L’Agenda de Mère Set of 13 volumes
L’Agenda de Mère 1963 Vol. 4 509 pages 1979 Edition   Satprem
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Agenda de l’action Supramentale sur la Terre. Mother experiences a cellular ubiquity: 'The body is everywhere!' A new cellular consciousness that will be a new kind of physics and the earth's next biology?

L’Agenda de Mère 1963

The Mother symbol
The Mother

The year of Kennedy's assassination; the beginnings of the Sino-Soviet split. While the destructive giants respond faster and faster and science calls in question the laws of the universe, Mother is slowly hewing out the path to the next species on earth. "The path I seek is ever descending," into the consciousness of the cells. Will it be global death then, or, just as the birds followed the reptiles, the beginning of a new world? "I am on the threshold of a stupendous realisation, which depends on a very tiny thing." She is 85 this year. Will it be a more "intelligent" species within the framework of our physics, or one endowed with another kind of intelligence capable of changing the laws of physics, as the frog changes the laws of the tadpole in its fishbowl? In the course of this descent towards the self, Mother suddenly veers into another physical universe: "Everything looks as though you were seeing it for the first time, even the motion of the earth and the stars… There is no distance, no difference, there is not something that sees and something that is seen.... You become a mountain, a forest, a house.... You see simultaneously thousands of miles away and at very close range" - a kind of cellular ubiquity. And then, too, this astounding realisation: "The body is everywhere!" Is the next species ubiquitous? For what happens to the laws of the old physics when the fishbowl is shattered, when distance and "elsewhere" are abolished? "All the usual rhythms have changed.... a universal movement so tremendously rapid that it seems motionless.... A true physical that lies behind." And where is death for one who escapes the wear and tear of time inside the fishbowl? "If this condition becomes a natural thing, death can no longer exist!.... It would be a new phase of life on earth." And there is no need to look far for it: "The field of experience is right here, at every second.... people strive to enter into contact with something that is right here." A new cellular consciousness that will be a new kind of physics and perhaps the earth's next biology?

L’Agenda de Mère L’Agenda de Mère 1963 Editor:   Satprem Vol. 4 509 pages 1979 Edition
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Mother's Agenda 1963 Conversations with Satprem

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janvier




2 janvier 1963

J'ai un début d'année effroyable. Et j'ai peur que ce début se prolonge.

Des difficultés nouvelles?

Non, tout le monde veut me voir!

On me fatigue – on me fatigue beaucoup.

J'aurais justement... Oh! il y a des moments où je sors complètement de l’action – de l’«action», je veux dire: parler et recevoir surtout des tas de vibrations... terribles, terribles!

Je sens que le travail va plutôt vite dedans, il y a des choses qui sont intéressantes (comment dire?)... comme des promesses. Mais la sensibilité (du corps) et les possibilités de déséquilibre se sont aggravées en ce sens qu'une toute petite chose, qui en d'autres circonstances n'aurait eu aucune importance, aurait passé comme cela, détruit l’équilibre du corps – le corps est devenu effroyablement sensible. Par exemple, une mauvaise réaction chez quelqu'un, une crispation ou une réaction du domaine tout à fait ordinaire se traduit dans le corps par une fatigue subite, comme s'il était épuisé. Alors il faut que je me rassemble, que j'aille replonger dans la Source pour que...

Ces jours-ci sont difficiles.

Et il y a cette habitude terrible des gens, cet esprit démocratique, tu sais: si je fais quelque chose pour l’un, pourquoi je ne le fais pas pour l’autre? – Ils accepteraient très bien que je sois malade et que je ne voie personne (!), on dirait: «Pauvre Mère, il faut être bien gentil pour elle et ne pas l’ennuyer», mais que je sois une force et que je ne donne pas à celui-ci ce que j'ai donné à celui-là et à celui-là, ils ne peuvent pas l’admettre! C'est l’égalitarisme qui est à la mode; ce n'est plus la mode de la hiérarchie, ou même simplement d'une diversité de traitement suivant les cas.

Enfin, je ne veux pas commencer à expliquer tout ça, je le ferai plus tard.

Mais il y a quelques jours, là, à passer, qui sont durs.

Il ne faut pas te laisser envahir.

Non.

Je ne me laisse pas faire, mais...

9 janvier 1963

...Comme les gens aiment bouger! comme ils ont besoin de bouger pour se sentir vivre!

Hein, c'est comme ça.


(Mère parle du Bulletin et notamment de l’Entretien du 3 juillet 1957 où Elle racontait sa vision symbolique du «Grand Hôtel» en perpétuelle démolition:)1

Mais tout ça me paraît en dehors. Je comprends que ça puisse intéresser les gens, mais c'est encore parmi les choses qui me font sourire. Ça me paraît comme cela. Même cette vision.

J'en ai trois-quatre toutes les nuits, de grandes visions, avec toutes les complications,2 tous les symboles, toutes les explications. Et je rencontre des gens... qui ne sont pas comme ils croient qu'ils sont.

Mais c'est formidable! Formidable ce qu'en quelques heures de nuit on peut faire de choses...

(silence)

Et tout ce qu'il y a à savoir, qu'on ne sait pas (pas les choses extérieures)...

(long silence)

Mais c'est très difficile pour le corps, de changer. Parce qu'il ne vit que par son habitude de vivre. Et chaque fois que quelque chose s'infiltre, de la vraie manière de vivre, sans pensée, sans raisonnement, sans rien qui ressemble à une idée, presque sans sensation, presque automatiquement, il y a l’affolement du nouveau, dans les cellules. Alors tu comprends, tout est à changer. Ce n'est plus le cœur qui doit envoyer le sang, qui doit recevoir la Force; ce n'est plus l’estomac qui doit digérer, ce n'est plus tout ça – ça fonctionne d'une autre façon. La base doit être déplacée, le fonctionnement complètement changé – et alors toutes ces cellules qui sont très attentives à ce que tout aille selon l’habitude...

(silence)

Terrible. Une étrange difficulté.

Si c'est l’être intérieur – l’être vrai – qui gouverne, le corps fait les choses automatiquement par le pouvoir de l’être vrai; mais alors il ne devient pas conscient de son changement, il ne collabore pas au changement, et pour que le changement se fasse, probablement il faudrait... peut-être des millénaires. Il faut que l’être vrai soit comme ça (geste à l’arrière-plan, en retrait) et que le corps fasse les choses lui-MÊME, c'est-à-dire contienne le Seigneur, reçoive le Seigneur, se donne au Seigneur, SOIT le Seigneur. Il a l’aspiration, oh! intense, ça flambe – c'est très bien. Mais le Seigneur (souriant), Il ne marche pas selon l’habitude ordinaire! Alors toutes les habitudes, dès que, simplement, Il essaye de prendre possession d'une fonction ou de l’autre, même partiellement (pas totalement), toutes les relations, tous les mouvements sont instantanément changés – affolement. Affolement sur le point. Ça se traduit: on s'évanouit, ou on est sur le point de s'évanouir, ou on a une douleur effroyable, ou enfin quelque chose APPAREMMENT se détraque complètement. Alors qu'est-ce qu'il faut faire?... Attendre patiemment que ce petit nombre, ou ce grand nombre, de cellules, ce petit coin de conscience, ait appris sa leçon. Ça prend un jour, ça prend deux jours, ça prend trois jours, et puis ce «grand» événement chaotique, bouleversant, se calme, s'explique, et ces cellules-là se disent (commencent à se dire): «Dieu que nous sommes bêtes!...» Ça prend un petit moment, elles ont compris.

Mais il y en a des milliers, des milliers, des milliers!

On ne peut pas forcer la dose, parce qu'il faut empêcher la dislocation, n'est-ce pas! J'ai vu ça ces jours-ci; la dernière fois que tu es venu, j'étais en plein – en plein bouleversement.3

La conscience est là (geste en arrière), mais... elle n'intervient que si c'est absolument indispensable. Seulement elle tâche localement de leur faire... (pas comprendre, ce n'est pas «comprendre» parce qu'il n'y a pas de mental) avoir la vraie sensation, la vraie expérience – la vraie expérience –, jusqu'à ce que les cellules commencent à se dire: «Oh! oh!...»

Il y en a qui s'affolent. Il y en a qui ont déjà eu des expériences, qui savent mieux et qui voient plus clair et qui font le travail d'adaptation à la nouvelle vibration. Mais d'autres, il faut qu'elles comprennent. Alors elles se sentent si stupides, si stupides! Et là-haut, il y a quelque chose qui voit tout ça et qui à la fois (les deux à la fois), s'amuse beaucoup parce que c'est vraiment follement ridicule, mais en même temps c'est si triste! C'est si triste de voir que c'est TOUT comme ça: TOUTE la terre, TOUTE la terre! que ce corps représente l’effet d'une concentration spéciale, d'un effort spécial, d'une CHARGE spéciale, d'une attention spéciale, d'un soin spécial – ce tout petit coin, tout petit –, et il y a toute la terre, toute la terre... Et ça se croit si merveilleux, si intelligent!...

Je pourrais pendant des heures raconter des choses.

Plus tard.

Encore maintenant, il faut aller doucement-doucement-doucement – pas trop débrider. On est entouré de gens qui disent: «Oh! elle est très malade! qu'est-ce qui va arriver?...» et qui me rendent la chose difficile. Parce qu'il faut encore, avec la Force, écarter tout ça: «Tenez-vous tranquilles! N'allez pas faire des formations qui vont aggraver la difficulté.»

Tu vois comme on est loin de ces transformations romantiques où les gens sortent de leur méditation rajeunis, embellis, lumineux, oh là! là! mes enfants. Ça, ça viendra très facilement. À la fin, ce n'est rien: on fera comme ça (Mère souffle en l’air) et ça y sera.

C'est le reste qui est difficile.

12 janvier 1963

C'est une orgie de travail, oh!... l’autre jour, tu as dit dans ton manuscrit que Sri Aurobindo travaillait quatorze heures par jour, et ils veulent que je fasse la même chose – pour le moment, je résiste.

Oh! oui, tu as bien raison!

C'est très mauvais.

Il a perdu la vue, tu sais, comme cela; ses yeux étaient trop fatigués. Et je sais que c'est à cause de ça, parce que je l’ai entendu; un jour, on lui a apporté un paquet de livres à signer et de choses et il ne savait pas qu'on l’entendait, alors il s'est écrié: Oh! they want to make me blind! [oh! ils veulent me rendre aveugle.] Alors j'ai su que ses yeux étaient fatigués. Et en effet, il perdait la vue. À la fin, il ne voyait plus rien, il fallait qu'il regarde tout près.

Alors je résiste.1

Oui!


(Peu après)

Je vais bientôt avoir fini ma traduction (de La Synthèse), je n'ai plus que quelques pages, une dizaine de pages. C'est très incomplet, je veux dire que c'est une traduction. Sens: exact; quelquefois la phrase est très différente, quelquefois c'est un anglicisme complet.

C'est un phénomène curieux: de la minute où je m'assois pour traduire, en l’espace d'une ou deux secondes, pas plus, je suis tout à fait une différente personne. J'écris: ce n'est pas moi qui écris, je sais que c'est Sri Aurobindo.

Et il me suggère des mots, c'est-à-dire que tout d'un coup, je vois: «C'est comme ça.» – J'entends la phrase et j'écris. Et alors, parfois c'est très différent, mais je comprends bien que c'est le même sens; parfois ce n'est pas français...

Tu as le prochain Aphorisme?

Tu comprends, il n'y a que 365 jours dans l’année, et nous sommes... à peu près, avec les visiteurs qui viennent exprès pour leur anniversaire, 1300 personnes. La plupart des gens, je ne les vois pas, mais quelquefois je suis obligée: des gens comme Nolini, Amrita, Pavitra, Champaklal,2 je suis bien obligée de leur donner un moment. Et puis il y a des gens qui viennent d'Afrique, qui viennent d'Europe, qui demandent à me voir avant de s'en aller, alors... Alors maintenant j'écoute.

(le disciple lit)

81 – Le rire de Dieu est parfois grossier et indécent pour des oreilles pudibondes; il ne Lui suffit pas d'être Molière, Il se veut aussi Aristophane et Rabelais.

(Après un silence) On verra lundi.3

C'est assez curieux, il y a des moments où c'est comme un torrent (c'est plus qu'un flot): les formes, les images, les expressions, les révélations, ça vient, ça coule, ça coule, ça coule – si je me mettais à écrire, j'écrirais sans arrêt. Il y a d'autres moments où c'est... une immobilité totale. Et si j'essaye de déranger «ça», alors on retombe dans la stupidité habituelle.

On verra.

C'est pour cela que je t'ai demandé de me lire: c'est parti là-haut.


(Plus tard, à propos de la précédente conversation où Mère disait que le corps ne vit que par son habitude de vivre:)

J'ai eu une expérience (pas personnelle) très intéressante. Tu connaissais Benjamin?...4 Son être psychique l’avait quitté depuis assez longtemps, ce qui fait que, pour la conscience extérieure, il était un peu détraqué – il n'était pas détraqué: il était diminué. Et il vivait, justement, par habitude. Il y avait un minimum de vital et de mental enfermé dans la conscience physique et il vivait par habitude. Mais ce qui était remarquable, c'est que de temps en temps, il vivait admirablement, pendant quelques secondes, avec une pleine lumière, et à d'autres moments il était incapable même de contrôler ses mouvements. Puis il est parti tout à fait: toute l’énergie accumulée s'est dispersée petit à petit, petit à petit, et le reste a quitté son corps. C'était juste le jour de sa fête, le 30 décembre (la nuit du 30 au 31 décembre). Il est parti. Alors on a fait comme on fait toujours: on a nettoyé sa chambre, enlevé les meubles. Depuis ce moment-là, il n'y avait aucune manifestation de lui. Hier soir après le dîner (et c'était à peu près l’heure à laquelle il était parti, il y a douze jours), j'étais en train de me concentrer, de me reposer, lorsque tout d'un coup, voilà un très actif Benjamin qui arrive et qui me dit: «Mère! on a enlevé tous mes meubles de ma chambre! comment est-ce que je vais faire!?» Je lui ai dit gentiment: «Ne te tourmente pas, tu n'as plus besoin de rien.» Et puis je l’ai mis en repos et je l’ai envoyé rejoindre le reste de son être.

Ce qui fait qu'il a fallu douze jours pour que tous ses éléments se reforment. N'est-ce pas, on a brûlé son corps (il était chrétien, mais la famille – sa femme vit encore et son frère – a jugé que c'était moins coûteux de nous laisser faire que de l’enterrer chrétiennement! alors ils l’ont laissé brûler), nous l’avons brûlé, mais j'avais exigé un certain temps de délai5 (bien que, pour lui, c'était vraiment un épuisement graduel, il ne restait pas grand-chose dans son corps); tout de même, la conscience de la forme est projetée violemment hors de ses cellules – ça a pris douze jours pour se reformer. Ce n'était pas son âme (elle était déjà partie): c'était l’esprit de son corps qui est venu me trouver, la conscience corporelle réunie en un Benjamin bien habillé, bien propre, bien coiffé; il était très soigné quand il est venu me trouver, comme il l’aurait fait dans sa vie: il voulait toujours être très bien, impeccable pour me voir, c'était comme cela. Ça a mis douze jours à se réunir parce que je ne m'en suis pas occupée (je peux le faire en quelques heures mais à condition que je m'en occupe), mais lui, son âme était au repos depuis longtemps, ça n'avait pas beaucoup d'importance. Alors en douze jours, ça s'est reformé, et quand il a été prêt (riant), il est venu pour réoccuper sa chambre!... Et puis il n'y avait plus de meubles, il n'y avait plus rien!

J'ai trouvé ça très amusant.

Et il avait vécu pendant plus d'une année, presque deux ans je crois, simplement par l’habitude de vivre.

Nous avons ici aussi la sœur de ce vieux docteur corpulent, une sœur qui a (je crois) cinq ou six ans de plus que moi – elle est en train d'attraper les quatre-vingt-dix ans. Elle est en train de s'éteindre aussi, depuis plusieurs mois. Les docteurs (qui n'y entendent rien du tout) avaient annoncé sa mort pour dans quelques jours; je leur ai dit: «Vous allez voir, c'est une femme qui sait entrer dans le repos, qui a une conscience très paisible – ça va durer longtemps, ça peut durer des années.» Elle est couchée, elle ne peut plus beaucoup bouger, mais... elle vit. Elle vit aussi par habitude.

Au fond, le corps doit pouvoir durer beaucoup plus longtemps que les êtres humains ne le croient. Ils bousculent tout ça: dès que quelqu'un n'est plus bien portant, ils le droguent ou on le bouscule, on lui enlève cette espèce de calme sérénité végétative qui fait que ça peut durer très longtemps. Comme les arbres mettent très longtemps à mourir.

C'est intéressant.


Plus tard

...Évidemment, la difficulté, c'est ce mélange: avoir la responsabilité de tout ça, toute cette organisation tous ces gens qui sont accrochés (et naturellement qui donnent du travail même si on supprime tout ce qui est possible), et puis l’étude, ou la notation de ce qui se passe. Si je n'avais rien à faire et que je puisse noter mes nuits, il y aurait des choses si intéressantes!

Par exemple, il y a deux-trois nuits (je ne me souviens plus), j'étais avec Sri Aurobindo, on faisait un certain travail (c'était dans une zone mentale mélangée à certaines réactions vitales), enfin un travail général. J'étais avec Sri Aurobindo et nous faisions le travail ensemble, puis il voulait m'expliquer comment certain mouvement se transforme en un mouvement déformé, et il était en train de m'expliquer cela (mais rien n'est mental, rien n'est intellectuel, ce n'est pas comme des théories), et alors, sans même (comment dire?) sans même que ce soit prévenu par une pensée ou une explication, un mouvement vrai est changé en un mouvement... pas faux mais déformé. Je m'adressais à Sri Aurobindo, il me répondait, puis je tourne la tête comme ça (pas physiquement: tout cela est une vie intérieure, n'est-ce pas), c'était comme si je me tournais pour voir l’effet (vibratoire), je me retourne et j'adresse à Sri Aurobindo le mouvement nécessaire pour continuer l’expérience; je reçois une réponse qui m'étonne à cause de la qualité de la vibration (c'était une réponse d'ignorance et de faiblesse), alors je tourne mon attention parce que ça ne pouvait pas venir de Sri Aurobindo, et en effet, à la place de Sri Aurobindo, j'ai vu le docteur. Et alors j'ai compris! Extérieurement, on dirait: «Ah! Sri Aurobindo et le docteur, c'est le même!» (Les gens qui verraient une chose comme cela auraient l’idée que c'est le même – évidemment tout-tout est le même! tout est un; c'est cette unité complète que les gens ne comprennent pas.) Naturellement, cela ne m'a pas étonnée la millième partie d'une seconde, il n'y a pas eu d'étonnement, mais... oh! j'ai compris: comme ça (Mère tourne sa main légèrement à gauche), c'est Sri Aurobindo, et comme ça (légèrement à droite), c'est le docteur. Comme ça, c'est le Seigneur, et comme ça, c'est un homme!!

C'est très intéressant.6

Sur le moment, il y avait tous les petits détails de notation qui rendent l’expérience très concrète. Si j'écrivais tout ça, ce serait intéressant. Mais il y en a! Je passerais ma journée à écrire mes nuits! comment est-ce possible?

Ça, c'est UN genre – il y a des quantités de genres. Aussi, pour le corps, il y a des quantités d'observations: par exemple, une vibration comme ça (geste), c'est la béatitude éternelle; un TOUT PETIT déplacement (ce qui semble un déplacement – est-ce un déplacement? est-ce... quoi? une déformation? est-ce une addition? est-ce... ce sont toutes sortes de choses différentes), et ça se change en une angoisse, un malaise épouvantable – EXACTEMENT LA MÊME CHOSE. Et ainsi de suite. Des tombereaux de choses que l’on pourrait écrire!7

Et si tout cela était noté clairement, distinctement, dans tout le détail, ce serait intéressant, mais alors voilà (Mère montre une pile de papiers autour d'Elle), partout du travail! Des lettres, des lettres! tous les jours trois, quatre, cinq, dix, vingt comme cela, sans compter toutes les décisions que j'ai à prendre instantanément et que j'écris imédiatement. Ce matin, j'ai écrit quatre mots «urgents», comme ça, quand Nolini était là, et tu as vu Pavitra.

Et on ne peut pas dire que ce n'est pas important – c'est important en ce sens que tous ces gens dépendent de moi; je ne peux pas faire que du jour au lendemain ils soient capables de recevoir pleinement et clairement tout ce que je fais, sans expression extérieure. Je ne peux pas leur demander de se transformer miraculeusement, il faut que je les aide!

Je rends mon approche difficile, je me tiens beaucoup en retrait. Le plus que je peux, je leur apprends à recevoir directement, mais il y a un minimum. Et alors c'est 1300, 1400 personnes, sans compter toutes les correspondances et tous les gens – c'est une moyenne de deux à trois mille personnes qui sont en rapport conscient (avec Mère).

Et ça vient, ça vient. Beaucoup viennent même sans le savoir! Et j'y vais – j'y vais. La plupart du temps consciemment, mais très souvent aussi pas consciemment. Tiens, un exemple: quelqu'un est malade, quelqu'un qui m'aime vraiment, c'est Z, la femme de A; elle était malade, A m'a prévenue; alors je force la dose (tout le monde est dedans, je suis avec tout le monde, c'est entendu, mais quand quelque chose va mal, je force la dose), j'ai forcé la dose. Je m'attendais à ce qu'elle soit mieux, puis ce n'est pas arrivé. J'ai encore forcé la dose. Le lendemain, je reçois une lettre de A me disant que la nuit dernière, Z a eu une expérience intéressante. Elle a de l’asthme (les gens qui ont de l’asthme ont l’impression qu'ils sont en train de mourir, c'est très pénible et elle est très sensitive, très nerveuse – ça n'allait pas, et puis on la drogue, et puis...) et alors, dans une attaque d'asthme aiguë, elle s'était assise sur son lit les jambes pendantes, puis elle a commencé à sentir que ses pieds étaient froids et elle voulait ramasser ses pantouffles pour les mettre à ses pieds; elle s'est penchée, et au lieu de ses pantouffles, elle a senti quelque chose de doux, vivant. Alors, très étonnée, elle regarde: elle voit mes pieds. Mes pieds étaient là avec les sandales que je mettais pour sortir – mes pieds nus. Alors elle a touché mes pieds et elle a dit: «Ooh! Mère est là!» IMédiatement elle s'est remise sur son lit, endormie... et réveillée guérie.

Et ce n'est pas elle qui a fabriqué ça: mes pieds ÉTAIENT LÀ. «Mes pieds», c'est-à-dire quelque chose de moi qui a pris cette forme justement pour lui être sensible.

Tout ça, ça fait du travail.

Et ce n'est pas seulement ici: c'est ici, c'est là, c'est partout, c'est dans le monde entier. Et ce n'est pas dans la tête que ça s'enregistre (ce serait impossible! on deviendrait fou), mais c'est dans la conscience (Mère fait un geste autour de sa tête) et il suffit que je .m'arrête, que je fasse attention: «Qu'est-ce que c'est?» (Mère attrape la vibration qui lui arrive)... Mais tu comprends, pour enregistrer ça par la parole ou par le mot, comment? Il faudrait pouvoir écrire cinquante lignes en même temps! Ce n'est pas possible.

Mais c'est conscient.

Et tout-tout-tout ce qui se passe là-haut avec la guerre, tous ces Chinois à qui l’on fait faire des choses qu'ils ne veulent pas faire...

Et tout ça, tout ça, tout le temps, tout le temps, tout le temps, partout-partout-partout.

Il ne vient à la conscience active que ce qui est indispensable pour une réponse active, mais c'est déjà trop. C'est-à-dire que vingt-quatre heures ne suffisent pas.

Et je me rends compte... N'est-ce pas, j'ai besoin d'aides physiques pour alléger le corps de tout effort qui n'est pas absolument indispensable. Mais je ne peux pas leur donner (aux assistants) une existence qui en apparence serait tout à fait chaotique: il faut nécessairement qu'il y ait un horaire. Et s'il y a un horaire, ce sont de terribles limitations. On est obligé; on est obligé parce que, pour le moment, il ne suffit pas que la volonté s'exprime pour que la matière réponde. Quand ce sera comme ça, le temps ne comptera plus, mais – MAIS.

Il ne faut pas s'impatienter.

14 janvier 1963

Alors? tu m'apportes une question sur ces aphorismes?

Il n'y a pas beaucoup de questions à poser.

Je compte sur la question pour déclencher le mouvement, parce que, pour le moment, il n'y a rien.

Et c'est de plus en plus comme cela: je sais ce qu'il faut faire au moment de le faire, je sais ce qu'il faut dire au moment de le dire. Je n'essaye pas, mais même, une ou deux fois, j'ai essayé pour voir – ça ne sert à rien du tout: rien ne vient. Et puis quand ça doit venir, ça vient comme si on ouvrait un robinet – pas d'effort, rien à faire, ça vient.

Alors, pour le moment: rien.

Relis-moi cet aphorisme.

81 – Le rire de Dieu est parfois grossier et indécent pour des oreilles pudibondes; il ne Lui suffit pas d'être Molière, Il se veut aussi Aristophane et Rabelais.

82 – Si les hommes prenaient la vie moins au sérieux, ils pourraient bien vite la rendre plus parfaite...

Tiens!...

... Dieu ne prend jamais Son travail au sérieux; c'est pourquoi nous avons le spectacle de cet univers prodigieux.

Alors ta question?

On peut se demander en quoi le fait de prendre les choses au sérieux a empêché que la vie soit plus parfaite?

(Après un long silence) La vertu a toujours passé son temps à supprimer des choses de la vie et (riant) si l’on avait mis ensemble toutes les vertus des différents pays du monde, il resterait fort peu de chose dans l’existence!

La vertu prétend rechercher la perfection, mais la perfection est une totalité. Alors les deux mouvements se contredisent: une vertu qui élimine, qui réduit, qui fixe des limites, et une perfection qui admet tout, qui ne rejette rien mais qui met chaque chose à sa place, ne peuvent évidemment pas s'entendre.

Prendre la vie au sérieux consiste généralement en deux mouvements: le premier est de donner de l’importance à des choses qui, probablement, n'en ont pas, et le second de vouloir que la vie soit réduite à un certain nombre de qualités qui sont considérées comme pures et dignes d'existence. Chez certains (ceux, par exemple, dont Sri Aurobindo parle ici: les «pudibonds» ou les puritains), cette vertu devient sèche, aride, grise, agressive, et elle trouve des fautes presque partout dans ce qui est joyeux, libre et heureux.

