supranormales de vision, et d'autres moyens plus lumineux et concrets de communication que développe la cognition intérieure subliminale quand elle établit un rapport conscient, habitue.1 ou occasionnel, avec notre moi de veille. Le subliminal, avec le subconscient comme annexe — car le subconscient fait également partie de l'entité derrière le voile — est le voyant des choses intérieures et des expériences supraphysiques ; le subconscient de surface n'est qu'un transcripteur. C'est pour cette raison que l'Upanishad parle de l'être subliminal comme du Moi de Rêve, car c'est normalement dans les rêves, les visions, les états où nous sommes absorbés dans l'expérience intérieure, que nous y pénétrons et prenons part à ses expériences — et elle décrit le supraconscient comme le Moi de Sommeil parce que, normalement, toutes les expériences mentales ou sensorielles cessent quand nous entrons dans cette supraconscience. Car dans la transe plus profonde où le contact du supraconscient plonge notre .mentalité, aucun enregistrement ou aucune transcription de son contenu ne peut normalement nous parvenir ; ce n'est que par un développement spécial ou inhabituel, dans un état supranormal ou par une brèche ou une fissure dans la normalité où nous sommes confinés, que nous pouvons, à la surface, devenir conscients des contacts ou des messages de la Supraconscience. Mais en dépit de ces appellations imagées — état de rêve et état de sommeil —, le champ de ces deux états de conscience était clairement considéré comme un domaine aussi réel que celui de l'état de veille où les mouvements de notre conscience perceptive
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sont un enregistrement ou une transcription de choses physiques et de nos contacts avec l'univers physique. Ces trois états peuvent certes être classés comme des parties d'une illusion, les expériences que nous en avons peuvent être réunies et disposées comme des constructions d'une conscience illusoire, notre état de veille n'étant pas moins illusoire que notre état de rêve ou notre état de sommeil, puisque la seule vérité vraie ou la seule réalité réelle est l'incommunicable Moi ou Unique Existence (Âtman, Advaïta), le quatrième état du Moi que décrit le Védânta. Mais il est également possible de les considérer et de les classer comme trois ordres différents d'une seule Réalité ou comme trois états de conscience où prend forme notre contact avec trois degrés différents de l'expérience de soi et de l'expérience du monde.
Si l'expérience de rêve est bien telle que nous venons de la décrire, alors les rêves ne peuvent plus être tenus pour de simples représentations irréelles de choses irréelles, qui s'imposeraient provisoirement à notre semi-inconscience comme une réalité ; par conséquent, l'analogie s'avère inadéquate, même en tant que support illustrant la théorie de l'Illusion cosmique. On peut affirmer toutefois que nos rêves ne sont pas eux-mêmes des réalités, mais seulement une transcription de la réalité, un système d'images-symboles et que, de la même manière, notre expérience de l'univers, à l'état de veille, n'est pas une réalité mais seulement une transcription de la réalité, une série de collections d'images-symboles. Cette affirmation se justifie dans la mesure où notre vision première de l'univers physique repose effectivement sur un système d'images imprimées ou imposées à nos sens; on peut également admettre que dans un certain sens et d'un certain point de vue, nos expériences et nos activités peuvent être considérées comme les symboles d'une vérité que nos vies cherchent à exprimer, mais avec un succès encore limité et une cohérence imparfaite. Si c'était tout, on pourrait décrire la vie comme une expérience de rêve, l'expérience du moi et des choses dans la conscience de l'Infini. Mais bien que la preuve première de l'existence des objets de l'univers consiste en une structure d'images sensorielles, celles-ci sont complétées, validées, organisées par une intuition automatique, dans notre conscience, qui relie immédiatement l'image à la chose imagée et fait l'expérience tangible de l'objet, en sorte que nous ne regardons pas ou ne lisons pas simplement une traduction ou une transcription de la réalité par les sens, mais regardons la réalité elle-même à travers l'image sensorielle. Cette adéquation est
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encore amplifiée par l'action de la raison qui sonde et comprend la loi des choses perçues et peut observer scrupuleusement la transcription des sens et en corriger les erreurs. Nous pouvons donc dire, pour conclure, que nous faisons l'expérience d'un univers réel, grâce à une transcription sensorielle imagée, et avec l'aide de l'intuition et de la raison — une intuition qui nous met en contact avec les choses et une raison qui examine leur vérité par sa connaissance conceptuelle. Mais nous devons également noter que, même si notre vision imagée de l'uni' vers, notre transcription sensorielle, est un système de représentations symboliques et non pas une reproduction ou une transcription exactes, une traduction littérale, il n'en est pas moins vrai qu'un symbole est une notation de quelque chose qui existe, une transcription de réalités. Même si nos images sont incorrectes, ce sont des réalités et non des illusions qu'elles s'efforcent de représenter; quand nous voyons un arbre, une pierre ou un animal, ce n'est pas une forme non existante, une hallucination que nous voyons ; nous pouvons ne pas être sûrs que l'image soit exacte, admettre que d'autres sens pourraient fort bien la voir autrement, mais il y a néanmoins quelque chose qui justifie l'image, une certaine correspondance. Mais, selon l'illusionnisme, la seule réalité est une pure Existence indéterminable et sans traits, Brahman; et il n'est pas possible qu'elle soit traduite, bien ou mal, en un système de formes-symboles, car il faudrait pour cela que cette Existence possède des contenus déterminés ou des vérités non manifestées de son être qui pourraient être transcrites en les formes ou ;les noms que leur donne notre conscience : un pur Indéterminable ne peut être transcrit, traduit par une multitude de différenciations représentatives, une profusion de symboles ou d'images ; car il ne s'y trouve qu'une Identité pure, il n'y a rien à transcrire, rien à symboliser, rien à figurer. L'analogie avec le rêve ne nous est donc d'aucun secours, et mieux vaut l'écarter ; on peut toujours y recourir comme à une métaphore frappante, décrivant une certaine attitude de notre mental vis-à-vis de ses expériences, mais elle n'a aucune valeur pour une recherche métaphysique sur la réalité et les significations fondamentales de l'existence ou sur son origine.
Si nous examinons maintenant l'analogie de l'hallucination, nous constatons qu'elle ne nous aide pas beaucoup plus que celle du rêve à comprendre vraiment la théorie de l'Illusion cosmique. Les hallucinations sont de deux sortes, mentales ou idéatives et visuelles ou, d'une certaine façon, sensorielles. Lorsque nous voyons l'image d'une chose
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là où cette chose n'existe pas, c'est une construction erronée des sens, une hallucination visuelle ; lorsque nous prenons pour un fait objectif ce qui n'est qu'une structure subjective du mental, une construction mentale fausse ou une imagination objectivée, ou bien une image mentale décalée, c'est une hallucination mentale. Le mirage est un exemple de la première, l'image classique de la corde prise pour un serpent, un exemple de la seconde. Nous pouvons noter en passant qu'on appelle hallucinations nombre de choses qui n'en sont pas réellement, qui sont plutôt des images symboliques remontant du subliminal, ou des expériences où la conscience ou la perception subliminale vient à la surface et nous met en contact avec des réalités supraphysiques ; ainsi la conscience cosmique a-t-elle été classée parmi les hallucinations, bien qu'on ait en même temps reconnu qu'elle nous permet, en abolissant nos limitations mentales, d'accéder à la perception d'une vaste réalité. Mais si l'on ne considère que l'hallucination ordinaire, mentale ou visuelle, nous remarquons qu'elle paraît être, à première vue, un bon exemple de ce que l'on appelle imposition dans la théorie philosophique : une représentation irréelle des choses est plaquée sur une réalité, un mirage sur l'air d'un désert nu, l'image d'un serpent non existant sur une corde existante et réelle. Nous pouvons certes soutenir que le monde est une hallucination de ce genre, l'imposition d'une image non existante et irréelle sur la seule réalité vierge et toujours présente du Brahman. Mais nous notons alors que, dans chaque cas, l'hallucination, l'image fausse, n'est pas celle d'une chose absolument non existante ; c'est une image de quelque chose d'existant et de réel, mais qui n'est pas présent à l'endroit imposé par la perception mentale ou sensorielle erronée. Un mirage est l'image d'une ville, d'une oasis, d'un cours d'eau, ou d'autres choses qui sont absentes, et si ces choses n'existaient pas, leur fausse image, qu'elle soit suscitée par le mental ou réfléchie dans l'air du désert, ne serait pas là pour tromper le mental par une fausse apparence de réalité. Le serpent existe, et son existence et sa forme sont connues de la victime de l'hallucination momentanée : autrement, l'illusion n'aurait pu se produire; car c'est la ressemblance formelle entre la réalité vue et une autre réalité déjà connue ailleurs, qui est à l'origine de l'erreur. L'analogie n'est donc d'aucun secours ; elle serait valable seulement si notre image de l'univers était une fausseté reflétant un univers vrai qui n'existe pas ici mais ailleurs, ou encore si c'était une fausse manifestation imagée de la Réalité, remplaçant dans le mental une vraie manifestation ou la recouvrant de sa ressemblance déformée. Mais dans ce cas le monde
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serait une forme non existante des choses, une construction illusoire imposée sur la Réalité nue, sur l'unique Existant qui est à jamais vide et sans forme : il n'y aurait de véritable analogie que si notre vision construisait dans l'espace vide du désert une image de choses qui n'existent nulle part, ou si elle imposait sur le sol nu à la fois la corde et le serpent, et d'autres formes qui, elles non plus, n'existeraient nulle part.
Il est clair que dans cette analogie on réunit par erreur, comme si filles étaient de même nature, deux sortes d'illusion tout à fait différentes qui ne sont pas représentatives l'une de l'autre. Toutes les hallucinations mentales ou sensorielles sont en réalité de fausses représentations, des déplacements, d'impossibles combinaisons ou de faux développements de choses qui, en elles-mêmes, sont existantes ou possibles ou qui, d'une façon ou d'une autre, appartiennent ou sont reliées au domaine du réel. Toutes les erreurs et illusions mentales sont le résultat d'une ignorance qui combine incorrectement ses données ou qui procède faussement -à partir d'un contenu de connaissance passé, présent ou potentiel. Mais l'Illusion cosmique n'a point de base dans les faits, c'est une illusion originelle, et à l'origine de tout ; elle impose des noms, des formes, des événements, qui sont de pures inventions, sur une Réalité en laquelle aucun événement, aucun nom et aucune forme n'a jamais existé et n'existera jamais. L'analogie de l'hallucination mentale ne pourrait s'appliquer que si nous admettions un Brahman sans noms, sans formes ni relations, et un monde de noms, de formes et de relations, comme deux réalités égales plaquées l'une sur l'autre, la corde à la place du serpent, ou le serpent à la place de la corde — une attribution, peut-être, des activités du Saguna à l'immobilité du Nirguna. Mais si les deux sont réels, ils doivent être tous deux des aspects distincts de la Réalité ou des aspects corrélatifs, pôles positif et négatif de l'unique Existence. Toute erreur ou toute confusion du Mental entre les deux serait non pas une Illusion cosmique créatrice, mais seulement une fausse perception des réalités, une fausse relation créée par l'Ignorance.
Si nous examinons d'autres illustrations ou d'autres analogies qui nous sont proposées pour mieux comprendre comment opère la Maya, toutes se révèlent sous un certain aspect inapplicables, ce qui leur retire leur force et leur valeur. L'exemple familier de la nacre et de l'argent, comme l'analogie de la corde et du serpent, repose aussi sur une erreur due à la ressemblance entre une réalité présente et une réalité absente
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et autre; il ne peut s'appliquer à l'imposition d'une irréalité multiple et changeante sur un Réel unique et immuable. Dans l'exemple d'une illusion d'optique où un seul objet se dédouble ou se multiplie, comme lorsque nous voyons deux lunes au lieu d'une seule, nous voyons deux ou plusieurs formes identiques de cet objet, l'une étant réelle et l'autre, ou les autres, illusoires : cela n'illustre pas la juxtaposition du monde et du Brahman; car l'action de la Maya comporte un phénomène beaucoup plus complexe — il y. a en fait une multiplication illusoire de l'Identique imposée sur son Identité unique et à jamais inaltérable, l'Un apparaissant comme multiple; mais sur cela s'impose une immense diversité organisée dans la nature, une diversité de formes et de mouvements qui n'ont aucun rapport avec le Réel originel. Les rêves, les visions, l'imagination de l'artiste ou du poète peuvent présenter une telle diversité organisée qui n'est pas réelle; mais c'est une imitation, un mimétisme d'une diversité organisée réelle et déjà existante, ou cela part d'un mimétisme de ce genre,'et, même dans la variation la plus riche ou l'invention la plus folle, on peut observer un certain élément mimétique. Cela ne peut se comparer à l'action attribuée à la Maya, en laquelle il n'est aucun mimétisme mais une création pure et radicalement originale de formes et de mouvements irréels qui n'existent nulle part et n'imitent, ne réfléchissent, ne modifient et ne développent rien que l'on puisse découvrir dans la Réalité. Il n'y a rien dans l'oeuvre d'illusion du Mental qui jette une lumière sur ce mystère ; elle est ce que doit être une stupéfiante Illusion cosmique de ce genre, sui generis, sans parallèle. Ce 'que nous voyons dans l'univers, c'est qu'une diversité de l'identique est partout le processus fondamental de la Nature cosmique ; cependant, elle se présente ici, non comme une illusion, mais pomme une formation réelle variée issue d'une seule substance originelle. Nous sommes partout confrontés à une Réalité de l'Un se manifestant en une réalité de formes et de pouvoirs innombrables de son être. Ce processus comporte assurément un mystère, voire une magie, mais rien n'indique que ce soit une magie de l'irréel et non l'action d'une Conscience et d'une Force d'être du Réel omnipotent, une création de soi effectuée par une éternelle connaissance de soi.
Cela soulève aussitôt la question concernant la nature du Mental qui engendre ces illusions, et sa relation avec l'Existence originelle. Le mental est-il l'enfant et l'instrument d'une Illusion originelle, ou est-il lui-même une Force ou une Conscience primordiale qui crée faussement ?
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ou bien l'ignorance mentale est-elle une perception fausse des vérités de l'Existence, une déviation à partir d'une Conscience-de-Vérité originelle qui serait le vrai bâtisseur du monde ? Notre propre mental, en tout cas, n'est pas un pouvoir créateur originel et primordial de la Conscience ; il est nécessairement, comme tout mental de même nature, un dérivé, un démiurge instrumental, un créateur intermédiaire. Il est donc probable que les analogies provenant des erreurs du mental, qui sont elles-mêmes le produit d'une Ignorance intermédiaire, ne puissent illustrer vraiment la nature et l'action d'une Illusion créatrice originelle, d'une Maya qui invente et construit tout. Notre mental se tient entre une supraconscience et une inconscience et reçoit quelque chose de ces deux pouvoirs opposés; il se tient entre une existence subliminale occulte et un phénomène cosmique extérieur; de la source intérieure inconnue, il reçoit des inspirations, des intuitions, des imaginations, des impulsions vers la connaissance et l'action, des images de réalités ou de possibilités subjectives; du phénomène cosmique observé, il reçoit les images d'actualités réalisées et leurs suggestions de possibilité future. Ce qu'il reçoit, ce sont des vérités essentielles, possibles ou actuelles ; il part des actualités réalisées de l'univers physique et en extrait, en son action subjective, les possibilités irréalisées qu'elles contiennent ou suggèrent, ou auxquelles il peut arriver en les prenant comme point de départ : il sélectionne quelques-unes de ces possibilités pour une action subjective et joue avec leurs formes imaginées ou construites intérieurement ; il en choisit d'autres en vue d'une objectivation et tente de les réaliser. Mais il reçoit aussi des inspirations d'en haut et du dedans, de sources invisibles et pas seulement des impacts du phénomène cosmique visible ; il voit des vérités autres que celles que suggère l'actualité physique environnante, et là encore il joue subjectivement avec les formes transmises ou construites de ces vérités, ou. il fait une sélection afin de les objectiver, et il essaie de les réaliser.
Notre mental observe et utilise des actualités, il devine ou reçoit des vérités pas encore connues ou actualisées, et s'occupe de possibilités qui servent d'intermédiaires entre la vérité et l'actualité. Mais il n'a pas l'omniscience d'une Conscience infinie; sa connaissance est limitée et il doit y suppléer par l'imagination et la découverte. À la différence de la Conscience infinie, il ne manifeste pas le connu, il doit découvrir l'inconnu ; il saisit les possibilités de l'Infini, non comme résultats ou variations des formes d'une Vérité latente, mais comme constructions
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ou créations, fictions de sa propre imagination sans limites. Il n'a pas la toute-puissance d'une Énergie consciente infinie ; il peut seulement réaliser ou actualiser ce que l'Énergie cosmique acceptera de lui, ou ce qu'il a la force d'imposer ou d'introduire dans la somme des choses parce que la Divinité secrète, supraconsciente ou subliminale qui se sert de lui a l'intention que ce soit exprimé dans la Nature. Le fait qu'il limite la Connaissance le rend non seulement incomplet mais sujet à l'erreur, et c'est cela qui constitue son Ignorance. Quand il traite de l'actualité, ses' observations, ses utilisations, ses créations sont souvent fausses; quand il traite de possibilités, il compose, combine, applique, situe les choses de travers; quand il traite des vérités qui lui sont révélées, il peut déformer, représenter faussement, créer une disharmonie. Il peut aussi ériger ses propres constructions qui n'ont aucune correspondance avec les choses qui existent réellement, ni le soutien de la vérité qui se trouve derrière elles; et pourtant, ces constructions procèdent d'une extension illégitime des actualités, saisissent des possibilités interdites ou orientent des vérités vers une application inapplicable. Le mental crée, mais il n'est pas un créateur original, il n'est ni omniscient ni omnipotent, ni même un démiurge toujours efficace. Maya, le Pouvoir d'Illusion, au contraire, doit être une créatrice originale, car elle crée toutes choses à partir de rien, à moins de supposer qu'elle crée à partir de la substance de la Réalité, mais alors les choses qu'elle crée doivent être d'une certaine façon réelles ; elle a une parfaite connaissance de ce qu'elle veut créer, un parfait pouvoir de créer tout ce qu'elle veut, elle est omnisciente et omnipotente, bien que ces pouvoirs ne s'appliquent qu'à ses propres illusions ; elle harmonise et relie toutes choses avec une sûreté magique et une énergie souveraine, imposant avec une efficacité absolue ses propres formations ou fictions, qu'elles fait passer pour des vérités, des possibilités, des réalités à l'intelligence de la créature.
Notre mental agit au mieux de ses capacités, avec le plus d'assurance et de' fermeté, lorsqu'on lui donne une substance qu'il peut façonner ou tout au moins utiliser comme base de ses opérations, ou lorsqu'il peut manier une force cosmique dont il a acquis la connaissance : il avance d'un pas sûr lorsqu'il traite des actualités. Le principe qui consiste à ne s'occuper que de réalités objectives ou découvertes, et à les utiliser comme base de création, est à l'origine des immenses succès de la science physique. Mais ici, il est évident qu'il n'y a pas de création d'illusions, pas de création de non-existence in vacuo, transformées en
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réalités apparentes comme on l'attribue à l'Illusion cosmique. Car le Mental ne peut créer, à partir de la substance, que ce qui est possible à la substance, il ne peut construire, avec la force de la Nature, que ce qui est en accord avec ses énergies réalisables; il ne peut inventer ou découvrir que ce qui est déjà contenu dans la vérité et les potentialités de la Nature. D'autre part, il reçoit du dedans, ou d'au-dessus, des inspirations créatrices ; mais ces inspirations ne peuvent prendre forme que si ce sont des vérités ou des potentialités, et non par le droit inné du mental à l'invention, car si le mental fait une formation qui n'est ni vraie ni potentielle, elle ne pourra être créée, ne pourra s'actualiser dans la Nature. La Maya, au contraire, si elle prend la Réalité pour base de ses créations, érige cependant une superstructure qui n'a aucun rapport avec la Réalité, qui n'en est ni une vérité, ni une potentialité ; si elle crée à partir de la substance de la Réalité, elle construit des choses qui ne sont ni possibles pour elle, ni en conformité .avec 'elle .-— car elle crée des formes et l'on suppose que la Réalité est un Sans-Forme incapable de revêtir des formes; elle crée des déterminations et l'on suppose que la Réalité est absolument indéterminable.
Mais notre mental a une faculté d'imagination; il peut créer et prendre pour vraies et réelles ses propres structures mentales; c'est là, pourrait-on penser, quelque chose d'analogue à l'action de la Maya. Notre imagination mentale est un instrument de l'Ignorance; elle est le recours, l'instrument ou le refuge d'une capacité limitée de connaissance, d'une capacité limitée d'action efficace. Le mental supplée à ces déficiences par son pouvoir d'imagination : il s'en sert pour extraire de choses évidentes et visibles des choses qui ne sont ni évidentes ni visibles; il entreprend de créer ses propres images du possible et de l'impossible; il construit des actualités illusoires ou trace des images d'une vérité conjecturée ou fabriquée de choses qui n'ont aucune vérité pour notre expérience extérieure. Tel paraît être du moins son mode de fonctionnement ; mais en réalité, c'est le moyen, ou l'un des moyens, qu'utilise le mental pour faire appel aux possibilités infinies de l'Être, et même pour découvrir ou capter les possibilités inconnues de l'Infini. Cependant, n'ayant pas la connaissance de ce qu'il fait, il dresse des constructions expérimentales de vérités, de possibilités et d'actualités pas encore réalisées : sa capacité de recevoir les inspirations de la Vérité étant -limitée, il imagine, élabore des hypothèses, se demande si telle ou telle chose ne pourrait pas être vraie ; son pouvoir de susciter des potentiels
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réels étant des plus restreint, il échafaude des possibilités qu'il espère ou aimerait pouvoir actualiser; ce pouvoir d'actualisation étant lui-même entravé et borné par les oppositions du monde matériel, il projette des actualisations subjectives pour satisfaire sa volonté de création et la joie qu'il éprouve à se représenter. Notons toutefois que l'imagination lui permet de recevoir vraiment une image de la vérité, de susciter vraiment des possibilités qui seront plus tard réalisées, et, souvent, d'exercer vraiment une pression effective sur les réalité du monde. Les imaginations qui persistent dans l'esprit humain, telle l'idée de voyager dans les airs, finissent souvent par se réaliser; les formations mentales individuelles peuvent s'actualiser si la formation ou le mental formateur ont une force suffisante. Les imaginations peuvent créer leur propre potentialité, surtout si elles ont un support dans le mental collectif, et peuvent à la longue obtenir l'assentiment de la Volonté cosmique. En fait, toutes les imaginations représentent des possibilités : certaines peuvent s'actualiser un jour sous une forme, peut-être très différente de la forme première ; d'autres, plus nombreuses, sont condamnées à la stérilité parce qu'elles n'entrent pas dans la forme ou le plan de la création actuelle, ne cadrent pas avec les possibilités permises à l'individu ou ne s'accordent pas avec le principe collectif ou générique, ou bien sont étrangères à la nature ou à la destinée de l'existence universelle qui les contient.
Ainsi, les imaginations du mental ne sont pas purement et radicalement illusoires : elles s'appuient sur son expérience des actualités, ou du moins les prennent pour point de départ; elles sont des variations sur l'actualité ou représentent les " peut être " ou " pourrait être " de l'Infini, ce qui serait si d'autres vérités s'étaient manifestées, si des potentialités existantes avaient été disposées autrement, ou si d'autres possibilités que celles qui sont déjà admises devenaient potentielles. De plus, grâce à cette faculté, des formes et des pouvoirs appartenant à d'autres domaines que celui de l'actualité physique communiquent avec notre être mental. Même quand les imaginations sont extravagantes ou qu'elles prennent la forme d'hallucinations ou d'illusions, elles prennent pour base l'actuel et le possible. Le mental crée l'image de la sirène, mais ce fantasme se compose de deux actualités assemblées d'une façon qui dépasse le cadre des potentialités normales de la terre; les anges, les griffons, les chimères sont construits sur le même principe : parfois, l'imagination est un souvenir d'actualités antérieures, comme dans l'image mythique du dragon, parfois il s'agit d'une représentation ou
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d'un événement, qui est réel ou pourrait l'être sur d'autres plans ou dans d'autres conditions d'existence. Même les illusions du dément sont fondées sur un assemblage extravagant d'actualités, comme lorsqu'un fou, mélangeant la royauté, l'Angleterre et lui-même, imagine qu'il est assis sur le trône des Plantagenets ou des Tudors. En outre, quand nous examinons l'origine de l'erreur mentale, nous constatons habituellement que c'est une combinaison, une localisation, une utilisation, une compréhension ou une application fausse d'éléments d'expérience set de connaissance. L'imagination est elle-même, en sa nature, le substitut d'un pouvoir de conscience plus vrai, un pouvoir d'intuition des possibilités : à mesure que le mental s'élève vers la Conscience-de-Vérité, ce pouvoir mental devient une imagination de la vérité qui fait descendre la couleur et la lumière de la vérité plus haute dans l'adéquation limitée ou l'inadéquation de la connaissance déjà réalisée et formulée; et finalement, dans la lumière transformatrice des plans supérieurs, il s'efface entièrement pour faire place à de plus hauts pouvoirs de vérité ou se change en intuition et en inspiration ; le Mental, quand il s'élève ainsi, cesse d'être un créateur d'illusions et un architecte d'erreurs. Le Mental n'est donc pas un souverain créateur de choses non existantes où bâties dans le vide: c'est une ignorance qui tend vers la connaissance; ses illusions mêmes ont une certaine base et sont les résultats d'une connaissance limitée ou d'une demi-ignorance. Le Mental est un instrument de l'Ignorance cosmique, mais il ne semble pas être ou n'agit pas comme un pouvoir ou un instrument d'une Illusion cosmique. C'est un chercheur et un découvreur, un créateur ou un soi-disant créateur de vérités, de possibilités et d'actualités, et il serait logique de supposer que la Conscience et le Pouvoir originel, dont le Mental doit être un dérivé, est également un créateur de vérités, de possibilités et d'actualités, non point limité comme le Mental mais d'une dimension cosmique, ni sujet à l'erreur parce que libre de toute ignorance, instrument souverain ou pouvoir inné d'une Omniscience et Omnipotence suprême, une Sagesse et une Connaissance éternelles.
Telle est donc la double possibilité qui se présente à nous. Nous pouvons supposer l'existence d'une conscience, d'un pouvoir originel créateur d'illusions et d'irréalités, dont le mental est l'instrument ou l'intermédiaire dans la conscience humaine et animale, en sorte que l'univers différencié que nous voyons est irréel, une fiction de la Maya, et que seul un certain Absolu indéterminable et indifférencié est réel. Ou
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nous pouvons également supposer l'existence d'une Conscience-de-Vérité originelle suprême ou cosmique, créatrice d'un univers vrai, mais où le mental agit comme une conscience imparfaite, ignorante, qui sait et ne sait pas —et cette conscience, à cause de son ignorance ou de sa connaissance limitée, est sujette à l'erreur, à des représentations erronées et des développements inappropriés ou mal dirigés à partir du connu, à des tâtonnements vers l'inconnu, à des créations et des constructions partielles, assumant constamment une position d'intermédiaire entre la vérité et l'erreur, la connaissance et la nescience. Mais en dépit de ses trébuchements, cette ignorance s'appuie en fait sur la connaissance et tend vers la connaissance ; elle est fondamentalement capable de rejeter la limitation et le mélange, et, par cette libération, elle peut se transformer en la Conscience-de-Vérité, en un pouvoir de la Connaissance originelle. Jusqu'à présent, notre recherche nous a plutôt conduits dans la seconde direction, nous portant à conclure qu'il n'y a rien, dans la nature de notre conscience, qui puisse justifier l'hypothèse de l'Illusion cosmique au point d'en faire la solution du problème qui la confronte. Un problème existe, mais il tient au mélange de Connaissance et d'Ignorance dans notre cognition du moi et des choses, et c'est l'origine de cette imperfection qu'il nous faut découvrir : il n'est pas nécessaire de faire intervenir un pouvoir originel d'Illusion qui existerait toujours mystérieusement dans la Réalité éternelle, ou qui interviendrait pour imposer un monde de formes non existantes à une Conscience'©u à une Supraconscience à jamais pure, éternelle et absolue.
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L'Éternel est vrai; le mondé est Un mensonge.
Vivékachudamani. Verset 20.
Le Maître de la Maya crée ce monde par Sa Maya et un autre est enfermé au-dedans ; on doit connaître sa Maya comme la Nature et le Maître de la Maya comme le grand Seigneur de tout ce qui est.
ShvetâshvataraUpanishad.IV.9,10.
Le Purusha est tout ce qui est, tout ce qui fut, tout ce qui sera; il est le maître de l'Immortalité et il est tout ce qui croît par la nourriture.
Rig-Véda. X. 90.2. Shvetâshvatara Upanishad. III. 15.
Tout est l'Être Divin.
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Nous n'avons, jusqu'à présent, défriché que la première partie de notre champ d'étude ; à l'arrière-plan, le problème demeure entier, et sans solution. C'est le problème concernant la nature de la Conscience ou Pouvoir originel qui a créé, construit conceptuellement ou manifesté l'univers, et la relation de cet univers avec notre cognition du monde. Il s'agit en somme de savoir si l'univers est une fiction de la conscience, imposée à notre mental par un suprême pouvoir d'Illusion, ou s'il est une vraie formation de l'être, dont nous faisons l'expérience par une connaissance encore ignorante, mais qui grandit. Et la vraie question ne concerne pas le seul Mental, ni un rêve ou une hallucination cosmiques nés du Mental, mais la nature de la Réalité, la validité de l'action créatrice qui s'y déroule ou lui est imposée, la présence ou l'absence d'un contenu réel en sa conscience ou la nôtre, et en son regard ou le nôtre sur l'univers. Au nom de l'illusionnisme, on peut répondre à notre point de vue sur la vérité de l'existence, que tout ceci pourrait être valable dans les limites de l'Illusion cosmique : c'est le système, le mécanisme pragmatique par lequel la Maya œuvre et se maintient dans l'Ignorance. Mais les vérités, les possibilités, les actualités du système cosmique ne sont vraies et actuelles que dans l'Illusion, hors de ce cercle magique elles n'ont aucune valeur ; ce ne sont pas des réalités durables et éternelles; toutes sont des représentations temporaires, aussi bien les œuvres de la Connaissance que celles de l'Ignorance. On peut concéder que la connaissance est un instrument utile de l'Illusion de la Maya, qui lui permet de s'échapper d'elle-même, de se détruire dans le Mental. La connaissance spirituelle est indispensable, mais la seule vérité vraie, l'unique réalité permanente derrière toutes les dualités de la connaissance-ignorance, est l'éternel Absolu sans relations, ou le Moi, la pure Existence éternelle. Ici, tout repose sur la conception du mental et sur l'expérience que l'être mental fait de la réalité ;
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de cette expérience, ou de cette conception, dépend en effet son interprétation de données par ailleurs identiques : les faits du Cosmos, l'expérience individuelle, la réalisation de la suprême Transcendance. Toute cognition mentale dépend de trois éléments : celui qui perçoit, la perception et la chose perçue ou percept. On peut affirmer ou nier la réalité de ces trois éléments ou de l'un d'entre eux; la question est alors de savoir lequel est éventuellement réel, dans quelle mesure ou de quelle manière. Si on les rejette tous les trois comme les instruments d'une Illusion cosmique, cela soulève une nouvelle question : existe-t-il alors une réalité qui leur soit extérieure et, si elle existe, quel rapport y a-t-il entre la Réalité et l'Illusion ?
Il est possible d'affirmer la réalité du percept — de l'univers objectif —et de nier ou de minimiser la réalité de l'individu qui perçoit et de sa conscience perceptive. Dans la théorie qui affirme que la Matière est la seule réalité, la conscience n'est qu'une opération de l'énergie matérielle dans la Matière, une sécrétion ou une vibration des cellules du cerveau, une réception physique d'images et une réponse cérébrale, une action réflexe ou une réaction de la Matière aux contacts de la Matière. Même si l'on modère cette affirmation et que l'on explique autrement la conscience, celle-ci n'est alors rien de plus qu'un phénomène temporaire et dérivé, et non la Réalité permanente. L'individu qui perçoit n'est lui-même qu'un corps et un cerveau capables des réactions mécaniques que nous groupons sous le terme conscience ; il n'a qu'une valeur relative et qu'une réalité temporaire. Mais si la Matière se révèle être elle-même irréelle ou dérivée, être simplement un phénomène de l'Énergie, comme cela semble maintenant probable, alors l'Énergie reste la seule Réalité ; celui qui perçoit, sa perception, l'objet perçu ne sont que des phénomènes de l'Énergie. Mais une Énergie sans un Être ou une Existence qui la possède ou sans une Conscience qui la fournit, une Énergie qui œuvre originellement dans le vide — car le champ matériel où nous la voyons à l'œuvre est lui-même une création — ressemble beaucoup elle-même à une construction mentale, à une irréalité ; ou bien ce pourrait être une inexplicable et provisoire éruption de mouvement qui, à tout moment, pourrait cesser de créer des phénomènes; seul serait perdurable et réel le Vide de l'Infini. La théorie bouddhique selon laquelle celui qui perçoit, la perception et le percept sont une construction du Karma, le processus de
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quelque fait cosmique de l'Action, a ouvert la voie à une telle conclusion, car elle conduisait logiquement à l'affirmation du Non-Être, du Vide ou du Néant. Il est possible, en vérité, que ce soit non pas une Énergie mais une Conscience qui est à l'œuvre ; de même que la Matière se réduit à l'Énergie que nous pouvons saisir, non en elle-même mais en ses résultats et ses opérations, de même l'Énergie pourrait être réduite à l'action d'une Conscience que nous pouvons saisir, non en elle-même mais en ses résultats et ses opérations. Mais si l'on suppose que cette Conscience œuvre de la même manière dans un Vide, nous sommes exposés à la même conclusion, à savoir qu'elle est créatrice d'illusions phénoménales temporaires, et elle-même illusoire; un Vide, un Zéro infini, une Non-Existence originelle, est la seule Réalité permanente. Mais ces conclusions ne sont pas inévitables ; car derrière cette Conscience qu'on ne peut saisir qu'en ses œuvres, il peut y avoir une Existence originelle invisible : une Énergie-Consciente de cette Existence pourrait alors être une réalité ; faites d'une substance d'être infinitésimale, impalpable par les sens mais qui se révélerait à'eux comme Matière à un certain stade de l'action de l'Énergie, ses créations aussi seraient réelles, de même que l'individu qui émerge, comme être conscient, de l'Existence originelle en un monde de Matière. Cette Réalité originelle pourrait être une Existence cosmique spirituelle, un Panthéos, ou elle pourrait avoir un autre statut ; quoi qu'il en soit, il y aurait non pas une illusion universelle ou un simple phénomène, mais un véritable univers.
Dans la théorie classique de l'illusionnisme, une seule et suprême Existence spirituelle est acceptée comme unique Réalité : elle est par essence le Moi, mais les êtres naturels dont elle est le Moi ne sont pourtant que des apparences temporaires; elle est en son absoluité le substrat de toutes choses, mais l'univers édifié sur ce substrat est ou bien une non-existence, un simulacre, ou bien il est en quelque sorte irréellement réel ; c'est une illusion cosmique. Car la Réalité est une 'et sans second; elle est immuable dans l'éternité, c'est la seule Existence; il n'y a rien d'autre, il n'y a pas de vrais devenirs de cet Être : il est et doit à jamais demeurer vide de noms, de traits, de formations, de relations, d'événements ; s'il a une Conscience, ce ne peut être qu'une pure conscience de son propre être absolu. Mais quel est alors le rapport entre la Réalité et l'Illusion? Par quel miracle ou quel mystère l'Illusion en vient-elle à être, ou comment fait-elle pour apparaître ou pour demeurer à jamais dans le Temps ?
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Le Brahman seul étant réel, seule une conscience, ou seul un pouvoir du Brahman, pourrait être un créateur réel et un créateur de réalités. Mais puisqu'il ne peut y avoir d'autre réalité que le Brahman pur et absolu, il ne peut y avoir de vrai pouvoir créateur du Brahman. Une conscience-de-Brahman qui percevrait des êtres, dés formes et des événements réels signifierait une vérité du Devenir, une réalité spirituelle et matérielle de l'univers, que l'expérience de la Vérité suprême nie et abolit et avec laquelle sa seule existence est logiquement incompatible. La création de la Maya est une présentation d'êtres, de noms, de formes, d'événements, de choses que l'on ne peut accepter comme vraie, qui contredit l'indéterminable pureté de l'Unique Existence. La Maya n'est donc pas réelle, elle est non existante : la Maya est elle-même une illusion, génératrice d'innombrables illusions. Mais cette illusion et ses œuvres ont cependant une certaine forme d'existence et doivent donc être réelles d'une façon ou d'une autre : de plus, l'univers n'existe pas dans un Vide mais se maintient parce qu'il est imposé sur le Brahman, qu'en un sens il est fondé sur l'unique Réalité ; nous-mêmes, qui sommes dans l'Illusion, attribuons ses formes, ses noms, ses relations, ses événements au Brahman, devenons conscients de toutes choses comme étant le Brahman, voyons la Réalité par l'intermédiaire de ces irréalités. Il y a donc une réalité dans la Maya ; elle est à la fois réelle et irréelle, existante et non existante ; ou bien, disons qu'elle n'est ni réelle ni irréelle : c'est un paradoxe, une énigme suprarationnelle. Mais quel est donc ce mystère, ou est-il insoluble? Comment se fait-il que cette illusion intervienne dans l'existence du Brahman ? Quelle est la nature de cette irréelle réalité de la Maya ?
À première vue, on est obligé de supposer que, d'une certaine façon, ce doit être le Brahman qui perçoit la Maya — le Brahman est en effet la seule Réalité, et si ce n'est pas lui qui la perçoit, qui donc perçoit l'Illusion ? Aucun autre percevant n'existe ; l'individu qui est en nous le témoin apparent, est lui-même phénoménal et irréel, une création de la Maya. Mais si c'est le Brahman qui perçoit, comment se peut-il que l'illusion persiste un seul instant, puisque la vraie conscience du percevant est conscience de soi, conscience seulement de sa pure existence en soi ? Si le Brahman perçoit le monde et les choses avec une vraie conscience, alors tous doivent être lui-même et réels; toutefois, puisqu'ils ne sont pas la pure existence en soi mais qu'au mieux ils en sont des formes vues au travers d'une Ignorance
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phénoménale, cette solution réaliste s'avère impossible. Toutefois, il nous faut accepter, du moins provisoirement, l'univers comme un fait, admettre l'existence d'une impossibilité, puisque la Maya existe, et que ses œuvres persistent et obsèdent l'esprit par la perception, si fausse soit-elle, de leur réalité. C'est sur cette base que nous devons dès lors affronter et résoudre le dilemme.
Si de quelque façon la Maya est réelle, la conclusion s'impose : ce doit être le Brahman, la Réalité, qui perçoit la Maya. Il se peut que la Maya soit son pouvoir de perception différenciatrice, car le pouvoir de conscience de la Maya, qui la distingue de la vraie conscience de l'unique Moi spirituel, est sa perception créatrice de la différence. Ou bien, si l'on considère que cette création de la différence est simplement un résultat et non l'essence de la force de la Maya, alors celle-ci doit être tout au moins un certain pouvoir de la conscience du Brahman — car seule une conscience peut voir ou créer une illusion, et il ne peut y avoir d'autre conscience originelle ou originante que celle du Brahman. Mais puisque le Brahman est également et à jamais conscient de lui-même, il doit y avoir un double état de la Conscience-du-Brahman, l'un conscient de la seule Réalité, l'autre conscient des irréalités auxquelles sa perception créatrice donne une sorte d'existence apparente. Ces irréalités ne peuvent être faites de la substance de la Réalité, car alors elles aussi devraient être réelles. De ce point de vue, on ne peut accepter l'affirmation des Upanishad selon laquelle le monde est créé à partir de l'Existence suprême, est un devenir, un résultat ou un produit de l'Être éternel. Le Brahman n'est pas la cause matérielle de l'univers : notre nature — par opposition à notre moi — n'est pas faite de substance spirituelle ; elle est construite à partir de l'irréelle réalité de la Maya. Notre être spirituel, en revanche, est fait de cette substance, il est en vérité le Brahman; le Brahman est au-dessus de la Maya, mais il est aussi celui qui perçoit ses propres créations d'au-dessus et du dedans de la Maya. Cette conscience duelle s'offre comme la seule explication plausible de l'énigme d'un Être réel et éternel qui perçoit, d'un Percept irréel et d'une Perception qui est une créatrice à demi-réelle de percepts irréels.
Si cette conscience duelle n'existe pas, si la Maya est le seul pouvoir conscient du Brahman, alors de deux choses l'une : soit la réalité de la Maya en tant que pouvoir tient au fait qu'elle est une action subjective de la conscience du Brahman émergeant de son silence et
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de son immobilité supraconsciente et passant par des expériences qui sont réelles parce qu'elles font partie de la conscience-du-Brahman, mais irréelles parce qu'elles ne font pas partie de son être, soit la Maya est le pouvoir d'Imagination cosmique du Brahman, inhérent à son être éternel qui, à partir de rien, crée des noms, des formes et des événements dépourvus de toute réalité. En ce cas, la Maya serait réelle, mais ses œuvres seraient entièrement fictives, de pures imaginations: mais pouvons-nous affirmer que l'imagination est le seul pouvoir dynamique ou créateur de l'Éternel ? L'imagination est une nécessité pour un être partiel doté d'une conscience ignorante, car il lui faut suppléer à son ignorance par des imaginations et des conjectures. Il ne peut y avoir de place pour un tel mouvement dans la conscience unique d'une unique Réalité qui n'a aucune raison de construire des irréalités, car elle est à jamais pure et complète en soi. On voit mal ce qui, dans son propre être, pourrait contraindre ou inciter une telle Existence Unique, complète en son essence même, béatifique en son éternité, n'ayant rien à manifester, intemporellement parfaite, à créer un Temps et un Espace irréels et à les peupler pour toute éternité d'un interminable spectacle cosmique d'images et d'événements faux. Cette solution est logiquement insoutenable.
L'autre solution, l'idée d'une réalité irréelle purement subjective, part de la distinction que fait le mental dans la Nature physique entre ses expériences subjectives et objectives; car seules les expériences objectives lui paraissent entièrement et indubitablement réelles. Mais une telle distinction ne pourrait guère exister dans la conscience-du-Brahman, puisqu'il n'y a en elle ni sujet ni objet ou que le Brahman lui-même est le seul sujet et le seul objet possibles de sa conscience; il ne pourrait rien y avoir d'extérieurement objectif pour le Brahman, puisqu'il n'y a rien d'autre que le Brahman. Cette idée d'une action subjective de la conscience créant un monde de fictions autre que le seul objet véritable ou le déformant, paraît donc être faussement attribuée au Brahman par notre mental ; il impose à la pure et parfaite Réalité un trait de sa propre imperfection que l'on ne peut vraiment attribuer à la perception d'un Être Suprême. D'autre part, la distinction entre la conscience et l'être du Brahman ne saurait être valable, à moins que l'être-du-Brahman et la conscience-du-Brahman ne soient deux entités distinctes — la conscience imposant ses expériences à la pure existence de l'être mais sans pouvoir la toucher, ni l'affecter, ni la pénétrer. Qu'il soit la suprême et
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unique Existence-en-soi ou le Moi de l'individu réel-irréel dans la Maya, le Brahman percevrait donc, par sa conscience vraie, les illusions qui lui sont imposées et les 'connaîtrait comme illusions ; seule quelque énergie de la nature de la Maya, ou quelque chose en elle, serait trompée par ses propres inventions — ou bien, sans être réellement égarée, persisterait néanmoins à se comporter et à sentir comme si elle l'était. Cette dualité atteint notre conscience dans l'Ignorance quand elle se sépare des œuvres de la Nature et perçoit intérieurement que le Moi est la seule vérité et que le reste est non-moi et non réel, mais qu'à la surface elle doit agir comme si le reste aussi était réel. Or, cette solution nie la pure existence et la pure conscience uniques et indivisibles du Brahman; elle crée un dualisme dans son unité sans traits qui n'est autre, en sa teneur, que le dualisme du double Principe dans la conception du Sânkhya : Purusha et Prakriti, l'Ame et la Nature. Ces solutions doivent donc être écartées comme indéfendables, à moins que nous ne modifiions notre première vision de la Réalité et que nous ne lui accordions le pouvoir d'un multiple état de conscience ou le pouvoir d'un" multiple état d'existence.
Mais par ailleurs, la conscience duelle, si nous l'admettons, ne peut s'expliquer en tant que pouvoir duel de Connaissance-Ignorance valable pour l'Existence Suprême, comme il l'est pour nous dans l'univers. En effet, nous ne pouvons supposer que le Brahman soit si peu que ce soit soumis à la Maya, puisque cela signifierait qu'un principe d'ignorance obscurcit la conscience de soi de l'Éternel ; ce serait imposer les limitations de notre propre conscience à la Réalité éternelle. Une Ignorance qui survient ou qui intervient dans le cours de la manifestation comme résultat d'une action subordonnée de la Conscience et comme élément d'un plan cosmique divin et de sa signification dans l'évolution, est une chose logiquement concevable; une ignorance ou une illusion dépourvue de sens, éternelle en la conscience originelle de la Réalité en est une. autre, difficilement concevable; elle apparaît comme une construction mentale abusive dont la validité est improbable dans la vérité de l'Absolu. La conscience duelle du Brahman ne saurait en aucun cas être une ignorance, mais une conscience de soi qui coexiste avec une volonté délibérée d'ériger un univers d'illusions qu'elle maintient dans une perception frontale, consciente à la fois du moi et du monde illusoire, si bien qu'il n'y a pas de leurre, nul sentiment de sa réalité. L'illusion ne se produit que dans le monde illusoire lui-même, et le Moi ou Brahman dans le monde jouit des choses en y participant librement ou assiste en
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témoin séparé et intangible au jeu qui ne jette son enchantement que sur le seul mental de la Nature créé par la Maya pour sa propre action. Mais cela semblerait signifier que l'Éternel, insatisfait de sa pure existence absolue, aurait besoin de créer, de se distraire au long du Temps par un spectacle de noms, de formes et d'événements ; il aurait besoin, étant unique, de se voir multiple, étant paix et béatitude et connaissance de soi, d'observer une expérience ou une représentation où se mêlent connaissance et ignorance, délice et souffrance, existence irréelle et évasion hors de cette existence irréelle. Car l'évasion est pour l'être individuel construit par la Maya ; l'Éternel n'a nul besoin de s'évader, et le jeu poursuit son cycle sans fin. Ou, à défaut de ce besoin, il y aurait la volonté de créer ainsi, ou encore l'impulsion ou l'action automatique de ces contraires : mais si nous considérons la seule éternité d'existence pure attribuée à la Réalité, tout— besoin, volonté, impulsion, automatisme — est pareillement et également impossible et incompréhensible. Cela pourrait être une explication, mais une explication qui laisse encore le mystère au-delà de la logique ou de la compréhension ; car cette conscience dynamique de l'Éternel est en contradiction directe avec sa nature statique et réelle. Une Volonté ou un Pouvoir de créer ou de manifester est là, indubitablement : mais s'il s'agit d'une volonté où d'un pouvoir du Brahman, ce ne peut être que pour une création de réalités du Réel ou une manifestation du processus intemporel de son être dans l'éternité du Temps ; car il paraît incroyable que le seul pouvoir de la Réalité soit de manifester quelque chose qui serait son propre contraire ou de créer des choses non existantes dans un univers illusoire.
Jusque-là, il n'y a pas de réponse satisfaisante à l'énigme ; mais il se peut que nous nous trompions en attribuant une quelconque réalité, si illusoire soit-elle au fond, à la Maya ou à ses œuvres : la vraie solution consisterait à affronter courageusement le mystère de leur complète irréalité. Il semble que certaines formulations de 'illusionnisme ou certains arguments émis en sa faveur envisagent cette irréalité absolue. Il nous faut donc prendre en considération cet aspect du problème avant de pouvoir examiner avec assurance les solutions qui. reposent sur une réalité relative ou partielle de l'univers. En vérité, il existe un certain mode de raisonnement qui se débarrasse du problème en l'excluant ; il affirme que la question de savoir comment l'Illusion a été engendrée, comment l'univers a fait pour se; trouver dans la pure existence du Brahman est illégitime : le problème n'existe pas, parce que l'univers
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est non existant, la Maya est irréelle, et le Brahman, à jamais seul et existant en soi, est la seule vérité. Le Brahman n'est affecté par aucune conscience illusoire, nul univers n'est venu à l'existence en son intemporelle réalité. Mais cette façon d'éluder la difficulté est soit un sophisme qui ne veut rien dire, une acrobatie de la logique verbale, la raison logique se cachant la tête dans le jeu des mots et des idées et refusant de voir ou de résoudre une difficulté réelle et déconcertante, soit elle veut en dire trop, puisqu'elle se débarrasse effectivement de toute relation entre la Maya et le Brahman, en affirmant que la Maya est une non-réalité indépendante et absolue, ainsi que l'univers qu'elle a créé. S'il n'existe pas d'univers réel, il existe une Illusion cosmique et nous sommes tenus de chercher comment elle a pris naissance ou comment elle fait pour exister, quelle est sa relation ou sa non-relation avec la Réalité, et ce que signifient notre existence dans la Maya, notre sujétion à ses cycles, notre libération. Si nous adoptons ce point de vue, il nous faut alors supposer que le Brahman n'est pas celui qui perçoit la Maya ou ses œuvres, que la Maya elle-même n'est pas un pouvoir de la conscience-du-Brahman : le Brahman est supraconscient, immergé en son être pur, ou il n'est conscient que de son propre absolu et n'a aucune relation avec la Maya. Mais dans ce cas, ou bien la Maya ne peut exister, même comme illusion, ou bien il y aurait une Entité duelle ou deux entités, un Éternel réel supraconscient ou conscient seulement de lui-même, et un Pouvoir d'illusion qui crée et qui est conscient d'un faux univers. Nous voici de nouveau pris dans le dilemme et sans espoir de nous en extirper, à moins de conclure que toute philosophie, parce qu'elle fait partie de la Maya, est également une illusion, que les problèmes abondent mais qu'aucune conclusion n'est possible. Car nous sommes face à une pure Réalité statique et immuable et à un dynamisme illusoire, les deux se contredisant de façon absolue, sans qu'il y ait une Vérité plus grande au-delà où l'on puisse découvrir leur secret, et trouver une solution où leurs contradictions se trouvent réconciliées.
Si ce n'est pas le Brahman qui perçoit, alors ce doit être l'être individuel : mais ce percevant est créé par l'Illusion et donc irréel ; le percept, le monde, est une illusion créée par une Illusion et il est lui aussi irréel ; la conscience qui perçoit est elle-même une illusion, et par conséquent irréelle. Mais ainsi, plus rien n'a de sens, pas plus notre existence spirituelle et notre libération de la Maya que notre existence temporelle et notre immersion dans la Maya ; tout est également irréel
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et sans importance. On peut adopter un point de vue moins rigide et considérer que le Brahman en tant que Brahman n'a rien à voir avec la Maya, qu'il est éternellement libre de toute illusion, de tout commerce avec l'illusion, mais que le Brahman en tant que percevant individuel ou Moi de tout être ici-bas est entré dans la Maya et que, dans l'individu, il peut s'en retirer, et que pour l'individu ce retrait est un acte d'une suprême importance. Mais ici un être duel est imposé au Brahman, une réalité est attribuée à quelque chose qui appartient à l'Illusion cosmique — à l'être individuel du Brahman dans la Maya, car le Brahman en tant que Moi de tous les êtres n'est pas même lié sur le plan phénoménal et n'a nul besoin d'échapper à la Maya : en outre, la rédemption ne peut avoir d'importance si la servitude est irréelle, et la servitude ne peut être réelle à moins que la Maya et son monde ne soient réels. L'irréalité absolue de la Maya disparaît et fait place à une réalité très compréhensive, même si elle n'est peut-être que pratique et temporelle. Pour éviter cette conclusion, on peut dire que notre individualité est irréelle, que c'est le Brahman qui se retire d'un reflet de lui-même dans la fiction de l'individualité et que son extinction est notre délivrance, notre salut : mais toujours libre, le Brahman ne peut souffrir d'être asservi ni bénéficier du salut, et un reflet, une fiction d'individualité n'a pas besoin de salut. Un reflet, une fiction, une simple image dans le miroir trompeur de la Maya ne peut souffrir d'une servitude réelle ni bénéficier d'un réel salut. Si l'on affirme qu'il s'agit d'une fiction ou d'un reflet conscients et que cela peut donc vraiment souffrir et entrer dans la béatitude de la libération, on peut se demander à qui appartient la conscience qui souffre ainsi dans cette existence fictive — car il ne peut y avoir de conscience réelle, excepté celle de l'Unique Existence ; c'est encore une façon d'affirmer que le Brahman possède une conscience duelle: une conscience ou une supraconscience libre de l'illusion, et une conscience soumise à l'illusion ; et nous avons à nouveau la preuve que notre existence et notre expérience ont une certaine réalité dans la Maya. En effet, si notre être est l'être du Brahman, si notre conscience est une partie de la conscience du Brahman, si modifiée soit-elle, cela suppose qu'ils sont réels — et si notre être est réel, pourquoi l'être de l'univers ne le serait-il pas?
On peut finalement proposer la solution suivante : l'individu percevant et le percept qu'est l'univers sont irréels, mais en s'imposant au Brahman, la Maya acquiert une certaine réalité, et cette réalité s'étend
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à l'individu et à son expérience dans l'Illusion cosmique, qui dure aussi longtemps qu'elle demeure soumise à cette illusion. Mais par ailleurs, pour qui l'expérience est-elle valide, et la réalité acquise aussi longtemps qu'elle dure ? et pour qui cesse-t-elle quand viennent la libération, l'abolition ou le retrait? Car un être illusoire et irréel ne peut revêtir une réalité et souffrir d'une servitude réelle ou s'en échapper par un acre réel d'évasion ou d'abolition de soi; il peut seulement paraître exister aux yeux d'un moi réel ou d'un être réel. Mais alors ce moi réel doit d'une certaine façon, ou à un certain degré, être assujetti à la Maya. Soit la conscience du Brahman doit se projeter dans un monde de la Maya et émerger de la Maya, soit l'être du Brahman doit émaner quelque chose de lui-même, de sa réalité, dans la Maya, et le retirer à nouveau de la Maya. Mais qu'est cette Maya qui s'impose au Brahman? D'où vient-elle si elle n'est pas déjà dans le Brahman, comme une action de la Conscience éternelle ou de l'éternelle Supraconscience ? Il faut qu'un être ou qu'une conscience de la Réalité subisse les conséquences de l'Illusion pour que les cycles de cette Illusion puissent revêtir une réalité ou une importance quelconques, autres que celles d'une danse de pantins fantasmagoriques avec lesquels s'amuse l'Éternel, un spectacle de marionnettes dans le Temps. Nous sommes ramenés à l'être duel du Brahman,à la conscience duelle du Brahman involué dans l'Illusion et libre de cette Illusion, et à une certaine vérité d'être phénoménale pour la Maya : il ne peut y avoir de solution à notre existence dans l'univers si cette existence et l'univers lui-même n'ont pas de réalité — cette réalité ne fût-elle que partielle, restreinte, dérivée. Mais que peut être la réalité d'une Illusion originelle universelle et fondamentalement dépourvue de base? La seule réponse possible est qu'il s'agit là d'un mystère suprarationnel, inexplicable et ineffable — anirvachanîya .
Il y a toutefois deux réponses possibles à la difficulté si nous repoussons l'idée d'une irréalité absolue et admettons une modification ou un compromis. Une base peut être créée pour une conscience, d'illusion subjective qui fasse néanmoins partie de l'Être, si nous acceptons l'explication que les Upanishad nous donnent de la création dans le sommeil et le rêve, conçue comme une conscience-du-monde subjective et illusoire. Il y est en effet affirmé que le Brahman en tant que Moi est quadruple. Le Moi est le Brahman, et tout ce qui est, est le Brahman; mais tout ce qui est, est le Moi vu par le Moi en quatre états de son être. Dans le pur état du Moi, on ne peut parler, pour le Brahman,
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de conscience ou d'inconscience, telles que nous les concevons ; c'est un état de supraconscience absorbée en sa propre existence, en son propre silence ou sa propre extase, ou bien c'est l'état d'un libre Supraconscient contenant ou fondant toute chose, mais impliqué en aucune. Cependant, il existe aussi un état lumineux du moi-de-sommeil, une conscience condensée qui est l'origine de l'existence cosmique ; 'cet état de sommeil profond, où se trouve néanmoins la présence d'une Intelligence omnipotente, est l'état-semence, la condition causale dont émerge le cosmos —on peut considérer que ce moi-de-sommeil, ainsi que le moi-de-rêve, qui contient toute expérience subtile, subjective ou supraphysique, et le moi de veille qui est le support de toute expérience physique, constituent le domaine entier de la Maya. Tout comme un homme dans un profond sommeil passe en des rêves où il Sait l'expérience de structures instables qui se sont construites elles-mêmes — noms, formes, rapports, événements — et, à l'état de veille, s'extériorise dans les structures apparemment plus stables et néanmoins transitoires de la conscience physique, de même le Moi développe-t-il, à partir d'un état de conscience condensée, son expérience cosmique subjective et objective. Mais l'état de veille n'est pas un véritable éveil de ce sommeil originel et causal ; ce n'est qu'une pleine émergence en une perception grossière extérieure et objective de la réalité positive des objets de la conscience, par opposition à la conscience de rêve, subtile et subjective, de ces objets : le véritable éveil est un retrait de la conscience à la fois objective et subjective, et de l'Intelligence causale condensée, retrait en la supraconscience, supérieure à toute conscience; car toute conscience, comme toute inconscience, est Maya. Ici, nous pouvons dire que la Maya est réelle, car c'est le moi qui' fait l'expérience du Moi, quelque chose du Moi y pénètre, est affecté par les circonstances parce qu'il les accepte et croit en elles, et parce qu'elles sont pour lui des expériences réelles, des créations issues de son être conscient; mais elle est irréelle, car c'est un état de sommeil, un état de rêve, un état de veille finalement transitoire, ce n'est pas le véritable état de la Réalité supraconsciente. Ici, il n'y a pas de réelle dichotomie de l'être lui-même, mais une multiplicité d'états pour l'Être unique ; il n'y a pas de conscience duelle originelle impliquant une Volonté dans l'Incréé de créer des choses illusoires à partir de la non-existence, mais il y a un Être Unique dans des états de supraconscience et de conscience, chacun ayant une expérience de soi conforme à sa nature. Mais les états inférieurs, bien qu'ils aient une
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réalité, sont cependant modifiés par la formation et la vision de constructions-de-soi subjectives qui ne sont pas le Réel. Le Moi Unique se voit multiple, mais cette existence multiple est subjective ; elle possède une multiplicité d'états de conscience, mais cette multiplicité aussi est subjective; il y a une réalité de l'expérience subjective d'un Être réel, mais pas d'univers objectif.
On peut toutefois noter que nulle part dans les Upanishad il n'est vraiment stipulé que le triple statut est une condition de l'illusion ou la création d'une irréalité ; il est constamment affirmé que tout ce qui est — cet univers que nous supposons maintenant avoir été construit par la Maya — est le Brahman, la Réalité. Le Brahman devient tous ces êtres ; il nous faut voir tous les êtres dans le Moi, dans la Réalité, et voir la Réalité en eux, voir qu'en fait la Réalité est tous ces êtres ; car non seulement le Moi est Brahman, mais tout est le Moi, tout ce qui est, est le Brahman, la Réalité. Cette affirmation puissante et solennelle ne laisse aucune place à une Maya illusoire ; et pourtant le fait que les Upanishad nient catégoriquement qu'il y ait quoi que ce soit d'autre que le moi qui fasse l'expérience, ou qui en soit séparé, certaines expressions qu'elles utilisent et le fait qu'elles appellent sommeil et rêve deux des états de conscience, pourrait laisser croire qu'elles annulent l'affirmation de 'la Réalité universelle ; ces passages ouvrent la voie à l'illusionnisme, et l'on en a fait le fondement d'un système aussi intransigeant. Si nous prenons ce quadruple statut comme une image du Moi passant de son état supraconscient, où il n'y a ni sujet ni objet, en une transe lumineuse où la supraconscience devient une conscience condensée d'où émergent les états subjectif et objectif de l'être, alors, selon notre vision des choses, nous en arrivons à un processus possible de création illusoire, ou bien à un processus de connaissance du Moi et de connaissance du Tout créatrices.
En fait, si nous pouvons en juger d'après la description des trois états inférieurs du Moi — l'Intelligence à l'intégrale sagesse,¹ le Voyant de l'existence subtile et le Voyant de l'existence matérielle grossière —, cet
¹Prajñâ. Dans la Brihadâranyaka Upanishad, Yâjnavalkya affirme catégoriquement qu'il existe deux plans ou états de l'être qui sont deux mondes, et que dans l'état de rêve on peut voir ces deux mondes, car cet état sert d'intermédiaire entre les deux, c'est leur plan de jonction. Il est donc clair qu'il parle ici d'une condition subliminale de la conscience où les mondes physique et supraphysique peuvent communiquer. La description du sommeil sans rêve s'applique au sommeil profond aussi bien qu'à l'état de transe où l'on entre dans une conscience condensée contenant tous les pouvoirs de l'être, mais comprimée et concentrée sur elle-même ; et quand elle devient active, c'est dans une conscience où tout est le moi. Il est clair qu'il s'agit là d'un état nous donnant accès aux plans supérieurs de l'esprit qui, normalement, sont encore supraconscients pour notre être éveillé.
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état de sommeil et cet état de rêve semblent être des noms métaphoriques pour le supraconscient et le subliminal qui se trouvent derrière notre état de veille et au-delà ; ils sont ainsi nommés et représentés parce que c'est au moyen du rêve et du sommeil — ou de la transe, que l'on peut considérer comme une sorte de rêve ou de sommeil — que la conscience mentale de surface passe habituellement de la perception des choses objectives à l'état subliminal et à l'état supérieur supramental ou surmental. Dans cette condition intérieure, elle voit les réalités supraphysiques dans les images, les transcriptions du rêve ou de la vision ou, dans l'état supérieur, elle se perd dans une conscience condensée dont elle ne peut recevoir aucune pensée, aucune image. C'est par cet état subliminal et cet état supraconscient que nous pouvons entrer dans la suprême supraconscience du plus haut état d'être-en-soi. Si la transition se fait, non par la transe du rêve ou celle du sommeil, mais par un éveil spirituel en ces états supérieurs, nous prenons conscience en chacun d'eux de la Réalité unique et omniprésente ; il n'est nul besoin de percevoir une Maya de l'illusion, il y a seulement l'expérience du passage du Mental à ce qui est au-delà de lui, en sorte que notre construction mentale de l'univers cesse d'être valable et qu'une autre réalité de l'univers se substitue à la connaissance mentale ignorante. Au cours de cette transition, il est possible de rester conscient de tous les états d'être à la fois en une expérience d'harmonisation et d'unification, et de voir partout la Réalité. Mais si, par une transe de concentration exclusive, nous plongeons dans un état de sommeil mystique, ou que dans le mental de veille nous passons abruptement en un état qui appartient au Supraconscient, alors, dans ce passage, le mental peut être saisi par le sens de l'irréalité de la Force cosmique et de ses créations ; par leur abolition subjective, il passe dans la suprême supraconscience. Ce sentiment d'irréalité et cette transcendance sont la justification spirituelle de l'idée d'un monde créé par la Maya ; mais cette conséquence n'est pas concluante, puisque l'expérience spirituelle peut la remplacer par une conclusion plus vaste et plus complète.
Toutes ces solutions, et d'autres encore, concernant la nature de la Maya ne peuvent nous satisfaire, car elles ne sont pas concluantes : elles n'établissent pas le caractère indiscutable de l'hypothèse illusionniste
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qui, pour être acceptée, doit justement être indiscutable; elles ne jettent pas un pont sur l'abîme qui sépare la vraie nature présumée de la Réalité éternelle du caractère opposé et paradoxal de l'Illusion cosmique. Elles indiquent tout au plus un processus qui prétend rendre concevable et intelligible la coexistence des deux opposés, mais n'a pas un pouvoir de certitude ou de conviction lumineuse suffisant pour s'imposer à l'intellect, contre toute probabilité. La théorie de l'Illusion cosmique se débarrasse d'une contradiction originelle, d'un problème et d'un mystère qui autrement pourrait être résolu, en érigeant une autre contradiction, .'un; nouveau problème et' un nouveau mystère dont les termes sont inconciliables et qui demeure insoluble. Car nous partons de la conception ou de l'expérience d'une Réalité absolue — qui, en sa nature, est éternellement une, supracosmique, statique, immobile, immuable, intrinsèquement consciente de sa pure existence — et du phénomène du cosmos, du dynamisme, du mouvement, de la mutabilité, des modifications de la pure existence originelle, de la différenciation, de la multiplicité infinie. On se débarrasse de ce phénomène en déclarant qu'il est une Illusion perpétuelle. Maya. Mais cela introduit effectivement un état de conscience duel et contradictoire, inhérent à l'Un, dans le but d'annuler un état d'être duel et contradictoire également inhérent à l'Un. On annule une vérité phénoménale, la multiplicité de l'Un, en établissant une fausseté conceptuelle dans l'Un, qui crée une multiplicité irréelle. L'Un, à jamais conscient en soi de sa pure existence, entretient une perpétuelle imagination ou une construction illusoire de lui-même sous la forme d'une multiplicité infinie d'êtres ignorants qui souffrent, inconscients d'eux-mêmes, et doivent s'éveiller les uns après les autres à la conscience de leur moi et cesser d'être individuellement.
Quand nous en venons ainsi à résoudre une énigme par une nouvelle énigme, nous commençons de soupçonner qu'il devait manquer un élément dans nos prémisses initiales — elles n'étaient pas fausses mais incomplètes. C'était un premier exposé, un fondement indispensable. Nous commençons à envisager la Réalité comme une éternelle unité, un état éternel, une immuable essence de pure existence soutenant une dynamis éternelle, un éternel mouvement, une multiplicité et une diversité infinies de cette Réalité. L'état immuable d'unité tire de soi la dynamis, le mouvement et la multiplicité — la dynamis, le mouvement et la multiplicité n'abolissant pas, mais mettant en relief l'unité éternelle et infinie. Si la conscience du Brahman peut, en son état ou son
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action, être duelle, ou même multiple, il n'y a apparemment aucune raison pour que le Brahman soit incapable d'avoir un état duel ou une expérience multiple, et réelle, de son être. La conscience cosmique serait alors non point une Illusion créatrice, mais l'expérience d'une certaine vérité de l'Absolu. Une fois élaborée, cette explication pourrait s'avérer plus intégrale et spirituellement plus féconde, elle unirait de façon plus harmonieuse les deux termes de notre expérience de nous-mêmes, et elle serait au moins aussi logiquement défendable que l'idée d'une Réalité éternelle soutenant à perpétuité une éternelle illusion, réelle seulement pour une multiplicité infinie d'êtres plongés dans l'ignorance et la souffrance, et qui, un à un, s'évadent de l'obscurité et de la douleur de la Maya, chacun s'abolissant séparément dans la Maya.
Dans la philosophie de Shankara, que l'on peut qualifier d'illusionnisme nuancé, se trouve une seconde réponse possible au problème, fondée sur la théorie illusionniste, et cette réponse, présentée avec une force et une intégralité extraordinairement frappantes, nous fait faire un premier pas vers la solution. Car cette philosophie affirme que la Maya possède une réalité modifiée ; elle la définit en effet comme un mystère ineffable et inexplicable, mais nous offre en même temps un moyen rationnel, et à première vue entièrement satisfaisant, de résoudre J'.opposition qui trouble notre mental; elle explique le sentiment que nous avons de la persistante et insistante réalité de l'univers, et le sentiment de l'incertitude, de l'insuffisance, de la vanité, de l'évanescence, et d'une certaine irréalité de la vie et des phénomènes. Elle établit en effet une distinction entre deux ordres de réalité : transcendantale et pragmatique, absolue et phénoménale, éternelle et temporelle — la première représentant la réalité de l'être pur du Brahman, absolue, supracosmique et éternelle; la seconde, la réalité du Brahman dans la Maya, cosmique, temporelle et relative. Nous y trouvons une réalité pour nous-mêmes et pour l'univers, car le moi individuel est réellement le Brahman ; c'est le Brahman qui, dans le domaine de la Maya, semble lui être phénoménalement soumis en tant qu'individu et qui, finalement, libère l'individu relatif et phénoménal en son être vrai et éternel. Dans le domaine temporel des relativités, notre expérience du Brahman qui est devenu tous les êtres, de l'Éternel qui est devenu universel et individuel, est également valable; c'est en effet une étape intermédiaire du mouvement dans la Maya qui nous aide à nous affranchir de la Maya. L'univers lui aussi, et ses expériences, sont réels pour la conscience dans le Temps,
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et cette conscience est réelle. Mais la question concernant la nature et l'étendue de cette réalité se pose aussitôt, car il se peut que l'univers et nous-mêmes soyons une vraie réalité, quoique d'un ordre inférieur, ou soyons en partie réels et en partie irréels, ou soyons une réalité irréelle. Si l'univers et nous-mêmes sommes effectivement une réalité vraie, il n'est de place pour aucune théorie de la Maya ; il n'y a pas de création illusoire. Si nous-mêmes et l'univers sommes en partie réels et en partie irréels, c'est qu'il doit y avoir quelque chose de faux en la conscience de soi cosmique ou en notre vision de nous-mêmes et de l'univers qui produit une erreur d'être, une erreur de connaissance, une erreur dans la dynamis de l'existence. Mais cette erreur ne peut être plus qu'une ignorance ou qu'un mélange de connaissance et d'ignorance, et ce qu'il faut alors expliquer n'est pas une Illusion cosmique originelle, mais l'intervention de l'Ignorance dans la conscience créatrice ou dans l'action dynamique de l'Éternel et Infini. Mais si l'univers et nous-mêmes sommes une réalité irréelle, si pour une conscience transcendantale tout ceci n'a aucune vérité d'existence et que sa réalité apparente cesse dès que nous quittons le domaine propre à la Maya, alors la concession accordée d'une main est reprise de l'autre ; car ce que nous prenions pour une vérité n'a jamais cessé d'être une illusion. La Maya et le cosmos et nous-mêmes sommes à la fois réels et irréels — mais la réalité est une réalité irréelle, réelle seulement pour notre ignorance, irréelle pour toute connaissance vraie.
Une fois que l'on a concédé une quelconque réalité à nous-mêmes et à l'univers, on voit difficilement pourquoi ce ne serait pas une vraie réalité dans ses propres limites. On peut admettre qu'à la surface la manifestation doit être une réalité plus restreinte que le Manifesté; notre univers est, pouvons-nous dire, l'un des rythmes du Brahman et non, excepté en son être essentiel, la réalité tout entière, mais ce n'est pas une raison suffisante pour l'écarter comme irréel. Assurément, le mental qui se retire de lui-même et de ses structures se perçoit ainsi, mais c'est seulement parce que le mental est un instrument de l'Ignorance et qu'en se retirant de ses constructions, de son image ignorante et imparfaite de l'univers, il est obligé de les considérer comme ses propres fictions, et rien de plus : des constructions sans fondement et irréelles ; te gouffre qui sépare son ignorance de la Vérité et de la Connaissance suprêmes l'empêche de découvrir les vrais rapports qui existent entre la Réalité transcendante et la Réalité cosmique. Dans un état de conscience
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plus élevé, la difficulté disparaît, le lien est établi; le sens de l'irréalité s'estompe, et une théorie de l'illusion devient superflue, et inapplicable. Dire que la Conscience Suprême ne porte aucun regard sur l'univers ou qu'elle le considère comme une fiction que son moi dans le Temps tient pour réel, ne saurait être la vérité ultime. Le cosmique ne peut exister que s'il dépend du supracosmique, le Brahman dans le Temps doit avoir une certaine signification pour le Brahman dans l'éternité intemporelle ; autrement, il ne pourrait y avoir de moi, d'esprit dans les choses, et dès lors aucune base pour l'existence temporelle.
Mais l'univers est condamné comme finalement irréel parce qu'il est temporaire et non pas éternel, une forme d'être périssable imposée au Sans-Forme, à l'Impérissable. On peut illustrer cette relation par une analogie, celle de la terre et du pot : le pot et les autres formes ainsi créés périssent et retournent à la réalité, la terre, ce ne sont que des formes évanescentes ; lorsqu'elles disparaissent, il ne demeure que la terre essentielle et sans forme, et rien d'autre. Mais cette analogie est plus convaincante si on la tourne dans l'autre sens; car le pot est réel, pour la raison même qu'il est fait de la substance de la terre, qui est réelle ; ce n'est pas une illusion et, même lorsqu'il se dissout dans la terre originelle, rien ne permet de penser que son existence passée ait été irréelle ou illusoire. Le rapport n'est pas celui d'une réalité originelle et d'une irréalité phénoménale, mais d'une réalité originelle ou —si nous remontons de la terre à l'invisible substrat, à l'éther constitutif — d'une réalité éternelle et non manifestée à une réalité résultante et dépendante, temporelle et manifestée. En outre, la forme du pot est une éternelle possibilité de la substance terre, ou de la substance éthérique, et tant que la substance existe, la forme peut toujours être manifestée. Une forme peut disparaître, mais elle ne fait que passer de la manifestation dans la non-manifestation; un monde peut disparaître, mais il n'y a, aucune preuve que l'existence cosmique. soit un phénomène évanescent : au contraire, nous pouvons supposer que le pouvoir de manifestation est inhérent au Brahman et continue d'agir continûment .dans l'éternité-du-Temps ou dans une éternelle récurrence. Le cosmique est un ordre du Réel différent de la Transcendance supracosmique, mais il n'est pas nécessaire de le considérer en aucune façon comme non existant ou irréel pour cette Transcendance. Car la conception purement intellectuelle selon laquelle seul l'Éternel est réel, à savoir que la réalité dépend d'une durée perpétuelle, ou que l'intemporel seul est
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vrai suivant le sens que nous lui donnons, est une distinction idéative, une construction mentale; elle ne s'impose pas dans une expérience concrète et intégrale. Le Temps n'est pas nécessairement annulé, rayé de l'existence par l'Éternité intemporelle ; leur rapport n'est contradictoire que dans les termes ; en fait, il s'agit plus probablement d'un rapport de dépendance.
De même est-il difficile d'accepter le raisonnement qui annule la dynamique de l'Absolu, et d'accepter que les stigmates d'une réalité irréelle soient imposés à la vérité pragmatique des choses sous prétexte qu'elle est pragmatique ; car après tout, la vérité pragmatique n'est pas quelque chose d'entièrement différent, d'entièrement séparé de la vérité spirituelle et sans rapport avec elle, c'est un résultat de l'énergie, un mouvement de l'activité dynamique de l'Esprit. Certes, nous devons établir une distinction entre les deux, mais l'idée d'une opposition complète ne peut reposer que sur le postulat selon lequel un état silencieux et paisible constitue l'être véritable et intégral de l'Éternel; dans ce cas, nous devons en conclure qu'il n'y a rien de dynamique dans l'Absolu et que tout dynamisme contredit la nature suprême de l'Éternel et Divin. Mais s'il existe une certaine réalité temporelle ou cosmique, il doit exister un pouvoir, une force dynamique inhérente à l'Absolu qui l'a engendrée, et il n'y a aucune raison de supposer que le pouvoir de l'Absolu puisse seulement créer des illusions. Au contraire, le Pouvoir créateur doit être la force d'une Conscience omnipotente et omnisciente; les créations de l'absolument Réel doivent être réelles et non pas illusoires, et puisqu'il est l'Unique Existence, elles doivent être des créations, des formes d'une manifestation de l'Éternel par l'Éternel, et non des formes de Rien construites à partir du Vide originel-— que ce soit un être vide ou une conscience vide — par la Maya.
Le refus de reconnaître l'univers comme réel part du concept ou de l'expérience que la Réalité est immuable, sans traits, inactive, et réalisée par une conscience qui est elle-même tombée dans un état de silence et d'immobilité. L'univers est un résultat de la dynamis en mouvement, il est une force d'être se projetant dans l'action, une énergie à l'œuvre, que cette énergie soit conceptuelle ou mécanique, ou qu'elle soit une dynamis spirituelle, mentale, vitale ou matérielle ; on peut ainsi le considérer comme une contradiction, ou une dérogation à soi-même, de l'éternelle Réalité immobile et statique, et par conséquent irréel.
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Mais en tant que concept, cette position de la pensée n'est nullement indiscutable ; il n'y a aucune raison de ne pas concevoir que la Réalité puisse être à la fois statique et dynamique. Il est parfaitement rationnel de supposer que l'état d'être statique éternel de la Réalité contient en soi une force d'être éternelle, et que cette dynamis doit nécessairement porter en soi un pouvoir d'action et de mouvement, une kinesis ; l'état statique de l'être et le mouvement de l'être peuvent tous deux être réels. II1 n'y a. non plus aucune raison pour qu'ils ne soient pas simultanés; au contraire, la simultanéité est requise — car toute énergie, toute action cinétique doit s'appuyer sur l'état statique ou être soutenue par lui pour être effective ou créatrice ; sinon, il n'y aurait aucune solidité dans tout ce qui est créé, seulement un constant tourbillon sans aucune formation; l'état statique de l'être, la forme de l'être sont nécessaires à la kinesis de l'être. Même si l'énergie est la réalité primordiale, comme elle semble l'être dans le monde matériel, il lui faut néanmoins créer son propre état statique, des formes et des êtres durables afin d'avoir un support pour son action : l'état statique peut être temporaire, il peut n'être qu'une balance ou un équilibre de la substance, créé et maintenu par une constante kinesis, mais tant qu'il dure il est réel et, après qu'il a cessé, nous le regardons encore comme quelque chose qui a été réel. Le principe d'un état statique soutenant l'action est un principe permanent, et son action est constante dans l'éternité temporelle. Lorsque nous découvrons la Réalité stable qui est à la base de tout ce mouvement d'énergie et de toute cette création de formes, nous percevons en fait que t'état statique des formes créées n'est que temporaire; il y a une stabilité de répétition de la kinesis dans une même action persistante et une même représentation du mouvement qui maintient la substance de l'être en une forme stable d'elle-même ; mais cette stabilité est créée, et le seul état statique permanent et existant en soi est celui de l'Être éternel dont l'Énergie a érigé les formes. Cependant, nous ne devons pas eh conclure que les formes temporaires sont irréelles, car l'énergie de l'être est réelle et les formes qu'elle produit sont des formes de l'être. De toute façon, l'état statique de l'être et l'éternelle dynamis de l'être sont t0us'deux réels,et ils sont simultanés; l'état statique admet l'action de la dynamis, et l'action n'annule pas l'état statique. Nous devons donc en conclure que l'éternel état statique et la dynamis éternelle sont tous deux vérités de la Réalité, qui elle-même dépasse et l'état statique et la dynamis ; le Brahman immobile et le Brahman en mouvement sont une seule et même Réalité.
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Mais, dans l'expérience, nous découvrons que, pour nous, c'est habituellement la tranquillité qui amène la réalisation stable de l'éternel et de l'infini : c'est dans le silence ou la quiétude que nous sentons le plus fermement ce Quelque chose qui est derrière le monde tel que nous le présentent notre mental et nos sens. L'action cognitive de notre pensée, l'action de notre vie et de notre être semblent recouvrir la vérité, la réalité ; elles saisissent le fini mais non l'infini, elles s'occupent du Réel temporel et non du Réel éternel. Et l'argument avancé par: la, raison pour expliquer ce fait, c'est que toute action, toute création, toute perception déterminante nous limite; elle n'embrasse ni ne saisit la Réalité, et ses constructions disparaissent quand nous pénétrons dans là conscience indivisible et indéterminable du Réel : ces constructions sont irréelles dans l'éternité, aussi réelles puissent-elles sembler ou puissent-elles être dans le Temps. L'action mène à l'ignorance, au créé et au fini ; la kinesis et la création contredisent la Réalité immuable, la pure Existence incréée. Mais ce raisonnement n'est pas entièrement valable, car il ne considère la perception et l'action que telles qu'elles sont dans notre cognition mentale du monde et de son mouvement; mais c'est là l'expérience de notre être de surface qui regarde les choses à partir de son mouvement fluctuant dans le Temps, regard qui est lui-même superficiel, fragmentaire et délimité, qui n'est pas total, qui ne pénètre pas le sens intérieur des choses. En fait, nous découvrons que l'action ne nous enchaîne pas, ne nous limite pas nécessairement, si nous passons de, cette cognition momentanée à une cognition de l'éternel, propre à la conscience vraie. L'action n'enchaîne ni ne limite l'homme libéré; l'action n'enchaîne ni ne limite l'Éternel : mais nous pouvons aller plus loin et dire que l'action n'enchaîne ni ne limite aucunement notre être vrai. L'action n'a un tel effet ni sur la Personne spirituelle ou Purusha, ni sur l'entité psychique en nous, elle n'enchaîne ou ne limite que la personnalité construite, superficielle. Cette personnalité est une expression temporaire, une forme changeante de notre être essentiel ; elle reçoit de lui la force d'exister, lui doit sa substance et sa durée — une expression temporaire, mais non point irréelle. Notre pensée et notre action sont des moyens d'expression de notre moi, et, comme cette expression est incomplète et évolutive, comme elle est un développement de notre être naturel dans le Temps, la pensée et l'action l'aident à se développer, à changer, à modifier et à étendre ses limites, mais en même temps à maintenir des limites; en ce sens, elles limitent et enchaînent, et sont elles-mêmes un mode incomplet de révélation du moi. Mais quand
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nous rentrons à nouveau en nous-mêmes, dans le vrai moi, la vraie personne, il n'y a plus de contrainte ni de borne dues aux limites de l'action ou de la perception; toutes deux se manifestent comme expressions de la conscience et comme expressions de la force du moi, agissant pour la libre auto-détermination de son être-dans-la-nature, pour le déploiement, le devenir dans le temps de quelque chose qui est en soi illimitable. La limitation, qui est une circonstance nécessaire à une auto-détermination évolutive, pourrait être une abrogation du moi ou une dérogation au moi, à la Réalité, et donc être elle-même irréelle, si elle modifiait le caractère essentiel ou la totalité de l'être ; elle serait une servitude de l'esprit et par conséquent illégitime si, par une imposition étrangère procédant de la force d'un non-moi, elle obscurcissait la Conscience qui est au plus profond de nous le témoin et créateur de notre existence cosmique, ou si elle construisait quelque chose qui soit contraire à l'Être, à sa conscience de soi ou à sa volonté de devenir. Mais l'essence de l'Être demeure la même en toute action et toute formation, et les limitations librement acceptées n'enlèvent rien à la totalité de l'Être; acceptées, imposées volontairement et non de l'extérieur, elles sont un moyen d'exprimer notre totalité dans le mouvement du Temps, un ordre de choses que notre être spirituel intérieur impose à notre être naturel extérieur, non une servitude infligée à l'Esprit à jamais libre. Il n'y a donc aucune raison de conclure, au vu des limitations de la perception et de l'action, que le mouvement est irréel, ou irréelles l'expression, la formation ou la création de soi de l'Esprit. C'est un ordre temporel de réalité, mais ce n'en est pas moins une réalité du Réel, et non quelque chose d'autre. Tout ce qui est dans la kinesis, le mouvement, l'action, la création, est le Brahman ; le devenir est un mouvement de l'Être, le Temps est une manifestation de l'Éternel. Tout est un Être, une Conscience, une jusque dans l'infinie multiplicité, et il n'est nul besoin de la couper en deux et d'opposer une Réalité transcendante à une Maya cosmique irréelle.
Dans la philosophie de Shankara, on sent la présence d'un conflit, d'une opposition que sa puissante intelligence a exposée avec toute sa force et magistralement systématisée plutôt qu'il ne l'a résolue de façon décisive ; c'est le conflit entre une intuition intensément consciente d'une Réalité profonde, absolue, transcendante, et une raison intellectuelle puissante qui regarde le monde avec une intelligence rationnelle vive et pénétrante. L'intellect du penseur considère le monde phénoménal
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du point de vue de la raison; la raison y est le juge et l'autorité, et nulle autorité suprarationnelle ne peut prévaloir contre elle; mais derrière le monde phénoménal, il y a une Réalité transcendante que seule l'intuition peut voir; et là, la raison — du moins une raison limitée, finie, qui divise — ne peut prévaloir contre l'expérience intuitive, elle ne peut même pas relier les deux, et ne peut donc résoudre le mystère de l'univers. La raison doit affirmer la réalité de l'existence phénoménale, affirmer que ces vérités sont valables ; mais elles ne sont valables que dans cette existence phénoménale. Or celle-ci est réelle parce qu'elle est un phénomène temporel de l'Existence éternelle, de la Réalité, mais elle n'est pas elle-même cette Réalité, et quand nous allons au-delà du phénomène vers le Réel, elle existe encore mais n'est plus valable pour notre conscience; elle est par conséquent irréelle. Shankara affronte cette contradiction, cette opposition qui est normale pour notre conscience mentale quand elle prend conscience des deux côtés de l'existence et se tient entre eux ; il la résout en obligeant la raison à reconnaître ses limites, où elle garde une souveraineté intacte dans sa propre province cosmique, à céder à l'intuition qu'a l'âme de la Réalité transcendante et, par une dialectique qui aboutit à la dissolution de tout l'édifice cosmique phénoménal et rationnel-pratique des choses, à soutenir son évasion hors des limitations construites et imposées au mental par la Maya. L'explication de l'existence cosmique qui conduit à cette conclusion paraît être — ou nous pouvons du moins la traduire ainsi pour notre compréhension, car on a exposé de différentes façons cette profonde et subtile philosophie — qu'il y a une Transcendance à jamais existante en soi et immuable, et un monde seulement phénoménal et temporel. Pour le monde phénoménal, la Réalité éternelle se manifeste comme Moi et îshwara. Par sa Maya, par son pouvoir de création phénoménale, l'îshwara construit ce monde comme phénomène temporel, et ce phénomène de choses qui n'existent pas dans l'absolument réel est imposé à la Réalité supraconsciente ou purement consciente de soi par la Maya au moyen de notre conscience conceptive et perceptive. Le Brahman, la Réalité, apparaît dans l'existence phénoménale comme le Moi de l'individu vivant; mais quand l'individualité de l'individu est dissoute par la connaissance intuitive, l'être phénoménal est libéré dans l'être en soi : il n'est plus soumis à la Maya et, affranchi de l'apparence d'individualité, il s'abolit dans la Réalité; mais le monde continue d'exister sans commencement ni fin en tant que création mâyique de l'Îshwara.
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C'est là un système qui relie les données de l'intuition spirituelle à celles de la raison et des sens, et il nous offre un moyen d'échapper à leur contradiction, une issue spirituelle et pratique : mais ce n'est pas une solution, cela ne résout pas la contradiction. La Maya est réelle et irréelle ; le monde n'est pas simplement une illusion, car il existe et il est réel dans le Temps, mais finalement, et transcendentalement, il s'avère irréel. Cela crée une ambiguïté qui s'étend au-delà de son propre domaine pour affecter tout ce qui n'est pas la pure existence en soi. Ainsi l'îshwara, bien qu'il ne soit pas leurré par la Maya et demeure le créateur de la Maya, semble être lui-même un phénomène du Brahman et non la Réalité ultime : il n'est réel que par rapport au monde temporel qu'il crée. Le moi individuel a un caractère tout aussi ambigu. Si la Maya devait cesser complètement toute activité, l'îshwara, le monde et l'individu n'existeraient plus ; mais la Maya est éternelle, l'îshwara et le monde sont éternels dans le Temps, l'individu subsiste aussi longtemps qu'il ne s'annule pas lui-même en atteignant la connaissance. Sur ces prémisses notre pensée doit se réfugier dans la conception d'un ineffable mystère suprarationnel, insoluble pour l'intellect. Mais confrontés à cette ambiguïté, à cette acceptation d'un mystère insoluble, à l'origine des choses et à la fin du processus de la pensée, nous commençons à soupçonner qu'il manque un chaînon. L'îshwara n'est pas lui-même un phénomène de la Maya, il est réel ; il doit dès lors être la manifestation d'une vérité de la Transcendance, ou il doit être le Transcendant lui-même dans ses rapports avec un cosmos manifesté en son propre être. Si le monde est tant soit peu réel, il doit, lui aussi, être la manifestation d'une vérité de la Transcendance; car elle seule peut avoir quelque réalité. Si l'individu a le pouvoir de découvrir son moi et d'entrer dans l'éternité transcendante, et si sa libération a une aussi grande importance, ce doit être parce que lui aussi est une réalité de la Transcendance; il doit se découvrir individuellement, car son individualité possède également une certaine vérité dans la Transcendance qui lui est voilée et qu'elle doit recouvrer. C'est une ignorance du moi et du monde qui doit être surmontée et non point une illusion, une individualité et une existence cosmique fictives.
Il devient évident que si la Transcendance est suprarationnelle et ne peut être appréhendée que par une expérience et une réalisation intuitives, de même le mystère de l'univers est-il, lui aussi, suprarationnel. Il doit l'être, puisqu'il est un phénomène de la Réalité transcendante,
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sinon la raison intellectuelle ne serait pas incapable de le résoudre. Mais dans ce cas, nous devons dépasser l'intellect afin de jeter un pont sur l'abîme et de pénétrer le mystère ; laisser une contradiction sans la résoudre ne peut être la solution définitive. C'est la raison intellectuelle qui, cristallise et perpétue une contradiction apparente en créant ses concepts qui opposent ou divisent : le Brahman, le Moi, l'îshwara, l'être individuel, la Conscience suprême ou la supraconscience et la conscience cosmique mâyique. Si le Brahman seul existe, tous ces concepts doivent être le Brahman, et dans la conscience du Brahman leur division doit disparaître en une vision du moi réconciliatrice ; mais nous ne pouvons atteindre à leur vraie unité qu'en dépassant la raison intellectuelle et en découvrant, par l'expérience spirituelle, où ils se rencontrent et deviennent un, et ce qu'est la réalité spirituelle de leur apparente divergence. En fait, les divergences ne peuvent exister dans la conscience-du-Brahman ; quand nous y pénétrons, elles doivent converger pour former âme unité : les divisions de la raison intellectuelle peuvent correspondre à une réalité, mais ce doit être alors la réalité d'une Unité multiple. Le Bouddha appliqua son intelligence rationnelle pénétrante, soutenue par une vision intuitive, au monde tel que le voient notre mental et nos sens, et il découvrit le principe de sa construction et le moyen de s'affranchir de toute construction, mais il refusa d'aller plus loin. Shankara fit un pas de plus et considéra la Vérité suprarationnelle, que le Bouddha avait gardée derrière le voile, estimant qu'on peut la réaliser en abolissant les constructions de la conscience, mais qu'elle est inaccessible à la raison. Se tenant entre le monde et la Réalité éternelle, Shankara vit qu'en fin de compte le mystère du monde doit être suprarationnel et que notre raison ne peut le concevoir ni l'exprimer, anirvachanîya ; mais il insista sur la validité du monde, tel que le voient la raison et les sens et il dut, en conséquence, postuler une réalité irréelle, car il n'est pas allé au-delà. Pour connaître la vérité réelle du monde, sa réalité, il faut en effet le voir depuis une conscience suprarationnelle, avec la vision de la Supraconscience qui le maintient et le dépasse et, le dépassant, le connaît en sa vérité, et non plus avec la vision de la conscience maintenue et dépassée par le monde, et qui ne peut donc le connaître ou ne le connaît que d'après son apparence. Il est impossible que, pour cette suprême conscience créatrice de soi, le monde soit un mystère incompréhensible, ou une illusion qui, pourtant, n'est pas tout à fait une illusion, une réalité qui est cependant irréelle. Le mystère de l'univers doit avoir pour le Divin un sens divin; il doit avoir une signification ou une vérité
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d'être cosmique qui soit lumineuse pour la Réalité qui le soutient de sa supraconscience transcendante et cependant immanente.
Si la Réalité seule existe et si tout est la Réalité, le monde non plus ne peut être exclu de cette Réalité : l'univers est réel. Si, en ses formes et ses pouvoirs, il ne nous révèle pas la Réalité qu'il est, s'il semble n'être qu'un mouvement persistant et néanmoins changeant dans l'Espace et le Temps, il doit en être ainsi, non parce qu'il est irréel ou qu'il n'est pas du tout Cela, mais parce qu'il est une expression progressive, une manifestation, un développement de Cela qui évolue dans le Temps, et dont notre conscience ne peut pas voir encore la signification totale ou essentielle. En ce sens, nous pouvons dire qu'il est Cela et qu'il n'est pas Cela —car il ne dévoile pas toute la Réalité par .une forme ou un ensemble quelconques de formes de son expression de soi ; mais toutes ses formes sont néanmoins des formes de la substance et de l'être de cette Réalité. Tous les finis sont l'Infini en leur essence spirituelle et, pour peu que nous regardions assez profondément en eux, ils manifestent, à l'intuition, l'Identique et l'Infini. En vérité, on soutient que l'univers ne saurait être une manifestation parce que la Réalité n'a nul besoin de manifestation, étant à jamais manifestée pour elle-même; mais de la même manière, on peut dire également que la Réalité n'a nul besoin de se tromper elle-même, ou de toute autre forme d'illusion, nul besoin de créer un univers mâyique. L'Absolu ne peut avoir besoin d'aucune chose*; Cependant — sans faire pression sur sa liberté, ni l'enchaîner, mais en exprimant sa force essentielle, le résultat de sa Volonté de devenir —, il peut y avoir l'impératif d'une Force suprême qui se réalise, une nécessité de création de soi née du pouvoir qu'a l'Absolu de se voir dans le Temps. Cet impératif se représente à nous comme une Volonté de créer, une Volonté d'expression de soi; mais elle peut être mieux représentée comme une force d'être de l'Absolu qui déploie son propre pouvoir dans l'action. Si l'Absolu est évident en soi et pour soi dans l'éternelle Intemporalité, il peut aussi être manifeste en soi et pour soi dans l'éternel mouvement du Temps. Même si l'univers n'est qu'une réalité phénoménale, il n'en est pas moins une manifestation ou un phénomène du Brahman; en effet, toutes choses étant le Brahman, phénomène et manifestation doivent être identiques : leur attribuer une irréalité est une conception superflue, oiseuse et inutilement embarrassante, puisque toute distinction nécessaire se trouve déjà dans le concept de Temps et d'Éternel intemporel et dans le concept de manifestation.
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La seule chose que l'on puisse qualifier de réalité irréelle est notre sens individuel de la séparativité et la conception que le fini est un objet existant en soi dans l'Infini. Cette conception, ce sens, sont pragmatiquement nécessaires aux activités de l'individualité de surface, et leurs effets leur confèrent une efficacité et une justification; ils sont donc réels pour sa raison et son expérience de soi finies ; mais une fois que, nous retirant de la conscience finie, nous passons dans la conscience de l'essentiel et de l'infini, de la Personne apparente à la Personne vraie, le fini, l'individu existe encore, mais comme être, pouvoir et manifestation de l'Infini; il n'a pas de réalité indépendante ou séparée. L'indépendance individuelle, l'entière séparativité, ne sont pas nécessaires à la réalité individuelle et ne la constituent pas. D'autre part, la disparition de ces formes finies de la manifestation est évidemment un facteur du problème, mais en soi cela ne prouve pas qu'elles soient irréelles ; cette disparition peut n'être qu'un retrait hors de la manifestation. La manifestation cosmique de l'Intemporel se déroule dans les successions du Temps : ses formes doivent donc être temporaires dans leur apparition à la surface, mais elles sont éternelles dans leur pouvoir essentiel de manifestation; car elles sont toujours contenues, implicites et potentielles, dans l'essence des choses et dans la conscience essentielle dont elles émergent : la conscience intemporelle peut toujours transformer leur potentialité permanente en termes d'actualisation temporelle. Le monde ne serait irréel que dans le cas où lui-même et ses formes seraient des images sans substance d'être, des fictions de conscience que la Réalité se présenterait à elle-même en tant que pures fictions, et qui seraient ensuite à jamais abolies. Mais si la manifestation, ou si le pouvoir de manifestation est éternel, si tout est l'être du Brahman, la Réalité, alors cette irréalité, ce caractère illusoire ne peut être le caractère fondamental des choses ou du cosmos où elles font leur apparition.
Une théorie de la Maya considérée comme une illusion ou une irréalité de l'existence cosmique, crée plus de difficultés qu'elle n'en résout; elle ne résout pas vraiment le problème de l'existence, mais le rend plutôt à jamais insoluble. En effet, que la Maya soit une irréalité ou une réalité non réelle, les effets ultimes de la théorie portent en eux la dévastatrice simplicité de l'anéantissement. Nous-mêmes et l'univers disparaissons dans le néant ou bien ne conservons que pour un temps une vérité qui ne vaut guère mieux qu'une fiction. Dans la thèse de la pure irréalité de la Maya, toute expérience, toute connaissance aussi
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bien que toute ignorance, la connaissance qui nous libère non moins que l'ignorance qui nous enchaîne, l'acceptation du monde comme le refus du monde, sont deux aspects d'une illusion, car il n'y a rien à accepter ou à refuser, personne pour accepter ou refuser. Rien n'a jamais existé que la Réalité supraconsciente et immuable; la servitude et la délivrance n'ont jamais été que des apparences, non une réalité. Tout attachement à l'existence dans le monde est une illusion, mais l'appel à la libération est aussi une circonstance de l'illusion ; c'est quelque chose qui a été créé en la Maya et qui, en se libérant, s'éteint en la Maya. Mais on ne peut contraindre cet anéantissement à interrompre brusquement sa marche dévastatrice à la frontière que lui fixe un illusionnisme spirituel, -car. si toutes les autres expériences de la conscience individuelle dans l'univers sont des illusions, quelles garanties avons-nous que ces expériences spirituelles ne sont pas, elles aussi, des illusions, y compris même l'expérience de l'immersion de soi dans le Moi suprême dont on nous accorde qu'elle est absolument réelle ? Car si le cosmos n'est pas vrai, notre expérience de la conscience cosmique, du Moi universel, du Brahman comme étant tous ces êtres ou comme le moi de tous ces êtres, de l'Un en tout, de tout en l'Un, n'a aucun fondement sûr, puisque l'un de ses termes repose sur une illusion, sur une construction de la Maya. Ce terme, le terme cosmique, s'écroule fatalement, car tous ces êtres que nous voyions comme le Brahman étaient des illusions; alors quelle certitude avons-nous de notre expérience de l'autre terme, le Moi pur, la Réalité silencieuse statique ou absolue, puisque cette expérience nous vient, elle aussi, dans un mental façonné dans l'illusoire et formé dans un corps créé par une Illusion ? Le caractère convaincant, évident, indiscutable, l'authenticité absolue de la réalisation ou de l'expérience, ne constituent pas une preuve irréfutable qu'elles sont seules réelles ou finales; en effet, d'autres expériences spirituelles, comme celle de la Personne Divine omniprésente. Seigneur d'un Univers réel, ont le même caractère convaincant, authentique et final. Une fois convaincu de l'irréalité de tout le reste, l'intellect est libre de faire un pas de plus et de nier la réalité du Moi et de toute existence. Les bouddhistes ont fait ce dernier pas et ont nié la réalité du Moi, puisqu'il est, comme le reste, une construction du mental ; ils ont éliminé du tableau, non seulement Dieu, mais le Moi éternel et le Brahman impersonnel.
Une théorie aussi radicale de l'Illusion ne résout aucun problème de notre existence ; elle ne fait que trancher le problème pour l'individu
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en lui indiquant une issue : poussée à l'extrême, en sa formulation et son effet, elle suppose que notre être et son action s'annulent, privés de tout support; son expérience, son aspiration, son effort perdent leur sens; tout, à l'exception de la Vérité une, incommunicable et sans relation, et du mouvement de détachement qui y mène, équivaut à une illusion d'être, fait partie d'une Illusion universelle et est elle-même une illusion. Dieu, nous-mêmes, ainsi que l'univers, devenons des mythes de la Maya ; car Dieu n'est qu'un reflet du Brahman dans la Maya, nous ne sommes nous-mêmes que reflets du Brahman dans une individualité illusoire; le monde n'est qu'une imposition sur l'incommunicable existence en soi du Brahman. L'anéantissement est moins radical si l'on admet que l'être, même dans l'illusion, a une certaine réalité, que l'expérience et la connaissance, grâce auxquelles nous croissons en l'esprit, ont une certaine validité : mais c'est à condition que le temporel ait une réalité valide et que l'expérience qui s'y déroule ait une réelle validité, et, dans ce cas, nous sommes confrontés, non à une illusion qui prend l'irréel pour le réel, mais à une ignorance qui appréhende mal le réel. Car si les êtres dont le Brahman est le moi sont illusoires, sa qualité de moi n'est pas valide, elle fait partie d'une illusion; l'expérience du moi est elle aussi une illusion: l'expérience " je suis Cela " est viciée par une conception ignorante, car il n'y a pas de je, il n'y a que Cela; l'expérience " je suis Lui " est doublement ignorante, car elle suppose un Éternel conscient, un Seigneur de l'univers, un Être cosmique, mais il ne peut rien exister de tel s'il n'y a aucune réalité dans l'univers. Urne réelle solution au problème de l'existence ne peut que reposer sur une vérité qui explique notre existence et l'existence du monde, réconcilie leurs vérités, leur juste relation et la vérité de leur relation avec-la Réalité transcendante, quelle qu'elle soit, qui est la source de tout; Mais cela implique une certaine réalité de l'individu et du cosmos, une certaine relation vraie entre l'Unique Existence et toutes les existences, entre l'expérience relative et l'Absolu.
La théorie de l'Illusion tranche le nœud du problème du monde, elle ne le démêle pas ; c'est une évasion, non une solution : un envol de l'esprit n'est pas une victoire suffisante pour l'être incarné dans ce monde du devenir ; cela aboutit à une séparation d'avec la Nature, non à une libération et un accomplissement de notre nature. Ce résultat final ne satisfait qu'un seul élément, n'exhausse qu'une seule impulsion de notre être ; il exclut tout le reste et, l'abandonnant à son sort, le laisse
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périr dans le crépuscule de l'irréelle réalité de la Maya. Dans la pensée métaphysique comme dans la Science, la solution générale et ultime qui inclut et explique tout, en sorte que chaque vérité d'expérience trouve sa place dans l'ensemble, a de grandes chances d'être la meilleure; la connaissance la plus haute est très probablement celle qui illumine, intégralise, harmonise la signification de toute connaissance, donne l'explication de notre ignorance et de l'illusion, en trouve la raison fondamentale et, on pourrait presque dire, la justification, tout en y remédiant; c'est là l'expérience suprême qui rassemble toutes les expériences dans la vérité d'une suprême unité où tout est concilié. L'illusionnisme unifie par élimination; il prive toute connaissance et toute expérience, sauf l'unique fusion suprême, de réalité et de sens.
Mais ce débat appartient au domaine de la raison pure; or le critère final des vérités de cet ordre n'est pas la raison, mais l'illumination spirituelle que vérifie le fait permanent de l'esprit ; une seule expérience spirituelle décisive peut défaire tout un édifice de raisonnements et de conclusions érigé par l'intelligence logique. Ici, la théorie de l'illusionnisme occupe un terrain très solide ; car, bien qu'elle ne soit en elle-même rien de plus qu'une formulation mentale, l'expérience qu'elle expose dans sa philosophie accompagne une réalisation spirituelle très puissante et apparemment définitive. Elle s'impose très fortement à nous, en nous éveillant à la réalité quand la pensée est au repos, quand le mental se retire de ses constructions et que nous passons dans le pur état du moi, dénué de tout sens de l'individualité, vide de tout contenu cosmique. Si le mental spiritualisé regarde alors l'individu et le cosmos, il est très possible qu'ils lui fassent l'effet d'une illusion, d'un système de noms, de formes et de mouvements trompeusement imposés sur la seule réalité de l'Existant-en-Soi. Le sens du moi peut même devenir inadéquat : connaissance et ignorance disparaissent toutes deux dans la Conscience pure, et la conscience est plongée dans une transe de pure existence supraconsciente ; même l'existence finit par devenir un terme trop limitatif pour exprimer Cela qui, seul, demeure à jamais : il n'existe qu'un Éternel intemporel, un Infini aspatial, l'absolu de l'Absolu, une paix sans nom, une seule Extase sans objet qui nous submerge. Certes, la validité — complète en soi — de cette expérience est indubitable ; on ne peut nier le pouvoir de conviction décisif et irrésistible — ekâtma-pratyaya-sâram — de cette réalisation quand elle s'empare de la conscience du chercheur spirituel. Mais toute expérience spirituelle est néanmoins une expérience
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de l'Infini, et elle prend des directions multiples ; certaines — et pas seulement celle dont nous avons parlé plus haut — sont si proches du Divin et de l'Absolu, si imprégnées de la réalité de Sa présence ou de la paix et du pouvoir ineffables de la libération hors de tout ce qui est moins que Cela, qu'elles sont accompagnées d'un sentiment impérieux de finalité complète et décisive. Il y a de multiples voies d'approche de la Suprême Réalité, et de la nature du chemin suivi dépend la nature de l'expérience ultime qui nous fait pénétrer en Cela qui est ineffable, en Cela que rien ne peut traduire pour le mental, et qu'aucun langage ne peut exprimer. Ces sommets les plus hauts peuvent être considérés comme les avant-" dernières étapes vers l'Ultime; elles permettent à l'âme de franchir les limites du Mental et d'entrer dans l'Absolu. Est-elle alors l'une de ces pénultièmes, cette réalisation qui consiste à passer en une immobile et pure existence; en soi, -en ce Nirvana de l'individu et de l'univers, ou est-elle en soi la réalisation finale et absolue qui, à la fin de tout voyage, transcende et élimine toute expérience inférieure ? Elle prétend se tenir derrière, remplacer, intégrer et éliminer toute autre connaissance ; si tel est le cas, il faut accepter son caractère final, et le débat est clos. Mais cette allégation a été contredite : on a soutenu, en effet, qu'il est possible de voyager au-delà par une plus grande négation ou par une plus grande affirmation — d'abolir le moi dans le Non-Être ou de traverser la double expérience de la conscience cosmique et du Nirvana de la conscience universelle dans l'Existence Une, pour atteindre une Union, une Unité Divine plus grande qui contient ces deux réalisations ensa vaste Réalité intégrale. On dit que, par-delà la dualité et la non-dualité, il y a Cela en quoi les deux sont réunies et trouvent leur vérité dans une Vérité qui les dépasse. On peut admettre comme étape vers l'Absolu une expérience culminante qui procède par le dépassement et l'élimination de toutes les autres expériences possibles, mais inférieures. Une suprême expérience qui affirme et inclut la vérité de toute expérience spirituelle, qui donne à chacune son propre absolu, qui rend intégrales toute connaissance et toute expérience dans une suprême réalité, pourrait bien être la prochaine étape, celle à la fois d'une très vaste Vérité de toutes choses, qui illumine et transforme, et de la plus haute, de l'infinie Transcendance. Le Brahman, Réalité suprême, est Cela qui, connu, fait que tout est connu ; mais dans la solution illusionniste, c'est Cela qui, connu, fait que tout devient irréel, devient un mystère incompréhensible : dans l'autre expérience, la Réalité étant connue, tout revêt sa vraie signification, sa vérité par rapport à l'Éternel et Absolu. .
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Toutes les vérités, même celles qui semblent s'opposer, ont leur mérite, mais elles ont besoin d'être harmonisées en une très vaste Vérité qui les intègre ; toutes les philosophies ont leur valeur — ne serait-ce que parce qu'elles voient le Moi et l'univers du point de vue de l'esprit, lorsqu'il fait l'expérience de cette Manifestation multiforme et, ce faisant, elles mettent en lumière un certain élément que nous devons connaître dans l'Infini. Toutes les expériences spirituelles sont vraies, mais elles nous montrent la voie vers la réalité la plus haute et la plus vaste qui soit, qui admet leur vérité et la dépasse. C'est, en quelque sorte, un signe de la relativité de toute vérité et de toute expérience, puisque celles-ci varient selon le regard extérieur et intérieur du mental et de l'être qui connaît et qui fait l'expérience ; tout homme, dit-on, a sa propre religion conforme à sa nature, mais on peut dire aussi que tout homme a sa propre philosophie, sa propre vision des choses, sa propre expérience de la vie, bien qu'ils soient peu nombreux à pouvoir le formuler. Mais d'un autre point de vue, cette diversité témoigne plutôt de l'infinité des aspects de l'Infini; chacun saisit un aperçu partiel ou complet d'un ou de plusieurs aspects, ou entre en contact avec lui ou y pénètre en son expérience mentale ou spirituelle. Pour le mental, à un certain stade de son développement, tous ces points de vue commencent à perdre leur caractère définitif pour se fondre en une vaste universalité ou en une incertitude tolérante et complexe, ou bien tout le reste peut même se détacher de lui et céder la place à une vérité ultime ou à une expérience unique et absorbante. C'est alors que le mental risque de sentir l'irréalité de tout &e qu'il a vu, pensé et pris pour une partie de lui-même ou de son univers. Ce " tout " devient pour lui une irréalité universelle ou une réalité fragmentaire aux multiples facettes, sans principe d'unification ; à mesure qu'il accède à la pureté négatrice d'une expérience absolue, tout se détache de lui et seul demeure un Absolu silencieux et immobile. Mais la conscience peut être appelée à aller plus loin et à revoir tout ce qu'elle a quitté à la lumière d'une nouvelle vision spirituelle, et à recouvrer ainsi la vérité de toutes choses dans la vérité de l'Absolu. Elle peut concilier la négation du Nirvana et l'affirmation de la conscience cosmique en un seul regard de Cela dont toutes deux expriment l'essence. Dans le passage de la cognition mentale à la cognition surmentale, cette unité multiforme est l'expérience déterminante; toute la manifestation revêt l'apparence d'une singulière et puissante harmonie qui atteint sa plus grande plénitude quand l'âme se tient à la frontière entre le surmental et le supramental et qu'elle se tourne à nouveau vers l'existence avec une vision intégrale.
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C'est là du moins une possibilité que nous devons explorer, et, par conséquent, cette vision des choses doit être approfondie et poussée jusqu'à ses ultimes conséquences. Il nous a fallu considérer la possibilité d'expliquer l'énigme de l'être par une grande Illusion cosmique, car .cette vision et cette expérience des choses s'imposent avec force à la fin de-la spirale mentale, là où elle atteint son point de rupture ou d'arrêt; mais une fois qu'il est avéré que ce n'est pas la fin inévitable d'une scrupuleuse enquête sur la vérité ultime, nous pouvons l'écarter ou nous y référer seulement si nécessaire, quand nous voulons établir un lien avec une ligne de pensée et de raisonnement plus souple. Notre regard peut maintenant se concentrer sur le problème qui demeure une fois que nous avons exclu la solution illusionniste : le problème de la Connaissance et de l'Ignorance.
Tout gravite autour de la question : " Qu'est-ce que la Réalité ? ;" Notre conscience cognitive est limitée, ignorante, finie ; nos conceptions de la réalité dépendent de notre rapport avec l'existence en cette conscience limitée et peuvent être très différentes de la vision que peut en avoir une Conscience originelle et ultime. Il est nécessaire de distinguer la Réalité essentielle de la réalité phénoménale qui en dépend et en est issue, et de l'expérience ou de la conception restreintes et souvent trompeuses que s'en forment notre expérience sensorielle et notre raison. Pour nos sens, la terre est plate et, à des fins tout à fait pratiques et immédiates, et dans certaines limites, nous devons accepter la réalité sensorielle et considérer comme un fait que la terre est plate ; mais dans la vraie réalité phénoménale, la planéité de la terre est irréelle et la science, recherchant la vérité de la réalité phénoménale objective, doit assumer que la terre est à peu près ronde. Dans une multitude de détails la science contredit le témoignage des sens sur la vérité réelle des phénomènes; mais nous devons néanmoins accepter le cadre fourni par nos sens, car les rapports pratiques avec les choses qu'ils nous imposent ont une validité en tant qu'effet de la réalité et ne peuvent être négligés. Notre raison, s'appuyant sur les sens et les dépassant, construit ses propres normes ou notions du réel et de l'irréel, mais ces normes varient selon le point de vue adopté par l'observateur qui raisonne ainsi. Le physicien, sondant les phénomènes, érige formules et critères basés sur la réalité objective et phénoménale et sur ses processus : le mental peut lui apparaître comme un résultat subjectif de la matière, et le moi et l'esprit lui paraître irréels ; de toute façon, il doit agir comme si la matière et l'énergie seules
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existaient, le mental n'étant qu'un observateur d'une réalité physique indépendante qui ne serait affectée par aucun processus mental¹ ou par aucune présence ou intervention d'une Intelligence cosmique. Le psychologue, sondant de son côté la conscience et l'inconscience mentales, découvre un autre domaine de réalités, d'un caractère subjectif, qui possède sa propre loi et son propre processus. Le Mental peut même lui apparaître comme la clef du réel, la Matière seulement comme un champ pour le jeu du mental, et l'esprit, détaché du mental, comme quelque chose d'irréel. Mais une exploration plus poussée fait émerger la vérité du moi et de l'esprit et établit un ordre supérieur du réel où se produit un renversement de notre vision des réalités mentales subjectives, de même que des réalités physiques objectives, si bien qu'elles apparaissent comme phénoménales, secondaires, dépendant de la vérité du moi et des réalités de l'esprit. En cette quête plus approfondie, le mental et la matière commencent à prendre l'apparence d'un ordre inférieur du réel et peuvent aisément nous paraître irréels.
Mais c'est la raison, habituée à traiter avec le fini, qui fait ces exclusions; elle découpe le tout en segments et peut choisir un seul segment du tout comme s'il était l'entière réalité. Cela est nécessaire à son action, puisqu'elle a pour fonction de traiter le fini en tant que fini, et il nous faut accepter, à des fins pratiques et pour les rapports de la raison avec le fini, le cadre qu'elle nous donne, car il est valable comme effet de la réalité et ne peut donc être négligé. Quand nous en venons à l'expérience du spirituel qui est lui-même le tout ou contient le tout en lui-même, notre mental apporte, là aussi, sa raison qui segmente et les définitions nécessaires à une cognition finie; elle trace une ligne de démarcation entre l'infini et le fini, entre l'esprit et ses phénomènes ou manifestations, et qualifie les uns de réels et les autres d'irréels. Mais une conscience originelle et ultime, embrassant tous les termes de l'existence en une seule vision intégrale, verrait le tout dans sa réalité spirituelle essentielle et le phénomène comme un phénomène ou une manifestation de cette réalité. Si cette conscience spirituelle plus grande ne voyait dans les choses qu'une irréalité sans aucun rapport avec la vérité de l'esprit, elle n'aurait aucune raison — si elle était elle-même une Conscience-de-Vérité— de maintenir leur existence de façon continue
¹Ce point de vue a été ébranlé par la théorie de la relativité, mais il reste valable en tant que fondement pratique pour l'expérimentation et l'affirmation du fait scientifique.
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ou récurrente à travers le Temps : si elle le fait, c'est parce qu'elles sont basées sur les réalités de l'esprit. Cependant, vue dans cette intégralité, la réalité phénoménale prendrait nécessairement une apparence différente de celle qui est perçue par la raison et les sens de l'être fini; elle aurait une réalité autre et plus profonde, un sens autre et plus grand, et les mouvements de son existence suivraient eux aussi un processus différent, plus subtil et plus complexe. Les normes de la réalité et toutes les formes de pensée créées par la raison et les sens finis apparaîtraient à la conscience supérieure comme des constructions partielles comportant un élément de vérité et un élément d'erreur ; on pourrait donc les qualifier de réelles et d'irréelles à la fois, mais le monde phénoménal lui-même n'en deviendrait pas pour autant irréel ou irréellement réel : il assumerait une autre réalité, d'un caractère spirituel ; le fini se révélerait comme un pouvoir, un mouvement, un processus de l'Infini.
Une conscience originelle et ultime serait une conscience de l'Infini, nécessairement unitaire en sa vision de la diversité, intégrale, acceptant tout, embrassant tout, discriminant tout, car déterminant tout — ce serait une vision globale indivisible. Elle verrait l'essence des choses et considérerait toutes les formes et tous les mouvements comme un phénomène et une conséquence de la Réalité essentielle, des mouvements et des formations du pouvoir de son être. La raison soutient que la vérité doit être libre de tout conflit de contradictions : s'il en est ainsi, l'univers phénoménal doit être irréel puisqu'il est ou semble être le contraire du Brahman; et puisque l'être individuel est le contraire à la fois de la transcendance et de l'universalité, lui aussi doit être irréel. Mais ce qui apparaît comme une contradiction à une raison fondée sur le fini, peut ne pas être contradictoire pour une vision ou pour une raison plus vaste fondée sur l'infini. Ce que notre mental voit comme des contraires peut être, pour la conscience infinie, non des contraires mais des complémentaires : l'essence et son phénomène sont complémentaires, non contradictoires — le phénomène manifeste l'essence ; le fini est une circonstance et non une contradiction de l'infini ; l'individu est une expression de soi de l'universel et du transcendant — il n'en est pas une contradiction ou quelque chose de tout à fait autre ; il est l'universel concentré et sélectif et il est un avec le Transcendant en l'essence de son être et de sa nature. Pour cette vision unitaire et globale, il n'y a rien de contradictoire dans le fait qu'une Essence d'être sans forme porte une multitude de formes, ou qu'un état statique de l'Infini soutienne une kinesis de l'Infini, ou qu'une
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Unité infinie s'exprime en une multiplicité d'êtres, d'aspects, de pouvoirs et de mouvements, car ce sont des êtres, des aspects, des pouvoirs et des mouvements de l'Un. Une création du monde reposant sur cette base est un mouvement parfaitement naturel, normal et inévitable qui ne soulève en soi aucun problème, puisqu'elle est le résultat prévisible d'une action de l'Infini. Tout le problème, toute la difficulté de l'intellect vient de ce que la raison finie découpe, sépare, oppose le pouvoir de l'Infini à son être, sa kinesis à son état statique, sa multiplicité naturelle à son essentielle unité, segmente le moi, oppose l'Esprit à la Nature. Pour comprendre vraiment le processus de l'Infini dans le monde, et le processus de l'Éternel dans le Temps, la conscience doit dépasser cette raison finie et les sens finis pour accéder à une raison et à une perception spirituelle plus vastes, en contact avec la conscience de l'Infini et réceptives à la logique de l'Infini, qui est précisément la logique de l'être lui-même, et qui se manifeste inévitablement lorsqu'elle-même met en œuvre ses propres réalités — logique dont les séquences ne sont pas les étapes de la pensée, mais celles de l'existence.
On peut certes arguer que cette description ne s'applique qu'à une conscience cosmique; or il y a l'Absolu, et l'Absolu ne peut être limité ; puisque l'individu et l'univers limitent et divisent l'Absolu, ils ne peuvent être qu'irréels. Il est en effet évident que l'Absolu ne peut être limité ; il ne peut l'être ni par l'absence de forme ni par la forme, ni par l'unité ni par la multiplicité, ni par l'état d'immobilité ni par la mobilité dynamique. S'il manifeste la forme, la forme ne peut le limiter; s'il manifeste la multiplicité, la multiplicité ne peut le diviser; s'il manifeste le mouvement et le devenir, le mouvement ne peut le troubler ni le devenir le changer; il ne peut être limité, pas plus qu'il ne peut être épuisé par sa création de soi. Même les choses matérielles sont supérieures à leur manifestation; la terre n'est pas limitée par les réceptacles dont elle est le matériau, ni l'air par les vents qui s'y meuvent, ni la mer par les vagues qui s'élèvent à sa surface. Cette impression de limitation, seuls le mental et les sens la ressentent, car ils voient le fini comme s'il était une entité indépendante se séparant de l'Infini, ou une chose limitée, découpée dans l'Infini : c'est cette impression qui est illusoire. Ni l'infini, ni le fini ne sont des illusions, car leur existence ne dépend ni des impressions des sens, ni de celles du mental : elle dépend de l'Absolu.
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L'Absolu ne peut être, en lui-même, défini par la raison ni exprimé par la parole ; il doit être approché par l'expérience. Il peut l'être par une négation absolue de l'existence, comme s'il était lui-même une suprême Non-Existence, un Néant mystérieux et infini. On peut l'approcher aussi par une affirmation absolue de tous les éléments fondamentaux de notre existence, par un absolu de Lumière et de Connaissance, un absolu d'Amour ou de Beauté, un absolu de Force, un absolu de paix ou de silence. On peut l'approcher par un inexprimable absolu d'être ou de conscience, ou de pouvoir d'être, ou de félicité d'être, ou par une expérience suprême où ces choses deviennent indiciblement une; car nous pouvons accéder à cet état ineffable et, plongés en lui comme en un lumineux abîme d'existence, nous pouvons atteindre une supraconscience qu'on peut décrire comme la porte de l'Absolu. On suppose que c'est seulement par une négation de l'individu et du cosmos que l'on peut s'immerger dans l'Absolu. Mais en fait, la seule chose que l'individu ait à renier, c'est sa petite existence d'ego séparé ; il peut approcher l'Absolu par une sublimation de son individualité spirituelle en intégrant en lui-même le cosmos et en le transcendant ; ou il peut se nier lui-même entièrement, mais même alors c'est toujours l'individu qui, par un dépassement de soi, pénètre en l'Absolu. Par une sublimation de son être, il peut également pénétrer en une existence suprême ou en une supra-existence, par une sublimation de sa conscience en une conscience suprême ou une supra-conscience, par une sublimation de sa félicité d'être et de toute félicité d'être, en une supra-félicité ou une extase* suprême. Il peut approcher l'Absolu par une ascension qui le fait pénétrer dans la conscience cosmique; portant cette conscience en lui-même, il s'élève avec elle jusqu'à un état d'être où l'unité et la multiplicité sont en parfaite harmonie et à l'unisson, en un suprême statut de la manifestation où tous sont en chacun et où chacun est en tous et où tous sont en l'Un sans aucune individuation déterminante — car l'identité et la mutualité dynamiques sont devenues complètes. Suc le chemin de l'affirmation, c'est ce statut de la manifestation qui est le plus proche de l'Absolu. Ce paradoxe d'un Absolu que l'on peut réaliser par une négation absolue et par une affirmation absolue de multiples façons, la raison ne peut se l'expliquer que si cet Absolu est une Existence suprême surpassant à tel point notre conception et notre expérience de l'existence qu'elle équivaut à une négation de cette existence, et correspond à notre conception et à notre expérience de la non-existence. Mais puisque tout ce qui existe est Cela, quel que
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soit le degré de sa manifestation, l'Absolu est lui-même également le suprême de toutes choses et on peut l'approcher par des affirmations suprêmes comme par des négations suprêmes. L'Absolu est l'ineffable x recouvrant tout et à la base de tout, immanent et essentiel en tout ce que nous pouvons appeler existence ou non-existence.
Notre prémisse initiale est que l'Absolu est la réalité suprême ; mais la question est de savoir si tout le reste, dont nous faisons l'expérience, est réel ou irréel. On établit parfois une distinction entre l'être et l'existence, et l'on suppose que l'être est réel, mais que l'existence ou ce qui se manifeste comme tel est irréel. Ce point de vue ne peut toutefois se défendre que s'il existe une distinction tranchée, une coupure et une séparation entre l'Éternel incréé et les existences créées; on peut alors considérer que seul l'Être incréé est réel. Cette conclusion n'en découle pas si ce qui existe est forme et substance de l'Être; ce serait irréel seulement si c'était une forme du Non-Être, asat, créée à partir du Vide, shûnya. Les états d'existence par lesquels nous approchons l'Absolu et y pénétrons doivent avoir leur vérité, car le non-vrai et le non-réel ne peuvent mener au Réel : mais ce qui est issu de l'Absolu, ce que l'Éternel soutient, pénètre et manifeste en lui-même doit avoir une réalité. Il y a le non-manifeste et il y a la manifestation, mais une manifestation du Réel doit elle-même être réelle; il y a l'Intemporel et il y a le développement des choses dans le Temps, mais rien ne peut apparaître dans le Temps qui n'ait une base dans la Réalité intemporelle. Si mon moi et mon esprit sont réels, mes pensées, mes sentiments, mes pouvoirs de toutes sortes, qui en sont les expressions, ne peuvent être irréels; mon corps, cette forme que mon esprit projette en lui-même et habite en même temps, ne peut être un néant ou simplement une ombre immatérielle. La seule explication synthétique est que l'éternité intemporelle et l'éternité temporelle sont deux aspects de l'Éternel et Absolu, et que tous deux sont réels mais appartiennent à un ordre différent de réalité : ce qui est non manifesté dans l'Intemporel se manifeste dans le Temps ; chaque chose qui existe est réelle à son propre degré de manifestation, et c'est ainsi que la voit la conscience de l'Infini.
Toute manifestation dépend de l'être, mais aussi de la conscience, de son pouvoir ou de son niveau : tel l'état de conscience, tel l'état d'être. L'Inconscient lui-même est un état et un pouvoir de conscience involuée où l'être est plongé en un état autre et opposé de non-manifestation, qui ressemble à la non-existence afin que tout, dans l'univers
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matériel, puisse en être manifesté; de même le supraconscient est-il la conscience intégrée en un absolu d'être. Car il y a un état supraconscient où la conscience semble lumineusement involuée en l'être et comme privée de toute conscience d'elle-même ; toute conscience d'être, toute connaissance, toute vision de soi, toute force d'être semblent émerger de cet état d'involution ou apparaître en lui : nous pouvons y voir une émergence dans une réalité inférieure, mais en fait la supraconscience et la conscience sont et regardent toutes deux le même Réel. Il y a aussi un état du Suprême où l'on ne peut plus faire aucune distinction entre l'être et la conscience — car ils y sont trop unis pour être ainsi différenciés —, mais ce suprême état de l'être est également un suprême état du pouvoir de l'être et donc du pouvoir de la conscience; là, en effet, la force de l'être et la force de sa conscience sont inséparablement unies : c'est cette unification de l'Être éternel avec la Conscience-Force éternelle qui est l'état du suprême îshwara, et sa force d'être est la dynamis de l'Absolu. Cet état n'est pas une négation du cosmos; il porte en soi l'essence et le pouvoir de toute existence cosmique.
Néanmoins l'irréalité est un fait de l'existence cosmique, et si tout est le Brahman, la Réalité, il nous faut expliquer cet élément d'irréalité dans le Réel. Si l'irréel n'est pas un fait de l'être, ce doit être un acte où une formation de la conscience, et n'y a-t-il pas, dans ce cas, un état ou un degré de la conscience où ses actes et ses formations sont entièrement ou partiellement irréels ?5i l'or" ne peut attribuer cette irréalité à une Illusion cosmique originelle, à la Maya, il y a cependant dans l'univers lui-même un pouvoir d'illusion de l'Ignorance. C'est le Mental qui a le pouvoir de concevoir des choses qui ne sont pas réelles. Il a même le pouvoir de créer des choses qui ne sont pas réelles ou pas entièrement réelles, et sa propre vision de lui-même et de l'univers est une construction qui n'est ni totalement réelle, ni totalement irréelle. Où commence cet élément d'irréalité et où prend-il fin, quelle en est la cause et qu'advient-il lorsqu'on supprime à la fois la cause et la conséquence ? Même si toute l'existence cosmique n'est pas en soi irréelle, cette description ne peut-elle s'appliquer au monde de l'Ignorance où nous vivons, ce monde de perpétuel changement, de naissance, de mort, d'échec et de souffrance, et la suppression de l'Ignorance n'abolit-elle pas pour nous la réalité du monde qu'elle crée, et la seule solution n'est-elle pas, tout naturellement, de quitter ce monde ? Cela se justifierait si notre ignorance était une pure ignorance privée de tout élément de vérité ou de connaissance:
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Mais eh fait, notre conscience est un mélange de vrai et de faux; ses actes et ses créations ne sont pas une pure invention, une structure sans fondement. La structure qu'elle édifie, la forme qu'elle donne aux choses ou à l'univers, n'est pas tant un mélange de réalité et d'irréalité qu'une demi-compréhension, une demi-expression du réel, et puisque toute conscience est force et par conséquent potentiellement créatrice, notre ignorance a pour résultat une fausse création, une fausse manifestation, une fausse action ou une énergie d'être mal conçue et mal dirigée. Toute existence dans le monde est manifestation, mais notre ignorance est l'agent d'une manifestation partielle, limitée et ignorante — en partie une expression, mais en partie aussi un déguisement de l'être, de la conscience et de la joie d'être originels. Si cet état de choses est permanent et inaltérable, si notre monde doit tourner à jamais dans ce cercle, si quelque Ignorance est la cause de toutes choses et de toute action ici-bas, et non point une condition et une circonstance, alors, en effet, l'ignorance individuelle ne pourrait prendre fin que si l'individu s'échappait de l'existence dans le monde, et la fin de l'ignorance cosmique détruirait du même coup l'existence dans le monde. Mais si ce monde est fondé sur un principe évolutif, si notre ignorance est une demi-connaissance évoluant vers la connaissance, alors notre existence dans la Nature matérielle peut avoir une autre explication, une autre issue, un autre résultat spirituel, et une plus grande manifestation sur terre devient alors possible.
Une nouvelle distinction s'impose, dans nos conceptions de l'irréalité, afin d'éviter une confusion qui peut se produire quand nous traitons ce problème de l'Ignorance. Notre mental, ou une partie de notre mental, évalue la réalité selon un critère pragmatique ; il insiste sur les faits, sur l'actualité. Tout fait d'existence est réel à ses yeux, mais cette factualité ou cette réalité de l'actuel se limite pour lui aux phénomènes de cette existence terrestre dans l'univers matériel. Or, l'existence terrestre "Où matérielle n'est qu'une manifestation partielle, c'est un système de possibilités actualisées de l'Être, et ce système n'exclut pas toutes les autres possibilités qui ne sont pas encore actualisées, ou du moins ne le sont pas encore sur terre. Dans une manifestation dans le Temps, de nouvelles réalités peuvent émerger, des vérités d'être qui ne se sont pas encore réalisées peuvent projeter leurs possibilités et s'actualiser dans l'existence physique et terrestre; il peut y avoir d'autres vérités de l'être, des vérités supraphysiques appartenant à un autre domaine
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de manifestation, qui ne sont pas encore réalisées ici, mais n'en sont pas moins réelles. Même ce qui n'est nulle part actualisé en aucun univers, peut être une vérité d'être, un potentiel d'être ; et l'on ne peut le taxer d'irréalité, sous prétexte qu'il n'est pas encore exprimé sous forme d'existence. Mais notre mental, ou cette partie de notre mental, s'attache encore à son habitude ou à sa conception pragmatiques du réel, et n'admet comme vrais que le factuel et l'actuel et tend à considérer tout le reste comme irréel. Il y a donc pour le mental une irréalité qui est de nature purement pragmatique ; elle consiste à formuler des choses qui ne sont pas nécessairement irréelles en elles-mêmes, mais ne sont pas réalisées ou, peut-être, qui ne peuvent être réalisées par nous, ou dans les circonstances présentes, ou dans le monde actualisé de l'être; ce n'est pas une vraie irréalité, ce n'est pas un irréel mais un irréalisé, pas un irréel d'être mais un irréel par rapport au fait présent ou connu. Il y a par ailleurs une irréalité conceptuelle et perceptive qui vient d'une conception et d'une perception fausses du réel, mais ce n'est pas non plus nécessairement une irréalité de l'être ; ce n'est qu'une construction fausse de la conscience due à la limitation que crée l'Ignorance. Ces mouvements et d'autres mouvements secondaires de notre ignorance ne constituent pas le fond du problème, car celui-ci gravite autour d'un mal plus général qui affecte notre conscience et celle de notre monde terrestre : c'est le problème de l'Ignorance cosmique. Car toute notre vision et toute notre expérience de l'existence souffrent d'une limitation de conscience qui n'est pas seulement nôtre, mais semble être à la base de la création matérielle. Au lieu de la Conscience originelle et ultime qui voit la réalité comme un tout, nous voyons ici le dynamisme d'une conscience limitée, ainsi qu'une création partielle et inachevée, ou bien une kinesis cosmique qui se meut dans le cercle perpétuel d'un changement dénué de sens. Notre conscience ne voit qu'une partie et des fragments de la Manifestation — si manifestation il y a — et traite cette partie ou ces fragments comme des entités séparées; toutes nos illusions et nos erreurs proviennent d'une conscience séparatrice et limitée qui crée des irréalités ou qui a une fausse conception du Réel. Mais le problème devient encore plus énigmatique quand nous percevons que notre monde matériel semble émerger directement, non d'un Être et d'une Conscience originels, mais d'un état d'Inconscience et d'apparente Non-Existence, et que notre ignorance est elle-même quelque chose qui paraît avoir surgi difficilement et péniblement de l'Inconscience.
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Tel est donc le mystère: comment une Conscience et une Force d'être intégral illimitables entrent-elles dans cette l;imitation et cette séparativité? Comment cela a-t-il pu se produire et, s'il faut admettre cette possibilité, quel en est la justification dans le Réel, et quel en est le sens? C'est le mystère, non d'une Illusion originelle, mais de l'origine de l'Ignorance et de l'Inconscience et des rapports de la Connaissance et de l'Ignorance avec la Conscience originelle ou Supraconscience.
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Que le Connaissant distingue la Connaissance de l'Ignorance.
Rig-Véda. IV. 2.11.
Elles sont deux, cachées dans le secret de l'Infini : la Connaissance et l'Ignorance; mais périssable est l'Ignorance, immortelle la Connaissance ; différent de l'une et de l'autre est Celui qui gouverne et la Connaissance et l'Ignorance.
Shvetâshvatara Upanishad. V. 1.
Deux Non-nés, le Connaissant et celui qui ne connaît point, le Seigneur et celui qui n'a point la maîtrise : une Non-née en qui se trouvent l'objet de la jouissance et celui qui en jouit.
Shvetâshvatara Upanishad. I. 9.
Deux sont unis, pouvoirs de la Vérité, pouvoirs de la Maya — ils ont façonné l'Enfant et lui ont donné naissance et ils nourrissent sa croissance.
Rig-Véda. X. 5. 3.
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Notre examen des sept principes de l'existence a révélé qu'ils n'étaient qu'un en leur réalité essentielle et fonda mentale : car si même la matière de l'univers le plus matériel' n'est autre qu'un état d'être de l'Esprit devenu objet des sens et conçu par la conscience de l'Esprit comme le matériau de ses formes, à plus forte raison la force de vie qui se constitue en une forme de Matière, la conscience mentale qui se projette comme Vie, et le Supramental qui développe le Mental comme l'un de ses pouvoirs, ne peuvent rien être d'autre que l'Esprit lui-même, modifié en sa substance apparente et son dynamisme d'action, mais pas en sa véritable essence. Tous sont les pouvoirs d'un unique Pouvoir d'être, et ils ne sont autres que la Toute-Existence, la Toute-Conscience, la Toute-Volonté, la Toute-Félicité, qui est la vraie vérité derrière toutes les apparences. Et ils sont non seulement un en leur réalité, mais inséparables en la septuple diversité de leur action. Ce sont les sept couleurs de la lumière de la conscience divine, les sept rayons de l'Infini et grâce à eux, sur le canevas de sa propre existence étendue conceptuellement, sur la chaîne objective de l'Espace et la trame subjective du Temps, l'Esprit a tissé par myriades les merveilles de sa création de lui-même, majestueuse et simple, symétrique en ses lois primordiales et ses cadres immenses, infiniment curieuse et complexe en ses formes et ses actions multiples, et dans cette immense richesse de rapports et d'effets réciproques de toutes sur chacune et de chacune sur toutes. Telles sont les sept Paroles des anciens sages; c'est par elles qu'ont été créées, c'est à la lumière de leur signification que sont élaborées et que doivent être interprétées les harmonies déjà déployées ou en déploiement du monde que nous connaissons et des mondes cachés dont nous n'avons qu'une connaissance indirecte. La Lumière est une, le Son est un ; leur action est septuple.
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Mais ce monde terrestre est fondé sur une Inconscience originelle; ici, la conscience s'est formulée sous l'aspect d'une ignorance qui s'efforce d'atteindre la connaissance. Nous avons vu que ni dans la nature de l'Être lui-même, ni dans le caractère originel et les relations fondamentales de ses sept principes, il n'y a de raison essentielle à cette intrusion de l'Ignorance, de la discorde dans l'harmonie, de l'obscurité dans la lumière, de la division et de la limitation dans l'infinité consciente de soi de la création divine. Nous pouvons en .effet concevoir —-et le Divin aussi, à plus forte raison — une harmonie universelle où n'entrent point ces éléments contraires; et puisqu'il y a conception, il doit y avoir, quelque part, exécution, création actuelle ou délibérée. Les voyants védiques étaient conscients d'une telle manifestation de soi du divin, et la considéraient comme le monde supérieur par-delà ce monde inférieur, comme un plan de conscience et d'être plus libre et plus vaste, la création-de-vérité du Créateur, décrite comme le siège ou la demeure de la Vérité, la vaste Vérité, le Vrai, le Juste, le Vaste,¹ ou encore comme une Vérité cachée par une Vérité, là où le Soleil de la Connaissance achève son voyage et dételle ses chevaux, là où les mille rayons de la conscience sont réunis pour qu'il y ait Cela, l'Un, la forme suprême de l'Être Divin. Mais ce monde où nous vivons leur semblait être une trame mélangée où la vérité est défigurée par une profusion de fausseté, anritasya bhûreh;² ici, la lumière unique doit naître, par son propre et vaste pouvoir, hors d'une obscurité primitive, une mer d'Inconscience;³ l'immortalité et la divinité doivent être façonnées à partir d'une existence assujettie à la mort, à l'ignorance, à la faiblesse, à la souffrance et à la limitation. Cette construction de soi, ils la représentèrent comme la création, en l'homme et par l'homme, de cet autre monde, de cette haute harmonie ordonnée de l'être infini qui, éternelle et parfaite, existe déjà dans l'Infini Divin. L'inférieur est pour nous la condition initiale du supérieur; l'obscurité est le corps condensé de la lumière, l'Inconscient abrite en lui-même tout le Supraconscient caché ; dans la caverne de leur subconscience, les pouvoirs de la division et du mensonge retiennent loin de nous, mais aussi pour nous et pour que nous puissions les reconquérir, les richesses et la substance de l'unité et de la vérité. Tels étaient dans leur vision, exprimés dans le langage énigmatique et hautement imagé
¹sadanam ritasya, sve dame ritasya, ritasya brihate, ritam satyam brihat.
²Rig-Véda, VII. 60.5.
³apraketam salilam.
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des anciens mystiques, le sens et la justification de l'existence concrète de l'homme et de son effort conscient ou inconscient vers Dieu, de sa conception, à première vue si paradoxale, dans un monde qui semble en être très précisément l'opposé, de son aspiration si impossible, pour une vision superficielle, dans une créature si éphémère, faible, ignorante, limitée, vers une plénitude d'immortalité, de connaissance, de pouvoir, de béatitude, une existence divine impérissable.
En effet, si une conscience et une maîtrise de soi intégrales dans transformant infinie et une unité parfaite sont les mots-clefs de la création idéale, le mot-clef de la création dont nous faisons actuellement l'expérience en est tout; l'opposé; c'est une inconscience originelle qui, dans la vie, prend la forme d'une conscience de soi limitée et divisée, c'est une sujétion originelle, inerte, à l'impulsion d'une Force aveugle existant en soi qui, dans la vie également, prend la forme d'une lutte de l'être conscient de soi pour se posséder lui-même et posséder toutes choses, et pour établir dans' le royaume de cette Force mécanique aveugle le règne d'une Volonté et d'une Connaissance éclairées. Et parce que la Force aveugle et mécanique (nous savons maintenant qu'en réalité elle ne l'est pas) nous confronte partout— primordiale, omniprésente, loi fondamentale, grande énergie totale — et parce que la seule volonté éclairée que nous connaissions la nôtre, paraît en être un phénomène dérivé — un résultat, une énergie partielle, subordonnée, circonscrite et sporadique —, la lutte nous semble être, au mieux, une aventure précaire et douteuse. L'Inconscient, tel que nous le percevons, est le commencement et la fin; l'âme consciente d'elle-même ne serait guère qu'un accident provisoire, une fragile floraison sur cet Arbre Ashwattha, immense, obscur, monstrueux, qu'est l'univers. Ou, si nous supposons que l'âme est éternelle, elle fait en tout cas figure d'étrangère, d'extraterrestre et d'invitée plutôt mal traitée dans le royaume de cette vaste Inconscience. Si elle n'est pas un accident dans la Ténèbre Inconsciente, peut-être est-elle une erreur, un trébuchement et une chute depuis les sommets de la Lumière supraconsciente.
Si cette vision des choses était entièrement valable, seul l'idéaliste absolu, envoyé peut-être de quelque existence supérieure, incapable d'oublier sa mission — flamme d'enthousiasme indomptable attisée par une ardeur divine, ou force d'âme calme, infinie, soutenue par la lumière, la force et la voix de l'invisible Divinité — parviendrait en de telles circonstances à garder toujours vivant à ses yeux, et, tâche bien
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plus difficile encore, aux yeux d'un monde incrédule ou sceptique, l'espoir en la pleine victoire de l'effort humain. En fait, la plupart des hommes le rejettent d'emblée, ou bien, après un premier élan d'enthousiasme, finissent par s'en détourner comme d'une impossibilité avérée. Le matérialiste cohérent cherche un pouvoir, une connaissance, un bonheur partiels et temporaires, dans la mesure où l'ordre inconscient et dominant de la Nature le permet à l'homme qui lutte pour prendre conscience de lui-même. Encore faut-il qu'il accepte ses propres limites, qu'il obéisse aux lois de la Nature et, grâce à sa volonté éclairée, en fasse le meilleur usage possible, pour autant que leur mécanisme inexorable le lui permette. L'homme religieux recherche son royaume de volonté éclairée, d'amour ou d'existence divine, son royaume de Dieu, dans cet autre monde où ils sont éternels et sans mélange. Le mystique philosophe rejette toute chose comme une illusion mentale et aspire à s'anéantir en quelque Nirvana ou bien à s'immerger dans l'Absolu sans traits ; si l'âme ou le mental de l'individu mû par l'illusion a rêvé d'une réalisation divine en ce monde éphémère de l'Ignorance, il lui faut en fin de compte reconnaître son erreur et renoncer à sa vaine tentative. Et pourtant, puisqu'il y a ces deux aspects de l'existence, l'ignorance de la Nature et la lumière de l'Esprit, et que derrière eux se trouve l'Unique Réalité, il devrait être possible de les réconcilier ou en tout cas de jeter un pont sur l'abîme, comme le prédisent les paraboles mystiques du Véda. C'est un sens aigu de cette possibilité qui a pris différentes formes et persiste à travers les siècles — la perfectibilité de l'homme, la perfectibilité de la société, la vision qu'ont eue les transformant de la descente de Vishnu et des Dieux sur la terre, le règne des saints, sâdhûnâm râjyam, la cité de Dieu, l'âge d'or, le nouveau ciel et la nouvelle terre de l'Apocalypse. Mais il manquait à ces intuitions une base de connaissance assurée, et le mental de l'homme a continué d'osciller entre l'espoir en un brillant avenir et la grise certitude du présent. La grise certitude n'est cependant pas aussi certaine qu'elle le paraît, et croire en l'évolution d une vie divine en gestation dans la Nature terrestre n'est pas forcément une chimère. Chaque fois que nous acceptons notre défaite ou nos limitations, nous reconnais sons implicitement ou explicitement, d'abord un dualisme essentiel, et ensuite une inconciliable opposition entre les principes duels : le Conscient et l'Inconscient, le Ciel et la Terre, Dieu et le Monde, l'Un sans limites et le Multiple limité, la Connaissance et l'Ignorance. En suivant le fil de notre raisonnement, nous sommes arrivés à la conclusion que ce n'est peut-être là qu'une erreur du mental sensoriel et de l'intellect
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logique fondée sur une expérience partielle. Nous avons vu que n'être' espoir en la victoire est parfaitement justifié sur le plan rationnel ; cas l'état inférieur de l'être où évolue notre existence actuelle contient en soi le principe et l'intention de ce qui le dépasse, et c'est par ce dépassement dé soi et en' se transformant en cela qu'il peut trouver et manifester intégralement sa véritable essence.
Mais il est un point du raisonnement que, jusqu'ici, nous avons laissé plus ou moins dans l'ombre, et il s'agit précisément de la coexistence de la Connaissance et de l'Ignorance. Certes, nous partons ici-bas de conditions qui sont le contraire même de la Vérité divine idéale, et toutes: les circonstances de cette opposition reposent; .sur l'ignorance où l'être est de lui-même et du Moi de tout, elle-même issue d'une' Ignorance cosmique originelle, dont le résultat est la limitation de soi et le fondement de la vie sur la division : division de l'être, division de la conscience, division de la volonté et de la force, division de la lumière, division et limitation de la connaissance, du pouvoir, de l'amour, avec comme conséquence les phénomènes positifs opposés : égoïsme, obscurcissement, incapacité, mauvais usage de la connaissance et de la volonté, disharmonie, faiblesse et souffrance. Nous ayons, constaté que cette Ignorance, bien que la Matière et la Vie la partagent, plonge ses racines dans la nature du Mental, dont la fonction est précisément de mesurer, limiter, particulariser, et donc de diviser. Mais le Mental, lui aussi, est un principe universel, est I'Un, est le Brahman, et .par conséquent il a tendance à unifier et à universaliser la connaissance, autant qu'à délimiter et particulariser. Cette faculté de particularisation ne devient Ignorance que lorsque le Mental se sépare des principes supérieurs, dont il est un pouvoir, et qu'il agit non seulement selon sa tendance propre, mais tend également à exclure le reste de la connaissance, à particulariser d'abord et avant tout, et à traiter l'unité comme un vague concept qu'on abordera plus tard, une fois la particularisation achevée, et en faisant la somme des particularités. Cette faculté d'exclusion est l'âme même de l'Ignorance.
Nous devons dès lors nous emparer de cet étrange pouvoir de la Conscience qui est à la racine de nos maux, examiner le principe de ses opérations et discerner non seulement sa nature essentielle et son origine, mais sa puissance et son processus, ainsi que son but ultime et les moyens de s'en débarrasser. Comment se fait-il que l'Ignorance existe ?
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Comment un principe ou un pouvoir quelconque dans l'infinie conscience de soi a-t-il pu renoncer à la connaissance de soi, et tout exclure, excepté sa propre action caractéristique limitée ? Certains penseurs¹ ont déclaré le problème insoluble : ce serait un mystère originel essentielle ment inexplicable. On ne peut que constater le fait et le processus, ou bien l'on écarte la question concernant la nature de la suprême Existence ou Non-Existence originelle, sous prétexte qu'il n'est pas possible, ou nécessaire, d'y répondre. On peut arguer que la Maya, avec son principe fondamental d'ignorance ou d'illusion, existe tout simplement, et que ce pouvoir du Brahman possède cette double force de Connaissance et d'Ignorance qui lui est fondamentalement inhérente ; nous n'avons qu'à accepter le fait et trouver un moyen d'échapper à l'Ignorance — par l'a Connaissance, mais pour atteindre ce qui est par-delà la Connaissance et l'Ignorance —, en renonçant à la vie et en reconnaissant l'universelle impermanence des choses et la vanité de l'existence cosmique.
Notre mental ne peut toutefois se satisfaire — l'esprit bouddhique lui-même ne s'est pas satisfait — de cette évasion qui est au cœur même de tout le problème. En premier lieu, nous trouvons dans ces philosophies . qui, pourtant, écartent ainsi la question fondamentale, des affirmations d'une grande portée assignant à l'Ignorance non seulement un certain mode d'action et certains symptômes, mais une certaine nature fondamentale d'où procèdent les remèdes qu'elles prescrivent ; et il est évident que, sans un diagnostic aussi radical, prescrire des remèdes relève nécessairement de l'empirisme. Cependant, si nous cherchons à éluder la question de base, nous n'aurons aucun moyen de juger si les affirmations sont correctes ou si les remèdes prescrits sont les bons, ou' s'il n'y en a pas d'autres qui, sans être aussi violents et radicalement destructeurs, ou sans recourir à la mutilation ou à l'élimination du malade, peuvent néanmoins amener une guérison plus complète et plus naturelle. En second lieu, connaître est la grande affaire du penseur qu'est l'homme. Il peut ne pas être capable de connaître, c'est-à-dire de définir par des moyens mentaux le caractère essentiel de l'Ignorance
¹Bouddha refusa de considérer le problème métaphysique; la seule chose qui importe, c'est le processus par lequel notre individualité irréelle se construit et un monde de souffrance se maintient en vie, et la méthode qui nous permet d'y échapper. Le Karma est un fait. La construction des objets et d'une individualité qui n'a pas d'existence vraie, est la cause de la souffrance. Pour se débarrasser du Karma, notre seul objectif doit être d'éliminer l'individualité et la souffrance ; ainsi nous entrerons dans un état, permanent et réel, quel qu'il soit, où nous serons délivrés de ces choses. Seule compte la voie de la libération.
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ou de quoi que ce soit dans l'univers, car le mental ne peut connaître les choses de cette façon que d'après leurs signes, leurs particularités, leurs formes, leurs propriétés, leurs fonctionnements, leurs rapports ay 8C d'autres choses, et non point en leur être et leur essence occultes; Mais nous pouvons pousser toujours plus loin, clarifier, préciser toujours plus notre observation de la nature et de l'action phénoménales de l'Ignorance jusqu'à ce que nous trouvions le mot juste et révélateur, le sens juste désignant la chose, et parvenions ainsi à la connaître, non par L'intellect mais par la vision et l'expérience de la vérité, en réalisant la vérité en notre être propre. Tout le processus de la plus haute connaissance humaine intellectuelle s'effectue par cette manipulation et cette discrimination mentales jusqu'au point où le voile se déchire. Alors, l'homme voit. Finalement, la connaissance spirituelle vient et nous aide à devenir ce que nous voyons, à entrer dans la Lumière où il n'est point d'Ignorance.
Il est vrai que la première origine de l'Ignorance se situe au-delà de nous en tant qu'êtres mentaux, parce que notre intelligence vit et se meut -en l'Ignorance elle-même et qu'elle n'atteint pas le point, ou nie s'élève pas jusqu'au plan où cette séparation s'est produite, et dont le mental individuel est le résultat. Mais cela est vrai de la première origine et de la vérité fondamentale de toutes choses et, suivant ce principe, nous devrions nous contenter d'un agnosticisme général. L'homme doit travailler dans l'Ignorance, apprendre dans les conditions de l'Ignorance, la connaître jusqu'à sa plus extrême limite, de manière à pouvoir parvenir à sa frontière où elle rencontre la Vérité, à pouvoir toucher son dernier couvercle d'obscurcissement lumineux et développer les facultés qui lui permettent de franchir cette barrière puissante, mais en réalité immatérielle.
Il nous faut donc examiner, plus attentivement que nous ne l'avons fait jusqu'ici, le caractère et le fonctionnement de ce principe ou de ce pouvoir de l'Ignorance, afin d'en concevoir plus clairement la nature et l'origine. Et pour commencer, nous devons être sûrs du sens que nous donnons à ce terme. La distinction 'entre Connaissance et Ignorance apparaît pour la première fois dans les hymnes du Rig-Véda, où la Con naissance paraît désigner une conscience du Vrai, du Juste, satyam ritam, et de tout ce qui en relève ; l'ignorance, elle, est une inconscience, acitti, du Vrai et du Juste, elle s'oppose à leur action et en produit une autre, fausse
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ou adverse. L'Ignorance est l'absence de cet œil divin, de cette perception divine qui nous donne la vision de la Vérité supramentale ; dans notre conscience, ce principe de non-perception s'oppose à la connaissance et à la vision conscientes qui perçoivent la Vérité.¹ En pratique, cette non perception n'est pas une complète inconscience, l'océan inconscient d'où le monde a émergé², mais une connaissance limitée ou fausse, fondée sur la division de l'Être indivis, reposant sur le fragmentaire, sur le petit, par opposition à l'opulente, à la vaste et lumineuse plénitude des choses ; c'est une cognition qui, du fait de ses limitations, se change en fausseté et, sous cet aspect, elle est soutenue par les Fils des Ténèbres et de la Division, les ennemis de l'effort divin en l'homme, les assaillants, les voleurs qui couvrent la lumière de sa connaissance. Elle était donc considérée comme une Maya non divine,³ qui crée les formes et les apparences mentales fausses — d'où la signification ultérieure de ce mot qui semble avoir tout d'abord désigné un pouvoir formateur de connaissance, la vraie magie du Mage suprême, du divin Magicien, mais qui exprimait aussi le pouvoir formateur adverse d'une connaissance inférieure : la supercherie, l'illusion et la trompeuse magie du Râkshasa. La Maya divine est la connaissance de la Vérité des choses, son essence, sa loi, son mode d'action .que les dieux possèdent, sur quoi ils fondent leur action et leur création éternelles4, et façonnent leurs pouvoirs en l'être humain. Exprimée dans une pensée et un langage plus métaphysiques, cette conception des mystiques védiques peut signifier que l'Ignorance est à sa source une connaissance mentale qui divise, qui ne saisit pas l'unité, l'essence, la loi fondamentale des choses en leur origine unique et en leur universalité, mais agit plutôt sur des particularités divisées, des phénomènes séparés, des relations partielles, comme s'ils étaient la vérité à; saisira ou. comme si nous pouvions les comprendre sans passer au-delà de la division pour retourner à l'unité, au-delà de la dispersion pour retourner à l'universalité. La Connaissance est ce qui tend vers l'unification et, accédant à la faculté supramentale, ce qui saisit l'unité, l'essence, la loi fondamentale de l'existence ; dans cette lumière et cette plénitude, elle voit et traite la multiplicité des choses, un peu comme le Divin Lui-même, depuis les hauteurs suprêmes, embrasse le monde. On doit toutefois noter que l'Ignorance ainsi conçue s'apparente encore à
¹acitti et citti.
²apraketam salilam.
³adevîmâyâ.
4devânâm adabdhâ vratâni.
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la Connaissance, mais parce qu'elle est limitée, la fausseté et l'erreur peuvent s'immiscer en elle en tout point ; elle se transforme alors en une conception erronée des choses qui s'oppose à la Connaissance vraie.
Dans la pensée védântique des Upanishad, nous constatons que les termes védiques originels sont remplacés par l'antinomie familière Vidyâ-Avidyâ et que ce changement de termes en a modifié le sens : le propre) de la Connaissance étant en effet de trouver la Vérité et la Vérité fondamentale étant l'Un — le Véda en parle à maintes reprises comme de " Cette Vérité ", " Cet Un " —, Vidyâ, la Connaissance en sa plus haute signification spirituelle, a fini par signifier purement et catégoriquement la Connaissance de l'Un, et Avidyâ, l'Ignorance, purement et catégoriquement la connaissance du Multiple divisé, connaissance divorcée, comme elle l'est dans notre monde, de la conscience unificatrice de l'Unique Réalité. Les associations complexes, le riche contenu, la lumineuse pénombre des idées diverses et corollaires et des image" significatives propres à la conception des mots védiques, se sont large ment perdus dans un langage plus précis et métaphysique, mais moins psychologique et moins souple. Néanmoins, l'idée qui prit plus tard la forme exagérée d'une séparation absolue d'avec la vraie vérité du Moi et Esprit, l'idée d'une illusion originelle, d'une conscience comparable à un rêve ou une hallucination, ne faisait pas, à l'origine, partie de la conception védântique de l'Ignorance. Si, dans les Upanishad, il est dit que l'homme vivant et se mouvant dans l'Ignorance erre et trébuche tel un aveugle conduit par un aveugle et retourne toujours dans les rets de la Mort largement déployés devant lui, il est également affirmé ailleurs que celui qui poursuit la seule Connaissance entre en de plus profondes ténèbres que celui qui poursuit l'Ignorance, et que l'homme pour qui le Brahman est à la fois l'Ignorance et la Connaissance, l'Un et le Multiple, le Devenir et le Non-Devenir, par l'Ignorance et l'expérience de la Multiplicité passe au-delà de la mort et par la Connaissance conquiert l'Immortalité. Car l'Existant-en-Soi est réellement devenu ces existences multiples, et en toute solennité, sans vouloir induire quiconque en erreur, l'Upanishad peut dire à l'Être divin : " Tu es ce vieillard qui marcher appuyé sur son bâton, Tu es ce garçon et Tu es cette fille, et cet oiseau aux ailes bleues et celui-là aux yeux écarlates ", et ne dit non point : " Tu semblés être ces choses " au mental d'Ignorance qui s'abuse lui-même. L'état que représente le devenir est inférieur à celui de l'Être, mais c'est; pourtant l'Être qui devient tout ce qui est dans l'univers.
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Le développement de la distinction séparatrice ne pouvait cependant s'arrêter là; il lui fallait pousser sa logique à l'extrême. Puisque la Connaissance de l'Un est Connaissance et que la connaissance du Multiple est Ignorance, il ne peut y avoir, dans une vision rigidement analytique et dialectique, que pure opposition entre les choses que désignent ces deux termes ; il n'y a pas d'unité essentielle entre elles, pas d'accord possible. Dès lors, Vidyâ seule est Connaissance, Avidyâ est pure Ignorance, et si l'Ignorance pure prend une forme positive, c'est parce qu'elle n'est pas simplement une non-connaissance de la Vérité, mais une création d'illusions et de mirages, d'irréalités apparemment réelles, de faussetés provisoirement valables. De toute évidence, la matière-objet d'Avidyâ ne peut avoir d'existence véritable ni durable ; le Multiple est une illusion, le monde n'a pas d'existence réelle. Certes, il a une certaine forme d'existence aussi longtemps qu'il dure, tel un rêve ou l'hallucination prolongée d'un cerveau délirant ou démentiel — mais pas davantage. L'Un n'est pas devenu et ne peut jamais devenir le Multiple ; le Moi n'est pas devenu et ne peut devenir toutes ces existences ; le Brahman n'a pas manifesté et ne peut manifester un monde réel en lui-même : c'est seulement le Mental, ou quelque principe dont le Mental est le résultat, qui impose des noms et des formes à l'unité sans traits qui, seule, est réelle et qui, étant essentiellement sans traits, ne peut manifester de traits ni de variations réelles; ou bien si l'unité manifeste ces choses, alors c'est une .réalité temporelle et temporaire qui s'évanouit, et l'illumination de la vraie connaissance fournit la preuve de son irréalité.
Notée conception de la Réalité ultime et de la vraie nature de la Maya nous a amenés à renoncer à ces récentes et subtiles exagérations de l'intellect dialectique, pour revenir à la conception védântique originelle. Tout en rendant hommage à la splendide intrépidité de ces conclusions extrêmes, à l'a force et l'acuité logiques intransigeantes de ces spéculations, inexpugnables tant que les prémisses en sont reconnues, et tout en admettant la vérité de deux des principales affirmations — la seule Réalité du Brahman, et le fait que les notions habituelles que nous avons de nous-mêmes et de l'existence universelle sont marquées du sceau de l'ignorance, sont imparfaites et trompeuses —, nous sommes obligés de nous soustraire à la puissante emprise que cette conception de la Maya exerce sur notre intelligence. Mais il est impossible de nous délivrer entièrement de l'obsession de cette vision
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ancienne et consacrée des choses aussi longtemps que nous ne sondons pas la vraie nature de l'Ignorance et la vraie nature de la Connaissance dans sa totalité. Car si ce sont là deux pouvoirs indépendants, égaux et originels de la Conscience, alors l'Illusion cosmique demeure une possibilité. Si l'Ignorance est le caractère même de l'existence cosmique, alors notre expérience de l'univers, voire l'univers lui-même, deviennent illusoires. Ou, si l'Ignorance n'est pas l'étoffé même de notre être naturel, mais néanmoins un pouvoir originel et éternel de la Conscience, alors même s'il existe une vérité du cosmos, il pourrait s'avérer impossible qu'un être dans l'univers puisse la connaître tant qu'il demeure dans cet univers : il ne pourrait atteindre la connaissance réelle qu'en dépassant le ; mental, et la pensée, en dépassant cette formation cosmique et en voyant toutes choses d'en haut, dans une conscience supra-cosmique ou super-cosmique, comme la voient ceux dont la nature s'est unie à celle de l'Éternel et qui, demeurant en Lui, ne naissent plus dans cette création, et ne sont plus affligés par la destruction cataclysmique de s mondes qui s'étendent au-dessous.¹ Mais la solution de ce problème ne peut être cherchée et atteinte de manière satisfaisante sur la base d'une analyse de mots et d'idées ou d'une discussion dialectique ; ce doit être le résultat d'une observation et d'une compréhension totales des faits pertinents de la conscience — ceux de la surface comme ceux qui sont au-dessous ou au-dessus, ou derrière notre surface frontale — et d'une fructueuse exploration de leur signification.
Car l'intellect dialectique n'est pas un juge compétent des vérités essentielles ou spirituelles ; en outre, il a tendance à manier les mots et les idées abstraites comme s'ils étaient des réalités impératives, et il les porte donc très souvent comme des chaînes et ne regarde pas librement au-delà, vers les faits fondamentaux de notre existence considérés dans leur totalité. L'exposé intellectuel explique à notre intelligence et justifie par le raisonnement une certaine vision des choses qui préexiste dans notre tournure d'esprit ou notre caractère ou dans telle ou telle tendance de notre nature, et prédétermine secrètement le raisonnement même qui prétend y conduire. Ce raisonnement lui-même ne peut être concluant que si la perception des choses sur laquelle il repose est une vision à la fois vraie et totale. Ici, ce que nous devons voir vraiment et intégralement, c'est la nature et la validité de notre conscience, l'origine
¹Bhagavad-Gîtâ.
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et l'étendue de notre mentalité ; alors seulement sommes-nous à même de connaître la vérité de notre être et de notre nature, de l'être et de la nature cosmiques. Dans une recherche de ce genre, notre principe doit être de voir et de savoir ; il ne faut recourir à l'intellect dialectique que dans la mesure où il aide à clarifier notre agencement et à justifier notre expression de la vision et de la connaissance, mais on ne peut lui permettre de gouverner nos conceptions et d'exclure la vérité qui n'entre pas dans le cadre rigide de sa logique. Illusion, connaissance et ignorance sont des termes ou des résultats dé notre conscience, et ce n'est qu'en plongeant notre regard dans les profondeurs de notre conscience que nous pouvons découvrir et déterminer le caractère et les rapports entre la Connaissance et l'Ignorance, ou entre l'Illusion, si elle existé, et la Réalité. L'Être est assurément l'objet essentiel de notre recherche, les choses en soi et les choses en leur nature ; mais c'est seulement par la conscience que nous pouvons approcher l'Être. Ou si l'on soutient que, du fait qu'il est supraconscient, nous ne pouvons atteindre l'Être, pénétrer dans le Réel qu'en abolissant ou en transcendant notre conscience, ou si notre conscience se transcende et se transforme elle-même, c'est néanmoins par la conscience que nous devons arriver à la connaissance de cette nécessité et au processus ou au pouvoir d'effectuer cette abolition ou cette transcendance de soi, cette transformation : par la conscience, prendre connaissance de la Vérité Supraconsciente devient dès lors le besoin suprême, et découvrir le pouvoir et le processus de conscience grâce auxquels celle-ci peut accéder à la supraconscience, devient la découverte suprême.
Mais, en nous-mêmes, la conscience paraît identique au Mental; en 'tout Cas, le Mental est un facteur si prépondérant de notre être qu'il est nécessaire de commencer par examiner ses mouvements fondamentaux. En fait, le Mental n'est pas la totalité de notre être ; il y a aussi en nous une vie et un corps, une subconscience et une inconscience ; il y a une entité spirituelle dont l'origine et la vérité secrète nous transportent dans une conscience intérieure occulte et dans une supraconscience. Si le Mental était tout, ou bien si la nature de la Conscience originelle dans les choses était de même nature que le Mental, on pourrait concevoir que l'Illusion ou l'Ignorance soient considérées comme la source de notre existence naturelle : car la limitation et l'obscurcissement de la connaissance par la nature du Mental créent l'erreur et l'illusion, et les illusions créées par l'activité du Mental sont parmi les premiers faits de
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notre conscience. On pourrait donc logiquement soutenir que le Mental est la matrice d'une Ignorance qui fait que nous créons ou que nous nous représentons à nous-mêmes un monde faux, un monde qui n'est rien de plus qu'une construction subjective de la conscience. Ou encore le Mental pourrait être la matrice en laquelle une certaine Illusion ou Ignorance originelle, Maya ou Avidyâ, jettent la semence d'un univers impermanent et faux ; le Mental serait encore la mère — une " mère stérile ", puisque l'enfant serait irréel —, et l'on pourrait considérer la Maya ou l'Avidyâ comme une sorte d'aïeule de l'univers, car le Mental serait lui-même une production ou une reproduction de la Maya. Mais il est difficile de discerner la physionomie de cette obscure et énigmatique aïeule? car il nous faut alors imposer une imagination cosmique ou une conscience d'illusion sur la Réalité éternelle. Brahman, la Réalité, doit lui-même être, ou avoir, ou soutenir un Mental constructeur ou quelque conscience constructrice plus grande que le Mental mais d'une nature analogue, et son action ou sa sanction doivent faire de lui le créateur et peut-être même, du fait de sa participation, une victime, comme le Mental, de sa propre illusion, ou de sa propre erreur. Et si le Mental était simplement un milieu intermédiaire ou un miroir où se projette le reflet d'une illusion originelle ou une fausse image ou une ombre de la Réalité, ce ne serait pas moins déconcertant. L'origine de ce milieu réflecteur serait en effet inexplicable, et l'origine de la fausse image projetée sur lui ne s'expliquerait pas davantage. Un Brahman indéterminable ne pourrait se refléter que comme quelque chose d'indéterminable, non comme un univers multiforme. Ou si c'est l'inégalité du milieu réflecteur, sa nature pareille aux vagues d'une eau. agitée, qui crée" les images brisées de la Réalité, ce seraient néanmoins des reflets brisés et distordus de la Vérité qui y apparaîtraient, non un pullule ment d'images et de faux noms de choses dont l'existence n'a jamais eu aucune origine ni aucune base dans la Réalité. Il doit y avoir une certaine vérité multiple de l'unique Réalité qui se reflète, si faussement ou imparfaitement que ce soit, dans les multiples images de l'univers du mental. Il se pourrait donc très bien que le monde soit une réalité et que, seule, la construction ou l'image mentale soit erronée ou imparfaite. Mais cela impliquerait qu'il existe une Connaissance — autre que notre pensée et notre perception mentales qui ne sont qu'une tentative de connaissance —, une vraie cognition consciente de la Réalité et, dans cette Réalité, consciente également de la vérité d'un univers réel.
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Si nous découvrions, en effet, que seuls existent la Réalité suprême et un Mental ignorant, nous serions sans doute obligés de reconnaître que l'Ignorance est le pouvoir originel du Brahman, et Avidyâ ou Maya la source de toutes choses. La Maya serait un pouvoir éternel du Brahman conscient de soi, le pouvoir de se leurrer lui-même ou plutôt de leurrer quelque chose qui semble être lui-même et que la Maya aurait créé. Le Mental serait la conscience ignorante d'une âme qui existe seulement comme partie de la Maya. La Maya serait le pouvoir qu'a le Brahman de s'imposer nom et forme, le Mental son pouvoir de les recevoir et de les prendre pour des réalités. Ou bien la Maya serait le pouvoir qu'a le Brahman de créer des illusions en sachant que ce sont des illusions, le Mental, son pouvoir de recevoir des illusions en oubliant qu'elles sont des illusions. Mais si le Brahman est essentiellement et toujours un en sa conscience de soi, ce tour de passe-passe est impossible. Si le Brahman peut se diviser de cette façon, lui-même ou une partie de lui-même ayant et n'ayant pas la connaissance, ou même s'il peut mettre quelque chose de lui-même dans la Maya, alors le Brahman doit être capable d'une double — ou d'une multiple — action de la conscience : une conscience de la Réalité et une conscience de l'illusion, ou une conscience ignorante et; une supraconscience. Cette dualité ou cette multiplicité semble à première vue logiquement impossible, et pourtant elle doit constituer, selon cette hypothèse, le fait essentiel de l'existence, un mystère spirituel, un paradoxe suprarationnel. Mais si nous admettons que l'origine des choses est un mystère suprarationnel, nous pouvons également ou d'autant mieux accepter cet autre fait essentiel de l'Un qui devient, ou qui est, toujours multiple et du Multiple qui est ou devient l'Un; cela aussi est. à première vue dialectiquement impossible, c'est un paradoxe suprarationnel qui, pourtant, se présente à nous comme un fait et une loi éternels de l'existence. Mais si nous acceptons cette hypothèse, l'intervention d'une Maya d'illusion n'est plus du tout nécessaire. Ou nous pouvons également accepter, comme nous l'avons fait, la conception d'un Infini et Éternel qui, grâce au pouvoir infini de sa conscience, est capable de manifester la Vérité insondable et illimitable de son être sous de multiples aspects et processus, en d'innombrables formes et mouvements expressifs; on pourrait considérer ces aspects, ces processus, ces formes, ces mouvements comme des expressions, des conséquences réelles de sa Réalité infinie; on pourrait même inclure parmi eux l'Inconscience et l'Ignorance qui seraient les aspects inverses, les pouvoirs d'une conscience involuée et d'une connaissance
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se limitant elle-même, mis en avant parce qu'ils sont nécessaires à un certain mouvement dans le Temps, un mouvement d'involution et d'évolution de la Réalité. Bien que suprarationnelle à la base, cette conception intégrale n'est pas tout à fait paradoxale ; elle ne demande qu'un changement, un élargissement de nos conceptions de l'Infini.
Mais nous ne pouvons connaître le monde réel, ni mettre à l'épreuve aucune de ces possibilités si nous considérons le Mental seul, ou seulement son pouvoir d'ignorance. Le Mental possède aussi un pou voir de vérité ; il ouvre la chambre de sa pensée à la Vidyâ autant qu'à l'Avidyâ, et si son point de départ est l'Ignorance, s'il emprunte les voies tortueuses de l'erreur, son but est toujours la Connaissance : U se sent poussé à rechercher la vérité et il a le pouvoir, indirect, certes, et limité, de la découvrir et de la créer. Même s'il ne peut nous montrer que des images ou des représentations ou des expressions abstraites de la vérité, elles en sont néanmoins, à leur manière, des reflets ou des formations, et les réalités qu'elles expriment sont présentes et plus concrètement vraies dans de plus grandes profondeurs de notre conscience ou à un niveau plus élevé de son pouvoir. Peut-être la Matière et la Vie sont-elles des formes de réalités dont le Mental n'effleure qu'une image incomplète; peut-être y a-t-il des réalités secrètes et supérieures de l'Esprit dont le Mental est le récepteur, le transcripteur ou le transmetteur partiel et rudimentaire. Ainsi, seule une étude des autres pouvoirs de conscience, supramentaux et inframentaux, aussi bien que des pouvoirs mentaux plus 'élevés et plus profonds, nous permettrait d'atteindre à la réalité intégrale. Et en définitive, tout dépend de la vérité de la Conscience suprême -— ou supraconscience — qui relève de la Réalité la plus haute" et de ses rapports avec le Mental, le Supramental, l'Infra-Mental et l'Inconscience.
En vérité, tout change lorsque nous pénétrons dans les profondeurs inférieures et supérieures de la conscience et que nous les unissons en l'unique Réalité omniprésente. Si nous considérons les faits de notre être et de l'être cosmique, nous constatons que l'existence est toujours une—une unité gouverne même son extrême multiplicité; mais à la surface des choses, la multiplicité est elle aussi indéniable. Partout, nous avons trouvé l'unité, elle nous suit à chaque pas : même quand nous passons sous la surface, nous constatons que nous ne sommes liés par aucun dualisme ; les contradictions et les oppositions que crée l'intellect
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n'existent qu'en tant qu'aspects de la Vérité originelle ; l'unité et la multiplicité sont les pôles de la même Réalité ; les dualités qui troublent notre conscience sont les vérités contrastées d'une seule et même Vérité d'être. Toute multiplicité se résout dans une/multiformité de l'Être unique, de l'unique Conscience d'Être, de l'unique Félicité d'Être. Ainsi, dans la dualité du plaisir et de la douleur, nous avons vu que la douleur est un effet contraire de l'unique joie d'être résultant de la faiblesse du récepteur, de son incapacité à assimiler la force qu'il rencontres, à supporter/le contact de la joie qu'autrement il éprouverait; c'est une réaction pervertie de la Conscience à l'Ânanda, et pas en soi un opposé fondamental de l'Ânanda ; le fait que la douleur puisse se muer en plaisir et le plaisir en douleur, et les deux se résoudre en l'Ânanda originel, le démontre de façon probante. De même, chaque forme de faiblesse est en réalité un fonctionnement particulier de l'unique Volonté-Force divine ou de l'unique Énergie cosmique; dans cette Force, faiblesse signifie le pouvoir de retenir, mesurer, coordonner l'action de cette Force d'une façon particulière; l'incapacité ou la faiblesse signifient que le Moi retient la plénitude de sa force, ou bien que la réaction de la Force est insuffisante : elles n'en sont pas des opposés fondamentaux. S'il en est ainsi, alors il est également possible — et ce devrait être dans la nature des choses — que ce que nous appelons Ignorance ne soit, en réalité, rien d'autre qu'un pouvoir de l'unique Connaissance-Volonté divine ou Maya ; de même la Conscience Une a la capacité de régler, de retenir, de mesurer, de coordonner d'une façon particulière l'action de sa Connaissance. La Connaissance et l'Ignorance ne seraient donc pas deux principes inconciliables — l'un créateur de l'existence cosmique, l'autre ne la tolérant pas et la détruisant —, mais deux pouvoirs coexistants, tous deux présents dans l'univers lui-même, dirigeant à leur manière la marche de ses processus, mais un en leur essence et capables de se fondre l'un en l'autre par transmutation naturelle. Dans leur relation fondamentale de coexistence, cependant, l'Ignorance ne serait pas une partenaire égale : elle dépendrait de la Connaissance, et en serait une limitation ou une action contraire.
Pour connaître, nous devons dissoudre constamment les constructions rigides de l'intellect ignorant et arrogant et considérer en toute liberté et avec souplesse les faits de l'existence. Le fait fondamental de l'existence est la conscience qui est pouvoir, et nous voyons en fait que ce pouvoir opère de trois façons. Nous constatons d'abord qu'il
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y a une conscience derrière tout, embrassant tout, en tout, qui est éternellement, universellement, absolument consciente d'elle-même, que ce soit dans l'unité ou la multiplicité, ou dans les deux simultanément, ou au-delà des deux en son pur absolu. C'est la plénitude de la suprême et divine connaissance de soi ; c'est aussi la plénitude de la Toute-Connaissance divine. Puis, à l'autre pôle, nous voyons cette conscience insister sur d'apparentes oppositions en elle-même, et la plus extrême antinomie atteindre son paroxysme dans ce qui nous semble être une complète nescience de soi, une Inconscience effective, dynamique, créatrice, bien que nous sachions que ce n'est là qu'une apparence superficielle et que la Connaissance divine œuvre avec une assurance et une sûreté souveraines au sein des mécanismes de l'Inconscient. Entre ces deux oppositions nous voyons la Conscience assumer une position intermédiaire et agir avec une perception de soi partielle et limitée qui est tout aussi superficielle, car par-derrière et agissant à travers elle, se trouve la Toute-Connaissance divine. Ici, en son statut intermédiaire, elle semble être un compromis permanent entre les deux opposés, entre la Conscience suprême et la Nescience, mais dans une vision plus large de nos données, elle peut s,e révéler être une émergence incomplète de la Connaissance à la, surface. À ce compromis, à cette émergence imparfaite, nous donnons le nom d'Ignorance, de notre point de vue, car l'ignorance est la façon particulière qu'a notre âme de retenir en elle-même sa complète connaissance de soi. L'origine de ces trois états du pouvoir de la conscience et leur rapport exact, est ce qu'il nous faut, si possible, découvrir.
Si nous découvrions que l'Ignorance et la Connaissance sont deux pouvoirs indépendants de la Conscience, peut-être devrions-nous alors pousser la recherche de leur différence jusqu'au point culminant de la Conscience, et là, toutes deux disparaîtraient dans un Absolu d'où elles avaient émergé en même temps.¹ On pourrait alors conclure que la seule connaissance réelle est la vérité de l'Absolu supraconscient et que la vérité de la conscience, la vérité du cosmos, la vérité de nous-mêmes dans le cosmos, eh sont au mieux une représentation partielle, toujours chargée de la présence concomitante de l'Ignorance, qui nous enveloppe de sa pénombre, nous attache à son ombre. Il se pourrait même qu'une
¹Dans les Upanishad, Vidyâ et Avidyâ sont tenues pour éternelles dans le suprême Brahman; mais cela peut vouloir dire que l'une est la conscience de la multiplicité et l'autre la conscience de l'Unité qui, par leur coexistence dans la suprême conscience de soi, deviennent la base de la Manifestation. Elles y seraient les deux aspects d'une connaissance de soi éternelle.
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Connaissance absolue établissant la vérité, l'harmonie, l'ordre, et une Inconscience absolue servant de base à un jeu de l'imagination, de la disharmonie et du désordre, soutenant inexorablement ses extrêmes de fausseté, d'erreur et de souffrance — un double principe manichéen de lumière et d'obscurité, de bien et de mal, opposés et entremêlés —, soient à la racine de l'existence cosmique. L'idée de certains penseurs, à savoir qu'il existe un bien absolu mais aussi un mal absolu, l'un comme l'autre étant une approche de l'Absolu, pourrait alors se justifier. Mais si nous découvrions que la Connaissance et l'Ignorance sont la lumière et l'ombre d'une même conscience, que l'origine de l'Ignorance est une limitation de la Connaissance, que cette limitation même rend possible le phénomène subordonné de l'illusion et de l'erreur partielles, que cette possibilité se matérialise pleinement après une plongée délibérée de la Connaissance dans une Inconscience matérielle, mais que la Connaissance émerge elle aussi, en même temps que la Conscience émerge de l'Inconscience, alors nous pourrions être certains que cette Ignorance complète se changera à nouveau, au cours de sa propre évolution, en une Connaissance limitée; alors la limitation elle-même serait finale ment supprimée, la pleine vérité des choses deviendrait apparente et la Vérité cosmique se libérerait de l'Ignorance cosmique. Ce qui se passe en fait, c'est que l'Ignorance, par une illumination progressive de ses ténèbres, cherche et se prépare à se transformer en la Connaissance qui est déjà cachée en elle; par cette transformation, la vérité cosmique manifestée en son essence et sa représentation réelles se révélerait être l'essence et la représentation de la suprême Réalité omniprésente. C'est de cette interprétation de l'existence que nous sommes partis, mais pour la vérifier, nous devons observer la structure de notre conscience de surface et ses rapports avec ce qui est en elle, au-dessus d'elle, et au dessous ; car c'est ainsi que nous pouvons le mieux discerner la nature et l'étendue de l'Ignorance. Et nous découvrirons en même temps la nature et l'étendue de ce dont l'Ignorance est une limitation et une déformation : la Connaissance qui, dans sa totalité, est la connaissance de soi et la connaissance du monde permanentes de l'être spirituel.
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Certains parlent de la nature essentielle des choses, d'autres disent que c'est le Temps.
Shvetâshvatara Upanishad. VI. 1.
Deux sont les formes du Brahman, le Temps et l'Intemporel.
Maitrâyanî Upanishad. VI. 15.
La Nuit est née, et de la Nuit le mouvant océan de l'être et, sur l'océan, est né le Temps à qui est soumise toute créature douée de vision.
Rig-Véda. X. 190.1,2.
Plus grande est la Mémoire : sans mémoire, les hommes ne pourraient rien penser ni rien connaître. (...) Aussi loin que va le mouvement de la Mémoire, là il s'étend à volonté.
Chândogya Upanishad. VII. 13.1,2.
C'est lui qui est ce qui voit, touche, entend, sent, goûte, pense, comprend, agit en nous, un être conscient, un moi de connaissance.
Prashna Upanishad. IV. 9.
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Dans toute étude du caractère duel de notre conscience, nous devons d'abord considérer l'Ignorance — car notre état normal est celui d'une Ignorance qui essaie de se transformer en Connaissance. Pour commencer, il est nécessaire d'envisager certains des mouvements essentiels de cette conscience partielle du moi et des choses qui œuvre en nous comme intermédiaire entre la complète connaissance de soi et de tout, et l'Inconscience complète; et partant de là, de trouver sa relation avec la Conscience plus vaste qui s'étend sous la surface de notre être. Il existe un courant de pensée qui accorde une grande importance au jeu de la mémoire. On a même dit que la Mémoire est l'homme, que c'est elle qui constitue notre personnalité et maintient la cohésion des fondations de notre être psychologique; car elle relie nos 'expériences et les rattache à une seule et même entité individuelle. Cette idée s'appuie sur le fait que nous existons dans la succession du Temps; pour elle, le processus est la clef de la Vérité essentielle, même quand elle ne considère pas l'ensemble de l'existence comme un processus ou comme une cause et un effet dans le développement d'une certaine forme d'Énergie auto-régulatrice, le Karma. Mais un processus est simplement un moyen; c'est un choix habituel de certains rapports effectifs qui, dans l'infinie possibilité des choses, auraient pu être organisés différemment, pour produire des résultats qui, eux aussi, auraient pu être tout à fait différents. La vérité réelle des choses ne réside pas dans le processus, mais dans ce qui se trouve par-derrière, dans tout ce qui détermine, réalise ou gouverne le processus; non pas tant dans l'accomplissement que dans la Volonté ou le Pouvoir qui accomplit, et non pas tant dans la Volonté ou le Pouvoir que dans la Conscience dont la Volonté est la forme dynamique, et dans l'Être, dont le Pouvoir est la valeur dynamique. Mais la mémoire n'est qu'un processus de la conscience, un moyen; elle ne peut être la substance de l'être ni la totalité de notre
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personnalité : elle n'est que l'une des opérations de la conscience, de même que le rayonnement est l'une des opérations de la Lumière. C'est le Moi qui est l'homme; ou si nous ne considérons que notre existence normale, superficielle, c'est le Mental qui est l'homme — car l'homme est l'être mental. La mémoire n'est que l'un des nombreux pouvoirs et processus du Mental, qui constitue à présent l'activité principale de la Conscience-Force dans nos rapports avec le moi, le monde et la Nature.
Néanmoins, il vaut mieux commencer par ce phénomène de là mémoire quand nous considérons la nature de l'Ignorance où nous demeurons, car"elle peut nous donner la clef de certains aspects importants de notre existence consciente. Nous voyons que le mental fait un double usage de cette faculté et de ce mécanisme de la mémoire : l'un s'applique à la mémoire du moi, et l'autre à la mémoire de l'expérience. D'abord, et de manière fondamentale, il applique la mémoire à la réalité de notre être-conscient et relie cela au Temps. Il dit : " Je suis maintenant, j'étais dans le passé, je serai donc dans le futur, c'est le même moi dans les trois divisions toujours instables .du Temps. " Il tente ainsi de s'expliquer à lui-même, dans les termes du Temps, ce qu'il sent être le fait réel, mais dont il ne peut connaître ni prouver la vérité : l'éternité de l'être conscient. Par la mémoire, le mental ne peut se connaître que dans le passé; par la conscience de soi directe, il ne peut s'e connaître que dans* le moment présent; et il ne peut se concevoir dans l'avenir que par , une extension de cette conscience de soi, et par ce qu'il peut en déduire, et par la mémoire qui lui rappelle que cette conscience a existé de façon continue pendant un certain temps. Il ne peut définir l'étendue du passé, ni celle du futur ; il peut seulement ramener le passé à la frontière de sa mémoire et, d'après les témoignages d'autrui et les faits de la vie qu'il observe autour de lui, en déduire que son être conscient existait déjà à une époque dont il ne peut plus se souvenir. Il sait qu'il existait chez le nouveau-né dans un état mental prérationnel avec lequel la mémoire a perdu le lien ; cette lacune de la mémoire empêche le mental humain de savoir avec certitude s'il existait avant la naissance physique. Du futur,.il ne sait absolument rien; quant à savoir s'il existera l'instant suivant, il ne peut en avoir qu'une certitude morale, et il est toujours possible qu'en cet instant un événement se produise qui en démontre l'erreur, car ce qu'il a vu n'était qu'une probabilité dominante; il peut
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encore, moins savoir si la dissolution physique constitue la fin de l'être conscient. Et pourtant, il a le sens d'une persistante continuité qui peut facilement s'étendre et lui donner la conviction de son éternité.
Cette conviction peut être ou bien le reflet dans le mental d'un passé sans fin qu'il a oublié mais dont quelque chose en lui retient une vague impression, ou bien ce peut être l'ombre d'une connaissance de soi que le mental reçoit d'un plan plus élevé ou plus profond de notre être où nous sommes réellement conscients de l'existence éternelle de notre moi. Ou l'on pourrait concevoir qu'il s'agit d'une hallucination. Le pouvoir de prévision de notre conscience ne nous permet pas de sentir ou de saisir la réalité de la mort — nous ne pouvons vivre en effet qu'avec 1& sentiment de la continuité de notre existence, la cessation étant pour nous un concept intellectuel que nous pouvons tenir pour certain ou que notre imagination peut se représenter de façon très intense, sans jamais en saisir vraiment la réalité du fait que nous vivons seulement dans le présent —, et pourtant la mort, la cessation ou en tout cas l'interruption de notre mode d'être actuel est un fait, et le sens ou la prévision d'une existence future continue, dans le corps physique,: devient, au-delà d'un point que nous ne pouvons encore fixer, une hallucination, une fausse extension ou une application erronée de l'impression mentale que nous avons à présent de notre être conscient. On peut donc concevoir qu'il en soit de même de cette idée ou de cette impression mentale d'éternité consciente. Il pourrait s'agir également d'un faux transfert, à nous-mêmes, de la perception d'une éternité réelle, consciente ou inconsciente, autre que nous-mêmes, que ce soit l'éternité de l'univers ou celle de quelque chose qui dépasse l'univers. Le mental, saisissant ce fait de l'éternité, l'appliquerait par erreur à notre être conscient qui ne serait guère plus qu'un phénomène transitoire de ce seul éternel véritable.
Ces questions, notre mental de surface n'a aucun moyen de les résoudre par lui-même ; il ne peut que spéculer sans fin et parvenir à des opinions plus ou moins rationnelles. La croyance en notre immortalité est simplement une foi, tout comme notre croyance en la mortalité. Le , matérialiste est incapable de prouver que notre conscience prend fin avec la mort du corps; car s'il peut démontrer qu'il n'existe jusqu'à présent aucune preuve convaincante que quelque chose en nous survive consciemment après la mort, rien non plus dans la nature des choses ne
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prouve que notre moi conscient ne survit pas à la dissolution physique. Peut-être établira-t-on un; jour! que la personnalité humaine survit au corps, d'une façon qui satisfera même les sceptiques ; mais même alors, on aura seulement prouvé la plus grande durée de notre être conscient, pas son éternité.
En fait, si nous examinons le concept mental d'éternité, nous voyons qu'il se réduit à une simple succession continue de moments d'être dans un Temps éternel. Par conséquent, c'est le Temps qui est éternel, et non l'être conscient qui vit continuellement d'un moment à l'autre. Par ailleurs, il n'existe aucune preuve mentale que le Temps éternel existe réellement ou que le Temps lui-même soit rien de plus que le regard de l'être conscient sur une certaine continuité ininterrompue, ou, peut-être, une éternité d'existence vue comme un flot indivisible que ses concepts mesurent par les expériences successives et simultanées qui, seules, lui permettent de se représenter cette existence. S'il y a une Existence éternelle qui soit un être conscient, elle doit être au-delà du Temps qu'elle contient; nous disons qu'elle est intemporelle; ce doit être l'Éternel du Védânta qui, nous pouvons donc le supposer, n'utilise le Temps que comme perspective conceptuelle pour Sa vision de Sa manifestation de soi. Mais l'intemporelle connaissance de soi de cet Éternel est au-delà du mental ; c'est une connaissance supramentale, supraconsciente pour nous, et pour l'acquérir, le seul moyen est d'amener au repos ou de transcender l'activité temporelle de notre mental conscient, de pénétrer dans le Silence, ou de traverser ce Silence pour entrer dans la conscience de l'éternité.
De tout cela ressort un fait essentiel, à savoir que la nature même de notre mental est Ignorance ; non pas une absolue nescience, mais une connaissance de l'être limitée et conditionnée, limitée par une réalisation de son présent, par une mémoire de son passé, par une inférence de son futur, et donc conditionnée par une vision temporelle et successive de lui-même et de ses expériences. Si l'existence réelle est une éternité temporelle, alors le mental n'a pas la connaissance de l'être réel, car son propre passé se perd dans la brume de l'oubli, ou il n'en subsiste que le peu que retient la mémoire; il n'a aucune prise sur son avenir que lui cache le grand vide de l'ignorance; il -n'a qu'une connaissance de son présent qui change de moment en moment dans une inexorable suite de noms, de formes et d'événements, la marche ou le flux d'une kinesis
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cosmique trop vaste pour qu'il puisse la maîtriser ou la comprendre, D'autre part, si l'existence réelle est une éternité qui transcende le Temps, le mental en est encore plus ignorant; car il ne connaît que le peu qu'il est lui-même capable d'en saisir d'un moment à l'autre par l'expérience fragmentaire de sa propre manifestation superficielle dans le Temps et l'Espace.
Par conséquent, si le mental est tout, ou si le mental apparent en nous est l'indice de la nature de notre être, nous ne pourrons jamais être rien de plus qu'une Ignorance glissant au fil du Temps pour saisir quelques bribes de connaissance. Mais s'il existe au-delà du mental un pouvoir de connaissance de soi qui, intemporel en son essence, peut regarder le Temps, avec peut-être une vision simultanée du passé, du pré'sejat1 et de l'avenir en laquelle tout se trouve relié, mais qui constitue en tout cas une circonstance de son propre être intemporel, alors nous avons deux pouvoirs de conscience : la Connaissance et l'Ignorance, la Vidyâ et l'Avidyâ du Védânta. Les deux doivent donc être ou bien des pouvoirs différents que rien ne relie, apparus séparément, divers en leur action, chacun existant en soi en un dualisme éternel ; ou bien, s'il existe un lien entre eux, ce doit être que la conscience en tant que Connaissance connaît son moi intemporel et voit le Temps en elle-même, tandis que la conscience en tant qu'Ignorance est une action partielle et superficielle de la même Connaissance qui se voit plutôt dans le Temps, se voilant au cœur de sa propre conception, qui est celle d'un être temporel et qui ne peut revenir à l'éternelle connaissance de soi qu'en supprimant le voile.
Car il serait irrationnel de supposer que la Connaissance supraconsciente est distante et séparée au point de ne pouvoir connaître le Temps, l'Espace, la Causalité et leurs œuvres; elle ne serait alors, en effet, qu'une autre sorte d'Ignorance, la cécité de l'Être absolu répondant à la cécité de l'être temporel comme les pôles positif et négatif d'une existence consciente qui, incapable de se connaître tout entière, ©u bien se connaît seulement elle-même et ne connaît pas ses œuvres, ou bien connaît seulement ses œuvres et ne se connaît pas elle-même, ce qui équivaudrait, dans les deux cas, à un rejet mutuel et d'une égale absurdité. Dans la perspective plus vaste de l'ancien Védânta, nous devons nous concevoir, non comme un être duel, mais comme une existence consciente unique ayant une double phase de conscience : l'une, consciente ou partiellement consciente dans notre mental, et l'autre,
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supraconsciente pour le mental ; l'une, connaissance située dans lé Temps, travaille dans les conditions du Temps et, à cette fin, rejette à l'arrière-plan sa connaissance de soi ; l'autre, intemporelle, élabore avec maîtrise et connaissance les conditions temporelles qu'elle a elle-même déterminées ; l'une se connaît seulement par sa croissance dans l'expérience du Temps, l'autre connaît son moi intemporel et se manifeste consciemment dans l'expérience temporelle.
Nous comprenons à présent ce qu'entendait l'Upanishad quand elle parlait du Brahman comme étant à la fois la Connaissance et l'Ignorance, et de la connaissance simultanée du Brahman dans l'une et l'autre comme du chemin vers l'immortalité. La Connaissance est le pouvoir de conscience inhérent au Moi intemporel, non spatial, inconditionné, qui se révèle, en son essence, comme une unité d'être ; seule cette conscience est connaissance réelle et complète, car c'est une transcendance éternelle qui non seulement est consciente de soi mais contient en soi, manifeste, engendre, détermine, connaît les successions temporellement éternelles de l'univers. L'Ignorance est la conscience de l'être dans les successions du Temps, divisée en sa connaissance parce qu'elle se loge dans l'instant, divisée en la conception de son être en soi parce qu'elle se loge dans les divisions de l'Espace et dans les rapports circonstanciels, et s'est emprisonnée elle-même dans les multiples opérations de l'unité. On l'appelle Ignorance parce qu'elle a laissé derrière elle la connaissance de l'unité et que, de ce fait, elle ne peut se connaître vraiment ou totalement elle-même ni connaître le monde, ni la réalité transcendante, ni la réalité universelle. Vivant au sein de l'Ignorance, de moment en moment, de domaine en domaine, de relation en relation, l'âme consciente poursuit sa marche trébuchante dans l'erreur d'une connaissance fragmentaire.¹ Ce n'est pas une nescience, mais une Vision et âne expérience de la réalité qui sont partiellement vraies et partiellement fausses, comme l'est nécessairement toute connaissance qui ignore l'essence et ne voit que des fragments éphémères du phénomène. D'autre part, s'enfermer dans la conscience sans traits de l'unité, dans l'ignorance du Brahman manifesté, est également décrit comme une profonde obscurité. En fait, ni l'une ni l'autre n'est réellement obscure : l'une est un éblouissement par une
¹avidyâyâm antare vartamânâh... janghanyamânâh pariyanti mûdhâh andhenaiva nîyamânâh yathândhâh. "Vivant et se mouvant au sein de l'Ignorance,... ils tournent et tournent, trébuchant, battus, ces hommes dans l'illusion, tels des aveugles conduits par un aveugle. " (Mundaka Upanishad, I. 2. 8.)
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Lumière concentrée, l'autre est la mesure illusoire de choses vues dans une lumière diffuse, voilée et fragmentée, une vision à moitié noyée dans la brume. La Conscience divine n'est enfermée dans aucune des deux, elle maintient l'Un immuable et le Multiple changeant en une connaissance de soi unique et éternelle qui relie et unit tout.
Dans la conscience qui divise, la mémoire est une béquille sur laquelle s'appuie le mental trébuchant, entraîné inexorablement, sans jamais pouvoir s'arrêter ou se reposer, dans le courant vertigineux du Temps. Pour une conscience de soi intégrale, directe et permanente, et pour une perception des choses directe, intégrale et globale, la mémoire est un piteux substitut. Le mental ne peut prendre directement conscience de lui-même que dans l'instantanéité de son être présent; il ne peut avoir qu'une certaine perception semi-directe des choses à mesure qu'elles lui sont offertes dans l'instant présent du temps et dans le champ immédiat de l'espace et qu'elles sont perçues par les sens. Il y supplée par la mémoire, l'imagination, la pensée, et des idées-symboles de toutes sortes. Ses sens sont des instruments pour saisir l'apparence des choses dans l'instant présent et dans l'espace immédiat; la mémoire, l'imagination et la pensée, des instruments qui lui permettent de se représenter, de façon moins directe encore, l'apparence des choses par-delà le moment présent et l'espace immédiat. Seule sa conscience de soi directe dans l'instant présent n'est pas un artifice. Aussi est-ce à travers elle qu'il peut le plus facilement saisir le fait de l'être éternel, la réalité; quand il regarde les choses de près, il est tenté de considérer tout le reste non seulement comme un phénomène, mais, peut-être, comme une erreur, une ignorance, une illusion parce qu'elles ne lui semblent plus directement réelles. C'est ainsi que l'illusionniste les voit; la seule chose qu'il tienne pour vraiment réelle est ce moi éternel derrière la conscience de soi directe du mental dans le présent. Ou bien, comme le bouddhiste, on finit par regarder même ce moi éternel comme une illusion, une représentation, une image subjective, une simple imagination ou une fausse sensation et une fausse idée de l'être. Le mental se voit lui-même comme un magicien fabuleux, ses œuvres et lui-même lui paraissent à la fois étrangement existants et non existants, une réalité persistante et pourtant une erreur éphémère qu'il explique ou n'explique pas; de toute façon, il est déterminé à les supprimer toutes deux, à se débarrasser de lui-même et de ses œuvres pour pouvoir se reposer, et, dans le repos intemporel de l'Éternel, en finir avec la vaine représentation des apparences.
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Cependant, nos distinctions tranchées entre l'extérieur et l'intérieur, entre la conscience de soi présente et passée sont, en vérité, des stratagèmes de l'action instable et limitée du mental. Derrière le mental, qu'elle utilise comme sa propre activité de surface, se trouve une conscience stable où il n'y a point de division conceptuelle impérative entre ce qu'elle est dans le présent et ce qu'elle est dans le passé et le futur. Et pourtant elle se connaît dans le Temps, dans le présent, le passé et le futur, mais d'un seul regard, dans une vision indivise qui embrasse toutes les expériences mouvantes du moi temporel et les maintient sur la fondation du moi intemporel immobile. Nous pouvons percevoir cette conscience quand nous nous retirons du mental et de ses activités ou quand celles-ci entrent dans le repos. Or nous voyons en premier lieu son état d'immobilité, et si nous ne considérons que l'immobilité du moi, nous pouvons dire qu'elle est non seulement intemporelle, mais inactive, sans mouvement d'idée, de pensée, d'imagination, de mémoire, de volonté, se suffisant à elle-même, absorbée en elle-même et, par conséquent, vide de toute activité cosmique. Cela seul devient alors réel pour nous, et le reste n'est plus que vaine symbolisation en des formes non existantes — ou qui ne correspondent à rien de vraiment existant —, et ce n'est donc qu'un rêve. Mais cette absorption en soi n'est qu'un acte et un état résultant de notre conscience, comme l'était la dispersion de soi dans la pensée, la mémoire et la volonté. Le moi réel est l'éternel qui, de toute évidence, possède le pouvoir à la fois de mobilité dans le Temps et d'immobilité à la base du Temps — simultanément, car autrement elles ne pourraient exister toutes deux ; encore moins se pourrait-il que l'une existe tandis que l'autre crée des apparences. C'est l'Âme, le Moi ou Être suprême de la Gîta,¹ qui soutient à la fois l'être immobile et l'être mobile, en tant que moi et seigneur de toute existence.
Nous en arrivons à ce point en considérant le mental et la mémoire principalement par rapport au phénomène premier de la conscience de soi mentale dans le Temps. Mais si nous les envisageons du point de vue de l'expérience de soi aussi bien que du point de vue de la conscience, et du point de vue de l'expérience de l'altérité comme du point de vue de l'expérience de notre moi, nous verrons que nous parvenons au même résultat, mais avec une plus grande richesse de contenu et une perception plus claire, plus lumineuse encore de la nature de l'Ignorance. Pour
¹para purusha, paramâtman, parabrahman.
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le moment, exprimons donc en ces termes ce que nous avons vu : un être conscient éternel qui soutient l'action mobile du mental sur la base d'une conscience de soi stable et immobile, libre de l'action du Temps, et qui, embrassant tout le mouvement du Temps avec une connaissance supérieure au mental, demeure néanmoins, de par l'action du mental, au cœur même de ce mouvement. En tant qu'entité mentale de surface se mouvant de moment en moment, observant non pas son moi essentiel mais seulement sa relation avec ses expériences dans le mouvement du Temps, tenant, dans ce mouvement, le futur éloigné de lui en ce qui semble être un vide d'Ignorance et de non-existence, mais qui est en fait une plénitude irréalisée, saisissant la connaissance et l'expérience d'être dans le présent, les rejetant dans le passé qui, à son tour, apparaît comme un vide d'Ignorance et de non-existence partiellement éclairé, partiellement sauvegardé et conservé par la mémoire, il revêt l'aspect d'une chose fugitive et incertaine s'emparant précairement de choses fugitives et incertaines. Mais en réalité, comme nous le découvrirons, c'est toujours le même Éternel qui est à jamais stable et maître de soi en Sa connaissance supramentale, et ce dont il s'empare est également à jamais stable et éternel; car c'est lui-même dont il fait mentalement l'expérience dans la succession du Temps.
Le Temps est la grande banque de l'existence consciente convertie en valeurs d'expérience et d'action : l'être mental de surface puise dans le passé (et dans le futur aussi) et le met continuellement en circulation dans le présent; -il comptabilise et accumule les gains qu'il a amassés dans ce que nous appelons le passé, sans savoir à quel point le passé est toujours présent en nous; il en prélève selon ses besoins une somme de connaissance et d'être réalisé, et le dépense en monnaie d'action mentale, vitale et physique dans le commerce du présent qui, à ses yeux, crée la nouvelle richesse du futur. L'Ignorance utilise la connaissance-de-soi de Être en sorte qu'elle ait une valeur pour l'expérience dans le Temps et soit valable pour l'action dans le Temps; ce que nous ne connaissons pas, c'est ce que-nous n'avons pas encore prélevé, émis et utilisé dans notre expérience mentale, ou ce que nous avons cessé d'émettre ou d'utiliser. Derrière, tout est connu et tout est prêt à servir selon la volonté du Moi dans ses rapports avec le Temps, l'Espace et la Causalité. On pourrait presque dire que notre être de surface n'est que le Moi éternel le plus profond en nous qui se projette extérieurement comme .aventurier dans le Temps, joueur et spéculateur des infinies possibilités,
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se limitant à cette succession de moments, afin d'avoir toute la surprise et toute la joie de l'aventure, retenant sa connaissance de soi et son être-en-soi complet, afin de pouvoir regagner ce qu'il semble avoir perdu, se reconquérant lui-même intégralement par le bonheur et la souffrance alternées d'une passion, d'une quête et d'un effort qui se poursuivent au long des âges.
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Ici ce Dieu, le Mental, en son rêve refait sans cesse l'expérience de ce dont il eut une fois l'expérience ; de ce qu'il a vu et de ce qu'il n'a pas vu, de ce qu'il a entendu et de ce qu'il n'a pas entendu, ce dont il a eu l'expérience et ce dont il n'a pas eu l'expérience, ce qui est et ce qui n'est pas, il voit tout, il est tout, et il voit.
Prashna Upanishad. IV. 5.
Demeurer en notre être vrai, c'est la libération; le sens de l'ego est une chute hors de la vérité de notre être.
Mahôpanishad. V. 2.
L'Un en maintes naissances, unique océan qui tient tous les courants de mouvement, voit nos cœurs.
Rig-Véda. X. V. 1.