Le seul moyen de rendre la vie parfaite (j'entends ici la vie sur terre, bien entendu), c'est de la regarder d'assez haut pour la voir dans son ensemble, non seulement dans sa totalité présente mais dans l’ensemble du passé, du présent et de l’avenir: ce qu'elle a été, ce qu'elle est, ce qu'elle doit être – il faut être capable de tout voir à la fois. Parce que c'est le seul moyen de tout mettre à sa place. Rien ne peut être supprimé, rien ne DOIT être supprimé, mais chaque chose doit être à sa place dans une harmonie totale avec le reste. Et là, toutes ces choses qui semblent si «mauvaises», si «répréhensibles», si «inacceptables» à l’esprit puritain, deviendraient les mouvements de joie et de liberté d'une vie totalement divine. Et alors rien ne nous empêcherait de savoir, de comprendre, de sentir et de vivre ce Rire merveilleux du Suprême qui prend une joie infinie à se regarder vivre infiniment.

Cette joie, ce Rire merveilleux qui dissout toutes les ombres, toutes les douleurs, toutes les souffrances... Il suffit de rentrer en soi assez profondément pour trouver le Soleil intérieur, se laisser baigner par lui. Et alors tout n'est plus qu'une cascade de rire harmonieux, lumineux, solaire, qui n'admet plus nulle part l’ombre et la douleur.

En fait, même les plus grandes difficultés, même les plus grands chagrins, même les plus grandes douleurs physiques, si on peut les regarder de cette place-là, en se tenant là, on voit l’irréalité de la difficulté, l’irréalité du chagrin, l’irréalité de la douleur – et tout n'est plus que vibration joyeuse et lumineuse.

C'est au fond le moyen le plus puissant de dissoudre les difficultés, de surmonter les chagrins et de faire disparaître les douleurs. Les deux premiers [difficultés, chagrins] sont relativement faciles (je dis relativement), le dernier [douleur] est plus difficile parce qu'on est habitué à considérer le corps et ce qu'il sent comme extrêmement concret, positif – mais c'est la même chose, c'est simplement parce qu'on ne nous a pas appris et nous n'avons pas pris l’habitude de regarder notre corps comme quelque chose de fluide, de plastique, d'incertain, de malléable. Nous n'avons pas appris à y introduire ce Rire lumineux qui dissout toutes les ombres et toutes les difficultés, tous les désaccords, toutes les désharmonies, tout ce qui grince, qui crie et pleure.

(silence)

Et ce Soleil – ce Soleil du rire divin –, il est au centre de toute chose, la vérité de toute chose. Ce qu'il faut, c'est apprendre à le voir, à le sentir, à le vivre.

Et pour cela, fuyons les gens qui prennent la vie au sérieux, ce sont les êtres les plus ennuyeux du monde!

C'est tout.

Mais c'est vrai. l’autre jour, je te parlais de ces difficultés cellulaires; j'ai remarqué: dès que ça commence, je commence à rire! Et quand il y a quelqu'un là, si je lui dis gravement la difficulté, ça va de mal en pis; si je me mets à rire et que je le dise en riant, ça s'évapore. Au fond, c'est affreux de prendre la vie au sérieux! C'est affreux. Les gens qui m'ont donné le plus de difficultés, ce sont toujours ceux qui ont pris la vie au sérieux.

Même ces jours-ci, j'ai eu cette expérience. Tout ce qui me vient des gens qui ont consacré leur vie à la «vie spirituelle», les gens qui font un yoga comme on faisait le yoga avant, qui sont très graves, qui voient des adversaires partout, des obstacles partout, des choses qu'il ne faut pas faire partout, des interdictions partout, oh! comme ils compliquent l’existence et... comme ils sont loin du Divin. Je voyais ça l’autre jour avec quelqu'un que tu sais. Avec ces gens-là, il ne «faut pas» faire ceci, «faut pas» faire cela, «faut pas...», à cette heure-ci, on ne «doit pas» faire cela; ce jour-là, on ne «doit pas» faire ceci; il ne «faut pas» manger cela, il ne faut pas... Et puis, surtout, surtout, ne mélangez pas votre vie ordinaire avec votre vie sacrée, oh! – et puis on creuse un abîme.

C'est juste, juste l’opposé de ce que je sens maintenant: n'importe quoi arrive, quelque chose ne va pas bien avec le corps, quelque chose ne va pas bien avec les gens, quelque chose ne va pas bien avec les choses – imédiatement, le premier mouvement: «Ô mon doux Seigneur, mon Bien-Aimé!» Et je ris! Et puis tout va bien. Et alors j'ai fait ça l’autre jour (c'est spontané, c'est instantané, ce n'est pas réfléchi, ce n'est pas voulu, ce n'est pas combiné, rien-rien – ça vient comme ça), et l’autre jour c'est arrivé (je ne me souviens plus des détails, mais c'était dans une circonstance qui apparemment était tout à fait peu sacrée), et je me suis vue, et j'ai commencé à rire; j'ai dit: «Voilà! mais moi, je n'ai pas besoin d'être sérieuse! je n'ai pas besoin d'être grave!»

Dès que ça vient (Mère prend un air grave), je me méfie, je me dis: «Oh! il y a quelque chose qui ne va pas; il doit y avoir une influence, quelque chose qui est entré dans l’atmosphère et qui ne devrait pas y être.» Tous ces remords, tous ces regrets, toutes ces... oh là! là! le sens de l’indignité, le sens de la faute. Et puis, si nous allons un peu plus loin, le sens du péché – non, ça!... il me semble que ça appartient à un autre âge, un âge d'obscurité.

Mais surtout ça, toutes ces interdictions. Par exemple, je te cite une déclaration de X qui m'a été rapportée par une troisième personne: «Je vais faire un poudjâ spécial pour aider à faire venir de l’argent. Je préparerai un yantram1 spécial pour faire venir l’argent. Mais surtout, ne dites rien [à Mère], ne faites rien et ne donnez rien avant le 14 janvier, parce que jusqu'au 14 janvier, je ne sais quelle planète est en opposition avec je ne sais quelle autre planète (Mère rit), et alors toutes les choses vont vers la chute et ne réussissent pas; mais après, cette planète sera en ascension et alors tout réussira»! (Mère rit) Quelque chose en moi a dit spontanément («quelque chose», enfin quelqu'un) a dit en moi spontanément, imédiatement: «Pourquoi? mais je peux toujours entendre!» Et j'ai ri. Alors on a cru que je me moquais de lui – je ne me moque pas: je ris, ce n'est pas la même chose!

Voilà, mon petit, c'est tout.2

Tu peux me lire encore un autre aphorisme. Celui-là est suffisant, c'est réglé!

Le suivant, c'est quoi?

83 – La honte a des résultats admirables et nous ne saurions guère nous en passer tant en morale qu'en esthétique; ceci dit, elle n'en est pas moins un signe de faiblesse et une preuve d'ignorance.

C'est la même chose! C'est ce que j'ai dit à la fin: le sens du péché, les regrets, les remords, tout ça, oh!... Ça suffit, non?


(Puis Mère regarde la liste de ses prochaines entrevues et des «fêtes» ou anniversaires à souhaiter.)

Le 2 février, c'est la fête de C, alors je vais lui donner une méditation, parce que ce sont des gens encore qui croient à la méditation! (Mère rit)

Mais c'est devenu un petit champ d'expériences assez amusant. Parce que maintenant, j'écris des cartes aux gens, alors j'ai beaucoup de cartes, des quantités de genres innombrables3 (C passe son temps à les fabriquer), et maintenant, automatiquement, au moment où je dois écrire une carte à quelqu'un, ce n'est pas ce que j'ai décidé d'avance (parce que quelquefois c'est décidé d'avance), c'est à la dernière minute: «C'est cette carte-là qu'il faut que je fasse et c'est ça qu'il faut dire.» Je n'ai pas à me tracasser: ça vient juste au moment; alors je n'ai plus qu'à me lever, à trouver la carte et à écrire, et puis c'est fini. On me dira (justement ces gens qui ont une «vie spirituelle»): «Comment! pour une chose qui a si peu d'importance, en faire le sujet d'une expérience spirituelle!» Et c'est pour toutes les petites choses: l’objet qu'il faudra utiliser, le parfum qu'il faudra mettre, le sel de bain, toutes sortes de choses «futiles», «légères», «sans importance»: «Comment peut-on!...» Je ne me donne même pas la peine de chercher ou de... (penser, Dieu merci! je ne pense pas), mais ça vient: ça, ça, ça. Pas dit: su. Ce n'est même pas dit, on ne me dit pas: «Fais ça», jamais; c'est su: «Ah! c'est ça, voilà!» Et je choisis, je fais – c'est très confortable!

C'était justement l’expérience (depuis très-très longtemps, de nombreuses années), mais concrète, dans les cellules du corps, ces jours derniers. Il n'y a pas des «choses» où le Seigneur est là et des «choses» où Il n'est pas là – il y a des imbéciles qui le croient! Mais Il est toujours là; Il ne prend rien au sérieux, Il s'amuse de tout; et Il joue avec vous, si vous savez jouer – vous ne savez pas jouer, les gens ne savent pas jouer. Mais comme Il sait jouer! Comme Il joue bien à tout, à des toutes petites choses: tu as des objets à mettre sur la table? ne crois pas qu'il faille penser et arranger, non, on va jouer: on va mettre ça ici et puis on mettra ça là, et puis ça comme ça. Et puis un autre jour (les gens s'imaginent: maintenant, c'est cet arrangement qui est décidé et ça va être comme cela – mais pas du tout!) un autre jour (ils veulent vous aider! ils veulent vous aider à mettre les choses en place, alors ça devient terrible!) mais on reste immobile et tranquille et puis on commence à jouer: tiens! on va mettre ça ici, et puis ça là, et puis ça là... ah! (Mère rit) Depuis que je t'ai vu la dernière fois, ça a été tout le temps comme cela, probablement pour me préparer à cet Aphorisme!

C'est très amusant.

Voilà mon petit.

Alors c'est entendu, nous tâcherons de savoir rire avec le Seigneur.

Je sais. Je sais qu'il veut m'apprendre à ne pas prendre au sérieux la responsabilité (pas «responsabilité», ce n'est pas le vrai mot), mais ce travail formidable de trouver 8.000 roupies par jour pour faire face aux dépenses de l’Ashram – c'est-à-dire une fortune colossale, n'est-ce pas, tous les mois.

Et je vois bien (parce que je Lui ai dit plusieurs fois: «Tu sais, ça m'amuserait beaucoup d'avoir beaucoup d'argent et de pouvoir jouer avec»), alors je vois qu'il rit, mais Il ne répond pas!... Et alors Il m'apprend à pouvoir rire avec cette difficulté, à voir le caissier qui m'envoie son cahier sur lequel les chiffres sont en train de devenir astronomiques (riant, c'est par 50.000, 60.000, 80.000, 90.000), et puis le tiroir est pratiquement vide! Et Il veut que je sache en rire. Le jour où je pourrai rire vraiment – m'amuser, rire –, SINCÈREMENT (pas par un effort – on peut toujours faire ce qu'on veut avec un effort), quand spontanément ça me fera rire, je pense que ça changera. Parce que c'est impossible... N'est-ce pas, on s'amuse à toutes sortes de choses et il n'y a pas de raison qu'on ne s'amuse pas aussi à avoir plus d'argent qu'on en a besoin pour pouvoir faire les choses avec grandeur! Ça arrivera sûrement un jour, mais il faut – il faut ne pas être accablé par la quantité, et pour ça il ne faut pas prendre l’argent au sérieux.

Il ne faut pas prendre l’argent au sérieux.

C'est une chose très difficile maintenant, parce que dans le monde entier, tout le monde prend l’argent au sérieux, et alors c'est très difficile. Surtout les gens qui en ont. Les gens qui ont de l’argent, ils le prennent au sérieux, oh! Seigneur! et c'est pour ça que c'est difficile. Il faudrait pouvoir rire – rire, rire franchement, sincèrement, alors ce sera fini.

Tiens!... bon, nous en reparlerons.

Au revoir, mon petit.4

18 janvier 1963

(Le disciple propose à Mère d'inclure intégralement dans le prochain «Bulletin», de février, ce qu'Elle a dit sur le «Rire de Dieu», et notamment tout le passage où Mère disait: «C'est affreux de prendre la vie au sérieux! Les gens qui m'ont donné le plus de difficultés, ce sont toujours ceux qui ont pris la vie au sérieux.»)

Mais non!

C'est charmant, pourtant.

Je ne pense pas que ce soit sage de mettre cela dans le Bulletin.

Il y a tant de gens, justement, qui se fichent de tout, qui ne prennent pas la vie au sérieux, mais de la mauvaise manière: ils ne prennent pas ce qu'ils doivent faire au sérieux, ils ne prennent pas leur progrès au sérieux, ils ne prennent rien au sérieux – ils vont au cinéma quand Sri Aurobindo meurt. Enfin des choses de ce genre. Alors je crois que ce passage ouvre la porte à trop d'incompréhensions. C'est vrai, mais c'est vrai là-haut. C'est un peu trop haut pour les gens.

Je crois que ça, il vaudrait mieux le supprimer. Surtout dire que les gens qui m'ont donné le plus de tracas, ce sont ceux qui prennent la vie au sérieux.1


Peu après

J'aurais une question pratique à te poser au sujet du physique subtil. Je vois bien les centres du mental qui correspondent à un monde, les centres du vital qui reçoivent toutes sortes d'influences, mais quel est le centre qui correspond au physique subtil et quelles sont les influences qui viennent par le physique subtil? Est-ce qu'il y a un centre qui correspond au physique subtil?

Les choses du vital, pour toi, où est le centre?

Pour le vital, c'est le nombril. Ça s'étend entre le cœur et le sexe, cette région-là?

Eh bien, le physique subtil, c'est entre le nombril et le dernier centre,2 toute cette région-là.

Et quelles sont les influences qui viennent du physique subtil?

Généralement, elles sont d'une qualité très supérieure aux influences matérielles. J'ai remarqué (je ne sais pas si c'est une chose personnelle ou une chose générale) mais le physique subtil que je vois est toujours d'une qualité un peu supérieure au physique lui-même. C'est-à-dire un peu plus harmonieux: les choses s'arrangent mieux. Quand ça vient du vital, le plus souvent c'est agressif, querelleur, etc., et difficile. Là, c'est une région généralement calme – calme, ordonnée, où les choses sont plus harmonieuses –, GÉNÉRALEMENT (je ne sais pas si c'est le cas pour tout le monde, mais pour moi, c'est comme cela).

Je t'ai dit que Sri Aurobindo y habite d'une façon permanente, c'est comme s'il y avait une maison à lui: on le voit, on peut rester avec lui, il est occupé. Ça ressemble beaucoup au physique, mais un physique qui grincerait moins, tu comprends; où les choses sont plus harmonieuses, plus satisfaisantes, et puis moins excitées; il y a moins ce sentiment de hâte, d'incertitude. Dans cette maison où est Sri Aurobindo, on y vit une vie qui se déroule très-très harmonieusement: les gens entrent et sortent; on y mange même des repas. Mais tout cela obéit à des lois plus générales, et à une sorte de sécurité, de certitude qui n'est pas dans la vie physique. Et puis le symbolisme est plus exact (je ne sais pas comment dire...), la transcription symbolique des choses est moins déformée, elle est plus exacte.

Ça, c'est le physique subtil que je connais; je ne sais pas si c'est comme cela pour tout le monde. Mais Sri Aurobindo a dit: «Il y a un vrai physique», eh bien, j'ai l’impression que c'est celui-là, que c'est ce qu'il appelle «le vrai physique» – un physique plus subtil, le vrai physique qui est derrière.

Mais il influence toute la terre?

Ah! oui. Ces choses sont terrestres en général. Mais il est probable que c'est encore très subjectif, c'est-à-dire que chacun en a une impression suivant ce qu'il est et son degré de développement.

Mais est-ce qu'il a une action sur la terre, directe? comme le vital a une action sur la terre.

Je pense qu'avec la descente du Supramental, de plus en plus il aura une action sur la terre, parce que c'est dans ce physique subtil que se formera la nouvelle création avant qu'elle ne «descende», avant qu'elle ne puisse devenir tout à fait visible et concrète.

On a souvent l’impression qu'il suffirait d'une toute petite chose – qui est difficile à définir – mais un tout petit mouvement de matérialisation pour que ça puisse devenir concret à notre manière. Et c'est probablement – ce sera probablement une formation qui sera complète dans ce monde subtil avant de se matérialiser.

Je crois qu'il y a peu de gens qui peuvent faire la distinction; ils ont plutôt l’impression que c'est leur «manière de rêve» de voir les choses; n'est-ce pas, ils disent: «Oh! c'est un rêve.» C'est plutôt cela. Ça a plutôt ce caractère d'un domaine plus fluide et plus harmonieux que les choses physiques, mais de la même qualité, c'est-à-dire concrète; ça n'a pas la nature des choses vitales qui ont des vibrations de pouvoir mais qui n'ont pas cette même qualité très concrète et objective des choses matérielles; là, dans le physique subtil, c'est très concret. C'est-à-dire que si quelqu'un vous empêche de passer, vous le poussez: il ne s'évanouit pas, vous ne passez pas au travers. Si on voit un objet qui n'est pas à sa place, on le déplace. Voilà.

30 janvier 1963

Qu'est-ce que tu me lis? Rien? Rien du tout?

Alors, moi, j'ai quelque chose.

J'ai fini ma traduction (de La Synthèse). Quand tu auras fini ton livre, qu'on aura préparé un prochain Bulletin, qu'on sera tout à fait tranquille, on reprendra ça. Et j'ai commencé Savitri – ah!... Tu sais que je prépare des illustrations avec H, et pour ses illustrations, elle a choisi des passages de Savitri (ce n'est pas elle, c'est A et P, c'est fait avec intelligence), et elle me donne cela passage par passage, bien tapé (c'est plus facile pour mes yeux). C'est le Livre I, Chant IV. Mais alors, comme je m'y attendais, c'est une expérience plutôt intéressante... J'avais remarqué, quand je lisais, qu'il y avait une sorte de compréhension absolue, c'est-à-dire que ça ne peut être ni ça, ni ça, ni ça – c'est ça. Ça vient et ça s'impose. Et c'est là-dessus que je me suis basée en me disant: «Quand je vais le traduire, ça viendra comme ça», et c'est venu comme ça. Je prends le texte ligne par ligne, vers par vers, et avec la résolution (pas personnelle) de traduire vers par vers, sans me soucier le moins du monde du point de vue littéraire, mais en donnant l’expression la plus claire possible de ce qu'il a voulu dire.

Ça vient d'une façon à la fois exclusive et positive – c'est très intéressant. Il n'y a pas ce mental qui oscille toujours: «Est-ce que c'est ça? Est-ce que c'est ça? Est-ce que c'est comme ça? Est-ce que c'est comme ça?» – C'est comme ça (Mère abat sa main dans un geste de descente imperative). Et alors, dans certains cas (pas du tout au point de vue littéraire ni même son; pas le son ni rien, mais sens), c'est Sri Aurobindo lui-même qui suggère un mot. C'est comme s'il me disait: «Est-ce que ce n'est pas plus français, ça»!

Simplement, je suis la machine à noter.

Ça va avec une rapidité fantastique, c'est-à-dire qu'en dix minutes, je fais dix vers. Et dans tout cela, trois ou quatre fois seulement, il y a une ou deux possibilités différentes, que je note imédiatement. Ici, une fois (Mère montre un passage gomé de son manuscrit), la correction est venue, absolue; il a dit: «Non, pas ça: ça.» Alors j'ai effacé ce que j'avais écrit.

Tiens, lis d'abord le texte anglais.

Au-dessus du monde se tiennent les créateurs de mondes,
Dans le phénomène ils voient sa source mystique.
Ceux-là ne se soucient pas du jeu extérieur décevant,
Ils ne se tournent pas vers le piétinement effaré du moment...
Mais écoutent avec la patience immobile de Ce qui n’est pas né
Les pas lents de la Destinée lointaine
S’approchant à travers les immenses distances du temps,
Inaperçus par l’oeil qui voit l’effet et la cause,
Inaudibles dans le vacarme du plan humain.
Attentifs à une Vérité invisible ils saisissent
Le bruit d’ailes d’un oracle inaperçu.

(I.IV.54)

Je ne me suis pas relue moi-même, je le relis pour la première fois

(Mère lit à haute voix):

Ici, il y avait une hésitation entre «de l’instant» et «du moment»; alors il m'a montré (je ne sais pas comment ça se passe), il m'a montré les deux mots (pas écrits) «moment» et «instant», et il m'a montré qu'«instant», par rapport à «moment», est mécanique; il m'a dit: «C'est le mécanisme du temps; "moment" était plein et contenait l’événement.» Ce sont des choses comme cela, c'est inexprimable (je le traduis avec des mots mais ça perd toute sa valeur). C'est inexprimable, mais c'était formidable! Il y avait une hésitation entre «instant» et «moment», je ne sais pourquoi; alors il m'a montré «instant»: «instant» était sec, mécanique et creux; «moment» contenait tout ce qui se passe à chaque instant. Alors j'ai écrit «moment».

Ce n'est pas pensé, c'est venu comme cela. Probablement ce ne sont pas du tout des vers, ni même des vers libres, mais ça contient quelque chose.

Et alors j'ai résolu (ce n'est pas pour publication ni pour être montré, mais c'est une joie merveilleuse): je le garderai simplement comme je garde l'Agenda. J'ai l’impression que, peut-être, plus tard (comment dire?)... quand on pourra être moins mental dans son activité, ça mettra en rapport avec cette lumière [de Savitri] – tu sais, j'entre imédiatement dans quelque chose qui est tout à fait blanc et silencieux, et léger, vivant: une sorte de béatitude.

l’autre passage, c'est celui que j'ai traduit le premier jour:

In Matter shall be lit the spirit’s glow,
In body and body kindled the sacred birth;
Night shall awake to the anthem of the stars,
The days become a happy pilgrim march,
Our will a force of the Eternal’s power,
And thought the rays of a spiritual sun.
A few shall see what none yet understands;
God shall grow up while the wise men talk and sleep;
For man shall not know the coming till its hour
And belief shall be not till the work is done.

(I.IV.55)

Ici, il y a un peu plus de ratures. Probablement, ça ira en se perfectionnant. Mais ce passage est une merveille, c'est d'une beauté!

La Matière s’illuminera de l’éclat de l’esprit,
De corps en corps la naissance sacrée s’allumera;
La Nuit s’éveillera à l’hymne des étoiles,
Les jours deviendront une heureuse marche de pèlerin
Notre volonté sera la force du Pouvoir éternel,
Et notre pensée les rayons du soleil spirituel.
Quelques-uns verront ce que personne ne comprend encore;
Dieu grandira tandis que les hommes sages parlent et dorment...
C'est épatant!
Car l’homme ne connaîtra ce qui vient qu’à son heure
Et la foi n’existera pas jusqu’à ce que l’oeuvre soit accomplie.

Oh! j'aime cela: «Dieu grandira tandis que les hommes sages parlent et dorment.» Voilà.

Alors je continue.

Je garderai peut-être même le manuscrit au crayon: la tentation de corriger, c'est très mauvais; très mauvais parce que ce qui veut corriger, c'est la compréhension extérieure – c'est le goût littéraire, le sens poétique, toutes ces choses qui sont comme ça (geste en dessous). Tu sais, c'est comme si (et ce ne sont pas les mots), comme si le CONTENU des mots était projeté sur un écran absolument blanc et immobile (Mère montre son front), comme si les mots étaient projetés dessus.

La difficulté, c'est d'écrire, parce qu'il y a une matérialisation entre la vision et l’écriture; il faut que la Force fasse mouvoir la main et le crayon, et il y a une toute petite... encore il y a une toute petite résistance. Autrement, si je pouvais écrire automatiquement, oh! comme ce serait bien!

Il y aura peut-être (je ne sais pas, tout cela c'est de l’imagination parce que je n'en sais rien), il y aura peut-être des choses un peu... fantastiques. Mais il y a une insistance sur la nécessité de garder vers par vers comme s'il était tout seul dans l’univers. Pas de mélange dans l’ordre des vers, non-non-non! parce que lui, quand il l’a écrit, il l’a vu comme ça – tout ça, je n'en savais rien, je ne savais même pas comment il écrivait (il l’a dicté, je crois, en grande partie), mais c'est ce qu'il me dit maintenant. Tout s'arrête, tout, et puis oh! comme on s'amuse! Je m'amuse! C'est plus amusant que n'importe quoi. Je lui ai même dit hier: «Mais pourquoi écrire? À quoi ça sert?» Alors il m'a remplie de cette espèce de joie. Naturellement, quand on est dans sa conscience ordinaire, on dit: «C'est très égoïste», mais... Alors c'était comme une vision de l’avenir (pas trop proche, pas très-très proche – pas très-très lointain non plus), un avenir où cette espèce de chose blanche – blanche, immobile – se répandrait et que, là-dessus alors, ça pourrait être compris par un plus grand nombre d'esprits. Mais c'est une chose secondaire; c'est fait simplement pour la joie de le faire, c'est tout. Satisfaction que l’on peut appeler égoïste, mais quand on lui dit: «C'est égoïste», il répond que le plus grand égoïste, c'est le Seigneur, parce qu'il fait tout pour Lui!1

Voilà.

Alors je vais continuer. S'il y a des corrections, ce ne pourra être que par le même procédé parce que, corriger comme cela maintenant, ça abîmerait tout. Il y a aussi ce mélange (pour la raison extérieure), ce mélange du futur et du présent – ça aussi, c'est voulu. Tout paraît venir d'une autre façon. Et moi, je ne sais pas, il y a fort longtemps que je n'ai pas lu de français, je ne connais rien de la littérature moderne – pour moi, tout est dans le rythme du son. Je ne sais pas quel rythme ils ont adopté, et je n'ai jamais lu non plus ce que Sri Aurobindo a écrit dans The Future Poetry; on m'a dit que les vers de Savitri étaient en accord avec certaine règle qu'il a expliquée sur le nombre d'accents dans chaque ligne (pour cela, il faut prononcer à la manière anglaise pure, qui est pour moi assez rébarbative), mais peut-être qu'une règle de ce genre s'élaborera en français? On n'en sait rien. Je ne sais pas. À moins que les langues ne deviennent plus fluides à mesure que le corps et le mental deviennent plus plastiques? C'est possible. La langue aussi peut-être; au lieu de créer une nouvelle langue, il y aura peut-être des langues de transition, comme, par exemple (c'est une déformation pas très heureuse, mais enfin), comme l’américain est en train de sortir de l’anglais. Peut-être y aura-t-il aussi une nouvelle langue qui sortira comme cela?

Pour moi, la période où je me suis occupée du français, c'était entre vingt et trente ans (avant, je m'occupais plus de la vision: peinture; et de l’audition: musique), mais au point de vue langue, littérature, sons de la langue (parlée et écrite), c'était à peu près entre vingt et trente ans. Et les Prières et Méditations ont été écrites spontanément avec ce rythme-là. Si je restais dans une conscience ordinaire, j'aurais l’habitude de ce rythme-là, mais ça ne marche pas du tout maintenant, ça ne va pas!