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L'être mental est capable de prendre directement conscience de lui-même, de sa propre existence sans nom ni forme derrière le flot d'une expérience de soi différenciée, de l'éternelle substance de son âme derrière les formations mentales de cette substance, de son moi derrière l'ego, et cette conscience passe au-delà du mental pour entrer dans l'intemporel d'uti éternel présent; dans l'être mental, elle est ce qui demeure à jamais identique et n'est pas affecté par la distinction que fait le mental entre passé, présent et futur. Elle n'est pas non plus affectée par les distinctions spatiales et circonstancielles. L'être mental, en effet, dit ordinairement de lui-même : " Je suis dans le corps, je suis ici, j'étais là, je serai ailleurs s" ;'mais lorsqu'il apprend à se fixer dans cette conscience de soi directe, il perçoit très vite que c'est là le langage d'une expérience de soi qui change constamment et n'exprime que les rapports de sa conscience de surface avec le milieu et les choses extérieures. Quand il distingue ces choses et s'en détache, il perçoit que le moi, dont il est directement conscient, ne change aucunement du fait de ces changements extérieurs, mais demeure toujours le même. Il n'est pas affecté par les mutations du corps ou du mental, ni par celles du champ où ceux-ci se meuvent et agissent. En son essence, il est sans traits, sans relation, sans autre caractère que celui d'une pure existence consciente autonome et éternellement satisfaite de l'être pur, et plein de sa propre béatitude. Ainsi nous prenons conscience du Moi stable, de l'éternel " Suis ", ou plutôt de l'immuable " Est ", hors de toute catégorie personnelle et temporelle.
Mais si elle est intemporelle, cette conscience du Moi est également capable de considérer le Temps librement, comme quelque chose qui se reflète en elle et comme la cause ou le champ subjectif d'une expérience changeante. C'est alors l'éternel "Je suis ", la conscience qui ne change pas, et, à sa surface, les changements de l'expérience consciente se produisent dans le mouvement du Temps. Sans cesse la
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conscience de surface ajoute à son expérience ou en rejette quelque élément, et chaque ajout, de même que chaque rejet, la modifie; bien que ce moi plus profond qui soutient et contient cette mutation n'en soit pas modifié, le moi extérieur ou superficiel développe constamment son expérience, si bien qu'il ne peut jamais dire de lui-même d'une manière absolue : " Je suis le même que j'étais un instant auparavant ". Ceux qui vivent dans ce moi temporel et de surface, et n'ont pas l'habitude de se retirer au-dedans, vers l'immuable, ou ne sont pas capables d'y demeurer, ne peuvent même pas se concevoir eux-mêmes en dehors de cette expérience mentale qui se modifie continuellement. Pour eux, c'est leur moi, et s'ils regardent avec détachement ce qui lui arrive, ils acceptent sans peine la conclusion des nihilistes bouddhistes, ai savoir que ce moi n'est en fait qu'un courant d'idées et d'expériences et d'activité mentale, une flamme persistante qui n'est pourtant jamais la même, et de conclure qu'il n'est rien qui ressemble à un moi réel. Il n'y,;a qu'un flot d'expériences et, derrière, le Néant : il y a l'expérience d'une connaissance sans Connaissant, l'expérience de l'être sans Existant, et un certain nombre d'éléments qui font partie d'un flux mais pas d'une totalité réelle, et qui se combinent pour créer l'illusion d'un Connaissant, d'une Connaissance et du Connu, l'illusion d'un Existant, de l'existence et de l'expérience de l'existence. Ou ils peuvent conclure que le Temps est la seule existence réelle dont eux-mêmes sont les créatures. Cette conclusion, qui suppose un existant illusoire dans on monde réel ou irréel, est aussi inévitable dans ce genre de retrait que l'est la conclusion opposée supposant une Existence réelle dans un monde illusoire pour le penseur qui, concentré sur le moi immobile, observe en toute chose un non-moi changeant qu'il finit par considérer comme le résultat d'un subterfuge de la conscience.
Mais observons un peu cette conscience de surface sans théoriser, et examinons seulement les faits. Elle nous apparaît tout d'abord comme un phénomène purement subjectif : il y a un déplacement constant et rapide de points du Temps qu'il est impossible d'arrêter un seul instant, un changement constant, même sans aucune modification de la circonstance spatiale, à la fois dans le corps ou dans une des formes propres de la conscience que celle-ci occupe directement, et dans le corps ou la forme des choses qui l'entourent, et où elle vit moins directement. Elle est affectée également par les deux, bien que plus vivement, parce que directement, par le plus petit habitat que par le plus vaste, par
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son propre corps que par le corps du monde, car elle n'est directement consciente que des changements dans son propre corps, et n'est qu'indirectement consciente du corps du monde, par les sens et les effets du macrocosme sur le microcosme. Ce changement du corps et du milieu n'est pas aussi frappant, il n'a pas l'évidente rapidité du mouvement temporel; il est cependant tout aussi réel de moment en moment et tout aussi impossible à arrêter. Mais nous voyons que l'être mental ne considère toute cette mutation que dans la seule mesure où elle affecte,sa propre conscience mentale, suscite des impressions et des changements dans son expérience mentale et son corps mental, car c'est seulement; par le mental qu'il peut prendre conscience de sa demeure physique es de son expérience du monde, qui, se modifient toutes deux constamment. Tout autant qu'un déplacement ou un changement du point temporel et du champ spatial, il y a donc un perpétuel changement, une modification de la somme des circonstances dont nous faisons l'expérience dans le Temps et l'Espace et, par conséquent, une constante modification de la personnalité mentale qui est la forme de notre moi superficiel ou apparent. Dans le langage philosophique, tout ce changement de circonstances est résumé par le terme de causalité ; car dans cet écoulement du mouvement cosmique, l'état antécédent semble être la cause de l'état subséquent, ou bien cet état subséquent paraît être le résultat d'une action précédente, produite par des personnes, des objets au des forces : mais en réalité, ce que nous appelons cause peut fort bien n'être qu'une circonstance. Ainsi, sur un plan supérieur à sa conscience de soi directe, le mental a une expérience de soi changeante, et plus ou moins indirecte, qu'il divise en deux parties : son expérience subjective des états mentaux de sa personnalité, qui se modifient sans cesse et son expérience objective du milieu toujours changeant qui paraît être, en partie ou entièrement, la cause des activités de cette personnalité et qui, en même temps, est affecté par elles. Mais au fond, toute cette expérience est subjective; car même ce qui est objectif et extérieur, le mental ne; le connaît que sous la forme d'impressions subjectives.
C'est ici que le rôle de la mémoire revêt une importance beaucoup plus grande ; car si elle peut seulement rappeler au mental, lorsque celui-ci cherche à prendre directement conscience de lui-même, qu'il a existe et qu'il était le même dans le passé que dans le présent, elle devient, dans notre expérience différenciée ou superficielle de nous-mêmes, un pouvoir important qui relie les expériences passées et présentes, la personnalité
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passée et la présente, empêche le chaos et la dissociation, et assure la continuité du courant dans le mental de surface. Mais même dans ce cas, nous ne devons pas surestimer la fonction de la mémoire ou lui attribuer cette part des opérations de la conscience qui, en réalité, est associée à l'activité d'autres aspects du pouvoir de l'être mental. Ce n'est pas la mémoire seule qui constitue le sens de l'ego ; la mémoire n'est qu'un intermédiaire entre le mental sensoriel et l'intelligence coordinatrice : elle offre à l'intelligence les données passées de l'expérience que le mental retient quelque part au-dedans, mais ne peut emporter avec lui dans sa course en surface de moment en moment.
Une brève analyse mettra cela en évidence. Dans toute activité mentale, nous pouvons distinguer quatre éléments : l'objet de la conscience mentale, l'acte de la conscience mentale, l'occasion et le sujet. Dans l'expérience de soi que fait l'être intérieur qui s'observe, l'objet est toujours un état ou un mouvement, une vague de l'être conscient : colère, chagrin ou toute autre émotion, faim ou tout autre appétit vital, impulsion ou réaction vitale intérieure ou une forme de sensation, de perception ou d'activité de la pensée. L'acte est une sorte d'observation mentale et d'évaluation conceptuelle de ce mouvement, de cette vague, ou bien il en est une sensation mentale où l'observation et l'évaluation peuvent être enfouies et même perdues — de telle manière que, dans cet acte, la personne mentale peut séparer l'acte de l'objet par une perception discriminatrice, ou les mêler au point de ne plus pouvoir les distinguer du tout. Autrement dit, elle peut soit devenir simplement un mouvement, disons de conscience en colère, sans aucunement se détacher de cette activité, sans réfléchir ni s'observer, sans contrôler le sentiment ni l'action qui l'accompagne ; soit elle peut observer ce qu'elle devient et y réfléchir, et voir ou percevoir en son mental que " Je suis en colère ". Dans le premier cas, le sujet ou personne mentale, l'acte d'expérience de soi consciente et le " devenir en colère " substantiel du mental qui est l'objet de l'expérience de soi sont tous roulés en une vague unique de force consciente en mouvement ; mais dans le second, il y a une certaine analyse rapide de ses éléments constitutifs, et l'acte de l'expérience de soi se détache partiellement de l'objet. Ainsi, par cet acte de détachement partiel, nous pouvons non seulement faire dynamiquement l'expérience de nous-mêmes dans le devenir, dans le processus du mouvement de la force-consciente elle-même, mais nous tenir en retrait, nous percevoir et nous observer et, si le détachement
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est suffisant, devenir maîtres de nos sentiments et de nos actions, et, dans une certaine mesure, de notre devenir.
Cependant, il y a d'habitude un défaut, même dans cet acte d'observation de soi ; en effet, l'acte est partiellement détaché de l'objet, mais la personne mentale ne l'est pas de l'acte mental : la personne mentale et l'action mentale sont immergées ou enveloppée l'une en l'autre ; et la personne mentale n'est pas non plus suffisamment détachée ou séparée du devenir émotionnel. Je suis conscient de moi-même dans un devenir-en-colère de la substance consciente de mon être et dans la perception de ce devenir par la pensée. Mais toute perception de la pensée est aussi un devenir, elle n'est pas moi-même-, et je ne m'en rends pas encore suffisamment compte; je suis identifié à mes activités mentales ou immergé en elles, je n'en suis pas libre et dissocié. Je ne prends pas encore directement conscience de moi-même indépendamment de mes devenirs et de la perception que j'en ai, indépendamment des formes de conscience active que je revêts dans les vagues de l'océan de force consciente, substance de ma nature mentale et vitale. C'est quand je détache entièrement la personne mentale de son acte d'expérience de soi que je prends pleinement conscience, d'abord de l'ego tel qu'il est, et finalement du moi témoin ou de la Personne mentale pensante, de quelque chose ou de quelqu'un qui se met en colère et qui observe sa colère, mais n'est limité ou déterminé en son être ni par elle, ni par la perception qu'il en a. Cette Personne, au contraire, est un facteur constant qui perçoit une succession illimitée de mouvements conscients et d'expériences conscientes de mouvements, et perçoit son propre être dans cette succession ; mais il peut aussi le percevoir derrière cette succession, la soutenant, la contenant, toujours identique dans le fait d'être et la force d'être, par-delà les formes changeantes et les arrangements de sa force consciente. Ainsi est-il le Moi qui est immuablement, et en même temps le Moi qui devient éternellement dans la succession du Temps.
Il est évident qu'en réalité il n'y a pas deux moi, mais un seul être conscient qui se projette dans les vagues de la force consciente afin d'avoir l'expérience de lui-même en une succession de ses propres mouvements changeants par lesquels il n'est pas vraiment changé, accru ou diminué — pas plus que dans le monde matériel la substance originelle de la Matière ou de l'Énergie n'est accrue ou diminuée par les combinaisons constamment changeantes des éléments — bien
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que la conscience qui fait l'expérience ait l'impression qu'il change, tant qu'elle vit seulement dans la connaissance du phénomène et ne revient pas à la connaissance de l'être, de la substance ou de la Force originels. Quand elle recouvre cette connaissance plus profonde, elle ne condamne pas le phénomène observé comme irréel, mais perçoit un être immuable, énergie ou substance réelle, non phénoménal, qui n'est pas lui-même esclave des sens ; elle voit en même temps un devenir, ou un phénomène réel de cet être, énergie ou substance. Ce devenir, nous rappelons phénomène parce qu'en fait, dans les conditions actuelles; il se manifeste à la conscience dans les conditions de la perception sensorielle et des rapports sensoriels, et non point directement à la conscience elle-même dans sa pure connaissance inconditionnée qui embrasse et comprend tout. Ainsi en est-il du Moi : pour la conscience de soi directe, il est immuablement; pour la perception et l'expérience mentales, il se manifeste sous des formes changeantes en des devenirs variés ; les choses étant ce qu'elles sont, le Moi se manifeste donc à la pure connaissance inconditionnée de la conscience, non d'une façon directe, mais dans les conditions de notre mentalité
C'est cette succession d'expériences et c'est ce fait d'une action indirecte ou secondaire de la conscience, dont l'expérience se réalise dans les conditions de notre mentalité, qui font intervenir le mécanisme de la mémoire. Car la division, la fragmentation temporelle est une condition première de notre mentalité: elle est incapable d'avoir aucune expérience ou de maintenir la cohésion de ses expériences autrement que dans les conditions de cette auto-division par les moments du Temps. Dans l'expérience mentale immédiate d'une vague de devenir, d'un mouvement d'être conscient, il n'y a aucune intervention de la mémoire, et aucune nécessité qu'elle intervienne : je me mets en colère — c'est la sensation qui agit, non la mémoire; j'observe que je suis en colère — c'est la perception qui agit, et non la mémoire, La mémoire n'intervient qu'au moment où je commence à relier mon expérience aux successions du Temps, où je divise mon devenir en passé, présent et futur, où je dis : " J'étais en colère il y a un moment ", ou: "Je me suis mis en colère et je suis encore en colère ", ou : " J'étais en colère en telle occasion, et je le serai donc à nouveau si la même occasion se présente. " Certes, la mémoire peut entrer immédiatement et directement dans le devenir si l'occasion du mouvement de conscience est elle-même entièrement ou partiellement une chose du passé — par exemple, s'il
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y a récurrence d'une émotion, comme le chagrin ou la colère, causée par la mémoire d'un tort ou d'une souffrance passés et non par une circonstance présente immédiate, ou bien causée par une circonstance immédiate ravivant la mémoire d'une circonstance passée. C'est parce que nous ne pouvons conserver le passé en nous à la surface de la conscience — bien qu'il soit toujours là derrière, au-dedans, subliminalement présent et souvent même actif —, que nous devons le recouvrer comme quelque chose qui aurait été perdu ou n'existerait plus ; et cela s'effectue par l'action répétitive et coordinatrice du mental pensant que nous appelons mémoire. Nous faisons de même lorsque, par l'action du mental pensant que nous appelons imagination, nous évoquons des choses qui ne sont pas dans le champ actuel de notre expérience mentale superficielle et limitée. Ce pouvoir supérieur en nous est une haute invocation à toutes les possibilités, réalisables ou non, pour qu'elles pénètrent dans le champ de notre ignorance.
La mémoire n'est pas l'essence de l'expérience persistante ou continue, même dans la succession du Temps, et elle ne serait nullement nécessaire si notre conscience était un mouvement non divisé, si elle ne devait pas courir de moment en moment, perdant toute prise directe sur celui qui vient de s'écouler et ignorant totalement le suivant, ou étant incapable de s'en saisir. Toute expérience ou substance de devenir dans le Temps est un fleuve ou un océan en mouvement, non divisés en eux-mêmes, divisés seulement dans la conscience qui observe à cause du mouvement limité de l'Ignorance qui doit sauter de moment en moment, telle une libellule zigzaguant à la surface de l'eau ; toute substance d'être dans l'Espace est de même un mouvant océan divisé, non pas en soi, mais seulement dans la conscience qui observe parce que notre faculté sensorielle est limitée dans son appréhension, et sa vision fragmentaire l'oblige à percevoir les formes de la substance comme des: .choses séparées en soi, indépendantes de la substance unique; Il y a certes une disposition des choses dans l'Espace et le Temps, mais il n'y a aucun vide, aucune division, si ce n'est pour notre ignorance, et c'est pour combler les vides et relier ce que l'ignorance du Mental a divisé que nous appelons à notre aide divers artifices de la conscience mentale, et la mémoire n'en est qu'un parmi d'autres.
Ce courant de l'océan du monde s'écoule donc à travers moi, et la colère ou le chagrin ou tout autre mouvement intérieur peut survenir
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comme une vague, depuis longtemps formée, de ce flot continu. Cette continuité n'est pas constituée par la force de la mémoire, bien que celle-ci puisse aider à prolonger ou répéter la vague, qui autrement se serait dissoute dans le courant ; la vague survient et persiste simplement comme un mouvement de force-consciente de mon être emporté par sa propre impulsion originelle perturbatrice. La mémoire intervient et prolonge la perturbation par un retour du mental pensant aux circonstances de la colère, ou du mental émotif à la première impulsion de la colère par laquelle il Justine la récurrence de la perturbation; autrement celle-ci s'épuiserait et ne resurgirait qu'au moment où les mêmes circonstances se reproduiraient. Le retour naturel de la vague, la circonstance identique ou analogue causant la même agitation, n'est pas plus que son apparition isolée un résultat de la mémoire, bien que la mémoire puisse contribuer à la fortifier et qu'ainsi le mental y soit davantage prédisposé. La relation que nous voyons s'établir entre une circonstance récurrente, et le résultat et le mouvement récurrents qui se produisent dans l'énergie plus fluide et la substance plus variable du mental, est assez similaire à celle qui se présente à nous sous la forme mécanique de la répétition de cause à effet dans les opérations plus stables de l'énergie et de la substance du monde matériel. On peut dire, si l'on veut, qu'il y a dans toute l'énergie de la Nature une mémoire subconsciente qui répète invariablement le même rapport entre une énergie et son résultat, mais c'est donner à ce mot un sens infiniment plus large. En réalité, nous pouvons seulement énoncer une loi de récurrence qui s'applique à l'action des vagues de la force-consciente et lui permet de régulariser les mouvements de sa propre substance. La mémoire n'est à proprement parler que le mécanisme dont le Mental témoin se sert pour relier ces mouvements à leur apparition et à leur récurrence dans la succession temporelle, en vue d'une expérience temporelle, afin qu'une volonté et une raison de plus en plus coordinatrices en fassent un usage croissant et une évaluation toujours plus poussée. C'est un facteur important, indispensable, mais il n'est pas le seul dans le processus par lequel l'Inconscience, qui est notre point de départ, développe la pleine conscience-de-soi, et par lequel l'Ignorance de l'être mental développe une connaissance de soi consciente en ses devenirs. Ce développement se poursuit jusqu'à ce que le mental cognitif et le mental volitif coordinateurs soient pleinement capables de posséder et d'utiliser tout le matériau de l'expérience du moi. C'est en tout cas le processus de l'évolution que nous voyons gouverner le développement
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du Mental à partir de l'énergie absorbée en soi et apparemment non mentalisée dans le monde matériel.
Le sens de l'ego est un autre moyen dont se sert l'Ignorance mentale pour que l'être mental prenne conscience de lui-même — non seulement des objets, des circonstances et de ses actes, mais de ce qui en fait l'expérience. On pourrait croire, à première vue, que le sens de l'ego est en fait constitué par la mémoire, et que c'est elle qui nous dit: " C'est le même moi qui était en colère il y a quelque temps, et que je suis à nouveau, ou qui est encore en colère à présent. " Mais en réalité, tout ce que la mémoire a le pouvoir de nous dire, c'est qu'il s'agit du même champ limité d'activité consciente où le même phénomène s'est produit. Ce qui arrive, c'est que le phénomène mental, cette vague de devenir dans la substance mentale, se répète, et le mental le perçoit immédiatement; la mémoire fait alors le lien entre ces répétitions et permet ainsi au mental de percevoir que c'est la même substance mentale qui revêt la même forme dynamique, et la même perception mentale qui en fait l'expérience. Le sens de l'ego n'est pas un produit de la mémoire, il n'est pas construit par elle mais existe déjà et toujours comme point de référence, ou comme quelque chose en quoi la perception mentale se concentre afin d'avoir un centre de coordination au lieu de se répandre de façon incohérente sur tout le champ de l'expérience. la mémoire de l'ego renforce cette concentration et aide à la maintenir, mais ne la constitue pas. Si l'on pouvait analyser le sens de l'ego, le sens* de l'individualité des animaux inférieurs, on s'apercevrait peut-être qu'il n'est guère plus qu'une perception sensorielle imprécise ou moins précise de la continuité, de l'identité et de la séparation d'avec, les autres dans les moments du Temps. Mais, chez l'homme, il s'y ajoute un mental coordinateur de connaissance qui, se fondant sur l'action unifiée de la perception mentale et de la mémoire, parvient à l'idée distincte — tout en retenant la première perception intuitive constante — d'un ego qui perçoit, sent, se souvient, pense et demeure tel qu'il est, qu'il se souvienne ou non. Cette substance mentale consciente, dit-il, est toujours celle d'une seule et même personne consciente qui sent, cesse de sentir, se souvient, oublie, est consciente superficiellement, et qui, de la conscience superficielle, plonge à nouveau dans le sommeil; c'est la même personne avant l'organisation de la mémoire et après, dans le nourrisson et le vieillard sénile, dans le sommeil et la veillé, dans la conscience apparente et l'apparente inconscience ; c'est cette
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personne, et nulle autre, qui a accompli les actes qu'elle a oubliés, tout autant que ceux dont elle se souvient ; elle demeure identique, persistant derrière tous les changements de son devenir ou de sa personnalité. Cette action de la connaissance chez l'homme, cette intelligence qui coordonne, cette formulation de la conscience de soi et de l'expérience de soi, est supérieure à la mémoire et au sens de l'ego chez l'animal et donc, pouvons-nous supposer, plus proche de la réelle connaissance de soi. Si nous étudions l'action voilée aussi bien que dévoilée de là Nature, nous pouvons même finalement réaliser que tout sens de l'ego, toute mémoire de l'ego ont à l'arrière-plan et sont en fait les artifices pratiques d'un pouvoir coordinateur ou mental de connaissance secret, présent dans la force-consciente universelle dont, chez l'homme, la raison est la forme manifeste à laquelle parvient notre évolution —une forme encore limitée et imparfaite en ses modes d'action et son principe constitutif. Il y a une connaissance subconsciente même dans l'Inconscient, une Raison supérieure innée dans les choses, qui imposent la coordination, c'est-à-dire une certaine rationalité, aux mouvements les plus impétueux du devenir universel.
L'importance de la mémoire devient apparente dans le phénomène dûment observé de la double personnalité ou de la dissociation de la personnalité : le même homme connaît deux états mentaux qui se succèdent ou alternent et, en chacun, 'ne se rappelle et ne coordonne parfaitement que ce qu'il était ou faisait dans un certain état mental, et non ce qu'il était ou faisait dans un autre état. Cela peut être associé à l'idée organisée de personnalité différente, car, dans un état, il pense être une certaine personne, et, dans l'autre, une tout autre personne ayant un nom, une vie et des sentiments différents. Il semblerait ici que la mémoire soit toute la substance de la personnalité. Mais, par ailleurs, nous devons voir que la dissociation de la mémoire survient aussi sans dissociation de la personnalité, comme lorsqu'un homme en état d'hypnose recueille une gamme de souvenirs et d'expériences étrangers à son mental de veille, mais ne pense pas pour autant qu'il est une autre personne, ou comme quelqu'un peut oublier les événements passés de sa vie, et peut-être jusqu'à son nom, sans que son sens de l'ego et sa personnalité changent pour autant. Un autre état de conscience est possible où, bien qu'il n'y ait aucun hiatus dans la mémoire, tout l'être, par un développement rapide, se sent lui-même changé en chaque circonstance mentale; l'homme a l'impression d'être né à une personnalité nouvelle,
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si bien que, n'était le mental coordinateur, il refuserait d'accepter que son passé ait pu appartenir à la personne qu'il est à présent, tout en se rappelant parfaitement que cela s'est produit dans la même forme corporelle et dans le même champ de substance mentale. Le sens mental est la base, la mémoire est le fil sur lequel le mental attache ses expériences: mais c'est la faculté coordinatrice du mental qui, reliant tout le matériau que fournit la mémoire et tous ses chaînons de passé, présent et futur, les rattache également à un " Je " qui est le même à tous les moments du Temps et malgré tous les changements d'expérience et de personnalité.
Le sens de l'ego n'est qu'un procédé préparatoire et une première base pour le développement de la réelle connaissance de soi dans l'être mental. En progressant de l'inconscience à la conscience de soi, de la nescience de soi et des choses à la connaissance de soi et des choses, le Mental dans les formes arrive au point où il perçoit que tout son devenir superficiellement conscient se rattache à un " je " qu'il est toujours. Ce " je ", il l'identifie en partie au devenir conscient, en partie le conçoit comme quelque chose d'autre que le devenir et supérieur à lui, et peut être même éternel et immuable. En dernier recours, à l'aide de sa raison qui établit ses distinctions afin de tout coordonner, il peut fixer son expérience de soi sur le seul devenir, sur le moi qui change constamment et rejeter comme une fiction du mental l'idée qu'il puisse y avoir autre chose que cela ; alors il n'y a pas d'être, seulement un devenir. Ou bien il peut fixer son expérience de soi dans une conscience directe de son être éternel et rejeter le devenir, même quand il est obligé d'en prendre conscience, comme une fiction du mental et des sens ou comme la vanité d'une existence inférieure temporaire.
Mais il est évident qu'une connaissance de soi fondée sur le sens séparateur de l'ego est imparfaite, et aucune connaissance fondée exclusivement ou principalement sur lui, ou en réaction contre lui, ne saurait être sûre ou assurée d'être complète. D'abord, c'est une connaissance de notre activité mentale superficielle et de ses expériences et, comparée au 'vaste domaine de notre devenir qui s'étend au-delà, c'est une Ignorance. Ensuite, ce n'est une connaissance que de l'être et du devenir limités au moi individuel et à ses expériences ; tout le reste du monde est pour elle un non-moi, quelque chose, dirions-nous, qu'elle ne réalise pas comme 'faisant partie de son être propre, mais comme une existence extérieure présentée à sa conscience séparée. Cela tient au fait qu'elle n'a pas une
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connaissance consciente directe de cette existence et de cette nature plus vastes, comme celle qu'a l'individu de son être et de son devenir propres. Là aussi, c'est une connaissance limitée qui s'affirme au milieu d'une vaste Ignorance. Enfin, la vraie relation entre l'être et le devenir n'a pas été élaborée sur la base de la parfaite connaissance de soi, mais plutôt par l'Ignorance, par une connaissance partielle. En conséquence, dans son élan vers une connaissance ultime, le mental essaie, par la volonté et la raison qui coordonnent et dissocient, et sur la base de notre expérience et de nos possibilités présentes, d'aboutir à une conclusion catégorique qui rejette un côté de l'existence. Tout ce qui a été établi, c'est que l'être mental peut, d'une part, s'absorber dans la conscience de .soi directe en excluant apparemment tout devenir et, d'autre part, s'absorber dans le devenir en excluant apparemment toute conscience de soi stable. Les deux aspects du mental, séparés, antagonistes, condamnent ce qu'ils rejettent comme irréel ou seulement comme un jeu du mental conscient. Pour l'un ou pour l'autre, soit le Divin, le Moi, soit le monde n'est que relativement réel, tant que le mental persiste à les créer : le monde serait un rêve effectif du Moi, ou bien Dieu et le Moi seraient une construction mentale ou une réelle hallucination. La vraie relation n'a pas été saisie parce que ces deux aspects de l'existence paraissent nécessairement discordants et irréconciliés à notre intelligence, aussi longtemps que la connaissance n'est que partielle. Une connaissance intégrale est le but de l'évolution consciente ; une coupure franche de la conscience, tranchant un aspect et laissant l'autre de côté, ne peut être l'entière vérité du moi et des choses. Si quelque Moi immuable était le tout, il n'y aurait en effet aucune possibilité d'existence du monde ; si la Nature changeante était le tout, il pourrait y avoir un cycle du devenir universel, mais pas de base spirituelle pour l'évolution du Conscient hors de l'Inconscient et pour l'aspiration persistante de notre Conscience partielle ou Ignorance à se dépasser pour atteindre à l'entière Vérité consciente de son être et à la Connaissance consciente intégrale dé tout l'Être.
Notre existence de surface n'est qu'une surface, et c'est là que l'Ignorance règne en souveraine absolue ; pour connaître, il nous faut entrer en nous-mêmes et voir avec une connaissance intérieure. Tout ce qui est formulé à la surface est une représentation infime et diminuée de notre plus vaste et secrète existence. Nous ne pouvons trouver le moi immobile en nous que lorsque les activités mentales et vitales
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extérieures sont apaisées; puisqu'il est établi tout au fond de nous-mêmes et n'est représenté à la surface que par le sens intuitif de notre propre existence, et faussement représenté par le sens de l'ego mental, vital et physique, c'est donc dans le silence mental que doit se faire l'expérience de sa vérité. Mais de façon analogue, les parties dynamiques de notre être de surface sont, elles aussi, des images réduites de choses plus grandes qui se trouvent dans les profondeurs de notre nature secrète. La mémoire superficielle elle-même est une action fragmentaire et inefficace, puisant des détails dans une mémoire intérieure subliminale qui reçoit et enregistre toute notre expérience du monde, reçoit et enregistre même ce que le mental n'a pas observé, compris ou remarqué. Notre imagination superficielle est une sélection à partir d'un pouvoir de conscience subliminal, bâtisseur d'images, plus vaste, plus créatif et plus efficace. Un mental aux perceptions incommensurablement plus vastes et plus subtiles, une énergie de vie au dynamisme plus intense, une substance physique subtile, à la réceptivité plus étendue et plus fine, puisent en eux-mêmes pour construire notre évolution de surface. Derrière ces activités occultes se tient une entité psychique, vrai support de notre individualisation ; l'ego n'est qu'un substitut extérieur et faux, car c'est cette âme secrète qui soutient notre expérience de nous-mêmes et notre expérience du monde et maintient leur cohésion ; l'ego extérieur mental, vital et physique est une construction superficielle de la Nature. C'est seulement quand nous avons vu que notre moi et notre nature forment un tout, dans les profondeurs comme à la surface, que nous pouvons acquérir une base véritable de connaissance.
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La connaissance par identité et la connaissance séparatrice
Ils voient le Moi dans le Moi par le Moi.
Gîta. VIF. 20.
Là où il y a dualité, là, l'autre voit l'autre, l'autre entend et touche l'autre, pense à l'autre, connaît l'autre. Mais quand on voit comme le Moi, par quoi connaîtra-t-on le tout ? c'est par le Moi que l'on connaît tout ce qui est. (...) Tout trahit celui qui voit tout ailleurs que dans le Moi; car tout ce qui est, est le Brahman, tous les êtres et tout ce qui est, tout est ce Moi.,
Brihadâranyaka Upanishad. IV. 5.15,7.
L'Existant-en-soi a percé les portes des sens vers l'extérieur, c'est pourquoi nous voyons les choses de l'extérieur et non en notre être intérieur. Rarement un sage aspirant à l'immortalité, le regard tourné au-dedans, voit le Moi face à face.
Katha Upanishad. II. 1.1.
Il n'y a pas annihilation de la vision de celui qui voit, de la parole de celui qui parle (...), de l'audition de celui qui entend (...), de la connaissance de celui qui connaît, car elles sont indestructibles; mais ce n'est pas une seconde ou une autre personne, séparée de lui, qu'il voit, à qui il parle, qu'il entend, qu'il connaît.
Brihadâranyaka Upanishad. IV. 3.23-30.
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Notre cognition de surface, la vision mentale limitée et restreinte que nous avons de notre moi, de nos mouvements intérieurs et du monde extérieur, de ses objets et de ses événements, est constituée de telle sorte qu'elle découle, à des degrés divers, d'un ordre quadruple de connaissance. Le mode de connaissance originel et fondamental, inhérent au moi occulte dans les choses, est une connaissance par identité ; le second, dérivé, est une connaissance par contact direct qui est associée, à sa racine même, à une secrète connaissance par identité, ou en procède; mais, en réalité, elle est séparée de sa source et sa cognition est donc puissante, mais incomplète ; le troisième est une connaissance par séparation, qui se dissocie de l'objet de l'observation, mais le contact direct, voire l'identité partielle, demeure néanmoins son support ; le quatrième est une connaissance entièrement séparatrice qui repose sur un mécanisme de contact indirect, une connaissance par acquisition qui, cependant, sans en être consciente, traduit ou fait émerger le contenu d'une conscience et d'une connaissance intérieures préexistantes. Une connaissance par identité, une connaissance par contact direct intime, une connaissance par contact direct séparatif, une connaissance entièrement séparatrice par contact indirect, telles sont les quatre méthodes cognitives de la Nature.
Sous Sa forme la plus pure, le premier mode de connaissance s'exprime seulement, dans le mental de surface, par la perception directe de notre propre existence essentielle : c'est une connaissance qui n'a d'autre contenu que le pur fait du moi et de l'être ; notre mental de surface ne perçoit rien d'autre dans le monde de la même façon. Mais la connaissance de la structure et des mouvements de notre conscience subjective comporte effectivement un élément de conscience par identité, car nous pouvons nous projeter dans ces mouvements en nous identifiant à eux dans une certaine mesure. Nous avons déjà remarqué comment cela peut se produire dans le cas d'un accès de fureur qui nous
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engloutit, au point que, pour un moment, notre conscience tout entière paraît être une vague de colère : d'autres passions, l'amour, le chagrin, la joie ont le même pouvoir de s'emparer de nous et de nous accaparer; la pensée, elle aussi, nous absorbe et nous accapare, nous perdons de vue le penseur et devenons la pensée et l'acte de penser. Mais le plus souvent, il y a un double mouvement ; une partie de notre moi devient la pensée ou la passion, une autre partie l'accompagne en y adhérant en partie, ou la suit de près et la connaît par un contact direct intime qui ne va pas jusqu'à l'identification ou à -un complet oubli de soi dans le mouvement.
Cette identification est possible, ainsi que cette séparation simultanée et cette identification partielle, parce que ces choses sont des devenirs de notre être, des déterminations de notre substance mentale et de notre énergie mentale, de notre substance et de notre énergie vitales ; mais puisqu'elles ne représentent qu'une petite partie de nous, rien ne nous oblige à nous identifier à elles, à être accaparés par elles — nous pouvons nous en détacher, séparer l'être de son devenir temporaire, l'observer, le contrôler, approuver ou empêcher sa manifestation : nous pouvons, de cette manière, par un détachement intérieur, une séparation mentale ou spirituelle, nous affranchir partiellement ou même fondamentalement du contrôle que la nature mentale ou vitale exerce sur notre être et prendre la position du témoin, du connaissant et du souverain. Ainsi, nous avons une double connaissance du mouvement subjectif : une connaissance intime, par identité, de sa substance et de sa force d'action, plus intime que ne pourrait jamais l'être une connaissance entièrement séparatrice et objective comme celle que nous avons des choses extérieures qui, pour nous, sont des " non-moi " absolus ; et une connaissance par observation détachée — détachée mais dotée d'un pouvoir de contact direct — qui nous libère de l'énergie de la Nature où nous sommes immergés et nous permet de rattacher le mouvement au reste de notre existence et de l'existence du monde. Si nous n'avons pas ce détachement, nous perdons notre moi d'être et de connaissance souveraine dans le moi naturel de devenir, de mouvement et d'action et, tout en connaissant intimement le mouvement, nous ne le connaissons pas pleinement et parfaitement. Tel ne serait pas le cas si, tout en nous identifiant au mouvement, nous conservions notre identité avec le reste de notre existence subjective — autrement dit, si nous pouvions plonger entièrement dans la vague du devenir et, absorbés dans l'état ou
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dans l'acte, être néanmoins le témoin mental qui observe et contrôle ; mais ce n'est pas une tâche aisée, car nous vivons dans une conscience divisée où la partie vitale de nous-mêmes — notre nature vitale faite de force, de désir, de passion et d'action — tend à diriger ou submerger le mental; et le mental doit éviter cette sujétion et contrôler le vital; mais ses efforts ne peuvent aboutir que s'il se tient à l'écart, car s'il s'identifie, il est perdu, et précipité dans le mouvement de la vie. Néanmoins, une sorte de double identité équilibrée dans la division est possible, bien qu'il ne soit pas facile de conserver l'équilibre ; il y a un moi-de-pensée qui observe et autorise la passion pour en faire l'expérience — ou y est contraint par quelque pression de la vie —, et il y a un moi-de-vie qui se laisse emporter dans le mouvement de la Nature. Ici, dans notre expérience subjective, nous avons donc un champ d'action de la conscience où trois mouvements cognitifs peuvent se joindre : un certain genre de connaissance par identité, une connaissance par contact direct et une connaissance séparatrice qui dépend des deux autres.
Dans la pensée, il est plus difficile de séparer le penseur de l'acte de penser. Le penseur est plongé et perdu dans la pensée ou emporté dans son courant, identifié à lui; d'ordinaire, ce n'est pas au moment où il pense ni dans l'acte même de penser qu'il peut observer ou examiner ses pensées — cela, il doit le faire rétrospectivement, à l'aide de sa mémoire, ou en faisant une pause qui permet au jugement correcteur d'exercer sa critique avant d'aller plus loin. Une simultanéité de la pensée et du contrôle conscient de l'activité mentale peut néanmoins être obtenue, partiellement quand la pensée ne nous absorbe pas, entièrement quand le penseur acquiert la faculté de se retirer dans le moi mental et d'y demeurer, détaché du courant d'énergie mentale. Au lieu d'être absorbés dans la pensée, en ayant tout au plus un vague sentiment de son processus, nous pouvons voir ce processus par une vision mentale, observer l'origine et le mouvement de nos pensées et, en partie par une pénétration silencieuse, en partie par un mécanisme d'enchaînement des pensées, les juger et les évaluer. Mais quel que soit le mode d'identification, il faut noter que la connaissance de nos mouvements internes a un double caractère : elle se fait par détachement et par contact direct, car même quand nous nous détachons, ce contact étroit est maintenu ; notre connaissance repose toujours sur un contact direct, sur une cognition par perception directe portant en soi un certain élément d'identité. L'attitude plus séparatrice est d'ordinaire la méthode de notre raison
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quand elle observe et prend connaissance de nos mouvements intérieurs ; la plus intime est la méthode du mental dynamique qui s'associe à nos sensations, à nos sentiments et désirs : mais dans cette association aussi, le mental pensant peut intervenir, et, se dissociant à la fois du mental dynamique et du mouvement vital ou physique, les observer et les maîtriser séparément. C'est ainsi que nous prenons connaissance et maîtrisons tous les mouvements observables de notre être physique; nous sentons que le corps et ses actes font intimement partie de nous, mais que le mental en est séparé et, ainsi détaché, peut exercer un contrôle sur ses mouvements. À la connaissance normale de notre être et de notre nature subjectifs — si incomplète et largement superficielle qu'elle soit encore — cela donne pourtant, dans ses propres limites, un caractère intime, immédiat et direct, que n'a pas notre connaissance du monde extérieur, de ses mouvements et objets : là, en effet, la chose que l'on voit ou dont on fait l'expérience est un non-moi, nous ne sentons pas qu'elle fait partie ; de nous-mêmes, aucun contact entièrement direct de la conscience avec l'objet n'est possible; il faut recourir à une instrumentation des sens qui nous offre, non pas une connaissance immédiate et intime de la chose, mais une représentation qui constitue les premières données de la connaissance.
Dans la cognition des choses extérieures, notre connaissance a une base entièrement séparatrice ; tout son mécanisme et tout son processus ont le caractère d'une perception indirecte. Nous ne nous identifions pas avec les objets extérieurs, pas même avec nos semblables, bien qu'ils soient des êtres de même nature que nous ; nous ne pouvons entrer en leur existence comme si elle était notre propre existence, nous ne pouvons les connaître, non plus que leurs mouvements, de façon directe, immédiate, intime, comme nous nous connaissons nous-même et nos propres mouvements, bien que cette connaissance demeure incomplète. Mais l'identification ne fait pas seule défaut, il manque aussi le contact direct entre notre conscience et leur conscience, notre substance et leur substance, le moi de notre être et leur être essentiel. La seule preuve ou le seul contact apparemment directs que nous en ayons, viennent des sens ; la: vue, l'ouïe, le toucher semblent susciter une sorte d'intimité directe avec l'objet de la connaissance; mais il n'en est pas réellement ainsi, ce n'est pas une immédiateté réelle, une réelle intimité, car nos sens ne nous mettent pas en contact intérieur ou intime avec la chose elle-même, mais transmettent une image ou une vibration .ou un message nerveux
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par quoi nous devons apprendre à la connaître. Ces moyens sont si inefficaces, si pauvres et étriqués que s'ils étaient nos seuls instruments nous ne pourrions connaître que fort peu de choses, ou même rien du tout, ou nous n'atteindrions qu'un épais nuage de confusion. Mais interviennent alors une intuition du mental sensoriel qui saisit la suggestion de l'image ou de la vibration et l'accorde à l'objet, une intuition vitale qui saisit l'énergie ou la forme de pouvoir de l'objet au moyen d'un autre type de vibration créée par le contact des sens, et une intuition du mental perceptif qui, aussitôt, forme une idée juste de l'objet à partir de toutes ces données. L'intervention de la raison ou de l'intelligence compréhensive globale permet de combler les lacunes dans l'interprétation de l'image ainsi construite. Si la première intuition composite était le résultat d'un contact direct ou si elle résumait l'action d'une mentalité intuitive globale ayant la pleine maîtrise de ses perceptions, il n'y aurait aucun besoin que la raison intervienne, sinon pour découvrir ou organiser la connaissance que ne transmettent pas les sens et leurs suggestions : c'est, au contraire, une intuition travaillant sur une image, sur un document sensoriel, sur un indice indirect, non sur un contact direct de la conscience avec l'objet. Mais puisque l'image ou la vibration est une information défectueuse et sommaire et que l'intuition elle-même est limitée et communiquée par un obscur intermédiaire, qu'elle agit dans une lumière voilée, l'exactitude de notre construction intuitive interprétative de l'objet est sujette à caution ou risque en tout cas d'être incomplète. L'homme a été forcé de développer sa raison afin de pallier les déficiences de ses instruments sensoriels, la faillibilité des perceptions de son mental physique et l'indigence de l'interprétation de ses données.
Notre connaissance du monde est donc une structure complexe composée de la documentation imparfaite de l'image sensorielle, d'une interprétation intuitive de celle-ci par le mental perceptif, le mental vital et le mental sensoriel, avec l'apport supplémentaire de la raison qui complète, corrige, coordonne, enrichit cette connaissance. Même ainsi, notre connaissance du monde où nous vivons demeure étroite et imparfaite, nos interprétations de ses significations sont discutables : imagination, spéculation, réflexion, évaluation et raisonnement impartiaux, inférence, mesure, expérimentation, correction et amplification accrues des indices sensoriels par la science — il a fallu faire appel à tout cet appareil pour compléter ce qui était incomplet. Après tout
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cela, le résultat demeure encore une accumulation à demi certaine, à demi douteuse de connaissance acquise indirecte, une masse d'images signifiantes et de représentations idéatives, d'abstraits jetons de pensée, d'hypothèses, de théories, de généralisations, mais aussi et en même temps une masse de doutes, un débat et un examen sans fin. Le pouvoir est venu avec la connaissance, mais l'imperfection de notre connaissance nous laisse ignorant de l'usage vrai du pouvoir, même du but vers lequel il faut orienter, et rendre efficace, notre utilisation de la connaissance et du pouvoir. Cela est aggravé par l'imperfection de notre connaissance de nous-mêmes qui, dans sa pauvreté et sa lamentable insuffisance, n'est qu'une connaissance de notre surface, de notre moi et de notre nature phénoménaux apparents, et non de notre vrai moi et du vrai sens de notre existence. La connaissance et la maîtrise de nous-mêmes nous font défaut dans la pratique, et dans notre utilisation du pouvoir et de la connaissance du monde, nous manquons de sagesse et d'une volonté juste.
Il est évident qu'en surface, et dans ses propres limites, notre état est certes un état de connaissance, mais de connaissance restreinte, enveloppée et envahie par l'ignorance et qui, dans une très large mesure, en raison de ses limitations, est elle-même une sorte d'ignorance, au mieux un mélange de connaissance et d'ignorance. Il ne pouvait en être autrement puisque notre prise de conscience du monde naît d'une observation séparatrice et superficielle qui ne dispose que d'un moyen indirect de cognition ; notre connaissance de nous-mêmes, bien que plus directe, est oblitérée parce que restreinte, à la surface de notre être, par Une ignorance de notre vrai moi, des vraies sources de notre nature, des vraies forces qui nous poussent à l'action. Il est bien évident que nous n'avons de nous-mêmes qu'une connaissance superficielle — les sources de notre conscience et de notre pensée sont un mystère ; la vraie nature de notre mental, de nos émotions, de nos sensations est un mystère : la raison de notre être et sa fin, le sens de notre vie et de ses activités sont un mystère ; cela ne pourrait être si nous avions une réelle connaissance de nous-mêmes et une réelle connaissance du monde.
Si nous cherchons la raison de cette limitation et de cette imperfection, nous constaterons tout d'abord qu'elle tient au fait que nous sommes concentrés sur la surface; les profondeurs du moi, les secrets de notre nature totale demeurent scellés, dissimulés derrière un mur orée par notre conscience extériorisante — ou créé pour elle afin
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qu'elle puisse poursuivre son activité d'individualisation égocentrique du mental, de la vie et du corps sans être envahie par la vérité plus profonde et plus vaste d'un état d'être supérieur : à travers ce mur, nous ne pouvons regarder dans notre moi, dans notre réalité intérieure, que par des fentes et des archères, et nous ne voyons guère qu'une mystérieuse pénombre. En même temps, notre conscience doit défendre son individualisation égo-centrique, non seulement contre son propre moi plus profond, son moi d'unité et d'infinité, mais contre l'infini cosmique; elle érige ici également un mur de division et repousse tout ce qui n'est pas centré autour de son ego, l'exclut comme non-moi. Mais puisqu'elle doit vivre avec ce non-moi — car il lui appartient, dépend d'elle, demeure en elle —, elle doit maintenir quelque moyen de communication ; elle doit également tenter des percées, traverser le mur de son ego et le mur derrière lequel elle s'abrite dans les limites du corps afin de pourvoir aux besoins que le non-moi peut susciter en elle : elle doit apprendre à connaître, à sa manière, tout ce qui l'entoure afin de pouvoir le maîtriser et, autant que possible, le mettre au service de la vie et de l'ego humains, individuels et collectifs. Le corps procure à notre conscience les portes des sens, lui permettant d'établir la communication nécessaire ainsi que les moyens d'observation et d'action sur le monde, sur le non-moi au-dehors; le mental use de ces moyens et en invente d'autres complémentaires, et il réussit à établir une certaine construction, un certain système de connaissance qui sert son dessein immédiat ou sa volonté générale de maîtriser en partie et d'utiliser cette immense existence étrangère environnante ou de traiter avec elle quand il ne peut la maîtriser. Mais la connaissance qu'il acquiert est objective ; c'est surtout une connaissance de la surface des choses, ou de ce qui est juste au-dessous de la surface, une connaissance pragmatique, limitée et mal assurée. Sa défense contre l'invasion de l'énergie cosmique est tout aussi partielle et mal assurée ; bien qu'elle affiche " entrée interdite sans autorisation", notre conscience est subtilement et invisiblement envahie par le monde, enveloppée par le non-moi et façonnée par lui ; sa pensée, sa volonté, son énergie émotionnelle et vitale sont pénétrées par des vagues et des courants de pensée, de volonté, de passion, des collisions vitales et par des forces de toutes sortes provenant des autres et de la Nature universelle. Son mur de défense devient un mur d'obscurcissement qui l'empêche de connaître toute cette interaction ; elle ne connaît que ce qui passe par les portes des sens, ou par les perceptions mentales dont elle ne peut jamais être sûre, ou par ses déductions et
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formations élaborées à partir des données sensorielles qu'elle a pu réunir ; tout le reste est pour elle un vide de nescience.
C'est donc ce double-mur d'auto-emprisonnement, cette fortification dans les limites d'un ego de surface, qui est la cause de notre connaissance limitée ou de notre ignorance, et si cet emprisonnement de soi caractérisait notre existence tout entière, l'ignorance serait irrémédiable. Mais en fait, cette construction extérieure et constante de l'ego n'est qu'un procédé provisoire de la Conscience-Force dans les choses afin que l'individu secret, l'esprit au-dedans, puisse établir une formation représentative et instrumentale de lui-même dans la nature physique, une individualisation provisoire dans la nature de l'Ignorance, et c'est tout ce qui peut être accompli, au début, dans un monde émergeant d'une Inconscience universelle. Notre ignorance de nous-mêmes et notre ignorance du monde ne peuvent croître vers une connaissance intégrale de nous-mêmes et du monde que dans la mesure où notre ego limité et sa conscience à demi aveugle s'ouvrent à une existence et une conscience intérieures plus grandes et au vrai moi de l'être, et deviennent conscients aussi du non-moi extérieur comme étant également le moi — d'un côté d'une Nature qui constitue notre propre nature, et, de l'autre, d'une Existence qui est une continuation illimitée de notre propre moi essentiel. Notre être doit abattre les murs de la conscience-de-l'ego qu'il a créée, il doit s'étendre au-delà du corps et habiter le corps de l'univers. À la place ou en plus de sa connaissance par contact indirect, il doit atteindre une connaissance par contact direct et, de là, progresser vers une connaissance par identité. Le fini limité de son moi doit devenir un fini sans limites et un infini.
Mais le premier de ces deux mouvements, l'éveil à nos réalités intérieures, s'impose comme la nécessité primordiale, car c'est par cette découverte du moi intérieur que le second mouvement — la découverte du moi cosmique — peut devenir entièrement possible : nous devons pénétrer en notre être intérieur et apprendre à vivre en lui et par lui; le mental, :la vie et le corps extérieurs doivent devenir pour nous une simple antichambre. Tout ce que nous sommes à l'extérieur est en fait conditionné par ce qui est au-dedans, occulte, en nos profondeurs intérieures les plus cachées; c'est de là que proviennent les initiatives secrètes, les formations qui se réalisent d'elles-mêmes ; c'est de là que jaillissent nos inspirations, nos intuitions, les aspirations de notre vie,
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les préférences de notre mental, les choix de notre volonté — dans la mesure où ils ne sont pas façonnés ou influencés par la pression, tout aussi cachée, des forces cosmiques qui les assaillent; mais l'usage que nous faisons de ces pouvoirs qui émergent et de ces influences est conditionné, largement déterminé et, surtout, très limité par notre nature la plus extérieure. Il nous faut donc découvrir la connaissance de ce moi intérieur d'où tout est issu, associée à la perception exacte du moi instrumental extérieur et du rôle qu'ils jouent l'un et l'autre dans la construction de notre être.
De notre moi nous ne connaissons à. la surface que ce qui y est formulé, et encore n'en connaissons-nous qu'une portion; car nous voyons la totalité de notre être de surface dans un flou général parsemé de points ou de formes précises qui le découpent : même ce que nous découvrons par une introspection mentale n'est qu'une somme de sections; le dessin et le sens complets de notre formation personnelle nous échappent. Mais il y a aussi une action déformante qui obscurcit et défigure même cette connaissance de soi limitée; notre vision de nous-mêmes est viciée par l'intrusion et l'impact constants de notre moi extérieur de vie, de notre être vital qui cherche toujours à faire du mental pensant son outil et son serviteur ; car notre être vital n'est pas intéressé par la connaissance de soi, mais par l'affirmation de soi, par le désir et l'ego. Il agit donc constamment sur le mental afin de construire pour lui la structure mentale d'un moi apparent qui servira ses desseins. Il persuade notre mental de nous présenter, à nous et à autrui, une image représentative de nous-mêmes partiellement fictive qui soutient notre affirmation de nous-mêmes, justifie nos désirs et nos actions et nourrit notre ego. Cette intervention vitale n'est certes pas toujours marquée par la tendance à la justification et l'affirmation de soi; elle tourne parfois au dénigrement "de soi et à une autocritique morbide et exagérée; mais cela aussi est une structure de l'ego, un égoïsme inverse ou négatif, une position ou une pose de l'ego vital. Car il y a souvent un mélange de charlatan et de bateleur, de poseur et de comédien dans cet ego vital ; il prend constamment un rôle, et le joue pour lui-même et pour les autres comme pour un auditoire. Une duperie de soi organisée s'ajoute ainsi à une ignorance de soi systématique ; c'est seulement en nous intériorisant et en voyant ces choses à leur source que nous pouvons sortir de cette obscurité et de cet enchevêtrement.
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En effet, il y a en nous un être mental et un être vital intérieur plus vastes, et même un être physique-subtil intérieur plus vaste lui aussi, différent de notre conscience corporelle superficielle, et en pénétrant dans ce moi intérieur, ou en le devenant, en nous identifiant à lui, nous pouvons observer l'origine de nos pensées et de nos sentiments, la source et le mobile de notre action, les énergies œuvrant à la construction de notre personnalité de surface. Car nous découvrons et pouvons connaître l'être intérieur qui, secrètement, pense et perçoit en nous, l'être vital qui, secrètement, sent et agit sur la vie à travers nous, l'être physique-subtil qui, secrètement, reçoit le contact des choses et y répond par l'intermédiaire de notre corps et de ses organes. Nos pensées, nos sentiments, nos émotions de surface sont faits d'impulsions complexes et confuses venant du dedans et d'impacts du dehors ; notre raison, notre intelligence organisatrice ne peuvent leur imposer qu'un ordre imparfait : mais nous trouvons en nous les sources séparées de nos énergies mentales, vitales et physiques, et pouvons distinguer clairement les opérations pures, les pouvoirs distincts, les composants de chacun et leur interaction dans la lumière limpide de la vision du moi. Nous constatons que les contradictions et les conflits de notre conscience de surface sont dus en grande partie aux tendances contraires ou discordantes des parties mentales, vitales et physiques de notre être qui s'opposent les unes aux autres et n'arrivent jamais à s'harmoniser; et celles-ci, à leur tour, sont largement dues à la discorde entre de nombreuses possibilités intérieures différentes de notre être et même entre différentes personnalités en nous qui, à chaque niveau, se trouvent derrière la disposition complexe et les tendances divergentes de notre nature de surface. Mais tandis qu'à la surface leur action est mélangée, confuse et conflictuelle, ici, dans nos profondeurs, on peut les voir et agir sur leur nature et leur action indépendantes et séparées, et leur harmonisation par l'être mental en nous, guide de la vie et du corps¹ — ou mieux, par l'entité psychique centrale —, est moins difficile à obtenir, à condition d'entreprendre cette tâche avec une volonté psychique et une volonté mentale justes. Si, en effet, c'est sous l'impulsion de l'ego vital que nous pénétrons dans l'être subliminal, il peut en résulter de graves dangers, un désastre ou, pour le moins, une amplification de l'ego, de l'affirmation de soi et du désir, et c'est alors l'ignorance, et non la connaissance, qui grandit et se renforce. De plus, nous trouvons dans cet être intérieur ou
¹manomayah prânasharîranetâ (Mundaka Upanishad, 2.2.7.).
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subliminal le moyen de distinguer directement ce qui s'élève du dedans de ce qui nous vient de l'extérieur, d'autrui ou de la Nature universelle, et il devient possible d'exercer un contrôle, un choix, de développer un pouvoir de réception, de rejet et de sélection volontaires, un pouvoir éclairé de construction de soi et d'harmonisation que nous ne possédons pas ou ne pouvons utiliser que très imparfaitement dans notre personnalité composite de surface, alors qu'il est la prérogative même de notre Personne intérieure. Car si nous pénétrons ainsi dans les profondeurs, l'être intérieur, qui n'est plus complètement voilé, plus obligé d'exercer une influence fragmentaire sur sa conscience instrumentale extérieure, peut s'exprimer sous une forme plus lumineuse dans notre vie au sein de l'univers physique.
En son essence, la connaissance de l'être intérieur possède les mêmes éléments que la connaissance de surface du mental extérieur, mais il y a entre eux la même différence qu'entre une demi-cécité et une plus grande clarté de conscience et de vision due à des instruments plus directs et plus puissants, et à un meilleur arrangement des éléments de connaissance. La connaissance par identité qui, en surface, se traduit par un sens inné, mais encore vague, de notre existence essentielle et une identification partielle avec nos mouvements intérieurs, peut ici s'approfondir et s'élargir, passant de cette perception essentielle indistincte et de cette sensation limitée à une conscience intrinsèque, claire et directe, de l'entité intérieure tout entière ; nous pouvons entrer en possession de la totalité de notre être mental et de notre être vital conscients, et arriver à la profonde intimité d'un contact direct qui pénètre et embrasse tous les mouvements de notre énergie mentale et vitale; nous appréhendons clairement et intimement, et nous sommes — mais plus librement et avec une meilleure compréhension — tous les devenirs de notre être, l'expression de soi intégrale du Purusha sur les niveaux actuels de notre nature. Mais il y a aussi, ou il peut y avoir en même temps que cette connaissance intime, une observation détachée des actions de la nature, observation faite par le Purusha, et, grâce à ce double état de connaissance, une grande possibilité d'atteindre à une maîtrise et une compréhension complètes. Tous les mouvements de l'être de surface peuvent être vus avec un détachement complet, mais aussi avec une vision directe dans la conscience, qui peut dissiper les illusions et les erreurs du moi de la conscience extérieure ; il existe une vision mentale plus perçante, un sens mental plus clair et plus exact de
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notre devenir subjectif, une vision qui, à la fois, connaît, commande et contrôle la nature entière. Si les parties psychique et mentale en nous sont fortes, le vital se laisse maîtriser et diriger jusqu'à un point difficilement accessible à la mentalité de surface ; même le corps et les énergies physiques peuvent être assumés par le mental et la volonté intérieurs et transformés en des instruments plus plastiques de l'âme, de l'être psychique. Par contre, si les parties mentale et psychique sont faibles, et que le vital soit fort et rebelle, notre pouvoir s'accroît du fait de cette entrée dans le vital intérieur, mais la discrimination et la vision détachée demeurent insuffisantes ; même si sa force et son étendue augmentent, la connaissance reste trouble et trompeuse ; une maîtrise de soi éclairée peut faire place à un vaste élan indiscipliné ou à une action égoïste rigidement disciplinée mais dévoyée. Car le subliminal est encore un mouvement de la Connaissance-Ignorance ; il possède une connaissance plus grande, mais aussi la possibilité d'une ignorance d'autant plus grande qu'elle s'affirme davantage. En effet, si la croissance de la connaissance de soi est ici chose normale, cette connaissance n'est pas immédiatement intégrale : la prise de conscience par contact direct, principal pouvoir du subliminal, n'y suffit pas, car ce peut être un contact avec de plus grands devenirs et de plus grands pouvoirs de la Connaissance, mais aussi avec de plus grands devenirs et de plus grands pouvoirs de l'Ignorance.
L'être subliminal a aussi un contact direct et plus large avec le monde ; il n'est pas limité, comme le Mental de surface, à l'interprétation des images et vibrations sensorielles, complétée par l'intuition mentale et vitale et par la raison. Sans doute existe-t-il un sens intérieur dans la nature subliminale : un sens subtil de la vision, de l'ouïe, du toucher, de l'odorat et du goût; mais ils ne se bornent pas à créer des images de choses appartenant au milieu physique — ils peuvent présenter à la conscience des images et des vibrations, visuelles, auditives, tactiles et autres, de choses qui. sont au-delà du domaine restreint des sens physiques ou qui appartiennent à d'autres plans ou sphères d'existence. Ce sens intérieur peut créer ou présenter des images, des scènes, des sons, plus symboliques que réels, ou qui représentent des possibilités en formation, des suggestions, des pensées, des idées, des intentions provenant d'autres êtres, ainsi que des formes-images de pouvoirs ou de potentialités dans la Nature universelle ; il n'y a rien qu'il ne puisse figurer, visualiser, transmuer en des formes sensorielles. En réalité, c'est le subliminal et non le mental extérieur qui possède les pouvoirs de
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télépathie, de voyance, de seconde vue et autres facultés supranormales dont l'apparition dans la conscience de surface est due à des ouvertures ou des fissures dans le mur que l'aveugle labeur d'individualisation de la personnalité extérieure a érigé, et qui la sépare du domaine intérieur de notre être. Il faut cependant noter que, du fait de cette complexité, l'action du sens subliminal peut créer la confusion ou induire en erreur, surtout si elle est interprétée par le mental extérieur pour qui le secret de son action est inconnu et ses principes de construction par signes et ses langages figuratifs symboliques sont étrangers; un plus grand pouvoir intérieur d'intuition, de sensibilité, de discrimination est nécessaire pour juger et interpréter correctement ses images et ses expériences. Néanmoins, il est indéniable que ces sens subtils enrichissent considérablement les possibilités et l'étendue de notre connaissance et qu'ils élargissent les étroites limites où notre conscience physique extérieure, captive des sens, se trouve réduite et emprisonnée.
Plus important encore est le pouvoir qu'a le subliminal d'établir un contact direct de conscience avec une autre conscience ou avec des objets, d'agir sans autre instrumentation, par un sens essentiel inhérent à sa propre substance, par une vision mentale directe, par un sentiment direct des choses, voire par un étroit embrassement et une intime pénétration d'où il ramène le contenu de ce qu'il a embrassé ou pénétré, par une suggestion ou un impact direct sur la substance du mental lui-même, et non par des signes ou des images extérieurs — une suggestion révélatrice ou un impact de pensées, de sentiments, de forces qui se transmet automatiquement. C'est par ces moyens que l'être intérieur acquiert une connaissance spontanée immédiate, intime et précise des personnes, des objets, des énergies occultes et pour nous intangibles de la Nature universelle qui nous entourent et se heurtent à notre personnalité, à notre nature physique, à notre force mentale et vitale. Dans notre mentalité de surface, nous percevons parfois une conscience qui peut sentir ou connaître les pensées d'autrui et leurs réactions intérieures, ou nous prenons conscience des objets ou des événements sans aucune intervention visible des sens, ou il nous arrive d'exercer des pouvoirs supranormaux par rapport à notre capacité ordinaire ; mais ces capacités sont occasionnelles, rudimentaires, vagues. Elles sont l'apanage de notre moi subliminal caché et elles émergent quand ses pouvoirs ou ses fonctionnements propres viennent à la surface. Ces opérations qui émergent de l'être subliminal, ou certaines
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d'entre elles, sont à l'heure actuelle partiellement étudiées sous le nom de phénomènes psychiques — bien qu'en général elles n'aient rien à voir avec la psyché, l'âme, l'entité la plus profonde en nous, mais seulement avec le mental intérieur, le vital intérieur, les parties physiques-subtiles de notre être subliminal ; toutefois, les résultats obtenus ne peuvent être concluants ni suffisamment étendus, car les méthodes de recherche et d'expérimentation et les critères d'évaluation appartiennent au mental de surface et à son système de connaissance par contact indirect. Dans ces conditions, il n'est possible de les étudier que dans la mesure où elles peuvent se manifester dans un mental pour lequel elles sont exceptionnelles, anormales ou supranormales, et dont l'apparition est donc relativement rare, difficile, incomplète. Ce n'est que si nous pouvons percer le mur qui sépare le mental extérieur de la conscience intérieure pour laquelle de tels phénomènes sont normaux, ou si nous pouvons pénétrer librement au-dedans ou y demeurer, que ce royaume de connaissance peut être véritablement expliqué, annexé à notre conscience totale et inclus dans le champ où opère la force éveillée de notre nature.
Dans notre mental de surface, nous n'avons aucun moyen direct de connaître d'autres hommes, qui sont pourtant de notre espèce, ont une mentalité similaire et sont bâtis vitalement et physiquement sur le même modèle. Nous pouvons acquérir une connaissance générale du mental et du corps humains et la leur appliquer à l'aide des nombreux signes extérieurs, constants et habituels qui traduisent les mouvements humains intérieurs qui nous sont familiers. Ces jugements sommaires peuvent être encore enrichis par notre expérience du caractère et des habitudes personnels, par l'application instinctive de ce que nous connaissons de nous-mêmes à notre compréhension et notre jugement d'autrui, par ce que nous déduisons du langage et du comportement, et par ce que l'observation et la sympathie nous permettent de percevoir intimement. Mais les résultats sont toujours incomplets et très fréquemment trompeurs ; nos déductions sont le plus souvent des constructions erronées, notre interprétation des signes extérieurs une fallacieuse conjecture, notre application de la connaissance générale ou de notre connaissance de nous-mêmes, confrontée à d'insaisissables facteurs de différence personnelle, se trouve désemparée, et notre perception intérieure elle-même est trop incertaine pour être fiable. Les êtres humains sont donc comme des étrangers les uns pour les autres, liés dans le meilleur des cas par une sympathie très partielle
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et une expérience commune; nous ne connaissons pas suffisamment, nous ne connaissons pas aussi bien que nous-mêmes — et c'est déjà bien peu — les êtres qui nous sont le plus proches. Mais dans là conscience intérieure subliminale, il est possible de prendre directement conscience des pensées et des sentiments qui nous entourent, de sentir leur impact, de voir leurs mouvements ; lire dans un mental et dans un cœur devient une tâche moins difficile, une tentative moins incertaine. Il y à un constant échange mental, vital, physique-subtil entre tous ceux qui se rencontrent ou qui vivent ensemble, dont ils sont eux-mêmes inconscients, sauf dans la mesure où ils sont touchés par ces impacts et interpénétrations, sous forme de résultats sensibles, tels que la parole, l'action et le contact extérieur; pour la majeure partie, cet échange se fait de façon subtile et invisible, car il agit indirectement, en touchant les parties subliminales et, à travers elles, la nature extérieure. Mais lorsque' nous devenons conscients dans ces parties subliminales, nous prenons aussi conscience de toute cette interaction, de cet échange subjectif, de cette interpénétration, et dès lors il n'est plus inévitable que nous soyons involontairement soumis à leur impact et à leurs effets ; nous pouvons lès accepter ou les rejeter, nous défendre ou nous isoler. En même temps, notre action sur autrui n'est plus nécessairement ignorante ou involontaire et souvent nuisible malgré nous; ce peut être une aide consciente, un lumineux échange et un compromis fructueux, un pas vers une compréhension ou une union intérieures, et non, comme à présent, une association de nature séparative dont l'intimité et l'unité demeurent restreintes, limitée par beaucoup d'incompréhension et souvent alourdie ou menacée par une masse de malentendus, de fausses interprétations et d'erreur mutuelles.
Tout aussi important serait le changement dans nos rapports avec les forces cosmiques impersonnelles qui nous entourent. Ces forces, nous ne les connaissons que par leurs effets, par le peu que nous pouvons saisir de leur action et de leurs conséquences visibles. Nous avons une certaine connaissance, principalement des forces physiques universelles, mais nous vivons constamment au milieu d'un tourbillon de forces mentales et vitales invisibles dont nous ne savons rien ; nous ne sommes même pas conscients de leur existence. À tout ce mouvement et toute cette action invisibles, la conscience intérieure subliminale peut ouvrir notre perception, car elle en a une connaissance par contact direct, par vision intérieure, par une sensibilité psychique ; mais elle ne
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peut encore éclairer notre nature extérieure, superficielle et obtuse, que par des avertissements, des prémonitions, des attractions et répulsions d'idées, des suggestions, d'obscures intuitions — toutes choses à présent inexplicables —, c'est-à-dire par le peu qu'elle parvient à faire passer imparfaitement à la surface. Non seulement l'être intérieur a-t-il un contact direct et concret avec le mobile et le mouvement immédiat de ces forces universelles et sent les résultats de leur action présente, mais il peut aussi, dans une certaine mesure, prédire ou prévoir leur action ultérieure. Il y a, dans nos parties subliminales, un plus grand pouvoir de surmonter la barrière du temps, de percevoir ou de ressentir la vibration d'événements à venir, de circonstances éloignées, et même de voir dans le futur. Il est vrai que cette connaissance propre à l'être subliminal n'est pas complète, car elle est un mélange de connaissance et d'ignorance, et ses perceptions ont autant de chance d'être fausses que d'être vraies, puisqu'elle agit non par identité, mais par contact direct; c'est en outre une connaissance séparatrice, bien qu'elle soit, même dans la séparation, plus intime que tout ce que gouverne notre nature de surface. Mais on peut remédier à ce pouvoir mélangé de la nature intérieure mentale et vitale — qui peut atteindre aussi bien une plus grande ignorance qu'une plus grande connaissance —, en allant plus profondément encore, jusqu'à l'entité psychique qui soutient notre vie et notre corps individuels. Il y. a en effet une personnalité d'âme représentative de cette entité, déjà construite en nous, qui met en avant un pur élément psychique dans notre être naturel ; mais cet élément plus épuré de notre constitution normale n'est pas encore dominant et il n'a qu'une action limitée. Notre âme ne guide pas ouvertement ni ne gouverne notre pensée et nos actes ; elle doit, pour s'exprimer, s'appuyer sur ses instruments, le mental, le vital et le physique, et elle est constamment subjuguée par notre mental et notre force vitale. Mais une fois qu'elle arrive à rester en communion constante avec sa propre réalité occulte plus vaste — ce qui ne peut se produire qu'en pénétrant profondément dans nos parties subliminales —, elle n'est plus dépendante, elle peut devenir puissante et souveraine, dotée d'une perception spirituelle intrinsèque de la vérité des choses et d'un discernement spontané qui sépare cette vérité de la fausseté de l'Ignorance et de l'Inconscience, distingue le divin du non-divin dans la manifestation et, ainsi, peut être le guide lumineux des autres parties de notre nature. C'est alors, en vérité, que peut se produire le tournant vers une transformation et une connaissance intégrales.
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Tels sont les fonctionnements dynamiques et les valeurs pragmatiques de la cognition subliminale ; mais ce qui nous importe dans notre recherche actuelle est d'apprendre, par son mode d'action, le caractère exact de cette cognition plus profonde et plus vaste et comment elle se rattache à la connaissance vraie. Son caractère principal est une connaissance par contact direct de la conscience avec son objet, ou de la conscience avec une autre conscience ; mais finalement nous découvrons que ce pouvoir est le résultat d'une secrète connaissance par identité, qui se traduit par une prise de conscience séparatrice des choses. En effet, si dans le contact indirect propre à notre conscience normale et à notre cognition de surface, c'est la rencontre ou la friction de l'être vivant avec l'existence extérieure qui éveille l'étincelle de connaissance consciente, c'est ici un certain contact qui active une secrète connaissance préexistante et l'amène à la surface. Car la conscience est une dans le sujet et l'objet, et, dans le contact d'existence à existence, cette identité amène à la lumière ou éveille dans le moi la connaissance endormie de cet autre moi qui lui est extérieur. Mais tandis que cette connaissance préexistante remonte jusqu'au mental de surface comme une connaissance acquise, elle s'élève dans le subliminal comme une chose vue, saisie du dedans, remémorée pour ainsi dire, ou, quand elle est pleinement intuitive, évidente en soi pour la perception intérieure; ou bien, une fois le contact établi, elle peut être tirée de l'objet, mais avec une réponse immédiate comme à quelque chose d'intimement reconnaissable. Dans la conscience de surface, la connaissance se représente comme une vérité vue de l'extérieur, projetée sur nous depuis l'objet, ou comme une réponse au contact qu'il exerce sur les sens, comme une reproduction perceptive de son actualité objective. Notre mental de surface est obligé de s'expliquer ainsi à lui-même sa connaissance, car dans le mur qui le sépare du monde extérieur, sont percées les portes des sens et par ces portes, il peut saisir la surface des objets extérieurs, mais pas ce qui se trouve au-dedans. Mais il n'existe aucune ouverture toute faite entre lui-même et son être intérieur : incapable de voir ce qu'il y a dans son moi plus profond ou d'observer le processus de la connaissance venant du dedans, il n'a d'autre choix que d'accepter ce qu'il voit en fait — l'objet extérieur — comme la cause de sa connaissance. Ainsi toute notre connaissance mentale des choses se représente-t-elle à nous comme objective, une vérité qui nous est imposée de l'extérieur ; notre connaissance est un reflet ou une construction réactive, reproduisant en nous une forme ou une image ou un schéma mental de quelque chose
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qui n'est pas en notre être. En fait, c'est une réponse cachée et plus profonde au contact, une réponse venant du dedans qui, de là, projette une connaissance intérieure de l'objet, cet objet faisant lui-même partie de notre moi plus vaste ; mais à cause du double voile — le voile entre notre moi intérieur et notre moi de surface ignorant, et le voile entre ce moi de surface et l'objet contacté —, ce n'est qu'une image, une représentation imparfaite de la connaissance intérieure, qui se forme à la surface.
Cette affiliation, cette méthode cachée de notre connaissance, obscure et non évidente pour notre mentalité présente, devient claire et évidente quand l'être intérieur subliminal brise les limites de son individualité et, entraînant avec lui notre mental de surface, pénètre dans la conscience cosmique. Le subliminal est séparé du cosmique par la limitation des enveloppes plus subtiles — mentale, vitale, physique-subtile — de notre être, de même que la nature superficielle est séparée de la Nature universelle par l'enveloppe physique grossière, le corps; mais le mur qui l'entoure est plus transparent, c'est en fait moins un mur qu'une clôture. En outre, une formation de la conscience du subliminal se projette au-delà de toutes ces enveloppes et forme un circumconscient, une partie de lui-même qui l'entoure, à travers lequel il reçoit les contacts du monde et peut en prendre conscience et les examiner avant qu'ils n'entrent. Le subliminal peut élargir indéfiniment cette enveloppe circumconsciente et étendre de plus en plus sa projection de lui-même dans l'existence cosmique qui l'environne, jusqu'au point où il peut briser complètement la paroi séparatrice et passer au travers, s'unir, s'identifier avec l'être cosmique, se sentir universel, un avec toute existence. Cette liberté d'entrer dans le moi cosmique et la nature cosmique apporte une grande libération à l'être individuel; il assume une conscience cosmique, devient l'individu universel. Le premier résultat de cette expérience, lorsqu'elle est complète, est la réalisation de l'esprit cosmique, du moi unique qui demeure en l'univers, et cette union peut même entraîner une disparition du sens de l'individualité, une fusion de l'ego dans l'être-du-monde. Un autre résultat courant est une complète ouverture à l'énergie universelle, en sorte qu'on la sent agir à travers le mental, la vie et le corps et que l'on perd le sens de l'action individuelle. Mais plus généralement, les résultats sont d'une moindre ampleur; il y a une prise de conscience directe de l'être et de la nature universels, une plus grande ouverture du mental au Mental cosmique et à ses énergies, à. la Vie cosmique et à ses énergies, à la Matière cosmique et à ses énergies.
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Un certain sens de l'unité de l'individu avec le cosmique, la perception que le monde est contenu dans la conscience et aussi que l'on fait intimement partie de la conscience universelle, peuvent devenir des expériences fréquentes ou constantes lorsque cette ouverture se produit; un plus grand sentiment d'unité avec les autres êtres en est la conséquence naturelle. C'est alors que l'existence de l'Être cosmique devient une certitude et une réalité, et cesse d'être une perception de la pensée.
Mais la conscience cosmique des choses est fondée sur la connaissance par identité; car l'Esprit universel se connaît comme le Moi de tout, connaît tout comme étant lui-même et en lui-même, connaît toute nature comme faisant partie de sa nature. Il est un avec tout ce qu'il contient et le connaît par cette identité et une proximité compréhensive, car il y a en même temps identité et dépassement ; et si, du point de vue de l'identification, il y a unité et connaissance complète, du point de vue du dépassement il y a inclusion et pénétration — une cognition qui embrasse, un sens et une vision qui pénètrent chaque chose et toutes choses. Car l'Esprit cosmique demeure en chacune et en toutes, mais il est plus que toutes ; il y a donc dans sa vision de lui-même et sa vision du monde un pouvoir séparateur qui empêche la conscience cosmique d'être emprisonnée dans les objets et les êtres où elle demeure: elle demeure en eux en tant qu'esprit et pouvoir imprégnant tout; l'individualisation, quelle qu'elle soit, appartient en propre à la personne ou l'objet, mais elle ne lie pas l'Être cosmique. Celui-ci devient chaque chose sans cesser d'être sa propre existence plus vaste qui contient tout. Il y a donc ici une vaste identité universelle contenant des identités plus petites; quelle que soit la cognition séparatrice qui existe ou qui entre dans la conscience cosmique, elle doit reposer sur cette double identité et elle ne la contredit pas. S'il est besoin d'un retrait et d'une connaissance par séparation et contact, c'est encore une séparation dans l'identité, un contact dans l'identité ; car l'objet contenu fait partie du moi de ce qui le contient. C'est seulement quand intervient une séparativité plus radicale que l'identité se voile et projette une connaissance moindre, directe ou indirecte, qui n'est pas consciente de sa source ; et pourtant c'est toujours l'océan d'identité qui projette à la surface les vagues ou l'écume d'une connaissance directe ou indirecte.
Voilà pour ce qui Concerne la conscience; pour ce qui concerne l'action, les énergies cosmiques, on voit que celles-ci se meuvent en
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masses, en vagues, en courants qui constituent et reconstituent sans cesse êtres et objets, mouvements et événements, pénétrant en eux, passant à travers eux, se formant en eux, se projetant hors d'eux sur d'autres êtres et d'autres objets. Chaque individu naturel est un réceptacle de ces forces cosmiques et une dynamo servant à les propager ; de l'un à l'autre passe un courant constant d'énergies mentales et vitales qui s'écoulent également en ondes et en courants cosmiques tout autant que les forces de la Nature physique. Cette action est voilée pour la perception et la connaissance directes de notre mental de surface, mais l'être intérieur la connaît et la sent, bien que ce soit seulement par un contact direct ; quand l'être entre dans la conscience cosmique, il est encore plus largement, plus inclusivement, plus intimement conscient de ce jeu des forces cosmiques. Cependant, bien que la connaissance soit alors plus complète, sa dynamisation ne peut être que partielle; car si une unification fondamentale ou Statique avec le moi cosmique est possible, l'unification active et dynamique avec la Nature cosmique est nécessairement incomplète. Au niveau du mental et de la vie, même quand nous perdons le sens de l'existence distincte de notre moi, le jeu des énergies doit être, en sa nature même, une sélection par individualisation ; l'action est celle de l'Énergie cosmique, mais sa formation individuelle dans la dynamo vivante demeure son mode de fonctionnement. Car la dynamo de l'individualité sert précisément à choisir, concentrer et formuler les énergies choisies et à les projeter en des courants formés et canalisés ; si une énergie totale s'écoulait, cela signifierait que cette dynamo n'a plus d'utilité, qu'elle pourrait être abolie ou mise hors service ; au lieu d'une activité du mental, de la vie et du corps individuels, il n'y aurait qu'un centre, ou chenal, individuel mais impersonnel, par quoi les forces universelles, non sélectives, s'écouleraient sans entraves. Cela peut arriver, mais impliquerait une plus haute spiritualisation dépassant de beaucoup le niveau mental ordinaire. Dans la saisie statique de la connaissance cosmique par identité, le subliminal universalisé peut se sentir un avec le moi cosmique et le moi secret de tous les autres moi ; mais la dynamisation de cette connaissance n'irait pas au-delà d'une traduction de ce sens d'identité en un plus grand pouvoir et une plus grande intimité de ce contact direct de la conscience avec tous, en un impact plus large, plus intime, plus puissant et plus efficace de la force de la conscience sur les choses et les personnes, ainsi qu'en un pouvoir d'inclusion et de pénétration effectives, de vision et de sentiment intimes dynamisés, et d'autres pouvoirs de cognition et d'action propres à cette nature plus vaste.
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Par conséquent, dans le subliminal, même élargi en la conscience cosmique, nous accédons à une plus grande connaissance mais pas à la connaissance complète et originelle. Pour aller plus loin et voir ce que la connaissance par identité est en sa pureté, de quelle façon et dans quelle mesure elle engendre, admet ou utilise les autres pouvoirs de la connaissance, il nous faut dépasser le mental et la vie intérieurs et le physique-subtil pour atteindre les deux autres extrémités du subliminal, interroger le subconscient et entrer en contact avec le supraconscient ou y pénétrer. Mais dans le subconscient tout est aveugle, c'est un universalisme obscur, tel qu'on le voit dans la conscience de masse, un individualisme tout aussi obscur, anormal pour nous, ou mal formé et instinctif : ici, dans le subconscient, une obscure connaissance par identité, comme celle que nous avons déjà découverte dans l'Inconscience" est la base, mais elle ne se révèle pas ni ne révèle son secret. Les étendues supraconscientes supérieures sont fondées sur la conscience spirituelle libre et lumineuse, et c'est là que nous pouvons remonter jusqu'à la source du pouvoir de connaissance originel et percevoir l'origine et la différence des deux ordres distincts, la connaissance par identité et la connaissance séparatrice.
Dans la suprême Existence intemporelle, pour autant que nous la connaissions par son reflet dans l'expérience spirituelle, existence et conscience ne font qu'un. Nous sommes habitués à identifier la conscience à certaines opérations du mental et des sens et, quand elles sont absentes ou dormantes, nous disons de cet état d'être qu'il est inconscient. Mais la conscience peut exister là où il n'y a pas d'opérations manifestes, où aucun indice ne la révèle, même là où elle est retirée des objets et absorbée en la pure existence ou involuée dans une apparenté non-existence. Elle fait intrinsèquement partie de l'être, elle existe en soi et n'est abolie ni par le repos et l'inaction, ni par ce qui la voile ou la recouvre, ni par absorption inerte ou involution ; elle est présente dans l'être, même quand son état prend pour nous l'apparence d'un sommeil sans rêves, d'une transe aveugle ou d'une abolition de la conscience, ou d'une absence. Dans l'état suprême intemporel où la conscience est une avec l'être et immobile, elle n'est pas une réalité séparée, mais purement et simplement la prise de conscience de soi inhérente à l'existence. Il n'est aucun besoin de la connaissance, et ses opérations n'existent pas. L'être est pour lui-même évident en soi : il n'a pas besoin de se regarder pour se connaître ou pour apprendre qu'il est. Mais si cela est évidemment
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vrai de l'existence pure, cela est également vrai de la Toute-Existence primordiale ; de même, en effet, que l'Existence-en-soi spirituelle est intrinsèquement consciente de son moi, de même celle-ci est-elle intrinsèquement consciente de tout ce qui est en son être : ce n'est pas par un acte de connaissance qui s'exprime par un regard sur soi, par une observation de soi, mais par la même prise de conscience inhérente ; elle est intrinsèquement et totalement consciente de tout ce qui est, du fait même que tout est elle. Ainsi conscient de son existence en soi intemporelle, l'Esprit, l'Être perçoit de la même façon — intrinsèquement, absolument, totalement, sans nul besoin d'un regard ou d'un acte de connaissance, puisqu'il est tout — l'Existence dans le Temps et tout ce qui est dans le Temps. C'est la perception essentielle par identité ; appliquée à l'existence cosmique, elle signifierait une conscience essentielle, évidente en soi et automatique, de l'univers par l'Esprit, parce qu'il est tout et que tout est son être.
Il y a cependant un autre état de perception spirituelle qui nous paraît être un développement à partir de cet état et de ce pouvoir de pure conscience de soi, voire une première divergence, mais qui, en fait, demeure pour elle normal et intime ; car la perception par identité est toujours la substance même de toute la connaissance de soi de l'Esprit, mais sans changer ni modifier sa propre nature éternelle, elle admet en elle une perception subordonnée simultanée par inclusion et immanence. L'Être, l'Existant-en-Soi voit toutes les existences en son existence unique ; il les contient toutes et les connaît comme êtres de son être, consciences de sa conscience, pouvoirs de son pouvoir, béatitudes de sa béatitude; nécessairement, il est en même temps le Moi en elles et connaît tout en elles par son ipséité immanente qui imprègne tout. Et pourtant cette prise de conscience existe de façon intrinsèque, évidente en soi, automatique, elle n'a besoin d'aucun acte, d'aucun regard ou d'aucune opération de la connaissance ; car ici la connaissance n'est pas un acte, mais un état pur, perpétuel et inné. À la base de toute connaissance spirituelle, se trouve cette conscience d'identité et par identité qui connaît tout ou est simplement consciente de tout comme soi-même. Traduit en notre mode de conscience, cela devient la triple connaissance ainsi formulée dans l'Upanishad : " Celui qui voit toutes les existences dans le Moi ", " Celui qui voit le Moi dans toutes les existences"," Celui en qui le Moi est devenu toutes les existences " — inclusion, immanence et identité. Mais dans l'a
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conscience fondamentale, cette vision est une perception spirituelle du moi, c'est la propre lumière de l'être et non pas un regard séparateur ou un regard sur le moi qui change ce moi en objet. Dans cette expérience fondamentale du moi, un regard de la conscience peut cependant se manifester et, bien qu'il représente une possibilité inhérente et soit un pouvoir de l'esprit inévitablement contenu en lui-même, il n'est pas un élément premier et actif de la luminosité et de l'évidence concentrées, intrinsèques, propres à la conscience suprême. Ce regard appartient à un autre état de la conscience spirituelle suprême ou le suscite — un état où commence la connaissance telle que nous en avons l'expérience. Il y a un état de conscience et en lui, intimement lié à lui, il y a l'acte de connaître : l'Esprit se regarde, il devient le connaissant et le connu et, d'une certaine manière, le sujet et l'objet — ou plutôt le sujet-objet qui ne font plus qu'un — de sa propre connaissance de soi. Mais ce regard, cette connaissance est encore intrinsèque, évidente en soi, c'est encore un acte d'identité ; ce n'est pas le commencement de ce que nous percevons comme la connaissance séparatrice.
Cependant, quand le sujet se retire un peu de lui-même en tant qu'objet, certains pouvoirs tertiaires de connaissance spirituelle, de connaissance par identité, font leur première apparition, et ils sont les sources de nos modes habituels de connaissance. Il y a une vision spirituelle intime, un influx et une pénétration spirituelles qui imprègnent tout, un sentiment spirituel où l'on voit tout comme soi-même, où l'on sent tout comme soi-même, où tout ce que l'on touche est soi-même. Il y a un pouvoir de perception spirituelle de l'objet et de tout ce qu'il contient ou de tout ce qu'il est : il est perçu en une identité qui embrasse et pénètre, l'identité elle-même constituant la perception. Il y a une conception spirituelle qui est la substance originelle de la pensée — non la pensée qui découvre l'inconnu, mais celle qui tire l'intrinsèquement connu de nous-mêmes et le situe dans l'espace du moi dans un être élargi de la conscience de soi, comme objet de la connaissance de soi conceptuelle. Il y a une émotion spirituelle, un sens spirituel, l'un se mêle étroitement à l'un, l'être à l'être, la conscience à la conscience, la félicité d'être à la félicité d'être. Il y a la joie d'une intime séparativité dans l'identité, de relations où l'amour s'unit à l'amour en une suprême unité, un délice des multiples pouvoirs, vérités, êtres de l'Un éternel, des formes du Sans-Forme. Tout le jeu du devenir dans l'être fonde son expression de soi sur ces pouvoirs de la conscience de l'Esprit.
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Mais en leur origine spirituelle, tous ces pouvoirs sont essentiels, et non instrumentaux ; ils ne sont pas organisés, inventés ou créés ; ils sont la substance lumineuse, consciente de soi de l'Identique spirituel agissant sur lui-même et en lui-même, esprit devenu vision, esprit vibrant comme sentiment, esprit lumineux en soi devenu perception et conception. Tout, en fait, est la connaissance par identité, chargée de son propre pouvoir, se mouvant elle-même dans la multiforme ipséité de sa conscience une. L'expérience de soi infinie de l'Esprit se meut entre une pure identité et une identité multiple, la félicité d'une union intimement différenciée et d'une immersion en sa propre extase.
Une connaissance séparatrice apparaît quand le sens de la différenciation l'emporte sur le sens de l'identité; le moi connaît encore son identité avec l'objet, mais pousse à l'extrême le jeu de l'intime séparativité. D'abord il n'y a pas de sens du moi et du non-moi, mais seulement du moi et d'un autre-moi. Une certaine connaissance de l'identité et par identité existe encore, mais elle tend à être recouverte, puis submergée, puis remplacée par la connaissance par échange mutuel et contact, de telle sorte qu'elle se présente comme une prise de conscience secondaire, comme si elle était le résultat, et non plus la cause, du contact mutuel, du toucher qui imprègne et enveloppe encore, de l'intimité interpénétrante des moi séparés. Finalement, l'identité disparaît derrière le voile, et il y a le jeu de l'être avec d'autres êtres, de la conscience avec d'autres consciences : une identité fondamentale subsiste, mais on n'en a pas l'expérience ; elle est remplacée par une saisie directe et un contact pénétrant, par une fusion et un échange. C'est par cette interaction qu'une connaissance plus ou moins intime, une prise de conscience mutuelle ou une prise de conscience de l'objet, demeure possible. Il n'y a pas le sentiment d'un moi rencontrant un moi, mais il y a mutualité; il n'y a pas encore une entière séparativité, une altérité et une ignorance complètes. C'est une conscience diminuée, mais elle conserve quelque pouvoir de la connaissance originelle, amoindri par la division, par la perte de sa plénitude essentielle et primordiale, opérant par division, se rapprochant de son objet, mais sans pouvoir s'unir à lui. Elle a le pouvoir d'inclure l'objet dans sa conscience, et, en l'embrassant ainsi, de le percevoir et de le connaître; mais c'est l'inclusion d'une existence, maintenant extériorisée, dont nous devons faire un élément de notre moi au moyen d'une connaissance acquise ou recouvrée, par une pression de la conscience sur l'objet, une concentration qui permet
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de posséder l'objet, de l'intégrer à notre existence. Le pouvoir de pénétration subsiste, mais il a perdu son expansion naturelle et ne conduit pas à l'identité; il recueille ce qu'il peut, prend ce qu'il acquiert ainsi et porte au sujet le contenu de l'objet de connaissance. Il peut encore y avoir un contact direct et pénétrant de conscience à conscience, créant une connaissance vivante et intime, mais elle se limite aux points ou à l'étendue du contact. Il y a encore un sens, une vision-de-conscience, un sentiment-de-conscience directs, qui peuvent voir et sentir ce qui est dans l'objet comme ce qui est à l'extérieur et à la surface. Il y a encore une pénétration mutuelle et un échange d'être à être, de conscience à conscience, des ondes de pensée, de sentiment, d'énergie de toutes sortes, qui peuvent constituer un mouvement de sympathie et d'union ou d'opposition et de lutte. Il peut y avoir une tentative d'unification en possédant autrui ou en acceptant d'être possédé par une autre conscience ou un autre être; ou il peut y avoir un élan vers l'union par inclusion réciproque, pénétration, possession mutuelle. Celui qui connaît par contact direct perçoit toute cette action et cette interaction, et c'est sur cette base qu'il organise ses relations avec le monde où il vit. Telle est l'origine de la connaissance obtenue par contact direct de la conscience avec son objet, qui est normale pour notre être intérieur, mais étrangère, ou peu familière, pour notre nature de surface.
Cette première ignorance séparatrice est évidemment encore un. jeu de la connaissance, mais d'une connaissance séparatrice limitée, un jeu de l'être divisé agissant sur une réalité d'unité fondamentale et n'arrivant qu'à un résultat ou un aboutissement imparfaits de l'unité cachée. La perception intrinsèque complète de l'identité et l'acte de connaissance par identité appartiennent à l'hémisphère supérieur de l'existence : cette connaissance par contact direct est la principale caractéristique des plus hauts plans mentaux supraphysiques de la conscience, auxquels notre être superficiel est fermé par un mur d'ignorance ; sous une forme diminuée et plus séparatrice, elle appartient en propre aux plans supraphysiques moins élevés du mental ; c'est ou ce peut être un élément dans tout ce qui est supraphysique. C'est l'instrumentation majeure de notre moi subliminal, son moyen central de perception ; car le moi subliminal, ou être intérieur, est une projection qui, depuis ces plans supérieurs, entre en contact avec la subconscience, et il hérite du caractère de la conscience de ses plans d'origine avec lesquels il est intimement associé ou demeure en contact par affinité. Dans notre
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être .extérieur, nous sommes des enfants de l'Inconscience; notre être intérieur fait de nous les héritiers des plus hauts sommets du mental, de la vie et de l'esprit : plus nous nous ouvrons vers le dedans, allons au-dedans, vivons au-dedans, recevons du dedans, plus nous échappons à la sujétion à notre origine inconsciente, et nous nous dirigeons vers tout ce qui est à présent supraconscient pour notre ignorance.
L'ignorance devient complète quand l'être se sépare entièrement de l'être: le contact direct de conscience à conscience est alors entièrement voilé ou lourdement recouvert, même s'il persiste dans nos parties subliminales, de même qu'existent encore, bien qu'elles soient complètement cachées et n'agissent pas directement, l'identité et l'unité secrètes sous-jacentes. À la surface, il y a un état de séparation complète, une division en moi et non-moi ; il y a la nécessité d'établir un rapport avec le non-moi, mais pas de moyen direct de le connaître ou de le maîtriser. La Nature crée alors des moyens indirects, un contact par les organes physiques des sens, une pénétration d'impacts extérieurs par les courants nerveux, une réaction du mental dont l'action coordinatrice aide et complète l'activité des organes physiques — ce sont là des méthodes de connaissance indirecte, car la conscience est obligée de se fier à ces instruments et ne peut agir directement sur l'objet. À ces moyens s'ajoutent une raison, une intelligence et une intuition qui se saisissent des communications qui leur sont ainsi apportées indirectement, les mettent toutes en ordre et utilisent leurs données pour obtenir autant de connaissance, de maîtrise et de possession du non-moi, ou bien autant d'unité partielle avec lui, que la division originelle le permet à l'être séparé. Ces moyens sont manifestement insuffisants, souvent inefficaces,. et la; base indirecte des opérations du mental afflige la connaissance d'une incertitude fondamentale; mais cette insuffisance initiale est inhérente à la nature même de notre existence matérielle et de toute existence encore enchaînée qui émerge de l'Inconscience.
L'Inconscience est une reproduction inversée de la supraconscience suprême : elle a le même absolu d'être et d'action automatique, mais en une vaste transe involuée ; c'est l'être perdu en lui-même, plongé en son propre abîme d'infinité. Au lieu d'une lumineuse absorption dans l'existence-en-soi, c'est une ténébreuse involution — ces " ténèbres voilées par les ténèbres " dont parle le Rig-Véda, tama âsît tamasâ gûdham — qui lui donne l'apparence de la Non-Existence; au lieu
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d'une perception de soi inhérente et lumineuse, il y a une conscience plongée dans un abîme d'oubli de soi, inhérente en l'être mais non éveillée en l'être. Cependant, cette conscience involuée est encore une secrète connaissance par identité; elle porte en elle la perception de toutes les vérités de l'existence cachées en son obscur infini et, quand elle agit et crée — mais elle agit d'abord comme Énergie et non comme Conscience —r, tout est arrangé avec la précision et la perfection d'une connaissance intrinsèque. Dans toutes les choses matérielles réside une Idée-Réelle muette et involuée, une intuition substantielle efficace en soi, une perception exacte qui n'a point d'œil pour voir, une intelligence automatique élaborant ses conceptions non exprimées et non pensées, une sûreté de vision voyant aveuglément, une muette et infaillible sûreté de sentiment réprimé recouverte d'insensibilité qui effectue tout ce qui doit être effectué. Tout cet état et toute cette action de l'Inconscient correspondent très évidemment au même état et à la même action de la pure Supraconscience, mais traduits en termes d'obscurité fondamentale au lieu de la lumière fondamentale originelle. Inhérents à la forme matérielle, ces pouvoirs ne sont pas possédés par la forme, mais ils œuvrent néanmoins en sa muette subconscience.
Dans cette connaissance, nous pouvons comprendre plus clairement les étapes de l'émergence de la conscience depuis l'involution jusqu'à son apparition dans le processus d'évolution, dont nous avons déjà essayé de donner une idée générale. L'existence matérielle a une individualité seulement physique, et non mentale, mais il y a en elle une Présence subliminale, l'Un Conscient dans les choses inconscientes, qui détermine l'opération de ses énergies immanentes. Si, comme on l'a affirmé, un objet matériel reçoit et retient l'impression des contacts des choses environnantes et si des énergies émanent de lui, en sorte qu'une connaissance occulte peut devenir consciente de son passé, peut nous rendre conscients de ces influences qu'il émane, l'éveil d'une Conscience intrinsèque et inorganisée qui imprègne la forme sans encore l'éclairer, doit être la cause de cette réceptivité et de ces capacités. Ce que nous voyons de l'extérieur, c'est que des objets matériels, tels les plantes et les minéraux, ont leurs pouvoirs, leurs propriétés, leurs influences inhérentes, mais comme ils n'ont pas de faculté ou de moyen de communication, c'est seulement quand ils sont mis en contact avec une personne ou un objet, ou quand ils sont utilisés consciemment par des êtres vivants que leurs influences peuvent devenir actives
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— et cette utilisation constitue l'aspect pratique de plus d'une science humaine. Mais ces pouvoirs et ces influences n'en sont pas moins des attributs de l'Être, et non d'une simple substance indéterminée, ce sont des forces de l'Esprit qui, par l'Énergie, émergent de son Inconscience où il s'est absorbé. Cette première action mécanique rudimentaire d'une énergie consciente inhérente et absorbée s'épanouit, dans les formes premières de la vie, en des vibrations de vie submentales qui impliquent une sensation involuée ; il y a une quête de croissance, de lumière, d'air, d'espace vital, un tâtonnement aveugle, encore interne, enfermé dans l'être immobile, incapable de formuler ses instincts, de communiquer, de s'extérioriser. Immobilité non organisée pour établir des rapports vivants, elle subit et absorbe les contacts, en inflige involontairement mais ne peut en imposer volontairement ; l'inconscience domine encore, élabore encore toute chose au moyen de la connaissance par identité, secrète et involuée. Elle n'a pas encore développé les moyens de contact superficiels d'une connaissance consciente. Ce nouveau développement commence avec la vie ouvertement consciente; nous y voyons la conscience emprisonnée faire effort pour surgir à la surface : c'est cette lutte qui oblige l'être vivant séparé à vouloir établir, si aveuglément que ce soit au début et dans d'étroites limites, des relations conscientes avec le reste de l'être universel au-dehors. C'est par la somme croissante des contacts qu'il peut recevoir et auxquels il peut réagir, et par la somme croissante des contacts qu'il peut tirer de lui-même ou imposer afin de répondre à ses besoins et à ses impulsions, que l'être de matière vivante développe sa conscience, passe de l'inconscience ou de la subconscience à une connaissance séparatrice et limitée.
Nous voyons alors tous les pouvoirs inhérents à la Conscience spirituelle originelle, existant en soi, apparaître lentement et se manifester dans cette conscience séparatrice qui se développe ; ce sont des activités réprimées, mais innées, de la connaissance par identité, secrète et involuée, qui émergent maintenant par degrés sous une forme étrangement diminuée et incertaine. D'abord, apparaît un sens grossier ou voilé qui se mue en des sensations précises soutenues par un instinct vital ou une intuition cachée ; puis une perception du mental-de-vie se manifeste, avec à l'arrière-plan une vision-conscience obscure et un obscur sentiment des choses; l'émotion apparaît, vibrante, en quête d'échange ; enfin, s'élève à la surface la conception, la pensée, la raison qui comprend et appréhende l'objet, combine ses
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données de connaissance. Mais tout cela est incomplet, encore mutilé par l'ignorance séparatrice et l'inconscience première obscurcissante; tout cela dépend de moyens extérieurs et n'a pas le pouvoir d'agir selon sa nature propre : la conscience ne peut agir directement sur la conscience ; la conscience mentale enveloppe et pénètre les choses de façon constructive, mais elle ne les possède pas réellement ; il n'y a pas connaissance par identité. Quand le subliminal parvient à imposer aux sens et au mental de surface certaines de ses activités secrètes pures, non traduites dans les formes ordinaires de l'intelligence mentale, alors seulement une action rudimentaire des méthodes plus profondes s'élève à la surface. Mais de telles émergences demeurent exceptionnelles; traversant brusquement la normalité de notre connaissance acquise et apprise, elles ont la saveur de l'anormal et du supranormal. Ce n'est qu'en nous ouvrant à notre être intérieur ou en y pénétrant, qu'une prise de conscience intime et directe peut s'ajouter à la prise de conscience extérieure indirecte. Seul un éveil à notre âme la plus profonde ou à notre moi supraconscient peut amener un début de connaissance spirituelle, avec l'identité comme base, pouvoir constitutif et substance intrinsèque.
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Celui qui pense que ce monde seul existe et nul autre...
Katha Upanishad. 1.2,6.
Étendu au sein de l'Infini (...) sans tête ni pieds, dissimulant ses deux extrémités.¹
Rig-Véda.IV.I.7,11.
" Je suis le Brahman. " Celui qui a cette connaissance devient tout ce qui est; mais quiconque adore une autre divinité que le Moi unique et pense : " Il est autre et je suis autre ", celui-là n'a pas la connaissance.
Brihadâranyaka Upanishad. 1.4.10.
Ce Moi est quadruple — le Moi de Veille qui possède l'intelligence extérieure et jouit des choses extérieures, en est la première part; le Moi de Rêve qui possède l'intelligence intérieure et jouit des choses subtiles, en est la seconde; le Moi de Sommeil, unifié, intelligence concentrée, béatitude jouissant de la béatitude, en est la troisième (...) le seigneur de tout, l'omniscient, le Maître intérieur. Ce qui est invisible, indéfinissable, évident en soi en son unique ipséité, en est la quatrième part : c'est le Moi, c'est cela qu'il faut connaître.
Mândûkya Upanishad. Versets 2-7.
Un être conscient, pas plus grand que le pouce d'un homme, se tient au centre de notre moi; il est maître du passé et du présent (...) il est aujourd'hui et il sera demain.
Katha Upanishad. Il, 1.12-13.
¹La tête et les pieds, le supraconscient et l'inconscient.
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Il est maintenant possible de nous faire une idée des caractéristiques générales de cette Ignorance — ou de cette connaissance séparatrice s'efforçant d'atteindre la connaissance par identité —, qui constitue notre mentalité humaine et, sous une forme plus obscure, toute conscience évoluée inférieure au plan humain. En nous, nous voyons qu'elle est faite d'une succession d'ondes d'être" et de force, pressant du dehors et surgissant du dedans, qui deviennent le matériau de la conscience et s'expriment par une cognition mentale et une sensation mentalisée du moi et des choses dans le Temps et l'Espace. Le .Temps1 se présente à nous comme un flux de mouvement dynamique, l'Espace comme un champ objectif de contenus où se fait l'expérience de cette prise de conscience imparfaite et progressive. Par la prise de conscience immédiate, l'être mental, qui se meut dans le Temps, vit perpétuellement dans le présent; par la mémoire, il préserve une partie de son expérience du moi et des choses, l'empêchant de s'écouler entièrement dans le passé; par la pensée, la volonté et l'action, par l'énergie mentale, l'énergie de vie, l'énergie corporelle, il utilise cette expérience pour son devenir présent et pour ce qu'il deviendra plus tard ; la force intérieure de son être qui a fait de lui ce qu'il est, s'efforce de prolonger, de développer et d'amplifier son devenir futur. Tout ce matériau mal assuré de l'expression du moi et de l'expérience des choses, cette connaissance partielle accumulée dans le mouvement du Temps, est coordonnée pour lui par la perception, la mémoire, l'intelligence et la volonté d'être, utilisés pour un devenir toujours nouveau ou toujours répété, et pour l'activité mentale, vitale et physique qui l'aide à devenir ce qu'il doit être et à exprimer ce qu'il est déjà. La totalité présente de cette expérience de la conscience et de ce flot d'énergie est coordonnée afin d'être reliée à son être, rassemblée de façon cohérente autour d'un sens de l'ego qui formule, dans un champ d'être conscient limité et persistant,
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la réponse habituelle de notre moi aux contacts de la Nature dont il fait l'expérience. C'est ce sens de l'ego qui donne une première base cohérente à ce qui, autrement, ne serait peut-être qu'une série ou une masse d'impressions flottantes. Tout ce qui est ainsi perçu est transféré à un centre artificiel correspondant, celui de la conscience mentale compréhensive, où se forme l'idée d'ego. Ce sens de l'ego dans la substance de la vie et cette idée d'ego dans le mental, maintiennent une structure, un symbole du moi, l'ego séparateur, qui fait office de moi réel caché, d'esprit ou être vrai. L'individualité mentale de surface, par conséquent, est toujours égocentrique; même son altruisme est un élargissement de son ego. L'ego est l'essieu inventé pour maintenir le mouvement de la roue de notre nature. La centralisation autour de l'ego reste nécessaire jusqu'à ce qu'un tel mécanisme, un tel dispositif ne soit plus nécessaire quand émerge le vrai moi, l'être spirituel qui est à la fois la roue et son mouvement et ce qui maintient la cohésion de l'ensemble, le centre et la circonférence.
L'analyse nous .'révèle cependant que l'expérience dé. notre moi que nous coordonnons ainsi et utilisons consciemment pour vivre, ne représente qu'une petite partie, même de notre conscience individuelle de veille. Nous nous attachons seulement à un nombre très limité des sensations et des perceptions mentales du-moi et des choses qui s'élèvent jusqu'à notre conscience de surface dans notre présent continuel, et dont en outre la mémoire ne sauve qu'une part infime du gouffre d'oubli du passé ; des réserves de la mémoire, notre intelligence n'utilise qu'une parcelle' pour organiser sa connaissance, et notre volonté, un pourcentage plus faible encore pour l'action. Une étroite sélection, un large rejet ou une large mise en réserve, un système avare et prodigue à la fois, marqué par un gaspillage des matériaux et une non-utilisation des ressources, un minimum de dépenses utiles, mais insuffisantes et désordonnées, et de solde utilisable, telle semble être la méthode de la Nature dans notre devenir conscient, comme dans le champ de l'univers matériel. Mais ce; n'est qu'une apparence. En effet, il' serait entièrement faux de prétendre que tout ce qui n'est pas préservé et utilisé est détruit et anéanti, disparaît sans laisser de trace et n'a servi à rien. La Nature elle-même en a tranquillement utilisé une grande part pour notre formation, et cela stimule la masse assez importante de notre croissance, de notre
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devenir et de notre action dont notre mémoire, notre volonté et notre intelligence conscientes ne sont pas responsables. Elle en utilise une part plus grande encore comme magasin où elle puise, alors que nous-mêmes avons totalement oublié l'origine et la provenance de ce matériau ; et il se trouve que nous nous en servons avec le sentiment illusoire d'en être les créateurs, car nous nous imaginons créer ce nouveau matériau de notre travail, alors que nous ne faisons que combiner des résultats à partir d'éléments que nous avons oubliés, mais dont la Nature en nous a gardé le souvenir. Si nous admettons que la renaissance fait partie de son système, nous nous apercevons que toute expérience a son utilité ; car toute expérience compte dans ce long processus de construction, et rien n'est rejeté, sinon ce qui a épuisé son utilité et serait un fardeau pour l'avenir. Juger d'après ce qui apparaît maintenant sur cette surface consciente est trompeur ; en effet, quand nous étudions et comprenons ces s choses, nous percevons que seule une petite partie de l'action et de la croissance de la Nature en nous est consciente ; pour la plus grande part, elles s'effectuent subconsciemment, comme dans le reste de sa vie matérielle. Nous ne sommes pas uniquement ce que nous connaissons de nous-mêmes, mais immensément plus, et cela, nous ne le connaissons pas; notre personnalité momentanée n'est qu'une bulle sur l'océan de notre existence.
Une observation superficielle de notre conscience de veille nous montre que nous sommes tout à fait ignorants d'une grande partie de notre être et de notre devenir individuels ; pour nous, c'est l'Inconscient, comme l'est la vie de la plante, du métal, de la terre, des éléments. Mais si nous portons plus loin notre connaissance, poussant l'expérience et l'observation psychologiques au-delà de leurs limites habituelles, nous découvrons combien vaste est la sphère de ce soi-disant Inconscient ou de ce subconscient dans la totalité de notre existence — subconscient qui nous semble tel et que nous appelons ainsi parce qu'il est une conscience cachée — et combien petite et fragmentaire est la portion de notre être que recouvre la conscience de notre moi de veille. Nous comprenons alors que notre mental de veille et notre ego ne sont qu'une surimposition sur un moi submergé, subliminal — c'est ainsi, en effet, que nous apparaît ce moi —, ou, plus exactement, un être intérieur doué d'un pouvoir d'expérience beaucoup plus vaste. Notre mental et notre ego sont comme le sommet et le dôme d'un temple s'élevant hors des vagues, tandis que le corps immense de l'édifice est submergé par les eaux.
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Cette conscience secrète, ce moi caché est notre être réel, intégral, dont le moi extérieur est une partie et un phénomène, une formation choisie pour un usage superficiel. Nous ne percevons qu'une fraction des contacts extérieurs qui nous envahissent ; l'être intérieur, lui, perçoit tout ce qui pénètre en nous ou nous affecte, nous-mêmes et notre milieu. Nous ne percevons qu'une part infime des processus de notre vie et de notre être; l'être intérieur en perçoit tant, que nous pourrions presque supposer que rien ne lui échappe. Notre mémoire ne retient qu'un nombre limité de perceptions, et même alors, nous en gardons une grande partie dans une réserve où nous n'arrivons pas toujours à mettre la main sur ce dont nous avons besoin; mais l'être intérieur retiens tout ce qu'il reçoit et l'a toujours à sa disposition. Nous ne pouvons comprendre et connaître de façon cohérente que les perceptions et les souvenirs dont notre intelligence exercée et notre capacité mentale peuvent saisir le sens et apprécier les relations; l'intelligence de l'être intérieur n'a besoin d'aucune formation, elle préserve la forme et les relations exactes de toutes ses perceptions et de tous ses souvenirs et — bien que cette proposition puisse paraître douteuse ou difficile à admettre sans réserve — elle peut en saisir immédiatement le sens, quand elle ne le possède pas déjà. Et ses perceptions ne se limitent pas, comme celles du mental de veille en général, aux maigres glanes des sens physiques, mais s'étendent bien au-delà et, comme en témoignent maints phénomènes télépathiques, elles utilisent un sens subtil dont les limites sont trop vastes pour être aisément fixées. Les relations entre la volonté ou les impulsions de surface et l'élan subliminal, décrit par erreur comme non conscient ou subconscient, n'ont pas été correctement étudiées, sauf quand elles concernent les manifestations inhabituelles et inorganisées et certains phénomènes anormaux et morbides du mental malade de l'homme ; mais si nous poursuivons assez loin notre observation, nous constaterons que la cognition et la volonté ou la dynamique de l'être intérieur se trouvent en fait derrière tout le devenir conscient ; celui-ci ne représente que la part de l'effort et de l'accomplissement secrets de l'être intérieur qui réussit à s'élever à la surface de notre vie. Connaître notre être intérieur est le premier pas vers une réelle connaissance de nous-mêmes.
Si nous entreprenons cette découverte de nous-mêmes et que nous élargissons notre connaissance du moi subliminal, afin que tes deux, extrémités — inférieure et supérieure, subconsciente et supraconsciente
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— soient incluses dans notre conception, nous découvrons que c'est lui; qui, en réalité, fournit tout le matériau de notre être apparent et que nos perceptions, nos souvenirs, les réalisations de notre volonté et de notre intelligence ne sont qu'une sélection faite à partir de ses perceptions, de ses souvenirs, des activités et des relations entre son intelligence et sa volonté ; notre ego lui-même n'est qu'une formulation, mineure et superficielle, de sa conscience et de son expérience de soi. Il est en quelque sorte la mer impétueuse d'où s'élèvent les vagues de notre devenir conscient. Mais quelles sont ses limites? Jusqu'où s'étend-il? Quelle est sa nature fondamentale? D'ordinaire, nous parlons d'une existence subconsciente et pour nous ce terme s'applique à tout ce qui n'est pas éveillé en surface. Mais on ne saurait désigner par cette épithète la totalité, ni même la plus grande partie du moi intérieur ou subliminal, En effet, quand nous parlons du subconscient, nous pensons immédiatement à une obscure inconscience ou à une demi-conscience, ou encore à une conscience submergée au-dessous de notre conscience de veille organisée, et d'une certaine manière inférieure à elle, moins importante ou, en tout cas, moins maîtresse d'elle-même. Mais en pénétrant au-dedans, nous constatons que, quelque part dans notre subliminal — mais sans lui être coextensive puisqu'il a aussi des régions ignorantes et obscures —, se trouve une conscience beaucoup plus vaste, plus lumineuse, plus maîtresse d'elle-même et des choses, que celle qui veille à la surface et perçoit le cours de nos heures quotidiennes : c'est notre être intérieur, et c'est, lui que nous devons considérer comme notre moi subliminal et le distinguer de cette province inférieure, basse et occulte de notre nature qu'est le subconscient. De même, il existe une partie supraconsciente de notre existence totale où se trouve ce que nous découvrons être notre moi le plus haut, et cela aussi nous pouvons le voir comme une province. séparée,supérieure et occulte de notre nature.
Mais alors, qu'est-ce que le subconscient? où commence-t-il et comment est-il relié à notre être de surface ou au subliminal dont il semblerait plus exactement être une province ? Nous sommes conscients de notre corps, nous savons que nous avons une existence physique, nous nous identifions à elle dans une large mesure, et pourtant la plupart de ses opérations sont en fait subconscientes pour notre être mental; non seulement le mental n'y prend aucune part, mais, supposons-nous, notre être le plus physique n'est nullement conscient de ses propres opérations cachées. Laissé à lui-même, il n'est pas même conscient de
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sa propre existence; il ne connaît ou plutôt ne sent de lui-même que ce qui est éclairé par la perception mentale et observé par l'intelligence. NOUS sommes conscients d'une vitalité œuvrant dans cette forme, dans cette structure corporelle, comme elle agit dans la plante ou l'animal inférieur, d'une existence vitale qui, pour nous, est surtout subconsciente, car nous n'en observons que certains mouvements et certaines réactions. Nous sommes en partie conscients de ses opérations, mais certainement pas de toutes, ni même de la plupart, et plutôt de celles qui sont anormales; ses besoins nous affectent plus fortement que ses satisfactions; ses maladies et ses désordres que sa santé et son rythme régulier ; sa mort est pour nous plus poignante que sa vie n'est intense ; nous n'en connaissons que ce que nous pouvons observer et utiliser consciemment ou ce qui s'impose à nous par la douleur et le plaisir et autre sensations, ou comme la cause de réactions et perturbations nerveuses ou physiques, mais pas davantage. Aussi supposons-nous que cette partie physique-vitale de notre être n'est pas consciente non plus de ses propres opérations ou n'a qu'une conscience réprimée ou pas de conscience du tout, comme la plante, ou une conscience rudimentaire comme l'animal naissant ; elle ne devient consciente que dans la mesure où elle est éclairée par le mental et observable par l'intelligence.
C'est là une exagération et une confusion dues au fait que nous identifions la conscience avec la mentalité et la prise de conscience mentale. Le mental s'identifie dans une certaine mesure avec les mouvements propres à la vie physique et au corps et les annexe à sa mentalité, en sorte que toute conscience nous paraît mentale. Mais si nous prenons du recul, si nous séparons le mental, en tant que témoin, de ces parties de notre être, nous découvrons que la vie et le corps (même les parties les plus physiques de la vie) ont une conscience propre — la conscience d'un vital plus obscur et d'un être corporel — et même une perception élémentaire, comme peuvent en avoir les formes animales primitives, mais reprise en nous par le mental et, dans cette mesure, mentalisée. Et pourtant, en son mouvement autonome, cette conscience n'est pas dotée comme nous d'une perception mentale ; s'il y a un mental en elle, c'est un mental involué et impliqué dans le corps et la vie physique; il n'y a pas de conscience de soi organisée, mais seulement un sens de l'action et de la réaction, du mouvement, de l'impulsion et du désir, du besoin, des activités nécessaires imposées par la Nature, la faim, l'instinct, la douleur, l'insensibilité et le plaisir. Ainsi, bien qu'inférieure, elle possède
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cette conscience obscure, limitée, automatique ; toutefois, comme elle est moins maîtresse d'elle-même, et qu'elle est dénuée de ce qui, pour nous, constitue le sceau de la mentalité, il est juste de l'appeler submentale, mais moins juste de la qualifier de partie subconsciente de notre être. En effet, quand nous nous en détachons, quand nous parvenons à séparer notre mental de ses sensations, nous percevons que c'est une conscience nerveuse, une conscience des sensations, automatiquement dynamique, dont le mode et le degré diffèrent de la conscience mentale : elle réagit aux; Contacts à sa manière, avec sa propre sensibilité, indépendamment de la perception et de la réponse mentales. Le vrai subconscient est différent de ce substrat vital ou physique; il est l'Inconscient vibrant aux frontières de la conscience, projetant vers-te haut ses mouvements pour 'qu'ils soient transmués en; substance consciente, engloutissant dans ses profondeurs les impressions de l'expérience passée, germes de nos habitudes inconscientes, les renvoyant constamment, mais souvent de façon chaotique, à la conscience de surface, dépêchant vers le haut beaucoup de matériau futile ou dangereux dont l'origine nous est obscure — dans des rêves, des répétitions mécaniques de tous genres, des impulsions et des mobiles dont nous ne pouvons retrouver la source, des perturbations et des bouleversements du mental, du vital, du physique, dans les nécessités muettes et automatiques des parties les plus obscures de notre nature.
Mais le moi subliminal n'a pas du tout ce caractère subconscient ; il est en pleine possession d'un mental, d'une force de vie, d'un sens physique subtil éclairé. Il a les mêmes capacités que notre être de veille, un sens et une perception subtils, une mémoire globale étendue et une intelligence, une volonté, une conscience de soi pénétrantes et sélectives ; mais bien que ces capacités soient du même type, elles sont plus vastes, plus développées, plus souveraines. Il a, en outre, d'autres capacités qui dépassent celles de notre mental humain, parce que l'être jouit d'un pouvoir de perception directe — agissant en lui-même ou dirigé sur son objet — qui parvient plus rapidement à la connaissance et à l'exécution de la volonté, plus profondément à la compréhension et à la satisfaction de l'impulsion. Notre mental de surface ne peut guère être qualifié de vraie mentalité, tant il est involué, lié, entravé, conditionné par le corps et la vie corporelle et les limitations du système nerveux et des organes physiques. Le moi subliminal, par contre, est doté d? Une véritable mentalité qui transcende ces limitations ; il dépasse
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le mental physique et les organes physiques, bien qu'il en soit conscient, ainsi que de leurs activités, et soit en fait, dans une large mesure, leur cause ou leur créateur. Il n'est subconscient que dans le sens où il n'apporte pas à la surface la totalité ou la majeure partie de lui-même — il œuvre toujours derrière le voile. Plutôt qu'un subconscient, c'est un intraconscient et un circumconscient secrets, car il enveloppe la nature extérieure tout autant qu'il la soutient. Cette description s'applique certes le mieux aux parties plus profondes du subliminal. Dans certaines de ses couches plus proches de notre surface, son action est plus ignorante et ceux qui, pénétrant en eux-mêmes, s'arrêtent dans les zones de moindre cohérence ou dans le No-man's-land entre le subliminal et la surface, peuvent tomber dans une grande illusion et une grande confusion; mais elles non plus, bien qu'ignorantes, ne sont pas de même nature que le subconscient. La confusion de ces zones intermédiaires ne s'apparente en rien à l'Inconscience.
Trois éléments forment en quelque sorte la totalité de notre être : le submental et le subconscient qui nous paraissent inconscients et comprennent la base matérielle et une bonne part de notre vie et de notre corps ; le subliminal, qui comprend l'être intérieur dans son intégralité, c'est-à-dire le mental intérieur, le vital intérieur, le physique intérieur, soutenus par l'âme ou entité psychique; et cette conscience de veille que le subliminal et le subconscient projettent à la surface et qui est une vague de leur secrète marée. Mais ce n'est pas même la juste image de ce que nous sommes, car il y a non seulement quelque chose au plus profond de nous, derrière notre conscience ordinaire de nous-mêmes, mais encore quelque chose au-dessus : cela aussi est nous, différent de notre personnalité mentale superficielle, mais non pas extérieur à notre vrai moi; cela aussi est une contrée de notre esprit, car le subliminal proprement dit n'est autre que l'être intérieur sur le plan de la Connaissance-Ignorance, lumineux, puissant et étendu en effet au-delà de la pauvre conception de notre mental de veille, mais sans être néanmoins le sens suprême ou total de notre être, ni son mystère ultime. Dans une certaine expérience, nous devenons conscients d'un plan de l'être qui est supraconscient par rapport à ces trois éléments, conscients aussi de quelque chose, d'une très haute et suprême Réalité qui les soutient et les dépasse tous, dont l'humanité parle vaguement comme de l'Esprit, de Dieu, de la Sur-Âme : quelque chose nous visite parfois de ces plans supraconscients, et, depuis les sommets de notre être, nous nous tendons
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vers eux et vers cet Esprit suprême. Il y a donc, parmi tous les plans de notre existence, non seulement une subconscience et une inconscience, mais une supraconscience surplombant et peut-être enveloppant notre moi subliminal et notre moi de veille. Mais elle est inconnue de nous, apparemment inaccessible et incommunicable.
Cependant, à mesure que notre connaissance s'étend, nous découvrons ce qu'est cet Esprit ou Sur-Âme: c'est finalement notre Moi le plus haut, le plus profond et le plus vaste ; sur ses-' sommets" ou se réfléchissant en nous, il apparaît comme Satchidânanda qui nous crée et crée le monde par le pouvoir de Sa divine Connaissance-Volonté spirituelle, supramentale, consciente-de-la-vérité, infinie. Tel est l'Être réel, le Seigneur et Créateur, qui, en tant que Moi cosmique voilé dans le Mental, la Vie et la Matière, est descendu en ce que nous appelons l'Inconscient dont il constitue et gouverne l'existence subconsciente par Sa volonté et Sa connaissance supramentales, qui s'est élevé hors de l'Inconscient et demeure en l'être intérieur, constituant et gouvernant son existence subliminale par la même volonté et la même connaissance, qui a projeté notre existence superficielle hors du subliminal et demeure secrètement en elle, surveillant ses trébuchements et ses tâtonnements avec la même lumière et la même maîtrise absolues. Si l'on peut comparer le subliminal et le subconscient à une mer projetant les vagues de notre existence mentale de surface, la supraconscience, elle, peut se comparer à un éther qui constitue, contient, recouvre, habite et détermine les mouvements de la mer et de ses vagues. C'est là, dans cet éther supérieur, que nous sommes conscients de notre moi et esprit, de façon innée, intrinsèque, et non pas comme ici, par un reflet dans le mental silencieux ou par une acquisition de la connaissance d'un Être caché en nous ; c'est à travers lui, à travers cet éther de supraconscience que nous pouvons atteindre l'état, la connaissance, l'expérience les plus hauts. De cette existence supraconsciente, qui nous mène à l'état le plus élevé de notre Moi réel et suprême, nous sommes d'habitude plus ignorants encore que du reste de notre être ; et pourtant, c'est en la connaissance de cette existence supraconsciente que notre être, émergeant de son involution dans l'Inconscience, s'efforce d'évoluer. Cette limitation à notre existence superficielle, cette inconscience de notre moi le plus haut et le plus profond, est notre ignorance première et fondamentale.
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À la surface, notre existence se réalise par un devenir dans te Temps; mais là encore, en dehors de ce devenir temporel, le mental superficiel, que nous appelons nous-mêmes, ignore tout le passé et tout l'avenir, conscient seulement de la petite vie dont il se souvient, et pas même entièrement, car beaucoup échappe à son observation, et beaucoup à sa mémoire. Nous croyons volontiers — pour la simple raison, péremptoire mais insuffisante, que nous ne nous rappelons, n'avons perçu, ne connaissons rien d'autre — que nous sommes venus à l'existence d'abord par nôtre naissance physique dans cette vie et que nous cesserons d'exister quand mourra ce corps et que cette brève activité physique prendra fin. Mais si cela est vrai de notre mentalité et de notre vitalité physique, de notre enveloppe corporelle — car elles ont été constituées à notre naissance et la mort les dissout —, ce n'est pas vrai de notre devenir réel dans le Temps. En effet, notre moi réel dans le cosmos est le Supraconscient qui devient le moi subliminal et projette ce moi superficiel apparent pour qu'il joue le rôle bref et limité qui lui a été assigné entre la naissance et la mort, celui d'une formation du moi dans le présent, d'une formation vivante et consciente de l'être dans le matériau d'un monde de la Nature inconsciente. L'être vrai que nous sommes ne meurt pas plus, quand une vie s'achève, que l'acteur ne cesse d'exister quand s'achève un de ses rôles, ou le poète quand il a déversé une part de lui-même dans l'un de ses poèmes; notre personnalité mortelle n'est pas autre chose : un rôle, une expression de soi créatrice. Que nous acceptions ou non là théorie des multiples naissances de la même âme ou être psychique en divers corps humains sur cette terre, il est certain que notre devenir dans le Temps remonte loin dans le passé et se prolonge loin dans le futur. Quelques moments du Temps ne peuvent en effet limiter le supraconscient, ni le subliminal; l'un est éternel et le Temps n'est qu'un de ses modes; pour l'autre, le subliminal, c'est un champ infini d'expériences variées, et l'existence même de l'être présuppose que tout le passé est sien, de même que tout l'avenir. Et pourtant de-ce passé qui, seul, explique notre être actuel, notre mental ne connaît — si l'on peut appeler cela une connaissance — que cette existence physique présente et ses souvenirs ; de l'avenir qui, seul, explique l'orientation constante de notre devenir, il ne sait rien. Nous sommes tellement ancrés dans l'expérience de notre ignorance, que nous affirmons même que l'un ne peut être connu que par ses vestiges, et que l'autre demeure inconnaissable parce que l'avenir n'est pas encore et que le passé n'existe plus. Et pourtant tous deux sont en
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nous, la passé involué et actif, l'avenir prêt à évoluer dans la continuité de l'esprit secret. C'est là une autre ignorance limitative et frustrante.
Mais chez l'homme, l'ignorance de soi ne s'arrête même pas là, car il n'est pas seulement ignorant de son Moi supraconscient, de son' moi subliminal, de son moi subconscient, il l'est aussi de son monde où il vit à présent, qui sans cesse agit sur lui et à travers lui, et sur lequel et par lequel il lui faut agir. Et la marque de son ignorance, c'est qu'il regarde le monde comme quelque chose de tout à fait séparé de lui, comme un non-moi parce qu'il est différent de sa formation naturelle individuelle et de son ego. De même, quand il a la vision de son Moi supraconscient, il le conçoit d'abord comme tout autre que lui, comme un Dieu extérieur, voire extracosmique ; quand il a la vision de son moi subliminal et en prend conscience, il lui semble d'abord que c'est une autre personne, plus grande, ou une autre conscience que la sienne qui le soutient et le guide. Du monde, il ne considère comme lui-même que cette petite bulle d'écume que sont sa vie et son corps. Mais quand nous pénétrons dans notre conscience subliminale, nous découvrons qu'elle s'étend à la mesure de son monde ; quand nous pénétrons dans notre Moi supraconscient, nous découvrons que le monde n'est que sa manifestation et que tout en lui est l'Un, que tout en lui est notre moi. Nous voyons qu'il y a une Matière unique et indivisible dont notre corps est un nœud, une Vie unique et indivisible dont notre vie est un remous, un Mental unique et indivisible dont notre mental est une' station réceptrice, enregistreuse, formatrice, traductrice, émettrice, un Esprit unique et indivisible dont notre âme et notre être individuel sont une parcelle ou une manifestation. C'est le sens de l'ego qui fixe l'a division, et c'est en lui que l'ignorance que nous sommes en surface trouve le pouvoir de maintenir les murs solides, et cependant toujours perméables, qu'elle a créés pour en faire sa propre prison. L'ego est le plus formidable des nœuds qui nous tiennent enchaînés à l'Ignorance.
De même que nous sommes ignorants de notre existence dans le Temps, à l'exception de la petite heure dont nous nous souvenons, de même sommes-nous ignorants de nous-mêmes dans l'Espace, à l'exception du petit empan dont nous sommes conscients mentalement et par nos sensations, du seul corps qui s'y meut et du mental et de la vie qui sont identifiés à lui, et nous considérons ce qui nous entoure comme un non-moi à notre service, avec qui nous devons traiter : c'est
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cette identification et cette conception qui forment la vie de l'ego. Pour certains, l'Espace n'est autre que la coexistence des choses ou des âmes; le Sânkhya affirme la pluralité des âmes et leur existence indépendante, et leur coexistence n'est donc possible que par l'unité de la force de la Nature, qui est leur champ d'expérience, Prakriti; mais même alors, il y a coexistence et c'est en définitive, une coexistence en un seul Être. L'Espace est l'extension de cette conception de soi de l'Être unique; c'est l'unique Existence spirituelle déployant le champ du mouvement de sa Force-Consciente en son propre moi en tant qu'Espace. Parce que cette Force-Consciente se concentre en des corps, des vies, des mentais innombrables et divers, et que l'âme préside à l'un d'eux, notre mentalité se concentre sur lui et le considère comme " moi " et considère tout le reste comme non-moi, tout comme elle considère sa seule vie, sur laquelle elle se concentre avec Une même ignorance, comme le champ tout entier de son existence, coupé du passé et du futur. Cependant, nous ne pouvons réellement connaître notre propre mentalité sans connaître le Mental unique, notre propre vitalité sans connaître la Vie unique, notre propre corps sans connaître la Matière unique ; non seulement, en effet, leur nature est déterminée par la nature de cela, mais leurs activités sont à tout moment influencées et déterminées par cela. Et pourtant, bien que tout cet océan d'être s'écoule sans cesse à travers nous, nous ne participons pas à sa conscience, nous n'en connaissons que ce qui peut être amené à la surface, de notre mental et y être coordonné. Le monde vit en nous, pense en nous, se forme en nous; mais nous imaginons que c'est nous qui vivons, pensons, devenons séparément, par nous-mêmes et pour nous-mêmes. De même que nous sommes ignorants de notre moi intemporel, de notre moi supraconscient, de notre moi subliminal et de notre moi subconscient, de même sommes-nous ignorants de notre moi universel. La seule chose qui nous sauve, c'est que notre ignorance est une ignorance animée d'un puissant élan qui tend irrésistiblement, éternellement, par la loi même de son être; vers la réalisation de la maîtrise de soi et de la connaissance de soi. Une Ignorance aux multiples facettes s'efforçant de devenir une Connaissance qui embrasse tout, telle est la définition de la conscience de l'homme, être mental -—ouï vu d'un autre angle, nous pouvons dire également que c'est une prise de conscience séparatrice et limitée des choses, aspirant à devenir une conscience et une Connaissance intégrales.
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Par l'énergie de la conscience,¹ le Brahman Se condense; de cela naît la Matière, et de la Matière, la Vie, le Mental et les mondes.
Mundaka Upanishad. 1.1. 8.
Il désira : " Que Je sois Multiple ", il se concentra en Tapas, par le Tapas il créa le monde; le créant, il entra en lui; entrant en lui, il devint l'existant et ce qui est au-delà de l'existence, il devint l'exprimé et le non-exprimé, il devint la connaissance et l'ignorance, il devint la vérité et la fausseté : il devint la vérité et même absolument tout ce qui est. " Cette Vérité ", ainsi l'appellent-ils,
Taittirîya Upanishad. II. 6.
L'énergie de la conscience1,est Brahman.
Taittirîya Upanishad. III.2-5.
¹Tapas.
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Maintenant que tant d'éléments ont été établis, il devient nécessaire et possible de considérer de près le problème de l'Ignorance du point de vue de son origine pragmatique, du processus de conscience qui l'a engendrée. C'est sur la base d'une Unité intégrale conçue comme la vérité de l'existence qu'il nous faut envisager le problème et voir dans quelle mesure les différentes solutions possibles sont applicables sur une telle base. Comment cette multiple ignorance ou cette connaissance étroitement auto-limitative et séparatrice a-t-elle pu apparaître et entrer en action, et poursuivre cette action, dans un Être absolu qui doit être conscience absolue et ne saurait donc être soumis à l'ignorance ? Comment une division, ne fût-elle qu'apparente, peut-elle se produire effectivement et se perpétuer dans l'Indivisible ? Intégralement un, l'Être ne peut être ignorant de lui-même; et toutes choses étant lui-même, étant des modifications, des déterminations conscientes de son être, il ne peut non plus être ignorant des choses, de leur nature et de leur action véritables. Nous disons que nous sommes Cela, que le Jîvâtman ou moi individuel 'n'est autre que le Paramâtman, n'est autre que l'Absolu, et pourtant il est indéniable que nous sommes dans l'ignorance des choses et de nous-mêmes. Il en résulte une contradiction, car ce qui, en sa texture même, devrait être incapable d'ignorance en est cependant capable et s'y est plongé par quelque volonté de son être, ou par quelque nécessité ou possibilité de sa nature. Nous ne réduisons pas la difficulté en alléguant que le Mental, siège de l'ignorance, relève de la Maya, qu'il est non-existant, non-Brahman, et que le Brahman, l'Absolu, l'unique Existence ne peut en aucune manière être touché par l'ignorance du mental qui fait partie de l'être illusoire, Asat, la Non-Existence. C'est là une échappatoire qui ne nous est point ouverte si nous admettons une Unité intégrale; car il est alors évident qu'en faisant une distinction si radicale, et en l'annulant en même temps, la déclarant illusoire, nous
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utilisons la magie ou la Maya de la pensée et des mots, afin de nous dissimuler le fait que nous divisons et nions l'unité du Brahman ; nous avons, en effet, érigé deux pouvoirs opposés, le Brahman incapable d'illusion et la Maya qui s'illusionne elle-même, et les avons introduits de force dans une unité impossible. Si le Brahman est l'unique existence, la Maya ne peut être qu'un pouvoir du Brahman, une force de sa conscience ou un résultat de son être; et si le Jîvâtman, un avec le Brahman, est soumis à sa propre Maya, alors le Brahman en lui est soumis à la Maya. Mais cela n'est pas intrinsèquement ni fondamentalement possible : la sujétion ne peut être qu'une soumission de. quelque chose dans la Nature à une action de la Nature qui fait partie du mouvement conscient et libre de l'Esprit dans les choses, un jeu de son Omniscience qui se manifeste. L'Ignorance doit faire partie du mouvement de l'Un, être un développement de sa conscience sciemment adopté, et auquel il n'est pas assujetti de force, mais dont il se sert pour son dessein cosmique.
Nous ne saurions nous débarrasser de toute la difficulté en disant que le Jîvâtman et le Suprême ne sont pas Un, mais éternellement différents, l'un étant soumis à l'ignorance, l'autre étant un absolu d'être et de conscience, et donc de connaissance, car cela contredit l'expérience suprême et l'expérience totale qui est celle de l'unité en l'être, quelle que puisse être la différence dans l'action de la Nature. Il est plus facile d'accepter le fait de l'unité dans la différence, qui est si évident et si répandu dans toute la construction de l'univers, et nous contenter d'affirmer que nous sommes un et cependant différents : un en notre être essentiel et donc en notre nature essentielle, différents en notre forme-d'âme et donc en notre nature active. Mais nous ne faisons ainsi que constater le 'fait; la difficulté qu'il soulève n'est pas résolue : comment ce qui, en l'essence de son être, appartient à l'unité de l'Absolu et devrait donc être un avec lui et avec tous en sa conscience, se trouve-t-il divisé en la force dynamique de son moi et en son action et soumis à l'Ignorance ? Notons par ailleurs qu'une telle formulation ne serait pas entièrement vraie, puisque le Jîvâtman a la possibilité de s'unir à la nature active de l'Un, et pas seulement d'entrer dans un état d'union statique essentielle. Ou nous pouvons éluder la difficulté en disant qu'au-delà, ou au-dessus de l'existence et de ses problèmes, il y a l'Inconnaissable qui est au-delà
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ou au-dessus de notre expérience, et que l'action de la Maya a déjà commencé dans l'Inconnaissable avant le commencement du monde et qu'elle est donc elle-même inconnaissable et inexplicable en sa cause et son origine. Ce serait une sorte d'agnosticisme idéaliste, par opposition à un agnosticisme matérialiste. Mais l'objection à laquelle se heurte tout agnosticisme, c'est que celui-ci n'est peut-être que notre refus de connaître, qu'une adhésion trop prompte à une apparente restriction ou constriction de la conscience dans son état présent, un sentiment d'impuissance que les limitations immédiates du mental peuvent se permettre, mais pas le Jîvâtman qui est un avec le Suprême. Le Suprême doit sûrement se connaître lui-même et connaître la cause de l'ignorance, aussi le Jîvâtman n'a-t-il aucune raison de désespérer d'atteindre jamais la connaissance ou de nier sa capacité de connaître le Suprême intégral et la cause originelle de son ignorance présente.
L'Inconnaissable, si tant est qu'il existe, est peut être un état suprême de Satchidânanda par-delà nos plus hautes conceptions de l'existence, de la conscience et de la félicité; c'est de toute évidence ce que la Taittirîya Upanishad entendait par l'Asat, le Non-Existant, qui, seul, était au commencement et d'où est né l'existant; et c'est peut-être aussi le sens le plus profond du Nirvana du Bouddha, car la dissolution de notre état présent par le Nirvana peut être un moyen d'accéder à quelque état suprême qui dépasse même toute notion Ou toute expérience du moi, une ineffable libération de tout ce que signifie pour nous l'existence. Ou ce peut être la béatitude absolue et inconditionnée dont parle l'Upanishad, qui dépasse toute expression et toute compréhension parce qu'elle se situe bien au-delà de toutes nos conceptions et de toutes nos définitions de la conscience et de l'existence. C'est dans ce sens que nous l'avons déjà accepté, car cette acceptation ne nous engage qu'à refuser de mettre une limite à l'ascension de l'Infini. Ou s'il n'est pas cela, s'il est quelque chose qui diffère complètement de l'existence, même d'une existence inconditionnée, alors ce doit être le Non-Être absolu du penseur nihiliste.
Mais rien ne peut sortir du Néant absolu, pas même une simple apparence, pas même une illusion; et si la Non-Existence absolue n'est pas cela, alors elle ne peut être qu'une Potentialité absolue éternellement irréalisée, un zéro énigmatique de l'Infini d'où peuvent émerger à tout moment des potentialités relatives, mais dont quelques-unes seulement
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parviennent à prendre une apparence phénoménale. Tout peut surgir de cette Non-Existence, et il est tout à fait impossible de dire quoi ou pourquoi; c'est, en pratique, une graine de chaos absolu d'où, par quelque heureux — ou plutôt malheureux — accident, l'ordre d'un univers a'émergé. Ou bien nous pouvons dire qu'il n'y a pas d'ordre réel de l'univers ; ce que nous prenons pour tel est une habitude persistante des sens et de la vie et une fiction du mental, il est donc inutile de chercher la raison ultime des choses. D'un chaos absolu, tous les paradoxes et toutes les absurdités peuvent naître, et le monde est un tel paradoxe, une mystérieuse somme de contraires et d'énigmes, ou, comme l'ont senti ou pensé certains, il est peut-être effectivement une énorme erreur, un monstrueux, un infini délire. Ce n'est pas une Conscience et une Connaissance absolues, mais une Inconscience et une Ignorance absolues qui seraient alors l'origine d'un tel univers. Tout peut être vrai dans un tel cosmos : tout peut avoir surgi de rien ; le mental pensant n'est peut-être qu'une maladie de la Force sans pensée ou de la Matière inconsciente; l'ordre dominant, que. nous supposons être l'existence selon la vérité des choses, est peut-être en réalité la loi mécanique d'une éternelle ignorance de soi et non l'évolution d'une suprême Volonté consciente qui se gouverne elle-même ; l'existence perpétuelle est peut-être le phénomène constant d'un Néant éternel. Toutes les opinions sur les origines des choses assument une force égale, puisque toutes sont également valables, ou non valables ; toutes sont également possibles, dès lors qu'il n'y a pas de point de départ certain, ni de but vérifiable aux révolutions du devenir. Toutes les opinions ont été soutenues par le mental humain et toutes ont porté quelque fruit, même si nous les considérons comme des erreurs; les erreurs, en effet, sont permises au mental parce qu'elles ouvrent des portes sur la vérité, d'une façon négative en détruisant des erreurs opposées, d'une façon positive en préparant un élément dans une nouvelle hypothèse constructive. Mais, poussée trop loin, cette vision des choses conduit à nier tout le but de la philosophie, qui recherche la connaissance et non le chaos et qui ne peut s'accomplir si le dernier mot de la connaissance est l'Inconnaissable, mais seulement si c'est quelque chose qui fait que " cela étant connu, tout est connu ", comme dit l'Upanishad. L'Inconnaissable — qui n'est pas absolument inconnaissable mais au-delà de la connaissance mentale — ne peut être qu'un degré supérieur dans l'intensité d'être de ce Quelque Chose, un degré au-delà du plus haut sommet accessible aux êtres mentaux, et si l'on pouvait le connaître comme
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il doit se connaître lui-même, cette découverte ne détruirait pas entièrement ce que nous donne notre connaissance la plus haute possible, mais la porterait plutôt à un accomplissement plus élevé et à une vérité plus vaste de ce qu'elle a déjà acquis par la vision et l'expérience de soi. C'est donc ce Quelque Chose — un absolu qui peut être connu de telle sorte que toutes les vérités peuvent tenir en lui et par lui et se réconcilier — que nous devons découvrir comme point de départ et conserver comme base permanente de notre pensée et de notre vision, et qui nous permettra de trouver une solution au problème, car Cela seul détient la clef des paradoxes de l'univers.
Comme le Védânta le souligné et comme nous l'avons souligné tout au long, ce Quelque Chose, en sa nature manifeste, est Satchidânanda, une trinité d'existence, de conscience et de béatitude absolues. C'est de cette vérité première qu'il nous faut partir pour aborder le problème. Il est donc évident que la solution doit se trouver dans une action de la conscience qui se manifeste comme connaissance et cependant limite cette connaissance de façon à créer le phénomène de l'Ignorance — et puisque l'Ignorance est un phénomène de l'action dynamique de la Force de la Conscience, non un fait essentiel mais une création, une conséquence de cette action, c'est cet aspect de Force de la Conscience qu'il serait fructueux d'examiner. En sa nature, la conscience absolue est pouvoir absolu. La nature de Chit est Shakti : l'univers a été créé par la Force ou Shakti concentrée et dynamisée pour la cognition où pour l'action dans un pouvoir réalisateur effectif ou créateur ; et le pouvoir de l'être conscient absorbé en lui-même fait émerger, par la chaleur de son incubation¹ en quelque sorte, la semence et le développement de tout ce qui se trouve en lui ou, pour employer un langage plus accessible à notre mental, de toutes ses vérités et potentialités. Si nous examinons notre propre conscience, nous verrons que ce pouvoir de son
¹Tapas signifie littéralement chaleur; il a ensuite le sens d'énergie, d'ascèse, d'austérité de la force consciente agissant sur elle-même ou sur son objet. Le monde a été créé par Tapas sous la forme d'un œuf, pour reprendre l'ancienne image; de cet œuf brisé par Tapas, le feu d'incubation de la force consciente, le Purusha émerge, tel un oiseau. Notons que le mot " penance " (" pénitence "), qui, dans les ouvrages de langue anglaise, traduit en général le mot tapasyâ, est trompeur : l'idée de pénitence entre rarement dans les austérités pratiquées par les ascètes indiens, et la mortification du corps ne constituait pas non plus l'essence de ces pratiques, même sous leurs formes les plus extrêmes. Le but était plutôt d'échapper à l'emprise de la nature corporelle sur la conscience, ou d'insuffler à celle-ci et à la volonté une énergie supranormale, afin 'd'atteindre un objectif spirituel ou autre.
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énergie s'appliquant à son objet est réellement la force dynamique la plus positive qu'elle possède; c'est par ce pouvoir qu'elle acquiert toute sa connaissance, toute son action et toute sa création. Mais pour nous, il y a deux objets sur lesquels le dynamisme intérieur peut agir : nous-mêmes, le monde intérieur, et les autres — créatures ou choses —, le monde extérieur, autour de nous. Cette distinction et ses conséquences effectives et efficientes ne s'appliquent pas à Satchidânanda comme à nous, car tout est lui et en lui, et il n'y a pas ici de divisions, comme celles que peut créer notre mental limité. En second lieu, seule une partie de la force ;de notre être s'identifie en nous à notre action volontaire, à notre volonté engagée dans une activité mentale ou autre. Pour notre conscience mentale superficielle, le reste est involontaire en son action, ou subconscient, ou supraconscient, et de cette division aussi découlent un grand nombre de conséquences pratiques importantes. Mais dans Satchidânanda, cette division et ses conséquences ne s'appliquent pas non plus, puisque tout est son moi unique et indivisible, et que toute action et tout résultat sont les mouvements de sa volonté unique et indivisible, de sa conscience-force en ses opérations dynamiques. L'action de sa conscience et la nôtre ont une même nature, le Tapas, mais c'est le Tapas intégral d'une conscience intégrale dans une Existence indivisible.
Une question, pourtant, peut alors se poser : puisqu'il y a passivité autant qu'activité dans l'Existence et la Nature, état d'immobilité autant que kinesis, quels sont la place et le rôle de cette Force, de ce pouvoir et de sa concentration par rapport à un état où il n'y a aucun jeu d'énergie, où tout est immobile ? En nous, nous associons d'ordinaire notre Tapas, notre force consciente, à la conscience active, à l'énergie en jeu qui agit et se meut intérieurement ou extérieurement. Ce qui est passif en nous ne produit aucune action, ou seulement une action involontaire ou mécanique, et nous ne l'associons pas à notre volonté ou à notre force consciente ; cependant, puisque là aussi une action peut se produire ou une activité, automatique émerger, il faut qu'il y ait au moins, dans, cet .état, une force consciente qui réponde passivement ou automatiquement, ou ce peut être un Tapas, soit secrètement positif, soit négatif et inverse. Il se peut aussi qu'il y ait dans notre être une force consciente, une puissance, une volonté plus vastes, inconnues de nous, derrière cette action involontaire — sinon une volonté, du moins une certaine force qui engendre elle-même l'action ou bien répond aux contacts, aux suggestions, aux stimulations de l'Énergie universelle. Nous savons que, dans la Nature
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aussi, les choses stables, inertes ou passives sont néanmoins maintenues dans leur énergie par un mouvement secret et ininterrompu, une énergie en action soutenant l'immobilité apparente. Là aussi, par conséquent, tout est dû à la présence de la Shakti, à l'action de son pouvoir concentré, à son Tapas. Mais au-delà — au-delà de cet aspect relatif, de ce rapport entre état statique et kinesis —, nous découvrons que nous avons le pouvoir d'arriver à ce qui nous semble être une passivité ou une immobilité absolues de notre conscience où cesse toute activité mentale et physique. Il y aurait dès lors une conscience active, en laquelle la conscience agit en tant qu'énergie projetant connaissance et activité hors d'elle-même, et qui est caractérisée par le Tapas, et une conscience passive en laquelle la conscience n'agit pas comme énergie, mais existe simplement comme un état, et qui est donc caractérisée par l'absence de Tapas ou force en action. L'apparente absence de Tapas dans cet état est-elle réelle, ou une distinction effective de ce genre existe-t-elle en Satchidânanda ? On affirme que oui : l'état duel du Brahman — repos et création —, est en vérité l'une des distinctions les plus importantes et les plus fécondes de la philosophie indienne ; c'est en outre, un fait de l'expérience spirituelle.
Maintenant, il nous faut, en premier lieu, noter que cette passivité intérieure nous conduit d'une connaissance particulière et fragmentée à une connaissance plus grande, une et unificatrice, et, en second lieu, que si, dans l'état de passivité, nous nous ouvrons entièrement à ce qui est au-delà, nous pouvons prendre conscience d'un Pouvoir qui agit sur nous et sentir qu'il n'est pas nôtre dans un sens égoïste et limité, mais qu'il est universel ou transcendantal, et que ce Pouvoir œuvre par notre intermédiaire en vue d'un plus grand jeu de la Connaissance, un plus grand jeu de l'énergie, de l'action et des résultats dont nous sentons aussi qu'ils appartiennent, non point à nous mais au Divin, à Satchidânanda, et que nous n'en sommes que le champ ou le canal. Dans les deux cas, le résultat se produit parce que notre conscience individuelle se repose de son action ignorante et limitée et s'ouvre au suprême état statique ou à l'action suprême. Dans le second cas, celui de l'ouverture la plus dynamique, il y a un pouvoir et un jeu de la connaissance et de l'action, et cela, c'est Tapas; mais dans le premier aussi, dans la conscience statique, il y a évidemment un pouvoir de connaissance et une concentration de connaissance, ou tout au moins une concentration de conscience dans l'immobilité et une réalisation de soi, et cela aussi est
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Tapas. Dès lors, il semblerait que le Tapas, la concentration du pouvoir de la conscience, soit le caractère propre à la conscience passive aussi bien qu'à la conscience active du Brahman, et que notre propre passivité aussi ait le caractère d'un Tapas invisible, qui lui sert de soutien et d'instrument. C'est une concentration d'énergie de la conscience qui, tant qu'elle dure, soutient toute création, toute action et toute kinesis ; mais c'est aussi une concentration du pouvoir de la conscience qui soutient intérieurement ou imprègne tout état, même la plus immobile passivité, même une immobilité infinie ou un silence éternel.
On peut dire cependant que ce sont en définitive deux choses différentes, comme l'indiquent leurs résultats opposés. En effet, recourir à la passivité du Brahman conduit à la cessation de cette existence, et le recours au Brahman actif, sa continuation. Mais là encore, notons que cette distinction naît d'un mouvement de l'âme individuelle passant d'une position à une autre, de la position de la conscience du Brahman dans le monde, où elle est un pivot de l'action universelle, à la position ou vers la position de la conscience du Brahman au-delà, où elle est un pouvoir de retenir l'énergie hors de l'action universelle. En outre, si c'est par l'énergie du Tapas que la force de l'être se répand dans l'action cosmique, c'est également par l'énergie du Tapas que s'accomplit le retrait de cette force d'être. La conscience passive du Brahman et sa conscience active ne sont pas deux choses différentes, contradictoires et incompatibles : elles sont la même conscience, la même énergie qui, à une extrémité", est dans un état de recueillement, et, à l'autre, se projette dans un mouvement de don de soi et de déploiement; d'un côté, l'immobilité d'un réservoir et, de l'autre, l'écoulement des eaux par ses canaux. En fait, derrière toute activité il y a, et il doit y avoir, un pouvoir d'être passif d'où elle émerge, qui la soutient et même, nous le voyons en fin de compte, la gouverne en secret sans être totalement identifié à elle — c'est-à-dire, en tout cas, sans se déverser entièrement dans l'action au point qu'il soit impossible de l'en distinguer. Pareille identification, qui entraîne un épuisement total, est impossible ; car il n'est pas d'action, si vaste soit-elle, qui épuise le pouvoir originel d'où elle provient, ne laissant rien derrière elle en réserve. Lorsque nous reprenons position dans notre être conscient, lorsque nous nous tenons en retrait de notre action et voyons comment elle s'accomplit, nous découvrons que c'est notre être tout entier qui se trouve derrière tout acte particulier ou toute somme d'activités, qu'il est passif dans le reste de son intégralité, actif
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dans sa distribution limitée d'énergie ; mais cette passivité n'est pas une inertie impuissante, c'est une position où l'énergie se tient en réserve, Une vérité analogue doit s'appliquer plus complètement encore à l'être conscient de l'Infini, dont le pouvoir, dans le silence de l'état statique comme dans la création, doit aussi être infini.
La question, pour le moment, n'est pas de savoir si la passivité d'où tout émerge est absolue ou seulement relative à l'action observable, en retrait de laquelle elle se tient. Il suffit de noter ceci : bien que nous fassions la distinction pour faciliter la tâche à notre mental, il n'y a pas un Brahman passif et un Brahman actif, mais un seul Brahman, une Existence qui garde Son Tapas en réserve dans ce que nous appelons passivité et se donne Elle-même dans ce que nous appelons Son activité. Aux fins de l'action, tels sont les deux pôles d'un être unique, ou un double pouvoir nécessaire à la création. L'action, en son circuit, part de ta rétention, et y reconduit probablement les énergies qui s'en sont écoulées pour les reprojeter en un nouveau circuit. La passivité du Brahman est le Tapas, la concentration de Son être absorbé en lui-même — une concentration recueillie de Son énergie immobile ; l'activité est le Tapa's de Son être, libérant ce qu'il contenait en cette incubation, le délivrant dans la mobilité et voyageant en un million de vagues d'action, encore absorbé en chacune au cours de son voyage et libérant en elles les vérités et les potentialités de l'être. Là aussi, il y a concentration de force, mais c'est une concentration multiple, que nous prenons pour une diffusion. En réalité, ce n'est pas une diffusion, mais un déploiement ; le Brahman ne projette pas Son énergie hors de Lui pour qu'elle soit perdue dans quelque vide extérieur irréel, mais la garde active au-dedans de Soin être,où elle n'est ni fragmentée, ni diminuée au cours de tout le processus continuel de conservation et de transmutation. La passivité est une grande conservation de Shakti, de Tapas, soutenant une multiple mise eh mouvement et une transmutation en formes et en événements ; l'activité est une conservation de Shakti, de Tapas, dans le mouvement et la transmutation. En le Brahman comme en nous-mêmes, elles existent l'une par rapport à l'autre et coexistent simultanément, étant les deux pôles de l'action d'une Existence unique.
La Réalité n'est donc ni une éternelle passivité de l'Être immobile, ni une éternelle activité de l'Être en mouvement, ni une alternance des deux, dans le temps. Aucune n'est en fait la seule vérité absolue de la
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réalité du Brahman ; leur opposition n'est vraie pour Lui que par rapport aux activités de Sa conscience. Quand nous percevons le déploiement de l'énergie consciente de Son être dans l'action universelle, nous L'appelons le Brahman actif mobile ; quand nous percevons la rétention simultanée de l'énergie consciente de Son être, retirée de l'action, nous L'appelons le Brahman passif immobile — Saguna et Nirguna, Kshara et Akshara, autrement les termes n'auraient aucun sens ; car il y a une seule réalité 'et non pas deux réalités indépendantes, l'une immobile, l'autre mobile. Dans la conception ordinaire de l'évolution de l'âme dans l'action, pravritti, et de son involution dans la passivité, nivritti, on suppose que dans l'action l'âme individuelle devient ignorante, non-consciente de son être passif, qui serait son être vrai et que dans la passivité elle finit par perdre toute conscience de son être actif, considéré comme son être faux ou seulement apparent. Mais c'est parce que, pour nous, ces deux mouvements se produisent alternativement, comme en notre sommeil et notre état de veille ; à l'état de veille, nous entrons dans la non-conscience de notre état de sommeil, et dans le sommeil, dans la non-conscience de notre être de veille. Toutefois, il en est ainsi parce que .seule une partie de notre être effectue ce mouvement alternatif et nous pensons à tort que nous sommes seulement cette existence partielle ; or nous pouvons découvrir, par une expérience psychologique plus profonde, qu'un être plus vaste, en nous, est parfaitement conscient de tout ce qui arrive, même en cet état qui, pour notre être partiel et superficiel, est une inconscience; il n'est limité ni par le sommeil ni par la veille. De même en est-il de nos rapports avec le Brahman, qui est notre être réel et intégral. Par ignorance, nous nous identifions à une conscience seulement partielle, mentale ou spirituelle-mentale en; sa nature, qui, du fait du mouvement, perd conscience de son moi statique; en cette partie de notre être, quand nous perdons le mouvement, nous perdons en même temps toute prise sur notre moi dynamique, car nous entrons dans la passivité; .Par une entière passivité, le mental s'endort ou entre en transe, ou bien trouve sa délivrance dans un silence spirituel; mais bien que ce soit une libération hors de l'ignorance de l'être partiel dans Je flux de son action, on l'obtient en revêtant une nescience lumineuse de la Réalité dynamique ou en s'en séparant lumineusement : l'être spirituel-mental demeure absorbé en un état d'existence statique, silencieux, essentiel et devient soit incapable de conscience active, ou bien répugne à toute activité; ce silence libérateur est un état par lequel l'âme passe en .son voyage vers. l'Absolu. Mais il y a un; plus grand
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accomplissement de notre être vrai et intégral où les aspects statique et dynamique du moi sont libérés et accomplis en Cela qui les soutient tous deux et qui n'est limité ni par l'action, ni par le silence.
Le Brahman, en effet, ne passe pas alternativement de la passivité à l'activité et de nouveau à la passivité par l'arrêt de Sa force d'être dynamique. Si telle était la vraie vérité de la Réalité intégrale, alors, tant que durerait l'univers, il n'existerait pas de Brahman passif, tout serait action, et si notre univers était dissous, il n'y aurait pas de Brahman actif, ce serait la fin de toute chose et un repos immobile. Mais tel n'est pas le cas, car nous pouvons devenir conscients d'une passivité éternelle et d'un calme concentré, pénétrant et soutenant toute l'activité cosmique et tout son multiple mouvement concentré, — ce qui ne pourrait être si, tant que se poursuit une activité quelconque, la passivité concentrée ne la soutenait et n'existait en elle. Le Brahman intégral jouit simultanément de la passivité et de l'activité et ne passe pas alternativement de l'une à l'autre comme d'un état de sommeil à un état de veille : seule une activité partielle en nous paraît le faire, et en nous identifiant à elle nous avons l'illusion de cette alternance de deux nesciences ; mais notre être vrai, notre être intégral n'est pas soumis à ces contraires et il n'a pas besoin de perdre conscience de son moi dynamique pour posséder son moi de silence. Lorsque nous atteignons à la connaissance intégrale et à la libération intégrale de l'âme et de la nature, délivrées des incapacités de l'être restreint, partiel et ignorant, nous aussi pouvons jouir simultanément de la passivité et de l'activité, dépasser ces deux pôles de l'universalité, n'être limités ni par l'un ni par l'autre de ces pouvoirs du Moi en sa relation ou son absence de relation avec la Nature.
Le Suprême, déclare la Gîta, dépasse et le moi immobile et l'être mobile ; même réunis, ils ne représentent pas tout ce qu'il est. Car de toute évidence, lorsque nous disons qu'il les possède simultanément, nous ne voulons pas dire qu'il soit la somme d'une passivité et d'une activité, un nombre entier constitué de ces deux fractions, passif aux trois quarts et actif dans le dernier quart de son existence. En ce cas, le Brahman pourrait être une somme de nesciences, dont les trois quarts passifs seraient non seulement indifférents à tout ce que fait la partie active, mais l'ignoreraient complètement, le quart actif étant tout à fait inconscient de la passivité et incapable de la posséder autrement qu'en arrêtant l'action. Et même, la somme Brahman pourrait s'avérer être
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quelque chose de bien différent de ses deux parties, quelque chose, pour ainsi dire, d'élevé et de distant, d'irresponsable, ignorant tout ce qu'une Maya mystique ferait obstinément, et, en même temps, s'abstiendrait rigoureusement de faire dans les deux parties de son existence à Lui. Cependant il est clair que le Brahman, l'Être suprême, doit être conscient et de la passivité et de l'activité, et les considérer non comme son être absolu, mais comme des termes opposés et néanmoins mutuellement satisfaisants de ses universalités. Il ne peut être vrai que le Brahman, par une éternelle passivité, soit inconscient et entièrement séparé de ses propres activités ; libre, il les contient en lui-même, les soutient par son éternel pouvoir de calme, les met en mouvement depuis l'éternel équilibre de son énergie. Il n'est pas vrai non plus que le Brahman, en son activité, soit inconscient ou séparé de sa passivité; omniprésent, il est là, soutenant l'action, la possédant toujours au cœur du mouvement, et il est éternellement calme, immobile, libre et bienheureux dans tout le tourbillon de ses énergies. Pas davantage ne peut-il, dans le silence ou dans l'action, être inconscient de son être absolu ; il sait que tout ce qu'il exprime par leur intermédiaire tire sa valeur et son pouvoir de la puissance de cette existence absolue. Si, dans notre expérience, il semble en être autrement, c'est parce que nous nous identifions avec un seul aspect et que, du fait de cet exclusivisme, nous ne pouvons nous ouvrir à la Réalité intégrale.
Il s'ensuit nécessairement un premier résultat important, déjà atteint à partir d'autres points de vue, à savoir que l'origine de l'existence de l'Ignorance et le point de départ de ses activités de division ne peuvent exister dans le Brahman absolu ou dans le Satchidânanda intégral. L'Ignorance n'appartient qu'à une action partielle de l'être avec laquelle nous nous identifions, tout comme dans le corps nous nous identifions avec cette conscience partielle et superficielle qui passe alternativement du sommeil à la veille: en fait, c'est cette identification écartant tout le reste de la Réalité à l'arrière-plan, qui est la cause constitutive de l'Ignorance. Et si l'Ignorance n'est ni un élément, ni un pouvoir propres à la nature absolue du Brahman ou à Son intégralité, il ne peut y avoir d'Ignorance originelle ou primordiale. La Maya, si elle est un pouvoir originel de la conscience de l'Éternel, ne peut elle-même être une ignorance ni, en aucune manière, s'apparenter à la nature de l'ignorance; elle doit être un pouvoir transcendant et universel de la connaissance de soi et de tout ; l'ignorance ne peut intervenir que comme mouvement
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mineur et subséquent, partiel et relatif. Est-elle donc quelque chose d'inhérent à la multiplicité des âmes ? Existe-t-elle dès que le Brahman se voit dans la multiplicité, et cette multiplicité se compose-t-elle d'une somme d'âmes dont chacune, en sa nature, est fractionnaire et séparée, en conscience, de toutes les autres, incapable de les percevoir autrement que comme des choses qui lui sont étrangères, rattachées tout au plus par la communication de corps à corps ou de mental à mental, mais incapables d'unité? Or, nous avons vu que c'est là seulement ce que nous semblons être dans la couche la plus superficielle de notre conscience, dans le mental extérieur et le physique; quand nous nous retirons dans une action plus subtile, plus profonde, plus vaste de notre conscience, nous constatons que les murs de séparation s'amincissent et qu'à la fin il n'y en a plus, qu'il n'y a plus d'Ignorance.
Le corps est le signe extérieur et l'assise la plus basse de la division apparente dont, en plongeant dans l'ignorance et la nescience de soi, la Nature fait un point de départ pour que l'âme individuelle recouvre l'unité, même au milieu des formes les plus exagérées de sa conscience multiple. Les. corps ne peuvent communiquer entre eux que par des moyens extérieurs et qu'à travers un gouffre d'extériorité ; ils ne peuvent se pénétrer mutuellement qu'en divisant le corps pénétré ou en profitant d'une brèche en lui, d'une division préexistante; ils ne peuvent s'unir qu'en se morcelant et en se dévorant, en s'avalant et en s'absorbant jusqu'à une assimilation, ou tout au plus une fusion où les deux formes disparaissent. Le mental aussi est entravé par les limitations du corps, lorsqu'il s'identifie à lui; mais en lui-même, il est plus subtil et deux mentais peuvent se pénétrer sans heurt ni division, peuvent échanger leur substance sans se blesser mutuellement, peuvent d'une certaine manière devenir une partie l'un de l'autre ; néanmoins, le mental a, lui aussi, sa forme propre qui tend à le séparer des autres et il est enclin à se fonder sur cette séparativité. Lorsque nous recouvrons la conscience de l'âme, les obstacles à l'unité diminuent et, pour finir, cessent entièrement d'exister. L'âme peut s'identifier à d'autres âmes en sa conscience, peut les contenir et y pénétrer, y être contenue elle-même, et réaliser son unité avec elles — pas dans un sommeil sans traits et indistinct, un Nirvana où toutes les distinctions et toutes les individualités de l'âme, du mental et du corps sont perdues, mais dans un état parfaitement éveillé où l'âme observe toutes les distinctions et en tient compte, mais les dépasse.
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L'ignorance .et la division auto-limitative ne sont donc pas insurmontables et inhérentes à la multiplicité des âmes, ne sont pas la nature même de la multiplicité du Brahman. De même qu'il est au-delà de la passivité et de l'activité, le Brahman transcende l'unité et la multiplicité. Il est un en soi, mais sans que son unité le limite ou exclue le pouvoir d'être multiple, comme il en est de l'unité séparée du corps et du mental ; il n'est pas le nombre entier, l'un mathématique, qui ne peut contenir la centaine, et lui est donc inférieur. Il contient la centaine, il est un dans chacun des cent. Un en lui-même, il est un dans le multiple et le multiple est un en lui. Autrement dit, le Brahman en l'unité de son Esprit est conscient de sa multiplicité d'âmes et, dans la conscience de ses âmes multiples, est conscient de l'unité de toutes. En chaque âme, lui, l'Esprit immanent, le Seigneur en chaque cœur, est conscient de son unicité. Le Jivâtman illuminé par lui, conscient de son unité avec l'Un, est également conscient de son unité avec le multiple. Notre conscience superficielle, identifiée avec le corps, avec la vie divisée et avec le mental diviseur, est ignorante ; mais elle aussi peut être illuminée et rendue consciente. La multiplicité n'est donc pas la cause nécessaire de l'ignorance.
Comme nous l'avons déjà dit, l'ignorance intervient à un stade ultérieur, comme mouvement ultérieur, quand le mental est séparé de sa base spirituelle et supramentale ; elle culmine dans cette vie terrestre où la conscience individuelle dans le multiple s'identifie, par le mental diviseur, avec la forme, qui est la seule base sûre de division. Mais qu'est-ce que la forme ? Elle est, ou du moins nous paraît être ici-bas, une formation d'énergie concentrée, un nœud de la force de la conscience en son mouvement, un nœud dont l'existence est maintenue par un perpétuel tourbillon d'activité; mais quelle que soit la vérité ou la réalité transcendante dont elle découle ou qu'elle exprime, elle n'est, en aucune partie d'elle-même dans la manifestation, durable ou éternelle. Elle n'est pas éternelle en son intégralité, ni en ses atomes constitutifs, car ils peuvent être désintégrés par la dissolution de ce nœud d'énergie dont l'action constante et concentrée est seule à pouvoir maintenir leur apparente stabilité. C'est par la concentration d'un mouvement de force de Tapas sur la forme, qui maintient cette forme en vie, que la base physique de la division est établie. Mais, comme nous l'avons vu, toutes choses dans l'activité sont une concentration d'un mouvement de force de Tapas sur son objet. Il faut donc chercher l'origine de l'Ignorance dans quelque concentration absorbée de Tapas, de la Force-Consciente
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en action, sur un mouvement séparé de la Force ; pour nous, cela prend l'apparence d'un mental s'identifiant au mouvement séparé et s'identifiant aussi, dans le mouvement, séparément avec chacune des formes qui en résultent. Ainsi se construit un mur séparateur qui, enfermant la conscience dans chaque forme, l'empêche de prendre conscience de son propre moi total, des autres consciences incarnées et de l'être universel. C'est ici que nous devons chercher le secret de l'ignorance apparente de l'être mental incarné, comme celui de la grande inconscience apparente de la Nature physique. Nous devons nous demander quelle est la nature de cette concentration absorbante, séparatrice et oublieuse de soi qui est l'obscur miracle de l'univers.
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Du feu allumé de l'Énergie de la Conscience, naquirent la Vérité et la Loi de la Vérité; de cela naquit la Nuit, de la Nuit le mouvant océan de l'être.
Rig-Véda. X. 19.0.1.
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Puisque le Brahman, en l'essence de son être universel, est une unité et une multiplicité, conscientes l'une de l'autre et l'une en l'autre, et puisqu'on sa réalité il est quelque chose qui dépasse l'Un et le Multiple, les contenant tous deux, conscient des deux, l'Ignorance ne peut survenir que comme un phénomène subordonné, par une concentration de la conscience absorbée en une connaissance ou une action partielles de l'être, et excluant tout le reste. Il peut y avoir soit une concentration de l'Un en lui-même à l'exclusion du Multiple, ou une concentration des Multiples en leur propre action, à l'exclusion de la conscience totale de l'Un, soit une concentration de l'être individuel en lui-même à l'exclusion de l'Un et du reste de la Multiplicité qu'il considère alors comme des unités séparées qui ne sont pas incluses dans sa prise de conscience directe. Ou encore, il peut y avoir, ou intervenir à un certain point, une règle générale de concentration exclusive, opérant dans ces trois directions, une concentration de conscience active séparatrice dans un , mouvement séparateur ; mais cela se produit, non dans le vrai moi, mais dans la force de l'être actif, dans la Prakriti.
Nous adoptons cette hypothèse de préférence aux autres, parce qu'aucune d'entre elles, prise séparément, ne peut rassembler tous les faits de l'existence ni s'accorder avec eux. Le Brahman intégral ne peut être, en son intégralité, la source de l'Ignorance, car, en sa nature même, son intégralité est une conscience totale. En son être conscient intégral, l'Un ne peut exclure de lui le Multiple, car le Multiple, alors, n'existerait pas du tout ; il peut tout au plus, quelque part en sa conscience, se tenir en retrait du jeu cosmique de façon à permettre un mouvement similaire dans l'être individuel. En son intégralité ou en chacun de ses moi, le Multiple ne peut être réellement ignorant de l'Un ou des autres ; par Multiple, en effet, nous entendons le même Moi divin en tous, individualisé certes, et cependant un en Son être conscient avec tous dans une seule et même universalité, et un, également, avec l'Être originel
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et transcendant. 'L'Ignorance n'est donc pas le caractère naturel de la conscience de l'âme, même de l'âme individuelle ; c'est le résultat d'une certaine action particularisante dans la Force-Consciente exécutrice quand, absorbée en ses œuvres, elle oublie le moi et la réalité totale de la nature. Cette action ne peut être celle de l'être entier ou de l'entière force d'être -— le caractère de cette intégralité étant une conscience totale et non une conscience partielle —, ce doit être un mouvement superficiel ou fragmentaire absorbé dans une action superficielle ou fragmentaire de la conscience et de l'énergie, concentrée en sa formation, oublieuse de tout le reste, qui n'est pas compris dans sa formation ou n'y opère pas ouvertement. L'Ignorance est l'oubli volontaire du Moi et du Tout par la Nature, qui les tient à l'écart, à l'arrière-plan, afin de n'accomplir que ce qu'elle a à faire en quelque jeu extérieur de l'existence.
Dans l'infinité de l'être et dans sa prise de conscience infinie, la concentration de la conscience, Tapas, est toujours présente comme pouvoir inhérent de la Conscience-Force: c'est cette Perception éternelle qui, retenue ou recueillie en soi, se concentre en elle-même et sur elle-même ou sur son objet; mais d'une manière ou d'une autre, l'objet est toujours elle-même, son propre être ou une manifestation et un mouvement de son être. La concentration peut être essentielle; et même en demeurant exclusivement ou en s'absorbant entièrement dans l'essence de son être, elle peut être une immersion en soi, lumineuse ou bien oublieuse d'elle-même. Ou elle peut être une concentration intégrale, ou encore une concentration totale-multiple ou partielle-multiple. Ou elle peut être un simple regard séparateur sur un seul domaine de son être ou de son mouvement, une concentration exclusive sur un seul centre ou une absorption dans une seule forme objective de son existence en soi. La première, l'essentielle, est, à une extrémité, le Silence supraconscient et, à l'autre, l'Inconscience; la seconde, l'intégrale, est la conscience totale de Satchidânanda, la concentration supramentale ; la troisième, la multiple, est la méthode de la prise de conscience surmentale, totalisante ou globale; la quatrième, la séparatrice, est la nature caractéristique de l'Ignorance. La suprême intégralité de l'Absolu réunit tous ces états ou pouvoirs de sa conscience en un être unique et indivisible se regardant tout entier dans la manifestation grâce à une vision de soi simultanée.
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On peut donc dire que la concentration, considérée comme une attention maintenue et dirigée en soi ou sur soi en tant qu'objet, appartient é la nature même de l'être conscient. En effet, bien qu'il y ait une expansion infinie et une diffusion de la conscience, cette expansion ou cette diffusion sont maintenues et contenues en elles-mêmes. Bien qu'il semble y avoir une dispersion des énergies de la conscience, c'est en réalité une forme de distribution et elle n'est possible que dans un domaine superficiel parce qu'elle est soutenue par une concentration sous-jacente qui se maintient elle-même. Une concentration exclusive sur ou en un seul sujet, objet ou domaine être ou mouvement, n'est pas une négation ou un abandon de la prise de conscience de l'Esprit, c'est une forme de recueillement en soi du pouvoir de Tapas. Mais quand la concentration est exclusive, le reste de la connaissance de soi se trouve retenu é l'arrière-plan. Elle peut être consciente du reste tout le temps et cependant agir comme si elle ne l'était pas; ce ne serait pas un état ou un acte d'Ignorance; mais si, par la concentration, la conscience érige un mur d'exclusion et se limite é un seul champ, un seul domaine ou une seule habitation dans le mouvement au point de n'avoir conscience que de cela ou être consciente de tout le reste comme lui étant extérieur, alors nous avons un principe de connaissance auto-limitative qui peut aboutir é une connaissance séparatrice et culminer en une ignorance effective et réelle.
Nous pouvons avoir un aperçu de ce que cela signifie, et représente dans l'action, quand nous examinons la nature de la concentration exclusive chez l'homme mental, dans notre propre conscience. Tout d'abord, nous devons noter que ce que nous entendons d'ordinaire par homme n'est pas son moi intérieur, mais seulement la somme d'un mouvement de conscience et d'énergie apparemment continu dans le passé, le présent et le futur à quoi nous donnons ce nom. C'est cela qui, en apparence, accomplit toutes les œuvres de l'homme, pense toutes ses pensées, ressent toutes ses émotions. Cette énergie est un mouvement de la Conscience-Force concentrée sur un courant temporel d'activités tournées vers l'intérieur et vers l'extérieur. Mais nous savons que derrière ce courant d'énergie s'étend tout un océan de conscience qui perçoit le courant, mais que le courant ne perçoit pas ; car cette somme d'énergie de surface est une sélection, un produit de tout le reste, qui est invisible. Cet océan est le moi subliminal, l'être supraconscient, l'être subconscient, l'être intraconscient, l'être circumconscient, et, les maintenant tous unis,
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l'âme, l'entité psychique. Le courant est l'homme naturel superficiel. Chez cet homme de surface, Tapas, la force dynamique de conscience de l'être, est concentrée à la surface dans une certaine masse d'activités superficielles ; tout le reste, il l'a mis en retrait et peut en être vaguement conscient dans l'arrière-plan non formulé de son existence consciente, mais pas dans ce mouvement absorbé et superficiel au premier plan. Cela ne veut pas dire — en tout cas dans cet arrière-plan ou dans les profondeurs — qu'il soit ignorant de lui-même, au sens fondamental de e& terme ; mais pour les besoins de son mouvement de surface, et dans les seules limites de ce mouvement, il oublie son moi réel, son moi plus grand, en s'absorbant, en se concentrant exclusivement sur ce qu'il fait à la surface. Et pourtant, c'est en réalité l'océan caché et non le courant superficiel qui accomplit toute l'action ; c'est l'océan qui est la source de ce mouvement, non la vague consciente qu'il projette, quoi que puisse en penser la conscience de la vague, qui est absorbée en son mouvement, vit en lui et ne voit rien d'autre que lui. Et cet océan, qui est le moi réel, l'être conscient intégral, l'intégrale force d'être, n'est pas dans l'ignorance ; même la vague n'est pas essentiellement ignorante — car elle garde en elle toute la conscience qu'elle a oubliée et, sans elle, ne pourrait aucunement agir ni durer —, mais elle s'oublie, elle est absorbée en son propre mouvement, trop absorbée pour rien noter d'autre que le mouvement tant qu'il continue de la préoccuper. Un oubli de soi pratique et limité, non une essentielle et inévitable ignorance de soi, telle est la nature de cette concentration exclusive qui n'en est pas moins la racine de ce qui, dans l'action, prend la forme de l'Ignorance.
Et nous voyons également, et pour les mêmes raisons, que l'homme, bien qu'il soit un courant réellement indivisible de Tapas, d'énergie consciente dans le Temps, et qu'il ne puisse agir dans le présent que par la force accumulée de ses activités passées, créant déjà son avenir par son passé et son action présente, vit cependant absorbé dans le moment présent, de moment en moment, et, par conséquent, dans cette .action superficielle de la conscience ; il ignore son avenir et ignore son passé, à l'exception de la petite partie qu'il peut à tout moment rappeler à lui grâce à la mémoire. Toutefois, il ne vit pas dans le passé; ce qu'il se rappelle n'est pas le passé lui-même, mais seulement son fantôme, ombre conceptuelle d'une réalité qui, pour lui, est morte à présent, non existante, qui a cessé d'être. Mais tout cela est une action de l'ignorance superficielle. La vraie conscience au-dedans n'a pas perdu conscience de
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son passé ; elle le retient là, non pas nécessairement en mémoire mais en être, encore actif, vivant, prêt à donner ses fruits et, de temps à autre, l'envoie à l'être conscient de surface sous forme de souvenir ou, plus concrètement, de résultat d'actions passées ou de causes passées — telle est, en fait, la vraie justification de ce que l'on appelle Karma. Elle est ou peut être aussi consciente de l'avenir, car il y a quelque part dans l'être intérieur un domaine de cognition ouvert à la connaissance du futur, un sens, une vision, une perception du Temps prospective aussi bien que rétrospective ; quelque chose en elle vit .indivisiblement dans les trois temps et contient toutes leurs divisions apparentes, garde en elle l'avenir prêt à se manifester. Ici, dans cette habitude de vivre dans le présent, nous avons donc une seconde absorption, une seconde concentration exclusive qui complique et limite encore .l'être, mais simplifie le cours apparent de l'action en le rattachant, non pas au cours entier, infini du Temps, mais à une succession définie de moments.
Dans sa conscience superficielle, l'homme est donc pour lui-même, de façon dynamique et pratique, l'homme du moment, non l'homme du passé qui fut mais n'existe plus, ni l'homme du futur qui n'est pas encore; c'est par la mémoire qu'il se rattache à l'un, par l'anticipation à l'autre; un sens de l'ego traverse continûment les trois temps, mais c'est une construction mentale centralisatrice, ce n'est pas une existence essentielle ou étendue contenant ce qui fut, ce qui est et ce qui sera. Une intuition du moi se trouve à l'arrière-plan, mais c'est ;une identité sous-jacente que n'affectent point les changements de sa personnalité; dans la formation superficielle de son être, il n'est pas cela mais ce qu'il est sur le moment. Toutefois, cette existence dans le moment n'est jamais la vérité réelle ou entière de son être, mais seulement une vérité pratique ou pragmatique servant les desseins du mouvement superficiel de sa vie, et dans ses limites. C'est une vérité, non une irréalité, mais une vérité seulement dans sa partie positive ; dans ses parties négatives, c'est une ignorance, et cette ignorance négative limite et souvent déforme même la vérité pratique, de sorte que la vie consciente de l'homme se déroule selon une ignorance, une connaissance partielle, mi-vraie, mi-fausse, et non selon sa vérité réelle qu'il a, d'ailleurs, oubliée. Néanmoins, son moi réel étant le vrai déterminant, et gouvernant tout secrètement de derrière le voile, c'est après tout une connaissance à l'arrière-plan qui détermine réellement le cours de son existence ainsi formée ; l'ignorance superficielle dresse un contour limitatif nécessaire et fournit les facteurs
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qui donnent à sa conscience et à son action la couleur et l'aspect extérieurs nécessaires à sa vie humaine présente et au moment présent. De la même façon et pour la même raison, l'homme s'identifie exclusivement au nom et à la forme qu'il porte dans son existence présente; il ignore son passé avant sa naissance, ainsi que son avenir après la mort. Et pourtant, tout ce qu'il oublie est contenu, présent et effectif, dans la conscience intégrale qui, en lui, retient tout.
Il y a une utilisation pragmatique mineure de la concentration exclusive à la surface qui peut également nous fournir un indice, en dépit de son caractère temporaire. Vivant de moment en moment, l'homme superficiel joue, en; quelque sorte, plusieurs rôles dans sa. vie présente et, tandis qu'il s'occupe de chaque rôle, il peut s'y concentrer exclusivement et s'y absorber, et oublier de ce fait le reste de ce qu'il est, le mettre provisoirement à l'arrière-plan et, dans cette mesure, s'oublier lui-même. L'homme est pour un temps l'acteur, le poète, le soldat ou tout ce qui a contribué à le constituer et le former, par l'action particulière et caractéristique de sa force d'être, par son Tapas, par son énergie consciente passée et l'action qui en découle. Il a non seulement tendance à se concentrer exclusivement dans une partie de lui-même, mais sa réussite dans l'action dépend pour beaucoup de sa capacité à mettre ainsi complètement de côté le reste de lui-même et à vivre seulement dans son activité immédiate. Cependant, nous pouvons à tout moment constater que c'est l'homme tout entier qui, en réalité, accomplit l'action et pas simplement cette partie spécifique de lui-même. Ce qu'il fait, la façon dont il le fait, les éléments qu'il apporte, le sceau dont il marque son œuvre, tout cela dépend de son caractère, de son mental, de ses connaissances, de son génie, de tout ce que son passé a fait de lui — son passé non seulement dans cette vie, mais en d'autres vies, et non seulement même son propre passé, mais le passé, le présent et l'avenir prédestiné de son être et du monde autour de lui, car ce sont eux qui déterminent son œuvre. L'acteur, le poète ou le soldat actuels en lui ne sont qu'une détermination séparatrice de son Tapas ; c'est sa force d'être organisée pour une action particulière de son énergie, un mouvement séparateur du Tapas qui est capable — et cette capacité n'est pas une faiblesse, une déficience, mais un grand pouvoir de la conscience —, de s'absorber en cette opération particulière jusqu'à s'oublier lui-même provisoirement dans tout le reste de son être, bien que ce reste soit tout le temps présent à l'arrière-plan de sa conscience et dans le travail lui-même,
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et agisse ou influe sur le façonnement de l'oeuvre. Cet oubli de soi actif de l'homme dans son travail et dans le rôle qu'il joue, diffère de l'autre, l'oubli de soi plus profond, dans la mesure où le mur de séparation est moins complet sur le plan phénoménal et que sa durée est très limitée ; le mental peut dissoudre sa concentration et abandonner son travail à tout moment pour retourner à la conscience du moi plus vaste dont ce travail était une action partielle. L'homme superficiel ou apparent ne peut donc revenir quand il veut à l'homme intérieur réel ; il en est capable jusqu'à un certain point seulement, de façon anormale ou supranormale, dans des conditions exceptionnelles de sa mentalité ; mais d'une manière plus permanente et complète, c'est le fruit d'un entraînement long et ardu, d'un approfondissement, d'une élévation, d'un élargissement de soi. Il peut néanmoins y parvenir; la différence n'est donc que phénoménale, elle n'est pas essentielle ; dans les deux cas, c'est essentiellement le même mouvement de concentration exclusive, d'absorption dans un aspect particulier de lui-même, dans une action et un mouvement particuliers de force, quoique les circonstances soient différentes, et différent aussi le mode d'action.
Ce pouvoir de concentration exclusive ne se limite pas à cette absorption dans un des aspects, un des modes d'action particuliers de notre moi plus vaste, il va jusqu'à un complet oubli de soi dans l'action même où nous nous trouvons présentement engagés. Dans les moments de grande intensité, l'acteur oublie qu'il est un acteur et devient le rôle qu'il joue sur la scène; non qu'il se prenne réellement pour Rama ou pour Râvana, mais il s'identifie momentanément avec le caractère et l'action spécifiques que le nom représente, et si complètement qu'il en oublie l'homme réel qui joue ce rôle. De même le poète s'oublie lui-même dans son œuvre, il oublie l'homme, l'artisan, et il n'est pour un temps que l'énergie impersonnelle inspirée qui s'exprime sous forme de mots et de rythmes. Il oublie tout le reste. Le soldat s'oublie dans l'acte et devient l'assaut, la fureur et le carnage. De même, l'homme en proie à une grande colère s'oublie, comme on le dit couramment, ou, selon une autre formule plus appropriée et plus frappante encore, il devient la colère. Ces termes expriment une vérité réelle, qui n'est pas l'entière vérité de l'être de cet homme à ce moment précis, mais un fait pratique de son énergie consciente en action. Il s'oublie effectivement, oublie tout le reste de son être, ses autres impulsions et ses autres pouvoirs qui lui permettent de se modérer et de se gouverner lui-même, en sorte qu'il
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agit simplement comme une énergie de la passion qui l'obsède, devient momentanément cette énergie. Dans la psychologie humaine habituelle, tournée vers l'action, l'oubli de .soi ne peut guère aller plus loin, car il doit bientôt revenir à la conscience plus vaste et consciente de soi dont cet oubli n'est qu'un mouvement temporaire.
Dans la 'conscience universelle plus vaste, il doit cependant exister un pouvoir d'amener ce mouvement à son point absolu, au degré ultime que puisse atteindre un mouvement relatif, et ce point est atteint non dans l'inconscience humaine, qui est impermanente et se rapporte toujours à l'être conscient éveillé que l'homme est normalement et naturellement, mais dans l'inconscience de la Nature matérielle. Cette inconscience n'est pas plus réelle que l'ignorance de la concentration exclusive qui, dans notre être temporaire, limite la conscience de veille ; nous savons en effet que dans l'atome, le métal, la plante, en chaque forme de la Nature matérielle et en chacune de ses énergies, il y a, comme en nous, une âme secrète, une volonté secrète, une secrète intelligence qui est à l'œuvre, différentes de la forme muette oublieuse de soi ; c'est le Conscient — conscient même en les choses inconscientes — de l'Upanishad, et sans sa présence et sa Force-consciente, Tapas, qui l'imprègne, nulle œuvre de la Nature ne pourrait s'accomplir. Ce qui est ici inconscient, c'est la Prakriti, c'est l'action formatrice et dynamique de l'énergie absorbée dans son activité, identifiée à elle, au point d'être liée dans une sorte de transe ou d'évanouissement dus à la concentration, et incapable, tant qu'elle est prisonnière de cette forme, de revenir à son moi réel, à l'être conscient intégral et à la force intégrale de l'être conscient qu'elle a mis à l'arrière-plan et qu'elle a oublié en sa transe extatique de pure activité et d'énergie. La Prakriti, la Force exécutrice, perd conscience du Purusha, l'Être Conscient ; elle le tient caché en elle et n'en reprend lentement conscience qu'avec l'émergence de la conscience hors de cet évanouissement dans l'Inconscience. Le Purusha consent en fait à revêtir la forme apparente de lui-même que la Prakriti construit pour lui ; il semble devenir l'Inconscient, l'être physique, l'être vital, l'être mental ; mais en tout cela, il demeure en réalité lui-même. La lumière de l'Être conscient secret soutient et imprègne l'action de l'énergie inconsciente — ou émergeant à la conscience — de la Nature.
. L'inconscience est superficielle, comme le sont l'ignorance du mental humain à l'état de veille et l'inconscience ou la subconscience de
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son mental en sommeil, et, en elle, se trouve le Tout-conscient. Elle n'est que phénoménale, mais elle est le phénomène complet — si complet que c'est seulement par une' impulsion de la conscience évolutive émergeant en d'autres formes moins prisonnières de ce mode d'action inconscient qu'elle peut revenir à elle, recouvrer une conscience partielle en l'animal; puis, en l'homme ayant atteint son niveau le plus haut, apparaît la première ébauche, superficielle mais déjà plus complète, d'un fonctionnement vraiment conscient. Et pourtant la différence n'est que phénoménale, comme c'est le cas entre l'homme superficiel et l'homme réel, où se manifeste une incapacité analogue, bien que dé, moindre importance. Dans l'ordre universel des choses, l'inconscience de la Nature matérielle est essentiellement la même concentration exclusive, la même absorption dans le travail et l'énergie que celle du mental humain qui, à l'état de veille, se limite lui-même, ou que celle du mental qui s'oublie en ses opérations; il faut que cette auto-limitation prenne la forme extrême d'un oubli de soi pour qu'elle devienne, non une action temporaire, mais la loi même de son action. La nescience dans la Nature est la complète ignorance de soi; la connaissance partielle et l'ignorance générale de l'homme constituent une ignorance de soi partielle, masquant dans l'ordre évolutif de la Nature un retour à la connaissance de soi ; mais toutes deux sont une concentration superficiellement exclusive et oublieuse du Tapas, de l'énergie consciente de l'être dans une ligne ou une section particulières de son mouvement — comme il en est, en fait, de toute forme d'ignorance. Elle n'est consciente que de cela, ou semble n'être que cela à la surface. L'ignorance est effective dans le cadre de ce mouvement et valable à ses fins, mais elle est phénoménale, partielle, superficielle, pas essentiellement réelle, ni intégrale. Il nous faut nécessairement employer le mot " réel " dans un sens très limité et non dans son sens absolu, car l'ignorance est bien réelle, mais elle n'est pas l'entière vérité de notre être, et si on la considère en soi, même sa vérité est faussement représentée à notre conscience extérieure. En sa vraie vérité, elle est une Conscience et une Connaissance involuées qui se retrouvent par l'évolution, mais elle est dynamiquement réelle en tant qu'Inconscience et Ignorance.
Telle est donc la nature fondamentale de l'Ignorance -*la vérité pratique d'une énergie consciente qui divise phénoménalement mais pas réellement, qui limite et sépare et s'absorbe en ses œuvres au point d'oublier apparemment son moi intégral et réel —, et il est maintenant
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possible de répondre aux questions concernant le pourquoi, lé où et le comment de ce mouvement. La raison d'être de l'Ignorance, sa nécessité devient suffisamment claire une fois que nous avons vu que, sans elle, l'objet de la manifestation de notre monde serait irréalisable, totalement inaccessible, ou ne pourrait être atteint complètement, ou de la manière voulue. Chaque aspect de la multiple Ignorance à sa justification, qui n'est qu'un élément de la nécessité générale unique. S'il était demeuré en son moi intemporel, l'homme n'aurait pu se jeter dans le flot du Temps et se laisser porter par son courant, de moment en moment, comme dans sa vie actuelle ;qui porte la marque de cette sujétion. Vivant dans son moi supraconscient ou son moi subliminal, il n'aurait pu construire, à partir du nœud de sa mentalité individuelle, les relations qu'il doit nouer et dénouer avec le monde qui l'entoure, ou bien il lui faudrait adopter une approche radicalement différente. Vivant dans le moi universel et non dans la conscience séparatrice égoïste, il ne pourrait élaborer cette action, cette personnalité, ce point de vue séparé, en faire-le centre et le point de référence unique ou initial qui représente la contribution du sens de l'ego aux opérations universelles. Il doit assumer l'ignorance temporelle, psychologique, égoïste, afin de se protéger contre la lumière de l'infini et la vastitude de l'universel, et derrière ce rempart, développer ainsi son individualité temporelle dans le cosmos. Il doit vivre comme si cette vie était toute sa vie et revêtir l'ignorance de son passé infini et de son avenir; car si le passé était présent pour lui, il ne pourrait façonner ses relations sélectives actuelles avec son milieu de la façon prévue. Sa connaissance serait trop grande pour lui, elle modifierait nécessairement, et totalement, l'esprit, l'équilibre et la forme de son action. Il doit vivre dans le mental absorbé par cette vie corporelle et non dans le Supramental ; autrement, tous ces murs protecteurs d'ignorance créés par le pouvoir de limitation, de division, de différenciation du mental, ne seraient pas édifiés ou deviendraient trop minces et transparents pour qu'il puisse accomplir son dessein.
Ce dessein, qui rend nécessaire toute cette concentration exclusive que nous appelons Ignorance, est de tracer le cycle de l'oubli de soi et de la découverte de soi pour la joie duquel l'esprit secret assume l'Ignorance dans la Nature. Ce n'est pas que toute manifestation cosmique deviendrait autrement impossible ; mais ce serait une manifestation tout à fait différente de celle où nous vivons ; elle serait limitée aux mondes supérieurs de l'Existence divine ou à un cosmos idéal et non évolutif où
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chaque être vivrait la loi de sa nature dans toute sa lumière, et oui cette; manifestation inverse, ce cycle évolutif, serait impossible. Ce qui est ici le but serait alors la condition éternelle ; ce qui est ici une étape serait le type perpétuel d'existence. C'est pour se trouver lui-même dans les contraires apparents de son être et de sa nature que Satchidânanda descend dans la Nescience matérielle et assume cette ignorance phénoménale ainsi qu'un masque superficiel où il se cache à sa propre énergie consciente, la laissant à son oubli d'elle-même, absorbée en ses œuvres et ses formes. C'est en ces formes que l'âme qui lentement s'éveille doit accepter l'action phénoménale d'une ignorance qui, en réalité, est une connaissance s'éveillant progressivement de la nescience originelle. Et c'est dans les nouvelles conditions créées par ces opérations qu'elle doit se redécouvrir et, par cette lumière, transformer divinement la vie qui s'efforce ainsi de réaliser le but de sa descente dans l'Inconscience. L'objet de ce cycle cosmique n'est pas de retourner aussi vite que possible en des cieux où la lumière et la joie parfaites sont éternelles ou à la béatitude supracosmique, ni simplement de tourner en rond, sans raison, dans une longue et décevante ornière d'ignorance, poursuivant la connaissance sans jamais la trouver parfaitement — l'ignorance serait alors une inexplicable bévue du Tout-conscient ou une Nécessité douloureuse et vaine et tout aussi inexplicable. Or il semblerait que le véritable objet de la naissance de l'âme dans le corps humain et du labeur de la race humaine dans la succession de ses cycles, soit de réaliser l'Ananda du Moi dans d'autres conditions que le supracosmique, dans l'être cosmique, et de trouver son paradis de joie, ses cieux de lumière jusque dans les oppositions contenues dans les termes d'une existence matérielle incarnée, et donc par une lutte pour la joie de la découverte de soi. L'Ignorance est une condition nécessaire, quoique entièrement subordonnée, que la Connaissance universelle s'est imposée pour que ce mouvement soit possible — ce n'est pas une bévue et une chute mais une descente qui a un but, pas une malédiction mais une divine opportunité. Trouver et incarner la Toute-Félicité en un intense résumé de sa multiplicité, réaliser une possibilité de l'Existence infinie qui ne pourrait être réalisée dans d'autres conditions, créer à partir de la Matière un temple de la Divinité, paraît être la tâche imposée à l'esprit né dans l'univers matériel.
L'ignorance, nous le voyons, n'est pas dans l'âme secrète, mais dans la Prakriti apparente; elle n'est pas non plus le fait de cette Prakriti tout entière — cela est impossible, car la Prakriti est l'action
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du Tout-conscient -—, mais apparaît au cours d'un certain développement qui l'éloigné de son intégralité originelle de lumière et de pouvoir. Où ce développement se produit-il ? en quel principe d'être trouve-t-il son occasion et son origine ? Ce n'est certainement pas dans l'être infini, la conscience infinie, la félicité infinie, plans suprêmes de l'existence d'où tout le reste dérive ou descend en cette manifestation obscure et ambiguë. Là, il n'a point sa place. Ce n'est pas non plus dans le supramental, car dans le supramental la lumière et le pouvoir infinis sont toujours présents, même dans les opérations les plus finies, et la conscience de l'unité embrasse la conscience de la diversité. C'est sur le plan du mental que ce retrait de la réelle conscience de soi devient possible. Car le mental est ce pouvoir de l'être conscient qui différencie et suit les lignes de la différenciation, où le sens de la diversité est le caractère dominant; le sens de l'unité reste à l'arrière-plan et n'est pas l'élément caractéristique, n'est pas à proprement parler le matériau même de ses opérations. Si par hasard ce support qu'est le .s&ns. de l'unité pouvait être retiré —le mental ne le possède pas naturellement, indépendamment, mais parce que derrière lui se trouve le supramental et qu'il réfléchit la lumière du supramental dont il est un pouvoir dérivé et secondaire —, si un voile pouvait tomber entre le mental et le supramental, occultant la lumière de la Vérité ou n'en laissant passer que des rayons diffus, épars, réfléchis mais déformés et divisés, alors le phénomène de l'Ignorance interviendrait. Un tel voile existe, dit l'Upanishad, et il est constitué par l'action du Mental lui-meme ; c'est, dans le Surmental, un couvercle d'or qui cache la face de la Vérité supramentale, mais réfléchit son image; dans le Mental, il devient un écran plus opaque, une obscure clarté. Cette action est le regard absorbé que le Mental, se tournant vers le bas, pose sur la diversité:—: c'est son mouvement caractéristique —, s'éloignant de l'unité suprême qu'exprime cette diversité, jusqu'à oublier tout à fait de se souvenir de lui-même et de chercher son soutien dans l'unité. Même alors, l'unité-,1e soutient et rend ses activités possibles, mais l'Énergie absorbée en elle-même n'est pas consciente de son origine et de son moi plus vaste, de son moi réel. Puisque le Mental oublie sa provenance du fait de son absorption dans les opérations de l'Énergie formatrice, il s'identifie avec cette Énergie au point de: ne même plus avoir de prise sur lui-même, de s'oublier complètement en une transe d'activité qu'il soutient encore dans son action somnambulique, mais dont il n'est plus conscient. Telle est la dernière étape de la descente de la conscience, un
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sommeil abyssal, une transe insondable de la conscience, qui est la base profonde de l'action de la Nature matérielle.
On doit cependant se rappeler que, lorsque nous parlons d'un mouvement partiel de la Conscience-Force absorbée en ses formes et ses actions, dans un domaine limité dé son fonctionnement, cela n'implique aucune division réelle de son intégralité. Mettre tout le reste à l'arrière-plan a pour seul effet de l'occulter pour l'énergie frontale immédiatement active dans le domaine limité du mouvement, mais non de lui interdire ce domaine; en fait, la Force intégrale est là, bien que voilée par l'Inconscience, et c'est cette Force intégrale soutenue par l'être en soi intégral qui, au moyen de son énergie frontale, accomplit tout le travail et demeure en toutes les formes créées par le mouvement. Il faut également noter que pour retirer le voile de l'Ignorance, la Forcé d'être consciente en nous recourt à une action inverse de son pouvoir de concentration exclusive ; elle calme le mouvement frontal de la Prakriti dans la conscience individuelle et se concentre exclusivement sur l'être intérieur caché — sur le Moi Ou sur l'être intérieur psychique, mental ou vital véritable, le Purusha — pour le révéler. Mais ceci fait, elle n'a plus besoin de demeurer dans cette forme opposée d'exclusivité, elle peut recouvrer sa conscience intégrale ou une conscience globale qui comprend l'être du Purusha et l'action de la Prakriti, l'âme et ses instruments, le Moi et les dynamismes de la Puissance du Moi, âtmashakti. La Nature peut alors embrasser sa manifestation avec une conscience plus vaste, libre de la limitation antérieure, libre des conséquences de son oubli de l'Esprit immanent. Ou bien elle peut calmer tout le fonctionnement qu'elle a manifesté, se concentrer sur un plus haut niveau du Moi et de la Nature, élever l'être jusqu'à ce plan et faire descendre les pouvoirs du niveau supérieur pour transformer la manifestation précédente. Tout ce qui est ainsi transformé reste inclus, mais en tant que partie du dynamisme supérieur et de ses valeurs plus élevées, en une nouvelle et plus grande création de soi. Cela peut se produire quand la Conscience-Force en notre être décide de pousser son évolution du niveau mental au niveau supramental. Dans chaque cas, c'est le Tapas qui opère, mais il agit d'une façon différente selon ce qui doit être accompli, selon le processus, le dynamisme et le déploiement de soi de l'Infini qui ont été déterminés.
Et pourtant, même si c'est là le mécanisme de l'Ignorance, on pourrait encore demander par quel mystère le Tout-conscient, ne
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fût-ce que dans une action partielle de son énergie consciente, peut atteindre cette ignorance et cette inconscience, même si elles ne sont que superficielles. Et même s'il en était capable, cela vaudrait la peine de déterminer le rôle exact de ce mystère, sa nature et ses limites, afin de ne pas nous en effrayer, ni perdre de vue le vrai dessein qu'il sert et l'occasion qu'il nous donne. Mais ce mystère est une fiction de l'intellect diviseur qui, trouvant ou créant une opposition logique entre deux concepts, pense qu'il y a une opposition réelle entre les deux faits observés et que les deux ne peuvent donc coexister ni s'unifier. Cette Ignorance, nous l'avons vu-, est en réalité un pouvoir qu'a la; Connaissance de se limiter, de se concentrer sur l'œuvre en cours — concentration exclusive en pratique qui n'empêche pas la pleine existence et le fonctionnement complet de tout l'être conscient à l'arrière-plan, mais un fonctionnement dans les conditions choisies et imposées volontairement à sa propre nature. Toute auto-limitation consciente est un pouvoir servant un dessein particulier, pas une faiblesse ; toute concentration est une force de l'être conscient, pas une incapacité. Il est vrai que, si le Supramental est capable d'une concentration intégrale, globale, multiple, infinie, celle-ci, en revanche, est limitée et séparative; il est également vrai qu'elle crée des valeurs perverties aussi bien que partielles, et par conséquent fausses ou seulement à moitié vraies. Mais nous avons vu quel est le but de la limitation et de la partialité de la connaissance, et si nous admettons le but, il faut admettre également que le pouvoir de le réaliser se trouve dans la force absolue de l'Être absolu. Ce pouvoir de se limiter en vue d'un travail particulier, loin d'être incompatible avec la force-consciente absolue de cet Être, est précisément l'un des pouvoirs que nous ne devrions pas être surpris de découvrir parmi les multiples énergies de l'Infini.
L'Absolu ne se limite pas réellement lorsqu'il projette en lui-même un cosmos de relations ; c'est le jeu naturel de son être, de sa conscience, de sa force absolus, de sa joie inhérente. L'Infini ne se limite pas lorsqu'il élabore en lui-même une série infinie de phénomènes finis interactifs; c'est bien plutôt son expression naturelle. L'Un n'est pas limité par son pouvoir de multiplicité où il goûte diversement la félicité de son être; cela fait plutôt partie de la vraie description d'une unité infinie par opposition à une unité rigide, finie et conceptuelle. De même l'Ignorance, considérée en tant que pouvoir de concentration de l'être conscient — une concentration qui s'absorbe en soi et se limite sous des
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formes innombrables —, est une capacité naturelle de variation dans la connaissance consciente de soi que possède cet être, l'un des modes possibles de relation de l'Absolu dans sa manifestation, de l'Infini dans la série de ses opérations finies, de l'Un qui jouit de lui-même dans le Multiple. La capacité de perdre conscience du monde — qui continue néanmoins d'exister dans l'être —, en s'absorbant en soi, est une forme extrême de ce pouvoir de la conscience ; la capacité de s'absorber dans les opérations cosmiques et en même temps de perdre la connaissance du moi qui poursuit constamment ces opérations, est l'extrême opposé. Mais ni l'un ni l'autre ne limite vraiment l'existence intégrale consciente de soi de Satchidânanda qui est supérieur à ces contraires apparents ; même en leur opposition, ils aident à exprimer et à manifester l'Ineffable.
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Origine et remède du mensonge, de l'erreur, de l'injustice et du mal
Le Seigneur n'accepte le péché et la vertu de personne; la connaissance étant voilée par l'Ignorance, les hommes mortels sont les jouets de l'illusion.
Gîta. V. 15.
Ils vivent selon une idée du moi qui diffère de la réalité, trompés, attachés, exprimant une fausseté — comme si, par enchantement, ils prenaient le faux pour le vrai.