Hier, après avoir traduit, j'étais étonnée de ce sens... un sens d'absolu: «C’est-comme-ça.» Et alors j'essayais d'entrer dans la mentalité des littérateurs, par exemple, et de me dire: «Quelles seraient toutes leurs propositions?» Et tout d'un coup, j'ai vu, comme ça (comme ça, là, quelque part), une quantité de propositions pour chacun des vers!... Ooh! je me suis dit: «Mais alors, c'était vraiment un absolu!» – C'est venu comme ça, et puis il n'y avait pas de discussion ni rien. Je te donne un exemple: quand il dit: The clamour of the human plane, «clameur» existe en français, et c'est un joli mot – il n'a pas voulu, il m'a dit: «Non», sans discussion. Ce n'était pas une réponse à une discussion, il m'a dit: «Ce n'est pas clameur: c'est vacarme.»2 Et ce n'était pas comme s'il opposait un mot à un autre; ce n'étaient pas les mots, c'était la pensée du mot, le sens du mot: «Non, ce n'est pas clameur, c'est vacarme.»

C'est intéressant, non?

Mais je voudrais que nous révisions la traduction de la même manière, parce que je suis sûre qu'il sera là – il est toujours là quand je traduis. Et alors, de nouveau, j'entrerai dans cet état-là, et toi tu feras le travail! (riant) tu écriras. Et puis, à moins que tu n'aies un vocabulaire extrêmement étendu (le mien était étendu, mais maintenant ça s'est restreint beaucoup), il faudra un dictionnaire convenable... Mais je crains que dans aucun dictionnaire on ne trouve quoi que ce soit.

Je trouve même qu'il faut les éviter.

C'est mauvais. Ça me met en colère quelque part. Ça donne une atmosphère tout à fait obscure, ça brouille l’atmosphère.

Malheureusement, j'ai perdu l’habitude du français, les mots que j'emploie pour m'exprimer sont très restreints, et le mot ne vient pas – ce qui cherche dans l’armoire aux mots ne trouve pas le mot. Je le sens en tangente, comme ça, je sens qu'il y a un mot, mais il y a toutes sortes de substituts qui viennent et qui ne valent rien.

Maintenant, c'est tout à fait une autre sensation, tout à fait. Ce n'est pas du tout cette espèce de mouvement qu'on a tout le temps avec tous les mots qui viennent, toutes les choses: on cherche, et puis tout d'un coup on attrape quelque chose – ce n'est plus du tout ça: comme si c'était la SEULE CHOSE qui soit existante dans le monde. Tout le reste – du bruit.

Voilà, mon petit.

février




15 février 1963

(À propos du passage de «Savitri» où Sri Aurobindo décrit l’uni-vers comme un jeu entre Lui et Elle: «Tout ce vaste monde est seulement Lui et Elle», Lui, le Suprême, amoureux d'Elle, serviteur d'Elle; Elle, la Force créatrice.)

As one too great for him he worships her;
He adores her as his regent of desire,
He yields to her as the mover of his will,
He burns the incense of his nights and days
Offering his life, a splendour of sacrifice....
In a thousand ways he serves her royal needs;
He makes the hours pivot around her will,
Makes all reflect her whims; all is their play:
This whole wide world is only he and she.1

(I.IV. 62)

C'est un travail admirable!

Il entre dans une région toute différente, c'est tellement au-dessus de la pensée! C'est une vision constante, ça ne se pense pas – la pensée, ça devient plat et creux, vide; vide, ça devient comme une feuille; mais ça, c'est plein, tout le contenu est là, c'est vivant.

C'est une explication de pourquoi le monde est comme il est. Au commencement, il dit: «Il l’adore.» He worships her (là aussi, il n'y a pas de mots en français: «Il lui rend un culte», mais c'est une phrase). He worships her [Il est à ses pieds] comme quelque chose de beaucoup plus grand que Lui. Alors on voit ça, n'est-ce pas, cette projection de Lui-même qui prend ce caractère créateur (nécessairement, autrement ça ne pourrait pas se faire!), le Témoin qui voit son propre travail de création et qui devient amoureux de ce pouvoir de manifestation – on voit ça. Et... ah! Il veut lui donner sa pleine chance complète, voir, voir tout ce qui va arriver, tout ce qui peut arriver avec cette Puissance divine projetée libre dans le monde. Et alors Sri Aurobindo exprime ça comme s'il était devenu tout à fait amoureux d'Elle: tout ce qu'Elle veut, tout ce qu'Elle fait, tout ce qu'Elle pense, tout ce qu'Elle désire, tout ça – tout est merveilleux! Tout est merveilleux. C'est si joli!

Et ma foi, je regardais ça, parce que c'est une conception qui à l’origine, la première fois que j'en ai entendu parler, m'a choquée, en ce sens que... (je ne sais pas, ce n'est pas une idée, c'était une impression): c'était comme si on donnait une valeur de réalité à quelque chose qui, dans ma conscience, depuis très longtemps, certainement... (peut-être déjà des millénaires, je ne sais pas) est le Mensonge qu'il faut vaincre. C'est le Mensonge qui ne doit plus exister. C'est la partie de Vérité qui doit se manifester, ce n'est pas tout ça. Cet amusement de faire n'importe quoi parce qu'on a le plein pouvoir... On a le pouvoir de tout faire, alors on fait tout, et on sait que, derrière, il y a une Vérité, alors on se fiche des conséquences. Ça, c'était une chose... c'est quelque chose contre quoi, aussi loin que je me souvienne, j'ai lutté. J'ai connu ça, mais il me semble qu'il y a si longtemps, si longtemps et que je l’ai tellement répudié, tellement j'ai dit: «Non-non!» et tellement j'ai imploré le Seigneur qu'il en soit autrement, je l’ai supplié pour que ce soit sa Vérité toute-puissante, sa Pureté toute-puissante, sa Beauté toute-puissante qui se manifestent et qui mettent fin à tout ce gâchis. Et d'abord, j'ai été choquée quand Sri Aurobindo m'a dit cela; avant, dans cette vie-ci, cela ne m'avait pas effleuré l’esprit. l’explication de Théon, par exemple, m'avait été beaucoup plus (comment dire?) utile au point de vue de l’action: que par la séparation des premières Puissances, le désordre avait été créé – mais ce n'est pas ça! C'est LUI qui est là, béatifique, en adoration devant toute cette confusion!

Et alors cette fois-ci, quand je me suis mise à traduire, naturellement c'est revenu; il y a eu d'abord un frisson (Mère fait un geste de raidissement). Et puis je me suis dit: «Tu en es encore là!» Et je me suis laissée couler dans la chose. Et j'ai eu une série de nuits avec Sri Aurobindo! si merveilleuses! N'est-ce pas, je le vois tout le temps et je vais dans ce monde physique subtil où il a sa demeure, c'est un contact pour ainsi dire constant (en tout cas, toutes les nuits se passent comme cela: c'est lui qui me fait voir le travail, qui me montre tout), mais alors, après cette traduction de Savitri, c'était comme s'il me regardait en souriant et il m'a dit: «Enfin! tu as compris.» (Mère rit) J'ai dit: «Ce n'est pas que je n'avais pas compris, c'est que je ne voulais pas!» Je ne voulais plus, je ne veux plus que ce soit comme ça, il y a des milliers d'années que je ne veux plus que ce soit comme ça!

Et la nuit d'avant, pas la nuit dernière, il avait mis un sari à moi, sur lui. Il m'a dit (riant) «Pourquoi? Tu trouves que ça ne me va pas!» J'ai dit: «Ça te va très bien!» Un sari de georgette brune, d'un brun mordoré, avec de grands galons d'or! C'était un très beau sari (je l’avais, c'est un de mes saris), il l’avait mis. Et alors il me disait de le coiffer. Je me souviens comme je voyais sa nuque et ses cheveux qui sont devenus presque lumineux – ses cheveux qui n'étaient jamais tout à fait blancs, qui avaient comme des reflets de châtain dedans, ils étaient comme dorés, et ils sont restés comme cela, très fins, pas du tout comme les cheveux des gens d'ici. Il avait des cheveux presque comme les miens. Et je le coiffais, et pendant que je le coiffais, je voyais sa nuque lumineuse, et ses cheveux qui étaient si lumineux! Et il me disait: «Pourquoi est-ce que je ne mettrais pas un sari!»

Et ça a ouvert tout un champ... Tu sais, on est toujours si fermé.

Naturellement, c’est2 fermé pour l’action, parce que quand on se met à tout admettre et à tout aimer et à voir la Gloire partout – pourquoi changer!? Et alors c'est cette Force qui était en moi depuis si longtemps pour que le monde fasse un nouveau progrès, qui faisait que je répudiais tout cela qui justement légitimait les choses telles qu'elles sont en vous mettant en contact avec cette joie de vivre intérieure – n'est-ce pas, comme il dit: personne ne veut quitter à cause de Sa joie à Lui, qui est là partout...

C'est-à-dire que j'ai pu voir la situation d'en haut, un petit peu plus haut que la Force créatrice – de l’autre côté.3


(Peu après, à propos d'un Agenda de 1962, du premier grand Tournant de Mère, qu'Elle voulait montrer à l’un de ses proches pour tenter de lui faire comprendre ce qu'Elle faisait:)

J'avais demandé deux copies à Sujata, et puis je me suis aperçue que ce n'était pas du tout nécessaire. Je t'avais dit que je le donnerai à lire à A, et puis A est venu, je lui ai donné un ou deux des derniers [Agenda] tapés par Sujata – je n'ai plus envie du tout.

Alors je te vois quand?

Nous sommes le 15 aujourd'hui. Tu m'avais dit le 19.

Oui, mais il y a eu des changements, je te dis: je suis assassinée de gens.

Enfin...

Le 21, nous avons une méditation le matin à 10 heures, puis à 6h et quart du soir, je vais aller sur la terrasse – tu peux me voir de chez toi? Mais il paraît qu'on entend la musique...

Oui, on entend.

Ça, c'est très amusant. C'est quelqu'un qui s'amuse – quelqu'un qui s'amuse et qui, pour ainsi dire, me force à jouer. Je vais m'asseoir et puis il me dit: «Tu partiras comme ça.» Alors je pars comme ça, et puis il brode, il arrange. Puis tout d'un coup, il dit: «Ah! ça suffit»! et puis il s'en va!

Je ne sais pas qui c'est.

Quand je m'assois, je fais... comment dire? (ce n'est pas une prière) mon invocation habituelle, comme ça (geste vers le Haut), je suis en état de contemplation, et puis tout d'un coup, ça commence; je vois mes mains, n'est-ce pas, qui sont placées sur des notes: «Allez! commence comme ça.» Bon, alors je commence comme ça. Et puis le son appelle le son. Il faut que je sois, moi, très tranquille. Et alors, oh! c'est joli ce que j'entends, c'est joli! Et je ne sais pas du tout ce que je joue. C'est ça que je joue mais je n'entends pas ce que je joue: j'entends l’autre.

C'est pour cela qu'un jour je demanderai à entendre l’enregistrement, pour voir si c'est la même chose.

Il y a des choses nouvelles qui viennent, c'est amusant. C'est très différent d'avant. Avant, j'écoutais la musique et je la jouais. Maintenant, ce n'est pas ça: c'est quelqu'un qui joue et j'entends ce qu'il veut jouer – je ne sais pas si c'est ça que je fais!4

19 février 1963

(Une expérience de Mère survenue le lendemain de la dernière entrevue, le 16:)

C'était vraiment très intéressant. Et puis ce n'est plus qu'un souvenir, ce n'est plus ça... Ça concernait la création du monde matériel, de l’univers matériel, d'après cette conception du Suprême qui devient amoureux de Son émanation; mais alors c'était d'une façon tout à fait générale. C'était la vision comme si j'étais de l’autre côté – du côté du Suprême, pas de la création –, et voyant la création dans son ensemble, avec le vrai sens du progrès, le vrai sens de l’avance, du mouvement, et la vraie manière dont ce qui n'appartient pas à la création future disparaîtra dans une sorte de pralaya1 (ça ne peut pas «disparaître», mais ce sera retiré de la Manifestation). Alors c'était très intéressant: tout ce qui ne collabore pas (en ce sens que c'est une expérience suffisante, une expérience qui n'a pas de suite) était réabsorbé. C'était comme la vraie façon de voir ce qu'ils ont traduit par le Jugement dernier. C'est une chose qui se passe constamment, toute cette «bouffée» de manifestation, et il y a des choses qui ont été, selon notre vision du temps, mais qui se prolongent, c'est-à-dire qu'elles continuent à exister dans l’avenir; il y a des choses qui s'épuisent (ça, c'est le présent); et il y a des choses qui n'ont plus de raison d'être, qui ne peuvent pas suivre le mouvement (je ne sais pas comment expliquer) et qui rentrent dans le Non-Être – dans le pralaya, le Non-Être, ce qui n'est pas manifesté –, mais pas dans leurs formes: dans leur essence naturellement; c'est-à-dire que ce qui est le Suprême reste le Suprême non-manifesté.

Mais tout ça, c'était une expérience vivante, concrète, qui a duré pendant un jour et demi. C'était tout le mouvement universel qui était VÉCU, sensible; pas seulement vu: vécu – dans une lumière! une puissance formidable! Et alors cette espèce de certitude qui est en toute chose – c'est très curieux. C'est difficile à exprimer. Mais l’expérience a duré si longtemps qu'elle était devenue tout à fait familière; traduite par des mots, je pourrais dire: c'est la façon du Suprême de voir les choses – de les sentir, de les vivre. Je les vivais comme Lui. Et alors, ça donne une puissance de certitude de réalisation en ce sens que: ce vers quoi on va, c'est là déjà; et le chemin vu, le chemin parcouru et le chemin à parcourir, tout ça vit simultanément. Et alors une logique! Une super-logique éternelle, merveilleuse, qui fait que c'est de toute évidence – tout est de toute évidence. Oh! les luttes, les efforts, les craintes, tout ça, absolument, absolument inexistant. Et en même temps, l’explication du sentiment que l’on a de choses que l’on ne veut plus: elles ne sont plus dans le Manifesté. N'est-ce pas, c'est comme un crible où tout est jeté, et où Lui... (pour Lui, tout-tout est la même chose) mais la vision de ce qu'il veut, et alors de ce qui est inutile à ce qu'il veut, ou de ce qui empêcherait la plénitude, la totalité de ce qu'il veut (des sortes de contradictions, je ne sais pas comment expliquer cela), alors ça, simplement Il fait comme ça (geste de réavaler) et ça sort de la Manifestation.

À ce moment-là, j'aurais pu le dire d'une façon compréhensible, maintenant...

Mais ces choses inutiles, elles peuvent être retirées de la Manifestation sans provoquer des catastrophes?

Je ne sais pas comment dire... Si je le dis comme cela, ça introduit un arbitraire qui n'existe pas: ce n'est pas un «Monsieur» qui décide de retirer certaines choses parce qu'il n'en veut plus! ce n'est pas ça. Ce sont des choses qui, par leur tendance même (ce que l’on pourrait appeler la vérité de leur être), des choses qui, à un moment donné, avaient une place dans la Manifestation, et qui tout naturellement sortent de la Manifestation quand leur utilité est partie – il y a cinquante façons de le mal dire, je ne vois pas comment on peut le dire convenablement. Mais c'était un fait évident. Ça faisait partie de cette Chose si merveilleusement complète et harmonieuse – cette Harmonie-là, nous ne la comprenons pas, nous ne pouvons pas la comprendre parce que nous sommes trop dans la sensation des choses opposées. Mais là, ça n'existe pas, les choses «opposées»; seulement il y a des choses qui... Comme ce fait du Suprême qui paraît être dominé par Sa création et qui obéit totalement à la création – comme s'il ne pouvait rien, ne savait rien, ne voyait rien, et ça continue dans le chaos que nous connaissons –, eh bien, quand nous le disons comme cela, ça a quelque chose qui nous paraît incroyable et choquant, mais là c'était si-si naturel et si vrai, et ça faisait partie d'un tout si parfait!

Seulement, on ne peut le voir que si on voit tout. À ce moment-là, tout était pré-existant, quoique se déroulant dans le temps pour la Manifestation. Mais c'était pré-existant. Et pas pré-existant comme nous le comprenons, pas tout «à un moment donné»... Oh! comme c'est impossible! C'est impossible à dire. J'ai encore ce que je pourrais appeler la chaleur de l’expérience – la réalité, la vie, la chaleur de l’expérience sont là. J'ai vécu, n'est-ce pas, dans une Lumière! Une Lumière qui n'est pas notre lumière, qui n'a rien à voir avec ce que nous appelons lumière, mais une Lumière tellement chaude et tellement puissante! une Lumière créatrice. Tellement puissante!... Et tout était si parfaitement harmonieux: tout-tout-tout sans exception, même les choses qui paraissent absolument contradictoires de la Divinité. Et avec un rythme! (geste comme de grandes ondes) une harmonie, une TOTALITÉ si merveilleuse! où la succession... La succession, ce ne sont pas des choses comme ça (gestes hachés), dont l’une abolit l’autre, c'est... Peut-être, à ce moment-là, j'aurais pu trouver ou inventer des mots, je ne sais pas, maintenant... maintenant, c'est seulement le souvenir. C'est le souvenir, ce n'est pas la présence.

l’expérience a duré longtemps. Elle a commencé la nuit et duré un plein jour, et il y avait encore quelque chose qui restait cette nuit, et puis... (riant) c'était comme si l’on me disait: «Quoi? Tu ne vas pas bouger de cette expérience-là maintenant! Tu vas rester là, tu es collée?!» Mais c'est tellement ça: ça va vite, ça va vite, ça va vite, et on a beau courir, on ne va pas aussi vite qu'il faut.

La nuit dernière ou la nuit d'avant encore, j'étais dans la maison de Sri Aurobindo et il me disait: «Il y a des choses qui ne vont pas.» Et il m'a fait faire la visite de sa maison. Et il y avait des tuyaux – de gros tuyaux – qui avaient crevé. Il m'a dit: «Tu vois, on n'a pas fait attention.» Il y avait des endroits où l’on avait enlevé tous les meubles et on nettoyait d'une façon idiote; il m'a dit: «Tu vois, ils ne font pas ce qu'il faut.» Alors j'ai compris que c'était la réflexion de choses qui se passent ici. Et il était... (il n'était pas fâché, il n'est jamais fâché), mais on l’embêtait, en ce sens qu'il ne pouvait pas faire son travail: j'arrivais dans une chambre, je voulais lui arranger un coin parce qu'il voulait écrire, et c'était impossible, tout était arrangé d'une telle manière qu'il ne pouvait même pas avoir un coin convenable pour écrire – d'autres fois, c'est tout à fait bien. Parce que ça change tout le temps (les arrangements de chambre ont un sens intérieur – ça a un SENS –, alors ça reste toujours le même, c'est comme si le cadre était toujours pareil; parce que ce n'est pas une maison d'après le plan d'un architecte! c'est sa maison à lui: il l’a arrangée selon son goût, et ça reste), mais les gens semblent avoir une admission libre là-dedans, tout à fait libre, et chacun veut faire quelque chose, veut être «utile », (riant) alors c'est affreux! C'est ça qui a effacé, a poussé l’expérience en arrière dans le champ du souvenir. C'était comme s'il me disait: «Ne t'occupe pas trop des choses universelles parce que ici, (riant) ça ne va pas trop bien!»


(Un peu plus tard)

Depuis vingt jours, je suis dérangé.

Et moi, je suis harassée naturellement – c'est la façon dont les gens conçoivent de fêter mon birthday! [anniversaire]

Avec cette expérience, je m'attendais ces jours-ci à des choses vraiment exceptionnelles, vraiment parce que... c'est une Présence si concrète! si concrète! Mais c'est un concret qui rend notre concret tout à fait mince et sans vie – ce que nous appelons «vie», c'est une espèce de... quelque chose de gélatineux!

(silence)

On ne me donne pas le temps d'avoir des expériences. C'était comme cela l’autre nuit, comme si Sri Aurobindo me disait: «Tu vois, tu vois ce qu'ils font quand tu n'es pas là.» Mais alors je perds tout mon temps!

Moi, je voulais que le livre (l’Aventure de la Conscience) soit publié pour le 21 février 64. Ça ne va pas faire beaucoup de temps parce que... Ça aussi, c'est merveilleux, ça devait faire partie des choses que Sri Aurobindo me faisait voir: à l’Imprimerie, ils sont en retard pour tout – et ils travaillent nuit et jour! Ils n'ont jamais tant travaillé! Évidemment, vu d'en haut, c'est un manque d'organisation; pour une chose qui demanderait un gramme de force, ils doivent y mettre un kilo, et ça ne marche pas.

Ça grince, ça grince.

Manque d'organisation. Mais tout, toute la vie – toute la vie est comme cela!

Pour TOUT.

Pour décider de quelque chose, organiser quelque chose (ce sont des exemples concrets que j'ai: quatre, cinq, dix par jour), il suffirait de quelques minutes de vision claire, tranquille, mais TOTALE, pour que tout marche parfaitement bien. Et alors ils sont quatre ou cinq pour décider; chacun apporte son idée, son point de vue, son petit angle; ils mettent tout ça ensemble, ils bavardent pendant deux heures... et rien n'est fait.

Alors finalement, ça revient à dire qu'il va falloir que je recommence... J'avais cessé depuis longtemps de m'occuper de tout – longtemps avant de monter, j'avais dit aux gens: «Faites vos propres affaires.» Et c'est devenu un tel chaos!... Alors aggravé quand, physiquement, ils ne m'ont pas vue. La présence physique, c'était simplement quelque chose qui les tenait.

C'est devenu impensable.

Mais je dois dire que ce n'est pas limité à l’Ashram: dans le monde c'est comme cela aussi – spécialement dans l’Inde... le gouvernement est devenu tout à fait toqué. Ils bombardent les gens de papiers à remplir, de règlements, d'interdictions...

J'ai une lettre sur trois qui est ou censurée ou disparue.

Oui, c'est ça. Ma correspondance, il y en a plus de la moitié qui n'arrive pas. Mais tu sais pourquoi? – Ce n'est pas du tout qu'ils la trouvent suspecte ou quoi que ce soit de ce genre; c'est qu'ils sont débordés de travail, ils sont fatigués, agacés: au lieu d'ouvrir soigneusement et de pouvoir refermer, ils déchirent de telle façon qu'ils ne peuvent pas décemment faire passer la lettre! Ce n'est pas autre chose que cela. C'est comme les paquets, tu ne peux pas t'imaginer! Ils ouvrent les paquets... un enfant ouvrirait mieux qu'eux! C'est dégoûtant. Ils cassent les choses, ils gâtent tout, ils renversent les bouteilles, ils... Alors, naturellement, qu'est-ce qu'ils peuvent faire? Quelquefois ils ne peuvent même pas l’envoyer parce que c'est trop abîmé.

Maintenant, je dois dire que quand les gens se plaignent, je leur dis: «Mais imaginez un peu que vous ayez à faire ce travail imbécile (c'est un travail imbécile) et que jour après jour, heure après heure, toute la journée, avec pas assez de gens (ou la moitié de ceux qui sont là qui ne fichent rien), vous soyez obligés de faire ça – vous saboteriez aussi, ce serait la même chose au bout d'un certain temps.»

C'est ce que je dis toujours aux gens qui critiquent le gouvernement: «Vous mériteriez qu'on vous mette à la place du Premier Ministre, ou de tel ou tel autre ministre, à prendre des décisions, et puis que vous ayez la responsabilité et que vous vous trouviez tout d'un coup obligé de décider de choses que vous ne savez pas, vous verriez comme c'est gai!» N'est-ce pas, pour gouverner convenablement, il faut être... il faut être un sage! Il faut avoir une vision universelle, il faut être au-dessus de toutes les questions personnelles... Il n'y en a pas un – pas un.

Il y en a qui sont amorphes (ce sont les meilleurs parce que ceux-là, je peux leur faire faire ce que je veux); ils sont comme des automates, alors on peut en faire quelque chose; mais malheureusement ils se croient... justement ils ont le sens de leur responsabilité et ils se croient très supérieurs, alors là c'est terrible!

Enfin...

On a envoyé des papiers à 1'Ashram pour demander si nous avions des objets en or autres que des bijoux! Alors, (riant) je voyais ça dans les anciens palais: des candélabres d'or, le trône!...

C'est tellement ridicule!

Que faire?... Durer.


Puis Mère parle de sa traduction de Savitri

Je le fais exclusivement pour la joie d'être dans un monde... un monde d'expression surmentale (je ne dis pas supramentale: je dis surmentale), une expression lumineuse, merveilleuse, à travers laquelle on peut attraper la Vérité.2

Ça m'apprend l’anglais sans livre! Maintenant, quand j'ai une lettre à écrire, tous les mots viennent: le CONTENU du mot (comme je te l’avais dit pour «moment» et «instant»), c'est devenu pour tous les mots comme ça! J'écrivais hier quelque chose en anglais pour un docteur qui est ici (Mère cherche un papier): The world progresses so rapidly that we must be ready at any moment to overpass what we knew in order to know better [Le monde progresse si rapidement que nous devons être prêts à tout moment à dépasser ce que nous connaissions afin de connaître mieux]. Et alors, jamais je ne pense: ça vient, ou le son ou le mot écrit (cela dépend des cas: tantôt je vois les mots écrits, tantôt j'entends le son). Par exemple, d'abord est venu advance, et avec advance il y avait quick, quickly, constamment; puis est venu progress, et quick ne se présentait plus; et tout d'un coup est arrivé rapidly; alors j'ai compris, c'était comme cela, tous les mots viennent comme cela! J'ai compris: avec progress (l’idée, le sens intérieur de progress), c'est rapidly; avec advance, c'est quick. Dit comme cela, on a l’air de couper les cheveux en quatre, mais là, c'était d'une évidence absolue! Le mot était vivant, avec son contenu, et le mot qui était son ami, qui allait avec; et celui qui ne l’était pas était loin, il ne voulait pas! Oh! c'est si amusant! rien que pour ça, ça vaut la peine.

Et j'ai fait des expériences en français aussi. J'avais écrit quelque chose: «Pour chacun, le plus important est de savoir si on appartient au passé qui se perpétue, au présent qui s'épuise, à l’avenir qui veut naître.» J'ai donné ça à Z – pas compris. Alors je lui ai dit: «Ça ne veut pas dire «notre» passé, «notre» présent, «notre» avenir»... C'est quelque chose que j'avais écrit quand j'étais dans cet état-là (l’expérience du début de cette conversation) et c'était en relation avec une très gentille vieille dame qui vient de quitter son corps: je lui ai dit cela. On s'attendait à son départ depuis déjà plus d'un ou deux mois, mais j'ai dit: «Vous verrez, elle durera; elle durera au moins un ou deux mois», parce qu'elle sait vivre au-dedans, en dehors de son corps, et le corps continuera par habitude, sans chocs et sans heurts. Alors elle était dans cet état, ça pouvait durer très longtemps. On avait annoncé qu'elle allait partir dans les quarante-huit heures, j'ai dit: «Ce n'est pas vrai.» Et je la connais bien en ce sens qu'elle était sortie de son corps et qu'il y avait le lien avec moi. Et je lui disais: «Qu'est-ce que ça peut te faire!... (mais elle ne s'inquiétait pas du tout, elle restait tranquille près de moi)... le tout est de savoir si on appartient au passé qui se perpétue ou au présent qui s'épuise, ou à l’avenir qui veut naître.» Quelquefois, ce que NOUS appelons passé, c'est là, c'est l’avenir qui veut naître; quelquefois, ce que NOUS appelons le présent, c'est quelque chose qui est en avance, qui est venu en avance; mais c'est aussi, quelquefois, quelque chose qui est venu en retard, qui appartient encore à ce qui va disparaître – tout ça, je le voyais: les gens, les choses, les circonstances, tout avec cette perception-là, et quelle était la vibration qui allait continuer en se transformant, quelle était la vibration qui allait s'épuiser, disparaître, quelle était la vibration qui, bien qu'elle ait été manifestée depuis longtemps, avait un droit à continuer, à persister – ça change toutes les notions! C'était si intéressant! Alors j'ai écrit ça tel quel – pas d'explication (on n'a pas du tout envie d'expliquer dans ce cas-là, c'est tellement évident!). Pauvre Z, il m'a regardée – comprenait plus! Alors je lui ai dit: «N'essayez pas! Je ne parle pas du passé, du présent et de l’avenir tels que nous les connaissons, ce n'est pas ça.» (Mère rit)

Mais c'est amusant parce que cela ne m'avait jamais beaucoup occupée (les questions de langage), c'est une expérience tout à fait neuve, comme la vérité derrière l’expression. Avant, c'était le souci d'être aussi claire, aussi exacte, aussi précise que possible; de dire ce que l’on veut dire exactement, de mettre le mot à sa place. Mais ce n'est pas ça! C'est chaque mot qui a sa vie propre! Les uns s'assemblent par affinité, les autres se rejettent, c'est très amusant!

23 février 1963

(À propos d'un rêve, ou plutôt d'une expérience de Sujata, dont malheureusement nous n'avons pas gardé note:)

Elle est allée chez Sri Aurobindo, dans le physique subtil – c'est une chose vraie, réelle, concrète, aussi concrète qu'ici.

Dès que j'ai eu sa lettre, j'ai vu: elle est allée là. D'ailleurs je savais qu'elle avait été là. Il y a tant de gens qui y vont et ne le savent pas! ils oublient. Mais elle a eu un joli souvenir.

Elle y va très souvent la nuit, très souvent, mais les gens ne se souviennent pas.

Et c'est tout simplement un manque d'éducation. Si l’on s'éduque soi-même, on se souvient très bien. Ce sont des petits trous dans la conscience, des vides; alors quand on passe à travers le vide, on oublie. Mais on a aussi, tout d'un coup, comme une vague impression de quelque chose, et puis ça vous échappe – ah! c'est fini. Seulement ça prend beaucoup de temps pour s'éduquer; il ne faut pas être pressé, il ne faut pas être occupé. Je me suis fait ça à une époque où j'ai dû rester cinq mois couchée; je n'avais rien à faire (on ne peut pas lire tout le temps – j'ai lu pendant ces cinq mois à peu près huit cents livres... non, neuf-cent-cinquante! mais les yeux se fatiguent), alors le reste du temps (on ne peut pas dormir non plus quand on est couché tout le temps), je me suis éduquée: c'est à ce moment-là que j'ai appris à avoir des nuits entièrement conscientes. Mais c'est une discipline. Quand on se réveille, que ce soit au cours de la nuit ou le matin: pas bouger, rester absolument immobile et concentré, très silencieux, en TIRANT le souvenir. Alors, pendant un mois, deux mois, ça ne mène à rien du tout; six mois, ça commence à agir; et à la fin, on se souvient de tout. À la fin, on fait le mouvement opposé, en ce sens que chaque fois qu'on a un rêve intéressant, on se réveille: on apprend à se réveiller au milieu de la nuit chaque fois qu'on a une vision ou un rêve, une activité (ça dépend), de façon à se souvenir, et puis on se le répète à sa conscience (quand on est éveillé, on se le répète deux-trois fois, dix fois, pour être bien sûr de ne pas oublier), et puis on repart.

Mais tout ça, si le matin il faut sauter de son lit, si on a cinquante mille choses qui vous hâtent, on ne peut pas. Ce n'est pas indispensable pour le yoga, du tout; c'est plutôt une distraction, un amusement.

(protestations du disciple)

Et alors on a le plaisir de savoir ce qui se passe – ce n'est pas nécessaire. Je sais maintenant, ça m'est tout à fait égal! Quand je me couche, au moins huit fois sur dix, quand je suis couchée, je dis: «Ô Seigneur, donne-moi une nuit silencieuse», ce qui est très égoïste – Il me fait travailler toutes les nuits! Mais quelquefois, on est fatigué de travailler, on a envie d'être béatifique. Un silence béatifique. Alors je Lui demande: «Laisse-moi être béatifique.»

Ça réussit assez bien. Mais c'est une nuit sur cinq ou six.

Autrement, toute la nuit est consciente, et tu ne peux pas t'imaginer la quantité formidable de choses que l’on peut faire dans la nuit!

Enfin, c'est bien, j'étais très contente pour elle [Sujata], c'est très bon signe.


Peu après

Nous avons un grand mathématicien ici, qui vient de Madras régulièrement, le Dr. V, tu connais, et il s'est amusé, pour le jour de ma fête,1 à prendre les chiffres de ma date de naissance et il a fait avec cela un carré avec des petits compartiments (ce doit être un terrible travail!): dans n'importe quel sens on lit, ça fait toujours le même chiffre. C'est admirable. Et ce chiffre, c'est 116. Tout cela, ce sont des mathématiques célestes (!) mais ce devrait être le chiffre de mon nombre d'années. Mais je trouve que c'est un peu court. Parce que à l’allure où ça va, cent-seize ce n'est pas beaucoup qui reste; une trentaine d'années, un peu plus... oui, une trentaine d'années, c'est tout. Qu'est-ce qu'on peut faire en trente ans!? À la façon dont ça marche, oh!... Quand Sri Aurobindo disait trois cents ans, je crois qu'il a dit le chiffre minimum.

On verra.

(silence)

Il y a, dans la conscience corporelle, deux attitudes qui sont toutes les deux... Non, il y en a une qui devient beaucoup plus naturelle: c'est une sorte d'attitude (comment dire cela en français?) everlasting... perpétuelle, il n'y a aucune raison pour que ça ne continue pas; les cellules se sentent perpétuelles et il y a un certain état de paix harmonieuse intérieure qui participe à l’éternité, c'est-à-dire qu'il n'y a pas le genre de désordre, de friction, qui est la cause du vieillissement ou de la désintégration (c'est une espèce de grincement dans les rouages qui fait cela). La conscience ordinaire des gens (je ne parle pas ici d'idées, de conceptions, rien de tout ça: c'est la conscience du corps, la conscience des cellules du corps), la conscience ordinaire naturelle, normale, est cette conscience de grincement, de friction, qui est un désordre perpétuel, et qui cause le vieillissement. Ça, ça commence à s'éloigner.

C'est rarement senti, sauf quand il y a une trop grande pression du dehors. Quand il y a une accumulation formidable d'un tas de petites... on ne peut pas appeler ça des «volontés» mais des velléités de choses (de choses, de gens, de circonstances) qui veulent être exécutées, qu'on s'occupe d'elles; quand ça ne dépasse pas une certaine quantité, c'est reçu avec un sourire et cela n'a aucun effet, mais quand la dose est dépassée, alors tout d'un coup, il y a quelque chose qui dit: «Ah! non! assez-assez-assez!» À partir de ce moment-là, la conscience ne vaut plus rien. Elle retombe dans l’ancien rythme, et par conséquent ça doit produire une usure. Mais de l’autre manière, c'est une sorte de mouvement harmonieux, onduleux (Mère dessine de grandes ondes) qui est presque hors du temps, pas tout à fait: il y a une sorte de perception du temps, mais secondaire et un peu lointaine. Et ce mouvement-là (geste d'ondes) qui donne le sens de l’éternité – en tout cas du perpétuel –, il n'y a pas de raison que ça cesse. Il n'y a pas de friction, il n'y a pas de frottement, il n'y a pas d'usure, et ça peut durer indéfiniment.

Ça commence à être comme cela.

Mais pas ces jours-ci.2

Hier soir (était-ce hier?... non, avant-hier), quand je suis allée là-bas, sur la terrasse-balcon,3 la différence de perception de la conscience entre maintenant et celle que j'avais avant, c'était formidable! Avant, je l’ai toujours dit: je reste là, j'appelle le Seigneur, et dans Sa présence, je reste, et c'est seulement quand Il se retire que je rentre – c'était comme cela. Et j'avais une certaine relation avec les gens, les choses, le monde extérieur («extérieur», pas extérieur, mais enfin le monde). Avant-hier, quand je suis allée, je ne pensais à rien, je n'observais même pas, simplement je suis allée – je ne voulais pas savoir ce qui se passait, ça ne m'intéressait pas et je n'observais pas... C'était comme si l’autre expérience (du premier balcon, il y a un an) avait été des siècles avant! C'était tellement AUTRE CHOSE! Et si spontané, si naturel, et puis alors si immense!... La terre était petite. Et pourtant c'était tout à fait ici: je n'étais pas «là-bas», c'était LE CORPS qui sentait ça. Et en même temps (j'étais deux étages au-dessus des gens), chaque fois que je regardais, je reconnaissais des tas, des tas de gens, comme s'ils me sautaient aux yeux – une vision si claire, beaucoup plus claire (la vision que j'avais était toujours un peu trouble parce que ce n'était pas tout à fait physique ce que je voyais: c'étaient les forces qui bougeaient), et hier, c'est comme si... comme si j'étais montée au-dessus de la possibilité du brouillard! C'était beaucoup moins physique, BEAUCOUP PLUS exact.4

Et avant, j'avais l’impression de la Force, de la Conscience, de la Puissance, concentrées à un certain endroit et se répandant. Et là, c'était une IMMENSITÉ de Puissance, de Lumière, de Conscience, de perception, qui se concentrait dans un tout petit point: c'était tous ces gens.

Une différence si colossale que je ne m'y attendais pas – je n'y pensais pas, je ne m'y attendais pas. Je suis restée là tout le temps que c'était comme cela, et puis à un moment donné, on a dit: «Ça suffit, les gens se fatiguent.» (Ce n'était pas moi.) «C'est assez, ils ne peuvent plus la supporter davantage.» Je suis rentrée. C'est ça qui m'a fait rentrer. Ça a duré cinq minutes. En cinq minutes, ils étaient pleins à craquer.

Je crois que ce corps est devenu une autre personne, ce n'est plus la même chose. Il n'est plus ce qu'il était. Et pourtant, le souvenir de son existence terrestre n'a pas disparu, ce n'est pas un autre corps; et pourtant c'est une autre personne. Tout ça, je parle seulement de la conscience matérielle (Mère touche son corps); l’autre chose là-bas (geste en Haut), tout s'explique très facilement, il y a longtemps que c'est fait, c'est autre chose – non, c'est ici. C'est ICI qu'est le changement. C'est curieux. Voilà, petit.


(Un peu plus tard, Mère parle des secrétaires qui ne font pas ce qu'Elle dit et qui prennent trop de son temps:)

Ils ne tiennent absolument aucun compte de ce que je dis.

Comment?!

Oh! c'est comme ça. Je dis aux gens: «Il faut que j'aie fini à telle heure.» – «Oui-oui.» Et puis on ne bouge pas. Je ne vais pas me mettre à les... Et alors je suis coincée, les pieds sous la table, c'est difficile... Ou il faut faire un éclat.

Quelquefois je le fais, je dis: «Ah! au revoir», et je pousse ma chaise. Je me lève et je pousse ma chaise. Mais ça, c'est... quand c'est d'une nécessité absolue.5 Au fond, je suis rarement méchante! (rires)

Ça peut arriver: ce matin, je l’ai été. Il y a des gens qui avaient mis leur petite fille ici; elle est restée quatre ou cinq ans, ils ne se sont pas du tout occupés d'elle. Elle était dans le dortoir de M – M a été une véritable mère pour elle, elle s'est occupée de ses robes, de tout, les parents ne s'en occupaient pas (je crois qu'ils envoyaient régulièrement les cent roupies, et puis c'était tout, ils n'avaient pas une pensée pour leur fille). Cette petite, chez elle, c'est ici. Alors les parents sont arrivés pour le Darshan, ils ont trouvé que la petite n'était pas assez chaleureuse, qu'elle ne les aimait pas assez, qu'elle aimait beaucoup trop être ici – conclusion: ils l’emènent. Ça m'a paru tellement... honteux! Honteux, d'un égoïsme si stupide.

J'ai essayé d'intervenir par plusieurs côtés. Ils avaient pris la petite chez eux : elle n'a pas cessé de pleurer, nuit et jour. Mange pas, pleure tout le temps. Et elle dit : «Je veux retourner, je veux retourner... Je veux rester ici, je ne veux pas m'en aller. »

«Ah ! c'est comme ça que tu es ! Eh bien, nous t'emmenons. »

C'est d'une cruauté ! Une des choses les plus laides qu'on puisse imaginer.

Hier, j'ai encore essayé (ils vont s'en aller aujourd'hui, je crois), je leur ai fait dire quelque chose, on m'a répondu : « Le père trouve que sa fille l'a oublié et ne l'aime plus, il ne veut plus la laisser ici, il l'emmènera. » J'ai répondu : « Il croit qu'en la maltraitant, il va l'obliger à l'aimer ?» — Imbécile, peut pas comprendre, rien n'entre dans sa tête.

Je n'ai pas vu le monsieur.

Et puis, ces gens ont amené avec eux un petit de quatre ans. C'était son anniversaire aujourd'hui. Ils m'ont envoyé de l'argent pour le petit et demandé une carte de bénédictions. J'ai refusé la carte et j’ai rejeté l'argent à leur nez — carrément. Et j'ai dit : « Vous leur direz que ce sont des gens égoïstes, selfish and stupid, and I want nothing from them » [égoïstes et stupides, et je ne veux rien recevoir d'eux]. Et j'ai tapé sur la table... Oh ! oh !... Tout le monde était sidéré. (Mère rit) Le docteur était là, Nolini, Champaklal, Amrita... Il y avait quelque chose en moi qui riait beaucoup ! Oh ! ils ont pensé que j'étais formidablement en colère : «Ils verront ce qui va leur arriver !... » Et tu sais, je connais ces vibrations : elles sont terrifiantes, mon petit. Ce n'est pas humain. Quand ça vient, c'est terrible, les gens sentent froid sur la peau. Et moi, je regarde ça comme un spectacle !

Plusieurs fois, c'est Sri Aurobindo. Mais cette fois-ci, c'était tout à fait impersonnel. C'était quelque chose qui ne VEUT PLUS tolérer dans le monde un certain genre d'imbécillité égoïste — massacrer toute la finesse de sentiment de cet enfant parce qu'elle n'est pas stupidement attachée à la famille ! (qui ne s'est pas occupée d'elle du tout, du tout, elle n'existait pas tous ces temps-ci).

Si vous voulez que vos enfants vous aiment, il faut au moins que vous les aimiez un peu, que vous vous occupiez d'eux, non ? C'est élémentaire, il n'y a pas besoin d'être calé pour comprendre ça — comprennent pas: «C'est le DEVOIR de l’enfant d'aimer ses parents »! ! Et puis si vous ne remplissez pas votre devoir, on vous met en prison.

Bon.

Mais ceux-là ne l'emporteront pas en paradis.

Cette petite, elle s'est débattue, n'est-ce pas, comme une noyée. Elle est allée partout : elle s’est réfugiée à l'école, réfugiée chez Pavitra, elle a supplié G en larmes d’intervenir. M est tout à fait désespérée. Tout le monde insiste, ils ont scandalisé tout le monde — leur «droit» ! Forts de leur droit, ils prennent la petite et la squeeze [pressurent]: «Tu nous aimeras ou tu verras ce qui va t’arriver. »

Et ils croient réussir !

Malheureusement, c’est toujours le meilleur qui souffre. Il y en a qui ont été emmenés comme cela et ils sont tombés si gravement malades qu’une fois suffisamment guéris, les docteurs ont dit de les renvoyer ici. C’est arrivé au moins une dizaine de fois. Ce sont ceux qui ont une vie intérieure, ils se sentent ici chez eux.

Enfin...


(Au moment de partir, Mère reparle de son expérience du balcon :)

Le balcon, c’était assez intéressant. Parce que tout d’un coup, je me suis aperçue d’un changement dont je n’étais pas consciente. C’est comme une montée en flèche dont je n’ai pas été consciente du tout. La seule chose dont je suis consciente, c’est qu’à chaque, CHAQUE moment, si je m'arrête de parler, ou d’écouter, ou de travailler, à chaque moment, c’est... comme des grandes ailes béatifiques, et vastes comme le monde, qui bougent lentement, comme ça.

C’est cette impression d’immenses ailes — pas deux : c’est tout autour et ça s'étend partout.

Et c’est constant, nuit, jour. Seulement, je n'y participe que quand je me tiens tranquille.

Mais ça ne me quitte pas.

Les ailes du Seigneur[1].

[1] Il existe un enregistrement de cette conversation.

mars




6 mars 1963

(À propos d'un ancien Entretien du 4 décembre 1957 où Mère demande: «Y aura-t-il un passage progressif entre ce que nous sommes maintenant et ce que notre esprit intérieur aspire à devenir, ou est-ce qu'il y aura une rupture, c'est-à-dire que nous serons obligés de laisser tomber cette forme humaine actuelle pour attendre l’apparition d'une forme nouvelle – apparition dont nous ne prévoyons pas le procédé et qui n'aura aucun rapport avec ce que nous sommes maintenant? Pouvons-nous espérer que ce corps, qui est maintenant notre moyen de manifestation terrestre, aura la possibilité de se transformer progressivement en quelque chose qui pourra exprimer une vie supérieure, ou est-ce qu'il faudra abandonner cette forme totalement pour entrer dans une autre qui n'existe pas encore sur la Terre?» Mère ajoute:)

Pourquoi pas les deux?

Les deux seront en même temps; l’une n'exclut pas l’autre.

Oui, mais est-ce que c'est l’une qui se transformera en l’autre?

l’une se transformera et sera comme une ébauche de l’autre. Et l’autre, parfaite, apparaîtra quand celle-ci sera en existence. Parce que les deux choses ont leur beauté et leur raison d'être, par conséquent elles seront là toutes les deux.

Le mental essaie toujours de choisir, de décider – ce n'est pas comme cela. Même tout ce que nous pouvons imaginer est beaucoup moins que ce qui sera. À dire vrai, chacun qui a une aspiration intense et une certitude intérieure sera appelé à la réaliser.

Partout, dans tous les domaines et toujours et éternellement, tout sera possible. Et tout ce qui est possible, tout, SERA à un moment donné – à un moment donné plus ou moins prolongé, mais tout sera.

De même qu'on a trouvé toutes sortes de possibilités entre les animaux et l’homme, qui ne sont pas restées, de même il y aura toutes sortes de possibilités: chacun essaiera à sa manière. Et tout ça ensemble aidera à préparer la réalisation future.

La question que l’on pourrait poser: est-ce que l’espèce humaine sera comme certaines espèces qui ont disparu de la terre? – Certaines espèces ont disparu de la terre (mais pas des espèces qui ont duré aussi longtemps que l’espèce humaine, je ne pense pas (?) et justement pas les espèces qui avaient en elles ce germe de progrès, cette possibilité de progrès). On a plutôt l’impression que l’évolution suivra une courbe qui se rapprochera de plus en plus d'une espèce supérieure, et peut-être tout ce qui est encore trop près des espèces inférieures tombera, comme ces espèces sont tombées.

On oublie toujours que non seulement tout est possible – tout, même les choses les plus contradictoires –, mais que tous les possibles ont au moins un moment d'existence.


(Peu après, Mère passe à la préparation des Aphorismes pour le prochain «Bulletin»:)

84 – Le surnaturel est un naturel que nous n'avons pas encore atteint ou que nous ne connaissons pas encore, ou dont nous n'avons pas encore conquis les moyens d'accès. Le goût du miracle, si répandu, est le signe que l’ascension de l’homme n'est pas encore terminée.

85 – Il est rationnel et prudent de se méfier du surnaturel; mais y croire aussi est une sorte de sagesse.

86 – De grands saints ont accompli des miracles; de plus grands saints les ont raillés; les plus grands d'entre eux les ont à la fois raillés et accomplis.

87 – Ouvre les yeux et vois ce qu'est réellement le monde et ce qu'est Dieu; débarrasse-toi des imaginations vaines et plaisantes.

Tu as des questions?

Oui, il y a deux sortes de questions...

Il y a deux choses très différentes.

D'abord on peut se demander: qu'est-ce qu'un miracle? Parce que souvent Sri Aurobindo a dit qu'il n'y a «pas de miracle», et en même temps, dans «Savitri», par exemple, il dit: «Tout est miracle ici-bas et par miracle peut changer»?1

Ça dépend comment on regarde: de ce côté-ci ou de ce côté-là.

On appelle miracle seulement les choses dont l’explication n'est pas claire, dont on n'a pas l’explication mentale. De ce point de vue, on peut dire qu'il y a une quantité innombrable de choses qui arrivent et qui sont des «miracles», parce qu'on ne peut expliquer ni le comment ni le pourquoi.

Qu'est-ce qui serait un vrai miracle?

Je ne vois pas ce qui peut être un vrai miracle, parce que qu'est-ce qu'un miracle, alors?

Un vrai miracle... Ce n'est que le mental qui a la notion de miracle, parce que le mental décide, avec sa logique propre, qu'étant donné ceci et cela, telle autre chose peut ou ne peut pas être. Mais ça, ce sont toutes les limitations du mental. Parce que, au point de vue du Seigneur, comment peut-il y avoir un miracle? – Tout est Lui-même qu'il objective.

Alors nous entrons dans le grand problème de la route suivie, cette Route éternelle comme l’explique Sri Aurobindo dans Savitri, Naturellement, on conçoit que ce qui s'est objectivé en premier est ce qui avait le goût de l’objectivation. La première chose à admettre, et qui paraît logique avec le principe de l’évolution, c'est que l’objectivation est progressive, elle n'est pas totale éternellement... (silence) C'est très difficile à dire parce que nous ne pouvons pas sortir de notre habitude de concevoir que c'est une quantité définie qui se déroule indéfiniment, et que ce n'est qu'avec une quantité définie qu'il peut y avoir un commencement. Nous avons toujours (au moins dans notre façon de parler) l’idée d'un «moment» (riant) où le Seigneur décide de s'objectiver. Et comme cela, l’explication est facile: Il s'objective graduellement, progressivement, ce qui donne une évolution progressive. Mais c'est seulement une façon de dire. Parce qu'il n'y a pas de commencement, il n'y a pas de fin, et pourtant il y a une progression. Le sens de la succession, le sens de l’évolution, le sens du progrès, n'existe qu'avec la Manifestation. C'est seulement si on parle de la terre que l’on peut expliquer très véridiquement et rationnellement, parce que la terre a un commencement – pas dans son âme, mais dans sa réalité matérielle.

Probablement aussi, un univers matériel a un commencement.

(silence)

Et si on regarde comme cela, un miracle serait, pour un univers, l’intrusion soudaine de quelque chose venant d'un autre univers. Et pour la terre (qui réduit le problème à quelque chose de très compréhensible), un miracle est l’intrusion subite de quelque chose qui n'appartenait pas à la terre – ça fait un changement radical et imédiat par l’entrée d'un principe qui n'appartenait pas à ce monde physique qu'est la terre.

Mais là encore, il est dit qu'au centre même de chaque élément tout est, en principe; alors même ce miracle-là n'est pas possible.

On peut dire que le sens du miracle n'appartient qu'à un monde fini, qu'à une conscience finie, qu'à une conception finie. C'est l’entrée – l’intrusion, l’intervention, la pénétration – subite, sans préparation, de quelque chose qui n'existait pas dans ce monde physique. Alors évidemment, toute manifestation d'une volonté ou d'une conscience qui appartient à un domaine plus infini et plus éternel que la terre est nécessairement un miracle sur la terre. Mais si on sort du monde fini et de la compréhension du monde fini, le miracle n'existe pas. Le Seigneur peut jouer au miracle, si ça l’amuse, mais il n'y a pas de miracle – Il joue à tous les jeux possibles.

On ne peut commencer à Le comprendre que quand on sent comme cela, qu'il joue à tous les jeux possibles – et «possible» ne veut pas dire possible selon la conception humaine, mais possible selon Sa conception à Lui!

Et là, il n'y a pas de place pour le miracle, à moins d'avoir l’air d'être un miracle.

(silence)

Si, au lieu d'une lente évolution, ce qui appartient au monde Supramental apparaissait subitement... ça, l’homme en tant qu'être mental, même dans la perfection de sa mentalité, de son domaine mental, peut l’appeler miracle, parce que c'est l’intervention de quelque chose qu'il ne porte pas consciemment en lui-même et qui intervient dans sa vie consciente. Et en fait, si on regarde ce goût du miracle, qui est très fort (beaucoup plus fort chez les enfants ou chez les cœurs qui sont restés enfants que chez les êtres très mentalisés), c'est la foi dans la réalisation de l’aspiration au Merveilleux, de ce qui est supérieur à tout ce que l’on peut espérer de la vie normale.

Au fond, on devrait toujours, dans l’éducation, encourager les deux tendances parallèlement: la tendance à avoir soif du Merveilleux, de ce qui paraît irréalisable, de quelque chose qui vous remplit d'un sentiment de divinité, tout en encourageant en même temps, dans la perception du monde tel qu'il est, l’observation exacte, correcte, sincère, l’abolition de toute imagination, le contrôle constant, le sens le plus pratique et le plus minutieux dans l’exactitude des détails. Il faudrait que les deux marchent parallèlement. Généralement, on tue l’un avec l’idée que c'est nécessaire pour faire croître l’autre – c'est tout à fait une erreur. Les deux peuvent être simultanés, et il y a un moment où la connaissance est suffisante pour savoir que ce sont deux aspects d'une même chose, qui est la clairvoyance, un discernement supérieur. Mais au lieu d'une clairvoyance et d'un discernement limités, étroits, le discernement devient tout à fait sincère, correct, exact – mais il est immense et il inclut tout un domaine qui n'appartenait pas encore à la Manifestation concrète.

Au point de vue éducatif, ce serait très important.