Maitrâyanî Upanishad. VII. 10.
Ils vivent et se meuvent dans l'Ignorance et ils tournent en rond, battus et trébuchants, tels des aveugles conduits par un aveugle.
Mundaka Upanishad. 1.2. 8.
Celui dont l'intelligence a atteint l'Unité, rejette loin de lui et le péché et la vertu.
Gîta. II. 50.
Celui qui a trouvé la félicité de l'Éternel n'est plus affligé par la pensée : " Pourquoi n'ai-je pas fait le bien ? Pourquoi ai-je fait le mal ? " Celui qui connaît le moi rejette loin de lui et le mal et le bien.
Ceux-là sont conscients de l'étendue du mensonge dans le monde; ils grandissent dans la maison de la Vérité, ils sont tes fils puissants et invincibles de l'Infini.
Rig-Véda.VlI.60.5.
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La vérité est la première et l'ultime; au milieu, est le mensonge, mais il est pris entre la vérité de part et d'autre, et il tire son être de la vérité.¹
Brihadâranyaka Upanishad. V. 5.1.
¹La vérité de la réalité physique et la vérité de la réalité spirituelle et supraconsciente. Dans les réalités subjectives et mentales intermédiaires, la fausseté peut entrer, mais elle prend soit la vérité d'en haut, soit la vérité d'en bas comme substance pour se construire, et toutes deux font pression sur elle pour qu'elle change ses fausses constructions en vérités de la vie et de l'esprit.
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Si l'Ignorance est par nature une connaissance se limitant elle-même, oublieuse de la conscience de soi intégrale, prisonnière d'une concentration exclusive dans un seul domaine ou sur une surface dissimulant le mouvement cosmique, comment, dans cette perspective, traiterons-nous le problème si poignant qui tourmente le mental de l'homme lorsqu'il se trouve confronté au mystère de sa propre existence et de l'existence cosmique : le problème du mal ? Nous pouvons admettre qu'une connaissance limitée, soutenue par une Toute-Sagesse secrète, et lui servant à élaborer un certain ordre du monde dans des limites nécessaires, serait un procédé intelligible de la Conscience et de l'Énergie universelles; mais la nécessité du mensonge et de l'erreur, de l'injustice et du mal, ou leur utilité dans les œuvres de la Réalité divine omniprésente, sont plus difficiles à admettre. Et pourtant, si cette Réalité est bien telle que nous l'avons supposée, l'apparition de ces phénomènes opposés doit répondre à une nécessité, avoir un sens' et une fonction dans l'économie de l'univers. Car dans la connaissance de soi complète et inaliénable du Brahman, qui est nécessairement une connaissance totale, puisque tout ce qui est, est le Brahman, de tels phénomènes ne peuvent être le fruit du hasard, d'un accident en cours de route, d'un oubli ou d'une confusion involontaires de la Conscience-Force de Celui qui est Toute-Sagesse dans le cosmos, ni le fruit d'un affreux contretemps auquel l'Esprit immanent n'était pas préparé et dont il est prisonnier, errant dans un labyrinthe d'où il a toutes les peines du monde à s'échapper. Ce ne peut être non plus un inexplicable mystère de l'être, originel et éternel, que le divin et intégral Instructeur ne peut nous expliquer, ni s'expliquer à lui-même. Il doit y avoir derrière ce mystère une signification de la Toute-Sagesse elle-même, un pouvoir de la Toute-Conscience qui -l'autorise et lui assigne une fonction indispensable dans les processus actuels de notre expérience
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de nous-mêmes et du monde. Il importe à présent d'examiner plus directement cet aspect de l'existence et de déterminer ses origines, les limites de sa réalité et sa place dans la Nature.
Ce problème peut être abordé à partir de trois points de vue : selon sa relation avec l'Absolu, la Réalité suprême, selon son origine et sa place dans les œuvres cosmiques, et selon son action et son point d'ancrage dans l'être individuel. Il est évident que ces phénomènes adverses ne sont pas directement issus de la suprême Réalité elle-même, car rien en elle ne possède ce caractère ; ce sont des créations de l'Ignorance et de l'Inconscience, non des aspects fondamentaux ou premiers de l'Être, ils ne sont pas inhérents à la Transcendance, ni au pouvoir infini de l'Esprit cosmique. On soutient parfois que si la Vérité et le Bien ont leurs absolus, le Mensonge et le Mal doivent, eux aussi, avoir leurs absolus ; autrement, les uns comme les autres seraient nécessairement des termes de la relativité : la Connaissance et l'Ignorance, la Vérité et le Mensonge, le Bien et le Mal n'existent que l'un par rapport à l'autre, et au-delà des dualités de ce monde ils n'ont pas d'existence. Mais telle n'est pas la vérité fondamentale de la relation entre ces opposés; car en premier lieu, contrairement à la Vérité et au Bien, le Mensonge et le Mal sont très clairement des résultats de l'Ignorance et ne peuvent exister là où il n'y a pas d'Ignorance ; ils ne peuvent avoir d'existence en soi dans l'Être divin, ils ne peuvent être des éléments innés de la Nature suprême. Si donc la Connaissance limitée, qui caractérise l'Ignorance, renonce à ses limitations, si l'Ignorance disparaît en la Connaissance, le mal et le mensonge ne sauraient subsister, car ils sont tous les deux les fruits de l'inconscience et de la conscience fausse et, si la conscience vraie ou totale vient remplacer l'Ignorance, leur existence n'a plus aucun fondement. Il ne peut donc y avoir un mensonge absolu, un mal absolu ; ils sont un sous-produit du mouvement du monde : les sombres fleurs du mensonge, de la souffrance et du mal prennent racine dans le sol noir de l'Inconscient. Par contre, rien ne s'oppose fondamentalement à l'existence d'une Vérité et d'un Bien absolus. La relativité de la vérité et de l'erreur, du bien et du mal est un fait d'expérience, mais elle est également un sous-produit et non un facteur permanent inhérent à l'existence. Elle n'est vraie, en effet, que pour le système de valeurs établi par la conscience humaine, pour notre connaissance et notre ignorance partielles.
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La Vérité est pour nous relative, car notre connaissance est enveloppée par l'ignorance. Notre vision exacte s'arrête aux apparences extérieures qui ne sont pas la vérité complète des choses ; et si nous pénétrons plus profondément, les illuminations auxquelles nous parvenons ne sont que des suppositions, des déductions, des indications, et non la vision de réalités indubitables. Nos conclusions sont partielles, spéculatives ou fabriquées, et nos exposés, qui expriment notre contact indirect avec la réalité, sont essentiellement des représentations; ou. des formes, des mots-images de pensées-perceptions qui sont elles-mêmes des images et non des incarnations de la Vérité : elles ne sont pas directement réelles' et authentiques. Ces formes ou représentations sont imparfaites et opaques et portent avec elles leur ombre de nescience et d'erreur, car elles semblent nier ou exclure d'autres vérités, et même la vérité qu'elles expriment n'atteint pas sa pleine valeur : c'est une extrémité ou un bord de cette vérité qui se projette dans une forme et le reste est laissé dans l'ombre, inaperçu ou défiguré ou vaguement visible. On pourrait presque dire qu'aucune formulation mentale des choses ne peut être entièrement vraie ; ce n'est pas la Vérité incarnée, pure et nue, mais une forme drapée — et souvent la draperie est seule visible. Mais ce caractère ne s'applique pas à la vérité perçue par une action directe de la conscience ou à la vérité de la connaissance par identité ; là, notre vision peut être limitée, mais aussi loin qu'elle s'étende, elle est authentique, et l'authenticité est un premier pas vers l'absolus : l'erreur peut s'attacher à une vision des choses directe ou par identité, par suite d'un apport mental, d'une extension erronée ou illégitime ou d'une fausse interprétation du mental, mais elle ne pénètre pas dans la substance. Cette vision, cette expérience authentique ou par identité constitue la vraie nature de la connaissance et elle existe en soi dans l'être, bien que, dans. notre mental, elle se traduise par une formation secondaire qui n'est pas, authentique, mais dérivée.. À l'origine, l'ignorance n'a pas d'existence en soi ni d'authenticité propre ; elle existe à cause d'une limitation ou d'une absence ou d'une suspension de la connaissance : l'erreur à cause d'une déviation par rapport à la vérité, le mensonge à cause d'une distorsion, d'une contradiction et d'une négation de la vérité. Mais on ne saurait affirmer que la connaissance, elle aussi, n'existe en sa nature. profonde que par une limitation ou une absence ou une suspension de l'ignorance. En effet, elle peut émerger dans le mental humain, en partie; par un processus de limitation ou de suspension de ce genre, lorsque l'obscurité reflue d'une lumière partielle, ou elle peut prendre l'aspect
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d'une ignorance qui se transforme en connaissance. Mais en fait, elle naît indépendamment, s'élevant depuis les profondeurs de notre être où elle existe en son état originel.
"On peut dire aussi que le bien existe par la conscience vraie, tandis que le mal survit seulement par une conscience fausse; s'il y a une conscience absolument vraie, seul le bien peut exister ; il n'est plus mélangé au mal ni formé en sa présence. Les valeurs humaines de bien et de mal, comme celles de vérité et d'erreur, sont en effet incertaines et relatives : ce qu'en un lieu ou à une époque on tient pour la vérité, est tenu en d'autres lieux ou en d'autres temps pour une erreur ; ce que l'on considère comme un bien, est ailleurs ou à d'autres époques considéré comme un mal. Nous constatons aussi que ce que nous appelons mal engendre le bien, et ce que nous appelons bien engendre le mal. Mais ce malencontreux résultat est dû à la confusion et au mélange de connaissance et d'ignorance, à la pénétration de la vraie conscience par la conscience fausse, en sorte qu'il y a une application ignorante ou erronée de notre bien, à moins que cela ne soit dû à l'intervention de forces adverses. Dans le cas contraire — un mal qui produit un bien —, ce résultat contradictoire et plus heureux est dû à l'intervention d'une conscience et d'une force vraies agissant derrière la conscience et la volonté fausses et malgré elles, ou bien à l'intervention de forces qui restaurent l'équilibre. Cette relativité, ce mélange est une circonstance de la mentalité humaine et des activités de la Force cosmique dans la vie humaine, ce n'est pas la vérité fondamentale du bien et du mal. On pourrait objecter que le mal physique, tel que la douleur et la souffrance du corps, 'est indépendant de,la connaissance, et de l'ignorance, de la conscience juste et de la conscience fausse, qu'il est inhérent à la Nature physique : mais fondamentalement toute douleur et toute souffrance sont le résultat d'une conscience-force insuffisante dans l'être de surface, qui le rend incapable d'établir des relations justes avec le moi et la Nature ou incapable d'assimiler les contacts de l'Énergie universelle et de s'harmoniser avec eux. Douleur et souffrance n'existeraient pas s'il y avait en nous la présence intégrale de la Conscience lumineuse et-la Force divine d'un Être intégral. La relation de la vérité avec le mensonge, du bien avec le mal n'est donc pas un rapport de dépendance mutuelle, elle est essentiellement une contradiction, comme l'ombre contredit la lumière. L'existence d'une ombre dépend de la lumière, mais l'existence de la lumière ne dépend pas de l'ombre. Le fait qu'il
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existe une relation entre l'Absolu et les contraires de certains de ses aspects fondamentaux ne signifie pas que ces contraires soient eux aussi des aspects fondamentaux opposés de l'Absolu ; le mensonge et le mal n'ont rien de fondamental, ils ne possèdent aucun pouvoir d'infinité ou d'être éternel, aucune existence en soi, fût-elle latente dans l'Existant eh soi, et n'ont pas l'authenticité d'une inhérence native.
Certes, une fois que la vérité ou le bien se manifestent, il est indéniable que la conception du mensonge et du mal devient une possibilité, car l'on conçoit que toute affirmation peut être niée. Tout comme la manifestation de l'existence, de la conscience et de la félicité a rendu la manifestation de la non-existence, de l'inconscience et de l'insensibilité concevable, et donc d'une certaine manière inévitable, puisque toutes les possibilités aspirent à se réaliser, et n'ont de cesse qu'elles y parviennent, de même en est-il de ces aspects opposés de l'Existence divine. Partant de cette hypothèse, et dans la mesure où la Conscience les perçoit immédiatement dès le tout début de la manifestation, nous pouvons les tenir pour des absolus implicites, inséparables de toute existence cosmique. Mais, et c'est la première chose à considérer, c'est seulement dans la manifestation cosmique qu'ils deviennent possibles ; ils ne peuvent préexister dans l'être intemporel, car ils sont incompatibles avec l'unité et la béatitude qui en constituent la substance. Dans le cosmos également, ils ne peuvent apparaître que par une limitation de la vérité et du bien en des formes partielles et relatives et par un morcellement de l'unité de l'existence et dé la conscience en une conscience et un être qui divisent. Car, s'il y a une unité et une complète interactivité de la conscience-force, même dans la multiplicité et la diversité, alors la vérité de la connaissance de soi et de la connaissance mutuelle est automatique, et l'erreur de l'ignorance de soi et de l'ignorance mutuelle est impossible. De même, là où la vérité existe comme un tout sur une base d'unité consciente de soi, le mensonge ne peut entrer;et le mal est écarté par l'exclusion de la conscience et de la volonté fausses et du processus d'activation du mensonge et de l'erreur. Dès qu'intervient la séparativité, ces choses, elles aussi, peuvent intervenir ; cependant, même; cette simultanéité n'est pas inévitable. S'il y a une interactivité suffisante, même en l'absence d'un sens actif de l'unité, et si les êtres séparés ne transgressent pas leurs normes de connaissance limitée ou ne s'en écartent pas, l'harmonie et la vérité peuvent garder leur souveraineté, et le mal n'aura aucun accès. Par "conséquente le mensonge et le mal n'ont, pas un caractère
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cosmique authentique et inévitable, pas plus qu'ils n'ont un caractère absolu; ce sont des circonstances ou des résultats qui n'apparaissent qu'à un certain stade, quand la séparativité atteint son point culminant et se mue en opposition, et l'ignorance : en' une inconscience primitive de la. connaissance qui engendre une conscience et une connaissance fausses où tout est perverti : la volonté, les sentiments, l'action, les réactions. La question est de savoir à quel moment et à quel point de la manifestation cosmique les contraires interviennent. Cela peut en effet se produire à un certain stade de l'involution croissante de la conscience dans la vie et le mental séparateurs, ou seulement après la plongée dans l'inconscience. Il s'agit donc, en définitive, de savoir si le mensonge, l'erreur, l'injustice et-le mal existent à l'origine dans les plans mental et vital, et sont inhérents au mental et à la vie, ou s'ils appartiennent en propre à la seule manifestation matérielle, parce que l'obscurité qui s'élève de l'Inconscience les inflige au mental et à la vie. Et en admettant qu'ils existent dans le mental et la vie supraphysiques, on peut alors se demander s'ils s'y trouvaient dès l'origine, inéluctablement, car il se peut que leur apparition ait été une conséquence ou un prolongement supraphysique de la manifestation matérielle; Ou. si ce point de vue s'avère indéfendable, on peut imaginer qu'ils aient surgi comme une puissante affirmation du supraphysique dans le Mental et la Vie universels, une condition préalable nécessaire à leur apparition dans la manifestation terrestre à laquelle ils appartiennent plus naturellement, en tant que résultat inévitable de l'Inconscience créatrice.
Le mental humain, suivant une très ancienne tradition, savait que lorsque nous' dépassons-le "plan s matériel, nous découvrons que des choses existent aussi dans les mondes au-delà. Il y a dans ces plans d'expérience supraphysique des pouvoirs et des formes du mental-vital et de la vie qui sont apparemment la base pré-physique des formes et .des pouvoirs discordants, défectueux ou pervertis du mental-de-vie et de la force-de-vie que nous trouvons dans l'existence terrestre. Il y a des forces, et l'expérience subliminale semble indiquer qu'il y a aussi des êtres supraphysiques incarnant ces forces, qui sont fondamentalement attachés à l'ignorance, à l'obscurité de la conscience, au mauvais usage de la force, à la perversion de la joie, à toutes les causes et conséquences de ce que nous appelons le mal. Ces pouvoirs, êtres ou forces s'efforcent d'imposer leurs constructions hostiles aux créatures terrestres ; avides de maintenir leur règne dans la manifestation, ils s'opposent à-la croissance
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de la lumière, de la vérité et du bien; et surtout, ils font obstacle au progrès de l'âme vers une conscience et une existence divines. C'est cet aspect de l'existence qui est représenté par le conflit entre les Pouvoirs de la Lumière et les Pouvoirs des Ténèbres, entre le Bien et le Mal, l'Harmonie cosmique et l'Anarchie cosmique, tradition universelle dans la mythologie antique et dans la religion, et commune à tous: lés systèmes de connaissance occulte.
La théorie sur laquelle se fonde cette connaissance traditionnelle est parfaitement rationnelle. Nous pouvons la vérifier par l'expérience intérieure, et elle s'impose à nous si nous admettons l'existence de ces plans supraphysiques et refusons de nous cloîtrer dans l'idée que l'être matériel est la seule réalité. De même qu'il y a un Moi et Esprit cosmique qui imprègne et soutient l'univers et ses êtres, de même y a-t-il une Force cosmique qui fait mouvoir toutes choses, et de cette Force cosmique originelle dépendent maintes Forces cosmiques 'qui sont ses pouvoirs ou surgissent comme des formes de son action universelle, car elle sert de base à leur propre action. Tout ce qui est formulé dans l'univers est soutenu par une Force ou des Forces, cherche à réaliser cette Force ou à' la faire durer, repose sur son fonctionnement; son succès dépend du sien, de sa croissance et de sa domination, et son accomplissement ou le prolongement de son être dépendent de sa victoire ou de sa survie. De même qu'il y a des Pouvoirs de Connaissance ou des Forces de Lumière, de même y a-t-il des Pouvoirs d'Ignorance et des Forces ténébreuses de l'Obscurité dont le travail consiste à prolonger le règne de l'Ignorance et de l'Inconscience. De même qu'il y a des Forces de Vérité, de même des Forces vivent du Mensonge, le soutiennent et œuvrent à sa victoire ; de même qu'il y a des pouvoirs dont la vie est intimement liée à l'existence, à l'idée et à l'instinct du Bien, de même y a-t-il des Forces dont la vie est liée à l'existence, à l'idée et à l'instinct du Mal. C'est cette vérité de l'Invisible cosmique que l'ancienne croyance symbolisait par; le combat entre les pouvoirs de la Lumière et les pouvoirs des Ténèbres, entre le Bien et le Mal, pour la possession du monde et la maîtrise de la vie humaine ; telle était la signification de la lutte entre les Dieux védiques et leurs adversaires, fils des Ténèbres et de la Division, représentés dans une tradition ultérieure sous les traits du Titan, du Géant et c' Asura, Râkshasa et Pishâcha. Cette tradition se retrouve dans Principe zoroastrien et, plus tard, dans l'opposition sémitique entre Dieu et ses Anges d'un côté, Satan et ses légions de l'autre — Pouvoirs
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et Personnalités invisibles qui soulèvent l'homme vers la Lumière, là Vérité et le Bien divins ou qui le charment et l'enchaînent au principe non divin de l'Obscurité, du Mensonge et du Mal. La pensée moderne n'a conscience d'aucune force invisible en dehors de celles que la Science a construites ou révélées; elle ne croit pas !que la Nature puisse créer d'autres êtres que ceux qui nous entourent dans le monde physique: hommes, bêtes, oiseaux, reptiles, poissons, insectes, microbes et animalcules. Mais s'il existe des forces cosmiques invisibles, physiques en leur nature, qui agissent sur le corps d'objets inanimés, il n'y a pas de raison valable que des forces cosmiques invisibles, mentales et vitales en leur nature, ne puissent exister et agir sur le mental et la force vitale de l'homme. Et si le Mental et la Vie, forces impersonnelles, forment des êtres conscients ou utilisent des personnes pour les incarner dans des formes physiques et dans un monde physique et s'ils peuvent agir sur la Matière et à travers la Matière, il n'est pas impossible que, sur leurs propres plans, ils forment des êtres conscients dont la substance plus subtile est pour nous invisible, ou qu'ils soient capables d'agir depuis ces plans sur les êtres de la Nature physique. Quelque réalité ou quelque mythique irréalité que nous puissions attacher à l'imagerie traditionnelle des anciennes croyances ou expériences humaines; il s'agirait alors de représentations de choses qui sont vraies en principe. En ce cas, la source première du bien et du mal ne se trouverait pas dans la vie terrestre ou dans l'évolution hors de l'Inconscience, mais dans la Vie elle-même. Leur source serait supraphysique; et ils seraient id le reflet d'une Nature supraphysique. plus vaste.
Il est certain que, quand nous rentrons en nous-mêmes, très profondément, loin des apparences de la surface, nous découvrons que le mental, le cœur et l'être sensible de l'homme sont mus par des forces qui échappent à son contrôle et qu'il peut devenir un instrument entre les mains des Énergies cosmiques, sans connaître l'origine de ses actions,.'C'est en se retirant de la surface physique pour entrer dans son être .intérieur et sa conscience subliminale qu'il en prend directement conscience et peut les connaître directement et agir sur les influences que ces forces exercent sur lui. Il devient conscient de leurs interventions;pour le mener dans une direction ou une autre, de suggestions et d'impulsions qui se faisaient passer pour des mouvements issus de son propre mental et contre lesquelles il devait se battre. Il peut alors réalisée qu'il n'est pas une créature consciente produite inexplicablement dans
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un monde inconscient à partir d'une semence de Matière inconsciente et §e mouvant dans une obscure ignorance de lui-même, mais qu'il est une âme incarnée et qu'à travers son action la Nature cosmique cherche à s'accomplir, qu'il est le vivant terrain d'un vaste débat entre des ténèbres d'Ignorance d'où il émerge ici et une lumière de Connaissance qui croît en s'élevant vers un terme imprévisible. Les Forces qui cherchent à le dominer, entre autres les Forces du bien et du mal, se présentent comme des pouvoirs; de la Nature universelle, mais elles semblent appartenir non seulement à l'univers physique, mais aux plans,de la Vie et du Mental au-delà.
La première chose que nous devons noter, car elle est d'importance pour le problème qui nous occupe, c'est qu'en leur action ces Forces semblent souvent dépasser les mesures de la relativité humaine; en leur mouvement plus vaste elles sont en effet surhumaines, divines, titanesques ou démoniaques, mais elles peuvent créer leurs formations en l'homme, larges ou réduites, en sa grandeur ou sa petitesse; elles peuvent s'emparer de lui et le diriger pour une heure ou des âges, influencer ses élans ou ses actes, ou posséder sa nature tout entière. Si cette possession se produit, il peut lui-même être incité à outrepasser la norme humaine du bien et du mal; le mal, en particulier, revêt des formes qui heurtent notre sens de la mesure, dépassent les bornes de la personnalité humaine, frôlent le gigantesque, le démesuré, l'incommensurable. On peut dès lors se demander si ce n'est pas une erreur de nier Inexistence d'un absolu du mal ; car, de même qu'il y a en l'homme une impulsion, une aspiration, une soif qui le tournent vers une vérité, un bien une beauté absolus, de même ces mouvements — ainsi que les intensités transcendantes auxquelles la douleur et la souffrance nous donnent accès — semblent suggérer qu'un mal absolu tente de se réaliser. Mais l'incommensurable n'est pas un signe d'absolu. L'absolu, en effet, n'est pas en soi une grandeur; il est au-delà de toute mesure, et pas seulement en raison de son immensité, mais du fait de la liberté de son être essentiel ; il peut se manifester dans l'infinitésimal autant que dans l'infini. Il est vrai que, quand nous passons du mental au spirituel — et c'est un passage vers l'absolu —, une subtile ampleur et une croissante intensité de lumière, de pouvoir, de paix, d'extase, indiquent un dépassement de nos limitations ; mais ce n'est d'abord qu'un signe de liberté, de hauteur, d'universalité, pas encore un absolu intérieur d'existence en soi, qui en est l'essence. .À; cet absolu, la douleur et; le mal ne peuvent
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accéder, ils sont liés à la limitation et sont des dérivés. Si la douleur devient incommensurable, elle prend fin ou met fin à ce en quoi elle se manifeste, ou s'évanouit dans l'insensibilité ou, en de rares occasions, peut se transformer en une extase d'Ânanda. Si le mal seul existait et devenait incommensurable, il détruirait le monde ou détruirait ce qui l'a enfanté ou le soutenait ; par la désintégration, il ramènerait les choses et lui-même à la non-existence. Du fait de leur croissance gigantesque, les Pouvoirs soutenant l'obscurité et le mal essaient, il est vrai, d'atteindre à un semblant d'infinité, mais ils ne parviennent qu'à une immensité, pas à l'infinité ; ils sont tout au plus capables de représenter leur élément comme une sorte d'infini abyssal à la mesure de l'Inconscient, mais c'est un faux infini. L'Existence en soi, par essence ou par 'une éternelle inhérence au cœur de l'Existant en soi, est ta condition de l'absolu: l'erreur, le mensonge, le mal sont des pouvoirs cosmiques, mais ils sont, par nature, relatifs et non point absolus, puisqu'ils dépendent, pour leur existence, de la perversion ou de la contradiction de leurs opposés et ne sont pas comme la vérité et le bien des absolus existants en soi, des aspects inhérents du suprême Existant en soi.
Une seconde question surgit quand on examine les preuves de l'existence supraphysique et pré-physique de ces obscurs contraires, car elles laissent supposer qu'ils sont peut-être après tout des principes cosmiques originels. Notons toutefois qu'ils n'apparaissent pas au-dessus des plans vitaux supraphysiques inférieurs; ce sont des " pouvoirs du Prince de l'Air " — l'air étant, dans l'ancien symbolisme, le principe de vie et, par conséquent, des mondes intermédiaires où le principe vital est essentiel et prédominant. Les opposés adverses ne sont donc pas des pouvoirs primordiaux du cosmos, mais des créations de la Vie ou du Mental dans la vie. Leurs aspects et leurs influences supraphysiques sur ta nature terrestre peuvent s'expliquer par la coexistence des mondes issus d'une involution descendante avec les mondes parallèles d'une évolution ascendante, qui, à dire vrai, n'ont pas été créés par l'existence terrestre mais comme annexés à l'ordre cosmique descendant en vue de soutenir les formations terrestres évolutives. Le mal peut y apparaître, non pas comme inhérent à toute vie, mais comme une possibilité et une pré-formation qui rend inévitable sa formation dans l'émergence évolutive de la conscience hors de l'Inconscient. Quoi qu'il en soit, c'est en la considérant comme un produit de l'Inconscience que nous pouvons le mieux observer et comprendre l'origine du mensonge, de l'erreur, de
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l'injustice et du mal, car c'est dans le retour de l'Inconscience vers la Conscience qu'on peut les voir prendre forme, et c'est là qu'ils semblent normaux et même inévitables.
C'est la Matière qui émerge d'abord de l'Inconscient, et il semblerait qu'en elle le mensonge et le mal ne puissent exister, tous deux étant créés par une conscience superficielle ignorante et divisée et par ses réactions. Or une telle organisation, superficielle et dynamique, de la conscience, et de telles réactions n'existent pas dans les forces ou les objets matériels ; si une conscience secrète, immanente, existe en eux, elle paraît être une, indifférenciée, muette ; inhérente et intrinsèque, bien qu'inerte, dans l'Énergie qui constitue l'objet, elle réalise la forme et la maintient grâce à l'Idée occulte silencieuse qui est en elle, mais autrement, elle demeure enveloppée dans la forme d'énergie qu'elle a créée, ne communique rien, n'exprime rien. Même si elle se différencie, suivant une certaine forme de Matière, en une forme correspondante d'être en soit rûpam rûpam pratirûpo babhûva,¹ il n'y a pas d'organisation psychologique, pas de système d'actions ou de réactions conscientes. C'est seulement par le contact avec des êtres conscients que les objets matériels exercent leurs pouvoirs ou leurs influences, que l'on 'peut appeler bons ou mauvais; mais ce bien — ou ce mal — est déterminé par le sentiment d'aide ou de tort, de bienfait ou de préjudice qu'éprouve l'être mis en contact avec eux. Ces valeurs n'appartiennent pas à l'objet matériel mais à une Force qui l'utilise, ou elles sont créées par la conscience qui entre en contact avec lui. Le feu réchauffe ou brûle, selon qu'on le touche involontairement ou qu'on l'utilise volontairement; une herbe médicinale guérit ou un poison tue, mais c'est l'utilisateur qui met en action la valeur de bien ou de mal; notons également qu'un poison peut guérir aussi bien que tuer, un médicament aussi bien tuer que guérir, faire du mal comme faire du bien. Le monde de la Matière pure est neutre, irresponsable ; les valeurs sur lesquelles insiste l'être humain n'existent pas dans la Nature matérielle; de même qu'une Nature supérieure transcende la dualité du bien et du mal, de même cette Nature inférieure se situe en deçà de cette dualité. La question commence à revêtir un aspect différent si nous passons derrière la connaissance physique et acceptons les conclusions d'une recherche occulte — car nous apprenons là que des influences conscientes s'attachent aux objets et que ces influences peuvent être
¹Katha Upanishad. II. 2. 9.
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bonnes ou mauvaises ; mais on peut encore soutenir que cela n'affecte pas la neutralité de l'objet, lequel n'agit pas suivant une conscience individualisée, mais suivant qu'il est utilisé pour le bien ou pour le mal ou pour les deux ensemble et pas autrement. La dualité du bien et du ;mal n'est pas inhérente au, principe matériel., et elle est absente du monde de la Matière.
La dualité commence avec la vie consciente et émerge pleinement quand le mental se développe dans la vie ; c'est le mental vital, le mental de désir et sensoriel, qui engendre le sens du mal, et la réalité du mal. En outre, dans la vie animale, la réalité du mal existe, le mal de la souffrance et le sens de la souffrance, le mal de la violence, de la cruauté, de la lutte et de la ruse, mais le sens du mal moral est absent ; dans la vie animale, il n'y a pas la dualité du péché et de la vertu, toutes les actions sont neutres et tout est permis pour préserver et maintenir la vie et pour satisfaire les instincts vitaux. Sur le plan des sensations, les valeurs de bien et de mal sont inhérentes à la forme de la douleur et du plaisir, de la satisfaction et de la déception vitales, mais l'idée mentale, la réponse morale du mental à ces valeurs, sont une création de l'être humain. Il. ne s'ensuit pas, comme on pourrait hâtivement le déduire, que ces choses soient irréelles, de simples constructions mentales, et que la seule façon vraie de recevoir les activités de la Nature se trouve, soit dans une indifférence neutre ou une acceptation égale, soit, intellectuellement, dans un consentement à tout ce qu'elle fait, comme à une loi divine ou naturelle où tout est impartialement admissible. C'est là sans doute un aspect de la vérité : il y a une vérité infrarationnelle de la Vie et de la Matière qui, neutre et impartiale, admet toutes choses comme des faits de la Nature servant à la création, à la préservation ou à la destruction de la vie, trois mouvements nécessaires de l'Énergie universelle qui sont tous reliés, indispensables les uns aux autres et, chacun à sa place, d'égale valeur. Il y a aussi une,vérité de la raison détachée qui peut considérer que tout ce qui est admis ainsi par la Nature sert ses processus dans la vie et dans la matière, et observer tout ce qui est avec une impartialité et une acceptation neutres et impassibles. C'est là une raison philosophique et scientifique qui assiste en témoin,aux activités de l'Énergie cosmique, cherche à les comprendre mais trouve futile de les juger. Il y a aussi une vérité suprarationnelle qui se formule dans l'expérience spirituelle où l'on peut observer le jeu de la possibilité universelle, tout accepter impartialement, comme les caractéristiques
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et les conséquences vraies et naturelles .d'un monde d'ignorance et d'inconscience, ou bien tout admettre avec calme et compassion comme faisant partie de l'œuvre divine ; mais en attendant l'éveil d'une conscience et d'une connaissance supérieures, considéré comme le seul moyen d'échapper à ce qui se présente sous l'aspect du mal, elle reste prête à aider et à intervenir là où cela est vraiment utile et possible. Néanmoins, il y a aussi cette autre vérité intermédiaire de la conscience qui nous éveille aux valeurs du bien et du mal et à l'appréciation de leur nécessité et de leur importance; quelles que soient la sanction ou la validité de ses jugements particuliers, cet éveil est l'une des étapes indispensables dans le processus de la Nature évolutive.
Mais alors, d'où vient cet éveil? Qu'est-ce qui engendre, chez l'être humain, le sens du bien et du mal et lui donne son pouvoir et sa place ? Si nous ne considérons que le processus, nous pouvons convenir; que ..c'est le mental vital qui fait la distinction. Sa première évaluation se base sur les sensations et elle est individuelle — tout ce qui est agréable à l'ego vital, tout ce qui lui est utile et bénéfique est bon, tout ce qui est désagréable, malfaisant, tout ce qui le blesse ou le détruit est mauvais. Sa seconde évaluation est utilitaire et sociale: est bien tout ce qui est jugé utile à la vie en société, tout ce que celle-ci exige de l'individu afin de préserver cette association et la réglementer pour le maintien, la satisfaction, le développement les meilleurs, et pour le bon ordre de la vie sociale et de ses unités ; est mal tout ce qui, aux yeux de la société, a un effet ou une tendance opposés. Mais le mental pensant intervient alors avec ses propres valeurs et s'efforce de trouver une base intellectuelle, une idée de loi ou un principe, rationnel ou cosmique, une loi du Karma, peut-être, ou un système éthique fondé sur la raison ou sur une base esthétique, émotive ou hédoniste. La religion introduit ses sanctions ; il y a une parole ou une loi de Dieu qui prescrit la rectitude, même si la Nature permet ou encourage le contraire :— ou peut-être la vérité et la Vertu elles-mêmes sont-elles Dieu et n'y a-t-il pas d'autre Divinité. Mais derrière toute cette application pratique ou rationnelle de l'instinct éthique humain, il y a le sentiment qu'il existe quelque chose de plus profond : toutes ces normes sent trop étroites et rigides bu trop complexes et confuses, incertaines, susceptibles d'être affectées par un changement ou une évolution du mental ou du vital ; et pourtant nous sentons qu'il existe une vérité plus profonde et durable, quelque chose en nous qui peut, avoir l'intuition de cette vérité — autrement dit,
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que la ivraie sanction est intérieure, spirituelle et psychique. Ce témoin intérieur est traditionnellement décrit comme notre conscience morale, ce pouvoir de perception intérieure mi-mental, mi-intuitif; mais c'est là quelque chose de superficiel, de construit, de peu fiable. Il y a certainement en nous, bien qu'il soit plus difficile à éveiller, plus masqué par les éléments de surface, un sens spirituel plus profond; c'est le discernement de l'âme, une lumière innée au cœur de notre nature.
Quel est donc ce témoin spirituel ou psychique, ou quelle valeur a pour lui le sens du bien et du mal ? On peut soutenir que la seule utilité de ce sens du péché et du mal est de permettre à l'être incarné de prendre conscience de la nature de ce monde d'inconscience et d'ignorance, de s'éveiller à la connaissance du mal et de la souffrance, à la nature relative du bien et du bonheur qui lui sont propres, et de s'en détourner pour rechercher l'absolu. Ou encore, son utilité spirituelle peut être de purifier la nature par la poursuite du bien et la négation du mal, jusqu'à "ce qu'elle soit prête à percevoir le bien suprême et à se détourner du monde pour se tourner vers Dieu, ou, comme y insiste la morale bouddhique, ce peut être de préparer la dissolution du complexe-ego ignorant et l'évasion "hors de la personnalité et de la souffrance. Mais peut-être aussi cet éveil est-il une nécessité spirituelle de l'évolution elle-même, une étape qui permet à notre être de croître hors de l'Ignorance pour accéder à la vérité de l'unité divine et à l'évolution d'une conscience divine et d'un être divin. En effet, ce n'est pas tant le mental ou la vie — lesquels peuvent se tourner vers le bien comme vers le mal —, c'est surtout la personnalité de l'âme, c'est l'être psychique qui insiste sur cette distinction, quoique dans un sens plus large que celui d'une simple différence morale. C'est l'âme en nous qui se tourne toujours vers la Vérité, le Bien et la Beauté, car c'est par ces choses qu'elle-même peut grandir; le reste — leurs contraires — est une part nécessaire de l'expérience, qu'il faut cependant dépasser à mesure que l'être croît spirituellement. Pour l'entité psychique fondamentale en nous, le délice de la vie et de toute expérience fait partie de la manifestation progressive de l'Esprit, mais le principe même de ce délice est de recueillir, dans tout contact et toute circonstance, leur sens et leur essence divines et secrètes, leur utilité et leur finalité divines afin que, par l'expérience, notre mental et notre vie puissent croître hors de l'Inconscience vers une conscience suprême, hors des divisions de l'Ignorance vers une conscience et une connaissance intégra lisantes. Elle est sur terre pour cela et, de vie-en vie,
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elle poursuit obstinément son élan ascendant toujours plus puissant. La croissance de l'âme est une croissance de l'obscurité en la lumière, du mensonge en la vérité, de la souffrance en son propre Ânanda suprême et universel. La,perception que l'âme a du bien et du mal peut ne;pas coïncider avec les normes artificielles du mental, mais elle a un sens plus profond, un discernement sûr de ce qui mène vers la Lumière et de ce qui en éloigne. Il est vrai que, tout comme la lumière inférieure est en deçà du bien et du mal, la lumière supérieure de l'Esprit se situe au-delà; mais cela ne veut pas dire que l'on accepte toutes choses avec une neutralité impartiale ou que l'on obéisse indifféremment aux impulsions du bien et du mal. Cela signifie qu'une loi plus haute intervient et qu'en elle ces valeurs n'ont plus de place ni d'utilité. Il y a une loi essentielle de la Vérité suprême qui est au-dessus de toutes les normes ; il y a un Bien suprême et universel, inhérent, intrinsèque, existant en soi, conscient de soi, mû et déterminé par soi, infiniment plastique — la pure plasticité de la conscience lumineuse du suprême Infini.
Par conséquent, si le mal et le mensonge sont des produits naturels de l'Inconscience, les 'résultats automatiques de l'évolution de la vie et du mental à partir de cette Inconscience et dans le processus de l'Ignorance, nous devons voir comment ils font leur apparition, de quoi dépend leur existence et quel est le remède ou le moyen de s'en échapper. C'est dans l'émergence en surface de la conscience mentale et vitale hors de l'Inconscience que l'on doit découvrir le processus qui est à l'origine de ces phénomènes. Il y a là deux facteurs déterminants — et ce sont eux qui provoquent l'émergence simultanée du mensonge et du mal. Il y a d'abord, sous-jacents, encore occultes, une conscience et un pouvoir de connaissance inhérente, ainsi qu'un revêtement, une couche de ce que l'on pourrait appeler un matériau indéterminé ou mal formé de conscience vitale et physique ; la mentalité qui émerge doit se frayer un chemin à travers ce milieu obscur et réfractaire et s'imposer à lui par une connaissance construite et non plus inhérente, car ce matériau est encore plein de nescience, lourdement chargé et enveloppé par l'inconscience de la Matière. Ensuite, l'émergence se produit dans une forme de vie séparée qui doit s'affirmer contre un principe d'inertie matérielle inanimée, une constante poussée de cette inertie matérielle vers la désintégration et une rechute dans l'Inconscience inanimée originelle. Cette forme de vie séparée, soutenue seulement par un principe limité d'association, doit également s'affirmer contre un monde extérieur qui,
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s'il n'est pas hostile à son existence, est néanmoins plein de dangers et auquel elle doit s'imposer, où elle doit conquérir un espace vital, parvenir à s'exprimer et à se propager pour survivre. Le résultat d'une émergence de la conscience dans ces conditions est la croissance d'un individu vital et physique qui s'affirme, une construction, par la Nature, de la vie et de la matière avec, caché derrière elle, un individu vrai, psychique ou spirituel, pour lequel la Nature crée ce moyen extérieur d'expression. À mesure que grandit son pouvoir mental, cet individu vital et matériel prend la forme plus développée d'un ego mental, vital et physique qui s'affirme constamment. Notre conscience de surface et notre type d'existence, notre être naturel, ont façonné leur caractère présent sous la pression de ces! deux faits initiaux et fondamentaux de I" émergence évolutive.
Lorsqu'elle commence à émerger, la conscience a l'apparence d'un miracle, d'un pouvoir 'étranger à la Matière qui se manifeste inexplicablement dans un monde de la Nature inconsciente, et qui grandit lentement et avec difficulté. La connaissance est acquise, créée à partir de rien en quelque sorte, apprise, augmentée, accumulée par une créature ignorante et éphémère en laquelle elle est, à la naissance, tout à fait absente ; ou si elle est présente, ce n'est pas comme une connaissance, mais seulement sous la forme d'une capacité héritée, particulière à l'étape de développement de cette ignorance qui fait l'apprentissage de la, connaissance. On pourrait supposer que la conscience n'est 'que l'Inconscience originelle enregistrant mécaniquement les faits de l'existence dans les cellules cérébrales qui, par réflexe ou réaction, lisent automatiquement l'enregistrement et dictent leur réponse ; l'enregistrement, -le réflexe, la réaction, tout cela réuni formerait ce qui paraît être la conscience. Mais ce n'est évidemment pas là toute la vérité, car si cela peut justifier l'observation et l'action mécanique — bien qu'on ne voie pas très bien comment un enregistrement et 'une réaction inconscients 'pourraient se transformer en une observation consciente, un sens conscient des choses et du moi —, cela ne peut expliquer de manière plausible l'idéation, l'imagination, la spéculation, le libre jeu de l'intellect avec le matériau observé. On ne peut expliquer l'évolution de la conscience et de là connaissance à moins qu'il n'y ait déjà dans les choses une conscience cachée où ses pouvoirs inhérents et naturels émergent peu à peu. En outre, les faits de la vie animale et les opérations du mental émergeant dans la vie nous' obligent à conclure qu'il y a, en cette conscience cachée,
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une Connaissance sous-jacente, un pouvoir de connaissance que-là nécessite des contacts vitaux avec le milieu amène à la surface.
En sa première affirmation de soi consciente, l'être animal individuel doit s'appuyer sur deux sources de connaissance. Comme il est ignorant et impuissant, qu'il est une petite parcelle de conscience superficielle privée de toute information dans un monde qu'il ne connaît pas, la représentes secrète envoie à la surface le minimum d'intuition nécessaire pour qu'il se maintienne en vie et effectue les opérations indispensables à sa vie et à sa survie. Cette intuition, l'animal ne la possède pas : c'est elle qui le possède et l'anime. C'est quelque chose qui se manifeste spontanément dans la texture de la substance vitale et physique de la conscience sous la pression d'un besoin et pour l'occasion voulue. Mais en même temps, un résultat superficiel de cette intuition s'accumule et prend la forme d'un instinct automatique qui agit à chaque fois que l'occasion se représente ; cet instinct appartient à la race et chaque individu en est doté à sa naissance. L'intuition, quand elle se produit ou se répète, est infaillible; l'instinct est automatiquement juste en règle générale; mais il peut s'égarer, car il est mis en échec ou trébuche quand la conscience de surface ou une intelligence mal développée interviennent, ou si l'instinct continue d'agir mécaniquement quand, les circonstances ayant changé, le besoin ou les circonstances nécessaires n'existent plus. Là seconde source de connaissance est un contact superficiel avec le monde extérieur à l'être individuel naturel; c'est ce contact qui est à l'origine, tout d'abord d'une sensation et d'une perception sensorielles conscientes, puis de l'intelligence. S'il n'y avait Une conscience sous-jacente, le contact ne créerait aucune perception ni aucune réaction ; c'est parce que le contact stimule et transforme, en un sentiment et une réponse superficielle, le subliminal d'un être déjà vitalisé par le principe vital subconscient et par ses premiers besoins et ses premières recherches, qu'une conscience de surface commence à se former et à se développer. Intrinsèquement, l'émergence d'une conscience de surface par la force des contacts vitaux est due au fait que, d'ans le sujet comme dans l'objet du contact, la conscience-force existe déjà à l'état latent dans le subliminal; quand le principe de vie est prêt, suffisamment sensible dans le sujet qui reçoit le contact, cette conscience subliminale émerge en réponse au stimulus et commence à constituer un m'entai vital ou mental de vie, le mental de l'animal, puis, au cours de l'évolution, une intelligence pensante. La conscience secrète se traduit
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par une sensation et une perception de surface, la force secrète par une impulsion de surface.
Si cette conscience subliminale sous-jacente devait venir -elle-même à. la surface, il y aurait rencontre directe entre la conscience du sujet et le .contenu de l'objet, et il en résulterait une connaissance directe ; mais cela n'est pas possible, d'abord à cause du veto ou de l'obstruction de l'Inconscience et, en second lieu, parce que l'évolution a pour but un lent développement qui s'effectue au moyen d'une conscience de surface imparfaite mais grandissante. La conscience-force secrète doit donc se limiter à des traductions imparfaites prenant la forme d'une vibration et d'une action vitales et mentales de surface et, à cause de l'absence, du retrait ou 4e l'insuffisance de la prise de conscience directe, elle doit développer des organes et des instincts en vue d'une connaissance indirecte. Cette création d'une connaissance et d'une intelligence extérieures se fait dans une structure consciente indéterminée déjà préparée, et qui est la toute première formation à la surface. Cette structure n'est d'abord qu'une formation minimale de conscience, dotée d'une vague perception sensorielle et d'une impulsion réactive; mais à mesure qu'apparaissent des formes de vie plus organisées, elle se transforme en un mental-de-vie et une intelligence vitale qui, au début, sont pour une grande part mécaniques et automatiques et ne s'occupent que de besoins, de désirs et d'impulsions pratiques. Toute cette activité est, à l'origine, intuitive et, instinctive; la conscience sous-jacente se traduit dans le substrat de surface par les mouvements automatiques du matériau conscient de la vie et du corps ; les mouvements du mental, quand ils apparaissent, sont involués dans ces automatismes, ils prennent l'aspect d'une notation mentale subordonnée , à l'intérieur de la notation sensorielle vitale prédominante. Mais, lentement, le mental fait effort pour s'en dégager; il œuvre encore pour l'instinct de vie, le besoin et le désir vitaux, mais ses caractéristiques propres émergent : observation, invention, combinaison, intention, exécution, tandis que sensations et impulsions s'adjoignent l'émotion et donnent une valeur et un élan affectifs plus subtils et plus épurés à la réaction vitale grossière. Le mental est encore très involué dans la vie, et ses opérations purement mentales les plus haute ne sont pas mises en évidence; il accepte comme support un vaste arrière-plan fait d'instincts et d'intuitions vitales, et l'intelligence développée, mais toujours croissante à mesure que s'élèvent les degrés de la vie animale, est une superstructure ajoutée.
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Lorsque l'intelligence humaine s'ajoute à la. base animale, cette base demeure présente et active, mais elle est en grande partie changée, affinée et soulevée par la volonté et l'intention conscientes ; la vie automatique de l'instinct et de l'intuition vitale diminue et ne peut conserver sa prédominance originelle pour l'intelligence mentale consciente de soi. L'intuition devient moins purement intuitive ; même quand subsiste une forte intuition vitale, son caractère vital est dissimulé par la mentalisation, et l'intuition mentale est le plus souvent un mélange, non le produit pur, car un alliage s'y mêle, afin de lui donner une actualité et une utilité mentales immédiates. Chez l'animal aussi, la conscience de surface peut obstruer ou altérer l'intuition mais, sa capacité étant moindre, elle s'immisce moins dans l'action automatique, mécanique ou instinctive de la Nature. Chez l'homme mental, quand l'intuition s'élève vers la surface, avant même d'y parvenir elle est aussitôt capturée, traduite en les termes de l'intelligence mentale et recouverte d'un vernis ou d'une interprétation mentale qui cachent l'origine de la connaissance. L'instinct lui aussi, soulevé et mentalisé, perd son caractère intuitif, et ce changement le rend moins sûr, bien qu'il soit mieux soutenu — quand il n'est pas remplacé — par le pouvoir plastique d'adaptation objective et subjective qui caractérise l'intelligence. L'émergence du mental dans la vie entraîne un immense accroissement de l'étendue et des pouvoirs de la conscience-force évolutive, mais également du champ et des possibilités d'erreur. Car le mental, dans son évolution, traîne constamment derrière lui l'erreur comme son ombre— une ombre qui grandit à mesure que grandit le corps de la conscience et;de la connaissance.
Si, dans l'évolution, la conscience de surface était toujours ouverte à l'action de l'intuition, l'erreur ne pourrait intervenir. Car l'intuition est un rayon de lumière projeté par le supramental secret, et l'émergence d'une lisantes, sûre en son action bien que limitée, en serait la conséquence. L'instinct, s'il devait se former, se laisserait modeler par l'intuition et s'adapterait librement au changement évolutif et au changement de circonstance, au-dedans comme au-dehors. Et si l'intelligence devait elle aussi prendre forme, elle se soumettrait à l'intuition, dont elle serait l'expression mentale exacte; son éclat se verrait peut-être modulé pour convenir à une action restreinte servant de fonction et de mouvement mineurs — et non majeurs comme ils le sont à présent —, mais son irrégularité ne serait pas due à une déviation, et ses éléments obscurs ne la feraient pas sombrer dans la fausseté
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ou l'erreur. Or cela ne pouvait être, car l'emprise de l'Inconscience sur la matière, sur la substance de surface, où le mental et la vie doivent s'exprimer, rend la conscience de surface obscure et non réceptive à la lumière intérieure ; en outre, elle est poussée à chérir ce défaut, à substituer de plus en plus ses clartés incomplètes, mais mieux comprises, aux suggestions intérieures inexplicables, car un développement rapide de la intégra lisantes n'est pas l'intention de la Nature. La méthode qu'elle a choisie est en effet une lente et difficile évolution de l'Inconscience se muant en Ignorance et de l'Ignorance prenant la forme d'une connaissance mélangée, diminuée et partielle, avant d'être en mesure de se transformer en une intégra lisantes et une matière supérieures. Notre intelligence mentale imparfaite est une étape, une transition nécessaire, avant que cette transformation supérieure ne soit rendue possible.
Pratiquement, il y a deux pôles de l'être conscient entre lesquels s'effectue le processus évolutif : une nescience superficielle qui doit peu à peu se changer en connaissance, et une Conscience-Force secrète en laquelle réside tout pouvoir de connaissance et qui doit lentement se manifester dans la nescience. Pleine d'incompréhension et d'inappréhension, la nescience superficielle peut se changer en connaissance parce que la conscience est involuée en elle ; si elle était par nature entièrement dépourvue de conscience, le changement serait impossible ; néanmoins, elle agit comme une inconscience essayant de devenir consciente ; elle est d'abord une nescience que le besoin et les impacts extérieurs obligent à sentir et à réagir, puis c'est une ignorance s'efforçant de connaître. Pour y parvenir, elle entre en contact avec le monde, avec ses forces et ses , objets, et c'est ce contact qui, comme le frottement de deux morceaux de bois, produit une étincelle de conscience ; la réponse du dedans est cette étincelle jaillissant dans la manifestation. Mais en recevant la réponse d'une source sous-jacente de connaissance, la -nescience, de surface l'atténue et la transforme en quelque chose d'obscur et d'incomplet; il y a une appréhension imparfaite ou erronée de l'intuition qui répond au contact ; cependant par ce processus, la conscience commence à pouvoir réagir, une première accumulation de connaissance instinctive inhérente ou habituelle se produit ; puis se manifeste une capacité, d'abord primitive et de plus en plus développée, de conscience réceptive, de compréhension, de réponse à l'action, de prévision avant d'entreprendre une action — une conscience évolutive qui est un mélange de connaissance
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et d'ignorance. L'expérience de tout l'inconnu se fait sur la base du connu; mais l'imperfection de cette connaissance, de sa réception et de sa réponse aux contacts des choses, peut fausser sa perception du nouveau contact, fausser également sa réponse intuitive ou la déformer, ce qui constitue une double source d'erreur.
Dans ces conditions, il est évident que l'Erreur est un accompagnement et presque une condition et un moyen nécessaires, une étape ou un stade indispensables d'une lente évolution vers la connaissance dans une conscience partie de la nescience et œuvrant dans le matériau d'une nescience générale. La conscience qui évolue doit acquérir la connaissance par un moyen indirect qui ne donne; même pas une certitude fragmentaire ; car au début, il y a seulement une représentation ou un signe, une image ou une vibration de caractère physique, que suscite le contact avec l'objet, et la. sensation vitale qui en résulte; le mental et les sens doivent les interpréter et les changer en une idée ou une représentation mentales correspondantes. Les choses dont on fait ainsi l'expérience, que l'on connaît ainsi mentalement, doivent être reliées entre elles; il faut observer et découvrir celles qui sont inconnues, les intégrer dans la somme d'expérience et de connaissance déjà acquise. À chaque pas, différentes possibilités de fait, de signification, de jugement, d'interprétation, de rapport se présentent; certaines doivent être .expérimentées puis rejetées, d'autres acceptées et confirmées; il est impossible d'exclure l'erreur sans limiter les chances d'acquérir la connaissance. L'observation est le premier instrument du mental, mais l'observation elle-même est un processus complexe, sujet à chaque pas -aux erreurs de .la conscience ignorante qui' observe : appréhension déformée des faits par les sens et le mental sensoriel, omission, choix et assemblages erronés, ajouts inconscients venus d'une impression ou d'une relation personnelles, tout cela crée une image composite fausse ou imparfaite ; à ces erreurs s'ajoutent celles de l'inférence, du jugement, de l'interprétation des faits par l'intelligence; quand les données elles mêmes ne sont ni sûres ni parfaites, les conclusions fondées sur elles sont nécessairement hasardeuses et imparfaites.
Pour acquérir la connaissance, la conscience procède du connu à l'inconnu; elle édifie une structure d'expérience acquise, de souvenirs, d'impressions, de jugements, un plan mental composite des choses, caractérisé par une fixité mouvante et toujours modifiable. Lorsqu'elle
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reçoit une nouvelle connaissance, elle juge ce qui se présente à la lumière de la connaissance passée et l'intègre dans la structure existante ; si elle ne s'adapte pas correctement, elle l'y rattache de force, tant bien que mal, ou la rejette; mais il se peut que la connaissance établie et ses structures ou ses normes ne soient pas applicables au nouvel objet ou au nouveau champ de connaissance, que l'ajustement s'avère défectueux, et que cet objet soit rejeté par erreur. A ce jugement erroné et à cette mésinterprétation des faits, s'ajoutent une application, une combinaison, une construction, une représentation fausses de la connaissance, un mécanisme compliqué d'erreur mentale. Dans toute cette obscurité -éclairée de nos parties mentales, une intuition secrète est à l'oeuvre, un besoin, de vérité qui corrige ou incite l'intelligence à corriger' ce qui est erroné, à faire effort pour obtenir une image vraie des choses et une vraie connaissance interprétative. Mais l'intuition elle-même est limitée dans le mental humain qui se trompe sur ses indications, et elle ne,peut agir par elle-même; qu'elle soit physique, vitale ou mentale, l'intuition doit en effet, si elle veut être reçue, se présenter non pas dans toute sa pureté et sa nudité, mais couverte d'un revêtement mental ou entièrement enveloppée dans une ample robe mentale ; ainsi déguisée, on ne peut reconnaître sa vraie nature, comprendre s'ena rôle ou. sa relation avec le mental, et l'intelligence humaine hâtive et à demi consciente ignore tout de son mode d'action. Il y a des intuitions de faits actuels, de possibilités, de la vérité déterminante derrière les choses, mais le mental les confond toutes. Une grande confusion de matériaux mal maîtrisés, une construction expérimentale, une représentation ou une structure mentale de l'image du moi et des choses, rigide et cependant chaotique, à moitié formée et ordonnée et à moitié embrouillée, à moitié vraie et à. moitié fausse, mais toujours imparfaite, tel est le caractère de la connaissance humaine.
Cependant, l'erreur, par elle-même, ne serait pas synonyme de fausseté ; elle ne serait qu'une vérité imparfaite, une tentative, un essai de possibilités; en effet, quand nous n'avons pas la connaissance, il nous faut admettre des possibilités non éprouvées et incertaines et, même si cela aboutit à la construction d'une structure imparfaite ou inadéquate, celle-ci peut se justifier, dans la mesure où elle donne accès à une connaissance nouvelle sur des voies imprévues ; par ailleurs, sa dissolution et sa reconstruction ou la découverte d'une vérité qu'elle cachait, peuvent élargir notre cognition ou notre expérience. En dépit
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du mélange ainsi créé, la croissance de la conscience, de l'intelligence et de la raison pourrait, à travers cette vérité mélangée, conduire à une image plus claire et plus vraie de la connaissance de soi et du monde. L'obstruction de l'inconscience originelle enveloppante diminuerait, et une conscience mentale croissante pourrait acquérir une clarté et une intégralité qui permettraient aux pouvoirs celés de la connaissance directe et du processus intuitif d'émerger, d'utiliser les instruments ainsi préparés et éclairés et de faire, de l'intelligence mentale' leur véritable agent, leur constructeur de vérité à la surface du processus évolutif.
Mais ici la seconde condition, le second facteur de l'évolution intervient; car cette recherche de la connaissance n'est pas un processus mental impersonnel entravé seulement par les limitations générales de l'intelligence mentale ; l'ego est là, l'ego physique, l'ego vital qui insiste, non sur la découverte de soi et la découverte de la vérité des choses et de la vie, mais sur l'affirmation vitale de soi. Un ego mental est là qui, lui aussi, tend à s'affirmer personnellement, et l'élan vital le dirige et l'utilise en grande partie pour servir son propre désir et son propre dessein. Car à mesure que le mental se développe, se développe aussi une individualité mentale, où la tendance mentale revêt une dynamique personnelle, ,un tempérament mental et une formation mentale caractéristiques. Cette individualité mentale de surface est égocentrique ; elle regarde le monde, les choses, les événements de son point de vue et les voit non tels qu'ils sont mais tels qu'ils l'affectent; en observant les choses, elle leur donne le tour qui convient à sa tendance et à son caractère, choisit ou rejette, arrange la vérité selon sa convenance et ses préférences mentales. L'observation, le jugement, la raison sont tous déterminés ou affectés par cette personnalité mentale et assimilés aux besoins de l'individualité et de l'ego. Même quand le mental aspire vraiment à une vérité et à une raison purement impersonnelles, cette parfaite impersonnalité lui est inaccessible; même l'intellect le plus entraîné, le plus sévère et le plus vigilant ne parvient pas à distinguer les tours et détours que l'ego mental fait subir à la vérité dans sa réception des faits et des idées et dans la construction de sa connaissance mentale. Nous avons là une source presque inépuisable de distorsion de la vérité, une cause de falsification, une propension inconsciente ou à demi consciente à l'erreur, une acceptation des idées ou des faits fondée non sur une perception claire du vrai et du faux, mais sur des préférences, des convenances personnelles, des choix impulsifs, des préjugés. .C'est là une pépinière fertile pour la
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croissance de la fausseté. Une porte, ou plusieurs portes s'ouvrent par lesquelles elle peut entrer, soit subrepticement, soit par une violente, mais acceptable, usurpation. La vérité peut elle aussi entrer et s'installer, non de plein droit, mais selon le bon plaisir du mental.
Pour reprendre les termes de la psychologie sânkhyenne, nous pouvons distinguer trois types d'individualité mentale : celui que gouverne le principe d'obscurité et d'inertie, premier-né' de l'Inconscient, est tâmasique ; celui que gouverne la force de la passion et de l'activité, est cinétique, râjasique; et celui qui est coulé dans le moule du principe sâttvique de lumière, d'harmonie, d'équilibre. L'intelligence tâmasique a son siège dans le mental physique : elle est insensible aux idées—à l'exception de celles qu'elle reçoit, de façon inerte, aveugle et passive, d'une source ou d'une autorité reconnues —, tel un obscur récepteur refusant de s'élargir, réfractaire aux nouveaux stimuli, conservateur et statique. S'accrochant à là structure cognitive qu'elle a reçue, sa seule forée -est un pouvoir pratique de répétition ; mais ce pouvoir est limité par ce qui est habituel, évident, établi, familier, assuré, et elle rejette tout ce qui est nouveau et risque de la déranger. L'intelligence râjasique a son siège principal dans le mental vital. Elle est de deux sortes: violemment et passionnément défensive, elle affirme son individualité mentale et défend tout ce qui est en accord avec elle, tout ce que préfère sa volonté, tout ce qui s'adapte à ses vues, mais se montre agressive envers tout ce qui s'oppose ;à la structure mentale de son ego ou ce que son intellectualité personnelle juge inacceptable; mais elle peut aussi s'enthousiasmer pour les choses nouvelles : elle est alors passionnée, opiniâtre, impétueuse, souvent insaisissable, inconstante et jamais en repos, et ses idées sont gouvernées non par la vérité et la lumière mais par le goût de la bataille, du mouvement et de l'aventure intellectuels. L'intelligence sâttvique aspire à la connaissance, elle s'ouvre à elle autant qu'elle le peut, prend soin de considérer, de vérifier et d'équilibrer; d'ajuster et d'adapter à ses vues tout ce qui se confirme comme vérité ; elle reçoit tout ce qu'elle peut assimiler, est habile à édifier la vérité en une structure intellectuelle harmonieuse. Mais sa lumière étant limitée, comme l'est nécessairement toute lumière mentale, elle est incapable de s'élargir suffisamment pour recevoir de façon égale toute vérité et toute connaissance. Elle a un ego mental, parfois même éclairé, qui détermine son observation, son jugement, son raisonnement, ses choix et ses préférences mentales. Chez la plupart des hommes, l'une de
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ces qualités prédomine, mais il y a aussi un mélange ; le même mental peut être ouvert, souple, harmonisé dans une certaine direction, et dans une autre se montrer dynamique, vital, précipité, plein de préjugés et déséquilibré, et dans une autre encore, obscur et insensible. Cette limitation due à la personnalité, cette défense de la personnalité et ce refus de recevoir ce que l'on ne peut assimiler sont nécessaires à l'être individuel car, en son évolution, au stade où il est parvenu, il a un certain mode d'expression de soi, un certain type d'expérience et une certaine façon d'utiliser l'expérience qui doivent, du moins sur le plan mental et sur le plan vital, gouverner sa nature. Et pour un temps, c'est sa loi d'être, son dharma. Cette limitation de la conscience mentale par la personnalité et de la vérité par le tempérament mental et les préférences mentales, doit être la loi de notre nature tant que l'individu n'a pas atteint l'universalité, ne se prépare pas encore à transcender le mental. Mais il est évident que cette condition est inévitablement une source d'erreur; et peut, à tout moment, être à l'origine d'une falsification de la connaissance, d'une tromperie de soi, inconsciente ou à demi volontaire, d'un refus d'admettre la connaissance vraie, une tendance à affirmer comme vraie une connaissance fausse, mais jugée acceptable.
Ainsi en est-il dans le domaine de la cognition, mais la même loi s'applique à la volonté et à l'action. L'ignorance engendre une conscience fausse qui pervertit la réaction dynamique 'au contact des personnes, des choses, des événements ; la conscience de surface prend l'habitude d'ignorer, de comprendre de travers ou de rejeter les suggestions qui viennent de la conscience secrète la plus profonde, l'entité psychique, et l'incitent à agir ou à ne pas agir ; elle répond au contraire à des suggestions mentales et vitales non éclairées, ou agit selon les exigences et les impulsions de l'ego vital. Ici, la seconde condition primordiale de l'évolution, la loi d'un être vital séparé s'affirmant dans un monde qui, pour lui, est un non-moi, vient au premier-plan et revêt une immense importance. C'est ici que la personnalité vitale de surface, le moi vital, affirme sa domination, et cette domination de l'être vital ignorant est une source majeure et active' de discorde et de disharmonie, une cause des perturbations intérieures et extérieures de la vie, un des principaux ressorts de la mauvaise action et du mal. Dans la mesure où il n'est pas bridé ou pas éduqué, ou s'il conserve son* caractère primitif, l'élément vital: naturel en nous 'ne se soucie pas de la vérité, ni de' la conscience ou de l'action''ij'aiStes5 ce "qui ite
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préoccupe, c'est l'affirmation de soi, l'expansion vitale, la possession, la satisfaction des pulsions et des désirs. Ce besoin fondamental, cette exigence première du moi vital lui semble d'une importance capitale-; il. les satisferait volontiers sans aucun respect pour la vérité, la justice ou le bien, ou aucune autre considération; mais parce que le mental a ces conceptions et l'âme ces perceptions, il essaie de dominer le mental et d'en obtenir de force, en les lui dictant, une sanction et/un ordre pour exécuter fia propre volonté d'affirmation de soi, un verdict affirmant que ses propres assertions, impulsions et désirs vitaux sont vrais, justes et bons. Il cherche à se justifier afin d'avoir le champ libre pour s'affirmer pleinement. Mais s'il peut obtenir l'assentiment dû mental, il est prêt à ignorer toutes ces normes et à n'en fixer qu'une seule : la satisfaction, la croissance, la force, la grandeur de l'ego vital. L'individu vital a besoin de place et d'espace pour s'étendre, besoin de posséder .son monde, de dominer et contrôler les choses, et Les êtres,; besoin d'un espace vital, d'une place au soleil, besoin de s'affirmer et de survivre. Il en a besoin pour lui-même et pour ceux avec qui il s'associe, pour son propre ego et pour l'ego collectif; il en a besoin pour ses idées, ses croyances, ses, idéaux, ses intérêts, ses imaginations ; car il lui faut affirmer ces formes de " moi " et de " mien " et les imposer au monde autour de lui ; ou s'il n'est pas assez fort pour le faire, il doit au moins les défendre et les préserver des autres " moi " en déployant tout son pouvoir et toute son ingéniosité. Il peut essayer de le faire par des méthodes qu'il croit justes ou choisit de croire justes ou de présenter comme telles ; il peut essayer de le faire par le recours non déguisé à .la violence, à la ruse, au mensonge,à l'agression; .destructrice, à l'écrasement d'autres formations vitales. Quels que soient les moyens ou l'attitude morale, le principe est le même. Ce n'est pas seulement dans le domaine des intérêts personnels, mais dans celui des idées et celui de la religion que l'être vital de l'homme a introduit cet esprit et cette attitude d'affirmation de soi et de lutte, et ce recours à la violence, à l'oppression et à la répression, à l'intolérance et à l'agression. Il a imposé le principe de l'égoïsme vital au domaine de la vérité intellectuelle et au domaine spirituel. En s'affirmant et ; en s'imposant ;ainsi, la vie introduit la haine et l'aversion pour tout ce qui fait obstacle à son expansion ou heurte son ego ; comme moyen ou comme passion, ou par réaction de la nature vitale, elle cultive la cruauté, la traîtrise et autres engeances; pour satisfaire ses désirs et ses impulsions, elle ne tirent aucun compte de ce qui est juste ou;injuste: leur. satisfaction, est
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la seule chose qui l'occupe, et pour y parvenir, elle est prête à risquer la destruction et à endurer de réelles souffrances ; car l'intention de la Nature n'est pas de l'inciter à rechercher sa seule préservation : son but est l'affirmation et la satisfaction vitales, l'expression de la force vitale et de l'être vital.
Il ne n'ensuit pas que la personnalité vitale ne soit que cela dans sa composition originelle, ou que le mal soit au cœur même de sa nature. La vérité et le bien ne sont pas ses préoccupations premières, mais elle peut avoir la passion de la vérité et du bien comme elle a, plus spontanément, la passion de la joie et de la beauté. Dans tout ce que développe la force de vie, se développe en même temps, quelque part dans l'être, un délice secret, un délice dans le bien et un délice dans le mal, un délice dans la vérité et un délice dans le mensonge, un .délice dans la vie et une attirance pour la mort, un délice dans le plaisir et un délice dans la douleur, dans notre propre souffrance et dans celle d'autrui, mais aussi dans notre propre joie, notre bonheur et notre bien comme dans ceux d'autrui. Car la force d'affirmation vitale s'applique pareillement au bien et au mal; elle se sent .poussée a aider, à s'associer, elle a ses élans de générosité, d'affection, de loyauté, de don de soi; elle s'abandonne à l'altruisme comme elle s'abandonne à l'égoïsme, se sacrifie elle-même comme elle détruit les autres; et dans tous ses actes, il y a la même passion de la vie qui s'affirme, la même force d'action et d'accomplissement. Ce caractère de l'être vital 'et sa tendance existentielle, où ce que nous nommons bien et mal son des éléments et non le ressort principal, sont évidents dans la vie infrahumaine ; chez l'être humain, où un discernement mental, moral et psychique s'est développé, l'être vital subit un contrôle, ou un camouflage, mais il ne change pas de caractère. Cet être et sa force de vie, et leur élan vers l'affirmation de soi, sont, en l'absence d'une Action manifeste du pouvoir de l'âme et du pouvoir spirituel, Âtmashakti, le moyen principal de réalisation dont dispose la Nature, et sans son soutien, ni le mental ni le corps ne peuvent utiliser leurs possibilités ou réaliser. leur but dans l'existence terrestre. Ce n'est que si l'être vital intérieur véritable remplace la personnalité vitale extérieure que l'impulsion de l'ego vital peut être entièrement dominée et la force de vie devenir la servante de l'âme et un instrument puissant pour l'action de; notre être spirituel vrai.
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Telles sont donc l'origine et la nature de l'erreur, du mensonge, de l'injustice et du mal dans la conscience et la volonté de l'individu. Une conscience limitée croissant à partir de la nescience est la source de l'erreur; un attachement personnel à la limitation et à l'erreur qu'elle engendre, la source de la fausseté; une conscience fausse gouvernée par l'ego vital, la source du mal. Mais il est évident que leur existence relative n'est qu'un phénomène projeté par la Force cosmique en son élan pour s'exprimer dans l'évolution, et c'est là que nous devons chercher la signification du phénomène. Car l'émergence de l'ego vital; nous l'avons vu, est un procédé de la Nature cosmique qui permet à l'individu de s'affirmer et de se dégager de la substance, de la masse indéterminée du subconscient, pour qu'apparaisse un être conscient sur un terrain préparé par l'Inconscience. Le principe d'affirmation de soi de l'ego en est la conséquence nécessaire. L'ego individuel est une fiction pragmatique et effective, une traduction du moi secret dans les termes de la conscience de surface, ou un substitut subjectif du vrai moi dans notre expérience superficielle. L'ignorance le sépare des " autres moi " et de la Divinité intérieure, mais il est cependant poussé secrètement vers une unification évolutive dans la diversité; bien que fini, il porte secrètement en lui l'élan vers l'infini. Mais dans les termes d'une conscience ignorante, cela se traduit par une volonté d'expansion, la volonté d'être un fini sans limites, d'absorber tout ce qu'il peut, de pénétrer en tout et de tout posséder, voire d'être possédé s'il peut ainsi se satisfaire et sentir qu'il grandit dans les autres ou grâce à eux, ou s'il peut, en les subjuguant, absorber leur être et leur pouvoir Ou recevoir de cette manière une aide, une impulsion pour l'affirmation et le délice de sa vie,pour l'enrichissement de son 'existence mentale; vitale ou physique.
Mais parce qu'il agit ainsi en ego séparé, pour 'son; propre: avantage et non par un échange mutuel conscient et dans l'unité, cela engendre la discorde vitale, le conflit, la disharmonie, et c'est le produit de cette discorde vitale et de cette disharmonie que nous appelons injustice et mal. La Nature les accepte parce que ce sont des circonstances nécessaires de l'évolution, nécessaires à la croissance de l'être divisé ; ce sont les fruits de l'ignorance, soutenus par une conscience ignorante qui se fonde sur la division, par une volonté ignorante qui œuvre au moyen de la division, par une félicité d'être ignorante qui trouve sa joie dans-la division. Il y a dans l'évolution une intention qui s'accomplit par le mal
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comme par le bien. Elle doit se servir de tout parce qu'en se satisfaisant d'un bien limité, elle emprisonnerait et mettrait un frein à l'évolution prévue. Elle utilise tous les matériaux disponibles et en fait ce qu'elle peut, c'est pourquoi: nous voyons le mal naître de ce que nous appelons bien et le bien naître de ce que nous appelons mal. Et si nous constatons même que ce que nous pensions être mal est finalement accepté comme un bien, que ce que nous pensions être bien est finalement tenu pour un mal, c'est parce que nos critères du bien et du mal sont évolutifs, limités et changeants. La Nature évolutive, la Force cosmique terrestre semble donc n'avoir au début aucune préférence pour l'un ou l'autre de ces contraires, elle les utilise tous deux également pour parvenir à ses fins. Et pourtant, c'est da même Nature, la même :Force qui a imposé à l'homme ce fardeau qu'est le sens du bien et du mal et qui en souligne l'importance. Manifestement, ce sens a donc lui aussi un but évolutif, lui aussi doit être nécessaire. Il doit exister pour que l'homme puisse laisser certaines choses derrière lui, se tourner vers d'autres, jusqu'à ce que du bien et du mal il puisse émerger en un Bien qui soit éternel et infini.
Mais comment cette intention évolutive de la Nature doit-elle s'accomplir, par quel pouvoir, quel moyen, quelle impulsion, par quel principe et quelle méthode de sélection et d'harmonisation ? La méthode adoptée par le mental de l'homme au fil des âges a toujours été un principe de sélection et de rejet, qui a pris les formes d'une sanction religieuse, ou d'une règle de vie morale ou sociale, ou bien d'un idéal éthique. Mais c'est là un moyen empirique qui ne touche pas la racine du problème, parce qu'il ne voit pas la cause et l'origine de la maladie qu'il cherche à guérir. Il s'occupe des symptômes, mais superficiellement, sans connaître leur rôle dans le dessein de la Nature ni ce qui, dans le mental et la vie, les soutient et préserve leur existence. En outre, le bien et le mal humains sont relatifs, et les normes établies par l'éthique sont aussi incertaines que relatives. Ce qui est interdit par une religion ou une autre, ce qui est tenu pour bien ou mal par l'opinion publique, ce qui a été jugé utile ou nuisible à la société, ce que telle loi temporaire des hommes permet ou interdit, ce qui est/ou ce i que l'on considère bienfaisant ou nocif, pour soi ou pour autrui, ce qui s'accorde avec tel ou tel idéal, ce que suggère ou décourage un instinct que nous nommons conscience — l'amalgame de tous ces points de vue est l'idée hétérogène et déterminante et constitué la substance complexe, de la moralité. En tous il y a un mélange constant de vérité, de demi-vérité
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et d'erreur. qui accompagne toutes les activités de notre Connaissance-Ignorance mentale limitée. Exercer un contrôle mental sur nos désirs et nos instincts vitaux et physiques, sur notre action personnelle et sociale, sur nos rapports avec les autres, nous est indispensable à nous, êtres humains, et la. moralité crée une norme qui nous sert de guide et nous permet d'établir un contrôle conforme à l'usage; mais ce contrôle est toujours imparfait et c'est un expédient, non une solution. L'homme demeure ce qu'il est et ce qu'il a toujours été, un mélange de bien et de mal, de péché et de vertu, un ego mental gouvernant imparfaitement sa nature mentale, vitale et physique.
L'effort pour choisir, pour préserver tout ce qui, dans notre conscience et notre action, nous semble bon et rejeter tout ce qui nous paraît mauvais, et pour re-former ainsi notre être, nous recréer et nous modeler à l'image d'un idéal, est un mobile éthique plus profond, car il touche de plus près au vrai problème : il repose sur l'idée légitime que notre; vie; est un devenir et qu'il existe quelque chose qu'il nous faut devenir et être. Mais les idéaux construits par le mental humain sont sélectifs et relatifs; façonner rigidement notre nature selon, ces idéaux, c'est mous limiter et faire unie construction là où il devrait y avoir une croissance vers un être plus vaste. L'appel véritable, c'est l'appel de l'Infini et du Suprême. L'affirmation et la négation de nous-mêmes que nous impose la Nature sont toutes deux des mouvements dirigés vers cela, et ce que nous devons découvrir, c'est le juste chemin de l'affirmation et de la négation de soi réunies, au lieu de la voie fausse parce qu'ignorante, de l'ego, et du conflit entre le oui et le non de la Nature. Si nous ne le découvrons pas, ou bien la poussée de la vie sera trop forte pour notre idéal étroit de perfection, ses instruments se briseront et il ne pourra se réaliser et se perpétuer; ou bien nous obtiendrons tout au plus un demi-résultat ; ou encore, la tendance à fuir la vie se présentera comme l'unique remède, le seul moyen d'échapper à l'emprise, autrement invincible, de l'Ignorance. Telle est en fait la voie qu'indique ordinairement la religion : une morale prescrite par le divin, une poursuite de la piété, de l'équité et de la vertu comme le stipule un code de conduite religieux, une loi de Dieu déterminée par quelque inspiration humaine. Tels sont les moyens qui nous sont proposés, la direction à suivre pour marcher sur le chemin qui mène à l'issue, à la solution. Mais cette issue ne change rien au problème; ce n'est qu'une voie par laquelle l'être personnel peut échapper à l'énigme irrésolue de
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l'existence cosmique. Dans l'Inde ancienne, la pensée spirituelle avait une perception plus claire de la difficulté. On tenait la pratique de la vérité, de la vertu, de la volonté juste et de l'action juste pour nécessaire afin d'accéder à la réalisation spirituelle, mais dans la réalisation elle-même, l'être, s'élève en la conscience plus grande de l'Infini et Éternel et se débarrasse du fardeau du péché et de la vertu, qui appartient à la relativité et à l'Ignorance. Derrière cette perception plus vaste et plus vraie, il y a l'intuition qu'un bien relatif est un entraînement que la Nature universelle nous impose afin que nous puissions ainsi nous diriger vers le vrai Bien, qui est absolu. Ces problèmes relèvent du mental et de la vie ignorante, ils ne nous suivent pas au-delà du mental. De même que dans une Conscience-de-Vérité infinie cesse la: dualité ide; la; vérité et de l'erreur, de même y a-t-il une libération hors de la dualité du bien et du mal dans un Bien infini, dans une transcendance.
On ne peut échapper artificiellement à ce problème qui; a toujours préoccupé l'humanité et auquel elle n'a trouvé aucune solution satisfaisante. L'arbre de la connaissance du bien et du mal, avec ses fruits doux et amers, est secrètement enraciné dans la nature même de l'Inconscience d'où notre être a émergé et sur laquelle il se tient encore comme sur le sol, l'assise inférieure de notre existence physique; il a grandi visiblement à la surface, dans les multiples ramifications de l'Ignorance qui demeure la masse principale, la condition première de notre conscience en sa difficile évolution vers une conscience suprême et un éveil intégral. Tant qu'existera ce sol où plongent les racines encore cachées, tant qu'existera cet air nourricier et ce climat d'Ignorance, l'arbre grandira et prospérera et produira sa double floraison et ses fruits mélangés. Cela laisserait supposer qu'il ne pourra y avoir de solution définitive tant que nous n'aurons pas changé notre inconscience en la conscience supérieure, fait de la vérité du moi et de l'esprit la base de notre vie et; transformé notre ignorance en une plus haute connaissance. Tous les autres moyens ne seront qu'un pis-aller ou des impasses ; une transformation complète et radicale de notre nature est la seule solution véritable. C'est parce que l'Inconscience impose son obscurité originelle à notre perception de nous-mêmes et ries choses et que l'Ignorance la fonde sur une conscience imparfaite et divisée, et parce que nous vivons dans cette obscurité et cette division, qu'une connaissance et une volonté fausses sont possibles ; sans connaissance fausse, il ne pourrait y avoir d'erreur ni de fausseté, et sans erreur ou
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sans fausseté dans nos éléments dynamiques, il ne pourrait y avoir de volonté fausse dans les parties de notre être; sans volonté fausse, enfin, il ne pourrait y avoir d'action mauvaise ni de mal. Tant que dureront ces causes, les effets aussi persisteront dans nos actes et notre nature. Un contrôle mental ne peut jamais être qu'un contrôle, pas une guérison; un enseignement mental, une règle et une norme mentales ne peuvent qu'imposer un sillon artificiel dans lequel notre action tourne mécaniquement ou avec difficulté et qui réprime et limite la forme que suit le développement de notre nature. Un changement de conscience total, un changement de nature radical, est le seul remède et la seule issue.
Mais puisque la racine de la difficulté se trouve dans une double existence, limitée et séparatrice, ce changement doit consister en une intégration, une guérison de la conscience divisée de notre être, et cette division étant complexe et multiple, aucun changement partiel d'un seul aspect de l'être ne saurait se. substituer de façon satisfaisante à la transformation intégrale. La première division est celle que crée notre ego et surtout, avec le plus de force et d'acuité, notre ego vital qui nous sépare de tous les autres êtres, les traitant comme " non-moi ", et nous lie à notre égocentrisme et à;la":loi d'une affirmation de soi égoïste. C'est dans les erreurs de cette affirmation de soi que la fausseté et le mal émergent tout d'abord : la conscience fausse engendre la volonté fausse dans les parties de l'être, dans le mental pensant, dans le cœur, le mental vital et l'être sensoriel, et jusque dans la conscience du corps; la volonté fausse engendre l'action fausse de tous ces instruments, une erreur multiple, une foisonnante perversion de la pensée, de la volonté, des sens et des sentiments. Et nous ne pouvons établir des rapports justes avec les autres tant qu'ils sont pour nous des " autres ", des êtres qui nous sont étrangers et dont nous ne connaissons guère ou pas du tout la conscience intérieure, les besoins de l'âme, du mental, du cœur, de la vie et du corps. Le peu de sympathie, de connaissance et de bonne volonté imparfaites qu'engendrent la loi, le besoin et l'habitude de l'association, est trop insuffisant pour satisfaire les exigences d'une action véritable. Un mental et un cœur plus vastes, une force de vie plus ample et plus généreuse peuvent contribuer, à nous 'aider ou à aider autrui et à éviter les pires offenses, mais cela aussi est insuffisant et n'empêche pas nombre de perturbations, de maux et de collisions de notre bien privilégié avec le bien d'autrui. Notre ego et notre ignorance sont ainsi faits que nous nous affirmons égoïstement Lors même que nous nous
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targuons le plus de notre absence d'égoïsme, et, dans notre ignorance, même quand nous sommes le plus fiers de notre compréhension et de notre connaissance. Pris comme règle de vie, l'altruisme ne nous délivre pas; c'est un puissant instrument pour s'élargir et corriger l'ego plus énroi4 mais il n'abolit ni ne transforme cet ego en le moi véritable, un avec tous. L'ego de l'altruiste est aussi puissant et absorbant que l'ego de l'égoïste, et il est souvent plus fort et plus persistant parce que c'est un ego satisfait de soi et magnifié. Et causer du tort à notre âme, à notre mental, à notre vie"o;u à notre corps avec l'idée "de soumettre notre moi à celui d'autrui, nous aide encore moins. Le vrai principe est d'affirmer notre être de la façon juste afin qu'il puisse devenir un avec tous, non de le mutiler ou de l'immoler. Il peut être parfois nécessaire — exceptionnellement — de s'immoler pour une cause, en réponse à quelque exigence du cœur ou pour quelque juste et haut dessein, mais on ne peut en faire la règle ou la nature de la vie. Cette exagération ne ferait que nourrir et enfler l'ego des autres ou magnifier quelque ego collectif, et ne nous conduirait pas, nous ou l'humanité, à la découverte et à l'affirmation de notre être vrai, ou du sien. Le sacrifice et le don de soi sont assurément un principe vrai et une nécessité spirituelle, car nous ne pouvons affirmer notre être de la façon juste sans sacrifice ou sans nous donner à quelque chose de plus vaste que notre ego ; mais cela aussi doit être fait avec une conscience et une volonté justes, fondées sur une connaissance vraie. Le mieux que nous puissions faire dans les limites de la formation mentale, consiste à développer la partie sâttvique de notre nature, une nature de lumière, de compréhension, d'équilibre, d'harmonie, de sympathie, de bonne volonté, de bonté, d'amour du prochain, de maîtrise de soi, d'action correctement ordonnée et harmonisée ; mais c'est une étape, et non le but de la croissance de notre être. Ce sont des expédients, des palliatifs, les moyens nécessaires pour traiter partiellement cette difficulté fondamentale, des normes provisoires et des procédés qui nous servent temporairement de guide et de soutien, parce que la solution véritable et complète dépasse notre capacité actuelle et ne pourra venir que lorsque nous aurons suffisamment évolué pour la voir et en faire l'objet principal de notre quête.
La vraie solution ne peut venir que lorsque notre croissance spirituelle atteint le point où nous-même et tous les êtres ne formons plus qu'un seul moi, où nous les connaissons comme une partie de notre moi, les traitons comme s'ils étaient nos autres-moi; car alors la division
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est abolie, la loi d'affirmation de soi séparée, qui conduit tout naturellement à l'affirmation de soi contre les autres ou à leurs dépens, s'élargit et se libère par l'apport d'une autre loi, celle de l'affirmation de soi pour autrui et de la découverte de soi en leur propre découverte et leur propre réalisation. On s'est fait une règle, en morale religieuse, d'agir dans un esprit de compassion universelle, d'aimer son prochain comme soi-même, de faire aux autres ce que l'on voudrait qu'ils nous fassent à nous-mêmes, d'éprouver comme nôtres et leur joie et leur peine; mais aucun homme vivant en son ego ne p'eut véritablement et parfaitement accomplir de telles choses, il ne peut que les accepter comme une exigence de son mental, une aspiration de son cœur, un effort de sa volonté pour vivre selon une norme élevée et modifier, par un effort sincère, sa nature égoïste grossière. C'est, quand on connaît et qu'on sent intimement les autres comme soi-même, que cet idéal peut devenir une règle de vie naturelle et spontanée et être réalisé en pratique comme en son principe. Mais être un avec les autres n'est pas même suffisant en soi, si c'est être un avec leur ignorance; car alors la loi de l'ignorance agira, l'action erronée et l'action fausse persisteront, fût-ce à un moindre degré et même si leur incidence et leur caractère sont atténués. Notre union avec les autres doit être fondamentale ; ce ne doit pas être une union, avec leur mental, leur cœur, leur être vital, leur ego — bien qu'ils finissent par être inclus dans notre conscience universalisée —, mais une union en l'âme et en l'esprit, et cela ne peut se produire que par notre libération en la conscience de l'âme et là connaissance du moi. Être nous-mêmes affranchis de l'ego et réaliser notre vrai moi, telle est la première nécessité; tout le reste peut ensuite s'accomplir, en être le lumineux résultat, la conséquence nécessaire. C'est l'une des raisons pour lesquelles un appel spirituel doit être accepté de façon impérative et prendre le pas sur toutes les autres revendications, intellectuelles, éthiques ou sociales, qui relèvent du domaine de l'Ignorance. Car la loi mentale du bien appartient à ce domaine et ne peut que modifier les choses et servir de palliatif; rien ne saurait vraiment remplacer le changement spirituel qui peut réaliser le bien véritable et intégral, car c'est l'esprit qui nous conduit à la racine de l'action et de l'existence.
; La connaissance spirituelle du moi s'accomplit en trois étapes, qui sont en même temps trois parties de l'unique connaissance. La première est la découverte de l'âme, non point l'âme extérieure de pensée, d'émotion et de désir, mais l'entité psychique secrète, l'élément
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divin en nous. Quand elle domine notre nature, quand nous sommes consciemment l'âme et quand le mental, la vie et le corps prennent leur vraie place d'instruments de l'âme, nous devenons conscients d'un guide intérieur qui connaît la vérité, le bien, le vrai délice et la vraie beauté de l'existence, qui gouverne le cœur, et l'intellect par sa loi lumineuse et conduit notre vie et notre être vers la plénitude spirituelle. Même dans les obscures opérations de l'Ignorance, nous avons alors un témoin qui discerne, une lumière vivante qui illumine, une volonté qui refuse de se laisser fourvoyer et qui sépare la vérité mentale de l'erreur, fait la distinction entre la réponse intime du cœur et ce qui vibre en lui en réponse à un faux appel ou à une fausse demande qui lui est faite, ne confond pas l'ardeur véritable et le plein mouvement de la vie avec la passion vitale et les mensonges turbides de notre nature vitale et la recherche de ses obscures satisfactions égoïstes. Telle est la première étape de la réalisation de soi : instaurer le règne de l'âme, l'individu psychique divin, à la place de l'ego. L'étape suivante consiste à prendre conscience du moi éternel en nous, non né, un avec le moi de tous les êtres. Cette réalisation de soi libère et universalise ; même si notre action se poursuit encore selon la dynamique de l'Ignorance, elle ne nous enchaîne plus, ne nous égare plus, car notre être intérieur trône dans la lumière de la connaissance de soi. La troisième étape nous amène à connaître l'Être divin qui est à la fois notre suprême Moi transcendant, l'Être cosmique, fondement de notre universalité, et le Divin intérieur dont notre être psychique, le vrai individu évolutif en notre nature, est une part, une étincelle, une flamme qui grandit en le Feu éternel où il fut allumé et dont il est le témoin toujours vivant en nous et l'instrument conscient de sa lumière, de son pouvoir, de sa joie et de sa beauté. Conscients que le Divin est le Maître de notre être et de notre action, nous pouvons apprendre à devenir les canaux de Sa Shakti, la Puissance divine, et à agir selon ses ordres ou la loi de sa lumière et de son pouvoir en nous. Notre action ne sera plus, dès lors, gouvernée par nos impulsions vitales ou soumise à une norme mentale, car la Shakti agit suivant la vérité permanente et néanmoins plastique des choses — non la vérité que construit le mental, mais celle plus haute, plus profonde et plus subtile de chaque mouvement et de chaque circonstance telle que la connaît la connaissance suprême et que l'exige la suprême volonté dans l'univers. La libération de la volonté suit la libération de la connaissance, elle en est la conséquence dynamique. C'est la connaissance qui purifie, c'est la vérité qui libère ; le mal est le fruit d'une ignorance spirituelle et il ne disparaîtra que par la croissance
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d'une conscience spirituelle, et: là lumière' de la connaissance spirituelle. Notre être est séparé des autres êtres, et cette division ne peut disparaître qu'en annulant le divorce entre notre nature et la réalité intérieure de l'âme, qu'en supprimant le voile entre notre devenir et notre être essentiel; qu'en jetant un pont sur l'espace qui éloigne notre individualité dans la Nature de l'Être divin qui est la Réalité omniprésente dans la Nature et au-delà.
Mais la dernière division qui; reste à éliminer est la scission entre cette Nature et la Supra-Nature qui est le Pouvoir-en-soi de l'Existence divine. Même avant que la l'intuition dynamique ne soit annulée, tant qu'elle demeure comme une instrumentation inadéquate de l'esprit, la Shakti suprême ou Supranature peut œuvrer à travers nous et nous pouvons être conscients de ses opérations; mais elle le fait en modifiant sa lumière et son pouvoir afin que la nature inférieure -'le mental, la vie et le corps — puisse la recevoir et l'assimiler. Mais cela ne suffit pas; il est nécessaire de remodeler entièrement ce que nous sommes et d'en faire un état et un pouvoir de la Supranature divine. Cette intégration de notre être ne peut être complète à moins que l'action dynamique ne -soit ainsi transformée; c'est tout le mode de la Nature elle-même qui doit être soulevé et changé : illuminer et transmuer les états intérieurs de l'être n'est pas suffisant. Une Conscience-de-Vérité éternelle doit prendre possession de nous et, sublimant tous les modes de notre nature, l'es changer en ses propres modes d'être, de connaissance et d'action. Une perception, une volonté, un sentiment, un mouvement, une action spontanément vrais peuvent alors devenir la loi intégrale de notre nature.
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DEUXIÈME PARTIE
LA CONNAISSANCE
ET
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Ce Moi doit être conquis par la Vérité et par une connaissance intégrale.
Mundaka Upanishad. III. l. 5.
Écoute, et apprends comment tu me connaîtras en Ma totalité (...), car, même parmi les chercheurs qui ont atteint leur but, à peine en est-il un qui Me connaisse dans toute la vérité de Mon être.
Gîta, VII. 1,3.
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Telles sont donc l'origine, la nature et les frontières de l'Ignorance. Son origine est une limitation de la connaissance, son caractère distinctif une séparation de l'être d'avec sa propre intégralité et son entière réalité; ses frontières sont déterminées par ce développement séparateur de la .conscience, car celui-ci nous coupe de notre vrai moi ainsi que du vrai moi et de la nature complète des choses et nous oblige à vivre une existence superficielle apparente. Le retour à l'intégralité, ou le progrès dans ce sens, la disparition des limites, l'abolition de la séparativité, le dépassement des frontières, le recouvrement de notre réalité essentielle et complète, sont donc nécessairement le signe et le caractère inverse du mouvement intérieur vers la Connaissance. La conscience limitée et séparatrice doit être remplacée par une conscience essentielle et intégrale, identifiée à la vérité originelle et à la vérité complète du moi et de l'existence. La Connaissance intégrale est déjà présente dans la Réalité intégrale, ce n'est pas une chose nouvelle ou encore inexistante qu'il faille créer, acquérir, apprendre, inventer ou construire au moyen du mental. Il faut plutôt la découvrir ou la dévoiler, c'est une Vérité qui se révèle d'elle-même dans la quête spirituelle ; car elle est là, voilée, dans notre moi plus vaste et plus profond ; elle est la substance même de notre conscience spirituelle, et c'est en nous éveillant à elle, jusque dans notre moi de surface, que nous devons la posséder. Il existe une connaissance de soi intégrale et, le moi cosmique étant aussi notre moi, une connaissance cosmique intégrale qu'il nous faut recouvrer. Une connaissance que le mental peut acquérir ou construire existe, et elle a sa valeur, mais ce n'est pas ce que nous entendons par Connaissance et Ignorance.
Une conscience spirituelle intégrale porte en soi la connaissance de tous les termes de l'être ; elle relie le plus élevé au plus bas en passant par tous les termes intermédiaires, et réalise un tout indivisible. Au plus
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haut sommet des choses, elle s'ouvre à la réalité de l'Absolu, ineffable parce que supraconsciente pour tout, hormis sa propre conscience de soi. À l'extrémité inférieure de notre être, elle perçoit l'Inconscience d'où procède notre évolution ; mais elle est en même temps consciente de l'Un et du Tout qui se sont involués dans ces profondeurs, elle dévoile la Conscience secrète dans l'Inconscience. Interprétative, révélatrice, se mouvant entre ces deux extrêmes, sa vision découvre la manifestation de l'Un dans le Multiple, l'identité de l'Infini dans la disparité des choses finies, la présence de l'Éternel intemporel dans le Temps éternel; c'est cette vision qui illumine pour elle le sens de l'univers. Cette Conscience n'abolit pas l'univers; elle s'en empare et le. transforme en lui donnant son sens caché. Elle n'abolit pas l'existence individuelle ; elle transforme l'être individuel et la nature individuelle en leur révélant leur sens véritable et en leur permettant de triompher de ce qui, en eux, les sépare de la Réalité divine et de la Nature divine.
Une connaissance intégrale présuppose une Réalité intégrale, car c'est le pouvoir d'une Conscience-de-Vérité qui est elle-même la conscience de la Réalité. Mais notre conception et notre perception de la Réalité varient selon l'état et le mouvement de notre conscience, selon sa vision des choses, ce sur quoi elle insiste, ce qu'elle reçoit. Cette vision et cette insistance peuvent être intensives et exclusives, ou bien extensives, inclusives et globales. Il est tout à fait possible — et dans son domaine particulier, c'est un mouvement qui a sa valeur pour notre pensée et pour une très haute voie de réalisation spirituelle — d'affirmer l'existence de l'Absolu ineffable, d'insister sur sa' seule Réalité, et de nier et d'abolir pour nous-mêmes l'être individuel et la création cosmique, de les effacer de notre conception et de notre perception de la réalité. La réalité de l'individu est Brahman, l'Absolu; la réalité du cosmos est Brahman, l'Absolu: l'individu est; ; un phénomène, .une apparence temporelle dans le cosmos ; le cosmos lui-même est un phénomène, une apparence temporelle plus vaste et plus complexe. Les deux termes. Connaissance et Ignorance, n'existent que par rapport à cette apparence, et tous deux doivent être transcendés si nous voulons atteindre à une supraconscience absolue. La conscience de l'ego et la conscience cosmique s'éteignent dans cette suprême transcendance, et seul demeure l'Absolu. Car le Brahman absolu n'existe qu'en sa propre identité, il dépasse toute connaissance autre. En lui, l'idée même d'un connaissant et d'un connu et donc d'une connaissance où ils se rejoignent et deviennent un,
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disparaît, est transcendée et perd sa validité, en sorte que le Brahman absolu demeurera toujours inaccessible au mental et au langage. Contrairement au point de vue que nous avons exposé, ou pour le compléter — point de vue selon lequel l'Ignorance n'est elle-même qu'une action limitée ou involuée de la Connaissance divine, limitée dans ce qui est partiellement conscient, involuée dans l'inconscient —, nous pourrions dire, en regardant depuis l'autre extrémité de l'échelle des choses, .que la Connaissance n'est elle-même qu'une Ignorance supérieure, puisqu'elle s'arrête avant d'atteindre la Réalité absolue qui, pour Elle-même, est évidente en soi, mais que le mental ne peut connaître. Cet absolutisme correspond à une vérité de la pensée et à une vérité de l'expérience suprême dans la conscience spirituelle ; mais elle ne représente pas toute la pensée spirituelle, complète et globale, ni n'épuise les possibilités de la plus haute expérience spirituelle.
La conception absolutiste de la réalité, de la conscience et de la connaissance se fonde sur un aspect de la pensée védântique primitive, mais elle n'en représente pas la totalité. Dans les Upanishad, ces Écritures inspirées du plus ancien Védânta, nous trouvons l'affirmation de l'Absolu, le concept-expérience de la Transcendance pure et ineffable; mais nous trouvons aussi, non pas sa contradiction mais son corollaire : une affirmation de la Divinité cosmique, un concept-expérience du Moi cosmique et du devenir du Brahman dans l'univers. Nous y trouvons également l'affirmation de la Réalité divine de l'individu ; et là encore il s'agit d'un concept-expérience Cette Réalité est prise non comme une apparence, mais comme un devenir réel. Au lieu d'une seule et suprême affirmation exclusive qui nie tout ce qui n'est pas l'Absolu transcendant, nous trouvons une affirmation globale menée à sa plus extrême conclusion : ce concept de la Réalité et de la Connaissance embrassant dans une" seule; vision le cosmique et l'Absolu, coïncide fondamentalement avec le nôtre, car il implique que l'Ignorance aussi est une partie à demi voilée de la Connaissance, et la connaissance du monde une partie de la connaissance du moi. L'Îshâ Upanishad insiste sur l'unité et la réalité de toutes les manifestations de l'Absolu; elle refuse de limiter la vérité à un seul aspect, quel qu'il soit. Le Brahman est le stable et le mobile, l'intérieur et l'extérieur, tout ce qui est proche et tout ce qui est éloigné, que ce soit spirituellement ou dans l'étendue du Temps et de l'Espace. Il est l'Être et tous les devenirs, le Pur et Silencieux, sans traits, inactif, il est le Voyant, le Penseur qui organise le monde et ses objets, l'Un qui
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devient tout ce qui nous est perceptible dans l'univers, l'Immanent et ce en quoi il établit sa demeure. L'Upanishad affirme que la connaissance parfaite et libératrice est celle qui n'exclut ni le Moi, ni ses créations : en toutes, l'esprit libéré voit des devenirs de l'Existant-en-soi dans sa vision intérieure et par une conscience qui perçoit l'univers en elle-même, au lieu de le voir de l'extérieur comme autre que soi, à l'instar du mental égoïste et limité. Vivre dans l'Ignorance cosmique, c'est être aveugle, mais s'enfermer dans un absolutisme exclusif de la Connaissance, est une autre forme d'aveuglement. Connaître que le Brahman est tout à la fois et indissociablement la Connaissance et l'Ignorance, atteindre à l'état suprême par le Devenir comme par le Non-Devenir, relier la réalisation du moi transcendant et celle du moi cosmique, établir notre assise dans le supra-mondain et une manifestation consciente de soi dans le monde, telle est la connaissance intégrale. Et c'est posséder l'Immortalité. C'est cette conscience totale, avec sa connaissance complète, qui établit les fondations de la Vie divine et rend sa réalisation possible. Il s'ensuit que la réalité absolue de l'Absolu doit être, non une unité rigide et indéterminable, non un infini vide de tout ce qui n'est pas pure existence en soi, accessible seulement par l'exclusion du multiple et du fini, mais quelque chose qui dépasse ces définitions, qui se trouve en fait au-delà de toute description, positive ou négative. Toutes les affirmations et toutes les négations en expriment des aspects, et c'est à la fois par une suprême affirmation et une suprême négation que nous pouvons atteindre l'Absolu.
D'une part, nous avons donc une Existence-en-soi absolue, un éternel être-en-soi qui se présente à nous comme la Réalité, et, par l'expérience du Moi silencieux et inactif ou du Purusha immobile et détaché, nous pouvons approcher de cet Absolu sans traits ni relations, nier les actions du Pouvoir créateur, que celui-ci soit une Maya illusoire ou. une Prakriti formatrice, cesser de tourner dans l'erreur cosmique pour entrer dans la Paix et le Silence éternels, nous débarrasser de notre existence personnelle et nous trouver — ou nous perdre — en cette seule Existence véritable. D'autre part, nous avons un Devenir qui est un vrai mouvement de l'Être, et l'Être et le Devenir sont tous deux des vérités d'une unique Réalité absolue. Le premier point de vue repose sur la conception métaphysique qui formule une perception extrême dans notre pensée, une expérience exclusive dans notre conscience de l'Absolu considéré comme une réalité exempte de
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toutes relations et de toutes déterminations : d'où la nécessité logique et pratique de nier le monde des relativités en le tenant pour la fausseté d'un être irréel, un non-existant (Asat), ou du moins une expérience du moi inférieure, évanescente, temporelle et pragmatique, et de le retrancher de la conscience afin de libérer l'esprit de ses perceptions fausses ou de ses créations inférieures. Le second point de vue se fonde sur l'idée que l'Absolu ne peut être limité ni positivement, ni négativement. Il est au-delà de toutes relations, en ce sens qu'aucune relativité ne le lie ni ne peut limiter son pouvoir d'être. Nos conceptions relatives les plus hautes comme les plus ordinaires, positives ou négatives, ne peuvent l'enchaîner ni le circonscrire; il n'est lié ni à nôtre, connaissance ; ni à notre ignorance, ni à notre concept de l'existence ni à notre concept de la non-existence. Mais il ne peut non plus être limité par une incapacité à contenir, soutenir, créer ou manifester des relations ; au contraire, on peut considérer son pouvoir de. se manifester dans l'infini; de, l'unité et l'infini de la multiplicité comme une force inhérente, un signe, un résultat de son absoluité même, et cette possibilité est en soi une explication suffisante de l'existence cosmique. L'Absolu ne peut certes, en sa nature" être contraint de manifester un cosmos de relations, mais il ne peut pas non plus être contraint de ne manifester aucun cosmos. Il n'est pas lui-même une pure vacuité, car un Absolu vide n'est pas un Absolu — notre conception du Vide ou du Zéro n'est qu'un signe conceptuel de notre incapacité mentale à le connaître ou le saisir. Il porte en soi quelque ineffable essence de tout ce qui est et de tout ce qui peut être, et puisqu'il contient en lui-même cette essence et cette possibilité, il doit également contenir, d'une façon propre à son absoluité, la vérité permanente ou l'actualité inhérente et réalisable (fût-ce à l'état latent) de tout ce qui est fondamental pour notre existence ou celle du monde. C'est l'actualisation de cette actualité réalisable, ou cette vérité permanente déployant ses possibilités-, que nous appelons manifestation .et que nous voyons comme l'univers.
La conception ou la réalisation de la vérité de l'Absolu n'implique donc pas, comme conséquence inhérente et inévitable, le rejet ou la dissolution de la vérité de l'univers. L'idée d'un univers essentiellement irréel, manifesté d'une manière ou d'une autre par un inexplicable Pouvoir d'illusion, le Brahman absolu ne le regardant pas ou se tenant à l'écart, et. ne l'affectant pas plus qu'il n'en est affecté, revient ;au fond à reporter sur Cela, à lui imposer ou lui imputer, adhyâropa, une
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incapacité de notre conscience mentale, afin de le limiter. Quand elle outrepasse ses limites, notre conscience mentale perd sa ligne et ses moyens propres de connaissance, et elle tend à cesser toute activité ou à s'éteindre ; elle perd en même temps son ancien contenu, ou a tendance à perdre toute prise sur lui, toute conception continue de la réalité de ce qui, auparavant, était pour elle tout le réel. Nous prêtons au Parabrahman absolu, conçu comme éternel non-manifesté, une incapacité correspondante ou une séparation ou un éloignement par rapport. ce qui est devenu irréel, ou nous semble tel ; comme notre mental quand celui-ci s'arrête ou s'éteint, il doit être, de par sa nature même de pur absolu, exempt de tout lien avec ce monde de manifestation apparente, incapable de toute cognition qui le soutienne ou de tout support dynamique lui donnant une réalité — ou si une telle cognition existe, elle doit être de la nature d'un Est qui n'est pas, d'une Maya magicienne. Mais il n'y; a aucune raison impérieuse de supposer qu'un tel abîme existe. La capacité ou l'incapacité de notre conscience humaine relative ne peut servir de mesure ou de critère à une capacité absolue, ses conceptions ne peuvent s'appliquer à une conscience de soi absolue : ce qui est nécessaire à notre ignorance mentale pour échapper à elle-même ne peut être une nécessité pour l'Absolu qui n'a aucun besoin de s'échapper de lui-même, ni aucune raison de refuser de connaître tout ce qui est connaissable.
Il y a cet Inconnaissable non manifesté; il y a ce connaissable manifesté, partiellement manifesté pour notre ignorance, entièrement manifesté pour la Connaissance divine qui contient en soi sa propre infinité. S'il est vrai que. ni .notre ignorance, ni notre connaissance mentale la plus extrême et la plus vaste ne peuvent nous donner prise sur l'Inconnaissable, il est vrai également que, se servant de notre connaissance ou de notre ignorance. Cela se manifeste diversement; car Cela ne peut manifester autre chose que soi-même, puisque rien d'autre ne peut exister : dans cette diversité de la manifestation, il y a cette Unité et, à travers la diversité, nous pouvons toucher l'Unité. Mais même alors, même en acceptant cette coexistence, il est encore possible de rendre un verdict final qui condamne le Devenir, de décider qu'il faut y renoncer et revenir en l'Être absolu. Ce verdict peut reposer sur la distinction entre la réalité réelle de l'Absolu et la réalité partielle et trompeuse de l'univers relatif.
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Dans ce déploiement de la connaissance nous avons en effet les deux termes que sont l'Un et le Multiple, comme nous avons ceux du fini et de l'infini, de ce qui devient et de ce qui ne devient pas mais est à jamais, de ce qui prend forme et de ce qui ne prend pas forme, de l'Esprit et de la Matière, du suprême Supraconscient et de l'Inconscience la plus profonde. Dans ce dualisme, et pour nous en affranchir, nous sommes libres de définir la Connaissance comme la possession d'un des deux termes, la possession de l'autre constituant l'Ignorance. Le but ultime de' notre vie serait alors de nous écarter de la réalité inférieure du Devenir pour atteindre à la réalité plus grande de l'Être, de bondir de l'Ignorance dans la Connaissance et de rejeter l'Ignorance, d'abandonner le Multiple pour l'Un, le fini pour l'Infini, la forme pour le sans-forme, de quitter la vie dans l'univers matériel pour vivre en l'Esprit, d'échapper à l'emprise de l'inconscient pour entrer dans l'Existence supraconsciente. Cette solution suppose, dans chaque cas, une stricte opposition des deux termes de notre être, considérés comme définitivement inconciliables. Ou bien, s'ils sont tous deux un moyen de manifestation du Brahman, le terme inférieur est un indice faux ou imparfait, un moyen qui doit échouer, un système de valeurs qui ne peut finalement nous satisfaire. Déçus par les confusions de la multiplicité, dédaignant même la lumière, la puissance et la joie les plus hautes qu'elle peut nous révéler, nous devons poursuivre notre quête au-delà, vers la concentration et la stabilité absolues où cesse toute variation. L'appel de l'Infini nous rend incapables de demeurer à jamais enchaînés au fini ou d'y trouver satisfaction, vastitude et paix, et nous devons donc briser tous les liens de la Nature individuelle et universelle, détruire toutes les valeurs, tous les symboles, toutes les images, toutes les définitions de nous-mêmes, toutes les limitations de l'illimitable et dissoudre toute petitesse et toute division dans le Moi qui est à jamais satisfait de sa propre infinité. Dégoûtés des formes, revenus de leurs charmes éphémères et mensongers, lassés, découragés par leur fuyante impermanence et la vaine ronde de leur récurrence, nous devons nous évader des cycles de la Nature pour atteindre au sans-forme et sans-trait de l'Être permanent. Mortifiés par la Matière et sa grossièreté, impatientés par le trouble et l'agitation sans objet de la Vie, épuisés par la course sans but du Mental ou convaincus de la vanité de tout ce qu'il vise et poursuit, nous devons nous en libérer en entrant dans l'éternel repos et l'éternelle pureté de l'Esprit. L'Inconscient est un sommeil ou une prison, le conscient une ronde d'efforts sans issue ou le vagabondage d'un rêve, et nous devons nous éveiller dans le supraconscient où
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toute l'obscurité de la nuit et toutes les demi-lumières s'abolissent en la lumineuse béatitude de l'Éternel. L'Éternel est notre refuge. Tout le reste n'est que fausses valeurs, et l'Ignorance et ses labyrinthes sont une stupéfaction que l'âme s'impose à elle-même dans la Nature phénoménale.
Notre conception de la Connaissance et de l'Ignorance rejette cette négation et les oppositions sur lesquelles elle se fonde. Elle indique une solution plus vaste, bien que plus difficile, où elles se réconcilient. Nous voyons en effet que ces deux termes apparemment opposés que sont l'Un et le Multiple, la Forme et le Sans-Forme, le Fini et l'Infini, ne sont pas tant des contraires que des complémentaires ; non des valeurs alternatives du Brahman qui, en sa création, 'perd constamment son unité pour se trouver dans la multiplicité et, incapable de se découvrir dans la multiplicité, la perd à nouveau pour recouvrer l'unité, mais des valeurs doubles et concomitantes qui s'expliquent mutuellement; non les termes désespérément incompatibles d'une alternative, mais les deux faces de l'unique Réalité qui peuvent nous y conduire si nous les réalisons toutes deux en même temps et pas seulement en les évaluant chacune séparément — bien qu'une telle expérimentation puisse être une étape ou une partie légitime, voire inévitable, du processus de la connaissance. La connaissance est sans aucun doute connaissance de l'Un, réalisation de Être; l'Ignorance est un oubli de soi de l'Être, l'expérience de la séparation dans la multiplicité, le fait de demeurer ou de tourner en rond dans le labyrinthe des devenirs dont nous comprenons mal le sens. Mais nous trouvons le remède quand l'âme dans le Devenir, croissant en connaissance, prend conscience de l'Être qui, dans la multiplicité, devient toutes ces existences, et cela est possible parce que leur vérité est déjà présente en son existence intemporelle. La connaissance intégrale du Brahman est une connaissance qui embrasse à la fois l'Être et le Devenir, et la quête exclusive de l'un ou de l'autre nous empêche de voir un aspect de la vérité de l'omniprésente Réalité. La possession de l'Être qui est au-delà de tous les devenirs nous libère des liens de l'attachement et de l'ignorance dans l'existence cosmique, et cette liberté entraîne à son tour une libre possession du Devenir et de l'existence cosmique. La connaissance du Devenir est une partie de la connaissance ; si elle agit comme une Ignorance, c'est seulement parce que nous y sommes emprisonnés, avidyâyâm antare, dépossédés de l'Unité de l'Être qui en est le fondement, le matériau, l'esprit ; elle est la cause de sa manifestation et sans elle, celle-ci serait impossible.
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En fait, le Brahman est un, non seulement dans une unité sans traits au-delà de toute relation, mais dans la multiplicité même de l'existence cosmique. Conscient des œuvres du mental diviseur sans être limité par lui, Il trouve son unité aussi aisément dans le multiple, dans les relations, dans le devenir que dans tout retrait hors du multiple, des relations et du devenir. Et pour posséder pleinement son unité, nous-mêmes devons la posséder— puisqu'elle est là, puisque tout est cela — dans l'infinie diversité du cosmos. L'infinité de la multiplicité ne s'explique et ne se justifie que lorsqu'elle est contenue et possédée dans l'infinité de l'Un ; mais l'infinité de l'Un se déverse et se possède également dans l'infinité du Multiple. C'est en ce pouvoir de déverser ses énergies sans se perdre dans leur flot, de ne pas reculer, vaincu, devant ses vicissitudes et ses différences sans limites et sans fin, et de ne pas non plus se laisser diviser par ses variations, que réside la force divine du libre Purusha, l'Âme consciente en possession de son immortelle connaissance de soi. Les variations finies du Moi où le mental, perdant la connaissance de soi, est pris et dispersé, ne sont cependant pas des négations mais des expressions sans fin de l'Infini, elles n'ont pas d'autre sens ni d'autre raison d'exister. L'Infini lui aussi, tout en possédant la félicité de son être sans bornes, trouve également la joie même de cette absence de limites dans l'univers où il se définit à l'infini. L'Être divin n'est pas incapable de revêtir des formes innombrables parce qu'il est en Son essence au-delà de toute forme; et en revêtant ces formes, Il ne perd pas Sa divinité, mais bien. plutôt déverse en elles le délice de Son être et les gloires de Sa divinité. Cet or ne cesse pas d'être de l'or parce qu'il se moule en divers ornements et se change en de nombreuses monnaies et valeurs. La Puissance-de-la-Terre, principe de toute cette existence matérielle figurée, ne perd pas non plus son immuable divinité parce qu'elle se façonne en mondes habitables, se projette dans les monts et les vallées et se laisse modeler en ustensiles domestiques ou, métal dur, en armes et en machines. La Matière — elle-même substance, subtile ou dense, mentale ou matérielle — est la forme et le corps de l'Esprit et n'aurait jamais été créée si elle n'avait pu devenir une base pour l'expression de soi de l'Esprit. L'Inconscience apparente de l'univers matériel contient obscurément tout ce qui, de toute éternité, est révélé en soi dans le Supraconscient lumineux; le révéler dans le Temps est la félicité que recherche lentement et volontairement la Nature, et c'est le but que ses cycles poursuivent.
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Mais il y a d'autres conceptions de la réalité, d'autres conceptions de la nature de la connaissance, qu'il nous faut considérer. Il y a le point de vue selon lequel tout ce qui existe est une création subjective du Mental, une structure de la Conscience, et que l'idée d'une réalité objective existant en soi, indépendante de la Conscience, est une illusion, puisque nous n'avons et ne pouvons avoir aucune preuve que les choses existent ainsi en elles-mêmes de façon indépendante. Cette façon de voir peut nous amener à affirmer que la Conscience créatrice est la seule Réalité, ou à nier toute existence et à affirmer que la Non-Existence ou un Zéro nescient sont l'unique réalité. Car, selon un certain point de vue, les objets construits par la conscience n'ont aucune réalité intrinsèque, ce/sont simplement des structures ; la conscience qui les construit n'est elle-même qu'un flux de perceptions qui revêtent une apparence de cohérence et de continuité et donnent l'impression d'un temps continu ; mais en fait, ces choses n'ont pas de fondement stable puisqu'elles n'ont que l'apparence de la réalité. Cela signifierait que la réalité est une absence éternelle à la fois de toute existence consciente de soi et de tout ce qui constitue le mouvement de l'existence : la Connaissance serait le fait de quitter l'apparence de l'univers pour revenir à cela. Il y aurait une double et complète extinction de soi : la disparition du Il, la cessation ou l'extinction de la Prakriti. L'âme consciente et la Nature sont en effet les deux termes de notre être et ils embrassent tout ce que nous entendons par existence; la négation des deux est le Nirvana absolu. Dès lors, ce qui est réel doit être soit une Inconscience en laquelle apparaissent ce flux et ces structures, soit une Supraconscience au-delà de toute idée de moi ou d'existence. Mais cette vue de l'univers ne correspond qu'à l'apparence des choses quand nous considérons que notre mental de surface est la totalité de la conscience ; elle est valable en tant que description du fonctionnement de ce Mental : là, sans aucun doute, tout paraît être un flux, tout semble construit par une Conscience impermanente. Mais elle ne peut prévaloir, comme explication complète de l'existence, s'il existe une plus grande et plus profonde connaissance du moi et du monde, une connaissance par identité, une conscience pour laquelle cette connaissance est normale et un Être dont cette conscience est l'éternelle conscience de soi ; car alors le subjectif et l'objectif peuvent être réels et intimes pour cette conscience et cet être, tous deux peuvent en être des éléments, des aspects de son identité, représentant quelque chose d'authentique pour son existence.
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D'autre part, si le Mental, ou la Conscience qui construit, est réel, est la seule réalité, alors l'univers des êtres et des objets matériels peut avoir une existence, mais il est purement une structure de la subjectivité : la Conscience le construit à partir d'elle-même, le maintient, et il. se dissout en elle quand ces objets et ces êtres disparaissent. Mais s'il n'y a rien d'autre, pas d'Existence ou d'Être essentiels soutenant la Puissance créatrice, et s'il n'y a pas non plus de Vide ou de Néant pour la soutenir, alors cette Conscience qui crée tout, doit elle-même avoir ou être. une existence ou une substance. Si elle peut construire des structures, celles-ci doivent être faites à partir de sa substance ou des formes de son existence. Une conscience qui n'est pas conscience d'une Existence, ou qui n'est pas elle-même une existence, doit être une irréalité, la Force perceptive d'un Vide ou dans un Vide où elle érige ces structures irréelles faites de rien — proposition que l'on peut difficilement accepter, à moins que toutes les autres ne s'avèrent irrecevables. Ce que nous percevons comme conscience est donc nécessairement un Être ou une Existence, et c'est à partir de la substance de sa conscience que tout est créé.
Mais si nous revenons ainsi à la réalité bi-une ou duelle de l'Être et de la Conscience, nous pouvons supposer, avec le Védânta, un Être originel ou, avec le Sânkhya, une pluralité d'êtres à qui la Conscience, ou quelque Énergie à laquelle nous attribuons la Conscience — présente ses structures. Si une pluralité d'êtres originels séparés est seule réelle, la difficulté consiste à expliquer leurs relations dans un univers unique et identique, puisque chacun serait, ou créerait, son propre monde dans sa propre conscience. Il doit y avoir une Conscience unique ou une unique Énergie — correspondant à l'idée sânkhyenne d'une seule Prakriti qui est le champ d'expérience de nombreux Il semblables — où ils se rencontrent dans un univers identique construit par le mental. Cette théorie a l'avantage de rendre compte de la multitude des âmes et de la multitude des choses, ainsi que de l'unité dans la diversité de leur expérience, tout en accordant une réalité à la croissance et à la destinée spirituelles séparées de l'être individuel. Mais si nous pouvons supposer qu'une Conscience unique, ou qu'une unique Énergie crée une multitude de représentations d'elle-même et abrite dans son monde une pluralité d'êtres, il n'est pas difficile de supposer qu'un seul Être originel soutienne une pluralité d'êtres — âmes ou pouvoirs spirituels de son existence une — et s'exprime en eux. Ainsi,
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tous les objets, toutes les représentations de la conscience seraient des représentations de l'Être. On doit alors se demander si cette pluralité et ces représentations sont des réalités de l'unique Existence Réelle, ou seulement des personnalités et des images représentatives, ou des symboles ou des valeurs créés par le Mental pour la représenter. Cela dépendra dans une large mesure de la réponse à la question suivante : est-ce seulement le Mental tel que nous le connaissons qui agit, ou est ce une Conscience plus profonde et plus grande dont le Mental serait un instrument de surface, qui exécute ses projets et lui permet de se manifester ? Dans le premier cas, l'univers construit et vu par le Mental ne peut avoir qu'une réalité subjective, symbolique ou représentative ; dans le second, l'univers, ses êtres et ses objets naturels peuvent être de vraies réalités de l'unique Existence, des formes ou des pouvoirs de son être manifestés par sa force d'être. Le Mental ne serait qu'un interprète entre la Réalité universelle et les manifestations de sa Conscience-Force créatrice, Shakti, Énergie, Maya.
Il est clair qu'un Mental de même nature que notre intelligence de surface ne peut être qu'un pouvoir secondaire de l'existence. Car il porte le sceau de l'incapacité et de l'ignorance, indiquant que c'est un dérivé, et non le créateur originel; nous voyons qu'il ne connaît ni ne comprend les objets qu'il perçoit, qu'il n'en a aucune maîtrise automatique; il lui faut acquérir une connaissance et un pouvoir de contrôle construits laborieusement. Cette incapacité fondamentale ne pourrait exister si ces objets étaient les structures propres du Mental, les créations de son Pouvoir essentiel. S'il en est ainsi, c'est peut-être parce que le mental individuel n'a qu'un pouvoir et une,connaissance superficiels et dérivés et qu'il existe un Mental universel qui est complet, doué d'omniscience, capable d'omnipotence. Mais la nature du Mental tel que nous le connaissons est une Ignorance en quête de la connaissance; il connaît des fractions, opère par divisions et s'efforce d'arriver à une somme, de reconstituer un tout — il ne possède ni l'essence des choses, ni leur totalité : un Mental universel de même nature pourrait connaître la somme de ses divisions par la force de son universalité, mais il lui manquerait encore la connaissance essentielle, et sans elle il ne saurait y avoir de vraie connaissance intégrale. Une conscience possédant la connaissance essentielle et intégrale, procédant de l'essence au tout et du tout aux parties, ne serait plus le Mental mais une parfaite Conscience-de-Vérité qui se connaîtrait elle-même et connaîtrait le
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monde automatiquement, naturellement. C'est sur cette base que nous devons considérer le point de vue subjectif de la réalité. Il est vrai qu'il n'existe aucune réalité objective indépendante de la conscience; mais par ailleurs, il y a une vérité dans l'objectivité, à savoir que la réalité des choses réside en quelque chose qui est en elles et qui ne dépend pas de l'interprétation qu'en donne notre mental ni des structures qu'il élabore à partir de ses observations. Ces structures constituent l'image ou la représentation subjective que le mental se fait de l'univers, mais l'univers et ses objets ne sont pas qu'une image ou qu'une représentation. Essentiellement, ce sont des créations de la conscience, mais d'une conscience qui est une avec l'être, dont la substance est la substance de l'Être et dont les créations, elles aussi, sont faites de cette substance, et par conséquent réelles. Selon ce point de vue, le monde ne peut être une création purement subjective de la Conscience; la vérité subjective et la vérité objective des choses sont toutes deux réelles, ce sont deux aspects de la même Réalité.
Dans un certain sens, pour employer les termes relatifs et suggestifs de notre langage humain, toutes choses sont les symboles que nous' devons utiliser pour nous approcher de plus en plus de Cela par quoi' ces choses et nous-mêmes existons. L'infinité de l'unité est un symbole, l'infinité de la multiplicité en est un autre ; en outre, chaque chose dans la multiplicité renvoyant à l'unité, chaque chose que nous appelons finie étant une image représentative, une forme frontale, une silhouette esquissant quelque chose de l'infini, tout ce qui le définit dans l'univers — tous ses objets, ses événements, ses formations conceptuelles, ses formations vitales —, est à son tour un indice et un symbole. Pour. notre mental subjectif, l'infinité de l'existence est un symbole, l'infinité de la non-existence un autre symbole. L'infinité de l'Inconscient et l'infinité du Supraconscient sont deux pôles de la manifestation du Parabrahman absolu; notre existence entre ces deux pôles et notre passage de l'un à l'autre sont une saisie progressive, une constante interprétation, une construction subjective en nous de cette manifestation du Non-manifesté. Par ce déploiement de notre existence en soi nous devons devenir conscients de sa Présence ineffable, et conscients que tout, nous-mêmes et le monde et tout ce qui est et tout ce qui n'est pas, est le dévoilement de ce qui ne se dévoile jamais entièrement qu'à sa propre lumière éternelle et absolue.
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Mais cette façon de voir les choses est propre au mental lorsqu'il cherche à interpréter la relation entre l'Être et le Devenir extérieur. Elle est valable en tant que représentation mentale dynamique correspondant à une certaine vérité de la manifestation, mais à condition que ces valeurs symboliques ne fassent pas des choses elles-mêmes de simples jetons signifiants, des symboles abstraits comme des formules mathématiques ou autres signes que le mental utilise pour acquérir la connaissance. Les formes et les événements dans l'univers sont en effet des réalités signifiant la Réalité ; ce sont des expressions de soi de Cela, des mouvements et des pouvoirs de l'Être. Chaque forme existe parce qu'elle exprime quelque pouvoir de Cela qui l'habite ; chaque événement est un mouvement dans l'élaboration d'une Vérité de l'Être en son processus dynamique de manifestation. C'est cette signification qui donne sa validité à la connaissance interprétative du mental, à sa construction subjective de l'univers. Notre mental a principalement une fonction perceptive et interprétative, et de façon secondaire et dérivée, une fonction créatrice. Telle est en fait la valeur de toute subjectivité mentale : elle reflète une certaine vérité de l'Être qui existe indépendamment du reflet -—; que cette indépendance se présente comme une objectivité physique ou comme une réalité supraphysique qui peut être perçue par le mental, mais non par les sens physiques. Le mental n'est donc pas le constructeur originel de l'univers : c'est un pouvoir intermédiaire qui a une valeur pour certaines actualités de l'être ; agent, intermédiaire, il réalise des possibilités et joue son rôle dans la création, mais la vraie créatrice est une Conscience, une Énergie inhérente à l'Esprit transcendant et cosmique.
Il existe une vue opposée de la réalité et de la connaissance, qui affirme que la Réalité objective est la seule et entière vérité, et la connaissance objective, la seule qui soit entièrement fiable. Ce point de vue part de l'idée que l'existence physique est l'unique existence fondamentale. Elle relègue la conscience, le mental, l'âme ou l'esprit au rang de produits temporaires de l'Énergie physique en son action cosmique — à supposer que l'âme ou l'esprit aient la moindre existence. Tout ce qui n'est pas physique et objectif a une moindre réalité, qui dépend du physique et de l'objectif, et doit pour se justifier donner au mental physique des preuves objectives, ou des signes distinctifs et vérifiables de sa relation avec la vérité des choses physiques et extérieures, avant que le passeport de. la réalité ne lui soit délivré.
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Mais il est évident que l'on ne peut accepter cette solution à la lettre, car elle n'est pas intégrale, elle n'envisage qu'un aspect de l'existence, et même qu'une province ou qu'un district de l'existence et laisse tout le reste inexpliqué, sans réalité inhérente, sans signification. Poussée à son extrême limite, elle donnerait à une pierre ou à un plum-pudding une réalité supérieure, et une réalité inférieure et subordonnée, voire insubstantielle et évanescente, à la pensée, à l'amour, au courage, au génie, à la grandeur, à l'âme et au mental humains qui affrontent et maîtrisent un monde obscur et dangereux. Dans cette optique, en effet, ces choses si grandes pour notre vision subjective n'ont de valeur qu'en tant que réactions d'un être matériel objectif à une existence matérielle objective, et que dans la mesure où elles s'occupent de réalités objectives et agissent sur elles : l'âme, si elle existe, n'est qu'une. circonstance d'une Nature universelle objectivement réelle. Mais on pourrait soutenir, au contraire, que l'objectif ne prend de .valeur que s'il est en rapport avec l'âme ; c'est un champ, une occasion, un moyen pour la progression de l'âme dans le Temps : l'objectif est créé comme un terrain de manifestation pour le subjectif. Le monde objectif n'est qu'une forme extérieure du devenir de l'Esprit ; c'est ici une première forme, une base, mais ce n'est pas la chose essentielle, la principale vérité de l'être. Le subjectif et l'objectif sont deux aspects nécessaires de la Réalité manifestée et ils ont une égale valeur. Dans le domaine de l'objectif lui-même, l'objet supraphysique de la conscience a le même droit d'entrée que l'objectivité physique; on ne peut l'écarter a priori comme une Illusion subjective ou une hallucination.
En fait, subjectivité et objectivité ne sont pas des réalités indépendantes, mais dépendent l'une de l'autre. Elles sont l'Être qui, par la conscience, se regarde lui-même comme sujet dans l'objet, et le même Être s'offrant à sa propre conscience comme objet au sujet. Le point de, vue plus partiel n'accorde aucune réalité substantielle à tout ce qui n'existe que dans la conscience ou, plus précisément, à tout ce dont témoignent la conscience ou les sens intérieurs, mais à quoi les sens physiques extérieurs ne donnent ni fondement, ni justification. Cependant, les sens extérieurs ne peuvent fournir de preuves fiables que s'ils soumettent leur version de l'objet à la conscience, et si la conscience donne un sens à leur rapport, ajoute à son caractère extérieur sa propre interprétation intérieure intuitive et le justifie par une adhésion raisonnée; car ces preuves sensorielles sont toujours imparfaites, on ne peut vraiment s'y fier et elles
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ne sont certainement pas définitives, étant incomplètes et constamment sujettes à l'erreur. En vérité, nous n'avons aucun moyen de connaître l'univers objectif sinon par notre conscience subjective, dont les sens physiques sont eux-mêmes des instruments : tel le monde lui apparaît, et apparaît en elle, tel il nous apparaît. Si nous refusons toute réalité aux preuves que ce témoin universel confère aux objectivités subjectives ou supraphysiques, il n'y a pas de raison suffisante d'accorder une réalité aux preuves et au soutien qu'il apporte aux objectivités physiques; si les objets intérieurs ou supraphysiques de la conscience sont irréels, l'univers physique objectif a, lui aussi, toutes les chances d'être irréel. Dans chaque cas, la compréhension, la discrimination, la vérification sont nécessaires; mais le subjectif et le supraphysique doivent avoir une autre méthode de vérification que celle que nous appliquons avec succès au physique et à l'objectif extérieur. L'expérience subjective ne peut être soumise aux preuves des sens extérieurs; elle a ses propres normes de vision et sa méthode intérieure de vérification. De par leur nature même, les réalités supraphysiques ne peuvent pas non plus être soumises au jugement du mental physique ou sensoriel, sauf quand elles se projettent dans le physique, et même alors ce jugement est souvent incompétent ou sujet à caution. Elles ne peuvent être vérifiées que par d'autres sens et par une méthode d'examen minutieux et d'affirmation qui s'applique à leur réalité et leur nature particulières.
Il existe différents ordres de réalité ; l'objectif et le physique ne sont que l'un d'entre eux. Il convainc le mental physique et extériorisateur parce qu'il est directement évident pour les sens, tandis que ce même mental n'a aucun moyen de connaître le subjectif et le supraphysique, si ce n'est à partir de signes, de données et d'inférences fragmentaires qui sont à chaque pas sujets à erreur. Nos mouvements subjectifs et nos expériences intérieures forment un domaine d'événements aussi réels que n'importe quel événement physique extérieur; mais si, par expérience directe, le mental individuel peut savoir quelque chose de ses propres phénomènes, il ignore ce qui se passe dans la conscience des autres, sauf par analogie avec sa propre conscience, ou par les signes, données et inférences que son observation extérieure peut lui fournir. Je suis donc intérieurement réel pour moi-même, mais la vie invisible des autres n'a pour moi qu'une réalité indirecte, sauf dans la mesure où elle empiète sur mon mental, ma vie et mes sens. C'est la limitation du mental physique de l'homme, qui prend ainsi l'habitude de ne croire entièrement qu'au
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physique et de mettre en doute ou de contester tout ce qui ne s'accorde pas avec son expérience et le champ de sa compréhension, ou bien ne cadre pas avec ses normes ou avec la somme de ses connaissances établies.
On a récemment élevé cette attitude égocentrique au rang des critères valables de connaissance ; implicitement ou explicitement, on a admis comme axiome que pour être valable toute vérité doit être soumise au jugement du mental personnel, de la raison et de l'expérience de chaque homme, ou qu'elle doit être vérifiée, ou tout au moins vérifiable, par une expérience commune ou universelle. Mais de toute évidence, c'est là un faux critère de la réalité et de la connaissance, puisqu'il implique la souveraineté du mental normal ou moyen, de sa capacité et de son expérience limitées, et l'exclusion de ce qui est supranormal ou dépasse l'intelligence moyenne. À l'extrême, cette prétention de l'individu à juger de tout est une illusion de l'ego, une superstition du mental physique, et, dans l'ensemble, une erreur grossière et fort commune. Il y a cependant une vérité derrière tout cela : c'est que chaque homme doit penser par lui-même, connaître les choses par lui-même selon ses capacités, mais que son jugement ne peut avoir de valeur que s'il est prêt à apprendre et à s'ouvrir à une connaissance toujours plus vaste. On estime que s'écarter de la norme physique et du principe de vérification personnelle ou universelle, conduit à de grossières illusions et à l'admission de vérités non vérifiées et de fantaisies subjectives dans le domaine de la connaissance. Mais l'erreur et l'illusion et l'intrusion de la personnalité et de la subjectivité dans la poursuite de la connaissance sont toujours présentes, et les normes et méthodes physiques ou objectives ne les excluent pas. La probabilité de l'erreur n'est pas une raison pour ne plus rien tenter, et l'on doit poursuivre la découverte subjective par une méthode subjective d'examen, d'observation et de vérification. La recherche dans le supraphysique doit élaborer, accepter et expérimenter des moyens et des méthodes appropriés, autres que ceux par lesquels on examine les éléments constitutifs des objets physiques et les processus de l'Énergie dans la Nature matérielle.
Refuser d'étudier la question pour des raisons générales, préconçues et à priori, est un obscurantisme qui porte autant préjudice à l'expansion de la connaissance que l'obscurantisme religieux qui s'opposa, en Europe, à l'expansion des découvertes scientifiques. Les
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plus grandes découvertes intérieures, l'expérience de l'être en soi, la conscience cosmique, le calme intérieur de l'esprit libéré, l'influence directe d'un mental sur un autre, la connaissance des choses obtenue par un contact direct de la conscience avec une autre conscience ou avec ses objets, et la plupart des expériences spirituelles ayant quelque valeur, ne sauraient passer devant le tribunal de la mentalité commune qui n'a aucune expérience de ces choses et prend son manque d'expérience, ou son incapacité à en avoir, pour preuve qu'elles n'ont aucune valeur ou aucune existence. La vérité concrète des formules, des généralisations, des découvertes fondées sur l'observation physique peuvent être soumises à un tel jugement, mais même dans ce fias, il est nécessaire d'éduquer nos facultés avant de pouvoir vraiment comprendre et juger. Sans un entraînement préalable, rares sont les esprits qui peuvent saisir les mathématiques de la relativité ou d'autres vérités scientifiques complexes, ou juger de la valeur de leurs résultats ou de leurs méthodes. Certes, pour que leur vérité soit reconnue, toute réalité, toute expérience doivent pouvoir être vérifiées par une expérience identique ou analogue ; ainsi, tous les hommes peuvent en fait avoir une expérience spirituelle, la. suivre et la vérifier en eux-mêmes, mais il faut pour cela qu'ils en aient acquis la capacité ou qu'ils aient suivi les méthodes intérieures qui rendent possibles cette expérience et cette vérification. Il est nécessaire d'insister sur ces vérités élémentaires évidentes, car les idées opposées ont dominé toute une période récente de la pensée humaine — leur influence commence tout juste à décliner — et elles ont fait obstacle au développement d'un vaste domaine de connaissance possible. Il est suprêmement important que l'esprit humain soit libre de sonder les profondeurs de la réalité intérieure ou subliminale, de la réalité spirituelle et de celle qui est encore dans l'infini, au lieu de se murer dans le mental physique et son étroit domaine de solidité extérieure et objective ; car c'est la seule façon de nous affranchir de l'Ignorance où demeure .neutre mentalité et, libérés, d'accéder à une conscience complète, une réalisation et une connaissance vraies et intégrales de nous-mêmes.
Une connaissance intégrale exige que l'on explore et dévoile tous les domaines possibles de conscience et d'expérience, car il existe des domaines subjectifs de notre être qui s'étendent derrière la surface évidente ; il faut les sonder, et admettre dans le champ de la réalité totale .tout ce que nous aurons vérifié. Il existe toute une gamme intérieure d'expérience spirituelle qui forme un très grand domaine de la conscience
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humaine; il faut y pénétrer jusqu'en ses profondeurs les plus extrêmes et ses étendues les plus vastes. Le supraphysique est aussi réel que le physique; sa connaissance fait partie d'une connaissance intégrale. On a associé la connaissance du supraphysique au mysticisme et à l'occultisme, et l'on a banni l'occultisme comme une superstition, une erreur et une divagation. Mais l'occulte fait partie de l'existence; le véritable occultisme n'est autre qu'une recherche dans le domaine des réalités supraphysiques et un dévoilement des lois cachées de l'être et de la Nature, de tout ce qui n'est pas évident à la surface. Il tente de découvrir les lois secrètes du mental et de l'énergie mentale, les lois secrètes de la vie et de l'énergie vitale, les lois secrètes du physique subtil et de ses énergies —tout ce que la Nature n'a pas fait agir visiblement, à la surface; il aspire également à trouver une application à ces vérités et ces pouvoirs cachés de la Nature, afin d'étendre la maîtrise de l'esprit humain au-delà des opérations ordinaires du mental, de la vie et de notre existence physique. Dans le domaine spirituel qui, pour le mental de surface, est occulte dans la mesure où il dépasse l'expérience normale et pénètre en l'expérience supranormale, il est possible non seulement de découvrir le moi et esprit, mais la lumière de la conscience spirituelle qui nous élève, nous façonne du dedans et nous guide, et le pouvoir de l'esprit, la voie spirituelle de la connaissance, la manière spirituelle d'agir. Connaître ces choses et impartir leurs vérités et leurs forces à la vie humaine fait nécessairement partie de l'évolution de l'humanité. À sa manière, la science elle-même est un occultisme, car elle met en lumière les formules que la Nature a cachées et elle utilise sa connaissance pour libérer certaines opérations de ses énergies, qu'elle n'a pas incluses dans ses fonctionnements ordinaires, et pour organiser et mettre au service de l'homme ses pouvoirs et processus occultes : un vaste système de magie physique — car il n'y a et il ne peut y avoir d'autre magie que l'utilisation des vérités secrètes de l'être, des pouvoirs et des processus secrets de la Nature. Peut-être même découvrira-t-on qu'une connaissance supraphysique est nécessaire à l'intégralité de la connaissance physique, car derrière les méthodes de la Nature physique se trouve un facteur supraphysique, une puissance et une action mentales, vitales ou spirituelles qui ne sont tangibles pour aucun mode extérieur de connaissance.
Tous ceux qui affirment la valeur exclusive ou fondamentale du réel objectif, s'appuient sur le sens de la réalité primordiale de la Matière. Or il est maintenant évident que la Matière n'est, en aucune
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façon, fondamentalement réelle; c'est une structure de l'Énergie. On commence même à se demander si les actes et les créations de cette Énergie elle-même peuvent s'expliquer autrement que comme mouvements de puissance d'un Mental secret ou d'une secrète Conscience dont ses processus et ses étapes structurales seraient les formules. Il n'est donc plus possible de considérer la Matière comme l'unique réalité. L'interprétation matérialiste de l'existence résultait d'une concentration exclusive, d'une recherche portant sur un seul mouvement de l'Existence. Une concentration aussi exclusive a son utilité et elle est donc acceptable, comme les nombreuses et immenses, innombrables et subtiles découvertes de la Science physique l'ont récemment prouvé. Mais une solution de tout le problème de l'existence ne peut reposer sur une connaissance exclusive et unilatérale ; nous devons savoir non seulement ce que sont la Matière et ses processus, mais ce que sont le Mental et la Vie et leurs processus, et il faut également connaître l'Esprit et l'âme et tout ce qui se trouve derrière la surface matérielle; alors seulement nous pourrons avoir une connaissance suffisamment intégrale pour résoudre le problème. Pour la même raison, ces conceptions de l'existence qui naissent d'un intérêt exclusif ou dominant pour le Mental et la Vie, considérés comme la seule réalité fondamentale, n'ont pas une base assez large pour qu'on puisse les accepter. Un tel souci de concentration exclusive peut conduire à un examen fructueux qui met largement en lumière le Mental et la Vie, mais ne peut aboutir à une solution totale du problème. Il se pourrait très bien qu'une concentration exclusive ou prédominante sur l'être subliminal, l'existence de surface n'étant considérée que comme un simple système de symboles conçus pour exprimer sa seule réalité, jette une puissante lumière sur le subliminal et ses opérations, et accroisse considérablement les pouvoirs de l'être humain ; mais ce ne serait pas en soi une solution intégrale, et ne nous conduirait pas non plus avec succès à la connaissance intégrale de la Réalité. Selon notre point de vue, l'Esprit, le Moi est 'la réalité fondamentale de l'existence; mais une concentration exclusive sur cette réalité fondamentale, refusant toute réalité au Mental, à la Vie et à la Matière, ne voyant en eux que des choses imposées sur le Moi, ou des ombres sans substance projetées par l'Esprit, pourrait contribuer à une réalisation spirituelle indépendante et radicale, mais pas à une explication intégrale et valable de la vérité de l'existence cosmique et individuelle.
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Une connaissance intégrale doit donc être une connaissance de la vérité de tous les aspects de l'existence, considérés à la fois séparément et dans les rapports de chacun avec tous et de tous avec la vérité de l'Esprit. Notre état présent est une Ignorance et une quête multiforme, nous recherchons la vérité de toutes choses mais — comme le prouvent l'insistance et la diversité des spéculations du mental humain sur la Vérité fondamentale qui explique toutes les autres, sur la Réalité qui est à la base de toutes choses —, la vérité fondamentale des choses, leur réalité de base doit se trouver en quelque Réel à la fois fondamental et universel. C'est ce qui, une fois découvert, doit tout embrasser et tout expliquer — car " lorsque Cela est connu, tout est connu ". Le Réel fondamental doit nécessairement être et contenir la vérité de toute existence, la vérité de l'individu, la vérité de l'univers, la vérité de tout ce qui est au-delà de l'univers. Lorsqu'il s'est mis en quête d'une telle Réalité, expérimentant toutes choses, depuis la Matière jusqu'aux plus hauts sommets, pour voir si elles ne pourraient pas être Cela, le Mental n'a pas suivi une fausse intuition. Ce qu'il faut, c'est pousser la recherche jusqu'au bout, poursuivre l'expérience jusque sur ses plans les plus élevés, les plus absolus.
Mais puisque nous partons de l'Ignorance pour atteindre à la Connaissance, il nous a fallu d'abord découvrir la nature secrète et toute l'étendue de cette Ignorance. Si nous considérons cette Ignorance où nous vivons habituellement du fait même de notre existence séparée dans un univers matériel, un univers spatial et temporel, nous voyons que, sous son aspect le plus obscur, d'où que nous la regardions ou l'abordions, elle se réduit à une ignorance protéiforme de nous-mêmes. Nous ignorons l'Absolu qui est la source de tout être et de tout devenir ; nous prenons des faits partiels de l'être, des relations temporelles du devenir pour la vérité totale de l'existence — c'est là l'ignorance première, l'ignorance originelle. Nous ignorons le Moi aspatial, intemporel, immobile et immuable; nous prenons la mobilité et les mutations constantes du devenir cosmique dans le Temps et l'Espace pour la vérité totale de l'existence—c'est là la seconde ignorance, l'ignorance cosmique. Nous ignorons notre moi universel, l'existence cosmique, la conscience cosmique, notre unité infinie avec tout être et tout devenir; nous prenons notre ego mental, vital et physique pour notre vrai moi et considérons tout le reste comme non-moi — c'est là notre troisième ignorance, l'ignorance de l'ego. Nous ignorons
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notre devenir éternel dans le Temps ; nous prenons cette petite vie dans une part infime du Temps, dans un champ dérisoire de l'Espace, pour notre commencement, notre milieu et notre fin — c'est la quatrième ignorance, l'ignorance temporelle. Au cœur même de ce bref devenir temporel, nous ignorons notre être vaste et complexe, ce qui, en nous, est supraconscient, subconscient, intraconscient, circumconscient par rapport à notre devenir de surface ; nous prenons celui-ci, et son petit assortiment d'expériences ouvertement mentalisées, pour notre existence tout entière — c'est la cinquième ignorance, l'ignorance psychologique. Nous ignorons la vraie constitution de notre devenir ; nous prenons le mental ou la vie ou le corps, ou deux d'entre eux, ou les trois, pour notre vrai principe ou pour toute l'explication de ce que nous sommes, perdant de vue ce qui les constitue, ce qui, par sa présence occulte, détermine leurs opérations, et qui émerge afin de les déterminer souverainement — c'est la sixième ignorance, l'ignorance constitutive. La conséquence de toutes ces ignorances, c'est que la vraie connaissance, le vrai gouvernement, la vraie jouissance de notre vie dans le monde nous échappent; nous sommes ignorants dans notre pensée, notre volonté, nos sensations, nos actions, nous donnons à chaque fois des réponses fausses ou imparfaites aux questions du monde, nous errons dans un dédale d'erreurs et de désirs, d'efforts et d'échecs, de douleurs et de plaisirs, de péchés et de trébuchements, nous suivons une route tortueuse, tâtonnant aveuglément vers un but changeant — c'est la septième ignorance, l'ignorance pratique.
Notre conception de l'Ignorance déterminera nécessairement notre conception de la Connaissance et déterminera donc — puisque notre vie est l'Ignorance qui, à la fois, nie et recherche la Connaissance — le but de l'effort humain et la finalité de l'aventure cosmique. La connaissance intégrale signifiera donc l'abolition de la septuple Ignorance par la découverte de ce qu'elle manque et ignore, une septuple révélation de nous-mêmes en notre conscience : elle signifiera la connaissance que l'Absolu est l'origine de toutes choses ; la connaissance du Moi, de l'Esprit, de l'Être, et du cosmos comme devenir du Moi, devenir de l'Être, manifestation de l'Esprit; la connaissance que le monde est un avec nous dans la conscience de notre vrai moi, annulant ainsi la division due à l'idée et à la vie séparatrices de l'ego ; la connaissance de notre entité psychique et de sa persistance immortelle dans le Temps au-delà de la mort et de l'existence terrestre ; la connaissance de notre existence intérieure plus
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grande derrière la surface; la connaissance de notre mental, de notre vie et de notre corps en leur vraie relation avec le moi au-dedans et avec l'être spirituel supraconscient et l'être supramental au-dessus; enfin, la connaissance de la vraie harmonie et du vrai usage de notre pensée, de notre 'volonté et de notre action, et un changement de toute notre nature en une expression consciente de la vérité de l'Esprit, du Moi, du Divin, de la Réalité spirituelle intégrale.
Mais ce n'est pas là une connaissance intellectuelle que l'on puisse acquérir et parfaire dans le moule actuel de notre conscience; ce doit être une expérience, un devenir, un changement de conscience, un changement d'être, d'où le caractère évolutif du Devenir et le fait que notre ignorance mentale ne soit qu'une étape dans notre évolution. Nous ne pouvons donc acquérir la connaissance intégrale que par une évolution de notre être et de notre nature, et cela semblerait impliquer un lent processus dans le Temps, comme celui qui a accompagné les autres transformations évolutives. Mais cela se trouve contredit par le fait que l'évolution est maintenant devenue consciente et que sa méthode et ses étapes n'auront plus nécessairement le même caractère que lorsque son processus était subconscient. La connaissance intégrale devant résulter d'un changement de conscience, on peut l'acquérir par un processus où notre volonté et notre effort ont une part, où ils peuvent découvrir leur méthode et leurs étapes particulières et les suivre; sa croissance en nous peut s'accomplir par une transformation consciente de nous-mêmes. Il est dès lors nécessaire de voir quel est le principe probable de ce nouveau processus évolutif et quels sont les mouvements de la connaissance intégrale qui doivent obligatoirement y apparaître — ou, en d'autres termes, quelle est la nature de la conscience qui doit être le fondement de la vie divine, et dans quelle mesure cette vie sera formée, ou se formera elle-même, se matérialisera ou, pourrait-on dire, se "réalisera ".
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La Connaissance intégrale et le but de la vie ;quatre théories de l'existence
Lorsque tous les désirs qui s'accrochent au cœur s'en détachent, alors le mortel devient immortel et, ici même, possède l'Éternel.
Brihadâranyaka Upanishad. IV. 4. 7.
Il devient l'Éternel et s'en va dans l'Éternel.
Brihadâranyaka Upanishad. IV. 4. 6.
Cette Vie, cette Lumière sans corps et immortelle est le Brahman.
Brihadâranyaka Upanishad. IV. 4.7.
Long, étroit, est l'ancien Chemin —-je l'ai touché, je l'ai trouvé —, le Chemin par lequel les sages qui connaissent l'Éternel, libérés, quittent ce monde pour le monde suprême, le Paradis.
Brihadâranyaka Upanishad. IV. 4.8.
Je suis fils de la Terre, le sol est ma mère. (...) Puisse-t-elle me prodiguer ses multiples trésors, ses secrètes richesses. (...) Puissions-nous dire ta beauté, ô Terre, qui est dans tes villages et tes forêts, dans les assemblées, la guerre et les batailles.
Atharva-Véda. XII. 1.12,44,56.
Puisse la Terre, souveraine du passé et de l'avenir, nous bâtir un vaste monde. (...) La Terre qui était l'eau sur l'Océan et dont les penseurs suivent le cours grâce à la magie de leur connaissance, elle dont le cœur d'immortalité est recouvert
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par la Vérité dans le suprême éther, puisse-t-elle établir pour nous la lumière et le pouvoir en ce très haut royaume.
Atharva-Véda. XII. 1. 1,8.
Ô flamme, tu fondes le mortel en une suprême immortalité pour que s'accroisse de jour en jour la Connaissance inspirée; pour le voyant qui a soif de la naissance duelle, tu crées la divine béatitude et la joie humaine.
Rig-Véda. 1.31. 7.
Ô Divin, veille pour nous sur l'Infini et prodigue le fini.
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Avant d'examiner les principes et le processus de l'ascension évolutive de la Conscience, il est nécessaire d'exposer à nouveau ce que notre théorie de la connaissance intégrale affirme être les vérités fondamentales de la Réalité et de sa manifestation et ce qu'elle admet comme aspects effectifs et dynamiques, mais juge insuffisant pour une explication totale de l'existence et de l'univers. Car la vérité de la connaissance doit fonder la vérité de la vie et déterminer son but ; le processus évolutif est lui-même le développement d'une Vérité de l'existence cachée ici-bas dans une Inconscience originelle, dont elle est tirée par une Conscience qui émerge et se déploie, s'élevant de degré en degré jusqu'à ce qu'elle puisse manifester en elle-même la réalité intégrale des choses et une connaissance de soi totale. De la nature de cette Vérité dont elle procède et qu'elle doit manifester, dépend nécessairement le cours du développement évolutif — les étapes de son processus et leur signification.
D'abord, nous affirmons qu'un Absolu est l'origine, le support et la secrète Réalité de toute chose. La Réalité absolue est indéfinissable et ineffable pour la pensée et le langage du mental. Elle existe en soi et est évidente pour elle-même, comme sont évidents en soi tous les absolus, mais nos affirmations et nos négations mentales, prises ensemble ou séparément, ne peuvent la limiter ni la définir. Cependant, il y a aussi une conscience et une connaissance spirituelles, une connaissance par identité, qui peut saisir la Réalité en ses aspects fondamentaux, en ses pouvoirs et ses symboles manifestés. Tout ce qui existe entre dans le cadre de cette description et, si cette connaissance le voit en sa vérité propre ou en son sens occulte, tout peut être considéré comme une expression de la Réalité, et une réalité en soi. Cette réalité manifestée existe en soi dans ces aspects fondamentaux, car toutes les réalités de base sont une manifestation de quelque chose qui est éternel et qui, de façon inhérente, est vrai dans l'Absolu; mais tout ce qui n'est pas fondamental, tout ce qui est temporaire est phénoménal, est une forme et un 'pouvoir qui dépendent de la réalité exprimée. Toute chose est
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réelle du fait de cette réalité et de la vérité de sa propre signification, la vérité qu'elle porte en elle, parce qu'elle est cela et non quelque chose de fortuit, sans fondement et illusoire, une vaine image fabriquée. Même ce qui déforme et déguise — comme le mensonge déforme et déguise la vérité, comme le mal déforme et déguise le bien — a une réalité temporelle, en tant que conséquence vraie de l'Inconscience. Mais ces représentations contraires, bien que réelles dans leur propre domaine, ne sont pas essentielles, elles ne font que contribuer à la manifestation et la servir comme forme ou pouvoir temporels de son mouvement. Dès [ors, l'universel est réel par le pouvoir de l'Absolu dont il est une manifestation, et tout ce qu'il contient est réel par le pouvoir de l'universel auquel il donne une forme et qu'il représente.
L'Absolu se manifeste en deux termes, un Être et un Devenir. L'Être est la réalité fondamentale, le Devenir est une réalité efficiente : c'est un pouvoir et un résultat dynamiques, une énergie créatrice et une réalisation progressive de l'Être, une forme, un processus, un produit, toujours aussi persistants et toujours muables, de son essence immuable et sans forme. Toutes les théories selon lesquelles le Devenir se suffit à lui-même sont donc des demi-vérités, elles valent pour une certaine connaissance de la manifestation acquise par une concentration exclusive sur ce qu'elles affirment et envisagent; autrement, leur seule valeur tient au fait que l'Être n'est pas séparé du Devenir, qu'il est présent en lui, qu'il en est constitué, qu'il est au cœur de tous ses atomes infinitésimaux, au; cœur; de son expansion et de son extension sans limites. Le Devenir ne peut se connaître entièrement que lorsqu'il se connaît comme Être. L'âme dans le Devenir atteint à la connaissance de soi et à l'immortalité quand elle connaît le Suprême, l'Absolu, et qu'elle possède la nature de l'Infini et Éternel. Réaliser cela est le but suprême de notre existence. C'est en effet la vérité de notre être, et ce doit donc être le but inhérent, l'aboutissement nécessaire de notre devenir : cette vérité de notre être devient dans l'âme une nécessité de manifestation, dans la matière une énergie secrète, dans la vie un élan et une tendance, un désir et une quête, dans le mental une volonté, un but, un effort, une intention. Manifester ce qui, dès l'origine, est caché en elle, est le secret dessein de la Nature évolutive.
Nous acceptons donc la vérité sur laquelle s'appuient les philosophies de l'Absolu supracosmique. L'illusionnisme lui-même, bien que nous en contestions les conclusions ultimes, peut néanmoins être accepté
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comme un chemin où l'âme dans le mental — l'être mental — doit voir les choses en une expérience spirituelle-pragmatique quand elle se coupe du Devenir afin de s'approcher de l'Absolu et d'y pénétrer. Mais par ailleurs, puisque le Devenir est réel et inévitable dans le pouvoir essentiel de l'Infini et Éternel, cette théorie n'est pas non plus une philosophie complète de l'existence. L'âme dans le Devenir peut se connaître comme l'Être et posséder le Devenir, se connaître comme l'Infini en son essence, mais aussi comme l'Infini s'exprimant dans le fini, l'Éternel intemporel se regardant lui-même et regardant ses œuvres dans l'état statique fondateur et dans le déroulement de l'éternité temporelle. Cette réalisation est le point culminant du Devenir; c'est l'accomplissement de l'Être en sa réalité dynamique. Cela aussi doit donc faire partie de la vérité totale des choses, car cela seul donne sa pleine signification spirituelle à l'univers et justifie la présence de l'âme dans la manifestation. Une explication des choses qui prive l'existence cosmique et individuelle de toute signification ne peut être une explication complète, ni la solution qu'elle propose être la seule issue véritable.
Nous affirmons ensuite que, pour notre perception spirituelle, la réalité fondamentale de l'Absolu est une Existence divine, une Conscience divine, une divine Joie d'Être, une Réalité supracosmique qui existe en soi, mais qui est également la vérité secrète à la base de toute la manifestation; car la vérité fondamentale de l'Être doit nécessairement être la vérité fondamentale du Devenir. Tout est une manifestation de Cela, car Cela est présent même en tous ses contraires apparents, et la poussée secrète qu'il exerce sur eux pour qu'ils le dévoilent, est la cause de l'évolution : il contraint l'Inconscience à manifester d'elle-même sa conscience secrète, le Non-Être apparent à révéler en lui-même l'existence spirituelle occulte, l'insensible neutralité de la Matière à manifester une joie d'être variée qui doit grandir, s'affranchissant de ses termes mineurs, de ses dualités contraires de souffrance et de plaisir, afin d'atteindre à la félicité d'être essentielle, à l'Ânanda spirituel.
L'Être est un, mais cette unité est infinie et elle contient une pluralité ou une multiplicité infinie d'elle-même : l'Un est le Tout ; ce n'est pas seulement une Existence essentielle, mais une Toute-Existence. La multiplicité infinie de l'Un et l'éternelle unité du Multiple sont les deux réalités ou les deux aspects d'une seule réalité qui est le fondement de la
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manifestation. Du fait de cette vérité fondamentale de la manifestation, l'Être se présente à notre expérience cosmique dans trois états ou équilibres — l'Existence supracosmique, l'Esprit cosmique et le Moi individuel dans le Multiple. Mais la multiplicité permet une division phénoménale de la conscience, une Ignorance effective où le Multiple, où les individus cessent de prendre conscience de l'éternelle Unité qui existe en soi, et perdent la mémoire de l'unité du Moi cosmique en lequel et par lequel ils vivent et se meuvent, qui est leur être même. Cependant, par la force de l'Unité secrète, l'âme dans le devenir est poussée, par sa propre réalité invisible et par la pression occulte de la Nature évolutive, à sortir de cet état d'Ignorance et à recouvrer finalement la connaissance de l'Être divin unique et son unité avec lui, en même temps que son unité spirituelle avec tous les êtres individuels et avec l'univers entier. Elle doit devenir consciente non seulement d'elle-même dans l'univers mais de l'univers en elle-même, et de l'Être du cosmos comme de son moi plus vaste. L'individu doit s'universaliser et, dans le même mouvement, prendre conscience de sa transcendance supracosmique. Ce triple aspect de la réalité doit être inclus dans la vérité totale de l'âme et de la manifestation cosmique, et cette nécessité doit déterminer l'orientation ultime du processus de la Nature évolutive.
Toutes les conceptions de l'existence qui s'arrêtent avant la Transcendance et l'ignorent, présentent la vérité de l'être d'une manière nécessairement incomplète. La conception panthéiste de l'identité du Divin et de l'Univers est une vérité, car tout ce qui est, est le Brahman ; mais en perdant de vue et en excluant la Réalité supracosmique, elle s'arrête avant d'atteindre l'entière vérité. D'autre part, toute conception qui affirme uniquement le cosmos et rejette l'individu comme un sous-produit de l'Énergie cosmique, commet l'erreur de souligner indûment un seul aspect factuel apparent de l'action universelle. Cela n'est vrai que de l'individu dans la nature, et vrai en partie seulement, car si l'individu naturel, l'être naturel est bien un produit de l'Énergie universelle, il est en même temps une personnalité naturelle de l'âme, une formation expressive de l'être intérieur, de la personne intérieure ; or cette âme n'est pas une cellule périssable ou une portion dissoluble de l'Esprit cosmique, elle a sa réalité originelle et immortelle dans la Transcendance. C'est un fait que l'Être cosmique s'exprime au moyen de l'être individuel, mais il est également vrai que la Réalité transcendantale s'exprime à la fois par l'existence individuelle et par le
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Cosmos ; l'âme est une éternelle portion du Suprême, non une fraction de la Nature. Cependant, il est vrai aussi que tout point de vue affirmant que l'univers n'existe que dans la conscience individuelle, exprime nécessairement une vérité fragmentaire, justifiée par la perception de l'universalité de l'individu spirituel et son pouvoir d'embrasser l'univers dans sa conscience; mais ni le cosmos ni la conscience individuelle ne sont la vérité fondamentale de l'existence, car ils dépendent l'un et l'autre de l'Être Divin transcendantal et existent par Lui.
Cet Être Divin, Satchidânanda, est à la fois impersonnel et personnel : c'est une Existence, origine et fondement de toutes les vérités, de toutes les forces, de tous les pouvoirs, de toutes les existences, mais c'est aussi l'Être conscient unique et transcendant et la Toute-Personne dont tous les êtres conscients sont les moi et les personnalités, car Il est leur Moi suprême et la Présence immanente universelle. Pour l'âme dans l'univers, c'est une nécessité, et c'est donc la tendance intérieure de l'Énergie évolutive et son ultime finalité : elle doit connaître cette vérité inhérente, croître en elle, devenir une avec l'Être divin, élever sa nature jusqu'en la Nature divine, son existence jusqu'en l'Existence divine, sa conscience jusqu'en la Conscience divine, sa joie d'être jusqu'en la divine Joie d'Être, recevoir tout cela en son devenir, faire du devenir une expression de cette Vérité suprême, posséder intérieurement le Moi divin, le divin Maître de son existence et, en même temps, entièrement possédée par Lui et mue par Son Énergie divine, vivre et agir en se donnant et se soumettant intégralement à Lui. En ce sens, les conceptions dualistes et théistes de l'existence qui affirment l'existence réelle et éternelle de Dieu et de l'Âme, aussi bien que l'existence réelle et éternelle et l'action cosmique de l'Énergie divine, expriment également une vérité de l'existence intégrale ; mais elles s'arrêtent avant d'atteindre à l'entière vérité si elles nient l'unité essentielle de Dieu et de l'Âme ou leur pouvoir d'arriver à une union absolue, ou; si elles ignorent ce qui sous-tend la suprême expérience où l'âme s'immerge dans l'Unité divine par l'amour, par l'union de la conscience, par la fusion de l'existence dans l'existence.
La manifestation de l'Être dans notre univers prend la forme d'une involution qui est le point de départ d'une évolution — la Matière constituant le stade le plus bas, et l'Esprit le sommet. Dans la descente involutive, on peut distinguer sept principes de l'être manifesté, sept degrés de la Conscience qui se manifeste, et nous pouvons percevoir
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ou réaliser concrètement leur présence ou leur immanence ici même, ou en avoir une expérience dérivée. Les trois premiers sont les principes originels et fondamentaux, et ils forment les états de conscience universels auxquels nous pouvons nous élever. Quand nous y parvenons, nous prenons conscience des plans ou niveaux suprêmes de la manifestation fondamentale ou de l'auto-formulation de la réalité spirituelle où l'unité de l'Existence divine, le pouvoir de la Conscience divine, la béatitude de la Joie d'être divine viennent au premier plan —et ne sont plus cachés ou déguisés comme ici, car nous pouvons posséder leur réalité entière et indépendante. Un quatrième principe, la Conscience-de-Vérité supramentale, leur est associé. Manifestant l'unité dans l'infinie multiplicité, il est le pouvoir caractéristique d'auto-détermination de l'Infini. Ce quadruple pouvoir de l'existence-conscience-félicité suprême constitue un hémisphère supérieur de manifestation fondé sur l'éternelle connaissance de soi de l'Esprit. Si nous pénétrons ces principes ou entrons dans un des plans de l'être où se trouve la pure présence de la Réalité, nous y trouvons une liberté et une connaissance complètes. Les trois autres pouvoirs et plans de l'être — dont nous sommes conscients pour le moment — forment un hémisphère inférieur de la manifestation, l'hémisphère du Mental, de la Vie et de la Matière. Ils sont en eux-mêmes des pouvoirs des principes supérieurs ; mais partout où ils se manifestent séparés de leurs sources spirituelles, ils en subissent les effets : une chute phénoménale dans une existence divisée, au lieu de l'existence vraie, indivise. Cette chute, cette séparation crée un état de connaissance limitée, concentrée exclusivement sur son propre ordre cosmique limité, et oublieuse de tout ce qui est à l'arrière-plan et de l'unité fondamentale — un état, par conséquent, d'Ignorance cosmique et individuelle.
La descente, la chute dans ce plan matériel, dont notre vie dans la nature est un produit, aboutit à une Inconscience totale hors de laquelle un Être et une Conscience involués doivent émerger par une évolution progressive. Cette évolution inévitable fait nécessairement apparaître tout d'abord la Matière et un univers matériel ; dans la Matière, apparaissent la Vie et des êtres physiques vivants ; dans la Vie, le Mental se manifeste, et des êtres vivants et pensants s'incarnent; dans le Mental, qui accroît sans cesse ses pouvoirs et ses activités dans les formes de la Matière, le Supramental ou Conscience-de-Vérité doit apparaître, inévitablement, par la force même de ce qui est contenu dans l'Inconscience et en vertu de la nécessité qui pousse la Nature à la manifester.
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Lorsqu'il apparaît, le Supramental manifeste la connaissance de soi et la connaissance totale de l'Esprit dans un être supramental vivant et par la même loi, par une nécessité et une inévitabilité inhérentes, il doit accomplir sur terre la manifestation dynamique de l'Existence divine, de la Conscience divine et de la Joie d'être divine. Tel est le sens du plan et de l'ordre de l'évolution terrestre; c'est cette nécessité qui doit en déterminer toutes les étapes et tous les degrés, le principe et le processus. Le Mental, la Vie et la Matière sont les pouvoirs réalisés de l'évolution, et nous les connaissons bien; le Supramental et les aspects tri-un de Satchidânanda sont les principes secrets qui ne sont pas encore venus au premier plan et qu'il reste à réaliser dans les formes de la manifestation. Nous ne les connaissons que par certains indices et une action partielle et fragmentaire, pas encore dégagée du mouvement inférieur, et donc difficilement reconnaissable. Mais leur évolution fait également partie de la destinée de l'âme dans le Devenir - il doit y avoir une réalisation et une dynamisation dans la vie terrestre et dans la Matière, non seule ment du Mental mais de tout ce qui est au-dessus du Mental: de tout ce qui, en fait, est descendu mais est encore dissimulé dans la vie terrestre et la Matière.
Notre théorie de la connaissance intégrale admet le Mental comme principe créateur, comme pouvoir de l'Être et lui assigne sa place dans la manifestation, et reconnaît également en la Vie et en la Matière des pouvoirs de l'Esprit. En elles aussi se trouve une Énergie créatrice. Mais la vision des choses qui fait du Mental l'unique ou le suprême principe créateur, et les philosophies qui donnent à la Vie ou à la Matière la même réalité unique ou la même prépondérance expriment une demi vérité et non la connaissance intégrale. Il est vrai que lorsqu'elle émerge, la Matière devient le principe dominant. Elle paraît être, et elle est dans son propre domaine, la base, la substance et la fin de toutes choses. Mais on découvre que la Matière est elle-même le produit de quelque chose qui n'est pas Matière mais Énergie. Or cette Énergie ne peut être quelque chose qui existe en soi et agit dans le Vide, et elle se révélera peut-être - et même probablement, lorsque nous l'aurons examinée en profondeur - comme l'action d'une Conscience et d'un Être secrets. Quand la connaissance et l'expérience spirituelles se manifestent, cela devient une certitude: on voit que l'Énergie créatrice dans la Matière est un mouvement du pouvoir de l'Esprit. La Matière elle-même ne peut être la réalité originelle et ultime. Mais le point de vue qui sépare et
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oppose la Matière et l'Esprit est tout aussi inacceptable. La Matière est une forme et une demeure de l'Esprit, et nous pouvons Le réaliser ici, dans la Matière elle-même.
Il est vrai aussi que la;Vie, quand elle émerge, devient prédominante. Elle fait de la Matière un instrument de sa manifestation et nous apparaît bientôt comme le principe originel secret qui éclate dans la création et se voile dans les formes de la Matière. Il y a une vérité sous cette apparence, une "vérité qu'il faut admettre car-elle fait partie de la connaissance intégrale. La Vie, bien qu'elle ne soit pas la Réalité originelle, en est cependant une forme, un pouvoir ayant pour mission d'agir comme élan créateur dans la Matière. Il faut donc accepter la Vie comme un moyen d'action et comme le moule dynamique où nous devons couler ici l'Existence divine. Mais si nous l'acceptons ainsi, c'est parce qu'elle est une forme de l'Énergie divine, elle-même supérieure à la force de Vie. Le principe de Vie n'est pas tout le fondement ni toute l'origine des choses ; son travail créateur ne peut être parachevé et souverainement accompli, ne peut même trouver son véritable mouvement, tant qu'il ne se connaît pas comme énergie de Être divin, élevant et affinant son action pour en faire un libre canal où se déversera la Nature supérieure.
Quand il émerge, le Mental devient à son tour prépondérant. Il utilise la Vie et la Matière comme moyen d'expression, comme champ pour sa propre croissance et pour exercer sa souveraineté. En outre, il commence à agir comme s'il était non seulement le témoin, mais la vraie réalité et le créateur de l'existence. Or le Mental est, lui aussi, un pouvoir limité et dérivé; c'est; un produit du Surmental, ou bien il est ici une ombre lumineuse projetée par le Supramental divin. Il ne peut atteindre à sa propre perfection qu'en admettant la lumière d'une plus vaste connaissance, et doit transformer ses valeurs et ses pouvoirs plus ignorants, imparfaits et contradictoires en les puissances divinement efficaces et les valeurs harmonieuses de la Conscience-de-Vérité supramentale. Tous les pouvoirs de l'hémisphère inférieur, avec leurs structures issues de l'Ignorance, ne peuvent trouver leur identité véritable qu'en se transformant en la lumière qui descend vers nous depuis l'hémisphère supérieur d'une éternelle connaissance de soi.
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Ces trois pouvoirs inférieurs de l'être bâtissent sur l'Inconscient, qui semble être leur origine et leur support. De ses vastes ailes et de son dos de ténèbres, le dragon noir de l'Inconscience soutient toute la structure de l'univers matériel ; ses énergies déploient le flux des choses, ses suggestions obscures semblent être le point de départ de la conscience elle-même et la source de tout élan vital. Par suite de cette prédominance et parce qu'il semble être à l'origine de tout, l'Inconscient est aujourd'hui considéré par certains penseurs comme l'origine véritable, le véritable Créateur. Il nous faut certes admettre qu'une force et une substance inconscientes sont le point de départ de l'évolution, mais c'est un Esprit conscient et non un Être inconscient qui émerge dans l'évolution. L'Inconscient et ses œuvres premières sont pénétrés par des pouvoirs successifs et toujours plus hauts de l'être et sont assujettis à la Conscience, en sorte que sa résistance à l'évolution, ses cercles restrictifs sont lentement brisés et les anneaux de ténèbres du Python, transpercés par les flèches du Dieu-Soleil. Ainsi se réduisent les limitations de notre substance matérielle jusqu'à ce qu'elles puissent être transcendées et que, possédés par la loi plus grande d'une Conscience, d'une Énergie et d'un Esprit divins, le mental, la vie et le corps puissent être transformés. La Connaissance intégrale admet les vérités valables — valables en leur domaine — de toutes les conceptions de l'existence, mais elle cherche à se débarrasser de leurs limitations et de leurs négations et à harmoniser, à concilier ces vérités partielles en une vérité plus vaste où les multiples aspects de notre être puissent s'accomplir dans l'unique Existence omniprésente.
Parvenus à ce point, nous devons faire un pas de plus et voir que la vérité métaphysique que nous avons ainsi exposée détermine non seulement notre pensée et nos mouvements intérieurs, mais l'orientation de notre vie, qu'elle nous guide vers une solution dynamique, qu'il s'agisse de notre expérience de nous-mêmes ou de notre expérience du monde. Notre connaissance métaphysique, notre point de vue sur ;la vérité fondamentale de l'univers et la signification de l'existence doivent naturellement déterminer toute notre conception de la vie et notre attitude à son égard. Le but de la vie, tel que nous la concevons, doit s'édifier sur cette base. La philosophie métaphysique est une tentative pour établir les réalités et les principes fondamentaux de l'être en les distinguant de ses processus et des phénomènes qui en résultent. Mais ces processus dépendent des réalités fondamentales : le processus même de; notre vie, son but et sa méthode doivent s'accorder avec notre vision
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de la vérité de l'être ; autrement, notre vérité métaphysique ne peut être qu'un jeu de l'intellect sans aucune importance dynamique. Il est vrai que l'intellect doit rechercher la vérité pour la vérité, sans intervention illégitime d'une idée préconçue cherchant à servir les besoins de la vie. Mais une fois découverte, la vérité doit néanmoins pouvoir se réaliser en notre être intérieur et nos activités extérieures; sinon, elle peut avoir une importance intellectuelle, mais non pas intégrale; vérité pour l'intellect, elle ne serait pour notre vie que la solution d'un rébus mental, réalité abstraite ou lettre morte. La vérité de l'être doit gouverner la vérité de la vie; il est impossible qu'elles n'aient aucun lien et ne soient pas interdépendantes. La plus haute signification que nous donnons à la vie, la vérité fondamentale de l'existence, doit être également la signification reconnue de notre propre existence, notre but et notre idéal.
'Partant de ce point de vue, nous pouvons distinguer en gros quatre théories principales, ou quatre catégories d'une même théorie, avec leurs attitudes mentales et leurs idéaux, correspondant à quatre conceptions différentes de la vérité de l'existence. Nous les appellerons la théorie supracosmique, la théorie cosmique et terrestre, la théorie supraterrestre ou extramondaine, et la théorie intégrale, synthétique ou combinatoire qui tente de concilier les trois facteurs (ou deux d'entre eux) que les autres tendent à isoler. C'est dans cette dernière catégorie que se situerait notre vision de l'existence terrestre conçue comme un Devenir dont l'Être divin est l'origine et la fin, comme une manifestation progressive, une évolution spirituelle dont le supracosmique est la source et le support, les autres mondes la condition et le trait d'union, dont le cosmique et le terrestre sont le champ, et le mental et la vie de l'homme le nœud et le tournant libérateur vers une perfection toujours plus haute. Nous devons donc considérer les trois premières théories afin de voir où elles se séparent de la vision unificatrice de la vie, et jusqu'à quel point les vérités sur lesquelles elles s'appuient s'adaptent à sa structure.
Dans la vision supracosmique des choses, seule la Réalité suprême est entièrement réelle. Un certain sentiment d'illusion, un sens de: la vanité de l'existence cosmique et de l'être individuel donnent à cette conception sa tournure particulière. Mais ils ne sont pas essentiels ils ne constituent pas un apport indispensable à son postulat de base Dans les formes extrêmes que revêt cette vision du monde, l'existence
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humaine n'a aucune signification réelle; c'est une erreur de l'âme ou un délire de la volonté de vivre, une faute ou une ignorance qui, d'une certaine manière, occulte la Réalité absolue. La seule vraie vérité est supracosmique ; ou, en tout cas, l'Absolu, le de la, est l'origine et le but de toute existence, tout le reste est un interlude sans aucune signification durable. Dans ce cas, il n'y aurait qu'une chose à faire : l'unique sagesse et l'unique nécessité, pour notre être, consisteraient à abandonner toute forme d'existence, qu'elle soit terrestre ou céleste, dès que notre évolution intérieure ou quelque loi cachée de l'esprit nous le permettrait. Il est vrai que l'illusion est réelle pour elle-même, que la vanité prétend poursuivre un dessein; leurs lois et leurs faits — ce ne sont que des faits, non des vérités, des réalités empiriques et non pas réelles — nous lient tant que nous demeurons dans l'erreur. Mais du point de vue de la connaissance réelle, et dans toute vision de la vraie vérité des choses, cette auto-illusion ne vaudrait guère mieux que les règlements d'une maison de fous cosmique : tant que nous demeurons fous et devons rester à l'asile, nous sommes forcément soumis à la règle, pour le meilleur ou pour le pire, selon notre tempérament. Mais notre but légitime reste de guérir de notre folie et de nous "en; aller vers la lumière, la vérité et la liberté. Quelque adoucissement que l'on puisse apporter à la rigueur de cette logique, quelque concession que l'on puisse faire pour donner momentanément une valeur à la vie et à la personnalité, il n'en reste pas moins que, de ce point de vue, le vrai principe de vie doit être de suivre la règle — peu importe laquelle — qui peut nous aider à revenir au plus tôt à la connaissance de nous-mêmes et à gagner le Nirvana par le plus court chemin. Le véritable idéal doit être une extinction de l'individu et de l'universel, une annulation de soi' dans -l'Absolu. Cet idéal d'abolition de soi, courageusement et clairement proclamé par les bouddhistes, est, dans la pensée védântique, une découverte de soi; mais l'individu ne peut découvrir son moi, en devenant progressivement son être vrai dans l'Absolu, que si ces deux réalités sont reliées l'une à l'autre; il ne pourrait en être question si l'Absolu finit par abolir le monde et s'affirmer dans un individu irréel ou temporaire, en annulant le faux être personnel et en détruisant toute existence individuelle et cosmique pour cette conscience individuelle même si ces erreurs se prolongent encore, et persistent, impuissantes, inévitables, dans le monde de l'Ignorance autorisé par l'Absolu, dans une Avidyâ universelle, éternelle et indestructible.
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Mais cette idée de la complète vanité de la vie n'est pas une conséquence absolument inévitable de la théorie supracosmique de l'existence. Dans le Védânta des Upanishad, le Devenir du Brahman est une réalité admise, il y a donc place pour une vérité du Devenir : il y a dans cette vérité une juste loi de la vie, la satisfaction de l'élément hédoniste de notre être est permise; celui-ci peut jouir de son existence temporelle, utiliser efficacement son énergie pratique et la force exécutrice de la conscience qui est en lui; mais une fois qu'elle a réalisé la vérité et la loi de son devenir temporel, l'âme doit retourner à sa propre réalisation ultime, car son accomplissement naturel le plus haut est une délivrance, une libération en son être originel, son moi éternel, sa réalité intemporelle. Il y a un cercle du devenir qui part de l'Être éternel et s'achève en lui ; ou, du point de vue du Suprême comme Réalité personnelle ou suprapersonnelle, il y a une comédie temporaire, un jeu du devenir et de la vie dans l'univers. De toute évidence, la vie n'a pas ici d'autre signification que l'a volonté de devenir de l'Être, la volonté de la conscience et l'élan de sa force vers le devenir, sa joie de devenir. Pour l'individu, quand ces choses se retirent, ou sont pleinement accomplies en lui et ne sont plus actives, le devenir cesse. Mais par ailleurs, l'univers persiste ou retourne toujours à la manifestation, car la volonté de devenir est éternelle, et doit l'être, puisqu'elle est la volonté inhérente d'une Existence éternelle. On dira que cette vision des choses présente un défaut : l'individu n'y a aucune réalité fondamentale, et son activité naturelle ou spirituelle aucune valeur, aucune signification durable. Mais on peut aussi répondre qu'exiger une signification personnelle permanente, une éternité personnelle, est une erreur de notre conscience de surface ignorante. L'individu est un devenir temporaire de l'Être, et c'est là une valeur et une signification tout à fait suffisantes. On peut ajouter que, dans une Existence pure ou absolue, il ne saurait y avoir ni valeurs ni significations ; les valeurs existent dans l'univers et sont indispensables, mais seulement comme constructions relatives et provisoires; il ne peut y avoir de valeurs absolues, de significations éternelles existant en soi dans une structure temporelle. Cela paraît assez probant, et il semble que l'on ne puisse rien dire de plus sur le sujet. Cependant, la question demeure. En effet, l'importance accordée à notre être individuel, ce qui est exigé de lui, la valeur attachée à la perfection et au salut de l'individu, sont choses trop considérables pour être rejetées comme de simples procédés dans une opération mineure, l'enroulement et le déroulement d'une spirale parmi les vastes cercles du devenir de l'Éternel dans l'univers.
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Le point de vue cosmique-terrestre que nous pouvons examiner maintenant, et qui est l'exact opposé du point de vue supracosmique, tient l'existence cosmique pour réelle; il va jusqu'à l'accepter comme l'unique réalité, et sa vision se limite d'ordinaire à la vie dans l'univers matériel. Dieu, s'il existe, est un Devenir éternel, et s'il n'existe pas, alors c'est la Nature — de quelque façon que nous puissions la concevoir, que nous la considérions comme un jeu de la Force avec la Matière ou comme une vaste Vie cosmique, ou que nous admettions même un Mental universel impersonnel dans la Vie et la Matière — qui est un perpétuel devenir. La terre est le champ ou l'un des champs temporaires du Devenir, et l'homme est la forme la plus haute, ou seulement l'une des formes temporaires de ce Devenir. Individuellement, l'homme est peut-être irrémédiablement mortel; l'humanité elle-même ne survivra peut-être que pendant une brève période de l'existence terrestre ; peut-être la terre elle-même ne supportera-t-elle la vie que pendant une période relativement plus longue de sa durée dans le système solaire ; ce système, à son tour, pourra un jour connaître sa fin ou du moins cesser d'être un facteur actif ou productif dans le Devenir; l'univers où nous vivons peut lui-même se dissoudre ou, se contractant à nouveau, revenir à l'état-semence de son Énergie. Mais le principe du Devenir est éternel — en tout cas, aussi éternel qu'une chose peut l'être dans l'obscure ambiguïté de l'existence. Il est en vérité possible de supposer que l'homme, l'individu, persiste comme entité psychique dans le Temps, qu'il " prenne âme " ou se réincarne continuellement sur terre ou dans le cosmos, sans qu'il y ait d'après-vie ou d'autre vie nulle part ailleurs. En ce cas, on peut imaginer un idéal de perfection toujours plus grande, ou d'approche de la perfection ou de croissance vers une félicité durable quelque part dans l'univers,.et y voir le but de ce Devenir sans fin. Mais d'un point de vue strictement terrestre, cela est difficilement défendable. Certaines spéculations de la pensée humaine ont suivi cette voie, mais elles ne se sont pas vraiment concrétisées. La pérennité dans le Devenir est généralement associée à l'acceptation d'une existence supérieure supraterrestre.
Selon la conception ordinaire, qui ne nous accorde qu'une seule vie terrestre, un court passage éphémère dans l'univers matériel — car il se peut que des êtres vivants et pensants existent sur d'autres planètes —, accepter notre mortalité, l'endurer passivement ou s'intéresser activement à une vie personnelle ou collective limitée et à
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ses buts, est le seul choix possible. L'unique voie, noble et raisonnable, qui s'offre à l'être humain individuel — à moins qu'en vérité il ne se contente de poursuivre ses objectifs personnels et de vivre sa vie tant .bien que mal jusqu'à ce qu'elle le quitte — est d'étudier les lois du Devenir et d'en profiter au mieux afin que, par la raison ou l'intuition, intérieurement ou dans le dynamisme de la vie, il puisse réaliser ses potentialités, soit en lui-même ou pour lui-même, soit dans l'humanité ou pour l'humanité dont il fait partie ; son travail consiste à tirer profit de ces réalités existantes et à saisir, eu atteindre progressivement, les plus hautes possibilités réalisables, ou en voie de réalisation, sur la terre. Cela, seule l'humanité dans son ensemble peut l'accomplir entièrement, grâce à la masse de l'action individuelle et collective, au fil du temps, à mesure qu'évolue l'expérience de l'espèce; cependant, l'homme individuel peut y contribuer dans ses propres limites, et jusqu'à un certain point il peut réaliser tout cela pour lui-même dans le petit espace de vie qui lui est alloué ; mais surtout, sa pensée et son action peuvent contribuer au bien-être présent — intellectuel, moral et vital — de l'espèce, et à son progrès futur. L'individu peut faire preuve d'une certaine grandeur d'âme; le fait d'accepter son anéantissement inévitable et prématuré ne l'empêche pas de faire noble usage de la volonté et de la pensée qui se sont développées en lui, ou de les orienter vers de grands desseins qu'un jour sans doute, qu'un jour peut-être, accomplira l'humanité. Le caractère provisoire de l'être collectif de l'humanité n'a lui-même qu'assez peu d'importance'—si ce n'est dans la conception la plus matérialiste de l'existence. En effet, tant que le Devenir universel assumera la forme du corps et du mental humains, la pensée, la volonté qu'il a développées dans sa créature humaine se réaliseront, et les suivre intelligemment constitue la loi naturelle et la meilleure règle de vie humaine. Le bien-être et le progrès de l'humanité, aussi longtemps qu'elle subsiste sur terre, fournissent le champ le plus vaste et les limites naturelles du but terrestre de notre être ; la longévité supérieure de l'espèce humaine, la grandeur et l'importance de la vie collective doivent déterminer la nature et l'étendue de nos idéaux. Mais même si l'on exclut le progrès ou le bien-être de l'humanité en déclarant qu'ils ne nous concernent pas ou qu'ils sont illusoires, l'individu, lui, existe, et réaliser sa plus grande perfection possible, ou profiter de sa vie au maximum, de quelque manière que l'exige sa nature, sera dès lors le sens de la vie.
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Le point de vue supraterrestre admet la réalité du cosmos matériel et considère la durée limitée de la terre et de la vie humaine comme le fait primordial, mais il y ajoute la perception d'autres mondes ou d'autres plans d'existence qui ont une durée éternelle, ou du moins une plus grande permanence. Derrière la mortalité de la vie corporelle de l'homme, il perçoit l'immortalité de l'âme qui est en lui. La croyance en l'immortalité, en l'éternelle persistance de l'esprit humain individuel en dehors du corps, est le mot-clef de cette conception de la vie. Elle en suppose nécessairement une autre la croyance en des plans d'existence supérieurs au plan matériel ou terrestre, puisqu'un esprit désincarné ne pourrait s'établir dans un monde dont chaque opération dépend d'un jeu de forces, qu'elles soient spirituelles, mentales, vitales ou matérielles, dans la Matière et avec ses formes. De cette vision des choses, naît l'idée que la vraie demeure de l'homme se trouve au-delà et que la vie terrestre n'est en somme qu'un épisode de son immortalité ou qu'une déviation, le passage d'une existence céleste et spirituelle à une existence matérielle.
Mais quels sont alors le caractère, l'origine et la fin de cette déviation ? Il y a d'abord, dans certaines religions, une idée qui a longtemps prévalu, mais qui se trouve aujourd'hui fortement ébranlée ou discréditée, selon laquelle l'homme est un être qui a été principalement créé sur terre comme un corps matériel vivant, dans lequel une âme divine nouvellement née est insufflée, ou bien avec lequel cette âme est associée par le fiât d'un Créateur tout-puissant. Cette vie est un unique épisode, la seule occasion dont il dispose, et il la quitte pour un monde d'éternelle béatitude, ou d'éternelle misère, selon que le solde général ou prédominant de ses actes est bon ou mauvais, ou selon qu'il accepte ou rejette, connaît ou ignore un credo, un culte ou un médiateur divin particuliers, ou encore selon le caprice arbitraire et prédéterminant de son Créateur. Mais la théorie supraterrestre de la vie s'exprime ici sous sa forme la moins rationnelle, celle d'un credo ou d'un dogme douteux. En partant de l'idée de la création d'une âme par la naissance physique, nous pouvons néanmoins supposer que, du fait d'une Loi naturelle et générale, le reste de son existence devra se poursuivre au-delà, sur un plan supraterrestre, quand l'âme se sera extirpée de sa matrice originelle de matière, tel un papillon qui s'échappe de sa chrysalide et s'ébat dans les airs, porté par ses ailes délicates et chatoyantes. Ou nous pouvons préférer imaginer une existence pré-terrestre de l'âme, une chute ou une descente dans la matière et une réascension en l'être céleste. Si nous
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admettons la préexistence de l'âme, il n'y a pas de raison d'exclure cette dernière possibilité en la tenant pour un fait spirituel rare — on peut concevoir qu'un être appartenant à un autre plan revête à dessein un corps humain et une nature humaine ; mais il est peu probable que ce soit là le principe universel de l'existence terrestre ou une raison suffisante pour la création de l'univers matériel.
On suppose aussi parfois que cette vie unique sur la terre n'est qu'un stade, et que le développement de l'être pour se rapprocher de sa gloire originelle se déroule en une succession de mondes qui sont autant de stades de sa croissance, autant d'étapes de son voyage. L'univers matériel, ou la terre en particulier, serait dès lors un champ somptueusement déterminé, créé par un pouvoir, une sagesse ou un caprice divins pour la représentation de cet interlude. Suivant le point de vue que nous choisissons d'adopter, nous y verrons un lieu d'épreuve, un champ de développement ou la scène d'une chute spirituelle et d'un exil. Il y a aussi le point de vue indien, pour lequel le monde est un jardin de la divine Lîlâ, un jeu de l'Être divin avec les conditions de l'existence cosmique en ce monde de la Nature inférieure. L'âme de l'homme prend part à la Lîlâ au cours de naissances successives, mais il est destiné à remonter enfin vers le plan particulier à Être divin et à y goûter une intimité et une communion éternelles : cela justifie d'une certaine façon le processus créateur et l'aventure spirituelle, et c'est ce qui manque ou n'est pas clairement indiqué dans les autres explications de ces mouvements ou cycles de l'âme. Trois caractéristiques essentielles demeurent constantes dans ces divers exposés du principe commun : d'abord, la croyance en l'immortalité individuelle de l'esprit humain; ensuite, et c'en est l'inévitable conséquence, l'idée que son séjour sur terre est une étape et un passage, ou une séparation d'avec sa nature éternelle et suprême, et qu'un ciel au-delà est sa véritable demeure; enfin, l'importance accordée au développement de l'être éthique et spirituel, considéré comme le moyen de l'ascension et, par conséquent, comme la seule chose dont la vie ait à se préoccuper en ce monde de la Matière.
Tels sont les trois points de vue fondamentaux, et l'attitude mentale correspondante devant la vie, que l'on peut adopter à l'égard de notre existence ; les autres sont généralement des étapes à michemin, ou des variantes ou des composés qui essaient de s'adapter
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plus librement à la complexité du problème. Pratiquement, il est en effet impossible à l'homme en tant qu'espèce, quoi que puissent accomplir une poignée d'individus, de diriger sa vie, constamment ou totalement, selon le principe directeur de l'une ou l'autre de ces trois attitudes, et de façon exclusive, en rejetant les droits qu'ont les autres sur sa nature. Il traite les diverses impulsions de son être complexe et les intuitions de son mental dont elles attendent la sanction, soit en effectuant un amalgame confus de deux ou plusieurs de ces attitudes, soit en créant un conflit ou une division entre les divers objectifs de sa vie, ou encore en s'efforçant de réaliser une synthèse des trois. Presque tous les hommes consacrent normalement la majeure partie de leur énergie à la vie sur terre, aux besoins, intérêts, désirs, idéaux terrestres de l'individu et de l'espèce. Il ne saurait en être autrement, car le caractère même de notre être terrestre nous impose de prendre soin du corps, de développer suffisamment et de satisfaire notre être vital et mental, de poursuivre des idéaux individuels élevés ou de vastes idéaux collectifs, dans la mesure où nous concevons qu'une perfection humaine est accessible ou que nous pouvons en approcher au plus près par un développement normal de nos capacités ; ces choses font partie de la loi de notre être, de son impulsion et de sa règle naturelles, des conditions de sa croissance, et sans elles l'homme ne pourrait atteindre à sa complète humanité. Dès lors, toute conception de notre être qui les néglige, les amoindrit indûment ou les condamne avec intolérance, est de ce fait même incapable de servit de règle générale et complète de la vie humaine, quels que soient par ailleurs sa vérité, son mérite ou son utilité, et quand bien même elle conviendrait à certains tempéraments ou à des individus ayant atteint un certain stade de l'évolution spirituelle. La Nature veille soigneusement à ce que l'espèce humaine ne néglige pas ces buts qui forment une part nécessaire de son évolution; ils s'accordent en effet à la méthode et aux étapes du plan divin en nous, et elle ne peut se permettre de relâcher sa vigilance durant ses premiers pas, et pour préserver sa base mentale et matérielle, puisque ces choses font partie des fondations et du corps de sa structure.
Mais elle a aussi implanté en nous le sens qu'il existe dans notre constitution quelque chose qui dépasse cette première nature terrestre de l'humanité. C'est pour cette raison que l'homme ne peut accepter, ni suivre très longtemps, une conception de l'être qui ignore ce sens plus élevé et plus subtil et s'efforce de nous limiter entièrement à un mode de
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vie purement terrestre. L'intuition d'un au-delà, l'idée et le sentiment de la présence d'une âme, d'un esprit en nous qui est autre que le mental, la vie et le corps ou les dépasse et n'est pas limité par leurs formules, nous reviennent et finissent par reprendre le pouvoir. L'homme ordinaire satisfait assez facilement ce sentiment en lui consacrant ses moments exceptionnels ou la dernière partie de sa vie, quand l'âge a tempéré l'ardeur de sa nature terrestre, ou en y percevant, derrière ou par-delà son action habituelle, la présence de quelque chose vers quoi son être naturel peut, plus ou moins imparfaitement, se diriger. L'homme exceptionnel se tourne vers le supraterrestre, comme vers le seul but et l'unique loi de la vie, et il atrophie ou mortifie ses éléments terrestres autant que faire se peut, dans l'espoir de développer sa nature céleste. À certaines époques, ce point de vue supraterrestre a exercé une forte influence, âges d'oscillation entre une vie humaine imparfaite, incapable d'atteindre sa vaste expansion naturelle, et une aspiration ascétique et morbide à la vie céleste qui, elle non plus, ne peut réaliser son mouvement le plus pur et le plus heureux que chez quelques rares individus. C'est là le signe d'un faux conflit, créé dans l'être par l'établissement d'une norme ou d'un procédé qui ignore la loi du pouvoir évolutif, ou d'une exagération qui perd de vue l'équation conciliatrice qui doit exister quelque part dans une ordonnance divine de notre nature.
Mais à mesure que notre vie mentale s'approfondit et que ;se développée une connaissance plus subtile, nous commençons enfin à percevoir que le terrestre et le supraterrestre ne sont pas les seuls termes de notre être, qu'il y a quelque chose de supracosmique qui est l'origine lointaine et plus haute de notre existence. L'enthousiasme spirituel, l'ardente et haute aspiration de l'âme, le détachement philosophique ou la stricte intolérance logique de notre intellect, l'impatience de notre volonté et le dégoût maladif de notre être vital découragé par les difficultés ou déçu par les résultats de la vie — que ces mobiles agissent isolément ou se conjuguent — associent cette perception au sens de l'entière vanité, de l'entière irréalité de tout ce qui n'est pas ce lointain Suprême : vanité de la vie humaine, irréalité de l'existence cosmique, amère laideur et cruauté de la terre, insuffisance du ciel, répétition sans but des naissances dans le corps. Là non plus, l'homme ordinaire ne saurait vivre avec de telles pensées ; elles peuvent tout au plus apporter une certaine grisaille, une perpétuelle insatisfaction à la vie qu'il doit néanmoins continuer de vivre. Mais l'homme exceptionnel abandonne
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tout pour suivre la vérité qu'il a vue, et pour lui ces choses peuvent être l'aliment nécessaire de son élan spirituel ou un stimulant pour l'unique accomplissement, la seule chose qui désormais compte à ses yeux. Il y a eu des époques et des pays où cette vision de l'être est devenue très puissante ; une grande partie de l'humanité a bifurqué, se tournant vers la vie ascétique — sans en avoir toujours la vraie vocation —, tandis que les autres hommes restaient attachés à la vie ordinaire, tout en nourrissant au fond d'eux-mêmes le sentiment de son irréalité. Quand elle se fait trop fréquente, trop insistante, cette croyance peut aboutir à un relâchement de l'élan vital et à un amoindrissement croissant de ses mobiles ; et par une réaction subtile, l'homme finit même par se laisser engloutir dans une existence ordinaire étriquée, faute de répondre spontanément à la joie plus vaste de l'Être divin dans l'existence cosmique, provoquant l'échec du grand idéalisme progressif de l'humanité qui nous pousse vers un développement de nous-mêmes sur le plan collectif, et veut que nous embrassions avec noblesse et la bataille et le labeur. Là encore, l'exposé de la Réalité supracosmique montre une certaine insuffisance, qui tient peut-être à une exagération ou à une fausse opposition : l'équation divine, le sens total de la création et la volonté entière du Créateur lui échappent.
Pour découvrir cette équation, il nous faut reconnaître la signification profonde de toute notre nature humaine complexe, et sa juste place dans le mouvement cosmique ; ce qu'il faut, c'est donner sa pleine et légitime valeur à chaque partie de notre être composite et de notre multiple aspiration, et découvrir la clef de leur unité autant que de leur différence. La découverte doit se faire par une synthèse ou une intégration et, puisqu'il est clair que le développement est la loi de l'âme humaine, c'est par une synthèse évolutive qu'elle a le plus de chances de se faire. L'ancienne culture de l'Inde a tenté de réaliser une telle synthèse. Bile .reconnaissait quatre mobiles légitimes de la vie humaine : les intérêts et les besoins vitaux de l'homme, ses désirs, son aspiration éthique et religieuse, sa finalité et sa destinée spirituelles ultimes — en d'autres termes, les exigences de son être vital, physique et émotif, celles de son être éthique et religieux gouverné par une connaissance de la loi de Dieu, de la Nature et de l'homme, et celles de son aspiration spirituelle vers un Au-delà qu'il cherche à satisfaire en s'affranchissant finalement d'une existence mondaine ignorante. Elle prévoyait une période d'éducation et de préparation reposant sur cette idée de la vie, une période de vie
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normale pour satisfaire les désirs et les intérêts humains, soumise à la loi modératrice de notre nature éthique et religieuse, une période de retraite et de préparation spirituelle, et enfin, une période de renoncement à la vie et de libération spirituelle. Si cette norme prescrite, si ce tracé de la courbe de notre voyage avaient cherché à s'imposer comme une règle universelle, ils auraient perdu de vue le fait qu'il est impossible que tous les hommes complètent le cercle de leur développement en une seule et brève existence ; mais une modification fut apportée par la théorie d'une évolution intégrale poursuivie au fil d'une longue suite de renaissances, avant que l'homme ne soit prêt pour une délivrance spirituelle. Cette synthèse, avec sa pénétration spirituelle, sa largeur de vue, sa symétrie, son intégralité, a beaucoup fait pour élever le caractère de la vie humaine ; mais elle a fini par s'écrouler, cédant la place à la tendance excessive au renoncement qui allait détruire la symétrie du système et le scinder en deux mouvements de vie opposés : la vie normale faite d'intérêts et de désirs, avec une coloration éthique et religieuse, et la vie intérieure anormale ou sa vie fondée sur le renoncement. En fait, la vieille synthèse portait en elle le germe de cette exagération et ne pouvait manquer d'y succomber; en effet, si nous considérons l'évasion hors de la vie comme la fin désirable, si nous omettons d'offrir à la vie un but élevé qu'elle puisse accomplir, si elle n'a pas un sens divin, alors l'impatience de l'intellect et du vouloir humains nous amènent inévitablement à prendre un raccourci et à éliminer autant que possible tout autre procédé fastidieux et dilatoire; s'ils ne peuvent le faire ou sont incapables d'emprunter le raccourci, ils restent avec l'ego et ses satisfactions, mais sans rien de plus grand à réaliser sur terre. La vie est divisée en deux, spirituelle et ordinaire, et il ne peut y avoir qu'une transition abrupte, mais pas d'harmonie ou dé réconciliation entre ces deux parties de notre nature.
Une évolution spirituelle, un déploiement de l'Être intérieur de naissance en naissance sur la terre, dont l'homme devient l'instrument central et dont la vie humaine à son apogée est le tournant critique, est le lien nécessaire à l'harmonisation de la vie et de l'esprit, car elle nous permet de prendre en compte la nature intégrale de l'homme et de reconnaître le rôle légitime de sa triple attirance vers la terre, le ciel et la Réalité suprême. Mais pour pouvoir résoudre complètement ses oppositions, nous devons partir du fait que la conscience inférieure, constituée par le mental, la vie et le corps, ne peut trouver sa pleine signification que si la lumière, la puissance et la joie de la conscience spirituelle
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supérieure s'emparent d'elle, la reformulent et la transforment. La conscience supérieure, elle non plus, ne peut trouver son juste rapport avec la conscience inférieure par un simple rejet; elle doit l'assumer et la dominer, reprendre ses valeurs inaccomplies, les remodeler et les transformer par une spiritualisation et une supramentalisation de la nature mentale, vitale et physique. L'idéal terrestre, qui a si puissamment marqué le mental de notre temps, a rendu à l'homme, à sa vie sur terre et à l'espoir collectif de l'humanité une place prépondérante, poussant l'homme à trouver une solution. C'est le bien qu'il a accompli. Mais par ses excès et son exclusivisme, il a indûment limité notre horizon, ignoré ce qu'il y a de plus haut, et finalement de plus vaste en l'homme, et cette limitation l'a empêché de poursuivre complètement son propre objectif. Si le mental était ce qu'il y a de plus haut en l'homme et en la Nature, alors, sans doute, il n'en résulterait pas une telle frustration ; l'horizon demeurerait néanmoins limité, la possibilité réduite, la perspective circonscrite. Mais si le mental n'est qu'un déploiement partiel de la conscience et qu'il y a, au-delà, des pouvoirs que la Nature est capable de manifester en notre humanité, alors non seulement notre espoir sur la terre, sans parler de ce qui est au-delà, dépend de leur développement, mais c'est la seule et juste voie de notre évolution.
Le mental et la vie ne peuvent eux-mêmes atteindre à leur plénitude que par l'ouverture de la conscience plus vaste et plus grande dont le mental ne fait que s'approcher. Cette conscience plus vaste et plus grande est là conscience spirituelle, car celle-ci est non seulement plus haute, mais plus globale. Universelle autant que transcendante, elle peut élever le mental et la vie en sa lumière et leur donner la réalisation véritable et suprême de tout ce qu'ils recherchent, car elle dispose d'instruments supérieurs de connaissance, d'une source de puissance et de volonté plus profondes, d'une étendue et d'une intensité illimitées d'amour, de joie et de beauté. C'est là ce que recherchent notre mental, .notre vie, et notre corps : la connaissance, la puissance et la joie, et rejeter ce par quoi ils atteignent tous à leur suprême plénitude, c'est leur interdire leur accomplissement le plus haut. Si l'on tombe dans l'excès contraire, si l'on exige seulement la pureté insipide de quelque existence spirituelle, cela annule l'action créatrice de l'esprit et exclut de nous tout ce que le Divin manifeste en Son être, ne laissant de place que pour une évolution qui ne signifie et n'accomplit rien. Retrancher tout ce qui a été manifesté dans l'évolution est alors en effet le seul et suprême accomplissement.
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Cette conception transforme le développement de notre être en la courbe absurde d'un plongeon dans l'Ignorance (pour en réémerger plus tard), ou érige une roue du Devenir cosmique, et s'en évader est alors la seule issue. L'aspiration intermédiaire, supraterrestre, interrompt l'accomplissement de l'être vers les plans supérieurs en ne le menant pas à sa plus haute réalisation, qui est l'unité, et l'amoindrit sur les plans inférieurs en refusant d'accorder une signification suffisamment vaste à sa présence dans l'univers matériel et à son acceptation de la vie dans un corps terrestre. Un large rapport d'unité, une intégration rétablit l'équilibre, illumine toute la vérité de l'être et relie les étapes de la Nature.
Dans cette intégration, la Réalité supracosmique s'impose comme la Vérité suprême de l'être; sa réalisation est ce que notre conscience peut atteindre de plus haut. Or, cette Réalité la plus haute est aussi l'être cosmique, la conscience cosmique, la volonté et la vie cosmiques. C'est elle qui les a émanés, non pas hors d'elle-même mais en son être même, non comme un principe opposé mais comme son propre déploiement, sa propre expression. L'être cosmique n'est pas une anomalie ou une fantaisie dépourvues de sens ou une erreur du hasard; il possède une signification et une vérité divines: la multiple expression de soi de l'Esprit en est le sens le plus haut, le Divin lui-même est la clef de son énigme. Une parfaite expression de soi de l'Esprit est l'objet de notre existence terrestre. Or nous ne pouvons l'atteindre si nous n'avons pas pris conscience de la Réalité suprême; seul le toucher de l'absolu nous permet en effet d'accéder à notre propre absolu. Mais nous ne l'atteindrons pas non plus en excluant la Réalité cosmique : nous devons devenir universels, car s'il ne s'ouvre pas à l'universalité, l'individu demeure incomplet. L'individu qui se sépare du Tout pour atteindre au Très-haut, se perd dans les hauteurs suprêmes. S'il intègre en lui la conscience cosmique, il recouvre l'intégralité de son moi et conserve néanmoins le gain suprême de la transcendance; il l'accomplit et s'accomplit lui-même dans la totalité cosmique. L'unité réalisée du transcendant, de l'universel et de l'individu est une condition indispensable à la pleine expression de soi de l'Esprit. L'univers est en effet le champ de son expression de soi intégrale, et c'est grâce à l'individu que son déploiement évolutif atteint ici son apogée. Or cela suppose non seulement que l'individu ait un être réel, mais que se révèle notre secrète et éternelle unité avec le Suprême et avec toute l'existence cosmique. Dans son intégration de soi, l'âme de l'individu doit s'éveiller à l'universalité et à la transcendance.
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L'existence supraterrestre est aussi une vérité de l'être, car le plan matériel n'est pas le seul où nous existons. Il y a d'autres plans de conscience auxquels nous pouvons atteindre et qui ont déjà des liens secrets avec nous : ne pas nous élever jusqu'aux plus vastes régions de l'âme qui nous sont ouvertes, ne pas en avoir l'expérience, ne pas connaître et manifester leur loi en nous, c'est s'arrêter avant d'atteindre le sommet et à la plénitude de notre être. Mais les mondes d'une conscience supérieure ne sont pas l'unique scène, l'unique demeure possible d'une âme parvenue à la perfection, et nous ne pouvons non plus trouver dans aucun monde-type immuable le sens final ou total de l'expression de soi de l'Esprit dans le cosmos : le monde matériel, cette terre, cette vie humaine font partie de l'expression de soi de l'Esprit et il y a en eux une possibilité divine. Cette possibilité est évolutive et contient, irréalisées mais réalisables, les possibilités de tous les autres mondes. La vie terrestre n'est pas une chute dans la fange d'un non-divin, misérable et vain, qu'un Pouvoir s'offrirait en spectacle, ou qu'il offrirait à l'âme incarnée comme une chose qu'elle doit subir, puis rejeter. C'est la scène du déploiement évolutif de l'être qui avance vers la révélation d'une lumière, d'une puissance, d'une joie et d'une unité spirituelles suprêmes, mais y inclut aussi l'innombrable diversité de l'Esprit qui s'accomplit. Il y a dans la création terrestre une intention qui embrasse tout dans sa vision ; un plan divin s'élabore à travers ses contradictions et ses perplexités qui sont le signe d'un accomplissement multiforme dans la création terrestre vers lequel sont dirigés la croissance de l'âme et l'effort de la Nature.
Il est vrai que l'âme peut s'élever jusqu'en des mondes de plus vaste conscience au-delà de la terre, mais il est vrai aussi que le pouvoir de ces mondes, le pouvoir d'une conscience plus grande doit se développer ici. L'incarnation de l'âme est le moyen de cette incarnation de la conscience. Tous les pouvoirs supérieurs de la Conscience existent parce qu'ils sont des pouvoirs de la Réalité suprême. Notre être terrestre possède lui aussi la même vérité; il est un devenir de l'unique Réalité et doit incarner en lui-même ces plus grands pouvoirs. Son apparence actuelle est une représentation partielle et voilée; nous limiter à cette première image, à la formule présente d'une humanité imparfaite, c'est exclure nos potentialités divines. Nous devons donner un sens plus large à notre vie humaine et manifester en elle le " beaucoup-plus " que nous sommes secrètement. Notre mortalité ne se justifie qu'à la lumière de notre immortalité; notre terre ne peut se connaître entièrement, ne peut être
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entièrement elle-même qu'en s'ouvrant au ciel ; l'individu ne peut se voir correctement et utiliser divinement son monde qu'une fois entré dans les plans plus vastes de l'être, une fois qu'il a vu la lumière du Suprême et vécu dans l'être et le pouvoir de l'Éternel et Divin.
Une intégration de ce genre serait impossible si une évolution spirituelle n'était le sens de notre naissance et de notre existence terrestre. L'évolution du mental, de la vie et de l'Esprit dans la Matière est le signe que cette intégration, cette manifestation accomplie d'u® moi secret contenu en elle, en est bien le sens. Une involution complète de tout ce qu'est l'Esprit et son déploiement dans l'évolution, tel est le double terme de notre existence matérielle. Il y a une possibilité d'expression de soi par un développement toujours dévoilé et lumineux de l'être, une possibilité, aussi, d'expression variée en des types parfaits, "fixes et complets en leur propre nature : c'est le principe du devenir dans les mondes supérieurs, mondes types et non évolutifs en leur principe vital ; chacun existe en sa perfection, mais dans les limites d'une formule statique du monde. Cependant, il y a aussi une possibilité d'expression de soi par la découverte de soi, un déploiement qui en prend la forme et suit la progression du moi qui se voile, et l'aventure de sa redécouverte; c'est le principe du devenir dans cet univers dont une involution de la conscience, une occultation de l'Esprit dans la Matière est la première apparence.
Une involution de l'Esprit dans l'Inconscience est le début; une évolution dans l'Ignorance avec le jeu des possibilités d'une connaissance partielle qui se développe, est le milieu ; et la cause des anomalies de notre nature actuelle — notre imperfection —, est le signe d'un état transitoire, d'une croissance encore inachevée, d'un effort qui cherche son chemin. Une réalisation complète dans un déploiement de la connaissance de soi de l'Esprit et du pouvoir essentiel de son Être divin et de sa Conscience divine est le couronnement. Telles sont les trois étapes de ce cycle où l'Esprit s'exprime peu à peu dans la vie. Les deux étapes dont le jeu se déroule déjà semblent à première vue exclure la possibilité de l'étape ultérieure où le cycle s'achève ; mais logiquement, elles en impliquent l'apparition. Car si de l'Inconscience a évolué la Conscience, la conscience partielle déjà atteinte devra certainement évoluer pour devenir une conscience complète. Ce que cherche la nature terrestre, c'est une vie rendue parfaite et divine, et cette recherche est
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un signe de la Volonté divine dans la Nature. Il existe d'autres voies de recherche, qui, elles aussi, trouvent les moyens de s'accomplir. Un retrait dans la paix ou l'extase suprêmes, un retrait dans la béatitude de la Présence divine sont accessibles à l'âme dans l'existence terrestre, car nombreuses sont les possibilités de manifestation de l'Infini, et il n'est pas limité par ses formulations. Mais ni l'un ni l'autre de ces retraits ne peut être l'intention fondamentale ici, dans le Devenir. Si elle l'était, une progression évolutive n'aurait pas été entreprise — cette progression terrestre ne peut avoir pour but qu'un accomplissement terrestre : une manifestation progressive de ce genre ne peut avoir d'autre signification essentielle que la révélation de l'Être dans un Devenir parfait.
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Le progrès vers la Connaissance Dieu, l'homme et la Nature
Tu es Cela, o Shvétakétu.
Chândogya Upanishad. VI. 8. 7.
L'être vivant n'est autre que le Brahman, le monde entier est le Brahman.
Vivékachudamani. Verset 479.
Ma Nature suprême est devenue l'être vivant et, par elle, ce monde est soutenu (...) telle est la source où tous les êtres prennent naissance.
Gîta. VII. 5,6.
Tu es l'homme et la femme, le garçon et la fille; vieux et décrépit tu vas, courbé sur un bâton; tu es l'oiseau bleu, et le vert, et celui aux yeux écartâtes.
Shvetâshvatara Upanishad. IV. 3,4.
Tout ce monde est empli d'êtres qui sont Ses membres.
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Une involution de l'Existence divine, de la Réalité spirituelle dans l'apparente inconscience de la Matière est le point de départ de l'évolution. Mais cette Réalité est en sa nature une Existence, une Conscience, une Félicité d'Être éternelles: l'évolution doit donc être l'émergence de cette Existence-Conscience-Félicité, non pas, au commencement, en son essence ou sa totalité, mais en des formes évolutives qui l'expriment où la déguisent. De l'Inconscient, l'Existence apparaît sous une première forme évolutive, comme substance de Matière créée par une Énergie inconsciente. Involuée, non apparente dans la Matière, la Conscience émerge, d'abord déguisée en vibrations vitales, animées mais subconscientes; puis, en d'imparfaites formulations d'une vie consciente, elle fait effort pour se découvrir à travers des formes successives de cette substance matérielle, formes de mieux en mieux adaptées à son expression plus complète. Rejetant l'insensibilité primordiale d'une inanimation et d'une nescience matérielles, la Conscience dans la vie travaille à se découvrir de plus en plus complètement dans l'Ignorance qui est sa première et inévitable formulation ; mais au début, elle n'arrive qu'à une perception mentale primaire et à une prise de conscience vitale de soi et "des choses, perception vitale qui, sous ses premières formes, dépend d'une sensation interne réagissant aux contacts d'autres vies et de la Matière. La Conscience s'efforce de manifester de son mieux, par des sensations inadéquates, sa joie d'être inhérente ; mais elle n'arrive à formuler qu'une souffrance et un plaisir partiels. En l'homme, la Conscience dynamisante apparaît comme un Mental plus clairement conscient de lui-même et des choses ; c'est un pouvoir encore partiel et limité et non pas intégral, de la Conscience, mais on peut y discerner les premiers germes d'une conception et la promesse d'une émergence intégrale. Or cette émergence intégrale est le but de la Nature évolutive.
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L'homme est là pour s'affirmer dans l'univers, c'est sa première tâche, mais aussi pour évoluer et finalement se dépasser. Il doit élargir son être partiel et en faire un être complet, élargir sa conscience partielle et en faire une conscience intégrale; il doit se rendre maître de son environnement, mais également réaliser l'unité et l'harmonie du monde; il doit accomplir son individualité, mais aussi l'élargir et la transformer en un moi cosmique, en une félicité d'être universelle et spirituelle. L'intention évidente de sa nature est de transformer, de purifier, de corriger tout ce qui est obscur, faux et ignorant dans sa mentalité, d'atteindre finalement à une harmonie et une luminosité vastes et souveraines de la connaissance, de la volonté, du sentiment, de l'action et du caractère. C'est l'idéal que l'Énergie créatrice a imposé à son intelligence, un besoin qu'elle a implanté dans sa substance mentale et vitale. Mais cela ne peut s'accomplir que par un élargissement de son être et de sa conscience. Car l'homme a été créé pour s'élargir, pour s'accomplir, pour évoluer de ce qu'il est partiellement et provisoirement" en sa nature actuelle apparente, vers ce qu'il est intégralement en son moi et son esprit secrets et peut donc devenir, même en son existence manifestée. Cet espoir est la raison d'être de sa vie sur terre parmi les phénomènes cosmiques. Être éphémère soumis aux contraintes de son incarnation matérielle et emprisonné dans une mentalité limitée, l'homme extérieur apparent doit devenir l'Homme intérieur réel, maître de soi et de son environnement, universel en son être. En termes plus" vivants et moins métaphysiques, disons que l'homme naturel doit évoluer en l'Homme divin, les fils de la Mort doivent se connaître comme les enfants de l'Immortalité. C'est pour cette raison que l'on peut décrire la naissance humaine comme le tournant de l'évolution, l'étape critique de la nature terrestre.
La conséquence immédiate, c'est que la connaissance à laquelle nous devons parvenir n'est pas une vérité de l'intellectuelle n'a rien à voir avec les croyances justes, les opinions justes, les informations justes sur soi-même et les choses — cela, c'est seulement l'idée que le mental de surface se fait de la connaissance. Arriver à une certaine conception mentale de Dieu, die nous-mêmes et du monde est un objectif valable pour l'intellect, mais pas assez vaste pour l'Esprit; cela ne fera pas de nous les fils conscients de l'Infini. Dans l'ancienne pensée de l'Inde, connaître signifiait posséder consciemment la plus haute Vérité par une perception directe et une expérience du moi. Devenir, être le Suprême
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que nous connaissons est le signe que nous avons réellement la connaissance. Pour la même raison, accorder dans la mesure du possible notre vie pratique et nos actions avec nos notions intellectuelles de vérité et de justice, ou avec une connaissance pragmatique efficace — accomplissement éthique ou vital —-n'est? pas et ne peut être le1 but ultime de notre vie. Notre but doit être de devenir notre être vrai, notre être spirituel, l'être de l'Existence, Conscience, Félicité suprême et universelle, Satchidânanda.
Toute notre existence dépend de cette Existence, c'est elle qui évolue en nous; nous sommes un être de cette Existence, un état de conscience de cette Conscience, une énergie de cette Énergie consciente, une volonté de joie d'être, de joie de la conscience, de joie de l'énergie née de cette Joie : c'est le principe fondamental de notre existence. Mais en surface, nous ne les formulons pas ainsi, nous en donnons une fausse traduction dans les termes de l'Ignorance. Notre " je " n'est pas cet être spirituel qui peut regarder l'Existence divine et dire : " Je suis Cela " ; notre mentalité n'est pas cette conscience spirituelle ; notre volonté n'est pas cette force de conscience ; notre souffrance et notre plaisir, et même nos joies et nos extases les plus hautes ne sont pas cette félicité d'être. À la surface, chacun de nous est encore un ego représentant le moi, une ignorance se changeant en connaissance, une volonté s'efforçant de "devenir une vraie force, un désir en quête du délice de l'existence. Devenir nous-mêmes en nous dépassant nous-mêmes — ainsi pouvons-nous traduire les mots inspirés d'un voyant à demi aveugle qui ne connaissait pas le moi dont il parlait — est la difficile et dangereuse nécessité, la croix surmontée d'une invisible couronne qui nous est imposée, l'énigme de la vraie nature de son être que propose à l'homme le Sphinx obscur de .l'Inconscience au-dessous et, du dedans et d'en haut, le Sphinx lumineux et voilé de la Conscience infinie et de la Sagesse éternelle qui le défie sous la forme d'une inscrutable et divine Maya. Dépasser l'ego et devenir notre vrai moi, être conscient de notre être réel, le posséder, posséder une joie d'être véritable, est donc l'ultime signification de notre vie ici-bas. C'est le sens caché de notre existence individuelle et terrestre.
La connaissance intellectuelle et l'action pratique sont des procédés de la Nature qui nous permettent d'exprimer le niveau de réalisation que notre être, notre conscience, notre énergie, notre capacité de jouissance ont déjà atteint dans notre nature extérieure. Grâce à eux, nous
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essayons de connaître davantage, d'exprimer et de réaliser davantage, de devenir toujours davantage tout ce qui nous reste encore à accomplir. Mais notre intellect, notre connaissance mentale, notre volonté d'agir ne sont pas nos seuls moyens, ni les seuls instruments de notre conscience et de notre énergie. Dans cette organisation de la conscience, cette instrumentation de la force, notre nature — nom que nous donnons à la Force d'être en nous, à son jeu et son pouvoir réels et potentiels — se montre fort complexe. Il nous faut actualiser les valeurs les plus hautes et les plus épurées, utiliser les pouvoirs les plus vastes et les plus riches possibles de chacun des termes (que nous avons déjà découverts ou que nous sommes capables de découvrir) de cette complexité, et les appliquer .afin d'atteindre notre seul objectif. Notre but, en effet, est de devenir, e&t d'être conscient, de croître continuellement en notre être réalisé, en notre conscience de nous-mêmes et des choses, en notre force et notre joie d'être actualisées et d'exprimer dynamiquement ce devenir afin d'agir sur le monde et sur nous-mêmes ; ainsi, nous nous élèverons, et le monde lui aussi s'élèvera toujours davantage vers les plus hauts sommets et les plus vastes étendues possibles d'universalité et d'infinité. Tout l'effort de l'homme au long des âges, son action, son organisation sociale, son art, sa morale, sa science et sa religion, les innombrables activités par lesquelles il exprime et développe son existence mentale, vitale, physique et spirituelle sont des épisodes de ce grand drame, de cette grande aventure de la Nature et, derrière leurs buts apparemment limités, c'est là leur seule signification véritable, leur seul véritable fondement. Pour l'individu, atteindre à l'universalité divine et à l'infinité suprême, vivre en elles, les posséder, n'être et ne connaître et ne sentir et n'exprimer qu'elles dans tout son être, toute sa conscience, toute son énergie, toute sa joie d'être, était ce que les anciens voyants du Véda entendaient par Connaissance, c'était l'Immortalité qu'ils proposaient à l'homme comme le suprême accomplissement divin.
Mais la nature de sa mentalité, son regard tourné au-dedans vers lui-même et son regard tourné au-dehors vers le monde, originellement limités l'un et l'autre au relatif, à l'évident, à l'apparent par les sens et le corps —-, obligent l'homme à avancer pas à pas dans l'obscurité, tel un ignorant dans cet immense mouvement évolutif. Il est incapable, au .début, d'envisager l'être dans la totalité de son unité. L'être se présente à lui à travers la diversité, et sa quête de la connaissance se concentre sur trois catégories principales qui résument pour lui toute cette diversité :
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lui-même — l'homme ou l'âme individuelle —, Dieu et la Nature. La première est la seule dont il soit directement et normalement conscient en son être ignorant; il se voit lui-même tel un individu menant apparemment une existence séparée et pourtant toujours inséparable de la totalité de l'être, essayant de se suffire à lui-même sans jamais y parvenir. Qui, en effet, a jamais vu un homme naître, exister ou atteindre au sommet de son existence séparément des autres, sans leur aide et indépendamment de l'être universel et de la nature universelle? En second lieu, il y a ce qu'il ne connaît qu'indirectement — par son mental et ses sens physiques et par l'influence que le mental exerce sur eux —, et qu'il doit néanmoins s'efforcer de connaître de plus en plus complètement ; car il voit aussi tout le reste de l'être avec le quel il est si étroitement identifié et dont il est pourtant si séparé — le cosmos, le monde, la Nature, les autres existences individuelles qu'il perçoit à là fois comme semblables à lui-même et toujours dissemblables, car leur nature est elle aussi identique, même à celle de la plante et de l'animal, et cependant différente. Chacune semble aller son chemin comme un être séparé, et pourtant chacune est poussée par le même mouvement et suit, à son propre niveau, la même vaste courbe d'évolution que l'individu lui-même. Enfin, il voit ou plutôt devine autre chose, qu'il ne connaît pas du tout, sinon d'une façon des plus indirecte, car il ne la connaît que par lui-même et par ce vers quoi tend son être, par le monde et ce vers quoi il semble se diriger, et qu'il s'efforce obscurément d'atteindre et d'exprimer par des représentations imparfaites, ou, dû moins, qu'il fonde, sans connaître cette autre chose, sur leur relation secrète avec cette Réalité invisible et cet Infini occulte. .
Ce troisième et inconnu, ce tertium quid, il l'appelle Dieu; et par ce mot, il désigne quelque chose ou quelqu'un qui est le Suprême, le Divin, la Cause, le Tout — l'une de ces choses ou toutes à la fois, la perfection ou la totalité de tout ce qui est ici partiel ou imparfait, l'absolu de toutes ces myriades de relativités, l'Inconnu dont la quête peut lui rendre de plus en plus intelligible le secret réel du connu. L'homme a essayé de nier toutes ces catégories — il a essayé de nier la réalité de sa propre existence, il a essayé de nier la réalité de l'existence du cosmos, il a essayé de nier la réalité de l'existence de Dieu. Mais derrière toutes ces négations, nous percevons la même nécessité constante, qui est son effort vers la: connaissance. Il éprouve en effet le besoin de réaliser l'unité de ces trois termes, fût-ce en réprimant deux d'entre eux ou en
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les fusionnant avec le troisième. Pour ce faire, il affirme qu'il est la cause unique et que tout le reste est une simple création de son mental; ou bien il affirme que seule la Nature existe, le reste n'étant que des phénomènes de son Énergie ; ou encore il affirme la seule existence de Dieu, die l'Absolu, et toutes les autres choses ne sont pour lui que des illusions que Cela projette sur soi-même ou sur nous par une inexplicable Maya. Aucune de ces négations ne peut entièrement le satisfaire, aucune ne résout complètement le problème, aucune n'est indiscutable et définitive -—-surtout pas celle à laquelle son intellect gouverné par les sens est le plus enclin, mais dont il ne peut longtemps se contenter: car nier Dieu, c'est nier sa vraie recherche et son Ultime absolu. Les périodes d'athéisme naturaliste ont toujours été brèves parce qu'elles ne peuvent jamais satisfaire la connaissance secrète en l'homme : cela ne peut être le Véda final parce que cela ne correspond pas au Véda intérieur que toute connaissance mentale s'efforce de faire émerger. Dès que cette disparité est perçue, la solution, si habile et si logiquement complète soit-elle, est jugée par le Témoin éternel en l'homme, et condamnée d'avance. Elle ne saurait être le dernier mot de la Connaissance.
L'homme tel qu'il est ne se suffit pas à lui-même, il n'est pas non plus séparé, pas davantage n'est-il l'Éternel et le Tout; il ne peut donc être lui-même l'explication du cosmos dont son mental, sa vie et son corps ne sont à l'évidence qu'un détail infinitésimal. Il découvre que le cosmos visible ne se suffit pas non plus à lui-même, ni ne s'explique lui-même, fût-ce par ses forces matérielles invisibles ; car il trouve trop de choses dans le monde, et en lui-même, qui les dépassent et dont ils ne semblent être qu'un visage, un épiderme, voire un masque. Ni son intellect, ni ses intuitions, ni ses sentiments ne peuvent se passer d'un Un ou d'une Unité avec qui ou avec quoi ces forces cosmiques et lui-même peuvent établir une relation qui les soutienne et leur donne un sens. Il sent qu'il doit y avoir un Infini qui maintient ces finis, qui est dans tout ce cosmos visible, derrière lui et tout autour, fondement de l'harmonie, des rapports mutuels et de l'unité essentielle de choses multiformes. Sa pensée a besoin d'un Absolu dont ces innombrables relativités finies dépendent pour leur existence, d'une ultime Vérité des choses, d'un Pouvoir ou d'une Force créatrice ou d'un Être qui soit à l'origine de ces myriades d'êtres dans l'univers et les soutienne. Qu'il l'appelle comme bon lui semble, il doit parvenir à un Suprême, un, Divin, une Cause, un Infini et Éternel, un Permanente, une Perfection vers laquelle tout
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tend et aspire, ou à un Tout auquel toutes choses perpétuellement et invisiblement se rapportent et sans lequel elles ne pourraient être.
Toutefois cet Absolu lui-même, l'homme ne peut l'affirmer en soi, à l'exclusion des deux autres catégories; car cela revient à fuir d'un bond le problème qu'il est venu résoudre : lui-même et le cosmos demeurent une inexplicable mystification ou un mystère sans but. Une certaine partie de son intellect et son désir de repos peuvent être apaisés par une telle solution, tout comme son intelligence physique se satisfait aisément d'une négation de l'au-delà et d'une déification de la Nature matérielle; mais son cœur, sa volonté, les parties les plus fortes et les plus intenses de son être restent dénués de sens, privés de but ou de justification, ou deviennent une aberrante sottise s'agitant sans trêve et sans raison comme une ombre sur le repos éternel de l'Existence pure ou dans l'inconscience éternelle de l'univers. Quant au cosmos, il conserve ici le caractère singulier d'un mensonge soigneusement échafaudé par l'Infini, anomalie monstrueusement agressive et qui, cependant n'existe pas en réalité, paradoxe douloureux et pitoyable présentant ses spectacles de merveille, de beauté et de joie factices; ou bien c'est le jeu titanesque d'une Énergie aveugle et organisée qui n'a aucun sens, et l'être de l'homme est une minuscule et temporaire anomalie qui surgit inexplicablement dans cette vastitude insensée. Sur cette voie, il n'est pas d'accomplissement satisfaisant pour la conscience, pour l'énergie qui s'est manifestée dans le monde et en l'homme : le mental a besoin de trouver quelque chose qui relie tout, quelque chose par quoi la Nature s'accomplit en l'homme et l'homme en la Nature et où tous deux se trouvent en Dieu, parce que le Divin, finalement, se révèle à la fois en l'homme et dans la Nature.
Une acceptation, une perception de l'unité de ces trois catégories est essentielle à la Connaissance; c'est à leur unité autant qu'à leur intégralité que s'ouvre la conscience de soi toujours plus vaste de l'individu, et c'est à elles qu'elle doit parvenir pour être satisfaite et complète. Sans la réalisation de l'unité, en effet, la connaissance d'aucune des trois ne peut être entière; leur. unité est pour chacune la condition de son intégralité. De même, c'est quand on connaît chacune en sa totalité que les trois peuvent se rapprocher et s'unir dans notre conscience; c'est dans une connaissance totale que tout savoir devient un et indivisible. Autrement, ce n'est que par la division et le rejet de: deux d'entre elles
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que nous pourrions arriver à une unité quelconque. L'homme doit donc élargir sa connaissance de lui-même, sa connaissance du monde et sa connaissance de Dieu jusqu'à ce qu'en leur totalité il perçoive qu'elles se contiennent mutuellement et ne font qu'un. Car aussi longtemps qu'il ne les connaîtra en partie, il y aura quelque chose d'incomplet et, partant, une division ; et aussi longtemps qu'il ne les aura pas réalisées dans une unité qui les réconcilie, il n'aura pas trouvé leur vérité totale, ni les significations fondamentales de l'existence.
Cela ne veut pas dire que le Suprême n'existe pas en soi et qu'il ne se suffise pas à Lui-même. Dieu existe en Lui-même et non en vertu du cosmos ou de l'homme, alors que l'homme et le cosmos, eux, existent en vertu de Dieu et non en eux-mêmes, si ce n'est dans la mesure où leur être est un avec l'être de Dieu. Mais ils sont néanmoins une manifestation du pouvoir de Dieu, et même en Son existence éternelle, leur réalité spirituelle doit être présente. ou implicite d'une façon ou d'une autre, puisqu'ils n'auraient autrement aucune possibilité de se manifester, ou s'ils se manifestaient, n'auraient aucun sens. Ce qui, sur la terre, revêt l'apparence de l'homme, est un être individuel du Divin; le Divin étendu dans la multiplicité est le Moi de toutes les existences individuelles.¹ En outre, c'est par la connaissance de son moi et du monde que l'homme accède à la connaissance de Dieu, et il ne peut y atteindre autrement. Ce n'est pas en rejetant la manifestation de Dieu, mais en rejetant son ignorance de cette manifestation et les conséquences de son ignorance, qu'il peut le mieux élever et offrir en l'Existence divine la totalité de son être, de sa conscience, de son énergie et de sa joie d'être. Il peut y atteindre par lui-même, qui est une manifestation de Dieu, ou par l'univers, qui en est une autre. S'il y atteint par lui seul, il peut alors s'immerger ou s'absorber individuellement dans l'Indéfinissable et perdre ainsi l'univers. S'il y atteint par l'univers seul, il peut noyer son individualité, soit dans l'impersonnalité de l'être universel, soit dans Un moi dynamique de la Conscience-Force universelle. Il se fond dans le moi universel ou devient un canal impersonnel de l'Énergie cosmique. S'il y atteint par une égale intégralité des deux et si, à travers eux et au-delà, il saisit tous les aspects du Divin, il les dépasse alors tous deux et les accomplit dans ce dépassement : il possède le Divin en son être, et en même temps il est enveloppé, pénétré, imprégné, possédé par l'Être, la Conscience, la
¹ekovashî sarvabhûtântarâtmâ (Katha Upanishad,II.2.12.):
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Lumière, la Puissance, la Félicité, la Connaissance du Divin. Il possède Dieu en lui-même et Dieu dans l'univers. La Toute-Connaissance justifie à ses yeux sa création de l'homme et, grâce à l'homme devenu parfait, justifie sa création du monde. Tout cela devient entièrement réel et effectif par l'ascension dans une supranature supramentale et suprême et par la descente de ses pouvoirs dans la manifestation. Même si cet accomplissement est encore difficile et lointain, la vraie connaissance peut être rendue subjectivement réelle par réflexion ou réception spirituelles dans ta Nature mentale-vitale-corporelle.
Mais cette vérité spirituelle, ce but véritable de son être n'a le droit d'apparaître que tard dans son voyage; au début, en effet, le travail préparatoire de l'homme au cours des étapes de l'évolution de la Nature, est d'affirmer son individualité, de la rendre distincte, de l'enrichir, de la posséder fermement, puissamment et complètement. En conséquence, il doit. au début: s'occuper surtout de son propre ego. Dans la phase égoïste de son évolution, le monde et les autres lui importent moins que lui-même. En vérité, ils ne sont pour lui que des aides et des occasions de s'affirmer, et n'ont point d'autre valeur. À ce stade, Dieu est, lui aussi, moins important que lui-même à ses yeux; et c'est pourquoi, dans les premières formations, aux niveaux inférieurs du développement religieux. Dieu, ou les dieux, sont traités comme s'ils existaient pour l'homme, instruments suprêmes destinés à satisfaire ses désirs, à l'aider dans ses efforts pour que le monde où il vit réponde à ses besoins, ses volontés et ses ambitions. Situé à sa juste place, ce développement égoïste primaire, avec toutes ses iniquités, ses violences, ses grossièretés, ne doit surtout pas être considéré comme un mal ou une erreur de la Nature ; il est nécessaire au premier travail de l'homme, qui est de découvrir son individualité et de la dégager parfaitement du subconscient inférieur où l'individu est écrasé par la conscience de masse du monde, et entièrement assujetti aux mécanismes de la Nature. L'homme individuel doit affirmer, doit définir sa personnalité par opposition à la Nature, être puissamment lui-même, développer toutes ses capacités humaines de force, de connaissance et de jouissance afin de les restituer à la Nature et au monde avec toujours plus de maîtrise et de pouvoir. Son égoïsme discriminant lui est donné comme un moyen de réaliser ce but initial. Tant qu'il n'a pas ainsi développé son individualité, sa personnalité, sa capacité propre, il ne peut être prêt pour l'œuvre plus grande qui l'attend ou orienter avec succès ses facultés versées fins plus
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hautes, plus vastes et plus divines. Il doit s'affirmer dans l'Ignorance avant de pouvoir se parfaire dans la Connaissance.
Deux forces, en effet, se trouvent à l'origine : de l'émergence évolutive hors de l'Inconscient: une conscience cosmique secrète et une conscience individuelle manifeste à la surface. La conscience cosmique secrète demeure secrète et subliminale pour l'individu qui vit à la surface, où elle s'organise par la création d'objets et d'êtres séparés. Mais tout en organisant l'objet séparé et le corps et le mental de l'être individuel, elle créé des pouvoirs collectifs de conscience qui sont de vastes formations subjectives de la Nature cosmique ; mais elle ne leur fournit pas de mental et de corps organisés, elle leur donne pour base le groupe d'individus, développe à leur intention un mental de groupe, un corps de groupe, qui admet le changement dans la continuité Ainsi, c'est seulement dans la mesure où les individus deviennent de plus en plus conscients, que l'être-de-groupe peut lui aussi devenu de plus en plus conscient; la croissance de l'individu est le moyen indispensable à la croissance intérieure, distincte de la force et de l'expansion extérieures de l'être collectif. Telle est en vérité la double importance de l'individu: à travers lui, l'esprit cosmique organise ses unités collectives et fait en sorte qu'elles s'expriment et progressent à travers lui, il élève la Nature. de l'Inconscience jusqu'à la Supraconscience et l'exalte jusqu'à ce qu'elle soit en présence du Transcendant. Dans la masse, la conscience collective est proche de l'Inconscient ; elle a un mouvement subconscient, obscur et muet qui a besoin de l'individu pour s'exprimer, pour venir à la lumière, pour s'organiser et devenir efficace. Laissée à elle-même ,. la conscience de masse est mue par une vague impulsion à demi formée ou informe, subliminale et généralement subconsciente, qui s'élève à la surface; elle recherche instinctivement une unanimité aveugle ou à demi aveugle qui étouffe l'individu dans le mouvement commun. Si. elle pense, c'est par devises, slogans, mots d'ordre, suivant les idées courantes grossières ou établies, les notions traditionnelles, acceptées, coutumières ; si ce n'est pas par instinct ou par impulsion qu'elle agit, alors c'est en suivant la loi de la meute, la mentalité grégaire, la loi stéréotypée. Cette conscience, cette vie, cette, action de masse peuvent être. extraordinairement efficaces si elles trouvent un individu ou quelques individus puissants pour leur donner forme, les exprimer, les diriger, les organiser ; ses brusques mouvements de foule peuvent aussi se montrer irrésistibles sur le moment, comme le déferlement d'une
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avalanche ou le déchaînement d'une tempête. La répression ou l'asservissement de l'individu dans la conscience de la masse peuvent donner une grande efficacité pratique à une nation ou à une communauté si l'être collectif subliminal parvient à édifier une tradition coercitive ou trouve un groupe, une classe, un chef pour incarner son esprit et son but. Derrière la force des puissants États militaires, des communautés où une culture austère et contraignante est rigidement imposée à leurs membres, derrière le succès des grands conquérants, se trouvait ce secret de la Nature. Mais c'est là une efficacité de la vie extérieure, et celle-ci n'est ni le plus haut, ni le dernier terme de notre être. Il y a un mental en nous, il y a une âme et un esprit, et notre vie n'a pas de vraie valeur si lui manquent une conscience qui grandit, un mental qui se développe, et si la vie et le mental ne sont pas une expression, un instrument, un moyen de libération et d'accomplissement pour l'âme, pour l'Esprit immanent.
Mais le progrès du mental, la croissance de l'âme, même du mental et de l'âme de la collectivité, dépendent de l'individu, qui doit avoir une liberté et une indépendance suffisantes, et de son pouvoir d'exprimer et de manifester ce qui n'est pas encore exprimé dans la masse n'a pas encore évolué de la subconscience, pas encore émergé du dedans ou n'a pas été tiré des hauteurs de la ou implicite La collectivité est une masse, un champ de formation; l'individu est celui qui devine la vérité qui donne forme-, II1 est le créateur. Dans la foule, l'individu perd sa direction intérieure et devient une cellule du corps de la masse, mû par la volonté ou l'idée collectives, ou par l'impulsion générale. Il lui faut se tenir à l'écart, affirmer sa réalité distincte au sein de l'ensemble, affirmer son mental qui émerge de la mentalité commune, affirmer sa vie qui se distingue dans l'uniformité vitale commune, tout comme son corps à établi quelque chose d'unique et de reconnaissable dans la nature physique commune. Il doit même finalement se retirer au-dedans pour se trouver lui-même. Et il ne peut devenir spirituellement un avec tous que lorsqu'il a fait cette découverte. S'il essaie de réaliser cette unité dans le mental, dans le vital, dans le physique avant que son individualité ne soit assez forte, il risque d'être submergé par la conscience de la masse et de perdre ce que son âme, son mental et sa vie ont accompli, pour devenir une simple cellule du corps collectif. L'être collectif peut alors devenir fort et dominateur, mais il risque de perdre sa plasticité, son mouvement évolutif. Les grandes époques de l'évolution humaine sont nées dans les communautés où l'individu est devenu actif et plein de vie,
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mentalement, vitalement ou spirituellement. La Nature a inventé l'ego pour cette raison, pour que l'individu puisse se dégager de l'inconscience ou de la subconscience de la masse et devenir un mental, un pouvoir vital, une âme, un -esprit indépendants et dynamiques, -pour qu'il s'accorde au monde autour de lui mais sans s'y noyer, sans perdre son existence et son efficacité distinctes. Car si l'individu fait effectivement partie de l'être cosmique, il est aussi quelque chose de plus, il est une âme descendue de la Transcendance. Cela, il ne peut le manifester immédiatement, car il est trop proche de l'Inconscience cosmique, pas assez proche de la ou implicite originelle; il doit se découvrir comme ego mental et vital avant de pouvoir se découvrir comme âme ou comme esprit.
Cependant, trouver son individualité égoïste n'est pas se connaître ; l'individu spirituel vrai n'est pas l'ego mental, l'ego vital, l'ego corporel : ce premier mouvement est avant tout un travail de la volonté, du pouvoir, de la réalisation égoïste de soi et, en second lieu seulement, un travail de la connaissance. Aussi, un temps arrive nécessairement où l'homme doit regarder au-dessous de la surface obscure de son être égoïste et chercher à se connaître ; il doit se mettre en quête de l'homme réel : sans quoi, il s'arrêterait à l'éducation élémentaire de la Nature et ne passerait jamais à son enseignement plus profond et plus vaste; si grandes que soient sa connaissance et son efficacité pratiques, il serait à peine supérieur à l'animal. Il doit tout d'abord explorer sa propre psychologie et en distinguer les éléments naturels — l'ego, le mental et ses instruments, la vie, le corps — pour finalement découvrir que toute son existence ne peut s'expliquer par le simple fonctionnement de ses éléments naturels, ni ses activités n'avoir pour but qu'une affirmation de soi et une satisfaction égoïstes. Cette autre explication, cet autre but dont il ressent le besoin, il peut les chercher dans la Nature et l'humanité et se mettre en quête de son unité avec le reste du monde; il peut les chercher dans :la, supranature, en Dieu, et partir à la découverte de son unité avec le Divin. En fait, il suit les deux chemins et, hésitant constamment, cherche constamment à se fixer dans les solutions successives qui s'accordent le mieux avec les découvertes partielles qu'il a faites sur sa double ligne de recherche et de découverte.
Mais à ce stade .et à travers tout cela, ce qu'il cherche encore obstinément à découvrir, à connaître, à accomplir, c'est lui-même; sa connaissance de la Nature, sa connaissance de Dieu ne:font que l'aider
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à se connaître lui-même, à réaliser la perfection de son être, à atteindre l'ultime objet de sa propre existence individuelle. Tournées vers la Nature et le cosmos, elles peuvent revêtir l'aspect de la connaissance de soi, de la maîtrise de soi — au sens mental et vital — et de la maîtrise du monde où nous nous trouvons; tournées vers Dieu, elles peuvent aussi prendre cet aspect, mais en donnant au monde et au moi un sens spirituel plus élevé ; ou elles peuvent prendre la forme, si familière et déterminante pour la mentalité religieuse, de la recherche d'un salut individuel dans des cieux au-delà, ou par une immersion séparée en un Moi suprême ou un suprême Non-Moi — béatitude ou Nirvana. Tout du long, cependant, c'est l'individu qui recherche la connaissance individuelle de son moi et lé but de son existence séparé; tout le reste, même l'altruisme, l'amour et le service de l'humanité, l'effacement, l'annihilation de soi s'y ajouté — sous quelque déguisement subtil que ce soit — comme une aide et comme un moyen pour satisfaire son unique, sa grande préoccupation : réaliser son individualité. Cela peut sembler n'être qu'un égoïsme élargi, et l'ego séparateur serait alors la vérité de l'être, persistant en l'homme jusqu'à la fin, ou du moins jusqu'à ce qu'il en soit enfin délivré en s'éteignant dans l'éternité sans traits de l'Infini. Mais derrière il y a un secret plus profond qui justifie son individualité et son exigence : lé secret de l'individu spirituel éternel, le Purusha.
C'est parce qu'il y a cette Personne spirituelle, cette Divinité dans l'individu, que la perfection 0 u ta libération — le salut, -comme on l'appelle en Occident — doit être individuelle et non pas collective. Toute perfection de la collectivité que l'on puisse rechercher, ne peut en effet venir que de la perfection des individus qui la constituent. C'est parce que l'individu est Cela, qu'il, est si nécessaire pour lui de se trouver lui-même. En se soumettant, en se donnant complètement au Suprême, c'est son propre moi qu'il découvre et réalise parfaitement grâce à cette parfaite offrande de lui-même. Dans l'abolition de l'ego mental, vital, physique et même de l'ego spirituel, c'est l'Individu sans forme et sans limites qui goûte la paix et la joie de son évasion en sa propre infinité. Dans l'expérience qu'il n'est rien ni personne, ou qu'il est tout et chacun, ou qu'il est l'Un absolu au-delà de toutes choses, c'est le Brahman dans l'individu qui accomplit la fusion prodigieuse, la merveilleuse union, Yoga, de cette éternelle entité d'être avec son unité d'existence éternelle qui, vaste, contient tout, ou, suprême, transcende tout. Il est impératif de dépasser l'ego, mais on ne peut dépasser le moi
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—à moins de- le découvrir suprêmement, universellement. .Car le moi n'est pas l'ego ; il est un avec le Tout et avec l'Un, et en le trouvant c'est le Tout et l'Un que nous découvrons en notre moi : la contradiction, la séparation disparaissent, mais le moi, la réalité spirituelle demeure, unie a l'Un et au Tout par cette disparition libératrice.
La connaissance supérieure de soi commence donc dès que l'homme cesse de se préoccuper de la relation de son être superficiel" son moi le plus apparent, avec la Nature et avec Dieu. Une première étape consiste à savoir que cette vie n'est pas tout, à concevoir son éternité temporelle, à devenir concrètement conscient de cette persistance subjective que l'on appelle immortalité de l'âme, et"a là réaliser. Lorsqu'il sait qu'il y a des états au-delà de l'état matériel, et des vies derrière et devant lui, en tout cas une existence précédente et une existence ultérieure, l'homme est en voie de se débarrasser de son ignorance temporelle en s'élargissant par-delà les moments immédiats du Temps, jusqu'à posséder sa propre éternité. L'étape suivante consiste à apprendre que son état superficiel de veille n'est qu'une petite partie de son être, et à commencer à sonder l'abîme de l'Inconscient et les profondeurs du subconscient et du subliminal, puis à gravir les hauteurs du est de Ainsi commence-t-il à se défaire de son ignorance psychologique. Une troisième étape consiste à découvrir qu'il y a en lui quelque chose d'autre que le mental, la vie et le corps qui lui servent d'instruments—non seulement une âme individuelle et éternelle qui se développe sans cesse et soutient sa nature, mais un moi, un esprit éternel et immuable —, et à connaître les catégories de son être spirituel jusqu'à ce qu'il découvre que tout en-lui est une expression de l'esprit et distingue le lien entre son existence inférieure et son existence supérieure. Ainsi commence-t-il à se défaire de son ignorance constitutive. Découvrant le moi et esprit, il découvre Dieu. Il réalise qu'il y a un Moi au-delà du temporel et il voit que ce,Moi dans la conscience cosmique est la Réalité divine derrière la Nature et ce monde d'êtres ; son mental s'ouvre à la pensée ou à la perception de l'Absolu dont le moi, l'individu et le cosmos sont autant de visages. L'ignorance cosmique, l'ignorance égoïste, l'ignorance originelle commencent alors à relâcher peu à peu leur emprise implacable. Tandis qu'il essaie de couler son existence dans le moule de cette connaissance de soi qui s'élargit, toute sa conception et tous les buts de sa vie, toute sa pensée, toute son action sont progressivement modifiés et transformés ;
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son ignorance pratique de lui-même, de sa nature et de l'objet de son existence diminue ; il s'est engagé sur le chemin qui, de la fausseté et de la souffrance d'une existence partielle et limitée, mène à la possession et à la jouissance parfaites d'une existence vraie et complète.
Au cours de cette progression, il découvre pas à pas l'unité des trois catégories initiales. D'abord, en effet, il découvre qu'en son être manifesté il est un" avec le cosmos et la Nature. Le mental, la vie et le corps, l'âme dans la succession du Temps, le conscient, le subconscient et le supraconscient — en leurs relations diverses et le résultat de leurs relations —, constituent le cosmos, la Nature. Mais il découvre aussi qu'en tout ce qui se tient derrière ces choses ou sur quoi elles reposent, il est un avec Dieu ; car l'Absolu, l'Esprit, le Moi aspatial et intemporel, le Moi manifeste dans le cosmos et Seigneur de la Nature, tout cela est ce que nous entendons par Dieu, et en tout cela son être retourne à Dieu et en provient. L'homme est l'Absolu, le Moi, l'Esprit qui se projette en une multiplicité de lui-même dans le cosmos et se voile dans la Nature. Dans ces deux réalisations, il trouve son unité avec toutes les autres âmes et tous les autres êtres — de façon relative dans la Nature, puisqu'il est un avec eux en son mental, sa vitalité, sa matière, son âme, en tout principe et tout résultat cosmiques, malgré la diversité des énergies et de actes d'énergie, des agencements de principe et des agencements de résultât, mais de manière absolue en Dieu, parce que l'unique Absolu, le Moi unique, l'Esprit unique est toujours le Moi de tous et l'origine, celui qui possède leurs innombrables diversités et y trouve sa joie. L'unité de Dieu et de la Nature ne peut manquer de se manifester à lui,car il trouve finalement que c'est l'Absolu qui est toutes ces relativités ; il voit que tous les autres principes sont une manifestation de l'Esprit ; il découvre que c'est le Moi qui est devenu tous ces devenirs ; il sent que c'est la Shakti, le Pouvoir d'être et de conscience du Seigneur de tous les êtres qui est la Nature et qui agit dans le cosmos. Progressant ainsi dans notre connaissance de nous-mêmes, nous arrivons à cela par la découverte de quoi tout est connu comme un avec notre moi, et par la possession de quoi nous possédons tout et trouvons notre joie en tout dans notre existence essentielle.
En vertu de cette unité, la connaissance de l'univers doit également conduire le mental de l'homme à la même vaste révélation. Car il ne peut connaître la Nature en tant que Matière, Force et Vie saris être
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amené à examiner de près la relation de la conscience mentale avec ces principes, et une fois qu'il connaît la nature réelle du mental, il doit inévitablement passer au-delà de toutes les apparences superficielles et découvrir la volonté et l'intelligence cachées dans les œuvres de la Force, opérant dans les phénomènes matériels et vitaux; il doit percevoir qu'elle est une et la même dans la conscience de veille, le subconscient et le supraconscient. Il doit trouver l'âme dans le corps de l'univers matériel. Parti à la découverte de la Nature au moyen de ces catégories où il reconnaît son unité avec le reste du cosmos, il découvre une Supranature derrière toutes les apparences, un suprême pouvoir de l'Esprit dans le Temps et au-delà du Temps, dans l'Espace et au-delà de l'Espace, un Pouvoir conscient du Moi qui, grâce à elle, devient tous les devenirs, un pouvoir de l'Absolu qui, par elle, manifeste toutes les relativités. En d'autres termes, il la connaît non seulement comme Énergie matérielle, Force-de-Vie, Énergie-du-Mental, ces, multiplies visages de la Nature, mais comme pouvoir de la Connaissance-Volonté du Divin Seigneur de l'être, comme Conscience-Force de l'Éternel et Infini existant en soi.
Dans sa quête de Dieu, qui devient pour finir la plus ardente et la plus captivante de toutes ses recherches, l'homme commence par interroger vaguement la Nature, pressentant qu'il y a en lui-même et en elle quelque chose qui se dissimule à ses yeux. Même si, comme la Science moderne le souligne, la religion a commencé avec l'animisme, le culte des esprits et des démons, la déification des forces naturelles, ces premières formes ne font qu'incarner dans des représentations primitives une intuition voilée dans le subconscient. C'est le sentiment obscur et ignorant qu'il y a des influences cachées et des forces incalculables, ou la vague perception d'un être, d'une volonté, d'une intelligence dans ce qui nous semble inconscient, le pressentiment de l'invisible derrière le visible, de l'esprit secrètement conscient dans. les choses, réparti dans toutes les opérations de l'énergie. L'obscurité et l'inadéquation primitive des premières perceptions ne retirent rien à la valeur ni à la vérité de cette grande quête du cœur et du mental humains, puisque toutes nos recherches — y compris la Science elle-même — doivent partir de la perception obscure et ignorante de réalités cachées et développer une vision de plus en plus lumineuse de la Vérité qui, au début, vient à nous masquée, voilée, drapée dans les brumes de l'Ignorance. L'anthropomorphisme est une façon imagée de reconnaître cette vérité que l'homme est ce qu'il est parce que Dieu, est .ce qu'il est et qu'il y a
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une seule âme et un seul corps des choses, que l'humanité, si imparfaite soit-elle, est la manifestation la plus complète réalisée sur terre, et que la divinité est la perfection de ce qui, en l'homme, est imparfait. Il est également vrai que l'homme se voit partout et adore cela comme Dieu; mais là encore, il a confusément mis la main tâtonnante de l'Ignorance sur une vérité, à savoir que son être et l'Être sont un, que ceci est un reflet partiel de Cela, et que trouver son plus grand Moi partout, c'est trouver Dieu et s'approcher de la Réalité dans les choses, la Réalité de toute existence.
Une unité derrière la diversité et la discorde est le secret des différentes religions et philosophies humaines; toutes parviennent en effet à une certaine image, reçoivent une indication indirecte, touchent un fragment de l'unique Vérité ou envisagent un de ses innombrables aspects. Qu'elles voient confusément le monde comme le corps du Divin, ou la vie comme une grande pulsation du souffle de l'Existence divine, ou toutes les choses comme des pensées du Mental cosmique, ou qu'elles réalisent qu'il y a un Esprit qui leur est supérieur et qui, plus subtil et cependant plus merveilleux, est leur origine et leur créateur ; qu'elles trouvent Dieu dans le seul Inconscient ou considèrent qu'il est l'unique Conscient dans les choses inconscientes ou une Existence supraconsciente ineffable que nous ne pouvons atteindre qu'en abandonnant notre être terrestre et en abolissant le mental, la vie et le corps, ou encore, surmontant la division, en voyant qu'il est tout cela à la fois et en acceptant courageusement les vastes conséquences de cette vision ; qu'elles Lui vouent un culte universel en tant qu Être cosmique ou Le limitent, ainsi qu'elles-mêmes, à la seule humanité à l'instar du positiviste, ou qu'au contraire, emportées par la vision de l'Immuable intemporel et aussi devenu, elles Le rejettent dans la Nature et le Cosmos ; qu'elles L'adorent sous diverses formes, étranges ou belles ou magnifiées de l'ego humain, ou parce qu'il possède à la perfection les qualités auxquelles les hommes aspirent, Sa divinité se révélant à eux comme Pouvoir, Amour, Beauté, Vérité, Justice, Sagesse suprêmes ; qu'elles perçoivent en Lui ce Seigneur de la. Nature, Père et Créateur, ou la Nature elle-même et la Mère universelle, qu'en Lui elles poursuivent l'Amant qui attire les âmes ou servent le Maître secret de toute œuvre, qu'elles s'inclinent devant le Dieu unique ou la Divinité multiple, devant l'Homme divin unique ou devant l'unique Divin en tous les hommes ou, avec plus d'ampleur, qu'elles découvrent l'Un dont la présence nous permet de nous unifier
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en conscience ou dans .les oeuvres ou dans la vie avec tous les êtres, de nous unifier avec toutes les choses dans le Temps et l'Espace, avec la Nature et ses influences et même avec ses forces inanimées — dans tous les cas, la vérité profonde est toujours et nécessairement la même, parce que tout est l'unique Infini Divin que toutes recherchent. Tout étant cet Un, l'homme, pour s'en saisir, s'en approche par des voies infiniment diverses. Il était nécessaire que l'homme trouvât Dieu dans toute sa diversité afin de pouvoir Le connaître dans sa totalité. Mais c'est quand la connaissance atteint à ses formes les plus élevées qu'elle peut réaliser sa plus grande unité. La vision la plus haute et la plus vaste est aussi la plus sage; car alors toute connaissance est unifiée en sa signification unique et globale. Toutes les religions apparaissent comme des approches d'une seule Vérité, toutes les philosophies comme des points de vue divergents qui considèrent différents aspects d'une seule Réalité, toutes les sciences s'unissent en une Science suprême. -Case ce que recherchent notre connaissance mentale et sensorielle et notre vision suprasensorielle, se trouve intégralement dans l'unité de Dieu, de l'homme, de la Nature et de tout ce qui existe dans la Nature.
Le Brahman, l'Absolu est l'Esprit, le Moi intemporel, le Moi qui possède le Temps, le Seigneur de la Nature qui crée et contient le cosmos et qui est immanent en toutes les existences, l'Âme dont toutes les âmes dérivent et vers laquelle elles sont attirées — telle est la vérité de l'Être selon la plus haute conception de Dieu que l'homme puisse envisager. Le même Absolu révélé dans toutes les relativités, l'Esprit qui s'incarne Lui-même dans le Mental, la Vie et la Matière cosmiques et dont la Nature est le moi d'énergie, en sorte que tout ce qu'elle semble créer est le Moi, l'Esprit qui, en Son être, se manifeste diversement à Sa force consciente pour le délice de Son existence variée — telle est la vérité de l'être à laquelle la connaissance de la Nature et du cosmos conduit l'homme,et qu'il atteindra lorsque sa connaissance de la Nature s'unira à sa connaissance de Dieu. Cette vérité de l'Absolu justifie les cycles cosmiques ; elle n'en est pas la négation. C'est l'Être-en-Soi qui est devenu tous ces devenirs ; le Moi est l'unité éternelle de toutes ces existences — Je suis Lui. L'Énergie cosmique n'est autre que la force consciente de cet Existant-en-Soi : grâce à cette énergie, il revêt, au moyen de la nature universelle, d'innombrables formes de lui-même ; et par sa nature divine il peut, embrassant l'universel tout en le transcendant, arriver en elles à la possession individuelle de son existences complète, quand,sa présence
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et son pouvoir sont sentis en chacun, en tous et dans les relations de chacun avec tous — telle est la vérité de l'être vers laquelle s'élève et s'élargit la connaissance totale que l'homme a de lui-même en Dieu et dans la Nature. Une connaissance tri-une — la connaissance complète de Dieu, la connaissance complète de soi, la connaissance complète de la Nature — lui donne son but supérieur ; elle confère sa vaste et pleine signification au labeur et à l'effort de l'humanité. L'unité consciente des trois, Dieu, l'âme et la Nature, en sa conscience est le fondement sûr de sa perfection et de sa réalisation de toutes les harmonies; ce sera son état le plus haut et le plus vaste, l'état propre à une conscience et une vie divines dont l'avènement sera le point de départ de toute l'évolution de sa connaissance de soi, du monde et de Dieu.
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Le processus évolutif : ascension et intégration
A mesure qu'il s'élève de cime en cime (...), .Indra le rend conscient du but de son mouvement.
Rig-Véda. 1.10.2.
fils des deux Mères, il atteint à la royauté dans ses découvertes de la connaissance, il se meut sur le sommet, il demeure en son haut fondement.
Rig-Véda. III. 55. 7.
De la terre, je me suis élevé au monde intermédiaire, du monde intermédiaire je me suis élevé au ciel, du plan du firmament céleste je suis allé jusqu'au monde du Soleil, de la Lumière.¹
Yajur-Véda. 17. 67.
¹Les quatre plans : la Matière, la Vie, le Mental pur et le Supramental.
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Puisque nous nous sommes formé une idée suffisamment . claire du sens de la manifestation évolutive dans la nature; terrestre et de l'orientation finale qu'elle prend ou qu'elle est destinée à prendre, il est maintenant possible et nécessaire; de mieux observer et de mieux comprendre les principes gouvernant le processus par lequel cette évolution est parvenue à. son niveau actuel et qui, probablement, quelles que soient le& éventuelles modifications, déterminera et rendra effectifs son développement final, le passage de notre ignorance mentale encore prédominante à une connaissance supramentale et à' une connaissance intégrale. Nous découvrons en effet que' la loi générale d'action de la Nature cosmique demeure constante, puisqu'elle dépend d'une Vérité des choses qui est invariable en principe, bien que d'une prodigieuse diversité dans le détail de son application. Puisque cette évolution part d'une Inconscience matérielle pour accéder à la conscience spirituelle, l'Esprit s'édifiant évolutivement sur une base de Matière, il est aisé de voir que ce processus de développement doit présenter, dès l'origine, un triple caractère. Une évolution des formes de la Matière, organisées de façon de plus en plus subtile et complexe afin de permettre le jeu d'une organisation de conscience toujours plus complexe, subtile et efficace, est la base physique indispensable. Un 'progrès évolutif de .la conscience elle-même, de degré en degré, une ascension, telle est la spirale évidente ou la courbe émergeante que, sur cette base, l'évolution doit décrire. Enfin, une incorporation dans' chaque degré supérieur, de ce qui a déjà été développé, et une transformation plus ou moins complète permettant un' fonctionnement entièrement modifié de tout l'être et de toute la nature, une intégration, doit aussi faire partie du processus; pour que l'évolution puisse s'accomplir.
L'aboutissement de ce triple processus doit être un changement radical de l'action de l'Ignorance en une action de la; Connaissance, de
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notre base d'inconscience en une base de conscience intégrale — plénitude qui n'existe à présent que dans ce qui est pour nous la supraconscience. Chaque ascension entraînera un changement partiel, une modification de l'ancienne nature assumée et assujettie à un nouveau principe fondamental. L'inconscience sera transformée en conscience partielle, en une ignorance recherchant toujours plus de connaissance et de maîtrise. À un certain point, une ascension doit cependant se produire qui permettra de substituer à l'inconscience et à l'ignorance le principe de connaissance, celui d'une conscience fondamentale vraie, la conscience de l'Esprit. Une évolution dans l'Inconscience est le commencement, une évolution dans l'Ignorance est le milieu, mais la fin est la libération de l'Esprit en sa conscience vraie et une évolution dans la Connaissance. Comme nous pouvons le constater, c'est en fait la loi et la méthode du processus qui a été suivi jusqu'à présent, et tout semble indiquer que la Nature évolutive le suivra dans son processus futur. Un premier fondement involutif où prend naissance tout ce qui doit évoluer, une émergence et une action des pouvoirs involués dans ou sur cette fondation suivant une gradation ascendante, et tout en haut une émergence du pouvoir le plus élevé de tous, agent d'une manifestation suprême — telles sont les étapes nécessaires du voyage de la Nature évolutive.
Les termes mêmes du problème à résoudre impliquent qu'un processus évolutif doit être un développement — dans un premier principe d'être ou de substance établi, fondamental —-de quelque chose que ce principe fondamental garde involué en lui, ou qu'il admet du dehors et modifie en l'admettant ; car il doit nécessairement modifier, par la loi de sa nature, tout ce qui pénètre en lui, tout ce qui ne fait pas déjà partie de sa nature. Il doit en être ainsi même s'il! s'agit d'une évolution créatrice, créatrice en ce sens qu'elle manifesterait toujours de nouveaux pouvoirs d'existence qui n'auraient pas leur origine en la première fondation mais y seraient introduits, seraient acceptés dans une substance originelle. Si, au contraire, le nouveau principe ou le nouveau pouvoir d'existence qui doit évoluer s'y trouve déjà involué — présent dans la première fondation, mais pas encore manifesté ou pas encore organisé —, alors, quand il apparaîtra, il lui faudra encore accepter la modification imposée par la nature et la loi de la substance de base ; mais il modifiera également cette substance par son propre pouvoir, par la loi de sa nature. Si, en outre, il est aidé par une descente de son propre principe déjà établi dans toute sa puissance au-dessus du champ évolutif, et qui presse sur: ce; champ
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pour en prendre possession, alors le nouveau pouvoir "peut même s'établir comme un élément dominant et changer considérablement ou radicalement la conscience et l'action du monde où il émerge ou pénètre. Mais sa capacité de modifier ou de changer ou de révolutionner la loi et le fonctionnement de la substance originelle choisie comme matrice de l'évolution dépendra de sa propre puissance essentielle. Il n'est guère probable qu'il puisse susciter une transformation complète s'il n'est pas lui-même le Principe originel d'Existence, s'il n'est qu'un dérivé, un pouvoir instrumental et non la puissance première.
L'évolution se déroule ici dans un univers matériel ; le fondement, la substance originelle, le premier statut établi et qui conditionne tout, est la Matière. Le Mental et la Vie ont évolué de et dans la Matière, mais leur action est limitée et modifiée par l'obligation d'en utiliser la substance pour élaborer leurs instruments, et par leur soumission à la loi de la Nature matérielle, lors même qu'ils modifient ce qu'ils subissent et utilisent. Car ils transforment effectivement la substance matérielle, d'abord en substance vivante, puis en substance consciente ; ils réussissent à changer l'inertie de la Matière, son immobilité et son inconscience fini un mouvement de conscience, de sentiment et de vie. Mais ils ne parviennent pas à la transformer complètement ; ils ne peuvent la rendre entièrement vivante ni entièrement consciente : la nature vitale évolutive est liée à la mort ; le mental évolutif est matérialisé autant que vitalisé, il se trouve lui-même enraciné dans l'inconscience, limité par l'ignorance, il est mû par des forces vitales incontrôlées qui le mènent et l'utilisent, il est mécanisé par les forces physiques dont il dépend nécessairement pour s'exprimer. C'est là un indice que ni le Mental, ni la Vie ne sont le Pouvoir créateur originel; comme la Matière, ce sont des intermédiaires, des instruments successifs et gradués du processus évolutif. Si une énergie matérielle n'est pas ce Pouvoir originel, alors nous devons chercher celui-ci en quelque chose qui se trouve au-dessus du Mental ou de la Vie. Il existe certainement une Réalité occulte plus profonde qui est appelée à se dévoiler dans la Nature.
Il doit y avoir; un Pouvoir créateur ou évolutif originel; mais bien que la Matière soit la substance première, le Pouvoir originel et ultime n'est pas une Énergie matérielle inconsciente ; car alors, la vie et la conscience seraient absentes, l'Inconscience ne pouvant engendrer la conscience, ni une Force inanimée engendrer la vie. Puisque le Mental et
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la; Vie eux non plus ne sont pas cela, il faut donc qu'il y ait une secrète Conscience, plus grande que la Conscience de la Vie ou que la Conscience du Mental, une Énergie plus essentielle que l'Énergie matérielle. Étant plus grande que le Mental, elle est nécessairement une la conscience supramentale ; étant un pouvoir de substance essentielle autre que la Matière, elle est nécessairement le pouvoir de ce qui est l'essence et la substance suprêmes de toutes choses, un pouvoir de l'Esprit. Il y a une énergie créatrice du Mental et une Force-de-Vie créatrice, mais elles sont instrumentales et partielles, non pas originelles et déterminantes. Le Mental et la Vie modifient sans aucun doute la substance matérielle qu'ils habitent, ainsi que ses énergies, et ne sont pas simplement déterminés par elles, mais l'étendue et le processus de cette modification et de cette détermination matérielles sont fixés par l'Esprit qui habite et contient tout, au moyen d'une lumière et d'une force intérieures secrètes du supramental, une gnose occulte — une invisible connaissance de soi et de tout. S'il doit y avoir une transformation complète, ce ne peut être que par la pleine émergence de la loi de l'Esprit; son pouvoir, qui est celui du supramental ou gnose, doit avoir pénétré dans la Matière et doit évoluer dans la Matière. Il doit changer l'être mental en l'être supramental, rendre conscient l'inconscient qui est en nous, spiritualiser notre substance matérielle, établir sa loi de conscience gnostique dans la totalité de notre nature et de notre être évolutifs. Telle doit être l'émergence culminante ou, du moins, cette étape de l'émergence qui, la première, changera de façon décisive la nature de l'évolution en transformant son action d'Ignorance et sa base d'Inconscience.
Ce mouvement d'évolution, cette manifestation de soi progressive de l'Esprit dans un univers matériel, doit tenir compte à chaque .pas du fait que la conscience et la force sont involués dans la forme et l'activité de la substance matérielle. Il procède en effet par un éveil de la conscience et de la force involuées et par leur ascension de principe en principe, de degré en degré, de pouvoir en pouvoir de l'Esprit secret, mais ce n'est pas un libre transfert à un état supérieur. Quand elle émerge, la loi d'action, la force d'action de chaque degré ou pouvoir est déterminée, non par la loi souveraine, complète et pure de sa nature, ou par la vigueur de son énergie, mais en partie par l'organisation matérielle qui lui est fournie et en partie par son propre statut, le niveau atteint, l'accomplissement de sa conscience qu'il a pu imposer à la Matière. Son efficacité dépend en quelque sorte d'un équilibre entre deux facteurs :
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l'étendue réelle de cette émergence évolutive, et la mesure dans laquelle le pouvoir qui émerge est encore enveloppé, pénétré, affaibli par la domination et l'emprise continuelle que l'Inconscience exerce sur lui. Lé mental tel que nous le voyons n'est pas un mental pur et libre, mais un mental voilé et diminué par la nescience qui l'enveloppe, un mental qui peine et lutte afin que la connaissance soit délivrée de cette nescience. Tout dépend de l'état, du degré d'involution et d'évolution de la conscience'—-d'abord complètement involuées dans la matière inconsciente, elle hésite sur le versant qui sépare l'involution de l'évolution consciente dans les premières formes non animales de la vie dans la matière, puis elle commence à évoluer consciemment mais reste très limitée et entravée dans le mental logé dans un corps vivant, et finalement son destin la mènera jusqu'à sa pleine évolution quand le supramental s'éveillera dans l'être mental et la nature mentale incarnés.
À chaque degré de cette série qu'atteint la Conscience en son évolution, correspond une catégorie appropriée d'existences — les formes et les forces matérielles, la vie végétale, les animaux et l'homme à demi animal, les êtres humains développés, les êtres spirituels imparfaitement évolués ou plus évolués apparaissent successivement, mais le processus évolutif étant continu, il n'y a pas de délimitation tranchée; chaque nouveau progrès, chaque nouvelle formation reprend ce qui la précédait. L'animal intègre en lui la Matière vivante et la Matière inanimée ; à son tour, l'homme les assume toutes deux, en même temps que l'existence* animale. Le processus de transition laisse des sillons, l'habitude fixée par la Nature, des lignes de démarcation; mais ces choses, qui distinguent une série d'une autre, servent peut-être à prévenir un retour en arrière de ce qui a évolué, mais elles n'annulent ni ne brisent la continuité de l'évolution. En évoluant, la Conscience passe d'un degré à un autre ou d'une série d'étapes à une autre, soit par un processus imperceptible, soit par un bond ou une crise, soit encore, peut-être, par une intervention d'en haut — une descente ou une psychicisation ou une influence depuis les plans supérieurs de la Nature. Mais par quelque moyen que ce soit, la Conscience qui, secrètement, demeuré en la Matière, l'Habitant occulte, peut ainsi s'élever depuis les degrés inférieurs vers les degrés supérieurs, intégrant ce qu'il était à ce qu'il est et s'apprêtant à réintégrer tout cela en ce qu'il sera. Ayant d'abord jeté les bases d'un être matériel, de formes, de forces, d'existences matérielles en lesquelles elle semble reposer inconsciente, bien qu'en réalité,
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comme; nous le savons maintenant, elle soit toujours subconsciemment à l'œuvre, la Conscience peut ainsi manifester la vie et les êtres vivants, manifester le mental et des êtres mentaux dans un monde matériel, et elle doit donc pouvoir y manifester aussi le supramental: et les êtres supramentaux. C'est ainsi que s'est réalisé l'état présent de l'évolution dont l'homme paraît être aujourd'hui le point culminant; mais U n'est pas en réalité son ultime sommet; car il est lui-même un être de transition qui se tient au tournant décisif de tout le mouvement. Du fait de cette continuité, l'évolution doit avoir, à tout moment, un passé dont les résultats essentiels sont encore manifestes, un présent où les résultats qu'elle s'efforce de produire sont en gestation, un futur où des pouvoirs et des formes d'être non encore évolués doivent apparaître jusqu'à ce que la manifestation soit complète et parfaite. Le passé a été l'histoire d'un travail subconscient lent et difficile qui a produit des effets en surface — ce fut une évolution inconsciente ; le présent est un stade intermédiaire, Une' spirale incertaine où l'intelligence humaine est utilisée par la Force évolutive secrète de l'être et participe à son action sans être complètement admise dans la confidence — c'est une évolution qui devient lentement consciente d'elle-même; l'avenir doit être une évolution de plus en plus consciente de l'être spirituel, jusqu'à ce qu'il soit entièrement délivré et agisse en pleine conscience grâce à l'émergence du principe gnostique.
La Science a étudié du point de vue physique, celui de l'élaboration des formes, le premier fondement de cette émergence, la création de formes de la Matière, une Matière d'abord inconsciente et inanimée, puis vivante et pensante, l'apparition de corps toujours mieux organisés et adaptés pour exprimer un plus grand pouvoir de la conscience ; mais l'aspect intérieur, l'aspect de la conscience n'a guère été éclairé, et le peu que l'on en a observé relève plutôt de sa base et de son instrumentation physiques que des opérations progressives de la Conscience elle-même. Dans l'évolution telle que nous l'avons observée jusqu'ici, bien qu'il y ait une continuité — car la Vie intègre la Matière, et le Mental intègre la Vie submentale, le mental intellectuel intègre le mental-vital et le mental sensoriel —, le bond d'un échelon de la conscience à un autre dans la série nous paraît immense, et, qu'il faille sauter par-dessus ou jeter un pont, il semble impossible de franchir l'abîme. Nous cherchons en vain une preuve concrète et satisfaisante établissant que le passage s'est fait dans le passé, ou la manière dont il;s/est effectué.
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Même dans l'évolution extérieure, même dans le développement des formes physiques où les données sont clairement mises en évidence, il manque des maillons qui demeurent introuvables ; or, dans l'évolution de la conscience, le passage est encore plus difficile à expliquer, car il ressemble plus à une transformation qu'à une transition. Il est toutefois possible que, du fait de notre impuissance à pénétrer le subconscient, à sonder le submental ou à comprendre suffisamment une mentalité inférieure différente de la nôtre, nous soyons incapables d'observer les infimes gradations, non seulement dans chaque degré de la série, mais sur la ligne frontière qui sépare un degré de l'autre. L'homme de science qui observe minutieusement les données physiques a été amené à croire à la continuité de l'évolution, malgré les trous et les chaînons manquants. Si nous pouvions de la même manière observer l'évolution intérieure, nous pourrions sans aucun doute découvrir la possibilité et le processus de ces prodigieuses transitions. Il y a néanmoins une différence réelle et radicale entre chaque degré, si bien que le passage de l'un à l'autre semblé être une nouvelle création, une miraculeuse métamorphose plutôt qu'un développement naturel et prévisible ou le paisible passage d'un état d'être à un autre avec ses étapes bien marquées se succédant selon un ordre simple.
Ces abîmes semblent plus profonds mais moins larges à mesure que nous nous élevons dans l'échelle de la Nature. S'il y a une réaction vitale rudimentaire dans le métal, comme on l'a récemment soutenu, elle est peut-être, en son essence, identique à la réaction vitale dans la plante, mais ce que l'on pourrait appeler la différence physico-vitale est si considérable que l'un nous semble inanimé, tandis que l'autre, bien que la conscience n'y soit pas apparente, peut être considérée comme une créature vivante. Entre la vie végétale la plus développée et la vie animale la moins évoluée, l'abîme est visiblement plus profond, car c'est la différence entre le mental et l'absence totale de tout mouvement mental apparent ou même rudimentaire : dans l'une, cette substance de conscience mentale n'est pas éveillée, bien qu'il y ait une vie de réactions vitales, une vibration sensorielle réprimée ou subconsciente, ou peut-être seulement submentale, qui semble intensément active ; dans l'autre, bien que le mode de vie subconscient soit au début moins automatique et moins assuré, et que le nouveau mode de conscience manifeste soit encore imparfaitement déterminé, le mental est cependant éveillé — il y a une vie consciente, une profonde transition a eu lieu. Mais le caractère
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commun que revêt ce phénomène de vie dans la plante et chez l'animal, si différente que soit leur organisation, réduit le gouffre, même s'il ne le comble pas. Entre l'animal le plus évolué et l'homme le moins développé, il faut franchir un abîme plus profond encore, bien que plus étroit, celui qui sépare le mental sensoriel de l'intellect; car nous avons beau souligner la nature primitive du sauvage, nous ne pouvons rien changer au fait que, au-dessus et au-delà du mental sensoriel, de la vitalité émotive et de l'intelligence pratique élémentaire que nous partageons avec les animaux, l'homme le plus primitif possède un intellect et est doué — peu importe dans quelle mesure — de réflexion, d'idées, d'invention consciente, d'une pensée et d'un sentiment éthiques et religieux, de tout ce dont l'homme en tant que race est fondamentalement capable. Il a le même genre d'intelligence, la seule différence tient à l'instruction et à la formation préparatoire qu'il a reçue, et au degré de développement de; ses capacités, de son intensité, de son activité. Malgré ces lignes séparatrices, nous ne pouvons plus supposer que Dieu ou quelque Démiurge a manufacturé chaque genre et chaque espèce, avec un corps préfabriqué, une conscience toute faite, et qu'il s'est arrêté là après avoir considéré son œuvre et constaté qu'elle était réussie. Il est maintenant évident qu'une Énergie créatrice inconsciente ou secrètement consciente a accompli cette transition, par degrés lents ou rapides, par tous les moyens et tous les artifices, tous les mécanismes biologiques, physiques ou psychologiques possibles —'après quoi, elle ne s'est peut-être pas souciée de préserver comme formes distinctes ce qui n'était que des tremplins et n'avait plus de rôle, ne servait plus aucun dessein dans la Nature évolutive. Mais cette explication des hiatus n'est guère plus qu'une hypothèse que, jusqu'à présent, nous ne pouvons suffisamment justifier. En tout cas, il est probable que la raison de ces différences radicales doit se trouver dans le fonctionnement de la Force intérieure et non dans le processus extérieur de la transition évolutive; si nous regardons les choses plus en profondeur, de l'intérieur, cela n'est plus difficile à comprendre et ces transitions deviennent intelligibles et en fait inévitables de par la nature même du processus évolutif et de son principe.
En effet, si nous considérons non pas les aspects scientifiques ou physiques, mais l'aspect psychologique de la question et cherchons cri, quoi: réside précisément la différence, nous verrons qu'elle tient à l'élévation dé-là conscience à un autre principe d'être. Le métal est fixé
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dans le: principe inconscient et inanimé de la matière; même si nous pouvons supposer que certaines de ses réactions suggèrent la présence en lui de la vie ou du moins de vibrations rudimentaires qui, dans la plante, sont devenues la vie, cependant son caractère n'en fait pas du tout une forme de la vie ; c'est une forme caractéristique de la matière. La plante est fixée dans une action subconsciente du principe de vie — bien qu'elle demeure soumise à la matière et ne soit pas dépourvue de réactions dont l'entière signification ne s'éclaire que dans le mental, car elle semble avoir des réactions submentales qui sont en nous la base du plaisir et de la souffrance ou de l'attirance et de la répulsion ;'mais elle n'en est pas moins une forme de vie, pas de simple matière, et, pour autant que nous le sachions, elle n'est pas non plus un être mentalement conscient. L'homme et l'animal sont tous deux des êtres mentalement conscients; mais l'animal est fixé dans le mental vital et dans les sens mentalisés et il ne peut dépasser ses limites, tandis que l'homme a reçu dans son mental sensoriel la lumière d'un autre principe, l'intellect, qui, en réalité, est à la fois un reflet et une dégradation du supramental, un rayon de la gnose capté par la mentalité sensorielle et transformé par elle en quelque chose qui diffère de sa source ; car l'intellect est agnostique comme le mental sensoriel en lequel et pour lequel il travaille, ri n'est pas gnostique; il cherche à s'emparer de la connaissance car il ne la possède pas : il ne détient pas la connaissance en lui-même comme le supramental, ce n'est pas une prérogative naturelle. Autrement dit, en chacune de ces formes d'existence, l'être universel a établi l'action de s'a conscience dans un principe différent"ou, comme entre l'homme et l'animal, dans la modification d'un principe inférieur par un principe supérieur, qui, cependant, n'est pas encore le degré le plus haut. C'est ce saut d'un principe d'être à un autre principe d'être tout différent qui crée les transitions, les sillons, les lignes nettes de démarcation, et qui fait, sinon toute la différence, du moins la différence caractéristique qui détermine la nature fondamentale de chaque être.
Il faut cependant observer que cette ascension, cette fixation successive dans des principes de plus en plus élevés, n'entraîne pas plus l'abandon des degrés inférieurs, que le fait d'exister sur les échelons inférieurs n'implique l'absence complète des principes supérieurs. Cela résout l'objection que ces différenciations si marquées soulèvent contre la théorie de l'évolution. En effet, si les rudiments de la création supérieure sont présents dans la création inférieure, et si les caractères
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inférieurs sont intégrés dans l'être plus évolué, cela constitue en soi; un processus évolutif indubitable. Ce qui est nécessaire, c'est un processus qui amène le degré inférieur de l'être à un point où le degré supérieur peut s'y manifester ; à ce point-là, une pression d'un plan supérieur ou domine le nouveau pouvoir peut intervenir pour faciliter une transition plus ou moins rapide et décisive, d'un seul bond ou par; une série dé bonds — une action lente, graduelle, imperceptible, voire occulte, peut être suivie d'une course et d'un saut évolutif par-dessus la frontière. C'est par un processus analogue que le passage des degrés inférieurs aux degrés supérieurs de la conscience semble s'être opéré dans la Nature.
En fait, la vie, le mental, le supramental sont présents dans l'atome ; ils y sont à l'œuvre, mais invisibles, occultes, latents dans une action subconsciente ou apparemment inconsciente de l'Énergie. Il y a un Esprit qui imprègne la forme, mais la force extérieure et la représentation extérieures de l'être, ce que nous pourrions appeler l'existence formelle, ou forme d'existence — pour la distinguer de la conscience immanente qui gouverne en secret —, est perdue dans l'action physique, y est absorbée au point d'être figée en un oubli de soi stéréotypé, inconsciente de ce qu'elle est et de ce qu'elle fait. L'électron et l'atome sont, de ce point de vue, d'éternels somnambules : chaque objet matériel contient:une conscience extérieure ou formelle involuées, absorbée dans la forme, endormie, ayant tout apparemment d'une inconscience dirigée par une Existence intérieure inconnue qu'il ne sent pas — celui qui est éveillé dans le dormeur, l'Habitant universel des Upanishad —, une conscience de ;la forme, extérieure, absorbée, qui, à la différence du somnambule humain, n'a jamais été éveillée ou n'est pas toujours, ou n'est même jamais sur le point de se réveiller. Dans la plante, cette conscience formelle extérieure est encore dans l'état de sommeil, mais c'est un sommeil hanté de rêves nerveux, toujours au bord de l'éveil, sans jamais s'éveiller. La vie est apparue ; autrement dit, la force de l'être conscient dissimulé a été suffisamment intensifiée, s'est élevée à un degré de puissance assez haut pour élaborer ou pour se rendre capable de manifester un nouveau principe d'action, qui se présente à nous comme vitalité, force de vie. Elle est devenue capable de réagir vitalement à l'existence, bien qu'elle ne soit pas consciente mentalement, et elle a fait apparaître un nouveau degré d'activités d'une valeur plus haute et plus subtile que toute action purement physique. En même temps, elle est capable de recevoir les contacts vitaux et physiques venant d'autres formes que la sienne ainsi que de
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la Nature universelle et de les transformer en ces nouvelles valeurs de vie, en mouvements et en phénomènes d'une vibration de vitalité. Cela, les formes purement matérielles ne peuvent le faire : elles ne peuvent transformer les contacts en valeurs de vie, ou en une valeur quelconque, en partie du fait que leur pouvoir de réception — bien qu'il existe, s'il faut en croire les preuves occultes — n'est pas suffisamment éveillé pour faire autre chose que recevoir muettement et réagir imperceptiblement, en partie du fait que les énergies transmises par les contacts sont trop subtiles pour être utilisées par la densité inorganique grossière de la Matière constituée. La vie de l'arbre est déterminée par le corps physique de l'arbre, mais elle intègre l'existence physique et lui donne une nouvelle valeur ou un nouveau système de valeurs — la valeur-de-vie.
Le transition suivante, vers le mental et les sens, qui se manifeste dans l'être animal et que nous appelons la vie consciente, s'opère de la même façon. La force de l'être est suffisamment intensifiée, elle s'élève assez haut pour admettre ou développer un nouveau principe d'existence — ou du moins apparemment nouveau dans le monde de la Matière : la mentalité. L'être animal est mentalement conscient de l'existence, la sienne et celle des autres, il manifeste un degré supérieur et plus subtil d'activités, reçoit une plus vaste gamme de contacts, mentaux, vitaux, physiques, ou provenant de formes autres que la sienne, intègre l'existence physique et vitale et change tout ce qu'il en peut obtenir en valeurs sensorielles et en valeurs' mentales-vitales; Il sent le corps, il sent la vie, mais il sent aussi le mental ; car il n'a pas seulement des réactions nerveuses aveugles, il a aussi des sensations, des impulsions, des volitions, des émotions, des souvenirs conscients, des associations mentales, tout le matériau du sentiment, de la pensée et de la volonté. Il a même une intelligence pratique fondée sur la mémoire, l'association, le besoin qui stimule, l'observation, l'inventivité; il est capable de ruse, de stratégie, il planifie, invente, adapte ses inventions jusqu'à un certain point, et peut dans tel ou tel détail répondre aux exigences d'une circonstance nouvelle. Tout en lui n'est pas instinct à demi conscient ; l'intelligence animale prépare l'intelligence humaine.
Mais lorsque nous en arrivons à l'homme, nous voyons tout cela devenir conscient. Le monde, qu'il résume, commence en lui à se révéler à lui-même. L'animal supérieur n'est pas le somnambule — comme les formes animales les moins évoluées le sont presque entièrement ou dans
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une large mesure —, mais son mental de veille est encore limité, tout juste capable de pourvoir aux nécessités de son existence vitale. Chez l'homme, la mentalité consciente éveillée s'élargit et, bien qu'à l'origine elle ne soit pas pleinement mais seulement superficiellement consciente d'elle-même, elle peut s'ouvrir de plus en plus à son être intérieur et intégral. Comme dans les deux ascensions inférieures, il y a élévation de la force de l'existence consciente jusqu'à un nouveau pouvoir et une nouvelle gamme d'activités subtiles; il y a transition du mental vital au mental pensant, réflectif. On voit alors se développer un plus grand pouvoir d'observation et d'invention qui recueille et relie les données, qui est conscient des processus et des résultats, un pouvoir d'imagination et de création esthétique, une sensibilité supérieure et plus plastique, une raison qui coordonne et interprète, et un .ensemble de valeurs qui relèvent non plus d'une intelligence réflexe ou réactive, mais d'une intelligence souveraine, compréhensive et détachée. Comme dans les ascensions inférieures, il se produit un élargissement de là conscience; l'homme est capable d'intégrer une plus grande part du monde et de lui-même, et il peut ainsi donner à cette connaissance les formes plus hautes et plus complètes d'une expérience consciente. Là encore nous retrouvons le troisième facteur constant de l'ascension ; le mental intègre les degrés inférieurs et donne à leur action et à leur réaction des valeurs intellectuelles. L'homme n'a pas seulement, comme l'animal, la perception de son propre corps et de sa propre vie, mais une perception intelligente et une certaine idée de la vie en général et une perception consciente et attentive du corps. Il intègre la vie mentale de l'animal, aussi bien que sa vie matérielle et physique, et s'il y perd quelque chose, il donne à ce qu'il conserve une valeur supérieure. Il a une perception intelligente, une certaine idée de ses sensations, de ses émotions, de ses volitions, de ses impulsions, de ses associations mentales; le matériau grossier de la pensée, du sentiment et de la volonté, capable seulement de déterminations rudimentaires, il le transforme pour en faire ;une œuvre accomplie, une œuvre d'art. Car l'animal pense lui aussi, mais d'une façon automatique fondée surtout sur une série mécanique de souvenirs et d'associations mentales, acceptant rapidement ou lentement les suggestions de la Nature et ne s'éveillant à une action personnelle plus consciente que si une observation attentive ou quelque stratagème s'avèrent nécessaires. Il possède les premiers rudiments d'une raison pratique, mais la faculté idéative et réflective n'est pas encore développée en lui. La conscience de veille chez l'animal
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est l'artisan primitif et maladroit du mental ; chez l'homme, c'est l'artisan habile et qui peut devenir—mais il ne s'y efforce pas assez—non seulement l'artiste, mais le maître et l'initié.
Il nous faut maintenant observer deux particularités de ce développement humain — à présent le plus haut,—"'qui nous mènent au cœur du problème. Tout d'abord, cette intégration des parties inférieures de la vie se révèle être le regard magistral de l'esprit secret qui évolue ou de l'Être universel dans l'individu, qui, depuis le sommet qu'il a atteint, se penche sur tout ce qui s'étend maintenant au-dessous, regard tourné vers le bas qui possède le double pouvoir ou les pouvoirs jumeaux de l'a conscience-force de l'être — le pouvoir de la volonté, le pouvoir de la connaissance .'—afin que de cette étendue nouvelle, différente et plus large de sa conscience, de sa perception et de sa nature, il puisse comprendre la vie inférieure et ses possibilités, et l'élever, elle aussi, à un plus haut niveau, lui donner de plus hautes valeurs, en tirer de plus hautes potentialités. Et cela, il le fait évidemment parce qu'il n'a aucune intention de la tuer ou de la détruire. La joie d'être étant son éternelle préoccupation, et une harmonie d'accords divers, et non point une douée mais monotone mélodie, étant le style de sa musique, il souhaite au contraire inclure aussi ses notes inférieures et, les saturant d'un sens plus profond et plus délicat, y puiser un surcroît de délice que n'aurait jamais pu lui offrir la formulation inférieure. À la fin, il pose pourtant une condition : il. ne continuera de les accepter que si elles-mêmes consentent à admettre les valeurs supérieures. Et jusque-là, il est en droit de les traiter avec rudesse, il peut même aller jusqu'à les piétiner quand il insiste sur la perfection et qu'elles se montrent rebelles. Tels sont en fait le but et le sens véritables et les plus profonds de la morale. de la discipline et de l'ascèse : non point mutiler et détruire, mais admonester et dompter, purifier et préparer la vie vitale, la vie physique et la vie mentale inférieure à devenir de bons instruments pouvant être transformés en les notes de l'harmonie du mental supérieur et finalement de l'harmonie supramentale. L'ascension est la première nécessité, mais l'intégration l'accompagne, correspondant elle aussi à une intention dé l'Esprit dans la Nature.
Ce regard de la connaissance et de la volonté qui se tourne vers le bas en vue d'une élévation, d'un approfondissement et d'une intensification plus subtile, plus belle et plus riche de tous les éléments, est
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la méthode que l'Esprit secret suit depuis le commencement. L'âme de la plante a, pourrions-nous dire, une vision matérielle-nerveuse de son existence physique tout entière afin d'en tirer toute l'intensité physique-vitale possible ; elle semble, en effet, être animée de certaines excitations intenses d'une vibration de vie muette — plus intenses même peut-être, bien que nous ayons peine à l'imaginer compte tenu de leur niveau inférieur rudimentaire, que celles que le mental et le corps de l'animal, à leur degré plus élevé et plus puissant, sont capables de supporter. L'être animal possède une vision sensorielle mentalisée de son existence vitale et physique, afin d'en tirer toute la valeur sensorielle possible, qui, à bien des égards, est beaucoup plus vive que les simples sensations ou émotions sensorielles humaines, ou que les simples satisfactions du désir et du plaisir vital. L'homme regardant vers le bas depuis le plan de la volonté et de l'intelligence, abandonne ces intensités inférieures, mais c'est afin de tirer du mental, de la vie et des sens une intensité supérieure dans d'autres valeurs : intellectuelles, esthétiques, morales, spirituelles, mentalement dynamiques ou pratiques — comme il les appelle ; à l'aide de ces éléments supérieurs, il élargit, élève et affine son usage des valeurs vitales. Il n'abandonne pas les réactions et les jouissances animales, mais il les mentalise avec plus de lucidité, de délicatesse et de sensibilité. Cela, il le fait même à ses niveaux normaux et inférieurs, mais, à mesure qu'il se développe, il impose à son être inférieur une épreuve plus rigoureuse, commence à en exiger, sous peine de rejet, une certaine transformation : c'est ainsi ,que le mental se prépare à la vie spirituelle qui le dépasse encore.
Cependant, une fois qu'il a atteint son niveau supérieur, l'homme ne fait pas que tourner ses regards vers le bas' et "autour de lui, il les tourne aussi vers le haut, vers ce qui est au-dessus de lui, et vers le dedans, vers ce qui est occulte en lui. En lui, non seulement le regard que l'Être universel dans l'évolution porte vers le bas est devenu conscient, mais son regard conscient vers le haut et vers l'intérieur se développe également. L'animal vit comme s'il était satisfait de ce que la Nature a fait pour lui. Si jamais l'esprit secret en son être animal tourne son regard vers le haut, sa conscience n'y est pour rien, cela reste l'affaire de la Nature : c'est l'homme qui, le premier, en fait sa préoccupation consciente. Il possède en effet une volonté intelligente, fût-elle un rayon déformé de la gnose, et de ce fait il commence déjà à assumer la double nature de Satchidânanda ; il n'est plus, comme l'animal, un
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être conscient non développé, entièrement gouverné par la Prakriti, lia esclave de la Force exécutrice, un jouet des énergies mécaniques de la Nature : il est une âme consciente qui commence à croître, un Purusha qui se mêle de ce qui jusqu'alors était la seule affaire de la Prakriti, et qui souhaite avoir son mot à dire, et devenir finalement le maître. Il n'y parvient pas encore, il est encore trop prisonnier de ses rets, trop involué dans le mécanisme qu'elle a établi ; mais il sent — bien que de façon trop vague et trop incertaine encore — que l'esprit en lui aspire à s'élever vers des hauteurs plus grandes, à élargir ses limites ; quelque chose au-dedans, quelque chose d'occulte, sait que l'intention de l'Âme-Nature conscience plus profonde — Purusha-Prakriti — n'est pas de demeurer à son niveau inférieur actuel, satisfait de ses limitations. Cette volonté de poursuivre son ascension vers de plus hauts sommets, d'élargir ses possibilités, de transformer sa nature inférieure, est chez l'homme une impulsion naturelle; elle se manifeste en lui dès qu'il s'est fait une place dans le monde terrestre physique et vital, et qu'il a le loisir de considérer ses possibilités futures. Et il ne saurait en être autrement, non parce que son imagination est victime des mirages d'une lamentable illusion, mais d'abord parée qu'il est l'être mental imparfait qui poursuit sa croissance, et qu'il doit lutter pour se développer toujours plus et atteindre la perfection, et surtout parce qu'à la différence des autres créatures terrestres, il est capable de prendre conscience de ce qui est plus profond que le mental, de l'âme en lui, et de ce qui est au-dessus du mental, du supramental, de l'esprit, capable de s'y ouvrir, de l'admettre, de s'y élever, de s'en emparer. Il est dans sa nature humaine, en toute nature humaine, de se dépasser par une évolution consciente, de monter toujours plus haut, de n'être jamais satisfait de ce qu'il est. Avec le temps, ce ne sont pas seulement les individus, mais l'humanité tout entière — même si cela ne s'applique pas à tous, ce serait néanmoins une loi générale de son être et de sa vie —, qui peut nourrir cet espoir, à condition de développer une volonté suffisante, de s'élever au-delà des imperfections de notre nature présente si peu divine, et d'entreprendre l'ascension vers une humanité qui soit au moins supérieure, de s'approcher, même sans y atteindre tout à fait, d'une humanité divine ou d'une surhumanité. En tout cas, c'est la Nature évolutive en lui qui le pousse à faire effort pour se développer, à s'élever toujours plus haut, à bâtir l'idéal, à tenter l'aventure.
Mais où, chez l'être évolutif, le devenir du moi par dépassement du moi atteint-il sa limite ? Dans le mental lui-même, il y a des degrés dans la
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série et chaque degré est lui-même une série ;;il y a des élévations successives que, pour plus de commodité, nous pouvons appeler les plans et sous-plans de la conscience mentale et de l'être mental. La croissance de notre moi mental est, pour une grande part, une ascension de ces degrés; nous pouvons nous tenir sur l'un quelconque d'entre eux, et, bien que nous dépendions encore des échelons inférieurs, garder, le pouvoir de nous élever à l'occasion vers les niveaux supérieurs ou de répondre aux influences provenant des couches supérieures de notre être. Nous avons encore besoin, en général, de prendre fermement appui, au début, sur le sous-plan le plus bas de l'intelligence, que nous pouvons appeler le mental-physique, car pour être sûr d'un fait et percevoir la réalité, il dépend du cerveau physique, du mental sensoriel physique, des organes sensoriels physiques ; à ce niveau, nous sommes l'homme physique qui attache la plus grande importance aux choses objectives et à sa vie extérieure et dont la vie subjective ou intérieure est peu intense, et reste de toute façon soumise aux exigences plus impérieuses de la réalité extérieure. L'homme physique vit en partie aussi dans son vital, mais cette partie de lui-même se compose surtout des formations les plus petites, instinctives et impulsives, de la conscience-de-vie émergeant du subconscient, ainsi que d'une foule ou d'une ronde,coutumières de sensations, de désirs, d'espoirs, de sentiments, de satisfactions qui dépendent de choses et de contacts extérieurs et s'intéressent à ce qui est pratique, immédiatement réalisable et possible, habituel, ordinaire, moyen. Il vit également dans son mental, mais un mental lui aussi coutumier, traditionnel, pratique, objectif, qui respecte les choses relevant de son domaine surtout pour le soutien, le confort, l'utilité, la satisfaction, les agréments qu'elles apportent à son existence physique et sensorielle. Car le mental physique s'appuie sur la matière et le monde matériel, sur le corps et la vie corporelle, sur l'expérience des sens, sur la mentalité pratique normale et son expérience. Tout ce qui n'entre pas dans cette catégorie, le mental physique en fait une superstructure limitée dépendant de la mentalité sensorielle extérieure. Même ainsi, il voit en ces contenus supérieurs de la vie des accessoires utiles ou un luxe superflu mais agréable fait d'imaginations, de sentiments, d'abstractions conceptuelles, et non des réalités intérieures; et même s'il les admet comme des réalités, il ne les sent pas concrètement, matériellement en leur propre substance, plus subtile que la substance physique grossière et bien concrète — il les traite comme une extension subjective et moins substantielle des réalités physiques. Il est inévitable
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que l'être humain commence ainsi par prendre appui sur la Matière et donne au fait et à l'existence extérieurs l'importance qui leur est due; car c'est ainsi que la Nature pourvoit d'abord à notre existence, et elle y insiste fortement : elle exalte l'homme physique en nous et le multiplie à profusion dans le monde ; il est la force qui l'aide à préserver la base matérielle, plutôt inerte mais sûre, sur laquelle elle peut se maintenir tout en poursuivant son effort de développement humain vers de plus hauts sommets; mais dans cette formation mentale, il n'y,a; pas de pouvoir de progrès, ou ce n'est alors qu'un progrès matériel. Tel est notre premier état mental, mais l'être mental ne saurait toujours demeurer sur l'échelon le plus bas dans l'échelle de l'évolution humaine.
Au-dessus du mental physique et plus profondément enfoui dans l'être que la sensation physique, se trouve ce que nous pouvons appeler une intelligence du mental-de-vie : dynamique, vitale, nerveuse, elle est plus ouverte au psychique bien que de façon encore obscure, et peut devenir une première formation d'âme, mais une âme vitale enténébrée — non pas l'être psychique, mais une formation frontale du Purusha vital. Cette âme de vie sent concrètement les choses du monde vital, entre en contact avec elles et tente de les réaliser ici : elle attache une immense importance à la satisfaction et à l'accomplissement de l'être de vie, de la force de vie, de la nature vitale. Elle considère l'existence physique comme un champ de réalisation pour les impulsions de la vie, pour le jeu de l'ambition, du pouvoir, pour la force de caractère, l'amour, la passion, l'aventure, pour la recherche humaine individuelle, collective, générale, pour le risque et l'aventure, pour toutes sortes d'expérimentations et de nouvelles expériences de la vie, et sans cet élément salvateur, sans ce pouvoir, cet intérêt, ce sens supérieurs, l'existence physique n'aurait pour elle aucune valeur. Cette mentalité vitale est soutenue par notre être vital subliminal secret; elle est en contact, de façon voilée, avec un monde vital auquel elle peut aisément s'ouvrir, et sentir ainsi les forces et les réalités dynamiques invisibles derrière l'univers matériel. Il y a un mental vital intérieur dont les perceptions n'ont nul besoin de s'appuyer sur les données des sens physiques, et qui n'est pas limité par eux; à ce niveau, en effet, notre vie intérieure et la' vie intérieure du monde deviennent réelles pour nous, indépendamment du corps et des symboles du monde physique, les seuls que nous appelions phénomènes naturels, comme si la Nature n'avait pas de phénomènes plus grands ni de plus grandes réalités que ceux de la Matière grossière.
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L'homme vital, consciemment ou inconsciemment façonné par ces influences, est l'homme de désir et de sensation, l'homme de pouvoir et d'action, l'homme de passion et d'émotion, l'individu dynamique; il peut accorder une importance considérable à l'existence matérielle, mais même lorsqu'il se préoccupe le plus de ses réalités immédiates, il la pousse vers les expériences vitales, la force de réalisation, vers le déploiement, la puissance, l'affirmation, l'expansion de la vie, qui est le premier élan de la Nature vers l'élargissement de l'être; à une très haute intensité de cet élan vital, il devient le briseur de chaînes, le chercheur de nouveaux horizons, celui qui bouleverse le passé et le présent pour servir l'avenir. Sa vie mentale est souvent asservie à la force vitale, à ses désirs et ses passions, et c'est cela qu'il cherche à satisfaire au moyen du mental; mais lorsqu'il s'intéresse fortement aux choses mentales, il peut devenir l'aventurier du mental, celui qui ouvre la voie à de nouvelles formations mentales, ou celui qui se bat pour une idée, l'artiste sensible, le poète enthousiaste de la vie, le prophète ou le champion d'une cause. Le mental vital est dynamique, et il représente donc une grande force dans le processus de la Nature évolutive.
Au-dessus de-ce niveau de mentalité vitale et s'étendant encore plus profondément au-dedans, se trouve un plan mental de pensée et d'intelligence pures où les choses du monde mental sont les réalités les plus importantes; ceux qui s'ouvrent à son influence, le philosophe, le penseur, le scientifique, le créateur intellectuel, l'homme qui sait manier les idées, les paroles ou les mots, l'idéaliste et le rêveur, représentent l'être mental le plus développé à ce jour. Cet homme mental a une part vitale, une vie de passions et de désirs, d'ambitions et d'espoirs vitaux de toutes sortes, il a aussi une existence physique et sensible inférieure, et cette partie inférieure peut souvent faire contrepoids à son élément mental plus noble ou l'entraîner vers le bas. Ainsi, cet élément qui est pourtant ce qu'il y a en lui de plus haut, ne peut avoir dans sa nature entière une influence dominante et formatrice; mais quand il atteint son développement le plus vaste, cette caractéristique ne s'applique plus, car le vital et le physique sont alors maîtrisés et soumis à la volonté rationnelle et à l'intelligence. L'homme mental ne peut transformer sa nature, mais il peut la maîtriser et l'harmoniser, lui assigner la loi d'un idéal mental, imposer un équilibre ou une influence qui la sublime et l'épure, et transformer la confusion et les conflits multipersonnels ou le grossier patchwork de notre être divisé et à demi construit en quelque
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chose de hautement cohérent. Il peut observer et gouverner son mental et sa vie, les développer consciemment et, dans cette mesure, devenir son propre créateur.
Derrière ce mental de pure intelligence se trouve notre mental intérieur ou subliminal qui perçoit directement toutes les choses du plan mental, est ouvert à l'action d'un monde de forces mentales et peut sentir l'influence, le pouvoir des idées et les autres influences impondérables qui agissent sur le monde matériel et sur le plan vital, bien que jusqu'à présent nous ne puissions que déduire leur existence sans en avoir une expérience directe. Ces intangibles et ces impondérables sont réels, évidents pour l'homme mental, et il les tient pour des vérités demandant à être réalisées dans notre nature ou dans la nature terrestre. Sur le plan intérieur, le mental et l'âme mentale, indépendants du corps, peuvent devenir pour nous une réalité entière, et nous pouvons consciemment vivre en eux autant que dans le corps. Ainsi, dans la gradation de la Nature, notre état le plus haut, avant le spirituel, est-il celui où nous vivons dans le mental et dans les choses du mental, où nous sommes une intelligence plutôt qu'une vie et un corps. L'homme mental, l'homme dont le mental et la volonté se maîtrisent et se forment eux-mêmes, conscient d'un idéal et tourné vers sa réalisation, l'intellect éminent, le penseur, le sage, moins dynamique et moins immédiatement efficace que l'homme vital qui est l'homme d'action et de rapide accomplissement vital extérieur mais tout aussi puissant et même, finalement, plus puissant pour ouvrir à l'humanité des perspectives nouvelles, représente le' sommet normal de la formation évolutive de la Nature sur le plan humain. Ces trois degrés de mentalité, clairs en soi mais le plus souvent mêlés dans notre constitution, ne sont pour notre intelligence ordinaire que des types psychologiques qui se sont développés, on ne sait trop comment, et nous ne découvrons en eux aucune autre signification; mais en fait, ils sont riches de sens, car ils sont les étapes que suit la Nature pour faire évoluer l'être mental vers son propre dépassement; et de même que le mental pensant est le stade le plus élevé que la Nature puisse atteindre à présent, de même l'homme mental parvenu à sa perfection est-il la plus rare et la plus développée de ses créatures humaines ordinaires. Pour aller plus loin, elle doit introduire le principe spirituel dans le mental et le rendre actif dans le mental, la vie et le corps.
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Telles sont en effet ses représentations évolutives construites à partir de la mentalité de surface; pour accomplir davantage, elle doit puiser plus largement dans l'invisible matériau caché sous notre surface, plonger au-dedans et faire émerger l'âme secrète, la psyché, ou bien s'élever au-dessus de notre niveau mental habituel jusqu'en des plans de conscience intuitive chargés d'une lumière dérivée de la gnose spirituelle, plans ascendants du pur mental spirituel où nous sommes en contact direct avec l'infini, où nous touchons le moi et la suprême réalité des choses, Satchidânanda. En nous, derrière notre être naturel de surface, il y a une âme, un mental intérieur, un vital intérieur, qui peuvent s'ouvrir à ces sommets aussi bien qu'à l'esprit occulte en nous, et cette double ouverture est le secret d'une nouvelle évolution. En brisant ainsi les écrans, les murs et les frontières, la conscience s'élance vers une plus grande ascension et une plus vaste intégration qui, de même que l'évolution du mental les avait mentalisés, spiritualiseront par cette nouvelle évolution tous les pouvoirs de nôtre nature. Car l'homme mental n'est pas l'ultime effort de la Nature ni le plus haut sommet qu'elle ait atteint — bien qu'il se soit montré généralement plus complètement évolué en sa propre nature que les hommes qui ont cherché leur accomplissement sur un plan inférieur ou qui ont aspiré à des plans supérieurs ; elle a orienté l'homme vers un niveau encore plus difficile et plus élevé, elle lui a inspiré l'idéal d'une vie spirituelle, elle a entrepris en lui l'évolution d'un être spirituel. L'homme spirituel est son effort suprême et supranormal de création humaine. Ayant fait évoluer le créateur mental, le penseur, le sage, le prophète d'un idéal, l'être mental maître de soi, discipliné et harmonisé, elle a essayé d'aller plus haut et plus profond, et d'appeler au premier plan l'âme, le mental et le cœur intérieurs, d'invoquer la descente des forces du mental spirituel, du mental supérieur et du surmental, et de créer dans leur lumière et par leur influence le sage spirituel, le voyant, le prophète, l'amant de Dieu, le yogi, le gnostique, le soufi, le mystique.
C'est là le seul moyen que l'homme ait de se dépasser vraiment ; car aussi longtemps que nous vivons dans l'être de surface ou que nous nous fondons entièrement sur la Matière, il est impossible d'aller plus haut et vain d'attendre qu'une transition nouvelle et radicale s'effectue dans notre être évolutif. L'homme vital, l'homme mental ont exercé une immense influence sur la vie terrestre, ils ont porté l'humanité en avant, du simple animal humain jusqu'à l'homme actuel. Mais ils ne peuvent
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agir que dans les limites de la formule évolutive déjà établie de l'être humain; ils peuvent agrandir le cercle humain, mais non changer ou transformer le principe de conscience ou son fonctionnement caractéristique. Toute tentative pour élever démesurément l'homme mental ou pour magnifier démesurément l'homme vital — une surhumanité nietzschéenne, par exemple — peut faire de la créature humaine un colosse, mais rien de plus : elle ne peut la transformer ni la diviniser. Une autre possibilité se découvre si nous parvenons à vivre au-dedans, dans l'être intérieur, et faire en sorte qu'il gouverne directement la vie, ou si nous réussissons à nous établir sur les plans spirituel et intuitif de l'être et, de là, grâce à leur pouvoir, à transmuer notre nature.
L'homme spirituel est le signe de cette nouvelle évolution, de cette nouvelle et plus haute tentative de la Nature. Mais cette évolution diffère à deux égards de l'ancien processus de l'Énergie évolutive : c'est un effort conscient du mental humain qui la dirige, et elle ne se limite pas à une progression consciente de la nature superficielle, mais essaie en même temps d'abattre les murs de l'Ignorance et de nous étendre à la fois; vers l'intérieur dans le principe secret de notre être présent, et vers l'extérieur dans l'être cosmique, aussi bien que vers le haut, vers un principe plus élevé. Ce que la Nature avait accompli jusqu'à présent, c'était un élargissement des limites de notre corps et la de surface; par l'effort spirituel, elle a tenté d'abolir l'Ignorance, d'aller au-dedans à la découverte de l'âme et d'être unie en sa conscience avec Dieu et avec toute existence. C'est là le but final de la phase mentale atteinte par la Nature évolutive en l'homme, et c'est le premier pas vers une transmutation radicale de l'Ignorance en Connaissance. Le changement spirituel commence par une influence de l'être intérieur et du mental spirituel supérieur, par une action ressentie et acceptée à la surface; mais en soi, cela ne peut conduire qu'à un idéalisme mental illuminé ou au développement d'un mental et 'd'un tempérament religieux, de la dévotion du cœur et d'un comportement pieux; c'est une première approche de l'esprit par le mental, mais elle ne peut effectuer un changement radical. Il nous faut accomplir beaucoup plus : il nous faut vivre plus profondément au-dedans, dépasser notre conscience actuelle et transcender notre condition actuelle dans la Nature.
Il est évident que si nous pouvons vivre ainsi plus profondément en: nous-mêmes et faire passer continuellement lès' .forces intérieures
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dans l'instrumentation extérieure, ou si nous pouvons nous élever et nous établir sur des plans plus hauts et plus vastes, et amener leurs pouvoirs à agir sur l'existence physique au lieu de simplement recevoir des influences qui descendent de ces plans — pour le moment, c'est tout ce que nous pouvons faire, —, la force de notre être conscient commencerait de s'intensifier, créant ainsi un nouveau principe de conscience, de nouveaux domaines d'activités, de nouvelles valeurs pour toutes choses, un élargissement de notre conscience et de notre vie, une intégration et une transformation des degrés inférieurs de notre 'existence — bref, tout le processus évolutif par lequel l'Esprit dans la Nature crée un type d'être plus évolué. Chaque pas serait un progrès, si lointain que soit encore le but, nous rapprochant toujours davantage 'de la réalisation d'un être plus vaste et plus divin, d'une force et d'une conscience, d'une connaissance et d'une volonté plus divines et plus vastes, d'un sens et d'un délice de l'existence plus vastes et plus divins. Il pourrait y avoir un premier déploiement vers une vie divine. Toute religion,toute connaissance occulte, toute expérience psychologique supranormale (par opposition aux expériences anormales), tout yoga, toute expérience et toute discipline psychiques sont des signalisations et des flèches qui nous guident sur cette route où, progressivement, l'esprit .secret se déploie.
Mais la race humaine est encore alourdie par une certaine gravitation matérielle, elle obéit encore à l'attraction de notre matière terrestre qui n'a toujours pas été conquise. Elle est dominée par le mental cérébral, l'intelligence physique. Ainsi retenue par de multiples liens, elle hésite devant les indications de l'Esprit ou retombe dès qu'elle est confrontée aux trop grandes exigences de l'effort spirituel. En outre, elle peut encore céder au plus aberrant scepticisme, souffre d'une immense indolence, d'une énorme timidité intellectuelle et spirituelle et de conservatisme quand on veut la tirer de ses ornières. Même lorsque la vie lui donne constamment la preuve que si elle choisit de conquérir, elle en est effectivement capable — comme en témoignent les miracles de ce pouvoir très inférieur qu'est la science physique —, cela ne l'empêche pas de douter; elle repousse l'appel nouveau et laisse à quelques individus le soin de répondre. Mais cela n'est pas suffisant si le pas en avant concerne l'humanité, car les victoires de l'Esprit ne peuvent être assurées pour elle, que si l'espèce humaine tout entière progresse. Car alors, même si la Nature retombe, si: son effort se relâche, l'Esprit
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au-dedans, puisant dans une mémoire secrète — parfois représentée sur un plan inférieur, celui de la gravitation vers le bas, comme la force atavique de la race, bien qu'il s'agisse en réalité de la force d'une mémoire persistante dans la Nature qui peut nous tirer soit vers le haut, soit vers le bas — l'appellera à se tourner à nouveau vers les hauteurs, et l'ascension suivante sera alors plus facile et plus assurée grâce à la précédente tentative ; car cette tentative, et sa première impulsion aussi bien que son résultat, sont nécessairement préservés dans le mental subconscient de l'humanité. Qui saurait dire quelles victoires de ce genre ont été remportées jadis dans nos cycles passés, et combien la prochaine ascension est proche ? Certes, il n'est ni nécessaire ni possible que la race tout entière se transforme, que tous les êtres mentaux deviennent des êtres spirituels ; mais pour que ce courant, que cette tendance s'affirme définitivement, il faut que l'idéal soit généralement accepté, il faut un effort sur une vaste échelle et une concentration consciente. Autrement, le résultat final sera une réalisation accomplie par quelques-uns, suscitant un nouvel ordre d'êtres, tandis que l'humanité, s'étant elle-même jugée inapte, se verra peut-être entraînée dans un mouvement de déclin évolutif ou s'immobilisera ; car c'est un constant effort ascendant qui a maintenu l'humanité en vie et lui a conservé sa première place dans la création.
Le processus de l'évolution suit le principe suivant : un fondement, une ascension à partir de ce fondement, durant cette ascension un renversement de la conscience et, depuis la hauteur et la vastitude plus grandes ainsi atteintes, une action transformatrice et une nouvelle intégration de toute notre nature. Le premier fondement est la Matière; l'ascension est celle de la Nature; l'intégration est un changement automatique, d'abord inconscient puis à demi conscient, de la Nature par la Nature. Mais dès que l'être a commencé de participer d'une façon plus totalement consciente aux opérations de la Nature, il est inévitable que le fonctionnement du processus se transforme lui aussi. La Matière demeure la base physique, mais elle ne peut plus être le fondement de la conscience. La conscience elle-même, en son origine, ne sera plus un jaillissement hors de l'Inconscient, ni un flot caché s'écoulant d'une force subliminale intérieure et occulte sous la pression des contacts de l'univers. Le fondement de l'existence qui se développe sera le nouvel état spirituel au-dessus, ou bien celui de l'âme dévoilée en nous. C'est le flux de lumière, de connaissance et de volonté venu des plans supérieurs
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et l'état de réceptivité intérieure qui détermineront les réactions de l'être à l'expérience cosmique. Toute la concentration de l'être se déplacera du bas vers le haut et de l'extérieur vers l'intérieur; nous deviendrons notre être supérieur et notre être intérieur qui nous sont actuellement inconnus, et l'être extérieur ou superficiel qu'aujourd'hui nous prenons pour nous-mêmes ne sera qu'une façade ou qu'une extension permettant à notre être vrai de communiquer avec l'univers. Pour la conscience spirituelle, le monde extérieur lui-même deviendra intérieur, il en fera partie et sera étroitement embrassé dans une connaissance et un sentiment d'unité et d'identité, pénétré par le regard intuitif du mental, et nous réagirons à tout par un contact direct de conscience à conscience. Ainsi le monde sera-t-il amené à réaliser son intégralité. L'ancien fondement inconscient sera lui-même rendu conscient en nous par la coulée de lumière et de conscience venue d'en haut, et ses profondeurs seront rattachées aux altitudes de l'esprit. Une conscience intégrale deviendra la base d'une harmonisation complète de la vie grâce à la transformation, à l'unification, à l'intégration totales de l'être et de la nature.
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De la septuple Ignorance à la septuple Connaissance
Le sol de l'Ignorance est fait de sept marches, de sept marches le sol de la Connaissance.
Mahôpanishad. V. 1.
Il découvrit la vaste Pensée à sept tètes qui est née de la Vérité; il créa un quatrième monde et devint universel. (...) Les Fils du Ciel, les Héros de l'Omnipotent, pensant la pensée droite, donnant voix à la Vérité, fondèrent le plan de l'illumination et conçurent la première demeure du Sacrifice. (...) Le Maître de Sagesse abattit les enclos de pierre et appela les Troupeaux de Lumière (...), les Troupeaux qui se tiennent en un lieu secret sur le pont jeté par-dessus le Mensonge entre deux mondes au-dessous et un au-dessus; désirant la Lumière dans l'obscurité, il fit monter les Troupeaux de Rayons et retira le voile recouvrant les trois mondes; il démolit la cité tapie dans l'ombre, détacha les trois de l'Océan, et découvrit l'Aurore et le Soleil et la Lumière et le Monde de Lumière.
Rig-Véda. X. 67.1-5.
Le Maître de Sagesse, lorsqu'il naît pour la première fois dans l'éther suprême de la grande Lumière — nombreuses sont ses naissances, sept sont les bouches du Verbe, sept ses Rayons — disperse les ténèbres de son cri.
Rig-Véda. IV. 50.4.
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Toute évolution est, en son essence, une élévation de la force de la conscience dans l'être manifesté afin qu'il puisse être soulevé en l'intensité plus grande de ce qui n'est pas encore manifesté, de la matière en la vie, de la vie en le mental, du mental en l'Esprit. Telle doit être la méthode de notre croissance : d'une manifestation mentale à une manifestation spirituelle et supramentale, d'une humanité encore à demi animale à un être divin et une existence divine. Il faut atteindre à une hauteur, une vastitude, une profondeur, une subtilité, une intensité spirituelles nouvelles de notre conscience — de sa substance, de sa force, de sa sensibilité —, à une élévation, une expansion, une plasticité, une capacité intégrale de notre être, à un soulèvement du mental, et de tout ce qui est submental, dans cette existence plus vaste. Dans une transformation future, le caractère de l'évolution, le principe du processus évolutif, même s'il est modifié, ne changera pas fondamentalement : il se poursuivra royalement sur une plus grande échelle et suivant un mouvement libéré. Ce changement qui nous donne accès à une conscience supérieure ou à un plus haut état d'être n'est pas seulement le but et la méthode mêmes de la religion, de toute grande ascèse, du Yoga, c'est aussi la tendance innée de notre vie, le secret dessein découvert dans la somme de son labeur. Le principe de la vie en nous cherche constamment à s'affirmer et se perfectionner sur les plans du mental, de la vitalité et du corps qu'il possède déjà ; mais quelque chose en lui le pousse à aller au-delà et à transformer ces gains, à en faire pour l'esprit conscient un moyen de se déployer dans la Nature. Si une seule partie de nous-mêmes — l'intellect, le cœur, la volonté, ou le moi de désir vital —, déçue par sa propre imperfection et par le monde, s'efforçait de s'en dégager pour parvenir à une existence plus haute, en se contentant d'abandonner le reste de la nature à son sort ou à sa mort, alors un tel résultat, une telle transformation ne pourrait se
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produire — tout au moins ici, sur la terre. Mais telle n'est pas la tendance intégrale de notre existence. La Nature m nous s'efforce de se hisser elle-même, et tout notre moi, jusqu'en un principe d'être plus haut que ceux qu'elle a développés ici jusqu'à présent. Mais, dans cette ascension, elle ne met pas toute sa volonté à se détruire afin que le principe supérieur puisse être exclusivement affirmé par le rejet et l'abolition? de la Nature elle-même. Élever la force de la conscience jusqu'à ce qu'elle dépasse l'instrumentation mentale, vitale et physique pour atteindre l'essence et le pouvoir de l'Esprit, est la chose indispensable ; mais ce n'est ni le seul but, ni tout ce qui doit être accompli.
Nous devons nous sentir appelés à vivre dans tout notre être sûr une hauteur nouvelle. Pour atteindre ce sommet, nous n'avons pas à rejeter les éléments dynamiques de notre être dans le matériau; indéterminé de la Nature et, grâce à cette perte libératrice, à demeurer dans la quiétude béatifique de l'Esprit. Cela peut toujours se faire et apporte un grand repos et une grande libération, mais ce que la Nature elle-même attend de nous, c'est que tout ce que nous sommes s'élève dans la conscience spirituelle et devienne un pouvoir manifeste et multiple de l'Esprit. Une transformation intégrale est le but intégrale de l'Être dans la Nature ; c'est le sens inné de son aspiration universelle à la transcendance as soi. C'est pour cette raison qu'en son processus la Nature ne se borne pas à s'élever jusqu'à un principe nouveau; le nouveau sommet n'est pas un étroit et intense pinacle, il amène un élargissement, établit un plus vaste domaine de vie où le pouvoir du nouveau principe peut avoir le champ suffisamment libre pour émerger. Ce mouvement d'élévation et d'expansion ne se borne pas à donner la plus grande ampleur possible au jeu du nouveau principe lui-même; il comporte aussi l'intégration de ce qui est inférieur dans les valeurs supérieures : la vie divine: ou spirituelle non seulement intégrera la vie mentale, vitale et physique transformée et spiritualisée, mais offrira au mental, au vital et au corps un jeu beaucoup plus large et plus complet que celui qui leur était accessible tant qu'ils vivaient sur leur propre plan. Il n'est pas nécessaire que notre existence mentale, notre existence physique, notre existence vitale soient détruites lorsque nous nous dépassons, ni qu'elles soient amoindries ou détériorées en se spiritualisant ; elles peuvent et doivent devenir beaucoup plus riches, plus
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vastes, plus puissantes et plus parfaites. Par ce changement divin, elles s'emparent de possibilités qu'elles n'auraient pu réaliser, ou imaginer, dans leur état non spiritualisé.
Cette évolution, ce processus d'élévation, d'élargissement et d'intégralisation est par nature une croissance et une ascension hors de la septuple ignorance jusqu'en la connaissance intégrale. Le nœud de cette ignorance est lié à notre constitution; il se transmue en une multiple ignorance du vrai caractère de notre devenir, une non-conscience de notre moi total, qui s'expliquent par la limitation qu'imposent le plan où nous demeurons et le principe dominant de notre nature. Le plan que nous occupons est celui de la Matière, le principe qui prédomine actuellement dans notre nature est l'intelligence mentale, dont le mental sensoriel, qui dépend de la Matière, est le support et le piédestal. Le fait que l'intelligence mentale et ses pouvoirs se préoccupent de l'existence matérielle telle que les sens la lui présentent et de la vie telle; qu'elle a été formulée dans un compromis entre la vie et la matière, est pour cette raison même le sceau particulier de l'Ignorance constitutive. Ce matérialisme naturel ou ce vitalisme matérialisé, cette façon de nous accrocher à nos origines, est une forme d'auto-restriction qui réduit le champ de notre existence, et il exerce une puissante influence sur l'être humain. C'est une première nécessité de son existence physique, mais une ignorance fondamentale en fait ensuite une chaîne qui l'entrave à chaque pas de son ascension : essayer de croître et d'échapper à cette limitation que l'intelligence mentale matérialisée impose à la plénitude, à la puissance et à la vérité de l'Esprit, d'échapper à cette sujétion de l'âme à la Nature matérielle, est le premier pas vers un progrès réel pour nôtre humanité. Car notre ignorance n'est pas absolue; c'est une limitation de la conscience — ce n'est pas la nescience complète qui est la marque de la même Ignorance dans les existences purement matérielles, celles qui ont la matière non seulement pour plan, mais pour principe dominant. C'est une connaissance partielle, limitative, séparative et très largement falsificatrice ; nous devons nous libérer de cette limitation et de cette falsification et croître en la vérité de notre être spirituel.
Se préoccuper ainsi de la vie et de la matière est juste et nécessaire au début, car le premier pas, pour l'homme, consiste à "-connaître cette existence physique et à en prendre possession aussi bien que possible, en
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appliquant sa pensée et son intelligence à l'expérience que son mental sensoriel peut lui en donner; mais ce n'est qu'une étape préliminaire et, si nous nous arrêtons là, nous n'avons fait aucun progrès réel : nous demeurons au même point et n'avons gagné qu'un peu plus d'espace physique, une plus grande latitude et un pouvoir accru dont notre mental se sert pour fonder sa connaissance relative et sa maîtrise insuffisante et précaire, et notre désir vital pour bousculer les choses, les pousser de-ci dé-là dans la mêlée des forces et des existences physiques. Le plus extrême élargissement d'une connaissance physique objective — embrassât-elle les systèmes solaires les plus lointains, les couches les plus profondes de la terre et de la mer et les pouvoirs les plus subtils de la substance et de l'énergie matérielles — n'est pas pour nous le gain essentiel, la chose si nécessaire à acquérir. .C'est pourquoi, en dépit des triomphes éblouissants de la science physique, l'évangile du matérialisme s'avère toujours, en définitive, un credo impuissant et vain, et c'est également pourquoi la science physique elle-même, avec tous ses accomplissements, peut apporter le confort mais n'apportera jamais à notre espèce bonheur et plénitude d'être. Notre bonheur véritable, nous le trouverons dans une juste croissance de tout notre être, dans une victoire remportée sur tous les plans de notre existence, dans une maîtrise de la nature intérieure et secrète, autant et même davantage. que dans une maîtrise de la nature extérieure et manifeste : ce n'est pas en décrivant de plus larges cercles sur le plan d'où nous sommes partis que nous atteindrons à l'intégralité, mais en le transcendant. C'est pour cette raison que, une fois le premier fondement nécessaire établi dans la' vie et la matière, nous devons élever la force de notre conscience, l'approfondir, l'élargir, la rendre plus subtile. Nous devons d'abord libérer notre moi mental et entrer dans un jeu plus libre, plus subtil et plus noble de notre existence mentale; car c'est dans le mental, beaucoup plus que dans le physique, que se trouve notre véritable existence. Dans notre nature instrumentale, comme dans tout ce que nous exprimons de nous-mêmes,'nous sommes surtout mental et; non matière, nous sommes des êtres mentaux beaucoup plus que physiques. Devenir pleinement l'être mental constitue le premier mouvement de transition vers la perfection et la liberté humaines ; et même si cette croissance ne nous rend pas réellement parfaits, même si elle ne libère pas notre âme, elle nous élève d'un degré hors de l'absorption matérielle, .et vitale, .et ainsi se relâche peu à peu l'emprise de l'Ignorance.
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En devenant des êtres mentaux plus parfaits, s'ouvre à nous: la possibilité d'une existence, d'une conscience, d'une force, d'un bonheur, d'une joie d'être plus subtils, plus élevés et plus vastes; à mesure que nous gravissons l'échelle du mental, ces choses se font plus puissantes : notre conscience mentale acquiert une vision et un pouvoir accrus, elle devient plus subtile et plastique et nous pouvons embrasser plus largement l'existence vitale et physique, la mieux connaître, la mieux utiliser, lui donner de plus nobles valeurs, un domaine plus large, une action sublimée — une échelle plus étendue, des objectifs supérieurs. Le pouvoir caractéristique de sa nature fait de l'homme un être mental; mais au cours des premières étapes de son émergence, il est plutôt un animal mentalisé, préoccupé comme l'animal de son existence physique ; il utilise son mental pour les besoins, les intérêts, les désirs de la vie et du corps, et fait de lui leur serviteur et leur ministre, pas encore leur seigneur et maître. C'est quand il se développe mentalement, et dans la mesure où son mental affirme son identité et son indépendance contre la tyrannie de la vie et dé la matière, qu'il grandit en stature. Tandis que le mental, en s'émancipant, commence à gouverner et illuminer la vie et le physique, nous voyons que les buts, les occupations, les poursuites purement mentales de la connaissance commencent, elles aussi, à prendre de la valeur. Libéré d'une autorité et de préoccupations inférieures, le mental apporte à la vie un gouvernement, une élévation, un raffinement, une harmonie et un équilibre plus subtils; les mouvements vitaux et physiques sont alors dirigés et organisés, voire transformés autant qu'ils peuvent l'être par un intermédiaire mental; ils apprennent à être les instruments de la raison et à obéir à une volonté éclairée, une perception éthique, une intelligence esthétique : plus cela s'accomplit, plus notre race devient vraiment humaine, une race d'êtres mentaux.
C'est à cette perception de la vie que les penseurs grecs accordaient la plus haute importance, et c'est l'exubérante floraison sous le soleil de cet idéal qui explique pourquoi la vie et la culture helléniques exercent encore sur nous une telle fascination. Cette perception s'est perdue par la suite et, quand elle a réapparu, elle se trouvait très affaiblie et mêlée à des éléments plus troubles. La perturbation provoquée par un idéal spirituel imparfaitement compris par l'intelligence humaine et nullement réalisé ni mis en pratique dans la vie (mais présent avec ses influences mentales et morales positives et négatives, confrontées
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à la pression antagoniste d'un élan vital dominateur et extravagant, incapable de satisfaire son libre mouvement), firent obstacle à la souveraineté du mental et à l'harmonie de la vie, à la réalisation de sa. beauté et de son équilibre. Il en résulta une ouverture vers des idéaux plus élevés, un élargissement du champ de la vie ; mais les éléments d'un nouvel idéalisme furent simplement projetés dans son action en: tant qu'influence, sans pouvoir la maîtriser et la transformer, et finalement l'effort spirituel, mal compris et jamais réalisé, se trouva rejeté. Sur le plan moral, ses effets subsistèrent, mais, privés du soutien de l'élément spirituel, ils s'affaiblirent jusqu'à devenir tout à fait impuissants. Soutenu par un immense développement de l'intelligence physique, l'élan vital devint la préoccupation majeure de l'humanité. L'accroissement considérable d'un certain type de connaissance et d'efficacité en fut le premier résultat ; une mauvaise santé spirituelle, grosse de dangers, et un immense désordre en sont les fruits les plus récents.
Car le mental ne suffit pas — même le plus vaste jeu de son intelligence ne crée qu'une demi-lumière mitigée. Une connaissance mentale superficielle de l'univers physique est un guide plus imparfait encore; l'animal pensant pourrait s'en contenter, mais non une race d'êtres mentaux travaillant à une évolution spirituelle. À elles seules, la science physique et une connaissance extérieure ne peuvent même pas connaître entièrement la vérité des choses physiques, ni trouver le juste emploi de notre existence matérielle, et la seule maîtrise des processus physiques et mécaniques ne le permet pas davantage. Pour arriver à une connaissance et une utilisation justes, il nous faut dépasser la vérité du phénomène et du processus physiques, savoir ce qui est en eux et derrière eux. En effet, nous ne sommes pas qu'un mental dans un corps; il y a un. être spirituel, un principe spirituel, un plan spirituel de la Nature. Nous devons élever la force de notre conscience jusqu'à lui, et, grâce à lui, élargir toujours plus, et même universellement et infiniment, l'étendue de notre être et le champ de notre action, intégrer notre, vie inférieure et l'utiliser à des fins plus larges, dans un plus vaste plan, à la lumière de la vérité spirituelle de l'existence. Le labeur de notre mental, la lutte de notre vie ne peuvent arriver à aucune solution tant que nous n'avons pas échappé à l'obsédante tutelle d'une Nature inférieure, intégralisé notre être naturel dans l'être et la conscience de l'Esprit, appris à utiliser nos instruments naturels grâce au pouvoir et pour la joie de l'Esprit. Alors seulement l'ignorance constitutive, l'ignorance de la constitution réelle
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de notre existence dont nous souffrons, pourra se transformer en une connaissance véritable et effective de notre être et de notre devenir. Car ce que nous sommes, c'est l'Esprit — qui, pour le moment, utilise principalement le mental, secondairement la vie et le corps, la matière étant le champ originel, mais non unique, de notre expérience. Mais elle ne l'est que provisoirement. Notre instrumentation mentale imparfaite n'est pas le dernier mot de nos possibilités : au-delà du mental, plus proches de la nature spirituelle, existent en nous d'autres principes, endormis ou invisiblement et imparfaitement actifs, des pouvoirs plus directs, des instruments plus lumineux, un état supérieur, des domaines d'action dynamique plus étendus que ceux qui relèvent de notre existence physique, vitale et mentale actuelle. Tout cela peut devenir notre état propre, faire partie de notre être, constituer les principes, les pouvoirs et les instruments de notre nature élargie. Mais alors, il ne suffit pas de se satisfaire d'une vague ou extatique ascension spirituelle en l'Esprit ou d'une élévation dans le sans-forme au contact de ses infinitudes ; leur principe doit évoluer, comme la vie a évolué, comme le mental a évolué, et organiser ses propres instruments pour sa satisfaction propre. Alors nous posséderons la vraie constitution de notre être et nous aurons conquis l'Ignorance.
La conquête de notre ignorance constitutive ne peut être complète, ne peut devenir intégralement dynamique si nous n'avons pas conquis notre ignorance psychologique car les deux sont liées. L'ignorance psychologique est une limitation de notre connaissance de nous-mêmes à cette petite vague ou ce courant superficiel de notre être qu'est le moi conscient à l'état de veille. Cette partie de notre être est un flux originel de mouvements sans forme ou seulement à demi formulés, qui se poursuit de façon continue et automatique, soutenu et maintenu d'un instant à l'autre au fil du temps par une mémoire superficielle active et une conscience sous-jacente passive, organisé et interprété par notre raison et par notre intelligence à la fois actrice et spectatrice. Derrière, se trouvent une existence et une énergie occultes de notre être secret sans lesquelles la conscience et l'activité superficielles n'auraient pu exister ni agir. Dans la Matière, seule une activité est manifeste — inconsciente à la surface des choses où s'arrête notre connaissance ; car la Conscience immanente dans la Matière est secrète, subliminale, elle n'est pas manifestée dans la forme inconsciente et dans l'énergie involuée. En nous, par contre, la conscience est devenue partiellement manifeste,
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s'est partiellement éveillée. Mais elle est enclose et imparfaite ; bornée par son auto-limitation habituelle, elle se meut dans un cercle restreint — excepté quand de sa secrète demeure intérieure jaillissent des éclairs et des pressentiments ou que des vagues en surgissent et, brisant les limites de la formation, s'écoulent au-delà ou élargissent le cercle. Néanmoins, ces apparitions occasionnelles ne peuvent guère élargir nos capacités présentes, elles ne suffisent pas à révolutionner notre condition humaine. Cela ne peut s'accomplir que si nous y déversons les lumières et les pouvoirs supérieurs encore non développés qui existent en notre être à l'état potentiel, afin qu'ils puissent y agir consciemment et normalement ; pour cela, nous devons être capables de puiser librement dans ces domaines de notre être dont ils sont originaires mais qui, pour le moment, sont subconscients ou plutôt secrètement intraconscients et circumconscients, ou bien sûpraconscients pour nous. Ou même — et cela aussi est possible —, nous devons entrer dans les parties intérieures et supérieures de nous-mêmes en plongeant au-dedans ;ou en y pénétrant de façon méthodique pour en rapporter les secrets à la surface. Ou enfin, par un changement de conscience plus radical encore, nous devons apprendre à vivre au-dedans et non plus à la surface, à être et à agir depuis les profondeurs intérieures et sur la base de notre âme devenue la souveraine de la nature.
Cette partie de nous-mêmes que nous pouvons appeler subconsciente, dans le sens strict du terme, parce qu'elle est inférieure et obscure et se situe au-dessous du niveau mental et du plan de notre vie consciente, recouvre les éléments purement physiques et vitaux qui constituent notre être corporel ; non mentalisés, ils échappent à l'observation du mental et leur action n'est pas soumise à son contrôle. Nous pouvons considérer que le subconscient comprend aussi la conscience occulte et muette, une conscience dynamique que cependant nous ne pouvons sentir et qui agit dans les cellules, les nerfs et toute lia substance corporelle, ajustant leur processus de vie et leurs réactions automatiques. Elle inclut aussi les fonctionnements les plus élémentaires du mental sensoriel submergé, qui sont plus actifs chez l'animal et dans la vie végétale. Dans notre évolution, nous avons dépassé ce besoin d'organiser sur une grande échelle l'action de cet élément, mais il demeure submergé, œuvrant obscurément sous la surface de notre nature consciente. Cette activité obscure s'étend à un substrat mental secret et masqué où sombrent et s'endorment les impressions passées et
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tout ce qui est rejeté du mental de surface ; mais elles peuvent en resurgir dans le sommeil ou profitent de toute absence mentale pour prendre la forme de rêves, de suggestions ou d'actions mentales mécaniques, de réactions ou d'impulsions vitales automatiques, de désordres physiques où de troubles nerveux, de morbidité, de maladie, de déséquilibre. Dé notre subconscient nous ne ramenons d'habitude à la surface que ce dont notre mental sensoriel éveillé et notre intelligence ont besoin pour servir leurs desseins ; nous ne sommes pas conscients de la nature, de l'origine, du fonctionnement des choses que nous faisons émerger et n'appréhendons pas leurs valeurs propres, mais une traduction dans les valeurs de notre sensibilité et de notre intelligence humaines éveillées. Cependant, ces, mouvements; qui surgissent du subconscient, et leurs effets sur le mental et sur le corps, sont surtout automatiques et involontaires, ils ne répondent à aucune demande de notre part; nous n'avons en effet aucune connaissance du subconscient, et par conséquent aucun pouvoir sur lui. C'est seulement par une expérience anormale pour nous, le plus souvent à l'occasion d'une maladie ou de quelque perturbation de notre équilibre, que nous pouvons prendre directement conscience de quelque chose dans le monde muet — muet mais très actif— de notre être corporel et de notre vitalité, ou devenir conscients des mouvements secrets du mental mécanique subhumain, vital et physique, qui s'étend sous la surface : une conscience qui est la nôtre, mais qui ne fait pas partie de la mentalité connue et semble donc ne pas nous appartenir. Tout cela, et bien davantage encore, vit dissimulé dans la subconscience.
Une descente dans le subconscient ne nous aiderait pas à explorer cette région, car elle nous plongerait dans l'incohérence ou; dans le sommeil, dans une transe atone ou une torpeur comateuse. Une analyse ou une intuition mentales peuvent nous donner une idée indirecte et constructive de ces activités cachées ; mais ce n'est qu'en nous retirant dans le .subliminal ou en nous élevant dans le supraconscient pourvoir .de là ce qui s'étend au-dessous, ou en nous déployant dans ces obscures profondeurs, que nous pouvons prendre conscience, directement et totalement, des secrets de notre nature subconsciente physique, vitale et mentale, et nous en rendre maîtres. Cette conscience et cette maîtrise sont de la plus haute importance, car le subconscient est l'Inconscient en voie de devenir conscient; c'est le support et même la racine profonde des parties inférieures de notre être et de leurs mouvements. Il soutient et renforce tout ce qui, en nous, s'attache le plus à sa nature et refuse
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de changer : les récurrences mécaniques de la. pensée inintelligente, l'obstination, la ténacité de nos sentiments, de nos sensations, dé nos impulsions, de nos penchants, les rigidités de notre caractère qui échappent à tout contrôle. L'animal en nous — l'infernal aussi — a ses repaires dans la jungle épaisse de la subconscience. Pénétrer dans cette jungle, y amener la lumière, y établir notre maîtrise, est indispensable à la plénitude de toute vie supérieure, à la transformation intégrale de la nature. .
La partie de nous-mêmes que nous avons appelée intraconscience et circumconscience est un élément encore plus puissant et plus précieux dans la constitution de notre être. Elle comprend l'action étendue d'une intelligence intérieure et d'un mental sensoriel intérieur, d'un vital intérieur et même d'un être physique subtil intérieur qui soutient ,et englobe notre conscience de veille, qui n'est pas amené au premier plan, qui est subliminal, comme on dit aujourd'hui. Mais lorsque nous pouvons pénétrer dans ce moi caché et l'explorer, nous découvrons que nos sens et notre intelligence de veille sont dans une très large mesure une sélection de ce que secrètement nous sommes ou pouvons être, une version extériorisée, très mutilée et vulgarisée de notre être réel caché, ou une projection de ses profondeurs. Notre être de surface, au cours d'une évolution hors de l'Inconscient, a été formé, avec cette aide subliminale, afin de servir notre vie mentale et physique actuelle sur la terre; derrière lui se trouve une formation qui sert d'intermédiaire entre l'Inconscient et les plans plus vastes de la Vie et du Mental que la descente involutive a créés et dont la pression a favorisé l'évolution du mental et delà vie dans la Matière. Nos réactions de surface à l'existence physique sont étayées par une activité dans ces parties voilées, et sont souvent les réactions de ces dernières, modifiées par une interprétation mentale superficielle. Mais cette large part de notre mentalité et -die notre -vitalité qui n'est pas une réaction au monde extérieur, qui vit pour elle-même ou se projette sur l'existence matérielle pour l'utiliser et la posséder — notre personnalité — est aussi le produit, la formulation composite de pouvoirs, d'influences, de mobiles émanant de ce puissant secret de l'intraconscient.
Par ailleurs, le subliminal s'étend dans une conscience enveloppante à travers laquelle il reçoit le choc des courants et des circuits d'ondes qui 'se déversent sur nous à partir du Mental universel, de la
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Vie universelle, et des forces universelles plus subtiles de la Matière. Nous ne les percevons pas à la surface, mais notre moi subliminal les perçoit et les admet, et en fait des formations qui, à notre insu, peuvent puissamment affecter notre existence. Si nous pouvions traverser le mur qui sépare cette existence intérieure de notre moi extérieur, nous pourrions connaître et gérer les sources de nos énergies mentales et de notre action vitale présentes, et en maîtriser les effets au lieu de les subir. Mais bien que l'on puisse en connaître une large part en-y pénétrant et en regardant au-dedans, ou en communiquant avec elles plus librement, c'est seulement en passant derrière le voile du mental de surface et en vivant au-dedans, dans un mental intérieur, une vie intérieure, dans l'âme au plus profond de notre être, que nous pouvons être pleinement conscients de nous-mêmes — et aussi en nous élevant jusqu'à un plan mental supérieur à celui où demeure notre conscience de veille. Si nous vivions ainsi au-dedans, notre état évolutif actuel" encore si entravé, si tronqué, y trouverait son élargissement et son accomplissement; mais une évolution au-delà n'est possible que si nous devenons conscients dans ce qui est à présent supraconscient pour nous, si nous nous élevons vers les hauteurs originelles de l'Esprit.
Dans la supraconscience au-delà de notre niveau actuel de conscience, se trouvent réunis les plans supérieurs de l'être mental aussi bien "que les hauteurs originelles de l'être supramental et du pur être spirituel. La première étape indispensable, dans une évolution ascendante, serait d'élever notre pouvoir de conscience dans ces parties supérieures du Mental dont nous recevons déjà, mais sans en connaître la source, beaucoup de nos mouvements mentaux plus larges, en particulier ceux qui viennent avec un plus grand pouvoir, une plus grande lumière — qu'ils soient révélateurs, inspirés ou intuitifs. Si la conscience parvenait à ces hauteurs mentales, à ces vastitudes, ou s'y maintenait pour y établir son centre, alors un/ peu de la présence et du pouvoir directs de l'Esprit, et même — si secondaires ou indirects fussent-ils — du supramental, pourrait recevoir une première expression, pourrait commencer de se manifester, intervenir dans le gouvernement de notre être inférieure et contribuer à le remodeler. Cela accompli, le cours de. notre évolution -pourrait, par la force de cette nouvelle conscience, poursuivre une ascension plus sublime encore et passer au-delà du mental dans le supramental et dans la suprême nature spirituelle. Sans nous élever réellement jusqu'en ces plans mentaux à présent supraconscients, ou
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sans y vivre de façon constante ou permanente, nous pouvons: en nous y ouvrant, en recevant leur connaissance et leurs influences, nous débarrasser dans une certaine mesure de notre ignorance constitutive et psychologique; nous pouvons être conscients de nous-mêmes en tant qu'êtres spirituels, et spiritualiser, si imparfaitement que. ce soit, notre vie et notre conscience humaine normale. Il serait alors possible d'établir une communication consciente avec cette mentalité plus grande et plus lumineuse, d'être guidé par elle, et de recevoir ses forces illuminatrices et transformatrices. Cela est à la portée de l'être humain hautement développé ou spirituellement éveillé ; mais ce ne serait qu'un stade préliminaire. Pour atteindre à une connaissance de soi intégrale, à une conscience et a un pouvoir d'être entiers, il. est nécessaire de s'élever par-delà le plan mental ordinaire. Cette ascension est actuellement possible par une plongée en la supraconscience; mais nous ne pourrions alors pénétrer dans ces plans supérieurs que dans un état de transe immobile ou, extatique. Si cet être spirituel suprême est appelé à gouverner notre existence de veille, il faut qu'il y ait une élévation et un élargissement conscients jusqu'en d'immenses domaines d'être nouveau, de conscience nouvelle, de nouvelles potentialités d'action, il faut une intégration — aussi intégrale que possible — de notre être, de notre conscience et de nos activités actuelles qui seraient transmuées en leurs valeurs divines jusqu'à transfigurer notre existence humaine, Car où que se produise une transition radicale, on observe toujours ce triple mouvement — ascension, élargissement du champ et de la base, intégration — dans ce processus d'auto-transcendance de la Nature.
Tout changement évolutif de ce genre doit être nécessairement accompagné d'un rejet de notre ignorance temporelle réductrice, car non seulement nous vivons encore dans le temps, de moment en moment, mais toute notre vision se limite à notre vie dans notre corps actuel, entre une naissance et une mort uniques. De même que notre regard ne remonte pas plus loin dans le passé, de même ne se porte-t-il pas plus loin dans l'avenir ; ainsi notre mémoire et notre conscience physiques de la vie présente nous limitent dans une formation corporelle transitoire. Mais; cette limitation de notre conscience temporelle dépend étroitement du fait que notre mentalité se préoccupe du plan et de la vie matériels où elle agit pour le moment. La limitation n'est pas une loi de l'Esprit, mais une disposition temporaire pour une première opération prévue de notre nature manifestée. Si cette préoccupation se relâche ou
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qu'on 'l'écarté, si le mental s'élargit, s'il se crée une ouverture au subliminal et au supraconscient, à l'être intérieur et supérieur, nous pouvons avoir la réalisation de notre existence qui perdure dans le temps, et celle de notre existence éternelle au-delà. Cela est essentiel pour avoir une vision correcte de notre connaissance de nous-mêmes, car' à présent notre conscience et notre action sont tout entières viciées par une erreur de perspective spirituelle qui nous empêche de voir dans leurs justes proportions et leurs justes rapports la nature, le but et les conditions de notre être; La plupart des religions font de la croyance en l'immortalité an point essentiel, parce qu'elle est une évidente nécessité si nous devons nous élever au-delà de notre état d'identification avec le corps et ses préoccupations matérielles. Mais une croyance ne suffit pas à corriger radicalement cette erreur de perspective. La vraie connaissance de notre être dans le temps ne peut nous être révélée que lorsque nous vivons dans la conscience de notre immortalité ; il faut que s'éveille en nous la perception concrète de notre être perpétuel dans le Temps et de notre existence intemporelle.
L'immortalité, en effet, dans Son sens fondamental, ne signifie p&s seulement une sorte de survivance personnelle après la mort du corps; nous sommes immortels de par l'éternité de notre existence en soi sans commencement ni fin, au-delà de toute la succession des naissances et des morts physiques que nous traversons, au-delà des alternances de notre existence passant de ce monde à d'autres mondes : l'existence intemporelle de l'esprit est la vraie immortalité. Ce terme possède assurément un sens secondaire, qui a sa vérité ; corollaire de cette vraie immortalité, il existe en effet une continuité perpétuelle de notre existence et de notre expérience temporelles de vie en vie, de monde en monde après la dissolution du corps physique; mais c'est là une conséquence naturelle de notre intemporalité qui s'exprime ici comme perpétuité dans le Temps éternel. La réalisation de l'immortalité intemporelle vient par la connaissance de soi dans la Non-Naissance et le Non-Devenir, et de l'Esprit immuable en nous. La réalisation de l'immortalité temporelle vient par la connaissance du moi dans la Naissance et le Devenir et se traduit par le sens d'une identité persistante de l'âme à travers tous les changements de mental, de vie et de corps ; cela non plus n'est pas une simple survivance, c'est l'intemporalité traduite dans la manifestation du Temps. La première de ces réalisations nous affranchit de l'obscure sujétion à la chaîne des naissances et des morts, et c'est en
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Inde l'objet suprême de nombreuses disciplines ; la seconde, ajoutée à la première, nous permet de posséder librement, avec la connaissance juste, sans ignorance, sans être lié à la chaîne de nos actions, les expériences de l'esprit en ses successions de l'éternité temporelle. Par elle-même, une réalisation de l'existence intemporelle pourrait ne pas inclure la vérité de cette expérience du moi persistant dans le Temps éternel ; de même, une réalisation de la survivance à la mort n'exclurait pas nécessairement un commencement ou une fin de notre existence. Mais dans l'une .et l'autre réalisations — si on les envisage de la façon vraie, comme les deux faces d'une seule vérité —, le changement fondamental consiste à exister consciemment dans l'éternité, au lieu d'être asservi à l'heure et à la succession des moments : exister ainsi est une première condition de la conscience divine et de la vie divine. Saisir et, depuis cette éternité intérieure de l'être, gouverner le cours et le processus du devenir est la seconde -— la condition dynamique, avec pour résultat pratique une possession et une maîtrise spirituelles de soi. Ces changements ne sont possibles que si nous nous détachons de nos préoccupations matérielles absorbantes — sans qu'il soit nécessaire de rejeter ou de négliger la vie dans: le,corps'—et si nous vivons constamment sur les plans intérieurs et supérieurs du mental et de l'esprit. En effet, l'élévation de notre conscience jusqu'en son principe spirituel s'effectue par une ascension et un retrait intérieur — ces deux mouvements sont essentiels — hors de notre 'vie transitoire qui s'écoule de moment en moment pour entrer dans la vie éternelle de notre conscience immortelle. Mais il se produit en même temps un élargissement du champ de notre conscience et du domaine de notre action dans le temps, ainsi qu'une intégration et .un plus parfait usage de notre existence mentale, vitale et corporelle. Se manifeste alors une connaissance de notre être, qui ne considère plus celui-ci comme une conscience dépendant du corps, mais comme un Esprit éternel utilisant tous les mondes et toutes les vies pour une expérience de soi diversifiée ; il nous apparaît comme une entité spirituelle habitée par une vie continue de l'âme développant perpétuellement ses activités à travers des existences physiques successives, par un être déterminant son propre devenir. Grâce à cette connaissance, qui n'est pas conceptuelle mais vécue en notre substance même, il devient possible de vivre, non comme les esclaves d'une impulsion karmique aveugle, mais en souverains — soumis au seul Divin en nous — de notre être et de notre nature.
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Nous nous débarrassons en même temps de l'ignorance égoïste; car aussi longtemps qu'elle nous tiendra enchaînés — à quelque étape que ce soit —, la vie divine restera inaccessible, ou son expression demeurera imparfaite. Car l'ego est une falsification de notre individualité vraie, due au fait que celle-ci s'identifie et se limite à cette vie, à ce mental, à ce corps : c'est une séparation d'avec les autres âmes qui nous enferme dans notre expérience individuelle et nous empêche de vivre en tant qu'individu universel ; c'est une séparation d'avec Dieu, notre Moi suprême, qui est l'unique Moi en toutes les existences et l'Habitant divin en nous. Quand un changement de conscience se produit, quand celle-ci atteint à la hauteur, la profondeur et l'immensité de l'esprit, l'ego ; ne peut; survivre; trop petit et trop faible pour subsister dans cette immensité, il s'y dissout, car il n'existe que par ses limites et périt quand elles disparaissent. L'être emprisonné dans une individualité séparée s'échappe, devient universel, assume une conscience cosmique où i-1 s'identifie avec le moi et l'esprit, avec la vie, le mental, le corps de tous les êtres. Ou bien il s'échappe vers le haut, dans un suprême pinacle, un infini, une éternité d'existence pure, indépendante de son existence cosmique ou individuelle. Perdant son enceinte séparative, l'ego s'effondre dans l'immensité cosmique, ou tombe dans le néant, incapable de respirer sur les cimes de l'éther spirituel. Si, par habitude de la Nature, une partie de ses mouvements subsiste, ceux-ci finissent également par se détacher et sont remplacés par une nouvelle façon personnelle-impersonnelle de voir, de sentir, d'agir. Cette disparition de l'ego n'entraîne pas la destruction de notre individualité vraie, de notre existence spirituelle vraie, qui a toujours été universelle et une avec la Transcendance; mais il y a une transformation,'et l'ego séparateur est remplacé par le notre, visage et symbole conscients de l'être universel, moi et pouvoir du Divin transcendant dans la Nature cosmique.
Dans le même mouvement, et du fait de cet éveil en l'esprit, l'ignorance cosmique se dissout, car nous nous connaissons en tant que moi intemporel qui se possède dans le cosmos et au-delà du cosmos; cette connaissance devient la base du Jeu Divin dans le temps, réconcilie l'un et le multiple, l'unité éternelle et l'éternelle multiplicité, réunit l'âme à Dieu et découvre le Divin dans l'univers. C'est par cette réalisation que nous pouvons nous approcher de l'Absolu comme origine de toutes les circonstances et de toutes les relations, posséder le monde en nous-mêmes dans sa plus vaste étendue, tout en demeurant consciemment
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relié à sa source et, en l'intégrant ainsi, l'élever et réaliser à travers lui les valeurs absolues qui convergent en l'Absolu. Si notre connaissance de nous-mêmes est ainsi parachevée dans tous ses éléments essentiels, notre ignorance pratique — qui prend les formes extrêmes du méfait, de la souffrance, du mensonge et de l'erreur, et qui est la cause de toutes les confusions et discordes de la vie —, fera place à la volonté juste de se connaître. Ses valeurs fausses ou imparfaites reculeront alors devant les valeurs divines de la vraie Conscience-Force et du vrai Ânanda. La conscience juste, l'action juste, l'existence juste — non au sens humain et imparfait de notre petite morale humaine, mais dans le mouvement large et lumineux d'une existence divine —, ont pour conditions l'union avec Dieu, l'unité avec tous les êtres, une vie gouvernée et formée du dedans vers le dehors, où la source de toute pensée de toute volonté, de toute action soit l'Esprit œuvrant selon la vérité et la loi divine qui ne sont pas élaborées et construites par le mental d'Ignorance, mais existent en soi et s'accomplissent spontanément — moins une loi que la vérité agissant dans sa propre conscience et suivant le processus libre, lumineux, plastique et automatique de sa connaissance.
Tels sembleraient être la méthode et le résultat de l'évolution spirituelle consciente : une transformation de la vie de l'Ignorance en la vie divine de l'esprit conscient de la vérité, un changement du mode d'être mental en un mode d'être spirituel et supramental, une expansion du moi hors de l'ignorance septuple jusqu'en la septuple connaissance. Cette transformation serait l'aboutissement naturel du processus ascendant de la Nature, à mesure qu'elle élève les forces de la conscience d'un principe à un principe supérieur, jusqu'à ce que le plus haut, le principe spirituel, s'exprime et prédomine en elle, intègre en sa vérité l'existence cosmique et l'existence individuelle des plans inférieurs et transforme tout en une manifestation consciente de l'Esprit. L'individu vrai, l'être spirituel émerge, individuel et cependant universel, universel et transcendant pourtant le moi : la vie n'apparaît plus comme une formation de choses et une action de l'être créées par l'Ignorance séparatrice.
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Ils ont une fin, ces corps d'une âme incarnée qui est éternelle; (...) elle ne naît ni ne meurt et il n'est pas vrai qu'ayant été elle ne sera plus. Elle est non née, ancienne, sempiternelle; elle n'est pas tuée lorsqu'est tué le corps. De même qu'un homme rejette ses vêtements usés et en prend de neufs, de même l'être incarné se dépouille de ses corps, et s'unit à des corps nouveaux. Certaine est la mort de ce qui naît, et certaine la naissance de ce qui meurt.
Gîta. II. 18; 2'0; 22,27.
Il y aune naissance et une croissance du moi. Suivant ses actes, l'être incarné revêt des formes successives en de multiples lieux; par la force des qualités propres à sa nature, il revêt des formes multiples, grossières et subtiles.
Shvetâshvatara Upanishad. V. 11,12.
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La naissance est le premier mystère spirituel de l'univers physique ; la mort est le second, qui donne un double nœud de perplexité au mystère de la naissance ; car la vie — qui serait autrement un fait de l'existence évident en soi — devient elle-même un mystère en vertu de ces deux choses qui semblent en être le début et la fin et qui, pourtant, se trahissant de mille façons, se révèlent n'être ni l'un ni l'autre, mais plutôt des étapes intermédiaires dans un processus occulte de la vie. À première vue, la naissance paraît être un constant jaillissement de vie dans une mort générale, une circonstance persistante dans l'universelle absence de vie de la Matière. Quand on l'examine de plus près, il commence à paraître plus probable que la vie est quelque chose d'involué dans la Matière, ou même un pouvoir inhérent de l'Énergie qui crée la Matière, mais qui ne peut apparaître que lorsque sont réunies les conditions nécessaires pour qu'elle puisse affirmer ses phénomènes caractéristiques et s'organiser de façon adéquate. Mais il y a, dans la naissance de la vie, quelque chose de plus qui participe à l'émergence — il y a un élément qui n'est plus matériel, un puissant soulèvement d'une flamme d'âme, une première vibration évidente de l'esprit.
Toutes les circonstances et toutes les conséquences connues de la naissance présupposent un inconnu antérieur ; et il y a, dans la vie, une suggestion d'universalité, une volonté de persistance, et, dans la mort, quelque chose d'inachevé, qui semblent indiquer un inconnu par-delà. Qu'étions-nous avant de naître ? Que sommes-nous après la mort ? Ces questions — dont les réponses sont intimement liées —, l'intellect humain se les est posées dès le début, mais il n'est encore parvenu à -aucune solution définitive. L'intellect, à dire vrai, est bien incapable de donner la réponse définitive, car celle-ci doit nécessairement se trouver par-delà les données de la conscience et de la mémoire physiques, qu'elles concernent l'espèce ou l'individu. Or ces données sont justement les seules que l'intellect ait l'habitude de consulter avec quelque
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confiance. Devant cette pénurie d'informations et cette incertitude, il tourne en rond, passant d'une hypothèse à l'autre, hypothèses qui, tour à tour, deviennent pour lui des conclusions. En outre, la solution dépend de la nature, de la source et du dessein du mouvement cosmique, et nous ne pourrons donc rien conclure, à propos de la naissance et de la vie et de la mort, de ce qui précède la naissance et de ce qui suit la mort, sans en avoir déterminé le sens.
La première question qui se pose est de savoir si l'avant et l'après sont d'ordre purement physique et vital ou, d'une certaine manière, principalement mental et spirituel. Si la Matière était le principe de l'univers, comme le prétend le matérialiste, s'il fallait trouver la vérité des choses dans la première formule à laquelle parvint Bhrigu, fils de Varuna, lorsqu'il médita sur le Brahman éternel : " La Matière est l'Éternel, car de la Matière tous les êtres naissent, par la Matière ils existent et à la Matière ils s'en retournent ", alors il serait impossible de s'interroger davantage. Avant de naître, nos corps rassembleraient leurs éléments constitutifs à partir de divers éléments physiques, au moyen de la semence et de la nourriture et sous l'influence, peut-être, d'énergies occultes mais toujours matérielles, tandis que notre être conscient subirait une préparation, par l'hérédité ou par quelque autre opération physiquement vitale ou physiquement mentale dans la Matière universelle, spécialisant son action et construisant l'individu par l'entremise du corps de nos parents, de la semence, des gènes et des chromosomes. Après la mort, le corps serait dissous en les éléments matériels, et l'être conscient serait replongé dans la Matière, bien que certains effets de son activité puissent survivre dans la mentalité et la vie générales de l'humanité ; cette survivance bien illusoire serait notre seul espoir d'immortalité. Mais puisqu'on ne peut plus prétendre que l'universalité de la Matière suffise à expliquer l'existence du Mental — et en vérité, la Matière elle-même ne peut plus s'expliquer par la Matière seule, car elle ne semble pas exister en soi —, nous devons rejeter cette solution facile et par trop évidente, et nous tourner vers d'autres hypothèses.
L'une d'entre elles est le vieux mythe religieux, l'ancien mystère dogmatique d'un Dieu qui, sans cesse, crée des âmes immortelles hors de son être, ou encore par son " souffle " ou son pouvoir-de-vie qui, il faut le supposer, pénètre dans la Nature matérielle, ou plutôt dans les corps qu'il crée en elle, et les vivifie intérieurement par un principe
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spirituel. Comme mystère de la foi, cette hypothèse peut se justifier et il n'est pas nécessaire de l'examiner, les mystères de la foi étant par vocation au-delà de toute question et de toute analyse; mais pour la raison et la philosophie, elle n'est guère convaincante et ne s'accorde pas à l'ordre connu des choses. Elle renferme en effet deux paradoxes qu'il est nécessaire de mieux justifier avant même de pouvoir les prendre en considération : d'abord, la création incessante d'êtres qui ont un commencement dans le temps mais pas de fin et, de surcroît, naissent quand naît le corps mais ne meurent pas avec lui ; ensuite, le fait que ces êtres assument une masse préfabriquée de qualités, de vertus, de vices, de capacités, de défauts, d'avantages et de handicaps caractériels et autres, qui se combinent et sont le résultat non de leur croissance, mais d'un fiât arbitraire — sinon d'une loi de l'hérédité — qui leur est imposé ; et pourtant, le Créateur les en tient responsables, et s'attend à ce qu'ils en fassent un parfait usage.
Nous pouvons — du moins provisoirement — considérer certains arguments comme des suppositions légitimes de la raison philosophique, et, en toute honnêteté, laisser à ceux qui les nient le soin de les réfuter. Parmi ces postulats, se trouve le principe selon lequel ce qui n'a pas de fin ne peut pas avoir eu de commencement; tout ce qui commence, ou tout ce qui est créé a une fin lorsque cesse le processus qui l'a créé et le maintient, ou lorsque se dissolvent les matériaux dont cette chose est composée, ou encore lorsque s'achève la fonction pour laquelle elle a pris naissance. S'il y a une exception à cette loi, ce doit être dû à une descente de l'esprit dans la matière, animant la matière par la divinité ou donnant à la matière son immortalité ; mais l'esprit même qui descend ainsi est immortel, il n'est ni construit ni créé. Si l'âme était créée pour animer le corps, si elle dépendait du corps pour venir à l'existence, cette existence ne pourrait avoir de raison d'être ou de fondement après la disparition du corps. Il faut naturellement supposer que le souffle ou le pouvoir donné pour animer le corps retournerait, lors de sa dissolution finale, à son Créateur. S'il persiste au contraire en tant qu'être immortel incarné, il doit y avoir un corps subtil ou psychique en lequel il continue d'exister, et il est raisonnablement certain que ce corps psychique et son habitant doivent préexister au véhicule matériel. Il est irrationnel de supposer qu'ils ont été créés à l'origine pour habiter cette forme fugitive et périssable. Un être immortel ne peut être le produit d'un incident aussi éphémère dans la création. Si l'âme demeure, mais désincarnée,
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alors elle ne peut avoir eu, au commencement, à dépendre d'un corps pour exister; elle a dû subsister comme esprit non incarné avant la naissance, de même qu'elle persiste comme entité spirituelle désincarnée après la mort.
. Nous pouvons aussi postuler que tout stade de développement observé dans le Temps, doit avoir eu un passé. Par conséquent, si l'âme entre dans cette vie dotée d'une personnalité déjà développée, elle doit l'avoir préparée dans d'autres vies antérieures, ici ou ailleurs. Ou, si elle ne fait que reprendre une vie et une personnalité toutes faites, qu'elle n'a pas préparées elle-même, mais qui l'ont été, peut-être, par une hérédité physique, vitale et mentale, elle doit être elle-même quelque chose de tout à fait indépendant de cette vie et de cette personnalité, qui n'est relié que fortuitement au mental et au corps et ne peut donc être réellement affecté par ce qui est fait ou développé dans cette existence mentale et corporelle. Si l'âme est réelle et immortelle, si elle n'est pas un être fabriqué ou symbolique, elle doit aussi être éternelle, sans commencement dans le passé et sans fin dans l'avenir; et si elle est éternelle, elle doit être un moi permanent qui n'est pas affecté par la vie et ses conditions, ou bien un Purusha intemporel, une Personne spirituelle éternelle qui manifeste ou génère dans le temps le courant d'une personnalité changeante. Si elle est une telle Personne, elle ne peut manifester ce courant de personnalité dans un monde de naissance et de mort qu'en revêtant des corps successifs — en un mot, par une renaissance constante ou répétée dans les formes de la Nature.
Mais l'immortalité ou l'éternité de l'âme ne s'impose pas d'emblée, même si nous refusons d'expliquer toutes choses par la Matière éternelle. Car selon une autre hypothèse, une âme temporaire ou apparente serait créée par quelque pouvoir de l'Unité originelle dont procèdent toutes choses, par laquelle elles vivent et en laquelle elles prennent fin. D'une part, sur la base de certaines idées ou découvertes récentes, nous pouvons édifier la théorie d'un Inconscient cosmique créant une âme temporaire, une conscience qui, après un jeu de courte durée, s'éteint et retourne dans l'Inconscient. Ou bien il peut y avoir un Devenir éternel qui se manifeste dans une force-de-Vie cosmique, l'apparition de la Matière étant la finalité objective de ses opérations, et l'apparition du Mental sa finalité subjective, l'interaction de ces deux phénomènes de la force-de-Vie créant notre existence humaine. Nous avons d'autre part
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l'ancienne théorie d'un Supraconscient qui seul existe, d'un Être éternel et non modifiable qui admet la possibilité, ou par Sa Maya nous donne l'illusion, d'une vie de l'âme individuelle en ce monde de Matière et de Mental phénoménaux, tous deux étant en fin de compte irréels — même s'ils possèdent ou assument une réalité temporaire et phénoménale —, puisqu'un Moi ou Esprit unique, non modifiable et éternel est la seule entité. Il y a aussi la théorie bouddhique d'un Néant ou Nirvana, et, superposée en quelque sorte, l'action ou l'énergie éternelles d'un devenir successif. Karma, qui crée l'illusion d'une permanence du moi ou de l'âme par une continuité ininterrompue d'associations, d'idées, de souvenirs, de sensations, d'images. Si l'on considère leur effet sur le problème de la vie, ces trois explications n'en font pratiquement qu'une, car même le Supraconscient est, pour les desseins de l'action universelle, un équivalent de l'Inconscient ; il ne peut avoir conscience que de sa propre existence en soi immuable. La création d'un monde d'êtres individuels par la Maya se superpose à cette, existence en soi ; elle se produit peut-être dans une sorte de sommeil de la conscience absorbé en lui-même, sushupti,¹ d'où émergent pourtant toute conscience active et toute modification du devenir phénoménal, exactement comme dans la théorie moderne notre conscience est un développement impermanent issu de l'Inconscient. Dans les trois théories, l'âme apparente, l'individualité spirituelle de la créature, n'est pas immortelle dans le sens d'une éternité, elle a un commencement et une fin dans le Temps ; elle est créée par la Maya ou par la Force de la Nature, ou par l'Action cosmique, à partir de l'Inconscient ou du Supraconscient et, dès lors, son existence est impermanente. Dans les trois théories, la renaissance est soit inutile, soit illusoire ; elle est le prolongement d'une illusion par répétition, ou un rouage additionnel qui tourne parmi les nombreuses roues du mécanisme complexe du Devenir, ou encore elle se trouve exclue, une seule naissance étant tout ce que peut réclamer un être conscient engendré par hasard et faisant partie d'une création inconsciente.
Dans ces conceptions, que nous considérions l'Existence éternelle et unique comme un Devenir vital ou un Être spirituel immuable et non modifiable, ou comme un Non-Être sans nom ni forme, ce que nous appelons l'âme ne peut être qu'une masse changeante ou un courant de
¹Le Prâjña de la Mândûkya Upanishad; le Moi situé dans le sommeil profond, est le seigneur et créateur des choses.
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phénomènes de conscience qui est né dans l'océan d'un devenir réel ou illusoire et cessera d'y exister — ou peut-être est-ce un substrat spirituel temporaire, un reflet conscient de l'Éternel supraconscient qui, par sa présence, soutient la masse des phénomènes. Elle n'est pas éternelle, et sa seule immortalité est une continuité plus ou moins grande dans le Devenir. Elle n'est pas une Personne réelle et toujours existante qui maintient le flux ou la masse des phénomènes et en fait l'expérience. Ce qui les soutient, ce qui existe réellement et toujours, c'est ou bien le Devenir unique et éternel, ou bien l'Être unique, éternel et impersonnel, ou bien encore le courant continuel du jeu de l'Énergie. Dans une théorie de ce genre, il n'est pas indispensable qu'une entité psychique, toujours la même, persiste et revête corps après corps, forme après forme, jusqu'à ce qu'elle soit enfin dissoute par quelque processus annulant complètement l'élan originel qui a créé ce cycle. Il est tout à fait possible qu'en même temps que la forme, se développe une conscience "correspondant à cette forme, et que lorsque la forme se dissout, la conscience correspondante se dissolve également. Seul perdure l'Un qui forme tout. Ou bien, de même que le corps est constitué à partir des éléments généraux de la Matière, et que sa vie commence à la naissance et se termine à la mort, de même se peut-il que la conscience soit élaborée à partir des éléments généraux du mental et qu'elle aussi commence avec la naissance pour finir avec la mort. Là encore, l'Un qui, par la Maya ou autrement, fournit la force qui crée les éléments, est la seule réalité permanente. Dans aucune de ces théories de l'existence, la renaissance n'est une nécessité absolue ni un résultat inévitable.¹
Mais en réalité, nous constatons une grande différence, car les anciennes théories affirment que la renaissance fait partie du processus universel — ce que nient les théories modernes. La pensée moderne considère que le corps physique est la base de notre existence et ne reconnaît de réalité à nul autre monde qu'à cet univers matériel. Ce qu'elle voit ici, c'est une conscience mentale associée à la vie du corps, qui, à sa naissance, ne donne aucun signe d'une existence individuelle antérieure, et ne laisse, à la fin, aucun signe d'une existence individuelle
¹Dans la théorie bouddhique, la renaissance est inévitable, à cause du Karma; ce n'est pas l'âme, mais le Karma qui sert de lien dans une conscience apparemment continue — car en fait la conscience change à chaque instant : il y a cette continuité apparente de la conscience, mais pas réellement d'âme immortelle qui naisse et passe par la mort du corps pour renaître dans un autre corps.
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ultérieure. Ce qu'il y avait avant la naissance, c'est l'énergie matérielle avec sa semence de vie, ou tout au plus une énergie de la force-de-vie qui persiste dans la semence transmise par les parents et qui, par la mystérieuse infusion de ses développements passés dans ce véhicule insignifiant, donne une empreinte mentale et physique particulière au nouveau corps et au nouveau mental individuels créés de façon aussi étrange. Ce qui subsiste après la mort, c'est la même énergie matérielle ou;la; même force-de-vie persistant dans la semence transmise aux enfants et qui agit pour le développement ultérieur de la vie mentale et physique qu'elle apporte. Rien ne reste de nous, hormis ce que nous transmettons ainsi aux autres ou ce que l'Énergie — qui a formé l'individu par son action préexistante et environnante, par la naissance et le milieu — peut emporter, comme fruit de sa vie et de ses œuvres, dans son action future. Seul survit ce qui, par hasard ou en raison de quelque loi physique, peut aider à former les éléments et les milieux mentaux et vitaux d'autres individus. Derrière ces phénomènes tant mentaux que physiques, il y a peut-être une Vie universelle dont nous sommes les devenirs individualisés, évolutifs et phénoménaux. Cette Vie universelle crée un monde réel et des êtres réels, mais la personnalité consciente de ces êtres n'est pas, ou du moins n'a pas besoin d'être le signe ou la forme de conscience d'une âme éternelle ou même durable, ou d'une Personne supraphysique : rien dans cette formule de l'existence ne nous oblige à croire en une entité psychique qui subsiste après la mort du corps. Il ne reste dès lors plus aucune raison — et fort peu de place — pour admettre la renaissance dans l'ordre des choses.
Mais qu'en serait-il si, avec l'accroissement de nos connaissances, et comme certaines recherches et découvertes semblent le présager, nous nous apercevions que l'être mental ou l'entité psychique en nous ne dépendent pas aussi complètement du corps que nous l'avions d'abord et naturellement conclu en nous fondant sur la seule étude des données de l'existence physique et de l'univers physique ? Si nous découvrions que la personnalité humaine survit à la mort du corps et se meut entre d'autres plans et cet univers matériel ? Il faudrait alors que la conception moderne prédominante, qui suppose une existence consciente temporaire, s'élargisse et admette une Vie dont le champ est plus vaste que l'univers physique, et admette également une individualité personnelle qui ne dépende pas du corps matériel. Pratiquement, il lui faudrait peut-être reprendre l'ancienne conception d'une forme subtile ou d'un
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corps subtil habité par l'entité psychique. Une entité psychique ou âme, porteuse de la conscience mentale, ou, si une telle âme originelle n'existe pas, un individu mental évolué, permanent, subsisterait après la mort dans cette forme subtile, et permanente elle aussi, qui aurait été nécessairement créée pour lui, soit avant cette naissance, soit par la naissance elle-même ou pendant la vie. Car, ou bien une entité psychique préexiste en d'autres mondes dans une forme subtile, et l'emporte avec elle pour son bref séjour terrestre, ou bien l'âme se développe ici, dans le monde matériel lui-même, tandis qu'un corps psychique se développe suivant la progression de la Nature, et subsiste après la mort en d'autres mondes ou en se réincarnant sur terre. Ce seraient les deux seules explications possibles.
Une Vie universelle évolutive peut avoir élaboré sur terre la personnalité croissante qui est à présent devenue nous-mêmes, avant même d'entrer dans un corps humain. L'âme en nous peut avoir évolué dans des formes inférieures de vie avant que l'homme n'ait été créé. Dans ce cas, notre personnalité aurait auparavant habité des formes animales, et le corps subtil serait une formation plastique portée de naissance en naissance, mais s'adaptant à toute forme physique que peut habiter l'âme. Ou bien la Vie évolutive a peut-être le pouvoir de construire une personnalité capable de survivre, mais seulement dans la forme humaine, une fois que celle-ci a été créée. Cela se produirait par la force d'une soudaine croissance de la conscience mentale ; une enveloppe de substance mentale subtile pourrait en même temps se développer et contribuer à individualiser cette conscience mentale, et lui servirait alors de corps intérieur, tout comme la forme physique grossière est organisée de manière à individualiser et abriter à la fois le mental et la vie de l'animal. Dans la première hypothèse, nous devons admettre que l'animal, lui aussi, survit à la dissolution du corps physique et possède une certaine formation d'âme qui, après la mort, occupe d'autres formes animales sur la terre et, finalement, un corps humain. Il n'est guère vraisemblable, en effet, que l'âme animale quitte la terre et pénètre en des plans de vie autres que le plan physique, et revienne continuellement ici-bas jusqu'à ce qu'elle soit prête pour une incarnation humaine. L'individualisation consciente de l'animal ne semble pas suffisante pour supporter un tel transfert ou s'adapter à une existence en d'autres mondes. Dans la seconde hypothèse, la capacité de survivre ainsi à la mort du corps physique en passant dans d'autres états d'existence, ne se manifesterait
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qu'au stade humain de l'évolution. Si l'âme n'est pas une personnalité élaborée par la Vie au cours de l'évolution, mais une réalité permanente non évolutive, dont la vie et le corps terrestres sont le champ nécessaire, alors il faudrait admettre effectivement la théorie de la renaissance conçue comme une transmigration, au sens pythagoricien. Mais si elle est une entité évolutive persistante, capable de dépasser le stade terrestre, alors la conception indienne d'un passage en d'autres mondes et d'un retour à la naissance terrestre deviendrait possible et hautement probable. Mais elle ne serait pas inévitable, car on pourrait supposer que la personnalité humaine, une fois capable d'atteindre d'autres plans, n'a pas besoin d'en revenir. En l'absence de quelque raison supérieure impérative, elle poursuivrait naturellement son existence sur le plan plus élevé qu'elle aurait atteint : elle en aurait fini avec l'évolution de la vie sur terre. Il faudrait que nous soyons confrontés à des preuves réelles d'un retour sur la terre pour qu'une hypothèse plus vaste s'impose et nous oblige à admettre le fait, de la renaissance récurrente dans des formes humaines.
Mais même alors, la théorie vitaliste qui en découle n'a nul besoin de se spiritualiser, nul besoin d'admettre l'existence réelle d'une âme, ni dé son immortalité, ni de son éternité. Elle pourrait encore considérer la personnalité comme une création phénoménale de la Vie universelle due à l'interaction de la conscience-de-vie d'une part, de la forme et de la force physiques de l'autre, mais avec une action mutuelle plus vaste, plus variable et plus subtile, et une histoire différente de celle qu'elle avait d'abord crue possible. Elle pourrait même arriver à une sorte de bouddhisme vitaliste, admettant le Karma, mais n'y voyant que l'action d'une force-de-Vie universelle. Elle admettrait comme l'une de ses conséquences la continuité du courant de la personnalité dans les renaissances par association mentale, mais pourrait refuser tout moi réel à l'individu, ou tout être éternel autre que ce Devenir vital perpétuellement actif. Elle pourrait aussi, obéissant à une nouvelle tendance de la pensée qui commence tout juste à s'affirmer, admettre qu'un Moi universel, un Esprit cosmique, est la réalité primordiale dont la Vie est le pouvoir ou l'agent, et parvenir ainsi à une forme de monisme vital spiritualisé. Dans cette théorie aussi, une loi de la renaissance serait possible, mais non impérative. La renaissance pourrait être un fait phénoménal, une loi réelle de la vie, mais elle ne serait pas un résultat logique de la théorie de l'être et sa conséquence inéluctable.
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L'Advaïta du Mâyâvâda, comme le bouddhisme, est parti de la croyance déjà bien établie — et qui faisait partie du fonds d'un très ancien savoir — en des plans et des mondes supraphysiques et en un échange entre ces plans et les nôtres déterminant un passage hors de la terre et — mais cette découverte semble avoir été plus récente — un retour sur terre de la personnalité humaine. En tout cas, leur pensée s'appuyait sur une ancienne perception, voire une ancienne expérience, ou du moins une tradition séculaire d'un avant et d'un après pour la personnalité qui n'était pas limitée à l'expérience de l'univers physique. Ils se fondaient en effet sur une vision du moi et du monde qui faisait de la conscience supraphysique le phénomène primordial, et de l'être physique un simple phénomène secondaire et subordonné. C'est autour de ces données qu'ils durent déterminer la nature de la Réalité éternelle et l'origine du devenir phénoménal. Il fut donc admis que la personnalité passe de ce monde en d'autres mondes et revient sur la terre pour y revêtir une nouvelle forme de vie ; mais cette conception de la renaissance n'était pas, du point de vue bouddhique, la vraie renaissance d'une vraie Personne spirituelle dans les formes de l'existence matérielle. Dans la conception ultérieure de l'Advaïta, la réalité spirituelle existe bien, mais son individualité apparente et, par conséquent, sa naissance et sa renaissance font partie d'une illusion cosmique, d'une construction trompeuse mais effective de ta Maya universelle.
La pensée bouddhique niait l'existence du Moi, et la renaissance ne pouvait signifier qu'une continuité des idées, des sensations et des actions constituant un mouvement individuel fictif entre différents mondes ou, si l'on veut, entre des plans de l'idée; et de la sensation différemment organisés; car en fait, seule la continuité consciente du flux crée le phénomène du moi et le phénomène de la personnalité. Dans le Mâyâvâda advaïtin, on admit un Jîvâtman, un moi individuel, et même un moi réel de l'individu ' ; mais cette concession au langage courant et à nos idées habituelles finit par n'être qu'apparente. Il s'avère en effet qu'il n'y a pas d'individu réel et éternel, pas de " je " ou de " toi ", et qu'il ne peut donc y avoir de moi réel de l'individu, ni même de vrai moi universel, mais seulement un Moi en dehors de l'univers, 'à jamais non né, à jamais non modifié, à jamais non affecté par les
¹Dans cette conception, le Moi est un, il ne peut être multiple ni se multiplier. Il ne peut donc y avoir de véritable individu, tout au plus un Moi unique omniprésent qui anime chaque mental et chaque corps avec l'idée d'un " je ".
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mutations phénoménales. La naissance, la vie, la mort, toute la masse de l'expérience individuelle et cosmique, nous apparaissent, en dernière analyse, comme une simple illusion ou un phénomène temporaire; la servitude et la libération elles-mêmes ne peuvent être qu'une semblable illusion, et faire partie des phénomènes temporels : elles se réduisent à la continuité consciente des expériences illusoires de l'ego, lui-même une création de la grande Illusion, et à la cessation de la continuité et de la conscience dans la supraconscience de Cela qui, seul, était, est et à jamais sera, ou plutôt qui n'a rien à faire avec le Temps,est à: jamais non né, hors du temps, ineffable.
Dans là vision vitaliste des choses, il y a donc un univers réel et un devenir réel, encore que très temporaire, de la vie individuelle, et même s'il n'existe pas de Purusha permanent, cela donne néanmoins une importance considérable à notre expérience et à nos actions individuelles -— car c'est dans un devenir réel qu'elles ont vraiment un effet. Dans la théorie du en naissance, en revanche, ces choses n'ont pas d'importance réelle ou d'effet véritable, ou pas plus qu'elles n'en auraient dans un rêve. En effet, la libération elle-même n'a lieu que dans le rêve ou l'hallucination cosmiques, une fois l'illusion reconnue et le mental et le corps individualisés abolis; en réalité, nul n'est enchaîné et nul n'est libéré, car le Moi, qui seul existe, n'est pas affecté par les illusions de l'ego. Pour échapper à une stérilité dévastatrice, qui en serait la conséquence logique, nous devons prêter une réalité pratique, si fausse qu'elle s'avère en définitive, à cette conséquence de rêve et une importance immense à notre servitude et à notre libération individuelle, même si la vie de l'individu n'est que phénoménale et même si, pour le Moi unique et réel servitude et libération ne sont et ne peuvent être que non existantes. Dans cette concession forcée au mensonge tyrannique de la Maya, la vie et l'expérience n'ont de véritable importance que dans la mesure où elles préparent la négation de la vie, l'élimination de l'individu par lui-même, la fin de l'illusion cosmique.
Cependant, ce sont là une conception et une conséquence extrêmes de la thèse moniste, et le védantisme plus ancien de l'Advaïta, qui part des Upanishad, ne va pas si loin. Il admet un devenir actuel et temporel de l'Éternel, et donc un univers réel. L'individu revêt lui aussi une réalité suffisante, car chaque individu est en soi l'Éternel qui a assumé un nom et une forme et soutient, à travers cet individu, les expériences de la
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vie, tournant sur la roue toujours en mouvement de la naissance dans la manifestation. Ce qui fait tourner la roue, c'est le désir de l'individu, qui devient ainsi la cause effective de la renaissance, et le mental qui se détourne de la connaissance du moi éternel pour se préoccuper du devenir temporel. Lorsque cessent ce désir et cette ignorance, l'Éternel dans l'individu se retire des mutations de la personnalité et de l'expérience individuelles et retourne en son être intemporel, impersonnel et immuable.
Mais cette réalité de l'individu est tout à fait temporelle ; elle n'a pas de base durable, pas même de récurrence perpétuelle dans le Temps. Bien qu'elle soit une réalité très importante dans cette explication de l'univers, la renaissance n'est pas une conséquence inévitable du rapport entre l'individualité et le but de la manifestation. La manifestation, en effet, ne semble avoir d'autre objet que la volonté de l'Éternel de créer le monde, et elle ne peut prendre fin que si cette volonté se retire ; cette volonté cosmique pourrait s'accomplir sans aucun mécanisme de renaissance et sans le désir de l'individu pour la maintenir; son désir, en effet, ne peut être qu'un ressort du mécanisme, il ne saurait être la cause ou la condition nécessaire de l'existence cosmique, puisque dans cette conception, l'individu est lui-même un résultat de la création et ne préexiste pas au Devenir. La volonté de création pourrait alors s'accomplir en assumant temporairement une individualité en chaque nom et chaque forme, unique vie de nombreux individus impermanents. L'unique conscience se façonnerait suivant le type de chaque être créé, mais elle pourrait fort bien commencer en chaque corps individuel avec l'apparition de la forme physique et prendre fin avec elle. L'individu succéderait à l'individu, comme la vague à la vague, l'océan demeurant toujours identique,¹ chaque formation d'être conscient surgirait de l'universel, roulerait pendant le temps qui lui est imparti, et s'immergerait à nouveau dans le Silence. La nécessité, pour un tel dessein, d'une
¹Dans son livre sur la pensée indienne, le Dr Schweitzer affirme que telle était la vraie signification de l'enseignement des Upanishad, et que la renaissance est une invention ultérieure. Mais il existe de nombreux passages importants dans presque toutes les Upanishad où l'idée de renaissance est clairement énoncée, et de toutes façons elles admettent que la personnalité survit après la mort et passe dans d'autres mondes, ce qui est incompatible avec une telle interprétation. S'il y a survie dans d'autres mondes, et si les âmes incarnées ici-bas sont destinées à atteindre finalement la libération dans le Brahman, alors la renaissance s'impose et il n'y a pas de raison de supposer que c'est une théorie plus récente. L'auteur, évidemment influencé par la philosophie occidentale et ses associations, donne un sens simplement panthéiste à la pensée plus subtile et complexe de l'ancien Védânta.
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conscience individualisée continue, persistante, revêtant nom après nom et forme après forme, allant et venant d'un plan à l'autre, n'est pas évidente et même sa possibilité ne s'impose pas catégoriquement; il y a encore moins de place pour un progrès évolutif se poursuivant inéluctablement dans des formes de plus en plus développées, comme doit le supposer toute théorie de la renaissance qui affirme que l'involution et l'évolution de l'Esprit dans la Matière constituent la formule significative de notre existence terrestre.
Il est concevable que l'Éternel ait réellement pu choisir de se manifester, ou plutôt de se dissimuler ainsi dans le corps; il peut avoir voulu devenir ou prendre l'apparence d'un individu passant de la naissance à la mort et de la mort à une nouvelle vie en un cycle d'existence humaine et animale durable et récurrente. L'Être unique personnalisé passerait par diverses formes de devenir selon sa fantaisie ou suivant quelque loi des conséquences de l'action, jusqu'à ce qu'une illumination, un retour a l'Unité, un retrait du Seul et Identique hors de cette individualisation particulière y mette fin. Mais aucune Vérité déterminante, originelle et finale, ne donnerait à un tel cycle une quelconque signification. Rien ne le rendrait nécessaire ; ce serait seulement un jeu, une Lîlâ. Cependant, si l'on admet que l'Esprit s'est involué dans l'Inconscience et se manifeste dans l'être individuel suivant une gradation évolutive, alors tout le processus prend un sens et devient cohérent : l'ascension progressive de l'individu devient la note dominante de ce sens cosmique, et la renaissance de l'âme dans le corps devient une conséquence naturelle et inévitable de la vérité du Devenir et de sa loi inhérente. La renaissance est un mécanisme indispensable à l'accomplissement d'une évolution spirituelle ; c'est la seule condition effective possible, le processus dynamique évident d'une telle manifestation dans l'univers matériel.
Selon nous, et c'est ainsi que s'explique l'évolution dans la Matière, l'univers est un processus de création de soi d'une Réalité suprême dont la présence fait de l'esprit la substance des choses — toutes choses existent en lui en tant que pouvoirs, moyens et formes de la manifestation de l'Esprit. Une existence infinie, une conscience infinie, une force et une volonté infinies, une joie d'être infinie, sont la secrète Réalité derrière les apparences de l'univers; son Supramental divin ou Gnose divine a arrangé l'ordre cosmique, mais indirectement, par l'intermédiaire des .trois termes subordonnés et limitatifs, dont. nous sommes conscients ici :
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le Mental, la Vie et la Matière. L'univers matériel est le stade le plus bas d'une plongée de la manifestation, d'une involution de l'être manifesté de cette Réalité tri-une en une apparente nescience de soi, que nous appelons maintenant l'Inconscient ; mais l'évolution, hors de la nescience, dé cet être manifesté vers une conscience de soi recouvrée était, dès le début, inévitable. Inévitable parce que ce qui est involué doit évoluer ; en effet, cet être n'est pas là seulement comme une existence, comme une force cachée dans son contraire apparent — et toute force de ce genre, en sa nature la plus profonde, est nécessairement poussée à se trouver, à se réaliser, à se libérer dans le jeu —, il est la réalité de ce qui le dissimule, il est le moi que la Nescience a perdu, et c'est pourquoi tout le sens secret, la tendance constante de son action doivent être de le rechercher et de le recouvrer. Or c'est l'être individuel conscient qui rend cela possible; c'est en lui que la conscience évolutive s'organise et devient capable de s'éveiller à sa propre Réalité. L'immense importance de l'être individuel, qui augmente à mesure qu'il s'élève dans l'échelle, est le fait le plus remarquable et le plus significatif d'un univers qui a commencé sans conscience ni individualité dans une Nescience indifférenciée. Cette importance ne peut se justifier que si le Moi en tant qu'individu n'est pas moins réel que le Moi en tant qu'Être ou Esprit cosmique, et que s'ils sont tous deux des pouvoirs de l'Éternel. Ainsi seulement peut-on expliquer le fait que la croissance de l'individu et sa découverte de lui-même soient une condition nécessaire à la découverte du Moi et de là Conscience cosmiques, et de la Réalité suprême. Si nous adoptons cette solution, la persistance de l'individu devient une réalité, c'est la première conséquence ; mais une autre en résulte, et c'est qu'une certaine forme de renaissance n'est plus un mécanisme possible, acceptable ou non : elle devient une nécessité, un résultat inévitable de la nature fondamentale de notre existence.
Car il ne suffit plus de supposer qu'un individu illusoire ou temporaire ait été créé dans chaque forme par le jeu de la conscience; on ne peut plus concevoir l'individualité comme un accompagnement du jeu de la conscience sous la forme d'un corps, qui peut ou non survivre à la forme, prolonger ou non la fausse continuité de son moi de forme en forme, de vie en vie, mais n'a certainement aucun besoin de le faire. Dans ce monde, ce que nous croyons voir tout d'abord, c'est un individu prenant la place d'un autre individu sans aucune continuité : la forme se dissout, l'individualité fausse ou transitoire se dissout en même
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temps, tandis que seule l'Énergie universelle ou quelque Être universel demeure à jamais; il se pourrait très bien que cela soit tout le principe de la manifestation cosmique. Mais si l'individu est une réalité persistante, une part ou un pouvoir éternels de l'Éternel, si la croissance de sa conscience est le moyen par lequel l'Esprit dans les choses dévoile son être, le cosmos se révèle être une manifestation conditionnée du jeu de l'Un éternel dans l'être de naissance avec l'éternel Multiple. Alors, a l'abri derrière tous les changements de notre personnalité, soutenant le flot de ses mutations, il doit y avoir une Personne vraie, un Individu spirituel réel, un Purusha véritable. L'Un étendu dans l'universalité existe en chaque être et s'affirme en cette individualité de lui-même. Dans l'individu, il dévoile son existence totale par l'unité avec tous dans l'universalité. Dans l'individu, il dévoile aussi sa transcendance en tant qu'Éternel en qui se fonde toute l'unité universelle. Cette trinité de la manifestation de soi, cette prodigieuse Lîlâ de l'Identité multiple, cette magie de la Maya ou ce miracle protéen de la consciente vérité d'être de l'Infini, est la révélation lumineuse qui, par une lente évolution, émerge de l'Inconscience originelle.
Si cette découverte de soi n'était pas nécessaire, mais que seule existât la jouissance éternelle de ce jeu de l'être de naissance — et cette jouissance éternelle est la nature même de certains états suprêmes de l'existence consciente —, il n'aurait pas été nécessaire que l'évolution et la renaissance entrent en jeu. Mais il y a ,eu involution de cette unité dans le Mental diviseur, une plongée dans cet oubli de soi nous fait perdre le sens toujours présent de l'unité complète, et fait que le jeu de la différence séparatrice — phénoménale, puisque l'unité réelle dans la différence demeure entière à l'arrière-plan — vient au premier plan comme réalité dominante. Ce jeu de la différence a pris la forme extrême du sens de la division lorsque ce Mental diviseur s'est précipité dans une forme corporelle où il devient conscient de lui-même en tant qu'ego séparé. Une involution de la conscience-de-soi dynamique de naissance dans une Nescience phénoménale a fourni une base dense et solide à ce jeu de la division en un monde de formes matérielles séparatrices. C'est cette base dans la Nescience qui assure la division, parce qu'elle s'oppose impérieusement à un retour à la conscience de l'unité; mais, en dépit de son obstruction effective, elle est néanmoins phénoménale et peut prendre fin, car en elle, au-dessus d'elle et la soutenant, est l'Esprit omniconscient, et il s'avère
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que là Nescience apparente n'est qu'une concentration, une action exclusive de la conscience, que sa plongée abyssale et son absorption dans le processus matériel formateur et créateur a jeté dans une transe où elle s'oublie elle-même. Dans un univers phénoménal ainsi créé, là forme séparatrice devient le fondement et le point de départ de toute son action vitale ; c'est pourquoi le Purusha individuel, en élaborant ses relations cosmiques avec l'Un, doit, dans ce monde physique, se fonder sur la forme et revêtir un corps ; c'est de ce corps qu'il doit faire sa propre base et son point de départ pour développer la vie, le mental et l'esprit dans l'existence physique. Revêtir un corps, c'est ce que nous appelons naître, et ce n'est qu'en ce corps et sur la terre que le moi peut se développer, et se déployer le jeu des relations entre l'individu et l'universel et tous les autres individus; ce n'est qu'en lui que, par un développement progressif, notre être conscient peut croître et effectuer la reconquête suprême de son unité avec Dieu et avec tous en Dieu. Toute la somme de ce que nous appelons la Vie dans le monde physique est un progrès de l'âme et s'accomplit par la naissance dans le corps : c'est là son pivot, la condition de son action et de sa continuité évolutive.
La naissance est donc une nécessité de la manifestation du Purusha sur le plan physique ; mais qu'elle soit humaine ou autre, cette naissance ne peut être, en cet ordre cosmique, un accident isolé ou l'excursion soudaine d'une âme dans le physique sans aucune préparation antérieure ni aucun accomplissement futur. Dans un monde d'involution et d'évolution, non de la seule forme physique, mais de l'être conscient, à travers la vie et le mental jusqu'à l'esprit, assumer isolément la vie dans le corps humain ne pourrait être la règle de l'existence de l'âme individuelle ; ce serait là un arrangement dépourvu de sens et sans conséquence, une aberration qui n'a aucune place dans la nature et le système des choses tels qu'ils existent sur terre, une violente contradiction qui romprait le rythme de la manifestation de soi de l'Esprit. L'intrusion d'une telle règle de la vie de l'âme individuelle dans une progression spirituelle évolutive en ferait un effet sans cause et une cause sans effet ; ce serait un présent fragmentaire sans passé ni futur. La vie de l'individu doit avoir le même rythme de signification, la même loi de progression que la vie cosmique ; sa place dans ce rythme ne peut être une intervention fortuite et sans but, ce doit être une instrumentation permanente du dessein cosmique. Dans un ordre de ce genre, nous ne pouvons pas non plus expliquer une apparition isolée, une unique naissance de l'âme
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dans le corps humain — qui serait la première et la dernière expérience du genre — par une existence antérieure en d'autres mondes, avec un avenir qui l'attendrait dans encore d'autres champs d'expérience. Car ici, la vie sur la terre, la vie dans l'univers physique n'est pas et ne peut être un simple perchoir où l'âme se poserait à l'occasion, tandis qu'elle vagabonde de monde en monde ; c'est un grand et lent développement qui nécessite, nous le savons maintenant, d'incalculables espaces dé Temps pour évoluer. La vie humaine n'est elle-même qu'un terme dans une série de degrés par laquelle l'Esprit secret dans l'univers mûrit peu à peu son dessein et, finalement, le réalise grâce à la conscience de l'âme individuelle qui, dans le corps, s'élargit et s'élève. Cette ascension ne peut s'effectuer que par la renaissance dans l'ordre ascendant ; la visite éclair d'une âme individuelle qui s'en irait ailleurs et sur une autre ligne poursuivre son progrès, n'aurait aucune place dans le système de cette existence évolutive.
L'âme humaine, l'individu humain, n'est pas non plus une libre voyageuse qui, capricieusement ou d'un pas léger, se hâte à son gré de domaine en domaine, sans contrainte, suivant les variations de son action libre et spontanée et de ses conséquences. Cette radieuse conception de la pure liberté spirituelle peut avoir sa vérité dans des plans au-delà ou dans une libération finale, mais ce n'est pas, à l'origine, une vérité de la vie terrestre, de la vie dans l'univers physique. La naissance humaine dans ce monde, sous son aspect spirituel, se compose de 'deux éléments : une Personne spirituelle et une âme personnelle ; la première est l'être éternel de l'homme, la seconde son être cosmique et changeant. En tant que personne impersonnelle et spirituelle, il est un en sa nature et son être avec la liberté de Satchidânanda qui, sur terre, a accepté ou voulu son involution dans la Nescience pour suivre un certain cycle d'expériences de l'âme, impossibles autrement, et qui préside secrètement à son évolution. En tant qu'âme personnelle, il fait lui-même partie de ce long développement des expériences de l'âme dans les formes de la Nature ; sa propre évolution doit suivre les lois et les lignes de l'évolution universelle. En tant qu'esprit, il est un avec la Transcendance qui est immanente dans le monde et l'englobe; en tant qu'âme, il est un avec l'universalité de Satchidânanda qui s'exprime dans le monde, et en fait en même temps partie; son expression de soi doit traverser les étapes de la progression cosmique, l'expérience de son âme doit suivre les révolutions de la roue du Brahman dans l'univers.
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L'Esprit universel dans les choses, involué dans la Nescience de l'univers physique, fait évoluer son moi-de-nature suivant une succession de formes physiques, gravissant les degrés de la Matière, de la Vie, du Mental et de l'Esprit. Il émerge d'abord comme une âme secrète dans les formes matérielles, entièrement soumise en surface à la nescience ; il devient progressivement une âme encore secrète, mais sur le point d'émerger dans les formes vitales qui se tiennent à la frontière entre la nescience et cette lumière partielle de la conscience qu'est notre ignorance ; il poursuit sa croissance et devient l'âme dont la conscience s'éveille dans le mental animal et, finalement, l'âme plus consciente extérieurement, mais pas encore pleinement consciente, en l'homme : la conscience est tout le temps présente dans les parties occultes de notre être, le développement a lieu dans la Nature qui la manifeste. Ce développement évolutif a un aspect universel autant qu'individuel : l'Universel déploie les degrés de son être et la variation ordonnée de sa propre universalité dans la série des formes évoluées de son être ; l'âme individuelle suit la ligne de cette série cosmique et manifeste ce qui est préparé dans l'universalité de l'Esprit. L'Homme universel, le Purusha cosmique dans l'humanité, développe dans la race humaine le pouvoir qui, parti des degrés inférieurs, a grandi dans l'humanité et grandira encore jusqu'au supramental et à l'esprit, et deviendra la Divinité en l'homme conscient de son moi véritable et intégral, et de la divine universalité de sa nature. L'individu a dû suivre cette ligne de développement ; il a dû présider à l'expérience de l'âme dans les formes inférieures de la vie avant d'entreprendre l'évolution humaine. De même que l'Un pouvait revêtir en son universalité ces formes inférieures que sont la plante et l'animal, de même l'individu maintenant humain, a-t-il été capable de les revêtir aux stades antérieurs de son existence. Il apparaît maintenant comme une âme humaine, comme l'Esprit qui accepte la forme intérieure et la forme extérieure de l'humanité, mais il n'est pas plus limité par cette forme qu'il ne l'était par celles de la plante et de l'animal qu'il a précédemment assumées ; de là, il peut passer à une plus large expression de lui-même sur un plus haut échelon de la Nature.
Supposer autre chose, c'est prétendre que l'esprit qui préside actuellement à l'expérience humaine de l'âme a été formé à l'origine par une mentalité humaine et par le corps humain, qu'il existe grâce à eux et ne peut exister sans eux, et qu'il est à jamais incapable de descendre aux niveaux inférieurs ou de s'élever au-delà. En fait, il
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serait alors raisonnable de supposer qu'il n'est pas immortel, mais qu'il a pris naissance lorsque le mental et le corps humains sont apparus dans l'évolution et disparaîtra avec eux. Mais le corps et le mental ne sont pas les créateurs de l'esprit, c'est l'esprit qui est le créateur du mental et du corps ; il tire ces principes de son être, son être n'est pas tiré d'eux, n'est pas un composé de leurs éléments ou le fruit de leur rencontre. S'il semble évoluer à partir du mental et du corps, c'est parce qu'il se manifeste peu à peu en eux et non parce qu'il est créé par eux ou qu'il existe grâce à eux. À mesure qu'il se manifeste, ils apparaissent comme des termes subordonnés de son être, et finalement ils doivent être tirés de leur imperfection présente, intégrés et transformés en des formes et des instruments visibles de l'esprit. Nous concevons l'esprit comme quelque chose qui ne possède ni nom ni forme, mais revêt diverses formes corporelles et mentales suivant lés diverses manifestations de son être d'âme. Cela, il l'accomplit ici par une évolution continue ; il développe des formes et des strates successives de conscience, car rien ne l'oblige à toujours revêtir une seule et même forme à l'exclusion de toute autre, ou à posséder un type unique de mentalité qui serait sa seule manifestation subjective possible. L'âme n'est pas liée à la formule humaine mentale : elle n'a pas commencé avec elle et ne finira pas avec elle ; elle a un passé pré-humain, et elle a devant elle un avenir surhumain.
Ce que nous voyons de la Nature et de la nature humaine, justifie cette conception de la naissance de l'âme individuelle passant d'une formé à l'autre jusqu'à ce qu'elle atteigne le niveau humain de la conscience manifestée qui est son instrument pour s'élever à des niveaux plus hauts encore. Nous voyons que la Nature se développe d'étape en étape, et qu'à chaque étape elle intègre son passé et le transforme en le matériau de son nouveau développement. Nous voyons aussi que la nature humaine est pareillement constituée; tout le passé terrestre est contenu en elle. Elle possède un élément de matière intégré par la vie, un élément de vie intégré par le mental, un élément mental que l'esprit est en train d'intégrer : l'animal est encore présent en son humanité. La nature même de l'être humain présuppose un stade matériel et un stade vital qui ont préparé son émergence dans le mental, et un passé animal qui a façonné un premier élément de son humanité complexe. Et ne disons pas que cela s'explique par le fait que la Nature matérielle, au cours de l'évolution, a développé sa vie, son corps et son mental animal et qu'ensuite seulement une âme est descendue dans la forme
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ainsi créée; il y a une vérité derrière cette idée, mais pas celle que suggérerait une telle formule. Car cela supposerait un abîme entre l'âme et le corps, entre l'âme et la vie, entre l'âme et le mental, et cet abîme n'existe pas ; il n'y a pas de corps sans âme, pas de corps qui ne soit lui-même une forme de l'âme : la Matière elle-même est substance et pouvoir de l'Esprit et ne pourrait exister si elle était autre chose, car rien ne peut exister qui ne soit substance et pouvoir du Brahman; et s'il est vrai que la Matière est Brahman et qu'elle est animée¹ par la présence de l'Esprit, cela doit être vrai aussi, de façon évidente et plus certaine encore, de la Vie et du Mental. Si la Matière et la Vie n'avaient pas été déjà revêtues d'une âme, l'homme n'aurait pu apparaître, ou bien il n'aurait représenté qu'une intrusion ou un accident, il n'aurait pas fait partie de l'ordre évolutif.
Nous arrivons donc nécessairement à la conclusion que la naissance humaine est une étape que l'âme doit atteindre après une longue succession de naissances, où elle a eu pour étapes préalables et préparatoires les formes inférieures de la vie sur terre ; elle a parcouru toute la chaîne que la vie a tendu dans l'univers physique sur la base du corps, le principe physique. Alors une nouvelle question se pose : une fois que l'état humain a été atteint, cette succession de renaissances se poursuit-elle encore et, si tel est le cas, comment, suivant quelles séries ou quelles alternances ? Nous devons tout d'abord nous demander si l'âme, une fois parvenue à l'état humain, peut retourner à la vie animale, au corps animal, régression que les vieilles théories populaires de la transmigration tenaient pour un mouvement normal. Il semble impossible que l'âme régresse ainsi, d'une façon aussi totale, pour la raison que le passage de la vie animale à la vie humaine représente une conversion décisive de la conscience, tout aussi décisive que celle de la conscience vitale de la plante en la conscience mentale de l'animal. Il est assurément impossible qu'une conversion aussi radicale accomplie par la Nature soit révoquée par l'âme et que la décision de l'Esprit dans la Nature n'aboutisse pour ainsi dire à rien. Cela ne serait possible que pour des âmes humaines — à supposer qu'elles existent — en lesquelles la conversion n'aurait pas été décisive, des âmes qui se seraient suffisamment développées ' pour façonner, habiter ou assumer un corps humain, mais pas assez pour sauvegarder cette assomption, et, une fois celle-ci accomplie, pas assez
¹" ensouled " en anglais ; litt. : revêtue d'une âme (H.d.t).
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pour s'y établir solidement et demeurer fidèles au type de conscience humain. Ou bien, en supposant que certains penchants animaux soient assez violents pour exiger une satisfaction séparée propre à leur espèce, il pourrait tout au plus y avoir une sorte de renaissance partielle, ou l'âme humaine s'attacherait faiblement à une forme animale, pour reprendre aussitôt après sa progression normale. Le mouvement de la Nature est toujours suffisamment complexe pour que nous ne puissions nier dogmatiquement une telle possibilité ; et si ce fait est avéré, alors peut-être y a-t-il une parcelle de vérité derrière cette croyance populaire exagérée qui veut que pour une âme ayant habité un homme, une renaissance animale soit aussi normale et possible qu'une réincarnation humaine. Mais que le retour à l'animal soit possible ou non, là loi normale doit être la récurrence de la naissance dans de nouvelles formes humaines, une fois que l'âme est devenue capable d'assumer cette condition humaine.