Voir le monde tel qu'il est, exactement, crûment, de la façon la plus terre-à-terre et concrète, et voir le monde tel qu'il peut être, avec la vision la plus libre, la plus haute, la plus pleine d'espoir et d'aspiration et d'une certitude merveilleuse, comme les deux pôles du discernement. Tout ce que nous pouvons imaginer de plus splendide, de plus merveilleux, de plus puissant, de plus expressif, de plus total, n'est rien en comparaison de ce que cela peut être, et en même temps, notre exactitude minutieuse du détail le plus minime n'est jamais suffisamment exacte. Et les deux doivent aller ensemble. Quand on sait ça (geste en bas) et qu'on connaît Ça (geste en haut), on est capable de mettre les deux ensemble.

Et c'est le meilleur usage possible du besoin de miracles. Le besoin de miracles est un geste d'ignorance: «Oh! je voudrais que ce soit ainsi!» C'est un geste d'ignorance et d'impuissance. Et alors ceux qui disent: «Vous vivez dans le miracle», ce sont ceux qui ne connaissent que le bout en bas (et encore ne le connaissent-ils qu'imparfaitement) et qui n'ont aucun contact avec autre chose.

Il faut changer ce besoin de miracles en une aspiration consciente vers quelque chose – qui est déjà, qui existe – et qui sera manifesté avec L’aide de toutes ces aspirations: toutes ces aspirations sont nécessaires, ou, si l’on regarde d'une façon plus vraie, sont un accompagnement – un accompagnement agréable – dans le déroulement éternel.

Au fond, les gens d'une logique très sévère vous disent: «Pourquoi prier? Pourquoi aspirer, pourquoi demander? Le Seigneur fait ce qu'il veut et Il fera ce qu'il veut.» C'est de toute évidence, il n'est pas besoin de le dire, mais cet élan: «Seigneur, manifeste-Toi!», ça donne une vibration plus intense à Sa Manifestation.

Autrement Il n'aurait jamais fait le monde comme il est – il y a une puissance spéciale, une joie spéciale, une vibration spéciale dans cette intensité d'aspiration du monde pour redevenir ce qu'il est.

Et c'est pour cela – «pour cela» en partie, fragmentairement – qu'il y a une évolution.

Un univers éternellement parfait, manifestant éternellement l’éternelle perfection, manquerait de la joie du progrès. C'est une chose que je sens très intensément. Très intensément. Parce que nous ne voyons pas plus loin que le bout de notre nez, même pas une seconde de l’Infini, et que cette seconde ne contient pas tout ce que nous voulons sentir et savoir, nous nous plaignons et disons: «Ah! non! ce monde n'est pas bien.» Mais si nous sortons de notre seconde et que nous entrions dans le Tout, tout de suite on sent d'une façon si intense tout ce que ce besoin de progrès a apporté à la Manifestation.

Et encore... c'est encore limité à l’instrument qui reçoit. Il y a un moment où même la Force créatrice de cet univers-ci se sent tout d'un coup toute petite si Elle ne se fond pas, ne s'unit pas à la Force créatrice de tous les autres univers.

Il y a, là aussi, une ascension ou une progression constante dans l’identification.

(Mère se retourne soudain vers le disciple)

Tu ne vas pas raconter tout ça!?

Mais... Mais si!

(Riant) Non, tu coupes toute la fin.

Maintenant, nous n'avons plus le temps, autrement peut-être t'aurais-je posé une question.

Dis. Quelle question?

Pourquoi Sri Aurobindo ou toi n'avez-vous pas utilisé davantage le miracle comme un moyen de vaincre les résistances dans les consciences humaines extérieures? Pourquoi cette espèce d'effacement vis-à-vis de l’extérieur, de non-intervention, si on peut dire, ou de discrétion?

Pour Sri Aurobindo, je sais seulement ce qu'il m'a dit plusieurs fois: les gens n'appellent «miracle» que des interventions dans le monde matériel ou dans le monde vital. Et ces interventions sont toujours mélangées à des mouvements d'ignorance ou d'arbitraire.

Mais le nombre de miracles dans le Mental que Sri Aurobindo a faits est incalculable; mais naturellement c'était seulement si l’on avait une vision très droite, très sincère, très pure, qu'on pouvait le voir – moi, je le voyais. Il y en a d'autres qui l’ont vu. Mais il se refusait (ça, je le sais), il se refusait à faire aucun miracle vital et matériel, à cause de ce mélange.

Mon expérience est ainsi: c'est que dans l’état où le monde est maintenant, un miracle direct (matériel ou vital) doit tenir nécessairement compte d'une quantité d'éléments mensongers que l’on ne peut pas admettre – ce sont nécessairement des miracles mensongers. Et ça, on ne peut pas l’admettre. Pour moi, je m'y suis toujours refusée. J'ai vu ce que les gens appellent des «miracles», j'en ai vus avec Madame Théon, par exemple, mais ça admettait qu'un tas de choses aient le droit d'être, qui pour moi sont inadmissibles.

Je ne sais pas si c'est ça, je ne sais pas si simplement c'était parce que ça ne devait pas être. C'est tout.

J'aurais beaucoup de choses à dire, mais... En tout cas, je te les dirai peut-être un jour mais ça ne peut pas servir pour le Bulletin – ce ne sont pas des choses publiques.

Mais ce que les hommes appellent maintenant «miracle», c'est presque toujours fait par des êtres du Vital, ou par des hommes qui sont en rapport avec des êtres du Vital, et c'est mélangé – ça admet la réalité de certaines choses, la vérité de certaines choses qui ne sont pas vraies. Et c'est sur cette base que ça agit. Alors c'est inacceptable.

Un autre jour je te dirai peut-être, mais ce que j'aurai à te dire personnellement sera bon pour l’Agenda, pas du tout bon pour le «Bulletin». Voilà.2

9 mars 1963

J'aurais envie de te poser une question... Je n'ai pas très bien compris ce que tu entends par des «miracles dans le Mental»? Qu'est-ce que c'est, ces miracles? «Sri Aurobindo faisait des miracles dans le Mental», disais-tu.

C'est quand il introduisait dans la conscience mentale la Force supramentale. Il introduisait dans la conscience mentale (la conscience mentale qui régit tous les mouvements matériels)1 une formation, ou une puissance, ou une force supramentale, qui, imédiatement, change l’organisation. Et ça produit des effets imédiats... et en apparence illogiques parce que ça ne suit pas le cours des mouvements selon la logique mentale.

Il le disait lui-même: c'est quand il était en possession, quand il pouvait se servir volontairement de la Force, de la Puissance supramentale, et qu'il la plaçait à un endroit donné, avec un but défini. C'était irrévocable, inévitable: l’effet était absolu.

On peut appeler ça un miracle.

La force supramentale qu'il mettait dans le mental d'une personne était douée de...

Par exemple, prends quelqu'un avec une maladie, même avec une douleur; quand Sri Aurobindo était en possession de cette Puissance supramentale (il y avait des moments où il disait que c'était tout à fait sous son contrôle, c'est-à-dire qu'il en faisait ce qu'il voulait, il la mettait où il voulait), alors il mettait cette Volonté, disons dans un désordre quelconque, physique ou vital (ou mental naturellement), il mettait cette Force d'harmonie supérieure, d'ordre supérieur, supramental, la plaçait là, et ça agissait imédiatement. Et c'était un ordre – ça créait un ordre, une harmonie supérieure à l’harmonie naturelle. C'est-à-dire que s'il s'agissait d'une guérison, par exemple, la guérison était plus parfaite et plus complète qu'une guérison obtenue par les moyens ordinaires du physique et du mental.

Il y en a eu des quantités. Mais les gens sont si aveugles, n'est-ce pas, et si encroûtés dans leur conscience ordinaire, qu'ils donnent toujours des «explications». Ils peuvent toujours donner une explication. C'est seulement ceux qui ont la foi et l’aspiration et quelque chose de très pur en eux, c'est-à-dire qui veulent vraiment savoir, ceux-là s'en apercevaient.

C'est-à-dire qu'il y a une différence entre le miracle qui se produit à travers le mental et dans le mental, ou le miracle qui se produit directement dans le physique et dans le vital. Par exemple, tout ce que font les gens qui accomplissent des miracles: lévitation, déplacement d'objets, lumières... (Mère reste quelque temps silencieuse, puis abandonne le sujet). C'est un domaine qui n'est pas très vivant pour moi, il ne m'intéresse pas beaucoup.2

Mais pour les guérisons, c'était comme cela. Quand le Pouvoir était là, il disait que c'était même sans un effort, il n'avait que ça à faire: mettre cette Puissance d'ordre, d'harmonie supramentale, et puis instantanément ça agissait.3

La différence est difficile à expliquer.

(silence)

Mais tiens (ce n'est pas du tout à publier ni à raconter), je ne sais pas si je te l’ai dit. J'avais neuf-dix ans, et je courais avec des amies dans la forêt de Fontainebleau (je l’ai raconté quelque part). La forêt est suffisamment épaisse pour qu'on ne voie pas très loin devant. On courait, et, dans la rapidité de ma course, je n'ai pas vu que j'arrivais juste au bord de la route; et là où nous étions, ça surplombait la route d'à peu près trois mètres (plus haut qu'un étage), et la route était empierrée – fraîchement empierrée. Et on courait. C'était moi qui courais en avant, les autres étaient derrière. Et alors l’élan était si fort que je n'ai pas pu m'arrêter – poff! je suis partie dans l’air. Tu comprends, j'avais dix ans, onze ans peut-être au plus, aucune pensée de miraculeux ni de merveilleux ni rien-rien – simplement, j'étais projetée dans l’air. Et j'ai senti que quelque chose me supportait comme ça, quelque chose me supportait et j'ai été littéralement DÉPOSÉE par terre, sur les pierres. Je me suis relevée (ça m'a paru tout à fait naturel, tu comprends!): pas une écorchure, pas une poussière, rien, absolument intacte. Je suis tombée très-très lentement. Alors tout le monde s'est précipité pour voir, j'ai dit: «Mais c'est rien! Je n'ai rien.» Et c'est resté comme cela. Mais je me suis souvenue de cette impression: c'était comme quelque chose qui me portait (geste de chute douce, comme une feuille qui tombe en palier avec de légers arrêts): avec cette lenteur-là, je suis tombée. Et il y avait la preuve matérielle, ce n'était pas une illusion puisque j'étais intacte – la route était empierrée (tu sais, les silex de France?): pas une écorchure, rien. Pas une poussière.

l’âme était très vivante à ce moment-là, elle résistait de toute sa force à l’intrusion de la logique matérielle4 du monde – ça me paraissait tout à fait naturel. Simplement, je me disais: «Non, il ne peut pas m'arriver d'accident.»

Mais projetée comme ça!... Je me suis souvenue très longtemps de la SENSATION que j'avais: quelque chose qui faisait comme ça (geste de tout à l’heure) et qui m'a simplement déposée par terre. Quand j'ai travaillé avec Théon, je me suis souvenue et j'ai vu que c'était une entité; c'était ce que les gens d'Europe appellent des anges (comment disent-ils?)... anges gardiens, c'est cela. C'était une entité. Parce que Théon m'avait parlé de certains mondes (mondes intellectuels supérieurs – je ne me souviens plus, il avait donné tous les noms des différents plans) et il y a des êtres là qui appartiennent à ce monde et qui ont des ailes – de leur libre choix, parce qu'ils trouvent ça joli (!), et Mme Théon avait toujours vu deux de ces êtres avec moi. Pourtant, elle m'a connue plus de dix ans après. Il paraît qu'ils étaient toujours avec moi. Alors j'ai regardé et je les ai vus en effet. Il y en avait même un qui avait essayé de faire des dessins: il m'a demandé de prêter ma main pour faire des dessins. J'ai prêté ma main, puis j'ai vu le dessin (il a fait un dessin), mais je lui ai dit: «Les miens, ceux que je fais sans toi sont bien mieux!» Alors tout s'est arrêté là (!)5

Qu'est-ce que ça représentait?

Des dessins rigolos. Il y avait une mer avec un rocher et un petit personnage (c'était le plus réussi). Une grande falaise, un petit personnage et puis la mer. Ce n'était pas fameux!

Je prêtais ma main et je regardais ailleurs – je ne regardais pas ce que je faisais pour être sûre qu'il n'y ait pas d'action subconsciente. Et je sentais très bien sa main qui faisait mouvoir la mienne, et puis au bout d'un moment, je me suis dit: «Tiens, je vais voir.» J'ai regardé – «Oh! je lui ai dit: dis donc, ce n'est pas fameux!»

C'était à Tlemcen.

Je n'ai jamais été intéressée par ce genre de curiosité-là. Ça me paraissait tout naturel. Mais c'est cela que les gens appellent un miracle.

Il y a eu autre chose (c'était moins frappant), mais une fois, dans une chambre qui était aussi longue que celle-ci et plus large,6 qui était le salon dans la maison de ma famille, il y avait des petits camarades qui étaient venus et on s'amusait. Je leur ai dit: «Je vais vous montrer quelque chose: comment on doit danser.» Je me suis mise à un angle du salon pour avoir le chemin le plus long d'un coin à l’autre, et je leur ai dit: «Un seul pas au milieu.» Et je l’ai fait! (Mère rit) Pris mon élan (je n'ai même pas eu l’impression de sauter: comme si je dansais, n'est-ce pas, comme quand on fait des pointes), touché avec la pointe, rejaillie et arrivée à l’autre coin – on ne peut pas faire ça tout seul, même les champions. C'était une longueur qui dépassait les records; parce que j'ai demandé après, ici, quand on a fait des exercices physiques à 1'Ashram, j'ai demandé quel était le saut le plus long – c'était plus long! Et là, ils prennent leur élan, n'est-ce pas, ils courent et ils sautent. Mais je n'ai pas couru: j'étais debout, au coin, et hop! (je me suis dit «hop!» à moi-même, sans faire de bruit), et frrrt! je suis tombée sur la pointe du pied, rejaillie et arrivée de l’autre côté – j'ai été portée, c'était tout à fait évident.

Tout ça se passait avant treize-quatorze ans (entre huit et treize-quatorze ans). Beaucoup de choses comme cela, mais qui me paraissaient tout à fait naturelles – je n'avais jamais l’impression que je faisais quelque chose de miraculeux. Tout à fait naturel.7

Je me souviens aussi, une fois, il y avait des arceaux (je ne sais pas s'il y en a encore) qui bordaient les pelouses au bois de Boulogne – je me promenais là-dessus! C'était un défi que je lançais à mon frère (il y avait seize mois entre lui et moi; mon frère était plus grand – il était beaucoup plus sage!), et alors je lui disais: «Tu sais marcher là-dessus?» Il m'a dit: «Laisse-moi tranquille, ce n'est pas intéressant.» Je lui ai dit: «Tu vas voir!» Et j'ai commencé à marcher, avec une aisance! Comme si j'avais fait ça toute ma vie. Et c'était le même phénomène: je ne sentais pas de poids.

C'était le sentiment, toujours, d'être portée: quelque chose qui soutenait, quelque chose qui portait. Et alors maintenant, si je rapproche les mouvements ou la sensation... c'est la même chose que ce grand mouvement d'ailes – c'est la même vibration.

À partir de treize-quatorze ans, c'est devenu plus difficile. Mais avant, c'était très bien.

(silence)

C'est la même chose aussi quand j'avais fait cette formation du Surmental (on était en route pour faire des miracles!). Sri Aurobindo m'a dit un jour que j'avais amené dans Amrita8 une force de Brahma créateur (c'est le Verbe créateur, le Mot qui s'exécute automatiquement), et je ne sais pas ce qui s'était passé... quelque chose, je ne me souviens plus, qui m'avait fait voir que ça marchait très bien. Alors en moi, est venue comme une idée: «Tiens! si on essayait ce pouvoir avec les moustiques: les moustiques n'existent plus! Qu'est-ce qui se passerait?» (On était très embêté par les moustiques.) Avant de le faire (la séance de méditation était finie, c'aurait été pour la fois suivante), j'ai dit à Sri Aurobindo: «Eh bien, si on essayait ça avec cette force-là, qui répond; si on disait: les moustiques n'existent plus, on pourrait au moins les supprimer dans un certain champ d'action ou un certain champ de rayonnement?» Alors il m'a regardée (avec un sourire), puis il n'a rien dit, et puis un moment après, il s'est tourné vers moi et il m'a dit: You are in full Overmind. That is not the Truth that we want to manifest... [Vous êtes en plein Surmental. Ce n'est pas la Vérité que nous voulons manifester]. Je t'ai raconté cela. C'était à cette occasion.

Des choses comme cela, on aurait pu les faire.

Il m'a dit (Mère prend un ton ironique): «Oh! vous pouvez faire des miracles! Les gens seront émerveillés.»

(silence)

Mais moi, j'ai trouvé un bien plus joli miracle... C'était quand je jouais, je ne sais plus quoi (du Beethoven ou du Mozart), à Tlemcen. Théon avait un piano (parce que sa secrétaire anglaise jouait du piano), et ce piano était dans son salon qui était de plain-pied avec la moitié de la montagne, presque en haut de la montagne. C'est-à-dire que l’on montait des escaliers dans la maison (deux étages d'escalier) pour arriver au salon, mais le salon avait de grandes portes qui s'ouvraient de plain-pied avec la montagne – c'était très joli. Alors je jouais là l’après-midi, et les portes étaient grandes ouvertes; et un jour, quand j'ai eu fini de jouer, je me suis tournée pour me lever, j'ai vu un gros crapaud comme ça, tout pustulent – un gros crapaud – et puis il faisait peuff, peuff, peuff, (tu sais comme ils se gonflent et se dégonflent), il se gonflait, se dégonflait, se gonflait, se dégonflait... comme s'il était absolument aux anges! Il n'avait jamais entendu une chose si merveilleuse! Il était tout seul (gros comme ça), tout rond, tout noir, tout pustulent, au milieu de ces grandes portes – des grandes baies toutes ouvertes sur le soleil et la lumière. Il était au milieu. Et puis, pendant un petit moment, il a continué, et quand il a vu que la musique était partie, il a tourné, sauté-sauté-sauté... disparu.

Cette admiration d'un crapaud, ça m'a remplie de joie! C'était charmant.

(silence)

J'avais onze ans, douze ans aussi, c'était le moment où ma mère avait loué une petite maison chez des gens en bordure de la forêt: on n'était pas obligé de passer par la ville. Alors je sortais et j'allais m'asseoir toute seule dans la forêt – je m'asseyais et puis je rêvais. Et un jour (ça arrivait souvent), un jour, il y avait des écureuils qui étaient venus, il y avait plusieurs oiseaux, et puis des biches (Mère ouvre de grands yeux) qui regardaient... C'était très joli! Quand j'ai ouvert les yeux et que j'ai vu, j'ai trouvé ça charmant – ils sont partis.

Je me suis souvenue de toutes ces choses après, quand j'ai rencontré Théon – longtemps après, c'est-à-dire que j'avais plus de vingt ans –, plus de dix ans après. J'ai rencontré Théon et j'ai eu l’explication de ces choses, j'ai compris. Alors je me suis souvenue de ce qui m'était arrivé, j'ai dit: «Tiens!...» Parce que Mme Théon m'a dit (je lui racontais toutes les histoires de mon enfance), elle m'a dit: «Oh! mais oui, je sais: vous êtes ÇA et c'est marqué sur vous, et c'est ÇA.» Alors j'ai réfléchi à ce qu'elle me disait et j'ai vu: oui, c'est vrai. J'ai eu toutes ces choses qui étaient des indications très claires qu'il y avait certainement des gens dans l’invisible qui s'occupaient de moi! (Mère rit)

Ce qui était intéressant, c'est qu'il n'y avait rien de mental: je ne connaissais pas l’existence de ces choses, je ne savais pas ce qu'était la méditation – je méditais sans avoir la moindre idée de ce que c'était, je ne connaissais rien-rien-rien, ma mère avait gardé ça tout à fait tabou: ce sont des sujets qu'on n'aborde pas, qui vous rendent fou!

Après, le souvenir est venu.


(Vers la fin de l’entrevue, Mère demande quel est le prochain aphorisme pour le «Bulletin» et si le disciple a une question à poser,)

J'aurais envie de te poser une question sur la mort

Oooh!...

Tout ce que je croyais savoir me paraît maintenant tout à fait superficiel, et j'ai comme... touché du doigt quelque chose qui, alors, m'a donné l’impression d'une découverte formidable... Mais c'est seulement un éclair, je ne suis pas en possession de la chose. Je ne peux pas en parler. Alors il vaudrait peut-être mieux attendre un peu pour aborder ce sujet-là.

Il est question de la mort dans cet aphorisme?

Oui, il est question des dualités: la vie, la mort; l’erreur, la connaissance; l’amour, la cruauté,.. On peut très bien ne pas poser de questions sur la mort, mais enfin c'était celle qui m'était venue.

Je te dis, ça déflorera un sujet qui, peut-être, dans quelques mois, ou, je ne sais pas (quelques mois ou quelques années), s'éclairera; peut-être y aura-t-il quelque chose d'intéressant à dire.

Tu sais, il y a eu un moment où j'étais (Mère fait un geste flottant entre deux mondes),9 comme si juste, on me mettait en contact avec ce que j'ai appelé «la mort de la mort». C'était l’irréalité de la mort. Et à un point de vue TOUT À FAIT matériel. C'était une question de cellules et de conscience dans les cellules. Et c'était comme quand on est au bord de quelque chose: «Ça y est! je vais l’attraper, ça y est, ça y est!...» Et puis tout s'évanouit. C'est resté à l’état d'impression.

Une expérience de quelques secondes qui donnait l’impression que le problème le plus central était résolu. Et puis...

Quand ce sera comme ça, alors ce sera intéressant.10


(Au moment de partir)

Est-ce qu'il faut un autre aphorisme (pour le Bulletin)? Il y en a déjà trois.

Je rajouterai un morceau de ce que tu as dit au début, sur les miracles dans le mental...

Ce que Sri Aurobindo avait fait?

Oui, je t'ai demandé comment étaient ces miracles dans le mental. Tu m'as dit qu'il plaçait le Supramental dans le Mental... C'est intéressant.

Tu crois qu'il faut dire ça aux gens? Ils sont...

Parce que, moi personnellement, je ne comprenais pas très bien ce que ça voulait dire et pourquoi vous n'aviez pas fait de miracles. Mais de ce que tu as dit aujourd'hui, je ne mettrai pas tout.

Non-non-non! Oh! leur dire... C'est seulement pour s'amuser. Et ton livre, ça avance?

Doucement.

Je vais commencer à préparer le 29 février de l’année prochaine,11 et ton livre fait partie de la préparation... Je suis en train de chercher ce qui va être distribué – ce qui va se passer. Je ne sais pas encore ce qui va se passer. Mais tout le monde, dans tous les coins du monde, attend ce 29 février (de partout ils veulent venir), alors il faut, au moins, que j'aie quelque chose de prêt pour eux.

La seule chose qui se présente jusqu'à présent dans ma conscience, c'est que je sois dans un tel état intérieur que je puisse rester assise pendant deux ou trois heures, et que les gens défilent (naturellement, il n'est pas question de distribuer moi-même quoi que ce soit, c'est impossible). Mais simplement que, moi, je sois dans une telle contemplation que ça n'ait aucune importance, que le monde défile sans que cela puisse affecter l’état.

Ça m'a été suggéré sous forme de vision: j'étais assise sur une chaise un peu haute, en bas, tout en bas (dans le hall de méditation où je suis allée en 60), et les gens défilent. Mais alors, il faut qu'il y ait une distribution quelconque et je suis plus en faveur d'une chose imprimée que d'un objet matériel. l’objet matériel... d'abord je suis beaucoup trop pauvre. Une chose imprimée.

C'est vague – vague, non: c'est incomplet. Les détails sont précis, ce que je vois est précis, mais le tout n'est pas là. Ce sont seulement des points ici et là – c'est incomplet.

Tout ce que je sais, c'est que je veux que ton livre soit publié à ce moment-là, qu'il paraisse pour la fin de février, probablement pour le 21. Alors ces gens-là mettent très longtemps pour faire les choses convenablement. C'est pour cela que je te demande.

J'espère qu'au début du mois prochain, ce sera fini.

Bon. Au revoir, mon petit.

13 mars 1963

(Mère ouvre une page de «Savitri». Elle voudrait traduire le «Dialogue avec la Mort». La page s'ouvre «par hasard» sur les dernières lignes de la défaite de la Mort, que Mère lit à voix haute:)

And [Death] left crumbling the shape that he had worn,
Abandoning hope to make man's soul his prey
And force to be mortal the immortal spirit.1

(X.IV.667)

N'importe où on ouvre, n'importe où on lit, c'est admirable! C'est imédiatement admirable – c'est curieux, hein, ces trois lignes...

Abandoning hope to make man's soul his prey
And force to be mortal the immortal spirit.

C'est admirable.

Ces gens pourraient m'attraper très facilement: il y a longtemps qu'ils veulent que je leur lise tout «Savitri» – c'est un travail! Mais ça, c'est irrésistible.

Alors, au fond (seulement mon cahier ne sera pas suffisant!), au fond, je voudrais traduire tout le dialogue [avec la Mort], il est admirable.

(Mère feuillette)

Quand elle dit... Je ne sais plus les mots, mais elle dit:

My God is love2

Oh! c'est...

(Mère revient en arrière au début du Livre X, Chant IV)

Voilà:

The Dream Twilight of the Earthly Real3

Regarde-moi ça:

Or in bodies motionless like statues, fixed
In tranced cessations of their sleepless thought
Sat sleeping souls, and this too was a dream.4

(X.IV.642)

Ce sont les gens qui veulent atteindre le Nirvana... «And this too was a dream»! [Et ceci aussi était un rêve.]

(Mère feuillette encore)

C'est là que ça commence [le dialogue avec la Mort]:

Once more arose the great destroying Voice:
Across the fruitless labour of the worlds
His huge denial’s all-defeating might
Pursued the ignorant march of dolorous Time.5

(X.IV.643)

Voilà, c'est là qu'il faudrait commencer.

Le Livre X est grand: «The Book of the Double Twilight»...6 Naturellement si je commence à lire...

Tu vas remonter jusqu'au début!

On irait jusqu'au bout!

(Mère revient en arrière)

"The Gospel of Death and Vanity of the Ideal"7

Ça, c'est précieux pour répondre à tout-tout-tout ce que les gens disent.

(Mère feuillette encore)

Ah, here we are! "The Debate of Love and Death."

That's where it begins.

It's Canto III.

There's a passage underlined here.

If it's underlined, it's not by me!... No, that's the place where I stopped when I was reading: I used to mark in red the place where I stopped.

He says... (Death to Savitri, in a supremely ironic tone):

... Art thou indeed so strong, O heart,
O Soul, so free?...

(X. III . 636)

It's wonderful!

So we would have to start at the beginning of the "Book of the Double Twilight," Book X. Let's see how it goes....

(Mother reads)

All still was darkness dread and desolate;
There was no change nor any hope of change.
In this black dream which was a house of Void,
A walk to Nowhere in a land of Nought,
Ever they drifted without aim or goal....

(X599)

My God, how wonderful! It's wonderful.