Mais pourquoi une succession de naissances humaines au lieu d'une seule ? Pour la même raison qui a fait de la naissance humaine elle-même un point culminant de la succession antérieure, de la série ascendante qui l'a précédée: ce doit être une nécessité de l'évolution spirituelle. Car l'âme n'a pas atteint son but simplement en devenant humaine; il lui faut encore faire progresser cette humanité jusqu'à ses plus hautes possibilités. De toute évidence, l'âme qui habite un Caraïbe, un primitif inculte, un Apache parisien ou un gangster américain n'a pas encore épuisé la nécessité de la naissance humaine, n'a pas réalisé toutes ses possibilités ou toute la signification de la condition humaine ni manifesté tout le sens de revête dans l'Homme universel, pas plus que l'âme logée dans un Européen débordant de vitalité, occupé à produire toujours plus et à jouir des plaisirs du vital, ou dans un paysan asiatique absorbé dans la ronde ignorante de sa vie domestique et économique. Nous pouvons raisonnablement douter que même un Platon ou un Shankara marquent le couronnement, et par conséquent l'épanouissement ultime de l'esprit en l'homme. Nous croyons plutôt qu'ils en sont la limite, parce qu'eux-mêmes, et d'autres comme eux, nous semblent être le point le plus haut que le mental et l'âme de l'homme puissent atteindre. Mais c'est peut-être une illusion relative à nos capacités actuelles. Il existe peut-être une possibilité plus haute, ou en tout cas plus vaste, que le Divin a l'intention de réaliser eu l'homme, et cela signifierait alors que les marches construites par ces
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âmes supérieures étaient nécessaires pour bâtir la voie qui monte vers ces plus hauts sommets, et pour ouvrir les portes. De toute façon, ce point, jusqu'à présent le plus élevé, doit être atteint avant que nous ne puissions écrire le mot fin dans cette histoire humaine des naissances individuelles successives. L'homme est ici pour évoluer de l'ignorance à la connaissance, et de sa petite vie dans un mental et dans un corps à la vaste vie divine qu'il peut embrasser par un déploiement de l'esprit. Il faut en tout cas que l'esprit en lui s'épanouisse, qu'il atteigne à la connaissance de son moi réel et mène une vie spirituelle, avant de pouvoir se diriger irrévocablement et à jamais vers un Ailleurs. Peut-être y a-t-il aussi, par-delà ce premier apogée, un plus grand épanouissement de l'esprit dans la vie humaine dont nous n'avons encore eu que le pressentiment. L'imperfection de l'Homme n'est pas le dernier mot de la Nature, mais sa perfection n'est pas non plus l'ultime sommet de l'Esprit.
Cette possibilité devient une certitude si l'intellect, le principe directeur actuel du mental tel qu'il s'est développé en l'homme, n'est pas son principe le plus haut. Si le mental lui-même détient d'autres pouvoirs, que, jusqu'à présent, les types les plus élevés de l'individu humain ne possèdent qu'imparfaitement, alors la courbe de l'évolution et, par conséquent, la courbe ascendante de la renaissance qui permet à ces pouvoirs de s'incarner, doivent inévitablement se prolonger. Si le Supramental est lui aussi un pouvoir de conscience caché ici-bas dans Révolution, la courbe de la renaissance ne saurait même s'arrêter là ; elle devra poursuivre son ascension jusqu'à ce que le mental soit remplacé par la nature supramentale et qu'un être supramental incarné devienne le guide de l'existence terrestre.
Tel est donc le fondement rationnel et philosophique d'une croyance en la renaissance. C'est une conclusion logique et inévitable s'il existe à la fois un principe évolutif dans la Nature terrestre et une réalité de l'âme individuelle née dans la Nature évolutive. Si l'âme n'existe pas, alors il peut y avoir une évolution mécanique sans nécessité ni signification, et la naissance n'est qu'un élément de ce mécanisme étonnant, mais absurde. Si l'individu n'est qu'une formation temporaire commençant et finissant avec le corps, l'évolution peut être un jeu de la Toute-Âme ou de l'Existence cosmique s'élevant, par une succession d'espèces de plus en plus évoluées, jusqu'à son ultime possibilité dans ce Devenir, ou jusqu'à son principe conscient le plus haut : la renaissance n'existe
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pas ou n'est pas un mécanisme nécessaire à cette évolution. Ou si la Toute-Existence s'exprime dans une individualité persistante mais illusoire, la renaissance devient une possibilité ou un fait illusoire, mais elle ne correspond à aucune nécessité évolutive et n'est pas elle-même une nécessité spirituelle ; elle est seulement un moyen d'accentuer et de prolonger l'illusion jusqu'à son extrême limite temporelle. S'il existe une âme individuelle ou Purusha qui ne dépende pas du corps mais l'habite et l'utilise à ses fins, alors la renaissance commence à être possible, mais elle n'est pas une nécessité s'il n'y a pas évolution de l'âme dans la Nature : la présence de l'âme individuelle dans un corps individuel pourrait être un phénomène passager, une unique expérience qui n'a ici ni passé, ni avenir ; son passé et son avenir pourraient exister ailleurs. Mais s'il y a évolution de la conscience dans un corps évolutif et si une âme habite le corps, s'il existe un individu réel et conscient, alors il est évident que c'est l'expérience progressive de cette âme dans la Nature qui prend la forme de cette évolution de la conscience : la renaissance est tout naturellement une part nécessaire, le seul mécanisme possible, d'une telle évolution. Elle est aussi nécessaire que la naissance elle-même; car sans elle, la naissance serait un premier pas suivi de rien, le commencement d'un voyage sans étapes ultérieures et sans destination. C'est la renaissance qui donne à la naissance d'un être incomplet dans un corps la promesse de son plein accomplissement et son sens spirituel.
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Sept sont les mondes en lesquels se meuvent les forées de vie cachées dans le cœur secret qui est leur demeure sept par sept.
Mundaka Upanishad. II. 1. 8.
Puissent les Peuples aux Cinq Naissances accepter mon sacrifice, eux qui sont nés de la Lumière et sont dignes d'être adorés; puisse la Terre nous protéger du mal terrestre, et la Région-du-Milieu de la calamité des dieux. Suivez le fil brillant dévidé à travers le monde du milieu, protégez les sentiers lumineux construits par la pensée, créez la race divine (...). Vous êtes les voyants de la vérité, aiguisez les lances brillantes avec lesquelles vous frayez le chemin vers ce qui est Immortel; connaissants des plans secrets, formez-les, les marches par lesquelles les dieux ont atteint à l'immortalité.
Rig-Véda. X. 53. 5,6,10.
C'est l'Arbre éternel dont les racines sont en haut et les branches tournées vers le bas; c'est le Brahman, c'est l'Immortel; en lui demeurent tous les mondes, et nul ne va au-delà. Ceci et Cela sont un.
Katha Upanishad. II. 3.1.
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Si l'on admet une évolution spirituelle de la conscience dans le monde matériel et une renaissance constante ou récurrente de l'individu dans un corps terrestre, la question qui se pose ensuite est de savoir si ce mouvement évolutif est isolé et complet en soi ou s'il fait partie d'une totalité universelle plus vaste dont le monde matériel n'est qu'une province. La réponse à cette question est déjà contenue dans les gradations de l'involution qui précèdent l'évolution et la rendent possible ; en effet, si cette antériorité est un fait, il doit exister des mondes, ou tout au moins des plans d'être supérieur, qui ont nécessairement un certain rapport avec l'évolution que leur existence a rendue possible. Peut-être ne font-ils que libérer pour nous, par leur présence effective ou leur pression sur la conscience terrestre, les principes involués de la vie, du mental et de l'esprit, pour qu'ils puissent se manifester et affirmer leur règne dans la Nature matérielle. Mais il serait hautement improbable que ce rapport et cette intervention s'arrêtent là; il existe vraisemblablement un échange soutenu, fût-il voilé, entre la vie matérielle et la vie des autres plans d'existence. Il est maintenant nécessaire d'examiner le problème de plus près, de le considérer en lui-même et dé déterminer la nature et les limites de ce rapport et de; cette communication, dans la mesure où ils influent sur la théorie de l'évolution et de la renaissance dans la Nature matérielle.
La descente de l'Âme dans l'Ignorance peut être conçue comme la précipitation abrupte ou la chute directe d'un pur être spirituel hors de la Réalité spirituelle supraconsciente en l'inconscience première et en la vie phénoménale évolutive subséquente de la Nature matérielle. Dans ce cas, nous aurions un Absolu au-dessus et un Inconscient au-dessous, et le monde matériel auquel il a donné naissance ; l'issue, le retour serait alors un transit analogue, abrupt ou précipité, le passage d'un être cosmique matériel incarné dans le Silence transcendant. Il .n'y aurait pas de pouvoirs ou de réalités intermédiaires autres que la Matière et
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l'Esprit, pas d'autres plans que le plan matériel, pas d'autres mondes que le monde de la Matière. Mais cette idée est une construction trop catégorique et trop simpliste, et elle ne survit pas à l'élargissement de notre vision de la nature complexe de l'existence.
Il y a certes plusieurs origines possibles de l'existence cosmique, et il est concevable qu'elles aient pu engendrer un équilibre du monde aussi extrême et rigide. Une conception pareille, et le fiât d'une Toute-Volonté, ou une idée, un mouvement de l'âme vers une vie matérielle égoïste dans l'Ignorance, ont peut-être existé. On peut supposer que l'âme individuelle éternelle, poussée par quelque inexplicable désir surgissant en elle, sait cherché l'aventure de l'obscurité et plongé depuis, sa Lumière native dans les profondeurs d'une Nescience d'où a émergé ce monde de l'Ignorance; cette aspiration peut avoir jailli d'une collectivité d'âmes, du Multiple : car un être individuel ne peut constituer un cosmos ; un cosmos doit être ou bien impersonnel, ou bien multipersonnel, ou encore être la création ou l'expression de soi d'un Être universel ou infini. Ce désir a pu susciter en même temps la descente d'une Toute-Âme, pour qu'elle construise un monde fondé sur le pouvoir de l'Inconscient. Ou alors, la Toute-Âme éternellement omnisciente a pu d'elle-même plonger abruptement sa connaissance de soi dans ces ténèbres de l'Inconscience, portant en elle les âmes individuelles pour qu'elles commencent leur évolution ascendante en suivant les degrés de plus en plus élevés de la vie et de la conscience. Ou encore, si l'individu n'est pas préexistant, si nous ne sommes qu'une création de la Toute-Conscience ou qu'une fiction de l'Ignorance phénoménale, l'une ou l'autre créatrice a pu concevoir toutes ces myriades d'êtres individuels par l'évolution de noms et de formes issus d'une Prakriti originelle indiscriminée ; l'âme serait un produit temporaire tiré du matériau indistinct de la substance-force inconsciente qui constitue la première apparence des choses dans l'univers matériel.
Dans cette hypothèse, comme dans les autres, il ne pourrait y avoir que deux pians d'existence : d'une part, l'univers matériel créé à partir de l'Inconscient par la nescience aveugle d'une Force ou d'une Nature obéissant peut-être à quelque Moi intérieur, qu'elle ne sent pas mais qui dirige ses activités somnambuliques ; d'autre part, l'Un supraconscient auquel nous retournons en sortant de l'Inconscience et de l'Ignorance. Ou bien nous pouvons imaginer qu'il n'y a qu'un seul plan, celui de l'existence matérielle, qu'il n'y a pas de supraconscient, si ce n'est l'Âme
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de l'univers matériel. Mais si nous découvrions qu'il existe d'autres plans d'être conscient, et déjà d'autres mondes que l'univers matériel, alors ces idées s'avéreraient difficiles à prouver; il est cependant possible d'échapper à la difficulté en supposant que ces mondes ont été créés ultérieurement par l'âme en évolution, ou pour elle, au cours de son ascension hors de l'Inconscience. Dans toutes ces conceptions, le cosmos entier serait une évolution hors de l'Inconscient, soit avec l'univers matériel comme étape ou comme scène uniques et suffisantes, soit avec une gradation ascendante de mondes, l'un évoluant à partir de l'autre, pour favoriser notre retour graduel à la Réalité originelle. Dans notre vision, telle que nous l'avons exposée dans les chapitres précédents, le cosmos est une évolution — qui a fixé elle-même ses étapes — hors du Satchidânanda supraconscient, alors que ces autres conceptions n'y voient qu'une évolution de l'Inconscience vers une certaine connaissance suffisante pour permettre, en abolissant quelque ignorance primordiale ou quelque désir originel, l'extinction d'une âme illégitime, ou un moyen d'échapper à une aventure cosmique qui aurait fait fausse route.
Ces théories accordent néanmoins une importance capitale et un pouvoir créateur au mental, ou une importance capitale à l'individu; certes, tous deux jouent un grand rôle, mais c'est l'Esprit unique et éternel qui est l'existence et le pouvoir originels. L'Idée conceptuellement créatrice — pas l'Idée-Réelle, qui est l'Être conscient de ce qui est en lui et se crée lui-même automatiquement par la force de cette conscience de la Vérité —, est un mouvement du mental ; le désir est un mouvement de la vie dans le mental ; la vie et le mental doivent donc être des pouvoirs préexistants qui ont déterminé la création du monde matériel et, dans ce cas, il est également en leur pouvoir de créer des mondes ayant une même nature supraphysique. Sinon, nous devons supposer que ce qui a agi, n'était pas le désir dans un Mental ou une Vie individuels ou universels, mais une volonté en l'Esprit — une volonté de l'Être déployant quelque chose de lui-même ou de sa Conscience, réalisant une idée créatrice ou une connaissance de soi ou un élan de sa Force spontanément active, ou une tendance à formuler d'une certaine manière sa joie d'être. Mais si le monde a été créé, non par la Joie d'être universelle, mais pour le désir de l'âme individuelle, pour le caprice d'une jouissance égoïste et ignorante, alors l'Individu mental, et non l'Être cosmique ou une Divinité transcendante, doit être le créateur et le témoin de l'univers. Jadis, la pensée humaine accordait le plus souvent à l'être individuel une place de
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premier plan dans l'ordre du monde, une importance suprême. Si l'on; pouvait encore lui conserver cette place et cette valeur, une telle origine serait concevable. Dans le Purusha individuel, en effet, une volonté de vivre la vie de l'Ignorance, ou le fait d'y consentir, font nécessairement partie du mouvement de Conscience qui est à l'œuvre au cours de la descente involutive de l'Esprit dans la Nature matérielle. Mais le monde ne peut être une création du mental individuel ou un théâtre que celui-ci aurait érigé pour le jeu de sa propre conscience. Il ne peut, non plus, avoir été créé uniquement pour le jeu et la satisfaction, ou la désillusion de l'ego. Quand nous commençons à percevoir l'importance primordiale de l'universel et voyons à quel point l'individu en dépend, une théorie de ce genre devient impossible à concevoir. Le monde est trop vaste en son mouvement pour qu'une telle explication de son fonctionnement soit crédible ; seul un Pouvoir cosmique, ou un Être cosmique, peut être le créateur et le soutien du cosmos, et il doit avoir aussi une réalité, un sens et un dessein cosmiques et pas seulement individuels.
Par conséquent, cet Individu qui crée le monde ou y participe, ainsi que son désir ou son consentement à l'Ignorance, doivent avoir été éveillés avant même que le monde n'ait existé; ils devaient être là, comme éléments d'un Supraconscient supracosmique d'où ils proviennent et où ils retournent en quittant la vie de l'ego. Nous devons donc supposer une immanence originelle du Multiple dans l'Un. On peut alors concevoir qu'une volonté, ou une impulsion, ou une nécessité spirituelle ait pu vibrer en quelque Infini trans-mondain, en certains des Multiples, les précipitant vers le bas et rendant inéluctable la création de ce monde de l'Ignorance. Mais puisque l'Un est le fait premier de l'existence, et puisque les Multiples dépendent de l'Un, sont des âmes de l'Un, des êtres de l'Être, cette vérité doit également déterminer le principe fondamental de l'existence cosmique. Là, nous voyons que l'universel précède l'individu, lui donne son champ, est:ce en quoi il existe cosmiquement, bien que son origine soit dans la Transcendance. L'âme individuelle vit ici par la grâce de la Toute-Âme et dépend d'elle ; il est bien évident que la Toute-Âme n'existe pas par la grâce de l'âme individuelle et ne dépend pas d'elle : elle n'est pas une somme d'êtres individuels, une totalité plurielle créée par la vie consciente des individus. Si une Toute-Âme existe, elle doit être l'Esprit cosmique unique qui soutient l'unique Force cosmique en ses œuvres et reproduit ici, modifiée selon les termes de l'existence cosmique, la relation primordiale de
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dépendance entre l'Un et le Multiple. Il est inconcevable que les Multiples, indépendamment ou en se dissociant de l'Unique Volonté, aient désiré l'existence cosmique et, par leur désir, aient contraint le suprême Satchidânanda à descendre contre son gré, ou par indulgence, dans la Nescience; ce serait inverser totalement le vrai rapport de dépendance entre les choses. Si le monde est directement issu de la volonté ou de l'impulsion spirituelle des Multiples, ce qui est possible, et même probable dans un certain sens, il faut bien qu'à l'origine/une Volonté en Satchidânanda ait agi à cette fin; autrement, l'impulsion qui traduit ici la Toute-Volonté en désir — car ce qui devient désir dans l'ego est Volonté dans l'Esprit —, n'aurait jamais pu émerger nulle part. L'Un, la Toute-Âme, qui seul détermine la conscience de l'Individu, doit d'abord accepter le voile de la Nature inconsciente avant que l'Individu puisse, lui aussi, se recouvrir du voile de l'Ignorance dans l'univers matériel.
Mais une fois admis que cette Volonté de l'Être suprême et cosmique est la condition indispensable de l'existence de l'univers matériel, il n'est plus possible de faire du Désir le principe créateur, car le désir n'a pas de place dans le Suprême ou dans le Tout-Être. Il n'y a rien que le Suprême puisse désirer, le désir provenant d'une incomplétude, d'une insuffisance, du fait que l'on ne possède pas une chose que l'être veut posséder, qu'on ne jouit pas de ce dont il veut jouir. Un Être suprême 'et universel peut goûter le délice de sa toute-existence, mais le désir est nécessairement étranger à ce délice — il ne peut être l'apanage que de l'ego évolutif incomplet, qui est un produit de l'action cosmique. En Outre, si la Toute-Conscience de l'Esprit a voulu plonger dans l'inconscience de la Matière, ce devait être une possibilité de sa création de soi" de sa manifestation. Cependant, un seul univers matériel et, dans cet univers, une évolution hors de l'inconscience jusqu'en la conscience spirituelle, ne peuvent constituer l'unique possibilité, restreinte et isolée, de manifestation du Tout-Être. Ce serait le cas si la Matière était le pouvoir et la forme originels de l'être manifesté et si l'esprit n'avait pas d'autre choix, ne pouvait se manifester qu'à travers l'Inconscience et dans la Matière qui lui sert de base. Cela nous conduirait à un panthéisme matérialiste et évolutif; il nous faudrait considérer les êtres qui peuplent l'univers comme des âmes de l'Un, des âmes nées en Lui sur la terre, et qui, au cours d'une évolution ascendante, passeraient par des formes inanimées, animées et mentalement développées jusqu'à recouvrer leur vie complète et indivise en le Panthéos supraconscient et en son Unité cosmique, qui
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représenterait l'aboutissement et le but de leur évolution. Cela supposerait que tout a évolué sur la terre : la vie, le mental, l'âme ont émergé de l'Un dans l'univers matériel par la force de son être caché, et tout s'accomplira ici, dans l'univers matériel. Il n'y a donc pas de plan séparé de la Supraconscience, car le Supraconscient existe seulement ici-bas, et pas ailleurs ; il n'y a pas de mondes supraphysiques, pas d'action de principes supraphysiques extérieurs à la Matière, pas de pression qu'un Mental ou une Vie pré-existants exerceraient sur le plan matériel.
On doit alors se demander ce que sont le mental et la vie, et l'on peut répondre que ce sont des produits de la Matière ou de l'Énergie dans la Matière; ou bien que ce sont des formes de conscience dont l'apparition est le résultat d'une évolution de l'Inconscience jusqu'à la Supraconscience. La conscience elle-même n'est qu'un pont, une transition. Elle est l'Esprit qui devient partiellement conscient de lui-même avant de plonger en sa transe de Supraconscience lumineuse qui est son état normal. Même s'il s'avérait qu'il existe des plans d'une vie et d'un mental plus vastes, ce ne seraient que des constructions subjectives de cette conscience intermédiaire édifiées sur le chemin qui mène à la culmination spirituelle. Mais la difficulté, ici, est que le mental et la vie diffèrent trop de la Matière pour en être les produits. La Matière elle-même est un produit de l'Énergie et l'on doit considérer le mental et la vie comme des produits supérieurs de la même Énergie. Si nous admettons l'existence d'un Esprit cosmique, l'Énergie doit être spirituelle ; la vie et le mental doivent être des produits indépendants d'une énergie spirituelle, et être eux-mêmes des pouvoirs de manifestation de l'Esprit; Il devient dès lors irrationnel de supposer que l'Esprit et la Matière seuls existent, qu'ils sont les deux réalités face à face et que la Matière est la seule base possible pour la manifestation de l'Esprit. L'idée qu'il existe un seul monde matériel devient aussitôt indéfendable. L'Esprit doit être capable de fonder sa manifestation sur le principe du Mental ou sur celui de la Vie, et pas seulement sur celui de la Matière. L'existence de mondes du Mental et de mondes de la Vie est donc possible, et même logique. Il se peut même qu'il existe des mondes fondés sur un principe matériel plus subtil, plus plastique et plus conscient.
Trois questions surgissent alors, qui sont reliées, interdépendantes : n'y a-t-il rien qui prouve ou suggère véritablement l'existence de ces autres ; mondes ? Et s'ils existent, ont-ils le; caractère que nous avons
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indiqué, s'élevant ou descendant dans l'ordre et suivant la logique d'une série hiérarchique entre la Matière et l'Esprit ? Enfin, si c'est là l'échelle de leur être, sont-ils par ailleurs tout à fait indépendants et déconnectés, ou les mondes supérieurs ont-ils une relation avec le monde de la Matière et une action sur lui ? C'est un fait que, presque depuis le début de son existence ou aussi loin que puisse remonter l'Histoire ou la tradition, l'humanité a cru en l'existence d'autres mondes et en la possibilité d'une communication entre leurs pouvoirs et leurs êtres, et la race humaine. Durant le dernier âge rationaliste de la pensée humaine dont nous commençons à émerger, cette croyance, considérée comme une vieille superstition, a été balayée; toute preuve, et toute suggestion tendant à établir sa vérité, ont été rejetés a priori comme fondamentalement faux et ne méritant même pas d'être examinés, parce qu'incompatibles avec la vérité axiomatique qui veut que seuls la Matière, le monde matériel et ses expériences, soient réels ; toute autre expérience prétendument, réelle ne peut être qu'une hallucination, une imposture ou la conséquence subjective d'une imagination ou d'une crédulité superstitieuses; ou si elle existe réellement, elle n'est pas ce pour quoi elle se fait passer et peut s'expliquer par une cause physique. On ne pourrait accepter aucune preuve d'un pareil fait, à moins qu'elle n'ait un caractère objectif et physique. Même si le fait est très manifestement supraphysique, on ne peut l'accepter comme tel, à moins qu'il ne soit totalement inexplicable selon toute autre hypothèse imaginable ou toute autre conjecture concevable.
Il devrait être évident qu'il est irrationnel et illogique d'exiger une -preuve physique valable d'un fait supraphysique; c'est une attitude inconséquente du mental physique qui suppose que seul l'objectif, le physique est fondamentalement réel, tout le reste étant écarté comme purement subjectif. Un fait supraphysique peut empiéter sur le monde physique et produire des résultats physiques ; il peut même produire un effet sur nos sens physiques et leur devenir évident, mais ce ne peut être son action invariable et son caractère ou son processus le plus normal. Il doit généralement produire un effet direct ou une impression tangible sur notre mental et notre être vital, qui sont de même nature, et ce n'est qu'indirectement et par leur intermédiaire qu'il peut, éventuellement, influencer le monde et la vie physiques. S'il s'objective, ce doit être pour un sens plus subtil en nous, et seulement de façon dérivée pour les sens physiques extérieurs. Cette objectivation dérivée est certainement
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possible ; s'il y a une association entre l'action du corps subtil et son organisation sensorielle, d'une part, et l'action du corps matériel et ses organes physiques d'autre part, alors le supraphysique peut nous devenir extérieurement perceptible. Cela se produit, par exemple, avec la faculté de double vue, et c'est le processus propre à tous les phénomènes psychiques que les sens extérieurs paraissent voir et entendre et qui ne sont pas perçus intérieurement au moyen d'images représentatives, interprétatives ou symboliques portant la marque d'une expérience intérieure, ou se présentant, de façon évidente et caractéristique, comme des formations dans une substance subtile. Dès lors, il peut y avoir divers types de preuves de l'existence d'autres plans de l'être et de communication avec eux : objectivation perçue par les sens extérieurs, contacts par les sens subtils, par le mental, par le vital, par le subliminal dans des états particuliers de conscience qui dépassent nos capacités ordinaires. Le mental physique n'est pas tout ce que nous sommes et, bien qu'il domine presque entièrement notre conscience de surface, il ne représente ni la meilleure, ni la plus grande part de nous-mêmes. La réalité ne peut être limitée à un seul champ aussi étroit, ni aux dimensions connues à l'intérieur de son cercle rigide.
On dit que l'expérience subjective ou les images des sens subtils peuvent aisément induire en erreur, puisque nous ne disposons d'aucune méthode reconnue, d'aucun critère de vérification et que nous avons trop tendance à prendre pour argent comptant l'extraordinaire, le miraculeux ou le surnaturel. Admettons-le. Mais l'erreur n'est pas la prérogative des parties subjectives ou subliminales de notre être, c'est aussi l'apanage du mental physique, de ses méthodes et de ses normes objectives et ce risque d'erreur ne peut être une raison pour exclure un vaste et important domaine d'expérience; c'est plutôt une raison pour l'examiner attentivement et y découvrir les vrais critères qui lui sont propres, ses moyens de vérification spécifiques, valables et appropriés. Notre être subjectif est la base de notre expérience objective, et il est improbable que seules ses objectivations physiques soient vraies et que tout le reste soit sujet à caution. Correctement interrogée, la conscience subliminale est un témoin de la vérité, et son témoignage ne cesse d'être confirmé jusque dans le domaine physique et objectif. On ne peut donc mépriser ce témoignage lorsqu'il attire notre attention sur des choses qui sont en nous ou qui appartiennent à des plans ou des mondes d'expérience supraphysique. Cependant, la croyance n'est pas en soi une preuve de
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réalité ; elle doit reposer sur quelque chose de plus valable avant qu'on puisse l'accepter. Il est évident que les croyances du passé ne sont pas une base suffisante pour la connaissance, même si l'on ne peut les négliger entièrement : une croyance est en effet une construction mentale, et elle peut être fausse; souvent, elle peut répondre à quelque suggestion intérieure et, dans ce cas, elle a une valeur; mais la plupart du temps elle déforme la suggestion, la traduisant en général dans les termes qui sont familiers à notre expérience physique et objective — elle fait par exemple de la hiérarchie des plans une hiérarchie physique ou un espace géographique, ou transforme les hauteurs plus rares de la substance subtile en cimes matérielles et place les demeures des dieux sur les crêtes de montagnes physiques. Toute vérité, supraphysique ou physique, doit reposer non sur la seule croyance mentale, mais sur l'expérience — dans chaque cas cependant, l'expérience doit relever du physique, du subliminal ou du spirituel, conformément à l'ordre des vérités où nous avons le pouvoir d'accéder. Il faut examiner leur valeur et leur sens, mais suivant leur loi propre et avec une conscience qui peut y pénétrer, et non selon la loi d'un autre domaine ou avec une conscience qui ne peut saisir que tes vérités d'un autre ordre. Ainsi seulement pouvons-nous avancer avec assurance et élargir fermement la sphère de notre connaissance.
Si nous examinons avec soin ces pressentiments des réalités des mondes supraphysiques qui nous viennent au cours de nos expériences intérieures et que nous les comparions à celles qui ont été relevées et transmises depuis les premiers pas de la connaissance humaine, et si mous essayons de les interpréter et de les classifier de façon succincte, nous constaterons que ce que l'expérience intérieure nous révèle le plus intimement, c'est l'existence de plans d'être et de conscience plus vastes que le plan purement matériel, avec son existence et son action restreintes, dont nous sommes conscients dans notre étroite formule terrestre — et l'action qu'ils exercent sur nous. Ces domaines d'être plus vastes ne sont pas inaccessibles, ni tout à fait séparés de notre être et de notre conscience ; en effet, bien qu'ils subsistent en eux-mêmes et aient leur propre jeu, leurs propres processus, leurs propres formulations de l'existence et de l'expérience, ils pénètrent et enveloppent en même temps le plan physique de leur présence et de leurs influences invisibles, et leurs pouvoirs semblent se trouver ici, dans le monde matériel lui-même, derrière son action et ses objets. Nous pouvons distinguer deux ordres principaux d'expérience dans notre relation avec eux. L'un
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est purement subjectif, bien que suffisamment vivant et tangible en sa subjectivité même ; l'autre est plus objectif. Dans l'ordre subjectif, nous découvrons que ce qui, pour nous, prend ici la forme d'une intention, d'une impulsion, d'une formulation vitales, existe déjà dans un domaine de possibilités plus vaste, plus subtil, plus plastique, et que ces forces et ces formations préexistantes exercent sur nous une pression, afin de se réaliser aussi dans le monde physique ; mais seule une partie réussit à' traverser, et elle-même n'émerge que partiellement sous une forme et dans des circonstances mieux adaptées au système de la loi et de l'ordre terrestres. Cette précipitation se fait généralement à notre insu; nous ne sommes pas conscients de l'action sur nous de ces Pouvoirs, de ces Forces et de ces Influences, nous les prenons pour des formations de notre vie et de notre mental, même quand notre raison ou notre volonté les repoussent et s'efforcent de ne pas s'y soumettre; mais si, nous écartant de la conscience superficielle restreinte, nous pénétrons au-dedans et développons un sens plus subtil, une perception plus profonde, alors nous commençons à pressentir l'origine de ces mouvements et nous pouvons observer leur action et leur processus, les accepter, les rejeter, les modifier, leur livrer passage et leur permettre d'utiliser notre mental, notre volonté, notre vie, toutes les parties de notre être, ou le leur interdire. De la même façon, nous prenons conscience de plus vastes domaines du mental et d'un jeu, d'une expérience, d'une formation douée d'une plus grande plasticité, d'une exubérante profusion de toutes les formulations mentales possibles, et nous sentons leur contact, nous sentons leurs pouvoirs et leurs influences agir sur les diverses parties de notre, mental, comme d'autres avaient agi sur nos parties vitales d'une manière occulte. Ce genre d'expérience présente avant tout un caractère purement subjectif : des idées, des suggestions, des formations émotives, une volonté de sentir, d'agir, de vivre une expérience dynamique fait pression sur nous. Même si nous découvrons que cette pression provient dans une large mesure de notre moi subliminal ou du siège des forces universelles du Mental ou de la Vie appartenant à notre propre monde, il s'y trouve néanmoins un élément qui porte le sceau d'une autre origine, un caractère supraterrestre qui s'impose.
Mais les contacts ne s'arrêtent pas là, car il y a aussi une ouverture de nos parties mentales et vitales à un grand domaine d'expériences subjectives-objectives où ces plans ne se présentent plus comme des extensions de la conscience et de l'être subjectifs, mais comme des
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mondes; les expériences y sont en effet organisées comme dans notre propre monde, mais sur un plan différent, avec une méthode et une loi d'action différentes et dans une substance propre à la Nature supraphysique. Comme sur notre terre, cette organisation comprend l'existence d'êtres qui possèdent ou revêtent des formes, qui se manifestent ou sont naturellement manifestés dans une substance qui donne corps, mais diffère de la nôtre : cette substance subtile n'est tangible que pour un sens subtil, une matière-forme supraphysique. Ces mondes et ces êtres peuvent n'avoir aucun rapport avec nous et avec notre vie, n'exercer sur nous aucune influence; mais souvent aussi ils entrent en communication secrète avec l'existence terrestre, obéissent aux pouvoirs et aux influences cosmiques dont nous avons subjectivement l'expérience, les incarnent et en sont les intermédiaires et les instruments, ou peuvent "choisir eux-mêmes d'agir sur la vie du monde terrestre, sur ses mobiles et ses événements. Ces êtres peuvent nous venir en aide ou nous guider, ils peuvent aussi nous nuire ou nous égarer; nous pouvons même subir leur influence, être envahis ou dominés, voire possédés par eux, et leur servir d'instruments pour l'accomplissement de leurs desseins, bons ou mauvais. Le progrès de la vie terrestre ressemble parfois à un vaste champ de bataille où s'affrontent ces deux Forces supraphysiques opposées : celles qui s'efforcent d'élever, d'encourager et d'illuminer, et celles qui font tout pour détournes, décourager ou empêcher, ou même briser notre évolution ascendante ou l'expression de l'âme dans l'univers matériel. Certains de ces Êtres, de CES Pouvoirs, de ces Forces ont à nos yeux un caractère divin : ils sont lumineux, bienveillants ou puissamment secourables. D'autres sont titanesques, gigantesques ou démoniaques. Influences démesurées qui suscitent ou créent de vastes et formidables bouleversements intérieurs, ou des actions qui dépassent la mesure humaine ordinaire. Nous pouvons aussi percevoir des influences, des présences, des êtres qui ne semblent pas appartenir à d'autres mondes au-delà de nous, mais sont présents, comme élément voilé dans la nature terrestre. De même qu'il est possible d'établir un contact avec le supraphysique, de même un contact, subjectif ou objectif— ou du moins objectivé —peut s'établir entre notre conscience et la conscience d'êtres qui, après s'être incarnés, sont entrés dans un état supraphysique en ces autres domaines d'existence. Il est possible, aussi, d'aller au-delà d'un contact subjectif ou d'une perception sensorielle subtile et, dans certains états de conscience subliminaux, d'entrer réellement dans d'autres mondes et
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d'entrevoir leurs secrets. Ce sont les expériences des autres mondes du type le plus objectif qui, dans le passé, ont le plus puissamment captivé l'imagination des hommes, mais la croyance populaire les a exprimées avec une objectivité assez crue, assimilant indûment ces phénomènes à ceux du monde physique qui nous sont familiers ; notre mental, en effet, a naturellement tendance à transformer toutes choses en les formes ou les symboles propres à la nature et aux termes de sa propre expérience.
Exprimés en leurs termes les plus généraux, tels ont toujours été, à toutes les époques de l'histoire humaine, les limites habituelles et le caractère normal de cette croyance en d'autres mondes et de l'expérience qui en a été faite ; les noms et les formes diffèrent, mais les traits généraux présentent une frappante similarité dans tous les pays et à toutes les époques. Quelle valeur précise devons-nous attribuer à ces croyances persistantes et à cette masse d'expériences supranormales ? Quiconque a ressenti de tels contacts, d'une façon suffisamment intime, et pas seulement comme des phénomènes accidentels, isolés et anormaux, ne peut plus les écarter comme de simples superstitions ou hallucinations; leur pression est trop forte, trop réelle, trop effective, trop organique, confirmée trop constamment par leur action et leurs résultats, pour être rejetés aussi catégoriquement; une appréciation, une interprétation, une organisation mentale de cet aspect particulier de notre champ d'expérience, s'avèrent indispensables.
On pourrait certes supposer, et c'est une explication possible" que l'homme lui-même crée les mondes supraphysiques où il demeure ou croit demeurer après sa mort, qu'il crée les dieux, selon l'antique formule — on a même soutenu que Dieu lui-même avait été créé par l'homme, qu'il était un mythe de sa conscience et que l'homme l'a maintenant supprimé ! Toutes ces choses ne sont donc peut-être qu'un mythe de la conscience qui grandit ; elle s'y abrite, captive de ses propres constructions, et, par une sorte de dynamisation réalisatrice, survit au cœur de ses propres imaginations. Ce ne sont pourtant pas de pures imaginations, et nous ne pouvons les traiter comme telles qu'aussi longtemps que les choses qu'elles représentent, même déformées, ne font pas partie de notre expérience. On peut cependant concevoir que la Conscience-Force créatrice se serve de certains mythes et imaginations pour matérialiser ses idées-forces ; ces puissantes images peuvent prendre forme et s'incarner, perdurer en quelque monde de la pensée subtilement
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matérialisée et réagir sur leur créateur. Dans ce cas, nous pourrions supposer que les autres mondes sont des constructions de ce type. Mais si une conscience subjective peut ainsi créer des mondes et des êtres, le monde objectif pourrait bien être lui-même un mythe de la Conscience, voire de notre propre conscience, ou la Conscience elle-même un mythe de la Nescience originelle. Si nous suivons cette ligne de pensée, nous sommes ainsi renvoyés à une vision de l'univers où ces choses se teintent d'irréalité, à l'exception de l'Inconscience qui produit tout et à partir de laquelle elles ont été créées, de l'Ignorance qui les crée, et, peut-être, d'un Être impersonnel supraconscient ou inconscient en l'indifférence de qui tout disparaît finalement, ou bien en qui tout retourne et prend fin.
Mais nous n'avons aucune preuve, et il est fort peu probable que le mental de l'homme puisse de cette manière créer un monde là où il n'en existait pas, créer in vacuo, sans substance en laquelle on sur laquelle construire, bien qu'il ait vraisemblablement le pouvoir d'ajouter quelque chose à un monde déjà construit. Le mental est en vérité un puissant instrument, plus puissant que nous ne le supposons de primé abord; il peut faire des formations qui se réalisent dans notre conscience et notre vie, ou dans celles d'autrui, et même agir sur la Matière inconsciente; mais réaliser une création entièrement originale dans le vide dépasse ses capacités. L'hypothèse qui nous paraît la plus probable, c'est que le mental de l'homme, à mesure qu'il se développe, entre en rapport avec de nouveaux domaines d'être et de conscience qu'il n'a aucunement créés, qui sont nouveaux pour lui et préexistent déjà dans la Toute-Existence. Dans son expérience intérieure qui s'élargit, il ouvre de nouveaux plans d'être en lui-même ; à mesure que se dissolvent les nœuds des centres secrets de sa conscience, il devient capable, par leur intermédiaire, de concevoir ces plus vastes domaines, d'en recevoir directement les influences, d'y pénétrer, de se les représenter dans son mental terrestre et ses sens intérieurs. Il crée effectivement des images, des formes-symboles, des figures qui les réfléchissent et que son mental! peut appréhender. C'est dans ce sens seulement qu'il crée l'Image Divine qu'il adore, qu'il crée les formes des dieux, crée des plans et des mondes nouveaux en lui ; et grâce à ces images, les mondes et les pouvoirs réels qui surpassent notre existence peuvent prendre possession de la conscience dans le monde physique, y déverser leurs énergies, le transformer par la lumière de leur être supérieur. Mais tout cela n'est pas une création des mondes supérieurs de l'être ; c'est une révélation de ces mondes à la
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conscience de l'âme sur le plan matériel au cours de son évolution hors de la Nescience. C'est une création de leur forme ici, sur terre, par une réception de leurs pouvoirs ; il y a élargissement de notre vie subjective sur ce plan grâce à la découverte de ses vrais rapports avec les plans supérieurs de son être dont elle était séparée par le voile de la Nescience matérielle. Ce voile existe parce que l'âme dans le corps a relégué à l'arrière-plan ces possibilités plus grandes afin de pouvoir concentrer exclusivement sa conscience et sa force sur son travail primordial dans ce monde physique de l'être ; mais ce travail ne peut avoir de suite que si le voile est au moins partiellement levé ou rendu perméable, afin que les plans supérieurs du mental, de la vie et de l'esprit puissent déverser leurs significations dans l'existence humaine.
On peut supposer que ces plans et mondes supérieurs ont été créés après la manifestation du cosmos matériel afin de contribuer à l'évolution ou, en un certain sens, comme résultat de celle-ci. C'est une notion que le mental physique, pour qui l'univers matériel est l'origine de toutes ses idées et la seule chose qu'il connaisse, a analysée et peut traiter avec un début de maîtrise, et qu'il serait prêt à admettre s'il se voyait contraint d'accepter la réalité d'une existence supraphysique. Il pourrait alors conserver, comme point de départ et support de tout être, le matériel, l'Inconscience qui est déjà pour nous l'indubitable point de départ du mouvement évolutif dont le monde matériel est la scène. Notre mental pourrait encore considérer la matière et la force matérielle comme la première existence — qu'il accepte et chérit comme telle parce que c'est la première chose qu'il connaisse, la seule qui soit toujours fiable parce que toujours présente et connaissable — et maintenir le spirituel et le supraphysique dans un état de dépendance, sur ces fondations solides dans la Matière.¹ Mais alors, comment ces autres mondes ont-ils été créés, par quelle force, quels instruments? Il se pourrait que la Vie et"le Mental, en se développant à partir de l'Inconscient, aient en même temps fait émerger ces autres mondes, ou ces autres plans, dans la conscience subliminale des êtres vivants qui y apparaissent. Pour l'être subliminal dans la vie et après la mort — c'est en effet l'être intérieur qui survit à la mort du corps —, ces mondes pourraient être réels dans la mesure où sa
¹Il y a certaines expressions dans le Rig-Véda qui semblent supporter ce point de vue. On y parle de la Terre (le principe matériel) comme du fondement de tous les mondes, et les sept mondes sont appelés les sept plans de la Terre.
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conscience, dont le champ se serait élargi, pourrait les percevoir ; il pourrait se mouvoir en eux avec ce sens de leur réalité, dérivé peut-être mais. convaincant, et il transmettrait son expérience à l'être de surface sous forme de croyance et d'imagination. C'est une explication possible, si nous admettons que la Conscience est le vrai pouvoir ou agent créateur et que toutes choses sont des formations de la conscience. Mais cela ne donnerait pas aux plans supraphysiques de l'être ce caractère insubstantiel ou cette réalité moins tangible que le mental physique voudrait leur attacher ; ils auraient en soi la même réalité que possède le monde physique, ou; le plan de l'expérience physique, dans son ordre propre.
Si les mondes supérieurs se sont développés de cette façon, 'ou d'une autre, après la création du monde matériel, la création première, par une plus vaste et secrète évolution hors de l'Inconscient, cela doit avoir été accompli par une et ce lors de son émergence, suivant un processus dont nous ne pouvons avoir, aucune connaissance, pour servir les desseins de l'évolution sur terre — comme des prolongements ou de plus vastes conséquences— afin que la vie, le mental et l'esprit puissent se mouvoir en des domaines aux possibilités plus étendues et que ces plus grands pouvoirs et ces plus grandes expériences puissent avoir des répercussions sur l'expression de soi matérielle. Mais cette hypothèse se heurte au fait que dans la vision et l'expérience que, nous avons de ces, mondes supérieurs, nous constatons que ceux-ci ne reposent aucunement sur l'univers matériel, et ne sont aucunement les résultats, mais plutôt de plus grands termes de l'être, de plus vastes et plus libres domaines de la conscience, et que toute l'action du plan matériel semble être davantage le produit que l'origine de ces termes supérieurs, en dériver, voire en dépendre partiellement dans son effort évolutif. D'immenses domaines de pouvoirs, d'influences, de phénomènes descendent sur nous de façon voilée depuis le surmental et les domaines du mental et du vital supérieurs, mais seule une partie -—une sélection, en quelque sorte, un nombre limité — peut se représenter sur notre scène et se réaliser dans l'ordre du monde physique ; le reste attend son heure et l'occasion propice pour se révéler dans les termes et les formes physiques et jouer son rôle dans l'évolution terrestre¹ qui est, en même temps, une évolution de tous les pouvoirs de l'esprit.
¹Il est évident que " terrestre " ne signifie pas pour nous cette seule terre et sa durée ; nous employons le mot terre dans son sens étymologique plus large, c'est la Prithivî du Védânta, le principe terre qui crée pour l'âme ses habitations de forme physique.
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Ce caractère des autres mondes contrarie tous nos efforts visant à donner une importance primordiale à notre propre plan et à notre rôle dans la manifestation cosmique. Nous ne créons pas Dieu comme un mythe de notre conscience, mais nous sommes des instruments pour une manifestation progressive du Divin dans l'être matériel. Nous ne créons pas les dieux, les pouvoirs du Divin ; disons plutôt que le degré de divinité que nous manifestons est la réflexion partielle et la mise en forme, sur terre, des divinités éternelles. Nous ne créons pas les plans supérieurs, nous sommes des intermédiaires par lesquels ils révèlent leur lumière, leur pouvoir, leur beauté sous quelque forme ou dans quelque dimension que la force de la Nature puisse leur donner sur le plan matériel. C'est la pression du monde de la Vie qui permet à la vie d'évoluer et de se développer ici dans les formes que nous connaissons déjà; c'est cette pression croissante qui l'incite à aspirer en nous à une plus grande révélation d'elle-même et qui un jour délivrera le mortel de sa sujétion aux étroites limitations de sa nature physique actuelle, incompétente et restrictive. C'est la pression du monde du Mental qui fait évoluer et développe ici le mental et nous aide à trouver un levier qui permet à notre mental de s'élever et de s'étendre, afin que nous ayons l'espoir d'élargir sans cesse notre moi intellectuel et même d'abattre les murs de la prison de notre mentalité physique liée à la matière. C'est la pression du monde spirituel et du monde supramental qui se prépare à développer ici le pouvoir manifeste de l'esprit et, grâce à lui, notre être s'ouvrira sur le plan, physique à la liberté et à l'infinité du Divin supraconscient ; ce contact, cette pression peuvent seuls libérer le Divin omniconscient caché en nous de l'Inconscience apparente qui fut notre point de départ. Dans cet ordre des choses, notre conscience humaine est l'instrument, l'intermédiaire ; dans l'épanouissement de la lumière et du pouvoir hors de l'Inconscience, elle est le point où la libération devient possible; nous ne pouvons lui attribuer un plus grand rôle, mais il est déjà considérable, car il donne à notre humanité une importance essentielle pour la réalisation de l'objectif suprême de la Nature évolutive.
Il y a cependant quelques éléments de notre expérience subliminale qui remettent en question cette idée que les autres mondes sont invariablement antérieurs à l'existence matérielle, comme le suggère, notamment, la vision relative à l'expérience après la mort : une tradition bien enracinée veut que l'on demeure alors dans des conditions qui semblent être un prolongement supraphysique des conditions de la nature et de
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l'expérience terrestres. Il existe en outre, dans les mondes vitaux en particulier, des formulations qui ressemblent aux mouvements inférieurs de l'existence terrestre : les principes de l'obscurité, du mensonge, de l'incapacité et du mal dont nous avons supposé qu'ils sont la conséquence de révolution hors de l'Inconscience matérielle, s'y trouvent déjà incarnés Il semble même que les mondes vitaux soient en fait la demeure naturelle des Pouvoirs qui perturbent le plus la vie humaine ; ce qui d'ailleurs est logique, car c'est par l'entremise de notre être vital qu'ils nous dominent ils doivent donc être des pouvoirs d'une existence vitale plus vaste et plus puissante. Il n'était pas obligatoire que la descente du Mental et de la Vie dans l'évolution ait des conséquences aussi funestes que la limitation de l'être et de la conscience. Cette descente, en effet, est essentiellement une limitation de la connaissance ; l'existence, la cognition et la joie d'être s'enferment dans une moindre vérité, un moindre bien, une moindre beauté et dans leur harmonie inférieure, et leurs mouvements suivent la loi d'une lumière plus étroite. Mais dans un tel mouvement l'obscurité, la souffrance et le mal ne sont pas des phénomènes inévitables. Si nous découvrons qu'ils existent dans ces tout autres mondes du mental et de la vie — même s'ils n'occupent pas tout le territoire, mais seulement leur province séparée —, nous devons en conclure, soit que c'est une projection, à partir de l'évolution inférieure, de bas en haut, qui leur a donné naissance, que quelque chose a jailli, dans les parties subliminales de la Nature, créant une plus vaste formation du mal engendré sur terre -— ou qu'ils étaient déjà créés et faisaient partie d'une gradation, parallèle à la descente involutive, formant une échelle pour l'ascension évolutive vers l'Esprit, de même que la gradation involutive formait une échelle pour la descente de l'Esprit. Dans cette dernière hypothèse, la gradation ascendante pourrait avoir un double but, car elle contiendrait des pré-formations du bien et du mal qui doivent évoluer sur la terre : ils feraient partie de la lutte nécessaire à la croissance évolutive de l'Âme dans i la Nature; ce seraient des formations existant en soi, pour leur propre satisfaction indépendante, représentant le type accompli de ces choses, chacune en sa nature distincte, et exerçant en même temps leur influence spécifique sur les êtres évolutifs.
Ces mondes d'une Vie plus vaste contiendraient donc à la fois les formations plus lumineuses et les formations plus obscures de la vie dans notre monde, dans un milieu où elles pourraient parvenir librement à leur expression indépendante, à la pleine liberté, à la plénitude et
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l'harmonie naturelles de leur propre type, pour le bien ou pour le mal — à supposer que cette distinction s'applique à ces domaines —, plénitude et indépendance impossibles ici, dans notre existence où tout se mélange dans l'interaction complexe nécessaire au champ d'une évolution multiforme menant à une intégration finale. En effet, ce que nous appelons faux, obscur ou mal semble avoir là sa vérité particulière et. se satisfaire entièrement de son propre type parce que ces forces l'expriment pleinement et parfaitement, et qu'ainsi le pouvoir de leur être se sent lui-même comblé; il se crée un accord, une adaptation parfaite de toutes les circonstances à leur principe d'existence ; chacune y goûte sa propre conscience, son pouvoir essentiel, sa propre félicité d'être, odieuse pour notre mental, mais pour elle-même riche de la joie du désir satisfait. Ces impulsions vitales qui, pour la nature terrestre, sont excessives et démesurées et semblent ici perverses et anormales, trouvent en leur propre domaine d'être un accomplissement autonome et un jeu sans restriction de leur type et de leur principe. Ce qui, pour nous, est divin ou titanesque, râkshasique, démoniaque et, par conséquent, surnaturel, est normal pour chacune en son domaine, et donne aux êtres qui incarnent ces forces le sentiment de leur nature essentielle et l'harmonie de leur propre principe. La discorde elle-même, la lutte, l'incapacité, la souffrance atteignent à une sorte de satisfaction vitale qui, autrement, se sentirait frustrée ou déficiente. Quand nous voyons ces pouvoirs agir isolément, construire leurs structures vitales, comme ils le font dans ces mondes secrets où ils exercent leur domination, nous percevons plus clairement leur origine et la raison de leur existence, et aussi la raison pour laquelle la vie humaine est sous leur emprise et l'homme attaché à ses imperfections, au drame de la vie avec ses victoires et ses échecs, son bonheur et sa souffrance, son rire et ses larmes, son péché et sa vertu. Ici, sur la terre, ces choses existent dans un état obscur, insatisfait et donc insatisfaisant, de lutte et de mélange ; mais là elles révèlent leur secret et leur raison d'être, parce qu'elles y sont établies en leur pouvoir originel et en la forme complète de leur nature, dans leur monde propre et leur atmosphère exclusive. Les cieux et les enfers de l'homme, ses mondes de lumière et ses mondes de ténèbres ont beau être construits dans l'imaginaire, ils naissent de la perception que ces pouvoirs existent en leur principe et projettent leurs influences sur lui et dans la vie, depuis un au-delà de la vie qui fournit les éléments de son existence évolutive.
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De même que les pouvoirs de la Vie ont en eux-mêmes leur propre fondement, et trouvent perfection et plénitude en une Vie plus grande au-delà de nous, de même découvrons-nous que les pouvoirs du Mental, ses idées et ses principes qui influencent notre être terrestre, trouvent eux aussi dans le monde supérieur du Mental le champ où leur nature essentielle est pleinement accomplie, tandis qu'ici, dans l'existence humaine, ils ne projettent que des formations partielles qui ont beaucoup de difficulté à s'établir, à cause du contact et du mélange avec d'autres pouvoirs et d'autres principes; ce contact, ce mélange réduisent leur plénitude, altère leur pureté, contredit et contrecarre leur influence. Ces autres mondes ne sont donc pas évolutifs, ce sont des mondes-types; mais l'une des raisons —' car 'elle n'est pas la seule —.de leur existence est qu'ils fournissent certains éléments qui doivent apparaître dans la manifestation involutive, ainsi que d'autres qui sont projetés dans l'évolution. Ils y trouvent un espace où leur signification peut s'exprimer de façon satisfaisante, et une existence indépendante. Établis sur cette base, leurs fonctions et leurs processus peuvent se couler et s'intégrer dans les opérations complexes de la Nature évolutive.
Si nous considérons de ce point de vue les explications humaines traditionnelles de l'existence en d'autres mondes, nous verrons que, dans la plupart des cas, elles suggèrent l'existence de mondes d'une vie plus vaste, affranchie des restrictions et des imperfections ou de l'incomplétude de la vie dans la nature terrestre. Ces explications sont évidemment construites dans une large mesure par l'imagination, mais il s'y trouve aussi un élément d'intuition et de divination, un sentiment de ce que la vie peut être, et qu'elle est sûrement, en quelque domaine de sa nature manifestée ou réalisable ; il s'y trouve en outre un élément suggérant un vrai contact, une vraie expérience subliminale. Mais ce que l'homme voit ou reçoit, les contacts qu'il établit dans une nature autre, son mental le traduit en images conformes à -sa conscience ; ce sont ses traductions des réalités supraphysiques en des formes et des représentations significatives qui lui sont propres, et, par leur intermédiaire, il entre en communication avec ces réalités et peut, jusqu'à un certain point, les rendre présentes et effectives. L'expérience qu'une vie terrestre modifiée se poursuit après la mort peut s'expliquer par ce genre de traduction ; mais nous pouvons l'expliquer autrement, dire qu'elle est en partie la création d'un état subjectif après la mort, où l'homme continue de vivre parmi les images de son expérience
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habituelle avant d'entrer dans les réalités des autres mondes, et en partie un passage à travers les mondes de la vie où le type des choses s'exprime en des formations qui sont à l'origine de celles auxquelles l'homme était attaché dans son corps terrestre, ou qui s'y apparentent, et qui, par conséquent, exercent une attraction naturelle sur l'être vital une fois qu'il est sorti du corps. Cependant, hormis ces états de la vie plus subtils, les explications traditionnelles de l'existence en d'autres mondes comportent — bien que ce soit un élément plus rare et plus élevé qui n'entre pas dans la conception populaire de ces choses — une gradation supérieure d'états d'existence qui sont clairement d'un caractère non pas vital mais mental, et d'autres qui reposent sur un principe mental-spirituel. Ces principes supérieurs sont formulés dans des états d'être où peut s'élever notre expérience spirituelle, et où peut pénétrer notre âme; Le principe de gradation que nous avons accepté est dès lors justifié, à condition que nous reconnaissions que c'est une façon d'organiser notre expérience et que d'autres manières, procédant d'autres points de vue, sont possibles. Si une certaine classification, en effet, peut toujours être valable selon le principe et le point de vue adoptés, une autre, portant sur les mêmes choses, peut l'être tout autant, selon d'autres principes et d'autres points de vue. Néanmoins, pour notre propos, le système que nous avons choisi a la plus haute valeur, car il est fondamental et répond à une vérité de la manifestation qui est d'une extrême importance pratique; il nous aide à comprendre notre existence telle qu'elle est constituée, ainsi que le cours de l'involution et du mouvement évolutif de la Nature. Nous voyons en même temps que les autres mondes ne sont pas des réalités entièrement séparées de l'univers matériel et de la nature terrestre, mais que leurs influences les pénètrent et les enveloppent, et que leur force les façonne et les guide par une secrète incidence, qu'il n'est pas facile de mesurer. Cette organisation de notre connaissance et de notre expérience des autres mondes nous donne la clef de la nature et des lignes d'action de cette incidence.
L'existence et l'influence des autres mondes sont un fait de première importance pour les possibilités et l'étendue de notre évolution dans la Nature terrestre. En effet, si l'univers physique était le seul champ de manifestation de la Réalité infinie et, en même temps, le champ de son entière manifestation, il nous faudrait supposer — puisque tous les principes de son être, depuis la Matière jusqu'à l'Esprit, sont entièrement involués dans la Force apparemment inconsciente qui est,la base,des
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premières opérations de cet univers —, qu'elle les fait évoluer complètement et uniquement sur la terre, sans aucune aide ni aucune pression autres que celles de la Supraconscience secrète qui est en elle. Il y aurait alors un système où le principe de la Matière demeurerait toujours le principe primordial, la condition essentielle, originelle et déterminante de l'existence manifestée. Certes, l'Esprit pourrait finalement exercer jusqu'à un certain point sa domination naturelle et faire de sa base qu'est la matière physique un instrument plus plastique qui n'interdise plus aussi catégoriquement l'intervention de la loi et de la nature spirituelles les plus hautes, ou ne s'y oppose pas, comme elle le fait à présent avec une résistance obstinée et un manque total de plasticité. Mais l'Esprit dépendrait toujours de la Matière pour se manifester; elle resterait son champ d'action, et il ne pourrait en avoir d'autre ni en sortir pour passer à un autre type de manifestation; et même dans ce champ, il aurait du mal à libérer un principe différent de son être pour en faire le souverain du fondement matériel : la Matière demeurerait de façon permanente le seul facteur déterminant de sa manifestation. La Vie ne pourrait devenir un pouvoir dominant et déterminant, ni le Mental devenir le maître et le créateur ; les frontières de leurs capacités seraient fixées par les capacités de la Matière, qu'ils pourraient étendre ou modifier, mais non transformer radicalement, ni libérer. Il n'y aurait place pour aucune manifestation libre et complète d'aucun pouvoir de l'être, tout serait à jamais limité par les conditions d'une formation matérielle obscurcissante. L'Esprit, le Mental, la Vie n'auraient pas de domaine natif, ni de champ où leur pouvoir et leur principe caractéristiques puissent se manifester complètement. On a quelque peine à croire en l'inévitabilité de cette auto-limitation, si l'Esprit est le créateur et si ces principes ont une existence indépendante et ne sont pas des produits, des résultats ou des phénomènes de l'énergie de la Matière.
Mais étant donné que la Réalité infinie est libre dans le jeu de sa conscience, elle n'est pas contrainte de s'involuer dans la nescience de la Matière avant de pouvoir même se manifester. Il lui est possible de créer un ordre des choses exactement contraire, un monde où l'unité de l'être spirituel est la matrice et la condition première de toute formation ou de toute action, où l'Énergie à l'oeuvre est une existence spirituelle en mouvement et consciente de soi, et où tous ses noms et formes sont un jeu conscient de l'unité spirituelle. Ce pourrait être aussi un ordre où le
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pouvoir inné de l'Esprit, sa Force ou sa Volonté conscientes, réaliserait librement et directement ses possibilités en lui-même et non, comme ici, par l'intermédiaire limitatif de la Force de Vie dans la matière; cette réalisation serait à la fois le premier principe de la manifestation et l'objet de toute son action libre et béatifique. Ou encore ce pourrait être un ordre dont l'objet serait le libre jeu d'une joie inhérente, infinie et mutuelle, dans une multiplicité d'êtres conscients non seulement de leur éternelle unité cachée ou sous-jacente, mais de la joie présente de leur unité. Dans un tel système, l'action du principe de la Béatitude existant en soi serait le premier principe et la condition universelle. Ce pourrait être également un ordre du monde où le en soi, pour serait le principe dominant depuis le début ; la nature de la manifestation serait alors une multiplicité d'êtres qui, grâce au jeu libre et lumineux de leur individualité divine, trouveraient la joie multiforme de leur différence dans l'unité.
Il n'est pas non plus nécessaire que la série s'arrête là; nous remarquons en effet qu'en nous le Mental est entravé par la Vie dans la Matière, et qu'il a toutes les difficultés possibles à vaincre la résistance de ces deux pouvoirs différents, et que, pareillement, la Vie elle-même est limitée par la mortalité, l'inertie et l'instabilité de la Matière. L'existence d'un ordre du monde où aucune de ces incapacités ne ferait partie des conditions premières de la vie est certes possible, un monde où, dès le début, le Mental prédominerait, où il serait libre d'agir sur sa propre substance, sa matière, comme sur un matériau suffisamment plastique, ou dans lequel la Matière serait très évidemment le résultat de la réalisation de la Force Mentale universelle dans la vie. Même sur terre" il en est ainsi en réalité ; mais ici, la Force du Mental est involuée depuis le début, longtemps subconsciente, et même après avoir émergé, elle ne se possède jamais librement; elle est soumise au matériau qui l'enferme, tandis que, là, elle serait en possession d'elle-même et maîtresse de son matériau, beaucoup plus subtil et plastique que dans un univers principalement physique. De même la Vie pourrait avoir son ordre cosmique propre où elle serait souveraine, où elle pourrait déployer ses propres désirs et tendances plus plastiques et librement variables, sans être à chaque instant menacée par les forces de désintégration, et donc sans avoir à se préoccuper avant tout de sa survie, sans être limitée dans son jeu par cet état de tension précaire qui bride ses instincts de libre formation, de libre satisfaction et de libre aventure. La domination
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séparée de chaque principe est une possibilité éternelle dans l'a manifestation de l'être — étant donné que ce sont des principes distincts en leur pouvoir dynamique et leur mode d'action, bien qu'ils soient un en leur substance originelle.
Tout cela n'aurait peut-être aucune importance s'il ne s'agissait que d'une possibilité philosophique ou d'une potentialité dans l'être de Satchidânanda que celui-ci ne réalise jamais ou qu'il n'a pas encore réalisée, ou, à supposer qu'elle l'ait été, qu'il n'a pas amenée dans lé champ de conscience des êtres vivant dans l'univers physique. Mais comme toute notre expérience spirituelle et psychique en témoigné et l'affirme, elle nous apporte la preuve constante, et invariable dans ses principes essentiels, de l'existence de mondes supérieurs, de plans d'existence plus libres. Et puisque nous ne nous sommes pas enchaînés, comme l'est si souvent la pensée moderne, au dogme selon lequel l'expérience physique, où l'expérience basée sur les sens physiques, est seule réelle, et l'analyse rationnelle de l'expérience physique seule vérifiable (tout le reste n'étant que le résultat de l'expérience et de l'existence physiques, et ce qui se trouve au-delà, une erreur, un aveuglement et une hallucination), nous sommes libres d'accepter cette preuve et d'admettre la réalité de ces plans. Nous voyons qu'ils sont, pratiquement, des harmonies différentes de l'harmonie de l'univers physique ; comme le mot " plan " le suggère, ils occupent un niveau différent dans l'échelle de l'être et leurs principes suivent un système et un ordre différents. Pour notre propos actuel, nous n'avons pas besoin de chercher s'ils coïncident dans l'espace et le temps avec notre propre monde ou s'ils se meuvent dans un champ spatial différent et dans un autre courant temporel — dans un cas comme dans l'autre, c'est dans une substance plus subtile, suivant d'autres mouvements. Tout ce qui nous concerne directement, c'est de savoir si ce sont des univers différents, chacun complet en soi, qui ne se rencontrent pas, m ne s'entrecroisent, ni ne s'affectent mutuellement, ou si ce sont plutôt les échelles différentes d'un même système d'être, gradué et entrelacé, et s'ils font donc partie d'un système universel unique et complexe. Le fait qu'ils puissent pénétrer dans le champ de notre conscience mentale tend naturellement à valider la seconde hypothèse, mais ce n'est pas en soi une preuve suffisante. Nous constatons que ces plans supérieurs agissent en fait à chaque instant sur notre plan d'être et communiquent avec lui, bien que cette action, naturellement, ne puisse être perçue
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par notre conscience de veille ou extérieure ordinaire, car celle-ci est en majeure partie limitée à une réception et une utilisation des contacts du monde physique; mais dès que nous réintégrons notre être subliminal ou élargissons notre conscience de veille au-delà du champ des contacts physiques, nous prenons conscience d'une partie de cette action supérieure. Nous constatons même que dans certaines conditions, l'être humain peut, tout en restant dans son corps, se projeter en partie dans ces plans supérieurs; a fortiori il doit pouvoir le faire quand il est hors de son corps, et le faire alors complètement, puisqu'il n'est plus dans cet état d'infirmité dû à l'asservissement de la vie physique à son corps. Les conséquences de cette relation et de ce pouvoir de transfert sont d'une importance capitale. D'une part, elles justifient immédiatement, en tout cas comme possibilité réelle, l'ancienne tradition selon laquelle l'être humain conscient séjourne, au moins temporairement, dans d'autres mondes que le monde physique après la dissolution du corps physique. D'autre part, elles fendent possible l'action des plans supérieurs sur l'existence matérielle, action qui peut libérer les pouvoirs que représentent ces plans, les pouvoirs de la vie, du mental et de l'esprit, afin de servir le but de l'évolution inscrit dans la Nature du fait même de leur incarnation dans la Matière.
À l'origine, ces mondes n'ont pas été créés après l'univers physique, ils lui sont antérieurs — sinon dans le temps, du moins dans leur séquence et leur conséquence. Car même s'il existe une gradation ascendante aussi bien qu'une gradation descendante, cette gradation ascendante doit, naturellement et avant tout, favoriser l'émergence évolutive dans la Matière, elle doit être un pouvoir formateur qui l'aide dans son effort, lui apportant des éléments favorables ou hostiles, et non pas une simple conséquence de l'évolution terrestre ; ce n'est pas là, en effet, une probabilité rationnelle et cela n'a pas non plus de sens spirituel, ni de sens dynamique et pragmatique. Autrement dit, les mondes supérieurs ne sont pas venus à l'existence du fait d'une pression de l'univers physique inférieur — disons, de Satchidânanda dans l'Inconscience physique —, ou à cause de l'élan de son être "à mesure qu'il émerge de l'Inconscience dans la vie, le mental et l'esprit et éprouve la nécessité de créer des mondes, ou des plans, où ces principes aient un plus libre jeu et où l'âme humaine puisse fortifier ses tendances vitales, mentales ou spirituelles. Ils sont encore moins les créations de l'âme humaine elle-même, rêves ou résultats de ce que
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l'humanité, en son être dynamique et créateur, ne cesse de projeter d'elle-même au-delà des limites de la conscience physique. Les seules choses que l'homme crée manifestement dans ce domaine, sont les images réfléchies de ces plans dans sa conscience incarnée et la capacité que son âme a d'y répondre, d'en devenir consciente, de participer consciemment à l'entrelacement de leurs influences avec l'action du plan physique. Grâce aux résultats ou aux projections de son action vitale et mentale supérieure, il peut certes contribuer à l'action de ces plans ; mais dans ce cas, ces projections ne sont finalement qu'un retour à eux-mêmes des plans supérieurs, un retour, depuis la terre, de leurs pouvoirs descendus dans le mental terrestre, puisque cette action vitale et mentale supérieure est elle-même le résultat d'influences transmises depuis les plans supérieurs. Il est également possible qu'il crée une sorte d'annexé subjective à ces plans supraphysiques, au plus bas d'entre eux en tout cas, divers milieux à moitié irréels qui sont des enveloppes créées spontanément par sa conscience mentale et vitale plutôt que des mondes véritables; ce sont des reflets de son être, un milieu artificiel qui correspond à l'effort qu'il fait, au cours de sa vie, pour se représenter ces autres mondes — cieux et enfers projetés par la faculté créatrice Imaginative que possède le pouvoir de son être conscient. Mais ni l'une ni l'autre de ces contributions ne représente en rien la création totale d'un plan d'être réel fondé et agissant sur son propre principe séparé.
La création de ces plans ou systèmes coïncide donc, au moins, avec celle de l'univers physique, ou ce qui se présente à nous comme tel, et ils coexistent avec lui. Nous avons été amenés à conclure que le développement de la vie, du mental et de l'esprit dans l'être physique présuppose leur existence ; en effet, ces pouvoirs se développent grâce à deux forces qui s'associent : une force qui, d'en bas, tend vers le haut, et une force qui, d'en haut, attire vers le haut et presse vers le bas. Car il y a dans l'Inconscient la nécessité de faire apparaître ce qui est latent en lui, et il y a, dans les plans plus élevés, la pression des principes supérieurs, qui non seulement aide à la réalisation de cette nécessité générale, mais peut aussi déterminer dans une très large mesure les moyens particuliers grâce auxquels elle finira par se réaliser. C'est cette action qui attire vers le haut, et cette pression, cette insistance d'en haut qui explique l'influence constante des mondes spirituel, mental et vital sur le plan physique. Si l'on considère cet univers complexe et ces sept principes
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entrelacés dans chaque partie de son système et qui sont donc naturellement poussés à agir les uns sur les autres et à se répondre partout où ils peuvent entrer en contact, il est évident qu'une telle action, une pression et une influence aussi constantes en sont une conséquence inévitable, et doivent être inhérentes à la nature même de l'univers manifesté.
Une action secrète et continue des pouvoirs et des principes supérieurs, depuis leurs plans, sur l'être, et la nature terrestres, par l'intermédiaire du moi subliminal qui est lui-même une projection de ces plans dans le monde né de l'Inconscience, doit avoir un effet et un sens. Le premier effet a été de libérer la vie et le mental de la Matière le dernier, d'aider à l'émergence d'une conscience spirituelle, d'une volonté spirituelle, d'un sens spirituel de l'existence dans l'être terrestre, si bien que celui-ci ne se préoccupe plus uniquement de sa vie la plus extérieure, et parfois aussi de recherches et d'intérêts sur le plan mental; il a appris à regarder au-dedans, à découvrir son être intérieur, son moi spirituel, et il aspire à transcender la terre et ses limitations. À mesure qu'il pénètre plus profondément en lui-même, ses frontières mentales, vitales, spirituelles commencent à s'élargir, les liens qui retenaient la vie, le mental et l'âme à leurs premières limitations se relâchent ou se rompent, et l'homme, l'être mental, commence à entrevoir un plus vaste royaume du moi et du monde qui était fermé à la vie terrestre primitive. Tant qu'il vit surtout à la surface, il ne peut évidemment édifier qu'une sorte de superstructure idéale, Imaginative et conceptuelle sur le sol de son étroite existence habituelle. Mais s'il accomplit le mouvement vers le dedans que sa vision la plus haute lui a présenté comme une suprême nécessité spirituelle, alors il trouvera dans son être intérieur une Conscience et une vie plus vastes. Une action du dedans et une action d'en haut peuvent vaincre la prédominance de la formule matérielle, réduire le pouvoir de l'Inconscience et, finalement, y mettre fin, renverser l'ordre de la conscience, substituer l'esprit à la Matière comme fondation consciente de son être et libérer ses pouvoirs spirituels supérieurs pour qu'ils puissent s'exprimer complètement et selon leur caractère propre dans la vie de l'âme incarnée dans la Nature.
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La renaissance et les autres mondes ;le karma, l'âme et l'immortalité
En quittant ce monde, il accède au Moi physique; il accède au Moi de la vie; il accède au Moi du mental; il accède au Moi de connaissance; il accède au Moi de béatitude; il se déplace à volonté à travers ces mondes.
Taittirîya Upanishad. III. 10. 5.
Ils disent en vérité que l'être conscient est fait de désir. Mais de quelque désir qu'il soit issu, il est issu de cette volonté, et de quelque volonté qu'il vienne, il accomplit cette action, et quelle que soit son action, il atteint (le résultat de) cette action. (...) Son Karma¹ s'attachant à lui, il va, en son corps subtil, là où son mental se fixe; puis, parvenant au terme de son Karma, et même de toutes les actions qu'il accomplit ici, il revient ensuite de cet autre monde vers celui-ci pour le Karma.
au Upanishad. IV. 4,5, 6.
Pourvu de qualités, accomplissant les œuvres et créant leurs conséquences, il récolte le fruit de ses actes ; il est maître de la vie et son voyage suit le cours de ses actes ; lui qui a la pensée et l'ego, on le connaîtra d'après les qualités de son intelligence et la qualité de son moi. Plus petite que la centième partie de la
¹L'action, karma. Selon le point de vue exprimé dans ce verset de l'Upanishad, le Karma, l'action de cette vie, est épuisé au cours de la vie dans le monde au-delà, où ses fruits se réalisent, et l'âme retourne alors sur la terre pour un nouveau Karma. La cause de la naissance dans ce monde, du Karma, du passage de l'âme à une existence dans un autre monde et son retour sur terre, se trouve tout au long dans la conscience, la volonté et le désir propres de l'âme.
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pointe d'un cheveu, l'âme de l'être vivant est capable d'infini. Ni masculine, ni féminine, ni neutre, elle se joint à tout corps qu'elle assume et dont elle fait son propre corps.
Shvetâshvatara Upanishad. V. 7-10.
Mortels, ils ont atteint l'immortalité.
Rig-Véda.I.110.4.
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La première conclusion à laquelle nous sommes parvenus au sujet de la réincarnation, est que la renaissance de l'âme dans des corps terrestres successifs est une conséquence inévitable du sens et du processus originels de la manifestation dans la nature terrestre; mais .cette conclusion suscite de nouveaux problèmes et de nouveaux résultats qu'il nous faut élucider. D'abord se pose la question du processus de-la renaissance: si ce n'est pas une succession rapide, la naissance suivant immédiatement la mort du corps de façon à maintenir une série ininterrompue de vies pour la même personne, s'il y a des intervalles, cela soulève une autre question relative au principe et au processus du passage à d'autres mondes où doivent se dérouler ces intermèdes, et du retour à la vie terrestre. Une troisième question concerne le processus de l'évolution spirituelle elle-même et les mutations que subit l'âme lors de son passage d'une naissance à l'autre au cours des étapes de son aventure.
Si l'univers physique était le seul monde manifesté, ou s'il était un monde complètement à part, la renaissance en tant qu'élément du processus évolutif se limiterait à une série continue de transmigrations directes d'un corps à un autre; la mort serait immédiatement suivie d'une nouvelle naissance, sans aucun intervalle possible — le passage de l'âme serait une circonstance spirituelle dans la séquence ininterrompue d'un procédé matériel obligatoire et mécanique. L'âme n'aurait aucune liberté par rapport à la Matière, elle serait perpétuellement liée à son instrument, le corps, et dépendrait de lui pour la continuité de son existence manifestée. Mais nous avons découvert qu'il y a une vie sur d'autres plans après la mort et avant la renaissance suivante, une vie qui est la conséquence de l'ancienne étape de l'existence terrestre et qui prépare la nouvelle. D'autres plans coexistent avec le nôtre ; ils font partie d'un système unique et complexe, agissent constamment sur le physique qui est leur propre terme final et le plus bas, reçoivent ses réactions et admettent une communication et un commerce secrets
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avec lui. L'homme peut devenir conscient de ces plans, et même, dans certains états, projeter en eux son être conscient, et s'il le fait partiellement durant sa vie, il doit pouvoir le faire complètement après la dissolution du corps. Une telle possibilité de se projeter dans d'autres mondes ou plans d'être devient dès lors suffisamment effective pour devenir pratiquement une nécessité — cette projection suivant immédiatement, et peut-être invariablement, la vie terrestre, si, dès le début, l'homme est capable d'effectuer ce transfert, ou se produisant ultérieurement s'il n'y parvient que par une progression graduelle. Il est possible, en effet, qu'au début il ne soit pas suffisamment développé pour porter sa vie ou son mental dans de plus vastes mondes de la vie ou du mental et qu'il soit contraint d'accepter, comme seule possibilité de survivre, une transmigration immédiate d'un corps terrestre à un autre.
La nécessité d'un interrègne entre deux naissances et d'un passage à d'autres mondes résulte de deux causes : d'une part l'attraction des autres plans pour l'être mental et l'être vital dans la nature composite de l'homme, en raison de leur affinité avec ces plans, et d'autre part l'utilité ou même le besoin d'un intervalle pour assimiler la totalité de l'expérience d'une vie, pour décider ce qui doit être rejeté, et se préparer à la nouvelle incarnation et à la nouvelle expérience terrestre. Mais ce besoin d'une période d'assimilation et cette attraction des autres mondes pour les parties qui, dans notre être, sont de même nature, ne peuvent prendre effet qu'une fois l'individualité mentale et vitale suffisamment développée dans l'homme physique à demi animal. Ils ne pourraient exister avant ou seraient inactifs ; les expériences de la vie seraient trop simples et trop élémentaires pour nécessiter une assimilation, et l'être naturel trop fruste pour qu'un processus complexe d'assimilation soit en son pouvoir. Les parties supérieures ne seraient pas assez développées pour s'élever jusqu'aux plans d'existence supérieurs. S'il n'existe aucun lien avec d'autres mondes, une théorie de la renaissance, qui admettrait seulement une transmigration constante, serait donc possible ; l'existence d'autres mondes et le séjour de l'âme en d'autres plans ne feraient pas réellement partie de ce système, ni n'en seraient, à aucun stade, un élément nécessaire. On peut concevoir une autre théorie, où ce passage serait la règle impérative pour tous, et où il n'y aurait pas de renaissance immédiate; l'âme aurait besoin d'une pause pour se préparer à sa nouvelle incarnation et à sa nouvelle expérience. Un compromis entre
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les deux théories est également possible : la transmigration pourrait être la première règle et prévaloir tant que l'âme n'est pas encore mûre pour une existence dans un monde supérieur; le passage à d'autres plans serait une loi subséquente. Il peut même y avoir un troisième stade, comme on le suggère parfois, où l'âme est si puissamment développée, ses éléments naturels si vivants spirituellement, qu'elle' n'a besoin d'aucun intervalle, mais peut immédiatement renaître pour évoluer plus rapidement, sans être retardée par un tel intermède.
Les conceptions populaires, provenant des religions qui admettent la réincarnation, abritent une contradiction dont elles n'ont eu aucun mal à concilier les termes, à l'instar des croyances populaires : d'une part la croyance, plutôt vague mais assez répandue, que. la mort est immédiatement ou quasi instantanément suivie d'une autre incarnation, et, d'autre part, le vieux dogme religieux d'une vie après la mort, dans des enfers et des paradis, ou, peut-être, en d'autres mondes ou d'autres plans d'être, que l'âme a mérités ou encourus selon ses mérites et démérites dans cette existence physique ; le retour sur terre ne peut dès lors se produire qu'une fois le mérite et le démérite épuisés, et l'être prêt pour une nouvelle vie terrestre. Cette incohérence disparaîtrait si nous admettions un mouvement variable, dépendant du niveau d'évolution que l'âme a atteint au cours de sa manifestation dans la Nature ; tout dépendrait donc de sa capacité d'accéder à un état d'être supérieur à la vie terrestre. Or dans la notion ordinaire de réincarnation, l'idée d'une évolution spirituelle n'est pas explicite, elle n'est qu'implicite, dans la mesure où l'âme doit atteindre le point où elle devient capable de transcender la nécessité de la renaissance et de retourner à sa source éternelle. Mais s'il n'y a pas d'évolution graduelle et graduée, ce point peut aussi bien être atteint par un mouvement chaotique en zigzag dont la loi n'est pas facile à déterminer. La solution définitive à cette question dépend de la recherche et de l'expérience psychiques ; ici, nous pouvons seulement nous demander si, dans la nature des choses ou dans la logique ;du processus évolutif, il y a quelque nécessité apparente ou inhérente pour l'un ou l'autre mouvement, pour le passage immédiat d'un corps à un autre, ou pour le délai, ou l'intervalle, avant une nouvelle réincarnation du principe psychique qui prend corps.
La vie dans d'autres mondes apparaît comme une sorte de demi-nécessité — nécessité dynamique et pratique plutôt qu'essentielle — du
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fait même que les divers principes cosmiques sont entrelacés et d'une certaine manière interdépendants, et en raison de l'effet que cela doit avoir sur le processus de notre évolution spirituelle. Mais l'attraction, l'attirance plus puissantes de la terre ou le caractère principalement physique de la nature en évolution, pourraient s'y opposer pendant un certain temps. Notre croyance en la naissance, dans la forme humaine, d'une âme qui s'élève, et en sa renaissance répétée dans cette forme, sans laquelle elle ne peut achever son évolution humaine, repose, du point de vue de l'intelligence rationnelle, sur l'idée que le passage progressif de l'âme à des degrés toujours plus hauts de l'existence terrestre et, une fois atteint le niveau humain, la récurrence de sa naissance humaine, composent une séquence nécessaire à la croissance de la nature; une brève vie humaine sur la terre est évidemment insuffisante -pour; le dessein évolutif ...Aux premiers stades d'une série de réincarnations humaines, durant une phase humaine encore rudimentaire, des transmigrations immédiates et fréquentes semblent à première vue possibles — la réincarnation dans une nouvelle forme humaine par une nouvelle naissance se produisant immédiatement après que le corps précédent à été dissous du fait de la rupture ou de l'expulsion de l'énergie de vie organisée, et de la désintégration physique qui en résulte et que nous appelons la mort. Mais par quelle nécessité du processus évolutif une telle série de renaissances immédiates se verrait-elle imposée? Évidemment, cette nécessité ne pourrait être impérative qu'autant que l'individualité psychique — non pas l'entité psychique, l'âme secrète elle-même mais sa formation dans l'être naturel—serait peu évoluée, insuffisamment développée, si imparfaitement formée qu'elle ne pourrait durer qu'en s'appuyant sur la continuité ininterrompue de l'individualité mentale, vitale et physique de cette vie : encore incapable de persister par elle-même, de rejeter ses anciennes formations mentales et vitales et d'en construire de nouvelles après un interlude utile, elle serait obligée de transférer aussitôt sa personnalité grossière et primitive à un nouveau corps afin de la préserver. Il est douteux que nous puissions légitimement attribuer un développement aussi totalement insuffisant à un être assez fortement individualisé pour être déjà parvenu à la conscience humaine. Même dans son état normal le plus primitif, l'individu humain n'en est pas moins une âme qui agit à travers un être mental distinct, si mal formé, limité et sous-développé que ce mental puisse être, si absorbé et emprisonné dans la conscience physique et vitale, si incapable ou si peu désireux soit-il de se détacher
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de ses formations inférieures. Nous pouvons néanmoins supposer qu'il y a un attachement dont l'attraction vers le bas est si forte qu'elle oblige l'être à reprendre en toute hâte une existence physique, parce que sa formation naturelle n'est pas vraiment apte à autre chose ou ne se sent chez elle sur aucun plan supérieur. Ou encore, l'expérience de la vie pourrait être si brève et si incomplète qu'elle obligerait l'âme à renaître immédiatement afin de la poursuivre. Il peut y avoir d'autres besoins, d'autres influences ou d'autres causes dans le processus complexe de la Nature, comme la forte volonté d'un désir terrestre insistant pour se réaliser; ce qui imposerait la transmigration immédiate d'une même forme de personnalité se perpétuant dans un nouveau corps. Néanmoins, l'autre processus — une réincarnation, une renaissance de la Personne non seulement dans un nouveau corps, mais dans une nouvelle formation de la personnalité — serait la ligne normale suivie par l'entité psychique une fois qu'elle a atteint le stade humain de son cycle évolutif.
La personnalité de l'âme, à mesure qu'elle se développe, doit en effet acquérir un pouvoir suffisant sur sa formation naturelle, et une individualité mentale et vitale capable de s'exprimer et assez développée pour pouvoir persister sans le support du corps matériel, et aussi pour surmonter tout attachement excessif qui la retiendrait dans le plan et la vie physiques ; elle serait assez évoluée pour subsister dans le corps subtil dont nous savons qu'il est le contenant spécifique, l'enveloppe et le support physique-subtil approprié de l'être intérieur, C'est la personne-âme, c'est l'être psychique qui survit et emporte le mental et la vie dans son voyage, et c'est dans le corps subtil qu'il passe en quittant sa demeure matérielle ; il faut donc que les deux soient suffisamment développés pour que le transit soit possible. Mais un transfert à des plans d'existence du mental ou de la vie implique aussi que le mental et la vie soient suffisamment formés et développés pour passer sans se désintégrer à ces niveaux plus élevés et pour y exister pendant un certain temps. Si ces conditions étaient remplies — une personnalité psychique et un corps subtil suffisamment développés, et une personnalité mentale et vitale elle aussi suffisamment développée —, la survie de la personne-âme, sans renaissance immédiate, serait assurée, et l'attraction des autres mondes pourrait agir. Mais cela signifierait un retour sur terre avec la même personnalité mentale et vitale, et il n'y aurait pas d'évolution libre lors de la nouvelle naissance. L'individualisation de la personne psychique elle-même doit être suffisante pour que celle-ci ne
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dépende pas plus de ses formations mentales et vitales passées qu'elle ne dépend de son ancien corps, mais les rejette elles aussi le temps venu et progresse vers une nouvelle formation en vue d'une expérience nouvelle. Pour rejeter les vieilles formes et en préparer de nouvelles, l'âme doit demeurer quelque temps, entre deux naissances, ailleurs que sur le plan purement matériel où nous nous mouvons actuellement ; car il n'y aurait là aucune demeure pour un esprit désincarné. Certes, un bref séjour serait possible s'il y avait des enveloppes subtiles de l'existence terrestre qui, bien que d'un caractère vital ou mental, appartenaient à là terre; mais même alors, il n'y aurait pas de raison pour que l'âme s'y attarde longtemps, à moins qu'elle ne soit encore alourdie par un attachement tout-puissant à la vie terrestre. Pour que la personnalité survive au corps matériel, une existence supraphysique est nécessaire, et; cela n'est possible que sur un plan d'être propre au stade évolutif de là conscience ou, s'il n'y a pas d'évolution, dans une seconde et provisoire demeure de l'esprit qui serait son séjour naturel entre deux vies — à moins évidemment que ce ne soit son monde d'origine d'où elle né revient pas dans la Nature matérielle.
Où se situerait donc cette demeure provisoire dans le supraphysique ? Quel serait l'autre habitat de l'âme ? Il devrait, semble-t-il, se situer sur un plan mental, dans des mondes mentaux, à la fois parce que l'attraction que ce plan exerce sur l'homme, l'être mental, déjà active pendant sa. vie, doit prévaloir quand a disparu l'obstacle de l'attachement au corps, et parce que, de toute évidence, le plan mental doit être l'habitat originel qui convient à un être mental. Mais, du fait de la complexité de l'être humain, ce n'est pas là une conséquence automatique ; l'homme a une existence vitale tout autant que mentale — la partie vitale étant souvent plus puissante et dominante que la partie mentale — et, derrière l'être mental, se trouve une âme dont il est le représentant. Il y a en outre de nombreux plans ou niveaux de l'existence cosmique, et l'âme doit les traverser afin de gagner sa demeure naturelle. Dans le plan physique lui-même, ou à proximité, il semble qu'il y ait des couches de plus en plus subtiles que l'on peut considérer comme des sous-plans du physique possédant un caractère vital et mental ; ce sont des strates qui enveloppent et pénètrent en même temps, et à travers lesquelles s'effectue l'échange entre les mondes supérieurs et le monde physique. Il serait donc possible que l'être mental soit arrêté et retardé à ces niveaux intermédiaires tant que sa mentalité n'est pas suffisamment
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développée et qu'il se limite principalement aux formes plus physiques d'activité mentale et vitale. Il pourrait même être obligé de s'y reposer durant tout l'intervalle qui sépare deux naissances ; mais ce n'est guère probable, et ne pourrait se produire que dans le cas, et dans la mesure, où son attachement aux formes terrestres de son activité serait si fort que le mouvement naturel ascendant se verrait exclu ou entravé. L'état de l'âme après la mort doit en effet correspondre d'une façon ou d'une autre au développement de l'être sur terre, puisque cette après-vie n'est pas un libre retour ascendant après une déviation temporaire et descendante dans la mortalité, mais une circonstance normale et récurrente qui intervient pour soutenir le processus d'une évolution spirituelle difficile dans l'existence physique. Au cours de son évolution sur terre, l'être humain développe une relation avec les plans supérieurs d'existence, et cela doit avoir un effet prépondérant sur son séjour internatal dans ces plans ; cela doit déterminer la direction qu'il prendra après la mort et déterminer aussi, le lieu, la durée et le caractère de l'expérience intérieure qu'il y fera.
Il est également possible qu'il s'attarde quelque temps dans une de ces annexes des autres mondes créées par ses croyances habituelles ou par le caractère de ses aspirations dans le corps mortel. Nous savons qu'il crée des images de ces plans supérieurs, qui sont souvent des traductions mentales de certains de leurs éléments, et qu'il en bâtit un système et leur donne l'apparence de mondes réels; il construit également toutes sortes de mondes du désir auxquels il attache le sens puissant d'une réalité intérieure. Il est possible que ces constructions soient assez fortes pour créer pour lui un milieu post-mortel artificiel où il peut s'attarder. En effet, le pouvoir qu'a le mental humain de façonner des images, son imagination, qui, dans sa vie physique, n'est qu'une aide indispensable à l'acquisition de la connaissance et à la création de sa propre vie, peut, à une échelle supérieure, devenir une force créatrice permettant à l'être mental de vivre quelque temps parmi ses propres images jusqu'à ce que la pression de l'âme les dissolve. Toutes ces structures sont de même nature que les constructions plus larges de la vie ; en elles, le mental traduit certaines des conditions réelles des mondes mentaux et vitaux plus vastes dans les termes de son expérience physique magnifiée, prolongée, étendue, pour atteindre un état au-delà du physique ; grâce à ce transfert, l'être emporte la joie et la souffrance vitales de l'être physique dans des conditions supraphysiques, où elles
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possèdent un champ plus large, une plénitude et une durée plus étendues. Dans la mesure où ils ont un habitat supraphysique, on doit donc considérer ces milieux imaginaires constructifs comme des annexes des plans d'existence du vital ou du mental inférieur.
Mais il existe aussi de vrais mondes vitaux -— les constructions originales, des développements organisés, des habitats naturels du principe de vie universel, l'Anima vitale cosmique, agissant dans son propre domaine et selon sa propre nature. Pendant son voyage internatal, l'être; humain peut s'y trouver -retenu pendant un certain temps, à cause du caractère surtout vital des influences qui ont façonné son existence terrestre — car ces influences proviennent du monde vital et leur emprise le retiendrait quelque temps dans leur propre territoire ; il peut être captif de-ce dont il était déjà captif dans son être physique. Toute résidence de l'âme dans des annexes ou dans ses propres constructions ne pourrait être qu'une étape, une transition pour la conscience qui passe de l'état physique à l'état supraphysique; elle doit quitter ces structures pour entrer dans les vrais mondes de la Nature supraphysique. Elle peut pénétrer aussitôt dans les mondes de l'autre-vie ou, pendant une étape de transition, demeurer d'abord en quelque domaine d'expérience physique-subtile dont le milieu peut lui paraître prolonger les circonstances de la vie physique, mais dans des conditions plus libres, propres à un milieu plus subtil, et dans un état d'heureuse perfection du mental et de la vie, ou dans une existence corporelle épurée. Par-delà ces plans d'expérience du physique subtil et par-delà les mondes vitaux, se trouvent aussi les plans du mental ou du mental spirituel, où l'âme semble avoir accès entre deux naissances et où elle peut poursuivre son voyage internatal ; mais il n'est guère probable qu'elle puisse y vivre consciemment s'il n'y a pas eu un développement suffisant du mental ou de l'âme dans cette vie. En effet, ces niveaux doivent normalement être les plus hauts où l'être évolutif puisse habiter entre deux naissances, puisque celui qui n'a pas dépassé le degré mental dans l'échelle de l'être ne serait pas capable de s'élever à un état supramental ou surmental; ou s'il s'était assez développé pour atteindre ces plans sans passer par le niveau mental, peut-être ne pourrait-il revenir sur terre tant que l'évolution physique n'y aurait pas organisé une vie surmentale ou supramentale dans la Matière.
Et pourtant, les mondes mentaux ne représentent sans doute pas la dernière étape normale du passage qui suit la mort, car l'homme
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n'est pas entièrement mental. Le voyageur entre la mort et la naissance, c'est l'âme, l'être psychique, et non le mental ; l'être mental n'est qu'un élément prédominant de l'image où elle s'exprime. L'âme devrait donc se rendre finalement dans un plan de pure existence psychique où elle attendrait de renaître ; elle pourrait y assimiler les énergies de son expérience et de sa vie passées et préparer l'avenir. D'une manière générale, on peut s'attendre à ce que l'être humain normalement développé, dont le mental a atteint un pouvoir suffisant, traverse successivement tous ces. plans -— physique subtil, vital et mental—-en se rendant à sa demeure psychique. À chaque étape, il épuiserait et rejetterait ces fragments de la structure de la personnalité qui s'est formée, fragments temporaires et superficiels, appartenant à la vie passée ; il se dépouillerait de son enveloppe mentale et de son enveloppe vitale comme il s'est déjà débarrassé de son enveloppe corporelle ; mais l'essence de la personnalité et ses expériences mentales, vitales et physiques subsisteraient dans sa mémoire latente ou comme potentiel dynamique pour l'avenir. Toutefois, si le développement du mental était insuffisant, celui-ci ne serait peut-être pas capable d'aller consciemment au-delà du niveau vital, et l'être en retomberait, quittant ses cieux ou ses purgatoires vitaux pour revenir sur terre, ou, plus logiquement, passerait aussitôt dans une sorte de sommeil psychique d'assimilation pour toute la durée de la période internatale; pour qu'il reste éveillé dans les plans les plus hauts, un certain développement serait indispensable.
Tout cela, cependant, relève de la probabilité dynamique, et bien que celle-ci équivale en pratique à une nécessité et soit justifiée par certains faits de l'expérience subliminale, elle n'est pas en soi tout à fait concluante pour le mental rationnel. Nous devons nous demander si ces intervalles entre deux vies répondent à quelque nécessité plus essentielle, ou du moins à une nécessité si puissante et dynamique qu'elle nous conduit à une conclusion irrévocable. Il en est une qui répond à ce critère : c'est le rôle décisif que jouent les plans supérieurs dans l'évolution terrestre et dans les relations ainsi créées entre ces plans et la conscience de l'âme qui évolue. Pour une très grande part, notre développement s'effectue grâce à cette action, supérieure mais cachée, sur le plan terrestre. Tout est contenu dans l'inconscient ou le subconscient, mais en puissance ; l'action des plans supérieurs est un des moyens qui obligent l'émergence à se produire. Il est nécessaire que cette action se poursuive afin de modeler et déterminer la progression des formes
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mentales et vitales que notre évolution revêt dans la nature matérielle ; ces mouvements progressifs ne peuvent, en effet, atteindre leur plein élan ou développer suffisamment leurs suggestions face à la résistance d'une Nature matérielle inconsciente, ou inerte et ignorante, que par un recours constant, bien qu'occulte, à des forces supraphysiques supérieures de même nature. Ce recours, l'action de cette alliance voilée, a: lieu principalement dans notre être subliminal et non à la surface ; c'est de là qu'émerge le pouvoir actif de notre conscience, et tout ce qu'il réalise, il le renvoie constamment dans l'être subliminal pour que cela y soit accumulé et développé, et réémerge plus tard sous des formes plus puissantes. Cette interaction de notre être caché plus vaste et de notre personnalité de surface est le secret principal du développement rapide qui s'opère en l'homme une fois qu'il a dépassé les stades inférieurs dû mental immergé dans la Matière.
.Ce recours aux forces supraphysiques doit se poursuivre pendant la période internatale, car une nouvelle naissance, une nouvelle vie ne consiste pas à reprendre le développement exactement là où il s'était arrêté dans la vie précédente, elle ne fait pas que répéter et prolonger notre ancienne personnalité superficielle et l'ancienne formation de notre nature. Il y a une assimilation, un rejet, un renforcement, un réarrangement des anciens caractères et des anciens mobiles, un, nouvel agencement des développements du passé et une sélection pour les desseins du futur sans lesquels le nouveau départ ne saurait être fructueux ni faire avancer l'évolution. Car chaque naissance est un nouveau départ ; elle se développe certes à partir du passé, mais n'en est pas la continuation mécanique : la renaissance n'est pas une réitération' constante mais une progression, c'est le mécanisme d'un processus évolutif. Une partie de cette réorganisation, et surtout le rejet des anciennes et puissantes vibrations de la personnalité, ne peut s'effectuer que si l'impulsion des mobiles antérieurs, mentaux, vitaux et physiques, s'épuise après la mort, et cette libération internatale ou cet allégement des impedimenta doit s'accomplir sur les plans correspondants aux mobiles qui doivent être rejetés ou d'une certaine manière remaniés, ces plans étant de même nature. C'est seulement là, en effet, que l'âme peut encore poursuivre les activités qui doivent être épuisées ou rejetées de la conscience afin qu'elle puisse passer à une nouvelle formation; Il est également probable que cette préparation positive, que cette intégration soit exécutée, et le caractère de la nouvelle vie décidé, par
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l'âme elle-même lorsqu'elle retourné à son habitat d'origine, ce plan de repos psychique où elle réabsorberait tout en elle-même et attendrait la nouvelle étape de son évolution. Cela signifie que l'âme traverserait successivement les mondes physique subtil, vital et mental jusqu'à la demeure psychique d'où elle repartirait pour son pèlerinage terrestre. Ce rassemblement et ce développement terrestres des matériaux ainsi préparés, leur élaboration dans la vie terrestre seraient la conséquence de ce séjour internatal, et la nouvelle naissance serait un champ de l'activité qui en résulte, un stade nouveau, une nouvelle spirale dans l'évolution individuelle de l'esprit incarné.
En effet, quand nous disons que l'âme sur la terre fait évoluer successivement l'être physique, l'être vital, l'être mental, l'être spirituel, nous ne voulons pas dire qu'elle les crée et qu'ils n'existaient pas auparavant. Au contraire, elle manifeste ces principes de son entité spirituelle dans les conditions imposées par un monde de la Nature physique ; cette manifestation prend la forme d'une structure de personnalité frontale qui traduit le moi intérieur dans les termes et les possibilités de l'existence physique. En fait, nous devons accepter l'ancienne idée que l'homme possède non seulement une âme ou Purusha physique, et la nature qui lui correspond, mais un être vital, un être mental, un être psychique, un être supramental, un être spirituel suprême;¹ et leur présence ou leur force, dans leur totalité ou dans leur absolu, sont cachées dans son subliminal, ou bien latentes et inexprimées dans son supraconscient. Il doit amener leurs pouvoirs au premier plan de sa conscience active et s'éveiller à eux dans sa connaissance. Mais chacun de ces pouvoirs de son être est en rapport avec son propre plan d'existence et tous y trouvent leurs racines. C'est à travers eux que l'être recourt subliminalement aux influences supérieures qui le façonnent, recours qui peut devenir de plus en plus conscient au cours de notre développement. Il est donc logique que cette retraite internatale, rendue nécessaire par la nature même de notre naissance ici-bas, par son objectif et son processus évolutifs, dépende du développement de leurs pouvoirs dans notre évolution consciente. Les circonstances et les étapes de cette retraite sont nécessairement complexes et n'ont pas un caractère tranché et grossièrement simpliste comme le croient les religions populaires ; mais en soi on peut l'accepter comme une conséquence inévitable de l'origine
¹Taittirîya-Upanishad.
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et de la nature mêmes de la vie de l'âme dans le corps. Tout est une toile finement tissée, une évolution et une interaction dont les maillons ont été forgés par une Conscience-Force poursuivant jusqu'au bout la vérité de ses propres mobiles selon la logique dynamique de ces opérations finies de l'Infini.
Si cette conception de la renaissance et du passage temporaire de l'âme en d'autres plans d'existence est juste, alors la renaissance et la vie future assument toutes deux une signification, une coloration différentes de celles que leur donne la croyance ancestrale en la réincarnation et le séjour après la mort dans des mondes au-delà. On suppose d'ordinaire que la réincarnation a deux aspects : métaphysique et moral, l'un représentant une nécessité spirituelle, l'autre relevant de la justice cosmique et de la discipline éthique. L'âme — qui dans cette conception ou ce dessein est censée avoir une existence individuelle réelle — est sur la terre par l'effet du désir et de l'ignorance ; elle doit y demeurer ou sans cesse y revenir tant qu'elle ne s'est pas lassée du désir et éveillée à la réalité de son ignorance et à la vraie connaissance. Ce désir l'oblige à reprendre éternellement un nouveau corps, à tourner sans cesse sur la roue des naissances, jusqu'à ce qu'elle soit illuminée et délivrée. Cependant, elle ne reste pas tout le temps sur la terre, elle va et vient de la terre aux autres mondes, célestes et infernaux, où elle épuise ce qu'elle a accumulé de mérite ou de démérite, selon qu'elle a bien ou mal agi, puis elle revient sur terre dans un corps terrestre quelconque, tantôt humain, tantôt animal, tantôt même végétal. La nature de cette nouvelle incarnation et son sort sont automatiquement déterminés par les actions passées de l'âme, par son Karma ; si la somme des actions passées est bonne, la naissance a lieu dans la forme supérieure, la vie est heureuse, couronnée de succès, inexplicablement fortunée ; si elle est mauvaise, nous logerons peut-être dans une forme inférieure de la Nature, ou bien la vie, si c'est une vie humaine, sera malheureuse, vouée à l'échec, pleine de souffrances et d'infortunes. Si nos actions passées et notre caractère se sont montrés à la fois bons et mauvais, alors la Nature, en bon comptable, nous donnera en paiement, selon le montant et les valeurs de notre conduite passée, un juste assortiment où se mêlent bonheur et souffrance, réussite et échec, chance la plus rare et malchance la plus cruelle. Néanmoins, une forte volonté ou un puissant désir personnels dans la vie passée peuvent également déterminer notre nouvel avatar. On attribue souvent un caractère mathématique à ces paiements de la
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Nature, car nous sommes censés encourir une amende précise pour nos méfaits, subir ou rendre la pareille ou l'équivalent de ce que nous avons infligé ou commis ; la loi inexorable du talion est un principe fréquent dans la Loi karmique; car cette Loi est un arithméticien muni de son abaque, tout autant qu'un juge armé d'un code pénal condamnant des crimes et des délits commis dans un passé lointain. Il faut noter aussi que ce système prévoit une double punition pour le péché et une double récompense pour la vertu : le pécheur est en effet torturé en enfer, puis châtié pour les mêmes péchés dans une autre vie ici-bas, tandis que le juste ou le puritain sont récompensés par des joies célestes, puis cajolés à nouveau pour les mêmes vertus et les mêmes bonnes actions dans une nouvelle existence terrestre.
Ce sont là des notions populaires très sommaires qui n'offrent aucune base solide à la raison philosophique, ni aucune réponse à qui cherche le vrai sens de la vie. Un vaste système cosmique qui n'existerait que pour nous permettre de tourner perpétuellement sur la roue de l'Ignorance, sans aucune issue, si ce n'est finalement la possibilité d'en sortir, n'est pas un monde ayant une véritable raison d'être. Un monde qui servirait seulement d'école du péché et de la vertu, et consisterait en un système de récompenses et de fustigations, ne séduit pas davantage notre intelligence. Si l'âme, l'esprit en nous, est divine, immortelle ou céleste, elle ne peut être envoyée ici-bas uniquement pour aller à l'école et y recevoir ce genre d'éducation morale fruste et primitive. Si elle entre dans l'Ignorance, ce doit être parce qu'un principe ou une possibilité plus vaste de son être peut s'accomplir à travers l'Ignorance. Par contre, si c'est un être venu de l'Infini qui, pour quelque dessein cosmique, a plongé dans l'obscurité de la Matière et s'élève jusqu'à la connaissance intérieure de son moi, alors sa vie ici-bas, et le sens de cette vie, doivent être quelque chose de plus que la vie d'un petit enfant qu'on dorlote et fustige pour lui inculquer la vertu; ce doit être une croissance, hors d'une ignorance assumée, vers sa pleine stature spirituelle avec, pour finir, un passage dans la conscience, la connaissance, la force, la beauté immortelles, la pureté et la puissance divines, et pour une telle croissance spirituelle cette loi du Karma est vraiment trop puérile. Même si l'âme est quelque chose qui a été créé, un petit enfant qui doit être instruit par la Nature et croître vers l'immortalité, ce doit être en suivant une loi supérieure de croissance et non un code divin de justice barbare et primitive. Cette conception du Karma est une
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construction du mental-vital humain, dans ce qu'il a de plus étroit, un mental préoccupé de ses règles de vie dérisoires et de ses désirs, de ses joies et de ses chagrins, qui fait de leurs piètres critères la loi et le but du cosmos. Ces notions, le mental pensant ne peut les accepter; elles portent trop manifestement la marque d'une construction façonnée par notre ignorance humaine.
Cependant, cette même solution peut être élevée à un niveau supérieur de la raison, devenir ainsi plus plausible et revêtir l'aspect d'un principe cosmique. D'abord, en effet, on peut se fonder sur le principe inattaquable que toutes les énergies de la Nature doivent avoir leur conséquence naturelle; si certaines n'ont pas de résultat visible dans la vie présente, il est fort possible que ce résultat soit seulement retardé, et non retenu à jamais. Chaque être récolte le fruit de ses œuvres et de ses actes, les conséquences de l'action projetée par les énergies de sa nature, et celles qui ne sont pas apparentes dans sa vie actuelle et doivent être conservées pour une existence ultérieure. Il est vrai que le fruit des énergies et des actions de l'individu peut ne pas lui revenir mais revenir à d'autres lorsqu'il n'est plus, comme nous le voyons se produire constamment; il arrive même que, du vivant d'un homme, les fruits de ses énergies soient récoltés par d'autres, mais c'est parce qu'il y a une solidarité et une continuité de la vie dans la Nature et que l'individu, le voudrait-il, ne peut vivre uniquement pour lui seul. Mais s'il .y a une continuité de la vie individuelle du fait de la renaissance; fit pas seulement une continuité de la vie collective et de la vie cosmique, si l'individu a un moi, une nature, des expériences qui ne cessent de se développer, alors il est inévitable que, pour lui également, le fonctionnement de ses énergies ne soit pas brusquement interrompu, mais entraîne des conséquences à un moment ou à un autre de son existence croissante et continue. L'être de l'homme, sa nature, les circonstances de sa vie sont le résultat de ses activités intérieures et extérieures, non quelque chose de fortuit et d'inexplicable. Il est ce qu'il a fait de lui-même : l'homme passé est le père de l'homme actuel, l'homme actuel le père de l'homme futur. Chaque être récolte ce qu'il sème ; il profite et souffre de ses actes. Telles sont la loi et la chaîne du Karma, de l'Action, de l'oeuvre de l'Énergie de la Nature, et cela donne à la force totale de notre existence, de notre nature, de notre caractère, de notre action, un sens qui fait défaut aux autres théories de la vie. Selon ce principe, il est évident que le; Karma présent et passé d'un homme doit déterminer sa naissance
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future, ses péripéties et ses circonstances, car ceux-ci également doivent être le fruit de ses énergies : tout ce qu'il a été et tout ce qu'il a fait dans le passé crée tout ce qu'il est et tout ce dont il fait l'expérience à présent; tout ce qu'il est et tout ce qu'il fait à présent crée tout ce qu'il sera et tout ce dont il fera l'expérience dans l'avenir. L'homme est son propre créateur, et il est aussi le créateur de son destin. Jusqu'ici tout est parfaitement rationnel et irréprochable, et l'on peut accepter la loi du Karma comme un fait, une partie du mécanisme cosmique, car elle est si évidente — une fois la renaissance admise — qu'elle est pratiquement indiscutable.
Cette première proposition comporte néanmoins deux clauses moins générales et authentiques qui laissent planer un doute ; car même si elles sont vraies en partie, elles sont trop appuyées et créent une fausse perspective, parce qu'elles prétendent donner toute la signification du Karma. Selon la première, clause, telle la nature des énergies, telle doit être la nature des résultats : le bien en a de bons ; le mal, de mauvais. La seconde est que le maître mot du Karma est la justice ; par conséquent, les bonnes actions doivent avoir pour fruits le bonheur et la bonne fortune, et les mauvaises actions le chagrin, le malheur et l'infortune. Puisqu'il doit y avoir une justice cosmique qui observe et, dans une certaine mesure, contrôle les opérations immédiates et visibles de la Nature dans la vie, mais ne se révèle pas concrètement à nos yeux, cette justice doit être présente et évidente dans la totalité de son jeu invisible ; ce doit être le fil secret, subtil et à peine visible, mais solide et résistant, qui relie les détails autrement incohérents de ses rapports avec ses créatures. Si l'on demande pourquoi seules les actions, bonnes ou mauvaises, doivent avoir un résultat, nous devons admettre que les pensées, les sentiments, les actes, bons ou mauvais, ont tous, eux aussi, des conséquences correspondantes; mais puisque les actions constituent la majeure partie de la vie, qu'elles mettent à l'épreuve les valeurs existentielles de l'homme et expriment leur pouvoir, et puisque l'homme n'est pas toujours responsable de ses pensées et de ses sentiments — qui sont souvent involontaires —, mais est ou doit être tenu pour responsable de ses actes dans la mesure où ils font l'objet d'un choix, c'est surtout par ses actions que l'homme construit son destin ; elles sont les principaux ou les plus puissants déterminants de son être et de son avenir. C'est toute la loi du Karma.
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Il faut cependant noter, tout d'abord, qu'une loi ou chaîne du Karma n'est qu'un mécanisme extérieur et ne peut être élevé à un rang supérieur, celui d'unique et suprême déterminant des œuvres de la vie dans le cosmos, à moins que le cosmos n'ait lui-même un caractère entièrement mécanique. Nombreux en vérité sont ceux qui considèrent que tout est Loi et Processus et qu'il n'y a pas d'Être conscient .ni de Volonté consciente dans ou derrière le cosmos. Si tel est le cas, nous avons là une Loi et un Processus qui satisfont notre raison humaine et nos critères mentaux de droit et de justice, qui ont la beauté et la vérité d'une parfaite symétrie, et un fonctionnement d'une exactitude mathématique. Mais tout n'est pas Loi et Processus, il y a aussi un Être et une Conscience ; il n'y a pas seulement un mécanisme, mais un Esprit dans les choses, pas seulement la Nature et la loi du cosmos mais un Esprit cosmique, pas seulement un processus du mental, de la vie et du corps mais une âme dans la créature naturelle. Autrement, il ne pourrait y avoir ni renaissance d'une âme, ni champ d'action pour une loi du Karma; .Mais si la vérité fondamentale de notre être est spirituelle et non pas mécanique, ce doit être essentiellement à nous, à notre âme de déterminer sa propre évolution, et la loi du Karma ne peut être que l'un des processus qu'elle utilise dans ce but : notre Esprit, notre Moi doit être plus grand que son Karma. Il y a la Loi, mais il y'a aussi la liberté spirituelle. La Loi et le Processus sont un aspect de notre existence et ils règnent sur notre mental, notre vie et notre corps extérieurs, car ceux-ci sont presque entièrement soumis au mécanisme de la Nature. Mais même ici, leur pouvoir mécanique ne s'exerce de façon absolue que sur le corps et la Matière, car la Loi devient plus complexe et moins rigide, le Processus plus plastique et moins mécanique dès qu'intervient le phénomène de la vie. Et cette tendance s'accentue encore quand intervient le jeu subtil du mental; une liberté intérieure commence déjà à se manifester et, plus nous allons au-dedans, plus se fait sentir le pouvoir que l'âme a de choisir ; car la mérites est le champ de la loi et du processus, mais l'âme, le Purusha, est celui qui donne son consentement, anumantâ, et même s'il choisit en général de demeurer un témoin et accorde automatiquement sa sanction, il peut être, s'il le veut, le maître de sa nature, Îshwara.
Il n'est pas concevable que l'Esprit intérieur soit un automate entre les mains du Karma, esclave en cette vie de ses actions passées ; la vérité doit être moins tranchée, plus souple. Si un certain nombre de résultats
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du Karma passé sont formulés dans la vie présente, ce doit être avec l'assentiment de l'être psychique qui préside à la nouvelle formation de son expérience terrestre et ne consent pas simplement à un processus extérieur obligatoire, mais à une Volonté et à une Direction secrètes. Cette Volonté secrète n'est pas mécanique, mais spirituelle ; la direction vient d'une Intelligence qui peut utiliser des procédés mécaniques, mais ne leur est pas soumise. Ce que l'âme cherche en prenant naissance dans un corps, c'est à s'exprimer et à faire des expériences ; tout ce qui est nécessaire à cette expression et à cette expérience dans cette vie, que cela intervienne comme résultat automatique des, vies passées, ou comme un libre choix de certains résultats et comme une continuité, ou bien comme un nouveau développement, tout ce qui est pour elle un moyen de créer l'avenir, sera formulé. Le principe, en effet, n'est pas que fonctionne le mécanisme d'une Loi, mais que la nature se développe au moyen de l'expérience cosmique jusqu'à ce qu'elle puisse finalement sortir de l'Ignorance. Il doit donc y avoir deux éléments, le Karma comme instrument, mais aussi la Conscience; et la Volonté secrètes au-dedans qui, par l'intermédiaire du mental, de la vie et du corps, utilisent cet instrument. Le destin, qu'il soit purement mécanique ou créé par nous-mêmes, une chaîne de notre fabrication, n'est qu'un facteur de l'existence ; l'Être et sa conscience et sa volonté sont un facteur encore plus important. L'astrologie indienne, pour laquelle toutes les circonstances de la vie sont Karma, et sont largement prédéterminées ou indiquées par le diagramme des astres, admet néanmoins que l'énergie et la force de l'être puissent changer ou annuler une part plus ou moins grande, voire la totalité de ce qui a été écrit, à l'exception des liens les plus impératifs et les plus puissants du Karma. Cela paraît être un bilan raisonnable de l'équilibre entre ces deux éléments : dans ce calcul, cependant, il faut aussi tenir compte du fait que la destinée n'est pas simple, mais complexe ; la destinée qui lie notre être physique, le lie aussi longtemps qu'une loi supérieure n'intervient pas, ou dans cette seule mesure. L'action relève du plan physique, c'est le produit physique de notre être; mais derrière la surface, il y a un pouvoir de la vie et un pouvoir du mental plus libres, qui ont une autre énergie et peuvent créer une autre destinée et la faire intervenir pour modifier le plan primitif; et quand l'âme, quand le moi émerge, quand nous devenons consciemment des êtres spirituels, ce changement peut annuler ou remodeler entièrement la courbe de notre destin physique. On ne peut donc admettre que le Karma — ou, du moins, aucune loi mécanique du
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Karma —soit seul à déterminer les circonstances et tout le mécanisme de la renaissance et de notre évolution future.
Mais ce n'est pas tout. L'exposé de la Loi pèche en effet par excès de simplification et par le choix arbitraire d'un principe limité. L'action est une résultante de l'énergie de l'être, mais cette énergie n'est pas d'une seule espèce, la conscience-force de l'esprit se manifeste en de nombreuses formes d'énergie. Il y a les activités intérieures du mental, les activités de la vie, du désir, de la passion, des impulsions, du caractère, les activités des sens et du corps, la recherche de la vérité et de la connaissance, la recherche de la beauté, la recherche du bien ou du mal sur le plan éthique, la recherche du pouvoir, de l'amour, de la joie, du bonheur, de la fortune, de la réussite, du plaisir, des satisfactions vitales de toutes sortes, de l'épanouissement de la vie, la recherche d'objectifs individuels ou collectifs, la recherche de la santé, de la force, des capacités, de la satisfaction du corps. Tout cela constitue la somme excessivement complexe de l'expérience et de l'action, multiples et diverses, de l'esprit dans la vie, et cette diversité ne peut être écartée au profit d'un principe unique. On ne peut non plus la découper en autant de fragments de la seule dualité du bien et du mal ; l'éthique, le maintien de normes humaines de moralité, ne peut donc être la seule préoccupation de la Loi cosmique, ni le seul principe déterminant l'action du Karma. S'il est vrai que la nature de l'énergie projetée doit déterminer la nature du résultai ou de l'aboutissement, toutes ces différences dans la nature de l'énergie doivent être prises en compte, et chacune doit avoir ses conséquences propres. Une énergie dirigée vers la recherche de la vérité et de la connaissance doit avoir pour aboutissement naturel — pour prix ou pour récompense, si l'on veut — une croissance en la vérité, une augmentation de la connaissance ; une énergie au service du mensonge doit aboutir à un accroissement du mensonge dans notre nature et à une immersion plus profonde dans l'Ignorance. Une énergie dirigée vers la quête de la beauté doit avoir pour fruit un plus grand sens de la beauté, une plus grande jouissance de la beauté ou, si tel est son but, un accroissement de la beauté et de l'harmonie de la vie et de la nature. Une recherche de la santé, de la force et des capacités physiques doit créer l'homme fort ou l'athlète accompli. L'énergie dans la poursuite du bien éthique doit avoir pour aboutissement, récompense ou rétribution une plus grande vertu, le bonheur du progrès moral ou la félicité, le lumineux équilibre, la pureté radieuse d'une bonté simple et naturelle, tandis
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que les énergies opposées seraient punies par une plongée plus profonde dans le mal, par une disharmonie et une perversion accrues de la nature et, poussées à l'extrême, par une grande perdition spirituelle, mahatî vinashtîh. Une énergie projetée pour l'acquisition du pouvoir ou pour d'autres fins vitales, doit permettre d'accroître la capacité d'obtenir ces résultats et d'arriver à ces fins, ou de développer une force et une pleine satisfaction vitales. Telle est la disposition habituelle des choses dans la Nature et, si l'on exige d'elle la justice, il est sûrement juste que l'énergie et les capacités exprimées reçoivent d'elle une réponse spécifique et appropriée. Elle donne au plus rapide le trophée de la course, au courageux, à l'homme fort et habile la victoire dans le combat, à l'intellect compétent et au chercheur fervent les lauriers de la connaissance, toutes choses qu'elle ne donnera pas à l'homme bon mais paresseux, ou faible, malhabile ou stupide, sous prétexte qu'il est vertueux ou respectable ; s'il convoite et veut obtenir ces autres pouvoirs de la vie, il doit les mériter et déployer un type d'énergie adéquat. Si la Nature agissait autrement, on pourrait fort bien l'accuser d'être injuste; or, il n'y a aucune raison de la taxer d'injustice pour cet arrangement parfaitement juste et normal ou d'exiger qu'elle rectifie l'équilibre dans une vie future, afin que, récompense naturelle de sa vertu, l'homme bon puisse occuper un poste important ou avoir un gros compte en banque, ou vivre une vie heureuse, facile et bien pourvue. Ce ne peut être là le sens de la renaissance ou une base suffisante pour établir une loi cosmique du Karma.
Certes, ce que nous appelons chance ou fortune joue un rôle considérable dans notre vie; c'est elle qui nous prive du fruit de nos efforts, récompense celui qui n'en a fait aucun et couronne une énergie inférieure. Il est vrai que la cause secrète (ou les causes secrètes, car les origines de la Fortune peuvent être multiples) de ces caprices de la Destinée, c'est en partie dans les profondeurs cachées de notre passé qu'il nous faut la chercher ; mais il est difficile d'accepter cette solution simpliste qui veut que la chance soit la rémunération d'une action vertueuse oubliée, accomplie dans une vie passée, et la malchance, celle d'un péché ou d'un crime. Si nous voyons l'homme vertueux souffrir ici-bas, on a peine à croire que ce parangon de vertu ait été une canaille dans sa vie précédente, et que même après une conversion exemplaire grâce à une nouvelle naissance, il paie pour les péchés qu'il a commis jadis ; et si le méchant triomphe, nous avons également quelque peine à imaginer qu'il était un saint dans sa vie passée, et qu'il a subitement
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mal tourné, mais continue de toucher les dividendes de son ancienne vertu. Un changement aussi total d'une vie à l'autre est possible, bien qu'il ne doive pas être très fréquent, mais imposer à la nouvelle personnalité opposée des récompenses ou des châtiments hérités de l'ancienne, a tout d'une procédure gratuite et purement mécanique. Cette difficulté et bien d'autres surgissent, et la logique sommaire de la corrélation n'est pas aussi convaincante qu'elle le prétend. L'idée d'une rétribution karmique compensant l'injustice de la vie et de la Nature est une base fragile pour cette théorie, car elle privilégie un critère t un sentiment humains superficiels et puérils pour expliquer la Loi cosmique et repose sur un raisonnement spécieux. Il doit y avoir une autre base plus solide pour la loi du Karma.
Ici, comme c'est souvent le cas, l'erreur vient de ce que nous imposons une norme créée par notre mental humain au cheminement plus vaste, plus libre, plus global, de l'Intelligence cosmique. Dans l'action attribuée à la loi du Karma, on retient deux valeurs parmi toutes celles qu'a créées la Nature : d'une part le bien et le mal moral, le péché et la vertu, et de l'autre le bien et le mal physique-vital, le bonheur et la souffrance extérieurs, la bonne fortune et l'infortune extérieures, et l'on suppose qu'il doit y avoir une équation entre ces termes, que l'un doit être la récompense ou le châtiment de l'autre, la sanction finale que dispense la justice secrète de la Nature. Cette classification est évidemment établie du point de vue d'un désir physique-vital qui est commun à certaines parties de notre être : le bonheur et la bonne fortune étant ce que la partie inférieure de notre être vital désire le plus, et le malheur et la souffrance ce qu'elle déteste et redoute le plus, lorsqu'elle accepte l'exigence morale qui lui est imposée pour réprimer ses penchants, pour s'abstenir de faire le mal et s'efforcer de faire le bien, elle conclut aussitôt un marché, érige une Loi cosmique qui la dédommagera de sa pénible ascèse et l'aidera, par crainte du châtiment, à ne pas dévier du difficile chemin de l'abnégation. Mais l'être vraiment éthique n'a pas besoin d'un système de récompenses et de punitions pour suivre la voie du bien et fuir celle du mal ; la vertu est, pour lui, sa propre récompense, le péché entraîne sa propre punition dans la souffrance qu'il y a à faillir à la loi de sa nature. Telle est la vraie norme éthique. Au contraire, un système de récompenses et de punitions dégrade aussitôt les valeurs éthiques du bien, change la vertu en égoïsme, en un marchandage intéressé, et remplace par un mobile plus bas la volonté de s'abstenir
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du mal. Les êtres humains ont fait de ce système de récompense et de punition une nécessité sociale afin d'empêcher que soient commis des actes nuisibles à la communauté et d'encourager ce qui lui est bénéfique; mais faire de ce subterfuge humain une loi générale de la Nature cosmique ou une loi de l'Être suprême ou la loi suprême de l'existence, est un procédé de valeur douteuse. Il est humain, mais il est également puéril, d'imposer les critères étroits et insuffisants de notre propre Ignorance aux opérations plus vastes et plus complexes de la Nature cosmique, ou à l'action de la Sagesse et du Bien suprêmes qui nous attirent ou nous élèvent vers eux grâce à un pouvoir spirituel œuvrant lentement en nous par l'entremise de notre être intérieur et non par la tentation et la contrainte, imposant leur loi à notre nature vitale extérieure. Si l'âme, à travers une expérience multiple et complexe, poursuit une évolution, alors toute loi du Karma ou du retour à l'action et à la projection d'Énergie doit, pour s'accorder à cette expérience, être également complexe et ne peut avoir une structure simpliste et étriquée ou des effets immuables et unilatéraux.
On peut néanmoins accorder à cette doctrine une vérité partielle, non dans son principe fondamental ou général, mais dans les faits ; bien que les lignes d'action de l'énergie soient distinctes et indépendantes, elles peuvent en effet agir de concert et les unes sur les autres, sans suivre pourtant aucune loi de correspondance rigidement établie. Il est possible que, dans la méthode globale de rétribution qu'emploie la Nature, un certain rapport, ou plutôt une certaine interaction se noue entre le bien et le mal vitaux-physiques et le bien et le mal éthiques, une correspondance limitée, un point de rencontre entre des dualités divergentes, sans atteindre toutefois une indissociable concordance. Nos énergies, nos désirs, nos mouvements varient et se mélangent dans leur jeu, et ils peuvent avoir des effets également mélangés : notre vital exige des récompenses extérieures substantielles pour la vertu, la connaissance où tout effort intellectuel, esthétique, moral ou physique; il croit fermement que le péché, et même l'ignorance, doivent être punis. Cela peut fort bien produire une action cosmique correspondante, ou y répondre ; car la Nature nous prend tels que nous sommes et, dans une certaine mesure, adapte ses mouvements à nos besoins ou à ce que nous exigeons d'elle. Si nous admettons que des Forces invisibles agissent sur nous, il peut y avoir aussi dans la Nature de la Vie des Forces invisibles appartenant au même plan de la Purusha que cette partie de
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notre être, des Forces qui se meuvent selon le même plan ou le même pouvoir dynamique que notre nature vitale inférieure. On observe souvent qu'un égoïsme vital arrogant, lorsqu'il piétine sans retenue ni scrupule tout ce qui, sur son chemin, s'oppose à sa volonté ou à son désir, soulève une masse de réactions contraires : haine, antagonisme, malaise qui peuvent avoir des effets immédiats ou ultérieurs, et des réactions adverses plus formidables encore dans la Nature universelle. On dirait que la patience et la docilité de la Nature sont épuisées. Les forces mêmes dont l'ego de l'homme doté d'un vital puissant s'était emparé pour les plier à ses desseins, se rebellent et se retournent contre lui, celles qu'il a piétinées se redressent et reçoivent le pouvoir de l'abattre. La force vitale insolente de l'Homme frappe le trône de la Nécessité et s'y fracasse, osa le pied boiteux du Châtiment atteint enfin l'offenseur triomphant. Cette réaction au mouvement de ses énergies peut se produire dans une vie future et non pas aussitôt, et peut-être aura-t-il à supporter le fardeau de telles conséquences à son retour dans le champ de ces Forces. Cela peut se produire sur une petite ou une grande échelle, et aussi bien pour le petit être vital et ses petites erreurs, que pour ces êtres d'envergure. Car le .principe sera le même : l'être mental en nous poursuit le succès en faisant un mauvais usage de la force, que la Nature accepte, mais contre lequel elle finit par s'insurger, et il en paie le prix par la défaite, la souffrance et l'échec. Mais élever cette séquence mineure de causes et d'effets au rang de Loi absolue et invariable, ou en faire toute la loi d'action cosmique d'un Être suprême, n'est pas acceptable ; ces choses appartiennent à une région intermédiaire qui se situe entre la Vérité la plus profonde ou suprême des choses et l'impartialité de la Nature matérielle.
Quoi qu'il en soit, les réactions de la Nature n'ont pas essentiellement pour objet de récompenser ou de punir ; ce n'est pas leur valeur fondamentale — celle-ci est plutôt inhérente aux relations naturelles et, dans la mesure où elle affecte l'évolution spirituelle, c'est une valeur tirée des leçons de l'expérience au cours de l'éducation cosmique de l'âme. Si nous touchons au feu, il nous brûle, mais il n'y a aucun principe de punition dans cette relation de cause à effet, c'est une leçon sur ces relations, une leçon de l'expérience; de même, dans tous nos rapports avec la Nature, il y a une relation entre les choses, et la leçon correspondante que donne l'expérience. L'action de l'Énergie cosmique est complexe, et les mêmes Forces peuvent agir de différentes manières suivant les circonstances, le besoin de l'être, l'intention du Pouvoir
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cosmique dans son action. Notre vie est affectée non seulement par ses propres énergies, mais par celles des autres et par des Forces universelles, et les résultats de tout ce vaste jeu interactif ne peuvent être uniquement déterminés par un seul facteur, une loi morale gouvernant tout et exclusivement préoccupée des mérites et démérites, des péchés et vertus d'êtres humains individuels. On ne peut pas davantage considérer que la bonne et la mauvaise fortune, le plaisir et la douleur, le bonheur, le malheur et la souffrance n'existent que pour stimuler l'être naturel à choisir le bien et le dissuader de choisir le mal. C'est pour l'expérience, pour la croissance de l'être individuel que l'âme choisit de renaître; joie et chagrin, douleur et souffrance, fortune et infortune font partie de cette expérience, sont des moyens de cette croissance. L'âme peut même spontanément accepter ou choisir la pauvreté, l'infortune et la souffrance — si elle sent qu'ils peuvent favoriser sa croissance, encourager un développement rapide — et rejeter les richesses, la prospérité et le succès comme dangereux, car ils entraînent un relâchement de son effort spirituel. Le bonheur et le succès qui apporte le bonheur sont certainement des exigences légitimes de l'humanité ; c'est ainsi que la vie et la matière essaient de capter un pâle reflet ou une image grossière de la félicité; mais un bonheur superficiel et un succès matériel, si désirables soient-ils pour notre nature vitale, ne sont pas l'objet principal de notre existence. Si telle avait été l'intention, la vie eût été organisée différemment dans le grand plan cosmique. Tout le secret des circonstances de la renaissance gravite autour de ce besoin unique et capital de l'âme : le besoin de croissance, le besoin d'expériences ; c'est cela qui oriente la ligne de son évolution et tout le reste est accessoire. L'existence cosmique n'est pas un vaste système administratif de justice universelle avec, pour mécanisme, une Loi cosmique de récompenses et de châtiments, ou pour centre un Législateur et Juge divin. Elle nous apparaît d'abord comme un grand mouvement automatique de l'énergie de la Nature, où émerge et se développe un mouvement de conscience, et donc un mouvement de l'Esprit façonnant son être dans ce mouvement d'énergie de la Nature. Le cycle de la renaissance s'inscrit dans ce mouvement, et, dans ce cycle, l'âme, l'être psychique prépare pour lui-même — ou la Sagesse divine, la Purusha cosmique prépare pour lui et par ses actes — tout ce dont il a besoin pour l'étape suivante de son évolution, pour la prochaine formation de sa personnalité, le futur réseau d'expériences nécessaires que fournit et organise constamment le flux continu des énergies passées, présentes et
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futures pour chaque nouvelle naissance, pour chaque nouveau pas de l'esprit en arrière ou en avant, ou circulaire, mais néanmoins toujours un pas dans la croissance de l'être vers sa destinée, le déploiement de son moi dans la Nature.
Cela nous conduit à un 'autre élément dans ; la conception ordinaire de la renaissance que nous jugeons inacceptable, car il est manifestement une erreur du mental physique : l'idée que l'âme elle-même est une personnalité limitée qui survit, inchangée, d'une naissance à l'autre. Cette idée simpliste et superficielle de l'âme et de la personnalité provient de l'incapacité du mental physique à voir au-delà de sa propre formation apparente dans cette seule existence. Selon sa conception, ce qui se réincarne doit être non seulement le même être spirituel, la même entité psychique, mais la même formation naturelle qui habitait le corps dans sa précédente incarnation ; le corps change, les circonstances diffèrent, mais la forme de l'être, le mental, le caractère, les dispositions, le tempérament, les tendances restent les mêmes : John Smith, dans sa nouvelle vie, est le même John Smith qu'il était dans son dernier avatar. Mais s'il en était ainsi, la renaissance n'aurait absolument aucune utilité ni aucun sens spirituels ; ce serait en effet une répétition de la même petite personnalité, de la même petite formation mentale et vitale jusqu'à la fin des temps. Pour que l'être incarné puisse croître et atteindre la pleine dimension de sa réalité, ce n'est pas seulement une nouvelle expérience, mais une nouvelle personnalité qui est indispensable. La répétition de la même personnalité ne serait utile que si quelque chose était resté incomplet dans la formation de son expérience passée et qu'il fallût le façonner dans le même cadre de ce moi, dans la même construction mentale et avec une capacité, une énergie pareillement constituées. Mais normalement, cela s'avérerait parfaitement futile : l'âme qui a été John Smith ne peut rien gagner, ni s'accomplir, en demeurant à jamais John Smith; elle ne peut grandir ni atteindre à sa perfection en répétant éternellement le même caractère, les mêmes intérêts, les mêmes occupations, les mêmes types de mouvements intérieurs et extérieurs. Notre vie et notre renaissance seraient toujours la même fraction périodique; ce ne serait pas une évolution mais la continuité absurde d'une éternelle répétition. Notre attachement à notre personnalité présente exige une telle continuité, une telle répétition : John Smith veut être pour toujours John Smith. Mais son exigence est évidemment ignorante, et si elle était satisfaite, elle entraînerait une
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désillusion, pas un accomplissement. C'est seulement par un changement du moi extérieur, par une constante progression de la nature, par une croissance en l'esprit que nous pouvons justifier notre existence.
La personnalité n'est qu'une formation mentale, vitale, physique temporaire que l'être, la Personne réelle, l'entité psychique, projette à la surface — ce n'est pas le moi dans sa réalité permanente. À chaque retour sur terre, la Personne, le Purusha, fait une nouvelle formation, construit un nouveau quantum personnel adapté à une nouvelle expérience, une nouvelle croissance de son être. Quand elle quitte' son corps, elle conserve quelque temps encore la même forme vitale et la même forme mentale, mais ces formes ou enveloppes se dissolvent et seuls sont conservés les éléments essentiels du quantum passé dont certains seront utilisés dans l'incarnation suivante, tandis que d'autres ne le seront peut-être pas. La forme essentielle de la personnalité passée peut demeurer comme un élément parmi beaucoup d'autres, comme une personnalité parmi les nombreuses personnalités de la même Personne, mais à l'arrière-plan, dans le subliminal, derrière le voile du mental, de la vie et du corps de surface, apportant de là tout ce qui, en elle, est nécessaire à la nouvelle formation ; elle ne sera pas elle-même toute la formation, ni ne reconstruira, inchangé, l'ancien type de nature. Il se peut même que le nouveau quantum, la nouvelle structure de l'être, présente un caractère et un tempérament tout à fait opposés, de tout autres capacités, des tendances très différentes, car des potentialités latentes peuvent être prêtes à émerger, ou un élément déjà actif, mais embryonnaire, a peut-être été retenu dans la vie précédente, qui avait besoin d'être élaboré, mais fut conservé dans l'attente d'une combinaison ultérieure, et mieux adaptée, des possibilités de la nature. Tout le passé est là, en vérité, avec. une accélération de son élan et de ses potentialités pour la formation future, mais il n'est pas tout entier ostensiblement présent et actif. Plus grande est la diversité des formations qui ont existé dans le passé et peuvent être utilisées ; plus riches et multiformes sont les constructions accumulées de l'expérience ; plus le résultat essentiel de leur capacité de connaissance, de puissance, d'action, de caractère, de réponse multiple à l'univers peut être manifesté et harmonisé dans la nouvelle naissance ; plus nombreuses sont les personnalités voilées, mentales, vitales, physiques-subtiles qui se combinent pour enrichir la nouvelle personnalité à la surface — et plus cette personnalité sera grande et opulente, et prête à quitter la
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phase mentale qu'elle vient d'achever dans son évolution, pour passer à quelque chose au-delà. Une telle complexité, une telle réunion de personnalités dans une seule personne peut être un signe que l'individu est parvenu à un stade très avancé de son évolution, quand un être central fort maintient la cohésion de l'ensemble et œuvre à l'harmonisation et à l'intégration de tout ce mouvement multiforme de la nature. Mais cette riche intégration du passé ne serait pas une répétition de la personnalité ; ce serait une formation nouvelle et un vaste accomplissement. La renaissance existe, non comme un mécanisme de renouvellement ou de prolongation perpétuels d'une personnalité immuable, mais comme un moyen d'évolution de l'être spirituel dans la Nature.
Il devient aussitôt évident que, dans ce plan de la renaissance, la fausse importance que notre mental attache au souvenir des vies passées disparaît complètement. Si la renaissance était bel et bien déterminée par un système de récompenses et de châtiments, si la vie avait pour seul objet d'enseigner à l'esprit incarné à être bon et moral — à supposer que l'agencement du Karma ait bien un tel objectif et que celui-ci ne soit pas ce qu'il paraît être quand on le présente ainsi, une loi mécanique de récompense et de punition n'ayant aucun sens ni aucun but réformateur —, alors il serait bien entendu parfaitement stupide et injuste de refuser au mental dans sa nouvelle incarnation tout souvenir de ses vies et de ses actions passées. Car l'être qui renaît se trouve alors privé de toute possibilité de comprendre pourquoi il est récompensé ou puni, ou de tirer le moindre profit de la leçon sut la rentabilité de la vertu octroyée, et le manque de rentabilité du péché infligé. Et puisque la vie semble souvent lui enseigner la leçon contraire — il voit les bons souffrir pour leur bonté, et les méchants prospérer grâce à leur méchanceté —, il risque même plutôt de s'arrêter à cette signification pervertie, parce qu'il n'a pas souvenir d'expériences dont les conséquences certaines et constantes lui indiqueraient que les souffrances de l'homme bon sont dues à sa méchanceté passée et la prospérité du pécheur à la splendeur de ses anciennes vertus, en sorte que la vertu paraît être la meilleure politique à long terme pour toute âme raisonnable et prudente entrant dans cette administration de la Nature. On pourrait dire que l'être psychique au-dedans se souvient; mais une mémoire aussi secrète aurait apparemment peu d'effet ou de valeur à la surface. Ou bien on peut dire qu'il comprend ce qui est arrivé et apprend sa leçon quand il passe ses expériences en revue et les
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assimile après avoir quitté le corps; mais cette mémoire intermittente ne semble pas être d'un grand secours dans la vie suivante, car, pour la plupart, nous persistons dans le péché et dans l'erreur, et aucun signe tangible ne prouve que nous ayons profité des enseignements de notre expérience passée.
Mais si le développement constant de l'être grâce à une expérience cosmique croissante constitue le sens de la renaissance, et si la méthode consiste à construire une personnalité nouvelle dans une nouvelle naissance, alors tout souvenir persistant ou complet de la vie passée, ou des vies passées, pourrait être une chaîne et un sérieux obstacle; ce serait une force qui prolongerait le tempérament et le caractère anciens, les anciennes préoccupations, et un énorme fardeau qui entraverait le libre développement de la nouvelle personnalité et la nouvelle formulation de sa nouvelle expérience. Un souvenir clair et détaillé des vies passées, des haines, des rancœurs, des attachements, des liens du passé serait également un formidable embarras ; car il imposerait à l'être réincarné une vaine répétition ou une continuation forcée de son passé superficiel et pèserait lourdement sur lui, l'empêchant de tirer de nouvelles possibilités des profondeurs de l'esprit. Si un apprentissage mental était vraiment le fond du problème, si c'était là le processus de notre développement, la mémoire aurait une grande importance; mais il s'agit en fait d'une croissance de la personnalité de l'âme, d'une croissance de la nature par une assimilation dans la substance de notre être,par une absorption créatrice et effective des résultats essentiels des énergies passées. Dans ce processus, la mémoire consciente n'a aucune importance. Tout comme l'arbre croît par une assimilation subconsciente ou inconsciente de l'action du soleil, de la pluie et du vent, en absorbant les éléments de la terre, ainsi l'être grandit-il grâce à une assimilation et une absorption subliminales ou intraconscientes des résultats de son devenir passé, et en produisant des potentialités pour son devenir futur. La loi qui nous prive du souvenir des vies passées est une loi de la Sagesse cosmique, et loin de le desservir, elle sert au contraire son dessein évolutif.
On considère à tort, et d'une façon très ignorante, que l'absence de tout souvenir des existences passées dément la réalité de la renaissance ; car s'il est difficile de conserver dans cette vie tous les souvenirs de notre passé, s'ils s'estompent souvent et passent à l'arrière-plan ou
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s'évanouissent tout à fait, si nous ne nous rappelons rien de notre petite enfance et si, malgré ce hiatus de la mémoire, nous pouvons grandir, exister, si le mental peut même perdre toute mémoire des événements passés et de sa propre identité et que ce soit pourtant le même être qui se trouve là présent, et que la mémoire perdue puisse être un jour recouvrée, alors il est évident qu'un changement aussi radical que le passage dans d'autres mondes, suivi d'une nouvelle naissance dans un corps nouveau, devrait normalement oblitérer complètement la mémoire superficielle ou mentale, sans annuler pour autant l'identité de l'âme ou la croissance de la nature. Cette oblitération de la mémoire mentale superficielle est plus certaine encore et tout à fait inévitable si une nouvelle personnalité du même être, avec une nouvelle instrumentation, vient remplacer l'ancienne : un nouveau mental, une nouvelle vie, /un nouveau corps. On ne peut s'attendre à ce que le nouveau cerveau porte en lui les images que contenait l'ancien; on ne peut commander à la nouvelle vie ou au nouveau mental de conserver les impressions effacées de l'ancien mental et de l'ancienne vie qui ont été dissous et n'existent plus. L'être subliminal, lui, peut certes s'en souvenir, puisqu'il n'est pas affecté par les incapacités de l'être de surface ; mais le mental superficiel est coupé de la mémoire subliminale qui, seule, pourrait garder un souvenir précis, une impression distincte des vies passées. Cette séparation est nécessaire parce que la nouvelle personnalité doit être construite à la surface sans référence consciente à ce qui est au-dedans. Notre personnalité de surface, comme tout le reste de l'être superficiel, est en effet façonnée par une action du dedans, mais elle n'en est pas consciente : elle a l'impression de s'être formée elle-même, ou d'être venue déjà toute faite, ou d'avoir été formée par une action de la Nature universelle qu'elle comprend mal. Il arrive pourtant que des souvenirs fragmentaires des vies passées subsistent effectivement, en dépit de ces obstacles presque insurmontables. Il existe même quelques cas très rares de mémoire étonnamment exacte et complète dans le mental de l'enfant. Finalement, à; un certain stade du développement de l'être, quand l'être intérieur commence à dominer l'être extérieur et vient au premier plan, la mémoire des vies passées émerge parfois comme d'une couche submergée, mais elle revêt plutôt la forme d'une perception de la substance et du pouvoir des personnalités passées qui participent activement à la composition de l'être dans la vie présente, et ne donne pas en général de détails exacts et précis sur les événements et les circonstances, bien que cela puisse aussi resurgir en partie ou être
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extrait, par concentration, de la vision subliminale, de quelque mémoire secrète ou de notre substance consciente intérieure. Mais cette mémoire de détail est d'une importance mineure pour la Nature dans son activité normale et elle n'y pourvoit guère ou pas du tout : ce qui l'occupe, c'est de façonner la future évolution de l'être; le passé est tenu à l'arrière-plan, derrière le voile, et utilisé seulement comme une source occulte de matériaux pour le présent et l'avenir.
Si l'on accepte cette conception de la Personne et de la Personnalité, elle doit en même temps modifier nos idées courantes sur l'immortalité de l'âme. D'ordinaire, en effet, lorsque nous affirmons que l'âme ne meurt pas, nous voulons dire qu'après la mort survit une personnalité définie et immuable qui a été et demeurera toujours la même pour l'éternité. C'est pour le " je " superficiel et très imparfait du moment — que la Nature tient évidemment pour une forme temporaire qui ne mérite pas d'être préservée — que nous réclamons le droit prodigieux à la survie et à l'immortalité. Mais cette exigence est extravagante et on ne saurait la satisfaire ; le " je " du moment ne peut mériter de survivre que s'il consent à changer, à ne plus être lui-même mais un autre, plus grand, meilleur, plus lumineux en 'sa connaissance, ; qui soit mieux façonné à l'image de l'éternelle beauté intérieure et progresse toujours plus vers la divinité de l'esprit secret. C'est cet esprit secret, cette divinité du Moi en nous qui est impérissable, car elle est non née et éternelle. L'entité psychique au-dedans qui la représente, l'individu spirituel en nous, est la Personne que nous sommes; mais le " je " de ce moment, le " je " de cette vie n'est qu'une formation, une personnalité temporaire de cette Personne intérieure : c'est l'une des nombreuses étapes de notre changement évolutif, et elle ne sert son vrai dessein que lorsque nous passons à une nouvelle étape qui nous rapproche d'un degré supérieur de la conscience et de l'être. C'est la Personne intérieure qui survit à la mort, tout comme elle préexiste à la naissance ; car cette constante survivance est une traduction de l'éternité de notre esprit intemporel dans les termes du Temps.
C'est normalement la même survivance que nous demandons pour notre mental, notre vie et même notre corps. Le dogme de la résurrection du corps témoigne de cette dernière exigence, de même qu'il est à l'origine de l'effort de l'homme, à travers les âges, pour découvrir l'élixir d'immortalité, ou quelque moyen magique, alchimique 'dû scientifique
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de conquérir physiquement la mort du corps. Mais cette aspiration ne pourrait se réaliser que si le mental, la vie ou le corps arrivaient à partager un peu de l'immortalité et de la divinité de l'esprit intérieur. Dans certaines circonstances, la survie de la personnalité mentale extérieure, qui représente le Purusha mental intérieur et, en même temps, à s'ouvrir avec une telle plasticité à l'action progressive de l'Infini, que l'âme n'aurait plus besoin de dissoudre l'ancienne forme mentale et d'en créer une nouvelle pour progresser. Seules une individualisation, une intégration et une ouverture de l'être vital à la surface rendraient possible une survie similaire de la partie vitale en nous, de la personnalité vitale extérieure représentant l'être-de-vie intérieur, le Purusha vital. Ce qui se produirait alors en réalité, c'est que le mur séparant le moi intérieur de l'homme extérieur ayant été abattu, l'être mental et vital permanent; les représentants mental et vital de l'entité psychique immortelle, gouverneraient la vie du dedans. Notre nature mentale et notre nature vitale seraient alors une expression progressive et continue de l'âme et non pas un réseau de formations successives dont seule l'essence est préservée. Notre personnalité mentale et notre personnalité vitale subsisteraient sans avoir à se dissoudre de naissance en naissance; en ce sens, elles seraient immortelles, survivraient de façon permanente, sans jamais perdre le sens de leur identité. Ce serait assurément une immense victoire de l'âme, du mental et de la vie sur l'Inconscience et les limitations de la Nature matérielle.
Mais une telle survivance ne pourrait persister que dans le corps subtil. L'être aurait encore à rejeter sa forme physique, à passer dans d'autres mondes et, à son retour, à revêtir un nouveau corps. Éveillés, et préservant l'enveloppe mentale et l'enveloppe vitale du corps subtil qui sont d'habitude rejetées, le Purusha vital reprendraient naissance avec elle, ayant encore et constamment le sens vivant d'une permanence de l'être mental et vital qui fut constitué dans le passé et se perpétue dans le présent et l'avenir. Mais même un tel changement ne permettrait pas de préserver la base de l'existence physique, le corps matériel. L'être physique ne pourrait durer que si l'on trouvait le moyen de supprimer les causes physiques de la détérioration et de la désagrégation et si l'on parvenait en même temps à rendre la structure et le
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fonctionnement du corps si plastiques et si progressifs qu'il répondrait à chaque changement que le progrès de la Personne intérieure¹ exigerait de lui. Il doit pouvoir suivre le rythme de la progression de l'âme qui forme la personnalité où s'exprime le moi, qui longuement déploie la divinité spirituelle secrète et transforme peu à peu l'existence mentale en l'existence mentale divine ou spirituelle. Cette réalisation d'une triple immortalité — l'immortalité de la nature complétant l'immortalité essentielle de l'Esprit et la survie psychique à la mort — pourrait être le couronnement de la renaissance et un signe décisif de la victoire sur l'Inconscience et l'Ignorance matérielles jusque dans les fondations du règne de la Matière. Mais la vraie immortalité serait encore l'éternité de l'esprit ; la survivance physique ne pourrait être que relative, suspendue à volonté, un signe temporel de la victoire terrestre de l'esprit sur la Mort et la Matière.
¹Même si la science — qu'elle soit physique ou occulte — découvrait les conditions ou les moyens nécessaires pour que le corps puisse survivre indéfiniment, et que le corps ne puisse néanmoins s'adapter pour devenir un instrument adéquat exprimant la croissance intérieure, l'âme trouverait alors un moyen de l'abandonner et de se réincarner. Les causes matérielles, physiques de la mort ne sont pas sa seule ou sa vraie cause ; sa raison la plus profonde est une nécessité spirituelle, pour l'évolution d'un être nouveau.
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La Divinité unique, secrète dans tous les êtres, pénétrant tout, le Moi intérieur de tous, présidant à toute action, le témoin, ce qui connaît consciemment et absolument... l'Un qui dirige la multiplicité de ceux qui sont soumis passivement à la Nature, façonne les formes multiples d'une unique semence.
Shvetâshvatara Upanishad. VI. 11,12.
Le Divin se meut en ce Champ et modifie la trame des choses, séparément et de diverses manières... Unique, il est maître de toutes les matrices, de toutes les natures; il est lui-même la matrice de toutes choses, il est cela qui porte à maturité la nature de l'être et donne à tous ceux qui doivent être mûris le fruit de leur développement, et il fixe toutes les qualités de leurs opérations.
Shvetâshvatara Upanishad. V. 3-5.
Il façonne diversement une forme unique des choses.
Katha Upanishad. II. 2,12.
Qui a perçu cette vérité occulte, que l'Enfant donne l'existence aux Mères par le jeu de sa nature ? Descendant né du sein des Eaux multiples, il en sort Voyant, maître de la loi intégrale de sa nature. Manifesté, il grandit au sein de ce qui est tortueux et devient grand, beau et glorieux.
Rig-Véda. V. 3-5.
Du non-être à l'être vrai, de l'obscurité à la Lumière, de la mort à l'Immortalité.
Brihadâranyaka Upanishad. I. 3.28.
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Une évolution spirituelle, une évolution de la conscience dans la Matière, assumant des formes en constant développement, jusqu'à ce que la forme puisse révéler l'Esprit qui l'habite, telle est la note dominante, le mobile central significatif de l'existence terrestre. Cette signification est cachée tout d'abord par l'involution de l'Esprit, la Divine Réalité, dans une lourde inconscience matérielle. Un voile d'inconscience, le voile de l'insensibilité de la Matière, recouvre la Conscience-Force universelle qui travaille en elle, de sorte que l'Énergie, cette première forme que la Force créatrice revêt dans l'univers physique, paraît être elle-même inconsciente, tout en accomplissant l'œuvre d'une vaste Intelligence occulte. Finalement, la créatrice obscure et mystérieuse délivre la conscience secrète de son épaisse et ténébreuse prison, mais elle la délivre lentement, petit à petit, en gouttelettes infinitésimales, en minces filets, en de petites et vibrantes concrétions d'énergie et de substance, de vie et de pensée, comme si c'était tout ce qu'elle pouvait faire passer à travers l'obstacle grossier, l'intermédiaire inerte et récalcitrant d'une existence pétrie d'inconscience. Au début, la Conscience-Force se loge en des formes matérielles qui paraissent totalement inconscientes, puis elle s'efforce d'atteindre à la mentalité sous l'apparence de la matière vivante, et y parvient imparfaitement dans l'animal conscient. Cette conscience est tout d'abord rudimentaire, c'est surtout un instinct à demi subconscient ou tout juste conscient; puis elle se développe lentement, jusqu'à ce qu'en des formes plus organisées de la matière vivante, elle touche son plus haut degré d'intelligence et se dépasse elle-même en l'Homme, l'animal pensant qui devient l'être mental doué de raison. Mais même à son sommet, l'homme porte en lui l'empreinte de son origine animale, le poids mort de la subconscience du corps; il subit l'attraction vers le bas,
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vers l'Inertie et la Nescience originelles; il est soumis à la domination que la Nature matérielle inconsciente exerce sur son évolution consciente, au pouvoir de limitation de cette Nature et à la loi de son développement difficile, à son immense force de ralentissement et d'obstruction. L'emprise de cette inconscience originelle sur la conscience qui en émerge se traduit sous la forme générale d'une mentalité qui lutte vers la connaissance, mais qui est elle-même, dans ce qui paraît être sa nature fondamentale, une Ignorance. Ainsi entravé et alourdi, l'homme mental doit encore développer en lui-même l'être pleinement conscient, une humanité divine, ou une surhumanité spirituelle et supramentale, qui sera le prochain fruit de l'évolution. Cette transition marquera le passage d'une évolution dans l'Ignorance à une évolution supérieure dans la Connaissance, fondée sur la lumière du Supraconscient, et .progressant en elle et non plus dans les ténèbres de l'Ignorance et de l'Inconscience.
Ce processus évolutif dans la Nature terrestre depuis la Matière jusqu'au Mental et au-delà, suit un double mouvement : d'une part, il y a un mouvement extérieur et visible d'évolution physique, avec la naissance comme processus — car chaque forme corporelle apparue dans l'évolution, dotée du pouvoir de conscience qui s'est développé en même temps, se maintient par l'hérédité qui assure sa continuité; d'autre part et simultanément, il y a un mouvement invisible d'évolution de l'âme avec comme processus la renaissance suivant des degrés ascendants de forme et de conscience. Le premier mouvement, à lui seul" n'entraînerait qu'une évolution cosmique, car l'individu serait un instrument rapidement périssable, et la race, formulation collective plus durable, serait le véritable échelon dans la manifestation progressive de l'Habitant cosmique, l'Esprit universel. Ainsi, la renaissance est une condition indispensable pour une durée et une évolution prolongées de l'être individuel dans l'existence terrestre. Chaque degré de la manifestation cosmique, chaque type de forme capable d'abriter l'esprit immanent, devient, grâce à la renaissance, un moyen pour l'âme individuelle, l'entité psychique, de manifester plus complètement sa conscience cachée. Chaque vie devient un pas de plus vers la victoire sur la Matière, grâce à une progression croissante de la conscience qui l'anime et qui, finalement, fera de la Matière elle-même un instrument
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de la pleine manifestation de l'Esprit.
Mais cette description du processus et du sens de la création terrestre peut, en tous points, être mise en doute dans la pensée de l'homme lui-même, car l'évolution n'en est qu'à mi-chemin dans son voyage; elle progresse encore dans l'Ignorance, cherchant son propre but et sa signification dans le mental d'une humanité à demi développée. On peut contester la théorie de l'évolution, sous prétexte qu'elle est insuffisamment fondée et qu'elle n'est pas indispensable pour expliquer le processus de l'existence terrestre. Et même si l'on admet l'évolution, on peut douter que l'homme soit capable de se transformer en un être évolutif supérieur. On peut aussi contester que l'évolution puisse jamais progresser au-delà de son niveau actuel, ou qu'une évolution supramentale, l'apparition d'une parfaite Conscience-de-Vérité, d'un être de Connaissance, ait la moindre chance de se produire au sein de l'Ignorance fondamentale de la Nature terrestre. Mais nous pouvons proposer une autre interprétation, qui s'est ni téléologique,ni évolutive, des œuvres de l'Esprit dans la manifestation terrestre ; et il semble préférable, avant d'aller plus loin, d'exposer brièvement les arguments sur lesquels elle s'appuie.
Même si nous admettons que la création est une manifestation de l'Éternel hors du Temps dans l'éternité du Temps, qu'il existe sept degrés,de Conscience—-, l'Inconscience matérielle servant de base pour la réascension de l'Esprit —, et que la renaissance est un fait, un élément de l'ordre terrestre, il n'en reste pas moins qu'aucun, ni même l'ensemble de ces postulats, ne nous permet nécessairement de conclure qu'il existe une évolution spirituelle de l'être individuel. Il est possible d'envisager autrement la signification spirituelle de l'existence terrestre et son processus intérieur. Si chaque chose créée est une forme de l'Existence Divine manifestée, chacune est divine en soi par la présence spirituelle qui est en elle, quels que soient son apparence, son aspect ou son caractère dans la Nature. En chaque forme de la manifestation, le Divin goûte les délices de l'existence, et aucune d'entre elles n'a besoin de changement ni de progrès. Tout le déploiement ordonné ou toute la hiérarchie de possibilités réalisées dont puisse avoir besoin la nature de l'Être Infini, sont rendus possibles par la variation innombrable, le foisonnement des formes, des types de conscience, des caractères que nous voyons partout autour de nous, sans qu'il soit besoin d'aucune autre explication. Il n'y
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a pas, et il ne peut y avoir de dessein téléologique dans la création, car tout est contenu dans l'Infini : il n'est rien que le Divin ait à gagner, rien qu'il ne possède déjà. S'il y a une création et une manifestation, c'est pour la joie de la création et de la manifestation, et pour rien d'autre. Il n'y a donc nul besoin d'un mouvement évolutif qui doive atteindre un point culminant ou élaborer et réaliser quelque dessein, ou s'efforcer d'atteindre une perfection ultime.
En fait, nous voyons quelles principes de la création sont permanents et invariables : chaque type d'être reste ce qu'il est, sans essayer, ni éprouver le moindre besoin, de devenir autre qu'il n'est. En admettant que certains types d'existence disparaissent et que d'autres apparaissent, c'est parce que la Conscience-Force dans l'univers retire sa joie de vivre des types qui périssent et en crée d'autres pour son plaisir. Mais chaque type de vie, aussi longtemps qu'il dure, conserve sa propre structure et s'y conforme, quelles que soient les variations mineures. Il est lié à sa propre conscience et ne peut s'en écarter pour passer dans une autre conscience ; il est limité à sa propre nature et ne peut franchir ses frontières pour passer dans une autre nature. Si la Conscience-Force de l'Infini a manifesté la Vie après avoir manifesté la Matière, et le Mental après avoir manifesté la Vie, il ne s'ensuit pas qu'elle manifestera ensuite le Supramental comme sa prochaine création terrestre. Car le Mental et le Supramental appartiennent à deux hémisphères tout à fait différents : le Mental au statut inférieur de l'Ignorance, le Supramental au statut supérieur de la Connaissance divine. Ce monde est un monde d'Ignorance et il est destiné à n'être que cela ; il n'existe pas nécessairement une intention de faire descendre les pouvoirs de l'hémisphère supérieur dans la moitié inférieure de l'existence, ou d'y manifester leur présence cachée, car si réellement ces pouvoirs existent ici-bas, c'est dans une immanence occulte, incommunicable, et seulement pour maintenir la création, non pour la perfectionner. L'homme est le sommet de cette création ignorante ; il a atteint toute la conscience et toute la connaissance dont cette création est capable ; s'il essaie d'aller plus loin, il ne fera que tourner en rond dans les cercles élargis de sa propre mentalité. Telle est en effet la courbe de son existence terrestre, une ronde limitée qui emporte le mental dans ses révolutions et retourne toujours à son point de départ. Le mental ne peut pas sortir de sa propre orbite ; toute idée de mouvement en ligne droite ou de progrès qui s'élève indéfiniment ou s'élargit dans l'Infini,
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est une illusion. Si l'âme de l'homme doit dépasser l'humanité pour atteindre un état supramental ou un état plus élevé encore, elle doit sortir de cette existence cosmique et entrer soit dans une région ou un monde de béatitude et de connaissance, soit dans l'Éternel et Infini non manifesté.
La science, il est vrai, affirme aujourd'hui que l'existence terrestre est évolutive; mais si les faits qu'elle traite sont dignes de confiance, les généralisations qu'elle hasarde ont la vie 'courte. Elle s'y tient pendant quelques dizaines d'années, ou quelques siècles, puis elle passe à d'autres généralisations, à d'autres théories. C'est le cas même dans les sciences physiques, où les faits peuvent être rigoureusement constatés et vérifiés par l'expérience. En psychologie — qui a ici son mot à dire car l'évolution de la conscience entre en jeu —, l'instabilité de la science est plus grande encore ; elle passe d'une théorie à l'autre avant que la première ne soit bien fondée; il arrive même que plusieurs théories contradictoires soient en faveur simultanément. Aucun système métaphysique solide ne peut être érigé sur ces sables mouvants. L'hérédité, sur laquelle la science construit sa conception de l'évolution de la vie, est; s certainement une force, un procédé pour préserver telle quelle l'existence des types et des espèces ; mais lorsqu'elle cherche à démontrer que l'hérédité est aussi l'instrument d'une variation persistante et progressive, ses arguments sont des plus contestables. Sa tendance est conservatrice plutôt qu'évolutive et elle semble accepter avec difficulté tout caractère nouveau que la Force de Vie essaie de lui imposer. Tous les faits démontrent qu'un type peut varier dans le cadre des spécifications propres à sa nature, mais rien n'indique qu'il puisse aller au-delà. Il n'a pas encore été réellement établi que le singe se soit transformé en homme; il semblerait plutôt qu'un type ressemblant au singe, mais possédant dès l'abord ses caractères propres et non ceux du singe, se soit développé dans le cadre de ses propres tendances naturelles et soit devenu l'homme que nous connaissons, l'être humain actuel. Il n'est même pas établi que les races humaines moins évoluées aient donné naissance aux races plus évoluées. Celles qui avaient une organisation et des capacités inférieures, périrent, mais il n'est pas prouvé qu'elles aient laissé derrière elles, comme descendants, les races humaines d'aujourd'hui; on peut néanmoins imaginer un développement de ce genre à l'intérieur du type. Si l'on peut admettre que la Nature progresse depuis la Matière jusqu'à la Vie, et de la Vie jusqu'au Mental,
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il n'y a encore aucune preuve que la Matière se soit changée en Vie ou que l'énergie vitale se soit changée en énergie mentale ; tout ce que l'on peut admettre, c'est que la Vie s'est manifestée dans la Matière, et le Mental dans la Matière vivante. Il n'y a pas, en effet, de preuve suffisante qu'une espèce végétale quelconque se soit transformée en une existence animale, ou qu'un système de matière inanimée se soit transformé en un organisme vivant. Même si l'on découvrait un jour que dans certaines conditions chimiques ou autres, la vie fait son apparition, tout ce que cette coïncidence établirait, c'est que dans certaines circonstances physiques la vie se manifeste, et non pas que certaines conditions chimiques suffisent à constituer la vie, sont ses éléments ou la 'cause évolutive d'une transformation de; la matière inanimée en matière animée. Ici comme ailleurs, chaque degré d'être existe en lui-même et par lui-même, se manifeste selon son propre caractère, par sa propre énergie, et les niveaux au-dessus ou au-dessous ne sont pas des origines ou des conséquences, mais seulement d'autres degrés dans l'échelle continue de la nature terrestre.
Si .l'on demande alors comment toutes ces gradations et ces types être variés ont pris naissance, on peut répondre que, fondamentalement, ils furent manifestés dans la Matière par la Conscience-Force qui est en elle, par le pouvoir de l'Idée-Réelle construisant ses propres formes et types significatifs pour l'existence cosmique de l'Esprit intérieur; La méthode pratique ou physique peut varier considérablement suivant les différents états et degrés, quoiqu'on puisse distinguer une similarité fondamentale dans les grandes lignes; le Pouvoir créateur peut utiliser non pas un, mais de nombreux procédés, ou faire agir ensemble de nombreuses forces. Dans la Matière, le processus consiste à créer des particules infinitésimales chargées d'une immense énergie, qui s'associent suivant certaines configurations et certains nombres, puis à manifester de plus grandes particules à partir de -cette base initiale, et à les combiner et les associer toutes pour faire apparaître des objets sensibles : la terre, l'eau, les minéraux, les métaux, tout le règne de la matière. Dans la vie aussi, la Conscience-Force commence par des "formes infinitésimales de vie végétale et des animalcules infinitésimaux. Elle crée un protoplasme originel et le multiplie ; elle crée cette unité qu'est la cellule vivante ; elle crée d'autres types d'appareils biologiques minuscules, comme la graine ou le gène, utilisant tbujoùrs4a même méthode de groupement et d'association afin de
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construire des organismes vivants variés, par des opérations variées. On peut y voir la création constante de types, mais ce n'est pas une preuve indubitable de l'évolution. Les types sont parfois éloignés l'un de l'autre, parfois extrêmement similaires, parfois identiques dans leur base, mais différents dans les détails. Tous sont des modèles, et une telle diversité de modèles, tous dotés d'une base rudimentaire identique, est le signe qu'une Force consciente joue avec sa propre Idée et développé ainsi toutes sortes de possibilités de création. Les espèces animales, en venant au monde, peuvent commencer par une structure rudimentaire, embryonnaire ou fondamentale, semblable pour toutes; elles peuvent suivre jusqu'à un certain stade un développement similaire sur plusieurs lignes ou sur toutes. Il peut y avoir aussi des espèces qui ont une double nature, amphibies, intermédiaires entre un type et un autre. Mais tout cela ne signifie pas nécessairement que les types se soient développés l'un à partir de l'autre suivant une série évolutive. D'autres forces que les variations héréditaires ont provoqué l'apparition de caractères nouveaux, notamment des forces physiques telles que la nourriture, le rayonnement lumineux, que nous commençons seulement à connaître ; mais il y en a sûrement d'autres que nous ne connaissons pas encore ; des forces vitales invisibles et des forces psychologiques mal connues sont à l'œuvre. En effet, même la théorie physique de l'évolution doit admettre l'existence de ces pouvoirs plus subtils pour expliquer la sélection naturelle. Si l'énergie occulte ou subconsciente répond, dans certains types, aux besoins du milieu, et qu'en d'autres elle n'y répond pas et ne peut survivre, cela indique clairement la présence d'une énergie vitale et d'une psychologie variables; c'est le signe qu'une conscience et qu'une force autres que la force et la conscience physiques agissent et contribuent aux variations dans la Nature. Le problème que pose le mode opératoire comporte encore trop de facteurs obscurs et inconnus pour que toutes les constructions théoriques actuellement possibles soient définitives,
L'homme est un type parmi beaucoup d'autres qui ont été ainsi construits, un modèle parmi la multitude des modèles manifestés dans la Matière. Il est le plus complexe qui ait été créé, le plus riche par le contenu de sa conscience et la singulière ingéniosité de sa structure. Il est à la tête de la création terrestre, mais il ne la dépasse pas. Tout comme les autres, il a sa propre loi naturelle, ses limites, son type d'existence particulier, svabhâva, svadharma; il peut s'étendre et se développer dans ces limites, mais il ne peut pas en sortir; S'il doit atteindre une
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certaine perfection, c'est nécessairement une perfection dans son propre type, conforme à la loi propre de son être — en toute liberté, mais en respectant son mode et sa mesure, et non en les transcendant. Se dépasser, devenir le surhomme, assumer la nature et les pouvoirs d'un dieu serait; ..contraire à la loi de son être, ce serait impraticable et impossible. Chaque forme, chaque manière d'être possède une joie d'être particulière. Rechercher par le mental à maîtriser, utiliser son milieu et en jouir, dans la mesure où il en est capable, est le juste objectif de l'homme, l'être mental. Mais regarder au-delà, poursuivre un objectif ou un but ultérieur dans l'existence, aspirer à surpasser la stature mentale, c'est introduire dans l'existence un élément téléologique qui n'est pas visible dans la structure cosmique. Si un être supramental doit apparaître dans la création terrestre, il faudra que ce soit une manifestation nouvelle et indépendante. De même que la vie et le mental se sont manifestés dans la Matière, de même le supramental doit s'y manifester et l'Énergie-Consciente secrète doit créer les modèles nécessaires pour ce: .nouveau degré de ses pouvoirs. Mais on ne voit aucun signe d'une telle intention dans. les opérations delà Nature,
Si une création supérieure est prévue, ce n'est certainement pas à partir de l'homme que le degré, le type ou le modèle nouveau pourra se développer, car, dans ce cas, il existerait une race, une espèce ou une catégorie d'êtres humains qui posséderait déjà les premiers éléments du surhomme, tout comme l'être animal particulier qui s'est transformé en homme possédait déjà, ou contenait en puissance, les éléments essentiels de la nature humaine. Or, il n'existe pas de race, de genre ou de type semblables; tout au plus existe-t-il certains êtres mentaux spiritualisés qui cherchent à s'échapper de la création terrestre. Si par une loi occulte de la Nature une telle transformation de l'être humain en un être supramental était prévue, elle ne pourrait être accomplie que par un petit nombre d'individus qui se détacheraient de l'espèce pour former le premier fondement de ce nouveau type d'êtres. Rien ne laisse supposer que l'espèce tout entière parviendrait à cette perfection ; cette possibilité ne pourrait s'étendre à toutes les créatures humaines.
S'il est vrai que, dans la Nature, l'homme est issu de l'animal, nous ne voyons pourtant, chez aucun autre type animal, les signes d'une évolution qui le porte au-delà de lui-même. Par conséquent, si cette tension évolutive a existé dans le règne animal, elle a dû retomber au
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repos dès que l'homme est apparu, puisque son objectif était atteint. De même, si une tension analogue doit conduire à une nouvelle étape dans l'évolution, à un dépassement de soi, elle retombera probablement au repos dès que son objectif sera atteint, c'est-à-dire dès l'apparition de l'être supramental. Mais en réalité, une telle tendance n'existe pas ; l'idée même de progrès humain est très probablement une illusion, car rien n'indique qu'après avoir émergé du stade animal, l'homme, en tant que race, ait radicalement progressé au cours de son histoire. Tout au plus a-t-il avancé dans sa connaissance du monde physique, dans les sciences, dans ses rapports avec son milieu, dans son utilisation purement extérieure et utilitaire des lois secrètes de la Nature. Mais par ailleurs, il est resté ce qu'il a toujours été depuis l'aube de la civilisation ; il manifeste les mêmes capacités, les mêmes qualités, les mêmes défauts, il fait les mêmes efforts, commet les mêmes erreurs, parvient aux mêmes accomplissements, enregistre les mêmes échecs. Si progrès :il y a eu, c'est un progrès à l'intérieur d'un cercle — un cercle qui va peut-être s'élargissant, mais rien de plus. L'homme d'aujourd'hui n'est pas plus sage que les voyants, les sages et les penseurs d'autrefois ; il n'est pas plus spirituel que les grands chercheurs de jadis, les premiers et puissants mystiques ; il n'est pas supérieur, dans les arts et métiers, aux artistes et artisans de l'antiquité. Les vieilles races disparues firent preuve d'une originalité et d'une invention innées, d'une aptitude naturelle à faire face aux problèmes de la vie, et si l'homme moderne est allé un peu plus loin dans ce domaine, ce n'est pas parce qu'il a accompli un progrès essentiel, mais parce que ses capacités se sont développées, élargies, enrichies, et qu'il a hérité des accomplissements de ses prédécesseurs. Rien ne garantit qu'il se fraiera un jour un chemin hors de la demi-connaissance, demi-ignorance qui est la marque de son espèce, ou qu'il pourra jamais, même s'il acquiert une connaissance supérieure, briser et dépasser les ultimes frontières du cercle mental.
Il est tentant, et pas illogique, de voir dans la renaissance le moyen potentiel d'une évolution spirituelle, le facteur qui la rend possible, mais il n'est pas certain que telle soit sa signification — en admettant que la renaissance soit un fait. Dans toutes les anciennes théories, la réincarnation était considérée comme une constante transmigration de l'âme, qui passe d'un corps animal à un corps humain, mais aussi d'un corps humain à un corps animal. La conception indienne a apporté un élément nouveau, l'explication du Karma, les conséquences du bien .pli du mal
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qui a été accompli, les résultats produits par la volonté et les efforts passés ; mais rien ne suggérait une évolution progressive d'un type donné à un type supérieur, moins encore une naissance possible parmi les êtres d'une espèce qui n'a pas encore existé mais qui devrait apparaître dans l'avenir. S'il y a évolution, l'homme en est le dernier stade, parce que, grâce à lui, il devient possible de rejeter la vie terrestre ou corporelle et de s'évader en quelque ciel ou nirvana. Tel était l'aboutissement envisagé par les anciennes théories ; et puisque ce monde est fondamentalement et irrémédiablement un monde d'Ignorance — même si toute l'existence cosmique n'est pas, dans sa nature, un état d'Ignorance —, cette évasion a bien des chances d'être la fin véritable du cycle.
Ce raisonnement a une puissance et une importance considérables, et il était nécessaire de l'exposer — même trop brièvement, compte tenu de son importance -—, pour pouvoir y répondre. Si certaines de ses propositions sont valables, cette conception des choses n'est cependant pas complète et cette logique n'est pas probante. En premier lieu, nous pouvons sans grande difficulté nous débarrasser de l'objection faite à l'élément téléologique, introduit dans la structure de l'existence terrestre par l'idée d'une évolution prédéterminée depuis l'inconscience jusqu'à la supra-conscience, et par l'idée du développement d'un ordre ascendant d'êtres avec, à son sommet, le passage d'une vie dans l'Ignorance à une vie dans la Connaissance. L'objection à un cosmos téléologique peut se fonder sur deux arguments très différents : un raisonnement scientifique procédant de la supposition que tout est l'œuvre d'une Énergie inconsciente agissant automatiquement par un processus mécanique dépourvu de toute finalité ; et un raisonnement métaphysique qui procède de la perception que l'Infini, l'Universel, contient déjà toutes choses en lui-même. Il n'y a rien en lui d'inaccompli qu'il lui faille mener à son terme, rien à ajouter à son être, rien à exécuter, à réaliser, et, par conséquent, il ne saurait y avoir en lui aucun élément de progrès, aucun dessein originel ou ultérieur.
L'objection scientifique ou matérialiste perd sa validité S'dL existe une Conscience secrète dans ou derrière l'Énergie apparemment inconsciente dans la Matière. Même dans l'Inconscient, il semble y avoir au moins l'impulsion d'une nécessité inhérente, produisant l'évolution des formes, et dans ces formes, une Conscience qui se développe. On peut fort bien soutenir que cette impulsion est la volonté évolutive d'un Être
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conscient secret et que son élan vers une manifestation progressive est la preuve d'une intention innée dans l'évolution. C'est là un élément téléologique, et il n'est pas irrationnel de l'admettre, car la poussée consciente, ou même inconsciente, émane de la vérité d'un être conscient, vérité devenue dynamique et en voie d'accomplissement dans le processus automatique de la Nature matérielle. L'élément téléologique, la finalité de cette poussée est la traduction d'une Vérité de l'Être, qui agit spontanément, dans les termes du Pouvoir-de-Volonté de cet Être qui se réalise lui-même spontanément; par conséquent, la présence d'une conscience nécessite la présence d'un Pouvoir-de-Volonté, et une telle traduction est donc normale et inévitable. Une Vérité de l'être qui s'accomplit inévitablement serait le fait fondamental de l'évolution, mais la Volonté et son dessein doivent faire partie des moyens d'action et constituer un élément du principe opératoire.
L'objection métaphysique est plus sérieuse; car il semble évident que l'Absolu ne peut avoir d'autre but dans la manifestation que la joie de la manifestation elle-même. Tout mouvement évolutif faisant partie de la manifestation dans la Matière doit entrer dans le cadre de cet axiome universel; il ne peut exister que pour la joie du déploiement, de la réalisation progressive, d'une révélation de soi graduelle et sans objet. Une totalité universelle peut aussi être considérée comme une chose complète en soi ; étant totale, elle ne peut rien acquérir de plus, rien ajouter à la plénitude de son être. Mais ce monde matériel n'est pas une totalité intégrale; ce n'est qu'une partie d'un tout, un degré dans une gradation. Il peut donc admettre en lui-même, non seulement la présence de principes ou pouvoirs immatériels non développés qui appartiennent au tout et sont involués dans sa matière, mais il peut aussi laisser descendre en lui des pouvoirs identiques, provenant de degrés supérieurs du système, pour qu'ici-bas les mouvements de même nature soient délivrés de l'étroitesse des limitations matérielles. La manifestation de plus grands pouvoirs de l'Existence jusqu'à ce que l'Être lui-même soit tout entier manifesté dans le monde matériel, dans les termes d'une création plus haute, une création spirituelle, peut être considérée comme l'explication téléologique de l'évolution. Cette explication n'introduit aucun facteur qui n'appartienne déjà à la totalité ; elle propose seulement la réalisation de la totalité dans la partie. Il n'y a aucune raison de ne pas admettre un facteur téléologique dans un mouvement partiel de la totalité universelle, si celui-ci a pour. but
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— pas un but au 'siens où l'entendent l'es hommes, mais l'impulsion d'une nécessité intrinsèque de la Vérité, consciente dans la volonté de l'Esprit intérieur —, la manifestation parfaite de toutes les possibilités inhérentes au mouvement total. Sans nul doute, tout existe ici-bas pour la joie d'être, tout est un jeu ou une Lîlâ ; mais un jeu porte aussi en lui-même un but et, sans l'accomplissement de ce but, il n'aurait ni plénitude ni signification. Un drame sans dénouement est une possibilité artistique et peut exister seulement pour le plaisir d'observer les personnages, de poser des problèmes qui ne reçoivent jamais de solution, ou dont la solution demeure précaire, incertaine et toujours en suspens. On peut concevoir que le drame de l'évolution terrestre ait ce caractère ; mais un dénouement intentionnel ou prédéterminé en soi est également possible et plus convaincant. L'Ânanda est le principe secret de tout être et le soutien de toute activité de l'être; mais l'Ananda n'exclut pas la joie de l'élaboration d'une Vérité inhérente à l'être, immanente dans la Force ou la Volonté de l'être, soutenue dans la perception cachée de sa Si certaines" qui est l'agent exécutif dynamique de toute ses activités, et en connaît la signification.
Une théorie de l'évolution spirituelle et une théorie scientifique de l'évolution des formes et de l'évolution de la vie physique, sont deux choses différentes. La théorie spirituelle doit s'appuyer sur des arguments qui lui sont propres ; elle peut accepter l'explication scientifique de l'évolution physique comme un soutien ou un élément, mais' ce soutien ne lui est pas indispensable. La théorie scientifique s'intéresse seulement aux mécanismes et aux processus extérieurs et visibles, aux détails d'exécution par la Nature, au développement physique des choses dans la Matière, et à la loi du développement de la vie et du mental dans la Matière. De nouvelles découvertes peuvent l'amener à modifier sensiblement son explication du processus évolutif, ou même à l'abandonner complètement, mais cela n'affecte aucunement le fait évident d'une évolution spirituelle, d'une évolution de la Conscience, d'une manifestation progressive de l'âme dans l'existence matérielle. Sous sa forme extérieure, la théorie de l'évolution peut se résumer ainsi : dans la gradation de l'existence terrestre, il y a un développement de formes, de corps, une organisation de plus en plus complexe et efficace de la matière, de la vie dans la matière, et de la conscience dans la matière vivante ; dans cette gradation, mieux la forme est organisée et plus elle est susceptible d'abriter une vie et une conscience mieux organisées,
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plus complexes et plus efficaces, plus développées ou évoluées. Une fois que l'hypothèse de l'évolution a été formulée, et quand les faits qui la soutiennent ont été réunis, cet aspect de l'existence terrestre se révèle de façon si 'frappante qu'il nous paraît indiscutable. Le mécanisme précis par lequel ce processus s'accomplit, la généalogie exacte ou la succession chronologique des types d'être, est une question secondaire, bien qu'elle soit en elle-même intéressante et importante. Le développement d'une forme de vie à partir d'une forme précédente moins évoluée, la sélection naturelle, la lutte pour la vie, la transmission des caractères acquis, peuvent être ou ne pas être admis, mais le fait qu'une création s'effectue par étapes, suivant un plan, progressivement; est d'une importance capitale. Une autre conclusion évidente, c'est qu'un ordre de succession graduel s'impose dans l'évolution : d'abord l'évolution de la Matière, puis l'évolution de la Vie dans la Matière, ensuite l'évolution du Mental dans la Matière vivante, et, à ce dernier stade, une évolution animale suivie d'une évolution humaine. Les trois premiers termes de cette succession sont trop évidents pour être discutables. On peut se demander si l'homme a succédé à l'animal, ou s'il y a eu un développement initial simultané, l'homme devançant ensuite l'animal dans l'évolution mentale. On a même soutenu que l'espèce humaine n'est pas la dernière, mais bien la première et l'aînée des espèces animales. Cette idée d'une antériorité de l'homme date de l'antiquité, mais elle n'était pas universellement partagée ; elle est née du sentiment de la suprématie évidente de l'homme parmi les créatures terrestres, la dignité de cette suprématie semblant exiger une priorité de naissance. Mais en termes d'évolution, le supérieur ne précède pas l'inférieur, il le suit : le moins développé précède le plus développé et le prépare.
En fait, dans l'esprit des anciens, cette idée de l'antériorité des formes inférieures de la vie n'était pas complètement absente; À côté des récits mythiques de la création, nous trouvons déjà dans la pensée de l'Inde antique et de l'Inde médiévale des expressions qui suggèrent l'antériorité de l'animal sur l'homme dans la succession du temps, d'une manière qui s'accorde avec la conception moderne de l'évolution. Une Upanishad déclare que le Moi ou Esprit, après avoir décidé de créer la vie, forma d'abord des espèces animales comme la vache et le cheval; mais les dieux — qui, dans la pensée des Upanishad, sont des pouvoirs de la Conscience et des puissances de la Nature — trouvèrent que ces formes étaient des véhicules insuffisants, et finalement l'Esprit créa là
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forme humaine que les dieux trouvèrent excellemment faite et suffisante ; et ils y pénétrèrent pour accomplir leurs fonctions cosmiques. C'est une parabole limpide de la création de formes de plus en plus développées, jusqu'à ce qu'il s'en soit trouvé une capable d'abriter une conscience évoluée. Dans les Purâna il est dit que la création animale tâmasique fut la première dans le temps. Or tamas est le terme indien désignant le principe d'inertie dans la conscience et la force; une conscience engourdie, pesante et incompétente dans son jeu, est dite tâmasique; une force, une énergie vitale indolente et limitée dans ses capacités, qui est liée à un champ étroit d'impulsions instinctives, qui ne se développe pas et ne cherche pas autre chose, qui ne ressent pas le besoin d'une action dynamique plus vaste, ou d'une action plus lumineusement consciente, serait classée dans la même catégorie. L'animal, qui abrite cette force de conscience moins développée, est antérieur dans la création; la conscience humaine plus développée, qui contient une énergie mentale plus active et une perception plus lumineuse, est une création postérieure. Le Tantra parle des âmes déchues passant par plusieurs centaines de milliers d'existences dans les formes végétales et animales avant de pouvoir atteindre le niveau humain et d'être prêtes pour le salut. Ici encore nous retrouvons, sous-entendue, cette idée que les formes vivantes végétales et animales sont les degrés inférieurs d'une échelle, où l'humanité constitue le dernier, le plus haut développement de l'être conscient, la forme que l'âme doit habiter afin de pouvoir suivre un but spirituel et d'atteindre une délivrance spirituelle hors de l'existence mentale, vitale et physique. Telle est, en" fait, la conception habituelle, et elle s'impose si fortement à la raison comme à l'intuition, qu'elle n'a guère besoin d'être discutée ; la conclusion est presque inévitable.
C'est en gardant à l'esprit ce processus évolutif que nous devons considérer l'homme, son origine et sa première apparition, sa place dans la manifestation. Deux possibilités se présentent ici : ou bien il s'est produit une soudaine apparition du corps humain et de la conscience humaine dans la nature terrestre, une création brusque de la mentalité rationnelle dans le monde matériel, une manifestation indépendante et automatique survenant après une manifestation antérieure et analogue de formes vivantes subconscientes et de corps vivants conscients dans la Matière ; ou bien il s'est produit une évolution de l'humanité à partir de l'être animal, évolution lente, peut-être, dans sa préparation et les étapes de -son développement, mais marquée de soudaines transformations,
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de puissants bonds évolutifs aux points de transition décisifs. Cette dernière théorie ne soulève pas de difficulté, car il est certain que des changements de caractères dans le type — mais non des changements du type fondamental lui-même — peuvent se produire dans l'espèce ou le genre ; en fait, cela a déjà été réalisé par l'homme lui-même, et la science expérimentale, sur une petite échelle mais de façon saisissante, travaille à réaliser ces possibilités. On peut supposer à juste titre que l'Énergie secrètement consciente dans la Nature puisse effectuer, sur .une grande échelle, des opérations de ce genre et provoquer des changements considérables et décisifs, au moyen de ses propres règles créatrices. La condition nécessaire pour passer du caractère animal normal de l'existence au caractère humain, serait le développement d'une organisation physique qui rendrait possible une progression rapide, un renversement ou un retournement de la conscience, l'ascension vers une nouvelle hauteur d'où l'on pourrait contempler tous lès stades inférieurs, une élévation et un élargissement des capacités, et qui permettrait à l'être de reprendre les vieilles facultés animales avec une intelligence plus large et plus plastique, une intelligence humaine, et, en même temps ou plus tard, de développer des pouvoirs plus étendus et plus subtils, propres au nouveau type d'être, des pouvoirs de raison, de réflexion, d'observation complexe, d'invention, de pensée et de découverte organisées. S'il existe une Conscience-Force qui émerge, cette transition doit pouvoir se faire sans difficulté puisque l'instrument est disponible, si ce n'est la difficulté que posent l'obstruction et la résistance de l'Inconscience matérielle. L'animal possède déjà, sur une échelle limitée et pour l'action seulement, quelques-unes des facultés correspondantes, dans une organisation rudimentaire, primitive et simple, mais leur portée et leur plasticité sont très inférieures, et sa maîtrise plus restreinte et plus incertaine. Mais surtout, le fonctionnement de ces facultés est chez l'animal plus mécanique, moins délibéré ; il a le caractère automatique de l'Énergie de la Nature qui conduit l'action d'une conscience primitive, et non, comme chez l'homme, le caractère d'une Énergie consciente qui observe et, dans une large mesure, dirige et gouverne ses propres opérations et les change ou les modifie délibérément. Il y a d'autres habitudes de la conscience animale qui ne diffèrent pas fondamentalement des habitudes humaines ; l'homme n'avait plus qu'à les développer et les élargir à un niveau mental supérieur, et, là où c'était possible, à les mentaliser, les affiner, les rendre plus subtiles — bref, à leur apporter la lumière de sa compréhension nouvelle, de ses nouvelles facultés intellectuelles, et la capacité
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de se gouverner par la raison, dont l'animal est privé. Ce changement ou ce renversement une fois effectué, le pouvoir qu'a le mental humain d'agir sur lui-même et sur les choses, de créer, de savoir, de spéculer, pouvait se développer au cours de l'évolution, même si, comme on peut lé concevoir, ces facultés étaient, au début, de peu d'envergure, plus proches de l'animal, encore relativement simples et primitives dans leur action. Un tel renversement est intervenu à chaque transition radicale dans la Nature : ainsi la force de vie, quand elle émerge, se tourne vers la Matière et impose un contenu vital aux opérations de l'Énergie matérielle, tout en développant ses propres opérations et ses mouvements nouveaux ; puis le mental-de-la-vie émerge dans la force de vie et dans la Matière, et impose le contenu de sa conscience à leurs opérations, tout en développant aussi son action et ses facultés propres. Une émergence et un renversement nouveaux et plus grands, l'émergence de l'humanité, est en conformité avec les émergences précédentes dans la Nature; ce serait une application nouvelle du principe général.
Nous pouvons donc, sans difficulté, accepter cette théorie : son application est intelligible, alors que l'autre hypothèse présente des difficultés considérables. Du point de vue de la conscience, la nouvelle manifestation, la manifestation humaine, peut s'expliquer par le jaillissement de la Conscience cachée sortant de son involution dans la Nature universelle. Mais dans ce cas, il faut qu'elle ait trouvé, pour émerger, une forme matérielle existante qui lui serve de véhicule, celui-ci étant adapté, par la force de l'émergence elle-même, aux besoins d'une nouvelle création intérieure; à moins de supposer qu'une divergence rapide des types ou des modèles physiques antérieurs ait fait apparaître un être nouveau. Mais quelle que soit l'hypothèse adoptée, on en revient toujours à un processus évolutif; la différence n'est que dans la méthode et le mécanisme de la divergence ou de la transition. Ou bien il se peut qu'il y ait eu, au contraire, non un jaillissement de la Conscience involuée, mais une descente de la mentalité venant d'un plan mental au-dessus de nous, la descente, peut-être, d'une âme ou d'un être mental dans la Nature terrestre. La difficulté serait alors d'expliquer l'apparition du corps humain, organisme trop complexe et délicat pour avoir été créé ou manifesté soudainement; en effet, une opération si miraculeusement rapide — bien qu'elle soit possible sur un plan d'existence supraphysique — ne semble pas figurer parmi les possibilités ou les potentialités normales de l'Énergie matérielle. Cela ne pourrait se produire sur terre que par l'intervention d'une force supraphysique, ou
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d'une loi supraphysique de la Nature, ou par celle d'un Mental créateur agissant avec un plein pouvoir et directement sur la Matière. On peut admettre l'action d'une Force supraphysique et d'un créateur à chaque apparition nouvelle dans la Matière — et chacune de ces apparitions est au fond un miracle accompli par une Conscience secrète soutenue par une Énergie mentale ou une Énergie de vie voilée —, mais nulle part cette action ne paraît être directe, manifeste, indépendante; elle vient toujours s® surimposer à une base physique existante et élargir un processus naturel déjà établi. Il est plus facile de concevoir qu'un corps se soit ouvert à un influx supraphysique, et qu'il ait été transformé en un corps nouveau. On ne peut toutefois supposer à la légère qu'un tel événement se soit produit dans l'histoire passée de la Nature matérielle, car, pour se produire, il semblerait nécessaire qu'il y ait eu, soit l'intervention consciente d'un être mental invisible pour former le corps qu'il voulait habiter, soit le développement antérieur, dans la Matière elle-même, d'un être mental qui serait déjà capable de recevoir un pouvoir supraphysique et de l'imposer aux formes étroites et rigides de sa propre existence physique. Autrement, nous devons supposer qu'un corps préexistant était déjà suffisamment évolué et adapté pour recevoir un vaste influx mental, ou pour être capable de répondre avec souplesse à la descente en lui d'un être mental. Cela supposerait une évolution préalable du mental dans le corps jusqu'au moment où une telle réceptivité devient possible. On peut très bien concevoir qu'une telle évolution d'en bas et une telle descente d'en haut aient œuvré de concert pour l'apparition de l'homme dans la Nature terrestre. L'entité psychique secrète déjà présente dans l'animal pourrait avoir suscité la descente de l'être mental, le Purusha mental, dans le monde de la Matière vivante, afin qu'il se saisisse de l'énergie vitale-mentale déjà à l'œuvre et la porte jusqu'à un niveau mental supérieur. Mais ce serait encore un processus évolutif, le plan supérieur n'intervenant que pour aider à l'apparition et à l'élargissement de son propre principe dans la Nature terrestre.
On peut admettre ensuite que, une fois établi, chaque type ou modèle de conscience et d'existence dans un corps doive rester fidèle à la loi d'existence de ce type, au dessein et à la norme de sa propre nature. Mais il se peut très bien aussi que l'impulsion du dépassement de soi fasse partie de la loi du type humain, que les moyens d'une transition consciente aient été prévus parmi les pouvoirs spirituels de l'homme et que la possession d'une telle faculté fasses partie du plan d'après
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lequel l'Énergie créatrice a construit l'homme. Il est vrai que, jusqu'à présent, l'homme s'est presque toujours contenté d'agir à l'intérieur du cercle de sa nature, suivant la spirale d'un mouvement naturel, parfois descendant, parfois ascendant. Il n'y a pas eu de progrès en ligne droite, aucun dépassement indiscutable, fondamental ou radical de son ancienne nature ; tout ce qu'il a fait, c'est d'aiguiser, de raffiner, d'utiliser ses capacités d'une manière toujours plus souple et complexe. Pourtant, il ne serait pas juste non plus de dire que l'homme n'a pas progresse. depuis son apparition sur terre, ni au cours de son histoire récente et vérifiable. Si grands en effet qu'aient été les Anciens, si sublimes qu'aient été certaines de leurs réalisations et de leurs créations, si impressionnante qu'ait été la puissance de leur spiritualité, de leur intelligence ou de leur personnalité, on discerne dans les récents progrès de l'homme une subtilité et une complexité croissantes, un épanouissement multiforme de ses connaissances et de ses possibilités d'accomplissement, que ce soit dans le domaine politique ou social, dans la vie, la science, la métaphysique, les connaissances de toutes sortes, l'art, la littérature; et même dans son effort spirituel, moins étonnamment exalté et moins grandiose par sa puissance spirituelle que celui des Anciens, on remarque une subtilité, une plasticité plus grandes dans l'exploration des profondeurs et l'étendue de la recherche. Des chutes se sont produites, depuis les sommets d'une haute culture, des descentes temporaires et brutales dans un certain obscurantisme, des arrêts dans l'aspiration spirituelle, des plongées dans un matérialisme barbare primitif; mais ce sont là des phénomènes passagers, tout au plus des arcs descendants dans la spirale du progrès. Il est vrai que ce progrès n'a pas porté la race humaine au-delà d'elle-même, à un dépassement de soi, à une transformation de l'être mental. Mais il ne fallait pas s'y attendre ; car l'action de la Nature évolutive dans un type d'être et de conscience, consiste d'abord, précisément, à développer le type jusqu'au maximum de ses capacités, par un affinement et une complexité croissante, jusqu'à ce qu'il soit prêt pour que la Nature fasse éclater la coquille, qu'il soit mûr pour l'émergence décisive, le renversement, le retournement de la conscience sur elle-même qui marque une nouvelle étape dans l'évolution. Si l'on suppose que cette prochaine étape sera l'être spirituel et supramental, l'importance que l'humanité accorde à la spiritualité peut être considérée comme un signe que telle est bien l'intention de la Nature, le signe aussi que l'homme est capable d'opérer en lui-même la transition, ou d'aider à son accomplissement. Si la méthode suivie par l'évolution humaine a été de susciter
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dans l'être animal l'apparition d'un type voisin, sous certains aspects, de l'espèce singe, mais doté dès le début des attributs humains, la méthode évidente que suivra la Nature pour créer dans l'évolution un être spirituel et supramental consistera à produire dans l'être humain l'apparition d'un type spirituel ressemblant à l'humanité animale et mentale, mais marqué déjà du sceau de l'aspiration spirituelle.
On a suggéré pertinemment que si un tel sommet évolutif est prévu et que l'homme doive être le moyen de l'atteindre, seul un petit nombre d'êtres humains spécialement évolués formeront le nouveau type et progresseront vers la vie nouvelle. Ceci fait, le reste de l'humanité se laissera retomber de son aspiration spirituelle qui ne sera plus nécessaire pour le but de la Nature, et restera stationnaire, en son état humain normal. On peut aussi soutenir que l'échelon humain doit être maintenu si la réincarnation suppose effectivement une ascension de l'âme à travers les divers degrés de l'évolution jusqu'au sommet spirituel, car, autrement, le plus nécessaire des échelons intermédiaires manquerait. Convenons tout de suite qu'il n'y a pas la moindre probabilité, ni même la moindre possibilité, que l'espèce humaine tout entière s'élève en bloc jusqu'au niveau supramental. Nous ne suggérons rien d'aussi étonnant, d'aussi révolutionnaire, mais seulement la possibilité pour la mentalité humaine, quand elle aura atteint un certain niveau ou un certain point de tension dans son élan évolutif, de s'élancer vers un plan supérieur de conscience et de l'incarner dans l'être humain. Par cette incarnation, l'être subira nécessairement un changement par rapport à la constitution normale de sa nature, en tout cas un changement dans sa constitution mentale, émotive et sensorielle ; il se produira aussi un grand changement dans la conscience corporelle et dans le conditionnement physique de notre vie et de nos énergies. Mais le changement de la conscience sera le facteur principal, le mouvement initial, et la modification physique un facteur subordonné, une conséquence. Cette transmutation de la conscience demeurera toujours possible pour l'être humain si la flamme de l'âme, l'embrasement psychique, brûle puissamment dans le cœur et le mental, et si la nature est prête. L'aspiration spirituelle est innée chez l'homme ; car, à l'encontre de l'animal, il est conscient de ses imperfections et de ses limitations, il sent qu'il y a quelque chose à atteindre au-delà de ce qu'il est à présent; il est donc peu probable que cet élan qui le pousse à se dépasser lui-même s'éteigne jamais complètement dans l'espèce. Le niveau mental humain existera toujours, non pas comme un simple degré dans l'échelle des renaissances, mais comme une étape menant au niveau spirituel et supramental.
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On doit noter que l'apparition sur terre du mental et du corps humains marque une étape cruciale, un changement radical dans le cours et le processus de l'évolution; ce n'est pas simplement la continuation des vieilles lignes de développement. Jusqu'à l'apparition dans la Matière d'un mental pensant développé, l'évolution s'est effectuée, non par une aspiration, une intention, une volonté ou une recherche conscientes dans l'être vivant, mais subconsciemment ou subliminalement par le jeu automatique de la Nature. Il en fut ainsi parce que l'évolution a commencé dans l'Inconscience et que la Conscience secrète n'en avait pas suffisamment émergé pour agir avec la participation consciente de la volonté individuelle dans la créature vivante. Mais avec l'homme, le changement nécessaire a été accompli, l'être, .est éveillé et, conscient de lui-même ; dans le Mental s'est manifestée sa volonté de se développer, de croître en connaissance, d'approfondir l'existence intérieure et d'élargir l'existence extérieure, d'augmenter ses capacités naturelles. L'homme a vu qu'il peut exister un état,de conscience supérieur au sien; le feu évolutif est là, dans les parties mentales et vitales de son être ; l'aspiration au dépassement de soi est libérée et distincte au-dedans de lui — car il est devenu conscient d'une âme, il a découvert le moi et l'esprit. Ainsi, avec lui, le passage d'une évolution subconsciente à une évolution consciente est devenu concevable et réalisable; on peut donc en conclure que l'aspiration, l'élan, l'effort persistant qui l'animent sont un signe certain que la volonté de la Nature tend vers un mode d'accomplissement plus élevé, vers l'émergence d'un statut supérieur.
Au cours des étapes précédentes de l'évolution, le premier soin et le premier effort de la Nature devaient porter sur .un changement dans l'organisation physique, car c'est seulement ainsi que pouvait se produire un changement de conscience ; cette nécessité était imposée par le fait que la force de la conscience déjà formée était insuffisante pour effectuer un changement dans le corps. Mais avec l'homme un renversement devient possible ; il est même inévitable. C'est par sa conscience, en effet, par la transmutation de sa conscience, et non plus par un nouvel organisme corporel comme premier instrument, que l'évolution peut et doit s'effectuer. Dans la réalité intérieure des choses, le changement de conscience a toujours été le fait majeur. L'évolution a toujours eu une signification spirituelle et le changement physique a seulement servi d'instrument; mais cette relation était tout d'abord cachée par l'équilibre anormal des deux facteurs, le corps de l'inconscience extérieure dépassant en
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importance et obscurcissant l'élément spirituel, l'être conscient. Mais dès que cet équilibre est rectifié, ce n'est plus le changement du corps qui doit précéder le changement de conscience, c'est la conscience elle-même qui, par sa mutation, imposera et opérera toute mutation nécessaire au corps. Le mental humain, notons-le, a déjà prouvé qu'il pouvait aider la Nature dans l'évolution de nouveaux types de plantes et d'animaux. L'homme a créé de nouvelles formes dans son milieu; par la connaissance et la discipline, il a suscité des changements considérables dans sa propre mentalité. Il n'est pas impossible que, dans son évolution propre et sa propre transformation spirituelle et physique, l'homme apporte aussi une aide consciente à la Nature. Cette impulsion est déjà présente et partiellement efficace, bien qu'elle soit encore imparfaitement comprise et acceptée par le mental de surface ; mais un jour le mental pourra comprendre, aller plus profondément en lui-même et découvrir le moyen, l'énergie secrète, l'opération intentionnelle de la Conscience-Force intérieure qui est la réalité cachée de ce que nous appelons la Nature.
On peut arriver à de telles conclusions par la simple observation des phénomènes extérieurs de la Nature et de sa progression, l'évolution superficielle de l'être et de la conscience au moyen de la naissance physique et du corps. Mais il y a l'autre facteur, l'invisible; il y a la renaissance, le progrès de l'âme qui gravit les degrés d'une existence évolutive et, à chaque degré, trouve des instruments corporels et mentaux toujours plus perfectionnés. Dans cette progression, l'entité psychique est encore voilée — même chez l'homme, l'être mental conscient — par ses instruments, le mental, la vie et le corps. Elle n'est pas capable de se manifester pleinement, car elle est comme empêchée de venir au premier plan où elle pourrait se révéler maîtresse de sa nature ; elle est obligée de se soumettre à une certaine détermination que lui imposent ses instruments, à une domination de Purusha par la Maison l'homme, l'élément psychique de la personnalité est capable de se développer avec une rapidité beaucoup plus grande que chez les créatures inférieures, et un moment peut venir où l'entité psychique est prête à émerger de derrière le voile, au grand jour, et de gouverner ses instruments dans la Nature. Mais cela signifiera que l'esprit secret intérieur, le Daïmôn, le Divin au-dedans est sur le point d'émerger; et quand il émergera, il exigera sans aucun doute une existence plus divine et plus spirituelle, comme il l'exige déjà dans le mental lui-même quand celui-ci subit l'influence psychique intérieure. Dans la nature de
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la vie terrestre où le mental est un instrument de l'Ignorance, cette transformation ne peut être effectuée que par un changement de conscience, par le passage d'une vie fondée sur l'Ignorance à une vie fondée sur la Connaissance, d'une conscience mentale à une conscience supramentale, et à un usage supramental des instruments de la Nature.
Prétendre que dans notre monde d'Ignorance, une telle transformation ne peut s'accomplir qu'en passant dans un ciel au-delà, ou qu'elfe rie peut pas s'accomplir du tout et que les exigences de l'entité psychique sont elles-mêmes ignorantes et doivent faire place à une immersion de l'âme dans l'Absolu, est un raisonnement sans valeur concluante. Cette conclusion ne pourrait être valable que si l'Ignorance constituait toute la signification, toute la substance et tout le pouvoir de la manifestation universelle, ou bien s'il n'existait dans la Nature universelle elle-même aucun élément permettant de dépasser la mentalité ignorante qui alourdit encore le présent statut de notre être. Mais l'Ignorance ne constitue qu'une partie de cette Nature universelle, elle n'en est ni la totalité, ni la puissance originelle, ni la créatrice. En son origine suprême, l'Ignorance est une Connaissance qui se limite elle-même, et même en son origine inférieure, lorsqu'elle émerge de la pure Inconscience matérielle, c'est une Conscience réprimée qui travaille à se retrouver, à se recouvrer, à manifester la Connaissance qui est sa vraie nature, pour en faire le fondement de l'existence. Dans le Mental universel lui-même, il existe au-dessus de 'notre mentalité des régions' qui sont les instruments de la cognition cosmique de la vérité, et l'être mental peut certainement s'élever jusqu'à elles; car il s'en approche déjà dans certains états supranormaux, ou en reçoit, mais sans les reconnaître ni les posséder encore, des intuitions, des messages spirituels, un vaste influx d'illumination ou de pouvoir spirituel. Toutes ces régions sont conscientes de ce qui s'élève au-delà, et la plus haute d'entre elles est directement ouverte au Supramental et perçoit la Conscience-de-Vérité qui la dépasse. De plus, dans l'être en évolution lui-même, ces pouvoirs supérieurs de conscience sont présents, soutenant la vérité mentale et servant de base à son action qui les voile. Ce Supramental et ces pouvoirs de Vérité soutiennent la Nature par leur présence secrète; la vérité mentale elle-même en est le résultat, une opération amoindrie, une représentation sous des formes partielles. Par conséquent, il est non seulement naturel, mais il semble inévitable que ces pouvoirs supérieurs de l'Existence se manifestent ici dans le Mental, comme le Mental lui-même s'est manifesté dans la Vie et la Matière.