(Mother turns the pages)

And Book XII ["The Return to the Earth"].... I don't know.

(Mother reads the concluding lines of "Savitri":)

Night, splendid with the moon dreaming in heaven
In silver peace, possessed her luminous reign.
She brooded through her stillness on a thought
Deep-guarded by her mystic folds of light,
And in her bosom nursed a greater dawn.

(XII.724)

It heralds the Supermind.

But I had a feeling he hadn't completed his revision. When I read this, I felt it wasn't the end, just as when I read the last chapter of the "Yoga of Self-Perfection,"8 I felt it was unfinished. He left it unfinished. And he said so. He said, "No, I will not go down to this mental level any more."

But in Savitri's case... (I didn't look after it, you know), he had around him Purani, that Chinmayi, and... (what's his name?) Nirod – they all swarmed around him. So I didn't look after Savitri. I read Savitri two years ago, I had never read it before. And I am so glad! Because I read it at the time I could understand it – and I realized that none of those people had understood ONE BIT of it. Both things at the same time.

(silence)

Let's see, open a page at random, I want to see if you find something interesting – concentrate a moment and open the book, I'll read it to you.

Just put your finger.... Do you want a blade? (Mother gives Satprem a letter opener)

(Satprem concentrates and opens the book)

Oh!

In the passion of its solitary dream
It lay [the heart of the King] like a closed soundless oratory
Where sleeps a consecrated argent floor
Lit by a single and untrembling ray
And an invisible Presence kneels in prayer...

C'est bien joli!

Oh! très bien... Je remonte un peu:

In the luminous stillness of its mute appeal
It looked up to the heights it could not see;
It yearned from the longing depths it could not leave.
In the centre of its vast and fateful trance
Half way between his free and fallen selves,
Interceding twixt God's day and the mortal night,
Accepting worship as its single law,
Accepting bliss as the sole cause of things,
Refusing the austere joy which none can share,
Refusing the calm that lives for calm alone,
To her it turned for whom it willed to be.
In the passion of its solitary dream
It lay like a closed soundless oratory
Where sleeps a consecrated argent floor
Lit by a single and untrembling ray
And an invisible Presence kneels in prayer.
On some deep breast of liberating peace
All else was satisfied with quietude;
This only knew there was a truth beyond.
All other parts were dumb in centred sleep
Consenting to the slow deliberate Power
Which tolerates the world's error and its grief,
Consenting to the cosmic long delay,
Timelessly waiting through the patient years
Her coming they had asked for earth and men;
This was the fiery point that called her now.
Extinction could not quench that lonely fire;
Its seeing filled the blank of mind and will;
Thought dead, its changeless force abode and grew....

Je ne vois plus clair... Mais je sais ce que c'est: c'est quand le Roi9 fait son dernier surrender [soumission] à la Mère universelle – il s'annule devant la Mère universelle et Elle lui donne la mission qu'il doit accomplir.

Its seeing filled the blank of mind and will;
Thought dead, its changeless force abode and grew.
Armed with the intuition of a bliss
To which some moved tranquillity was the key,
It persevered through life's huge emptiness
Amid the blank denials of the world.
It sent its voiceless prayer to the Unknown;
It listened for the footsteps of its hopes
Returning through the void immensities,
It waited for the fiat of the Word
That comes through the still self from the Supreme.10

(III.III.332)

Eh bien, c'est un beau choix! C'est ça, sûrement.

Quand il se réveille de là, il a la vision de la Mère universelle et il reçoit la mission.

Tout ça, c'est très bon, c'est une bonne indication.11

C'est passionnant, Savitri!

Je crois que c'est son Message – tout le reste, ce sont des préparations, mais Savitri, c'est le Message. Malheureusement, il y a deux imbéciles ici qui se sont amusés à vouloir le corriger – de son vivant! (surtout A, qui est un poète). C'est pour cela que Sri Aurobindo a écrit toutes ces Lettres sur la poésie. Je n'ai jamais voulu lire ça – ça m'outrage. Il a fallu qu'il explique tout un «principe poétique» – qu'est-ce que ça a à voir! C'est le contraire: ça descend d'en haut, et puis, APRÈS, on explique. C'est comme le coup de poing dans la sciure de bois: l’inspiration descend, et après, alors, on explique que tout est arrangé comme ça – ça ne m'intéresse pas du tout!12

(silence)

Alors tu es venu (tu vois, c'est la réponse) pour manifester (c'est très bien, j'aime beaucoup cette réponse), manifester the bliss above [la béatitude nouvelle]. Tu as compris?... Il dépasse tout ce qui a essayé de s'unir au Suprême, parce que rien de tout ça ne lui suffisait – il avait l’aspiration à quelque chose de plus. Alors, tout ça, c'est annulé, il est entré dans un Néant, et, de là, il est sorti avec la capacité de s'unir à la Béatitude nouvelle.

C'est ça, c'est bien!

(traduction)

Dans l’immobilité lumineuse de son appel muet
Il [le cœur du Roi] regardait vers des hauteurs qu'il ne pouvait [pas voir
Et brûlait du fond d'un abîme ardent qu'il ne pouvait pas [quitter.
Au centre de cette vaste transe fatidique
À mi-chemin entre son moi libre et son moi déchu
Intercédant entre le jour de Dieu et la nuit des mortels,
Acceptant l’adoration pour seul loi
Acceptant la béatitude pour seule cause des choses
Refusant la joie austère que nul ne peut partager
Refusant le calme qui vit pour le calme seulement,
Il se tourna vers Elle pour laquelle il voulait être.
Dans la passion de son rêve solitaire
Il reposait comme un oratoire silencieux et clos
Où sommeille un sol d'argent consacré
Allumé d'un seul rayon sans vacillement
Et s'agenouille en prière une invisible Présence.
Sur une immense poitrine de paix délivrante
Tout le reste était satisfait et en quiétude,
Seul son cœur savait qu'il y avait une vérité par-delà.
Tous les autres domaines restaient muets dans un sommeil [concentré
Consentant au lent Pouvoir délibéré
Qui tolère l’erreur du monde et sa douleur,
Consentant au long cheminement cosmique,
Attendant sans fin à travers les années patientes
La venue de Celle qu'ils avaient demandée pour la terre et les [hommes,
Tel était maintenant le point brûlant qui appelait Celle-ci.
l’anéantissement ne pouvait pas éteindre ce feu solitaire,
Sa vision remplissait le vide du mental et de la volonté;
Morte, la pensée, sa force inchangée persistait et croissait.
Armé de l’intuition d'une béatitude
Dont la clef était dans une tranquillité ardente,
Il persévérait à travers l’énorme nullité de la vie
Parmi les négations nues du monde.
Il envoyait sa prière muette vers l’Inconnu
Attendant que le bruit de pas de ses espoirs
Revienne à travers les immensités vides,
Il attendait le fiat du Verbe
Venu du Suprême à travers le moi immobile.

16 mars 1963

(À propos de la conversation du 9 mars: cette «Expérience de quelques secondes qui donnait l’impression que le problème le plus central était résolu.» C'est cette expérience que Mère avait appelée «La mort de la mort».)

C'est curieux, ces choses-là... Activement, on ne se souvient plus, c'est-à-dire que l’expérience ne peut se traduire par aucune espèce de pensée; même la sensation active de l’expérience s'atténue, et pourtant on n'est plus la même personne – c'est ça qui est si remarquable! J'ai senti ce genre de phénomène plusieurs fois (je ne me souviens pas assez pour dire exactement combien de fois), mais plusieurs fois dans ma vie, et toujours c'était la même chose: pas la même personne, on est devenu quelqu'un d'autre. Tous les rapports avec la vie, les rapports avec la conscience, les rapports avec le mouvement, tout change. Et pourtant la chose centrale, c'est une vague impression. Au moment où on a l’expérience, pour cette seconde, c'est d'une clarté, d'une précision – c'est foudroyant. Mais... probablement le système cérébral et nerveux n'est pas en état de conserver. Mais toutes les relations sont changées, on est une autre personne.

Très souvent, j'ai vu ce phénomène. Par exemple, l’impression qu'on a dans la vie ordinaire (peu de gens s'en rendent compte, mais c'est une impression, je le sais, que tout le monde a) d'«être dessous» et... un Destin, une Fatalité, une volonté, un ensemble de circonstances (n'importe les mots, ça n'a pas d'importance), c'est quelque chose qui pèse sur vous et qui veut se manifester à travers vous. Mais qui pèse sur vous. C'était la première de mes expériences: passer au-dessus (il y a très longtemps, c'était au commencement du siècle). Et c'était une expérience comme cela, une seconde, mais tout d'un coup, oh! on est au-dessus. Je me souviens parce que, à ce moment-là, j'ai dit aux gens que je connaissais (je m'occupais déjà, peut-être, de la Revue Cosmique; c'était le début, peut-être avant), je leur ai dit: «Mais il y a un état dans lequel on est libre de décider ce que l’on va faire; quand on dit: «je veux», ça veut dire que ce sera.» Et c'était ça l’impression avec laquelle je vivais; au lieu de me dire: «Je voudrais bien faire cela, je voudrais bien que ceci arrive», avec ce sentiment d'une Fatalité qui décide, l’impression qu'on est au-dessus et qu'on décide: ce SERA comme ça, ce SERA comme ça.

C'est mon souvenir du commencement du siècle.

J'ai eu plusieurs expériences de ce genre – un nombre assez considérable. Et depuis cette expérience-là (la mort de la mort), qui a duré une seconde, j'ai l’impression... ce même genre d'impression. Avant, quand j'agissais pour les gens, soit pour les empêcher de mourir, soit pour les aider une fois qu'ils étaient morts – des centaines et des centaines de choses que je faisais tout le temps, mais je les faisais avec l’impression de la Mort qui était comme ça (geste au-dessus de Mère), comme quelque chose qu'il fallait vaincre ou dominer, ou il fallait réparer les conséquences; mais c'était toujours comme cela, la Mort était juste... (riant) un petit peu au-dessus. Et à partir de ce moment-là (la mort de la mort), la tête était au-dessus – la tête, la conscience, la volonté était au-dessus. C'était du côté du Seigneur.

J'ai eu une expérience il y a fort longtemps quand Sri Aurobindo était là: une nuit, j'avais eu l’expérience d'être en contact avec le Seigneur Suprême, et c'était concret:

«On ne meurt que quand Tu veux.»

Je ne me souviens plus exactement (je l’ai écrit), mais l’idée était celle-ci: le Seigneur ne vous fait mourir qu'avec votre consentement – il faut donner le consentement pour mourir. Et à moins que Lui ne décide, jamais on ne peut mourir. Ces deux choses-là: pour mourir, il faut que quelque chose (c'est-à-dire l’âme au-dedans d'elle) consente, que l’âme dise oui, alors on meurt; et quand l’âme dit oui, c'est le Seigneur qui décide. Et depuis ce moment-là, cette certitude qu'on ne peut mourir que quand le Seigneur le veut, que ça dépend entièrement et absolument de Sa Volonté, qu'il n'y a pas d'accidents, qu'il n'y a pas de «malheurs inattendus» comme les êtres humains le pensent – ça n'existe pas: c'est Lui qui veut. Et depuis ce moment-là jusqu'à cette toute dernière expérience (la mort de la mort), j'étais dans cette connaissance-là. Mais avec l’impression... pas tout à fait de l’inconnu mais de l’incompréhensible; qu'il y a quelque chose dans la conscience qui ne comprend pas (ce que j'appelle comprendre, c'est avoir le pouvoir de faire et de défaire, c'est ça que j'appelle comprendre; le pouvoir d'exécuter et de défaire, c'est ça la vraie compréhension, le POUVOIR), eh bien, ça échappait. C'était encore le mystère du Suprême Infini. Et au moment de cette expérience (la mort de la mort), ça a été: «Ah! maintenant ça y est! Je l’ai, j'ai attrapé! Cette fois-ci, je le tiens.»

Je ne l’ai pas tenu (riant), c'est parti! Mais ma position a changé. C'est encore une chose que je regarde d'en haut; je suis montée au-dessus, ma position est au-dessus.

J'observais beaucoup chaque fois que quelqu'un mourait ici dans l’Ashram, eh bien (une ou deux personnes sont mortes depuis cette expérience, notamment la sœur du vieux docteur), eh bien, c'était ABSOLUMENT DIFFÉRENT. C'était quelque chose que j'ai vu d'en haut. Et il n'y avait plus de mystère. Mais quant à me demander d'expliquer... Ça, je ne peux pas – les mots, le mental, non. Mais la POSITION de la conscience était différente – la position de la conscience. C'était tout à fait différent.

Et c'est arrivé chaque fois de cette façon-là.1 Mais alors, cela prend quelquefois des années pour se changer en un pouvoir conscient. Mais le pouvoir conscient, DANS CE CAS-CI, ce serait le pouvoir de donner et d'empêcher la mort également; de faire le mouvement de forces nécessaire – presque... presque une action sur les cellules, presque une action mécanique sur les cellules. Et ce pouvoir-là ferait que: on peut donner la mort, on peut empêcher la mort.

Et ce n'est plus du tout cette sensation qu'on a d'une opposition brutale entre la vie et la mort qui est son contraire – la mort n'est pas le contraire de la vie! À ce moment-là, j'ai compris ça, je ne l’ai jamais oublié: la mort n'est pas le contraire de la vie, ce n'est pas le contraire de la vie.2

C'est comme un changement dans le fonctionnement des cellules,3 ou dans leur arrangement... Mais ce que je dis là maintenant, c'est tâcher de tirer un souvenir qui est enfoui. Mais c'est ça. Et alors, une fois qu'on a compris ça (tout ce que l’on comprend, on peut le faire), une fois qu'on a compris ça, on peut faire; alors c'est très simple: on peut très bien empêcher que ça passe ici ou que ça passe là; on peut faire comme ça ou comme ça ou comme ça (Mère semble manipuler des forces ou déplacer la position de la conscience?). Et alors ça devient presque un jeu d'enfant de faire mourir ou de faire vivre! Mais ça, on ne pourrait pas le dire.

Mais c'est sûr! ça arrivera... Je ne sais pas dans combien d'années, je ne sais pas, mais c'est une chose qui est devenue évidente. Et ça me paraissait (comme je l’ai dit l’autre jour), ça me paraissait un secret assez central – pas le plus central de tous, non, mais assez central pour la vie terrestre.

C'est... évidemment ce serait une phase nouvelle de la vie terrestre.

(silence)

Et ça pourrait presque se traduire (plus tard, après une courbe ascendante de la science moderne), par une connaissance matérielle. Ce ne serait pas ça (l’expérience de Mère) mais l’image de ça: comme dit Sri Aurobindo, a figure, a representation; le mot le plus proche, c'est «image». C'est une image; ce n'est pas la chose elle-même, c'est sa projection, comme sur un écran de cinéma.

(silence)

Il est évident... Il est évident que les choses approchent de ce qui, pour la conscience ordinaire, est le Merveilleux.

(long silence)

Au fond, comprendre la création, c'est pouvoir la faire – c'est ça. Quand on comprend, on peut faire. Et tout ce que les hommes font, c'est avec une volonté consciente ici (Mère fait un geste comme si elle avait des œillères), mais un Pouvoir invisible qui vient ou qui ne vient pas, qui est à leur disposition ou qui ne l’est pas. Mais c'est ce Pouvoir invisible qui FAIT. Ça, les hommes conçoivent, mais ils ne peuvent pas. Et alors, quand on fait ce mouvement-là, de passer de là à LÀ (geste au-dessus), on s'aperçoit que toutes ces conceptions, c'est presque comme les notes d'un instrument universel; on peut jouer sur toutes les notes, c'est très bien, ça fait un très bel orchestre, mais ce n'est pas essentiel, c'est accessoire. C'est Ça (le Pouvoir invisible) qui est nécessaire. C'est Ça qui sait comment on doit faire et comment on doit jouer.

19 mars 1963

Après une méditation avec Mère:

Quand tu médites, tu es conscient de passer d'un état dans l’autre?... Non?

Parce que, au commencement, c'est cette vibration où il y a toutes les couleurs, mais qui a une dominante considérable de bleu (c'est ce que moi, maintenant, j'appelle le «pouvoir tantrique dans la Matière»), ça, c'est tout de suite avec toi, c'est comme une espèce d'état normal de concentration. Et puis, après, c'était comme si tu te reculais, ou tu te déployais dans une grande Immensité d'un blanc argenté très tranquille – très tranquille et très uniforme. Et c'est comme une espèce de recul de la vie extérieure, et de déploiement dans cet état-là. Et finalement, alors, descend – littéralement descend – une lumière dorée très intense, très intense, presque... d'un doré (comment dire?) coloré, vraiment doré, très-très intense, et comme en état d'«atomisation» – c'est un poudroiement. Les trois se succèdent. Tu ne sens pas comme cela?

Je sens le deuxième mouvement: j'ai l’impression que c'est tout large, et puis blanc et ouvert

C'est ça. C'est blanc et très intense. Et très vaste, très tranquille.

Très bien.

Le dernier mouvement, ça descend et ça enveloppe ta tête.

Mais cette force bleue, cette lumière bleue, je la connaissais depuis longtemps, mais je ne l’avais pas définie, c'était un pouvoir de conscience – un POUVOIR –, le pouvoir de conscience dans la Matière. J'ai su exactement ce que c'était quand j'ai été en rapport avec X (d'abord avec le Swami, puis avec X); à partir de ce moment-là, je pouvais dire clairement, quand je voyais quelqu'un, s'il pratiquait le tantrisme ou pas. Et maintenant, quand je vois une photographie, c'est la même chose! Oui, hier, on m'a donné la photo de quelqu'un et j'ai senti cette même impression de force; je n'ai rien dit et j'ai demandé ce que faisait cet homme (extérieurement, il fait peut-être des affaires, je ne me souviens plus), mais on m'a donné une lettre qu'il avait écrite où il disait que depuis quelques années, il essayait le yoga suivant la méthode tantrique – ça m'a amusée. Ça sortait de sa photo!

J'ai connu un homme qui avait cette lumière bleue... mais celui-là, je l’ai trouvé assez formidable. C'était l’homme qui s'occupait de tous les rites religieux et de tous les prêtres de l’État de B. Cet homme est venu ici et il a demandé à me voir. Je l’avais vu un 9 décembre (je crois) quand je suis allée visiter la propriété d'Ariancoupom. Tout d'un coup, je marchais dans les jardins quand j'ai senti quelque chose qui tirait – qui tirait sans douceur! Je me suis retournée et j'ai vu un grand homme, debout, qui me regardait. Alors (je ne savais pas qui c'était, on ne m'avait rien dit), je l’ai regardé et j'ai simplement «répondu» à son impudence! Et pfft! c'est tombé, comme ça. J'étais étonnée. Après (on ne m'avait toujours pas dit qui c'était), il a demandé à me voir. Et alors quand il est entré dans la chambre, j'ai senti... j'ai senti un être solide. Je ne sais pas comment définir ça, je n'avais jamais senti ça avec un être humain avant – c'était solide. C'était solide au point d'être inébranlable. D'une solidité extraordinaire: coagulé, construit. Et ma foi, c'était puissant. Ce n'était pas en flèche (vers le haut), c'était tout là, autour. Et alors, c'était très amusant (parce que certainement il doit avoir un effet formidable sur les gens, imédiatement, sans paroles, sans rien), et moi, j'ai répondu... à ma manière, avec autre chose!

Cet homme était entré dans la chambre avec une espèce de coiffure religieuse, je ne sais pas, sur la tête, et l’intention d'être très arrogant. Il a passé tout raide devant moi, et puis voilà que tout d'un coup, il fait un pranam.1 Il se recule, enlève son chapeau et fait un pranam. Et il s'est tenu comme ça pendant à peu près un quart d'heure. Et c'était intéressant, il y avait une réponse intéressante. Puis il a commencé à me parler (on m'a traduit ce qu'il disait – il parlait hindi, je crois) en me demandant de prendre soin de B; alors j'ai dit aussi quelque chose, puis j'ai pensé fortement: «Maintenant, c'est fini, ça ne peut pas durer indéfiniment!» (il y avait déjà plus d'un quart d'heure qu'il était là). Alors je le vois tout d'un coup qui se raidit, il remet son machin sur la tête et puis il s'en va.

De toute ma vie, c'est le seul homme que j'ai senti comme cela.

Et il paraît que quand il est retourné là-bas, dans l’État de B, il a dit à tout le monde qu'il n'avait jamais rencontré ça! qu'on pouvait avoir, confiance, que c'était vraiment la Mère! C'était l’effet que ça lui avait fait: quelque chose qui avait pu le tenir (en respect).

C'était même amusant parce que le jour d'avant, il avait rencontré N, et N m'a dit: «Quand cet homme est entré dans la chambre, il m'a regardé et j'ai senti une interdiction de parler – je voulais dire quelque chose et rien ne pouvait sortir! Il avait mis sur moi l’interdiction de parler, je ne pouvais plus parler!»

C'est un homme comme cela, qui a l’habitude de choses de ce genre. C'est l’homme le plus solide que j'aie jamais vu – c'est-à-dire une individualité, oh! coordonnée. Il doit se tenir à la poigne.

Avec Sri Aurobindo... on avait l’impression d'entrer dans un infini, toujours, et si doux, si doux! C'était toujours comme... quelque chose qui était soft, je ne sais pas. C'étaient des vibrations qui au contraire toujours vous élargissaient, vous apaisaient – on avait l’impression de toucher à quelque chose qui n'avait pas de limites.

Mais ça, c'était une MASSE, ouh! c'était plus dur que le fer. Vraiment intéressant.2

Et il était bleu. Son aura était bleue, avec des pulsations bleues – pas rayonnantes, ni vers le haut, mais tout autour, coagulées. Un bleu comme peut l’être la mer quand elle est très profonde et très tranquille, mais lumineux. Un bleu magnifique.

23 mars 1963

(Mère commence par lire quelques passages de sa traduction de «Savitri»: il s'agit de la mort)

Une défaite grise... grosse de la victoire,
Un fouet pour nous cingler vers l’état où nous ne mourrons plus.
Le monde de l’inconscient est la chambre de l’esprit, faite par lui-même...

C'est construit par lui-même.

La Nuit éternelle, l’ombre du Jour éternel.
La Nuit n'est pas notre commencement ni notre fin,
Elle est la sombre Mère dans les flancs de laquelle nous nous sommes cachés
En sécurité contre un éveil trop rapide à la douleur du monde...

Ça, c'est...

Par la Lumière nous vivons et à la Lumière nous allons.
Ici, dans ce siège de l’Obscurité muette et solitaire,
Au coeur du Néant sans fin,
Même maintenant la Lumière a conquis par ce faible rayon...

(X.1.600)

C'est merveilleux.

Oui, ce doit être une joie de travailler là-dessus.

Oh! mon petit... On vit dans une atmosphère merveilleuse.
Voilà, alors c'est tout, tu ne m'as rien apporté?

Non, il y a toujours des Agenda.

Oh! mais je suis fatiguée de ma...

(silence)

C'est une marche d'escargot, alors ce n'est pas intéressant. C'est vraiment une marche d'escargot.

Il y a un an maintenant... Quand était-ce, la déclaration? (le tournant du yoga de Mère, les grandes «pulsations») En avril 62?

C'est vers la fin du mois de mars.

Non, la fin du mois de mars, je suis montée pour ne plus redescendre, c'était le 16, c'est marqué. Je l’ai marqué parce que mon cahier s'est arrêté court, là (!) alors j'ai mis une marque rouge.1 Mais la seconde expérience, celle des pulsations, qui est le commencement du travail que je suis en train de faire, il va bientôt y avoir un an – c'était le 13 avril. C'était un peu moins d'un mois après. Eh bien... il n'y a rien à dire. Je marche, n'est-ce pas, c'est-à-dire que les pas sont évidemment des pas: je ne recule pas, j'avance. Mais enfin, c'est comme si je voulais faire le tour de la terre à pied! Ça n'en finit plus.

Absolument rien de spectaculaire – tu sais «spectaculaire», ça, c'est ce que les gens aiment. Absolument rien. Par exemple, deux choses qui vous donnent à vous-même (et qui donnent aux autres) l’impression que vous êtes en train de progresser: l’une, c'est de savoir directement ce qui se passe quelque part; l’autre, c'est de prévoir ce qui va arriver. Eh bien, il y a toujours eu depuis le commencement du Yoga les deux possibilités ou capacités, mélangées (comme dit Sri Aurobindo) avec tout ce qu'y ajoutent les mouvements du mental, qui brouille tout. Déjà vers 1910, non seulement il y avait cette capacité (de temps en temps, ça venait), mais il y avait aussi le discernement qui faisait que je voyais ce qui s'y mélangeait, et par conséquent je n'avais pas de certitude. Par conséquent je ne peux même pas dire, à ce point de vue, qu'il y ait un grand changement – le changement, c'est la proportion, c'est tout simplement une question de proportions: proportion dans la certitude, proportion dans la vérité, proportion dans le mélange. Le mélange diminue de plus en plus, la certitude augmente de plus en plus – et puis c'est tout. Et puis, de temps en temps (mais il y a toujours eu ça), de temps en temps, une indication claire, précise, absolue, plan! C'est un peu plus fréquent. C'est tout. Alors?... Soixante-trois ans. Et soixante-trois ans d'efforts méthodiques, de volonté constante, d'occasions de travail – les gens qui sont pressés, tu sais, ils me font rire!

Et ce corps ne fait pas partie dés corps qui ne sont pas prêts. Ce corps avait des dispositions, il est né avec des dispositions et il était prêt pour toutes sortes d'expériences. Et il y avait cette espèce de discernement intuitif dont parle Sri Aurobindo, qui était là dès la plus tendre enfance – voilé, mélangé, c'est entendu, mais c'était là, ça existait. Alors, ça s'est purifié, augmenté, fortifié; le mélange a diminué et le corps a été un petit peu... (riant) il a subi beaucoup-beaucoup de frictions de tous genres pour se perfectionner. Certainement, il est plus apte maintenant qu'il ne l’était il y a cinquante ans, ça ne fait pas l’ombre d'un doute! Mais tu comprends, il n'y a pas de quoi se glorifier!

J'ai l’impression, très forte, que c'est comme cela parce que la Terre est comme cela.

Mais oui! c'est tout à fait évident. C'est tout à fait évident.

S'il y avait... Si les gens aspiraient, s'il y avait assez de monde pour VOULOIR ça, j'ai l’impression que ce serait fait presque instantanément.

Oh! c'est tout à fait exact, c'est tout à fait vrai. Mais enfin, c'est un fait. Et au fond, une victoire dépendante [des autres], eh bien, c'est simplement qu'on hâte un peu le mouvement de la Nature. Alors si c'est ça, c'est très bien – seulement je dis (c'est très bien, je ne réclame pas, je ne proteste pas, je suis tout à fait paisible, et en fait indifférente au résultat), mais il n'y a pas de quoi en parler, voilà ce que je veux dire, ce n'est pas la peine de faire des histoires avec ça! (Riant) Ça ne vaut pas qu'on en parle.

Si c'était quelque chose comme une preuve vivante de la vérité de ce que l’on a promis – ah! ça, ça vaut la peine. Mais ce n'est pas ça! Ce n'est pas ça. Ça hâte un peu; mais on a toujours dit que si les gens s'en mêlaient, ça hâterait un petit peu – mais un petit peu, de combien?... Nous n'en savons rien.

(silence)

Pense donc! depuis combien de temps je m'occupe de tous ces gens – il y en a qui sont ici depuis plus de 25, 30 ans, mais... (Mère hoche la tête). Je crois qu'ils ont des expériences, un peu, mais enfin il n'y a pas de quoi en parler. Et l’atmosphère générale... (Mère secoue la tête).

Oui, tout d'un coup, j'ai vu (hier ou avant-hier) un sermon fait par un Américain (qui est à la fois rabin, pasteur et même prêtre catholique!) en Amérique. Il a un groupe, qui est un groupe d'«unité des religions». C'est un homme assez jeune, il prêche. Il a un prêche toutes les semaines, je crois. Il est venu ici avec d'autres Américains: il est resté deux jours, puis il est reparti. Et alors il nous a envoyé ses prêches depuis qu'il est rentré, et dans l’un, il raconte ce qu'il appelle son «voyage spirituel» (mais c'est un voyage spirituel qui passe à travers la Chine, le Japon, l’Indochine, la Malaisie, l’Indonésie, etc., puis l’Inde). Dans l’Inde, ce qui l’a le plus choqué, c'est la pauvreté – c'était pour lui une expérience presque insupportable (c'est d'ailleurs ce qui a fait partir les deux personnes qui étaient avec lui, et il est parti avec eux): la misère. Moi, je ne sais pas, parce que j'ai vu de la misère partout; partout où je suis allée, j'en ai vu, mais enfin il paraît qu'elle est très choquante pour les Américains. Bref, ils sont venus ici, et alors il raconte dans son prêche son impression de l’Ashram. J'ai lu ça... presque avec étonnement. Cet homme dit que dès qu'il est entré dans cet endroit, il a senti une paix, un calme, une stabilité, qu'il n'avait jamais sentis NULLE PART dans sa vie. Il a rencontré un homme (il ne dit pas qui, il ne donne pas de nom, je n'ai pas pu savoir), et il a dit que c'était un tel «monument de paix et de tranquillité divine que je voulais m'asseoir sans parler à côté de lui»... Qui est-ce, je ne sais pas (il n'y a que Nolini qui peut, à la rigueur, donner cette impression). Il a assisté à la méditation: il a dit qu'il n'avait jamais senti quelque chose de si merveilleux, nulle part. Et il est reparti avec l’impression que c'était un endroit «unique» dans le monde au point de vue de la réalisation d'une Paix divine. J'ai lu ça presque avec surprise. Et c'est un homme qui, intellectuellement, n'est pas capable de comprendre ou de suivre Sri Aurobindo (c'est très petit, il en est resté à «l’union des religions», il en est là; pour lui, c'est le maximum). Eh bien, malgré ça... Les gens qui connaissent déjà tout de Sri Aurobindo, qui viennent ici avec l’idée qu'ils vont voir et qui sentent cette Paix, je comprends; mais ce n'est pas ça! C'était le coup de foudre!

C'est comme les gens que l’on guérit; ça, dans une certaine mesure, je le sais: le Pouvoir agit avec une puissance suffisamment considérable pour être presque miraculeux – à distance. Le Pouvoir... je suis très consciente du Pouvoir. Mais je dois dire qu'ici, je trouve qu'il n'agit pas autant qu'au loin. Sur des affaires d'État, de pays, sur une atmosphère terrestre, sur de grands mouvements, et aussi comme des inspirations au point de vue de la pensée (pour certaines gens, afin que certaines choses se fassent), c'est très clair. Et puis pour sauver les gens, pour les guérir – ça agit très fortement. Mais beaucoup plus à distance qu'ici! (quoique la réceptivité ait augmenté depuis que je me suis retirée, parce que, très nécessairement, ça a donné aux gens la volonté de trouver quelque chose dedans puisqu'ils ne l’avaient pas dehors). Mais ici, c'est très inégal. Et alors là, entre le pourcentage qui vient de la foi, de la sincérité, de la simplicité, et ce qui vient du Pouvoir... Il y a- des gens que je peux sauver (naturellement, selon ma vue, c'est parce qu'ils POUVAIENT être sauvés), ça fait partie des choses que depuis très-très longtemps je pouvais prévoir. Mais maintenant, je n'essaye pas: ça vient, comme ça (geste en flèche).Par exemple, on me dit: «Celui-ci est tombé malade», eh bien, je sais immédiatement s'il guérira (d'abord si ce n'est rien, si c'est une chose qui passe), s'il guérira, si ça prendra un peu de temps et de luttes et de difficultés, ou si c'est fatal – c'est automatique. Et je ne cherche pas, je n'essaye pas du tout: les deux choses viennent en même temps.2 Cette faculté-là a augmenté, mais d'abord parce que je suis plus tranquille et que, étant plus tranquille, les choses se développent plus normalement. Mais j'ai eu deux ou trois petits exemples où j'ai dit au Seigneur (geste de présentation, paumes ouvertes vers le haut), je Lui ai demandé de faire quelque chose, et alors là (ce n'est pas souvent, ça ne m'arrive pas souvent; quelquefois ça vient comme une nécessité, une nécessité de présenter la chose avec un commentaire – je présente tout constamment du matin au soir, du soir au matin, c'est comme ça, le mouvement est comme ça – même geste de présentation – mais là, il y a un commentaire, comme si je disais: «Est-ce que ça, ce n'est pas possible?») et alors là un résultat, oui, immédiat. Mais cette présentation, ce n'est pas moi qui la fais, n'est-ce pas: c'est «comme ça»; ça arrive «comme ça», comme tout le reste.3 Alors j'en conclus que ça fait partie du Plan, c'est-à-dire qu'il y a une vibration qui est nécessaire, qui est entrée (en Mère), qui est intervenue, et puis... Il n'y a rien à raconter, mon petit! rien qui puisse enthousiasmer les gens, leur donner confiance, rien.

Il y a trois-quatre jours, un homme très gentil, que j'aime beaucoup, qui a été très utile, est tombé malade (il est malade depuis longtemps et il est en train de lutter; pour toutes sortes de raisons, de famille, de milieu, d'activités, de ceci, de cela, il n'a pas les soins qu'il devrait avoir; il ne prend pas soin de son corps comme il devrait le faire). Il a eu une première attaque et je l’ai «vu» après. Et je l’ai vu plein de vie: le corps était plein de vie et de volonté de vivre. Alors j'ai dit: «Ça va bien.» Puis quelque temps après, peut-être pas même un mois, une autre attaque, pas de la même chose mais des conséquences. Je reçois une lettre, on me dit qu'on le transporte à l’hôpital. J'ai eu une surprise, j'ai dit: «Mais non! il y a en lui la volonté de vivre, pourquoi? Pourquoi est-ce arrivé comme cela?» Et du moment où je l’ai su, où j'ai établi le contact, il s'est remis avec une rapidité... c'était fantastique! presque en quelques heures. On l’avait amené d'urgence à l’hôpital parce qu'on pensait que c'était tout à fait grave, et le surlendemain il retournait chez lui. Et le docteur de l’hôpital a dit: «Tiens! il vient de recevoir une nouvelle vie.» – Ce n'était pas vrai: je l’avais remis en rapport avec la volonté de son corps, que, pour une raison quelconque, il avait oubliée. Des choses comme cela, oui, c'est très clair, ça se passe très consciemment... mais enfin il n'y a pas de quoi en parler!

Mais il a une foi extraordinaire, cet homme-là, il a une foi.... Le premier mot qu'il ait dit quand il est redevenu conscient: «Est-ce que Mère a autorisé que je sois amené à l’hôpital?...» Tu comprends. Alors je lui laisse tout le bénéfice de sa guérison. Des gens comme cela, oui, on peut faire quelque chose, mais alors c'est parce qu'ils ont la foi!

Enfin, voilà. Il n'y a pas d'histoires à raconter.

Ces jours derniers, pendant ma méditation en marchant, je disais au Seigneur: «Qu'est-ce que j'ai? Je n'ai pas de certitude, je n'ai pas de prévision, je n'ai pas de pouvoir absolu, je n'ai rien» (pas «je»: je parle de ce corps – ce corps). C'est le corps qui disait: «Tu vois comment je suis? Je suis encore pleine de... oh! pleine (il se plaignait beaucoup), de tous les mouvements les plus imbéciles.» Des petits mouvements d'appréhension, des petits mouvements d'incertitude, des petits mouvements d'anxiété, des petits mouvements d'un tas de toutes-toutes petites choses – celui qui vit une vie normale ne s'en aperçoit pas, il ne le sait pas, mais quand il y a ce discernement tourné vers le bas et qu'on observe... oh! mon petit! c'est tout petit, tout petit, tout petit, tout petit...

Il n'y a qu'une chose (et encore ce n'est pas absolu), c'est une sorte d'égalité qui est venue dans le corps – ce n'est pas une égalité d'âme (riant): c'est une égalité de cellules! C'est venu dans le corps. Il n'y a plus cette opposition de joie et de peine – toujours, tout-tout-tout, à toute minute, toute réaction: «Toi Seigneur! c'est Toi Seigneur, c'est Toi Seigneur.» Comme si toutes les cellules chantaient: «C'est Toi Seigneur, c'est Toi Seigneur, c'est Toi Seigneur.» Et... c'est comme ça.

Il y a suffisamment de désagréments physiques pour avoir l’expérience de ce que les gens appellent «la douleur» physique – c'est tout à fait suffisant (!) Mais toutes les choses sont organisées matériellement pour donner toutes les joies possibles! Par exemple (mais c'était toujours comme cela, depuis l’âge de cinq ans), quand, dans le corps, il y a: «Oh! si j'avais ça... Oh! il faudrait ça», juste le temps que ça vienne et ça arrive. C'est fantastique! Mais ça a toujours été comme cela, seulement c'est plus conscient. Ça arrivait presque sans qu'on s'en aperçoive, comme une chose naturelle. Maintenant, naturellement, le corps a changé, il n'est plus un bébé et il n'a plus des envies comme les enfants. Mais quand il y a cette espèce de Rythme, et quand il y a: «Oh! ça, c'est bien»... mon petit! ça PLEUT de tous les côtés sans que je dise un mot. Simplement, comme ça. Alors il y avait un temps où ça l’amusait, ça le réjouissait, il était très content (encore il y a deux ans de cela, un peu plus peut-être), il était content, il trouvait ça amusant – n'est-ce pas, c'était joli. Maintenant: «C'est Toi Seigneur.» Ce n'est que ça, cette espèce de joie tranquille, constante: «C'est Toi Seigneur, c'est Toi Seigneur, c'est Toi Seigneur...» Et des deux côtés: pour la douleur physique aussi. À ce point de vue, le corps progresse. Et encore, pour dire la vérité, on lui rend la vie si facile! si facile qu'il faudrait être bien exigeant pour ne pas être satisfait – le Seigneur est plein d'une grâce infinie.

Non, malgré tout, le corps n'a pas cette sorte de stabilité éternelle, le sens de son immortalité (immortalité n'est pas le mot), de sa permanence; il n'a pas du tout le sens de son impermanence, pas du tout, les cellules se sentent éternelles – il y a ça. Mais un «quelque chose» qui serait à l’abri de toute attaque. Il sent encore les attaques. Il sent l’instabilité, il n'a pas le sens d'une sécurité absolue, il n'a pas encore atteint l’état de sécurité absolue – c'est ça: le sens de la sécurité. Il y a encore des vibrations d'insécurité. Et ça paraît si mesquin! si stupide! Il vit encore dans l’insécurité... La sécurité, le sens de la sécurité ne vient qu'avec l’union avec le Suprême – rien dans la vie telle qu'elle est, rien dans le monde tel qu'il est ne peut donner le sens d'une sécurité, c'est impossible. Mais sentir si constamment la présence du Suprême, pouvoir tout Lui reporter: «C'est Toi, c'est Toi, c'est Toi», et puis ne pas avoir le sens de la sécurité! Ça reçoit un choc ou un coup (pas nécessairement personnel, mais dans la vie), et il y a encore une vibration spéciale, qui est la vibration de l’insécurité – ça existe encore. C'est une chose qui le chiffonne, ça lui est pénible: «Pourquoi?» Non pas qu'il se plaigne, mais il se plaint de lui-même, il se trouve inférieur.

Savoir que tout est Toi, que Toi seul existe, Te sentir partout, Te sentir toujours, et être encore ouvert à telle ou telle chose qui vient du dehors, qui vous donne un coup, et le sens de l’insécurité – c'est une absurdité!

Naturellement, quand il y a concentration de l’être véritable (geste au-dessus), ça disparaît imédiatement – mais alors ce n'est pas le corps qui a le sens de la sécurité! c'est la conscience vraie (et c'est naturel, elle ne serait pas vraie si elle ne l’avait pas). Mais ce qu'on veut, c'est que le corps existe en LUI-MÊME, par LUI-MÊME, avec toutes les vertus EN LUI-MÊME; n'est-ce pas, qu'il n'y ait pas besoin que Dieu se manifeste pour que le corps ne soit plus dans l’anxiété!

Non! ce n'est pas ça!

Alors ça prend longtemps-longtemps-longtemps – un an est passé. Et un bilan...

Encore une chose, par exemple. Après un an, je lisais une lettre apportée par Nolini.

J'avais commencé à lire la lettre, il y en avait quatre, cinq pages, et je n'avais pas le temps. Nolini ne disait rien (naturellement, il est beaucoup trop bien élevé pour dire quoi que ce soit), mais au-dedans de lui, il disait: «Pourquoi Mère passe-telle son temps à lire cette lettre alors que nous avons très peu de temps pour faire notre travail.» C'est entré dans l’atmosphère, et avant même que ça ne vienne à moi, dès que j'ai vu une-deux-trois-quatre-cinq pages, j'ai dit: «Ah! non, assez!» À la fin de la première page, j'ai dit: «Suffit!» Et j'ai mis la lettre de côté. Mais la pensée venant de Nolini et la décision qui était prise un tout petit peu trop tard, quelques secondes trop tard... mon corps a transpiré de la tête aux pieds! avec un sentiment d'épuisement épouvantable. Il m'a fallu au moins une demi-minute de concentration pour rétablir l’ordre. N'est-ce pas, il est devenu d'une sensibilité qui, dans la vie ordinaire, serait impossible, mais qui est nécessaire pour sa transformation. Mais ça m'a étonnée. Naturellement, au bout d'une demi-minute, c'était fini, mais il a fallu que je me concentre et que je fasse un mouvement d'appel et de tranquillité.

Alors le corps a pensé: «Ah! j'en suis encore là... Il faut que je fasse la chose exacte, de la manière exacte, et absolument pas une seconde par ici ou par là, pour que je reste en équilibre...» Tu comprends, ce sens d'insécurité! Eh bien, c'est très fort, très fort. Bien sûr, il y a quelque chose qui ressemble à la raison (pas tout à fait la raison ordinaire), quelque chose qui ressemble à la raison, qui dit: «Quand, automatiquement, tu feras toujours exactement ce qu'il faut faire, ça disparaîtra.» (Mère rit) C'est bien gentil! Mais comme ce n'est pas une décision mentale, alors comment? N'est-ce pas, ce n'est que par l’expérience qu'on peut apprendre, et comme les choses sont en mouvement perpétuel, ce n'est pas l’expérience du passé qui peut servir pour l’avenir: c'est à chaque minute. Alors comment savoir?... Alors on ne saura qu'on ne se trompe pas que quand on sera toujours-toujours en parfaite harmonie! – Ce ne sera plus la peine de le savoir: ce sera un fait accompli! Voilà la situation. Si le corps est transformé et, naturellement, vit selon le rythme divin, je n'ai pas du tout besoin de le savoir! (riant) ça me sera parfaitement indifférent parce que ce SERA. On veut savoir les choses quand elles ne sont pas encore.

Il est, tu sais, comme les enfants qui ont besoin d'être encouragés: «Allons! ne te fais pas de mauvais sang, ça va bien, tu progresses, ça va mieux.»... Oh! ridicule!

Voilà, mon petit.

(le disciple pose sa tête sur les genoux de Mère)

Ce qui est nouveau, par exemple, avant («avant», ça veut dire avant l’année dernière!) quand je donnais mes bénédictions, il y avait la Volonté qui venait et qui passait et qui entrait: toujours. Ce n'était pas un acte (de Mère).Mais maintenant, ça se sent visiblement (Mère touche le bout de ses doigts), ça se voit presque, la vibration qui passe dans les doigts et qui entre dans la tête (du disciple). C'est ça, la différence: c'est que, avant, c'était toujours la Conscience, l’Être qui travaillait d'en haut – maintenant le corps participe. Ça, c'est différent.

De toutes petites choses, toutes petites.

27 mars 1963

(Parfois, Elle avait un cri) I am fed up!

[j'en ai assez!]

(long silence)

Un jour, je t'avais dit une des expériences que j'avais eue, et je t'ai dit que chaque fois qu'il y a eu une manifestation divine (ce qu'on appelle un Avatar), il y avait toujours un «angle de recherche», c'est-à-dire que c'était un BESOIN intense qui poussait les hommes sur le chemin de l’évolution vers le But et la Transformation, et chacun avait vu sous un angle spécial, croyant que c'était ça, le But.1 À ce moment-là, j'avais vu que c'était le besoin d'Immortalité qui avait poussé les rishis védiques. Puis cela m'est revenu hier, alors je l’ai noté:

(Mère lit une note manuscrite)

Les rishis védiques avaient soif d'Immortalité,
le Bouddha voulait la Permanence...

Et alors j'ai regardé, je me suis dit: «Quel était donc le chemin du Christ?»... Au fond, c'était toujours: «Aimez-vous les uns les autres», c'est-à-dire la fraternité (mais c'est une traduction moderne). Pour lui, c'était l’idée de compassion, de charité (les chrétiens disent que c'est la «loi de l’Amour», mais ça, ce n'est pas touché encore – ça viendra beaucoup plus tard). Alors j'ai écrit:

Jésus prêchait la Compassion...

Puis j'ai pensé: maintenant, Sri Aurobindo, c'est très clair; pour lui, c'était la Perfection. La Perfection, non pas dans le sens d'un maximum mais d'une totalité où tout est représenté, e£ tout est représenté à sa place. Et cette Perfection, j'ai vu qu'elle devrait aller – elle doit aller par étapes. Il a annoncé quelque chose qui s'étend sur des milliers d'années pour se réaliser. Et ça doit aller par étapes. Et je vois: ce qui me paraît essentiel, indispensable (tout est là et tout prend sa place, mais il y a une chose qui est comme une angoisse – pas une angoisse personnelle: une angoisse terrestre), c'est la Sécurité. C'est ce besoin de Sécurité – quoi que l’on fasse, quoi que l’on veuille, même l’Amour, même la Perfection, ça a besoin de Sécurité. Rien ne peut se faire si on a cette impression que toutes les forces contraires peuvent venir et balayer. Il faut trouver le point où ça ne peut pas être touché ni détruit ni arrêté. Par conséquent, c'est la Sécurité, c'est l’essence même de la Sécurité. Alors j'ai écrit:

Sri Aurobindo a promis la Perfection
et pour y arriver, le premier point nécessaire,
ce qu'il faut aux hommes maintenant,
c'est la Sécurité.

Toutes les tendances mondiales qui se traduisent par «vouloir établir la paix» d'une façon ou d'une autre, c'est cela, c'est la Sécurité. Et ce dont j'ai l’expérience, c'est d'une super-sécurité, qui ne peut vraiment se trouver que dans l’union avec le Suprême – il n'y a rien-rien-rien au monde qui puisse vous donner la sécurité, excepté ça: l’union, l’identification avec le Suprême. Et c'est ce que je t'avais dit: tant que Sri Aurobindo était là, dans son corps, j'avais l’impression d'une Sécurité parfaite – extraordinaire, extraordinaire! que rien-rien-rien ne pouvait abîmer – rien. Et alors ce départ a été comme... comme un écrasement de cette expérience.2 Et au fond, au point de vue suprême, c'était peut-être cela, la cause de son départ... Seulement, ça me paraît être une toute petite chose pour un très grand événement... Mais comme dans l’expérience, cette Sécurité s'établissait de plus en plus, de plus en plus, et qu'elle se répandait3... Il est probable que ce n'était pas le moment. Je ne sais pas. Comme je l’ai dit, ça me paraît être, au point de vue universel et everlasting (on ne peut pas dire éternel), everlasting [durable], c'est une petite cause pour un grand effet... Nous pouvons dire que c'était probablement une des causes qui ont nécessité son départ.

Par conséquent, d'après l’expérience de ces jours-ci, cette recherche de la Sécurité est seulement un premier pas vers la Perfection. Il est venu pour annoncer (j'ai écrit «promettre» volontairement), il est venu promettre la Perfection, mais entre cette promesse et la réalisation, il y a beaucoup de pas; et pour mon expérience, le premier pas, c'est cela: la recherche de la Sécurité. Et ça correspond assez bien à l’état d'esprit terrestre.

(silence)

Les différents États légitiment cette folie destructive d'armement en disant que c'est un moyen d'empêcher la destruction, par la crainte – ça ne vaut rien. Comme argument, ça ne vaut rien, mais dans leur esprit, c'est ainsi. Et ça fait partie de cette même soif, ce même besoin de Sécurité: rien ne peut être fait que dans la paix, rien ne peut être trouvé que dans la paix, rien ne peut être réalisé que dans la paix – il nous faut la paix, individuellement, collectivement, terrestrement. Alors, faisons des objets de destruction épouvantables de façon que les hommes aient si peur que rien ne se passe – c'est enfantin! Mais enfin l’état d'esprit est là. Et c'est encore un de ces... en anglais on dit device, truc (ce n'est pas cela, parce que ce n'est pas un «truc», mais c'est un moyen – c'est entre truc et moyen) pour pousser la race humaine vers son but évolutif. Et pour cela, il faut attraper le Suprême: c'est un moyen d'attraper le Suprême. Parce qu'il n'y a rien – rien-rien-rien n'existe au point de vue Sécurité, que le Suprême. Si on EST le Suprême, c'est-à-dire la Conscience suprême, le Pouvoir suprême, l’Existence suprême, alors c'est la Sécurité – en dehors de ça, il n'y en a pas. Parce que tout est en perpétuel mouvement. Ce qui est à un de ces «moments du temps» dont parle Sri Aurobindo (le temps est une succession ininterrompue de «moments»), ce qui est à ce moment-là n'est plus le moment suivant, par conséquent aucune sécurité. C'est la même expérience, vue sous un autre angle, que celle du Bouddha disant qu'il n'y a rien de «permanent». Et au fond, les rishis avaient vu seulement sous l’angle de l’existence humaine, et c'est pour cela qu'ils voulaient l’Immortalité. Tout se rejoint.4

(Mère reste en contemplation)


Peu après

Il pleut sur moi une nuée de questions mentales... plates, superficielles – tout le monde veut que je réponde pour publier mes réponses! Alors je refuse. K.G m'a envoyé cinq ou six questions pour sa revue, toutes plus stupidement mentales les unes que les autres, à propos du supramental. Il faut que je dise si c'est «comme ça» ou si c'est «comme ça» – tout à fait les questions qu'on pose au bon élève pour voir s'il a bien appris sa leçon!

Il paraît que l’année dernière, il avait déjà envoyé ses questions à la même époque, et que je l’avais déjà renvoyé. Puis on a mis tout sur le compte de ma prétendue maladie; alors il me renvoie les mêmes questions maintenant que je suis «en état de répondre»! et je lui retourne avec la même réponse: peux pas. On plaisantait, l’autre jour; Nolini était en train de me lire les questions, et à chaque question (ton, comme une élève en faute), je répondais: Don't know, don't know...! [Sais pas, sais pas...]

(Mère rit)

30 mars 1963

La dernière fois, tu as dit: «Comme cette Sécurité s'établissait de plus en plus, de plus en plus, et qu'elle se répandait...» Tu veux dire que la présence même de Sri Aurobindo...

Oui. Oui.

Pourtant, le monde était bien troublé?

Justement, je veux dire que le monde n'était pas prêt et qu'il y avait... (comment dire?) ce paradoxe d'un centre de Sécurité qui était en contradiction totale avec l’état général du monde.

Lui-même l’a dit: «Le monde n'est pas prêt.» Alors...

C'est cela que je veux dire, c'est que sa présence physique était le signe d'un établissement de la Sécurité, et que le monde n'était pas prêt. Alors l’effet de sa présence allait grandissant, mais ça amenait une contradiction de plus en plus grande – une OPPOSITION de plus en plus grande.


Peu après

Nous sommes vraiment dans une période d'un terne! dull-dull.

(silence)

Il y a comme une révision, un passage en revue de tous les éléments de la conscience corporelle, avec un échantillon des circonstances de leurs diverses manifestations ou expressions. Tout ça est passé en revue comme pour me montrer tout ce qui, dans les cellules du corps, était contraire ou pas prêt à la réception des Forces divines. Et tout ça se présente sous forme de souvenirs vécus – souvenirs de choses que j'avais plus que totalement oubliées (j'aurais pu jurer qu'elles n'existaient pas) et qui reviennent. C'est in-cro-yable. Et ce n'est pas le souvenir d'un ego, d'une personne: c'est le souvenir d'une force en mouvement dans les vibrations générales. Et alors je vois des choses... fantastiques!

Mais tout de suite, c'est effacé; dès que je me réveille, la première chose que je fais (geste d'offrande), c'est de présenter tout ça au Seigneur: la cause, l’effet, l’image, la sensation – tout. Tout comme ça, et puis je Lui dis: «Maintenant, c'est à Toi.» Et alors j'oublie – heureusement, Dieu merci!

Mais c'est toutes les nuits. Alors ça se traduit par toutes sortes de scènes, toutes sortes de symboles, toutes sortes de souvenirs, depuis des paroles jusqu'à des images. Et c'est par groupes et catégories de tendances: ça représente les différentes tendances humaines, dans les détails – c'est infinitésimal. C'est seulement parce que ça se multiplie à des millions d'exemplaires que ça peut avoir une importance – mais ce n'est rien! C'est des riens. Et c'est tout ça qui barre le chemin.

Ce n'est vraiment pas intéressant.

(silence)

Peut-être après des années, y aura-t-il un résultat tangible?... Et encore, je ne suis pas sûre qu'il ne sera pas limité. Si c'était un résultat terrestre, ça vaudrait la peine, mais il est possible que ce soit très limité.