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L'élan de l'homme vers la spiritualité est une poussée intérieure de l'esprit qui est en lui et veut émerger; c'est une exigence de la Conscience-Force de l'être qui presse vers une nouvelle étape de sa manifestation. Certes, l'élan spirituel s'est principalement tourné vers un autre monde ou, sous sa forme extrême, vers la négation et l'anéantissement spirituels de l'individu mental; mais ce n'est qu'une de ses tendances, qui s'est maintenue et imposée par la nécessité de sortir du domaine de l'Inconscience fondamentale, de surmonter l'obstacle du corps, de rejeter le vital obscur, de se débarrasser du mental ignorant, par la nécessité d'atteindre d'abord et avant tout un statut spirituel, en rejetant tout ce qui entrave l'être spirituel. L'autre tendance, l'aspect dynamique de l'élan spirituel n'a pas fait défaut : l'aspiration vers la maîtrise et la transformation spirituelles de la Nature, vers une perfection spirituelle de l'être, une divinisation du mental, du cœur et du corps lui-même. Il y a même eu le rêve ou la prescience psychique d'un accomplissement dépassant la transformation individuelle, d'une nouvelle terre et de nouveaux cieux, d'une cité de Dieu, d'une descente divine sur la terre, d'un règne des êtres spirituellement parfaits, d'un royaume de Dieu non seulement au-dedans de nous, mais au-dehors, dans une vie humaine collective. Il est vrai que cette aspiration a parfois revêtu des formes plutôt obscures, mais on y voit la preuve indiscutable que l'être intérieur occulte et spirituel aspire à émerger dans la Nature terrestre.
Si un épanouissement spirituel sur la terre es,t la vérité cachée de notre naissance dans la Matière, si c'est fondamentalement une évolution de la conscience qui a pris place dans la Nature, alors l'homme, tel qu'il est, ne peut être le dernier terme de cette évolution. Il est une expression trop imparfaite de l'esprit ; le mental lui-même est une forme et un instrument trop limités, il est seulement un terme intermédiaire de la conscience ; l'être mental n'est qu'un être de transition. Par conséquent, si l'homme est incapable de dépasser le mental, il sera lui-même dépassé ; le supramental et le surhomme se manifesteront et prendront la tête de la création. Mais si son mental est capable de s'ouvrir à ce qui le dépasse, alors il n'y a aucune raison que l'homme lui-même ne puisse atteindre au supramental et à la surhumanité, ou, tout au moins, ne prête son mental, sa vie et son corps à l'évolution de ce terme plus grand de l'Esprit et à. sa manifestation dans la Nature.
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Comme ils viennent à Moi, ainsi je les accepte... Quel que soit leur chemin, c'est ma voie que les hommes suivent,.. Quelle que soit la forme que l'homme adore, j'affermis sa foi en elle ; animé de cette foi, il adore cette forme avec ferveur, et je satisfais alors son désir. Mais limité est ce fruit. Ceux qui offrent leur sacrifice aux dieux, aux esprits élémentaires, ils atteignent les dieux, ils atteignent les esprits. Mais ceux qui M'offrent leur sacrifice, c'est à Moi qu'ils viennent.
Gîta, IV.11, VIL 21-23 ;IX. 25.
En eux, il n'y a ni la Merveille, ni la Puissance; les vérités occultes n'existent pas pour le mental de l'ignorant.
Rig-Véda. VII. 61. 5.
"Tel un voyant qui réalise les vérités occultes et la connaissance ainsi découverte, il donna naissance aux sept Artisans du ciel, et à la lumière du jour ils parlèrent et façonnèrent les éléments de leur sagesse.
Rig-Véda. IV. 16. 3.
Sagesses de voyant, paroles secrètes qui révèlent leur, sens. à celui qui voit.
Rig-Véda. IV. 3.16.
Nul ne connaît la naissance de ceux-ci; chacun connaît la façon dont l'autre met au monde : mais les Sages perçoivent ces mystères cachés, même celui que la grande Déesse, la Mère aux multiples couleurs, porte comme son sein de connaissance.
Rig-Véda. VII. 56.2,4.
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Devenus certains du sens de la plus haute connaissance spirituelle, purifiés dans leur être.
Mundaka Upanishad. III. 2. 6.
J/ lutte par ces moyens et il possède la connaissance : en lui cet esprit entre dans son suprême statut... Satisfaits dans la connaissance, ayant construit leur être spirituel, les Sages en union avec le moi spirituel, atteignent l'Omniprésent partout et entrent dans le Tout.
Mundaka Upanishad. III. 2.4,5.
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La Nature, dès les premières étapes de son évolution, nous met en présence du secret muet de son inconscience. Ses œuvres ne révèlent aucun sens ni aucun but, ne Suggèrent aucun autre principe d'existence que cette première formulation qui est sa préoccupation immédiate et semble pour toujours être son unique occupation : car dans ses œuvres primordiales la Matière seule apparaît, c'est la seule réalité cosmique, pure, impénétrable. Un Témoin de la création — s'il y avait eu un Témoin conscient mais non averti — aurait vu seulement surgir d'un immense abîme de non-existence apparente, une Énergie occupée à la création de la Matière, d'un monde matériel et d'objets matériels, organisant l'infinité de l'Inconscient suivant les plans d'un univers sans limites, ou il aurait vu un système d'innombrables univers s'étendant autour de lui dans l'Espace sans fin, sans limite certaine, une inlassable création de nébuleuses et d'amas d'étoiles et de planètes et de soleils, existant pour eux seuls, dénués de sens, sans cause et sans dessein. Il aurait pu voir là un formidable mécanisme sans usage, un mouvement grandiose et sans signification, un éternel spectacle sans spectateur, un édifice cosmique sans habitant, car il n'aurait vu aucun signe d'un Esprit au cœur de ce monde, aucun être pour la joie duquel il eût été créé. Une création de ce genre ne pourrait être que le produit d'une Énergie inconsciente, une illusion cinématographique, un théâtre d'ombres ou de marionnettes, de formes qui se reflètent sur un Absolu supraconscient et indifférent. Il n'aurait pas vu la moindre trace d'une âme, aucun indice d'intelligence ou de vie dans ce déploiement de Matière incommensurable et interminable. Il ne lui aurait pas semblé possible ni même imaginable que dans cet univers à jamais inanimé, insensible et désert, puisse éclore une vie foisonnante, première vibration de quelque chose d'occulte et d'imprévisible, vivant et conscient, d'une entité spirituelle secrète qui cherche sa voie vers la surface.
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Mais des âges plus tard, contemplant à nouveau ce vain panorama, il aurait pu déceler, au moins dans un petit coin de l'univers, le phénomène suivant : un point où la Matière a été préparée, où ses processus ont été suffisamment fixés, organisés, stabilisés, adaptés, pour qu'il devienne la scène d'un nouveau développement — une matière vivante, une vie qui a émergé du cœur des choses et qui est devenue visible. Mais le Témoin n'aurait encore rien compris, car la Nature évolutive n'a toujours pas livré son secret. Il aurait vu une Nature préoccupée seulement d'assurer cette éclosion de la vie, cette nouvelle création, mais une vie vivant pour elle-même, ne possédant aucune signification ; il aurait vu une créatrice prolifique et capricieuse, éparpillant la semence de son nouveau pouvoir, fondant la multitude de ses formes avec une opulente et splendide profusion, ou, plus tard, multipliant à l'infini les genres et les espèces pour la simple joie de créer — un premier mouvement, une petite touche de couleur vive jetés dans l'immense désert cosmique, et tien de plus. Le Témoin n'aurait pu imaginer qu'un mental pensant apparaîtrait un jour dans ce minuscule îlot de vie, qu'une conscience pourrait s'éveiller dans l'Inconscient, qu'une vibration nouvelle, plus subtile et plus puissante, viendrait à la surface et révélerait plus clairement l'existence de l'Esprit submergé. Il lui aurait semblé tout d'abord que la Vie est soudain devenue consciente d'elle-même, on ne sait trop comment, et puis c'est tout. Car ce mental nouveau-né, faible, sans ressources, semblait n'être qu'un serviteur de la vie, un artifice pour aider la vie à vivre, un mécanisme pour la maintenir, pour attaquer et se défendre, pour assurer certains besoins, certaines satisfactions vitales, pour libérer l'instinct de vivre et l'impulsion vitale. Il n'aurait pas cru possible que dans cette petite vie si dérisoire au cœur de ces immensités, dans une seule espèce parmi cette insignifiante multitude, un être mental émergerait, un mental qui servirait encore la vie, mais ferait d'elle aussi et de la matière ses servantes, les utilisant pour l'accomplissement de ses propres idées, de sa volonté et de ses désirs— un être mental qui créerait avec la Matière toutes sortes d'instruments, d'outils, d'ustensiles, pour toutes sortes d'usages, qui se servirait d'elle pour construire des cités, des maisons, des temples, des théâtres, des laboratoires, des usines, qui l'emploierait pour tailler des statues et sculpter des cathédrales monolithes, qui inventerait l'architecture, la sculpture, la peinture, la poésie et de multiples arts et métiers, qui découvrirait les mathématiques et là physique de l'univers et dévoilerait le secret de sa structure, qui vivrait pour l'intelligence et ses plaisirs, pour la pensée et la connaissance, qui
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deviendrait le penseur, le philosophe et le savant, et, suprême défi au règne de la Matière, qui s'éveillerait à la Divinité cachée, deviendrait le pionnier de l'invisible, le mystique, le chercheur spirituel.
Mais si, après des âges ou des cycles, le Témoin avait à nouveau regardé ce spectacle et vu ce miracle en pleine éclosion, même alors peut-être, aveuglé par son expérience initiale, où pour lui la Matière était l'unique réalité dans l'univers, il n'aurait toujours pas compris. Il aurait cru impossible que l'Esprit caché émerge complètement, avec toute sa conscience, et fasse de la terre une demeure pour Cela qui se connaît soi-même et connaît le monde, qui gouverne et possède la Nature. " Impossible ! " aurait-il dit, " Tout ce qui est arrivé est si peu de choses, un petit bouillonnement dans la matière grise du cerveau, une étrange anomalie dans un fragment de Matière inanimée qui remue sur un minuscule point de l'univers. " Par contre, un nouveau Témoin, survenant à la fin de l'histoire, et qui connaîtrait les développements passés mais ne serait pas obnubilé par les échecs initiaux, pourrait s'écrier : " Ah, tel était donc le miracle prévu, le dernier après tant d'autres ! L'Esprit submergé dans l'Inconscience s'est enfin libéré et il habite maintenant, dévoilé, la forme des choses que, voilé, il avait créées pour lui servir de demeure, et pour être la scène de son apparition. " Mais en fait, un Témoin plus conscient aurait pu découvrir des indices, dès les premières phases du déploiement cosmique, et même à chaque pas de cette progression, car, à chaque étape, le secret muet dé la Nature se dévoile peu à peu, sans jamais se découvrir entièrement : une indication de l'étape suivante est donnée, une préparation, dont la signification se fait plus évidente, est visible. Déjà, dans ce qui semble être inconscient dans la Vie, on remarque les signes d'une sensibilité qui fait surface ; dans la vie qui se meut et respire, l'émergence d'un mental sensible est manifeste, et la formation du mental pensant n'est pas complètement voilée ; et lorsque celui-ci se développe, apparaissent dès l'origine les efforts rudimentaires, puis la quête plus poussée, d'une conscience spirituelle. De même que la vie de la plante porte en elle l'obscure possibilité de l'animal conscient, de même que l'intelligence animale est agitée de sentiments, mue par des perceptions et des concepts rudimentaires qui sont une première base pour l'homme, le penseur, de même l'homme, en tant qu'être mental, est sublimé par l'Énergie évolutive qui s'efforce de développer en lui l'homme spirituel, un être pleinement conscient, un homme qui transcende son moi matériel primitif et découvre son vrai moi, et sa nature supérieure.
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Mais si l'on admet que telle est bien l'intention de la Nature, deux questions se posent aussitôt qui exigent une réponse décisive. D'abord, quelle est la nature exacte de la transition de l'être mental à l'être spirituel, et, cette question résolue, quels sont le processus et la méthode qui rendent possible une évolution de l'homme spirituel à partir de l'homme mental ? Puisque chaque degré, dans l'évolution, émerge non seulement du précédent, mais en lui, puisque la vie émerge dans la matière et qu'elle est largement limitée et déterminée dans son expression par les conditions matérielles, puisque le mental émerge dans la vie-dans-la-matière et qu'il est, lui aussi, limité et déterminé dans son expression par les conditions de vie et les conditions matérielles, il semblerait donc évident, à première vue, que l'esprit doive également émerger dans un mental incarné dans la vie-dans-la-matière et qu'il soit dans une large mesure limité et déterminé par les conditions mentales où plongent ses racines, autant que par les conditions de vie et les conditions matérielles de son existence ici-bas. On peut même soutenir que si une évolution spirituelle s'est produite en nous, elle faisait simplement partie de l'évolution mentale, que c'était une opération spéciale de la mentalité humaine. On pourrait dire alors que l'élément spirituel n'est pas une entité distincte ou séparée, qu'il ne peut pas émerger de façon indépendante, ni avoir un avenir supramental. Ainsi, l'être mental peut s'intéresser au spirituel ou s'en préoccuper, et peut-être, de cette façon, peut-il faire apparaître une mentalité spirituelle en même temps que sa mentalité intellectuelle, telle une ravissante fleur psychique de sa vie mentale. La tendance spirituelle peut 'devenir prédominante chez certains individus, comme la tendance artistique ou pragmatique peut dominer chez d'autres ; mais dire qu'un être spirituel prend possession de la nature mentale et la transforme en une nature spirituelle, ne correspond à aucune réalité. Il n'y a pas évolution d'un homme spirituel, mais évolution, dans un être mental, d'un élément nouveau et peut-être plus raffiné et plus rare, et. rien de plus. Ce qu'il faut donc faire ressortir tout d'abord, c'est la nette distinction entre le spirituel et le mental, la nature de cette évolution et les facteurs qui rendent possible et inévitable une émergence de l'esprit avec son vrai caractère distinctif, en sorte que celui-ci ne reste pas un simple aspect subordonné ou dominant de notre mentalité — comme c'est surtout le cas dans son évolution actuelle, ou comme sa manifestation présente semble le suggérer —, et qu'il se définisse en tant que pouvoir nouveau qui finalement surpassera la partie mentale de notre être et prendra sa place comme guide de la vie et de la nature humaines.
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Il est tout à fait vrai que si l'on s'arrête à la surface des choses, la vie semble n'être qu'une opération de la Matière, le mental une simple activité de la vie ; et par conséquent, ce que nous appelons âme ou esprit pourrait bien n'être qu'un simple pouvoir de la mentalité — l'âme une forme affinée du mental, la spiritualité une activité supérieure de l'être mental incarné. Mais c'est là une vision superficielle des choses, car la pensée se concentre sur les apparences et les processus et ne regarde pas ce qu'ils dissimulent. Partant du même principe, on pourrait aussi bien conclure que l'électricité n'est qu'un produit ou une opération de la matière qui forme l'eau et les nuages, parce que c'est dans ce champ que l'éclair jaillit ; mais un examen plus approfondi a montré que l'eau et les nuages ont au contraire l'énergie électrique comme fondement, comme puissance ou substance d'énergie constitutive. Ce qui semble n'être qu'un résultat est en fait l'origine, dans la réalité du phénomène, et non dans sa forme ; l'effet se trouve déjà dans l'essence et préexiste à la cause apparente ; le principe de l'activité qui émerge est antérieur au. champ d'action actuel. Il en est ainsi depuis les tout débuts de l'évolution de la Nature. La Matière n'aurait pu s'animer si le principe de vie n'avait déjà été présent, constituant la Matière et en émergeant sous forme de vie-dans-la-matière. La vie-dans-la-matière n'aurait pu commencer à sentir, à percevoir, à penser, à raisonner, si le principe mental n'avait déjà été présent dans la vie et la substance, les constituant et les utilisant comme champ d'action, puis émergeant sous forme de vie pensante et de corps pensant. De même, la spiritualité émergeant dans le mental est le signe d'un pouvoir qui, lui-même, a fondé et constitué la ;vie, le mental et le corps, et qui émerge maintenant sous la forme d'un être spirituel dans un corps vivant et pensant. Jusqu'où ira cette émergence, dominera-t-elle et transformera-t-elle son instrument? C'est là une question secondaire. Ce qu'il faut tout d'abord établir, c'est que l'esprit a une existence distincte et plus vaste que celle du mental, que la spiritualité et la mentalité sont choses différentes et, par conséquent, que l'être spirituel n'est pas l'être mental. En effet, l'esprit émerge au terme de l'évolution, parce qu'il est l'élément, le facteur involutif originel. L'évolution est une action inverse de l'involution. Ce qui, dans l'involution, est le dernier et ultime dérivé, est le premier à se manifester dans l'évolution ; ce qui était originel et primordial dans l'involution, est, dans l'évolution, l'ultime et suprême émergence.
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Il est vrai aussi que le mental humain trouve difficile de distinguer nettement l'âme ou le moi, ou tout élément spirituel en lui, de la formation mentale et vitale où cet élément fait son apparition; mais cette difficulté subsiste aussi longtemps seulement que l'émergence n'est pas complète. Chez l'animal, le mental ne s'est pas entièrement dégagé de sa matrice vitale et de sa propre matière vitale; ses mouvements sont tellement entremêlés aux mouvements vitaux qu'il ne peut s'en détacher, s'en séparer, pour les observer. Mais chez l'homme, le mental s'en est dissocié; l'homme peut percevoir ses opérations mentales comme distinctes de ses opérations vitales; sa pensée et sa volonté peuvent se dégager de ses sensations et de ses impulsions, de ses désirs et de ses réactions émotives; elles peuvent s'en détacher, les observer et les maîtriser, autoriser ou interdire leur fonctionnement. Il ne connaît pas encore suffisamment les secrets de son être pour se percevoir lui-même de façon décisive et certaine comme un être mental dans une vie et un corps, mais il en a l'impression et peut prendre intérieurement cette attitude. De même, l'âme en l'homme n'apparaît pas tout d'abord comme entièrement distincte du mental et de la vie mentalisée ; ses mouvements sont mêlés aux mouvements mentaux, ses opérations semblent être des activités mentales et émotives ; l'être mental humain n'est pas conscient de l'existence en lui d'une âme qui se tient en arrière du mental, de la vie et du corps, et s'en détache, qui voit, dirige et modèle leur action et leur formation ; mais à mesure que progresse l'évolution intérieure, c'est précisément ce qui peut et doit arriver, et ce qui arrive en fait — c'est la prochaine étape, longtemps retardée mais inévitable, de notre destin évolutif. Il peut ainsi se produire une émergence décisive au cours de laquelle l'être se sépare de la pensée et se voit, dans un silence intérieur, comme l'esprit dans le mental ; ou bien l'être se sépare des mouvements de la vie, des désirs, des sensations, des impulsions motrices et se perçoit comme l'esprit soutenant la vie; ou encore il se sépare de la sensation corporelle, et se connaît comme l'esprit animant la Matière ; c'est la découverte intérieure du Purusha, d'un être mental en nous ou d'une âme de la vie, ou d'un moi subtil qui soutient le corps. Beaucoup considèrent que c'est là une découverte suffisante du vrai moi, et dans un certain sens, ils ont raison; le moi ou esprit, en effet, se représente ainsi lui-même parmi les activités de la Nature, et sa présence révélée suffit à extirper l'élément spirituel. Mais la découverte de soi peut aller plus loin ; elle peut même écarter toute relation avec les formes ou les activités de la Nature. Car on s'aperçoit que ces
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" moi " sont des représentations d'une Entité divine dont le mental, \a vie et le corps ne sont que les formes et les instruments ; nous sommes donc l'Âme qui regarde la Nature, qui connaît tous ses dynamismes en s nous, non par une perception et une observation mentales, mais par une conscience innée, une perception directe des choses et une vision intime exacte; nous devenons donc capables, lorsque l'Âme émerge, d'établir une stricte maîtrise de notre nature et de la changer. Quand, il se fait dans l'être un silence complet, une, immobilité totale, ou, à l'arrière-plan, une immobilité que les mouvements de surface n'affectent point, alors nous pouvons prendre conscience d'un Moi, d'une substance spirituelle de notre être, d'une existence qui dépasse même l'individualité de l'âme, qui se répand dans l'universalité et ne dépend plus du tout des formes et des activités de la Nature, qui s'élève et s'étend dans une transcendance dont les limites ne sont pas visibles. Ce sont ces libérations de l'élément spirituel en nous qui marquent les étapes décisives de l'évolution spirituelle dans la Nature.
C'est seulement parées mouvements décisifs que le vrai caractère de l'évolution est mis en évidence. Jusque-là, il n'y a que des mouvements préparatoires, une pression de l'Entité psychique sur le mental, la vie et le corps pour que s'élabore l'action vraie de l'âme ; une pression de l'esprit, du moi, pour nous libérer de l'ego et de l'ignorance de surface" une orientation du mental et de la vie vers une Réalité occulte. Ce sont là des expériences préliminaires, les formulations partielles d'un mental et d'une vie spiritualisés, mais ce n'est pas le changement complet; on ne discerne pas encore la probabilité d'une révélation complète de l'âme ou du moi, ou d'une transformation radicale de ta nature humaine. Quand l'émergence décisive se produit, l'un de ses signes est la présence et l'action en nous d'une conscience inhérente, intrinsèque, existant en soi, qui se connaît par le simple fait d'exister; elle connaît tout ce qui est en elle, de la même manière, par identité, et commence même à voir tout ce qui, à notre mental, paraît extérieur, par un même mouvement d'identification ou par une conscience directe intrinsèque-, qui enveloppe son objet, pénètre en lui, se découvre dans l'objet et y perçoit quelque chose qui n'est ni le mental, ni la vie, ni le corps. Il existe donc, de toute évidence, une conscience spirituelle différente de la conscience mentale, et elle témoigne de l'existence en nous d'un être spirituel qui diffère de notre personnalité mentale de surface. Mais; au début, cette conscience peut se limiter à un état statique, dans
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lequel elle se sépare de l'action de notre nature superficielle ignorante et l'observe, se bornant à connaître, à regarder les choses avec une compréhension et une vision spirituelles de l'existence. Dans l'action, elle peut encore dépendre de ses instruments, ;le mental, le vital et le corps, ou leur permettre d'agir suivant leur propre nature, satisfaite de son expérience et de sa connaissance de soi, satisfaite d'une libération intérieure, d'une liberté finale. Mais elle peut aussi — et c'est ce qu'elle fait généralement —'exercer une certaine autorité, une maîtrise, une influence sur la pensée, les mouvements vitaux et l'action physique, un contrôle qui purifie et élève, les obligeant à se mouvoir dans une vérité d'eux-mêmes plus haute et plus pure, à servir d'instruments à l'influx d'un Pouvoir plus divin, et à lui obéir ou à suivre une direction lumineuse qui n'est pas mentale, mais spirituelle, et à laquelle on peut reconnaître un certain caractère divin : l'inspiration d'un plus grand Moi ou l'ordre de l'Îshwara, le Souverain de toute existence. Ou bien, les divers éléments de la nature humaine peuvent obéir aux indications de l'entité psychique, se mouvoir dans une lumière intérieure, suivre une direction intérieure. C'est déjà là une évolution considérable, qui représente au -moins un début de transformation psychique et spirituelle. Mais il est possible d'aller plus loin ; car l'être spirituel, quand il est libéré intérieurement, peut susciter et développer dans le mental des états d'être supérieurs qui constituent son atmosphère naturelle, et faire descendre une énergie et une action supramentales qui appartiennent à la Conscience-de-Vérité. Les instruments ordinaires, le mental, le vital et même le physique, pourraient être alors entièrement transformés et devenir les éléments, non plus d'une ignorance, si illuminée soit-elle, mais; d'une création supramentale qui serait l'action véritable d'une connaissance, d'une conscience-de-vérité spirituelles.
Au début, la vérité de l'esprit et de la spiritualité n'est pas évidente pour le mental. L'homme commence par percevoir mentalement son âme comme quelque chose d'autre que son corps, supérieur à son mental et à sa vie ordinaires ; mais il n'en a pas une perception claire, il n'a qu'une vague sensation de certains effets qu'elle produit sur sa nature. Et comme ces effets revêtent une forme mentale ou vitale, la distinction n'est pas rigoureusement marquée, la perception de l'âme n'a pas encore acquis un caractère distinct et bien établi. D'une manière générale, en effet, on confond l'âme avec une formation complexe faite d'influences partielles provenant du psychique et de, sa pression sur les
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parties mentales et vitales, formation qui est mélangée d'aspiration mentale et de désir vital; de même, on confond l'ego séparé avec le moi, bien que le moi, en son être véritable, en son essence, soit universel aussi bien qu'individuel, et la spiritualité avec un mélange d'aspiration mentale, d'ardeur et d'enthousiasme vital, rehaussés par une croyance ou une consécration suffisamment intense ou élevée, ou par un élan altruiste. Mais ce vague et cette confusion sont inévitables; c'est une étape de l'évolution, qui, puisque l'ignorance est son point de s départ et le -sceau de notre nature primitive, doit nécessairement commencer par une perception intuitive imparfaite et par un élan instinctif ou une recherche qui ne s'appuie sur aucune expérience acquise, aucune connaissance claire. Même les formations qui sont les premiers effets de cette perception ou de cet élan, ou les premiers indices de l'évolution spirituelle, ont inévitablement ce caractère incomplet et provisoire. Mais l'erreur qui en résulte est un obstacle sérieux, qui nous empêché de comprendre la vraie nature de la spiritualité. Il faut donc insister sur le fait que celle-ci ne se réduit pas à une haute intellectualité ni à un idéalisme, à un penchant éthique du mental ou à une pureté et une austérité morales, ni à une religiosité ou une ferveur émotive ardente et exaltée, ni même à un composé de toutes ces excellentes choses. Les croyances, les credo ou la foi du mental, l'aspiration du cœur, la réglementation de la conduite suivant une formule religieuse ou morale, ne sont pas l'expérience spirituelle ni la réalisation spirituelle. Ces choses ont une valeur considérable pour le mental et la vie; elles ont de la valeur pour l'évolution spirituelle elle-même en tant que mouvements préparatoires qui disciplinent, purifient la nature et lui donnent une forme appropriée. Mais elles appartiennent encore à l'évolution mentale ; on n'y trouve pas le commencement d'une réalisation, d'une expérience et d'une transformation spirituelles. Dans son essence, la spiritualité est l'éveil à la réalité intérieure de notre être, à l'esprit, au moi, à l'âme qui est autre que notre mental, notre vie et nôtre corps ; c'est une aspiration intérieure pour connaître, sentir, être Cela, pour entrer en contact avec la Réalité plus vaste qui dépasse l'univers et le pénètre, et qui demeure également en notre être; c'est une aspiration pour entrer en communion avec cette Réalité et pour s'unir à elle, et, comme résultat de l'aspiration, du contact et de l'union, c'est un renversement, une conversion, une transformation de tout l'être, une croissance ou un éveil dans un nouveau devenir ou un nouvel être, un nouveau moi, une nouvelle nature.
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En fait, c'est une double évolution que la sur créatrice dans notre existence terrestre doit mener de front, et presque simultanément, mais en donnant une très large priorité, et une plus grande importance, à l'élément inférieur. Il y a, d'une part, évolution de notre nature extérieure, propre à l'être mental dans la vie et le corps; et d'autre part, au-dedans, une préparation et même le commencement d'une évolution de notre être intérieur, de notre nature occulte, subliminale et spirituelle, qui veut aller de l'avant, qui veut se révéler, parce que, avec l'émergence du mental, cette révélation devient possible. Mais la préoccupation majeure de la Nature doit rester nécessairement, et pour longtemps encore, l'évolution du mental, jusqu'à ce que celui-ci atteigne l'ampleur, l'élévation et la subtilité les plus vastes possibles ; "car c'est ainsi seulement que peut se préparer la révélation d'une intelligence entièrement intuitive, du surmental, du supramental, et s'accomplir la transition difficile vers de plus hauts instruments de l'Esprit. Si la seule intention de la Nature était la révélation de la Réalité spirituelle fondamentale et une abolition de notre être dans la pure existence, cette insistance sur l'évolution mentale n'aurait pas de raison d'être; car à chaque pas de l'évolution, l'esprit peut se libérer et notre être s'absorber en lui — l'intensité du cœur, le silence total du mental, la volonté s'absorbant dans une unique passion, suffiraient à provoquer ce mouvement suprême. Si l'intention finale de la Nature était tournée vers d'autres mondes, la même loi serait encore valable; car partout, à chaque étape de l'évolution, l'élan vers cet autre monde peut être assez puissant pour se frayer un passage et se libérer de l'action terrestre, et entrer dans un au-delà spirituel. Mais si son intention est un changement qui embrasse tout l'être, alors cette double évolution est intelligible et se justifie, car elle est indispensable à l'accomplissement de ce dessein.
Cependant, cette double évolution impose une progression spirituelle lente et difficile. Tout d'abord, en effet, l'émergence spirituelle doit attendre à chaque étape que les instruments soient prêts. Ensuite, à mesure que l'élément spirituel émerge, il se trouve inextricablement mélangé aux forces, aux mobiles, aux impulsions d'un mental, d'un vital et d'un corps imparfaits ; une pression s'exerce sur lui pour qu'il accepte et serve ces forces, ces mobiles et ces impulsions; attiré vers le bas, soumis à de dangereux mélanges, à la tentation permanente de la chute ou de l'égarement, il est, en tout cas, enchaîné, alourdi, retardé ; il lui faut revenir sur chaque pas accompli pour faire avancer
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ce qui s'attarde dans la nature humaine et l'empêche d'aller plus loin. Finalement, : le caractère même du mental où l'élément spirituel doit travailler, impose une limitation à la lumière et à la force spirituelles ; la formation spirituelle est contrainte de se mouvoir par segments, de suivre une direction, puis une autre, et d'abandonner complètement ou de remettre à plus tard son plein accomplissement. Cette obstruction, cet obstacle du mental, de la vie et du corps — la lourde inertie et l'obstination du corps, les passions troubles de l'élément vital, l'obscurité, les incertitudes, les doutes, les négations, les divergences du mental — est une entrave si puissante et si intolérable que l'aspiration spirituelle s'impatiente et essaie d'étouffer impitoyablement ces adversaires, de rejeter la vie, de mortifier le corps, de faire taire le' mental, pour, accomplir seule son propre salut, l'esprit s'évadant ainsi dans le pur esprit et rejetant complètement cette Nature obscure et non divine. Même s'il n'y avait pas cet appel suprême, cet élan spontané de la partie spirituelle en nous qui cherche à retrouver son propre élément et .son statut supérieur, l'obstruction que la Nature physique et vitale oppose à la spiritualité pure serait un argument suffisant en faveur de l'ascétisme, de l'illusionnisme, de la tendance à s'enfuir vers d'autres mondes, du désir de s'évader de la vie; de la passion pour un Absolu; pur et sans mélange. L'absolutisme spirituel, c'est le moi qui aspire à retrouver son identité suprême ; mais il est également indispensable au dessein de la Nature, car sans lui, le mélange, l'attraction vers le bas rendraient impossible l'émergence spirituelle. L'irréductible partisan de cet absolutisme, le solitaire, l'ascète, est le porte-étendard de l'esprit, sa' robe orange en est le drapeau, elle signale le refus de tout compromis. Car, en vérité, cette émergence est une lutte, qui ne peut s'achever par; un compromis, mais seulement par une victoire spirituelle totale et par la complète soumission de la nature inférieure. Si cela est impossible sur terre, alors en vérité il faut l'accomplir ailleurs ; si la Nature refuse de se soumettre à l'esprit qui émerge, alors l'âme doit abandonner la Nature. Ainsi l'émergence spirituelle s'accompagne d'une double tendance : d'un côté cet élan pour établir à tout prix la conscience spirituelle dans l'être, même s'il faut pour cela rejeter la Nature ; et de l'autre, une poussée pour étendre la spiritualité à toutes les parties de notre nature. Mais tant que la première tendance ne s'est pas pleinement accomplie, la seconde ne peut être qu'imparfaite et hésitante. L'établissement d'une pure conscience spirituelle est en effet le premier objectif dans l'évolution de l'homme spirituel; et pour le chercheur spirituel, cette réalisation, ainsi
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que l'aspiration de cette conscience à entrer: en contact avec la Réalité, le Moi ou l'Être Divin, doivent être la première et principale, et même l'unique préoccupation, jusqu'à ce que cet objectif soit pleinement réalisé. C'est la seule chose indispensable et chacun doit l'accomplir suivant l'avoie 'qu'il est capable :de .suivre, et suivant les capacités spirituelles qu'il a développées dans sa nature.
Si nous voulons déterminer les progrès accomplis dans l'évolution de l'être spirituel, nous devons procéder à un double examen :un examen des moyens et des lignes de développement utilisés par la Nature, et un aperçu des résultats concrets auxquels elle est parvenue dans l'individu humain. La Nature à suivi quatre directions principales pour tenter d'ouvrir l'être intérieur : la religion, l'occultisme, la pensée spirituelle et, enfin, la réalisation spirituelle et l'expérience intérieure. Les trois premières sont des voies d'approche; la dernière est la grande avenue qui nous y fait pénétrer. Ces quatre forces ont agi simultanément, de façon plus ou moins coordonnée, tantôt en collaborant tant bien que mal, tantôt en se disputant, tantôt séparément et indépendamment. La religion a admis un élément occulte dans son rituel, ses cérémonies, ses sacrements. Elle s'est appuyée sur la pensée spirituelle, lui empruntant parfois une croyance ou une théologie, parfois le point d'appui d'une philosophie spirituelle — et l'Occident a généralement suivi la première méthode, tandis que l'Orient suivait l'autre —, mais l'expérience spirituelle est le but et l'accomplissement ultime de la religion, son ciel et son sommet. Pourtant, il est arrivé à la religion d'interdire l'occultisme, ou de réduire au minimum son propre élément occulte ; elle a repoussé l'esprit philosophique comme un étranger à l'intellect desséché ; elle s'est appuyée de tout son poids sur les credo et les dogmes, sur l'émotion et la ferveur pieuses, sur la conduite morale; elle a réduit autant que possible la réalisation et l'expérience spirituelles, ou s'en est totalement dispensée. De son côté, l'occultisme s'est parfois donné la spiritualité pour but, -et il. a poursuivi la connaissance et l'expérience occultes comme des moyens d'en approcher, formulant une sorte de philosophie mystique. Mais le plus souvent, il s'est borné à la connaissance occulte et à ses pratiques, sans avoir la moindre perspective spirituelle ; il s'est tourné vers la thaumaturgie et la magie pure, ou il a même dégénéré en sorcellerie. Quant à la philosophie spirituelle, elle a le plus souvent cherché dans la religion un soutien ou un chemin conduisant vers l'expérience; elle est née de la réalisation et de l'expérience, ou. elle a
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construit ses structures comme un moyen d'y atteindre. Mais souvent aussi, elle a rejeté totalement l'aide — ou les entraves — de la religion, et elle a poursuivi sa route par ses propres forces, se satisfaisant de la connaissance mentale, ou gardant avec confiance l'espoir de découvrir sa propre voie d'expérience et une discipline efficace. Enfin, l'expérience spirituelle s'est servie des trois autres moyens comme points de départ; mais elle a su également se passer d'eux, ne comptant que sur sa propre force. Dénonçant la connaissance et les pouvoirs occultes comme des pièges dangereux et des obstacles inextricables, elle n'a recherché que la pure vérité de l'esprit. Se passant de la philosophie, elle est arrivée à son but par la ferveur du cœur ou par une spiritualisation mystique intérieure. Rejetant toute croyance, toute cérémonie et toute pratique religieuses, qu'elle considère comme un stade inférieur ou comme une première voie d'approche, elle a passé outre, laissé derrière elle ces soutiens, et, libre de tous ces accoutrements, elle a recherché le pur contact avec' la Réalité spirituelle. Toutes ces variations étaient nécessaires, et dans son effort évolutif la Nature a fait l'expérience de toutes ces voies, afin de trouver le vrai chemin, le chemin total vers la conscience suprême et la connaissance intégrale.
Car chacun de ces moyens, chacune de ces voies d'approche correspond à quelque chose dans notre être intégral, et, par conséquent, à quelque chose de nécessaire au but total de l'évolution de la Nature. Quatre choses sont en effet nécessaires à l'expansion de notre être, si l'homme ne veut pas demeurer ce qu'il est à présent dans sa nature phénoménale : un être vivant en surface, dans un état d'ignorance, qui cherche obscurément la vérité des choses, assemble et systématise des fragments, des tranches de connaissance, une petite créature limitée et à demi compétente de la Force cosmique. Il doit se connaître lui-même et découvrir et utiliser toutes ses potentialités; mais pour se connaître totalement lui-même et connaître totalement le monde, il doit chercher ce qui se trouve derrière sa nature propre et ce qui lui est extérieur, plonger profondément sous sa propre surface mentale et sous la surface physique de la Nature. Ce n'est possible que s'il prend connaissance de son être intérieur mental, vital, physique et psychique, de ses pouvoirs et de ses mouvements, et des lois et processus universels du Mental et de la Vie occultes qui se trouvent derrière la façade matérielle de l'univers ; tel est le champ de l'occultisme, si nous donnons à ce mot son sens le plus large. L'homme doit aussi connaître le Pouvoir Ou les Pouvoirs
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cachés qui dirigent le monde : s'il existe un Moi ou un Esprit cosmique, ou un Créateur, l'homme doit être capable d'entrer en rapport avec Lui ou avec Cela, et de rester en contact ou en communion autant qu'il est possible, de s'accorder d'une façon quelconque avec les Êtres qui régissent l'univers, avec l'Être universel et Sa volonté universelle, ou avec l'Être suprême et Sa suprême volonté. Il doit être capable, dans sa vie et sa conduite, de suivre la loi que cet Être lui donne et le but qui lui est assigné ou révélé ; il doit s'élever jusqu'au plus haut sommet, dans sa vie présente ou son existence future, comme cet Être l'exige. Si un tel Esprit, Être universel ou suprême, n'existe pas, il doit savoir ce qui existe et comment s'élever jusque-là hors de son imperfection et de son impuissance présentes. Cette voie d'approche est celle de la religion ;'son but est de relier l'humain au Divin et, ce faisant, de sublimer la pensée, la vie et la chair afin qu'elles puissent admettre l'autorité de l'âme et de l'esprit. Mais il faut que cette connaissance soit plus qu'un credo ou une révélation mystique; le mental pensant doit pouvoir l'accepter et la relier au principe des choses et à la vérité de l'univers telle qu'elle est observée. Ceci est l'œuvre de la philosophie ; et dans le domaine de la vérité de l'Esprit, ce travail ne peut être fait que par une philosophie spirituelle, que sa méthode soit intellectuelle ou intuitive. Mais toute connaissance et tout effort ne peuvent porter leurs fruits que s'ils se transforment en expérience et s'ils deviennent partie intégrante de la conscience et de ses opérations normales. Dans le domaine spirituel, toute cette connaissance, religieuse, occulte ou philosophique, et tout cet effort doivent donc, pour être féconds, aboutir à une ouverture de la conscience spirituelle, à des expériences qui fondent cette conscience et continuellement l'élèvent, l'élargissent et l'enrichissent, et à l'élaboration d'une vie et d'une action conformes à la vérité de l'esprit ; c'est ce que la réalisation et l'expérience spirituelles doivent accomplir.
Par la nature même des choses, toute; évolution procède d'abord par un lent déploiement ; car tout principe nouveau doit, pour manifester ses pouvoirs, se frayer un chemin à partir de l'involution primordiale dans l'Inconscience et l'Ignorance. Il a pour tâche difficile de s'extraire de l'involution, de s'arracher à l'emprise du milieu originel et à son obscurité, de lutter contre l'attraction et la pression de l'Inconscience, son opposition et son obstruction instinctives, et contre les mélanges embarrassants, les lenteurs aveugles et obstinées de l'Ignorance. Au début, la Nature affirme un vague élan, une tendance imprécise ; et c'est
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un signe que la réalité submergée, occulte et subliminale, fait effort pour émerger. Puis, de vagues indications à demi réprimées de ce qui doit être se manifestent, de premières tentatives imparfaites, des éléments informes, des apparitions embryonnaires, de petits quanta insignifiante, imperceptibles. Plus tard, on voit apparaître des formations, petites ou grandes; une qualité plus spécifique et reconnaissable se fait jour ça et là, partielle tout d'abord, ou de faible intensité, puis de plus en plus vivace et formatrice; finalement se produit l'émergence décisive, le renversement de la conscience, et un changement radical devient alors possible. Mais il reste encore beaucoup à faire dans toutes les directions; l'aventure évolutive s'engage dans une longue et difficile croissance vers ta perfection. L'émergence accomplie ne doit pas seulement être affermie, protégée des rechutes, de l'attraction vers le bas, mise à l'abri de l'échec et de l'anéantissement, mais il faut encore qu'elle s'ouvre à ses propres possibilités dans tous les domaines, à la plénitude de son propre accomplissement intégral, qu'elle atteigne sa plus haute Stature, sa subtilité, sa richesse, son ampleur suprêmes ; elle doit s'affirmer et tout embrasser, tout englober. Tel est partout le processus de la Nature ; l'ignorer, c'est ne pas voir l'intention inscrite dans ses œuvres et se perdre dans le dédale de ses opérations.
C'est ce même processus qu'a suivi l'évolution de la religion dans le mental et la conscience de l'homme ; l'œuvre qu'elle a accomplie pour l'humanité ne peut être comprise ou appréciée à sa juste valeur si l'on ignore les conditions du processus et leur nécessité. Il est évident que les toutes premières formes que revêt la religion sont nécessairement grossières et imparfaites, son développement est encombré de mélanges et d'erreurs, de concessions faites aux parties mentales et vitales de l'être humain, qui ont souvent un caractère fort peu spirituel. Des éléments ignorants, nuisibles et même désastreux peuvent s'infiltrer et engendrer l'erreur et le mal. Le dogmatisme du mental humain, son étroitesse arrogante, son égoïsme intolérant et agressif, son attachement à ses vérités limitées et plus encore à ses erreurs, ou la violence, le fanatisme, les prétentions militantes et tyranniques du vital, son action perfide sur le mental pour obtenir son appui et satisfaire ses propres désirs ;et ses -propres penchants, tout cela peut très facilement envahir la religion et l'empêcher d'atteindre son but spirituel le plus haut, la dépouiller de son vrai caractère spirituel. Sous le nom de religion, beaucoup d'ignorance peut se dissimuler, beaucoup d'erreurs et de constructions
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fausses de grande envergure se voient autorisées, et même beaucoup de crimes et d'outrages contre l'esprit se commettent. Mais cette histoire tourmentée est celle de tout effort humain, et si elle devait témoigner contre la vérité et la nécessité de la religion, elle témoignerait aussi contre la vérité et la nécessité de tous les autres efforts de l'homme, contre toute action humaine, contre son idéal, sa pensée, son art, sa science.
La religion elle-même a été mise en doute à cause de sa prétention à décider de la vérité par autorité divine, par inspiration, par une souveraineté sacro-sainte et infaillible qui lui aurait été octroyée d'en haut. Elle a cherché à s'imposer, sans discussion ni examen, à la pensée, aux émotions, à la conduite humaine. Or c'est une prétention excessive et prématurée, bien qu'en un sens elle s'impose à la pensée religieuse par le caractère impérieux et absolu des inspirations et des illuminations qui sont sa garantie et sa justification, et par la nécessité de la foi qui, au milieu de l'ignorance, des doutes, des faiblesses et des incertitudes du mental, joue le rôle de lumière et de pouvoir occultes venant de l'âme. La foi est indispensable à l'homme, car sans elle, il ne pourrait pas progresser dans son voyage à travers l'inconnu. Mais elle ne doit pas être imposée ; il faut qu'elle vienne comme une libre perception ou comme une direction impérative de l'esprit intérieur. Exiger de l'homme une adhésion sans discussion ne pourrait se justifier que si, par un effort spirituel, il était déjà parvenu au terme de sa progression et avait atteint la plus haute Conscience-de-Vérité, une conscience totale et intégrale, libre de tous les mélanges de l'ignorance mentale et vitale. Tel est bien notre but final, mais il n'a pas encore été atteint, et les prétentions prématurées de la religion ont obscurci l'œuvre véritable de l'instinct religieux en l'homme, qui est de le conduire vers la Réalité divine, de donner forme à tout ce qu'il a déjà accompli dans cette direction et d'apporter à chaque être humain le cadre d'une discipline spirituelle, un moyen de chercher la Vérité divine, de s'en approcher, d'entrer en contact avec elle, un chemin qui soit conforme aux potentialités de sa nature.
C'est dans le développement religieux de l'Inde que l'on peut reconnaître la souplesse et l'ampleur de la méthode suivie par la Nature dans son évolution, car c'est là qu'elle a fourni le champ le plus vaste à la recherche religieuse de l'être humain, tout en préservant sa véritable intention. Un grand nombre de formules religieuses, de cultes, et .de
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disciplines, y ont été autorisés, et même encouragés à subsister côte à côte; chaque homme avait la liberté d'accepter et de suivre celle qui convenait le mieux à sa pensée, son sentiment, son tempérament, au moule de sa nature. Il est juste et raisonnable que cette plasticité existe, et elle est favorable à une évolution fondée sur l'expérience ; car la vraie raison d'être de la religion est de préparer l'existence mentale, vitale et corporelle de l'homme pour que la conscience spirituelle en prenne la charge; elle doit le conduire jusqu'au stade où la lumière spirituelle intérieure commence à émerger pleinement. C'est alors que la religion doit apprendre à se subordonner, à ne pas insister sur les caractères extérieurs, mais à laisser le champ libre à l'esprit intérieur pour qu'il développe lui-même sa propre vérité et sa propre réalité. En attendant, elle doit, autant qu'elle le peut, prendre en main le mental, le vital et le physique de l'homme, et donner à toutes leurs activités une orientation spirituelle, leur révéler leur propre signification spirituelle, leur apporter l'empreinte d'un raffinement spirituel, un premier caractère spirituel. C'est avec cette tentative que les erreurs s'introduisent dans la religion, car elles sont causées par la nature même de la matière dont celle-ci s'occupe—cette matière inférieure envahit les formes mêmes qui doivent servir d'intermédiaires entre la conscience spirituelle et la conscience mentale, vitale ou physique, et souvent les amoindrit, les dégrade et les corrompt. C'est pourtant dans cet effort que se trouve la plus grande utilité de la religion en tant que médiatrice entre l'esprit et la nature humaine. La vérité et l'erreur vivent toujours côte à côte dans l'évolution humaine, et la vérité ne doit pas être rejetée à cause des erreurs qui l'accompagnent, quoique celles-ci doivent être éliminées. C'est souvent une tâche difficile, et si elle est brutalement accomplie, il en résulte un dommage chirurgical pour le corps de la religion — car ce que nous considérons comme une erreur est très fréquemment le symbole ou le masque d'une vérité, sa corruption ou sa déformation, et cette vérité est perdue dans la brutalité radicale de l'opération, elle est amputée en même temps que l'erreur. La Nature elle-même permet très communément à l'ivraie et autres mauvaises herbes de pousser en même temps que le bon grain, et pendant longtemps, car c'est ainsi seulement que sa propre croissance, sa libre évolution est possible.
Lorsque la Nature, dans son évolution, commence à éveiller l'homme à une conscience spirituelle rudimentaire, cela débute généralement par une perception vague de l'Infini et de l'Invisible qui entourent
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son être physique ; l'homme sent les limitations et l'impuissance de son mental et de sa volonté et il perçoit, caché dans le monde, quelque chose de plus grand que lui-même : des puissances bénéfiques et maléfiques qui déterminent les résultats de son action, un Pouvoir dissimulé derrière le monde physique où il vit et qui les a peut-être créés l'un et l'autre, ou des Pouvoirs qui animent et gouvernent les mouvements de la Nature, tandis qu'eux-mêmes sont peut-être gouvernés par un Inconnu plus grand qui est encore au-delà. Il a dû alors déterminer ce qu'étaient ces Pouvoirs et trouver des moyens de communiquer ave& eux, afin de se les rendre propices ou de les appeler à son aide; il a recherché aussi des moyens de découvrir et de maîtriser les principes cachés derrière les mouvements de la Nature. Il n'a pu y parvenir immédiatement avec sa raison, car celle-ci, à ses débuts, ne pouvait que s'occuper des faits physiques; or il s'agissait là du domaine de l'Invisible et il fallait une vision et une connaissance supraphysiques. Il n'est arrivé à ses fins qu'en élargissant la faculté intuitive, instinctive, qui se trouvait déjà présente chez l'animal. Cette faculté, qui s'est étendue et mentalisée dans l'être pensant, devait être plus sensitive et plus active chez l'homme primitif — bien que sur un plan inférieur, le plus souvent —, car c'est surtout sur elle qu'il devait s'appuyer pour toutes les premières découvertes qui lui étaient nécessaires. Il devait aussi prendre appui sur l'expérience subliminale, car le subliminal aussi devait être plus actif, plus près d'émerger en lui, mieux à même de formuler ses mouvements à la surface, avant que l'homme n'ait appris à dépendre complètement de son intellect et de ses sens. Les intuitions qu'il recevait ainsi au contact de la Nature, furent systématisées par son mental et donnèrent naissance aux premières formes de la religion. Ce pouvoir d'intuition actif et disponible lui permettait aussi de sentir la présence de forces supraphysiques derrière le monde physique; son instinct et une certaine expérience subliminale ou supranormale des êtres supraphysiques avec lesquels il pouvait communiquer d'une façon ou d'une autre, l'orientèrent vers la découverte de moyens efficaces pour canaliser et utiliser dynamiquement cette connaissance ; c'est ainsi que la magie et les autres formes primitives d'occultisme virent le jour. À un moment donné, l'homme a dû pressentir en lui la présence de quelque chose qui n'était pas physique, d'une âme qui survivait au corps. Certaines expériences supranormales, rendues actives par suite de la pression l'incitant à connaître l'invisible, doivent l'avoir aidé à formuler ses premières notions rudimentaires concernant cette entité au-dedans de lui. Plus tard seulement, il dut commencée à
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comprendre que ce qu'il percevait dans l'action de l'univers existait aussi en lui, sous une certaine forme, et qu'en lui aussi existaient des éléments qui réagissaient à des puissances invisibles et à des forces du bien ou du mal; ainsi durent naître ses premières structures éthico-religieuses et ses possibilités d'expérience spirituelle. Un amalgame d'intuitions primitives, de rituel occulte, de morale socio-religieuse, de connaissances ou d'expériences mystiques, symbolisées par des mythes, mais dont le sens était préservé grâce à une initiation et une discipline secrètes, constituent le premier stade, d'abord très superficiel et extérieur, de la religion humaine. Au début, ces éléments étaient sans aucun doute grossiers, pauvres et imparfaits; ils s'approfondirent pourtant, et s'élargirent, et dans certaines civilisations ils trouvèrent une ampleur remarquable et une haute signification.
Mais une tendance à l'intellectualisation apparut à mesure que le -mental et la vie se développaient — car ce' développement est la première préoccupation de la Nature en l'homme, et elle n'hésite pas à lui donner la première place aux dépens des autres éléments qui devront être entièrement repris plus tard —, et les premières formations intuitives, instinctives et subliminales 'qui. avaient été nécessaires, se trouvèrent recouvertes par les structures qu'érigeait la force croissante de la raison et de l'intelligence mentale. Plus l'homme découvre les secrets et les processus de la Nature physique, plus il néglige le secours qu'il avait; jadis cherché dans l'occultisme et la magie; la présence et l'influence sensible des dieux et des pouvoirs invisibles s'effacent, tandis qu'il explique de plus en plus les choses par des actions naturelles, par les processus mécaniques de la Nature. Pourtant, l'homme sent encore le besoin d'un élément spirituel et de facteurs spirituels dans sa vie, et c'est pourquoi, pendant quelque temps, il poursuit ces deux activités, occulte et rationnelle. Mais bien que les éléments occultes de la religion soient encore conservés comme des croyances et préservés, ils sont aussi enterrés sous -les. rites ' et les mythes ; ils perdent leur signification et s'affaiblissent, tandis que s'accroît l'élément intellectuel. Finalement, lorsque l'intellectualisation devient trop forte, tout est supprimé, sauf les credo, les institutions, les pratiques formelles et la morale. L'élément d'expérience spirituelle lui-même s'estompe et l'on estime suffisant de s'appuyer seulement sur la foi, sur la ferveur émotive et la conduite morale. L'amalgame primitif, fait de religion, d'occultisme et d'expérience mystique, est dissous, et chacun de ces pouvoirs a visiblement et
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nettement tendance — encore que cette tendance ne soit ni universelle ni absolue, il s'en faut — à suivre son propre chemin, jusqu'à son propre but et selon son propre caractère distinct et indépendant. Une négation complète de la religion, de l'occultisme et de tout ce qui est supraphysique est l'aboutissement ultime de ce stade ; le durcissement et le dessèchement de l'intellect superficiel atteignent alors leur paroxysme et démolissent les structures protectrices qui servaient de refuge aux parties plus profondes de notre nature. Cependant, la Nature évolutive garde encore vivantes ses intentions ultérieures dans la pensée du petit nombre et se sert d'une évolution mentale plus poussée pour mener les hommes vers des plans supérieurs et vers un accomplissement plus profond. Aujourd'hui même, après une époque d'intellectualisme et de matérialisme triomphants, nous pouvons voir certains signes du processus qu'a suivi la Nature. En effet, un retour vers la découverte intérieure, une recherche et une pensée tournées vers le dedans, de nouvelles tentatives dans le domaine de l'expérience mystique, un quête encore tâtonnante de notre moi profond, un nouvel éveil au sens de la vérité et du pouvoir de l'esprit, commencent à se manifester. La quête du vrai moi et de l'âme et d'une vérité plus profonde, se ranime et recouvre sa force, redonne vie aux vieilles croyances, en édifie de nouvelles, ou se poursuit indépendamment des sectes religieuses. L'intellect lui-même, ayant presque atteint les limites naturelles des possibilités de découverte physique, ayant touché son propre fond et découvert qu'il ne peut rien expliquer de plus que. les processus extérieurs de la Nature, a commencé, de façon encore hésitante et expérimentale, à scruter les secrets plus profonds du mental et de la force vitale, et à explorer le domaine de l'occulte, qu'il avait rejeté à priori, afin d'en évaluer la part de vérité. La religion elle-même a prouvé qu'elle avait la force de survivre, et elle subit actuellement une évolution dont la signification ultime demeure obscure. Dans les débuts de cette nouvelle phase de l'évolution mentale, si sommaires et hésitants s soient-ils, on peut discerner; .la possibilité qu'un puissant élan conduise l'évolution spirituelle dans la Nature vers un tournant et un progrès décisifs. Riche, mais encore assez obscure à son premier stade infrarationnel, la religion a eu tendance, sous la trop lourde pression de l'intellect, à passer dans l'espace intermédiaire d'une raison claire, mais austère. Cependant, elle devra finalement suivre la courbe ascendante du mental humain et s'élever plus pleinement vers ses propres sommets, vers son véritable et plus vaste domaine, dans la sphère d'une conscience et d'une connaissance suprarationnelles.
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Si nous regardons le passé, nous pouvons encore voir les signes de cette évolution naturelle, en discerner le cours, bien que ses premières étapes nous soient en grande partie cachées dans les pages non écrites de la préhistoire. On a prétendu que la religion n'était rien de plus, à ses débuts, qu'un mélange d'animisme, de fétichisme, de magie, de totémisme, de tabous, de mythes et de symboles superstitieux, avec le sorcier pour prêtre — qu'elle est un parasite mental d'ignorance humaine primitive — ou, plus tard, au mieux nos forme du culte de la Nature. Il en fut probablement ainsi dans le mental primitif, encore que nombre de ces croyances et de ces pratiques devaient sans doute comporter une vérité, inférieure, certes, mais très efficace, que notre développement supérieur nous a fait perdre. L'homme primitif vit surtout dans une étroite et basse province de son être vital, qui correspond, sur le plan occulte, à une Nature invisible d'un caractère analogue, dont les pouvoirs occultes peuvent être appelés et mis en œuvre par une connaissance et des méthodes auxquelles les intuitions et les instincts du vital inférieur nous donnent accès. Tout cela devait s'exprimer au moyen de ces croyances et de ces pratiques religieuses, au cours d'une première étape qui n'était pas encore spirituelle mais occulte, et dont le caractère et le but restaient frustes et embryonnaires ; car, à ce stade, l'homme recourait surtout à de petites forces vitales et à de petites entités pour satisfaire de petits désirs vitaux et un bien-être physique des plus fruste.
Cependant, ce stade primitif ne pouvait être qu'un commencement — en admettant que ce soit vraiment un stade primitif, et non, d'après ce que nous en voyons encore, un déclin ou un vestige, une régression à partir d'une connaissance plus haute appartenant à un cycle de civilisation précédent, ou le résidu dégradé d'une culture morte ou décadente. Il fut suivi, après bien des étapes, par un type plus avancé de religion dont il est fait mention dans la littérature ou les annales des premiers peuples civilisés. Ce type de religion, composé d'un culte et de croyances polythéistes, d'une cosmogonie, d'une mythologie, d'un ensemble complexe de cérémonies, de pratiques, d'obligations rituelles et morales, parfois étroitement imbriquées dans le système social, était généralement une religion nationale ou tribale profondément expressive du stade d'évolution que la communauté avait atteint dans sa pensée et sa vie. Dans la structure extérieure, il manquait encore le support d'une signification spirituelle plus profonde; mais, dans les cultures plus hautes et plus
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développées, cette lacune était comblée par un solide fond de connaissance et de pratiques occultes, ou bien par des Mystères soigneusement gardés, qui comportaient un premier élément de sagesse et de discipline spirituelles. L'occultisme s'y trouve le plus souvent comme un ajout ou une superstructure, mais il n'est pas toujours présent; le culte des puissances divines, les sacrifices, une piété de surface et une morale sociale en sont les principaux éléments. Il ne semble pas, au début, comporter de philosophie spirituelle, ni une; conception spirituelle du sens de la vie, bien qu'on en trouve souvent les rudiments dans les mythes et les Mystères, et qu'elle ait même réussi, à une ou deux reprises, à émerger complètement et à affirmer sa propre existence distincte.
Il est bien possible que ce soit le mystique ou l'apprenti occultiste qui ait été partout le créateur de la religion et qui, sous forme de croyances, de mythes et de pratiques, ait imposé ses découvertes secrètes à la mentalité humaine générale. C'est toujours, en effet, l'individu qui reçoit les intuitions de la Nature et qui prend l'initiative de tirer ou d'entraîner le reste de l'humanité derrière lui. Et même si nous accordons le crédit de cette nouvelle création au mental subconscient collectif, c'est l'élément occulte et mystique, dans ce mental, qui a effectué cette création et qui a dû trouver des individus où il pouvait émerger. Car ce n'est pas dans la masse que la Nature cherche tout d'abord à s'exprimer, à faire ses premières expériences et ses premières découvertes. Ce n'est pas sa méthode. C'est en un point, ou en un petit nombre de points, qu'elle allume le feu, qui se propage ensuite de foyer en foyer, d'autel en autel. Ainsi, l'aspiration et l'expérience spirituelles des mystiques furent le plus souvent dissimulées sous des formules secrètes, et révélées seulement à un petit nombre d'initiés. Elles étaient transmises aux autres hommes, ou plutôt préservées pour eux, dans une masse de symboles religieux ou traditionnels. Ce sont ces symboles qui constituaient le noyau même de la religion dans le mental de l'humanité ancienne.
De ce second stade émergea un troisième, avec une volonté de libérer l'expérience et la connaissance spirituelles secrètes pour les mettre à la disposition de tous, d'en faire une vérité qui s'adressait à la masse, et à laquelle tous devaient pouvoir accéder. On vit ainsi s'affirmer une nouvelle tendance, qui cherchait non seulement à faire de l'élément spirituel le noyau même de la religion, mais à mettre cet élément à la
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portée de tous les croyants par un enseignement exotérique. De même que chaque école ésotérique avait eu son système de connaissance et de discipline, de même maintenant chaque religion devait avoir sa théorie, son credo et sa discipline spirituelle. À travers ces deux formes d'évolution spirituelle, ésotérique et exotérique, le chemin du mystique et le chemin de l'homme religieux, nous voyons que la Nature évolutive suit un double principe : un principe d'évolution intensive et concentrée sur un espace réduit, et un principe d'expansion et d'extension qui permet à la création nouvelle de se généraliser sur un champ aussi vaste que possible. Le premier est un mouvement concentré, dynamique et effectif; le second tend vers la diffusion et la stabilité. Ce nouveau développement eut pour effet de généraliser dans l'humanité l'aspiration spirituelle, qui, jusque-là, était soigneusement gardée, tel un trésor, par une minorité; mais elle y perdit de sa pureté, de sa hauteur et de son intensité. Les mystiques avaient fondé leur tentative sur le pouvoir d'une connaissance suprarationnelle, intuitive, inspirée, révélatrice, et sur le pouvoir qu'a l'être intérieur de pénétrer au cœur de la vérité et de l'expérience occulte ; mais la masse des hommes ne possède pas ces pouvoirs, ou si elle les possède, c'est sous une forme embryonnaire, primitive, fragmentaire, sur laquelle rien de sûr ne pouvait être fondé. Ainsi, pour cette masse et au cours de ce nouveau développement, il fallut envelopper la vérité spirituelle dans les formes intellectuelles d'un credo et d'une doctrine, dans les formes émotives du culte et dans un rituel simple, mais évocateur. Le puissant noyau spirituel s'en trouva mélangé, dilué, altéré; il se laissa envahir et imiter par les éléments inférieurs de la nature mentale, vitale et physique. C'est ce mélange et cette altération que les premiers mystiques redoutaient par-dessus tout : cette invasion d'éléments falsifiés, cette profanation des Mystères et la perte de leur vérité et de leur signification, le mauvais usage des pouvoirs occultes que donne la communication avec les forces invisibles. Et c'est justement ce qu'ils voulaient éviter, par le secret, par une stricte discipline conférée aux seuls et rares initiés qui s'en montraient dignes. Un autre résultat malheureux, un autre péril né de ce mouvement de diffusion et de l'envahissement qui suivit, a été la formalisation intellectuelle de la connaissance spirituelle en divers dogmes, et la pétrification des pratiques vivantes en une masse figée de cultes, de cérémonies et de rituels — et il était inévitable qu'avec le temps, et en raison de cette mécanisation, l'esprit quitte le corps de la religion, Mais ce risque devait être accepté, car le mouvement d'expansion est une nécessité inhérente à l'élan spirituel dans la Nature évolutive.
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Ainsi naquirent les religions qui s'appuient surtout, ou dans l'ensemble, sur des credo et un rituel pour obtenir un résultat spirituel, et qui toutefois, à cause de la vérité de leur expérience, préservent la réalité intérieure fondamentale qui était présente en elles au début, et qui persiste tant qu'il y a des hommes pour la maintenir ou la renouveler, car c'est un moyen, pour ceux qui sont touchés par l'impulsion spirituelle, de réaliser le Divin et de libérer l'esprit. Ce développement devait aboutir plus tard à une division en deux tendances, catholique et protestante. L'une cherche à conserver un peu de la plasticité originelle de la religion, de ses multiples facettes et de ce qui, en elle, s'adresse à la nature entière de l'être humain; l'autre brise cette catholicité et insiste sur le recours exclusif à la foi, au culte et a la règle de conduite, en les simplifiant assez pour satisfaire vite et facilement la raison, le cœur et la volonté morale de tous. Cette orientation nouvelle eut tendance à provoquer une rationalisation excessive, à s'appuyer sur le 'mental superficiel considéré comme ' un instrument suffisant pour l'effort spirituel, à discréditer et à condamner la plupart des éléments occultes qui cherchaient à établir une communication avec l'invisible ; il en est résulté, le plus souvent, une certaine sécheresse et une étroitesse, une indigence de la vie spirituelle. De plus, après avoir déjà tant nié, tant rejeté, l'intellect trouvait là ample matière et excellente occasion pour continuer son œuvre de négation, jusqu'à ce qu'il ait tout nié, repoussé l'expérience spirituelle, rejeté la spiritualité et la religion, ne laissant plus que l'intellect lui-même comme unique pouvoir survivant. Mais privé de l'esprit, l'intellect ne peut qu'entasser les connaissances extérieures, multiplier les mécanismes et le rendement, et aboutir à un dessèchement des sources secrètes de la vitalité, à une décadence ; il n'a plus alors aucun pouvoir intérieur pour sauver la vie ou créer une vie nouvelle, et il ne reste d'autre issue que la mort, la désintégration et un recommencement à partir de la vieille Ignorance.
Le principe évolutif aurait pu conserver l'intégralité première de son mouvement, tout en s'acheminant — sans rompre l'ancienne harmonie plus sage, mais en l'élargissant — vers une plus grande synthèse des principes de concentration et de diffusion. Ainsi, en Inde, nous avons vu persister l'intuition originelle en même temps que le mouvement intégral de la Nature évolutive, car la religion ne s'est pas limitée à un seul credo, à un seul dogme ; non seulement elle a admis un grand nombre de formulations différentes, mais elle a réussi à contenir
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en elle-même tous les éléments qui ont grandi au cours de l'évolution de la religion, et elle s'est refusé d'en interdire ou d'en retrancher aucun. Elle a poussé l'occultisme jusqu'à ses extrêmes limites, admis des philosophies spirituelles de toutes sortes, suivi jusqu'à leur aboutissement le plus haut, le plus profond ou le plus large, toutes les voies possibles de réalisation, d'expérience et de discipline spirituelles. Sa méthode a été celle de la Nature évolutive elle-même, c'est-à-dire qu'elle a autorisé tous les développements, tous les moyens par lesquels l'esprit communique avec ses instruments humains et agit sur eux, toutes les méthodes de communion entre l'homme et le Suprême, le Divin ; elle a permis de suivre toutes les voies possibles pour avancer vers le but et elle les a toutes essayées, au besoin jusqu'à leur extrême limite. Toutes les étapes de l'évolution spirituelle se trouvent en l'homme, et l'on doit permettre et donner les moyens à chaque homme d'approcher l'esprit, et cette voie d'approche doit être adaptée à ses capacités, adhikâra. En Inde, même les formes primitives qui avaient survécu n'étaient pas bannies, mais soulevées pour revêtir une signification plus haute, sans que jamais, pourtant, se relâche l'élan vers les plus hautes cimes spirituelles dans l'éther suprême le plus pur. Même le type de religion au credo le plus exclusif, n'était pas lui-même exclu; il était admis dans la variété infinie de l'ordre général, pourvu qu'il s'accordât clairement au but et au principe de l'ensemble. Mais cette plasticité cherchait à s'appuyer sur un système socio-religieux fixe, animé d'un même principe, à savoir que la nature humaine doit s'élaborer graduellement, et, à son sommet, se lancer dans la suprême aventure spirituelle. Cette fixité sociale, qui fut peut-être nécessaire, à une époque, pour garantir l'unité de la vie, sinon une base solidement établie pour la liberté spirituelle, a été d'un côté un pouvoir de préservation, mais aussi un obstacle majeur à l'esprit originel d'universalité complète — ce fut un élément de cristallisation et de limitation excessives. Une base fixe peut être indispensable, mais tout en demeurant stable en son essence, cette structure doit être suffisamment souple pour permettre aux formes de changer, d'évoluer ; ce doit être un ordre, mais un ordre progressif.
Quoi qu'il en soit, le principe de cette évolution religieuse et spirituelle, vaste et multiforme, était excellent, car en embrassant toute la vie et toute la nature humaine, en encourageant la croissance de l'intellect et en ne s'y opposant jamais, en ne mettant aucune limite à sa liberté mais en l'appelant plutôt à l'aide de la recherche spirituelle, il a évite
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les conflits de l'intellect ou sa prédominance injustifiée qui, en Occident, conduisit à l'affaiblissement et au dessèchement de l'instinct religieux et à un plongeon dans le matérialisme et le sécularisme pur et simple. Une méthode de ce genre, plastique et universelle, qui admet toutes les croyances et toutes les formes, mais pour les dépasser, et qui accepte toutes sortes d'éléments, peut avoir de nombreuses conséquences que les puristes auront tendance à désapprouver ; mais le grand résultat qui la justifie, c'est un accomplissement, une recherche et un effort spirituels d'une richesse immense, inégalée, une durée plus que millénaire, une globalité, une universalité, une hauteur, une subtilité, une longévité à toute épreuve, une ampleur revêtant les formes les plus diverses. En vérité, c'est seulement par une universalité et une plasticité semblables que le plus vaste dessein de l'évolution peut pleinement s'accomplir. L'individu demande à la religion de lui ouvrir la porte de l'expérience spirituelle, ou le moyen de se tourner vers elle, une communion avec Dieu ou une lumière qui le guide clairement sur le chemin, la promesse d'un au-delà, le moyen de s'assurer un avenir supraterrestre plus heureux. Tous ces besoins peuvent être satisfaits sur la base étroite d'une croyance dogmatique ou d'un culte confessionnel. Mais la Nature a un autre et plus vaste objectif, qui est de préparer et de faire progresser l'évolution spirituelle de l'homme et de le transformer en un être spirituel ; or la religion lui sert à orienter l'effort et l'idéal de l'homme dans cette direction, et à fournir à tous ceux qui sont prêts la possibilité de faire un pas en avant sur le chemin qui mène à la transformation spirituelle. La Nature accomplit son dessein par les innombrables cultes qu'elle a créés, les uns définitifs, institutionnalisés et immuables, les autres plus plastiques et richement variés. Une religion qui serait elle-même un agglomérat de religions et qui offrirait ainsi à chaque homme l'expérience intérieure qui répond à sa tournure d'esprit, serait la plus conforme aux desseins de la Nature; ce serait une riche pépinière pour la croissance et la floraison spirituelles, une vaste et riche école de discipline spirituelle, d'effort et de réalisation de l'âme. Quelles que soient les erreurs qu'elle a commises, telle est la fonction et la grande utilité de la religion, son rôle indispensable : tenir la lumière grandissante qui nous guide sur le chemin à travers l'ignorance mentale jusqu'à la conscience et la connaissance de soi totales de l'Esprit.
Quant à l'occultisme, c'est essentiellement un effort de l'homme pour atteindre la connaissance des vérités et des potentialités cachées de la Nature, qui l'aident à s'affranchir des limites physiques de son être;
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c'est en particulier une tentative pour obtenir et organiser le pouvoir direct du Mental sur la Vie et celui du Mental et de la Vie sur la Matière, pouvoir mystérieux, occulte, qui n'est pas encore extérieurement développé C'est en même temps un effort pour établir une communication avec des mondes et des entités qui se trouvent sur les hauteurs et dans les profondeurs supraphysiques, à des niveaux intermédiaires de l'Être cosmique, et pour que cette communion serve à la maîtrise d'une Vérité plus haute et qu'elle aide l'homme dans sa volonté de se rendre maître des puissances et des forces de la Nature. Cette aspiration humaine s'appuie sur la croyance, l'intuition ou la révélation que nous ne sommes pas de simples créatures de boue, mais des âmes, des intelligences, des volontés qui peuvent connaître tous les mystères de ce monde et de tous les autres mondes, et devenir non seulement les élèves de la Nature, mais ses initiés et ses maîtres. L'occultiste a également cherché à connaître le secret des choses physiques, et par cet effort il fit progresser l'astronomie, inventa la chimie, donna une impulsion à d'autres sciences, et il sut utiliser aussi bien la géométrie que la science des nombres ; mais il chercha davantage encore à connaître les secrets surnaturels. En ce sens, on pourrait décrire l'occultisme comme la science du surnaturel; mais en fait, ce n'est que la découverte du supraphysique, le dépassement des limites matérielles — dans sa réalité profonde, l'occultisme n'est pas une impossible chimère qui espère dépasser toutes les forces de la Nature et s'en affranchir pour que la fantaisie pure et le miracle arbitraire règnent tout-puissants. Ce qui nous semble surnaturel est en fait, ou bien une irruption spontanée dans la Nature physique de phénomènes appartenant à une autre Nature, ou bien, par le travail de l'occultiste, la possession d'une connaissance et d'un pouvoir appartenant à un ordre ou à un degré supérieur de l'Être ou de l'Énergie cosmiques, et l'application de leurs forces et de leurs processus pour obtenir certains effets dans le monde physique en se saisissant des possibilités de communication entre ces plans et des moyens de réalisation matérielle. Certains pouvoirs du mental et de la force vitale, qui n'ont pas été inclus dans la systématisation mentale et vitale actuelle que la Nature a opérée dans la matière, existent potentiellement et peuvent être amenés à agir sur les choses et les circonstances matérielles, ou même introduits dans cette organisation, à laquelle ils viendraient s'ajouter pour élargir la maîtrise du mental sur notre vie et notre corps, ou pour agir sur le mental, la vie et le corps des autres, ou sur le mouvement des Forces cosmiques. De nos jours, la reconnaissance de l'hypnotisme est un exemple d'une telle découverte et de l'emploi systématique, bien qu'il soit
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encore étroit et limité — limité dans. sa -méthode et ses formules —-,; de pouvoirs occultes qui, autrement, ne nous touchent que par leur action accidentelle ou cachée, et dont le processus nous est inconnu, ou connu d'un petit nombre seulement et imparfaitement compris. Nous sommes en effet continuellement soumis à un flot de suggestions — dans nos pensées, nos impulsions, dans notre volonté, nos émotions et nos sensations, vagues mentales et vitales —, qui viennent des autres ou de l'Énergie universelle et se déversent .sur nous ou en nous,-mais qui agissent et produisent leurs effets à notre insu. L'effort systématique pour connaître ces mouvements, leur loi et leurs possibilités, pour maîtriser et utiliser le pouvoir ou la force de la Nature qui se trouve derrière eux, ou pour s'en prémunir, relèverait de l'un des domaines de l'occultisme, et même d'une petite partie de ce domaine ; car vastes et multiples sont les champs, les usages, les méthodes possibles de cette Connaissance, très peu explorée, qui couvre un immense territoire.
À l'âge moderne, à mesure que la science physique étendait ses découvertes, qu'elle libérait et mettait en œuvre les forces matérielles secrètes de la Nature sous la direction de la connaissance humaine et pour l'usage humain, l'occultisme passait à l'arrière-plan, et il fut finalement écarté sous prétexte que le physique seul est réel, et que le mental et la vie ne sont que des activités secondaires de la matière. Partant de cette base et convaincue que l'Énergie matérielle est la clef de toutes choses, la science a essayé d'obtenir la maîtrise des opérations mentales et vitales, par la connaissance des instruments et des processus matériels qui régissent le fonctionnement de notre mental et de notre vie et de leurs activités normales et anormales ; le spirituel, considéré comme une simple forme de la mentalité, restait ignoré. On peut observer, en passant, que si cette tentative réussissait, elle pourrait mettre en danger l'existence de l'espèce humaine, comme peuvent le faire certaines autres découvertes scientifiques, maintenant mal utilisées ou utilisées maladroitement par une humanité qui n'est ni mentalement ni moralement prête à manier des pouvoirs si considérables et si dangereux. Car ce serait là une maîtrise artificielle, appliquée sans aucune connaissance des forces secrètes qui sont à la base de notre existence et la soutiennent. Ainsi l'occultisme, en Occident, fut écarté sans peine, car il n'y a jamais atteint sa majorité; il n'a jamais acquis aucune maturité, aucun fondement philosophique, aucune base théorique solide. Ou bien il se complaisait trop librement dans le roman du surnaturel, ou commettait l'erreur de concentrer son
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effort principal sur la découverte de formules et de méthodes efficaces pour utiliser les pouvoirs supranormaux. Il dégénéra en magie blanche ou noire, ou s'affubla de l'attirail romanesque ou thaumaturgique d'un mysticisme occulte, exagérant l'importance de ce qui, après tout, n'était qu'une connaissance pauvre et limitée. Ces tendances et la fragilité de son fondement intellectuel, firent de l'occultisme une science difficile à défendre que l'on pouvait aisément discréditer, une cible facile et vulnérable. En Égypte et en Orient, cette ligne de connaissance aboutit à un effort plus vaste et plus global. On peut trouver la trace de cette plus grande maturité, encore intacte, dans le remarquable système des Tantra. Ce système était non seulement une science très complète du supranormal, mais fournissait la base de tous les éléments occultes de la religion, et il a même donné naissance à un grand et puissant système de discipline et de réalisation spirituelles. Car l'occultisme le plus élevé est celui qui découvre les mouvements secrets et les possibilités dynamiques et supranormales du mental, de la vie et de l'esprit et qui les utilise, avec leur force naturelle ou en appliquant certains procédés, pour donner une efficacité plus grande à notre être mental, vital et spirituel.
Dans la conception populaire, on associe l'occultisme à la magie et aux formules magiques et ce serait soi-disant une technique du supranaturel. Mais ce n'en est qu'un aspect ; l'occultisme n'est pas non plus une simple superstition, comme l'imaginent prétentieusement ceux qui n'ont pas étudié en profondeur, ou n'ont pas étudié du tout, cet aspect caché de la Force secrète de la Nature, ni éprouvé ses possibilités. Les formules et leur application, l'utilisation mécanique des forces latentes, peuvent être étonnamment efficaces dans l'usage occulte du pouvoir mental et du pouvoir vital, comme elles le sont dans la science physique ; mais ce n'est là qu'une méthode subordonnée et une orientation limitée. Car les forces mentales et vitales sont plastiques, subtiles et variables dans leur action; elles n'ont pas la rigidité de la matière; une intuition plastique et subtile est nécessaire pour les connaître, pour interpréter leur action et leurs processus, et en faire l'application, et même pour interpréter ou utiliser leurs formules établies. Insister trop sur la mécanisation et sur des formules rigides, risque de provoquer une stérilisation ou une formalisation qui limite la connaissance, et, sur le plan pratique, d'entraîner beaucoup d'erreurs, de conventions ignorantes, d'applications erronées et d'échecs. Maintenant que nous sommes en train de dépasser Cette superstition selon laquelle la Matière serait la seule vérité, il devient
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possible de revenir à l'ancien occultisme et d'en; découvrir de nouvelles formulations, d'entreprendre un examen scientifique des secrets du mental et de ses pouvoirs encore cachés, et une étude attentive des phénomènes psychiques et psychologiques, anormaux ou supranormaux ; déjà, cette orientation nouvelle est en partie visible. Mais si elle doit atteindre son but, il faudra redécouvrir le vrai fondement, le vrai but et la vraie direction de cette ligne de recherche, ainsi que ses limites et les précautions nécessaires. Son but principal doit être la découverte des vérités et des pouvoirs cachés de la force mentale et du pouvoir vital, et celle des pouvoirs plus grands encore de l'esprit caché. La science de l'occulte est essentiellement la science du subliminal — du subliminal en nous-mêmes et du subliminal dans la Nature universelle —, et de tout ce qui est en rapport avec le subliminal, y compris le subconscient et le supraconscient, et elle doit être utilisée comme un élément de la connaissance de soi et de la connaissance du monde, servir à une vraie dynamisation de cette connaissance.
Aborder intellectuellement la connaissance la plus haute et en prendre possession mentalement, est une aide indispensable à cette orientation nouvelle de la Nature dans l'être humain. Généralement, à la surface, le principal instrument de pensée et d'action dont l'homme dispose est la raison, l'intellect qui observe, comprend et organise. Pour tout progrès, toute évolution intégrale de l'esprit, il faut non seulement développer l'intuition, la vision et la perception intérieures, la dévotion du cœur, une expérience vivante, profonde et directe des choses spirituelles, mais éclairer et satisfaire l'intellect, aider notre mental pensant et réfléchi à comprendre, à concevoir de façon rationnelle et systématique le but, la méthode et les principes de ce développement et de cette activité supérieurs de notre nature, et la vérité qui s'étend au-delà. La réalisation et l'expérience spirituelles, la connaissance intuitive et directe, la croissance de la conscience intérieure, la croissance de l'âme et d'une intime perception de l'âme, d'une vision, d'un sens de l'âme, sont en fait les vrais moyens de cette évolution; mais l'appui de la raison critique et réfléchie est aussi d'une grande importance. Si beaucoup peuvent s'en passer parce qu'ils ont un contact direct et vivant avec les réalités intérieures et qu'ils se satisfont de l'expérience et de la vision intérieure, cet appui n'en est pas moins indispensable dans le mouvement total de l'évolution. Si la vérité suprême est une Réalité spirituelle, alors l'intellect de l'homme a besoin de connaître la nature
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de cette Vérité originelle, et le principe de ses relations "avec te reste de l'existence, avec nous-mêmes et l'univers. Par lui-même, l'intellect n'est pas capable de nous mettre en rapport avec la Réalité spirituelle concrète, mais il peut nous venir en aide par une formulation mentale de l'a vérité de l'Esprit, formulation qui explique cette vérité au mental et qui peut même être utilisée dans une recherche plus directe ; cette aide est d'une importance capitale.
Notre mental pensant s'intéresse surtout à l'énoncé général de la vérité spirituelle, à la logique de son absolu et à la logique de ses relativités, et il veut savoir comment ces deux logiques se situent l'une par rapport à l'autre, comment l'une conduit à l'autre, et quelles sont les conséquences mentales du théorème spirituel de l'existence. Mais, en dehors de cette compréhension et de cette formulation intellectuelles qui constituent son rôle principal et auxquelles il a droit, l'intellect cherche à exercer un contrôle critique. Il peut admettre l'extase et d'autre expériences spirituelles concrètes, mais il exige de savoir sur quelles vérités de l'être, sûres et bien ordonnées, ces expériences sont fondées. De fait, sans une telle vérité connue et vérifiable, notre raison pourrait trouver' ces expériences incertaines et inintelligibles et s'en détourner sous prétexte qu'elles ne sont peut-être pas fondées sur la vérité, ou bien les soupçonner d'être entachées d'erreur dans leur forme, sinon dans leur fondement, et même d'être une aberration du mental vital Imaginatif, des émotions, des nerfs ou des sens. Au cours de ce passage ou de ce transfert du physique et du sensible à l'invisible, ceux-ci peuvent en effet s'égarer et poursuivre des lumières trompeuses, ou, du moins, recevoir de travers des choses qui, valables en elles-mêmes, sont défigurées par une interprétation fausse ou imparfaite .de ce qui a été perçu, ou par un désordre et une confusion des vraies valeurs spirituelles. Si la raison se trouve obligée d'admettre la dynamique de l'occultisme, là encore elle s'attachera surtout à la vérité, au système juste et à la signification réelle des forces mises en œuvre ; elle cherchera à savoir si la signification est bien celle que l'occultiste lui attribue, ou si elle est autre, quelque chose de plus profond peut-être, qui a été mal interprété dans ses relations et ses valeurs essentielles, ou qui na pas reçu sa vraie place dans l'ensemble de l'expérience. Car le rôle actif de notre intellect est d'abord de comprendre, puis de critiquer et finalement d'organiser, de diriger et de former.
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Le moyen qui nous permet de répondre à ce besoin nous a été fourni par notre nature mentale : c'est la philosophie, et, dans ce domaine, ce doit être une philosophie spirituelle. De tels systèmes ont foisonné en Orient ; partout où s'est produit un développement spirituel d'importance, une philosophie, presque toujours, est apparue pour le justifier à l'intellect. La méthode suivie fut d'abord celle d'une vision et d'une expression intuitives, comme dans la pensée insondable et le langage profond des Upanishad, mais une méthode critique, un système dialectique solide, une organisation logique se développèrent par la suite. La philosophie devint un exposé intellectuel¹ ou une justification logique de ce qui avait été découvert par la réalisation intérieure, ou servit elle-même de base mentale ou de méthode systématique pour la réalisation et l'expérience². En Occident, où l'esprit syncrétique fit place à l'esprit analytique et discriminant, l'aspiration spirituelle et la raison intellectuelle se séparèrent presque aussitôt; la philosophie s'orienta d'emblée vers une explication purement intellectuelle et rationnelle des choses. Cependant, des philosophies telles que le pythagorisme, le stoïcisme et l'épicurisme, eurent une influence dynamique, non seulement sur la pensée, mais sur la conduite de la vie ; elles élaborèrent une discipline et firent un effort vers la perfection intérieure de l'être. Cette tendance atteignit par la suite un plan spirituel plus élevé de la connaissance dans les structures mentales chrétiennes ou néo-païennes où l'Orient et l'Occident se rencontrèrent. Mais plus tard, l'intellectualisation devint complète et la philosophie perdit tout contact avec la vie et ses énergies, avec l'esprit et son dynamisme, ou se trouva réduite au peu que la pensée métaphysique réussit à faire pénétrer dans la vie et l'action par une influence abstraite et secondaire. En Occident, la religion s'est appuyée non sur la philosophie, mais sur une théologie dogmatique; parfois une philosophie spirituelle réussissait à émerger par la seule force d'un génie individuel, mais ce n'était pas, comme en Orient, un complément indispensable à toute voie importante d'expérience et d'effort spirituels. Il est vrai qu'un développement philosophique de la pensée spirituelle n'est pas absolument indispensable; en effet, les vérités de l'esprit peuvent être atteintes plus directement et plus complètement par l'intuition et par un contact intérieur concret. Il faut ajouter que le contrôle critique de l'intellect sur l'expérience spirituelle est sujet
¹Par exemple : la Gîta.
²Par exemple : la philosophie appelée " Yoga de Patanjali ;
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à caution et peut être gênant, car c'est une lumière inférieure dirigée vers un domaine d'illumination supérieure. Le vrai pouvoir de contrôle" c'est un discernement intérieur, un sens et un tact psychiques, l'intervention supérieure d'une direction qui vient d'en haut, ou une direction intérieure, innée et lumineuse. Pourtant, cette ligne de développement est aussi nécessaire, parce qu'il faut jeter un pont entre l'esprit et la raison intellectuelle. La lumière d'une intelligence spirituelle, ou tout au moins spiritualisée, est nécessaire à la plénitude de notre évolution intérieure totale; sans elle, et si une autre direction plus profonde fait défaut, le mouvement intérieur risque d'être fantaisiste et indiscipliné, trouble et mélangé d'éléments non spirituels, ou unilatéral et incomplet dans son universalité. Pour que l'Ignorance se transforme en Connaissance intégrale, la croissance en nous d'une intelligence spirituelle prête à recevoir une lumière supérieure et à la diriger vers toutes les parties de notre nature, est une nécessité intermédiaire d'une grande importance.
Mais aucune de ces trois voies d'approche, la religion, l'occultisme et la pensée spirituelle, ne peut par elle-même accomplir entièrement le dessein supérieur et ultime de la Nature; elles ne peuvent pas créer un être spirituel en l'homme mental, à moins d'ouvrir la porte à l'expérience spirituelle. Pour que l'être spirituel puisse émerger, il faut qu'ait eu lieu la réalisation intérieure du but que se proposent ces trois voies de recherche, ainsi que l'expérience indiscutable ou de nombreuses expériences qui s'accumulent et produisent un changement intérieur, et une transmutation de la conscience, une libération de l'esprit hors de son voile actuel mental, vital et corporel. Telle est la ligne ultime du progrès de l'âme que les autres annoncent, et quand elle est prête à se dégager des voies d'approche préliminaires, c'est que le vrai travail a commencé et que le tournant décisif de la transformation n'est plus éloigné. Jusqu'à présent, tout ce que l'être mental humain a pu faire, c'est de se familiariser avec l'idée qu'il y a des choses qui le dépassent, qu'il existe d'autres mouvements dans des mondes au-delà, avec l'idéal d'une perfection morale ; il peut aussi prendre contact avec les Puissances ou les Réalités plus grandes qui aident son mental, son cœur ou sa vie. Un changement peut se produire, mais ce n'est pas la transmutation de l'être mental en un être spirituel. Jadis, la religion, la pensée religieuse, la morale et le mysticisme occulte donnèrent naissance au prêtre et au mage, à l'homme pieux, l'homme juste, l'homme sage, aux nombreux et hauts sommets d'une humanité mentale ; mais c'est seulement après
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que l'expérience spirituelle eut commencé dans le cœur et le mental, que nous voyons paraître le saint, le prophète, le rishi, le yogi, le voyant, le sage spirituel et le mystique ; et ce sont les religions au sein desquelles ces types d'humanité spirituelle apparurent, qui ont duré, couvert le globe et donné à l'homme toute son aspiration et sa culture spirituelles.
Quand l'élément spirituel se dégage dans la conscience et revêt un caractère distinct, ce n'est au début qu'un petit noyau, une tendance qui grandit, la lumière d'une expérience exceptionnelle au milieu de cette grande masse du mental non éclairé, du vital et du physique de l'être humain normal, qui forme le moi extérieur et où se concentrent nos préoccupations naturelles. De premiers essais se font; l'évolution est lente et l'émergence hésitante. Une des formes préliminaires de la spiritualité, est une sorte de religiosité qui n'a pas un pur caractère spirituel ; c'est plutôt un effort du mental ou de la vie pour découvrir en eux-mêmes un support ou un élément spirituel. À ce stade, l'homme se préoccupe surtout d'utiliser les contacts qu'il peut obtenir ou établir avec ce qui est au-delà de lui, pour aider ou servir ses idées mentales ou son idéal moral, ou ses intérêts vitaux et physiques. La véritable orientation vers un changement spirituel ne s'est pas encore produite. Ses premières manifestations véritables prennent la forme d'une spiritualisation de nos activités naturelles, d'une influence qui les pénètre ou les dirige; certaines parties ou certaines tendances du mental ou du vital reçoivent cette influence ou cet influx préparatoire ; la pensée prend une tournure spirituelle, elle s'élève et s'illumine, l'être émotif et l'être esthétique se spiritualisent eux aussi, ainsi que la formation éthique du caractère; certaines actions de la vie, certains mouvements vitaux dynamiques de la nature humaine commencent à exprimer ce nouvel élan spirituel. Ou encore, ce peut être la perception d'une lumière intérieure, d'une direction ou d'une communion, d'une Autorité supérieure au mental et à. la volonté, à laquelle quelque chose en nous obéit; mais tout n'est pas encore remodelé par cette expérience spirituelle. Quand ces intuitions et ces illuminations deviennent plus insistantes et se canalisent, quand elles forment une base intérieure solide et qu'elles veulent gouverner toute la vie et prendre en charge la nature, alors commence la formation spirituelle de l'être ; alors nous voyons apparaître le saint et le serviteur de Dieu, le sage spirituel, le voyant, le prophète, le combattant de l'esprit. Tous s'appuient sur une partie de leur être naturel, mais soulevée par une lumière, une force ou une extase spirituelles :
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le sage et le voyant vivent dans le mental spirituel, leur pensée ou leur vision est gouvernée et modelée par la lumière intérieure d'une plus grande et divine connaissance. L'adorateur de Dieu vit dans l'aspiration spirituelle de son cœur, et c'est cela qu'il veut offrir, c'est cela qu'il recherche. Le saint suit les inspirations de son être psychique qui s'est éveillé au plus profond de son cœur et qui est devenu assez puissant pour gouverner l'être émotif et vital. Les autres s'appuient sur la nature vitale dynamique mue par une énergie spirituelle supérieure qui la dirige vers une action inspirée, une mission ou un travail ordonné par Dieu, le service d'un Pouvoir divin, d'une idée ou d'un idéal. La dernière et la plus haute émergence est celle de l'homme libéré qui a réalisé en lui le Moi et l'Esprit, qui est entré dans la conscience cosmique, s'est uni à l'Éternel et, pour autant qu'il accepte encore la vie et l'action, agit par la lumière et l'énergie du Pouvoir qui est en lui et œuvre à travers lui au moyen des instruments humains de la Nature. La plus vaste expression de ce changement et de cet accomplissement spirituels est une libération totale de l'âme, du mental, du cœur et de l'action, qui sont refaçonnés, immergés dans la perception du Moi cosmique et de la divine Réalité.¹ Alors, l'évolution spirituelle de l'individu a trouvé son chemin et dévoilé l'étendue de ses sommets himâlayens, les cimes de sa plus haute nature. Au-delà de ces hauteurs et de cette immensité, seules demeurent la voie de l'ascension supramentale, ou la Transcendance ineffable.
'Tel a donc été, jusqu'à présent, le cours suivi par la Nature pour accomplir l'évolution de l'homme spirituel dans l'être humain mental ; et l'on peut se demander quel est le juste bilan de cet accomplissement, et sa signification réelle. Il s'est produit, récemment, une réaction dans ce domaine qui concerne la vie du mental dans la Matière, et cette grande orientation spirituelle, ce rare changement ont été tournés en ridicule et considérés, non comme une vraie évolution de la conscience, mais plutôt comme la sublimation d'une grossière ignorance s'écartant de la véritable évolution humaine, qui devrait être uniquement une évolution de la puissance vitale, du mental physique pragmatique, de la raison qui gouverne la pensée et la conduite humaines, et de l'intelligence qui découvre et organise. Durant cette période, la religion fut écartée comme une superstition démodée, la réalisation et l'expérience spirituelles furent
¹Telle est l'essence de l'idéal spirituel et de la réalisation spirituelle que nous propose la Gîtâ.
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discréditées comme un mysticisme fumeux. Selon cette conception, le mystique est un homme qui se détourne du réel pour se plonger dans les régions occultes d'un pays de chimères qu'il se construit lui-même, et où il s'égare. Ce jugement naît d'une vision des choses qui ne peut manquer de tomber elle-même en discrédit, car elle repose finalement sur une perception fausse, à savoir que la matière seule est réelle et que la vie extérieure a seule de l'importance. Ce point de vue matérialiste extrême mis à part, l'intellect et le mental physique, avides d'accomplissement dans la vie humaine — car telle est bien la mentalité générale, la tendance moderne dominante —, peuvent soutenir, et soutiennent encore, que la tendance spirituelle dans l'humanité n'a pas abouti à grand-chose, qu'elle n'a pas résolu le problème de la vie, ni aucun dés problèmes auxquels l'homme se trouve confronté. Ou bien le mystique se détache de la vie, comme l'ascète tourné vers l'autre monde ou le visionnaire détaché de ce monde, et ne peut donc aider la vie; ou bien il n'apporte aucune solution, aucun résultat meilleur que n'en apporte l'homme pratique ou l'homme intelligent et raisonnable. En intervenant, il brouille plutôt les valeurs humaines et les fausse avec sa lumière étrangère et invérifiable, obscure pour la compréhension humaine, @t;il porte la confusion dans les problèmes essentiels, simples et pratiques, que la vie nous pose.
Mais ce n'est pas de ce point de vue que l'on peut juger ou apprécier la vraie signification de l'évolution spirituelle en l'homme, ou la valeur de la spiritualité; car la vraie tâche de celle-ci n'est pas de résoudre les problèmes humains sur les bases mentales passées,au présentes, mais de créer de nouvelles fondations pour notre être, notre vie et notre connaissance. La tendance du mystique vers l'ascétisme ou vers l'au-delà n'est qu'une affirmation extrême de son refus d'accepter les limitations imposées par la Nature matérielle. Sa vraie raison d'être, en effet, est de la dépasser — s'il ne peut la transformer, il doit l'abandonner. Mais l'homme spirituel n'est pas toujours resté complètement à l'écart de la vie de l'humanité; car le sentiment d'unité avec tous les êtres, l'affirmation d'un amour et d'une compassion universels, la volonté de dépenser son énergie pour le bien de toutes les créatures,¹
¹Bhagavad-Gîtâ. La compassion, karunâ, et la sympathie universelles que les bouddhistes ont élevées au rang du plus haut principe d'action [vasudhaiva kutumbakam, " toute la terre est ma famille "), et l'insistance chrétienne sur l'amour, témoignent dé ce côté dynamique de l'être spirituel.
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sont essentiels à l'épanouissement dynamique de l'esprit. Il s'est donc tourné vers les créatures pour les aider ; il les a guidées, comme le firent les anciens Rishis ou les prophètes, ou il a consenti à créer, et, partout où il l'a fait avec l'aide du pouvoir direct de l'Esprit, les résultats ont été prodigieux. Cependant, la solution que nous offre la spiritualité n'est pas une solution par des moyens extérieurs — bien que ceux-ci aussi doivent être employés —, mais par un changement intérieur, par une transformation de la conscience et de la nature humaines.
Si le résultat général n'a pas été décisif, mais seulement partiel — un simple apport de quelques éléments nouveaux plus épurés à la totalité de la conscience —, et s'il n'y a pas eu de transformation de la vie, c'est parce que la masse des hommes a toujours fait dévier l'impulsion spirituelle, parce qu'elle a désavoué l'idéal spirituel ou l'a considéré comme une simple forme et qu'elle a repoussé le changement intérieur. On ne peut pas demander à la spiritualité de s'occuper de la vie par des méthodes non spirituelles, ou d'essayer de guérir ses maux par des panacées, par les remèdes mécaniques, politiques, sociaux ou autres, que le mental essaie constamment, remèdes qui ont toujours échoué et qui échoueront toujours à résoudre quoi que ce soit. Les changements les plus radicaux accomplis de cette façon ne changent rien ; car les vieux maux persistent sous une forme nouvelle. Le milieu extérieur est modifié en apparence, mais l'homme demeure ce qu'il était, un être mental ignorant qui fait mauvais usage de sa connaissance ou s'en sert d'une manière inefficace, un être mû par l'ego et gouverné par ses passions et ses désirs vitaux, et par les besoins de son corps, un être superficiel et non spirituel dans sa manière de voir, ignorant de son propre moi et des forces qui le dirigent et se servent de lui. Dans la vie, ses constructions ont une valeur en tant qu'expressions de son être individuel et de son être collectif au stade qu'ils ont atteint, ou comme un procédé pour la satisfaction et le bien-être des parties physiques et vitales de son être, et comme terrain et instrument de sa croissance mentale, mais elles ne peuvent le conduire au-delà de son moi actuel, ni servir de moyen pour lé transformer; sa perfection, et la leur également, ne peuvent venir que d'une évolution plus poussée. Seul un changement spirituel, une évolution de son être depuis le mental superficiel jusqu'à la conscience spirituelle plus profonde, peut changer les choses de façon effective et réelle. Découvrir en lui-même l'être spirituel, est la tâche principale de l'homme spirituel, et aider les autres à suivre la même évolution, le vrai
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service qu'il peut rendre à l'espèce ; tant que cela n'est pas fait, une aide extérieure peut secourir et soulager, mais rien de plus n'est possible, ou fort peu.
Il est vrai que la tendance spirituelle a été de regarder au-delà de la vie plutôt que vers la vie. Il est vrai aussi que le changement spirituel a été individuel et non collectif; il s'est accompli dans l'individu, mais n'a pas réussi ou n'a eu que des effets indirects dans la masse humaine. L'évolution spirituelle de la Nature est encore en cours, incomplète — on pourrait presque dire qu'elle ne fait que commencer —, et sa principale préoccupation a été d'assurer et de développer la base d'une conscience et d'une connaissance spirituelles, et de créer un fondement ou une formation de plus en plus vaste pour la vision de ce qui est éternel dans la vérité de l'esprit. C'est seulement quand, par l'individu, la Nature aura pleinement affermi cette évolution et cette formation intensives, que l'on pourra s'attendre à quelque chose de radical, marqué par une expansion ou une diffusion dynamique, ou qu'une tentative de vie spirituelle collective pourra devenir permanente; de telles tentatives ont bien été faites, mais elles ont surtout servi de champ de protection pour une croissance spirituelle individuelle. Jusque-là, en effet, l'individu doit se préoccuper de son propre problème, qui est de changer entièrement son mental et sa vie à l'image de la vérité de l'esprit qu'il est en voie de réaliser ou qu'il a déjà réalisée dans sa connaissance et son être intérieurs. Toute tentative prématurée de vie spirituelle collective sur une grande échelle, risque d'être viciée par une connaissance spirituelle incomplète dans son aspect dynamique, par les imperfections des chercheurs eux-mêmes, et par les intrusions de la conscience mentale, vitale et physique ordinaire, qui s'empare de la vérité et la mécanise, l'obscurcit ou la corrompt. L'intelligence mentale et son pouvoir principal, la raison, ne peuvent transformer le principe de la vie humaine et son caractère enraciné — tout ce qu'elles peuvent faire, c'est effectuer des systématisations, des manipulations, des formulations et des constructions variées — et le mental, dans son ensemble, même lorsqu'il est spiritualisé, n'en est pas non plus capable. La spiritualité libère et illumine l'être intérieur, elle aide le mental à communiquer avec ce qui lui est supérieur, et même à s'évader de lui-même; elle peut, par une influence intérieure, purifier et élever la nature extérieure de certains êtres humains, individuellement ; mais tant qu'il lui faut travailler dans la masse humaine avec le mental comme
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instrument, elle peut, certes, exercer une influence sur la vie terrestre, mais elle n'a pas le pouvoir de la transformer. C'est pour cette raison que le mental spirituel a eu le plus souvent tendance à se satisfaire d'une telle influence et, en général, à chercher l'accomplissement ailleurs, dans une vie au-delà, ou à renoncer entièrement à tout effort extérieur pour se concentrer exclusivement sur la perfection spirituelle ou le salut de l'individu. Une dynamis instrumentale supérieure au mental est nécessaire pour transformer totalement une nature créée par l'Ignorance.
Au mystique et à la connaissance mystique, on oppose d'autres objections, non pas contre l'action de cette connaissance sur la vie, mais contre la méthode employée par le mystique pour découvrir la Vérité et contre la Vérité qu'il découvre. On reproche notamment à cette méthode d'être purement subjective — elle n'aurait pas de vérité indépendamment de la conscience personnelle et ses interprétations ne seraient pas vérifiables. Mais c'est un argument spécieux, car le but du mystique est la connaissance de soi et la connaissance de Dieu, et l'on ne peut y atteindre qu'en tournant son regard vers le dedans, et non vers le dehors. Ou si c'est la Vérité suprême des choses qu'il recherche, il ne saurait l'atteindre non plus par une quête extérieure, à l'aide des sens, ni par un examen ou une recherche qui se fondent sur les apparences superficielles, ni par des spéculations qui s'appuient sur les données incertaines d'un moyen indirect de connaissance. Il ne pourra y atteindre que par une vision ou un contact direct de la conscience avec l'âme et le corps de la Vérité elle-même, ou par une connaissance par identité, lorsque notre moi devient un avec le moi des choses, avec la vérité de leur pouvoir et la vérité de leur essence. Mais on soutient que cette méthode n'aboutit pas en fait à une vérité unique, générale, et que ses résultats varient considérablement. Ce qu'on suggère par là, c'est que cette connaissance n'est pas du tout la vérité, mais une construction mentale subjective. Cette objection repose sur une incompréhension de la nature de la connaissance spirituelle. La vérité spirituelle est une vérité de l'esprit, et non une vérité de l'intellect, ce n'est pas un théorème mathématique ou une formule logique. C'est une vérité de l'Infini, .une dans sa diversité infinie, et elle peut revêtir des apparences et des formes infiniment variées. Dans l'évolution spirituelle, il est inévitable que l'on doive atteindre la Vérité unique par de multiples chemins, et la saisir sous de multiples aspects; cette multiplicité est le signe que l'âme s'approche d'une réalité vivante, non d'une abstraction ou d'une
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représentation artificielle des choses qui peut se pétrifier et se changer en une formule figée ou morte. La conception intellectuelle, logique, intransigeante, qui veut que la vérité soit une idée unique, reconnue de tous, une conception ou un système qui élimine toutes les autres conceptions et tous les autres systèmes, ou qu'elle soit un fait limité unique, un unique assemblage de faits que tous doivent admettre, est l'expression d'une vérité limitée du domaine physique, mais appliquée au domaine beaucoup plus complexe et plastique de la vie, du mental et de l'esprit, elle perd toute légitimité.
Cette transposition abusive a fait beaucoup de mal; elle a rendu la pensée étroite, bornée, intolérante à l'égard de la diversité et de la multiplicité indispensables des points de vue, sans lesquelles la vérité ne peut être découverte dans sa totalité ; et cette étroitesse, cette limitation, ont été la cause d'une grande obstination dans l'erreur. La philosophie s'est vue ainsi réduite à, un interminable dédale de discussions stériles; la religion a commis la même erreur et s'est laissée contaminer par un dogmatisme sectaire, par la bigoterie et l'intolérance. La vérité de l'esprit est une vérité de l'être et de la conscience, non une vérité de la pensée; les idées mentales ne peuvent que représenter ou formuler quelques-unes de ses facettes, traduire mentalement quelques-uns de ses principes ou de ses pouvoirs, ou en énumérer les aspects; mais pour la connaître, on doit la devenir et la vivre; sans ce devenir, sans ce vécu, il ne peut y avoir de connaissance spirituelle véritable. La vérité fondamentale de l'expérience spirituelle est une, sa conscience est une, partout elle suit les mêmes tendances, les mêmes lignes générales qui permettent de s'éveiller à l'être spirituel et de le devenir progressivement ; car tels sont les impératifs de la conscience spirituelle. Mais il existe aussi, basées sur ces impératifs, d'innombrables possibilités de variation dans l'expérience et l'expression ; la centralisation et l'harmonisation de ces possibles, mais aussi la poursuite exclusive et intensive d'une de ces lignes d'expérience, sont deux mouvements également nécessaires à l'émergence en nous de la Force-Consciente spirituelle. En outre, la façon dont le mental et la vie s'adaptent à la vérité spirituelle, et la façon dont celle-ci s'exprime en eux, doit varier suivant la mentalité du chercheur, tant qu'il ne s'est pas élevé au-dessus du besoin d'une telle adaptation ou d'une telle expression limitative. C'est de cet élément mental et vital qu'ont surgi les oppositions qui divisent encore les chercheurs spirituels, ou qui explique cette différence dans les affirmations de la vérité dont ils
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ont l'expérience. Cette différence et cette variation sont nécessaires à la liberté de la recherche et de la croissance spirituelles. Surmonter les différences est tout à fait possible, mais c'est dans l'expérience pure que cela se fait le plus facilement ; dans la formulation mentale, la différence doit subsister jusqu'à ce que l'on puisse dépasser complètement le mental et que, dans une plus haute conscience, on ait intégré, unifié et harmonisé la vérité multiple de l'Esprit.
L'évolution de l'homme spirituel comporte nécessairement de nombreuses étapes et, à chaque étape, la formation individuelle de l'être, la conscience, la vie, le tempérament, les idées, le caractère, présentent une grande diversité. La nature de l'instrument mental et la nécessité d'agir sur la vie, créent naturellement une diversité infinie suivant le stade de développement et l'individualité du chercheur. Quoi qu'il en soit, le domaine de la réalisation et de l'expression spirituelles pures n'est pas obligatoirement une seule, blanche et monotone étendue ; il peut y avoir une grande diversité dans l'unité fondamentale. Le Moi suprême est un, mais les âmes du Moi sont multiples, et telle la formation de la nature par l'âme, telle sera son expression spirituelle. La diversité dans l'unité est la loi de la manifestation ; l'unification et l'intégration supramentales doivent harmoniser ces diversités, mais l'intention de l'Esprit dans la Nature n'est pas de les abolir.
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Un être conscient est le centre du moi, qui gouverne le passé et l'avenir; il est comme un feu sans fumée... Cela, il faut le dégager de son propre corps, avec patience.
Katha Upanishad. 11.1.12,13 ; 11.3.17.
Une intuition dans le cœur voit cette vérité.
Rig-Véda. 1.24.12.
Je demeure dans l'être spirituel et, de là, je détruis l'obscurité née de l'ignorance, avec la lampe illuminatrice de la connaissance.
Gîta. X.11.
Ces rayons sont dirigés vers le bas, leurs fondations sont en haut: puissent-ils s'enfoncer profondément en nous... Ô Varuna, éveille-toi ici-bas, étends largement ton empire; puissions-nous demeurer dans la loi de tes œuvres et rester irréprochables devant la Mère infinie.
Rig-Véda; 1.24.7,11,15.
Le Cygne qui demeure dans la pureté... né de la Vérité, lui-même la Vérité, le Vaste.
Katha Upanishad. 11.2.2.
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Si la seule intention de la Nature, dans l'évolution de l'homme spirituel, est d'éveiller celui-ci à la suprême Réalité et de le délivrer d'elle-même — ou de l'Ignorance derrière laquelle elle s'est masquée en tant que Pouvoir de l'Éternel — en l'incitant à se tourner ailleurs, vers un plus haut état d'être, et si ce stade de l'évolution s'avère être une fin et une issue, alors l'essentiel de son travail est déjà accompli et il ne reste plus rien à faire. Les voies ont été tracées, les capacités nécessaires pour les suivre ont été développées, et le but, l'ultime sommet de la création, a été révélé ; tout ce qui reste à accomplir, c'est, pour chaque âme, d'atteindre individuellement la vraie étape et le vrai tournant de son développement, de s'engager sur les voies spirituelles, et de sortir de cette existence inférieure par le chemin de son choix. Mais nous avons supposé que la Nature avait un plus vaste dessein, non seulement une révélation de l'Esprit, mais une transformation radicale et intégrale de la Nature. Il y a en elle la volonté d'effectuer une vraie manifestation de la vie de l'Esprit dans un corps, d'achever ce qu'elle a commencé, en opérant un passage de l'Ignorance à la Connaissance, de rejeter son masque et de se révéler comme la Conscience-Force lumineuse qui porte en soi l'Existence éternelle et sa Joie d'être universelle. Il devient alors évident que quelque chose n'a pas encore été accompli ; tout ce qui reste à faire apparaît clairement, bhûri aspashta kartvam. Un sommet reste à atteindre, une étendue que doit encore embrasser l'œil de la vision, l'aile de la volonté — l'Esprit doit maintenant s'affirmer dans l'univers matériel. Ce qu'a fait le Pouvoir évolutif, jusqu'à présent, c'est de rendre quelques individus conscients de leur âme, de leur moi, de l'être éternel qu'ils sont, de les mettre en communion avec la Divinité ou la Réalité dissimulée derrière ses apparences. Un certain changement de la nature prépare, accompagne ou suit cette illumination, mais ce n'est pas le changement complet et radical qui établit un nouveau principe sûr et invariable,
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une nouvelle création, un nouvel ordre d'existence permanent dans le domaine de la Nature terrestre. L'homme spirituel est apparu dans l'évolution, mais non l'être supramental qui sera désormais le maître de cette Nature.
Il en est ainsi parce que le principe spirituel ne s'est pas encore affirmé de façon tout à fait indépendante et souveraine. Jusqu'à présent, il a donné à l'être mental le pouvoir de s'évader de lui-même, ou de s'affiner et de s'élever jusqu'à un équilibre spirituel; il a aidé l'Esprit à se libérer du mental et l'être à s'élargir dans un mental et un cœur spiritualisés — mais il ne lui a pas permis, ou du moins pas encore suffisamment, d'affirmer sa propre maîtrise dynamique et souveraine, et ne l'a pas libéré des limitations du mental et des instruments mentaux. D'autres instruments ont commencé à se développer, mais il faut encore que ce développement devienne total et effectif, qu'il cesse, en outre, d'être une création purement individuelle au sein d'une Ignorance originelle, quelque chose de supranormal pour la vie terrestre, voué à demeurer à jamais un accomplissement individuel, le fruit d'un dur labeur. L'emploi de ces instruments doit devenir normal dans la nature d'un type d'être nouveau. De même que le mental est établi ici-bas sur la base d'une Ignorance qui cherche la Connaissance et qui se change en Connaissance, de même le supramental doit s'établir ici-bas sur la base d'une Connaissance qui devient sa propre Lumière plus haute. Mais cela ne peut s'accomplir tant que l'être mental-spirituel ne s'est pas pleinement élevé jusqu'au supramental pour faire descendre ses pouvoirs dans l'existence terrestre; Car un pont doit être jeté sur l'abîme qui sépare le mental du supramental, les passages fermés doivent être ouverts et des routes créées pour monter et descendre, là où maintenant il n'est que vide et silence. Cela ne peut s'accomplir que par la triple transformation dont nous avons déjà parlé brièvement. Il faut d'abord que le changement psychique se produise, la conversion de notre nature actuelle tout entière en un instrument de l'âme ; ensuite, ou en même temps, doit avoir lieu le changement spirituel, la descente d'une lumière, d'une connaissance, d'une puissance, d'une force, d'une félicité, d'une pureté plus hautes, dans tout notre être, même dans les tréfonds de la vie et du corps, même dans l'obscurité de notre subconscience; enfin, couronnant l'ensemble, doit survenir la transmutation supramentale, l'ascension dans le supramental et la descente transformatrice de la Conscience supramentale dans l'intégralité de notre être et de notre nature.
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Au commencement, l'âme dans la Nature, l'entité psychique dont l'épanouissement est le premier pas vers le changement spirituel, est une partie complètement voilée de notre être. Et pourtant, c'est grâce à elle que nous existons et continuons d'exister en tant qu'êtres individuels dans la Nature. Les autres parties qui composent notre nature ne sont pas seulement changeantes, mais périssables, tandis que l'entité psychique en nous persiste et reste toujours et fondamentalement la même. Elle contient toutes les possibilités essentielles de notre manifestation sur terre, mais n'est pas constituée par elles ; elle n'est pas limitée par ce qu'elle manifeste, ni contenue par les formes incomplètes de la manifestation, ni souillée par les imperfections et les impuretés, les défauts, les dépravations de l'être de surface. C'est une flamme toujours pure de la divinité cachée dans les choses, et rien de ce qui vient à elle, rien de ce qui entre dans notre expérience ne peut entacher sa pureté ou éteindre la flamme. Cette substance spirituelle est immaculée et lumineuse, et parce qu'elle est parfaitement lumineuse, elle perçoit immédiatement, intimement, directement la vérité de l'être et la vérité de la nature ; elle est profondément consciente du vrai, du bien et du beau, parce que le vrai, le bien et le beau sont proches de sa nature, ce sont des formes de cela qui est inhérent à sa propre substance. Elle perçoit aussi tout ce qui contredit ces choses, tout ce qui s'écarte de son caractère inné, le mensonge et le mal, ce qui est laid et fruste; mais elle ne devient pas ces choses, elle n'est pas non plus touchée ni modifiée par tout ce qui contredit sa nature et affecte si puissamment ses instruments extérieurs, le mental, la vie et le corps. Car l'âme, l'être permanent en nous crée et utilise le mental, la vie et le corps comme instruments, et bien qu'elle se laisse envelopper et soit influencée par leur condition, elle est différente et plus grande que ses éléments.
Si, dès le début, l'entité psychique avait été dévoilée à ses ministres et connue d'eux, au lieu d'être un souverain dissimulé dans une chambre :secrète, l'évolution humaine aurait été un épanouissement rapide de l'âme, et non ce développement difficile, mouvementé et défiguré que nous voyons à présent; mais le voile est épais et nous ne connaissons pas la Lumière cachée en nous, la lumière dans la crypte secrète du sanctuaire le plus profond du cœur. Des messages s'élèvent de l'âme, la psyché, vers la surface de notre être, mais notre mental n'en discerne; pas la source ; il les prend pour ses propres activités parce que, avant même d'arriver à la surface, ils sont revêtus de substance mentale ; ainsi,
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ignorant leur autorité, il les suit ou ne les suit pas suivant sa tendance ou son humeur. Si le mental obéit à l'impulsion de l'ego vital, il y a peu de chance pour que l'âme puisse diriger la nature ou y manifester tant soit peu sa substance spirituelle secrète et son mouvement naturel ; ou, si le mental est assez présomptueux pour agir selon sa propre petite lumière,'s'il est attaché à son propre jugement, à sa volonté et à l'action de sa connaissance, l'âme restera également voilée et inactive, attendant une évolution plus avancée du mental. Car l'élément psychique au-dedans est là pour soutenir l'évolution naturelle, dont le premier mouvement doit être le développement successif du corps, ;de "la vie et du mental; ceux-ci doivent donc agir chacun suivant sa propre nature ou tous ensemble dans une association mal assortie, pour croître, faire leur expérience et progresser. L'âme recueille l'essence de toutes nos expériences mentales, vitales et corporelles et les assimile pour que notre existence puisse continuer d'évoluer dans la Nature ; mais cette action est occulte, elle ne s'impose pas en surface. Au cours des premières étapes matérielles et vitales de l'évolution de l'être, il n'y a, en fait, aucune conscience de l'âme ; il y a des activités psychiques, mais les instruments, les formes de ces activités sont vitales et physiques, ou mentales quand le mental est actif. Car le mental lui-même ne reconnaît pas leur caractère profond, tant qu'il est primitif ou que son développement reste encore par trop extérieur. Nous pouvons facilement nous considérer comme des êtres physiques, ou des êtres vitaux, ou des êtres mentaux qui se servent de la vie et du corps, et ignorer totalement l'existence de l'âme. Car la seule idée définie que nous ayons de l'âme, c'est qu'elle survit à la mort de notre corps ; mais ce qu'elle est, nous ne le savons pas, et même si nous sommes parfois conscients de sa présence, nous ne sommes pas normalement conscients de sa réalité distincte, pas plus que nous ne sentons clairement son action directe dans notre nature.
À mesure que se poursuit l'évolution, la Nature fait lentement des essais pour manifester les parties occultes de notre être ; elle nous amène à regarder de plus en plus en nous-mêmes, ou elle commence à projeter à la surface, depuis ces parties occultes, des messages et des formations plus clairement reconnaissables. L'âme en nous, le principe psychique, a déjà commencé à prendre secrètement forme; elle crée et développe une personnalité psychique, un être psychique distinct pour la représenter. Cet être psychique reste encore derrière le voile dans la partie subliminale de notre être, comme le mental vrai, le vital vrai,
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ou comme l'être physique vrai ou subtil; mais il agit, lui aussi, sur les couches superficielles de la vie au moyen des influences et des indications qu'il fait remonter à la surface. Celles-ci viennent se joindre à l'agrégat superficiel qui est le produit de l'agglomération des influences et des surgissements intérieurs ; c'est cette formation ou superstructure visible que généralement nous sentons et croyons être nous-même. Sur cette façade d'ignorance nous percevons vaguement quelque chose que l'on peut appeler une âme et qui est distinct du mental, de la vie et du corps, et cette âme nous la sentons non seulement comme l'idée mentale ou le vague instinct que nous avons de nous-même, mais comme une influence perceptible dans notre vie, notre caractère et notre action. Une certaine sensibilité pour tout ce qui est vrai, bon et beau, raffiné, pur et noble, une réceptivité à ces choses, un besoin de ces choses, une pression sur le mental et la vie pour qu'ils les acceptent et les formulent dans nos pensées, nos sentiments, notre conduite, notre caractère, tels sont les signes les plus habituellement reconnus — bien qu'ils ne soient pas les seuls —, les signes les plus généraux et les plus caractéristiques de l'influence de la psyché. De l'homme qui n'a pas cet élément en lui ou qui' ne répond pas du tout à ces incitations, nous disons qu'il n'a pas d'âme. Car c'est cette influence que nous pouvons le plus aisément reconnaître comme la partie subtile ou même divine en nous, et la plus puissante aussi pour orienter lentement notre nature vers quelque perfection.
Cependant, cette influence ou cette action psychique n'émerge pas tout à fait pure, ou ne demeure pas distincte dans toute sa pureté ; sinon nous serions capables de distinguer clairement ce qu'est l'âme en nous et de suivre consciemment et pleinement ses ordres. Une action occulte du mentale, du vital et du physique subtil intervient, se mélange à elle, essaie de s'en servir et de la modifier à ses propres fins, rapetisse sa divinité, déforme ou réduit son expression, la fait même dévier et trébucher, ou la salit avec les impuretés, les petitesses et les erreurs du mental, de la vie et du corps. Après avoir atteint la surface, ainsi altérée et amoindrie, l'influence psychique est saisie par la nature superficielle qui la reçoit de façon obscure et lui donne une forme entachée d'ignorance, et cela peut produire une déviation ou un mélange encore plus prononcés. Une fausse direction est prise, une déformation se produit, une application et une formation fausses, un résultat erroné de ce qui, en soi, est action pure et substance pure de notre être spirituel. Ainsi se forme une conscience qui est un mélange de l'influence et des suggestions psychiques, pêle-mêle
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avec des idées et des opinions mentales, des désirs et des impulsions vitales, et les tendances habituelles du physique. À l'influence psychique obscurcie viennent se mêler également les efforts ignorants, quoique bien intentionnés, des parties extérieures de l'être qui aspirent à une direction plus haute ; une idéation mentale d'un caractère très mélangé, souvent obscure même dans son idéalisme et commettant parfois des erreurs désastreuses, la ferveur et la passion de l'être émotif qui vient jeter l'écume de ses émotions, de ses sentiments et de sa sentimentalité, l'enthousiasme dynamique de l'être vital, les réactions impatientes du physique, les frémissements et les excitations des nerfs et du corps, toutes ces influences se fondent dans un ensemble complexe que l'on prend souvent pour l'âme, et l'on confond cette action mélangée et confuse avec le souffle de l'âme, avec le développement ou l'action du psychique, ou avec une véritable influence intérieure. L'entité psychique elle-même est libre de toute souillure et de tout mélange, mais ce qui en provient ne jouit pas de la même immunité; c'est pourquoi cette confusion devient possible.
En outre, l'être psychique, la personnalité psychique en nous, n'émerge pas d'un seul coup dans toute sa splendeur et sa lumière ; elle évolue, passe par un lent développement et une lente formation. La forme de son être peut apparaître d'abord indistincte, puis demeurer longtemps faible et embryonnaire, non pas impure mais imparfaite; car sa formation et sa croissance dynamique s'appuient sur le pouvoir de l'âme qui, malgré la résistance de l'Ignorance et de l'Inconscience, s'est effectivement soulevé à la surface, avec plus ou moins de succès, au cours de l'évolution. Son apparition est le signe que l'âme émerge dans la Nature, et si cette émergence est encore limitée et imparfaite, la personnalité psychique, elle aussi, sera faible et sa croissance avortée. Elle est en outre séparée de sa réalité intérieure du fait de l'obscurité de notre conscience, et elle ne communique qu'imparfaitement avec sa propre source dans les profondeurs de l'être. En effet, la route est encore mal tracée, elle s'obstrue facilement, les fils sont souvent coupés ou encombrés de communications d'un autre genre, provenant d'une autre source; ce qu'elle reçoit, la personnalité psychique ne peut donc le transmettre qu'imparfaitement aux instruments extérieurs. Vu la pauvreté de ses moyens, elle doit, dans la plupart des cas, s'en remettre à ces intermédiaires, et c'est sur leurs données qu'elle s'appuie et prend son élan pour s'exprimer et agir, et non sur la seule et infaillible perception
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de l'entité psychique. Dans ces conditions, elle ne peut éviter que la vraie lumière psychique soit amoindrie ou déformée en passant par le mental et se réduise à une simple idée ou opinion, que le sentiment psychique dans le cœur se transforme en une émotion faillible ou en simple sentimentalité et que, dans les parties vitales, la volonté d'agir d'origine psychique se change en un enthousiasme vital aveugle ou en une excitation fiévreuse. La personnalité psychique est bien obligée d'accepter ces déformations, faute de mieux, et elle essaie de se réaliser à travers elles, car influencer le mental, le cœur et l'être vital, et orienter leurs idées, leurs sentiments, leurs enthousiasmes, leurs dynamismes vers ce qui est divin et lumineux fait partie de sa mission ; mais cela ne peut se faire qu'imparfaitement au début, avec des lenteurs et des mélanges. À mesure que la personnalité psychique grandit en force, elle communie plus étroitement avec l'entité psychique qui est à l'arrière-plan, et elle améliore ses communications avec la surface. Elle peut transmettre ses messages au mental, au cœur et à la vie avec une pureté et une énergie accrues, car elle est mieux à même d'exercer un contrôle assuré et de réagir contre les altérations ; dès lors, elle se fait sentir de plus en plus distinctement comme un pouvoir dans notre nature. Mais cette évolutions n'en resterait pas moins lente et longue, si elle était laissée à la seul action automatique et laborieuse de l'Énergie évolutive ; c'est seulement quand l'homme s'éveille à la connaissance de l'âme et qu'il sent le besoin de l'amener à la surface et d'en faire la maîtresse de sa vie et de son action, qu'une méthode d'évolution consciente et plus rapide intervient et qu'une transformation psychique devient possible.
Ce lent développement peut être facilité si le mental perçoit clairement en lui quelque chose au-dedans qui survit à la mort du corps, s'il met l'accent sur cela et s'efforce d'en connaître la nature. Mais au début, cette connaissance est retardée du fait que des éléments et des formations multiples se présentent en nous comme des éléments de l'âme et qu'on peut les confondre avec la psyché. Dans la tradition grecque primitive de l'après-vie, et dans certaines autres traditions, les descriptions que l'on en donne montrent très clairement que ce que l'on prenait alors pour l'âme n'était qu'une formation subconsciente, une empreinte subphysique, une ombre de l'être, ou bien un double, un fantôme de la personnalité. Ce fantôme, appelé à tort esprit, est parfois une formation vitale reproduisant les traits caractéristiques de l'homme, les particularités de sa vie de surface, parfois une prolongation physique subtile
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de la forme superficielle de l'enveloppe mentale ; au mieux, c'est une gaine de la personnalité vitale qui subsiste encore en façade pendant quelque temps, après avoir quitté le corps. À part ces confusions nées d'un contact posthume avec des fantasmes rejetés ou avec les vestiges des enveloppes de la personnalité, la difficulté vient aussi de notre ignorance des parties subliminales de notre nature, et de la forme et des pouvoirs de l'être conscient, ou généralement, qui préside à leur action ; et du fait de cette inexpérience, nous pouvons facilement confondre tel élément du mental intérieur ou du moi vital avec le psychique; Car si l'Être est un et cependant multiple, la même loi est également valable pour nous et les parties de notre être : l'Esprit, le généralement est un, mais il s'adapte aux formations de la Nature. À chaque niveau de notre être préside un pouvoir de l'Esprit; nous avons en nous un moi mental, un moi vital, un moi physique, et nous les découvrons quand nous pénétrons assez profondément au-dedans. Il y a un moi mental, ou généralement mental, qui s'exprime partiellement à la surface, à travers les pensées, les perceptions et les activités de notre nature mentale; un moi vital qui s'exprime partiellement à travers les impulsions, les sentiments, les sensations, les désirs et les activités de notre nature vitale dans la vie extérieure; un moi physique, un moi du corps, qui s'exprime partiellement à travers les instincts, les habitudes et les activités extérieures de notre nature physique. Ces êtres ou " moi " partiels en nous sont des pouvoirs de l'Esprit, et comme tels, ils ne sont pas limités par leur expression temporaire, car ce qu'ils formulent ainsi n'est qu'un fragment des possibilités de l'Esprit ; mais en s'exprimant ils créent une personnalité temporaire, mentale, vitale ou physique, qui croît et se développe, comme l'être psychique ou la personnalité psychique grandit et se développe au-dedans de nous. Chacune de ces personnalités a sa propre nature distincte, son influence, son action sur l'ensemble, mais à mesure que cette action et toutes ces influences viennent à la surface, elles se mélangent et créent un agrégat, un être de surface qui est un composé, un amalgame de toutes ces personnalités, une formation extérieure persistante, et cependant changeante et mobile, pour les besoins de cette vie et de son expérience limitée.
Mais du fait de sa composition, cet agrégat est un mélange hétérogène, non un tout harmonieux et homogène. C'est pour cette raison qu'il y a entre les éléments de notre être une confusion, voire un conflit constants, que notre raison et notre volonté mentale se sentent portées
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à maîtriser et à harmoniser ; et elles ont souvent beaucoup de peine à y mettre un semblant d'ordre et de direction. Malgré tout, nous nous laissons plus souvent dériver ou pousser par le courant de notre nature, et nous obéissons à tout ce qui vient momentanément à la surface et se saisit de nos instruments de pensée et d'action — même ce qui nous semble un choix délibéré est, beaucoup plus que nous ne l'imaginons, un automatisme. La coordination des multiples éléments de notre être par la raison et la volonté, et par suite celle de nos pensées, de nos sentiments, nos impulsions, nos actions, est incomplète et palliative. Chez l'animal, la Nature agit suivant ses propres intuitions mentales et vitales; elle établit un ordre par la contrainte de l'habitude et de l'instinct à laquelle l'animal obéit implicitement, si bien que les fluctuations de sa conscience n'ont pas d'importance. Mais l'homme ne peut agir tout à fait. de la même manière sans forfaire à ses prérogatives d'homme ; il ne .peut accepter que son être devienne un chaos d'impulsions et d'instincts gouvernés par l'automatisme de la Nature. En lui, le mental est devenu conscient et se sent donc obligé de faire un effort, si élémentaire soit-il chez beaucoup, pour voir et maîtriser et finalement harmoniser de plus en plus parfaitement les composantes multiples, les tendances différentes et contradictoires qui semblent constituer son être de surface. Il réussit bien à instaurer en lui-même une sorte de chaos organisé, de confusion ordonnée, ou, tout au moins, à croire qu'il se dirige lui-même à l'aide de son mental et de sa volonté propres, alors qu'en réalité cette direction n'est que partielle. En effet, sa raison et sa volonté sont non seulement utilisées par, l'assemblage disparate des forces motrices habituelles, mais aussi par les tendances et les impulsions vitales et physiques qui émergent à chaque instant et ne sont pas toujours prévisibles ou contrôlables, et par de nombreux éléments mentaux incohérents et inharmonieux; tout cela entre dans la construction de son être et détermine le développement de sa nature et son action dans la vie. En son moi, l'homme est une Personne unique, mais il est aussi, dans la manifestation de, son moi, une personne aux multiples facettes, et il ne réussira jamais à devenir maître de lui-même à moins que la Personne ne s'impose aux diverses personnalités et les gouverne. Mais la volonté mentale et la raison de surface n'y réussissent qu'à moitié; cela ne peut se réaliser parfaitement que si l'homme pénètre en lui-même et y découvre l'être central qui, par son influence prédominante, dirige tout ce qu'il exprime et tout ce qu'il fait. Selon la vérité profonde, c'est son âme qui est cet être central, mais extérieurement, concrètement, c'est
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souvent l'un ou l'autre de ses êtres partiels qui gouverne; et il peut prendre à tort ce représentant de l'âme, ce substitut du moi, pour le principe psychique le plus profond.
Cette domination de nos différents moi détermine les étapes du développement de la personnalité humaine telles que nous les avons déjà décrites, et nous pouvons à présent les réexaminer du point de vue du gouvernement de la nature par le principe intérieur. Chez certains êtres humains, c'est le Purusha physique, le moi corporel, qui domine le mental, la volonté et l'action; c'est la création de l'homme physique, qui se préoccupe surtout de sa vie corporelle, de ses impulsions et besoins habituels, de ses habitudes de vie, de ses habitudes mentales et physiques, et fort peu ou pas du tout de ce qui est au-delà, et qui subordonne et limite toutes ses autres tendances et possibilités à cette étroite formation. On trouve pourtant en lui d'autres éléments ; il ne peut vivre tout à fait comme un animal humain, pour qui la naissance et la mort, la procréation et ta satisfaction des impulsions et désirs ordinaires, l'entretien de la vie et du corps, sont les seules préoccupations ; c'est là le type normal de sa personnalité, mais il est exposé, si faiblement que ce soit, à des influences qui, s'il les développe, lui permettent d'atteindre à un degré supérieur de l'évolution humaine. Cédant à la pression du Purusha intérieur, du Purusha physique subtil, il peut concevoir une vie physique plus raffinée, plus belle et plus parfaite, et espérer la réaliser ou tenter de la réaliser dans sa propre existence ou dans l'existence d'une collectivité ou d'un groupe. Chez d'autres, c'est le moi vital, l'être-de-vie qui domine et gouverne le mental, la volonté et l'action; ainsi se crée l'homme vital, qui ne pense qu'à s'affirmer, à s'étendre, à élargir sa vie, à satisfaire ses ambitions et ses passions, ses impulsions, ses désirs et les exigences de son ego, qui recherche la domination, le pouvoir, l'excitation, la bataille et la lutte, l'aventure intérieure et extérieure ; tout le reste est accessoire ou subordonné à ce mouvement, à cette formation et cette expression de l'ego vital. Néanmoins, on peut trouver, et on trouve parfois en lui d'autres éléments qui ont un caractère de plus en plus mental ou spirituel, même s'ils sont moins développés que sa personnalité vitale et son pouvoir vital. La nature de l'homme vital est plus active, plus forte et plus mobile, plus turbulente et plus chaotique — au point d'être souvent tout à fait déréglée — que celle de l'homme physique qui a les deux pieds sur terre et possède un équilibre, une assise matérielle, mais elle est aussi plus dynamique et plus créatrice;
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car élément de l'être vital n'est pas la terre, mais l'air; il a plus de mouvement, et moins de stabilité. Une volonté et une mentalité vitales creuses peuvent s'emparer des énergies vitales dynamiques et les 'gouverner, mais c'est plus par une coercition et une contrainte que par harmonisation de l'être. Toutefois, si une forte personnalité vitale, volonté et un mental puissants, peuvent obtenir que l'intelligence raisonnante leur donne un appui solide et devienne leur ministre, il se parfois une sorte de formation énergique, plus ou moins équilibrée toujours puissante et efficace, qui peut s'imposer à la Nature et milieu, et s'affirmer avec force dans la vie et l'action. Telle est la dème étape d'une expression harmonisée qui peut se produire dans l'ascension de la nature.
À un stade plus avancé de l'évolution de la personnalité, l'être mental peut prendre la direction; c'est alors l'émergence de l'homme mental qui vit principalement dans le mental, alors que les autres vivent dans la nature vitale ou physique. L'homme mental tend à subordonner le reste de son être à son expression mentale propre, à des fins mentales, intérêts mentaux, à une idée ou un idéal mental. Étant donné la difficulté de cette subordination et ses puissants effets lorsqu'elle est accomplie, il lui est à la fois plus difficile et plus facile d'arriver à une harmonie dans sa nature. Plus facile, parce que la volonté mentale, qu'elle gouverne, peut convaincre par le pouvoir de l'intelligence raisonnable, et en même temps dominer, comprimer ou réprimer la vie corps et leurs exigences, les ordonner et les harmoniser, les forcer venir ses instruments, et même les réduire au minimum afin qu'ils ne viennent pas troubler la vie mentale ou la faire redescendre de son mouvement créateur d'idées ou d'idéaux. Plus difficile, parce que la ;t le corps sont les pouvoirs premiers, et s'ils sont assez forts, ils /peuvent s'imposer en exerçant une pression presque irrésistible sur le mental dirigeant. L'homme est un être mental, et le mental est le guide av;vra et de son corps; mais c'est un dirigeant qui est très souvent y par ses suivants et qui, parfois, n'a pas d'autre volonté que celle 1s lui imposent. En dépit de son pouvoir, le mental est souvent impuissant devant l'inconscient et le subconscient qui l'obscurcissent et :l'entraînent dans la marée des instincts et des impulsions. En dépit de sa clarté, il est la dupe des suggestions vitales et émotives qui l'incitent à encourager l'ignorance et l'erreur, la pensée et l'action fausses, ou i il est obligé de rester spectateur, tandis que la nature suit ce qu'il
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sait être faux, dangereux ou mauvais. Même lorsqu'il est fort, clair et dominant, et même s'il impose une certaine harmonie mentalisée, parfois considérable, le mental ne peut unifier tout l'être et toute la nature. En outre, ces harmonisations, obtenues par une maîtrise d'un ordre inférieur, ne sont pas décisives, parce que seule une partie de la nature humaine domine et s'épanouit, tandis que les autres sont réprimées et privées de toute plénitude. Ces harmonisations peuvent être des étapes sur le chemin, mais elles ne sont pas définitives ; c'est pourquoi, chez la plupart des hommes, il n'existe pas de direction unique ni d'harmonie partielle effective, mais seulement la prédominance, et, pour le reste, l'équilibre instable, d'une personnalité à moitié formée, à moitié en formation, parfois un déséquilibre ou un désordre provenant de l'absence d'une autorité centrale ou du dérangement d'un équilibre partiel précédemment atteint. Tout est nécessairement transitoire jusqu'à ce que nous accomplissions une première harmonisation vraie, qui ne sera pas encore définitive, en découvrant notre centre réel. Car l'être central véritable est l'âme, mais cet être se tient en arrière et, dans la nature humaine en général, il n'est qu'un témoin secret, ou, pourrait-on dire, un souverain constitutionnel qui permet à ses ministres de gouverner pour lui, leur délègue son autorité, donne un assentiment silencieux à leurs décisions, et de temps à autre seulement dit son mot, qu'ils peuvent toujours ignorer pour agir autrement. Il en est ainsi tant que la personnalité psychique mise en avant par l'entité psychique n'est pas encore suffisamment développée; quand elle est assez forte pour que l'entité intérieure s'impose à travers elle, l'âme peut alors venir en avant et maîtriser la nature. C'est lorsque ce vrai monarque vient au premier plan et prend en main les rênes du gouvernement, qu'une réelle harmonisation de notre être et de notre vie peut s'accomplir.
Une première condition pour que l'âme émerge complètement, c'est qu'un contact direct s'établisse entre l'être de surface et la Réalité spirituelle. C'est parce qu'il provient de cette Réalité que l'élément psychique en nous se tourne toujours vers ce qui, dans la Nature phénoménale, semble appartenir à une Réalité plus haute et porter sa marque et son caractère. Au début, il cherche cette Réalité dans tout ce qui est bon, vrai, beau, tout ce qui est pur, raffiné, élevé et noble; mais bien que ce contact, au travers des signes et des caractères extérieurs, puisse modifier et préparer la nature, cela ne suffit pas à la changer entièrement ni très intérieurement et très profondément. Pour que ce changement
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profond puisse avoir lieu, le contact direct avec la Réalité elle-même est indispensable, puisque rien d'autre ne peut toucher aussi profondément les fondations de notre être et l'ébranler ou, par ce choc, communiquer à la nature un ferment de transmutation. Les représentations mentales, les images émotives et dynamiques ont leur place et leur valeur; le Vrai, le Bien et le Beau sont en eux-mêmes des images primordiales et puissantes de la Réalité ; et même telles que les voit le mental, telles que le cœur les ressent, telles que la vie les réalise, elles peuvent être des voies d'ascension; mais c'est la substance et l'être spirituels de ces formes et de Cela qu'elles représentent, dont nous devons faire l'expérience.
L'âme peut essayer d'obtenir ce contact principalement par intermédiaire et l'instrumentation du mental pensant. Elle met une empreinte psychique sur l'intellect et sur le mental plus vaste qui a une perception intérieure et une intelligence intuitive, et les oriente dans cette direction. À son sommet, le mental pensant est toujours attiré vers l'impersonnel, car dans sa recherche il devient conscient d'une essence spirituelle, d'une .Réalité impersonnelle qui s'exprime dans tous les signes et tous les caractères extérieurs, mais demeure au-delà de toute forme et de toute image qui la manifestent. Il sent quelque chose dont il devient intimement et invisiblement conscient — une Vérité suprême, un Bien suprême, une Beauté suprême, une Pureté suprême, une suprême Félicité; il ressent le contact croissant, de moins en moins impalpable et abstrait, de plus ra plus réel et concret spirituellement, le contact et la pression d'une Éternité et d'une Infinité qui est tout ce qui est, et bien davantage. Cette Impersonnalité exerce une pression et cherche à modeler tout le mental pour en faire une forme d'elle-même ; en même temps, la loi et le secret impersonnels des choses se font de plus en plus visibles. Le son mental se développe et devient le mental du sage, d'abord du penseur à l'intellect hautement développé, puis du sage spirituel qui a dépassé les abstractions de la pensée pour arriver à un commencement d'expérience directe. Ainsi le mental devient pur, large, tranquille, impersonnel; une même influence apaisante agit sur les parties vitales de l'être. Mais à part cela, les résultats peuvent demeurer incomplets, car le changement son mental conduit naturellement à une stabilité intérieure et à une quiétude extérieure, et reposant ainsi dans ce quiétisme purificateur, n'étant pas attiré comme les parties vitales vers la découverte de nouvelles énergies de vie, il ne cherche pas un effet dynamique total sur la nature humaine.
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Même si le mental fait une plus haute tentative, cela ne modifie pas cet équilibre; car le mental spiritualisé a tendance à s'élever vers les hauteurs, et puisque, au-dessus de lui-même, le mental perd toute prise sur les formes, c'est dans une vaste impersonnalité sans formes et sans traits qu'il pénètre. Il perçoit le Moi immuable, le pur Esprit, la pure nudité d'une Existence essentielle, l'Infini sans forme et l'Absolu sans nom. Ce sommet peut être atteint plus directement si l'on tend immédiatement, au-delà de toute forme et de toute représentation, au-delà de toutes les idées de bien et de mal, de vrai et de faux, de beau et de laid, vers Cela qui dépasse toutes les dualités, vers l'expérience d'une unité, d'une infinité, d'une éternité suprêmes, ou vers quelque autre sublimation ineffable de l'ultime et extrême perception mentale du Moi ou de l'Esprit. On parvient ainsi à une conscience spiritualisée et le vital se calme, le corps n'a plus de besoins, d'exigences, l'âme elle-même se fond dans le silence spirituel. Mais cette transformation par le mental n'apporte pas la transformation intégrale; la transmutation psychique fait place à un changement spirituel qui conduit à de rares et hauts sommets, mais ce n'est pas la complète dynamisation divine de la Nature.
L'âme peut rechercher le contact direct par une deuxième voie, la voie du cœur. Cette voie est la sienne, et elle est aussi la plus proche et la plus rapide, parce que le siège occulte de l'âme est là, un peu en; retrait, dans le centre du cœur, en contact intime avec' notre être émotif; c'est donc à travers les émotions qu'elle peut, au début, agir le plus facilement, avec sa puissance naturelle, avec la force vivante de son expérience concrète. C'est par l'amour et l'adoration de Cela qui est invisiblement, toute-félicité, toute-bonté, qui est le Vrai et la Réalité spirituelle de l'amour, que l'on s'en approche; les parties émotives et esthétiques de l'être se joignent pour offrir l'âme, la vie, la nature tout entière à Cela qu'elles adorent. Cette voie d'approche par l'adoration ne trouve sa pleine force, son plein élan, que lorsque le mental passe au-delà de l'impersonnalité pour arriver à la perception d'un Être personnel suprême — alors tout devient intense, vivant, concret ; les émotions, les sentiments, la perception spiritualisée du cœur atteignent leur absolu, un don de soi total devient possible, impératif. L'homme spirituel naissant fait alors son apparition dans la nature émotive, et c'est l'adorateur de Dieu, le bhakta. S'il devient en outre directement conscient de son âme et de ses commandements, s'il unit sa personnalité émotive
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à sa personnalité psychique et qu'il change sa vie et les parties vitales de son être par la pureté, l'extase divine, l'amour de Dieu et des hommes et de toutes les créatures, pour en faire une chose de beauté spirituelle, pleine de lumière et de bonté divines, il devient un saint et parvient à la plus haute expérience intérieure, au changement de nature le plus vaste que l'on puisse atteindre par cette voie d'approche de l'Être Divin. Mais pour atteindre le but de la transformation intégrale, cela non plus ne suffit pas; il faut une transmutation du mental pensant, et de toutes les parties vitales et physiques de la conscience dans ce qu'elles ont de plus fondamental.
Ce plus vaste changement peut être partiellement réalisé si l'on ajoute aux expériences du cœur une consécration de la volonté agissante qui doit réussir à entraîner avec elle — sinon elle ne peut être efficace — l'adhésion de la partie vitale dynamique, car celle-ci est le soutien du dynamisme mental et le premier instrument de notre action extérieure. Cette consécration de la volonté dans les œuvres s'accomplit par une élimination graduelle de la volonté de l'ego et de la puissance motrice du désir. L'ego se soumet à une loi supérieure et finalement s'efface, semble ne plus exister, ou n'existe plus que pour servir un pouvoir plus haut ou une plus haute Vérité, ou pour offrir sa volonté et ses actes à l'Être Divin et lui servir d'instrument. La loi qui dirige l'être et l'action, ou la lumière de Vérité qui guide alors le chercheur, peut être une clarté, ou un pouvoir, ou un principe qu'il perçoit sur le plus haut sommet que son mental puisse atteindre ; ou ce peut être une vérité de la Volonté divine qu'il sent présente, travaillant au-dedans de lui, ou le guidant par une Lumière ou une Voix ou une Force, par une Personne, une 'Présence divine. Finalement, par ce chemin, on arrive à une conscience dans laquelle on sent la Force ou la Présence agir au-dedans et mettre tout en mouvement ou gouverner toutes les actions ; la volonté personnelle se soumet alors entièrement ou s'identifie à la plus haute Volonté de Vérité, à la plus haute Puissance de Vérité ou Présence de Vérité. La combinaison de ces trois voies d'approche, la voie du mental, la voie de la volonté, la voie du cœur, crée dans l'être et la nature de surface une condition spirituelle ou psychique qui nous permet de nous ouvrir plus largement et plus complètement à la lumière psychique au-dedans et au Moi spirituel ou Îshwara, à la Réalité que nous sentons alors au-dessus de nous, et qui nous enveloppe et nous pénètre. Un changement puissant et multiple se produit dans notre nature, une construction et
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une création de soi spirituelles, l'apparition d'une perfection complexe qui réunit celle du saint, du travailleur désintéressé et de l'homme qui possède la connaissance spirituelle.
Mais pour que ce changement atteigne sa totalité la plus vaste et sa plénitude la plus profonde, la conscience doit déplacer son centre et sa position statique et dynamique, de la surface à l'être intérieur; c'est là que nous devons trouver le fondement de notre pensée, de notre vie et de notre action. Car rester au-dehors, à la surface, et recevoir les indications de l'être intérieur et les suivre, n'est pas une transformation suffisante ; il faut cesser d'être la personnalité de surface et devenir la Personne intérieure, le Purusha. Mais cela est difficile, d'abord parce que la nature extérieure s'oppose au mouvement et s'accroche à son équilibre normal, habituel, à son mode d'existence tourné vers le dehors ; et, en outre, parce que le chemin est long depuis la surface jusqu'aux profondeurs où l'entité psychique reste voilée à nos regards. Cet espace intermédiaire est envahi par une nature subliminale et des mouvements naturels qui ne sont pas tous favorables, il s'en faut, à la plénitude de ce mouvement d'intériorisation. La nature extérieure doit encore subir un changement d'équilibre, une tranquillisation, une purification, une subtile mutation de sa substance et de son énergie, grâce auxquels les multiples obstacles qui subsistent en elle se raréfient, cèdent ou même disparaissent. Il devient alors possible de pénétrer jusqu'aux profondeurs de notre être, et, des profondeurs ainsi atteintes, une nouvelle conscience peut se former, à la fois derrière le moi extérieur et au-dedans de lui, reliant la profondeur à la surface. Une conscience doit grandir en nous ou s'y manifester, qui s'ouvre de plus en plus à l'être supérieur et à l'être profond, et qui de plus en plus se dénude devant le Moi et le Pouvoir cosmiques et devant ce qui descend de la Transcendance, une conscience tournée vers une paix plus haute, perméable à une lumière, à une force et une extase plus grandes, une conscience qui excède la petite personnalité et dépasse la lumière et l'expérience limitées du mental de surface, la force et l'aspiration limitées de la conscience normale de la vie, la réceptivité obscure et limitée du corps.
Avant même que la purification apaisante de la nature extérieure ait été réalisée ou avant qu'elle ne soit complète, on peut, par un appel et une aspiration puissantes, par une volonté véhémente ou un effort violent, ou par une discipline et une méthode efficaces, briser le mur
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qui fait écran entre notre être intérieur et notre perception extérieure ; mais ce peut être un mouvement prématuré qui n'est pas sans danger sérieux. En pénétrant au-dedans de soi, on peut en effet se trouver au "milieu d'un chaos d'expériences étranges et supranormales dont on ne possède pas la clef, ou devant une ruée des forces subliminales ou cosmiques, subconscientes, mentales, vitales, physiques subtiles, qui peuvent ébranler l'être à l'excès ou l'entraîner dans le chaos, l'emmurer dans une prison obscure, ou le faire errer dans un désert de fascination, de séduction et de tromperie, ou encore le jeter dans un champ de bataille obscur, plein d'oppositions secrètes, traîtresses et fallacieuses, ou bien ouvertement violentes. Des êtres, des voix et des influences peuvent se manifester à la perception, à la vision, à l'ouïe intérieures, et se faire passer pour l'Être Divin, ou pour ses messagers, ou pour des Puissances et des Divinités de Lumière, des guides sur le chemin de la réalisation, alors qu'en vérité ils ont un caractère tout différent. S'il y a, dans sa nature, trop d'égoïsme ou une forte passion, une ambition ou une vanité excessives, ou quelque autre faiblesse dominante, si son mental est obscur ou sa volonté vacillante, sa force vitale faible ou instable, s'il manque d'équilibre, le chercheur sera probablement victime de ces déficiences ; il échouera ou s'écartera du vrai chemin de la vie et de la recherche intérieures, il sera entraîné sur de fausses voies, ou restera à errer dans un chaos intermédiaire d'expériences, sans pouvoir trouver son chemin vers la réalisation véritable. Ces périls étaient bien connus jadis, ils faisaient partie de l'expérience spirituelle, et l'on s'en protégeait en imposant la nécessité d'une initiation, d'une discipline, de méthodes de purification, par des épreuves et une entière soumission à la direction de celui qui a trouvé le chemin, ou qui conduit sur le chemin, qui a réalisé la Vérité et possède lui-même la lumière et l'expérience, et qui est capable de les communiquer à d'autres, un guide assez fort pour prendre le disciple par la main et lui faire franchir les passages difficiles, et qui peut aussi l'instruire et lui indiquer la voie. Malgré tout, les dangers existent et on ne peut les surmonter que si l'on a, ou si l'on développe, une complète sincérité, une volonté de pureté, une promptitude à obéir à la Vérité, à se soumettre au Très-Haut, un empressement à perdre l'ego qui limite et s'affirme, ou à le soumettre au joug divin. Tels sont les signes qu'une véritable volonté de réalisation, de transformation, de conversion de la conscience est présente, et que le stade nécessaire de l'évolution a été atteint. Si l'on parvient à cet état, les défauts qui appartiennent à la nature humaine ne peuvent plus être
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un obstacle permanent à un passage du statut mental au statut spirituel. Le processus ne sera peut-être jamais tout à fait facile, mais le chemin aura été ouvert et rendu praticable.
Un moyen efficace et souvent employé pour faciliter cette plongée dans le Moi intérieur, est de séparer le Purusha, l'être conscient, de la Prakriti, la nature manifestée. Si l'on se tient en retrait du mental et de ses activités, on peut, à volonté, les réduire au silence, ou elles se poursuivent comme un mouvement de surface dont on est le témoin détaché et désintéressé, et il devient finalement possible de sentir que l'on est le Moi intérieur du mental, l'être mental vrai et pur, le Purusha ; de même, en se tenant en retrait des activités de la vie, il est possible de sentir que l'on est le Moi intérieur de la vie, l'être vital vrai et pur, le Purusha ; il existe même un Moi du corps, l'être physique pur et vrai, le Purusha, dont nous pouvons devenir conscients, en nous tenant en retrait du corps, de ses exigences et de ses activités, et en entrant dans le silence de la conscience physique qui observe l'action de son énergie. De même, en nous tenant en retrait de toutes ces activités de la nature, successivement ou simultanément, nous pouvons avoir l'expérience que notre être intérieur est le Moi impersonnel et silencieux, le Purusha témoin. Cette expérience conduira à une réalisation et à une libération spirituelles, mais n'amènera pas nécessairement de transformation ; car le Purusha satisfait d'être libre, d'être lui-même, peut laisser la Nature, la Prakriti, épuiser ses impulsions accumulées dans une action qu'il ne soutient plus, une continuation mécanique qui n'est pas renouvelée, ni renforcée ou vivifiée, ni prolongée par son consentement, et il peut faire de ce rejet un moyen de se retirer de la nature humaine tout entière. Cependant, le Purusha doit non seulement devenir le témoin, mais la source, celui qui connaît, le maître de toute pensée et de toute action, et cela ne peut s'accomplir que partiellement tant que l'on reste sur le plan mental ou que l'on est obligé d'utiliser les instruments ordinaires que sont le mental, la vie et le corps. On peut certes parvenir à une certaine maîtrise, mais la maîtrise n'est pas la transformation; te changement qu'elle opère n'est pas suffisant pour devenir intégral ; pour cela, il est essentiel de passer au travers et au-delà de l'être mental, de l'être vital, de l'être corporel, et, plus profondément encore au-dedans, jusqu'à l'entité psychique la plus intime et secrète — ou encore, de s'ouvrir aux domaines supraconscients les plus élevés. Si long, rebutant et difficile que puisse être ce processus, il faut, pour pénétrer dans la
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crypte lumineuse de l'âme, traverser toutes les couches vitales intermédiaires jusqu'au centre psychique en nous. La voie du détachement qui nous libère de toute la pression des exigences, incitations, impulsions du mental, du vital et du corps, la concentration dans le cœur, l'austérité, la purification de soi et le rejet des vieux mouvements mentaux et vitaux, le rejet de l'ego et de ses désirs, le rejet des faux besoins et des fausses habitudes, sont des aides utiles pour effectuer cette difficile transition ; mais le moyen le plus puissant et le plus central, c'est de fonder ces méthodes, ou d'autres, sur un don de soi, une soumission de nous-même et de toutes les parties de notre nature à l'Être Divin, l'Îshwara. Une stricte obéissance à la direction sage et intuitive d'un guide est egalement normale et nécessaire pour tous, sauf pour un petit nombre de chercheurs particulièrement doués.
À mesure que craque la carapace de la nature extérieure et que s'écroulent les murs de séparation intérieure, la lumière intérieure se fraie un chemin, le feu intérieur s'avive dans le cœur, la substance de la nature et l'étoffé de la conscience s'affinent et acquièrent une subtilité et une pureté plus grandes, et les expériences psychiques plus profondes, celles qui n'ont pas uniquement la marque du mental ou du vital intérieurs, deviennent possibles dans cette substance plus subtile, plus pure et plus fine; l'âme commence à se dévoiler, la personnalité psychique atteint sa pleine stature. Alors l'âme, l'entité psychique, se manifeste, ,elle devient l'être central qui soutient le mental, la vie et le corps et soutient tous les autres pouvoirs et toutes les autres fonctions de l'Esprit : elle assume sa plus haute fonction de guide et de souveraine de la nature. Du dedans commence à s'exercer une direction, un contrôle qui expose chaque mouvement à la lumière de la Vérité et rejette tout ce qui est faux et obscur, tout ce qui s'oppose à la réalisation divine chaque région de l'être, tous ses coins et recoins, chaque mouvement, :chaque formation, chaque tendance, chaque inclination de la pensée, de la volonté, des émotions et des sensations, les actions et les réactions, les mobiles, dispositions, propensions, désirs, habitudes de la conscience ou de la subconscience physique, même les plus dissimulés, les plus :camouflés et muets, les plus secrets, sont éclairés par l'infaillible lumière psychique; leurs confusions sont dissipées, leurs enchevêtrements sont débrouillés, leurs obscurités, leurs tromperies et leurs illusions sont démasquées avec précision et extirpées; tout est purifié, redressé, la nature entière est harmonisée, accordée à la tonalité psychique, suivant
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un ordre spirituel. Ce processus peut être rapide ou lent, selon la somme d'obscurité et de résistance qui subsiste encore dans la nature, mais il se poursuit sans défaillance jusqu'à ce qu'il soit achevé. Finalement, l'être conscient tout entier est rendu parfaitement apte aux expériences spirituelles les plus diverses, il est tourné vers la vérité spirituelle de la pensée, des sentiments, des sensations, de l'action, accordé à la réaction juste, délivré de l'obscurité et de l'obstination de l'inertie tâmasique, des mélanges troubles, des turbulences et des impuretés de la passion râjasique et de ses énergies toujours agitées, jamais harmonisées, délivré de la rigidité éclairée, des limitations sâttviques ou des oscillations d'un équilibre artificiel qui sont le propre de l'Ignorance.
Tel est le premier résultat, mais le second est un libre afflux d'expériences spirituelles de toutes sortes : expérience du Moi, expérience de l'Îshwara et de la Shakti divine, expérience de la conscience cosmique, contact direct avec les forces cosmiques et avec les mouvements occultes de la Nature universelle, sympathie et unité psychiques, communication intérieure et échanges de tous genres avec les autres êtres et avec la Nature, illuminations du mental par la connaissance, illuminations du cœur par l'amour et la dévotion, joie et extase spirituelle, illuminations des sens et du corps par une expérience plus haute, illuminations de l'action dynamique dans la vérité et l'ampleur de l'âme et dans celle d'un mental et d'un cœur purifiés, certitudes de la lumière et de la direction divines, puissance et félicité de la force divine agissant dans notre volonté et dans la conduite de notre vie. Ces expériences se produisent quand la nature et l'être intérieurs les plus profonds s'ouvrent vers l'extérieur, car le pouvoir naturel de l'âme — sa conscience infaillible, sa vision, son contact avec les choses —, entre alors en jeu, et ce pouvoir est supérieur à toute cognition mentale. Il y a là une perception immédiate du monde et des êtres et un contact intérieur direct avec eux, qui sont naturels à la conscience psychique lorsqu'elle agit dans toute sa pureté, un contact direct avec le Moi et avec le Divin, une connaissance et une vision directes de la Vérité et de toutes les vérités, une émotion, une sensibilité spirituelle directes et pénétrante, une intuition directe qui discerne la volonté et l'action justes, un pouvoir de gouverner et de créer un ordre dans l'être, non par les tâtonnements du moi superficiel, mais du dedans, depuis la vérité intérieure du moi et des choses, et depuis les réalités occultes de la Nature.
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Certaines de ces expériences peuvent venir avec l'ouverture, de l'être mental et vital intérieur;— le mental, le cœur et le vital intérieurs plus larges et plus subtils au-dedans de nous —, sans qu'ait eu lieu la pleine émergence de l'âme, de l'entité psychique, puisque là aussi la conscience a un pouvoir de contact direct ; mais dans ce cas, l'expérience risque d'avoir un caractère mélangé, car il peut se produire une émergence non seulement de la connaissance subliminale, mais de l'ignorance subliminale. Il arrive souvent, en effet, que l'être s'élargisse insuffisamment, que les idées mentales, les émotions étroites et partiales, le tempérament constitué, viennent opposer leurs limitations, si bien qu'au lieu de la libre émergence de l'âme, il n'y a qu'une action et une création de soi imparfaites. Si l'émergence psychique fait défaut, ou si elle est :incomplète, certaines expériences ;—expérience d'une; connaissance et d'ume force plus grandes, dépassement des limites ordinaires — peuvent provoquer une enflure de l'ego et même, au lieu d'un épanouissement de ce qui est divin ou spirituel, une ruée de forces titanesques ou démoniaques, ou peuvent même inviter des influences et des pouvoirs qui, sans être aussi catastrophiques, et malgré leur puissance, ont un caractère cosmique inférieur. Au contraire, l'autorité et la direction de l'âme apportent à toute expérience une orientation vers la lumière, l'intégration, l'harmonie et la rectitude intime qui sont naturelles à l'essence psychique. Une transformation psychique de ce genre ou, plus largement, une transformation psycho-spirituelle, représenterait déjà un immense changement dans notre nature humaine mentale.
Mais tous ces changements et toutes ces expériences, malgré leur essence et leur caractère psychiques et spirituels, se limiteraient encore, dans leurs effets sur la vie, au niveau mental, vital et physique. Dynamiquement, leur effet spirituel¹ serait un épanouissement de l'âme dans le mental, la vie et le corps; mais dans les actes et les formes, le changement resterait circonscrit aux limites imposées par les instruments inférieurs, même si ces limites sont plus larges, plus hautes et plus subtiles. Ce serait la manifestation indirecte et modifiée d'une vérité, d'un pouvoir et d'une félicité dont la pleine réalité, la pleine intensité, l'ampleur, l'unité et la diversité nous dépassent, dépassent le mental, et, par conséquent, dépassent toutes les formules de perfection
¹L'ouverture psychique et l'ouverture spirituelle avec leurs expériences et leurs conséquences peuvent conduire loin de la vie ou aboutir à un Nirvana; mais elles né sont considérées ici que comme des échelons dans une transformation de la nature humaine.
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que le mental peut imaginer pour établir les fondations ou la superstructure de notre nature présente. La transformation spirituelle la plus haute doit donc suivre le changement psychique ou psycho-spirituel; le mouvement psychique vers notre être intérieur, vers le Moi ou le Divin en nous, doit être complété par une ouverture vers le haut, une ouverture à un suprême statut spirituel ou à une existence supérieure. Nous pouvons y parvenir en nous ouvrant à ce qui est au-dessus de nous, par une ascension de la conscience jusqu'aux régions de la nature surmentale et supramentale, où la perception du moi et de l'esprit est à tout jamais dévoilée, permanente, et où les instruments spontanément lumineux du moi et de l'esprit ne sont pas restreints ou divisés comme dans notre nature mentale, vitale et corporelle. Cela aussi, de changement psychique le rend possible; car s'il nous ouvre à la conscience cosmique que dissimulent les nombreux murs de l'individualité limitatrice, il nous ouvre aussi à ce qui, par rapport à notre état habituel, nous paraît supraconscient parce que caché par l'écran solide, dur et brillant du mental — le mental qui restreint, divise et sépare. L'écran s'amincit, se fend, se brise ou s'ouvre et disparaît sous la pression du changement psycho-spirituel et de la nouvelle conscience spiritualisée qui s'élance naturellement vers cela dont elle est "l'expression ici-bas. Cette ouverture, et toutes ses conséquences, peut ne pas s'accomplir du tout s'il y a uniquement une émergence psychique partielle qui se satisfait de l'expérience de la Réalité divine à l'échelon ordinaire d'un mental spiritualisé ; mais si l'on a pris conscience de l'existence de ces plans supranormaux plus élevés, l'aspiration à les atteindre peut alors suffire à briser l'écran ou à le fendre, et cela se produit parfois longtemps avant que le changement psycho-spirituel ne soit complet, ou même avant qu'il n'ait vraiment commencé ou ne soit bien avancé, parce que la personnalité psychique est devenue consciente et se concentre avec ardeur sur la supraconscience. Une illumination précoce venue de ces plans, ou une :déchirure, de l'enveloppe supérieure peut survenir grâce à l'aspiration ou à une préparation intérieure, ou même de façon inattendue, ou sans avoir été appelée par une partie consciente du mental — peut-être sous l'effet d'une nécessité subliminale secrète, ou d'une action, d'une pression venant des plans supérieurs, grâce à quelque chose que l'on perçoit comme le toucher de l'Être divin, le toucher de l'Esprit —, et les résultats peuvent être alors extrêmement puissants. Mais si cette expérience se produit à la suite d'une pression prématurée venant d'en bas, elle peut s'accompagner de difficultés et de dangers, que l'on évite lorsque la pleine
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émergence psychique précède ce premier accès aux niveaux supérieurs de notre évolution spirituelle. Le choix, cependant, ne dépend pas toujours de notre volonté propre, car l'évolution spirituelle en nous suit des voies très diverses, et l'orientation prise à chaque phase critique par l'action de la Conscience-Force dans son élan vers une plus haute manifestation de soi et une formation plus haute de notre existence, dépendra de la ligne que cette évolution a déjà suivie.
Lorsque l'écran du mental se déchire, notre vision s'ouvre sur quelque chose au-dessus, ou nous nous élevons vers cela, ou sentons la descente de ses pouvoirs dans notre être. Et cette ouverture de la vision nous révèle un Infini, une Présence éternelle ou une Existence infinie, une infinitude de conscience, une infinitude de félicité, un Moi sans limite, une Lumière, une Puissance, une Extase sans limite. Pendant longtemps, la vision de cet Infini peut se produire de façon occasionnelle, fréquente ou' constante, ou s'accompagner d'une ardente aspiration, mais rien de plus; car si quelque chose dans le mental, le cœur ou d'autres parties de l'être s'est ouvert à cette expérience, la nature inférieure dans son ensemble est encore trop lourde et trop obscure pour recevoir davantage. Cependant, au lieu de cette première et large prise de conscience d'en bas, ou la suivant de près, il peut y avoir une .ascension du mental vers les hauteurs au-delà. Il se peut que nous ne ;connaissions pas, ou ne discernions pas clairement la nature de ces plans supérieurs, mais certains effets de cette ascension se font sentir. Souvent aussi nous avons le sens d'une ascension infinie et d'un retour, mais il ne reste aucune trace de cet état supérieur, rien qui le traduise en nous. C'est parce que cet état est supraconscient pour le mental. Par conséquent, quand le mental s'élève jusque-là, il est tout d'abord incapable d'y conserver son pouvoir de discernement conscient et de définir l'expérience. Mais quand ce pouvoir commence à s'éveiller et à agir, quand peu à peu le mental devient conscient sur un plan qui était pour lui supraconscient, alors la connaissance et l'expérience des plans supérieurs de l'existence commencent aussi à devenir possibles. Cette expérience confirme les résultats de la première ouverture de la vision : le mental s'élève et pénètre dans le plan supérieur du moi pur, silencieux, tranquille, illimité ; ou il monte dans des régions de lumière et de félicité, accède à des plans où il sent un Pouvoir infini ou une Présence divine, ou le contact d'un Amour divin et d'une Beauté divine, ou l'atmosphère d'une Connaissance supérieure plus vaste et plus lumineuse. .Au
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retour, l'impression spirituelle subsiste, mais l'enregistrement mental est souvent brouillé, il n'en reste qu'un souvenir vague ou fragmentaire. La conscience inférieure, d'où l'ascension est partie, retombe à son état primitif, et n'a acquis qu'une expérience dont elle ne se souvient pas, ou qui a perdu tout dynamisme. Avec le temps, l'ascension se fait à volonté et la conscience revient changée et enrichie de son séjour temporaire dans ces régions supérieures de l'esprit. Pour beaucoup, ces ascensions se produisent en état de transe, mais elles peuvent fort bien avoir lieu dans un état de concentration de la conscience de veille, ou, quand celle-ci est devenue suffisamment psychique, à n'importe quel moment et sans concentration, par une attraction vers le haut ou une affinité. Mais malgré leur puissance illuminatrice, extatique ou libératrice, ces deux approches du supraconscient n'ont en elles-mêmes qu'une efficacité limitée. Pour la transformation spirituelle complète, il faut davantage : une ascension permanente de la conscience inférieure jusqu'à la conscience supérieure et une descente effective et permanente de la nature supérieure dans la nature inférieure.
C'est le troisième mouvement, la descente, qui est essentiel pour que l'ascension devienne permanente, que l'influx venu des plans supérieurs s'intensifie et que nous ayons l'expérience de recevoir et retenir en nous l'esprit qui descend, ou ses pouvoirs et les éléments de sa conscience. L'expérience de cette descente peut se produire à la suite des deux autres mouvements, ou automatiquement, avant même qu'ils aient eu lieu, grâce à une déchirure soudaine de l'écran, ou grâce à une infiltration, un influx ou une irruption. Une lumière descend, touche, enveloppe ou pénètre l'être inférieur, le mental, la vie ou le corps; ou bien une présence, un pouvoir, un flot de connaissance se déverse en vagues ou en torrent; ou encore l'être est inondé de félicité, saisi d'une extase soudaine — le contact avec le supraconscient s'est établi. Et ces expériences se répètent jusqu'à ce qu'elles soient devenues normales et familières, et qu'elles soient bien comprises et révèlent leur contenu, leur signification, qui pouvaient être enfouis tout d'abord et gardés secrets derrière la forme de l'expérience qui les recouvre. Une connaissance supérieure commence en effet à descendre, fréquemment, constamment, puis de façon ininterrompue, et à se manifester dans la quiétude ou le silence du mental ; des intuitions et des inspirations, des révélations nées d'une vision plus vaste, d'une vérité et d'une sagesse plus hautes, pénètrent en nous; un discernement lumineux et intuitif agit et dissipe tout ce
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qui obscurcissait notre compréhension, toute aveuglante confusion, et met tout en ordre. Une nouvelle conscience commence à se former, un mental capable d'une haute et vaste connaissance intellectuelle qui se suffit à elle-même, ou ce peut être une conscience illuminée, intuitive ou surmentale, dotée de nouvelles forces de pensée ou de vision et d'un plus grand pouvoir de réalisation spirituelle directe qui dépasse la pensée et la vision, ainsi qu'un plus grand devenir dans la substance spirituelle de notre être actuel. Le cœur et les sens deviennent subtils, intenses, ;assez vastes pour embrasser toute existence, pour voir Dieu, pour sentir et entendre et toucher l'Éternel, pour accomplir une unité plus profonde et plus intime entre le moi et le monde dans une réalisation transcendante. D'autres expériences décisives, d'autres changements de conscience se précisent qui sont des corollaires et des conséquences de ce changement fondamental. À cette révolution, on ne peut fixer -aucune limite; car essentiellement, c'est une invasion de l'Infini.
Tel est le processus de la transformation spirituelle, qui s'effectue peu à peu, ou par une succession de grandes expériences rapides et définitives. Il s'achève par une ascension fréquente — qui permet finalement à la conscience de se fixer sur un plan plus élevé, d'où elle peut voir et gouverner le mental, la vie et le corps — et par une descente croissante des pouvoirs d'une conscience et d'une connaissance supérieures qui remplacent de plus en plus totalement la conscience et la connaissance normales. C'est sa culmination. Une lumière et une puissance, une connaissance et une force se font sentir qui .prennent d'abord possession du mental et le reforment; puis, de la partie vitale et la remodèlent ; finalement, de la petite conscience physique, qui perd alors sa petitesse et devient vaste et plastique, et même infinie. Car cette nouvelle conscience est elle-même infinie par nature; elle nous apporte le sens, la perception spirituelle permanente de l'infini et de l'éternel, tandis que notre nature gagne une grande ampleur et voit se rompre ses limitations. L'immortalité n'est plus une croyance ou une expérience, elle devient une perception normale de l'être. La présence intime de l'Être divin, son empire sur le monde, sur nous-mêmes et les diverses parties de notre nature, sa force à l'œuvre en nous et partout, la paix de l'infini, la joie de l'infini, sont alors concrètes et constantes dans l'être. Dans tout ce que l'on voit, dans toute forme, on perçoit l'Éternel, la Réalité; on l'entend dans tous les sons ; dans tous les contacts, on le sent ; il n'y a rien d'autre que ses formes, ses personnalités et ses manifestations : la joie ou
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l'adoration du cœur, une étreinte qui embrasse toute existence, l'unité de l'Esprit, sont des réalités permanentes. La conscience de la créature mentale se change ou s'est déjà entièrement changée en la conscience de l'être spirituel. Telle est la seconde des trois transformations ; unissant l'existence manifestée à ce qui est au-dessus d'elle, elle est l'échelon intermédiaire, la transition décisive de la nature humaine dans son évolution spirituelle.
Si, dès le début, l'Esprit pouvait rester à l'abri sur les hauteurs supérieures et s'il avait affaire à une substance mentale et matérielle pure et vierge, la transformation spirituelle complète pourrait être rapide et même facile; mais le processus réel de la Nature est plus difficile, la logique denses mouvements plus complexe, contournée, sinueuse, globale. La Nature accepte toutes les données de la tâche qu'elle s'est fixée, et ne se satisfait pas d'un triomphe sommaire sur ses propres complexités. Chaque partie de notre être doit être assumée avec sa nature et son caractère propres, avec toutes les empreintes et tous les signes du passé encore présents en elle ; chaque partie, chaque mouvement le plus infime doit être si possible transmué en la vérité de l'être supérieur, ou bien détruit et remplacé s'il en est incapable. Si le changement psychique est accompli, cela peut se faire sans douleur, encore que le programme soit long et minutieux, et le progrès mesuré; sinon, il faut se contenter d'un résultat partiel. Mais si le souci de perfection et la soif de l'esprit sont insatiables, on doit consentir à. un combat difficile, souvent pénible et apparemment interminable. Car généralement la conscience ne s'élève pas jusqu'aux sommets, sauf en de rares moments; elle reste au niveau mental et reçoit ce qui vient d'en haut. C'est parfois la descente unique d'un pouvoir spirituel qui s'établit et façonne l'être pour lui donner un caractère essentiellement spirituel, parfois plusieurs descentes successives qui renforcent l'état spirituel et son dynamisme; mais à moins de vivre sur le plus haut sommet déjà atteint, aucun changement plus complet ou intégral ne peut être accompli. Si la mutation psychique n'a pas eu lieu, si l'on a fait descendre les Forces supérieures de façon prématurée, leur contact peut être trop intense pour les matériaux défectueux et impurs de la Nature, et ils risquent de partager le sort de la jarre mal cuite dont parle le Véda, qui ne pouvait retenir le Soma, le breuvage divin. Il se peut aussi que l'influence qui descend se retire, ou bien qu'elle soit gaspillée parce que la nature ne peut ni la contenir, ni la garder. Ou encore, si c'est la Puissance
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qui descend, le mental ou le vital égoïstes peuvent essayer de s'en saisir à leurs propres fins. Les résultats peuvent être désastreux : l'ego se gonfle et la chasse aux pouvoirs et à certaines formes de maîtrise ne fait que renforcer le sentiment de la grandeur personnelle. L'Ânanda qui descend ne peut être retenu si une impureté sexuelle excessive crée un mélange intoxicant et dégradant ; le Pouvoir se retire devant l'ambition, la vanité, ou toute expression agressive du moi inférieur; la Lumière s'efface devant l'attachement à l'obscurité ou à toute forme d'ignorance; la Présence disparaît si la chambre du cœur n'a pas été purifiée. Ou bien une force anti-divine peut essayer de se saisir, non du Pouvoir lui-même, car il se retire, mais de la force qui en résulte et qu'il a laissée derrière lui dans l'instrument, pour servir les desseins de l'Adversaire. Et même si :un de ces défauts, aucun de ces égarements désastreux ne se produit, les nombreuses erreurs de réception et les imperfections de l'instrument peuvent faire obstacle à la transformation. Le Pouvoir vient alors de façon intermittente, et, entre-temps, doit travailler derrière le voile, ou se retire dans l'ombre durant de longues périodes d'assimilation .ou de préparation des parties récalcitrantes de la nature; la Lumière doit travailler dans l'obscurité, ou dans une demi-obscurité, sur les régions qui, en nous, sont encore dans la Nuit. À tout moment le travail peut être interrompu, sur le plan personnel et dans cette vie, soit parce que la nature n'est pas capable de recevoir ou d'assimiler davantage et qu'elle a :atteint les limites de sa capacité actuelle ; soit parce que le vital (même si le mental est prêt, placé devant le choix entre la vieille vie et la nouvelle, refuse de changer; ou s'il accepte, le corps peut se révéler trop faible, inapte ou défectueux, pour supporter le changement nécessaire de la conscience et sa transformation dynamique.
En outre, la nécessité d'effectuer le changement dans chaque partie de l'être séparément, selon sa nature et son caractère propres, oblige la conscience à descendre en chacune d'elles tour à tour et à agir suivant leur état et leurs possibilités. Si le travail se faisait d'en haut, de quelque sommet spirituel, il pourrait y avoir sublimation, élévation, ou création d'une structure nouvelle par la seule force de l'influence supérieure; mais l'être inférieur pourrait aussi ne pas accepter ce changement, sous prétexte qu'il n'est pas conforme à sa nature ; ce ne serait pas une croissance totale, une évolution intégrale, mais une formation partielle et imposée, qui touche ou libère certaines parties de l'être, en étouffe d'autres ou les laisse telles qu'elles étaient. Une création extérieure à
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la nature normale et qui lui est imposée, serait durable en sa totalité aussi longtemps seulement que l'influence créatrice se maintient. Il est donc nécessaire que la conscience descende jusqu'aux niveaux inférieurs; même ainsi, le principe supérieur éprouve des difficultés à manifester son plein pouvoir ; il se produit une altération, une dilution, une diminution, et c'est pourquoi les résultats demeurent imparfaits et limités : la lumière d'une connaissance supérieure descend, mais elle se brouille et s'atténue ; le sens de cette connaissance est mal interprété, sa vérité se mélange à des erreurs mentales et vitales, ou bien la force et le pouvoir de réalisation ne sont pas à la mesure de sa lumière. La lumière et le pouvoir du nous-même agissant directement eux-mêmes et dans leur propre sphère est une chose ; la même lumière agissant dans l'obscurité de la conscience physique et soumise à ses conditions est une chose toute différente ; et par suite de la dilution et du mélange, sa connaissance, sa force et ses effets sont très inférieurs. Il en résulte un pouvoir mutilé, un effet partiel ou un mouvement entravé.
En vérité, c'est pourquoi l'émergence de la habitudes dans la Nature est si lente et si difficile. Le mental et la vie doivent descendre dans la Matière et s'adapter à ses conditions ; modifiés et diminués par l'obscurité et l'inertie récalcitrante de la substance et de la force au sein desquelles ils opèrent, ils ne sont pas capables de transmuer complètement leurs matériaux en un instrument adéquat et une substance transformée, révélant leur pouvoir réel, inné. La conscience de la vie est incapable de réaliser dans l'existence matérielle la grandeur et la félicité de ses belles et puissantes impulsions ; son élan se relâche, sa force de réalisation est inférieure à la vérité de ses conceptions, la forme trahit l'intuition de la vie, intuition que cette conscience porte en elle et qu'elle essaie d'exprimer dans les termes de l'être vivant. Le mental est incapable de réaliser ses hautes idées dans le champ de la vie et de la matière, sans diminution et sans compromis qui les dépouillent de leur caractère divin ; son pouvoir de modeler cette substance inférieure pour qu'elle lui obéisse et l'exprime n'égale pas la clarté de sa connaissance et de sa volonté. Au contraire, ses propres pouvoirs sont affectés, sa volonté est divisée, sa connaissance obscurcie et voilée par la trouble agitation de la vie et l'incompréhension de la Matière. Ni la vie ni le mental ne réussissent à convertir ou à perfectionner l'existence matérielle, parce qu'en de telles conditions ils ne peuvent atteindre à la plénitude de leur propre force; ils ont besoin de faire appel à une puissance supérieure
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qui les libérera et les accomplira. Mais lés pouvoirs supérieurs du mental spirituel, eux aussi, se voient frappés de la même impuissance quand ils descendent dans la vie et la matière; ils ont beaucoup plus de possibilités, ils peuvent amener un changement beaucoup plus lumineux, mais l'altération, la limitation subie par la conscience qui ;descend et sa disparité avec la force de réalisation qu'elle peut mentaliser et matérialiser sont constamment présentes, et il en résulte une création amoindrie. Le changement ainsi accompli est souvent extraordinaire ; il se produit même quelque chose qui ressemble à une conversion totale, à un renversement de l'état de conscience et à une sublimation de ses mouvements, mais ce changement n'est pas dynamiquement absolu.
Seul le supramental peut descendre dans la vie et la matière sans perdre la plénitude de son pouvoir d'action ; car son action ne perd jamais son caractère inné et automatique ; il y a identité entre la volonté et la connaissance, et le résultat est proportionné. Sa nature est une Conscience-de-Vérité qui s'accomplit spontanément, et s'il se limite lui-même ou limite son action, c'est par choix et à dessein, et non sous la contrainte ; dans les limites qu'il s'est choisies, son action et les résultats de son action, sont harmonieux et inévitables. Quant au surmental, c'est un principe de division, comme le mental, et son action .caractéristique consiste à réaliser une harmonie choisie au sein d'une forme indépendante. Certes, son action globale lui permet de créer une harmonie complète et parfaite en soi, ou d'unir ou de fondre ensemble les diverses harmonies, de faire une synthèse; mais son travail étant soumis aux limitations du mental, de la vie et de la matière, il est obligé ;d'agir sur chaque partie successivement, pour les joindre ensuite. Il tend vers la totalité, mais est entravé par sa tendance sélective, accentuée par la nature du matériau mental et vital sur lequel il travaille ici-bas. Tout ce qu'il peut accomplir, ce sont des créations spirituelles séparées et limitées, chacune parfaite en soi, mais ce n'est pas la connaissance intégrale ni sa manifestation. Pour cette raison, et parce que sa lumière et sa puissance originelles sont affaiblies, le surmental est incapable de .réaliser pleinement ce qui est nécessaire et il doit faire appel à un pouvoir plus grand, la force supramentale, qui le libérera et l'accomplira. De même que le changement psychique doit faire appel au changement spirituel pour se parachever, de même le premier changement spirituel doit faire appel à la transformation supramentale qui le complète. Car toutes ces étapes sur le chemin, comme celles qui les ont précédées, sont
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des étapes de transition. Le changement radical et total dans l'évolution, partant d'une base d'Ignorance pour atteindre une base de Connaissance, ne peut survenir que par l'intervention du Pouvoir supramental et de son action directe dans l'existence terrestre.
Telle doit donc être la nature de la troisième et ultime transformation, celle où s'achève le passage de l'âme à travers l'Ignorance et qui établit sa conscience, sa vie, son pouvoir et la forme de sa manifestation sur une connaissance de soi complète et complètement efficace. Lorsqu'elle verra que la Nature évolutive est prête, la Conscience-de-Vérité devra descendre en elle et lui permettre de libérer le principe supramental qu'elle renferme. Ainsi sera créé l'être supramental et spirituel, première manifestation dévoilée de la vérité du Moi et de l'Esprit dans l'univers matériel.
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Maîtres de la Lumière de Vérité qui font grandir la Vérité par la Vérité.
Rig-Véda. 1.23.5.
Trois pouvoirs de la Parole qui portent la Lumière au devant (... une triple maison de paix, un triple chemin de la Lumière.
Rig-Véda. VII.101.1,2.
Il crée et prend la forme de quatre autres mondes de beauté, quand il a grandi par les Vérités.
Rig-Véda. IX.70.1.
Il est né voyant avec le mental de discernement; fils de la Vérité, naissance secrète établie au-dedans, qui surgit à demi dans la manifestation.
Rig-Véda. IX.68.5.
Possesseurs d'une vaste sagesse inspirée, créateurs de la Lumière, conscients, ils connaissent tout ce qui est, et grandissent dans la Vérité.
Rig-Véda. X.66.1.
Apercevant la plus haute Lumière par-delà l'obscurité, nous sommes venus au Soleil divin dans la Divinité, à la plus haute Lumière entre toutes.
Rig-Véda. 1.50.10.
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Nous pouvons aisément concevoir la transformation psychique et les premières étapes de la transformation spirituelle ; leur perfection serait la perfection, la plénitude, l'unité accomplie d'une connaissance et d'une expérience qui font déjà partie des choses réalisées, même si elles ne le sont que par un très petit nombre d'êtres humains. Mais le changement supramental et son processus nous emportent en des régions moins explorées; ils nous donnent une première vision de sommets de la conscience qui, certes, ont été entrevus et visités, mais dont il reste encore à découvrir la totalité et à dresser la carte. Le plus élevé de ces pics ou de ces hauts plateaux de conscience, le supramental, se dresse si haut qu'il est impossible d'en établir aucun plan ou schéma mental satisfaisant, et aucune vision ou description mentale ne peut le saisir. Il serait difficile, pour une intelligence mentale ordinaire, qui n'a pas encore été illuminée ou transformée, d'exprimer ou de pénétrer quelque chose qui est fondé sur une conscience et une perception des choses si radicalement différentes. Même si l'on pouvait voir ou concevoir ce domaine, à la suite de quelque illumination ou de quelque ouverture de la vision, il faudrait un autre langage que celui de ces pauvres jetons abstraits dont se sert notre mental, pour le traduire en des termes qui nous permettent au moins de saisir sa réalité. De même que les sommets du mental humain se situent par-delà les limites de la perception animale, de même les mouvements du supramental se situent par-delà les limites de la conception mentale humaine ordinaire. C'est seulement quand nous avons déjà eu l'expérience d'une conscience supérieure intermédiaire, que des termes s'efforçant de décrire l'être supramental peuvent transmettre un sens véritable à notre intelligence; car alors, ayant eu une expérience similaire à celle qui est décrite, nous pouvons traduire un langage inadéquat en des formes que nous connaissons déjà. Si le mental ne peut pénétrer la nature du supramental, il peut la
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contempler à travers ces hautes et lumineuses voies d'accès et saisir quelque impression réfléchie du Vrai, du Juste et du Vaste qui sont le royaume natal de l'Esprit libre.
Mais même ce que nous pouvons dire de la conscience intermédiaire est forcément inadéquat; nous pouvons simplement avancer certaines généralisations abstraites qui, au début, nous serviront de lumière et de guide. La seule circonstance qui vienne ici à notre aide, c'est que la conscience supérieure, si différente soit-elle en sa constitution et son principe, est cependant, sous sa forme évolutive et telle qu'elle nous est tout d'abord accessible en ce monde, le développement ultime d'éléments qui sont déjà présents dans notre conscience, si rudimentaires et diminués soient la forme et le pouvoir qu'ils revêtent en nous. Par ailleurs, et c'est aussi une aide, la logique du processus que suit la Nature évolutive, même si certaines règles de son fonctionnement se trouvent largement modifiées, demeure essentiellement identique dans l'ascension des plus hauts sommets, comme au début, sur les échelons inférieurs; aussi pouvons-nous découvrir et suivre, dans une certaine mesure, les lignes de son processus supérieur. En effet, nous avons entrevu la nature et la loi de la transition du mental intellectuel au mental spirituel; ce point de départ une fois atteint, nous pouvons commencer à déceler le passage vers un plus haut degré dynamique de la nouvelle conscience et la transition suivante, du mental spirituel au supramental. Les indications seront très imparfaites, inévitablement, car, par la méthode de la recherche métaphysique, on ne peut arriver qu'à certaines représentations initiales d'un caractère abstrait et général. La connaissance et la description vraies doivent être laissées au langage du mystique et aux images à la fois plus vivantes et plus profondes d'une expérience directe et concrète.
La transition du surmental au Supramental est un passage qui conduit de la Nature telle que nous la connaissons, à la Supranature. De ce fait même, il est impossible d'y atteindre par un simple effort mental ; notre aspiration et notre effort personnel ne peuvent à eux seuls y parvenir, car cet effort relève du pouvoir inférieur de la Nature; or, un pouvoir de l'Ignorance ne peut atteindre, par sa propre force ou par les méthodes caractéristiques dont il dispose, ce qui est au-delà de son domaine naturel. Toutes les ascensions précédentes ont été effectuées par une Conscience-Force secrète opérant tout d'abord dans l'Inconscience,
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puis dans l'Ignorance; elle s'est accomplie par l'émergence en surface de ses pouvoirs involués, cachés derrière le voile, et supérieurs aux anciennes formulations de la Nature. Il est néanmoins nécessaire que ces mêmes pouvoirs supérieurs, déjà formulés dans toute leur force naturelle sur leurs propres plans, exercent une pression; ces plans supérieurs créent leurs propres fondations dans les parties subliminales de notre être, et, de là, ils peuvent influencer le processus évolutif à la surface. Le Surmental et le Supramental, eux aussi, sont involués et occultes dans la Nature terrestre, mais ils n'ont encore établi aucune formation sur les niveaux accessibles de notre conscience interne subliminale. Il n'existe encore aucun être surmental ni aucune nature surmentale organisée, aucun être supramental ni aucune nature supramentale organisée, qui agisse sur les parties superficielles de notre être, ou dans ses parties subliminales normales — ces grands pouvoirs de conscience sont supraconscients par rapport au niveau de notre ignorance. Pour que les principes involués du Surmental et du Supramental puissent émerger de leurs profondeurs secrètes, il faut que l'être et les pouvoirs de la supraconscience descendent en nous, nous soulèvent et s'expriment dans notre être et nos facultés ; cette descente est la condition sine qua non de la transition et de la transformation.
Certes, on peut concevoir que, sans cette descente, par une pression secrète d'en haut, par une longue évolution, notre Nature terrestre réussisse à entrer en contact intime avec les plans supérieurs, maintenant supraconscients, et qu'une, formation de Surmental subliminal se manifeste derrière le voile; la conscience propre à ces plans supérieurs pourrait alors émerger lentement à la surface de notre être. On peut concevoir qu'une race d'êtres mentaux puisse apparaître de cette façon, des êtres qui ne penseraient pas, et n'agiraient pas — ou pas principalement en tout cas — au moyen de l'intellect ou de l'intelligence rationnelle et réflective, mais au moyen d'un mental intuitif qui serait la première étape d'un mouvement de transformation ascendant ; cela pourrait être suivi d'une surmentalisation qui nous porterait jusqu'aux frontières du Supramental ou Gnose divine. Mais ce processus entraînerait inévitablement un long et laborieux effort de la Nature. Il est d'ailleurs possible que l'on n'arrive ainsi qu'à une mentalisation supérieure imparfaite; les éléments nouveaux, plus élevés, pourraient dominer fortement la conscience, mais le principe même de la mentalité inférieure modifierait nécessairement leur action. La connaissance
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deviendrait plus vaste, plus illuminée, la cognition serait d'un ordre supérieur; mais elle subirait encore un mélange qui la soumettrait à la loi de l'Ignorance, comme le Mental est soumis aux limitations de la loi de la Vie et de la Matière. Pour une véritable transformation, il faut une intervention d'en haut, directe et sans voile ; il faut aussi une soumission et une consécration totales de la conscience inférieure. Celle-ci doit renoncer à ses exigences ; elle doit vouloir que la loi de son action séparée soit complètement annulée par la transformation et perde tous ses droits sur notre être. Si ces deux conditions peuvent être réalisées dès maintenant par une volonté et un appel conscients de l'esprit, et si notre être tout entier, tant manifesté qu'intérieur, participe à son propre changement et à sa propre élévation, alors l'évolution, la transformation peuvent se produire par un changement conscient relativement rapide ; la Conscience-Force supramentale et la Conscience-Force évolutive agissant d'en haut et de derrière le voile sur la perception et la volonté éveillées de l'être humain mental, accompliraient cette transition capitale en unissant leurs pouvoirs. Il n'y aurait plus besoin d'une lente évolution dont chaque pas demande plusieurs millénaires, plus besoin de cette évolution difficile et hésitante, que, par le passé, la Nature a poursuivie au cœur des inconscientes créatures de l'Ignorance.
Une première condition pour effectuer ce changement, c'est que l'Homme mental que nous sommes à présent, perçoive et maîtrise intérieurement la loi profonde de son être et ses processus. Il doit devenir l'être intérieur psychique et mental, maître de ses énergies ; non plus esclave mais souverain des mouvements de la Prakriti inférieure, solidement établi dans une libre harmonie avec la loi supérieure de la Nature. Une maîtrise croissante de l'individu sur l'action de sa propre nature, une participation de plus en plus consciente à l'action de la Nature universelle, sont les caractères distinctifs du principe et du processus évolutifs et, en vérité, elles en sont les conséquences logiques. Toute action, toute activité mentale, vitale et physique dans le monde est l'opération d'une Énergie universelle, d'une Conscience-Force qui est le pouvoir de l'Esprit cosmique et qui élabore la vérité cosmique et la vérité individuelle des choses. Mais puisque cette Conscience créatrice revêt dans la Matière un masque d'inconscience et prend à la surface l'apparence d'une Force universelle aveugle qui exécute un plan ou organise les choses sans avoir l'air de savoir ce qu'elle fait, le premier résultat aura la même apparence; c'est le phénomène d'une
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individualisation physique inconsciente, une création non pas d'êtres, mais d'objets, qui sont des existences structurées, possédant leurs propriétés et qualités propres, un pouvoir d'être, un caractère naturel ; mais en eux, le plan et l'organisation de la Nature doivent s'exécuter mécaniquement, sans le moindre commencement de participation, d'initiative ou de perception consciente de l'objet individuel, dont l'apparition est comme un premier résultat muet et un champ inanimé de l'action et de la création de la Nature. Dans la vie animale, la Force commence lentement à devenir consciente à la surface et prend la forme non plus d'un objet, mais d'un être individuel. Cet individu imparfaitement conscient, malgré sa participation et bien qu'il ait des sensations et des sentiments, ne fait cependant qu'exécuter ce que la Force accomplit en lui, et il le fait sans aucune intelligence, sans voir clairement ce qui s'accomplit ; il ne semble pas avoir d'autre choix, d'autre volonté que celle que lui impose la forme de sa nature. Avec le mental humain, apparaissent pour la première fois une intelligence observatrice qui regarde ce qui s'accomplit, une volonté et un choix qui sont devenus conscients. Mais la conscience est encore limitée et superficielle ; la connaissance est également limitée et imparfaite, c'est une intelligence partielle, une demi-compréhension tâtonnante et largement empirique, ou, si elle est rationnelle, c'est à l'aide de constructions, de théories et de formules. Ce n'est pas encore une vision lumineuse qui sait les choses par appréhension directe et les arrange selon le plan de leur vérité inhérente, avec une précision spontanée qui s'accorde à la vision. Bien qu'elle contienne une certaine part d'instinct, d'intuition et de pénétration, qui est une première forme de ce pouvoir de vision lumineuse, l'intelligence humaine est normalement, et par nature, une raison qui examine, une pensée réfléchie qui observe, suppose, déduit, conclut, qui arrive laborieusement à une vérité et à un système de connaissance bien structurés, à une action qu'elle a conçue, voulue, agencée elle-même. Ou plutôt; c'est ce qu'elle s'efforce d'être et qu'elle est partiellement ; car sa connaissance et sa volonté sont constamment envahies, obscurcies, contrecarrées par des forces de l'être qui sont les instruments à demi aveugles du mécanisme de la Nature.
Tel n'est pas, évidemment, le suprême pouvoir de la conscience ; ce n'est ni le terme final de son évolution, ni son plus haut sommet. Une plus grande et plus profonde intuition doit être possible, qui pénétrerait au cœur des choses, s'identifierait lumineusement aux mouvements de la Nature et assurerait à l'être une claire maîtrise de sa vie, ou du moins,
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une harmonie avec son univers. Seule une conscience libre et entièrement intuitive serait capable de voir et de saisir les choses par un contact direct et une vision pénétrante, ou par un sens spontané de la vérité né d'une unité ou d'une identité fondamentale, et seule, accorderait l'action de la Nature avec la vérité de la Nature. Il y aurait alors participation réelle de l'individu à l'œuvre de la Conscience-Force universelle. Le Purusha individuel deviendrait le maître de sa propre énergie exécutrice, et, en même temps, le partenaire conscient, l'agent, l'instrument de l'Esprit cosmique dans l'action de l'Énergie universelle; celle-ci agirait à travers lui, mais lui aussi agirait à travers elle, et l'harmonie de la vérité intuitive ferait de cette double opération une action unique. Une participation consciente et croissante de ce type, à la fois plus élevée et plus intime, doit accompagner la transition de notre état d'être actuel à un état supranaturel.
On peut concevoir l'existence d'un autre-monde harmonieux, où une intelligence mentale intuitive de ce genre imposerait son pouvoir et sa loi. Mais sur notre plan d'existence, compte tenu de l'intention originelle et de l'histoire du schéma évolutif, une telle domination pourrait difficilement se stabiliser, et il est peu probable qu'elle puisse être complète, finale et définitive. Car une mentalité intuitive intervenant dans une conscience mentale, vitale et physique mélangée, serait normalement obligée de se mélanger à la substance inférieure de la conscience déjà évoluée. Pour agir sur elle, il lui faudrait pénétrer en elle, et ce faisant, elle s'y trouverait emmêlée et serait envahie, altérée par le caractère séparateur et partiel de notre action mentale, par la limitation et la force restrictive de l'Ignorance. L'action de l'intelligence intuitive est suffisamment incisive et lumineuse pour pénétrer et modifier la masse de l'Ignorance et de l'Inconscience, mais elle n'est pas assez ample ni assez intégrale pour l'absorber et l'abolir : elle ne pourrait effectuer la transformation complète de la conscience tout entière en sa propre substance et son propre pouvoir. Cependant, même dans notre condition actuelle, il existe une sorte de participation, et notre intelligence normale est suffisamment éveillée pour que la Force-Consciente universelle agisse à travers elle et lui permette, ainsi qu'à la volonté, d'orienter dans une certaine mesure les circonstances intérieures et extérieures; cette direction est néanmoins maladroite, à la merci de l'erreur et ne peut avoir qu'un effet et un pouvoir limités. Elle ne saurait se comparer au jeu immense et plus intégral de la Force-Consciente. Au cours de l'évolution
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vers la Supranature, ce pouvoir initial de participation consciente à .l'action universelle s'élargirait dans l'individu et deviendrait une vision de plus en plus intime et étendue du jeu de la Supranature en lui, une perception subtile du cours qu'elle suit, une compréhension croissante ou une conception intuitive des méthodes à suivre pour accomplir une évolution individuelle plus rapide et plus consciente. À mesure que l'être psychique intérieur ou que l'être mental occulte intérieur se manifesterait davantage à la surface, ils pourraient faire leur choix, donner leur approbation, avec un pouvoir accru : ce serait l'apparition d'un libre arbitre authentique de plus en plus efficace. Mais ce libre arbitre s'exercerait surtout sur les opérations de la Nature en l'homme ; il se traduirait simplement par une maîtrise plus libre, plus complète et plus immédiatement perceptible des mouvements de son être propre; car même ainsi, la volonté ne pourrait, au début, être complètement libre, tant qu'elle serait emprisonnée dans les limites créées par ses propres formations, ou qu'elle se heurterait à l'imperfection née du mélange de la vieille conscience et de la nouvelle. Il y aurait néanmoins un accroissement de la maîtrise et de la connaissance et une ouverture à un être et une nature supérieurs.
Notre notion de libre arbitre est aisément faussée par l'individualisme excessif de l'ego humain qui l'associe à une volonté indépendante agissant isolément pour son propre compte, dans une complète liberté, sans autre détermination que son propre choix et son propre mouvement séparé et sans rapport avec les autres. Cette idée ne tient pas compte du fait que notre être naturel fait partie de la Nature cosmique et que notre être spirituel n'existe que par la Transcendance suprême. Notre être total ne peut s'élever et échapper à son assujettissement à la factualité de la Nature présente que par une identification avec une Vérité et une Nature supérieures. ;La volonté de l'individu, même s'il est complètement libre, ne peut agir d'une façon indépendante et isolée, parce que l'être et la nature individuels sont inclus dans l'Être et la Nature universels, et qu'ils dépendent du Transcendant qui gouverne tout. L'ascension peut certes s'accomplir suivant deux voies différentes. Sur l'une de ces voies, l'être pourrait se sentir et se comporter comme une existence en soi, indépendante, qui s'unit à sa propre Réalité impersonnelle ; il pourrait, se concevant ainsi, agir avec une grande force ; cependant, cette action se déroulerait encore à l'intérieur du cadre élargi de son passé et de son présent, tels qu'ils ont été formés par le pouvoir
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de la Nature, ou bien ce serait la Force cosmique ou la Force suprême qui agirait à travers lui, et alors il n'y aurait pas d'initiative personnelle, et donc aucun sentiment de libre arbitre individuel, mais seulement l'œuvre d'une Volonté et d'une Énergie cosmiques ou suprêmes impersonnelles. Suivant l'autre voie, l'être individuel sentirait qu'il est un instrument spirituel de l'Être Suprême et il agirait donc comme l'un de ses pouvoirs, n'étant limité dans son action que par les puissances de la Supranature — qui n'ont d'autres limites et d'autres restrictions que celles de la Vérité et de la loi propre de l'individu —, et par la Volonté qui est en elle. Mais dans les deux cas, il faut remplir une même condition pour échapper à la domination qu'exerce sur nous l'action mécanique des forces de la Nature : soumission à un Pouvoir conscient plus grand ou consentement de l'être individuel, qui s'identifie à l'intention et au mouvement de ce Pouvoir dans sa propre existence et dans celle du monde.
L'action d'un nouveau pouvoir de l'être dans un plus haut domaine de conscience pourrait être extraordinairement efficace, en effet, même dans sa maîtrise de la Nature extérieure, mais seulement grâce à la lumière de sa vision et à l'harmonie ou à l'identification avec la Volonté cosmique et transcendante qui en résulte, car c'est lorsque la volonté de l'être devient l'instrument, non plus d'un pouvoir inférieur, mais d'un Pouvoir supérieur, qu'elle se libère du déterminisme mécanique créé par l'action et les processus de l'Énergie mentale, de l'Énergie vitale et de l'Énergie matérielle cosmiques, et qu'elle s'affranchit d'une soumission ignorante à la pression de cette Nature inférieure. L'individu disposerait peut-être d'un pouvoir d'initiative, et même de surveillance des forces mondiales, mais ce serait l'initiative d'un instrument, une surveillance déléguée — le choix de l'individu recevrait l'approbation de l'Infini parce qu'il est lui-même une expression d'une vérité de l'Infini. Ainsi, plus l'individualité se réaliserait elle-même en tant que centre et formation de la Nature et de l'Être universels et transcendants, plus elle deviendrait puissante et efficace. Car, à mesure que ce changement s'accomplirait, l'énergie de l'individu libéré cesserait d'être l'énergie limitée du mental, de la vie et du corps, qu'il possédait à l'origine. L'être émergerait dans une plus grande lumière de la Conscience et s'ouvrirait à une plus grande action de la Force ; il les ferait siennes, en même temps qu'elles émergeraient et descendraient en lui, et l'absorberaient en elles. Son existence naturelle deviendrait l'instrument d'un Pouvoir supérieur, d'une Conscience-Force surmentale et supramentale, le pouvoir de
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la divine Shakti originelle. Il percevrait tous les processus de l'évolution comme l'œuvre d'une Conscience universelle et suprême, d'une Force universelle et suprême agissant comme elle l'entend, à n'importe quel niveau, et dans les limites qu'elle détermine elle-même, comme l'œuvre consciente de l'Être cosmique et transcendant, l'action de la Mère des mondes, omnipotente et omnisciente, qui soulève l'être jusqu'à elle, jusqu'à sa supranature. La Nature d'Ignorance, avec l'individu pour champ clos et pour instrument inconscient ou à demi conscient, céderait la place à la Supranature de la Gnose divine, et l'âme individuelle serait son champ d'action et son instrument conscient, ouvert et libre; elle participerait à son action, percevrait son but et son processus, et percevrait aussi son propre Moi plus grand, la Réalité universelle et transcendante, et sa propre Personne comme illimitablement une avec cette Réalité et cependant comme un être individuel de Son être, un instrument et un centre spirituel.
Commencer à s'ouvrir à l'action de la Supranature pour y participer, est une des conditions qui permet de s'orienter vers la dernière transformation, la transformation supramentale ; car cette transformation marque la fin du passage qui, de l'obscure harmonie d'un automatisme aveugle, point de départ de la Nature, conduit à la spontanéité lumineuse et authentique de l'Esprit, et à l'infaillible mouvement de sa vérité existant en soi. L'évolution commence avec l'automatisme de la Matière et d'une vie inférieure où tout obéit implicitement à l'impulsion de la Nature, où tout accomplit mécaniquement la loi de son être et réussit ainsi à maintenir l'harmonie de son type limité d'existence et d'action. Elle passe ensuite par la confusion féconde du mental et de la vie d'une humanité poussée par cette Nature inférieure, mais qui lutte pour échapper à ses limitations, pour la maîtriser, la diriger et l'utiliser. Puis elle émerge dans une harmonie plus grande et spontanée, et dans une action qui s'accomplit automatiquement parce qu'elle est fondée sur la Vérité spirituelle des choses. Dans cet état supérieur, la conscience pourra voir cette Vérité et suivre la ligne de ses énergies avec une pleine connaissance, y participer effectivement avec une solide maîtrise de ses instruments, et avec une joie d'être et d'agir complète. Elle aura le bonheur de se sentir parfaitement et lumineusement unie à tout, au lieu de souffrir de l'aveugle soumission de l'individu à l'universel; et à chaque instant, l'action de l'universel dans l'individu et de l'individu dans l'universel sera éclairée et gouvernée par l'autorité de la Supranature transcendante.
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Mais cet état suprême est difficile et il exige évidemment beaucoup de temps pour se réaliser ; car il ne suffit pas que le Purusha consente et participe à la transition, il faut aussi le consentement et la participation de la Prakriti. Ce ne sont pas seulement la pensée et la volonté centrales qui doivent acquiescer, mais toutes les parties de notre être qui doivent consentir et se soumettre à la loi de la Vérité spirituelle — tout, dans toutes les parties de l'être, doit apprendre à obéir au gouvernement du Pouvoir divin conscient. Il y a en nous des difficultés obstinées qui proviennent de notre formation au cours de l'évolution et qui militent contre ce consentement. Car certaines parties de l'être sont encore soumises à l'inconscience, à la subconscience et à l'automatisme inférieur de l'habitude ou de la prétendue loi de la Nature — habitudes mécaniques du mental, habitudes vitales, habitudes instinctives, habitudes de la personnalité et du caractère, besoins, impulsions et désirs invétérés de la nature humaine mentale, vitale et physique, vieux fonctionnements de toutes sortes qui y sont si profondément enracinés qu'il semblerait que nous ayons à creuser jusqu'à des fondations abyssales pour les en extirper; ces parties refusent de désobéir à la loi inférieure fondée dans l'Inconscient; elles font continuellement monter les vieilles réactions jusqu'au mental et au vital conscients et cherchent à les y réimposer comme une loi éternelle de la Nature. D'autres parties de l'être sont moins obscures, moins mécaniques, moins enracinées dans l'inconscience, mais toutes sont imparfaites et attachées à leur imperfection ; toutes ont leurs réactions obstinées — la partie vitale est mariée à la loi de l'affirmation de soi et du désir, la partie mentale est attachée à ses propres mouvements constitués, et toutes deux obéissent volontiers à la loi inférieure de l'Ignorance. Et cependant, la loi de la participation et la loi de la soumission sont impératives; à chaque pas de la transition l'assentiment du Purusha est nécessaire, et il faut aussi que chaque partie de la nature consente à changer sous l'action du pouvoir supérieur. Il faut donc que l'être mental en nous s'oriente lui-même et consciemment vers ce changement, vers cette substitution de la Supranature à la vieille nature, vers cette transcendance. L'obéissance consciente à la vérité plus haute de l'esprit, la soumission de tout l'être à la lumière et à la force qui viennent de la Supranature, est une deuxième condition impérative que l'être lui-même doit réaliser lentement et péniblement avant que la transformation supramentale puisse devenir vraiment possible.
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Il s'ensuit que la transformation psychique et la transformation -spirituelle doivent être très avancées, et même aussi complètes que possible, avant que le troisième changement, la transformation supramentale qui couronne les deux autres, puisse commencer; car c'est seulement par cette double transmutation que l'obstination de l'Ignorance peut être totalement changée en une obéissance spirituelle à la vérité et à la volonté ré-créatrices de la Conscience de l'Infini. On doit généralement traverser une longue et difficile période d'effort constant, d'action énergique, d'austérité de la volonté personnelle, tapasyâ, avant d'atteindre le stade vraiment décisif où une consécration de tout l'être à l'Être Suprême et à la Nature Suprême peut devenir totale et absolue. Il doit y avoir une période préliminaire de recherche et d'effort, avec une offrande centrale ou une consécration du cœur, de l'âme et du mental au Très-Haut, et, plus tard, un stade intermédiaire de confiance totale et consciente en sa Puissance plus grande qui soutient l'effort personnel ; cette confiance intégrale doit à son tour se transformer en un ultime et complet abandon de soi, dans chaque partie et chaque mouvement de l'être, à l'action de la Vérité plus haute dans notre nature. Cet abandon ne peut devenir total que si le changement psychique est complet ou si la transformation spirituelle est déjà très avancée. Car cela implique que te mental renonce à toutes ses idées, ses structures, ses formations, ses opinions, à toutes ses habitudes d'observation et de jugement intellectuels, qui doivent faire place, d'abord à un fonctionnement intuitif, puis à un fonctionnement surmental ou supramental qui inaugure l'action directe de la Conscience-de-Vérité, de la Vision de Vérité, du Discernement de la Vérité — une nouvelle conscience en tout point étrangère à la nature actuelle de notre mental. Il est de même exigé du vital qu'il renonce à tout ce qu'il chérit : désirs, émotions, sentiments, impulsions, sensations routinières, puissants mécanismes d'action et de réaction, qui doivent faire place à une force lumineuse, sans désir, libre, et qui cependant se détermine automatiquement elle-même — la force d'une connaissance, d'une puissance et d'une félicité centralisées, universelles et impersonnelles, dont la vie doit devenir l'instrument et l'épiphanie, mais dont à présent elle ne soupçonne et ne perçoit absolument pas la joie plus grande et la force de réalisation. La partie physique de notre être doit renoncer à ses instincts, ses besoins, ses attachements conservateurs et aveugles, aux routines invariables de sa nature, à ses doutes et à son incrédulité face à tout ce qui la dépasse, à sa foi dans le caractère inexorable des fonctionnements établis du mental physique, de la vie
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physique et du corps, pour qu'ils soient remplacés par un pouvoir nouveau qui établit sa propre loi plus haute et son fonctionnement supérieur dans la forme et la force de la Matière. Même l'inconscient et le subconscient doivent devenir conscients en nous, s'ouvrir à la lumière supérieure, ne plus faire obstacle à l'action réalisatrice de la ConscienceForce, mais devenir de plus en plus une forme et une base inférieure pour l'Esprit. Ces choses ne peuvent se faire tant que le mental, le vital ou la conscience physique sont les pouvoirs directeurs de l'être ou qu'ils exercent leur domination d'une façon quelconque. Pour qu'un pareil changement soit accepté, il faut une émergence complète de l'âme et de l'être intérieur, une domination de la volonté psychique et spirituelle, et une action prolongée de leur lumière et de leur pouvoir sur toutes les parties de l'être, une refonte psychique et spirituelle de la nature tout entière.
Une autre condition nécessaire au changement supramental, est d'unifier tout l'être en abattant le mur qui sépare la nature intérieure de la nature extérieure — la position de la conscience et son centre doivent se déplacer, passer du moi extérieur au moi intérieur; prenant solidement appui sur cette nouvelle base, nous devons nous habituer à agir à partir de ce moi intérieur, de sa volonté et de sa vision, tandis que notre individualité s'ouvre à la conscience cosmique. Il serait chimérique d'espérer que la suprême Conscience-de-Vérité puisse s'établir dans l'étroite formulation de notre mental, notre cœur et notre vie de surface, même s'ils sont tournés vers la spiritualité. Il faut pour cela que tous les centres intérieurs, faisant éclater leurs téguments, se soient ouverts et qu'ils aient projeté dans l'action leurs pouvoirs délivrés; l'entité psychique doit être dévoilée et souveraine. Si ce premier changement, qui établit l'être dans une conscience intérieure et plus large — une conscience yoguique au lieu d'une conscience ordinaire —, n'a pas été accompli, la plus vaste transmutation est impossible. En outre, l'individu doit s'être suffisamment universalisé, il doit avoir refondu sa mentalité individuelle dans l'infinitude d'une mentalité cosmique, élargi et vivifié sa vie individuelle par la perception immédiate et l'expérience directe du mouvement dynamique de la vie universelle, ouvert les voies de communication entre son corps et les forces de la Nature universelle, avant d'être capable d'un changement qui dépasse la présente formule cosmique, et qui le soulève au-delà de l'hémisphère inférieur de l'universalité, jusqu'à une conscience appartenant à l'hémisphère
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spirituel supérieur. De plus, il doit déjà avoir pris conscience de ce qui est maintenant supraconscient pour lui; il doit être conscient de la Lumière, du Pouvoir, de la Connaissance, de Celle-ci spirituels plus hauts, être pénétré par leur influence qui descend, et entièrement refaçonné par le changement spirituel. L'ouverture spirituelle peut se produire et son action se poursuivre avant que l'ouverture psychique ne soit complète ou très avancée, car l'influence spirituelle venant d'en haut peut éveiller, aider et compléter la transmutation psychique; la seule chose nécessaire alors, c'est que la pression de l'entité psychique soit suffisante pour que l'ouverture spirituelle supérieure se produise. Mais le troisième changement, le changement supramental, n'admet aucune descente prématurée de la plus haute Lumière, car il ne peut commencer que si la Force supramentale agit directement, ce qu'elle ne fait pas à moins que la nature ne soit prête. La disparité entre le pouvoir de la Force suprême et la capacité de la nature ordinaire est trop grande en effet ; la nature inférieure serait incapable de supporter la Force, ou, si elle la supportait, serait incapable de répondre à son influence et de l'accepter, ou, si elle l'acceptait, ne pourrait l'assimiler. Tant que la nature n'est pas prête, la Force supramentale doit agir indirectement; elle met en avant les pouvoirs intermédiaires du surmental ou de l'intuition ; ou elle agit en s'atténuant elle-même, ce qui permet à l'être déjà à demi transformé de répondre partiellement ou pleinement à son influence.
L'évolution spirituelle obéit a la logique d'un développement successif. Elle ne peut faire un nouveau pas, essentiel et décisif, que lorsque le pas essentiel précédent a été suffisamment assuré ; et même si l'on peut sauter ou brûler certaines étapes mineures par une brusque et rapide ascension, la conscience doit revenir en arrière pour s'assurer que le terrain parcouru a été solidement annexé au nouvel état d'être. Il est vrai que la conquête de l'esprit suppose que l'on parcoure en une vie, ou en un petit nombre de vies, un chemin qui, suivant le cours ordinaire de la Nature, demanderait des siècles, voire des millénaires, de marche lente et incertaine; tout dépend de la rapidité avec laquelle les étapes sont franchies ; un mouvement plus rapide et plus concentré n'élimine pas les étapes elles-mêmes ni la nécessité de les dépasser successivement. Une plus grande rapidité ne devient possible qu'avec la participation consciente de l'être intérieur et si le pouvoir de la Supranature est déjà à l'œuvre dans la nature inférieure à demi transformée, car ainsi, au lieu
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d'une marche incertaine dans la nuit de l'Inconscience et de l'Ignorance, ce serait une marche dans une lumière plus grande, avec un plus grand pouvoir de Connaissance. Le premier mouvement obscur et purement matériel de la Force évolutive est marqué par un développement graduel qui s'étend sur des âges. Le mouvement de la vie suit une lente progression; son rythme est cependant plus rapide; il est concentré sur quelques millénaires. Le mental peut comprimer davantage encore la lenteur nonchalante du temps et enjamber les siècles. Mais quand l'esprit conscient intervient, le rythme de l'évolution atteint un degré de concentration suprême et s'accélère. Cependant, cette accélération du mouvement évolutif qui permet de brûler les étapes, ne peut se produire que si le pouvoir de l'esprit conscient a préparé le terrain et si la Force supramentale a commencé à exercer une influence directe. Certes, toutes les transformations de la Nature revêtent l'apparence d'un miracle ; mais c'est un miracle qui suit une méthode ; les plus larges foulées de la Nature s'appuient sur un terrain assuré, ses bonds les plus rapides partent d'une base qui donne sécurité et certitude aux sauts évolutifs; une toute-sagesse secrète gouverne tout en elle, même les étapes et les processus qui semblent les plus inexplicables.
Cette loi qui régit les opérations de la Nature nécessite une gradation dans le dernier processus de transition, et une ascension de degré en degré, un échelonnement d'états de plus en plus élevés qui nous conduisent du mental spiritualisé au supramental — passage escarpé qu'autrement nous n'aurions pu franchir. Au-dessus de nous, nous l'avons vu, se trouvent des états successifs, des plans ou des pouvoirs étages de l'être qui surplombent notre mental ordinaire ; cachés dans les parties supraconscientes de notre être, il y a des zones supérieures du Mental, de plus hauts degrés de conscience et d'expérience spirituelles. Sans eux, il n'y aurait pas de chaînons, pas d'espaces intermédiaires qui rendent possible cette immense ascension. En fait, c'est depuis ces sources supérieures que le Pouvoir spirituel secret agit sur l'être et, par sa pression, amène la transformation psychique ou le changement spirituel ; mais durant les premières étapes de notre développement, cette action n'est pas apparente, elle demeure occulte et insaisissable. Ce qui est nécessaire, au début, c'est que la force spirituelle intervienne et que dans toute sa pureté, elle touche la nature mentale ; cette pression éveille le mental, le cœur et la vie, y laisse sa marque et les oriente vers le haut; une lumière subtile ou un grand pouvoir transmutateur doit purifier,
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affiner ou élever leurs mouvements et les imprégner d'une conscience supérieure qui est étrangère à leurs capacités ordinaires et à leur caractère normal. Cela peut se faire du dedans, par une action invisible à travers l'entité et la personnalité psychiques ; il n'est pas indispensable de sentir consciemment la descente qui s'opère depuis les plans supérieurs. La présence de l'esprit est là, en chaque être vivant, à tous les niveaux, en toute chose, et parce qu'elle est là, l'expérience de Satchidânanda, de l'existence et de la conscience spirituelles pures, de la félicité d'une présence divine, d'une intimité, d'un contact divins, peut être vécue par le mental ou le cœur ou les sensations vitales, ou même par la conscience physique; si les portes intérieures sont suffisamment ouvertes, la lumière qui brille dans le sanctuaire peut inonder les chambres les plus proches et les plus lointaines de l'être extérieur. Ce changement nécessaire, ce tournant, peut aussi s'accomplir par une descente occulte de la force spirituelle; on ressent alors l'influx, l'influence, les effets spirituels, mais la source supérieure demeure inconnue et l'on n'a pas le sentiment concret d'une descente. Une conscience ainsi touchée peut être soulevée au point que l'être se tourne vers le Moi ou le Divin pour s'unir immédiatement à lui ; elle quitte le champ évolutif et, si cela lui est accordé, elle n'a plus à suivre un développement graduel, il n'est plus pour elle question d'échelons ou de méthode ; la rupture avec la Nature peut être radicale. Car la loi de l'évasion, quand celle-ci devient possible, n'est pas nécessairement la même que la loi de la transformation et de la perfection évolutives; c'est, ou ce peut être, un bond, une rupture rapide ou immédiate de tous les liens ; l'évasion spirituelle est assurée, et la seule sanction qui demeure concerne l'inévitable déchéance du corps. Mais, si c'est la transformation de la vie terrestre qui est prévue, il faut, après ce premier contact, ce début de spiritualisation, prendre conscience des sources et des énergies supérieures, les rechercher, élargir l'être et l'élever jusqu'à leur plan d'existence propre, et convertir la conscience à leur loi supérieure et à leur nature dynamique. Ce changement doit s'accomplir pas à pas, jusqu'à ce que l'on ait dépassé tous les échelons de l'ascension pour émerger dans ces plus grands espaces largement déployés dont parle le Véda, les espaces où naît une conscience suprêmement lumineuse et infinie.
On retrouve ici, en effet, le même processus évolutif que dans les autres parties du mouvement de la Nature; il y a une élévation et un élargissement de la conscience, une ascension vers un plan nouveau et
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une intégration des plans inférieurs, un soulèvement et une intégration nouvelle par un pouvoir supérieur de l'Être qui impose son mode d'action, son caractère et la force de sa substance-énergie sur toutes les parties de la nature qu'il peut atteindre du fait de leur évolution préalable. À ce stade le plus haut des opérations de la Nature, la nécessité d'une intégration devient un point d'importance primordiale. Aux échelons inférieurs de l'ascension, l'adoption nouvelle, l'intégration par un principe plus élevé de conscience, reste incomplète, car le mental ne peut pas mentaliser complètement la vie et la matière ; de grandes parties de l'être vital et du corps demeurent dans le domaine du submental et du subconscient, ou de l'inconscient. C'est là un obstacle sérieux à l'effort du mental vers la perfection de la nature; car le submental, le subconscient et l'inconscient continuent pendant longtemps à jouer un rôle dans le gouvernement de nos activités, introduisant une autre loi que celle de l'être mental et permettant ainsi à la conscience vitale et à la conscience physique de rejeter la loi que le mental veut leur imposer, et de suivre leurs propres impulsions et leurs propres instincts au mépris de la raison mentale et de la volonté rationnelle de l'intelligence développée. C'est pourquoi le mental a de la difficulté à se transcender lui-même, à dépasser son propre niveau et à spiritualiser la nature; il ne saurait, en effet, spiritualiser ce qu'il ne peut même pas rendre pleinement conscient, ce qu'il ne peut solidement mentaliser et rationaliser, car la spiritualisation est une intégration plus grande et plus difficile encore. En faisant appel à la force spirituelle, le mental peut certes établir une influence et amener un changement préliminaire dans certaines parties de la nature, notamment dans le mental pensant lui-même et dans le cœur, qui est le plus proche de sa province ; mais ce changement, même dans son propre domaine, atteint rarement une perfection totale et ce qu'il accomplit est exceptionnel et difficile. Quand la conscience spirituelle se sert du mental, elle utilise un moyen inférieur ; et même si elle introduit une lumière divine dans le mental, une pureté, une passion et une ardeur divines dans le cœur, ou si elle impose une loi spirituelle à la vie, cette nouvelle conscience ne doit pas moins travailler dans certaines limites. Elle peut tout au plus régler ou refréner l'action inférieure de la vie et maîtriser rigoureusement le corps ; mais ces parties, même raffinées ou maîtrisées, n'atteignent pas leur accomplissement spirituel, n'arrivent pas à la perfection et à la transformation. Pour cela, il est nécessaire d'introduire un principe dynamique supérieur, qui est inhérent à la conscience spirituelle et grâce auquel, par conséquent, celle-ci peut agir
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selon sa propre loi, sa lumière et sa puissance naturelles plus complètes, et les imposer aux différentes parties de l'être.
Et pourtant, même cette intervention d'un nouveau principe dynamique et cette puissante imposition peuvent prendre longtemps pour s'accomplir; car les parties inférieures de l'être ont leurs droits, et si elles doivent être vraiment transformées, il faut les faire consentir à leur propre transformation. Cela est difficile à obtenir, car chacune des parties de notre être a naturellement tendance à préférer sa loi propre, son dharma, même inférieur, à une loi ou un dharma supérieur qu'elle sent ne pas être sien. Elle s'accroche à sa propre conscience ou inconscience, à ses impulsions et réactions, au dynamisme de son être, à sa façon d'éprouver la joie de l'existence. Elle s'y accroche encore plus obstinément si sa loi est contraire à la joie, si elle suit un chemin d'obscurité et de souffrance, de peine et de douleur; car cette loi, elle aussi, a trouvé sa propre saveur contraire et perverse, son rassa, son plaisir dans l'obscurité et le chagrin, son intérêt sadique ou masochiste dans la douleur et la souffrance. Même si cette partie inférieure de notre être recherche le mieux, elle est souvent obligée de suivre le pire, parce que c'est là sa nature — c'est naturel à son énergie, naturel à sa substance. Un changement complet et radical ne peut s'effectuer que par l'intervention persistante de la lumière spirituelle et par une expérience intime de la vérité, de la puissance et de la félicité spirituelles dans les éléments récalcitrants, jusqu'à ce qu'ils reconnaissent, eux aussi, que telle est bien la voie de leur propre plénitude, qu'ils sont eux-mêmes un pouvoir diminué de l'esprit et que, par cette nouvelle façon d'être, ils peuvent recouvrer leur propre vérité et leur nature intégrale. À cette illumination s'opposent constamment les Forces de la nature inférieure, et davantage encore les Forces adverses qui vivent et règnent grâce aux imperfections du monde et qui ont établi leurs formidables fondations sur le roc noir de l'Inconscience.
Pour surmonter cette difficulté, l'ouverture de l'être intérieur et de ses centres d'action est une étape indispensable; car la tâche que le mental de surface ne pouvait accomplir, commence alors à devenir possible. Le mental intérieur, la conscience vitale et le mental vital intérieurs, la conscience physique subtile et sa mentalité physique subtile, dès qu'ils sont libres d'agir, suscitent une prise de conscience supérieure, plus vaste et plus fine, qui sert d'intermédiaire et peut
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communiquer avec la conscience universelle et avec ce qui est au-dessus d'eux, qui peut aussi faire jouer leur pouvoir sur toutes les zones de l'être, sur le submental, le mental subconscient, la vie subconsciente, et même sur la subconscience du corps. Ils peuvent, sinon illuminer totalement l'Inconscience fondamentale, du moins l'ouvrir jusqu'à un certain point, la pénétrer et travailler sur elle. La Lumière, la Puissance, la Connaissance et la Félicité spirituelles peuvent alors descendre au-delà du mental et du cœur qui sont toujours les plus faciles à atteindre et à illuminer ; ayant ainsi occupé toute la nature de haut en bas, elles peuvent imprégner plus totalement la vie et le corps, et par un choc plus profond encore, ébranler les fondations de l'Inconscience. Mais même cette mentalisation et cette vitalisation plus vastes jaillies de l'intérieur, sont encore une illumination inférieure ; elles peuvent réduire l'Ignorance, mais non l'éliminer; elles s'attaquent aux puissances et aux forces qui maintiennent l'empire subtil et secret de l'Inconscience et les obligent à reculer, mais elles n'en triomphent pas. Les forces spirituelles qui agissent à travers cette mentalisation et cette vitalisation plus vastes peuvent amener une lumière, une vigueur et une joie plus hautes ; à ce stade, cependant, la spiritualisation totale, l'intégration nouvelle et plus complète de la conscience est encore impossible. Mais si l'être le plus intérieur, le psychique, prend la direction, alors, en vérité, une mutation plus profonde, qui n'est pas mentale, peut rendre plus efficace la descente de la force spirituelle, car la totalité de l'être conscient aura subi le changement psychique préliminaire qui libère le mental, la vie et le corps des pièges de leurs propres imperfections et impuretés. Une plus grande dynamisation spirituelle peut alors se produire, grâce à la pleine intervention des pouvoirs supérieurs du mental spirituel et du surmental; en fait, ces pouvoirs peuvent être déjà à l'oeuvre, mais simplement sous forme d'influences, tandis que dans les conditions nouvelles, ils peuvent soulever l'être central jusqu'à leur propre niveau et entreprendre la nouvelle et dernière intégration de la nature. Ces pouvoirs supérieurs agissent déjà dans le mental humain non spiritualisé, mais indirectement, et leur action est fragmentaire et restreinte. Ils sont changés en substance mentale et en pouvoir mental avant de pouvoir agir, et si cette substance et ce pouvoir sont illuminés, si leurs vibrations sont intensifiées par cette entrée en jeu, si certains de leurs mouvements sublimés s'emplissent de béatitude, ils ne sont pourtant pas transformés. Mais quand la spiritualisation commence, et à mesure que ses effets plus puissants se manifestent — silence mental,
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accession de notre être à la conscience cosmique, Nirvana du petit ego dans la perception du moi universel, contact avec la Réalité divine —, les interventions d'une dynamis supérieure sont plus fréquentes et nous pouvons nous ouvrir plus largement à elles; elles peuvent assumer un pouvoir plus ample, plus direct, plus caractéristique, et la progression se poursuit jusqu'à ce qu'elles deviennent plus complètes et plus parfaites. C'est alors que l'on passe de la transformation spirituelle à la transformation supramentale ; car en s'élevant vers des plans de plus en plus hauts, la conscience construit en nous les degrés de l'ascension vers le supramental, ce difficile et suprême passage.
Il ne faudrait pas croire que les circonstances et les lignes que suit cette transition seront les mêmes pour tous, car nous entrons ici dans le domaine de l'infini. Mais puisqu'il y a, derrière chacune, l'unité d'une vérité fondamentale, on peut espérer que l'examen d'une ligne d'ascension particulière jettera quelque lumière sur le principe de toutes les autres voies possibles. Tout ce que l'on peut tenter ici, c'est d'examiner l'une de ces lignes, qui, comme les autres, est nécessairement déterminée par la configuration naturelle de l'échelle ascendante; on y trouve de multiples échelons, car c'est une gradation ininterrompue et il n'y a de vide nulle part ; mais du point de vue de l'ascension de la conscience à partir du mental, suivant une série ascendante de pouvoirs dynamiques qui permettent à celui-ci de se dépasser lui-même, la gradation peut se résumer à quatre ascensions principales qui possèdent chacune leur niveau supérieur d'accomplissement. On peut, de façon sommaire, la décrire comme une série de soulèvements de la conscience, qui passe par le Mental supérieur, le Mental illuminé et l'Intuition jusqu'au Surmental et au-delà ; c'est une succession de transmutations de soi au sommet de laquelle se trouve le Supramental ou Gnose divine. Tous ces degrés sont gnostiques en leur principe et leur pouvoir; même au début, en effet, nous commençons à passer d'une conscience basée sur une Inconscience originelle et qui agit dans une Ignorance générale ou dans un mélange de Vision, à une conscience basée sur une Connaissance secrète existant en soi. Elle est tout d'abord dirigée ou inspirée par la lumière et le pouvoir de cette Connaissance, puis elle est elle-même changée en sa substance et finit par adopter entièrement ce nouveau mode d'action. Ces degrés sont en réalité des degrés de la substance-énergie de l'Esprit : car le fait que nous les distinguions suivant leur caractère dominant, leur moyen et leur pouvoir
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de connaissance, ne signifie pas qu'il faille les considérer comme une simple méthode, un chemin de connaissance ou une faculté, un pouvoir de cognition ; ce sont des domaines de l'être, des degrés de la substance et de l'énergie de l'être spirituel, des champs d'existence qui forment, chacun, un niveau de la Conscience-Force universelle tandis qu'elle se constitue et s'organise en un état plus élevé. Quand les pouvoirs de l'un quelconque de ces degrés descendent complètement en nous, ce n'est pas seulement notre pensée et notre connaissance qui en sont affectés — la substance et la texture même de notre être et de notre conscience, tous ses états et toutes ses activités sont touchés et pénétrés et peuvent être refondus, entièrement transmués. Chaque étape de cette ascension est, par conséquent, une conversion générale, sinon totale, de l'être en la nouvelle lumière et le nouveau pouvoir d'une existence plus grande.
La gradation elle-même dépend fondamentalement de la qualité plus ou moins haute de la substance; elle dépend de la puissance, de l'intensité des vibrations de l'être, de la conscience qu'il a de lui-même, de sa félicité d'être, de son pouvoir d'être. À mesure que l'on descend l'échelle, la conscience se réduit et se dilue ; certes, son caractère fruste, grossier, lui donne une certaine densité; la substance de l'Ignorance devient plus compacte, et la consistance grossière de la conscience se laisse moins pénétrer par la substance de la lumière ; sa pure substance de conscience s'appauvrit, son pouvoir de conscience se réduit, sa lumière s'atténue, sa capacité de joie s'appauvrit elle aussi, et s'affaiblit. Elle doit alors puiser dans la masse plus épaisse de sa substance amoindrie, et dépenser à grand-peine sa force obscurcie pour accomplir la moindre chose; mais cette tension dans l'effort et ce labeur sont un signe de faiblesse, non de force. À mesure que l'on s'élève, au contraire, une substance plus fine émerge — qui est beaucoup plus forte et plus réellement et spirituellement concrète —, une plus grande luminosité, une substance de conscience plus puissante, une énergie de joie plus subtile, plus douée et plus pure, au ravissement plus intense. Quand ces degrés supérieurs descendent en nous, c'est cette lumière et cette force plus grandes, cette essence de l'être et de la conscience, cette énergie de joie qui pénètrent le mental, la vie et le corps, qui changent et restaurent leur substance amoindrie, diluée et impuissante, qui la convertissent en leur propre dynamis spirituelle supérieure, en la forme et la force intrinsèques de leur réalité. Cela n'est possible que parce que tout est fondamentalement
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la même substance, la même conscience, la même force, mais dans des 'formes, avec des pouvoirs et des degrés différents. L'intégration de l'inférieur par le supérieur est par conséquent un mouvement possible et même spirituellement naturel, sauf pour l'inconscience de notre seconde nature; ce qui a été projeté de l'état supérieur, est embrassé et réintégré en son propre être plus grand et en sa propre essence.
Dans notre ascension, le premier pas décisif hors de l'intelligence humaine, de la mentalité normale, nous conduit à un Mental plus élevé, un mental qui n'est plus un mélange de lumière et d'obscurité ou une demi-lumière, mais une vaste clarté de l'esprit. Sa substance de base est une perception unitaire de l'être et une dynamisation multiple et puissante qui peut former des aspects de la connaissance et des modes d'action innombrables, d'innombrables formes et significations du devenir, et avoir une connaissance innée, spontanée de chacun d'eux. C'est donc un pouvoir issu du Surmental — mais dont le Supramental est l'origine plus lointaine —, comme il en est de tous ces grands pouvoirs. Son caractère spécial et l'activité de sa conscience sont dominés par la Pensée; c'est un mental pensant lumineux, un mental de connaissance conceptuelle née de l'esprit. Une conscience de la totalité émergeant de l'identité originelle et portant les vérités que l'identité contenait en elle, tel est le caractère de ce mental de connaissance supérieur; il conçoit rapidement, victorieusement, innombrablement, formule ses conceptions et, par le pouvoir propre de l'Idée, les réalise effectivement. Ce mode de cognition est le dernier à émerger de l'identité spirituelle originelle avant que ne se manifeste la connaissance séparative, fondement de l'Ignorance. Il est par conséquent le premier qui se présente à nous lorsque nous nous élevons du mental conceptuel et rationnel — notre pouvoir de connaissance le mieux organisé dans l'Ignorance — jusqu'au royaume de l'Esprit. Il est, en fait, le parent spirituel de notre idéation mentale conceptuelle, et il est naturel que ce pouvoir dominant de notre mentalité, quand il se dépasse lui-même, retourne à sa source première.
Mais ici, dans cette Pensée plus grande, la ratiocination, avec sa recherche et son autocritique, n'est plus nécessaire, ni le déroulement logique qui s'avance pas à pas vers une conclusion, ni le mécanisme de déduction et d'inférence, explicite ou implicite, ni l'agencement ou l'enchaînement méthodique des idées pour arriver à une somme ou à un résultat ordonné de la connaissance. Car cette action boiteuse de notre
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raison est un mouvement de l'Ignorance qui cherche la connaissance, qui est obligé de se protéger à chaque pas de l'erreur, d'ériger une structure mentale sélective pour s'abriter temporairement, et de l'asseoir sur des fondations déjà posées, et posées avec soin — mais jamais solides, car elles ne s'appuient pas sur le terrain d'une prise de conscience naturelle, mais viennent s'imposer sur le sol d'une nescience originelle. Cette conscience plus haute ne suit pas non plus la méthode de notre mental le plus prompt et le plus pénétrant : ce n'est pas une divination ni une vision intérieures rapides et hasardeuses, un jeu du phare de l'intelligence qui sonde l'inconnu ou le peu connu ; c'est une Connaissance qui se formule sur la base d'une conscience totale existant en soi, et qui manifeste sous forme de pensée un fragment de son intégralité, une harmonie de ses significations. Elle peut s'exprimer librement sous forme d'idées isolées, mais son mouvement le plus caractéristique est une idéation globale, un système qui embrasse tout d'un seul regard, la totalité d'une vision de vérité ; les relations d'idée à idée ou de vérité à vérité ne sont plus établies par la logique, mais préexistent et émergent, déjà vues en elles-mêmes dans un tout intégral. C'est un commencement de mise en forme d'une connaissance depuis toujours présente mais jusqu'alors inactive, et non un système de conclusions qui s'appuie sur des prémisses ou des données. Cette pensée est une révélation de l'éternelle Sagesse, non une connaissance acquise. De vastes aspects de la vérité entrent alors dans le champ de la vision, et au cours de son ascension, le Mental peut choisir de s'y arrêter et, satisfait, d'y vivre comme dans une structure, selon son habitude ancienne. Mais pour progresser, ces structures doivent constamment s'élargir ou se combiner pour former un tout provisoire plus large, sur le chemin qui mène à une intégralité encore inaccomplie. Finalement, on connaît la vérité, on en fait l'expérience dans une vaste totalité; mais elle peut encore s'élargir à l'infini, parce que les aspects de la connaissance sont eux-mêmes infinis, nâstyanto vistarasya me.
Tel est le Mental supérieur sous son aspect de cognition; mais il a aussi un aspect de volonté, de réalisation dynamique de la Vérité. Ici nous observons que c'est toujours par le pouvoir de la pensée, par l'idée-force, que ce Mental plus large et plus lumineux agit sur le reste de l'être, sur la volonté mentale, le cœur et ses sentiments, la vie et le corps. Il cherche à purifier par la connaissance, à délivrer par la connaissance, à créer par le pouvoir inné de la connaissance. L'idée pénètre dans le cœur ou la vie comme une force qui doit être acceptée et élaborée ; le cœur et la
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vie deviennent alors conscients de l'idée et répondent à son dynamisme ; puis leur substance commence à se modifier en conséquence, de sorte que nos sentiments et nos actions deviennent les vibrations de cette sagesse supérieure, ils s'en imprègnent, sont tout emplis de son émotion et de sa perception. La volonté et les impulsions vitales sont, elles aussi, chargées de son pouvoir et de son élan vers la réalisation de soi; et même dans le corps, l'idée travaille de telle sorte, par exemple, qu'une forte pensée de bonne santé et une puissante volonté d'être en bonne santé peuvent remplacer la foi du corps dans la maladie et son consentement à la maladie, ou qu'une idée¹ de force peut appeler la substance, le pouvoir, le mouvement, la vibration de la force. L'idée engendre la force et la forme propres à l'idée, et les imposent à la substance de notre mental, de notre vie et de notre matière. C'est de cette manière que s'accomplit le premier travail; il charge l'être entier d'une conscience nouvelle et plus élevée ; il pose les fondations du changement et prépare l'être à une vérité supérieure de l'existence.
Pour nous prémunir contre une idée fausse assez commune, qui nous vient facilement à l'esprit quand nous commençons à percevoir et éprouver le pouvoir transcendant des forces supérieures, il faut souligner que ces forces, lorsqu'elles descendent, ne sont pas immédiatement toutes-puissantes comme elles le seraient naturellement dans leur propre champ d'action et leur propre milieu. Le champ évolutif de la Matière est un milieu inférieur et étranger où elles doivent pénétrer afin d'agir sur lui. Elles y sont confrontées aux incapacités de notre mental, de notre vie et de notre corps, se heurtent au manque de réceptivité ou au refus aveugle de l'Ignorance, subissent la négation et l'obstruction de l'Inconscience. Sur leur propre plan, leur action se fonde sur une conscience et une substance d'être lumineuses, et elles sont automatiquement efficaces; mais ici-bas, elles doivent affronter les fondations déjà solides de la nescience, non seulement la complète nescience de la Matière, mais la nescience mitigée du mental, du cœur et de la vie. Ainsi, en descendant dans l'intelligence mentale développée, l'Idée plus haute doit, même sur ce plan, surmonter le barrage d'une masse d'idées toutes faites ou de systèmes qui relèvent de la Connaissance-Ignorance et vaincre ces idées qui persistent obstinément et veulent se réaliser. Car
¹Le mot qui exprime l'idée a le même pouvoir s'il est chargé de force spirituelle. Telle est la raison de l'usage du montra en Inde.
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toutes les idées sont des forces et, suivant les conditions, elles ont une capacité formatrice et réalisatrice plus ou moins grande, qui peut même être réduite pratiquement à néant quand elles ont affaire à la Matière inconsciente, mais qui subsiste encore en puissance. Il existe donc un pouvoir de résistance préconstitué qui s'oppose à la descente de Lumière ou en diminue les effets, une résistance qui peut aller jusqu'au refus et au rejet de la Lumière, ou se manifester par une volonté de l'altérer et de l'asservir, de l'affaiblir ou de l'adapter avec ingéniosité, ou de la pervertir pour l'accommoder aux idées préconçues de l'Ignorance. Si les idées préconçues ou déjà formées sont repoussées et privées de leur droit de persistance, elles gardent encore un droit de récurrence et peuvent venir du dehors, du Mental universel où elles prédominent ; ou bien elles peuvent s'enfoncer dans les parties vitales, physiques ou subconscientes de notre être, et de là resurgir à la moindre occasion pour reprendre possession de leur domaine perdu. La Nature évolutive doit, en effet, accorder ce droit de persistance aux choses qu'elle a établies, afin de donner à sa marche une régularité et une fermeté suffisantes. En outre, chaque force dans la manifestation a le droit d'être, de survivre, de se réaliser, partout et aussi longtemps que cela est possible ; c'est sa nature, et c'est pourquoi dans un monde d'Ignorance, tout s'accomplit non seulement par une combinaison de forces, mais aussi par leur choc, leur conflit et leur brassage. Mais pour cette évolution supérieure, il est essentiel que tout mélange d'Ignorance et de Connaissance soit supprimé ; l'action et l'évolution par le conflit des forces, doivent faire place à une action et une évolution dans l"harmonie des forces ; et ce stade ne peut être atteint que par un dernier conflit et une victoire des puissances de la Lumière et de la Connaissance sur les puissances de l'Ignorance. Sur les plans inférieurs de l'être, dans le cœur, la vie et le corps, le même phénomène se répète, mais avec plus d'intensité; car ici, ce ne sont plus des idées qu'il faut affronter, mais des émotions, des désirs, des impulsions, des sensations, des besoins du vital et des habitudes de la Nature inférieure. Moins conscients, ils ont des réactions plus aveugles et s'affirment avec plus d'obstination ; tous ont un pouvoir égal, ou même supérieur, de résistance et de récurrence, et ils prennent refuge dans la Nature universelle circumconsciente, ou dans les niveaux inférieurs de notre être, ou dans le subconscient, à l'état de germe, et, de là, ils ont le pouvoir de resurgir et de nous envahir à nouveau. Ce pouvoir de persistance, de récurrence et de résistance des choses établies dans la Nature est toujours le grand obstacle qui
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s'oppose à la force évolutive, obstacle qu'elle a d'ailleurs créé elle-même afin d'empêcher une transmutation trop rapide, alors même que cette transmutation est l'objectif ultime qu'elle poursuit.
Cet obstacle se présentera à chaque étape de cette grande ascension, même s'il diminue progressivement. Pour que la Lumière supérieure .puisse vraiment pénétrer en nous et agir avec suffisamment de force, il est nécessaire d'acquérir le pouvoir d'amener la paix dans notre nature, de nous recueillir, de nous tranquilliser, d'imposer au mental, au cœur, à la vie et au corps une passivité contrôlée, voire un silence complet. Même ainsi, une opposition manifeste et tangible peut encore persister dans la Force de l'universelle Ignorance, ou une opposition subliminale et voilée de la substance-énergie dans la constitution mentale de l'individu, dans sa forme vitale, dans son corps matériel ; une résistance occulte est toujours possible, une révolte ou une réaffirmation des énergies de la nature ignorante, même lorsqu'elles ont été maîtrisées ou refoulées ; et si, dans l'être, quelque chose y consent, elles peuvent reprendre le pouvoir. L'établissement préalable d'une maîtrise psychique est très désirable, car elle crée une réceptivité générale et empêche que les parties inférieures se révoltent contre la Lumière, ou consentent aux exigences de l'Ignorance. Une: transformation spirituelle préliminaire réduira aussi l'emprise de l'Ignorance. Mais aucune de ces influences n'élimine complètement son obstruction et ses limitations ; car ces changements préliminaires ne nous donnent pas une conscience et une connaissance intégrales ; la base originelle de nescience propre à l'Inconscient demeure, et il faudra, 'à chaque pas, la changer, l'illuminer, réduire l'étendue et la force de ses réactions. Le pouvoir du Mental supérieur spirituel et de son idée-force, affaibli et diminué par son entrée dans notre mentalité, n'est pas suffisant pour balayer tous ces obstacles et créer l'être gnostique ; mais il peut accomplir un premier changement, une modification qui rendra possible une ascension plus haute et une descente plus puissante, et sera mieux à même de préparer une intégration de l'être dans une Force supérieure de conscience et de connaissance.
Cette Force supérieure est celle du Mental illuminé, un Mental non plus de Pensée plus élevée, mais de lumière spirituelle. Ici, la clarté de -l'intelligence spirituelle, la tranquille lumière de son jour, fait place ou se soumet à l'éclat intense, à la splendeur et l'illumination de l'esprit. Une scintillation d'éclairs de vérité et de puissance spirituelles descend
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et fait irruption dans la conscience ; à l'illumination immense et paisible, à la vaste descente de paix qui caractérisent ou accompagnent l'action du principe conceptuel-spirituel plus large, s'ajoutent une aspiration ardente à la réalisation et l'extase enivrante de la connaissance. Un torrent de Lumière intérieurement visible enveloppe très souvent cette action. Notons, en effet, que contrairement à nos conceptions ordinaires, la lumière n'est pas originairement une création matérielle, et la perception ou la vision de lumière qui accompagne l'illumination intérieure n'est pas simplement une image visuelle subjective ou un phénomène symbolique. La lumière est d'abord et avant tout une manifestation spirituelle de la Réalité divine illuminatrice et créatrice, et la lumière matérielle est sa représentation ou sa conversion ultérieures dans la Matière pour les besoins de l'Énergie matérielle. En même temps que cette descente, nous voyons surgir un plus grand dynamisme, un élan enflammé, un lumineux enthousiasmas de force et de puissance intérieures, qui remplacent le cheminement comparativement lent et mesuré du Mental supérieur par l'impulsion rapide, parfois véhémente et presque violente, d'une rapide transformation.
Le Mental illuminé n'agit pas principalement par la pensée, mais par la vision; la pensée n'est ici qu'un mouvement subordonné pour exprimer la vision. Le mental humain, qui s'appuie surtout sur la pensée, estime qu'elle est le plus haut ou le principal processus de connaissance ; mais dans l'ordre spirituel, la pensée est un processus secondaire, qui n'est pas indispensable. Sous sa forme verbale, la pensée est presque une concession que la Connaissance fait à l'Ignorance, parce que celle-ci est incapable de percevoir la vérité de façon totalement claire et intelligible, dans toute son étendue et ses implications multiples, à moins d'avoir recours à la précision éclairante de sons signifiants; sans cet artifice, elle ne peut donner aux idées un contour exact et un corps expressif. Mais il est évident que c'est un artifice, un mécanisme. En elle-même et à son origine, sur les plans supérieurs de la conscience, la pensée est une perception, une appréhension cognitive de l'objet ou d'une certaine vérité des choses; et c'est là un résultat de la vision spirituelle qui, pour être puissant, n'en est pas moins mineur et secondaire; c'est un regard relativement extérieur et superficiel du moi sur le moi, du sujet sur lui-même ou sur quelque partie de lui-même prise comme objet; car là, tout est diversité et multiplicité du moi. Dans le mental, il y a la réponse superficielle de la perception au contact d'un objet, d'un fait
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ou d'une vérité observés ou découverts, et la formulation conceptuelle qui en résulte ; mais dans la lumière spirituelle, il y a la réponse d'une perception plus profonde de la substance même de la conscience et, dans cette substance, une formulation globale, l'image exacte d'un idéogramme révélateur dans le tissu de l'être —rien de plus, aucune représentation verbale n'est nécessaire pour la précision et la plénitude de cette connaissance-pensée. La pensée crée une image représentative de la Vérité ; elle l'offre au mental comme un moyen de tenir la Vérité et d'en faire un objet de connaissance; mais dans la lumière solaire d'une vision spirituelle plus profonde, le corps même de la Vérité est saisi et représenté exactement ; dans cette vision, l'image représentative créée par la pensée est secondaire et dérivée ; cette image représentative est : efficace pour communiquer la connaissance, mais elle n'est pas indispensable pour la recevoir et la posséder.
La conscience qui procède par vision, la conscience du voyant, a un plus grand pouvoir de connaissance que la conscience du penseur. Le pouvoir perceptif de la vision intérieure est plus grand et plus direct que le pouvoir perceptif de la pensée ; c'est un sens spirituel qui saisit un peu de la substance de la Vérité, et pas seulement son image ; mais il dessine l'image aussi, en même temps qu'il en saisit la signification, et il peut la revêtir d'un contour plus subtil, plus directement révélateur, et d'une compréhension, d'un pouvoir d'intégralité plus vaste, inaccessible à la pensée conceptuelle. De même que le Mental supérieur apporte dans l'être une plus grande conscience, par le moyen de l'idée spirituelle et de son pouvoir de vérité, de même le Mental illuminé lui apporte une conscience plus grande encore, par une vision-de-Vérité et une Lumière-de-Vérité et leur pouvoir de vision et d'appréhension. Il peut effectuer une intégration plus puissante et plus dynamique ; il illumine le mental pensant par une vision et une inspiration intérieures directes, apporte une vision spirituelle dans le cœur, une lumière et une énergie spirituelles dans ses sentiments et ses émotions, communique un élan spirituel à la force vitale, une inspiration de vérité qui dynamise l'action et exalte les mouvements de la vie, infuse dans les sens un pouvoir direct et total de sensation spirituelle, de sorte que notre être vital et physique peut entrer en contact avec le Divin en toutes choses et l'approcher concrètement, tout aussi intensément que le mental et les émotions peuvent le concevoir, le percevoir et le sentir ; il projette sur le mental physique une lumière transformatrice qui brise ses limites, son inertie
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conservatrice, remplace son étroit pouvoir de pensée et ses doutes par la vision, inondant de luminosité et de conscience les cellules mêmes du corps. Dans la transformation par le Mental supérieur, le sage et le penseur spirituel trouveront leur accomplissement total et dynamique ; la transformation par le Mental illuminé apportera une réalisation similaire au voyant et au mystique illuminé, à ceux dont l'âme vit dans la vision et dans une perception, une expérience directes ; car c'est de ces sources plus hautes qu'ils reçoivent leur lumière, et s'élever jusqu'à cette lumière et y vivre, c'est monter vers leur empire natal.
Mais ces deux étapes de l'ascension ne peuvent connaître toute leur puissance souveraine et trouver leur propre plénitude unifiée qu'en se référant à un troisième niveau; car c'est des sommets plus élevés où demeure l'être intuitif qu'ils tirent la connaissance pour la changer en pensée ou en vision et la faire descendre en nous pour la transmutation du mental. L'intuition est un pouvoir de conscience plus intimement proche de la connaissance originelle par identité, car elle jaillit toujours et directement d'une identité cachée. Il faut, en effet, que la conscience du sujet rencontre la conscience de l'objet et la pénètre, qu'elle voie ou sente la vérité de ce qu'elle touche ou qu'elle vibre avec elle, pour que l'intuition jaillisse du choc de la rencontre, comme une étincelle ou un éclair ; ou il faut que la conscience, même sans cette rencontre, regarde en elle-même et sente directement et intimement la vérité ou les vérités qui s'y trouvent et prenne ainsi contact avec les forces cachées derrière lés apparences; alors ce jaillissement d'une lumière intuitive peut aussi se produire; ou encore, il faut que la conscience touche à la réalité spirituelle des choses et des êtres ou à la Suprême Réalité et qu'elle s'unisse à elle par ce contact, pour que l'étincelle, l'éclair ou la flamme d'une perception intime de la vérité s'allume dans ses profondeurs. Cette perception profonde est plus qu'une vision, plus qu'une conception; c'est le résultat d'un contact pénétrant et révélateur qui apporte avec lui la vision et la conception comme des parties de lui-même ou comme ses conséquences naturelles. Une identité cachée ou dormante, et qui ne s'est pas encore réveillée, se souvient pourtant et transmet par l'intuition son propre contenu et l'intimité de son sentiment ou de . sa vision des choses, la lumière de sa vérité, sa certitude irrésistible et automatique.
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Dans le mental humain, l'intuition est précisément une telle réminiscence de la vérité, une telle transmission de la vérité, un éclair révélateur, un flamboiement qui jaillit au milieu d'une grande masse d'ignorance, ou à travers un voile de nescience. Mais nous avons vu qu'elle y est soumise à un mélange envahissant, recouverte d'une couche mentale ou interceptée et contrefaite; de nombreuses possibilités d'interprétations fausses s'opposent également à la pureté et à la plénitude de son action. En outre, à tous les niveaux de l'être, on trouve d'apparentes intuitions qui sont des communications plutôt que des intuitions, et qui ont une provenance, une valeur et un caractère très variés. L'individu infrarationnel qui se dit mystique — car pour être un vrai mystique il ne suffit pas de rejeter la raison et de se fier à des sources de pensée et d'action dont on n'a aucune compréhension —,est souvent inspiré, au niveau vital, par des communications de ce genre qui proviennent d'une source obscure et dangereuse. Dans ces conditions, nous sommes amenés à nous appuyer surtout sur la raison, et nous avons même tendance à contrôler les suggestions de l'intuition — ou, le plus fréquemment, d'une pseudo-intuition — par l'intelligence observatrice et critique ; car nous sentons, dans la partie intellectuelle de notre être, que c'est pour nous la seule façon de distinguer la vraie chose du produit bâtard ou frelaté, de la contrefaçon. Mais l'utilité de l'intuition s'en trouve considérablement diminuée, car, dans. ce domaine, la raison n'est pas un arbitre digne de confiance ; ses méthodes sont en effet différentes, tâtonnantes, incertaines — sa recherche est intellectuelle. Alors même que ses conclusions s'appuient, en fait, sur une intuition camouflée — car sans cette aide elle serait incapable de trouver son chemin ou d'arriver à une conclusion certaine —, elle se cache à elle-même cette dépendance derrière le jeu d'une déduction raisonnée ou d'une hypothèse vérifiée. Une intuition soumise à l'interrogatoire de la raison n'est plus une intuition, et elle ne peut plus avoir d'autre autorité que celle de la raison, pour laquelle il n'existe pas de source intérieure de certitude directe. Même si le mental devenait dans une large mesure intuitif et s'appuyait sur ce qui, en lui, relève de la faculté supérieure, il lui serait encore difficile de coordonner ses cognitions et ses activités séparées — dans le mental en effet, celles-ci ont toujours tendance à apparaître comme une série d'éclairs imparfaitement reliés —, aussi longtemps que cette nouvelle mentalité n'est pas en liaison consciente avec sa source suprarationnelle, ou ne peut s'élever elle-même et accéder au plan supérieur de conscience où l'intuition agit dans toute sa pureté originelle.
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L'intuition est toujours une pointe acérée, un rayon, ou le bond d'une lumière supérieure; elle est en nous une lame projetée, le tranchant ou la pointe d'une lumière supramentale lointaine qui pénètre la substance intermédiaire d'un mental-de-vérité situé au-dessus du plan humain, s'y atténue, et, ainsi modifiée, pénètre notre substance mentale ordinaire ignorante, où elle est considérablement aveuglée. Mais sur le plan plus élevé qui lui a donné naissance, sa lumière est sans mélange et, par conséquent, entièrement et purement véridique ; ses rayons n'y sont pas séparés, mais reliés et massés comme le jeu des vagues de ce que l'on pourrait presque appeler, suivant l'image poétique sanskrite, une mer ou une masse " d'éclairs immobiles ". Quand cette Intuition originelle ou native commence à descendre en nous pour répondre à l'ascension de notre conscience qui s'est élevée jusqu'à son niveau, ou parce que nous avons découvert un moyen de communiquer librement avec elle, elle peut continuer à venir comme un jeu d'éclairs isolés, ou être constamment active. Mais à ce stade, le jugement de la raison devient tout à fait inapproprié. La raison, en effet, ne peut agir que comme un observateur ou un archiviste qui comprend ou enregistre les indications, les distinctions et les jugements plus lumineux du pouvoir supérieur. Pour compléter ou vérifier une intuition isolée ou discerner sa nature, ses applications et ses limites, la conscience réceptrice doit avoir recours à une autre intuition qui la complète, ou être en mesure de faire descendre une intuition massive, condensée, qui peut mettre chaque chose à sa place. Car, dès que le processus du changement a commencé, il est impératif que la substance et les activités mentales soient complètement transmuées en la substance, la forme et la puissance de l'intuition. Jusque-là, et tant que, dans son processus, la conscience a besoin de l'intelligence inférieure pour servir, aider, utiliser l'intuition, le mélange de connaissance et d'ignorance ne peut que se perpétuer, même s'il est rehaussé ou soutenu par une lumière et une force plus hautes qui agissent dans ses éléments de connaissance.
L'intuition a un quadruple pouvoir. Un pouvoir de vision révélatrice de la vérité; un pouvoir d'inspiration ou d'audition de la vérité ; un pouvoir de toucher la vérité ou de saisir immédiatement sa signification — pouvoir qui ressemble assez, par sa nature, à son intervention habituelle dans notre intelligence mentale —, et un pouvoir de discerner vraiment et automatiquement le rapport exact et ordonné des vérités entre elles. L'intuition peut donc accomplir toutes les tâches de la
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raison, y compris la fonction de l'intelligence logique qui est d'établir le juste rapport des choses et le juste rapport des idées entre elles, mais elle le fait par son propre processus supérieur, sans hésitation ni défaillance. Elle se saisit non seulement du mental pensant, mais du cœur et de la vie, des sens et de la conscience physique, pour les transformer en sa propre substance. Tous possèdent déjà leurs propres pouvoirs intuitifs qui émanent de la Lumière cachée; mais le pouvoir pur qui descend peut les absorber en lui-même, et donner une intégralité et une perfection plus grandes aux perceptions profondes du cœur et du vital et aux divinations du corps. L'intuition peut ainsi changer la conscience tout entière en substance intuitive, car elle apporte l'ampleur de son propre mouvement rayonnant dans la volonté, les sentiments et les émotions, dans les impulsions vitales, le jeu des sens et des sensations, et dans le fonctionnement même de la conscience corporelle; elle les refond dans la lumière et la puissance de la vérité, illumine leur connaissance et leur ignorance. Une certaine intégration peut ainsi s'opérer, mais la perfection de cette intégration dépend de la mesure dans laquelle la nouvelle lumière est capable d'imprégner le subconscient et de pénétrer l'Inconscience fondamentale. Ici, la lumière et la puissance de l'intuition peuvent se trouver gênées dans leur tâche, parce que cette intuition n'est que la pointe d'un supramental délégué et atténué, et qu'elle n'apporte pas la massé ou le corps entier de la connaissance par identité. La base d'Inconscience dans notre nature est trop vaste, trop profonde et trop solide pour se laisser complètement pénétrer, changer en lumière et transformer par un pouvoir inférieur de la nature-de-Vérité.
L'étape suivante de l'ascension nous conduit au Surmental; le changement intuitif ne peut être en effet qu'un prélude à cette plus haute ouverture spirituelle. Or, nous avons vu que le Surmental est un pouvoir de conscience cosmique, même lorsque son action n'est pas totale mais sélective; c'est un principe de connaissance globale qui porte en lui une lumière déléguée venue de la gnose supramentale. Par conséquent, c'est seulement en s'ouvrant à la conscience cosmique que l'ascension jusqu'au Surmental et sa descente en nous peuvent devenir entièrement possibles. Une puissante ouverture individuelle vers le haut ne suffit pas : à cette ascension verticale vers la Lumière du sommet, doit s'ajouter une vaste expansion horizontale de la conscience dans une certaine totalité de l'Esprit. Il faut, au moins, que l'être intérieur ait déjà remplacé le mental de surface et sa vision limitée par une perception plus profonde
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et plus vaste, et qu'il ait appris à vivre dans une large universalité ; sinon, la vision surmentale des choses et le dynamisme surmental n'auront pas de place pour s'établir et effectuer leurs opérations dynamiques. Quand le surmental descend, le sens de l'ego, avec sa tendance centralisatrice, cesse de prédominer : il se subordonne entièrement, se perd dans l'immensité de l'être jusqu'à ce qu'il soit finalement aboli; une vaste perception ou sentiment cosmique d'un Moi et d'un mouvement universels sans limites le remplace. Bien des mouvements qui étaient auparavant égocentriques, peuvent encore continuer, mais ils viennent comme des courants ou des ondulations dans l'étendue cosmique. La pensée, pour une grande part, ne semble plus avoir une origine individuelle dans le corps ou la personne : elle se manifeste d'en haut, ou pénètre avec les vagues mentales cosmiques; toute vision intérieure, toute intelligence individuelle des choses, devient alors une révélation ou une illumination de ce qui est vu ou embrassé, mais la source de la révélation n'est pas dans le moi séparé, elle est dans la connaissance universelle. De même, les /sentiments, les émotions, les sensations sont perçus comme des vagues de cette même immensité cosmique, qui déferlent sur le corps subtil et le corps grossier et auxquelles le centre individuel de l'universalité répond de manière spécifique; car le corps n'est qu'un petit support — moins encore, un point de relation —, qui sert le jeu d'une vaste instrumentation cosmique. Dans cette immensité sans bornes, non seulement l'ego séparé peut disparaître complètement, mais tout sens de l'individualité, même d'une individualité subordonnée et instrumentale ; seuls demeurent l'existence cosmique, la conscience cosmique, la félicité cosmique, le jeu des forces cosmiques. Si l'on sent la félicité ou le centre de Force dans ce qui était auparavant le mental personnel, la vie et le corps personnels, ce n'est plus avec un sens personnel; ces parties de notre être sont simplement un champ de manifestation, et ce sentiment de félicité ou cette perception de l'action de la Force ne se borne pas à la personne ou au corps : on peut l'éprouver dans tous les points d'une conscience d'unité, qui est illimitée et imprègne toutes choses.
La conscience et l'expérience surmentales peuvent cependant se formuler sous des formes très diverses, car le surmental possède une grande plasticité et c'est un champ de possibilités multiples. Au lieu d'une diffusion non centrée et non située, on peut sentir l'univers en soi-même ou comme soi-même; mais là encore, ce soi n'est pas l'ego, c'est l'extension d'une conscience de soi essentielle, libre et pure, ou
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c'est une identification avec le Tout — l'extension ou l'identification constituant un être cosmique, un individu universel. Dans un certain état de la conscience cosmique, l'individu est inclus dans le cosmos, mais il s'identifie à tout, aux choses et aux êtres, aux pensées et aux sensations des autres, à leur joie et leur douleur; dans un autre état, ce sont les êtres qui sont inclus en nous et la réalité de leur vie fait partie de notre être. Souvent, il n'y a aucune règle ou direction dans cet immense mouvement, mais un libre jeu de la Nature universelle, et ce qui était l'être personnel y répond par une acceptation passive ou une identité dynamique, tandis que l'esprit reste libre; il n'est perturbé par aucun des liens que peuvent créer les réactions de cette passivité, de cette identification et de cette sympathie universelles et impersonnelles. Mais si l'influence du surmental est forte, ou si son action est complète, le sentiment d'une souveraineté intégrale peut s'établir de façon normale : on sent la présence et la direction constantes du Moi cosmique ou Îshwara, qui soutient et dirige tout; ou bien un centre spécial peut se révéler ou se créer, qui dépasse et domine l'instrument physique; ce centre est individuel dans la réalité de l'existence, mais impersonnel dans le sentiment qu'on en a, et il est reconnu par une libre cognition comme un instrument servant l'action d'un Être universel et transcendant. Dans la transition vers le supramental, cette action centralisatrice conduit à la découverte d'un individu vrai qui remplace l'ego mort, un être qui est un avec le Moi suprême en son essence, un avec l'univers en son extension, et qui, pourtant, est un centre et une circonférence cosmiques de cette action spécialisée de l'Infini.
Tels sont, en général, les premiers résultats qui posent les fondations normales de la conscience surmentale dans l'être spirituel évolué; mais ses formes et ses développements sont innombrables. La conscience qui agit de cette façon est perçue comme une conscience de Lumière et de Vérité, comme un pouvoir, une force, une action pleine de Lumière et de Vérité, comme une aesthesis, une sensation de beauté et de félicité universelles et multiformes dans les détails; elle illumine l'ensemble et chaque chose, un unique mouvement et tous les mouvements; son expansion est constante, et le jeu de ses possibilités est infini; elle est sans fin et indéterminable, même dans la multitude de ses déterminations. Si le pouvoir d'une gnose surmentale ordonnatrice intervient, alors la conscience et l'action revêtent une structure cosmique, mais celle-ci n'est pas semblable aux structures mentales rigides; elle est plastique
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et organique, c'est quelque chose qui peut croître et se développer et s'étendre à l'infini. Toutes les expériences spirituelles sont dès lors embrassées et deviennent habituelles et normales pour la nouvelle nature ; toutes les expériences essentielles propres au mental, à la vie et au corps sont intégrées et spiritualisées, transmuées et senties comme des formes de la conscience, de la félicité et de la puissance de l'existence infinie.
L'intuition, la vision et la pensée illuminées s'élargissent; leur substance assume une substantialité, une masse et une énergie plus grandes; leur mouvement est plus compréhensif, plus global, plus varié, et sa force de vérité plus vaste et plus puissante; notre nature entière — connaissance, aesthesis, sympathie, sentiment, dynamisme — devient plus universelle : elle comprend tout, embrasse tout, elle est cosmique et infinie. Le changement surmental est le mouvement final qui couronne la transformation spirituelle dynamique; c'est l'état statique-dynamique le plus haut que l'esprit puisse atteindre sur le plan du mental spirituel. Il rassemble tout ce qui se trouve aux trois échelons inférieurs et élève leurs opérations caractéristiques à la puissance la plus haute et la plus vaste, en y ajoutant une ampleur universelle de conscience et de force, un accord harmonieux de connaissance, une félicité d'être plus riche. Mais certaines raisons, qui tiennent à son statut et à son pouvoir caractéristiques, l'empêchent d'être l'ultime possibilité de l'évolution spirituelle. Le Surmental n'est qu'un pouvoir de l'hémisphère inférieur, bien qu'il en soit le plus élevé; son action est une action de division, c'est une interaction, une action qui prend appui sur le jeu de la multiplicité, bien qu'il ait lui-même pour base l'unité cosmique. Son jeu, comme celui du Mental tout entier, est un jeu de possibilités; et bien qu'il n'agisse pas dans l'Ignorance, mais avec la connaissance de la vérité de ces possibilités, il doit néanmoins les réaliser par l'évolution indépendante de leurs propres pouvoirs. Dans chaque formule cosmique, le Surmental agit selon la signification fondamentale de cette formule, car il n'est pas un pouvoir de transcendance dynamique. Ici-bas, dans la vie terrestre, il doit travailler sur une formule cosmique dont la base est une complète nescience qui provient du fait que le Mental, la Vie et la Matière sont séparés de leur propre source et de leur suprême origine. Le Surmental peut remédier à cette division jusqu'au point où le Mental séparateur pénètre dans le Surmental et participe à son action; il peut alors unir le mental individuel au mental cosmique sur son plan le. plus haut, rendre le moi individuel égal au moi cosmique
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et donner à notre nature une universalité d'action. Mais il ne peut pas mener le Mental au-delà de lui-même, ni dynamiser la Transcendance dans ce monde d'Inconscience originelle; seul le Supramental, en effet, est l'action-de-vérité suprême qui se détermine elle-même, et le pouvoir de manifestation direct de cette Transcendance. Par conséquent, si l'action de la Nature évolutive s'arrêtait là, le Surmental ne pourrait pas aller plus loin, à moins qu'après avoir porté la conscience jusqu'à ce point de vaste universalité illuminée et organisé le jeu d'une large et puissante perception spirituelle de l'existence, de la conscience-force et de la félicité absolues, il n'ouvre les portes de l'Esprit sur l'hémisphère supérieur et ne permette à l'âme de quitter sa formation cosmique pour entrer dans la Transcendance.
Dans l'évolution terrestre elle-même, la descente surmentale n'aurait pas le pouvoir de transformer entièrement l'Inconscience. Tout ce qu'elle pourrait faire, serait, en chaque homme qu'elle touche, de transformer en sa propre substance l'être conscient tout entier, intérieur et extérieur, personnel et universellement impersonnel, et d'imposer cela à l'Ignorance pour l'illuminer et la faire entrer dans la vérité et la connaissance cosmiques. Mais une base de Nescience subsisterait ; ce serait comme si un soleil, avec ses planètes, se mettait à briller dans l'obscurité originelle de l'Espace et à tout illuminer, jusqu'au point le plus éloigné que ses rayons puissent atteindre ; tous ceux qui demeureraient dans la lumière auraient le sentiment, dans leur expérience de l'existence, qu'il n'y a plus du tout d'obscurité. Pourtant, en dehors de cette sphère, au-delà des limites de cette expérience, les ténèbres originelles régneraient encore, et puisque tout est possible dans la structure surmentale, elles pourraient envahir à nouveau l'île de lumière créée dans leur empire. De plus, puisque le Surmental peut jouer avec diverses possibilités, son action naturelle serait de développer séparément, et jusqu'à son extrême limite, la possibilité d'une ou de plusieurs formulations spirituelles dynamiques, ou d'un grand nombre d'entre elles, ou de combiner et d'harmoniser plusieurs possibilités; mais ce serait une création, ou de nombreuses créations, au sein de la création terrestre originelle, et chacune aurait une existence complète et distincte. On y trouverait l'individu spirituel évolué; on pourrait aussi voir apparaître une ou plusieurs communautés spirituelles dans le même monde que celui de l'homme mental et de l'être vital animal, mais chacune élaborerait son existence indépendante, tout en gardant un vague lien avec le reste de la
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formule terrestre. On ne trouverait pas encore ce qui doit être la loi de la nouvelle conscience évolutive, le pouvoir suprême du principe d'unité qui prend en lui toutes les diversités et les dirige comme des parties de l'unité. En outre, ce degré d'évolution ne donnerait aucune sécurité contre la gravitation vers le bas ou l'attraction de l'Inconscience qui dissout toutes les formations construites en elle par la vie et le mental, engloutit tout ce qui en émerge ou lui est imposé, et désintègre tout en sa matière originelle. Seule la descente du Supramental dans la formule terrestre peut libérer de cette attraction de l'Inconscience et assurer la base d'une évolution divine ou gnostique continue, car elle y apporterait la loi, la lumière et la dynamis suprêmes de l'Esprit, et, grâce à elles, pénétrerait et transformerait l'inconscience de la base matérielle. Une dernière transition du Surmental au Supramental et une descente du Supramental doivent donc intervenir à ce stade de l'évolution de la Nature.
Le Surmental et ses pouvoirs délégués, en s'emparant et en pénétrant le mental, ainsi que la vie et le corps qui dépendent du mental, soumettraient tout à un processus d'agrandissement. À chaque étape de ce processus pourrait s'établir une puissance plus grande, une plus haute intensité de la gnose, qui serait de moins en moins mélangée à la substance mentale lâche, diffuse, amoindrissante et diluante ; et puisque toute gnose est à l'origine un pouvoir du supramental, cela se traduirait dans notre nature par un influx de plus en plus large de la lumière et de la puissance supramentales encore à demi voilées et indirectes. Cela se poursuivrait jusqu'au moment où le surmental lui-même commencerait à se transformer en supramental; la conscience et la force supramentales prendraient alors directement en main la transformation, elles révéleraient au mental terrestre, à la vie et à l'être corporel leur propre vérité spirituelle et leur propre divinité, et, finalement, déverseraient dans notre nature entière la connaissance, la puissance et la signification parfaites de l'existence supramentale. L'âme passerait au-delà des frontières de l'Ignorance et franchirait la ligne originelle d'où elle s'est séparée de la Connaissance suprême ; elle entrerait dans l'intégralité de la gnose supramentale, et la descente de la Lumière gnostique effectuerait la transformation complète de l'Ignorance.
Ce plan, ou quelque autre plan analogue établi suivant ces lignes, pourrait être considéré comme l'exposé schématique, logique ou idéal de la transformation spirituelle ; ce serait un plan structural de l'ascension
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vers le sommet supramental, envisagée comme une succession d'étapes bien délimitées, chacune devant s'accomplir avant que la suivante ne puisse commencer. Émanant une individualité naturelle organisée, l'âme est comme un voyageur qui gravit les degrés de la conscience taillés dans la Nature universelle, et chaque ascension la porte tout entière, comme un tout défini, comme une forme individuelle de l'être conscient, d'un état de son existence au suivant dans la série. Jusqu'ici, il est exact que l'intégration d'un état doit être suffisamment complète, avant que l'ascension à la station suivante puisse être parfaitement assurée. Dès les premières étapes de cette évolution, un petit nombre d'individus pourraient, eux aussi, progresser à ce rythme, et cette succession bien marquée pourrait même devenir le processus normal, une fois que l'échelle de l'évolution aurait été entièrement construite et consolidée. Mais la Nature évolutive n'est pas une série logique de segments séparés; c'est une totalité de pouvoirs ascendants de l'être qui s'interpénètrent et s'imbriquent et qui, par leur interaction, ont un pouvoir de modification mutuelle. Quand la conscience supérieure descend dans l'inférieure, elle change cette conscience, mais elle est aussi modifiée et diminuée par elle; quand la conscience inférieure s'élève, elle est sublimée, mais en même temps elle affaiblit la substance et la puissance qui l'exaltent. Cette interaction crée un enchevêtrement, une diversité et une multitude de degrés intermédiaires dans la force et la conscience de l'être, ce qui rend également difficile une intégration complète de tous les pouvoirs sous l'entière autorité d'un pouvoir unique. Pour cette raison, on ne trouve pas vraiment, dans l'évolution individuelle, une série d'étapes successives, simples et bien tranchées, mais plutôt un mouvement complexe dont le caractère global est tantôt clairement défini, tantôt confus. On peut encore décrire l'âme comme un voyageur et un grimpeur qui se presse vers son but élevé, une marche après l'autre ; il doit construire chaque marche comme un tout en soi, mais doit très souvent redescendre pour reconstruire et consolider la structure qui le supporte afin qu'elle ne s'écroule pas sous lui. Mais l'évolution de la conscience dans son ensemble ressemble plutôt à un mouvement ascendant de la Nature, comme un océan; on peut la comparer à la marée ou aux flots qui montent et dont les premiers embruns viennent effleurer les hauts degrés de la falaise ou des monts, tandis que la mer s'étend encore loin au-dessous. À chaque étape, les parties supérieures de notre nature peuvent être provisoirement organisées dans la nouvelle conscience, bien que de façon incomplète, tandis
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que les parties inférieures restent dans un état de flux ou de formation; elles continuent en partie à agir de la vieille manière, tout en subissant l'influence de cette conscience et en commençant à changer, et en partie se rattachent au nouvel ordre, bien que le changement soit encore imparfait et mal assuré. On pourrait donner une autre image, celle de troupes qui s'avancent en colonnes et annexent de nouveaux territoires, tandis que le gros de l'armée reste en arrière, dans un pays envahi, mais trop vaste pour être effectivement occupé, si bien qu'il faut encore faire des haltes fréquentes et revenir partiellement en arrière dans les régions déjà traversées, pour consolider et assurer la mainmise sur le territoire occupé et pour assimiler ses habitants. Une conquête rapide serait possible, mais ce ne serait qu'un campement ou une domination sur un pays étranger; ce ne serait pas l'absorption, l'assimilation totale, l'intégration nécessaire au changement supramental complet.
Gela entraîne certaines conséquences qui modifient la succession précise de l'évolution et l'empêchent de suivre le cours nettement déterminé et rigoureusement ordonné que notre intelligence logique exige de la Nature, mais qu'elle obtient rarement. En effet, la vie et le mental commencent à apparaître quand l'organisation de la Matière est suffisante pour les admettre, mais l'organisation plus complexe et parfaite de la Matière ne vient qu'avec le développement de la vie et du mental ; de même le mental apparaît quand la vie est suffisamment organisée pour permettre une vibration plus développée de la conscience, mais la vie ne trouve sa véritable organisation et son plein développement que lorsque le mental peut agir sur elle ; de même, l'évolution spirituelle commence quand l'homme, en tant qu'être mental, est capable d'une vibration spirituelle ; mais le mental ne peut atteindre à sa plus haute perfection qu'avec la croissance des intensités et des luminosités de l'Esprit ; et il en est de même de l'évolution supérieure des pouvoirs ascendants de l'Esprit. Dès que le développement spirituel est suffisant et qu'il y a un début d'intuition, d'illumination de l'être, les mouvements propres aux degrés spirituels supérieurs de la conscience commencent à se manifester — tantôt l'un, tantôt l'autre, ou tous ensemble —, et il n'est pas nécessaire d'attendre que chaque pouvoir de la série soit complet pour qu'un pouvoir supérieur entre en jeu. Une lumière et une puissance surmentales peuvent descendre jusqu'à un certain point, créer dans l'être une forme particulière de lumière et de pouvoir, et jouer un rôle prépondérant, surveiller ou intervenir, tandis que le mental intuitif, le mental illuminé
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et le mental supérieur sont encore incomplets; ceux-ci subsisteraient donc dans l'ensemble, agissant en même temps que le Pouvoir plus grand, mais souvent pénétrés et sublimés par lui, ou s'élevant jusqu'à lui pour former une intuition, une illumination, un mode de pensée spirituels plus vastes ou surmentaux. Cette action complexe vient de ce que chaque pouvoir descendant, par l'intensité même de sa pression sur notre nature et de l'élévation qui en résulte, rend l'être capable de recevoir un pouvoir encore plus haut, avant que le premier pouvoir lui-même ne se soit complètement formé; mais cela tient aussi au fait que le travail d'élévation et de transformation de la nature inférieure est difficile à accomplir sans une intervention de plus en plus haute. L'illumination et la pensée supérieure ont besoin de l'aide de l'intuition, et l'intuition a besoin de l'aide du surmental pour combattre l'obscurité et l'ignorance dans lesquelles toutes trois travaillent péniblement, et pour trouver leur propre plénitude. Et finalement, le statut surmental et l'intégration surmentale ne peuvent être complets, tant que le mental supérieur et le mental illuminé n'ont pas été intégrés et soulevés dans l'intuition, et l'intuition elle-même intégrée et soulevée à son tour dans l'énergie surmentale qui élargit et sublime tout. Le principe de gradation doit être satisfait, même dans la complexité du processus évolutif de la Nature.
La nécessité de l'intégration ajoute à cette complexité, car ce processus n'implique pas seulement une ascension de l'âme à un statut supérieur, mais une descente de la conscience plus haute ainsi atteinte, qui doit soulever et transformer la nature inférieure. Or, du fait de sa formation antérieure, cette nature a une densité qui résiste et s'oppose à la descente ; et même quand le pouvoir supérieur a brisé la barrière et qu'il est descendu et agit, nous avons vu que la nature de l'Ignorance résiste et s'oppose à son action, soit qu'elle lutte pour repousser complètement la transformation, soit qu'elle essaie de modifier le nouveau pouvoir pour qu'il se conforme plus ou moins à son propre fonctionnement, soit même qu'elle se jette sur lui pour s'en saisir, le dégrader et l'asservir à son mode d'action et à ses fins inférieures. Généralement, pour accomplir leur tâche, pour assumer et assimiler cette substance récalcitrante de la Nature, les pouvoirs supérieurs descendent d'abord dans le mental et occupent les centres mentaux, parce qu'ils en sont plus proches par l'intelligence et le pouvoir de connaissance. S'ils descendent d'abord dans le cœur ou dans l'être vital, siège de la force et des sensations
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— comme ils le font parfois, parce que chez certains individus ces parties, plus ouvertes, sont les premières à appeler —, les résultats sont plus mélangés, douteux, imparfaits, plus incertains que si les choses se passaient dans l'ordre logique. Mais même s'il agit normalement et prend chaque partie de l'être, l'une après l'autre, dans l'ordre naturel de la descente, le pouvoir descendant n'est pas capable d'occuper et de transformer totalement chaque partie avant d'aller plus loin. Cette occupation a nécessairement un caractère général et incomplet, si bien que les activités de chaque partie n'appartiennent que partiellement à l'ordre nouveau supérieur, partiellement à un ordre mélangé, et partiellement aussi au vieil ordre inférieur inchangé. Le mental dans toute son étendue ne peut être transmué d'un seul coup, car les centres mentaux ne forment pas une région isolée du reste de l'être; l'action mentale est pénétrée par l'action des parties vitales et physiques, et dans ces parties elles-mêmes se trouvent des formations inférieures du mental, un mental vital, un mental physique, qui doivent subir un changement avant que l'être mental puisse être complètement transformé. Le pouvoir transformateur supérieur doit donc descendre dans le cœur, aussitôt que possible, sans attendre le changement mental intégral, afin d'occuper et de changer la nature émotive ; puis dans les centres vitaux inférieurs pour les occuper et changer toute la nature vitale, dynamique et sensorielle ; finalement dans les centres physiques afin d'occuper et de changer toute la nature physique. Mais cet accomplissement lui-même n'est pas décisif, car il reste encore les parties subconscientes et la base inconsciente. La complexité de ces pouvoirs et des parties de l'être est si grande, leur action est si enchevêtrée, qu'on pourrait presque dire d'un tel changement, que rien n'est accompli tant que tout n'a pas été accompli. Il y a un flux et un reflux, les forces de la vieille nature reculent puis reviennent occuper partiellement leurs anciennes colonies ; elles battent lentement en retraite avec des mouvements d'arrière-garde, des contre-attaques et de violentes ripostes; l'influx supérieur occupe chaque fois davantage de territoire conquis, mais sa souveraineté est incertaine et imparfaite aussi longtemps qu'il reste quelque élément qui ne s'est pas intégré à son règne lumineux.
Une troisième source de complexité vient de ce que la conscience a le pouvoir de vivre dans plusieurs états en même temps. En particulier, la division de notre être en une nature intérieure et une nature extérieure ou superficielle crée une difficulté que vient encore compliquer
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l'existence d'une circumconscience secrète, ou conscience environnante, où sont déterminées nos relations invisibles avec le monde extérieur. L'ouverture spirituelle permet à l'être intérieur éveillé de recevoir et d'assimiler rapidement les influences plus hautes et d'assumer la nature supérieure; mais le moi extérieur de surface, plus entièrement façonné par les forces de l'Ignorance et de l'Inconscience, est plus lent à s'éveiller, plus lent à recevoir, plus lent à assimiler. Il en résulte une longue période pendant laquelle l'être intérieur est suffisamment transformé, tandis que l'être extérieur est encore engagé dans le mouvement mélangé et difficile d'un changement imparfait. Ce décalage se répète à chaque pas de l'ascension, car à chaque changement, l'être intérieur suit plus volontiers le mouvement, tandis que l'être extérieur traîne en arrière et avance à contrecœur, quand il ne reste pas impuissant malgré son aspiration et son désir. Tout cela rend nécessaire un travail pénible et constamment répété d'élévation, d'adaptation, d'orientation, un travail toujours identique en son principe, mais se répétant toujours sous des formes nouvelles. Et même quand la nature extérieure et la nature intérieure de l'individu se sont unifiées dans une conscience spirituelle harmonisée, il reste encore un champ d'imperfection, qui est cette partie de lui-même plus extérieure, mais occulte, par laquelle son être se mêle à l'être du monde extérieur et à travers laquelle le monde extérieur envahit sa conscience. Il se fait là, nécessairement, un échange entre des influences disparates; l'influence spirituelle intérieure se heurte à des influences tout à fait opposées qui dominent puissamment l'ordre mondial actuel, et la nouvelle conscience spirituelle doit soutenir le choc des pouvoirs établis, dominants et non spiritualisés de l'Ignorance. Tout cela crée une difficulté qui est d'une importance capitale à tous les stades de l'évolution spirituelle et de son élan pour changer notre nature.
On peut édifier une spiritualité subjective qui refuse ou réduit au minimum les rapports avec le monde ou qui se contente d'assister en témoin à son mouvement et de repousser ou de rejeter ses influences envahissantes, sans se permettre la moindre réaction à leur égard ou sans admettre leur intrusion. Mais si la spiritualité intérieure doit s'objectiver par une libre action dans le monde, si l'individu doit se projeter dans le monde et, dans un certain sens, prendre le monde en lui-même, il ne peut le faire dynamiquement sans recevoir les influences du monde à travers son être circumconscient ou " environnant ". La conscience spirituelle intérieure doit donc traiter ces influences de telle sorte que,
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dès qu'elles approchent ou qu'elles entrent, elles soient annulées et sans effet, ou transformées en son propre mode et sa propre substance, du fait même de leur entrée. Ou bien, elle peut les forcer à recevoir l'influence spirituelle et à retourner avec un pouvoir de transformation dans le monde d'où elles viennent, car exercer une contrainte de ce genre sur la nature universelle inférieure fait partie d'une parfaite action spirituelle. Mais pour cela, l'être circumconscient ou environnant doit être si imprégné de lumière et de substance spirituelles, que rien ne puisse le traverser sans subir cette transformation ; il ne faut pas que les influences extérieures envahissantes puissent le moins du monde introduire leur perception, leur vision, leur dynamisme inférieurs. Mais c'est là une perfection difficile, parce que, ordinairement, le circumconscient n'est pas, dans sa totalité, notre moi formé et réalisé : c'est notre moi plus la nature du monde extérieur. C'est pourquoi il est toujours plus facile de spiritualiser les parties intérieures autonomes que de transformer l'action extérieure; la perfection d'une spiritualité introspective, intérieure ou subjective, qui se tient à l'écart du monde ou s'en protège, est plus aisée à obtenir que la perfection de la nature entière dans une spiritualité dynamique et cinétique qui s'objective dans la vie, embrasse le monde, qui maîtrise son milieu et agit en souveraine dans ses rapports avec la Nature universelle. Mais puisque la transformation intégrale doit embrasser l'être dynamique dans sa totalité et inclure la vie active et le moi du monde extérieur, ce changement plus complet est exigé de notre nature en évolution.
La difficulté essentielle vient du fait que la substance de notre être normal s'est façonnée à partir de l'Inconscience. Notre ignorance est une croissance de la connaissance dans une substance d'être qui est nesciente, et la conscience qu'elle développe, la connaissance qu'elle établit, sont toujours harcelées, pénétrées, enveloppées par cette nescience. C'est cette substance nesciente qui doit être transformée en substance supraconsciente, une substance dans laquelle la conscience et la perception spirituelles sont toujours présentes, même quand elles ne sont pas actives ni exprimées et ne prennent pas la forme d'une connaissance. Tant que cela n'est pas fait, la nescience envahit tout, elle enveloppe ou même engloutit et absorbe dans son obscurité sans mémoire tout ce qui entre en elle. La lumière qui descend est contrainte de faire un compromis avec la lumière moindre qu'elle pénètre. Elle subit donc un mélange, une diminution, une dilution; sa vérité et son
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pouvoir sont amoindris, altérés et perdent de leur authenticité. Ou, tout au moins, la nescience limite sa vérité et restreint sa force, fragmente ses possibilités d'application et sa portée ; la vérité de son principe est vidée de la pleine vérité de sa réalisation individuelle ou de la complète vérité de son application cosmique. Ainsi, l'amour en tant que loi de la vie peut s'affirmer pratiquement comme un principe intérieur actif; mais il n'est pas possible que tous les sentiments et tous les actes de l'individu soient façonnés par la loi d'amour, à moins que l'amour n'imprègne la substance entière de l'être. Même s'il atteint sa perfection dans l'individu, l'amour peut être rendu unilatéral et inefficace du fait de la nescience générale qui lui est hostile et refuse de le voir, ou bien il est obligé de restreindre son champ d'application cosmique. Il est toujours difficile pour la nature humaine d'avoir une action complète qui soit en harmonie avec une nouvelle loi de l'être, car la substance de l'Inconscience recèle la loi protectrice d'une aveugle et impérative Nécessité qui limite le jeu des possibilités lorsqu'elles émergent de l'Inconscience ou y pénètrent, et les empêche d'établir librement leur action et ses résultats ou de réaliser l'intensité de leur propre absolu. Tout ce que ces possibilités se voient concéder, c'est un jeu mélangé, relatif, refréné et diminué, sinon elles aboliraient le cadre de l'Inconscience et troubleraient violemment l'ordre du monde sans en changer effectivement la base; aucune d'entre elles, en effet, n'a dans ses limites mentales ou vitales le pouvoir divin de remplacer ce sombre principe originel et d'établir un ordre du monde totalement nouveau.
La transformation de la nature humaine ne peut s'opérer que quand la substance de l'être est tellement imprégnée du principe spirituel, que tous ses mouvements sont un dynamisme spontané et une opération harmonieuse de l'esprit. Mais même quand les pouvoirs supérieurs et leurs intensités entrent dans la substance de l'Inconscience, ils s'y heurtent à l'opposition de cette Nécessité aveugle et sont soumis à la loi restrictive et diminutive de la substance nesciente. L'Inconscience leur oppose les titres puissants d'une Loi établie et inexorable; toujours, elle répond aux revendications de la vie par la loi de la mort, aux exigences de la Lumière par son besoin d'un contraste d'ombre et d'un fond d'obscurité, à la souveraineté, à la liberté et au dynamisme de l'esprit par sa propre force qui limite en ajustant, fixe des bornes par incapacité et fonde l'énergie sur le repos d'une Inertie originelle. Derrière ses négations, il y a une vérité occulte que seul le Supramental,
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en réconciliant les contraires dans la Réalité originelle, peut embrasser, découvrant ainsi la solution pratique de l'énigme. Seule la Force supramentale peut surmonter complètement la difficulté de la Nescience fondamentale, car avec elle entre en jeu une Nécessité opposée, impérative et lumineuse, qui se trouve à la base de toutes choses et qui est une vérité-force originelle et finale se déterminant librement elle-même, la vérité-force de l'Infini existant en soi. Cette lumineuse et plus haute Nécessité spirituelle, avec son impératif souverain, peut seule écarter ou pénétrer entièrement, transformer en sa propre substance et ainsi remplacer l'aveugle Ananké de l'Inconscience.
Le changement supramental de toute là substance de l'être et par suite, nécessairement, de tous ses caractères, ses pouvoirs, ses mouvements, se produit quand le supramental involué dans la Nature émerge pour s'unir à la lumière et à la puissance supramentales qui descendent de la Supranature. L'individu doit être l'instrument et le premier champ de la transformation; mais une transformation individuelle isolée n'est pas suffisante, et peut-être n'est-elle pas entièrement faisable. Même quand il est accompli, le changement individuel ne peut avoir une signification permanente et cosmique que si l'individu devient un centre de la Conscience-Force supramentale et le signe qu'elle s'est établie comme un pouvoir qui agit ouvertement dans les opérations terrestres de la Nature — de même que le Mental pensant s'est établi au cours de l'évolution humaine comme un pouvoir qui agit ouvertement dans la Vie et la Matière. Cela signifierait l'avènement, dans l'évolution, d'un être ou Purusha gnostique et d'une Prakriti gnostique, d'une Nature gnostique. Libérée et active, une Conscience-Force supramentale doit émerger au sein de la totalité terrestre et organiser, dans la vie et dans le corps, les instruments supramentaux de l'Esprit — car la conscience corporelle aussi doit s'éveiller suffisamment pour être un instrument approprié de l'action de la nouvelle Force supramentale et de son ordre nouveau. Jusque-là, tout changement intermédiaire ne peut être que partiel et incertain ; des instruments surmentaux et intuitifs peuvent se développer dans la Nature, mais ce serait une formation lumineuse qui viendrait se surimposer à une Inconscience ambiante fondamentale. Une fois que le principe supramental aura été établi d'une façon permanente sur sa propre base et qu'il aura commencé son action cosmique, les pouvoirs intermédiaires du Surmental et du Mental spirituel pourront se fonder sur lui avec sécurité et atteindre leur propre perfection;
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ils formeront alors, dans l'existence terrestre, une hiérarchie d'états de conscience qui s'élèveront du Mental et de la vie physique jusqu'au niveau spirituel suprême. Le Mental et l'humanité mentale demeureront comme un échelon de l'évolution spirituelle, mais d'autres échelons se formeront au-dessus et deviendront accessibles, par lesquels l'être mental incarné, à mesure qu'il est prêt, pourra s'élever jusqu'à la gnose et se transformer en un être supramental et spirituel incarné. Sur cette base se manifesterait le principe d'une vie divine dans la Nature terrestre ; le monde de l'ignorance et de l'inconscience lui-même pourrait découvrir son propre secret maintenant submergé et commencerait, à chacun des échelons inférieurs, à réaliser sa signification divine.
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Un parfait chemin de Vérité a été créé pour notre voyage vers l'autre rive, par-delà l'obscurité.
Rig-Véda. 1.46.11.
Ô Conscient-de-la-Vérité, sois conscient de la Vérité, fais jaillir maints torrents de Vérité.
Rig-Véda. V. 12.2.
Ô flamme, ô Soma, ta force est devenue consciente; tu as découvert l'Unique Lumière pour le multiple.
Rig-Véda. 1.93.4.
Blanche, immaculée, duelle dans ses immensités, elle suit réellement le chemin de la Vérité, comme quelqu'un qui sait, et sans <se limiter, s'élance dans toutes les directions.
Rig-Véda. V. 80.4.
Par la Vérité ils tiennent la Vérité qui tient tout, grâce au pouvoir du Sacrifice, dans le suprême éther.
Rig-Véda. V. 15.2.
Ô Immortel, Tu es né chez les mortels dans la loi de la Vérité, de l'Immortalité, de la Beauté. (... Né de la Vérité, il grandit par la Vérité — le Roi, le Dieu, le Vrai, le Vaste.
Rig-Véda. IX. 110.4.108. 8.
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Quand, dans notre pensée, nous atteignons la ligne où l'évolution du mental au surmental se change en une évolution du surmental au supramental, nous nous trouvons devant une difficulté qui équivaut presque à une impossibilité. Nous sommes amenés en effet à chercher une idée précise, une description mentale claire de cette existence supramentale ou gnostique que la Nature évolutive enfante dans la douleur en ce monde de l'Ignorance. Or, en franchissant cette ligne extrême du mental sublimé, la conscience sort de la sphère de la perception et de la connaissance mentales, dépasse son action caractéristique et échappe à son emprise. Il est bien . évident que la nature supramentale doit être une intégration parfaite de la nature et de l'expérience spirituelles et leur couronnement; par le caractère même du principe évolutif, elle comportera aussi une spiritualisation totale de la nature terrestre, sans toutefois se limiter à ce changement. À cette étape de notre évolution, notre expérience du monde sera soulevée, et par la transformation des éléments divins , qu'elle contient, par" un" rejet créateur de ses imperfections et de ses masques, elle atteindra une vérité et une plénitude divines. Mais ce sont là des formules générales qui ne nous donnent pas une idée précise du changement supramental. Notre perception normale, notre imagination ou notre formulation normales des choses spirituelles et des choses de ce monde, sont mentales; mais avec le changement gnostique, l'évolution franchit une ligne à partir de laquelle se produit un renversement de conscience, suprême et radical, de sorte que les mesures et les formes de la cognition mentale ne sont plus suffisantes. Il est difficile pour la pensée mentale de comprendre et de décrire la nature supramentale.
La nature mentale et la pensée mentale sont fondées sur la connaissance du fini; la nature Supramentale est, dans son essence même, une conscience et un pouvoir de l'Infini. La Nature supramentale voit toute
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chose du point de vue de l'unité et regarde toute chose à la lumière de cette unité, même la multiplicité et la diversité les plus grandes, même ce qui, pour le mental, implique les plus violentes contradictions. Sa volonté, ses idées, ses perceptions, ses sentiments sont faits de la substance de l'unité, et son action repose sur cette base. Au contraire, la nature mentale pense, voit, veut, sent, perçoit en partant de la division ; sa compréhension de l'unité n'est qu'une simple construction, et même quand elle a l'expérience de l'unité, son action doit partir d'une unité qui se fonde sur la limitation et la différence. Mais la vie supramentale, la vie divine est une vie d'unité essentielle, inhérente et spontanée. Le mental est donc incapable de prévoir en détail ce que sera le changement supramental dans son expression extérieure ou son action dans la vie, ni de déterminer précisément les formes qu'il créera pour l'existence individuelle ou collective. Le mental, en effet, agit selon des règles et par des moyens intellectuels, suivant un choix raisonné de la volonté, par une impulsion mentale ou en obéissant à une impulsion vitale, alors que la nature supramentale n'agit pas selon une idée ou une règle mentale, ni en cédant à une impulsion inférieure ; chacun de ses mouvements est dicté par une vision spirituelle innée, par une pénétration exacte et globale de la vérité du tout et de la vérité de chaque chose. Elle agit toujours en accord avec la réalité inhérente des choses et ne suit aucune idée mentale, ne se conforme à aucune règle de conduite imposée, à aucune construction mentale ou moyen artificiel de perception. Son mouvement est calme, maître de soi, spontané, plastique; il naît naturellement et inévitablement d'une identité harmonique de la vérité qui est sentie dans la substance même de l'être conscient, et cette substance spirituelle est universelle, et donc intimement une avec tout ce qui est inclus dans sa cognition de l'existence. Ainsi, pour décrire la nature supramentale, il faudrait recourir à des formules trop abstraites ou à des images mentales qui risqueraient d'en faire une chose toute différente de ce qu'elle est en réalité. Il ne semble donc pas possible que le mental puisse anticiper ou indiquer ce que sera un être supramental ni comment il agira ; les idées et les formules mentales ne peuvent rien décider ici, ni arriver à aucune définition ou détermination précise, car elles ne sont pas assez proches de la loi et de la vision-de-soi de la Nature supramentale. Cependant, cette différence de nature nous permet en même temps de tirer certaines conclusions qui pourraient être valables, au moins pour décrire d'une façon générale le passage du Surmental au Supramental, ou pour nous donner une vague idée du premier niveau évolutif de l'existence supramentale.
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Ce passage est l'étape où la gnose supramentale peut succéder au surmental comme guide de l'évolution et construire les premières fondations de sa propre manifestation et de ses activités dévoilées ; il doit donc avoir le caractère d'une transition décisive, bien que longuement préparée, de l'évolution dans l'Ignorance à une évolution toujours progressive dans la Connaissance. Ce ne sera pas une révélation, une réalisation soudaine du Supramental absolu et de l'être supramental tels qu'ils existent sur leur propre plan, la soudaine apocalypse d'une existence consciente de la vérité, à jamais parfaite en soi et complète dans la connaissance de soi ; ce sera une descente de l'être supramental dans un monde de devenir évolutif où il prendra forme et révélera les pouvoirs de la gnose au sein de la nature terrestre. En fait, c'est là le principe de toute existence terrestre ; car sur la terre, le processus de l'existence est le jeu d'une Réalité infinie qui commence par se cacher dans une succession d'images imparfaites, obscurément limitées, opaques et incomplètes; du fait de leur imperfection et de leur déguisement caractéristique, ces images déforment la vérité qu'elles doivent enfanter; mais par la suite, cette Réalité se manifeste de plus en plus complètement en des images semi-lumineuses, qui, dès la descente supramentale, peuvent devenir une révélation véritable et progressive. La descente depuis le supramental originel, l'ascension du supramental dans l'évolution, est un pas que la gnose supramentale peut très bien entreprendre et accomplir sans perdre son caractère essentiel. Elle peut se formuler comme une existence consciente-de-la-vérité, fondée sur une connaissance de soi inhérente, mais elle peut en même temps embrasser et absorber la nature mentale, la nature vitale et le corps matériel. Car le supramental, en tant que conscience-de-vérité de l'Infini, possède, de par son principe dynamique, le pouvoir infini de se déterminer librement. Il peut contenir en lui-même toute la connaissance et pourtant n'exprimer dans les formes que ce qui est nécessaire à chaque stade de l'évolution. Il formule toute chose en accord avec la Volonté divine dans la manifestation et selon la vérité de la chose qui doit être manifestée. C'est par ce pouvoir qu'il est capable de retenir à l'arrière-plan sa connaissance, de dissimuler son propre caractère et la loi de son action, et de manifester le surmental et, au-dessous du surmental, un monde d'ignorance dans lequel l'être, à sa surface, refuse de savoir et va même jusqu'à se placer sous l'empire d'une Nescience omniprésente. Mais cette nouvelle étape permettra de lever le voile ; à chaque pas, l'évolution sera portée par le pouvoir de la conscience-de-vérité, et ses déterminations progressives seront élaborées
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par une Connaissance consciente, et non sous les formes de l'Ignorance ou de l'Inconscience.
De même qu'une Conscience et Puissance mentale s'est établie sur terre, façonnant une race d'êtres mentaux et intégrant ce qui, dans la nature terrestre, est prêt pour ce changement, de même s'établira une Conscience et Puissance gnostique qui façonnera une race d'êtres gnostiques spirituels et intégrera tout ce qui, dans la nature terrestre, est prêt pour cette nouvelle transformation. Il recevra aussi en lui, progressivement et d'en haut, de son propre domaine de lumière, de puissance et de beauté parfaites, tout ce qui est prêt à descendre dans l'existence terrestre. Car dans le passé, l'évolution s'est faite par l'apparition, à chaque étape critique, d'un Pouvoir caché qui jaillissait de l'Inconscience où il était involué, et, en même temps, par une descente d'en haut, de son propre plan, de ce même Pouvoir déjà réalisé dans le domaine supérieur qui lui est naturel. Au cours de toutes ces étapes antérieures, le moi et la conscience de surface ont été séparés de la conscience et du moi subliminaux; la surface a été en grande partie formée, sous la poussée de la force qui jaillissait d'en bas, par l'Inconscient qui développait une forme — émergeant lentement — de la force cachée de l'esprit; le subliminal, quant à lui, s'est en partie formé de cette façon, mais surtout et simultanément par l'influx de la même force qui venait d'en haut dans toute son ampleur; un être mental ou vital est ainsi descendu dans les parties subliminales et, de cette position secrète, a formé une personnalité mentale ou vitale à la surface. Mais avant que le changement supramental puisse commencer, il faut déjà que le voile entre le subliminal et les parties superficielles ait été arraché; l'influx, la descente se fera alors dans la conscience tout entière, globalement; elle ne se produira pas derrière un voile et partiellement. Dès lors, le processus ne sera plus une opération cachée, obscure et ambiguë, mais un épanouissement au grand jour, que l'être tout entier sentira et suivra consciemment au cours de sa transmutation. Pour le reste, le processus sera identique : un influx supramental venant d'en haut, la descente d'un être gnostique dans notre nature, et, d'en bas, l'émergence d'une force supramentale cachée; ensemble, l'influx et le dévoilement dissiperont les résidus de la nature d'Ignorance. Ainsi prendra fin le règne de l'Inconscient, car avec l'éclosion de la Conscience secrète plus vaste, de la Lumière cachée qui était en elle, l'Inconscience sera changée en ce qu'elle était réellement depuis toujours, une mer de la secrète Supraconscience.
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La première formation d'une conscience et d'une nature gnostiques sera la conséquence de cette transmutation.
La création d'un être supramental, d'une nature et d'une vie supramentales sur la terre, ne sera pas le seul résultat de cette évolution ; elle apportera en même temps l'achèvement et la perfection des étapes qui ont conduit jusqu'à elle. Ainsi, elle confirmera le surmental, l'intuition et les autres degrés de la force spirituelle de notre nature dans leur possession de la naissance terrestre, et elle établira une race d'êtres gnostiques, une hiérarchie, une échelle étincelante, avec ses degrés ascendants et les formations successives qui constituent la. lumière et le pouvoir gnostiques dans la nature terrestre. Cette description de la gnose s'applique à toute conscience qui est basée sur la Vérité de l'être et non sur l'Ignorance ou la Nescience. Toute vie et tout être vivant qui sont prêts à s'élever au-dessus de l'ignorance mentale, sans être encore prêts pour l'élévation supramentale, trouveront donc une base solide dans cet échelonnement, cette gradation dont les degrés se chevauchent, et découvriront les étapes intermédiaires de leur propre formation, l'expression et la réalisation de leurs propres possibilités d'existence spirituelle sur le chemin de la suprême Réalité. Mais on peut s'attendre aussi à ce que la présence, comme guide de la Nature évolutive, de la lumière et de la force supramentales libérées, et désormais souveraines, ait des conséquences dans l'évolution tout entière. Il y aura des répercussions sur la vie des étapes évolutives inférieures qui subiront une pression décisive ; un peu de la lumière et de la force supramentales pénétrera jusqu'aux niveaux inférieurs, éveillant à une action plus vaste le Pouvoir de Vérité partout caché dans la Nature. Un principe d'harmonie souverain s'imposera à la vie de l'Ignorance ; la discorde, la recherche obscure, tâtonnante, le choc de la lutte, les vicissitudes anormales. ,avec leurs exagérations et leurs dépressions, l'équilibre instable des forces aveugles avec leurs mélanges et leurs conflits, sentiront cette influence et, cédant la place, consentiront à une marche plus ordonnée et à un rythme plus harmonieux dans le développement de l'être, à -un arrangement plus révélateur de la vie et de la conscience progressives, ;à une meilleure organisation de notre existence. Il y aura, au cœur de la vie humaine, un plus libre jeu de l'intuition, de la sympathie, de la compréhension, ainsi qu'une perception plus claire de la vérité du moi et des choses, une approche plus lumineuse des opportunités et des difficultés de l'existence. Au lieu d'être une lutte constante, entremêlée, confuse,
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entre la croissance de la Conscience et le pouvoir de l'Inconscience, entré les forces de la lumière et les forces de l'obscurité, l'évolution progressera graduellement d'une moindre lumière vers une lumière plus grande. À chaque stade, les êtres conscients appartenant à ce stade, répondront à la Conscience-Force intérieure et élargiront leur propre loi dans la Nature cosmique pour atteindre un degré plus élevé de cette Nature. C'est là du moins une grande possibilité, qui pourrait être la conséquence naturelle de l'action directe du supramental sur l'évolution. Cette intervention n'annulerait pas le principe évolutif, car le supramental a le pouvoir de retenir en lui-même ou de dissimuler sa force de connaissance, de même qu'il a le pouvoir de la mettre totalement ou partiellement en action; mais il harmoniserait, stabiliserait, faciliterait, tranquilliserait et, dans une large mesure, " hédoniserait " le difficile et douloureux processus de l'émergence évolutive.
Il y a dans la nature même du supramental quelque chose qui rend inévitable ce grand aboutissement. Fondamentalement, le supramental est une conscience qui unifie, intégralise et harmonise, et lorsqu'il descendra dans l'évolution pour manifester la diversité de l'Infini, il ne perdra pas sa tendance unitaire, son élan vers l'intégralisation ou son influence harmonisatrice. Le Surmental poursuit jusqu'au bout les diversités et les possibilités divergentes, sur leurs propres lignes de divergence : il peut permettre des contradictions et des discordes, mais il en fait les éléments d'un tout cosmique, de sorte qu'elles sont contraintes d'apporter leur contribution à sa totalité, même si elles le font de mauvais grâce et en dépit d'elles-mêmes. Ou encore, nous pouvons dire que le Surmental accepte les contradictions et même qu'il les encourage, mais en les obligeant à se soutenir mutuellement, si bien qu'il peut y avoir des voies divergentes d'être, de conscience et d'expérience qui s'éloignent de l'Un et s'écartent les unes des autres, et qui s'appuient cependant sur l'Unité et peuvent ramener à l'Unité, chacune sur son propre chemin. C'est même le sens secret de notre propre monde d'Ignorance, qui fonctionne sur une base d'Inconscience, mais avec l'universalité sous-jacente du principe surmental. Dans une création comme celle-là, pourtant, l'être individuel ne possède pas la connaissance de ce principe secret et ne fonde pas sur lui son action. Un être surmental ici-bas percevrait ce secret, mais cela ne l'empêcherait pas d'agir selon les lignes de sa propre nature et de sa propre loi d'action — svabhâva, svadharma — suivant l'inspiration, l'autorité dynamique ou la direction intérieure de
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l'Esprit ou du Divin au-dedans de lui, tout en laissant le reste suivre sa propre ligne dans le tout. Une création surmentale de connaissance dans l'Ignorance pourrait donc être séparée du monde environnant de l'Ignorance dont elle serait protégée par le cercle lumineux et le mur séparateur de son propre principe. L'être gnostique supramental, au contraire, fonderait non seulement toute son existence sur le sens intime et la réalisation effective de l'unité harmonique dans sa propre vie intérieure et extérieure ou dans sa vie collective, mais il créerait aussi une unité harmonique avec le monde mental qui survit encore autour de lui, même si ce monde demeurait tout entier un monde d'Ignorance. Car sa conscience gnostique percevrait et exprimerait la vérité et le principe d'harmonie qui évoluent, cachés dans les formes de l'Ignorance; son sens inné de l'intégralité lui donnerait le pouvoir de les relier, dans un ordre véritable, à son propre principe gnostique, et à la vérité et l'harmonie qu'il a développées au sein de sa propre création supérieure dans la vie. Cela s'avérerait peut-être impossible sans un changement considérable de la vie dans ce monde, mais ce changement serait la conséquence naturelle de l'apparition dans la Nature d'un Pouvoir nouveau et de son influence universelle. C'est dans l'émergence de l'être gnostique que se trouverait l'espoir d'un ordre évolutif plus harmonieux au sein de la Nature terrestre.
Une race supramentale, une race d'êtres gnostiques, ne serait pas façonnée .suivant un type unique, coulée dans un moule unique et fixe, car la loi du supramental est l'unité qui s'accomplit dans la diversité. Il y aurait donc une infinie diversité dans la manifestation de la conscience gnostique, et cependant cette conscience garderait une base et une constitution uniques, un ordre unique qui révèle et unifie tout. Il est évident que le triple statut du supramental s'y trouvera reproduit en tant que principe de cette nouvelle manifestation. Au-dessous du supramental, et lui appartenant néanmoins, se trouveront les divers degrés de la gnose surmentale et intuitive, avec les âmes qui ont atteint ces degrés de la conscience ascendante ; on trouvera aussi, tout en haut, et à mesure que progresse l'évolution dans la Connaissance, des êtres individuels s'élevant au-delà d'une formulation supramentale pour atteindre, depuis les hauteurs suprêmes du supramental, le sommet de la réalisation de soi unitaire dans le corps — car tel doit être l'état ultime et suprême de l'épiphanie de la Création. Mais au sein de la race supramentale elle-même, dans ses divers degrés, les individus ne seront
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pas façonnés selon un seul type d'individualité; chacun sera différent des autres, une formation unique de l'Être, tout en demeurant un avec le reste du monde dans les fondations de son moi, dans sa perception de l'unité et le principe de son être. C'est seulement de ce principe général de l'existence supramentale que nous pouvons essayer de nous former une idée, si amoindrie soit-elle par les limitations de la pensée mentale et du langage mental. Seul le supramental pourrait brosser un tableau plus vivant de l'être gnostique ; le mental n'en peut donner que des contours abstraits.
La gnose est le principe efficient de l'Esprit, la dynamis supérieure de l'existence spirituelle. L'individu gnostique sera le couronnement de l'homme spirituel ; son mode d'être, de penser, de vivre, d'agir sera tout entier gouverné par le pouvoir d'une vaste spiritualité universelle. Toutes les trinités de l'Esprit seront réelles pour sa conscience de soi et réalisées dans sa vie intérieure; Toute son existence sera fondue, unifiée dans le Moi et Esprit universel et transcendant ; toutes ses actions émaneront du gouvernement divin de l'Esprit, du Moi suprême sur la Nature, et lui obéiront. Toute vie signifiera pour lui l'Être Conscient, le Purusha au-dedans, qui trouve son expression propre dans la Nature ; s'a vie et toutes ses pensées, ses sentiments, ses actes seront pour lui chargés de cette signification et s'édifieront sur les fondations de cette réalité. Il sentira la présence du Divin en chaque centre de sa conscience, en chaque vibration de sa force vitale, en chaque cellule de son corps. Dans toutes les opérations de la force de la Nature en lui, il percevra le travail de la Mère suprême des mondes, la Supranature ; il verra son être naturel comme le devenir et la manifestation du pouvoir de la Mère universelle. Dans cette conscience il vivra et agira avec une liberté entière et transcendante, avec une joie complète de l'esprit, une identité totale avec le Moi cosmique, et une sympathie spontanée pour tout ce qui est dans l'univers. Tous les êtres seront pour lui ses propres moi; il sentira tous les modes et tous les pouvoirs de conscience comme les modes et les pouvoirs de sa propre universalité. Mais cette universalité compréhensive ne sera pas une servitude aux forces inférieures, une déviation de sa propre vérité la plus haute, car cette vérité enveloppera les vérités de toutes choses et gardera chacune à sa place, dans la relation d'une harmonie qui se diversifie ; elle n'admettra aucune confusion, aucun heurt, aucun empiétement de frontières, aucune déformation des harmonies différentes qui constituent l'harmonie totale. Sa propre vie
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et la vie du monde seront pour l'individu gnostique comme une œuvre d'art parfaite, semblable à la création d'un génie cosmique et spontané, infaillible dans son élaboration d'un ordre innombrable. Il sera un être du monde, vivant dans le monde, mais en même temps le dépassera dans sa; conscience et vivra au-dessus, dans son moi transcendant; il sera universel mais libre dans l'univers, individuel mais non limité par une individualité séparative. La vraie Personne n'est pas une entité isolée; son individualité est universelle, car elle individualise l'univers; 'et. en même temps, elle émerge divinement dans une atmosphère spirituelle d'infinité transcendante, comme un haut sommet par-delà les nuages, car elle individualise la Transcendance divine.
Les trois pouvoirs qui se présentent à notre vie comme les trois clefs de son mystère, sont l'individu, l'entité cosmique et la Réalité qui est présente en chacun d'eux et au-delà. Ces trois mystères de l'existence trouveront dans la vie de l'être supramental l'accomplissement unifié de leur harmonie. Il sera l'individu complet, rendu parfait, et qui aura atteint la plénitude de sa croissance et de son expression, car tous ses éléments seront portés à leur plus haut degré et intégrés dans une vaste globalité. C'est vers la plénitude et l'harmonie que se dirigent en effet tous nos efforts. L'imperfection et l'incapacité, ou la disharmonie de notre nature est ce dont nous souffrons intérieurement le plus — mais cela vient de ce que notre être est incomplet, la connaissance de nous-mêmes imparfaite, précaire la possession de notre moi et de notre nature. Une complète connaissance de soi en toute chose et à tout moment, est le don de la gnose supramentale, et avec elle vient une complète maîtrise de soi, qui implique non seulement un contrôle de la Nature, mais un pouvoir d'expression parfaite de soi dans la Nature. Cette connaissance du moi, quelle qu'elle soit, trouvera à s'incarner parfaitement dans la volonté du moi, et la volonté à s'incarner parfaitement dans l'action du moi, qui ainsi parviendra à s'exprimer de façon complète et dynamique dans sa propre nature. Aux degrés inférieurs de l'être gnostique, l'expression de soi sera limitée par la particularité de la nature, ce sera une perfection réduite qui formulera un aspect, un élément ou l'harmonie et la combinaison d'éléments d'une certaine totalité divine, une sélection restreinte de pouvoirs provenant de l'expression cosmique de l'Un qui est infiniment multiple. Mais dans l'être supramental, ce besoin de limitation pour la perfection disparaîtra ; la diversité ne s'obtiendra pas par la limitation, mais par une diversification
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du pouvoir et des nuances de la Supranature. Une même totalité de l'être et une même totalité de la nature s'exprimeront d'une façon infiniment diverse, puisque chaque être sera une totalité nouvelle, une harmonie, une équation nouvelle de l'Être unique. Ce qui s'exprimera ouvertement ou ce qui sera gardé à l'arrière-plan ne dépendra pas d'une capacité ou d'une incapacité, mais, à chaque instant, du libre choix dynamique de l'Esprit, de la félicité qu'il goûte à s'exprimer, de la vérité que dans sa joie et sa volonté le Divin trouve lui-même dans l'individu, et, par suite, de la vérité de ce qui doit être accompli à travers l'individu et dans l'harmonie de la totalité. Car l'individu complet est l'individu cosmique, puisque c'est seulement quand nous avons pris l'univers en nous-mêmes — et l'avons transcendé —, que notre individualité est complète.
Dans sa conscience cosmique, l'être supramental verra et sentira tout comme lui-même, et il agira dans ce sens, avec une perception universelle, dans l'harmonie de son moi individuel avec le moi total, de sa volonté individuelle avec la volonté totale, de son action individuelle avec l'action totale. Ce dont nous souffrons le plus en effet, dans notre vie extérieure et dans ses réactions sur notre vie intérieure, c'est de l'imperfection de nos relations avec le monde, de notre ignorance des autres, du manque d'harmonie avec la totalité des choses, de notre impuissance à concilier ce que nous exigeons du monde avec ce qu'il exige de nous. Nous sommes dans un conflit qui semble n'avoir d'autre issue finale que l'évasion du monde et de soi-même à la fois, un conflit entre l'affirmation de soi et le monde auquel nous devons imposer cette affirmation — un monde qui semble trop vaste pour nous, et qui, dans sa marche irrésistible vers son but, passe indifférent par-dessus notre âme, notre mental, notre vie et notre corps. Nous ne discernons pas le rapport entre notre marche et notre but, et ceux du monde ; et pour établir une harmonie, il faut ou bien nous imposer à lui et l'asservir, ou nous réprimer nous-mêmes et lui être asservi, ou encore réaliser un équilibre difficile entre cette double nécessité qui relie la destinée personnelle de l'individu à la totalité cosmique et à son but caché. Mais pour l'être supramental qui vit dans une conscience cosmique, cette difficulté n'existera pas, puisqu'il n'a pas d'ego. Son individualité cosmique connaîtra les forces cosmiques, leur mouvement et leur signification comme une partie de lui-même, et, à chaque instant, la conscience-de-vérité qui est en lui verra la relation vraie et trouvera l'expression dynamique vraie de cette relation.
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En fait, l'individu et l'univers sont tous deux les expressions simultanées et interdépendantes d'un même Être transcendant. Même si, dans l'Ignorance et sous sa loi, il y a de mauvais ajustements et des conflits, il doit exister une relation vraie, une réconciliation à laquelle tout aboutit, mais que l'aveuglement de notre ego, notre effort pour affirmer l'ego et non le Moi un en tout, ne peuvent saisir. La conscience supramentale détient cette vérité des relations comme un droit et un privilège naturels, puisque c'est le supramental qui détermine les relations cosmiques et les relations de l'individu avec l'univers, puisqu'il les détermine librement et souverainement en tant que pouvoir de la Transcendance. Dans l'être mental, la perception de la Réalité transcendante et la pression de la conscience cosmique qui domine l'ego, ne suffiraient peut-être pas à apporter une solution dynamique ; car entre la mentalité spirituelle libérée et la vie obscure de l'Ignorance cosmique, peut encore subsister une incompatibilité que le mental n'aurait pas le pouvoir de résoudre ou de surmonter. Mais dans l'être supramental — qui n'est pas seulement statiquement conscient mais pleinement dynamique et qui agit dans la lumière et la puissance créatrices de la Transcendance —, la lumière supramentale, la lumière de vérité, ritam jyotih, aura ce pouvoir. Car il. y aura unité avec le Moi cosmique, et au lieu d'un esclavage à l'Ignorance de la Nature cosmique dans ses formulations inférieures, il y aura un pouvoir d'agir sur l'Ignorance par la lumière de la Vérité. Une vaste universalité dans l'expression de soi, une large universalité harmonique de l'être universel seront les signes mêmes de la Personne supramentale dans sa nature gnostique.
L'existence de l'être supramental sera le jeu d'un pouvoir de vérité de l'existence une et de la conscience une, pouvoir qui se manifeste diversement et innombrablement pour la joie de l'existence unique. La joie de la manifestation de l'Esprit dans la vérité de son être sera le sens même de la vie gnostique. Tous ses mouvements seront l'expression de la vérité de l'esprit, et aussi de sa félicité : une affirmation de l'existence spirituelle, une affirmation de la conscience spirituelle, une affirmation de la joie d'être spirituelle. Mais cela n'aura rien de commun avec l'affirmation de soi sous la forme qu'elle tend à revêtir en nous, en dépit de l'unité sous-jacente : égocentrique, séparative, elle s'oppose ou se montre indifférente, ou insuffisamment sensible, à l'affirmation de soi chez les autres ou à ce qu'ils exigent de la vie. Étant un avec tous en son moi, l'être supramental cherchera non seulement le délice de
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la manifestation de l'Esprit en lui-même, mais tout autant le délice du Divin en tous. Il goûtera la joie cosmique et aura le pouvoir d'apporter aux autres la béatitude de l'esprit, la joie d'être, car leur joie fera partie de sa propre joie d'exister. Veiller au bien de tous les êtres, faire siennes la joie et la douleur des autres, sont tenus pour des signes que l'homme est libéré et spirituellement accompli. Mais pour cela, l'être supramental n'aura pas besoin d'une abnégation altruiste, puisque cette occupation sera intimement liée à son accomplissement propre, l'accomplissement de l'Un en tous, et il n'y aura aucune contradiction, aucun conflit entre son bien propre et le bien d'autrui. Il n'aura pas besoin non plus d'acquérir une sympathie universelle en se soumettant aux joies et aux douleurs des créatures dans l'Ignorance; la sympathie cosmique fera partie de la vérité innée de son être et ne dépendra pas d'une participation personnelle à la joie inférieure et à la souffrance — elle transcendera ce qu'elle embrasse et dans cette transcendance résidera son pouvoir. Son' sentiment d'universalité et l'universalité de son action seront toujours un état spontané et un mouvement naturel, une expression automatique de la Vérité, un acte de la joie de l'existence en soi de l'Esprit. Il ne peut y avoir ici de place pour le moi limité ou le désir, pour leur satisfaction ou leur insatisfaction, aucune place pour le bonheur et le chagrin relatifs et soumis aux circonstances, qui visitent et affligent notre nature limitée — car ces choses appartiennent à l'ego et à l'Ignorance, non à la liberté et à la vérité de l'Esprit.
L'être gnostique a la volonté d'agir, mais aussi la connaissance de ce qu'il faut vouloir et le pouvoir de réaliser sa connaissance ; il ne sera pas conduit, par ignorance, à faire ce qui ne doit pas être fait. Il n'agira pas non plus pour les fruits ou les résultats de son action, car il trouvera sa joie dans l'être et dans le faire, dans l'état pur et l'acte pur de l'Esprit, dans la pure félicité de l'Esprit. De même que sa conscience statique contiendra tout en elle-même et jouira donc nécessairement et pour toujours de sa propre plénitude, de même sa conscience dynamique trouvera, à chaque instant et en chaque acte, la liberté spirituelle et la plénitude de son être. Chaque chose sera vue dans sa relation avec la totalité, de sorte que chaque pas sera lumineux, joyeux, satisfaisant en soi, parce que chacun sera à l'unisson d'une lumineuse totalité. Cette conscience, cette existence dans la totalité spirituelle et cette action fondée sur elle — une totalité satisfaite dans l'essence de l'être, et une totalité satisfaite dans le mouvement dynamique de l'être, avec,
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à chaque pas, la perception des relations de cette totalité —, tels sont, en vérité, les signes mêmes de la conscience supramentale, ce qui la distingue des mouvements ignorants et incohérents de notre conscience dans l'Ignorance. L'existence gnostique et la joie de l'existence gnostique sont une existence et une joie universelles et totales, et cette totalité, cette universalité se retrouveront présentes dans chaque mouvement séparé; en chacun d'eux se trouvera, non une expérience partielle du moi ou une parcelle de sa joie, mais la perception du mouvement total d'un être intégral et la présence de sa félicité d'être entière et intégrale, Ânanda. Lorsqu'elle se réalisera dans l'action, la connaissance de l'être gnostique ne sera pas une connaissance idéative, mais vérité du supramental, l'instrument d'une lumière essentielle de la Conscience; ce sera la lumière même de la réalité totale de l'être et de son devenir total, qui coulera en un flot continu et emplira chaque acte particulier, chaque activité, de la pure et totale félicité de son existence en soi. Pour une conscience infinie possédant la connaissance par identité, chaque différenciation apporte la joie et l'expérience de l'Identique — dans tout ce qui est fini est ressenti l'Infini.
L'évolution de la conscience gnostique conduit à la transformation de notre conscience du monde et de notre action dans le monde. Son nouveau pouvoir de perception, en effet, embrasse non seulement l'existence intérieure, mais notre être extérieur et notre être dans le monde; tous deux sont reconstruits et intégrés dans la perception et le pouvoir de l'existence spirituelle. Ce changement doit provoquer un renversement et un rejet de notre mode actuel d'existence, et permettre, en même temps, que se réalisent ses tendances et son orientation intérieures. Car à présent, nous nous tenons entre deux termes : un monde extérieur de Vie et de Matière qui nous a construits, et une reconstruction du monde par nous-mêmes en accord avec l'Esprit évolutif. Notre existence actuelle est à la fois une sujétion à la Force de Vie et à la Matière, et une lutte avec la Vie et la Matière. Dès sa première apparition en effet, l'existence extérieure crée, par les réactions qu'elle suscite en nous, une existence intérieure ou mentale. Et si nous nous façonnons nous-mêmes, si peu que ce soit, c'est, chez la plupart des hommes, moins par la pression consciente de notre âme ou de notre intelligence libre qui agit du dedans, que par une réaction à notre milieu et à la nature universelle qui agit sur nous du dehors. Mais avec le développement de notre être conscient, c'est vers une existence intérieure que nous nous dirigeons, une existence qui,
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par sa connaissance et son pouvoir, crée sa propre forme extérieure de vie et le milieu qui l'exprime. Dans la nature gnostique, ce mouvement aura trouvé son couronnement; le mode de vie sera celui d'une existence intérieure accomplie dont la lumière et le pouvoir se revêtiront d'un corps parfait dans la vie extérieure. L'être gnostique embrassera le monde de la Vie et de la Matière, mais il le changera et l'adaptera à sa vérité propre et au but de son existence. Il modèlera la vie elle-même à sa propre image spirituelle, et il sera capable de le faire parce qu'il possède le secret de la création spirituelle et qu'il est en communion, qu'il est un avec le Créateur qui est en lui. Cela s'effectuera tout d'abord par le façonnement de sa propre existence individuelle intérieure et extérieure, mais c'est le même pouvoir et le même principe qui opéreront en toute vie gnostique commune, car les relations des êtres gnostiques entre eux seront l'expression de leur moi gnostique unique, de leur unique supranature qui façonnera l'existence commune tout entière pour en faire son instrument et sa forme significative.
Dans toute existence spirituelle, la vie intérieure est la chose de première importance. L'homme spirituel vit toujours au-dedans, et, dans un monde d'Ignorance qui refuse de changer, il doit, en un sens, s'en dissocier et protéger sa vie intérieure contre l'influence et l'intrusion des forces obscures de l'Ignorance. Il est hors du monde tout en vivant dans le monde ; s'il agit sur lui, c'est depuis la forteresse de son être spirituel intérieur où il est un avec l'Existence Suprême, et où, dans le sanctuaire le plus profond, l'âme et Dieu sont seuls, unis l'un à l'autre. La vie gnostique sera une vie intérieure dans laquelle l'antinomie entre l'intérieur: et l'extérieur, entre le moi et le monde aura été résolue et dépassée. Certes, l'être gnostique aura une existence intérieure profonde, en laquelle il sera seul avec Dieu, un avec l'Éternel, plongé dans les profondeurs de l'Infini, communiant avec ses sommets et avec ses abîmes lumineux et secrets, et rien ne pourra troubler ou envahir ces profondeurs ou le faire descendre de ces hauteurs, ni le contenu du monde, ni sa propre action, ni tout ce qui l'entoure. Tel est l'aspect transcendant de la vie spirituelle, et il est nécessaire à la liberté de l'esprit; sinon, l'identité de nature avec le monde serait une entrave et une limitation, non une libre identité. Mais en même temps, le cœur exprimera cette communion intérieure et cette unité par l'amour divin et la félicité divine, et cette félicité, cet amour s'élargiront jusqu'à embrasser l'existence tout entière. La paix divine intérieure s'élargira dans l'expérience gnostique
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de l'univers et deviendra le calme universel d'une égalité qui n'est pas seulement passive mais dynamique, le calme d'une liberté dans l'unité, qui domine tout ce qui vient à elle, tranquillise tout ce qui pénètre en elle et impose sa loi de paix aux relations de l'être supramental avec le monde où il vit. L'unité intérieure, la communion intérieure l'assisteront dans tous ses actes et influenceront profondément ses relations avec les autres — qui, pour lui, ne seront pas les autres, mais ses propres moi dans l'existence une, dans sa propre existence universelle. C'est cet équilibre et cette liberté de l'esprit qui lui permettront de prendre toute vie en lui-même, tout en demeurant le moi spirituel, et d'embrasser même le monde de l'Ignorance sans lui-même entrer dans l'Ignorance.
Ainsi, par la forme de sa nature et par la position centrale, individualisée, qu'il occupe, son expérience de l'existence cosmique sera celle d'un être vivant dans l'univers ; mais, en même temps, par sa diffusion et son extension dans l'unité, son expérience sera celle d'un être qui porte en soi l'univers et tous les êtres. Cette extension de l'être ne sera pas seulement une extension dans l'unité du moi ou une extension dans une idée et une vision conceptuelles, mais l'extension d'une unité dans le cœur, dans les sensations, dans la conscience physique concrète. Sa conscience, ses sensations, son sentiment cosmiques seront tels que toute vie objective fera partie de son existence subjective, et qu'il réalisera, percevra, sentira, verra, entendra le Divin dans toutes les formes. Toutes les formes et tous les mouvements seront réalisés, perçus, vus, entendus, sentis comme s'ils prenaient place dans l'immensité d'être de son propre moi. Le monde sera non seulement relié à sa vie extérieure, mais à sa vie intérieure. Ce n'est pas seulement dans sa forme extérieure qu'il touchera le monde, par un contact extérieur : il sera intérieurement en contact avec le moi intime des choses et des êtres; il recevra consciemment leurs réactions intérieures, non moins que leurs réactions extérieures ; il percevra en eux ce qu'ils ne perçoivent pas eux-mêmes ; il agira sur tout avec une compréhension intérieure, accueillera tout avec une sympathie parfaite et un sens d'unité, mais aussi avec une indépendance qui ne se laisse dominer par aucun contact. Son action sur le monde sera surtout une action intérieure par le pouvoir de l'esprit, par l'idée-force spirituelle supramentale qui se formule dans le monde, par Je verbe secret qui n'est point prononcé, par le pouvoir du cœur, par la force vitale dynamique, par la puissance enveloppante et pénétrante du
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moi un avec toutes choses. L'action extérieure, exprimée et visible, ne sera qu'une frange, une dernière projection de cette plus vaste et unique somme totale d'activités.
En même temps, la vie intérieure universelle de l'individu ne se réduira pas à un contact qui pénètre et enveloppe le seul monde physique ; elle s'étendra au-delà, parce qu'elle réalisera pleinement le rapport naturel qui unit l'être intérieur subliminal aux autres plans de t'être. La connaissance des pouvoirs et des influences qui proviennent de ces plans, deviendra un élément normal de l'expérience intérieure, et les événements de ce monde ne seront plus vus seulement sous leur aspect extérieur, mais aussi à la lumière de tout ce qui est caché derrière la création physique et le mouvement terrestre. Un être gnostique ne possédera pas seulement la maîtrise du monde physique, une maîtrise consciente de la vérité, telle que la confère le pouvoir de l'esprit réalisé, tuais aussi le plein pouvoir du plan mental et du plan vital, et il utilisera leurs forces plus grandes pour la perfection de l'existence physique. Cette connaissance plus grande et cette plus vaste maîtrise de toute l'existence, augmenteront considérablement le pouvoir d'action de l'être gnostique sur son milieu et sur le monde de la Nature physique.
Dans l'Existence en soi, dont le supramental est la Conscience-de-Vérité dynamique, l'être ne peut avoir d'autre but que d'être, la conscience d'autre but que d'être consciente d'être, la félicité d'être d'autre but que sa propre félicité ; tout est une Éternité qui existe en soi et se suffit à elle-même. Dans son mouvement supramental originel, la manifestation, le devenir a le même caractère ; il soutient en effet, dans un rythme qui existe en soi et se suffit à lui-même, une activité d'être qui se voit comme un devenir innombrable, une activité de conscience qui prend la forme d'une connaissance de soi innombrable, une activité de la force de l'existence consciente qui existe pour la splendeur et la beauté de son propre pouvoir d'être innombrable, une activité de félicité qui revêt d'innombrables formes de félicité. Ici, dans la Matière, l'existence et la conscience de l'être supramental auront fondamentalement la même nature, mais avec des caractères subordonnés qui marqueront la différence entre le supramental sur son propre plan et le supramental qui a manifesté son pouvoir pour travailler dans l'existence terrestre. Car il y aura alors un être en évolution, une conscience en évolution, une joie d'être en évolution. L'être gnostique apparaîtra comme le signe
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d'une évolution qui va de la conscience de l'Ignorance à la conscience de Satchidânanda. Nous sommes dans le monde de l'Ignorance essentiellement pour croître, pour connaître et pour agir, ou, plus exactement; pour croître et devenir quelque chose, pour arriver à quelque chose par la connaissance, pour accomplir quelque chose. Imparfaits, nous ne trouvons aucune satisfaction dans notre être, nous sommes donc obligés de faire de grands, de pénibles efforts pour devenir quelque chose que nous ne sommes pas ; ignorants et accablés par la conscience de notre ignorance, nous devons atteindre quelque chose qui nous donne le sentiment que nous savons; esclaves de notre incapacité, nous devons poursuivre sans trêve la force et le pouvoir; affligés par la conscience de la douleur, nous devons essayer de réaliser quelque chose qui nous permette de saisir quelque plaisir, de nous emparer de quelque réalité de la vie qui nous satisfasse. La conservation de l'existence est certes la nécessité et la préoccupation premières ; mais ce n'est qu'un point de départ. Car conserver purement et simplement une existence imparfaite et affligée par la souffrance, ne peut constituer un but suffisant pour notre être; il faut que la volonté d'être instinctive, le plaisir de l'existence, qui sont tout ce que l'Ignorance peut tirer de Conscience-de-Vérité et du Pouvoir sous-jacents, soient complétés par un besoin de faire et de devenir. Mais ce qu'il faut faire et ce qu'il faut devenir, nous ne le savons pas clairement ; nous gagnons la connaissance, le pouvoir, la force, la pureté, la paix que nous pouvons, la félicité que nous pouvons, nous devenons ce que nous pouvons. Nos objectifs et nos efforts pour les réaliser et le peu que nous pouvons tenir pour acquis, se changent en rets qui nous enserrent; ce sont ces choses qui, pour nous, deviennent l'objet de la vie, et ce qui devrait être le fondement de notre vraie manière d'être — connaître notre âme et être nous-mêmes —, est un secret qui nous échappe, préoccupés que nous sommes de savoirs extérieurs, d'une construction extérieure de la connaissance, d'une action, d'une félicité, d'un plaisir extérieurs. L'homme spirituel est celui qui a découvert son âme ; il a trouvé son moi et vit en lui, il en est conscient, il en éprouve la joie. Il n'a besoin de rien d'extérieur pour réaliser la plénitude de son existence. C'est en partant de cette nouvelle base que l'être gnostique se chargera de notre devenir ignorant et le changera en un devenir lumineux de connaissance et en un pouvoir d'être réalisé. Par conséquent, tout ce que nous essayons d'être dans l'Ignorance, l'être gnostique l'accomplira dans la Connaissance. Il transformera toute connaissance en une manifestation de la connaissance propre de l'être, tout pouvoir et toute action en
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un pouvoir et une action de la force de l'être, toute félicité en une félicité universelle de l'existence en soi. L'attachement et la servitude s'évanouiront, parce qu'à chaque instant et en chaque chose, nous aurons la pleine satisfaction de l'existence en soi, la lumière de la conscience qui s'accomplit elle-même, l'extase de la joie d'être qui se trouve elle-même. Chaque étape de cette évolution dans la connaissance sera une révélation de ce pouvoir et de cette volonté d'être, de cette joie d'être ; ce sera un libre devenir soutenu par le sens de l'Infini, par la béatitude du Brahman, par l'assentiment lumineux de la Transcendance.
La transformation supramentale, l'évolution supramentale, doit apporter une élévation du mental, de la vie et du corps, qui sortiront d'eux-mêmes pour atteindre à un mode d'être plus grand où leurs propres modes et leurs propres pouvoirs ne seront pas réprimés ni abolis, mais deviendront parfaits et s'accompliront en se dépassant eux-mêmes; Car dans l'Ignorance, tous les chemins sont les chemins de l'Esprit qui se cherche lui-même aveuglément ou dans une lumière grandissante, tandis que l'être gnostique et la vie gnostique seront une découverte dé l'Esprit par lui-même, une vision de l'Esprit qui atteint les buts de tous ces chemins, mais suivant le mode plus vaste de sa propre vérité d'être consciente et révélée. Le mental cherche la lumière, la connaissance — la connaissance de l'unique vérité qui soutient tout, de la vérité essentielle du moi et des choses —, mais aussi la connaissance de la vérité de toute la diversité dans cette unité, de tous ses détails, ses circonstances, de la multiplicité de ses modes d'action, de ses formes, des lois de ses mouvements et de ses événements, de sa manifestation et de sa création variées. Pour le mental pensant, la joie de l'existence consiste à découvrir et percer le mystère de la création, qui vient avec la connaissance. Le changement gnostique accomplira tout cela dans une large mesure, mais en donnant à cette découverte un caractère nouveau. Son action ne consistera pas en effet à découvrir l'inconnu, mais à faire apparaître le connu ; tout sera la découverte " du moi par le moi dans le moi ". Car le moi de l'être gnostique ne sera pas l'ego mental mais l'Esprit qui est un en tout ; il verra le monde comme un univers de l'Esprit. La découverte de la vérité unique qui est à la base de toutes choses, sera une découverte de l'identité par l'Identique et de la vérité identique partout, la découverte aussi du pouvoir, des opérations et des relations de cette identité. La révélation des détails, des circonstances, des formes et des modes innombrables de la manifestation dévoileront la richesse
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illimitée des vérités de cette identité, des formes et des pouvoirs du moi, de l'étonnante diversité et multiplicité de formes qui expriment infiniment son unité. Cette connaissance procédera par identification avec tout et pénétration en tout, par un contact qui suscite un bond en avant dans la découverte de soi et une flamme de reconnaissance, une intuition de la vérité plus haute et plus sûre que celle qui est accessible au mental. Une intuition également des moyens nécessaires pour donner corps à la vérité qui a été vue et pour l'utiliser, une mise en œuvre de ses processus dynamiques et une perception intime et directe qui guidera la vie et les sens physiques à chaque pas de leur action au service de l'Esprit, lorsqu'il faudra faire appel à eux comme instruments pour que les processus puissent se réaliser dans la vie et la matière.
Chaque mouvement gnostique de connaissance et chaque action de cette connaissance auront pour caractéristiques un remplacement de la recherche intellectuelle par une identité supramentale et une. intuition gnostique du contenu de cette identité, et une omniprésence de l'Esprit dont la lumière pénétrera le processus entier de la connaissance et toutes ses applications, intégrant le connaisseur, la connaissance et la chose connue, la conscience opérante, l'instrument et la chose faite, cependant que le moi unique surveillera la totalité du mouvement intégré et s'accomplira intimement en lui, faisant de lui une unité sans défaut de sa propre réalisation. Le mental, qui observe et raisonne, s'efforce péniblement de se détacher et de voir objectivement, et dans sa vérité, ce qu'il doit connaître; il essaie de connaître ce qu'il voit comme un non-moi, une réalité autre et indépendante qui n'est pas affectée par le processus de la pensée personnelle ou par une présence quelconque du moi : la conscience gnostique, au contraire, connaîtra immédiatement son objet, de façon intime et exacte, par une identification globale et pénétrante. Elle dépassera ce qu'elle doit connaître, mais l'inclura en elle-même ; elle connaîtra l'objet comme une partie de son être — de même qu'elle peut connaître toute partie ou tout mouvement de son propre être —, mais sans que cette identification la rétrécisse, ou sans que sa pensée soit prise au piège de cette identification au point d'être limitée dans sa connaissance ou liée par elle. Il y aura l'intimité, l'exactitude et la plénitude d'une connaissance interne directe — non cette direction trompeuse d'une pensée personnelle, source d'erreur constante —, parce que la conscience sera celle d'une personne universelle qui n'est pas limitée ni enchaînée à l'ego. La conscience gnostique
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progressera vers une connaissance totale, sans opposer une vérité à une autre pour voir laquelle résistera et survivra, mais en complétant une vérité par une autre dans la lumière de la Vérité unique dont toutes sont des aspects. Toute idée, toute vision, toute perception aura le caractère d'une vision intérieure, d'une perception de soi intime et étendue, d'une vaste connaissance qui intègre tout en soi, d'une totalité indivisible qui s'exprime par l'action d'une lumière sur une autre lumière dans une harmonie de la vérité d'être qui s'accomplit spontanément. Il y aura un épanouissement, qui ne sera pas une libération de la lumière hors des ténèbres : c'est de la lumière que naîtra la lumière ; car si une Conscience supramentale évolutive retient et dissimule une partie du contenu de sa perception de soi, elle ne le fait pas comme une étape sur le chemin ou par un acte d'Ignorance, mais comme un mouvement délibéré qui fait apparaître sa connaissance intemporelle dans un processus de manifestation temporelle. Une illumination spontanée, une révélation de la lumière qui jaillit de la lumière, telle sera la méthode de cognition de cette Nature supramentale dans l'évolution.
De même que le mental cherche la lumière, la découverte de la connaissance et la maîtrise par la connaissance, de même la vie cherche le développement de sa propre force et la maîtrise par la force. Elle est en quête de croissance, de pouvoir, de conquête, de possession, de satisfaction, de création, de joie, d'amour, de beauté; sa joie d'être, elle la trouve dans, une constante expression de soi, un constant développement, dans la diversité et la multiplicité de son action, de sa création, de sa jouissance, dans une haute et riche intensité de son être et de son pouvoir. L'évolution gnostique soulèvera tout cela jusqu'à son expression la plus haute et la plus pleine; mais elle n'agira pas pour le pouvoir, la satisfaction et la jouissance de l'ego mental ou vital, pour son étroite maîtrise de lui-même, ni pour son emprise avide et ambitieuse sur les autres et sur les choses, ni pour sa plus grande affirmation de soi et une glorification de ce qu'il incarne, car aucune plénitude, aucune perfection spirituelle ne peut être obtenue ainsi. La vie gnostique existera et agira pour le Divin qui est en elle et dans le monde, pour le Divin en tout. Une possession grandissante de l'être individuel et du monde par la Présence divine, la Lumière, le Pouvoir, la Félicité, la Beauté et l'Amour divins, tel sera le sens de la vie pour l'être gnostique. C'est dans une satisfaction toujours plus parfaite de cette manifestation progressive que se trouvera la satisfaction de l'individu ; son pouvoir sera l'instrument du pouvoir
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de la Supranature pour établir et étendre le domaine de cette vie et de cette nature plus vastes; toute conquête et toute aventure dans cette manifestation n'existeront que dans ce but et non pour établir le règne de quelque ego individuel ou collectif. Pour l'être gnostique, l'amour se trouvera dans le contact, la rencontre, l'union du moi avec le moi, de l'esprit avec l'esprit, dans une unification de l'être, dans un pouvoir, une joie, une intimité et un rapprochement de l'âme avec l'âme, de l'Un avec l'Un, dans la joie de l'identité et le déploiement d'une identité diversifiée. C'est cette joie de la diversité de l'Un se révélant intimement à lui-même, cette union innombrable de l'Un et la joyeuse interaction dans l'identité, qui seront pour lui le sens pleinement révélé de la vie. La création esthétique ou dynamique, la création mentale, la création vitale, la création matérielle, auront toutes pour lui le même sens. Ce sera la création de formes signifiantes de la Force, de la Lumière, de la Beauté, de la Réalité éternelles, qui exprimeront la beauté et la vérité des formes et des corps de cette création, la beauté et la vérité de ses pouvoirs et de ses qualités, la beauté et la vérité de son esprit, la beauté sans forme, de son moi et de son essence.
Une fois que-ce changement total, ce renversement de conscience aura eu lieu, qui établira une relation nouvelle de l'esprit avec le mental, la vie et la matière, et donnera une signification et une perfection nouvelles à cette relation, il se produira aussi un renversement du rapport entre l'esprit et le corps qu'il habite, qui revêtira une signification nouvelle et un pouvoir de perfection croissante. Dans notre mode de vie actuel, l'âme s'exprime aussi bien qu'elle le peut, ou aussi mal qu'elle y est contrainte, à travers le mental et le vital, ou, plus souvent encore, elle laisse le mental et le vital agir avec son soutien ; et c'est par l'intermédiaire du corps qu'elle agit. Mais même lorsqu'il obéit, le corps limite et détermine l'expression du mental et de la vie par les possibilités limitées et les caractères acquis de ses propres instruments physiques. En outre, son action suit sa loi propre, le pouvoir de son être subconscient— ou conscient, bien qu'il n'ait émergé qu'à moitié —, possède son mouvement, sa volonté, sa force ou son impulsion propres, que le mental et le vital ne peuvent influencer ou changer que partiellement ; même quand ils influencent cette partie de l'être, c'est par une action généralement indirecte ; et quand elle est directe, elle est plus souvent subconsciente que consciente et délibérée. Mais dans la façon d'être et de vivre propre à l'être gnostique, la volonté de l'Esprit dirigera et déterminera directement les mouvements et la loi du corps.
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C'est en effet du subconscient ou de l'inconscient que proviennent ces lois ; mais dans l'être gnostique, le subconscient sera devenu conscient, il sera soumis à la direction supramentale et pénétré par sa lumière et son action ; la base d'inconscience, obscure et ambiguë, obstructive ou lente à réagir, se trouvera transformée, par l'émergence supramentale, en une supraconscience inférieure ou de soutien. Même dans l'être mental supérieur pleinement réalisé et dans l'être intuitif et surmental, le corps sera déjà devenu suffisamment conscient pour répondre à l'influence de l'Idée et de la Volonté-Force, si bien que le mental pourra agir sur les parties physiques avec une puissance considérable, au lieu d'agir en nous, comme il le fait à présent, de façon rudimentaire, chaotique et le plus souvent involontaire. Mais dans l'être supramental, c'est là conscience, et l'Idée-Réelle qui est en elle, qui gouverneront tout. Cette Idée-Réelle est une perception-de-vérité qui se réalise spontanément, car elle est l'idée et la volonté de l'Esprit immédiatement actives, et elle engendre un mouvement de la substance de l'être qui doit inévitablement se réaliser dans un état et une action de l'être. C'est ce réalisme spirituel dynamique et irrésistible de la Conscience-de-Vérité à son plus haut degré, qui sera devenu conscient et consciemment compétent dans l'être gnostique évolué; il n'agira pas, comme à présent, voilé dans une inconscience apparente et limité par une loi mécanique, mais il deviendra la Réalité souveraine qui se réalise elle-même dans l'action. C'est lui qui gouvernera l'existence avec une connaissance et une puissance totales et qui prendra sous son autorité le fonctionnement du corps et ses activités. Ainsi, par le pouvoir de la conscience spirituelle, le corps sera changé en un véritable instrument, adapté et parfaitement réceptif à l'Esprit.
Cette nouvelle relation entre l'Esprit et le corps suppose et permet une libre acceptation de la totalité de la Nature matérielle, au lieu d'un rejet. Il n'est plus obligatoire de s'en détourner, de refuser toute identification avec elle ou de la rejeter entièrement, ce qui est normalement la première nécessité pour la libération de la conscience spirituelle. Cesser de s'identifier au corps, se détacher de la conscience corporelle, est une étape reconnue et nécessaire vers la libération spirituelle, ou vers: la perfection spirituelle et la maîtrise de la Nature. Mais une fois cette rédemption gnostique effectuée, la descente de la lumière et de la force spirituelles peut pénétrer le corps également et s'en saisir, et susciter une nouvelle acceptation, libre et souveraine, de la Nature matérielle.
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Cela n'est possible, il est vrai, que s'il se produit un changement dans la communion de l'Esprit avec la Matière, une maîtrise, un renversement dans l'équilibre actuel de leur action réciproque qui permet à la Nature physique de voiler l'Esprit et d'affirmer sa propre domination. À la lumière d'une connaissance plus vaste, on peut voir que la Matière est, elle aussi, le Brahman, énergie inhérente émanée par le Brahman, forme et substance du Brahman. Ayant perçu cette conscience secrète au sein de la substance matérielle et s'appuyant sur cette connaissance plus vaste, la lumière et le pouvoir gnostiques peuvent dès lors s'unir à la Matière ainsi perçue, et l'accepter comme un instrument de la manifestation spirituelle. Une certaine vénération pour la Matière est même possible, une attitude sacramentelle dans tous nos rapports avec elle. La Gîta parle de l'acte de se nourrir comme d'un sacrement matériel, d'un sacrifice, d'une offrande du Brahman au Brahman par le Brahman. La conscience et la perception gnostiques auront une perception similaire de toutes les opérations de l'Esprit avec la Matière. L'Esprit s'est fait Matière afin de s'y établir comme un instrument pour le bien-être et la joie des créatures, yogakshema, pour être utile au monde physique et le servir dans une offrande de soi universelle. Utilisant la Matière, mais sans attachement matériel ni désir vital, l'être gnostique sentira qu'il se sert de l'Esprit sous cette forme de lui-même, avec son consentement et sa sanction, et pour ses propres fins. Il éprouvera du respect pour les choses physiques, percevra la conscience occulte qui est en elles et sa volonté muette d'être utile et de servir ; il adorera le Divin, le Brahman en tout objet dont il se sert, et veillera à utiliser ses matériaux divins de façon parfaite, impeccable, à trouver le rythme vrai, l'ordre et l'harmonie, la beauté dans la vie de la Matière et dans l'utilisation de la Matière.
Grâce à cette relation nouvelle entre l'Esprit et le corps, l'évolution gnostique pourra effectuer la spiritualisation de l'être physique et lui donner sa perfection et sa plénitude; elle fera pour le corps ce qu'elle a fait pour le mental et la vie. Malgré son obscurité, ses faiblesses et ses limitations — que ce changement surmontera —, la conscience corporelle est un serviteur patient, et par sa vaste réserve de possibilités elle peut devenir un instrument puissant de la vie individuelle. Pour elle-même, elle demande fort peu; ce qu'elle cherche ardemment, c'est la durée, la santé, la force, la perfection physique, le bonheur corporel, la libération de la souffrance, le bien-être. En soi, ces exigences ne sont pas inacceptables, mesquines ou illégitimes, car elles traduisent dans les
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termes de la Matière la perfection formelle et substantielle, le pouvoir, la félicité qui devraient être l'épanouissement naturel, la manifestation expressive de l'Esprit. Quand la force gnostique agira dans le corps, ces choses pourront être établies; car leurs contraires naissent de la pression que les forces extérieures exercent sur le mental physique, sur la vie nerveuse et matérielle, sur l'organisme corporel; elles proviennent d'une ignorance qui ne sait pas comment affronter ces forces, ou qui n'est pas .capable de les affronter efficacement et correctement ; elles proviennent aussi de l'obscurité qui imprègne la substance de la conscience physique, déforme ses réactions, et réagit à ces forces de la mauvaise manière. Une perception et une connaissance supramentales qui agissent et se réalisent spontanément, remplaceront l'ignorance et délivreront, restaureront les instincts intuitifs du corps qui ont été obscurcis et altérés, et ceux-ci seront alors éclairés, enrichis par une action consciente plus intense. Ce changement établira et maintiendra une juste perception physique des choses, une relation et une réaction justes vis-à-vis des objets et des énergies, un rythme juste dans le mental, les nerfs et l'organisme. Il apportera au corps un pouvoir spirituel plus haut et une plus grande force vitale capable de s'unir à la force vitale universelle et d'y puiser, une harmonie lumineuse avec la Nature matérielle, et il lui fera sentir le calme, l'immensité du repos éternel qui peut donner au corps une force et un contentement plus divins. Mais surtout — et c'est là le changement fondamental le plus nécessaire —, il déversera dans tout l'être une suprême énergie de Conscience-Force qui saura recevoir, assimiler ou harmoniser en elle-même toutes les forces de l'existence qui entourent le corps et font pression sur lui.
La douleur et la souffrance ont pour cause l'insuffisance et la faiblesse de la Conscience-Force telle qu'elle est manifestée dans l'être mental, vital et physique, son incapacité à recevoir ou à refuser, à son gré les contacts de l'Énergie universelle qui lui sont imposés, ou, si elle les reçoit, son incapacité à les assimiler ou à les harmoniser. Dans le monde matériel, la Nature part d'une insensibilité complète, et c'est un fait reconnu qu'aux commencements de ,la vie, chez l'animal et chez l'homme primitif ou peu développé, on observe une insensibilité relative ou un manque de sensibilité ou, le plus souvent, une endurance et une résistance plus grandes à la souffrance À mesure que l'être humain évolue, sa sensibilité grandit et il souffre plus vivement dans son mental, -sa vie et son corps. Car la croissance de la conscience
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n'est pas suffisamment soutenue par une croissance de la force ; le corps développe des capacités plus subtiles, plus raffinées, mais son énergie extérieure perd de sa solide efficacité ; l'homme doit alors faire appel à sa volonté, à son pouvoir mental pour dynamiser, corriger et maîtriser son être nerveux, pour le contraindre aux tâches épuisantes qu'il exige de ses instruments, et le cuirasser contre la souffrance et le malheur. Avec l'ascension spirituelle, le pouvoir de la conscience et son influence sur ses instruments augmentent considérablement, de même que la maîtrise de l'esprit et du mental intérieur sur la mentalité extérieure, l'être nerveux et le corps. Une vaste et tranquille égalité de l'esprit face à tous les chocs et à tous les contacts, s'établit au-dedans et devient l'équilibre habituel, et cette égalité mentale peut se transmettre aux parties vitales et établir, là aussi, une force et une paix d'une ampleur immense et durable ; même dans le corps, cet état peut s'installer et affronter intérieurement les chocs du chagrin et de la douleur et les souffrances de toutes sortes. Il est même possible de faire intervenir un pouvoir d'insensibilité physique volontaire, ou d'acquérir le pouvoir de se dissocier mentalement de tout choc et de toute blessure, ce qui prouve que les réactions ordinaires du moi corporel et sa soumission défaillante aux influences normales de là Nature matérielle, ne sont ni obligatoires, ni immuables. Plus fondamental encore est le pouvoir qui se manifeste au niveau du mental spirituel ou du surmental, et qui permet de changer les vibrations de douleur en vibration d'Ânanda ; même si ce pouvoir ne devait pas dépasser un certain niveau, il indiquerait néanmoins la possibilité d'un renversement total des règles qui gouvernent ordinairement les réactions de la conscience1. (Se pouvoir peut aussi s'associer à un pouvoir d'auto-protection qui détourne les chocs trop difficiles à transmuer ou à supporter. À un certain stade de l'évolution gnostique, ce renversement et ce pouvoir d'auto-protection doivent devenir complets et satisfaire ainsi le droit du' corps à l'immunité, à la sérénité de son être et à la libération de toute souffrance, et lui donner le pouvoir de goûter une félicité d'être intégrale. Un Ânanda spirituel pourra alors se déverser dans le corps et inonder cellules et tissus ; la matérialisation lumineuse de cet Ânanda supérieur pourrait donc amener tout naturellement la transformation totale de la sensibilité déficiente ou rebelle de la Nature physique.
Toute la substance de notre être aspire secrètement à une suprême et totale félicité d'être ; elle la réclame. Mais cette aspiration est déguisée du fait de la séparation des parties de notre nature et de leurs impulsions
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divergentes, obscurcie pur leur incapacité à concevoir ou à saisir autre chose qu'un plaisir superficiel. Dans la conscience du corps, cette exigence prend la forme d'un besoin de bonheur physique, dans les parties vitales, d'une soif de bonheur vital, d'une réaction intense et vibrante à la joie, au délice sous toutes ses formes, à toutes les satisfactions inattendues ; dans le mental elle prend l'aspect d'une réceptivité spontanée à toutes les formes de joie mentale; à un niveau supérieur, elle transparaît dans l'appel du mental spirituel vers la paix et l'extase divine. Cette tendance est fondée sur la vérité de l'être; car Conscience-de-Vérité est l'essence même du Brahman, c'est la suprême nature de la Réalité omniprésente. Dans, les .degrés descendants de la manifestation, le supramental lui-même émerge de Conscience-de-Vérité, et dans l'ascension évolutive il se fond dans Conscience-de-Vérité Cela ne signifie certainement pas qu'il s'éteigne ou s'abolisse en lui, mais qu'il est là, présent, inhérent à Conscience-de-Vérité, indifférentiable du moi conscient de la Félicité d'Être et de sa force réalisatrice. Dans sa descente involutive comme dans son retour évolutif, le supramental est soutenu par le Délice originel de l'Existence et le porte en lui dans toutes ses activités, dont il est l'essence et le support. On peut dire, en effet, que la Conscience est la puissance qui l'engendre dans l'Esprit, mais que Conscience-de-Vérité est la matrice spirituelle d'où il se manifeste et la source nourricière à laquelle il ramène l'âme lorsqu'elle retourne au statut de l'Esprit. Dans son ascension, la manifestation supramentale aura pour conséquence immédiate et pour couronnement, une manifestation de la Béatitude du Brahman : l'évolution de l'être de gnose sera sui"vie par l'évolution de l'être de béatitude ; l'incarnation de l'existence gnostique aura pour conséquence l'incarnation de l'existence béatifique. Dans l'être et dans la vie gnostiques, il y aura toujours un certain pouvoir d'Ânanda, car il est la signification, inséparable et dominante, de l'expérience de soi supramentale. Quand l'âme est libérée de l'Ignorance, son premier fondement est la paix, le calme, le silence et la quiétude de l'Éternel et Infini; mais un pouvoir plus complet et une forme plus haute de l'ascension spirituelle reprennent la paix de cette libération et la transforment en la joie d'une expérience et d'une réalisation parfaites de la béatitude éternelle, en la félicité de l'Éternel et Infini. Cet Conscience-de-Vérité sera inhérent à la conscience gnostique, en tant que délice universel, et il grandira avec l'évolution de la nature gnostique.
On a soutenu que l'extase est un passage inférieur et transitoire, et que la paix du Suprême est la suprême réalisation, l'expérience ultime
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et permanente. Cela peut être vrai sur le plan dû mental spirituel, où la première extase ressentie est en vérité un ravissement spirituel; mais elle peut être — et elle est le plus souvent ;— mélangée à un bonheur suprême des parties vitales dont s'empare l'esprit ; il y a une exaltation, une exultation, une surexcitation, une extrême intensité dans la joie du cœur et dans la pure sensation intérieure de l'âme; ce peut être un passage splendide, une force exaltante : ce n'est pourtant pas le fondement ultime et permanent. Sur les plus hauts sommets de la béatitude spirituelle, on ne trouve pas cette exaltation véhémente, cette surexcitation; elle est remplacée par l'intensité illimitée de la participation à une extase éternelle fondée sur l'Existence éternelle, et, par conséquent, sur la tranquillité béatifique de la paix éternelle. La paix et l'extase cessent d'être différentes et ne font plus qu'un. Le supramental, réconciliant et fusionnant toutes les différences et toutes les contradictions, fait naître cette unité; un calme immense et une joie profonde dans toute l'existence sont parmi les premiers pas de la réalisation supramentale ; mais ce calme et cette félicité émergent ensemble, comme un état unique, dans une croissante intensité, et ils culminent dans l'extase éternelle, la béatitude qui est l'Infini. À tous les degrés de la conscience gnostique il y aura toujours, dans une certaine mesure, et dans toute la profondeur de l'être, cette félicité d'être consciente, fondamentale et spirituelle ; et de plus, tous les mouvements de la Nature en seront imprégnés, ainsi que toutes les actions et réactions de la vie et du corps — rien ne peut échapper à la loi de Conscience-de-Vérité Même avant le changement gnostique, cette extase d'être fondamentale peut naître et se traduire par des formes multiples de beauté et de félicité. Dans le mental, elle se traduit par la calme et intense félicité d'une perception, d'une vision et d'une connaissance spirituelles; dans le cœur par la félicité vaste, profonde ou passionnée d'une union, d'une sympathie et d'un amour universels, par la joie des êtres et la joie des choses. Dans la volonté et les parties vitales, elle est ressentie comme l'énergie de félicité d'un pouvoir de vie divin en action, ou comme la béatitude des sens qui perçoivent et trouvent l'Un partout, et, dans leur sensibilité normale des choses, saisissent la beauté universelle et la secrète harmonie de la création dont notre mental ne peut saisir que des aperçus imparfaits, ou de rares sensations supranormales. Dans le corps, elle se révèle comme une extase qui se déverse des hauteurs de l'Esprit, comme la paix et la béatitude d'une existence physique pure et spiritualisée. Une beauté et une splendeur d'être universelles commencent à se manifester ; tous
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les objets révèlent des lignes cachées, des vibrations, des pouvoirs, des significations harmoniques qui sont voilés au mental normal et aux sens physiques. Dans l'univers phénoménal se révèle l'éternel Ânanda.
Tels sont les premiers résultats majeurs de la transformation spirituelle, qui découlent inévitablement de la nature du et innombrablement Mais s'il doit y avoir une perfection, non seulement de l'existence intérieure, de la conscience, de la félicité d'être intérieure, mais aussi une perfection de la vie et de l'action, deux autres questions se posent, de notre point de vue mental, qui, pour la conception humaine de la vie et de ses dynamismes, ont une importance considérable et même primordiale. Tout d'abord, la place de la personnalité dans l'être gnostique — à savoir si le statut et la structure de l'être resteront semblables pu différeront complètement de la forme et de la vie personnelles, telles que nous les connaissons. Et s'il existe bien une personnalité, et qu'elle soit d'une manière quelconque responsable de ses actes, nous devrons ensuite nous demander quelle place occupe l'élément éthique, sa perfection et son accomplissement, dans la nature gnostique. Dans la conception ordinaire, l'ego séparateur est généralement considéré comme le moi, et si l'ego doit disparaître dans une Conscience univers selle ou transcendantale, la vie et l'action personnelles doivent également cesser, car si l'individu disparaît, il ne peut rester qu'une conscience impersonnelle, un moi cosmique ; et si l'individu est complètement aboli, la question de la personnalité, ou de la responsabilité, ou de la perfection éthique, ne peut plus se poser. Selon une autre ligne de pensée, la personne spirituelle subsiste, mais libérée, purifiée, avec une nature rendue parfaite dans une existence céleste. Mais ici, nous sommes encore sur la terre, et cependant l'on suppose que l'ego personnel est aboli et remplacé par, une individualité spirituelle universalisée, qui est un centre et un pouvoir de l'Être transcendant. On pourrait en conclure que cet individu gnostique ou supramental est un moi sans personnalité, un Purusha impersonnel. Il pourrait y avoir beaucoup d'individus gnostiques mais ils n'auraient pas de personnalité, tous seraient identiques en leur être et leur nature. En outre, cela donnerait l'idée d'un néant ou d'un vide d'être pur, d'où sortiraient l'action et le jeu d'une conscience observatrice ; mais celle-ci n'aurait pas la structure d'une personnalité différenciée comme celle que nous observons maintenant à la surface de notre être, et considérons comme nous-même. Mais ce serait là une solution mentale plutôt que supramentale au problème d'une individualité spirituelle
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survivant à l'ego et persistant dans l'expérience. Dans la conscience supramentale, personnalité et impersonnalité ne sont pas des principes opposés ; ce sont des aspects inséparables d'une seule et même réalité. Cette réalité n'est pas l'ego mais l'être, qui, impersonnel et universel dans la substance de sa nature, utilise néanmoins cette substance pour façonner une personnalité expressive qui constitue la forme de son moi à travers les changements de la Nature.
À son origine, l'impersonnalité est quelque chose de fondamental et d'universel ; c'est une existence, une force, une conscience dont l'être et l'énergie revêtent des formes variées ; l'être individuel utilise chacune de ces formes d'énergie, de qualité, de pouvoir 'ou de force -3-' qui demeurent pourtant générales, impersonnelles et universelles en elles-mêmes — comme matière première pour construire sa personnalité. Ainsi, dans la vérité originelle indifférenciée des choses, l'impersonnalité est la substance pure de la nature de l'Être, la Personne ; dans la vérité dynamique des choses, elle différencie ses pouvoirs et les prête pour constituer, par leurs variations, la manifestation de la personnalité. L'amour est la nature de l'amant ; le courage, la nature du guerrier ; l'amour et; le courage sont des forces ou des formulations impersonnelles et universelles de la Force cosmique; ce sont des pouvoirs de l'esprit dans son être et sa nature universels. La Personne est l'Être soutenant ce qui est impersonnel, le portant en lui-même comme sien, comme la nature de son moi ; elle est cela qui est l'amant et le guerrier. Ce que nous appelons la personnalité de la Personne est son expression dans l'état intérieur comme dans l'action extérieure de notre nature — elle-même étant originairement et ultimement, dans son existence en soi, beaucoup plus que cela; c'est sa propre forme qu'elle projette comme manifestation de son être naturel déjà développé, son moi dans la nature. Dans l'individu formé et limité, c'est son expression personnelle de ce qui est impersonnel, son appropriation personnelle de cela, pouvons-nous dire, afin de disposer des matériaux qui lui permettent de construire une image significative d'elle-même dans la manifestation. Dans son moi sans forme et sans limite, son être réel, la vraie Personne ou Purusha n'est pas cela, mais contient en elle-même des possibilités universelles et sans bornes; et elle leur donne, en tant qu'Individu divin, sa propre marque dans la manifestation, afin que chaque être dans la multiplicité soit un moi unique de l'unique Divin. Le Divin, l'Éternel, s'exprime comme existence, conscience, béatitude,
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sagesse, .connaissance, amour, beauté, et nous pouvons, dans notre pensée, l'associer à ces pouvoirs impersonnels et universels de lui-même, considérer ceux-ci comme la nature du Divin et de l'Éternel; nous pouvons dire que Dieu est Amour, que Dieu est Sagesse, que Dieu est Vérité et Justice ; mais il n'est pas lui-même un état impersonnel ou une abstraction d'états et de qualités ; il est l'Être, à la fois absolu, universel et individuel. Si nous considérons les choses de ce point de vue, il n'y a très évidemment aucune opposition, aucune incompatibilité, aucune impossibilité de co-existence ou d'uni-existence entre l'Impersonnel et la Personne ; ils sont l'un et l'autre, vivent l'un en l'autre, se fondent l'un en l'autre, et cependant, d'une certaine manière, ils peuvent apparaître comme les extrémités, les côtés différents, l'avers et le revers de la même Réalité. L'être gnostique a la nature du Divin et, par conséquent, reproduit en lui-même ce mystère naturel de l'existence.
Un individu supramental gnostique sera une Personne spirituelle mais pas une personnalité, si l'on entend par là un type d'être marqué par une combinaison déterminée de qualités fixes, par un caractère bien défini ; il ne saurait l'être, puisqu'il est une expression consciente de l'universel et du transcendant. Cependant, son être ne peut pas être non plus un flux impersonnel capricieux projetant au hasard des vagues aux formes variées, des vagues de personnalité, tandis qu'il s'écoule dans le temps. C'est un peu le sentiment que nous éprouvons devant des hommes qui n'ont pas, au plus profond d'eux-mêmes, de forte Personne centralisatrice, et dont les actions émanent d'une vague personnalité multiple et confuse, suivant l'élément qui prédomine en eux à tel ou tel moment. La conscience gnostique, en revanche, est une conscience d'harmonie, de connaissance de soi et de maîtrise de soi, et elle ne présenterait pas un tel désordre. Il existe, en fait, diverses conceptions de ce qui constitue la personnalité et de ce qui constitue le caractère. Les unes considèrent la personnalité comme une structure fixe de qualités distinctes exprimant un pouvoir d'être, tandis que d'autres établissent une distinction entre la personnalité et le caractère : la personnalité serait le mouvement constant d'un être sensible et réceptif qui cherche à s'exprimer, tandis que le caractère aurait la forme fixe des structures de la Nature. Mais ce flux et cette fixité de notre nature sont deux aspects de l'être, et ni l'un ni l'autre, ni même les deux réunis, ne peuvent définir ce qu'est la personnalité. Car, en tout homme, il existe deux éléments : le flux, informe et cependant limité, de l'être ou de là
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Nature à partir duquel la personnalité est façonnée, et la formation personnelle résultant de ce flux. La formation peut devenir rigide et s'ossifier, ou bien elle peut demeurer suffisamment plastique pour changer constamment et se développer; mais elle se développe à partir du flux formateur par une modification, un élargissement ou un remodelage de la personnalité, et non pas, en général, par abolition de la formation existante et substitution d'une nouvelle forme d'être — cela ne peut se produire qu'à la suite d'un changement anormal ou d'une conversion supranormale. Mais à ce flux et à cette fixité, s'ajoute un troisième élément occulte, la Personne à l'arrière-plan, dont la personnalité est une expression; la Personne émane la personnalité tel un rôle, un personnage, un masque, persona, dans cet acte présent du long drame de son existence manifestée. Cependant, la Personne est plus vaste que sa personnalité, et il peut arriver que cette ampleur intérieure déborde dans la formation de surface; dès lors, l'expression de l'être ne peut plus être décrite par des qualités fixes, des manières d'être normales, des contours précis, ni définie par des limites structurelles. Elle n'est pas non plus un simple flux indistinct, complètement amorphe et insaisissable; si les actes de sa nature peuvent être caractérisés, cette personnalité elle-même ne peut l'être; et pourtant, on peut la sentir distinctement, la suivre dans son action ; on peut la reconnaître, bien qu'il ne soit pas facile de la décrire, car elle est un pouvoir d'être plutôt qu'une structure. La personnalité ordinaire restreinte peut être saisie par une description des caractères qui marquent sa vie, sa pensée et ses actes, sa construction superficielle et son expression de soi bien définies. Et même si ce qui ne s'est pas exprimé de cette façon nous échappe, notre compréhension n'en semble pas affectée, elle demeure dans l'ensemble adéquate, car l'élément qui. nous a échappé n'est, en général, guère plus qu'une matière première amorphe, une fraction du mouvement qui n'a pas été utilisée pour former une partie importante de la personnalité. Mais une telle description serait lamentablement inadéquate pour exprimer la Personne quand le Pouvoir de son Moi intérieur se manifeste dans toute son ampleur et déploie, dans sa constitution de surface et dans la vie, la force de son daïmôn caché. Nous nous sentons alors en présence d'une lumière de conscience, d'une puissance, d'un océan d'énergie, nous pouvons distinguer et décrire les libres vagues de son action et de ses qualités, mais non la fixer elle-même ; et cependant nous avons l'impression d'une personnalité, nous sentons la présence d'un être puissant, de Quelqu'un qui est reconnaissable, fort, noble ou beau, d'une Personne :
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non pas une créature limitée de la Nature mais un Moi, une Âme , un Purusha. L'Individu gnostique serait une telle Personne intérieure, mais dévoilée, occupant à la fois les profondeurs — non plus cachées — et la surface, dans une conscience de soi unifiée. Il ne serait pas une personnalité superficielle exprimant partiellement un être secret plus .vaste; il ne serait pas la vague, mais l'océan; il serait le Purusha, l'Existence intérieure consciente révélée à elle-même, et n'aurait plus besoin d'un masque sculpté, persona, pour s'exprimer.
Telle sera donc la nature de la Personne gnostique : un être infini et universel qui révèle son moi éternel, ou, pour notre ignorance mentale, qui le suggère au moyen de la forme signifiante et du pouvoir d'expression d'une manifestation individuelle et temporelle. Mais la manifestation d'une nature individuelle — qu'elle soit forte et distincte dans ses contours ou innombrable et changeante, et pourtant harmonieuse —sera là comme une indication de l'être, non comme l'être tout entier; celui-ci sera senti par-derrière, reconnaissable mais indéfinissable, infini. De même, la conscience de la Personne gnostique sera une conscience infinie projetant des formes où elle s'exprime, mais elle restera toujours consciente de son infinité et de son universalité sans limite et transmettra le pouvoir et le sens de cette infinité et de cette universalité jusque dans son expression finie, à laquelle, en outre, elle ne sera pas enchaînée pour le mouvement suivant de sa révélation progressive. Et pourtant, ce ne sera pas un flux désordonné et indéfinissable, mais un mouvement d'auto-révélation rendant visible la vérité inhérente de ses pouvoirs d'existence, conformément à la loi d'harmonie qui est naturelle à toute manifestation de l'Infini.
Tout le caractère de la vie et de l'action de l'être gnostique sera une expression spontanément déterminée par la nature de son individualité gnostique. En elle, il ne peut y avoir aucun problème particulier de nature éthique ou similaire, aucun conflit entre le bien et le mal. En fait, il ne peut y avoir aucun problème, car les problèmes sont une création de l'ignorance mentale qui cherche la connaissance, et ils ne peuvent exister dans une conscience où la connaissance naît spontanément et où l'acte naît lui aussi spontanément de la connaissance, d'une vérité de l'être préexistante et consciente d'elle-même. Une vérité spirituelle de l'être, essentielle et universelle, qui se manifeste et s'accomplit librement dans sa propre nature et dans sa conscience réalisatrice, une vérité de
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l'être qui est une en toute chose, même dans la diversité infinie de sa vérité, et qui nous fait sentir que tout est un, sera aussi, dans sa nature même, un bien essentiel et universel qui se manifeste et s'accomplit dans sa nature propre et sa conscience réalisatrice, la vérité d'un bien un en tous et pour tous, même dans l'infinie diversité de son bien. La, pureté de l'éternelle Existence en .soi se déversera dans toutes les activités de l'être gnostique, rendant et gardant pures toutes choses ; il ne pourra y avoir d'ignorance suscitant une volonté fourvoyée et des mouvements faux, pas d'égoïsme séparateur qui, par son ignorance et sa; volonté contraire séparée, s'inflige du mal ou en inflige aux autres, naturellement poussé à maltraiter son âme, son mental, sa vie ou son corps, ou ceux d'autrui, puisque telle est en fait la signification de tout mal humain. S'élever au-dessus de la vertu et du péché, du bien et du mal est une partie essentielle de la conception védântique de la libération, et il y a dans cette corrélation un ordre naturel évident. Car la libération signifie l'émergence dans la vraie nature spirituelle de l'être, là où toute action est l'expression automatique de la vérité et où rien d'autre ne peut exister. Dans l'imperfection et le conflit des éléments de notre nature, il y a un effort pour trouver une juste norme de conduite et pour l'observer ; c'est ce qui constitue l'éthique, la vertu, le mérite, punya ; agir autrement, c'est le péché, le démérite, papa. L'esprit moral proclame une loi d'amour, une loi de justice, une loi de vérité, des lois sans nombre qui sont difficiles à observer, et difficiles à concilier. Mais si l'unité avec les autres, l'unité avec la vérité est déjà l'essence de la nature spirituelle réalisée, il n'est plus besoin d'une loi de vérité ni d'une loi d'amour. Si la loi et la norme doivent nous être imposées à présent, c'est parce qu'il y a dans notre être naturel une force opposée de séparation, une possibilité d'antagonisme, une force de discorde, une, mauvaise volonté, un conflit. Toute morale est une construction du bien dans une Nature que les puissances d'obscurité nées de l'Ignorance ont forgée par le mal, comme il est dit dans l'antique légende du Védânta. Mais là où tout est spontanément déterminé par la vérité de la conscience et la vérité de l'être, il ne peut y avoir ni norme, ni lutte pour observer la norme, ni vertu ni mérite, ni péché ni démérite dans notre nature. Le pouvoir de l'amour, de la vérité, du bien sera là, non comme une loi construite par le mental, mais comme la substance même et la constitution de notre nature, et du fait de l'intégration de l'être, il sera nécessairement aussi l'étoffé même et la nature constitutive de l'action. Croître et assumer la nature de notre être véritable, une nature de vérité
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et d'unité spirituelles, telle est la libération atteinte par l'évolution de l'être spirituel ; l'évolution gnostique nous donne le dynamisme complet de ce retour à nous-mêmes. Dès qu'il est effectué, le besoin de normes de vertu, de dharma, disparaît; il y a la loi et l'ordre spontané de la liberté de l'Esprit, mais il ne peut y avoir de règle de conduite imposée ou construite, de dharma. Tout devient le flot spontané de notre propre nature spirituelle, le svadharma du svabhâva.
Nous touchons ici l'essentiel de la différence dynamique entre-la vie dans l'ignorance mentale et la vie dans l'être et la nature gnostiques. C'est la différence entre, d'une part, un être intégral pleinement Conscient, en pleine possession de la vérité de sa propre existence et exprimant cette vérité selon sa liberté propre, indépendamment de toutes les lois construites — bien que sa vie soit l'accomplissement de toutes les vraies lois du devenir dans leur signification essentielle —, et, d'autre part, une existence ignorante et divisée qui cherche sa propre vérité et essaie d'ériger ses découvertes en lois et de construite sa vie suivant le modèle ainsi élaboré. Toute loi vraie est le mouvement ,et le processus exact d'une réalité, d'une énergie ou pouvoir d'être en action qui accomplit son propre mouvement naturel déjà contenu dans la vérité de sa propre existence. Cette énergie peut être inconsciente et son action peut sembler mécanique : tel est le caractère, ou du moins l'apparence, des lois de la Nature matérielle. Ce peut être une énergie consciente, dont l'action est librement déterminée par la conscience de l'être, qui perçoit son propre impératif de vérité et les possibilités plastiques d'exprimer cette vérité, et perçoit également, toujours dans leur ensemble et à chaque moment dans le détail, les réalités qu'elle doit réaliser : c'est ainsi qu'est représentée la loi de l'Esprit. Une totale liberté spirituelle, un ordre total qui existe en soi, qui se crée et s'effectue spontanément, sûr de lui-même et de son mouvement naturel inéluctable, tel est le caractère de cette dynamis de la Supranature gnostique.
Au sommet de l'être est l'Absolu, avec l'absolue liberté de son infinité, mais aussi, avec son absolue vérité en soi et le pouvoir absolu de cette vérité de l'être; ces deux choses se retrouvent dans la vie de l'esprit dans la supranature. Là, toute action est l'action du Moi suprême, le suprême Îshwara, dans la vérité de la supranature. C'est à la fois la vérité de l'être du moi et la vérité de la volonté de l'Îshwara unie à cette vérité — une réalité bi-une — qui s'exprime en chaque être
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gnostique individuel suivant sa supranature. La liberté de l'individu gnostique est la liberté spirituelle d'accomplir dynamiquement dans la vie la vérité de son être et le pouvoir de ses énergies ; et cela équivaut à une entière obéissance de sa nature à la vérité du Moi manifestée dans son existence, et à la volonté du Divin en lui et en tout. Cette Toute-Volonté est une en chaque individu gnostique, dans l'ensemble des individus gnostiques et dans le Tout conscient qui les maintient et les contient en lui-même; elle est consciente d'elle-même en chaque être gnostique où elle est une avec la volonté de l'être gnostique ; et en même temps, celui-ci est conscient que c'est la même Volonté, le même Moi, la même Énergie qui est diversement active en tous. Une telle conscience gnostique, une telle volonté gnostique, consciente de son unité dans la multiplicité des individus gnostiques, consciente de sa totalité concordante, de la signification et du point de rencontre de ses diversités, doit assurer , un mouvement symphonique, un mouvement d'unité; d'harmonie et d'entente réciproque dans l'action du tout. Et en même temps, elle assure dans l'individu une unité et un accord symphonique de tous les pouvoirs et de tous les mouvements de l'être. Toutes les énergies de l'être cherchent leur expression propre et, au sommet, recherchent, leur absolu ; elles le trouvent dans le Moi suprême, et, en même temps, elles trouvent leur suprême unité, l'harmonie et l'entente réciproque de leur expression commune unifiée, dans Son pouvoir dynamique d'autodétermination et d'auto-réalisation qui voit tout et unifie tout — la gnose supramentale. Un être séparé existant en soi peut être en conflit avec les autres êtres séparés, en désaccord avec le Tout universel dans lequel ils coexistent, en état de contradiction avec la suprême Vérité qui veut se réaliser dans l'univers ; c'est ce qui se produit pour l'individu dans l'Ignorance, parce qu'il prend appui sur la conscience d'une individualité séparée. On retrouve ce genre de conflit, de discorde, de disparité entre les vérités, les énergies, les qualités, les pouvoirs, les modes d'être qui agissent comme des forces séparées dans l'individu et dans l'univers. Un monde de conflits — conflits en nous-mêmes, conflits entre l'individu et le monde qui l'entoure —, telle est l'image normale et inévitable de la conscience séparatrice de l'Ignorance et de notre existence mal accordée. Mais cela ne peut se produire dans la conscience gnostique,parce qu'en elle chacun découvre son moi complet, et tous découvrent leur propre vérité et l'harmonie de leurs différents mouvements dans cela qui les dépasse et dont ils sont l'expression. Dans la vie gnostique, par conséquent, il y a accord complet entre la libre expression de l'être
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et son obéissance automatique à la loi innée de la Vérité suprême et universelle des choses. Libre expression et obéissance sont pour lui les deux aspects interdépendants de la Vérité une ; c'est la vérité suprême de son être qui s'exprime dans la vérité totale de lui-même et des choses unifiée dans une supranature unique. Il y a aussi un parfait accord entre les nombreux et différents pouvoirs de l'être et leur action ; car même ceux qui sont contradictoires dans leur mouvement apparent et semblent, pour notre expérience mentale, entrer en conflit, s'ajustent naturellement l'un avec l'autre, ainsi que leur action, parce que chacun possède sa propre vérité et la vérité de sa relation avec les autres, et cette vérité se trouve et prend forme spontanément dans la supranature gnostique.
Dans la nature supramentale gnostique il n'y aura donc plus besoin des méthodes mentales rigides, ni d'un ordre mental inflexible, d'une normalisation limitative, plus besoin d'imposer un ensemble de principes fixes, de faire entrer de force la vie dans un système, un modèle, le seul jugé valable parce que le mental le tient pour la seule et juste vérité de 'l'être et de là conduite humaine. Une telle norme, une telle structure, en effet, ne peuvent embrasser et contenir la totalité de la vie, ni s'adapter librement à la pression de la Toute-Vie ou aux besoins de la Force évolutive; c'est par leur propre mort, par la désintégration ou par un conflit intense et un bouleversement révolutionnaire qu'elles doivent finalement échapper à elles-mêmes ou aux limites qu'elles se sont construites. Le mental est donc obligé de choisir sa règle et son mode de vie limités, parce qu'il est lui-même lié et limité dans sa vision et sa capacité. L'être gnostique, en revanche, prend en lui-même la totalité de la vie et de l'existence, qu'il accomplit et transmue en l'expression harmonieuse et spontanée d'une vaste Vérité une et cependant diverse, infiniment une, infiniment multiple. La connaissance et l'action de l'être gnostique auront l'ampleur et la plasticité d'une liberté infinie. Cette connaissance se saisira de ses objets en pénétrant l'immensité du tout; elle ne sera liée que par la Vérité intégrale du tout et par la vérité complète et intime de l'objet, et1 non par la forme de l'idée ou par le symbole mental fixe qui s'emparent du mental et le tiennent emprisonné, lui faisant perdre la liberté de sa connaissance. De plus, l'activité tout entière de l'être gnostique ne sera pas limitée par l'obligation de suivre une règle sans souplesse, ni liée par un état passé, par une action passée ou par ses conséquences
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contraignantes, Karma; elle aura une plasticité ordonnée, mais qui sera guidée et développée du dedans, la plasticité de l'Infini agissant directement sur ses propres finis. Ce mouvement ne créera pas un flux ou un chaos, mais une expression libérée et harmonique de la Vérité; ce sera une libre et une de l'être spirituel dans une nature plastique entièrement consciente.
Dans la conscience de l'Infini, l'individualité ne fragmente ni ne circonscrit la cosmicité, et celle-ci ne contredit pas la transcendance. L'être gnostique vivant dans la conscience de l'Infini créera sa propre manifestation de soi, en tant qu'individu, mais il en fera le centre d'une universalité plus vaste, "et, en même temps, un centre de la transcendance. Toutes les actions de cet individu universel seront en harmonie avec l'action cosmique, mais du fait de sa transcendance, elles ne seront pas limitées par une formule temporaire inférieure, ni à la merci de n'importe quelle force cosmique. Son universalité embrassera même, dans son moi plus vaste, l'ignorance qui l'entoure, dont il aura intimement conscience ; mais il n'en sera pas affecté, car il obéira à la loi supérieure de son individualité transcendante et en exprimera la vérité gnostique selon le mode d'être et d'action qui lui est propre. Sa vie sera une libre et harmonieuse expression du moi ; mais, puisque son moi supérieur ne fera qu'un avec l'être de l'Îshwara, le gouvernement divin; naturel de son expression propre par l'Îshwara — par son moi supérieur et par la Supranature, sa propre nature suprême—, apportera automatiquement, dans la connaissance, la vie et l'action, un ordre libre et sans limites, et cependant parfait. L'obéissance de sa nature individuelle à l'Îshwara et à la Supranature sera un accord naturel, et, en fait, la condition même de la liberté du moi, puisque ce sera une obéissance à son propre être suprême, une réponse à la Source de toute son existence. La nature individuelle ne sera pas une chose séparée, mai" cm courant de la Supranature. Toute antinomie entre le Purusha et la comprehension, cette division, ce déséquilibre étrange entre l'Âme et la Nature qui afflige l'Ignorance, disparaîtront entièrement; car notre nature sera une coulée de la force spontanée de la Personne, et la Personne une coulée de la Nature suprême, le pouvoir supramental de l'être de l'Îshwara. C'est cette vérité suprême de son être, principe infiniment harmonieux, qui créera l'ordre de sa liberté spirituelle, un ordre authentique, automatique et plastique.
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Dans l'existence inférieure l'ordre est automatique, l'asservissement à la Nature est complet, et l'on ne peut sortir de ses ornières rigides. La Éternel cosmique fait apparaître une Nature d'un certain type, avec son moule habituel, sa ronde immuable d'activités, et elle oblige l'être secrète à vivre et agir suivant ce type et dans le moule ou l'ornière créés pour lui. Le mental de l'homme part de ce type et de cette routine préétablis, mais à mesure qu'il évolue, il élargit le dessin et agrandit le moule, et il essaie de remplacer l'automatisme de cette loi fixe, inconsciente ou semi-consciente, par un ordre fondé sur des idées, des significations et des mobiles de vie reconnus, ou bien il essaie d'établir une normalisation intelligente et un cadre déterminé par un objectif rationnel, par l'utilité et la commodité. Il n'est rien qui soit réellement impératif ou permanent dans les structures de connaissance ou dans les structures de vie que l'homme établit; cependant, il ne peut faire autrement que créer des normes de pensée, de connaissance, de personnalité, de vie, de conduite, et, plus ou moins consciemment et complètement, de fonder son existence sur elles, ou tout au moins, de faire de son mieux pour que sa vie entre dans le cadre idéal des dharma qu'il a choisis ou acceptés. Avec le passage à la vie spirituelle, au contraire, l'idéal suprême qui s'offre à lui n'est pas la loi, mais la liberté dans l'esprit; l'esprit brise toutes les formules pour se découvrir, et s'il a encore souci de s'exprimer, il lui faut remplacer l'expression artificielle par une expression libre et vraie, par un ordre spirituel véridique et spontané. " Abandonne tous les dharma, toutes les normes et les règles de vie et d'action, et prends refuge en Moi seul ", telle est la loi suprême de l'existence la plus haute que l'Être divin offre au chercheur. Lorsqu'on recherche cette liberté, qu'on se libère de la loi construite pour trouver la loi du moi et de l'esprit, quand on rejette la direction mentale afin d'y substituer la direction de la Réalité spirituelle, qu'on abandonne la vérité mentale, inférieure et construite, pour suivre la vérité de l'être, essentielle et plus haute, on peut avoir à passer par une étape où règne une liberté intérieure, mais où l'ordre extérieur fait défaut; l'action semble alors suivre le flux de la nature : elle est enfantine, ou inerte comme une feuille immobile et passive, ou poussée par le vent, ou même incohérente ou extravagante dans son apparence extérieure. Il est possible, également, que l'on parvienne à une expression spirituelle ordonnée et temporaire du moi, qui s'avère suffisante au stade qui nous est accessible à un moment donné, ou dans cette vie; ou bien que l'on découvre un ordre personnel d'expression qui est valable selon les normes de la vérité
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spirituelle déjà réalisée, mais qui se modifie ensuite librement par la force de la spiritualité, afin d'exprimer la vérité plus vaste encore que nous sommes en voie de réaliser. Mais l'être gnostique supramental se situe dans une conscience où la connaissance existe en soi et se manifeste selon l'ordre spontanément déterminé par la Volonté de l'Infini dans la supranature. Cette et une qui est en accord avec une connaissance existant en soi, remplace l'automatisme de la Nature et les normes mentales par la spontanéité de la Vérité consciente d'elle-même et agissant d'elle-même dans la texture même de l'existence.
Cette connaissance qui se détermine elle-même et obéit librement à la vérité du moi et à la vérité totale de l'Être, sera, chez l'être gnostique, le principe même de son existence. En lui, la Connaissance et la Volonté ne font plus qu'un et ne peuvent entrer en conflit ; la Vérité de l'esprit et la vie ne font plus qu'un et il ne peut y avoir entre eux de désaccord ; dans l'accomplissement propre de son être, il ne peut y avoir ni conflit, ni disparité, ni divergence entre l'esprit et ses instruments. Les deux principes de liberté et d'ordre, qui, dans le mental et la vie, se présentent constamment comme opposés ou incompatibles — bien que cela ne soit 'pas inévitable si la liberté est protégée par la connaissance et si l'ordre repose sur la vérité de l'être —, participent d'une même nature dans la conscience supramentale, et sont même fondamentalement un. 'Il en est ainsi parce que tous deux sont des aspects inséparables de la vérité spirituelle intérieure et que, par conséquent, il y a unité de leurs déterminations ; ils sont inhérents l'un à l'autre, car ils naissent d'une identité et coïncident donc dans l'action suivant une identité naturelle. L'être gnostique ne sent en aucune manière et à aucun degré que l'ordre impératif de ses pensées et de ses actions empiète sur sa liberté, parce que cet ordre est intrinsèque et spontané ; il sent que sa liberté et l'ordre de sa liberté sont tous deux une seule et même vérité de son être. La liberté de sa connaissance n'est pas une liberté de suivre le mensonge et l'erreur, car il n'a pas besoin, comme le mental, de passer par la possibilité de l'erreur pour acquérir la connaissance ; au contraire, toute déviation de ce genre l'écarterait de la plénitude de son moi gnostique, ce serait une diminution de sa vérité propre, un mouvement étranger portant atteinte à son être ; car sa liberté est une liberté de lumière, non d'obscurité. Sa liberté d'action n'est pas la licence d'agir suivant une volonté fausse ou d'obéir aux impulsions de l'Ignorance, car cela aussi serait étranger à son être : ce serait une restriction et une diminution, et
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non pas une libération. Tout élan vers l'accomplissement du mensonge ou de la volonté fourvoyée, serait ressenti non comme un mouvement menant à la liberté, mais comme une violence faite à la liberté de l'esprit, une intrusion et une contrainte, un empiétement sur sa supranature, la tyrannie d'une Nature étrangère.
Une conscience supramentale doit être fondamentalement ' une Conscience-de-Vérité, une perception directe et inhérente de la vérité de l'être et de la vérité des choses. C'est un pouvoir de l'Infini qui connaît et élabore ses finis, un pouvoir de l'Universel qui connaît et élabore son unité et ses détails, sa cosmicité et ses individualités ; possédant en soi la Vérité, elle n'aura pas à la chercher et il n'y aura pas de risque qu'elle lui échappe, comme elle échappe au mental d'Ignorance. L'être gnostique 'développé aura pénétré dans cette Conscience-de-Vérité de l'Infini et de l'Universel, et c'est cela qui déterminera, pour lui et en lui, toute sa vision et son action individuelles. Sa conscience sera la conscience d'une identité universelle et il aura par conséquent, ou plutôt de façon inhérente, une connaissance de la Vérité, une vision, un sentiment, une volonté, un 'sens de la Vérité et une lumineux et de la Vérité dans l'action, qui résulteront implicitement de son identité avec l'Un, ou naîtront spontanément de son identité avec le Tout. Sa vie suivra le mouvement d'une liberté et d'une ampleur spirituelles qui remplaceront la loi de l'idée mentale, la loi 'du besoin et des désirs vitaux et physiques, et la contrainte du milieu ; sa vie et son action ne seront liées par rien d'autre que la Sagesse, la Volonté divine agissant sur lui et en lui selon sa Conscience-de-Vérité. Dans la vie de l'ignorance humaine, l'absence d'une loi établie et imposée risque fort de conduire au chaos et au conflit, à la licence et au désordre égoïste, a cause de la séparativité de l'ego humain et de sa petitesse, et de cette nécessité qui le pousse à empiéter sur la vie d'autrui, à s'en emparer et 'à l'utiliser. Mais cela ne peut se produire dans la vie de l'être gnostique, car daris' la Conscience-de-Vérité gnostique de l'être supramental, se trouvera nécessairement la vérité des relations entre toutes les parties et tous les mouvements de l'être — qu'il s'agisse de l'être de l'individu ou de l'être de toute collectivité gnostique —, c'est-à-dire une unité et une totalité spontanées et lumineuses dans tous les mouvements de 'la conscience et toutes les actions de la vie. Il ne pourrait y avoir de conflit entre les diverses parties de l'être, car l'harmonie intégrale de cette totalité et de cette unité embrassera non seulement la conscience de connaissance et de volonté, mais la conscience du cœur, de la vie et du
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corps qui constituent les parties émotives vitales et physiques de notre nature. Dans notre langage nous pourrions dire que la connaissance-volonté supramentale de l'être gnostique aurait une maîtrise parfaite du mental, du cœur, de la vie et du corps; mais cette description ne peut s'appliquer qu'à l'étape transitoire où la supranature refond ces éléments en sa propre nature; une fois cette transition accomplie, il n'y aurait plus besoin de maîtrise, car tout serait une seule conscience unifiée et agirait par conséquent comme un tout dans une intégralité et une unité spontanées.
Chez un être gnostique il ne pourra y avoir de conflit entre l'affirmation de l'ego et le contrôle imposé par un super-ego ; en effet, puisque dans les actions de sa vie l'individu gnostique s'exprimera lui-même, en même temps qu'il exprimera la vérité de son être et exécutera la Volonté divine, puisqu'il connaîtra le Divin comme son vrai moi, comme la source et la substance de son individualité spirituelle, ces deux ressorts de sa conduite ne seront pas seulement simultanés dans une action unique, ils seront une seule et même force motrice. Ce pouvoir agira en chaque circonstance selon la vérité de la circonstance, avec chaque être selon son besoin, sa nature, ses relations, dans chaque événement selon ce que la Volonté divine en exige ; car tout est ici le résultat d'un complexe et d'un enchevêtrement étroit de multiples forces d'une Force unique ; la conscience gnostique et la Volonté-de-Vérité verront la vérité de ces forces, de chacune et de leur ensemble, et elles exerceront la pression ou l'intervention nécessaire sur le réseau des forces pour exécuter ce qui était voulu et devait être accompli à travers elles, et rien de plus. L'Identité étant partout présente, gouvernant toute chose et harmonisant toutes les diversités, il n'y aura plus ce jeu de l'ego séparateur qui insiste pour s'affirmer séparément; la volonté du moi de l'être gnostique sera une avec la volonté de l'Îshwara, ce ne sera pas une volonté autonome séparative et opposée. Elle possédera la joie de l'action et du résultat, mais sera libre de toute revendication de l'ego, de tout attachement à l'action et de toute exigence quant au résultat; elle fera ce qui, dans sa vision, lui paraît devoir être fait, et ce qu'elle est poussée à faire. Dans -la nature mentale, il peut y avoir opposition ou disparité entre l'effort personnel et l'obéissance à la Volonté supérieure, car le moi, la personne apparente, s'y voit comme différent de l'Être suprême, de la Volonté ou de la Personne suprême ; mais dans la nature gnostique, la personne est l'être de l'Être, et l'opposition ou la disparité ne se présente pas. L'action
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de la personne est l'action de l'Îshwara dans la personne, de l'Un dans le multiple, et l'affirmation séparée d'une volonté personnelle, ou l'orgueil de l'indépendance, ne sauraient se justifier.
La liberté de l'être gnostique se fonde sur le fait que l'action de la Connaissance et Force divine — la suprême Supranature — s'accomplira en lui avec sa pleine participation; c'est cette unité qui lui donne sa liberté. Si l'être spirituel est libre, s'il s'est affranchi de toutes lois, y compris de la loi morale, comme on l'affirme si souvent, c'est parce que sa volonté s'est unie à celle de l'Éternel. Toutes les normes mentales disparaîtront parce qu'elles n'auront plus de nécessité ; elles auront été remplacées par la loi supérieure authentique d'identité avec le Moi divin et avec tous les êtres. Il ne sera plus question d'égoïsme ou d'altruisme, de soi-même et des autres, puisque tous les êtres seront vus et sentis comme le moi unique et que seul ce que la Vérité et le Bien suprêmes ont décidé s'accomplira. Toute action s'imprégnera d'un sentiment d'amour, de sympathie et d'unité universels existant en soi, et ce sentiment ne se bornera pas à dominer l'action ou à la déterminer ; il l'emplira, la colorera, l'accompagnera ; il ne cherchera pas à s'affirmer indépendamment contre la vérité plus large des choses, ni ne s'écartera, par impulsion personnelle, du vrai mouvement voulu par le Divin. Cette opposition et cet écart peuvent se produire dans l'Ignorance, car l'amour, ou tout autre principe dominant de notre nature, peut s'y séparer de la sagesse comme il peut se séparer du pouvoir ; mais dans la gnose supramentale tous les pouvoirs sont inclus l'un en l'autre et agissent comme s'ils ne faisaient qu'un. Dans la personne gnostique, tout sera dirigé et déterminé par la Connaissance de la Vérité, et toutes les autres forces de l'être convergeront dans l'action; il n'y aura pas de place pour la disharmonie ou le conflit entre les pouvoirs de la nature. Dans toute action, un impératif de l'existence cherche à s'accomplir, une vérité de l'être non encore manifestée doit se manifester; une vérité en voie de manifestation doit se développer, se réaliser et se perfectionner dans la manifestation, ou, si elle est déjà réalisée, goûter la joie d'être et de s'accomplir. Dans la demi-lumière et le demi-pouvoir de l'Ignorance, cet impératif est secret ou n'est qu'à demi révélé, et la poussée vers l'accomplissement est un mouvement imparfait qui lutte et reste en partie insatisfait ; mais dans l'être et la vie gnostiques, les impératifs de l'être seront sentis du dedans, intimement perçus et exécutés ; il y aura un libre jeu de leurs possibilités et leur accomplissement sera en accord
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avec la vérité des circonstances et l'intention de la Supranature. Tout cela sera vu dans la connaissance et se développera dans l'action; il n'y aura pas de combat incertain ou de tourment des forces à l'oeuvre ; aucune disharmonie de l'être, aucune activité contradictoire de la conscience ne pourront se produire. Il serait donc tout à fait superflu d'imposer la loi mécanique d'une norme extérieure quand la vérité est innée et son action spontanée dans le travail de la nature. Une activité harmonieuse, une élaboration du dessein divin, une exécution de la vérité impérative des choses, telle sera la loi et la dynamique naturelle de l'existence tout entière.
Une connaissance par identité utilisant les pouvoirs de l'être intégré pour la richesse de ses moyens d'expression, formera le principe de la vie supramentale. Aux degrés inférieurs de l'être gnostique, les moyens d'expression seront d'un ordre différent, bien que la vérité de l'être spirituel et de la conscience spirituelle s'y réalise également. Un être du Mental supérieur agirait par la vérité de la pensée, la vérité de l'idée et c'est cela qu'il accomplirait dans la vie active; mais dans la gnose supramentale la pensée n'est qu'un mouvement dérivé, elle est la formulation de la vision-de-vérité et non la force motrice déterminante ou principale. Elle servira davantage à l'expression de la connaissance qu'à son acquisition. Elle ne sera pas non plus un instrument d'action, ou interviendra uniquement comme point de pénétration du corps de la volonté et de la connaissance par identité. De même, chez l'être gnostique illuminé, la vision-de-vérité sera le ressort principal de l'action, et chez l'être gnostique intuitif ce sera un contact direct avec la vérité et un sens-de-vérité perceptif. Dans le surmental, une appréhension immédiate et globale de la vérité des choses et du principe de l'être de chaque chose, et de toutes ses conséquences dynamiques, fera naître et réunira une vision et une pensée gnostiques d'une grande ampleur, qui servira de base pour la connaissance et l'action; cette ampleur d'être, de vision et d'action proviendra d'une conscience d'identité sous-jacente, mais l'identité elle-même ne sera pas au premier plan, elle ne formera pas la substance même de la conscience ou la force de l'action. Dans la gnose supramentale, par contre, cette appréhension immédiate et lumineuse de la vérité des choses — sens-de-vérité, vision-de-vérité, pensée-de-vérité — remontera à sa source qui est la conscience d'identité et subsistera comme corps unique de sa connaissance. La conscience d'identité dirigera et contiendra toute chose ; elle se manifestera comme prise de
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conscience dans la texture même de la substance de l'être, projetant sa force inhérente d'accomplissement propre et se déterminant dynamiquement dans des formes de conscience et des formes d'action. Cette perception inhérente est l'origine et le principe d'action de la gnose supramentale ; elle pourra se suffire à elle-même sans avoir besoin de rien pour se formuler ou prendre corps; mais le jeu de la vision illuminée, le jeu de la pensée radieuse, le jeu de tous les autres mouvements de la conscience spirituelle, ne feront pas défaut. Ils seront librement employés comme instruments pour leur propre fonctionnement lumineux, pour la' richesse et la diversité divines, pour la félicité multiforme de la manifestation de soi, pour la joie des pouvoirs de l'Infini. Aux stades ou degrés intermédiaires de la gnose, les aspects de l'Être divin et de la Nature divine pourront se manifester sous des formes variées et distinctes : une âme et une vie d'amour, une âme et une vie de lumière et de connaissance divines, une âme et une vie de pouvoir divin, d'action et de création souveraines, et d'autres formes innombrables de la vie divine. Sur le sommet supramental, tout cela sera soulevé et inclus dans une unité multiforme, une intégration suprême de l'être et de la vie. Le plein accomplissement de l'être par une intégration lumineuse et béatifique de ses états et de ses pouvoirs et par la satisfaction de leur action dynamique, sera le Sens de l'existence gnostique.
Toute gnose supramentale est une conscience-de-Vérité duelle: la conscience d'une connaissance de soi inhérente, et, par l'identité du moi et du monde, la conscience d'une connaissance intime du monde; cette connaissance est le critère, le pouvoir caractéristique de la gnose. Mais ce n'est pas une connaissance purement idéative, ce n'est pas une conscience qui observe, forme des idées, essaie de les réaliser; c'est une lumière essentielle de conscience, la lumière inhérente de toutes les réalités de l'être et du devenir, la vérité inhérente de l'être qui se détermine, s'exprime et se réalise lui-même. Être, et non connaître, tel est l'objet de la manifestation; la connaissance n'est que l'instrument d'une conscience d'être active. Telle sera la vie gnostique sur la terre. Ce sera la manifestation, le jeu d'un être conscient de la vérité, d'un être devenu conscient de soi en toutes choses et ne perdant plus conscience de lui-même, ne plongeant plus dans l'oubli de soi, ou dans un oubli partiel de son existence réelle, comme au temps où il s'absorbait dans les formes et l'action. Il les utilisera avec un pouvoir spirituel délivré pour s'exprimer librement et parfaitement, ne cherchant plus sa ou ses significations
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propres, perdues ou oubliées, voilées ou cachées. Lui qui était enchaîné, il sera délivré de l'inconscience et de l'ignorance, conscient de ses propres vérités et de ses propres pouvoirs, et déterminera librement sa manifestation dans un mouvement toujours concordant, toujours accordé, dans chaque détail, avec sa Réalité suprême et universelle, déterminera librement le jeu de sa substance, le jeu de sa conscience, le jeu de sa force et de sa félicité d'être.
L'évolution gnostique présentera une grande diversité dans l'équilibre, l'état, les opérations harmonisées de la conscience, de la force et de la félicité d'être. Avec le temps, apparaîtront naturellement de nombreux degrés dans l'ascension toujours plus avancée du supramental évolutif jusqu'à ses propres sommets; mais tous auront une base et un principe communs. Dans la manifestation, l'Esprit, l'Être, bien qu'il se connaisse tout entier, n'est pas obligé de se manifester intégralement au premier plan, dans les formes et l'action actuelles qui représentent le pouvoir et le degré immédiats de son expression propre; il peut s'y déployer en partie et retenir la totalité de lui-même à l'arrière-plan dans une félicité d'être essentielle non exprimée. Ce Tout plein de félicité se trouvera et se, connaîtra lui-même dans ce premier plan, soutenant et imprégnant cette expression, cette manifestation, par sa propre présence et le sens de sa totalité et de son infinité. Cette formation frontale, et tout le reste par-derrière, retenu en elle comme pouvoir d'être, sera un acte de connaissance de soi et non un acte d'Ignorance, une lumineuse expression de la Supraconscience et non un surgissement de l'Inconscience. Une grande variation harmonisée constituera donc un élément de beauté et de plénitude dans l'évolution de la conscience et de l'existence gnostiques. Et même dans ses rapports avec le mental d'ignorance qui l'entoure, comme dans ses rapports avec les degrés encore inférieurs de l'évolution gnostique, la vie supramentale utilisera ce pouvoir inné et ce mouvement de sa Vérité d'être, car dans la lumière de cette Réalité intégrale, elle reliera la vérité de son être à la vérité d'être que dissimule l'Ignorance; fondant toutes les relations sur l'unité spirituelle commune, elle acceptera et harmonisera toutes les différences de la manifestation. La Lumière gnostique garantira la juste relation des êtres entre eux et l'action ou la réaction juste en toutes circonstances; le pouvoir ou l'influence gnostique assurera toujours une réalisation symphonique, établira la relation juste entre la vie plus développée et celle qui l'est moins, imposant une plus grande harmonie à l'existence inférieure.
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Telle sera la nature de l'individu gnostique, de son être, de sa vie et de son action, pour autant que nous puissions, avec nos conceptions mentales, suivre l'évolution jusqu'au point où elle émergera du surmental et franchira la frontière pour entrer dans la gnose supramentale. La nature de cette gnose déterminera évidemment toutes les relations des êtres gnostiques dans leur vie individuelle ou collective; car une collectivité gnostique sera un pouvoir d'âme collectif de la Conscience-de-Vérité, de même que l'individu gnostique en sera un pouvoir d'âme individuel. La vie et l'action de la collectivité seront pareillement intégrées et à l'unisson; cette collectivité réalisera consciemment la même unité d'être, elle aura la même spontanéité, le même sentiment d'unité profonde, chacun aura la même vision et perception vraie de soi et de l'autre, et les relations de l'un avec l'autre et de tous avec tous seront marquées par une même action de la vérité ; cette collectivité sera et agira comme une totalité non point mécanique mais spirituelle. De même, la vie collective aura pour principe l'union inévitable de l'ordre et de la liberté, la liberté du jeu diversifié de l'Infini dans des âmes divines, l'ordre d'une unité consciente des âmes, car telle est la loi de l'Infini supramental. Notre traduction mentale de l'unité y introduit une règle d'uniformité; en effet, une unité complète accomplie par la raison mentale conduit à une normalisation intégrale parce que c'est son seul moyen effectif; des différenciations d'ordre mineur y sont seules permises; la vie gnostique, au contraire, aura pour loi la diversité la plus grande et la plus riche dans l'expression même de l'unité. Dans la conscience gnostique la différence ne conduira pas à la discorde, mais à l'adaptation naturelle et spontanée, au sens d'une plénitude complémentaire, à l'exécution riche et multiforme de la chose qui doit être collectivement connue, faite et accomplie dans la vie. La difficulté, dans le mental et la vie, provient en effet de l'ego, de la désintégration des unités en leurs éléments constituants qui font figure de contraires, d'opposés disparates ; tout ce qui les distingue les uns des autres est aisément perçu, affirmé, souligné, mais tout ce qui les unit, tout ce qui relie leurs divergences, nous échappe complètement ou ne se trouve qu'avec difficulté ; tout doit être fait en surmontant ou en ajustant les différences, en construisant l'unité. Certes, il existe un principe d'unité sous-jacent, et la Nature insiste pour qu'il émerge dans toute construction d'unité, car elle est collective et communautaire autant qu'individuelle et égoïste, et possède des instruments d'association : sympathies, besoins et intérêts communs, attractions et affinités, aussi
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bien que des moyens plus brutaux d'unification ; mais la vie et la nature de l'ego, qu'elle impose comme base secondaire, et trop prédominante, recouvrent l'unité, et c'est pourquoi toutes les constructions qu'elle supporte sont nécessairement imparfaites et précaires. L'absence, ou plutôt l'imperfection de l'intuition et du contact intérieur direct crée une difficulté supplémentaire : chacun est un être séparé, qui doit péniblement prendre connaissance de l'être et de la nature des autres par des moyens extérieurs, pour arriver à une compréhension et une entente, à une harmonie, au lieu d'y parvenir intérieurement par une appréhension et un sens directs ; si bien que tout échange mental et vital est entravé, vicié par l'ego ou condamné à l'imperfection et à l'inachèvement à cause du voile d'une ignorance mutuelle. La vie gnostique collective, par son sens de vérité intégrateur, et par l'unité concordante de la nature gnostique, portera en soi toutes les divergences comme une opulence particulière et changera la multitude des pensées, des actions et des sentiments en l'unité d'une vie totale et lumineuse. Tel sera le principe évident, la conséquence inévitable du caractère même de la Conscience-de-Vérité et de sa réalisation dynamique de l'unité spirituelle de tout ce qui est. Cette réalisation — clef de la perfection de la vie —, difficile à atteindre sur le plan mental, et, même quand elle est réalisée, difficile à rendre dynamique et à organiser, sera naturellement dynamique et spontanément organisée dans toute création et dans toute vie gnostiques.
Cela se comprend aisément si l'on imagine des êtres gnostiques vivant leur vie propre, sans aucun contact avec la vie de l'Ignorance. Mais du fait même de l'évolution terrestre, la manifestation gnostique ne sera qu'un élément — certes déterminant — dans le tout. Les degrés inférieurs de la conscience et de la vie subsisteront, certains maintenant la manifestation dans l'Ignorance, d'autres servant d'intermédiaires entre celle-ci et la manifestation gnostique; ces deux formes d'être et de vie existeront côte à côte ou s'interpénétreront. Dans un cas comme dans l'autre, on peut prévoir que le principe gnostique, même s'il n'y parvient pas immédiatement, finira par dominer l'ensemble. Les degrés supérieurs du mental spirituel seront en contact avec le principe supramental qui, dès lors, les soutiendra ouvertement et assurera leur cohésion, et ils seront délivrés de l'emprise de l'Ignorance et de l'Inconscience qui les enveloppaient auparavant. En tant que manifestations de la vérité de l'être, et bien qu'ils n'en soient qu'une forme atténuée ou modifiée, ils tireront toute leur lumière et leur énergie de la gnose supramentale et
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seront largement en contact avec les pouvoirs qui lui servent d'instruments ; ils seront eux-mêmes des pouvoirs moteurs conscients de l'esprit, et même sans avoir encore entièrement réalisé la pleine force de leur substance spirituelle, ils ne seront plus soumis à des moyens d'expression inférieurs, fragmentés, dilués, diminués, obscurcis par la substance de la Nescience. Toute ignorance qui s'élève ou pénètre dans l'être surmental, l'être intuitif, l'être illuminé ou l'être mental supérieur, cessera d'être une ignorance; elle entrera dans la lumière, et dans cette lumière prendra conscience de la vérité qu'elle avait recouverte de son obscurité, et parviendra à une libération, une transmutation, un nouvel état de conscience et d'être qui l'intégrera à ces états supérieurs et la préparera pour le statut supramental. En même temps, le principe gnostique involué, agissant désormais comme une force manifeste, dévoilée et constamment dynamique, et non plus comme un simple pouvoir caché ayant pour seule fonction d'être la source secrète ou le soutien des choses, ou d'intervenir occasionnellement, sera capable d'imposer partiellement sa loi d'harmonie à l'Inconscience et à l'Ignorance persistantes. En effet, le pouvoir gnostique secret qui est caché en elles, recevra de sa source et de son soutien une force plus grande pour agir, et son intervention sera plus libre et plus puissante. Les êtres de l'Ignorance, influencés par la lumière de la gnose grâce à leur association avec les êtres gnostiques, et grâce à la présence concrète de l'Être supramental et du Pouvoir supramental apparus dans la nature humaine terrestre, seront plus conscients et plus réceptifs. Dans la partie non transformée de l'humanité elle-même, pourrait apparaître un nouvel ordre supérieur d'êtres humains mentaux, car on verrait émerger l'être mental directement ou partiellement intuitif, mais pas encore gnostique, l'être mental directement ou partiellement illuminé, l'être mental en communion directe ou partielle avec le plan de la pensée supérieure ; et ils deviendraient de plus en plus nombreux, se développeraient avec une sécurité croissante au sein de leur propre type, et pourraient même constituer une race humaine supérieure aidant les êtres moins évolués à s'élever toujours plus haut, dans une fraternité réelle née du sens de la manifestation de l'Unique Divin en tous les êtres. Ainsi, l'accomplissement du plus haut peut signifier aussi l'accomplissement, à un moindre degré, de ce qui doit encore rester à un niveau inférieur. À l'extrémité supérieure de l'évolution, les degrés ascendants et les sommets du supramental commenceraient à s'élever vers une manifestation suprême de la pure existence spirituelle, de la conscience et de la félicité d'être de Satchidânanda.
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On peut se demander si le renversement gnostique, le passage à une évolution gnostique et au-delà, ne signifiera pas, tôt ou tard, la fin de l'évolution à partir de l'Inconscience, puisque la cause de cet obscur commencement des choses ici-bas aura cessé d'exister. Cela dépend d'une autre question, à savoir si le mouvement entre la Supraconscience et l'Inconscience, ces deux pôles de l'existence, est une loi permanente de la manifestation matérielle ou seulement une circonstance provisoire. Cette dernière supposition est difficilement acceptable, étant donné la force prodigieuse avec laquelle la base inconsciente a été établie, s'est répandue et maintenue dans l'ensemble de l'univers matériel. Un renversement complet ou une complète élimination du principe évolutif primordial entraînerait, simultanément, une manifestation de la conscience secrète involuée dans chaque partie de cette vaste Inconscience universelle; or un changement dans une ligne d'évolution particulière de la Nature, telle la ligne d'évolution terrestre, ne pourrait pas avoir un effet aussi général; la manifestation dans la nature terrestre suit sa propre courbe, et l'achèvement de cette courbe est la seule chose que nous devions considérer. Nous pouvons néanmoins supposer qu'avec l'aboutissement final d'une création révélatrice, reproduisant l'hémisphère supérieur de l'être conscient dans la triplicité inférieure, l'évolution ici-bas, tout en demeurant identique dans ses degrés et ses étapes, serait soumise à la loi d'harmonie, la loi d'unité dans la diversité et de diversité qui accomplit l'unité. Dès lors, ce ne serait plus une évolution par la lutte, mais un développement harmonieux d'étape en étape, d'une moindre lumière vers une lumière plus grande, d'un type de pouvoir et de beauté vers un autre type plus élevé, dans une existence qui se déploie spontanément. Il n'en serait autrement que si, pour une raison quelconque, la loi de la lutte et de la souffrance restait encore nécessaire pour l'élaboration de cette mystérieuse possibilité de l'Infini, possibilité dont le principe a déterminé la plongée dans l'Inconscience. Mais pour la Nature terrestre il semble que cette nécessité sera épuisée une fois que la gnose supramentale aura émergé de l'Inconscience. Avec son apparition décisive un changement se produira, qui atteindra sa perfection lorsque l'évolution supramentale, accomplie, s'élèvera jusqu'en la plénitude plus grande encore d'une manifestation suprême de l'Existence-Conscience-Félicité, Satchidânanda.
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ô flamme qui vois, tu conduis l'homme hors des chemins tortueux jusqu'en la vérité perdurable, jusqu'en la connaissance.
Rig-Véda. L 31.6.
Je purifie la terre et le ciel par la Vérité.
Rig-Véda. 1.133.1.
En celui qui la possède, son extase met en mouvement les deux naissances, celle qui exprime le moi humain et celle qui exprime le moi divin, et elle se meut entre elles.
Rig-Véda. IX. 86.42.
Puissent les invincibles rayons de son intuition venir ici chercher l'immortalité et se répandre sur les deux naissances; car c'est par eux qu'il fait couler, en un seul mouvement, et les forces humaines et les choses divines.
Rig-Véda. IX. 70. 3.
Que tous acceptent ta volonté quand tu nais, dieu vivant, de l'arbre sec, afin qu'ils puissent atteindre à la divinité, et par la rapidité de tes mouvements, à la possession de la Vérité et de l'Immortalité.
Rig-Véda. I. 68.2.
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Nous nous sommes efforcés de découvrir ce que sont la réalité et la signification de notre existence en tant qu'êtres conscients dans l'univers matériel, et dans quelle direction et jusqu'où cette signification une fois découverte nous conduit, vers quel avenir humain ou divin. Notre existence ici-bas est peut-être, en effet, un caprice insignifiant de la Matière elle-même ou de l'Énergie qui construit la Matière, ou bien un caprice inexplicable de l'Esprit, à moins qu'elle ne soit la fantaisie arbitraire d'un Créateur supracosmique. En tout cas, si c'est la Matière ou quelque Énergie inconsciente qui est l'artisan de cette fantaisie, cela signifie que notre vie n'a pas de signification essentielle — et même pas de signification du tout —, car elle est alors, au mieux, l'expression fugitive d'une spirale errante du Hasard ou la courbe inflexible d'une aveugle Nécessité. Et si elle est une erreur de l'Esprit, elle ne peut avoir qu'une signification illusoire qui s'évanouit dans le néant. Certes, il se peut qu'un Créateur conscient ait donné un sens à notre existence, mais seule une révélation de sa volonté nous permet de le découvrir, et Il n'est pas impliqué et ne peut être découvert dans la nature fondamentale des choses. Mais s'il y a une Réalité qui existe en soi, dont notre existence sur terre serait un résultat, alors une certaine vérité de cette Réalité doit certainement se manifester, s'élaborer, évoluer ici-bas, et telle serait donc la signification de notre être et de notre vie. Quelle que puisse être cette Réalité, elle a revêtu l'aspect d'un devenir dans le Temps : un devenir indivisible, car notre présent et notre avenir portent en eux, transformé, devenu autre, le passé qui les a créés; et le passé et le présent contenaient déjà et contiennent encore en eux-mêmes, invisible pour nous parce qu'elle ne s'est pas encore manifestée ni révélée dans l'évolution, leur propre transformation dans un avenir qui n'a pas encore été créé. La signification de notre existence sur terre détermine notre destinée, et celle-ci existe déjà en nous comme une nécessité et une potentialité : la nécessité de la
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réalité secrète de notre être et de son émergence, la vérité de ses potentialités qui s'élabore; et toutes deux, bien qu'elles ne soient pas encore réalisées, sont dès maintenant contenues dans ce qui s'est déjà manifesté. S'il y a un Être qui devient, une Réalité de l'existence qui se déroule dans le Temps, c'est cet Être, cette secrète Réalité que nous devons devenir, et tel est donc le sens de notre vie.
Ce sont la conscience et la vie qui doivent être les mots-clefs de ce qui s'accomplit ainsi dans le Temps ; sans elles, en effet, la Matière et le monde de la Matière seraient un phénomène dépourvu de sens, fruit du hasard ou d'une nécessité inconsciente. Mais la conscience telle qu'elle est, la vie telle qu'elle est, ne peuvent être le secret total, car toutes deux sont très évidemment inachevées et en cours d'évolution. En nous, la conscience est le Mental, et notre mental est ignorant et imparfait, c'est un pouvoir intermédiaire qui a grandi et continue de grandir vers quelque chose qui le dépasse. Des niveaux inférieurs de conscience sont apparus avant lui, d'où il a émergé; et des niveaux supérieurs doivent certainement exister, vers lesquels il s'élève à présent. Notre mental qui pense, raisonne et réfléchit, a été précédé par une conscience non pensante, mais vivante et sensible ; et avant elle, il y avait le subconscient et l'inconscient. Après nous, ou dans ce qui, de notre moi, n'est pas encore apparu dans l'évolution, une plus grande conscience, lumineuse en soi, attend probablement de se manifester et ne dépend pas de la pensée constructrice ; notre mental pensant, imparfait et ignorant, n'est certainement pas le dernier mot de la conscience, son ultime possibilité. Car la conscience est essentiellement un pouvoir de se percevoir soi-même et de percevoir ses objets, et, dans sa vraie nature, ce pouvoir doit être direct, complet et s'accomplir spontanément. Si son action en nous est indirecte, incomplète, imparfaite, si elle dépend d'instruments qu'elle a construits, c'est parce que la conscience émerge ici d'une Inconscience originelle qui la voile, et qu'elle est encore alourdie et enveloppée par la Nescience primordiale propre à l'Inconscient ; elle doit cependant avoir le pouvoir d'émerger complètement, et sa destinée doit être d'évoluer et d'atteindre sa propre perfection, qui est sa vraie nature. Or, sa vraie nature est d'être pleinement consciente de ses objets, et parmi ses objets le premier est le moi, l'être qui à travers l'évolution développe sa conscience ici-bas, le reste étant ce que nous percevons comme non-moi. Mais si l'existence est indivisible, ce non-moi, lui aussi, doit en réalité
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être le moi ; dès lors, la destinée de la conscience évolutive est de devenir parfaite dans sa prise de conscience, d'avoir pleinement conscience de soi et de tout. Cet état parfait et naturel de la conscience est pour nous une supraconscience, un état qui nous dépasse, et où notre mental, s'il y était soudainement transporté, se trouverait tout d'abord incapable de fonctionner; mais c'est vers cette supraconscience que notre être conscient doit évoluer. Or cette évolution de notre conscience vers son propre sommet, la supraconscience, n'est possible que si l'Inconscience, qui est notre base ici-bas, est elle-même, en fait, une Supraconscience involuée; car ce qui doit apparaître dans le devenir de la Réalité en nous, doit déjà être là, involué ou secret dès l'origine. Nous pouvons aisément concevoir que l'Inconscient est un Être ou un Pouvoir ainsi involué, quand nous observons attentivement cette création matérielle issue d'une Énergie inconsciente et voyons celle-ci façonner, par des constructions singulières et des procédés innombrables, l'œuvre d'une vaste Intelligence involuée, et voyons également que nous faisons nous-mêmes partie de cette Intelligence, que nous sommes quelque chose qui évolue hors de son involution, une conscience qui émerge et dont l'émergence ne peut s'arrêter court sur le chemin, tant que Ce qui est involué n'a pas évolué et ne s'est pas révélé comme une Intelligence suprême, totalement consciente d'elle-même et de tout. C'est à cela que nous avons donné le nom de Supramental ou Gnose. Car cela doit être évidemment la conscience de la Réalité, de l'Être, de l'Esprit qui est caché en nous et qui lentement se manifeste ici-bas. De cet Être nous sommes les devenirs et nous devons assumer sa nature.
Si la conscience est le secret central, la vie est l'indication extérieure, le pouvoir réalisateur de l'être dans la Matière, car c'est elle qui libère la conscience et lui donne sa forme, la revêt de force et l'actualise matériellement. Si le but ultime de l'Être évolutif, en prenant naissance, est une révélation de soi ou un accomplissement de soi dans la Matière, la vie est le signe extérieur et dynamique, l'indice de cette révélation et de cet accomplissement. Mais la vie, elle aussi, sous sa forme présente, est imparfaite et en évolution ; elle évolue par la croissance de la conscience, de même que la conscience évolue par une organisation et une perfection plus grandes de la vie — une plus vaste conscience signifie donc une vie plus vaste. La vie de l'homme, l'être mental, est imparfaite parce que le mental n'est pas le premier ni le plus haut pouvoir de conscience de l'Être; et même si le mental était rendu parfait, il resterait encore
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quelque chose à réaliser, quelque chose qui n'est pas encore manifesté. Car ce qui est involué et qui émerge, n'est pas un Mental mais un Esprit. Or, le Mental n'est pas le dynamisme de conscience inné de l'Esprit ; ce dynamisme inné est le supramental, la lumière de la gnose. Par conséquent, si la vie doit devenir une manifestation de l'Esprit, c'est la manifestation en nous d'un être spirituel, et la vie divine d'une conscience rendue parfaite dans le pouvoir supramental ou gnostique de l'être spirituel, qui doivent être l'intention de la Nature évolutive, le fruit secret qu'elle porte en elle.
Toute vie spirituelle est, en son principe, une croissance en une existence divine. Il est difficile de déterminer la frontière où cesse la vie mentale et où commence la vie divine, car les deux débordent l'une sur l'autre et leurs existences se mêlent sur un vaste espace. On peut observer qu'une grande partie de cette phase intermédiaire — quand l'élan spirituel ne nous détourne pas complètement de la terre et du monde — est en fait le processus d'une vie supérieure en gestation. À mesure que le mental et la vie sont illuminés par la lumière de l'Esprit, ils revêtent ou reflètent quelque chose de la divinité, de la Réalité secrète plus grande, et cette croissance doit se poursuivre jusqu'à ce que l'espace ait été franchi et l'existence entière unifiée dans la pleine lumière et le plein pouvoir du principe spirituel. Mais, pour que l'élan évolutif s'accomplisse entièrement et parfaitement, cette illumination et ce changement doivent s'emparer de l'être tout entier — mental, vie et corps — et le recréer ; ce doit être non seulement une expérience intérieure de la Divinité, mais, par son pouvoir, une refonte de l'existence tant intérieure qu'extérieure. L'illumination, le changement doivent prendre forme dans la vie de l'individu, mais aussi dans une vie collective d'êtres gnostiques, qui s'établira comme la puissance et la forme les plus hautes du devenir de l'Esprit dans la nature terrestre. Pour que cela soit possible, il faut que l'entité spirituelle en nous ait atteint sa perfection intégrale, non seulement dans l'état intérieur de l'être, mais dans son pouvoir d'extériorisation; et il faut aussi, en même temps que cette perfection, et parce que cela est nécessaire pour que son action soit complète, qu'elle ait développé sa dynamis propre et les instruments de sa propre existence extérieure.
Il peut sans aucun doute exister une vie spirituelle intérieure, un royaume des cieux au-dedans de nous qui ne dépende d'aucune manifestation extérieure, d'aucun instrument, d'aucune formule de l'être
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extérieur. La vie intérieure a une suprême importance spirituelle, et la vie extérieure n'a de valeur que dans la mesure où elle exprime l'état intérieur. De quelque manière que vive, agisse et Se Comporte l'homme ayant une réalisation spirituelle, dans tous les modes de son être et de son action " il vit et se meut en Moi ", comme il est dit dans la Gîta — il demeure dans le Divin, il a réalisé l'existence spirituelle. L'homme Spirituel, qui vit avec le sens, du moi spirituel et qui a réalisé le Divin en lui et en toute chose, vivra intérieurement une vie divine, et le reflet de cette vie éclairera les actes extérieurs de son existence, même s'ils ne dépassent pas, ou semblent ne pas dépasser, l'expression ordinaire de la pensée et de l'action humaines dans ce monde de la Nature terrestre. Telle est la vérité première et le cœur du problème. Et pourtant, du point de vue de l'évolution spirituelle, ce ne serait là qu'une libération et une perfection individuelles, et l'existence environnante resterait inchangée. Pour effectuer un changement dynamique plus grand dans la Nature terrestre elle-même, un changement spirituel du principe tout entier de la vie et de l'action et de tous leurs moyens d'expression, il faut envisager, dans notre conception de l'accomplissement total, du dénouement divin, l'apparition d'un nouvel ordre d'êtres et d'une nouvelle vie terrestre. Le changement gnostique revêt ici une importance primordiale ; on peut considérer tout ce qui le précède comme un échafaudage et une préparation pour ce renversement transmutateur de notre nature tout entière; car un mode d'existence gnostique et dynamique représentera l'accomplissement de la vie divine sur la terre. Ce nouveau mode d'existence fera apparaître des instruments supérieurs de connaissance du monde et d'action dans le monde pour dynamiser la conscience dans l'existence physique, et il s'emparera des valeurs du monde de la Nature matérielle et les transformera.
Mais dans tous les cas, la vie gnostique, par sa nature même, doit avoir un fondement intérieur et non extérieur. Dans la vie de l'esprit, c'est l'esprit, la Réalité intérieure, qui a construit l'être mental et vital et le corps, et qui les utilise comme instruments. La pensée, le sentiment et l'action n'existent pas pour eux-mêmes; ils ne sont pas une fin, mais des moyens ; ils servent à exprimer la Réalité divine qui se manifeste en nous. Sans cette intériorité, sans cette origine spirituelle, il serait impossible, dans une conscience trop extériorisée ou seulement par des moyens extérieurs, de réaliser une vie plus grande ou une vie divine. Dans notre vie actuelle qui appartient à. la Nature,
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dans notre existence extériorisée, superficielle, c'est le monde qui semble nous créer; mais à partir du moment où nous nous tournons vers la vie spirituelle, c'est nous qui devons nous créer nous-mêmes et créer notre monde. Avec cette nouvelle formule de création, la vie intérieure assume une importance primordiale et le reste ne peut être que son expression et sa conséquence. En fait, c'est cela qu'indiquent nos propres efforts vers la perfection, la perfection de notre âme, de notre mental et de notre vie, et la perfection de la vie de l'espèce. Car le monde qui s'offre à nous est obscur, ignorant, matériel, imparfait, et notre être conscient extérieur est lui-même créé, façonné par les énergies de cette vaste obscurité muette, par leur pression, par la naissance physique, le milieu, l'apprentissage que nous donnent les chocs et les heurts de la vie; et cependant, nous sommes vaguement conscients de quelque chose qui est là en nous, ou qui s'efforce d'être, quelque chose d'autre que ce qui a été ainsi façonné, un esprit qui existe en soi et se détermine lui-même, qui pousse notre nature à créer une image de sa propre perfection cachée ou de l'Idée de perfection. C'est quelque chose qui grandit en nous pour répondre à cette exigence, qui s'efforce de devenir l'image d'un divin Quelque Chose et se trouve contraint aussi d'oeuvrer sur le monde extérieur qui lui a été donné et de le refaire lui aussi à une plus haute image, l'image de sa propre croissance spirituelle, mentale et vitale, afin de le recréer selon notre mental et la conception propre de notre esprit, pour en faire quelque chose de nouveau, d'harmonieux, de parfait. "
Mais notre mental est obscur, ses notions sont partielles ; il est trompé par les apparences superficielles contradictoires, partagé entre des possibilités multiples. Il est entraîné dans trois directions différentes et peut donner sa préférence exclusive à l'une ou l'autre d'entre elles. Dans sa quête de ce qui doit être, notre mental choisit, en effet, de se concentrer, soit sur notre être individuel et sa vie intérieure, soit sur le développement individuel de notre nature de surface, sur la perfection de la pensée et de l'action extérieure dynamique ou pratique dans le monde, sur quelque idéal dans nos relations personnelles avec le monde qui nous entoure ; soit, enfin, sur le monde extérieur lui-même, pour le rendre meilleur, mieux adapté à nos idées et à notre tempérament, ou à notre conception de ce qui devrait être. D'un côté, il y a l'appel de notre être spirituel qui est notre vrai moi, réalité transcendante, être de Être Divin, non créé par le monde, capable de vivre en lui-même, de
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s'élever au-dessus du monde jusqu'à la transcendance; de l'autre, il y a l'exigence du monde qui nous entoure et qui est une forme cosmique, une formulation de l'Être Divin, un pouvoir masqué de la Réalité. Il y a aussi l'exigence divisée — la double exigence de notre être —, qui appartient à la Nature et qui, en équilibre entre ces deux termes, dépend d'eux et les relie ; car s'il est apparemment façonné par le monde, il est en réalité une forme, une manifestation déguisée d'un être spirituel plus grand au-dedans, parce que son créateur véritable est en nous et que les instruments cosmiques qui semblent le façonner ne sont que le premier moyen dont il dispose. C'est cette exigence qui fait le lien entre notre souci de perfection intérieure ou de libération spirituelle, et notre souci du monde extérieur et de sa formation ; c'est elle qui insiste pour établir une relation plus heureuse entre ces deux termes, et qui crée l'idéal d'un individu meilleur dans un monde meilleur. Mais c'est en nous que la Réalité, source et fondement d'une vie parfaite, doit être trouvée, et aucune formation extérieure ne peut la remplacer. Le vrai moi doit être réalisé au-dedans, pour que la vraie vie puisse être réalisée dans le monde et dans la Nature.
Dans notre croissance vers une vie divine, l'esprit doit être notre préoccupation première. Tant que nous ne l'avons pas révélé et développé en nous-mêmes, libéré de ses revêtements et déguisements mentaux, vitaux et physiques, extirpé avec patience de notre propre corps, comme il est dit dans l'Upanishad, tant que nous n'avons pas construit en nous-mêmes une vie spirituelle intérieure, il est évident qu'aucune existence divine extérieure n'est possible. À moins, évidemment, qu'une divinité mentale ou vitale ne soit notre objectif, ce que nous voulons devenir ; mais même alors, il faut que l'être mental individuel, ou l'être de pouvoir, de désir et de force vitale en nous, grandisse et devienne une forme de cette divinité, avant que notre vie puisse être divine dans ce sens inférieur : la vie du surhomme infra-spirituel, du demi-dieu mental ou du titan vital, Déva ou Asura. Cette vie intérieure une fois créée, notre autre préoccupation doit être de convertir tout notre être de surface, nos pensées, nos sentiments, toutes nos actions dans le monde, en des instruments parfaits de cette vie intérieure. C'est seulement si, dans les parties dynamiques de notre être, nous vivons de cette vie plus profonde et plus vaste, que nous pouvons trouver la force de créer une vie plus grande ou de refaire le monde en un instrument parfait du Mental et de la Vie, ou en un instrument parfait de l'Esprit.
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Un monde humain parfait ne peut être créé par des hommes imparfaits, ni composé d'hommes qui sont eux-mêmes imparfaits. Même si toutes nos activités sont scrupuleusement réglées par l'éducation, la loi, ou par un mécanisme social ou politique, il n'en résultera qu'un type de mentalité réglementé, un type de vie fabriqué, un type de conduite artificiellement cultivé ; mais un conformisme de ce genre ne peut changer, ne peut recréer l'homme du dedans, il ne peut tailler ou sculpter une âme parfaite, un penseur parfait, un être vivant et progressif parfait. Car l'âme, le mental et la vie sont des pouvoirs de l'être qui peuvent croître, mais qui ne peuvent être taillés ou fabriqués; une formation ou un processus extérieur peuvent aider ou peuvent exprimer l'âme, le mental et la vie, mais ils ne peuvent les créer ou les développer. On peut, certes, aider un être à croître, mais ce n'est pas en essayant de le manufacturer, c'est en l'exposant à des influences stimulantes ou en lui prêtant les forces de notre âme, de notre mental ou de notre vie; même ainsi, cependant, la croissance ne doit pas venir du dehors, elle doit venir de l'intérieur de l'être, et de là, déterminer comment ces influences et ces forces seront utilisées. Telle est la première vérité que notre aspiration et notre ferveur créatrices doivent apprendre ; sinon, tout notre effort humain est d'avance condamné à tourner futilement en rond et voué à un succès qui n'est qu'une faillite déguisée.
Être ou devenir quelque chose, amener quelque chose à l'existence est tout le labeur de la Nature et de sa force; savoir, sentir, faire, sont des énergies subordonnées qui ont leur valeur, parce qu'elles aident l'être à se réaliser partiellement afin d'exprimer ce qu'il est, et qu'elles l'aident aussi dans son élan pour exprimer " l'encore plus " qu'il n'a pas réalisé et qu'il doit être. Mais la connaissance, la pensée et l'action, qu'elles soient religieuses, éthiques, politiques, sociales, économiques, utilitaires ou hédonistes, que ce soit une forme ou une construction mentale, vitale ou physique de l'existence, ne peuvent pas être l'essence ou le but de la vie; ce sont seulement les activités des pouvoirs de l'être ou des pouvoirs de son devenir, des symboles dynamiques de lui-même, des créations de l'esprit incarné, ses moyens de découvrir et de formuler ce qu'il cherche à être. Parce qu'il prend pour essentielles ou fondamentales les forces ou les apparences superficielles de la Nature, le mental physique de l'homme a tendance à voir les choses autrement, et à tourner sens dessus dessous la vraie méthode de la Nature : il prend ses créations, accomplies par des procédés visibles ou extérieurs, pour
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l'essence même de son action et ne voit pas que c'est une simple apparence secondaire qui recouvre un processus secret plus vaste. Car le processus occulte de la Nature est de révéler l'être en faisant apparaître ses pouvoirs et ses formes; sa pression extérieure n'est qu'un moyen d'éveiller l'être involué à la nécessité de cette évolution, de cette formation de soi. Quand le stade spirituel est atteint dans l'évolution de la Nature, ce processus occulte doit devenir le processus total. Il est donc d'une importance capitale de traverser le voile des forces et de toucher leur ressort secret qui est l'esprit lui-même. Il n'y a qu'une chose à faire : devenir soi-même; mais le vrai " soi-même " est celui qui est en nous, et dépasser notre moi extérieur corporel, vital et mental est la condition pour que cet être suprême, qui est notre être véritable et divin, se révèle et devienne actif. C'est seulement en grandissant au-dedans et en vivant au-dedans que nous pouvons le trouver ; une fois que cela est accompli, le but final que la Force de la Nature nous assigne, c'est de créer, sur cette base, un mental, une vie et un corps spirituels ou divins et, à l'aide de ces instruments, d'arriver à créer un monde qui soit le vrai milieu d'une existence divine. La première nécessité est donc que l'individu — chaque individu — découvre l'esprit, la réalité divine qui est en lui et qu'il l'exprime dans tout son être et toute son existence. Une vie divine doit être d'abord et avant tout une vie intérieure. Puisque l'extérieur doit exprimer l'intérieur, l'existence extérieure ne peut rien avoir de divin si l'être intérieur n'est pas divinisé. En l'homme, la Divinité demeure voilée en son centre spirituel ; il 'est impossible que l'homme parvienne à se dépasser lui-même ou que sa vie ait une plus haute issue, si la réalité de ce moi et esprit éternel n'est pas en lui-même.
Être et être pleinement, tel est le but que la Nature poursuit en nous. Mais être pleinement, c'est être totalement conscient de son être; l'inconscience, la semi-conscience ou une conscience insuffisante sont les états d'un être qui n'est pas en possession de lui-même — c'est simplement exister, ce n'est pas la plénitude de l'être. Être totalement et intégralement conscient de soi et de toute la vérité de son être, telle est la condition nécessaire pour posséder vraiment l'existence. Cette conscience de soi est le sens même de la connaissance spirituelle qui, en son essence, est une conscience intrinsèque existant en soi; toutes ses actions de connaissance — en fait, toutes ses actions quelles qu'elles soient — doivent être une formulation de cette conscience. Toute autre connaissance naît d'une conscience oublieuse de soi, qui s'efforce de se
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retrouver, elle-même et son contenu ; c'est une ignorance de soi qui fait effort pour se transformer de nouveau en connaissance de soi.
Mais puisque la conscience porte en elle-même la force de l'existence, être pleinement, c'est aussi posséder la force innée et intégrale de son propre être ; c'est entrer en possession de toute la force de son moi et en faire plein usage. Être simplement, sans posséder le pouvoir de son être — ou un demi pouvoir, ou un pouvoir insuffisant —, c'est vivre une existence mutilée, diminuée ; c'est exister, mais ce n'est pas la plénitude de l'être. Certes, il est possible d'exister seulement à l'état statique, en gardant la force de l'être rassemblée et immobile dans le moi. Mais, même ainsi, avoir une force incomplète, c'est avoir une existence mutilée ou diminuée; la puissance du moi est le signe de la divinité du moi — un esprit sans pouvoir n'est pas l'esprit. Mais ce pouvoir, de même que la conscience spirituelle, doit être, lui aussi, intrinsèque, automatique dans son action, exister en soi et s'accomplir spontanément. Tous les instruments dont il se sert doivent faire partie de lui; même les instruments extérieurs qu'il utilise doivent devenir des éléments et des expressions de son être. La volonté, c'est la force de l'être dans une action consciente, et toute l'existence doit être capable d'accomplir harmonieusement la volonté consciente de l'esprit, sa volonté d'être et de devenir, quelle qu'elle soit. Toute action ou énergie d'action qui ne possède pas cette souveraineté et ne gouverne pas les mécanismes de l'action, porte en soi, du fait de ce défaut, le signe d'une imperfection de la force d'être, d'une division ou d'une segmentation qui mutile la conscience et rend incomplète la manifestation de l'être.
Enfin, être pleinement, c'est avoir la plénitude de la joie d'être. Être, sans la joie d'être, sans une entière félicité d'être soi et toutes choses, est un état neutre ou diminué ; c'est exister, mais ce n'est pas la plénitude de l'être. Cette félicité aussi doit être intrinsèque, automatique, exister en soi; elle ne peut dépendre de choses qui lui sont extérieures. Quel que soit son objet, elle en fait une partie d'elle-même, elle en goûte la joie comme si elle faisait partie de son universalité. Toute absence de joie, toute peine et toute souffrance sont des signes d'imperfection, d'inachèvement ; elles naissent d'une division de l'être, d'une conscience et d'une force d'être incomplètes. Réaliser cette intégralité de l'être, de la conscience, de la force, de la joie d'être, et vivre dans cette plénitude intégrale, c'est vivre divinement.
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Mais pour être pleinement, il faut aussi être universellement. Être avec les limitations imposées par un petit ego restreint, c'est exister, mais c'est une existence imparfaite; car la nature même de l'ego, c'est de vivre dans une conscience incomplète, une force et une joie d'être incomplètes. C'est être moins que soi-même, et cela entraîne une inévitable sujétion à l'ignorance, à la faiblesse et à la souffrance ; et même si quelque divine composition de notre nature pouvait exclure ces choses, ce serait encore vivre dans un champ limité d'existence, dans une conscience, une puissance et une joie d'être limitées. Toute l'existence est une, et être pleinement, c'est être tout ce qui est. Être dans l'être de tous et tout inclure en son être, être conscient de la conscience de tous, intégrer sa force à la force universelle, porter en soi-même toute action et toute expérience et les sentir comme sa propre action et sa propre expérience, sentir tous les moi comme son propre moi, sentir toute joie d'être comme sa propre joie d'être, telle est la condition nécessaire pour vivre une existence divine intégrale.
Mais pour être universellement, dans la plénitude et la liberté de son universalité, on doit être aussi transcendantalement. La plénitude spirituelle de l'être est éternité; si l'on n'a pas conscience de l'être éternel hors du temps, si l'on dépend du corps, ou du mental et du vital incarnés, ou que l'on dépende de tel ou tel monde, de telle ou telle condition d'existence, on ne possède pas la réalité du moi, ni la plénitude de l'existence spirituelle. Vivre seulement comme le moi du corps ou n'exister que par le corps, c'est être une créature éphémère, soumise a la mort, au désir, à la douleur et à la souffrance, à la déchéance et à la décomposition. Dépasser, transcender la conscience du corps, ne pas être enfermé dans le corps ou par le corps, ne tenir le corps que pour un instrument, une formation extérieure et mineure du moi, est la première condition pour vivre divinement. Ne pas être un mental soumis à l'ignorance et aux limitations de la conscience, transcender le mental et le traiter comme un instrument, le maîtriser comme une formation superficielle du moi, est la seconde condition. Être par le moi et l'esprit, ne pas dépendre de la vie, ne pas s'identifier à elle, la transcender, la maîtriser et s'en servir comme d'une expression et d'un moyen d'action du moi, est la troisième condition. La vie corporelle elle-même ne peut posséder la plénitude de son être dans son propre domaine, si la conscience ne dépasse pas le corps et ne sent pas son unité physique avec toute l'existence matérielle ; la vie vitale, elle non plus, ne peut posséder
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la plénitude de son existence dans son propre domaine, si la conscience ne dépasse pas le jeu restreint d'une vitalité individuelle et ne sent pas la vie universelle comme sienne et son unité avec toute vie. La mentalité ne peut être une existence ou une activité pleinement conscientes dans son propre domaine, à moins qu'on ne dépasse les limites mentales individuelles, que l'on ne se sente un avec le mental universel et avec le mental de tous les autres hommes, et qu'on jouisse de l'intégralité de sa conscience qui s'accomplit dans la richesse de leurs différences. On doit transcender non seulement la formule individuelle, mais aussi la formule de l'univers, car ainsi seulement l'existence individuelle ou l'existence universelle peut trouver son être véritable et une harmonisation parfaite. Dans leur formulation extérieure, toutes deux sont des termes incomplets de la Transcendance, mais elles sont Cela dans leur essence, et c'est seulement en devenant consciente de cette essence que la conscience individuelle et la conscience universelle peuvent parvenir à la plénitude et à la liberté de leur être véritable. Sinon, l'individu resterait soumis au mouvement cosmique, à ses réactions et à ses limitations, et la liberté spirituelle intégrale lui échapperait. Il doit entrer dans la Réalité divine suprême, sentir son unité avec elle, vivre en elle, être sa création. Tout son être mental, vital et physique doit être converti en les termes de la Supranature ; toutes ses pensées, tous ses sentiments, toutes ses actions doivent être déterminés par elle, être elle, formés par elle. Tout cela ne peut s'accomplir pleinement en lui que lorsqu'il est sorti de l'Ignorance et qu'il est entré dans la Connaissance et, par la Connaissance, dans la Conscience suprême, dans son dynamisme et sa suprême félicité d'être. Le premier changement spirituel peut déjà nous apporter l'essentiel de ces choses, et des moyens d'expression suffisants, et c'est dans la vie de la Supranature gnostique qu'elles atteindront leur sommet.
Tout cela est impossible si l'on ne vit pas au-dedans ; si l'on reste dans une conscience extérieure toujours tournée vers le dehors, active seulement ou principalement à la surface et depuis la surface, ces choses resteront inaccessibles. L'être individuel doit se trouver lui-même, trouver son existence véritable, et cela n'est possible qu'en allant au-dedans, en vivant intérieurement et de l'intérieur ; car la conscience extérieure ou superficielle, c'est-à-dire la vie séparée de l'esprit intérieur, est le champ de l'Ignorance ; elle ne peut se dépasser elle-même et dépasser l'Ignorance qu'en s'ouvrant à l'ampleur du moi intérieur et de la vie intérieure. S'il existe en nous un être de la transcendance, il
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doit se trouver là, dans notre moi secret; à la surface, il n'y a qu'un être éphémère de la nature, façonné par les limites et les circonstances. S'il y a en nous un moi capable d'ampleur et d'universalité, capable d'entrer dans une conscience cosmique, lui aussi doit se trouver au-dedans, dans notre être intérieur. La conscience extérieure est une conscience physique liée à ses limites individuelles par la triple corde du mental, de la vie et du corps; toute tentative extérieure d'universalité ne peut avoir pour résultat qu'un agrandissement de l'ego ou un effacement de la personnalité par son extinction dans la masse ou son assujettissement à la masse. C'est seulement par une croissance intérieure, une action, un mouvement intérieurs que l'individu peut librement et effectivement universaliser et transcendantaliser son être. Pour vivre divinement, il faut que le centre et la source immédiate de la réalisation dynamique de l'être soient transférés du dehors au dedans; car c'est là qu'est le siège de l'âme, mais elle est voilée ou à demi voilée, et notre être immédiat, ainsi que la source de son action, sont à la surface. Chez les hommes, dit l'Upanishad, l'Existant-en-Soi a taillé les portes de la conscience vers le dehors, mais quelques-uns tournent les yeux au-dedans, et ce sont eux qui voient et connaissent l'Esprit et qui deviennent l'être spirituel. Ainsi, regarder en soi-même, voir et entrer en soi-même et vivre au-dedans, est la première nécessité pour parvenir à la transformation de notre nature et à la vie divine. .
Ce mouvement qui consiste à se tourner vers l'intérieur et à vivre au-dedans, est une tâche difficile à imposer à la conscience normale de l'être humain ; et pourtant il n'y a pas d'autre moyen de se trouver soi-même. Le penseur matérialiste dresse une opposition entre l'extroverti et l'introverti ; il soutient que l'attitude extrovertie est notre seule sauvegarde : aller au-dedans, c'est entrer dans les ténèbres ou le vide, ou c'est perdre l'équilibre de la conscience, entrer dans un état morbide; c'est du dehors que se crée la seule vie intérieure qui se puisse édifier, et pour qu'elle reste saine, il faut se fier strictement à ses sources salubres et nourrissantes; l'équilibre de la vie et du mental personnels ne peut être assuré qu'en s'appuyant fermement sur la réalité extérieure, car le monde matériel est la seule réalité fondamentale. Cela peut être vrai de l'homme physique, l'extroverti-né, qui se sent être une créature de la Nature extérieure. Construit par elle et dépendant d'elle, il se perdrait s'il pénétrait en lui-même; pour lui, il n'y a pas d'être intérieur, pas de vie intérieure. Mais l'introverti, dans cette définition,
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n'a pas davantage de vie intérieure ; il n'est pas le voyant du vrai moi intérieur et des choses intérieures : il est le petit homme mental qui regarde superficiellement en lui-même. Ce qu'il y voit, ce n'est pas son moi spirituel, mais son ego vital, son ego mental, et il prend un intérêt malsain aux mouvements de cette créature naine et pitoyable. L'idée ou l'expérience d'une obscurité intérieure quand on regarde au-dedans, est la première réaction d'une mentalité qui a toujours vécu à la surface et n'a pas perçu la réalité de l'existence intérieure; car son expérience intérieure n'est qu'une construction, et elle dépend du monde extérieur pour trouver les matériaux de son être. Mais pour ceux qui ont acquis le pouvoir d'une existence plus intérieure, le mouvement d'intériorisation et la vie intérieure n'apportent pas l'obscurité ou un morne vide, mais un élargissement, un jaillissement d'expériences nouvelles, une vision plus vaste, une capacité plus grande, une étendue de vie infiniment plus réelle et plus variée que la première petite vie que notre humanité physique normale s'est construite, une joie d'être plus large et plus riche que tous les délices de l'existence que l'homme vital extérieur, ou l'homme mental de surface peuvent obtenir par leur force et leur activité vitales dynamiques ou par la subtilité et l'expansion de leur vie mentale. Le silence, l'entrée dans un vide vaste, ou même immense et infini, font partie de l'expérience intérieure spirituelle. Le mental physique redoute ce silence ou ce vide ; le petit mental pensant ou le mental vital, superficiellement actif, s'en écarte ou les déteste, car il confond le silence avec l'incapacité mentale et vitale, et. le vide avec l'extinction ou la non-existence. Mais ce silence est le silence de l'esprit, et c'est la condition d'une connaissance, d'une puissance et d'une félicité plus grandes ; et par ce vide, la coupe de notre être naturel se vide et se purifie de son contenu bourbeux, pour pouvoir s'emplir du nectar divin — ce n'est pas un passage dans une non-existence, mais dans une existence supérieure. Et même quand l'être cherche l'extinction, ce n'est pas une extinction dans la non-existence, mais dans l'ineffable immensité de l'être spirituel, ou c'est une plongée dans l'indicible supraconscience de l'Absolu.
En fait, ce mouvement d'intériorisation n'est pas un emprisonnement dans le moi personnel ; c'est le premier pas vers une vraie universalité ; il nous apporte la vérité de notre existence extérieure en même temps que la vérité de notre existence intérieure. Car cette vie intérieure peut s'étendre et embrasser la vie universelle ; elle peut toucher, pénétrer, englober toute vie avec une réalité et une force dynamique inaccessibles
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à notre conscience de surface. L'universalisation la plus grande que nous puissions atteindre à la surface, est une pauvre et boiteuse tentative ; c'est une construction, un simulacre et non la vraie chose; car dans notre conscience de surface, nous sommes obligatoirement séparés de la conscience des autres et nous portons les chaînes de l'ego. Notre désintéressement lui-même y devient le plus souvent une forme subtile d'égoïsme ou se change en une affirmation plus large de notre ego. Satisfaits de notre pose altruiste, nous ne voyons pas que c'est un masque pour imposer notre moi individuel, nos idées, notre personnalité mentale et vitale, notre besoin d'agrandir notre ego aux dépens des autres que nous attirons ainsi dans notre orbite élargie. Si jamais nous réussissons à vivre réellement pour les autres, c'est par une force intérieure spirituelle d'amour et de sympathie que nous y parvenons; mais le pouvoir et le champ d'accomplissement de cette force en nous sont limités, le mouvement psychique qui l'inspire est incomplet, son action souvent ignorante; car si un contact s'établit avec le mental et le cœur des autres, notre être n'embrasse pourtant pas leur être comme s'il était le sien. Une unité extérieure avec autrui est toujours et nécessairement une alliance et une association superficielles de vies extérieures, et elle ne donne qu'un résultat intérieur mineur. Le mental et le cœur attachent leurs mouvements à cette vie commune et aux êtres que nous y rencontrons ; mais c'est la vie commune extérieure qui reste le fondement; l'unité construite intérieurement —ou ce qui peut en subsister en dépit de l'ignorance mutuelle et des égoïsmes discordants, des conflits de toutes sortes — conflit des pensées, conflit des cœurs, des tempéraments vitaux, des intérêts —, n'est qu'une superstructure partielle et fragile. La conscience spirituelle, la vie spirituelle, renverse ce principe de construction; c'est sur une expérience intérieure qu'elle fonde son action dans la vie collective, sur une inclusion des autres dans notre être, sur un sens intérieur de l'unité, une unité intérieure réelle. L'individu spirituel agit avec un sens de l'unité qui lui donne une perception directe et immédiate de ce que le moi attend des autres moi, des besoins de la vie, du bien, de l'oeuvre d'amour et de sympathie qui peuvent vraiment être accomplis. Une réalisation de l'unité spirituelle, une dynamisation de la conscience intime de l'être unique, du moi unique en tous les êtres, peut seule, par sa vérité, fonder et gouverner l'action de la vie divine.
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Dans l'être gnostique ou divin, dans la vie gnostique, chacun sera intimement et entièrement conscient du moi des autres, conscient de leur être mental, vital et physique qu'il sentira comme les siens propres. L'être gnostique n'agira pas avec un sentiment superficiel d'amour et de sympathie, ou tout autre sentiment analogue, mais avec la conscience d'une étroite réciprocité, d'une profonde unité. Son action dans le monde sera tout entière illuminée par la vérité de la vision de ce qui doit être fait, par la perception de la volonté de la Réalité divine en lui, qui est aussi la Réalité divine en autrui, et il agira pour le Divin en autrui et le Divin en tout, pour que s'accomplisse la vérité du dessein du Tout, telle qu'elle est vue dans la lumière de la plus haute Conscience, avec la méthode et le chemin à suivre pour qu'elle s'accomplisse dans le pouvoir de la Supranature. L'être gnostique se trouve lui-même, non seulement dans son propre accomplissement, qui est l'accomplissement de l'Être divin et de la Volonté divine en lui, mais dans l'accomplissement des autres ; son individualité universelle se réalise par le mouvement même du Tout dans tous les êtres vers un plus grand devenir. Il voit partout l'œuvre du Divin ; tout ce qui émane de lui pour se joindre à la somme de l'œuvre divine, tout ce qui vient de la Lumière, de la Volonté, de la Force intérieures qui œuvrent en lui, est son action. Il n'y a pas d'ego séparateur en lui qui prenne aucune initiative ; c'est le Transcendant et Universel qui, à travers son individualité universalisée et à travers lui, se projette dans l'action de l'univers. Il ne vit pas pour l'ego séparé, pas plus qu'il ne vit pour les fins d'un quelconque ego collectif; il vit dans et pour le Divin qui est en lui, dans et pour le Divin dans la collectivité, dans et pour le Divin en tous les êtres. Cette universalité dans l'action, organisée par la Volonté qui voit tout, et avec le sens de l'unité réelle de toutes choses, est la loi de son existence divine.
Par vie divine nous entendons donc, en premier lieu, un accomplissement spirituel de l'aspiration à la perfection individuelle, et une plénitude intérieure de l'être. C'est la première condition essentielle d'une vie parfaite sur la terre. Faire de la perfection individuelle la plus haute possible notre tâche première et suprême est donc tout à fait légitime. La perfection des relations spirituelles et pragmatiques de l'individu avec tout ce qui l'entoure, est notre seconde préoccupation, et c'est dans une universalité et une unité complètes avec toute vie sur la terre que ce desideratum se trouvera satisfait : c'est l'autre résultat concomitant de l'évolution lorsqu'on passe à une conscience et une
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nature gnostiques. Mais il reste le troisième desideratum, la création d'un monde nouveau, un changement dans la vie totale de l'humanité, ou, pour le moins, une vie collective nouvelle et parfaite dans la nature terrestre. Cela exige non seulement l'apparition d'individus évolués agissant isolément sur la masse non évoluée, mais d'un grand nombre d'individus gnostiques formant une nouvelle espèce d'êtres et une nouvelle vie commune, supérieure à l'existence individuelle et commune présente. Une vie collective de ce genre doit évidemment se constituer sur le même principe que la vie de l'individu gnostique. Dans notre existence humaine présente, il existe une collectivité physique dont la cohésion est assurée par le fait d'une vie physique commune, avec tout ce qui en découle : communauté d'intérêts, civilisation et culture communes, lois sociales communes, mentalité agrégée, associations économiques, idéaux, émotions et efforts de l'ego collectif, avec la trame des relations et des liens individuels qui court à travers le tout et aide à assurer sa cohésion. Et s'il y a une divergence, une opposition, un conflit entre ces éléments, un accommodement pratique est imposé ou un compromis s'organise devant la nécessité de vivre ensemble ; un ordre naturel ou artificiel se construit. Tel ne sera pas le mode gnostique ou divin d'existence collective, car ce qui unira l'ensemble et lui donnera sa cohésion, ne sera pas le fait que la vie crée une conscience sociale suffisamment unie, mais le fait qu'une conscience commune consolide une vie commune. Tous seront unis par le développement de la Conscience-de-Vérité en eux; et avec la transformation que cette conscience apportera dans leur manière d'être, ils se sentiront les incarnations d'un moi unique, les âmes d'une seule Réalité. Illuminée et mue par une unité fondamentale de connaissance, animée par une volonté et un sentiment fondamentalement unifiés, la vie exprimera la Vérité spirituelle et trouvera, à travers eux, ses propres formes naturelles de devenir. Il y aura un ordre, car la vérité de l'unité crée son ordre propre; peut-être y aura-t-il aussi une ou plusieurs lois pour régler la vie, mais elles se détermineront elles-mêmes; elles seront l'expression de la vérité d'un être spirituellement unifié, l'expression de la vérité d'une vie spirituellement unifiée. Toute la formation de l'existence commune sera l'œuvre des forces spirituelles qui doivent s'élaborer spontanément dans une vie comme celle-là ; ces forces seront reçues intérieurement par l'être intérieur et seront exprimées ou s'exprimeront d'elles-mêmes dans une harmonie innée de l'idée, de l'action et du but.
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La méthode mentale pour assurer l'harmonie consiste à mécaniser toujours davantage, à standardiser, à fixer tout dans un moule commun; mais telle ne sera pas la loi de la vie gnostique. Il y aura une libre et considérable diversité entre les différentes communautés gnostiques; chacune donnera un corps particulier à la vie de l'esprit; il y aura la même diversité dans l'expression propre des individus d'une même communauté. Mais cette libre diversité ne sera pas un chaos, elle ne créera aucune discorde, car la diversité dans une même Vérité de connaissance, une même Vérité de vie, sera une corrélation, non une opposition. Dans une conscience gnostique il n'y aura pas affirmation égoïste d'une idée personnelle, ni insistance, ni revendication de la volonté et des intérêts personnels, mais au contraire, le sens unificateur d'une Vérité commune sous de multiples formes, d'un moi commun en de multiples corps, de multiples consciences ; il y aura une universalité et une plasticité qui voient et expriment l'Un en de multiples formes de lui-même et qui manifestent l'unité dans toutes les diversités, parce que c'est la loi inhérente à la Conscience-de-Vérité et à la vérité de sa nature. Une unique Conscience-Force, que tous percevront et dont ils se verront les instruments, agira à travers eux tous et harmonisera leur action. L'être gnostique sentira qu'une Force unique de la Supranature agit partout à l'unisson; il acceptera son action en lui-même et lui obéira ou utilisera la connaissance et le pouvoir qu'elle lui donne pour l'œuvre divine, mais rien ne pourra le pousser ou le forcer à dresser le pouvoir et la connaissance qui sont en lui, contre la connaissance ou le pouvoir des autres, ou à s'affirmer comme un ego en lutte contre d'autres ego. Car le moi spirituel possède sa propre joie inaliénable, sa plénitude inviolable en toute circonstance, et l'infinitude de la vérité de son être; et cela, il le sent toujours et pleinement, quelle que soit la formulation extérieure. La vérité de l'esprit au-dedans ne dépendra pas d'une formation particulière; elle n'aura donc pas besoin de lutter pour se formuler et s'affirmer au-dehors d'une manière particulière — les formes se manifesteront d'elles-mêmes plastiquement, dans une relation appropriée aux autres formulations, et chacune à sa place dans la formulation totale. Lorsqu'elle s'établira, la vérité de la conscience et de l'être gnostiques pourra trouver l'harmonie avec les vérités de tous les autres êtres qui l'entourent. Un être spirituel ou gnostique se sentira en harmonie avec toute la vie gnostique autour de lui, quelle que soit sa position dans le tout. Suivant sa place dans l'ensemble, il saura commander ou gouverner, mais aussi se subordonner; et les deux lui
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donneront une égale félicité, car la liberté de l'esprit, parce qu'elle est éternelle, intrinsèque et inaliénable, peut être sentie tout autant dans le service, la subordination volontaire et l'adaptation aux autres moi, que dans le pouvoir et l'autorité. Une liberté spirituelle intérieure sait accepter sa place dans la vérité d'une hiérarchie spirituelle intérieure et aussi dans la vérité d'une égalité spirituelle fondamentale, et l'une n'est pas incompatible avec l'autre. C'est cet arrangement spontané de la Vérité, cet ordre naturel de l'esprit, qui existera dans une vie commune où se trouveront réunis différents degrés et différents stades de l'être gnostique en évolution. L'unité est la base de la conscience gnostique, l'entente mutuelle le résultat naturel de sa perception directe de l'unité dans la diversité, et l'harmonie le pouvoir d'action irrésistible de sa force. Unité, entente mutuelle et harmonie sont donc la loi inéluctable d'une vie gnostique commune ou collective. La forme qu'elle prendra dépendra de la volonté de la Supranature dans sa manifestation évolutive, mais tels seront son caractère général et son principe.
Le sens profond, la loi inhérente et la nécessité du passage de l'être et de la vie depuis le niveau purement mental et matériel jusqu'au niveau spirituel et supramental, c'est que la libération, la perfection, l'accomplissement de soi recherchés par l'être dans le monde de l'Ignorance, ne peuvent être atteints que par ce passage hors de sa nature d'Ignorance présente en une nature de connaissance spirituelle de soi et du monde. Nous appelons Supranature cette nature plus haute, parce qu'elle se situe au-delà du niveau actuel de sa conscience et de ses possibilités; mais en fait le sommet, l'accomplissement qu'il doit atteindre s'il veut trouver son moi réel et les possibilités totales de son être, n'est autre que sa vraie, sa propre nature. Tout ce qui se produit dans la Nature est nécessairement le résultat de la Nature, la manifestation de ce qui est impliqué ou inhérent en elle, son fruit et sa conséquence inévitables. Si notre nature est une Inconscience et une Ignorance fondamentales qui parviennent avec difficulté à une connaissance et une expression imparfaites de la conscience et de l'être, il est inévitable que notre être, notre vie, notre action et notre création, tels qu'ils sont à présent, portent la marque d'une imperfection constante, que les résultats soient incomplets et mal assurés, et que notre mentalité, notre existence, notre vie physique soient, elles aussi, imparfaites. Nous essayons de construire des systèmes de connaissance et des systèmes de vie pour parvenir à une certaine perfection dans notre existence, à un ordre juste dans nos
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relations, à un usage correct du mental, de la vie — du bonheur et de la beauté de la vie —, et du corps. Mais nous n'y réussissons qu'à moitié, et ce que nous avons ainsi construit est mélangé à beaucoup de fausseté, de laideur et de tristesse. Nos constructions successives, à cause de leurs défauts et parce que le mental et la vie ne peuvent s'arrêter nulle part de façon permanente dans leur quête, voient constamment leur ordre menacé de destruction, de décadence, d'éclatement, et nous passons à d'autres constructions qui, finalement, ne sont ni plus réussies, ni plus durables, bien qu'elles puissent être, sous un aspect ou un autre, plus riches et plus complètes ou rationnellement plus crédibles. Il ne peut en être autrement, car nous ne pouvons rien construire qui dépasse les limites de notre nature. Imparfaits, nous ne pouvons construire la perfection, si merveilleux que puissent nous paraître les mécanismes inventés par notre ingéniosité mentale et quelle que soit leur efficacité extérieure. Ignorants, nous ne pouvons construire un système de connaissance de soi et du monde entièrement vrai et fécond ; notre science elle-même est une construction, une masse de formules et d'inventions ; elle possède la connaissance des procédés et de la création de mécanismes appropriés, mais comme elle ignore les fondations de notre être et de l'être du monde, elle ne peut perfectionner notre nature et, par conséquent, ne peut rendre notre vie parfaite.
Notre nature, notre conscience sont celles d'êtres qui s'ignorent, qui sont séparés les uns des autres, enracinés dans un ego divisé, et qui doivent faire effort pour établir une certaine relation entre leurs ignorances incarnées; car il y a, dans la Nature, un élan vers l'union et des forces qui y travaillent. Il s'y crée des harmonies individuelles et des harmonies de groupe, d'une perfection relative et restreinte, et une cohésion sociale s'y établit ; mais dans l'ensemble, les relations qui se forment ainsi sont constamment défigurées par l'imperfection de nos sympathies et de notre compréhension mutuelle, par de grossiers malentendus, des conflits, des discordes, des déceptions. Il ne peut en être autrement aussi longtemps qu'une véritable union ne s'est pas établie dans les consciences, union fondée sur une nature qui se connaît elle-même et connaît l'autre, de l'intérieur, qui a réalisé en elle l'unité et qui exprime l'harmonie des forces intérieures de notre être et des forces intérieures de notre vie. Dans notre organisation sociale, nous nous approchons péniblement, au prix de bien des efforts, de l'unité, de l'entente mutuelle, de l'harmonie, parce que sans elles il est impossible
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de bâtir une vie sociale parfaite ; mais l'unité que nous édifions ainsi est faite de fragments et de morceaux, c'est une association d'intérêts et d'ego qui s'établit de force par la loi et la coutume, et qui impose un ordre artificiel où les intérêts de quelques-uns l'emportent sur les intérêts de tous les autres ; ce n'est rien de plus qu'un accommodement plus ou moins accepté, plus ou moins imposé, à la fois naturel et artificiel, qui empêche l'ensemble social de s'écrouler. Entre communautés, l'accommodement mutuel est plus imparfait encore, et nous assistons à la constante récurrence du conflit des ego collectifs. Nous ne pouvons rien accomplir de mieux, et nos réajustements perpétuels de l'ordre social ne parviennent à construire qu'une structure de vie imparfaite.
C'est seulement si notre nature se développe et se dépasse elle-même, si elle devient la nature d'un être et d'une vie véritables, faite de connaissance de soi, de compréhension mutuelle et d'unité, qu'une perfection pourra s'établir en nous-mêmes et dans notre existence. Ce sera la vie d'un être vrai : une vie d'unité, d'entente mutuelle, d'harmonie, de bonheur véritable, harmonieuse et belle. Si notre nature reste attachée à ce qu'elle est, à ce qu'elle est déjà devenue, alors aucune perfection, aucun bonheur réel et durable ne sont possibles dans la vie terrestre ; il est tout à fait vain de les rechercher et nous devons nous accommoder au mieux de nos imperfections ; ou c'est ailleurs qu'il nous faut chercher perfection et bonheur, dans un au-delà supraterrestre, à moins qu'il ne faille dépasser toutes ces recherches et transcender la vie en abolissant la nature et l'ego en quelque Absolu d'où a émergé cet être étrange et peu satisfaisant que nous sommes. Mais si nous portons en nous un être spirituel qui émerge progressivement, et si notre état présent n'est qu'une ébauche, une émergence incomplète, si l'Inconscient est un point de départ contenant en lui-même le pouvoir d'une supraconscience, d'une supranature qui doit évoluer, s'il est le voile d'une Nature apparente où se cache une conscience plus grande et d'où cette conscience doit jaillir et se déployer, si une évolution de l'être est la loi, alors ce que nous cherchons est non seulement possible, mais répond à une nécessité ultime. Notre destinée spirituelle est de devenir cette supranature et de la manifester, car elle est la nature même de notre vrai moi, notre être total qui n'est pas encore perceptible parce qu'il ne s'est pas encore manifesté dans l'évolution. Une nature fondée sur l'unité produira donc inévitablement dans la vie ses effets créateurs d'unité, d'entente mutuelle et d'harmonie. Une vie intérieure éveillée à la pleine conscience et à un
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plein pouvoir de conscience apportera à tous ceux qui la possèdent son fruit inévitable : la connaissance de soi, une existence parfaite, la joie d'un être comblé, le bonheur d'une nature accomplie.
La conscience gnostique et les moyens d'expression de la supranature ont pour caractère inné une vision et une action globales, une unité des connaissances entre elles, une réconciliation de tout ce qui semble contradictoire dans notre mode de vision et de connaissance mental, une identité de la Connaissance et de la Volonté agissant comme un pouvoir unique et en parfait accord avec la vérité des choses; ce caractère inné de la supranature est le fondement de l'unité parfaite, de la réciprocité et de l'harmonie parfaites de son action. Dans l'être mental, la connaissance acquise est en désaccord avec la vérité réelle ou totale des choses, si bien que même ce qui est vrai en elle s'avère en fin de compte souvent inefficace, ou seulement partiellement efficace. Les vérités que nous découvrons s'écroulent, nos réalisations passionnées de la vérité échouent, le résultat de notre action devient souvent l'élément d'un plan que nous n'avions pas prévu, d'un dessein dont nous ne reconnaîtrions pas la légitimité, ou bien la vérité de l'idée est trahie par les résultats concrets de sa réussite pratique. Même si l'idée parvient à se réaliser, ce succès aboutira tôt ou tard à une désillusion et à une nouvelle tentative, parce que l'idée était incomplète, c'était une construction mentale isolée, séparée de la vérité une et totale des choses. Le désaccord entre notre vision et nos conceptions d'une part, et, d'autre part, la vérité vraie et totale des choses, et le caractère partiel et superficiel des constructions trompeuses de notre mental, sont les causes de ce désenchantement. En outre, au sein d'un même être, la connaissance et la volonté sont en conflit, avec elles-mêmes et entre elles ; la division et la disharmonie sont telles que même si la connaissance est mûre et suffisante, elle est contrecarrée par quelque volonté dans l'être, ou bien c'est la volonté qui fait défaut ; et si la volonté est puissante, impétueuse, fermement ou vigoureusement efficace, c'est la connaissance qui manque pour la guider et l'aider à trouver son juste emploi. Notre connaissance, notre volonté, notre pouvoir, notre force d'exécution et nos procédés sont, de bien des manières, disparates, mal ajustés, incomplets, et cela affecte constamment notre action et notre organisation de la vie, car c'est une source abondante d'imperfection ou d'inefficacité. Ces désordres, ces défauts et ces disharmonies sont normaux dans un état et une énergie de l'Ignorance — ils ne peuvent être dissous que
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par une lumière plus grande que celle de la nature mentale et vitale. L'identité et l'authenticité, l'harmonie des vérités entre elles, forment le caractère naturel à toute vision et toute action gnostiques. À mesure que le mental atteindra à la gnose, notre vision et notre action mentales, soulevées jusqu'à la lumière gnostique ou visitées et gouvernées par elle, commenceront à revêtir, elles aussi, ce caractère et, même si elles sont encore restreintes et limitées, elles deviendront beaucoup plus parfaites et efficaces dans ces limites; les causes de notre incapacité et de nos désillusions commenceront à diminuer et à disparaître. En même temps, une existence plus vaste s'emparera du mental, y apportant les possibilités d'une conscience et d'une force plus vastes, et faisant apparaître de nouveaux pouvoirs dans l'être. La Connaissance est pouvoir et acte de conscience, la Volonté est pouvoir conscient et acte conscient de la force d'être; toutes deux atteindront dans l'être gnostique une amplitude qui dépassera tout ce que nous avons connu jusqu'à présent; elles auront un pouvoir supérieur et de plus riches instruments, car partout où la conscience s'accroît, s'accroissent aussi la force potentielle et le pouvoir réel de l'existence.
Dans la formulation terrestre de la Connaissance et du Pouvoir, cette corrélation n'est pas toujours évidente, parce que la conscience elle-même y est cachée dans une inconscience originelle ; la force et le rythme naturels de ces pouvoirs sont diminués lorsqu'ils émergent, et dérangés par les discordances et les voiles de l'Ignorance. Ici, l'Inconscient est la force originelle, puissante et automatiquement efficace, le mental conscient n'est qu'un petit agent laborieux; mais cela tient au fait que le mental conscient en nous a une action individuelle limitée, tandis que l'Inconscient est l'action immense d'une Conscience universelle cachée. La Force cosmique, masquée par l'Énergie matérielle, dissimule en effet à nos yeux, par l'insistante matérialité de ses processus, un fait occulte, à savoir que l'action de l'Inconscient est en réalité l'expression d'une vaste Vie universelle, d'un Mental universel voilé, d'une Gnose recouverte. Si telles n'étaient pas ses origines, il n'aurait aucun pouvoir d'action, aucune cohérence organisatrice. La Force vitale aussi, dans le monde matériel, semble être plus dynamique et plus efficace que le Mental. Notre Mental n'est libre et n'atteint toute sa puissance que dans sa conception et sa cognition; en dehors de ce domaine mental, sa force d'action et son pouvoir de réalisation sont obligés de travailler avec la vie et la matière comme instruments ; du fait des
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conditions que celles-ci lui imposent, il se trouve entravé et n'est jamais entièrement efficace. Et pourtant, nous voyons que la force de la Nature dans l'être mental a une action beaucoup plus puissante sur celui-ci et sur la vie et la matière, qu'elle n'en a chez l'animal; c'est sa plus grande force de conscience et de connaissance, et l'émergence d'une plus grande force d'être et de volonté, qui font sa supériorité. Dans la vie humaine elle-même, l'homme vital semble avoir une dynamis d'action plus intense que l'homme mental, du fait de la supériorité de sa force vitale cinétique ; l'intellectuel est efficace dans sa pensée, mais il tend à être inefficace dans son pouvoir sur le monde, tandis que l'homme d'action vital et cinétique domine la vie. Mais c'est l'emploi du mental qui lui permet d'exploiter pleinement cette supériorité, et finalement, par le pouvoir de sa connaissance, par sa science, l'homme mental est capable d'étendre sa maîtrise de l'existence très au-delà de ce que la vie dans la matière peut accomplir par ses propres moyens, ou de ce que l'homme vital peut accomplir avec sa force vitale et son instinct vital sans l'apport de cette connaissance agissante. Un pouvoir infiniment plus grand sur l'existence et sur la Nature interviendra quand une conscience plus grande encore émergera et remplacera les opérations entravées de l'Énergie mentale dans notre force d'être trop individualisée et trop restreinte.
Même dans notre maîtrise mentale la plus grande sur le moi et les choses, le mental reste d'une certaine manière fondamentalement soumis à la vie et à la matière, et il accepte cette sujétion, il est incapable d'imposer directement la loi du Mental et de modifier par ses pouvoirs la loi et les opérations plus aveugles encore des forces inférieures de l'être; mais cette limitation n'est pas insurmontable. L'intérêt de la connaissance occulte est de nous montrer — et la force dynamique d'une connaissance spirituelle nous en apporte aussi la preuve — que cette sujétion du mental à la matière, de l'esprit à une loi inférieure de la vie, n'est pas ce qu'elle semble être de prime abord : un état fondamental, une règle inaltérable et inviolable de la Nature. La découverte naturelle la plus grande, la plus capitale que l'homme puisse faire, c'est que le mental, et plus encore la force de l'esprit, a de bien des manières, connues ou encore inconnues, et dans toutes les directions, le pouvoir de dominer et de maîtriser la vie et la matière ; et ce pouvoir, il le possède naturellement, il peut agir directement, et pas seulement par l'intermédiaire d'appareils et de mécanismes, tels ces instruments matériels supérieurs que les sciences physiques ont découverts. Avec l'évolution
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de la supranature gnostique, ce pouvoir direct de la conscience, cette action directe de la force de l'être, son libre contrôle et sa libre maîtrise de la vie et de la matière atteindront leur plénitude, et leur plus haut accomplissement. Car la connaissance plus grande de l'être gnostique ne sera pas, dans l'ensemble, une connaissance apprise ou extérieurement acquise, elle sera le résultat d'une évolution de la conscience et de la force de la conscience, une nouvelle dynamisation de l'être. L'être gnostique s'éveillera donc à beaucoup de choses qui sont à présent hors de notre portée, et il en aura la maîtrise : une connaissance claire et complète du moi, une connaissance directe d'autrui, une connaissance directe des forces cachées et du mécanisme occulte du mental, de la vie et de la matière. Cette nouvelle connaissance et cette nouvelle action de la connaissance seront basées sur une conscience et une maîtrise intuitives immédiates des choses ; une vision intérieure agissante, qui, à présent, est encore supranormale pour nous, sera le fonctionnement normal de cette conscience, et une efficacité intégrale et assurée, à la fois dans l'ensemble de l'action et dans ses détails, sera le résultat de ce changement. Car l'être gnostique sera à l'unisson et en communion avec la Conscience-Force qui est à l'origine de toutes choses : sa vision et sa volonté seront le canal de l'Idée-Réelle supramentale, de la Force de Vérité dans sa réalisation spontanée; son action sera une libre manifestation du pouvoir et du jeu de la Force fondamentale de l'existence, la force d'un esprit conscient qui détermine tout et dont les formulations de conscience s'expriment inévitablement dans le mental, la vie 8t la matière. Agissant dans la lumière et le pouvoir de la connaissance supramentale, l'être gnostique en évolution sera de plus en plus maître de lui-même, maître des forces de la conscience, maître des énergies de la Nature, maître de ses moyens d'expression dans la vie et la matière. Dans les états moins développés, stades ou formations intermédiaires de la nature gnostique évolutive, ce pouvoir ne serait pas présent dans toute sa plénitude ; néanmoins, il serait actif dans une certaine mesure, à l'état embryonnaire, et il croîtrait à chaque degré de son ascension, accompagnant naturellement la croissance de la conscience et de la connaissance.
Un nouveau pouvoir — ou de nouveaux pouvoirs de conscience seraient donc la conséquence inévitable d'une évolution de la Conscience-Force lorsqu'elle passe, au-delà du mental, à un principe cognitif et dynamique supérieur. Ces pouvoirs nouveaux auront pour caractère fondamental une maîtrise du mental sur la vie et la matière, de la volonté
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vitale et de la force vitale conscientes sur la matière, de l'esprit sur le mental, la vie et la matière. Ils briseront en outre les barrières entre les âmes, les mentalités et les vies ; un tel changement sera indispensable pour que la vie gnostique trouve ses propres moyens d'expression. En effet, une existence gnostique ou divine totale embrassera non seulement la vie individuelle de l'être, mais la vie des autres, devenue une avec celle de l'individu dans une conscience unificatrice commune. Une telle vie doit avoir comme pouvoir constitutif principal une unité et une harmonie spontanées et innées, au lieu d'être construites ; cela n'est possible que si les individus se sentent plus étroitement unis en leur être et leur conscience, unifiés dans leur substance spirituelle, comme si chaque moi était le moi d'une existence en soi unique, comme si tous agissaient avec une force de connaissance unitaire plus grande, un plus grand pouvoir de l'être. Il doit y avoir une connaissance mutuelle intérieure et directe, basée sur une conscience d'unité et d'identité, chacun ayant conscience de l'être d'autrui, de ses pensées, ses sentiments, ses mouvements intérieurs et extérieurs; une communication consciente entre les mentalités et entre les cœurs s'établit, chaque vie a un impact conscient sur les autres vies, chaque force d'être un échange conscient avec les autres forces d'être. Si ces pouvoirs et leur lumière intime font défaut ou sont insuffisants, il ne peut y avoir d'unité réelle ou complète, ni d'ajustement naturel réel et complet de l'être de chaque individu, de ses pensées, ses sentiments, ses mouvements intérieurs et extérieurs avec ceux des individus qui l'entourent. Établir la base et la structure de plus en plus vaste d'un unanimisme conscient, serait, si l'on peut dire, le propre de cette vie plus évoluée.
L'harmonie est la règle naturelle de l'esprit, elle est la loi inhérente et la conséquence spontanée de l'unité dans la multiplicité, de l'unité dans la diversité, d'une manifestation variée de l'unique. Dans une unité pure et vide il n'y aurait évidemment aucune place pour l'harmonie, car il n'y aurait rien à harmoniser; dans une diversité complète ou prédominante il y aurait soit une discorde, soit un ajustement des différences, c'est-à-dire une harmonie artificielle. Mais l'unité gnostique dans la multiplicité fera de l'harmonie une expression spontanée de l'unité; or, cette expression spontanée présuppose une interpénétration des consciences, chacune percevant les autres par un contact et un échange intérieurs directs. Dans la vie infrarationnelle, l'harmonie est assurée par une unité naturelle instinctive, une communication instinctive, une
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compréhension sensorielle instinctive ou vitale-intuitive directe, grâce auxquelles les individus d'une communauté d'animaux ou d'insectes peuvent coopérer. Dans la vie humaine cela fait place à une compréhension née d'une connaissance sensorielle, d'une perception mentale et d'une communication des idées par la parole, mais les moyens auxquels il faut avoir recours sont imparfaits, et l'harmonie et la coopération incomplètes. Dans la vie gnostique — une vie de supraraison et de supranature —, la source vaste et profonde de la compréhension sera une unité de l'être, spirituelle et spontanément consciente, une affinité et un échange, spirituels et conscients, entre natures. Cette vie élargie fera naître des moyens et des pouvoirs nouveaux et supérieurs pour unir intérieurement une conscience à une autre; ses moyens d'expression naturels et fondamentaux seront une intimité de conscience communiquant intérieurement et directement avec les autres consciences, une intimité entre tous dans la pensée, la vision, les sensations, dans la vie et la conscience du corps. Tous ces pouvoirs nouveaux reprendront les vieux instruments extérieurs et les utiliseront comme des moyens subordonnés, avec une puissance considérablement accrue et un plus vaste dessein, pour servir l'expression de l'esprit dans une profonde unité de l'être et de la vie.
Le mental humain ne conçoit pas aujourd'hui que le développement de pouvoirs de conscience innés et latents, mais qui ne sont pas encore apparus dans l'évolution, soit possible, car ces pouvoirs dépasseraient la formulation présente de la Nature, et pour nos préjugés ignorants basés sur une expérience limitée, ils semblent appartenir au surnaturel, au miraculeux et à l'occulte. Ils dépassent en effet l'action connue de l'énergie matérielle qui, de nos jours, est d'ordinaire tenue pour la seule cause, le seul procédé, et le seul instrument de la Force universelle. On admet comme un fait naturel, ouvrant à notre existence des perspectives presque illimitées, que l'être conscient, par ses découvertes et son utilisation des forces matérielles, crée des merveilles humaines qui dépassent tout ce que la Nature avait elle-même organisé ; en revanche, on n'admet pas qu'il soit possible d'éveiller, de découvrir, d'utiliser des pouvoirs de conscience et des forces spirituelles, des forces mentales et vitales dépassant tout ce que la Nature ou l'homme ont déjà organisé. Une évolution de ce genre n'aurait pourtant rien de surnaturel ou de miraculeux, sinon que ce serait l'œuvre d'une supranature, d'une nature supérieure à la nôtre, tout comme la nature humaine est une supranature
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ou une nature supérieure à celle de l'animal, de la plante ou des objets matériels. Notre mental et ses pouvoirs, notre usage de la raison, notre intuition et notre pénétration mentales, notre langage, nos philosophies, nos sciences, notre esthétique, avec les possibilités qu'elles nous donnent de découvrir les vérités et les potentialités de l'être et de maîtriser ses forces, font partie d'une évolution qui a déjà eu lieu; elle semblerait cependant impossible si nous prenions pour base la conscience animale limitée et ses capacités ; car on ne voit rien, chez l'animal, qui soit le gage d'un progrès si prodigieux. Et pourtant, il y a chez l'animal de premières et vagues indications, des éléments rudimentaires ou des possibilités en suspens auprès desquelles notre raison et notre intelligence, avec leurs développements extraordinaires, apparaissent comme un voyage inimaginable depuis un point de départ si pauvre et si peu prometteur. De même, les rudiments des pouvoirs spirituels propres à la supranature gnostique sont déjà présents, même dans la constitution ordinaire de notre nature, mais leur activité n'est encore que fortuite et sporadique. Il n'est pas irrationnel de supposer qu'à ce stade très avancé de l'évolution, un progrès similaire mais supérieur, à partir de ces débuts rudimentaires, pourra conduire vers un autre, un immense développement sur une voie nouvelle.
. Dans l'expérience mystique, on a constaté que de nouveaux pouvoirs de conscience se développent quand se produit l'ouverture des centres intérieurs, ou par d'autres moyens, spontanément, ou par la volonté et l'effort, ou simplement au cours de la croissance spirituelle. Ils sont la conséquence naturelle de l'ouverture intérieure, ou répondent à un appel dans l'être, au point que l'on a jugé nécessaire de recommander au chercheur de ne pas faire la chasse à ces pouvoirs. Il ne doit ni les accepter, ni les utiliser. Ce rejet est logique pour ceux qui cherchent à se retirer de la vie, car toute acceptation de plus grands pouvoirs les attacherait à la vie ou alourdirait leur élan, austère et pur, vers la libération. L'indifférence à l'égard des autres buts ou résultats, est naturel pour l'amant de Dieu qui cherche Dieu pour l'amour de Dieu, et non pour acquérir des pouvoirs ou pour toute autre tentation inférieure ; la recherche de ces forces séduisantes, mais souvent dangereuses, le détournerait de son but. Ce rejet est une maîtrise nécessaire et une discipline spirituelle pour le chercheur encore novice, car de tels pouvoirs peuvent constituer un danger grave, et même mortel ; leur caractère supranormal, en effet, peut facilement contribuer à enfler son ego. Celui qui aspire à
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la perfection a raison de redouter le pouvoir en lui-même comme une tentation, car le pouvoir peut abaisser comme il peut élever; rien ne donne lieu à autant d'abus. Mais quand de nouvelles facultés apparaissent, ce qui est inévitable lorsqu'on progresse vers une conscience et une vie plus vastes, et quand cette croissance devient le but même de l'être spirituel en nous, cet interdit ne tient plus ; car la croissance de l'être en la supranature et sa vie dans la supranature, ne peuvent se produire ou se réaliser pleinement sans apporter avec elles un pouvoir de conscience plus grand et un plus grand pouvoir sur la vie, un développement spontané des instruments de connaissance et de force qui sont normaux pour cette supranature. Dans cette évolution future de l'être, il n'est rien qui puisse être considéré comme irrationnel ou incroyable; il n'y a rien d'anormal ou de miraculeux en elle; ce sera le cours inévitable de l'évolution de la conscience et de ses forces lorsque nous passerons de la formulation mentale à la formulation gnostique ou supramentale de notre existence. Cette action des forces de la supranature sera le fonctionnement naturel, normal et spontanément simple de la nouvelle conscience plus haute et plus grande à laquelle l'être accède au cours de son évolution. En acceptant la vie gnostique, l'être gnostique développera et utilisera les pouvoirs de cette conscience supérieure, de même que l'homme développe et utilise les pouvoirs de sa nature mentale.
Il est évident qu'un tel accroissement du pouvoir, ou des pouvoirs de la conscience, sera non seulement normal mais indispensable pour une vie plus vaste et plus parfaite. La vie humaine avec son harmonie partielle — dans la mesure où cette harmonie n'est pas assurée par une loi ou un ordre établis qui sont imposés aux individus membres de la société (acceptation en partie volontaire, en partie suggérée, quand elle n'est pas obligatoire ou imposée de force) — repose sur l'accord des parties éclairées ou intéressées de leur mental, de leur cœur et de leur vie sensorielle, sur l'assentiment à un ensemble composite où les idées, les satisfactions vitales, les désirs et le but de la vie ont un caractère commun. Mais la masse des individus qui composent la société a une compréhension et une connaissance imparfaites des idées, des buts et des principes de vie qu'elle a acceptés ; son pouvoir est trop imparfait pour les mettre à exécution, sa volonté trop imparfaite pour les maintenir toujours intacts, les réaliser pleinement ou pour conduire la vie vers une plus grande perfection; il y a un élément de conflit et de discorde, une masse de désirs réprimés ou irréalisés et de volontés
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contrecarrées, un ferment d'insatisfaction réprimée, et, parfois, un mécontentement qui s'éveille ou explose, ou des intérêts inégalement satisfaits ; de nouvelles idées font irruption, des mobiles de vie nouveaux qui ne peuvent trouver leur place sans commotion ni bouleversement; des forces vitales sont à l'œuvre dans les êtres humains et leur environnement, qui sont en conflit avec l'harmonie déjà édifiée, et il manque un pouvoir suffisant pour surmonter les discordes et les dislocations créées par les violentes divergences qui opposent le mental et la vie, et par les attaques des forces de désintégration dans la Nature universelle. Ce qui fait défaut, c'est une connaissance spirituelle et un pouvoir spirituel, le pouvoir sur soi-même, un pouvoir né de l'unification intérieure avec les autres, un pouvoir sur les forces universelles qui nous entourent ou nous envahissent, un pouvoir qui ait une vision totale et tous les moyens nécessaires pour réaliser la connaissance. Ces pouvoirs qui nous manquent ou qui sont défectueux, appartiennent à la substance même de l'être gnostique, car ils sont inhérents à la lumière et à la dynamis de la nature gnostique.
Non seulement le mental, le cœur et la vie des individus qui composent une société humaine sont imparfaitement accordés, mais le mental et la vie de l'individu lui-même sont mus par des forces qui ne s'accordent pas entre elles; nos tentatives pour les harmoniser restent imparfaites, et notre force, bien plus imparfaite encore, est incapable de donner, dans la vie, une expression satisfaisante ou intégrale à l'une quelconque d'entre elles. Ainsi la loi d'amour et de sympathie est naturelle à notre conscience, et à mesure que nous croissons spirituellement, elle exige davantage de nous ; mais il y a aussi les exigences de l'intellect, la poussée de la force vitale et ses impulsions en nous, les revendications et la pression de beaucoup d'autres éléments qui ne coïncident pas avec la loi d'amour et de sympathie; et nous ne savons pas non plus comment adapter tous ces éléments à la loi totale de l'existence, ni comment les rendre tous, ou même un seul d'entre eux, entièrement et correctement efficaces ou souverains. Si nous voulons qu'ils s'accordent et portent activement leurs fruits dans la totalité de l'être et la totalité de la vie, il nous faut croître encore pour accéder à une nature spirituelle plus complète, et, par cette croissance, vivre dans la lumière et la force d'une conscience plus haute, plus vaste et plus intégrale dont la connaissance et le pouvoir, l'amour et la sympathie et le jeu de la volonté dans la vie, sont des éléments naturels, toujours présents et en parfait accord.
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Nous devons nous mouvoir et agir dans la lumière de Vérité qui voit intuitivement et spontanément la chose à faire et le moyen de la faire, et qui intuitivement et spontanément s'accomplit dans l'acte et dans la force, parce qu'elle intègre, dans la spontanéité intuitive de leur vérité, dans sa simple normalité spirituelle et suprême, la complexité des forces de notre être, et qu'elle imprègne de leurs réalités harmonisées tous les degrés de la Nature.
Il devrait être évident qu'aucune combinaison rationnelle, aucune construction mentale, si ingénieuse soit-elle, ne peut accorder ou harmoniser une telle complexité; seule l'intuition, la connaissance de soi de l'esprit éveillé, en a le pouvoir. Telle sera la nature de l'être supramental évolué et de son existence; sa vision et son sens spirituels embrasseront toutes les forces de l'être dans une conscience unificatrice et les amèneront normalement à une action concordante, car cet accord et cette concorde sont l'état normal et vrai de l'esprit; la discorde, la disharmonie de notre vie et de notre nature sont anormales pour lui, alors qu'elles sont normales pour la vie de l'Ignorance. En fait, c'est parce qu'elles ne sont pas normales pour l'esprit que la connaissance qui est en nous n'est pas satisfaite et qu'elle fait effort pour établir une harmonie plus grande dans notre existence. Cet accord et cette concorde de l'être tout entier, qui sont naturels à l'individu gnostique, seront aussi naturels à une communauté d'êtres gnostiques, car ils reposeront sur l'union du moi de chacun avec le moi des autres, dans la lumière d'une conscience de soi commune et réciproque. Il est vrai que la vie gnostique ne sera qu'un élément de l'existence terrestre totale et qu'une vie appartenant à un ordre moins évolué se poursuivra; la vie intuitive et gnostique devra donc s'ajuster à cette existence totale et lui apporter autant qu'il est possible sa propre loi d'unité et d'harmonie. Ici, la loi d'harmonie spontanée pourrait sembler inapplicable, puisque les relations de la vie gnostique avec la vie ignorante qui l'entoure ne seront pas fondées sur une connaissance de soi réciproque ni sur la perception d'un être unique et d'une conscience commune ; ce sera un rapport entre une action dans la connaissance et une action dans l'ignorance. Mais cette difficulté ne sera pas nécessairement aussi grande qu'elle nous le paraît à présent; car la connaissance gnostique portera en elle-même une compréhension parfaite de la conscience dans l'Ignorance ; il ne sera donc pas impossible à une vie gnostique bien établie d'harmoniser son existence avec celle de toute la vie moins développée qui coexistera avec elle dans la Nature terrestre.
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Si telle est notre destinée dans l'évolution, il nous reste à voir où nous en sommes actuellement dans la progression évolutive — progression cyclique ou en spirale plutôt qu'en ligne droite, ou qui, tout au moins, a suivi dans son voyage les zigzags d'une courbe très sinueuse —, et s'il est possible qu'elle s'oriente vers une étape décisive dans un avenir proche ou mesurable. Notre aspiration humaine vers la perfection personnelle et la perfection de la vie de l'espèce, nous laisse entrevoir les éléments de l'évolution future vers laquelle tendent ses efforts, dans la confusion d'une connaissance à demi éclairée ; il y a discorde entre les éléments nécessaires, personne n'est d'accord sur l'essentiel, et l'on est submergé par des solutions aussi rudimentaires et peu satisfaisantes que mal accordées. Celles-ci oscillent entre les trois préoccupations principales de notre idéalisme : un développement complet et indépendant de l'être humain lui-même, c'est-à-dire la perfectibilité de l'individu; un développement complet de l'être collectif, c'est-à-dire la perfectibilité de la société; et sur un plan pragmatique plus restreint, des relations parfaites ou aussi bonnes que possible entre les individus, entre les communautés, et entre l'individu et la société. Tantôt l'accent est mis de façon exclusive ou prépondérante sur l'individu, tantôt sur la collectivité ou la société, tantôt sur une relation juste et équilibrée entre l'individu et toute la collectivité humaine. Les uns soutiennent que la ' vie, la liberté et la perfection toujours plus grandes de l'individu sont le véritable objet de notre existence — ce peut être simplement un idéal de libre expression de l'être personnel, ou l'idéal d'un tout autonome qui serait formé d'un mental accompli, d'une vie large et belle et d'un corps parfait, ou encore l'idéal d'une perfection et d'une libération spirituelles. Selon cette conception, la société n'existe que comme un champ d'activité et de croissance pour l'homme individuel et elle ne remplit jamais mieux son rôle que lorsqu'elle lui donne autant d'espace que possible, de vastes moyens, une liberté ou une orientation suffisante pour sa croissance, pour développer sa pensée et son action, et toutes les possibilités d'accomplissement de son être. Pour les autres, c'est la vie collective qui a la première, ou même la seule importance. L'existence, la croissance de l'espèce est tout; l'individu doit vivre pour la société ou pour l'humanité, dont il n'est même qu'une cellule; sa naissance n'a aucun autre but, aucune autre utilité, sa présence dans la Nature n'a pas d'autre sens, pas d'autre rôle. On soutient aussi que la nation, la société ou la communauté est un être collectif qui révèle son âme dans sa culture, sa puissance vitale, ses idéaux, ses institutions, dans tous ses modes d'expression ; la
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vie individuelle doit alors se couler dans le moule de cette culture, servir cette force de vie, consentir à ne plus exister que comme un instrument pour la conservation et l'efficacité de l'existence collective. Suivant une autre conception encore, la perfection de l'homme se trouve dans ses relations morales et sociales avec les autres hommes ; il est un être social et il doit vivre pour la société, pour les autres, pour être utile à l'espèce ; de son côté, la société est là pour le service de tous, pour donner à chacun sa juste place dans l'ensemble, et une éducation, une formation, une opportunité dans le domaine économique, un vrai cadre de vie. Dans les anciennes civilisations, c'est à la communauté et à l'adaptation de l'individu dans la communauté que l'on donnait la plus haute importance, mais l'idée de perfection individuelle transparaissait aussi. Dans l'Inde antique, c'était l'idée de l'individu spirituel qui prédominait; mais la société avait une immense importance, parce que c'est en elle et sous son influence formatrice que l'individu devait vivre tout d'abord, et traverser le stade social de l'être physique, vital et mental où il pouvait satisfaire ses intérêts et ses désirs, sa recherche de la connaissance et de la juste manière de vivre, avant d'être mûr pour une réalisation de soi plus vraie et une libre existence spirituelle. À une époque plus récente, toute l'attention s'est portée sur la vie de l'espèce, sur une recherche de la société parfaite, et dernièrement elle s'est concentrée sur une juste organisation et une mécanisation scientifique de la vie de l'humanité dans son ensemble. On tend de plus en plus maintenant à considérer l'individu comme un simple membre de la collectivité, un simple élément dans l'espèce, dont l'existence doit se subordonner aux buts communs et à l'intérêt global de la société organisée, et de moins en moins, ou plus du tout, comme un être mental ou spirituel qui a un droit et un pouvoir sur sa propre existence. Cette tendance n'a pas encore atteint partout son paroxysme, mais partout elle s'étend rapidement et menace de tout dominer.
Ainsi, suivant les vicissitudes de la pensée humaine, l'individu est tantôt poussé ou invité à se découvrir lui-même et à rechercher l'affirmation de son moi propre, son propre développement mental, vital et physique, sa propre perfection spirituelle ; et tantôt on le somme de s'effacer, de se subordonner et de faire siens les idéaux, les idées, les instincts, les intérêts et la volonté de la communauté. La Nature le pousse à vivre pour lui-même et en accord avec quelque chose de plus profond au-dedans de lui, à affirmer son individualité; et en même temps, la société et un certain idéalisme mental le mettent en demeure
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de vivre pour l'humanité ou pour le plus grand bien de la communauté. Le principe et les intérêts du moi se heurtent au principe de l'altruisme qui les contredit. L'État s'érige en divinité et exige son obéissance, sa soumission, sa subordination, son immolation; contre cette prétention exorbitante, l'individu doit affirmer les droits de ses idéaux, de ses idées, de sa personnalité, de sa conscience. Il est évident que tout ce conflit de valeurs est un tâtonnement de l'Ignorance mentale humaine qui cherche son chemin et saisit différents aspects de la vérité, mais est incapable de les harmoniser tous, parce que sa connaissance n'est pas intégrale. Seule une connaissance qui unifie et harmonise peut trouver le chemin, mais cette connaissance appartient à un principe plus profond de notre être, pour lequel l'unité et l'intégralité sont innées. C'est seulement en trouvant ce principe en nous-mêmes que nous pouvons résoudre le problème de notre existence et, en même temps, le problème de la vraie manière de vivre pour l'individu et pour la communauté.
Il y a une Réalité, une vérité de toute existence, qui est plus grande et plus durable que toutes ses formes et manifestations. Trouver cette vérité, cette Réalité, et vivre en elle, parvenir à la manifester et à lui donner la forme la plus parfaite possible, doit être le secret de la perfection, qu'il s'agisse de l'être individuel ou de l'être collectif. Cette Réalité est là, en chaque chose, et elle donne à chacune de ses formes son pouvoir d'être et sa valeur d'être. L'univers est une manifestation de cette Réalité, et il y a une vérité de l'existence universelle, un Pouvoir de l'être cosmique, un moi total ou esprit universel. L'humanité est une forme, une manifestation de cette Réalité dans l'univers, et il y a une vérité, un moi de l'humanité, un esprit humain, une destinée de la vie humaine. La communauté est une forme de cette Réalité, une manifestation de l'esprit de l'homme, et il y a une vérité, un moi, un pouvoir de l'être collectif. L'individu est une forme de cette Réalité, et il y a une vérité de l'individu, un moi individuel, âme ou esprit, qui s'exprime à travers le mental, la vie et le corps de l'individu et peut s'exprimer aussi dans quelque chose qui dépasse le mental, la vie et le corps, quelque chose qui dépasse même l'humanité. Car notre humanité n'est pas toute la Réalité, ni même sa forme ou son expression la meilleure : avant que l'homme n'existe, la Réalité a assumé une forme et une création infra-humaine, et elle peut assumer après lui, ou en lui, une forme ou une création suprahumaine. L'individu, en tant qu'être ou esprit, n'est pas enfermé dans son humanité — il a été
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moins qu'humain, il peut devenir plus qu'humain. L'univers se découvre lui-même à travers l'individu, et celui-ci se découvre dans l'univers, mais l'individu est capable de devenir plus que l'univers, puisqu'il peut le dépasser et accéder à un absolu au-dedans de lui-même et de l'univers, et par-delà. Il n'est pas non plus enfermé dans la communauté, bien que son mental et sa vie fassent, en un sens, partie du mental et de la vie de la communauté ; il y a quelque chose en lui qui peut aller au-delà. La communauté existe par l'individu, car son mental, sa vie et son corps sont constitués par le mental, la vie et le corps des individus qui la composent; s'ils étaient abolis ou se désagrégeaient, l'existence de la communauté serait elle-même abolie ou désagrégée, bien que son esprit ou son pouvoir puissent se reconstituer en partie en d'autres individus. Mais l'individu n'est pas une simple cellule de l'existence collective; il ne cesserait pas d'exister s'il était séparé ou expulsé de la masse collective. Car la collectivité n'est pas même l'humanité tout entière, et elle n'est pas le monde ; l'individu peut exister et se découvrir lui-même ailleurs dans l'humanité ou indépendamment dans le monde. Si la communauté a une vie qui domine celle des individus qui la constituent, elle ne constitue pas pour autant la totalité de leur vie. Si elle a un être propre qu'elle cherche à affirmer dans la vie des individus, l'individu aussi a un être qui lui est propre et qu'il cherche à affirmer dans la vie de la communauté. Mais il n'est pas lié à elle, il peut s'affirmer dans une autre vie collective, ou, s'il est assez fort, dans l'existence du nomade ou la solitude de l'ermite, et là, s'il ne peut mener une existence matérielle complète, il peut du moins exister spirituellement et découvrir sa propre réalité, le moi intérieur de son être.
L'individu est en vérité la clef du mouvement évolutif; car c'est en se découvrant lui-même qu'il devient conscient de la Réalité. Le mouvement de la collectivité est un mouvement de masse surtout subconscient, et pour devenir conscient, il doit se formuler et s'exprimer dans les individus ; la conscience générale de la masse est toujours moins évoluée que celle de ses individus les plus développés, et elle progresse dans la mesure où elle accepte leur influence et développe ce qu'ils ont déjà développé. En dernier ressort, l'individu ne doit obéissance et fidélité ni à l'État, qui est une machine, ni à la communauté, qui est une parcelle de la vie et non la totalité de la vie ; il doit obéissance à la Vérité, au Moi, à l'Esprit, au Divin qui est en lui et en toutes choses. Le but réel de son existence n'est pas de se subordonner à la masse ou de se perdre en elle,
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mais de trouver et d'exprimer cette vérité de son être intérieur, et d'aider la communauté et l'humanité dans la recherche de leur propre vérité et de leur plénitude d'être. Or le pouvoir de la vie individuelle ou de la Réalité spirituelle qui est en elle, ne devient agissant que dans la mesure où l'individu s'est lui-même développé; aussi longtemps qu'il ne l'est pas, il doit à bien des égards subordonner son moi rudimentaire à ce qui est plus grand que lui. À mesure qu'il se développe, il progresse vers la liberté spirituelle ; mais cette liberté n'est pas entièrement indépendante de l'existence totale — elle en est solidaire, parce que celle-ci aussi est le moi, le même esprit. À mesure que l'individu progresse vers la liberté spirituelle, il progresse aussi vers l'unité spirituelle. L'homme qui s'est réalisé spirituellement, l'homme libéré, se préoccupe du bien de tous les êtres, dit la Gîta ; le Bouddha, après avoir découvert la voie du Nirvana, doit s'en retourner pour ouvrir le chemin à ceux qui sont encore sous l'illusion de leur être artificiel — au lieu de connaître leur être réel — ou non-être; Vivékânanda, attiré par l'Absolu, entend aussi l'appel de la Divinité qui s'est déguisée dans l'humanité, et surtout l'appel de ceux qui sont tombés et qui souffrent — l'appel du moi au moi dans le corps obscur de l'univers. Pour l'individu éveillé, la réalisation de la vérité de son être, la libération, la perfection intérieures, doivent être la recherche essentielle —, d'abord, parce que tel est l'appel de l'Esprit au-dedans de lui, mais aussi parce que c'est seulement par la libération, la perfection et la réalisation de la vérité de l'être que l'homme peut découvrir la vraie manière de vivre. De même, une communauté parfaite ne peut exister que par la perfection de ses individus, et la perfection ne peut être atteinte que lorsque chacun découvre et affirme dans la vie son être spirituel, et quand tous découvrent leur unité spirituelle et l'unité de la vie qui en résulte. Selon nous, il ne peut y avoir de réelle perfection à moins que notre moi intérieur et la vérité de l'existence spirituelle n'assument toute la vérité des moyens d'expression de l'existence, et les unissent, les intègrent, les harmonisent. De même que notre seule liberté réelle est de découvrir et de dégager la Réalité spirituelle qui est en nous, de même notre seul moyen d'atteindre une vraie perfection est d'établir la souveraineté de la Réalité spirituelle pour que celle-ci s'accomplisse dans tous les éléments de notre nature.
Notre nature est complexe et nous devons trouver la clef qui donnera une unité et une plénitude parfaites à cette complexité. La vie matérielle est sa première base évolutive ; c'est le point de départ
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obligatoire, pour l'homme comme pour la Nature : il doit tout d'abord affirmer son existence matérielle et vitale. Mais s'il s'arrête là, aucune évolution n'est possible. Sa préoccupation suivante et plus haute doit donc être de découvrir son existence mentale dans une vie matérielle — à la fois individuelle et sociale — aussi parfaite que possible. Telle fut l'orientation donnée à la civilisation européenne par la pensée hellénique; et la pensée romaine l'a renforcée — ou affaiblie — avec l'idéal d'un' pouvoir organisé. Le culte de la raison, l'interprétation de la vie par une pensée intellectuelle critique, utilitaire, organisatrice et constructrice, le gouvernement de la vie par la science, sont les derniers produits de cette inspiration. Dans les temps anciens, par contre, l'élément créateur et dynamique le plus important était la recherche du vrai, du bien et du beau idéals, et c'est en se conformant à cet idéal que le mental, la vie et le corps pouvaient atteindre la perfection et l'harmonie. Dès que le mental est suffisamment développé, une préoccupation supérieure s'éveille en l'homme, la préoccupation spirituelle : la découverte du moi et de la vérité profonde de l'être, la libération du mental et de la vie humaine dans la vérité de l'Esprit, sa perfection par le pouvoir de l'Esprit, la solidarité, l'unité et l'entente mutuelle de tous les êtres dans l'Esprit. Tel fut l'idéal oriental que le bouddhisme et d'autres disciplines anciennes portèrent jusqu'aux rivages de l'Asie et de l'Égypte et que le christianisme répandit ensuite en Europe. Ces principes, tels de pâles flambeaux, éclairèrent quelque temps l'obscurité et le chaos apportés par le raz de marée barbare qui submergea .les vieilles civilisations, mais ils ont été abandonnés par l'esprit moderne. Celui-ci a trouvé une autre lumière : celle de la science, et le but qu'il a poursuivi est essentiellement économique et social : une organisation matérielle idéale de la civilisation et du confort, l'usage de la raison, de la science et de l'éducation, pour généraliser un rationalisme utilitaire qui fera de l'individu un être social parfait dans une société économique parfaite. De l'idéal spirituel il ne subsista, pendant quelque temps, qu'un humanitarisme mentalisé et moralisé, purgé de toute coloration religieuse, et une morale sociale que l'on jugeait tout à fait suffisante pour supplanter la morale religieuse et individuelle. L'espèce humaine en était arrivée là quand, par son propre élan, elle se trouva précipitée dans un chaos subjectif et un chaos vital où toutes les valeurs reconnues furent renversées et où toute base solide sembla disparaître de son organisation sociale, de sa conduite et de sa culture.
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Or cet idéal, cette insistance consciente sur la vie matérielle et économique, n'était en fait qu'un retour civilisé au premier état de l'homme, son premier état barbare avec ses préoccupations vitales et matérielles, une régression spirituelle qui avait à sa disposition toutes les ressources mentales d'une humanité évoluée et d'une science pleinement développée. Cette insistance sur une existence économique et matérielle parfaite, a sa place dans le tout, parce que c'est un élément dans la complexité totale de la vie humaine ; mais quand cette insistance devient exclusive ou veut l'emporter sur tout le reste, elle est grosse de dangers pour l'humanité, et pour l'évolution elle-même. Le premier danger est la résurgence du vieux barbare primitif, vital et matériel, sous une forme civilisée. Les moyens que la science a mis à notre disposition éliminent le péril d'un renversement et d'une destruction d'une civilisation décadente par des peuples primitifs plus vigoureux ; le péril, c'est la résurgence du barbare en nous-mêmes, en l'homme civilisé. Ce danger nous menace, partout on le voit poindre, et cette résurgence de la barbarie se produira inévitablement s'il n'existe pas un idéal mental et moral assez fort pour maîtriser et élever l'individu vital et physique en nous, ni un idéal spirituel qui, le libérant de lui-même, le fasse pénétrer en son être intérieur. Même si l'on échappe à cette régression, il y a un autre danger : un arrêt de l'élan évolutif, une cristallisation dans une existence sociale stable, confortable et mécanisée, sans idéal et sans horizon, est aussi un dénouement possible. La raison, à elle seule, ne peut pas, pendant longtemps, faire progresser l'espèce, à moins de servir d'intermédiaire entre la vie et le corps d'une part, et, d'autre part, quelque chose de plus haut et de plus grand en l'homme. Une fois qu'il est parvenu au stade mental, en effet, ce qui maintient en lui la tension évolutive, l'élan spirituel, c'est la nécessité spirituelle intérieure, la poussée de ce qui, au-dedans de lui, n'est pas encore réalisé. S'il y renonce, il doit ou bien régresser et tout recommencer, ou bien disparaître, comme tant d'autres formes de vie avant lui. Cela constituerait un nouvel échec dans l'évolution, parce qu'il s'est montré incapable d'entretenir ou de servir l'élan évolutif. Au mieux, il resterait figé dans une sorte de perfection typique intermédiaire, comme d'autres espèces animales, tandis que la Nature le dépasserait et poursuivrait son chemin vers une plus grande création.
L'humanité traverse à l'heure actuelle une crise évolutive qui secrètement recèle le choix de sa destinée; car le mental humain est parvenu à un stade où il a accompli un immense développement dans
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certaines directions, tandis qu'en d'autres il est arrêté et, désorienté, ne peut plus trouver son chemin. Toujours actifs, le mental et la volonté vitale de l'homme ont érigé une structure de la vie extérieure, ingouvernable par son énormité et sa complexité, qui est mise au service de ses impulsions et de ses exigences mentales, vitales et physiques; il a édifié une machine politique, sociale, administrative, économique et culturelle compliquée, des moyens collectifs organisés pour sa satisfaction intellectuelle, sensorielle, esthétique et matérielle. L'homme a créé un système de civilisation qui est devenu trop énorme pour pouvoir être utilisé et manié par ses facultés limitées de compréhension mentale et par ses facultés spirituelles et morales encore plus limitées — c'est un serviteur trop dangereux de son ego fourvoyé et de ses appétits. Car aucune vision mentale plus haute, aucune âme de connaissance intuitive n'est encore venue, à la surface de sa conscience, utiliser cette abondance matérielle élémentaire de la vie pour en faire la condition d'une libre croissance vers quelque chose qui la dépasse. Par son pouvoir de libérer l'homme de l'obsession incessante de ses besoins économiques et physiques insatisfaits, cette nouvelle richesse des moyens d'existence pourrait être une occasion de poursuivre à loisir des buts plus larges qui dépassent l'existence matérielle, et de découvrir une vérité, une beauté et un bien plus élevés, un esprit plus grand et plus divin qui pourrait intervenir et se servir de la vie pour donner à l'être une plus haute perfection ; mais au lieu de cela, cette richesse sert à la multiplication des besoins et à l'expansion agressive de l'ego collectif. En même temps, la science a mis à la disposition de l'homme de nombreux pouvoirs de la Force universelle, et grâce à elle, la vie humaine est devenue une sur le plan matériel ; mais ce qui utilise cette Force universelle, c'est un petit ego humain individuel ou collectif qui n'a rien d'universel dans ses mouvements ou dans la lumière de sa connaissance, aucun sens ou pouvoir intérieur qui créerait, dans ce rapprochement physique du monde humain, une véritable unité de vie, une unité mentale ou une unité spirituelle. Tout ce que l'on voit aujourd'hui, c'est un chaos d'idées mentales en conflit, la flambée des appétits et des besoins physiques individuels et collectifs ; partout se dressent les revendications et les désirs du vital, les impulsions d'une force de vie ignorante, les convoitises et les demandes des individus, des classes, des nations pour la satisfaction de la vie, avec une vaste prolifération de notions et de potions politiques, sociales, économiques, un méli-mélo effervescent de panacées et de slogans au nom desquels les hommes sont prêts à opprimer ou à se laisser opprimer, à tuer ou à se
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faire tuer, et qu'ils cherchent à imposer d'une manière ou d'une autre par les ressources immenses et redoutables dont ils disposent, en s'imaginant que c'est le moyen d'en sortir et d'arriver à quelque solution idéale. L'évolution du mental et de la vie humaine doit nécessairement conduire à une universalité grandissante; mais fondée sur l'ego, sur un mental qui segmente et divise, cette ouverture à l'universel ne peut que créer un vaste pullulement d'idées et de pulsions discordantes, un jaillissement de pouvoirs et de désirs énormes, une masse chaotique de matériaux mentaux, vitaux et physiques mal assimilés et enchevêtrés qui viennent d'une existence plus large et qui, parce qu'ils ne sont pas pénétrés par la lumière créatrice et harmonisatrice de l'esprit, doivent bouillonner dans une confusion et une discorde universelles où il est impossible de construire une vie harmonieuse et plus vaste. Dans le passé, l'homme a harmonisé la vie en organisant ses idées et ses limites ; il a créé des sociétés qui se fondaient sur des idées et des coutumes établies, sur un système culturel fixe ou un système de vie organique, chacune avec son ordre propre ; mais toutes ces choses ont été précipitées dans le creuset d'une vie de plus en plus entremêlée où des idées, des mobiles, des possibilités et des faits toujours nouveaux se déversent, et cela rend nécessaire l'émergence d'une conscience nouvelle et plus grande pour faire face aux potentialités croissantes de l'existence, pour les maîtriser et les harmoniser. La raison et la science ne peuvent y contribuer qu'en normalisant et fixant toute chose dans l'unité d'une vie matérielle artificiellement organisée et mécanisée. Un être intégral, une connaissance intégrale et un pouvoir intégral plus grands sont nécessaires pour fondre tout dans l'unité plus vaste d'une vie intégrale.
Une vie d'unité, de réciprocité et d'harmonie, née d'une vérité plus profonde et plus vaste de notre être, est la seule vérité de vie qui puisse remplacer avec succès les constructions mentales imparfaites du passé qui furent un mélange d'association et de conflit organisé, un accommodement d'intérêts et d'ego groupés ou ajustés pour former une société, une consolidation dictée par des mobiles de vie communs et généraux, une unification par nécessité et sous la pression de la lutte contre les forces extérieures. C'est ce changement, ce remodelage de la vie que l'humanité commence aveuglément à chercher, et de plus en plus, maintenant, avec le sentiment que son existence même dépend de la découverte du chemin. Par son action sur la vie, le mental est parvenu au cours de son évolution à une organisation de l'activité mentale et
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une utilisation de la Matière que l'homme ne peut plus désormais supporter sans un changement intérieur. Il est impératif que l'individualité humaine, égocentrique et séparative même dans l'association, s'adapte à un système de vie qui exige l'unité, la parfaite réciprocité et l'harmonie. Mais parce que le fardeau que doit porter l'humanité est trop grand pour la petitesse actuelle de la personnalité humaine, pour son petit mental et ses petits instincts vitaux, parce que l'humanité ne peut pas effectuer le changement nécessaire, parce qu'elle met ses nouveaux instruments et sa nouvelle organisation au service de son vieux moi vital, infraspirituel et infrarationnel, la destinée de l'espèce humaine semble se précipiter dangereusement, et comme impatiemment et en dépit d'elle-même, vers une confusion prolongée, une crise périlleuse et l'obscurité d'une violente et mouvante incertitude, sous la poussée d'un ego vital saisi par des forces colossales qui sont à l'échelle même de la formidable organisation mécanique de la vie et de la connaissance scientifique qu'elle a développée, et dont les proportions sont telles qu'elle échappe au contrôle de sa raison et de sa volonté. Même s'il s'avérait que cette phase n'est que passagère, ou n'est qu'une apparence, et si l'on découvrait un ajustement structurel tolérable qui permettrait à l'humanité de poursuivre d'une façon moins catastrophique son incertain voyage, cela ne pourrait être qu'un répit. Car le problème est fondamental, et en le posant, la Nature évolutive, en l'homme, se place elle-même en face d'un choix critique qu'il lui faudra résoudre un jour dans le vrai sens, si l'espèce doit atteindre son but ou même survivre. L'élan évolutif pousse à un développement de la Force cosmique dans la vie terrestre, et ce développement a besoin d'un être mental et vital plus large qui le soutienne, un mental plus vaste, une âme-de-vie, Anima, plus grande, plus vaste, plus consciente, unanimisée; et cela exige en outre que l'Âme, le Moi spirituel qui soutient tout au-dedans, se dévoile pour soutenir ce développement.
Tout ce que la pensée moderne nous offre comme lumière pour résoudre cette crise, c'est une formule rationnelle et scientifique à l'usage de l'être humain vitaliste et matérialiste, et de sa vie, la recherche d'une société économique parfaite et le culte démocratique de l'homme moyen. Quelle que soit la vérité qui soutient ces idées, cela n'est évidemment pas suffisant pour répondre aux besoins d'une humanité qui a pour mission d'évoluer au-delà d'elle-même ou qui, en tout cas, si elle doit survivre, doit évoluer bien au-delà de ce qu'elle est à présent. L'instinct vital dans
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l'espèce, et en l'homme moyen lui-même, a senti cette insuffisance et pousse à un renversement des valeurs ou à la découverte de valeurs nouvelles et au transfert de la vie sur de nouvelles fondations. Cela s'est traduit par une tentative pour trouver une base, simple et toute faite, d'unité, de réciprocité et d'harmonie dans la vie commune, pour l'imposer en étouffant la rivalité combative des ego, et créer ainsi une vie collective fondée sur l'identité et non plus sur la différence. Ces objectifs sont certes désirables, mais pour les réaliser on n'a rien trouvé de mieux que la matérialisation obligatoire et triomphante d'un petit nombre d'idées restreintes ou de slogans glorifiés à l'exclusion de toute autre pensée, la suppression du mental individuel, une compression mécanique des éléments de la vie, une unité et un élan mécanisés de la force vitale, une coercition de l'homme par l'État, la substitution de l'ego collectif à l'ego individuel. L'ego collectif idéalisé est devenu l'âme de la nation, de la race, de la communauté ; mais c'est là une erreur colossale qui pourrait bien devenir fatale. La seule formule que l'on ait trouvée, c'est une unanimité, forcée et imposée, de la pensée, de la vie et de l'action, portées à leur plus haute tension, sous la poussée de quelque chose que l'on croit supérieur : l'âme collective, la vie collective. Mais cet être collectif obscur n'est pas l'âme ou le moi de la communauté ; c'est une force vitale qui monte du subconscient et qui, privée de la lumière et de la direction de la raison, ne peut être mue que par des forces massives et ténébreuses qui sont puissantes, mais dangereuses pour l'espèce, parce qu'elles sont étrangères à l'évolution consciente dont l'homme est le dépositaire et le porteur. Ce n'est pas dans cette direction que la Nature évolutive a orienté l'humanité ; c'est un retour à un état qu'elle avait dépassé.
On a essayé une autre solution qui, elle aussi, s'appuie sur la raison matérialiste et sur une organisation unifiée de la vie économique de l'espèce; mais la méthode employée est la même : une compression par la force, une unanimité qu'on impose à la pensée et à la vie, et une organisation mécanique de l'existence collective. Une unanimité de cette sorte ne peut se maintenir que par la suppression de toute liberté de pensée et de vie, et elle doit nécessairement aboutir, soit à la stabilité hautement efficace d'une civilisation de termites, soit au dessèchement des sources de vie et à une décadence lente ou rapide. C'est par la croissance de la conscience que l'âme collective et la vie collective peuvent devenir conscientes d'elles-mêmes et se développer; et le libre jeu du
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mental et de la vie est essentiel à la croissance de la conscience, car le mental et la vie sont à présent les seuls instruments de l'âme, jusqu'à ce que des instruments supérieurs se développent ; on ne doit pas paralyser leur action ni les figer ou leur enlever leur plasticité et leur capacité de progrès. Les difficultés ou les désordres qui proviennent de la croissance de la vie et du mental individuels, ne peuvent être éliminés sans danger par la répression de l'individu ; la vraie guérison ne pourra être obtenue que s'il progresse vers une conscience plus grande où il trouvera sa plénitude et sa perfection.
Pour résoudre ce problème, on a proposé une autre solution, qui consiste à développer, chez l'homme normal, une raison et une volonté éclairées, afin qu'il consente à une nouvelle vie socialisée dans laquelle il subordonnera volontairement son ego pour le bon agencement de la vie de la communauté. Si nous cherchons à savoir comment ce changement radical peut être effectué, deux moyens semblent être suggérés : d'une part une connaissance mentale plus grande et meilleure, des idées justes, des informations correctes, une éducation vraie de l'individu social et civique, et d'autre part un nouveau mécanisme social qui résoudra tous les problèmes par la magie de la machine sociale taillant toute l'humanité sur un meilleur modèle. Mais l'expérience n'a pas prouvé que l'éducation et la formation intellectuelle, malgré tout l'espoir que l'on fondait en elles, puissent à elles seules changer l'homme ; elles fournissent simplement à l'ego individuel et collectif une meilleure information et des outils plus efficaces pour s'affirmer lui-même, mais elles le laissent tel qu'il est, le même ego humain inchangé. Le mental et la vie de l'homme ne peuvent pas non plus être taillés à la perfection — pas même ce que l'on tient pour la perfection et qui n'est qu'un succédané artificiel — par une machine sociale, quelle qu'elle soit ; ni la matière, ni la pensée ne peuvent être ainsi façonnées ; mais dans notre existence humaine, la matière et la pensée ne sont que les instruments de l'âme et de la force vitale. Or une machine n'a pas le pouvoir de façonner l'âme et la force vitale pour les faire entrer dans des formes standardisées ; elle peut tout au plus les contraindre, réduire l'âme et le mental à l'inertie ou les rendre stationnaires, réglementer l'action extérieure de la vie; mais pour y parvenir effectivement, une contrainte et une répression du mental et de la vie sont indispensables et cela signifie encore une stabilité sans progrès, ou une décadence. L'intelligence rationnelle et sa logique pragmatique n'a pas d'autre
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moyen, pour triompher des mouvements incertains et complexes de la Nature, qu'une réglementation et une mécanisation de la pensée et de la vie. Si vraiment elle y parvient, l'âme de l'humanité devra alors, ou bien recouvrer sa liberté et reprendre sa croissance par la révolte et la destruction de la machine dans l'étreinte de laquelle elle a été jetée, ou bien s'échapper par un retrait en elle-même et un rejet de la vie. La véritable issue pour l'homme consiste à découvrir son âme avec la force et les moyens d'expression qui lui sont propres, et qui remplaceront à la fois la mécanisation du mental, et l'ignorance et le désordre de la nature vitale. Ce mouvement de découverte de soi et de réalisation de soi n'aurait que bien peu de place et de liberté dans une existence sociale étroitement réglementée et mécanisée.
Il est possible que le mental humain, dans son mouvement pendulaire, réagisse contre la conception mécaniste de la vie et de la société, pour chercher refuge dans un retour à la pensée religieuse et à une société gouvernée ou sanctionnée par la religion. Mais la religion organisée n'a pas changé la vie humaine ni la société, bien qu'elle puisse fournir à l'individu un moyen d'élévation intérieure, et préserver en elle, ou à l'arrière-plan, une voie d'ouverture à l'expérience spirituelle. Elle n'a pu les changer parce que, pour gouverner la société, la religion a dû pactiser avec les éléments inférieurs de la vie, et elle ne pouvait donc insister sur un changement intérieur de l'être tout entier; elle a insisté uniquement sur la nécessité d'adhérer au dogme, d'accepter formellement ses principes moraux et de se conformer aux institutions, aux cérémonies et au rituel. Ainsi conçue, la religion peut apporter une coloration ou un vernis superficiel éthico-religieux, et, si elle conserve un fort noyau d'expérience intérieure, elle peut parfois, jusqu'à un certain point, généraliser une tendance spirituelle fragmentaire ; mais elle ne transforme pas l'espèce, elle n'a pas le pouvoir de créer un nouveau principe d'existence humaine. Seule une orientation spirituelle totale donnée à toute la vie et à toute notre nature peut soulever l'humanité et la porter au-delà d'elle-même. Une autre conception possible, proche de 'la solution religieuse, serait une société guidée par des hommes spirituellement accomplis, une fraternité et une union de tous dans la foi ou la discipline, une spiritualisation de la vie et de la société en intégrant le vieux mécanisme de vie dans cette unification, ou en inventant un nouveau mécanisme. Cette tentative, elle aussi, a été faite autrefois, mais sans succès ; ce fut l'idée fondamentale à l'origine de plus d'une
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religion ; mais l'ego et la nature vitale de l'homme sont trop puissants pour qu'une pensée religieuse agissant sur le mental et par le mental, vienne à bout de leur résistance. Seules l'émergence complète de l'âme, la descente complète de la lumière et de la puissance natives de l'Esprit, peuvent effectuer ce miracle évolutif, parce que notre nature mentale et vitale insuffisante se trouve ainsi remplacée, élevée, transformée par une supranature spirituelle et supramentale.
À première vue, cette insistance sur un changement radical de nature semble repousser tout l'espoir de l'humanité à un avenir évolutif lointain; car transcender notre nature humaine normale, transfigurer notre être mental, vital et physique, paraît être une entreprise trop haute et trop difficile, et à présent impossible, pour l'homme tel qu'il est. Même s'il en était ainsi, cela resterait malgré tout la seule possibilité de transmutation de la vie; car espérer un vrai changement de la vie humaine sans un changement de la nature humaine est une entreprise irrationnelle et non spirituelle; c'est demander quelque chose d'antinaturel et d'irréel, un impossible miracle. Toutefois, pour s'accomplir, ce changement n'exige pas quelque chose d'inaccessible, d'étranger à notre existence et de radicalement impossible ; car ce qui doit être développé est déjà là dans notre être, ce n'est pas quelque chose d'extérieur à lui : ce que la Nature évolutive réclame, c'est l'éveil à la connaissance du moi, la découverte du moi, la manifestation du moi ou esprit en nous et la libération de sa connaissance, de son pouvoir et de ses moyens naturels d'expression. En outre, c'est une' étape qui a été préparée par l'évolution tout entière et que chaque crise de la destinée humaine rend plus proche, car l'évolution mentale et vitale de l'être arrive au point où la tension de l'intellect et de la force vitale atteint son paroxysme, et ils doivent ou bien s'effondrer pour retomber dans la torpeur de la défaite, le repos d'une quiétude sans progrès, ou bien déchirer le voile qui les empêche d'avancer. Ce qui est nécessaire, c'est qu'un changement d'orientation se produise dans l'humanité —, un tournant que quelques-uns, ou même un grand nombre, pourront sentir —, et que les hommes aient la vision de ce changement, qu'ils sentent sa nécessité absolue, perçoivent sa possibilité, aient la volonté de le rendre possible en eux-mêmes et de trouver le chemin. Cette tendance ne fait pas défaut, et elle ne pourra que s'accroître en même temps que s'accroît la tension de cette crise de la destinée humaine ; le besoin d'une évasion ou d'une solution, le sentiment qu'il n'est d'autre solution que spirituelle, ne peuvent que
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s'intensifier et devenir de plus en plus impératifs devant l'urgence des circonstances. Cet appel de l'être trouvera toujours, nécessairement, une réponse dans la Réalité divine et dans la Nature.
Il se pourrait, en vérité, que la réponse ne soit qu'individuelle; il en résulterait une multiplication d'individus spiritualisés ou même — on peut le concevoir, bien que ce soit peu probable —, un individu ou plusieurs individus gnostiques isolés dans la masse non spiritualisée de l'humanité. De tels êtres isolés, parvenus à la réalisation, devront alors, ou bien se retirer dans leur royaume divin secret et se protéger dans une solitude spirituelle, ou bien agir sur l'humanité avec leur lumière intérieure et, autant que possible dans de pareilles conditions, préparer un avenir meilleur. Le changement intérieur ne peut commencer à prendre corps sous une forme collective que si l'individu gnostique trouve d'autres êtres ayant une vie intérieure semblable à la sienne, et s'il peut constituer avec eux un groupe ayant une existence autonome, ou une communauté séparée, un ordre séparé d'individus, ayant sa propre loi intérieure de vie. C'est ce besoin d'une existence séparée, possédant sa propre règle de vie, adaptée au pouvoir intérieur ou à la force dynamique de l'existence spirituelle et lui donnant son atmosphère naturelle, qui, dans le passé, a revêtu la forme de la vie monastique, ou autres tentatives de vie collective nouvelle, autonome et séparée, différant de la vie humaine ordinaire par son principe spirituel. Essentiellement, la vie monastique est une association de chercheurs qui se retirent de ce monde, d'hommes dont tout l'effort est de trouver et de réaliser en eux-mêmes la réalité spirituelle, et qui fondent leur existence commune sur des règles de vie qui les aident dans leur entreprise. Cet effort ne vise généralement pas à créer une nouvelle forme de vie qui dépasserait les limites de la société humaine ordinaire pour fonder un nouvel ordre du monde. Il se peut qu'une religion ou une autre envisage cet objectif ultime, et fasse un premier effort pour s'en approcher ; un idéalisme mental peut faire la même tentative. Mais l'inconscience et l'ignorance persistantes de notre nature vitale humaine ont toujours triomphé de semblables efforts; car cette nature, avec sa masse récalcitrante, est un obstacle qu'un simple idéalisme ou qu'une aspiration spirituelle incomplète ne peuvent changer ni dominer de façon permanente. Ou bien l'entreprise échoue du fait de sa propre imperfection, ou bien elle est submergée par l'imperfection du monde extérieur, et, des hauteurs brillantes de son aspiration, elle retombe dans un mélange
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inférieur sur le plan humain ordinaire. Une vie spirituelle commune destinée à exprimer l'être spirituel et non l'être mental, vital et physique, doit se fonder et se maintenir sur des valeurs plus hautes que les valeurs mentales, vitales et physiques de la société humaine ordinaire ; privée d'un tel fondement, elle sera purement et simplement une société humaine normale, avec une légère différence. Pour que la vie nouvelle puisse apparaître, il est nécessaire qu'une conscience entièrement nouvelle s'établisse chez un grand nombre d'individus et transforme leur être tout entier, leur moi naturel mental, vital et physique ; seule une telle transformation de la nature mentale, vitale et corporelle générale pourra donner naissance à une existence collective nouvelle et de valeur. La poussée évolutive ne doit pas tendre seulement à créer un nouveau type d'êtres mentaux, mais un autre ordre d'êtres qui ont élevé leur existence tout entière au-dessus de notre présente animalité mentalisée, jusqu'à un niveau spirituel supérieur de la nature terrestre.
Une transformation aussi complète de la vie terrestre dans un certain nombre d'êtres humains ne pourra pas s'établir totalement et d'un seul coup; même quand le tournant critique aura été atteint et la ligne décisive franchie, la vie nouvelle, à ses débuts, devra traverser une période d'épreuves et de développement ardu. Le tout premier pas sera nécessairement un changement général de l'ancienne conscience, changement qui intégrera la totalité de la vie dans le principe spirituel ; la préparation peut en être longue et la transformation, une fois commencée, procéder par étapes. Dans l'individu, à partir d'un certain point, cette transformation peut être rapide et même s'effectuer d'un bond — un saut évolutif; mais une transformation individuelle ne serait pas une création d'un nouveau type d'êtres ou d'une nouvelle vie collective. On peut concevoir qu'un certain nombre d'individus puissent évoluer ainsi, séparément, au sein de la vieille vie, et qu'ils se réunissent ensuite pour former le noyau de l'existence nouvelle. Mais il est peu probable que la Nature procède de cette façon; il serait d'ailleurs difficile pour un individu de parvenir à un changement complet tout en restant enfermé dans la vie de la nature inférieure. À un certain stade, il sera peut-être nécessaire de suivre le système séculaire de la communauté séparée, mais avec un double but; d'abord celui de fournir une atmosphère sûre, une place et une vie à part, où l'individu puisse concentrer sa conscience sur son évolution et dans un milieu où tout est tourné vers l'entreprise unique et centré sur elle; ensuite, quand les choses seront
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prêtes, celui de formuler et de développer la vie nouvelle dans ce milieu et dans cette atmosphère spirituelle préparée. Il se peut qu'avec une telle concentration d'efforts, toutes les difficultés du changement se dressent avec une force non moins concentrée. Chaque chercheur, en effet, porte en lui-même les possibilités, mais aussi les imperfections du monde qui doit être transformé ; il apporte donc non seulement ses capacités, mais ses difficultés et les oppositions de la vieille nature ; et ce mélange, dans le cercle restreint d'une petite vie commune fermée, pourrait agir avec une force d'obstruction considérablement accrue qui tendrait à contrebalancer la concentration et le pouvoir accrus des forces qui travaillent pour l'évolution. C'est cette difficulté qui, dans le passé, a ruiné tous les efforts de l'homme mental pour créer quelque chose de meilleur, de plus vrai et de plus harmonieux que la vie mentale et vitale ordinaire. Mais si la Nature est prête, et si elle a pris sa décision évolutive, ou si le pouvoir de l'Esprit qui descend des plans supérieurs est assez fort, la difficulté sera surmontée et un premier noyau évolutif pourra se créer, ou même plusieurs.
Mais si une entière confiance en la Lumière et la Volonté directrices et une lumineuse expression de la vérité de l'Esprit dans la vie, doivent être la loi, cela semble présupposer un monde foncièrement gnostique, un monde dans lequel la conscience de tous les êtres repose sur cette base; on peut comprendre que dans un monde comme celui-là, les échanges entre individus gnostiques dans. une ou plusieurs communautés, seraient naturellement harmonieux et bienveillants. Mais en fait, la vie des êtres gnostiques ici-bas côtoierait la vie des êtres dans l'ignorance, ou évoluerait en son sein, faisant effort pour émerger en elle ou pour en sortir; et pourtant, ces deux lois de vie paraîtraient s'opposer et s'affronter. Il semble donc inévitable que la vie de la communauté spirituelle ait à s'isoler ou se séparer complètement de la vie dans l'Ignorance ; sinon, en effet, il faudrait arriver à un compromis entre les deux vies, et la plus grande risquerait alors d'être incomplète, ou contaminée par l'autre; deux principes d'existence différents et incompatibles seraient en contact, et même si le supérieur influence l'inférieur, la vie plus petite aura elle aussi son effet sur la plus grande, puisque cette action réciproque est la loi de tout rapprochement et de tout échange. On peut même se demander si le conflit et la collision ne seront pas la loi première de leur relation, puisque dans la vie de l'Ignorance se trouve, présente et active, l'influence formidable des
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forces des Ténèbres, soutiens du mal et de la violence, qui ont intérêt à contaminer ou à détruire toute Lumière plus haute lorsqu'elle entre dans l'existence humaine. L'opposition, l'intolérance, ou même la persécution de tout ce qui est nouveau ou tente de s'élever au-dessus de l'ordre établi par l'Ignorance humaine ou de s'y soustraire, ont été des phénomènes fréquents dans le passé; ou si l'ordre nouveau était victorieux, il se produisait fréquemment aussi une intrusion des forces inférieures, une acceptation par le monde, plus dangereuse que son opposition, et finalement un avilissement, une contamination ou une extinction du nouveau principe de vie. Cette opposition pourrait être plus violente et l'échec plus probable encore, si une lumière ou un pouvoir radicalement nouveaux venaient à revendiquer la terre pour héritage. Mais il faut supposer que la lumière nouvelle, plus complète, apportera aussi un pouvoir nouveau et plus complet. Peut-être ne lui serait-il pas nécessaire de se séparer entièrement de la vie générale ; elle pourrait s'établir en de multiples îlots et, de là, se répandre dans la vieille vie, l'inondant de sa propre influence ou s'infiltrant en elle, gagnant du terrain, lui apportant une aide et une illumination que l'humanité, soulevée par une nouvelle aspiration, finirait peut-être, au bout d'un certain temps, par comprendre et accueillir.
Ce sont là évidemment des problèmes de transition, des problèmes d'évolution, avant que ne survienne le renversement total et victorieux de la Force qui se manifeste, et que la vie de l'être gnostique ne soit devenue partie intégrante de l'ordre terrestre, comme l'est déjà celle de l'être mental. Si nous supposons que la conscience gnostique doit s'établir dans la vie terrestre, le pouvoir et la connaissance dont elle disposera seront beaucoup plus grands que le pouvoir et la connaissance de l'homme mental ; et la vie d'une communauté d'êtres gnostiques, en supposant qu'elle se sépare du reste, serait à l'abri des attaques autant que l'est la vie organisée de l'homme devant les attaques des espèces inférieures. Mais puisque cette connaissance et le principe même de la nature gnostique assureraient une lumineuse unité dans la vie commune des êtres gnostiques, ils suffiraient aussi à assurer une harmonie dominante et une réconciliation entre les deux types de vie. L'influence du principe supramental sur la terre s'exercerait sur la vie dans l'Ignorance et, dans ses limites, lui imposerait l'harmonie. On peut concevoir que la vie gnostique soit une existence séparée, mais elle admettrait sûrement dans ses frontières tous les éléments de la vie humaine qui sont tournés
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vers la spiritualité et qui progressent vers les hauteurs ; le reste pourrait s'organiser surtout sur le principe mental et sur les vieilles fondations, mais avec l'aide et sous l'influence de la connaissance supérieure qui serait dès lors reconnaissable ; il suivrait probablement les voies d'une harmonisation plus complète qui n'est pas encore à la portée de la collectivité humaine. Ici aussi, d'ailleurs, le mental ne peut que prévoir des probabilités et des possibilités ; c'est le principe supramental dans la Supranature qui déterminera lui-même, suivant la vérité des choses, l'équilibre d'un ordre mondial nouveau.
La Supranature gnostique transcende toutes les valeurs de notre Nature ordinaire ignorante ; nos normes et nos valeurs sont créées par l'ignorance et, par suite, ne peuvent déterminer la vie de la Supranature. Mais en même temps, notre nature actuelle dérive de la Supranature; elle n'est pas une pure ignorance, mais une demi-connaissance. Il est donc raisonnable de supposer que toute la vérité spirituelle contenue ou cachée dans les normes et les valeurs de notre nature ordinaire, réapparaîtrait dans la vie supérieure, non comme des normes, mais comme des éléments transformés, dégagés de l'ignorance et soulevés jusqu'à l'harmonie vraie d'une existence plus lumineuse. À mesure que l'individu spirituel universalisé se dépouillera de sa personnalité limitée, de son ego, et qu'il s'élèvera au-delà du mental vers une connaissance plus complète dans la Supranature, les idéaux contradictoires du mental se détacheront de lui, mais la vérité qu'ils dissimulent subsistera dans la vie de la Supranature. La conscience gnostique est une conscience dans laquelle toutes les contradictions sont abolies ou fondues ensemble dans la lumière d'une vision et d'une existence plus hautes, dans une connaissance de soi et une connaissance du monde unifiées. L'être gnostique n'acceptera pas les idéaux et les normes du mental ; il ne sera pas poussé à vivre pour lui-même, pour son ego, ou pour l'humanité, pour les autres, pour la communauté, pour l'État ; car il sera conscient de quelque chose de plus grand que ces demi-vérités : il sera conscient de la Réalité divine, et c'est pour elle qu'il vivra, pour accomplir sa volonté en lui-même et en tous, dans un esprit de vaste universalité, dans la lumière de la volonté de la Transcendance. Pour la même raison, il ne peut y avoir de conflit, dans la vie gnostique, entre l'affirmation de soi et l'altruisme, car le moi de l'être gnostique est un avec le moi de tous, ni de conflit entre l'idéal individualiste et l'idéal collectiviste, car tous deux sont des termes d'une plus grande Réalité, et c'est seulement dans
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la mesure où ils expriment la Réalité et où leur accomplissement sert la volonté de cette Réalité, qu'ils peuvent avoir une valeur pour son esprit. Mais en même temps, ce qui est vrai dans les idéaux mentaux, ce qui en eux se trouve déjà vaguement figuré, trouvera son accomplissement dans l'existence de l'être gnostique ; car bien que sa conscience dépasse les valeurs humaines et qu'ainsi il ne risque pas de remplacer Dieu par l'humanité, la communauté ou l'État, ou par autrui, ou par lui-même, son action dans la vie sera une affirmation du Divin qui est en lui, elle exprimera sa perception du Divin dans les autres et son unité avec l'humanité, avec tous les êtres et avec le monde tout entier, parce que le Divin est en eux, et elle conduira les hommes vers une meilleure et plus haute affirmation de la Réalité qui grandit en leur être. Mais ce qu'il fera sera décidé par la Vérité de la Connaissance et de la Volonté qui sont en lui, une Vérité totale et infinie qui n'est pas liée par une loi ou une norme mentale quelconque, mais qui agit librement dans la réalité tout entière, avec le respect de chaque vérité à sa place et en ayant à chaque pas de l'évolution cosmique, dans chaque événement, chaque circonstance, une connaissance claire des forces à l'œuvre et de l'intention cachée dans l'Élan créateur du Divin.
Pour une conscience spirituelle ou gnostique accomplie, toute vie doit être la manifestation de la vérité réalisée de l'esprit ; seul ce qui est capable de se transformer et de trouver son vrai moi spirituel dans cette Vérité plus grande et de se fondre dans son harmonie, se verra accorder le droit de vivre. Ce qui survivra ainsi, le mental ne peut le déterminer, car la gnose supramentale fera elle-même descendre sa propre vérité, et cette vérité reprendra ce qu'elle avait émané et qui s'était exprimé à travers les idéaux et les réalisations de notre mental, notre vie et notre corps. Les formes que ceux-ci avaient prises ne survivront peut-être pas, car il est peu probable qu'elles soient utilisables dans la nouvelle existence .sans être modifiées ou remplacées; mais ce qui est réel et durable en eux, ou même dans leurs formes, subira la transformation nécessaire pour survivre. Bien des choses qui sont normales pour notre existence humaine, disparaîtront. Dans la lumière de la gnose les innombrables idoles mentales, les innombrables principes et systèmes artificiels, les idéaux contradictoires que l'homme a créés dans tous les domaines de sa pensée et de sa vie, ne pourront inspirer ni adhésion, ni respect ; seule la vérité que cachent ces images trompeuses, s'il en est une, pourra être admise comme élément d'une harmonie fondée sur une base beaucoup
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plus large. Il est évident que dans une vie gouvernée par la conscience gnostique, ni la guerre et son esprit d'antagonisme et d'hostilité, sa 'brutalité, sa violence ignorante et destructrice, ni la lutte politique et ses conflits perpétuels, ses fréquentes oppressions, ses malhonnêtetés, ses turpitudes, ses intérêts égoïstes, son ignorance, son ineptie et sa gabegie, n'auront de raison d'être. Les arts et les métiers continueront d'exister, non comme un amusement inférieur mental ou vital, un divertissement de loisir, un dérivatif excitant ou un plaisir, mais comme les expressions et les instruments de la vérité de l'esprit, de la beauté et de la joie de l'existence. La vie et le corps ne seront plus des maîtres tyranniques qui requièrent les neuf-dixièmes de l'existence pour leur satisfaction, mais des instruments et des pouvoirs qui exprimeront l'Esprit. En même temps, puisque la matière et le corps seront acceptés, et non rejetés, la maîtrise et l'usage correct des choses physiques feront partie intégrante de la vie réalisée de l'Esprit dans la manifestation au cœur de la nature terrestre.
On suppose presque universellement que la vie spirituelle doit nécessairement être une vie de dénuement ascétique, un rejet de tout ce qui n'est pas absolument indispensable au strict entretien du corps ; cela est valable, en effet, pour une vie spirituelle qui, par sa nature et son intention, veut se retirer de la vie. Même en dehors de cet idéal, on pourrait penser que l'orientation spirituelle doit toujours être une quête de l'extrême simplicité, parce que tout ce qui s'en écarte, serait une vie de désir et de jouissance physique. Mais si nous élargissons notre vision, cela nous apparaît comme une règle mentale basée sur la loi de l'Ignorance, qui a le désir pour mobile; pour surmonter l'Ignorance et supprimer l'ego, il se peut qu'un rejet total, non seulement du désir mais de tout ce qui peut satisfaire le désir, intervienne momentanément comme un principe valable. Mais cette règle, ou toute autre règle mentale, ne peut être absolue, et elle ne peut lier par sa loi la conscience qui s'est élevée au-dessus du désir, car la substance même de cette conscience est faite d'une pureté et d'une maîtrise de soi complètes qui demeurent identiques dans la pauvreté comme dans la richesse ; si elles pouvaient être ébranlées ou souillées par l'une ou l'autre, elles ne seraient en effet ni réelles, ni complètes. La seule règle qui gouvernera la vie gnostique, sera l'expression spontanée de l'Esprit, la volonté de l'Être divin. Cette volonté, cette expression spontanée peut se manifester dans une extrême simplicité ou dans l'opulence d'une extrême complexité, ou dans un équilibre naturel
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entre les deux ; car la beauté et la plénitude, la douceur et le rire cachés dans les choses, l'ensoleillement et l'allégresse de la vie, sont aussi des pouvoirs et des expressions de l'Esprit. L'Esprit intérieur qui détermine la loi de notre nature, déterminera aussi, sur tous les plans, le cadre de la vie, ses détails et ses circonstances. Partout se retrouvera le même principe plastique; une normalisation rigide, si nécessaire soit-elle à l'agencement mental des choses, ne peut être la loi de la vie spirituelle. Une grande diversité et une grande liberté d'expression, fondées sur une unité profonde, se manifesteront probablement; mais partout régnera un ordre vrai et harmonieux.
Puisqu'elle mène l'évolution à un statut supérieur, supramental, la vie des êtres gnostiques peut, à juste titre, être qualifiée de vie divine; car ce sera une vie dans le Divin, la vie d'une lumière, d'une puissance et d'une joie spirituelles et divines naissantes, manifestées dans la Nature matérielle. Et puisque cette vie dépassera le niveau mental humain, on peut dire que ce sera la vie d'une surhumanité spirituelle et supramentale. Mais il ne faut pas confondre cette surhumanité spirituelle avec les conceptions passées et présentes du surhomme; car le surhomme, tel que le mental le conçoit, est celui qui surpasse le niveau humain normal; il a les mêmes qualités, mais poussées à un degré supérieur par une personnalité élargie, un ego magnifié et amplifié, un pouvoir mental accru, un pouvoir vital décuplé — c'est une exagération tantôt raffinée, tantôt massive et concentrée, des forces de l'Ignorance humaine. Ces conceptions comportent souvent aussi l'idée implicite d'une domination despotique de l'humanité par le surhomme. Ce serait là un surhomme de type nietzschéen, au pire le règne de la " brute blonde " ou de la brute noire, ou de toute autre brute, un retour à la force, à la violence et à la cruauté barbares — ce ne serait pas une évolution, mais bien un retour à la vieille et impitoyable barbarie. Ou encore, cela pourrait signifier l'émergence du Râkshasa ou de l'Asura, dans un effort acharné de l'humanité pour se surpasser et se transcender elle-même, mais dans la mauvaise direction. Un ego vital démesuré, violent et tumultueux, jouissant de sa force de réalisation suprêmement tyrannique ou anarchique, telle serait la surhumanité de type râkshasique; mais le géant, l'ogre ou le dévoreur du monde, le Râkshasa, bien qu'il survive encore, appartient en esprit au passé ; une émergence de ce type, mais amplifiée, serait aussi une régression. Quant au type asurique, il se caractérise par un grandiose étalage de force irrésistible,
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une capacité mentale et une puissance vitale souveraines, contrôlées par une volonté ascétique; fort, calme, froid, ou redoutable dans sa véhémence contenue, subtil et dominateur, l'Asura est une exaltation à la fois de l'ego mental et de l'ego vital. Mais ce type d'êtres, la terre n'en a connu que trop dans le passé, et leur retour ne pourrait que perpétuer les vieilles ornières ; du Titan ou de l'Asura, elle ne peut tirer aucun profit véritable pour son avenir, aucun pouvoir de dépassement, et même si elle y gagnait un pouvoir grandiose ou supranormal, cela ne ferait qu'élargir les cercles de sa vieille orbite, sans plus. Ce qui doit émerger est quelque chose de beaucoup plus difficile, et de beaucoup plus simple ; c'est un être qui a réalisé son moi, c'est une édification du moi spirituel, une intensité et un élan de l'âme, la libération et la souveraineté de sa lumière, de son pouvoir et de sa beauté — non pas une surhumanité égoïste exerçant une domination mentale et vitale sur l'humanité, mais la souveraineté de l'Esprit sur ses propres instruments, la maîtrise de soi et la maîtrise de la vie par le pouvoir de l'Esprit, une conscience nouvelle en laquelle l'humanité elle-même trouvera son propre accomplissement et son propre dépassement par la révélation de la divinité qui s'efforce de naître en elle. Telle est la seule et vraie surhumanité, et la seule possibilité de faire un vrai pas en avant dans l'évolution de la Nature.
En vérité, ce nouveau statut sera un renversement de la loi qui commande actuellement la conscience et la vie humaines, car il renversera le principe tout entier de la vie dans l'Ignorance. Mais c'est en quelque sorte pour goûter à l'Ignorance, à ses surprises et ses aventures, que l'âme est descendue dans l'Inconscience et qu'elle a revêtu le déguisement de la Matière, pour l'aventure et la joie de créer et de découvrir, une aventure de l'esprit, une aventure du mental et de la vie, avec les imprévus, les hasards de leur jeu dans la Matière, pour la découverte et la conquête du nouveau et de l'inconnu. Tout cela constitue l'entreprise difficile de la vie, et devrait normalement disparaître quand disparaîtra l'Ignorance. La vie de l'homme est faite de lumière et d'obscurité, de gains et de pertes, de difficultés et de dangers, des plaisirs et des douleurs de l'Ignorance, c'est un jeu de couleurs chatoyantes sur le terrain généralement neutre d'une Matière fondée sur la nescience et l'insensibilité de l'Inconscient. Pour l'être vivant ordinaire, une existence privée des réactions qu'entraînent le succès et l'échec, les joies et les chagrins vitaux, le danger et la passion, les plaisirs et les souffrances de la vie, les vicissitudes et les incertitudes du destin, de la lutte et de
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la bataille et de toute entreprise, privée de la joie de la nouveauté, de l'inattendu et de la création se projetant dans l'inconnu, pourrait sembler dénuée de diversité et donc de saveur vitale. Toute vie qui dépasse ces choses tend à paraître vide et terne, et comme prise dans le moule d'une uniformité immuable; l'image que le mental humain se fait du ciel est la répétition sans fin d'une monotonie éternelle. Mais c'est une idée fausse; car entrer dans la conscience gnostique, c'est entrer dans l'Infini. Ce sera une création spontanée manifestant infiniment l'Infini dans les formes de l'existence; or le charme de l'Infini est beaucoup plus grand et plus innombrable, et la joie qu'il nous donne plus impérissable, que le charme du fini. L'évolution dans la Connaissance sera une manifestation plus belle et plus glorieuse que ne peut l'être une évolution dans l'Ignorance, plus intense sur tous les plans, avec des horizons nouveaux qui se déploient sans cesse. La félicité de l'Esprit est toujours neuve, les formes de beauté qu'il revêt sont innombrables, sa divinité éternellement jeune, et le rassa, la saveur des délices de l'Infini, éternelle et inépuisable. La manifestation gnostique de la vie sera plus pleine et plus féconde, et son intérêt plus vif que l'intérêt créateur du monde de l'Ignorance ; ce sera un miracle plus grand et plus heureux, un miracle constant.
S'il y a une évolution dans la Nature matérielle, et si c'est une évolution de l'être ayant la conscience et la vie comme termes-clefs et comme pouvoirs, cette plénitude d'être, cette plénitude de conscience et de vie doivent être le but du développement vers lequel nous tendons, et tôt ou tard ce but se manifestera dans le cours de notre destinée. Le moi, l'esprit, la réalité qui se dévoile et émerge de la première inconscience de la vie et de la matière, déploiera la vérité complète de son être et de sa conscience dans cette vie et dans cette matière. Il retournera à lui-même — ou pourra aussi bien retourner à l'Absolu, si telle est sa finalité individuelle —, non par une répression de la vie, mais par une pleine réalisation spirituelle de lui-même dans la vie. Notre évolution dans l'Ignorance, avec les vicissitudes, les joies et les souffrances de la découverte de soi et de la découverte du monde, avec ses demi-accomplissements, ses découvertes et ses échecs constants, n'est que notre premier état. Elle doit mener inévitablement à une évolution dans la Connaissance : l'Esprit doit se découvrir lui-même et se déployer, le Divin se révéler dans les choses avec son vrai pouvoir inné, dans une Nature qui, pour nous, est encore une Supranature.
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(Les définitions suivantes sont le plus souvent tirées des écrits de Sri Aurobindo.)
acitti -
adevî mâyâ - la mâyânon divine.
adhikâra -
adhyaksha —
adhyâropa - imposition.
advaita (Advaïta) - monisme ; l'école du monisme védântin.
advaitin (Advaïtin) - adepte de l'Advaïta ; moniste védântique.
âdyâ shakti (Âdyâ Shakti) - Pouvoir originel ; la Conscience et le Pouvoir ' suprême au-delà de l'univers ; la Mère transcendante.
agni (Agni) - le feu ; le dieu du feu ; la flamme de la Volonté divine ou la Force de la conscience à T'œuvre dans les mondes.
ahamkâra - le sens de l'ego ; le principe subjectif qui amène le purusha à s'identifier à la prakriti et à son action.
akshara (Akshara) - le Moi immuable, immobile, silencieux et inactif, (cf.kshara)
ânanda (Ânanda) - Béatitude, Félicité ; le principe essentiel de la félicité; Félicité inhérente qui est la nature même de l'existence transcendante et infinie.
anandamaya(purusha) -
anirvachanîya - inexplicable et ineffable ; inconcevable ou inexprimable par la raison.
anîsha -
anritasya bhûreh - une immense fausseté. (Rig-Véda 7.60.5.)
anumantâ - celui qui donne son assentiment.
aparârdha - l'hémisphère inférieur ; la moitié inférieure de l'existence universelle. (cf. parârdha)
apraketam salilam - l'océan de l'Inconscience. (Rig-Véda 10.129.3.)
ashanâyâ mrityuh — la Faim qui est la Mort. (Brihadaranyaka Upanishad , 1.2.4.)
asat - le Non-être ; la négation de toute existence, (cf.
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asura -
ashwattha (Ashwattha) - le figuier, symbole de la manifestation cosmique.
âtman (Âtman) - le Moi, l'Esprit :;(la nature originelle et essentielle de notre existence ; par rapport à l'individu, le Suprême est notre vrai et suprême moi, âtman. (cf. brahman)
âtmashakti (Atma Shakti) - le pouvoir du Moi, le pouvoir de l'âme et le pouvoir spirituel.
avidyâ (Avidyâ) - l'Ignorance ; l'Ignorance de l'unité ; la conscience de la multiplicité ; la conscience relative et multiple, (cf. vidyâ)
avidyâyâm antare - au sein de l'Ignorance. (Katha Upanishad 1.2.5 ; Mundaka Upanishad 1.2.8.)
bâlavat -
bhakta - adorateur du Divin.
bhayânaka -
bhûri
bîbhatsa -
brahmaloka - le monde du brahman dans lequel l'âme, une avec l'existence infinie, est cependant capable de jouir de la différenciation dans l'unité.
brahman (Brahman) - l'Absolu, l'Esprit, l'Être suprême ; la Réalité ; l'Éternel.
brahmavidyâ - la connaissance du Brahman.
brihat (Brihat) - le Vaste, l'Immense ; la vaste conscience de soi.
buddhigrâhyam atîndriyam - ce qui n'est pas perceptible par les sens, mais que la raison peut appréhender. (Gîta 6.21.)
chaitya purusha -
chit-shakti (Chit Shakti) - la Conscience-Force ; le pouvoir conscient intégral de l'Être suprême.
chit-tapas (Chit Tapas) - la Conscience-Force ; l'énergie pure de la Conscience.
citti -
deva -
devanâm adabdhâ vratâni —
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dharma (Dharma) - la Loi éternelle, l'Ordre cosmique, le Bien ; la norme de Vérité, la loi d'action ; litt. : ce à quoi l'on se tient et qui tient ensemble toutes choses ; la loi qui régit la nature essentielle de l'individu.
ekâtma-pratyaya-sâram -
eko vashî sarvabhûtântarâtmâ - l'Esprit unique, calme et souverain au cœur de toutes les créatures. (Katha Upanishad 2.2.12.)
gîta (Gîta) - forme abrégée de shrîmad-bhagavadgîtâ ; le Chant du Bienheureux, l'enseignement spirituel que Shrî Krishna dispense à Arjuna sur le chant de bataille de Kurukshétra et qui forme un épisode du Mahâbhârata.
goloka - le monde resplendissant de l'Amour, de la Beauté et de l'Ananda ; le Ciel de Beauté et de Félicité éternelles des vishnouites.
hathayogin - celui qui pratique le hathayoga ; l'utilisation du corps pour l'ouverture à la vie divine sur tous lès plans.
hridya samudra — l'Océan du cœur.
îshvara (Îshwara) - Seigneur et Maître ; Dieu ; le Divin.
îshvara-shakti (Îshwara-Shakti) - le principe duel du Seigneur et de son Pouvoir de réalisation.
iti iti - " c'est ceci, c'est cela. " (cf. neti neti)
jadavat- tel une chose inerte entre les mains de la Nature, mue par les forces et les circonstances.
jîvâtman (Jîvâtman) - le moi individuel ; le moi de la créature vivante ; l'esprit individualisé qui soutient l'être vivant dans son évolution de naissance en naissance.
jugupsâ -
kâlî (Kâlî) - la face " obscure " de la Mère universelle ; la divine Shakti.
karma (Karma) - l'action et ses conséquences ; le pouvoir qui, par sa continuité et son développement en tant que force subjective et objective, détermine la nature et la finalité des existences de l'âme.
karuna -
karun
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kshara -
kshara purusha : l'âme qui imprègne 'action, les mutations, les devenirs. successifs de la Nature., (cf. akshar)
lîlâ- jeu ; le jeu cosmique ; la manifestation en tant que Jeu divin.
mahat- la matrice originelle et fondamentale de la conscience dans la Nature ['où émerge l'individualité ; le vaste principe cosmique de la Force.
mahatî vinashtih - "
manas -
manomâyâ(purusha) -
manomayah prâna-sharira-netâ -
mantra -
manu (Manu) - le Penseur ; l'être mental dans un corps terrestre.
mâra -
mâyâ (Maya) - la conscience phénoménale ; la conscience créatrice ; dans lé Véda, ce terme signifiait à l'origine la connaissance globale et créatrice, l'antique sagesse ; par la suite, il a pris les sens dérivés de ruse, magie, illusion.
mâyâvâda (Mâyâvâda) - illusionnisme.
mâyâvâdîn -
mukti -
nara - l'être humain, (cf.
nârâyana -
nâstyanto vistarasya me —
neti
nirguna (brahman) —
nirvâna (Nirvana) - annihilation libératrice ; extinction, pas nécessairement de tout l'être, mais de l'être tel que nous le connaissons ; extinction de l'ego, du désir, de l'action et de la mentalité égoïstes.
nivritti -
pâpa - péché, démérite.
parabrahman (Parabrahman) - l'Être suprême; le Divin supracosmique; l'Absolu hors du temps et de l'espace.
paramâtman - le Moi suprême ; l'Absolu.
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parâ prakriti (Para Prakriti) - la Nature suprême ; la nature originelle, éternelle de l'Esprit ; le pouvoir conscient, infini et intemporel, de l'être existant en soi, hors duquel toutes les existences cosmiques sont manifestées.
para purusha (Para Purusha) - l'Âme suprême ; Dieu ; le Moi qui contient et goûte aussi bien l'immobilité que le mouvement, sans être conditionné par l'un ou par l'autre.
parârdha -
parâtpara -
pishâcha (Pishâcha) - Démon ; être hostile du plan vital inférieur.
pishâchavat - tel une âme sauvage et démente ; le maniaque divin ou le divin démoniaque.
pradhâna -
prajnâ -
prâjna - le Moi dans son profond sommeil ; le Maître de la Sagesse et de la Connaissance.
prajnâna (Prajnâna) - la Conscience-de-Vérité appréhensive ; dans le mental divin, c'est la connaissance qui regarde les choses et se perçoit comme leur source, leur possesseur et leur témoin.
prakriti (Prakriti) - la Nature ; la force réalisatrice du Seigneur ; l'Âme de la Nature ; l'Énergie et la Volonté qui accomplit tout dans l'univers.
prâna (Prâna) - la vie ; l'énergie de vie ; la force de vie dans le système nerveux ; la dynamis ou kinesis vitale.
prânamaya purusha
pravritti ( Pravritti) - activité ; mouvement, impulsion ; l'élan vers l'action; l'évolution de l'âme dans l'action, (cf. nivrittï)
prithivî (Prithivî) - la terre ; le Principe Terre.
punya -
purusha (Purusha) - l'Être conscient ; l'Âme consciente ; l'être essentiel qui soutient le jeu de la Prakriti ; une Conscience, ou un Être conscient, qui, Seigneur et témoin, connaît, goûte et soutient les œuvres de la Nature et y consent ; la Personne vraie ou spirituelle, (cf. prakrit
purusha-prakriti
purushottama (Purushottama) - le Suprême ; l'Être conscient suprême ; la
Personne divine suprême.
râjasique - de la nature du rajas, le dynamisme qui se traduit par la lutte et l'effort, la passion et l'action.
râkshasa (Râkshasa) - géant ; être hostile du plan vital intermédiaire.
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rassa (Rassa) - sève ; essence ; goût ; délice.
rishi (Rishi) - voyant ; sage.
rita-cit -
ritam (Ritam) - le Juste ; la vérité de la connaissance et de l'action.
ritam
ritasya
rûpam
sadanam ritasya —
sad brahman -
sâdharmya - identité de nature ; devenir un avec le Divin en la loi de notre être et de notre action.
sâdharmya mukti -
sâshûnâm râjyam —
sâdrishya —
saguna (brahman) -
sâlokya mukti -
samâdhi -
samam
sâmrâjya -
sânkhya -
sânkhyas - les adeptes du
sannyâsin
sat (Sat) - être ; existence ; ce qui est vraiment.
satchidânanda (Satchidânanda) - Existence
sâttvique -
satyam -
satyam ritam -
shakti (Shakti) - Énergie ; Force ; Volonté Pouvoir ; la Force-Consciente; Force de l'âme ; le Pouvoir inné du Seigneur qui s'exprime dans les crions de la prakriti.
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shiva (Shiva) - l'un des dieux de la trinité hindoue, le Destructeur.
shruti (Shruti) - ouïe ; inspiration ; la connaissance reçue par l'écoute de la Vérité ; la Révélation.
shûnya (Shûnya) - le vide ; le Néant.
soma - le vin sacré qui représente l'extase de la divine félicité d'être.
sthânu -
sûkshma deha -
sûkshma drishti - la vision subtile.
sûkshma indriya - organe subtil.
sushupti - sommeil profond ; l'état de sommeil.
svabhâva (Svabhâva) - le principe du devenir du moi ; la nature essentielle et le principe inné de l'être dans chaque devenir ; tempérament spirituel, caractère essentiel.
svadharma (Svadharma) - la loi d'action propre à chaque être.
svarâjya (Svarâjya) - maîtrise de soi.
svarûpa - forme innée du moi, de l'être profond ; essence et nature vraies de l'être.
sve dame ritasya -
syâd va na syâd va - cela peut être, ou ne pas être.
tama âsît tamasâ gûdham -
tamas (Tamas) - le principe "l'inertie de la conscience et de la force ; la force d'inconscience, qui se traduit par des qualités telles que l'obscurité, l'incapacité et l'inaction.
tâmasique -
tantra (Tantra) - système de yoga qui repose sur l'idée que le Pouvoir de la Conscience (la Mère, la Shakti) est la Réalité suprême. *
tapas (Tapas) - chaleur ; énergie ; la Force divine ; le principe essentiel de l'énergie ; l'énergie de la conscience.
tapasyâ -
tathâstu -
titikshâ -
tucchyena -
turîyam dhâma -
turîyam svid -
unmattavad -
upanishad (Upanishad) - la connaissance intérieure ; ce qui pénètre et s'établit dans la vérité ultime ; écrits philosophiques postérieurs au Véda.
vasudhaiva
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vâyu(Vâyu)—air. Vent, souffle ; le Seigneur de la Vie; la volonté et l'énergie .fondamentales dans le cosmos, qui élabore et déterminé les formes, l'action et la dynamis.
veda (Véda) - " Le Livre de la Connaissance " la plus ancienne des Écritures de l'Inde.
vedânta (Védânta) - " la culmination du Véda " ; système de philosophie et ; discipline spirituelle fondé sur les Upanishad.
vidyâ (Vidyâ) - la connaissance ; la Connaissance la plus haute ; la conscience de l'Unité (cf.
vishnu
vishvamânava — l'homme universel.
vrindâvana (Vrindâvan) - le Ciel de Beauté et de Félicité éternelles des vishnouites.
yoga - union ; l'union de l'âme avec l'être, la conscience et la félicité immortelles du Divin ; effort méthodique vers la perfection de soi, par l'expression des possibilités latentes dans l'être et par une union de l'individu avec l'Existence universelle et transcendante.
yogakshema -
yogamâyâ
yogin (yogi) - celui qui pratique le yoga ; celui qui a atteint la réalisation spirituelle.
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A
Absolu (1') 43, 50, 95, 97,180-82, 303, 347-50, 352-53, 355-56, 359-61, 368-72, 381-82, 386, 389-90, 394, 408-14, 416-20, 434, 442-43, 455, 482, 491, 494, 501, 504-07, 511-14, 522, 535-36, 606-07, 615, 623, 636, 640, 642-43, 679-83, 698-99, 703-05, 713, 734, 742-44, 746, 788-89, 885, 896, 955,1052,1082,1104,1123
Action 32, 94, 477, 795, 856
Advaïta 42, 45,181, 464, 800, 801
Agni 183Agnosticisme 21-24, 451, 525, 608
Ahamkâra 101Air 359,648
Altruisme 453, 594, 665, 671, 741,1060,1102,1118
Âme 18-19, 60,101,103,106,125,131-32,166,173,192, 202, 219,1-23, 268, 316, 347, 360,367,371,382,384,387,392, 433-34, 482,521,545, 600-01, 686, 707, 746, 763, 812, 815-16, 818-19, 829, 831, 906,1050, 1055,1109
Âme de désir 254-57,259,299
Âme divine 40, 55,173,1-17,187,193, 717
Amour 44, 63,115,185, 225,227,251,259,261,350-51, 387, 512, 745,964, 1038,1048
Ânanda 65,123,131,175,184,225,263,283,300,324,360,426,439,534,, 632,648,653,705,789,886,968,985,1031,1035,1043-46
Anima 850, 1109
Animal 14,19, 55, 62, 72,109-10,118,162,164, 202, 206, 209, 215, 240, 265, 310, 359-60, 366,370, 375, 416, 430, 450,465,558,598,630,733,740, 756-57, 760, 762, 768, 778-79, 781, 783, 809, 844, 875, 890-91, 902, 905,917,950-51,1042,1091,1095
Animisme 744, 920,1094
Appel de l'Infini 668,684Appel spirituel 672Art 130,392,732,915
Ascension 37, 51, 58, 60-61,139,152, 235, 248-49, 261, 290, 295, 300, 314, 391, 423, 444, 462, 512, 608, 703, 717-18, 737, 749-50, 752, 757,' 761,-775-76, 780, 784-85, 787, 803, 807, 812, 831, 877, 889,,893, 934, 943, 952,954,963-66,1043-44,1063,1093
Ascension de la Vie 1-21,231,251
Ascension vers le Supramental 11-26
Ascétisme 37,910,935
Aspiration 37,140,178, 246, 278, 281, 306, 429-31, 504, 521, 560, 647, 672, 720-21, 723, 775, 816, 871, 892-94, 897, 908, 910-11, 921-22, 931, 933-34, 957, 963-64, 974, 998,1013,1043,1076, 1084,1114,1117
Aspiration humaine 1-1,926,1100 "
Astrologie 859
Asura 645,1075,1121-22
Athéisme 23,734
Atman 1983,88,169,258,351,359,361,381,464
Atome 132,194-95, 206, 208, 211, 213, 215-16, 218, 224, 231-33, 235, 272, 335,363,373,438,619,629,704,758
Attachement 53,122, 312, 426, 445, 503, 666, 685, 847-49, 866, 869, 914, 968, 983,1036,1041,1059 .
Avidyâ 49, 56, 65, 527-28, 531-32, 535, 713
B
Barbarie 1106,1121
Béatitude 14, 36, 46, 59, 63-65,113,116,126-27,131,133,150,166,169-70, 185, 188, 225, 251-52, 259, 292, 296, 298-300, 302-03, 317, 350, 360, 385,836,1044
Beauté 36, 130-31, 253, 257, 259-61, 285, 336, 338, 350, 386, 417, 425, 442, 512, 647, 652, 665, 673, 723, 735, 745, 779, 830-31, 855, 858, 860, 871, 954-56, 964,1005,1022,1034,1038-39, 1041,1045, 1048,1063,1067, 1087,1107,1120, 1122-23
Bhakta 955
Bien 75-76, 115, 259, 365, 425, 640, 645-46, 652-53, 667, 669, 863, 954,1060
Bouddha 43-44,55,115,452,500,524,608,1104
Bouddhisme 36, 49, 65, 799, 800,1105
Brahmaloka 292
Brahman 18-19, 35, 37, 40-41, 42, 45-46, 48-49, 51-52, 54-55, 61, 74, 83-85, 88, 91, 112-13,149,152, 155,165,180, 261, 273, 276, 346, 348,11-2, 410-12, 426-27, 434, 455, 465-68, 479-86, 487, 488, 490-93, 495, 497-504, 506, 510, 514, 523-24, 527-28. 535, 543, 612-19, 622, 639, 679-82, 684-86, 741, 746, 792, 807, 810,1036,1041,1044
Brihadâranyaka Upanishad 23, 217, 447, 488, 562, 592, 638, 701, 841, 874
C
Calme 41, 44, 59,90,262,405,616-17, 651, 695,1033,1042,1044-45
Causalité 27,159,170, 180, 360, 542, 546, 551
Cerveau 100,105,265,290,477,528,764,870,902
Page 1136
Chândogya Upanishad 89,728
Changement de conscience 96, 670, 700, 781, 788, 894-96
Chit 65,98,108,213,269,288,382,391, 610
Christianisme 1105
Circumconscient 580, 600, 624, 699,1013-14
Civilisation 883, 920,1085,1105-07,1110
Cœur 73, 76,133, 234, 254, 258-59, 261, 393, 646, 670-73, 744, 768-69, 897,. 929, 932-34, 943-44, 948, 954-56, 960-62, 964, 966-68, 983-84, 986-88, 990,1011-12,1032-33,1045,1058-59,1097-98
Concentration 44, 61, 90,103,152,165-67,173-75,181-82,194-95,199, 212, 220, 288, 308, 322-23, 379, 381, 404, 427, 437-38, 463, 489, 557, 586, 611-14, 619-20, 622-31, 634-35, 639, 684, 697, 704, 771-72, 806, 870, 923, 960, 965, 986, 1116
Connaissance 11-7,11-15,11-17,11-19
Connaissance complète 367, 401, 581, 583, 681, 708, 747
Connaissance gnostique 1099
Connaissance intégrale 142, 355, 360, 377, 436, 560, 570, 578, 604, 616, 678-79, 681, 685, 689, 695-700, 703, 709-11, 749, 776, 912, 932, 970, 997, 1108
Connaissance par contact direct 563, 565, 570, 577, 579, 587
Connaissance par identité 24, 80, 82, 91, 358, 563, 565, 570, 573, 579, 581, 583, 585-87, 589-91, 593, 641, 687, 703, 938,1003,1031,1061
Connaissance pragmatique "569, 731
Connaissance spirituelle 203, 276, 476, 525, 584-85, 591, 672, 674, 703, 921-22, 937-39,957,1045,1077,1087,1092,1098
Connaissance védântique 1-8, 294
Conscience-de-Vérité 140,149,152-54,1-15,169-71,175,179,181,185,187, 189,192,198-200, 202-04, 260-62, 270, 308-10, 314-15, 348, 350, 356, 364, 469, 474, 509, 657-58, 669, 674, 679, 689, 708, 710, 877, 896, 907, 915, 970-71, 983-84,1021,1028,1040,1058,1062,1064-65,1085-86
Conscience-Force 166,195, 209, 213, 219, 300, 308, 313, 317322-23. 332, 340, 345-46, 351, 360, 376, 382, 385-86, 389-91, 397-98, 400, 426, 514, 539, 570, 611, 623, 624, 634, 639, 689, 736, 744, 752, 761, 789, 826, 854, 860, 863, 865, 875, 878, 880, 886, 889, 895, 897, 909, 942, 964, 969, j 974,976,978,980,984,992,1007,1016,1024,1042,1056,1086,1093
Conscience collective 738
Conscience cosmique 24, 30, 33-35, 39-40, 44, 52,164, 260, 302, 308, 413, 466, 491, 500, 503, 506-07, 511-12, 580-83, 679, 695, 698, 724, 738, 740, CI 742,788,804,934,961,963, 984, 991,1003-05,1028-29,1081 :
Conscience divine 51,158,164,169,171-73,188-89, 202-03, 229, 239,258, 420, 438, 442, 519, 544, 652, 705, 707-09, 726, 787
Conscience du corps 670, 875, 990,1044, 1079,1095
Conscience intégrale 302, 378, 611, 627, 634, 730, 750, 772
Conscience psychique 961
Page 1137
Conscience spirituelle 509, 583, 585, 590, 674, 678, 680, 696, 722-23, .731749, 772,775,819,840,902,906,910,913,916,936,939, 987-88,1013, 1029,1040,1061-62, 1078,1083,1119
Conscience vitale 107-08, 653, 729, 810, 988-89
Conscience yoguique 984
Constructions mentales 451,650,1108
Contradictions 19, 48, 59, 64, 85, 113, 254, 262, 408-09, 418, 426, 432, 442, 484,510,533,572,725,1020,1024,1045,1118
Corps 140,142,189,204,220,246,267
Corps divin 285,289
Corps subtil 31, 294, 793, 798, 822, 847, 872,1004
Corps vital 232
Cosmos 102,305,477,707,745
Création 433,1025
D
Darwinisme 230
Descente supramentale 1021
Désir 1-20, 291, 819
Destin 753,857,859,905,1122
Détachement 90,130-31, 344, 380, 383, 504, 550, 552, 564-65, 573, 720, 960
Déterminisme 289,338,980
Devenir 56, 97,126, 261, 355, 412, 479, 527, 681, 683-85, 691, 700, 704-05, 709, 712-13, 715-16, 724, 727, 730-31, 777, 786, 794-96, 799, 802-03, 812
Dharma 663,989,1052,1056
Dieu 12,18-19, 27, 40, 49-50, 52, 55, 60. 61, 62, 63, 64, 68, 70, 73, 76, 97, 114-16,138-39,155, 158,165,169,171,174, 179,183-85,189, 220, 257, 276, 282, 285, 339, 386, 392, 408-10, 416, 430-32, 441, 443, 503-04, 521-22, 560, 603, 645, 651-52, 668, 707, 715, 721,11-17, 756, 768-69, 788-89, 792, 806, 826, 830, 897, 925, 933-34, 955-56, 966,1032, 1048,1096,1119
Diversité 152,181,242,246,256,318,336,368,375,377,468,490,507,510, 519,633,643,666,683,686,688,698,725,732,743,745-46, 749, 860, 867, 881, 938-40, 962, 998, 1009,1020, 1024-25,1027,1036-37, 1038-39, 1051,1062-64,1067, 1086-87,1094,1121, 1123
Divin (le) 23, 28, 37, 51, 56, 60, 63, 68, 71, 75, 116,158,173-74,178, 182,185, 225, 240, 285, 292, 300, 318, 351, 370, 372, 400, 404-05, 420, 426, 429, 430, 433, 435, 500, 520-21, 526, 560, 673, 723-24, 733, 735-36, 740, 788, 811, 830,877,895,923-24, 961, 963, 987, 999, 1028,1033,1038, 1041,1059-60,1073,1084, 1119,1121,1123
Douleur 12, 45, 53, 63, 68-69, 72-76,107, 113-15,119-20, 125-32, 211, 223, 255-57, 277, 279-83, 324, 418, 424, 426, 429, 439-40, 491, 534, 598,
Page 1138
642, 647-48, 650, 665, 865, 967, 989,1005,1030,1035,1042-43,1079
Dualités 1-7
Dynamis 213, 3-94, 312-13, 316, 319, 346, 349, 371-72, 490, 492, 494-95, 514, 938, 991-92,1008,1026,1052,1058,1072,1092,1098
E
Éducation 109, 453, 721, 740, 855, 864,1076,1101,1105,1111
Égalité 102,131-33,165, 236, 257, 441, 531,1033,1043,1087
Ego 1-7,101,11-9
Ego collectif 664, 671,1084-85,1089,1107,1110
Ego individuel 33, 75, 165, 666,1039,1110-11
Ego séparateur 405, 594, 741, 788,1046,1059,1084
Égypte 928,1105 ,
Émotions 70, 80, 90,114,119, 247-48, 253, 255, 259-60, 568, 572, 624, 927, 947,955,962,983,996,999,1003-04
Énergie consciente 35,470,731,889
Énergie cosmique 205, 462, 470, 534, 582, 646, 650, 706, 736, 746, 864, 926, 980
Énergie créatrice 337, 709, 730, 756, 891
Énergie évolutive 707,769,902,948
Énergie inconsciente 338, 384, 387, 454, 729, 884, 900,1069,1071
Énergie matérielle 103, 209, 215, 318, 339-40, 395, 744, 751-52, 890, 927, 980, 998,1091
Énergie mentale 344, 891, 980,1092
Énergie universelle 26, 213, 345, 611, 639, 642, 650, 706,805, 927, 976, 978, 1042
Entité psychique 253, 258-60, 259, 299, 360, 385, 423, 496, 561, 572, 578, 600, 625, 652, 663, 672, 699, 715, 796-98, 846-47, 866-67, 871-72, 876, 891, 895-96, 906-07, 944, 947-48, 953, 957, 959-60, 962, 984-85
Épicure 433
Erreur II-14
Espace 27, 54, 61, 84, 90, 93, 97,100,136,159-62,165, 170-72,175,193,195, 205, 223,225,301,334,360,364,373,394-97, 406, 414, 481,501,519, 542-43, 546, 551, 555, 593, 603-04, 680, 698-99, 744, 746, 900, 1007
Espace spirituel 396
Esprit 267-70, 371-72, 385-88, 390, 697-700, 752, 761-62, 808-10, 858-60, II-24, 991-92,1026, 1039-44, 1052,1099
Esprit et Matière 30, 39, 268, 275, 285, 603, 709-10, 795
Éternel 135, 205, 318, 347-48, 351-52, 355, 371, 393-95, 397-98,11-3, 427, 456, 481-84, 491-94, 496-97, 501, 504-06, 511, 529, 541, 544, 546, 679, 685, 704-05, 714, 725, 734, 792, 796, 801-05, 877, 934, 942, 966,1044, 1047-48, 1060
Éternité 347,393-94,397-98,494,954,1034
Page 1139
Éther 95,100, 249,272, 287, 302, 360, 493, 601¦,788, 924
Éthique 33,113-18, 365, 453, 651, 667-68, 718, 721-22, 731, 778, 854, 860, , 862,908,933,1046, 1050-51
Être 1-27 .
Être central 127, 868, 950, 953, 960, 990
Être conscient 35, 40, 54, 76, 104, 110, 115,125-26, 219, 242, 268, 271, 273, 308, 341, 361, 391, 629, 707, 817, 858, 884
Être cosmique 345-46, 504, 581, 673, 706, 745, 817-18, 926, 981
Être de transition 754, 897
Être gnostique 997,11-27,1083,1084, 1086-87, 1091,1093, 1097-98,1117-19
Être intérieur 24, 196, 210, 263, 265, 312-13, 325, 438, 461-62, 552, 570, 572-73, 575, 578-80, 582, 587, 591, 595-97, 600-01, 626, 634, 646, 673, 706, 712, 722, 760, 769, 772, 786, 828, 840, 847, 863, 870, 897, 909, 911-12, 922, 937, 957-59, 961, 963, 976, 984-85, 989,1003,1013,1034, 1046,1077,1081,1085,1104,1106
Être psychique 215, 258, 260, 263, 403, 440, 574, 602, 652, 673, 765, 847, 851, 853, 859, 865, 868, 934, 945, 947, 949, 979
Être spirituel 284, 313, 346, 358, 424, 454, 480, 497, 536, 594, 615, 665, 700, 731, 742, 754, 768, 776, 779, 784-85, 789, 795, 815, 820, 835, 853, 866, 868, 892-93, 897, 903-04, 906-07, 911, 925, 932, 935, 936, 939, 946,954,967,979,992,1005,1029,1032,1052,1055,1060-61,1072, 1074-75, 1081-82, 1085-86,1089,1097,1104, 1115
Europe 20-21, 694, 1105
Évolution II-18, 874, 898
Évolution et involution 26, 214, 420, 648, 707, 726, 803-07
Évolution spirituelle 712, 719, 722, 726, 779, 789, 803, 811, 815, 843, 845-46, 849,864,875,877,883,886,894,903,906, 908,919, 922, 924-25, 934-35, 937-38,964,967,985,1006,1010,1013,1017, 1073
Existence divine 44, 179,193, 276, 301, 404-05, 425, 443, 631, 643, 674, 705, 710,729,731,736,745
Expérience intérieure 21, 364, 390, 463, 645, 822-23, 827, 849, 911, 925, 956, 1034,1072, 1082-83,1112
Expérience psychique 845
Expérience spirituelle 23, 86, 175, 207, 259, 348, 350, 352-53, 358, 360, 366, 392, 401, 406, 410,420,433,435,455,489,500,505-06, 583, 612, 650, 680,695,705,709,834,837,908,911-13, 918, 921,923,925,929,931, 932,933,934,939,958,986,1019,1112
Extase 19,114, 120, 185, 302, 487, 505, 512, 586, 647-48, 726, 930, 933, 956-57, 961, 964-65, 998,1036, 1044-45
F
Faim 224-25
Félicité d'être ,74,113,120,133, 350, 367, 439, 512, 534, 585, 666, 705, 729,
Page 1140
730, 731,832,992,1006,1031,1034,1043,1044,1045,1046,1063, 1066,1078,1080
Fini et Infini 281-82, 333, 334, 361, 363, 374, 378, 570, 681, 685
Foi 15,46,73,85,424,430,438,453,540,793,908,915,918.923,995,1112
Force-Consciente I-10,113,117-20,122,124,131,136-37,140,148,159, 170-71,173,185,187-88, 215-16, 220, 239, 241, 251-52, 269-70, 282, 284, 288, 291, 300-01, 406, 552, 556, 558, 604, 619, 623, 629, 635, 655, 939,978
Forces adverses 642, 989
Forces cosmiques 571, 577, 582, 645-46, 734, 926, 961,1004,1028
Force supramentale 752, 970, 985-86,1008,1016,1022-23
G
Génie 311,452,627,692,931,1027
Gîta 70,82,91,162,168,186,238,260,331,357,374,399,422,447,475, 529, 562,616, 637, 677, 728, 790, 898, 931, 934-35, 935, 941,1041, 1073,1104
Gnose 299,303,752,757,762,768,803,975,981,991,1003,1005,1008, 1017,1021,1023,1025-27,1044,1053,1060-62,1064,1065,1066, 1067,1071-72,1090-91,1119
Guerre 246,266-67,321,417,1120
H
Habitudes 37,46, 72,122,128,289,294-95, 341, 363,459, 576, 599, 889, 949, 951,960,982-83,996
Harmonie 40, 259, 645
Hasard 141,158, 203, 242, 337-38, 340, 639, 724,1069-70
Héraclite 321
Hérédité 233, 792-94, 876, 879
Homme 1-6,11-17,11-23
Homme mental 449, 624, 657, 766-69, 876, 903, 932, 952, 976,1007,1082, 1092,1116-17
Homme réel 245, 407, 628, 630, 740
Homme spirituel 257, 768-69, 902-03, 910, 934-36, 940, 942-43, 955,1026, 1032,1035,1073
Homme universel 27, 416, 808, 811
Hypnose 81,129,558
I
Idéal 12, 37, 44, 52, 62, 74, 146,190, 243, 248, 294, 667-68, 672, 712-13, 715, 723, 730, 763, 767-68, 771, 778, 915, 925, 932-34, 934, 936, 952, 1074-75, 1105-06,1-118,'1120
Page 1141
Idéalisme 140y721, 769, 779, 908, 947,1100-01,1114
Idée-Réelle 140,152-54,171,188, 190, 192,196,198, 204,219, 272, 298, 303, 317-18,341,369,589,817,880,1031,1040,1093 :
Identité 24, 27, 393, 465, 468, 805,1059
Ignorance 11-7,11-8,11-11,11-12,11-13,11-19
Illusion 53, 244-45, 433, 469-70, 476,478-79, 483, 491, 503-04, 517, 530-31, 801
Illusionnisme 142,452,465,476,478,483,488,491,503,505,704,910
Illusion cosmique 36,40,433,11-5,11-6,529,800-01
Imagination 346-48,481
Immortalité 12-14,19, 56, 63, 74, 85,122, 200, 223, 225, 229-30, 246, 279, 281-82, 292, 296, 408, 520-21, 527, 540, 543, 681, 704, 717-18, 725, 730, 732, 742, 786, 792-94, 796, 799, 855, 871-73, 966
Imperfection 49, 51, 72,130,182, 263, 289, 407, 424-44, 453, 474, 481, 568, 659, 726, 763, 774,809,812,832-33, 893, 913, 937, 944, 968,979,982, 989-90,1013,1019,1021,1027-28,1051,1065,1078,1087-90,1114, 1116
Impersonnalité 44, 257, 262, 311, 316, 318, 382-83, 387, 390,420,' 661, 736, 954-55,1047
Impureté sexuelle 968
Inconscient (1') 242-44, 256, 284, 337-38, 340, 379, 384, 387, 444, 459, 462, 520, 522, 535, 558, 560, 589, 595, 599, 601, 629, 640, 648-49, 662, 690, 710-11, 729, 738, 742, 771, 782-83, 794-95, 804, 816-17, 828-29, 839, 884,900-01,982,997,1022,1070-71,1089,1091,1122
Inde 20-21, 36-37,48,88,100,207,294,304,452,669, 721, 730, 787, 887, 915,923-24,995,1101
Indifférence 45,125-28,130-32, 255-56, 279, 433, 441, 650, 827,1096
Individu 1-5,11-3
Individualité psychique 846
Individu gnostique 1026-27,1046,1050,1053,1059,1064,1085,1099,1114
Individu spirituel 175, 378, 403, 406, 707, 740-41, 805, 871,1007,1083,1101, 1118
Inertie 13,19, 60-61, 63, 225, 266, 270, 279-82, 284, 384, 426, 434, 614, 653, 662,751,836,875,888,910,961,969,999,1015,1111
Infini 42, 49, 69, 84,104,136,138,173, 176,191,194, 224-25, 260, 265, 268, 269, 272, 282-83, 285, 303, 320, 324, 333-34, 339-40, 346, 348-49, 352-56, 358-59, 362-81, 398, 418, 435-36, 446, 455, 464, 469, 471-72, 502, 507, 510-13, 519-20, 608, 614, 634-36, 653, 668-69, 679, 684-86, 704-05, 708, 726, 730, 733-35, 741, 746, 805, 854-55, 872, 877-79, 884, 916, 938, 954-55, 964, 966, 980, 983, 1005, 1016, 1019, 1021, 1031, 1045, 1050, 1055, 1064, 1067, 1123
Initiation 918,958
Inspiration 149, 243, 312, 473, 668, 907, 915, 999,1002,1024,1105
Instinct 15, 20, 45, 74,114-15, 122, 129, 230, 342. 364, 425, 598, 645, 651,
Page 1142
655,657,667,759,875,901,915, 925, 946, 950, 977,1092
Intégration 51, 670, 674, 721, 724, 726, 749, 761, 768, 770-72, 775, 785, 787, 832,852,868,872,940,962,988,990,993,997,999,1003, 1009-11, 1019,1051,1062
Intelligence humaine 229, 401, 657, 660, 754, 759, 778, 782, 889, 977, 993
Intraconscient 600, 624, 699, 783
Intuition 85-87, 311, 314-15, 325, 359, 991, 1002
Involution 26,136,190, 214, 216, 298, 305, 309, 323, 325, 340, 354, 420, 462, 514,533,583,588-89, 601, 615, 644, 648, 707,726,729,753,815,834, 875, 890, 904,913,1071
Îshâ Upanishad 47,162, 177, 204, 250, 303, 307, 399, 422, 680
Îshwara 75,169, 351, 359-61, 367, 383, 386-88, 390-92, 398, 498-500, 514, 858, 907, 956, 960-61,1005,1052,1055,1059-60
J
Jîvâtman 173,606-08,800
Joie 76,123,132,136, 188,205, 255,-257, 263, 296, 302, 317, 319, 324, 350-51, 360, 412, 425,454, 705, 707-09, 731, 817, 942
Joie d'être 1-11,121-33
Justice 183,185, 203, 236, 242, 417, 664, 731, 745, 854-55, 857-58, 861-62, 865,1048,1051
K
Karma 36, 94,115, 452, 477, 524, 538, 626, 651, 795, 796, 799,11-22, 883, 1055
Katha Upanishad 77, 99, 250, 331, 422, 562, 592, 649, 736, 814, 874, 941
Kéna Upanishad 24-25,121, 422
L
Langage 18, 20, 24, 42-43, 46, 66, 93, 95, 100,117,138,167,185, 359, 369, 392, 406, 408, 410, 412, 506, 520, 526-27, 549, 551, 576, 680, 690, 703, 800, 931, 973-74, 1026, 1059, 1096
Libération 28, 36, 53-55,131, 289, 295, 382, 400, 408, 427, 430, 441, 474, 484-86, 499, 503-04, 524, 615-16, 672-73, 722, 739, 741, 750, 801, 802, 807, 830, 852, 907, 932, 934, 959, 1040-41, 1043-44, 1051-52, 1058, 1087, 1104-05
Liberté 12,14, 39-40, 42-44, 54-55, 63, 76,104, 128-29,176, 180, 236-37, 262, 277,301,303,316,353,368-69, 382-83,390,394,410,424,435,501, 534, 580, 647, 685, 708, 713, 739, 777, 830-31, 843, 881, 907, 916, 940, 979,1015, 1026,1030, 1032-33,1052-58, 1060,1064,1079-80,1086, 1100,1110,1112
Liberté spirituelle 59, 389, 807, 858, 924,1030, 1052-53, 1055, 1080, 1087, 1104
Page 1143
Lîlâ 125, 376, 420-21, 443-46, 7-18, 803y805, 886
Logique 30, 50, 53-54,176, 346, 370, 410-12, 461, 483-84,.523, 530, 713,.862, 884,930,993-94,1111
Logique de l'Infini 359, 364, 368, 370-71, 374-75, 381, 389; 393, 412, 511, 854
Loi cosmique 303, 860-62, 865
Lumière 12-14, 55, 83, 137-38,148,161, 184,190, 248, 263, 315, 325, 373, 423, 512, 519, 521, 525, 539, 543, 645-46, 653, 737, 816, 943-44, 956, 958, 964, 968, 985, 990, 996-99, 1003,1005, 1008,1015,1022, 1038-39, 1063, 1084,1116-17
Lumière spirituelle 916, 989, 997, 999 11-14
M
Mal II-14
Mandûkya Upanishad 29,157, 331, 592
Manifestation 353, 455, 507, 516, 535
Mantra 995
Matérialisme 22, 25, 33, 37,105, 776-77, 892, 919, 925
Matière I-24, 274-85
Matière et Esprit 30,39,268,275,285,603,795
Mâyâ 19,
Mâyâ divine 1-13,188, 526
Mâyâ du Surmental 1-28
Mémoire 141,11-8,11-9
Mémoire subliminale 870
Mensonge 45, 175,11-14
Mental 148-56,1-18,1-28
Mental cosmique 254, 271-72, 291, 311, 313, 315, 318, 321-22, 580, 745
Mental et Supramental 147,148-56,185,1-18, 203, 204, 218-20, 226, 229-30, 252, 261, 269-71, 283-84, 291-92, 300, 303-04, 317-18, 878-79, 991-92, 1006-07
Mental illuminé 314, 769, 991, 997-1000,1010-11
Mental sensoriel 69, 79-81, 84-85, 212, 215, 268, 282, 384, 396, 450, 462, 522, 552, 567, 659, 754, 756-57, 764, 776-77, 781-83
Mental spirituel 261, 322, 354, 356, 768-69, 850, 934, 938, 970, 974, 990, 1006, 1016,1043-45,1065
Mal supérieur 62,197, 314, 761, 768, 784, 889, 891, 991, 994, 997-1000, 1011,1040,1061,1066
Mal universel 106, 140, 219, 268, 270, 318, 344-45, 689, 715, 783, 896, 996, 1080,1091
Page 1144
Mère divine 386, 390-91
Métaphysique 87,207,359,892
Moi (le) 23, 35, 41-43, 45-46, 53-55,123,166-67,173, 182-83, 258, 313, 351-52, 381-82, 385-88, 392, 432, 434, 440, 463-64, 478, 486-88, 503, 507, 528, 534, 539, 545-46, 553-54, 581, 697-98, 706-07, 736, 795, 800, 801, 804, 887, 911, 955, 957, 959, 961, 963, 987, 1005, 1026, 1029, 1053, 1060, 1109
Moi cosmique 311, 360, 376-77, 381, 391, 570, 580, 582, 601, 678, 680-81, 706,730,934,1005-06,1026,1029,1046
Mondes vitaux 831, 850
Monisme 19,26,33,45,799
Mort 64, 69,1-20, 289, 332, 527, 730, 873
Mort et Vie 69,223,224,225,227,332
Mot 181
Multiplicité 40,49,55-56,76,284,527,622
Mundaka Upanishad 23, 543, 572, 605, 637, 677, 814, 899
Mysticisme 15, 18, 410, 696, 928, 932, 935
N
Naissance 786
Nature II-17
Nature humaine 430, 443, 717, 721, 763, 809, 882, 903, 906-07, 910, 916, 924, 933, 936, 953-54, 958-59, 962, 967, 982,1015, 1066,1095, .1113
Nature supramentale 812,975,1019-20,1038,1054
Néant 41-42, 64, 93-94,119, 289, 334, 478, 512, 550, 608-09, 795
Nescience 332, 338, 535, 632, 804-05, 807-08, 816, 819, 827-28, 875,1007, 1016,1021,1023,1066,1070 Nirvana 43, 55, 65, 72, 313, 427, 443, 456-57, 506-07, 522, 6Q8, 618, 687, 713, 741, 795,962,991,1104
O
Obscurantisme 15,312,694,892
Occultisme 696,911-12,917-19,921,924-29,930,932
Omnipotence 13, 27, 40, 63,155,184, 225-26, 388, 435, 439, 443, 455, 473, 689
Omniprésence 155,193,400,432,435,1037
Omniscience 27, 63, 141, 155, 184, 225-26, 435, 438, 469, 473, 607, 689
Ouverture psychique 962, 985
Ouverture spirituelle 962, 985, 1003,1013
Page 1145
P
Paix 12, 43, 53, 60-61, 65, 2.47-48, 281, 324, 344, 404-05, 435, 441, 483, 505-06, 512, 647, 681, 684, 726, 741, 957, 966, 997-98,1032-33,1035, 1043-45
Parabrahman 347,545,683,690,713
Pensée humaine 100, 117, 414,449,451,695,715,817,821,1101
Perfection 12, 37, 43, 55, 58-59, 69, 73, 75,143, 146,188, 190, 230, 245, 248, 251, 260, 263, 288, 292, 404, 424, 426, 428-31, 434-35, 440-41, 453-54; 589, 668, 710, 712, 714-16, 719, 725-26, 733-34, 741, 745, 747, 761, 763, 767, 777, 812, 833, 850, 866, 878, 881-82, 897, 914, 931-32, 936, 938, 946, 957, 962, 967, 973, 987-88,1003,1010,1014-16, 1023,1027, 1034,1038-42, 1046,1065, 1067,1070-75, 1084, 1087-89,1096-97, 1100-02, 1104-07, 1111
Persona 1049-50
Personnalité de surface 572, 852, 870, 957
Personnalité mentale 253, 551, 600, 661, 847, 872, 906,1022,1083
Personnalité psychique 258-59, 847, 945, 947-49, 953, 956, 960, 963, 987
Personne 62, 258-59, 261, 317-18, 346, 352, 361, 386-88, 390, 402, 496, 502-03, 553, 573, 707, 741, 794, 796-97, 800, 805, 807, 847, 867, 871, 873, 950, 956-57, 981,1027,1029,1047-50.1055,1059
Perversion 130, 195, 200, 202, 220, 425-26, 433. 444-45, 644, 648, 670, 861
Philosophie 26, 53, 78, 86, 101-02,142,155,175-76, 216, 268, 316, 383, 452-53, 455, 484, 491, 497-98, 505, 507, 609, 612, 705, 711, 793, 802, 912-13, 931, 939
Philosophie spirituelle 432, 911, 913, 921, 931
Plaisir 33, 64, 72, 76, 107, 114, 119-20, 125-28, 130-32, 190-91, 211, 220, 223, 255-57, 263, 283, 324, 389, 421, 426, 450, 534, 598, 650, 665, 705, 729, 731, 757, 762, 860, 865, 989, 1035, 1044, 1120
Plantes 107,206-08,336,589,895
Plan mental 659, 663, 766-67, 784-85, 840, 848, 890, 959,1034,1065
Plan physique 798,806,823,830,839,848,859
Plan supramental 355
Plan vital 663, 767,1034
Poésie 130,901
Pouvoir conscient 34, 179, 281, 292, 349, 360-61, 381, 408, 435, 480, 744, 980, 1091 .
Pouvoir créateur 284, 325, 382, 432, 469, 479, 494, 681, 751, 817, 880
Pouvoir d'illusion 244-45, 470, 476, 484, 514, 682
Prakriti 19, 61, 68, 98, 103-04,124-25,125, 132,166,192-93, 203-04, 316, 344-46,11-2, 445, 482, 604, 622, 629, 632, 634, 681, 687-89, 763, 816, 858, 895, 959, 976, 982, 1016, 1055
Prâna 216,304
Prithivî 23,218
Page 1146
Progrès 12,22,25,34,37,64,72,86,128, 143,159,280,289, 306, 645, 678, 716,11-17, 749, 753, 765, 770, 776-77, 803, 806-07, 825, 860, 873,, 877-78, 884, 892, 895, 919, 929, 932, 967, 1111
Progrès humain 62, 69-70, 883
Psychanalyse 459
Purification 957-58,960
Purusha 62, 75, 88, 104,106,108, 202, 247, 271, 351, II-2, 402-04, 426, 433, 496, 573, 610,686,741,765,788,794,801,805-06, 808, 813, 818,853, 867, 872, 891,905,949,951, 957, 978,1026,1046-47,1050
Purusha et Prakriti 18-19, 61, 68,102-103,124-25,166,192-193, 315-16, 344-46, 445-46, 481-82, 629, 634, 681-82, 687-89, 762-63, 858, 895-96, 959-60, 982, 1016-17, 1055
R
Rassa 130,255-57,989,1123
Réalisation de soi 25, 51,136,182, 247, 612, 673, 995.1025,1101,1112
Réalisation spirituelle 263, 266, 354, 505, 669, 679, 697, 908, 911, 928, 934, 966,1073,1123
Réalité 1-4,11-6,11-15
Réalité fondamentale 84, 97,167, 275, 349, 395-96, 697, 704-05, 714,1081
Réalité intégrale 506, 533, 616-17, 678-79, 703,1063
Réalité omniprésente 44, 46, 48, 354, 358-59. 361, 368, 400, 432, 437, 533, 536, 674,1044
Religion 320, 430, 452, 507, 645, 651, 664, 667-68, 732, 744, 770, 774,11-24, 1112,1114
Renaissance 115, 452, 595,11-20, 815,11-22, 876, 876-77, 883, 895
Rêve 30, 35, 40, 46, 50, 73-74,123,133, 265, 295, 396, 434,11-5, 476, 486-89, 488, 527-28, 545, 560, 684, 801, 897
Révélation 50, 58, 60, 87,138, 149, 243, 334, 373, 386-87, 496, 699, 725, 727, 743,805,827,830,885,906,909,913,926, 942,994, 1004,1021,1036, 1038, 1050, 1069, 1071, 1122
Rig-Véda 11, 25,27,76,120,134,140,168, 217,228,249,269,274,286,297, 307,321,399,475,518,520,525, 537, 548, 588, 592, 621, 637, 702, 748, 773, 814, 828, 842, 874, 898, 941, 972, 1018, 1068
S
Sânkhya 26,103,193,347,384,482,604,688
Sannyâsin 37
Satchidânanda 49. 59, 64-65, 68-69, 74, 78,113-20, 131-33, 136-37,139, 149-50,170-73,179-80,187-88, 200, 204, 221, 225, 235, 239-43, 251-52, 267,270,273,277,299,301,303,305,356,398,412,421,423,446, 601,608, 610-12, 617, 623, 632, 636, 709,762,805,807,811,817,819, 837-38, 987, 1035, 1066-67
Page 1147
Sat et Asat-42,49-50
Scepticisme 12,15,82,770
Science 25-27, 37, 40, 70, 74, 86, 90,102,105, 108,189, 202, 206-07, 232-33, 257, 268, 294, 333-35, 414-15,450,470,505,508,567,589, 646, 696-97, 732, 744, 746, 754-55, 770, 777, 779, 872, 879, 889, 892, 915, 926-29,1088,1092,1105-08
Sélection naturelle 881,887
Sensation 59, 65, 72-74,102,105,120,122,132,167,:188,190, 211-12,215-16, 273, 291, 305, 544, 552, 554, 573, 590, 593, 655-56, 659, 729, 765-66, 800, 905, 907, 1005, 1045
Sensation spirituelle 999 ,
Sens (les)'26, 32, 34, 70, 79, 81-82, 84,101, 105,160,163, 216, 254, 271, 275, 285, 287-88, 290-91,317,325,340,384,395,464,478, 500, 508, 510-11,544, 551, 567, 579, 659, 732, 734, 757, 759, 776, 822, 966, 999
Sens intérieurs 82,373,462,692,827
Sens physiques 21, 30, 32, 86, 276, 287, 574, 596, 691-93, 733, 765/821, 837, 1037,1046
Sens subtils 31, 270, 462, 575, 822
Shakti 97,102,103,104,166,360-61, 390, 610,612,614,673-74, 689, 743, 961,980
Shankara 19,452,491,497-98,500,811
Shvétâshvatara Upanishad 26, 57, 67, 99, 250, 357, 475, 518, 537, 728, 790, 842,874
Silence 19, 35-36, 40-41, 43-44, 91,181, 260-61, 277, 313, 344, 352-53, 367, 371-72, 380-81, 389-91, 435, 437, 480, 487, 494, 496, 512, 541, 613-14, 616-17, 623, 681, 802, 815, 905-06, 909, 943, 959, 965, 997,1044,1082
Silence mental 561, 990
Silence spirituel 383, 456, 615, 955
Sincérité 958
Soma 296,967
Sommeil 60, 81,106-07,133, 211-12, 214-15, 221, 289, 323, 354, 455-64, 486-89, 488,557,583,615-18, 630, 634, 758, 782,795,851
Souffle 20, 71, 206-07, 210, 432, 745, 792-93, 947
Soumission 131, 236, 393, 607, 751, 910, 958, 960, 976, 980-82,1043,1102
Spiritualisation 582, 722, 912, 933, 987-88, 990,1019,1041,1112
Spiritualité 266, 892, 897, 904, 907-08, 910-11, 923, 933, 935-37, 984,1013-14, 1026,1057,1117
Subconscient (le) 76, 83, 210, 212, 244-45, 248, 255-56, 380, 459-60, 463, 583, 597, 600-01, 743-44, 755, 781-82, 851, 929, 952, 984, 988, 996,1003, 1040, 1070
Subliminal (le) 244, 256, 460, 462, 574, 575, 580, 582, 591, 600, 602, 655, 697, 783,822,867,917,929,1022
Substance supramentale 295
Supraconscient (le) 83, 107-08, 210, 248, 256, 300, 310, 463,489, 514, 520, 583,
Page 1148
592, 602, 684, 686, 743-44, 782, 795, 820, 929, 965
Supramental 1-14,1-16,1-18,1-28,11-26
Surhomme 14,60,241,306,882,897,1075,1121
Surhumanité 231, 763, 769, 876, 897,1121-22
Surmental I-28
T
Taittirîya Upanishad 17, 38, 41,111,186, 201, 238, 250, 264, 286, 302, 307, 357,605,608,637,841, 853
Tantra 888,928
Terre 23, 65, 218, 266, 287, 289-90, 522, 686, 828
Transcendance 52, 73,180, 347, 361, 387, 393-94, 403, 477, 493, 498-99, 506, 640,680,706,740,788,807,818,934,957,979,1007,1027,1029, 1036,1080,1118
Transe 60-61, 210, 212, 354, 379, 381, 463, 48488-189, 505, 583, 588, 6l5, 629, 633-34, 782, 785, 806, 820, 965
Transformation II-25
Transformation intégrale 296, 670, 775, 783, 955-56, 1014
Transformation psychique 260, 262, 907, 948, 962, 973, 983, 9,8;6 Transformation spirituelle 260, 895, 897, 908, 925, 963, 965-67, 973, 983, 991,
997,1006,1008,1046
Transformation supramentale 262, 314, 970, 981-83, 991,1036
U
Union 39-40,185, 224, 233, 251, 271, 280, 302, 318, 404-05, 407, 445, 506, 577, 580, 586-87, 607, 672, 707, 712, 741, 789, 1039,1045,1064,1088, 1099,1112
Unité 27, 40, 48-49, 68, 88, 124,150,152,165,181, 199, 225, 242, 316, 321, 354, 371, 375-76, 425, 436, 500, 506, 511, 535, 606, 683, 685, 706-07, 734,794,803,819,1024,1087
Univers 268, 435, 503, 706
Universalité 118, 132,184,198, 233, 240, 259, 300, 311, 320, 322, 361, 382, 387,510,526,616,663,707,724,732,792,805,807,808,906,984, 1004,1024,1030
Universel (P) 137, 300, 361, 808, 884, 1058
V
Valeurs humaines 642, 935, 1119
Vérité divine 61,189,454,523,724,915
Vérité spirituelle 391, 405, 494, 737, 779, 907, 922, 930, 938-39, 961, 981-82, 1008,1050,1057,1085,1118
Vérité supramentale 141, 270, 308, 310, 314-15, 348, 350, 356, 526, 633, 708, 710
Page 1149
Vérité suprême 259, 389, 479, 653,707,724,929,938,954,1007,1054-55
Vidyâ et Avidyâ 49, 56, 527-28, 535
Vie 1-19,1-21, 238,11-16
Vie Divine 15, 18, 40, 58, 63, 66, 78, 84, 169-70, 178-79,185,187-88, 285, 288-89, 295, 300, 325, 400, 407, 420, 423-25, 455, 522, 681, 700, 747, 770, 775, 787-89, 812, 1017, 1020,1062,11-28
Vie gnostique 1029,1032,1036, 1038, 1044, 1053,1060,1062,1064-65,1073, 1083,1085-87,1094-95, 1097,1099, 1117-18, 1120
Vie intérieure 39, 312, 461, 722, 765, 784, 1025-26, .1028,1032-34,1073-75, 1077,1080-82, 1089,1114
Vie spirituelle 257, 762, 768, 812, 923, 937,1032,1056,1072, 1074-75,1083, 1085,1115,1120-21
Vie supramentale 187,1020,1023, 1061,. 1063
Vivékânanda 1104
Volonté divine 164, 282, 342,,428, 438, 445, 534, 727, 956,1021,1058-59, 1084
Y
Yoga 28,360,380,741,770,774,931
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