Ça me fait l’effet d'un travail de miniature qui s'exécute avec une loupe et des petits points – les miniatures, ça se fait avec un pinceau tout petit, très pointu, et on fait des petits points, et on a une grosse loupe. Ça me fait l’effet de ce travail. Et il faut beaucoup-beaucoup-beaucoup de petits points pour faire seulement un bout de joue.

(silence)

Des tout petits points, tout petits points..

Et c'est si terne! Si terne, si gris, si uniforme, si – pas intéressant, tout à fait neutre –, que la moindre petite lumière, ça brille comme une étoile! Le moindre tout petit-petit-petit progrès, oh! ça paraît une chose extraordinaire. Comme, par exemple, l’attitude de certaines cellules vis-à-vis d'un désordre physique qui, naturellement, comme tous les désordres physiques, a tendance à se répéter; et alors l’attitude des cellules change – ce n'est pas le désordre (!) lui, il ne change qu'à cause de la réaction des cellules, c'est ça qui le fait changer; lui, il vient avec une régularité de pendule – c'est son métier. Et c'est la réception, la réaction des cellules qui produit le changement. Alors il y a une différence dans la réaction des cellules et, à l’observation (l’observation impersonnelle, générale), je vois bien qu'il y a deux genres de changements (on ne peut pas appeler cela de «progrès»), mais deux genres de changements dans la réaction: il y a un changement qui va en s'améliorant, en ce sens que la réaction est moins sensible, les cellules sont moins affectées et deviennent de plus en plus, non seulement conscientes mais MAÎTRESSES de la réaction (ça, généralement, c'est très inconscient chez les gens, mais c'est ce qui amène la guérison); et puis il y a la détérioration: sous la persistance de l’attaque, les cellules s'affolent, deviennent de plus en plus affectées et effrayées, et finalement ça fait un désordre épouvantable et une catastrophe. Eh bien, tout cela, c'est observé, vu; on a l’expérience de tout ça; mais... (riant) on explique ça dans la médecine ordinaire avec deux mots! N'est-ce pas, ce que je vois maintenant, c'est le processus – le processus, ils ne le connaissent pas; mais le résultat est connu. Eh bien, je constate que la conscience va grandissant, avec une diminution progressive de l’affolement des cellules et une sorte de maîtrise croissante. Évidemment c'est une constatation, si l’on peut dire plaisante, mais elle ne fait même pas plaisir! Ça paraît assez évident... Et puis c'est dans une proportion telle que pour obtenir un résultat vraiment impressionnant, ça prendrait des années, des années, des années, oh! combien d'années il faut! comme les choses sont lentes.

Alors ça ne m'intéresse pas d'en parler. Je préfère m'occuper d'autre chose – je fais le travail mais c'est tout.1

avril




6 avril 1963

C'est le progrès de l’impersonnalisation de la conscience physique, corporelle, qui produit des conséquences, intéressantes probablement mais qui sont inexplicables pour les gens qui ne comprennent pas. Par exemple...

(silence)

J'ai la conscience du corps, mais ce n'est pas la conscience du corps, de ça (Mère touche son corps): c'est la conscience du Corps – ce peut être le corps de n'importe qui. J'ai la conscience, justement, de ces vibrations de désordre (qui viennent le plus souvent sous forme de suggestions de désordre) pour voir si ce sera reçu et si elles auront de l’effet; mettons, par exemple, suggestion d'hémorragie, suggestion d'une chose ou d'une autre (je parle d'hémorragie, parce que ça va entrer dans le tableau). La conscience corporelle, sous l’Influence supérieure, refuse. La bataille commence à se livrer (tout ça, tout en bas, dans les cellules et la conscience matérielle), entre ce que nous pouvons appeler «la volonté d'hémorragie», par exemple, et la réaction des cellules du corps. Et alors c'est tout comme une vraie bataille, un vrai combat. Mais tout d'un coup, il y a comme un général qui proclame un ordre et qui dit: «Comment!»... N'est-ce pas, ce général est conscient des forces supérieures, des réalités supérieures et de l’intervention divine dans la Matière; alors, après avoir essayé de se servir de la volonté, de telle réaction, de tel sentiment de paix, etc., tout d'un coup, il se sent PRIS d'une très forte détermination et il proclame un ordre, et puis voilà que l’effet commence à se produire, et petit à petit, tout rentre dans l’ordre.

Tout ça se passe dans la conscience matérielle. Physiquement, ce corps a toutes les sensations – mais pas l’hémorragie, tu comprends; mais il a les sensations, c'est-à-dire les effets: tous les effets sensoriels. Après, ça continue, ça suit toute une courbe. Bon. Une fois que la bataille est passée, je regarde et je me dis (je regarde tout ça, je vois mon corps, qui a été suffisamment secoué, note) et je me dis: «Qu'est-ce que ça peut bien être que tout ça?» Mais une seconde, puis je ne m'en occupe plus..

Quelques jours après, je reçois une lettre de quelqu'un, qui est très proche, qui a une foi ardente et qui se cramponne à moi avec vraiment une foi presque parfaite, exceptionnelle. Et dans la lettre: toute l’histoire, de l’attaque, de l’hémorragie, et tout d'un coup de l’être PRIS, la conscience PRISE par une volonté formidable, et qui entend des mots – les mots qui ont été prononcés ICI. Et l’effet: sauvé (a failli mourir), sauvé, guéri.

Juste le temps que la lettre vienne.

Je me souvenais de mon événement... et alors j'ai commencé à comprendre que mon corps, c'est partout!!

N'est-ce pas, ce n'est pas une question de juste ces cellules-là: ce sont des cellules, et ma foi dans beaucoup, des centaines et peut-être des milliers de gens – tout ce qui est accroché d'une façon quelconque à la Conscience supérieure. Et comme le mental est silencieux (le mental, je le tiens volontairement, absolument tranquille et tâchant de ne pas répondre à tout ce qui lui vient tout le temps du «dehors», ou de répondre d'une façon presque subconsciente), il n'y a pas quelque chose qui dit: «Oh! c'est ce corps-là ou c'est ce corps-là» – c'est Le Corps! Et ça, c'est si difficile à faire comprendre aux gens. C'est LE corps – ça (Mère touche son corps), ce n'est pas plus mon corps que les autres corps (un peu plus, dans le sens que c'est plus directement sous la concentration de la Force). Mais tout, toutes les sensations, les mouvements de conscience, les batailles, tout ça, c'est partout. Et alors tout d'un coup, avec cette affaire-là, oh! j'ai compris une quantité formidable de choses – et puis la difficulté, mon petit!... La difficulté... parce que vraiment, après cette expérience, le corps n'était pas malade mais il était très fatigué. Et alors, il est tout le temps pris de choses comme cela! tout le temps, tout le temps, tout le temps, n'est-ce pas, qui arrivent, brrm! qui tombent dessus, brrm! d'un côté, de l’autre, de tous les côtés. Alors il faut que je me tienne tranquille (geste d'arrêt silencieux au milieu des autres activités), et puis je commence à livrer la bataille.

(silence)

Ce qui fait qu'il a ses propres difficultés (il n'y a pas un agglomérat de cellules qui n'ait des difficultés dans les conditions présentes de vie), je crois même que le fait de pouvoir rester tranquille (un peu) est sa seule sauvegarde... mais ça ne diminue pas les difficultés puisque le contact ne dépend même pas de la présence physique!1... Et alors, quel pouvoir formidable, prodigieux, il faut INCARNER dans les cellules physiques pour résister à tout ça ....

Mais là aussi, il y a un déplacement (ce que je t'avais dit une fois: ces sortes d'expériences tout d'un coup, qui ne sont pas des choses établies mais des premiers contacts2). Après la leçon de cette histoire-là, tout d'un coup il y a quelque chose qui s'est levé dans cette conscience corporelle – qui n'est pas la conscience d'UN corps mais une conscience corporelle générale –, une aspiration, quelque chose de si pur, et de si doux... si doux... quelque chose qui était une supplication pour que, enfin, la Vérité et la Lumière soient manifestées ici, là-dedans. Et ce n'était pas ici-ici là-dedans (Mère touche son propre corps): c'était partout.

Et alors il y a eu un contact3 – il y a eu un contact –, et une Lumière bleu pâle, très douce, très brillante, et une Assurance.

C'était l’espace d'une seconde, mais tout d'un coup c'était comme un nouveau chapitre qui commençait.

Mon petit, tu es la seule personne à qui je puisse dire ça – il n'y en a pas un, pas un! Pas un qui puisse même comprendre. Et ça augmente la difficulté, parce que je suis tout le temps accablée par l’imbécillité des pensées de tous les gens (imbécillité dans le sens d'incompréhension), des pensées de tous ceux qui m'entourent, qui croient que je suis (que «je», ce qu'ils appellent «je», n'est-ce pas, «moi») est malade et que... Je ne peux rien dire! Si je n'avais pas parlé aujourd'hui, ce serait parti. Je n'aurais jamais rien dit. Eh bien, c'est comme cela.

Alors, si on se place au point de vue ordinaire, c'est tellement-fantastique, ça représente un travail tellement... formidable. Naturellement, c'est le Seigneur qui le fait, mais est-ce que ça tiendra le coup? (Mère touche son corps) Je ne sais pas.

S'il le veut, certainement Il s'arrangera pour que ça tienne le coup. Mais c'est assez nouveau...

(silence)

Ma seule manière, c'est justement une espèce de carapace de silence mental (du mental ordinaire) de façon que toutes les pensées des gens ne viennent pas m'embêter tout le temps, tout le temps, tout le temps. Mais ça passe en dessous! Il y a certaines personnes, dès qu'elles entrent, je me sens fatiguée, à cause de leur attitude. Et ça ne passe pas par la pensée du tout: c'est une vibration spéciale dans mon corps.

Il y en a, au contraire, avec qui ça va bien.

Et je ne cherche ni à observer ni à étudier ni à comprendre – Dieu sait! il n'y a rien à comprendre: c'est évident.

Il n'y a qu'une chose qui est tout le temps: garder intact et PUISSAMMENT conscient le sens de la Présence divine – c'est tout. Ça, c'est la seule préoccupation de ces cellules.

Et de temps en temps (Mère rit), elles ont... comme si elles avaient une espèce de petit consortium entre elles et qu'elles se disent: «Ça,4 personne ne peut intervenir là-dedans!» Et elles sont contentes: «Ça, toutes leurs pensées n'y peuvent rien!»

Voilà, mon petit. Encore du travail pour toi.

C'est formidable. C'est formidable.

Oui, oui. J'ai eu vraiment l’impression de quelque chose... enfin qui était assez nouveau.5

16 avril 1963

(Nous n'avons pas gardé note du début de cette conversation ni des questions «personnelles» ni de la suite des événements qui ont amené la situation, mais il semble que X nous ait invité à venir chez lui, en dépit de notre rupture, et qu'il veuille poursuivre avec nous la sâdhanâ tantrique.)

Du point de vue profond, quelle connexion avoir avec X? Si je vais là-bas, il va malgré tout y avoir quelque chose, un rapport?...

Il peut t'influencer, parce que tu étais influencé par lui au début. Ça, il a le pouvoir mental de t'influencer – de t'enfermer dans sa propre atmosphère. Mais il ne peut pas t'emprisonner! Ce n'est pas possible, tu lui échappes! Alors, si... (comment dire?) si tu apprends à recevoir sa force sans être enfermé dans sa pensée, c'est très bien. Ou plutôt à recevoir sa force sans être impressionné ou influencé par sa pensée – la pensée est très étroite, mais la force est très forte.

Et il vous met en rapport avec une paix, c'est vrai – c'est une paix qui est comme dans une boîte, mais c'est une paix, c'est vraiment une paix, une tranquillité concrète, concrète. Alors, ce qu'il faut (n'est-ce pas, on la sent, j'en ai eu l’expérience si souvent)... si on reste très objectif dans cette paix, on peut bénéficier de la paix sans accepter les limites. Il faut, par exemple, savoir garder cette paix dans les cellules (les cellules du cerveau, si tu te sens fatigué), sans accepter d'être enfermé comme cela. Il n'y a pas de lutte à faire, mais à rester tourné au-dessus... C'est très difficile à expliquer. Mais peut-être auras-tu l’expérience et tu comprendras ce que je veux dire.

Il y a toujours une vibration plus subtile que sa vibration de paix, et celle-là doit rester libre, sans s'enfermer dans l’autre. Par exemple, s'il y a quelque chose qui tire et tend mentalement la tête, tu restes en rapport avec cette paix (oh! il a une capacité d'immobilité mentale), et alors ça, tu le laisses entrer en toi, mais tu ne te concentres pas tout entier là-dedans: tu laisses le reste de ton activité se déployer comme d'habitude dans un infini. Et c'est seulement les vibrations mentales physiques que tu gardes dans cette stabilité.

C'est difficile à mettre en mots. Mais alors là, ça pourra te faire du bien, te reposer.

Mon expérience, n'est-ce pas, c'est que son silence mental est rigide – il est rigide, il est fermé –, mais la substance mentale cérébrale, physique, se repose vraiment, c'est-à-dire que c'est capable d'enlever un mal de tête.

C'est une vibration très-très matérielle, il a une maîtrise là.

(la suite n'a malheureusement pas été conservée)

20 avril 1963

D me racontait juste maintenant qu'on lui recommande de méditer les yeux ouverts (je sais, ça vous garde actif quelque part), et il disait que si, par malheur, il ferme les yeux, il ne peut plus bouger! Il est conscient mais il est absolument immobilisé: il ne peut pas se lever, il ne peut pas bouger, il ne peut même pas tourner la tête!

C'est dangereux.

Alors je lui ai recommandé de bien garder les yeux ouverts: ça garde une activité. Quand on ferme les yeux, on entre tout à fait en transe (on est parfaitement conscient mais on entre en transe et le corps est absolument immobile). C'est ce que Théon m'avait appris, à libérer la conscience du corps et à l’éduquer de façon qu'elle puisse agir toute seule, si bien que quand on est tout à fait en transe, on peut se lever, écrire, parler et faire tout – on est hors de son corps, il n'y a plus que le lien. Mais c'est une éducation. Ce n'est pas très-très commode mais enfin ça peut se faire.

Je l’avais fait au point que même si le lien est coupé (et j'en ai eu l’expérience), le corps continue à parler. C'est très utile.

J'ai dit à D que, plus tard, je lui apprendrai, parce que c'est mauvais d'être comme cela, paralysé: si quelqu'un entre brusquement, il peut vous arriver n'importe quoi.

Seulement c'est un travail.

Mais je ne suis jamais de ma vie entré en transe, je n'ai même jamais perdu contact avec l’extérieur.

Tu n'as jamais vu ton corps?

Jamais.1

C'est mieux de ce côté-là que de l’autre!

J'ai connu plusieurs personnes, spécialement I qui travaillait avec Dilip (elle avait des visions, elle dansait aussi): quand elle entrait en méditation, c'était fini; même quand elle voulait rentrer et bouger, elle ne pouvait pas. Il fallait que Dilip vienne et lui tire les mains, sépare les doigts et bouge son corps, alors elle commençait à se ressaisir. Tu comprends, ce genre de choses, ça ne va pas du tout.

Il vaut mieux être de l’autre côté que de ce côté-là.

Mais c'est quand même une incapacité?

Mais c'est un manque de liaison! Elle n'a pas de contrôle sur son corps, voilà tout. Cela ne m'est jamais arrivé, jamais.

Je veux dire que le fait, comme moi, de ne jamais entrer en transe, c'est une incapacité?

Non. Moi, je suis sûre que tu es entré en transe, parce que je t'ai vu, mais tu ne l’as pas su.

En méditation?

Non, pas en méditation: dans la nuit.

Pour moi, j'ai su que j'avais cette capacité parce que cela me donnait tendance à m'évanouir – pas très-très souvent, mais enfin ça m'était arrivé. Quand j'étais enfant, que je ne savais rien du tout, je me suis évanouie deux ou trois fois, et il se trouvait que l’évanouissement n'était pas inconscient – il était conscient –, et après un petit peu de pratique (pas la pratique de l’évanouissement!) mais de pratique occulte, quand je m'évanouissais, je me voyais. Même avant, je m'étais vue, mais je ne savais pas ce que ça voulait dire, je ne comprenais rien. Mais je me voyais. Et alors après, quand je m'évanouissais, la première chose que je faisais, c'était de voir mon corps étendu là, dans une situation ridicule; alors je me reprécipitais dedans avec force, et puis c'était fini.

Évidemment, je suis née probablement avec des dispositions! (rires)

Mais est-ce que mes méditations sont..

Oh! elles sont excellentes, mon petit, ne dis rien de mauvais de tes méditations, elles sont parfaites. J'ai rarement vu une telle paix! Parce que j'ai eu beaucoup de méditations avec de la paix, mais c'était généralement une paix très tamasique, et lourde. Mais cette espèce de paix qui s'élève et qui entre dans une béatitude blanche, ça, c'est très rare. C'est très rare. Et c'est chaque fois: régulier, automatique, il n'y a pas d'effort, c'est l’état naturel. Je ne sais pas si tu l’avais avant de venir ici, je n'en sais rien...

Non, avec toi, ça prend un caractère très concret Quand je suis seul, c'est une perception plus vague; avec toi, je ne vois pas mais c'est presque comme si je voyais.

Ça, c'est parce que quand tu es seul, ça manque de shakti! (rires)

Oui, c'est ça.

Mais généralement, le meilleur que j'ai vu ici avec les gens qui ont beaucoup pratiqué, c'est un blank – tu sais, blank silence [un silence vide]. C'est vide, c'est immobile, c'est tranquille, c'est silencieux, mais blank – au bout d'un certain temps, on en a assez, n'est-ce pas! Ça ne peut pas durer très longtemps. C'est ce que les gens ont en Inde généralement... et ils sortent de là abrutis.

Mais pour toi, c'est une espèce de jaillissement dans quelque chose de blanc – de lumineux mais de blanc –, c'est-à-dire que ça contient quelque chose; et très lumineux, très blanc, et alors d'une immobilité admirable. Et ça, c'est béatifique, on peut y rester très longtemps – très agréable.

La seule chose que j'aie faite depuis le moment où j'ai médité avec toi, c'est l’élargissement, parce que, au commencement, c'était assez limité.2 Et c'est extrêmement difficile d'avoir cette paix blanche avec l’ampleur; Sri Aurobindo disait (parce que je lui parlais de toutes ces expériences), il me disait toujours qu'avoir ce silence plein, concret et blanc, pur, tout à fait pur, avec L’immensité... There are not many who can have it [il n'y en a pas beaucoup qui peuvent l’avoir]. Mais je dois dire que j'ai beaucoup-beaucoup élargi ton silence. Maintenant on ne se sent plus enfermé – je n'aime pas me sentir enfermée! On ne se sent plus enfermé: ça va se déployant.

C'est bien. Non, ne te plains pas de ce que tu as, il y en a qui travaillent des vies pour avoir ça.

l’autre, c'est une capacité innée de sortir de son corps, une capacité spontanée de sortir de son corps. La transe telle que tu l’entends, concrète, tout à fait matérielle, pour l’avoir il faut pouvoir sortir-entrer-sortir-entrer (à volonté). Et alors comme les gens prennent beaucoup de mal généralement pour sortir, ils ne savent plus rentrer! Alors ils se trouvent dans des situations ridicules.

J'ai eu deux expériences comme cela. La première était à Tlemcen3 et la seconde au Japon... Il y avait une épidémie d'influenza, de cette influenza qui provenait de la guerre (la guerre de 1914), et qui était généralement mortelle. En trois jours, les gens avaient de la pneumonie et ploff! s'en allaient. Et au Japon, ils n'ont jamais d'épidémie (c'est un endroit où il n'y a pas d'épidémie), alors ils ont été pris tout d'un coup; c'était un terrain tout à fait propice, pas du tout préparé – formidable: les gens mouraient par milliers tous les jours, c'était formidable! Il y avait une terreur générale, on n'osait plus sortir sans avoir un masque sur la bouche. Et alors quelqu'un que je ne nommerai pas m'a dit (Mère prend un ton brutal): «Qu'est-ce que c'est que ça?» Je lui ai répondu: «Il vaut mieux ne pas y penser» – «Non, mais c'est très intéressant! il faut savoir, enfin vous êtes capable de savoir: qu'est-ce que c'est que ça?» Moi, comme une imbécile, j'avais justement à sortir; je devais aller voir une fille qui était à l’autre bout de Tokyo (Tokyo est la plus grande ville du monde; quand il faut la traverser, ça prend longtemps), et je n'étais pas une richarde à me promener en automobile: j'allais en tramway... l’atmosphère! l’atmosphère de panique de la ville! N'est-ce pas, nous habitions dans une maison entourée d'un grand parc, tout à fait isolée, mais l’atmosphère de la ville était effroyable. Et puis cette question: «Qu'est-ce que c'est?» qui naturellement est venue me mettre en contact – je suis rentrée avec. C'était sûr, ça devait arriver! (riant) Je suis rentrée avec.

Comme si on vous assénait un coup de poing sur la tête, tout à fait abrutie. On a appelé un docteur. Il n'y avait même plus de médecines en ville – il n'y avait pas assez de médecines pour soigner les gens, mais nous étions considérés comme des gens importants (!) alors le docteur m'a apporté deux cachets. Je lui ai dit (riant): «Docteur, je ne prends pas de médecines» – «Comment! et c'est si difficile d'en avoir!» J'ai dit: «Mais justement, c'est très bon pour les autres!» Mais, mais... tout d'un coup (j'étais couchée n'est-ce pas, avec une fièvre numéro un), tout d'un coup je me sens saisie par la transe – la vraie transe, qui vous pousse hors de votre corps –, et j'ai su. J'ai su: «Ça, c'est la fin; si je ne résiste pas à ça, c'est la fin.» Alors j'ai regardé. J'ai regardé et j'ai vu que c'était un être qui avait eu la moitié de la tête emportée par une bombe et qui ne savait pas qu'il était mort, et qui s'accrochait n'importe où pour sucer la vie. Et alors un être comme cela, que j'ai vu (il y en avait un sur moi, qui était en train de faire son «business»!), c'était l’un des innombrables tués. Et chacun avait une espèce d'atmosphère – mais très étendue – de décomposition humaine qui était tout à fait pestilentielle, et c'était ça qui donnait la maladie. Si ça se bornait là, on guérissait, mais s'il y avait un de ces êtres avec la moitié de la tête, la moitié du corps, c'est-à-dire un être qui avait été tué si brutalement qu'il ne savait pas qu'il était mort et qui essayait de retrouver un corps pour pouvoir continuer (l’atmosphère donnait la maladie à des milliers de gens par jour, c'était tout grouillant, c'était une infection), et les êtres comme ça, on mourait. Dans les trois jours, on était fini – même avant: quelquefois c'était dans la journée. Alors quand j'ai vu et que j'ai su, j'ai rassemblé toute l’énergie occulte, tout le pouvoir occulte et... (Mère donne un coup de poing de haut en bas, comme pour rentrer de force dans son corps) et je me suis retournée sur mon lit, réveillée, et c'était fini. Et non seulement c'était fini, mais je suis restée bien tranquille et j'ai commencé à travailler dans l’atmosphère... Mon petit, à partir de ce jour-là, il n'y a pas eu de nouveaux cas! Et c'était tellement extraordinaire que cela a paru dans les journaux japonais. Ils n'ont pas su pourquoi c'était, mais à partir de ce jour-là, de cette nuit-là, il n'y a pas eu un nouveau cas. Et lentement, les gens guérissaient.

J'ai raconté ça à notre ami japonais qui habitait dans la maison; je lui ai dit: «Eh bien, voilà; voilà ce que c'est que cette maladie: c'est un résidu de la guerre; et voilà comment ça se passe: c'est comme cela et comme cela... Et celui-là en a été pour sa tentative!» Et naturellement, le fait que j'ai rejeté son influence en me retournant et en me battant... [a dissous la formation]. Mais ce qu'il faut de puissance pour faire ça! c'est extraordinaire.

Lui, l’a raconté à des amis, qui l’ont raconté à des amis, et finalement l’histoire s'est sue. Il y a même eu une espèce de remerciement collectif de la ville pour mon intervention... Mais tout est venu de ça: «Qu'est-ce que c'est que cette maladie? Vous êtes capable de le savoir, non?» (Riant) Allez l’attraper!

Mais cette impression d'être complètement immobilisée et la proie de quelque chose – complètement immobilisée, impossible... N'est-ce pas, vous n'êtes plus dans votre corps, vous ne pouvez plus agir sur lui. Et cette espèce de sentiment de libération quand on peut se retourner.

J'avais une fièvre formidable, qui naturellement était tombée peu à peu – au bout de quelques jours j'étais tout à fait guérie; même presque imédiatement j'étais guérie.

Voilà, petit.4

Alors tu vas partir là-bas... (chez X)

(silence)

Et moi, je suis en train de colloquer avec la Mort.

C'est exactement l’état d'esprit universel: cet état d'incroyance, oh! c'est terrible. Si on ne savait pas qu'il vient quelque chose après, ce serait terrible.

C'est admirable, ce Savitri, il a tout prévu, tout vu, tout-tout-tout, il n'y a pas un point qu'il n'ait pas exploré!

22 avril 1963

(Lettre de Satprem à Mère)

Rameshwaram, Lundi 22 avril

Douce Mère,

Je suis bien arrivé hier. Jusqu'à présent j'ai surtout passé mon temps à lutter contre une horrible impression dans mon cœur, dans ma pensée, dans mon corps, si forte que, si je pouvais, je prendrais le premier train aujourd'hui pour revenir. Je n'ai jamais eu pareille impression ici. J'ai failli te télégraphier pour t'appeler au secours. Je vais essayer de «tenir» ici aussi longtemps qu'il sera décent, puis je partirai au plus tôt.

Du point de vue matériel, les conditions sont aussi pauvres que possible – en fait, c'est le dénuement complet dans la crasse complète. Mon corps n'est pas en fameux état, mais j'espère que cela va se remettre. Du point de vue mental et affectif = ZÉRO. Reste la seule Chose, sans quoi tout s'écroulerait.

J'ai diablement besoin de toi.

Avec amour,

Signé: Satprem


(Réponse de Mère)

23.4.63

Satprem, mon cher petit,

Ta lettre vient d'arriver. Elle n'a fait que confirmer ce que j'avais vu et SENTI. Ces deux dernières nuits ont été carrément mauvaises; et la journée ne vaut pas mieux.

Bien entendu, il faut revenir dès que tu verras que c'est possible.

Envoie un télégramme dès que tu auras pris une décision. Je fais de mon mieux pour que tu sentes que je suis avec toi.

Tendresse

Signé: Mère


(Fragment de lettre à Sujata)

Lundi matin, 22 avril 63

Je viens d'écrire un mot à Mère pour lui dire que si je pouvais, je prendrais le premier train pour revenir. À mon arrivée ici, j'ai eu une horrible impression, comme je n'ai jamais eue, presque une panique. C'était si terriblement vide et loin. J'ai dû devenir hyper-sensitif. Si je ne craignais pas de me laisser aller à cette impression, et si ce n'était pas grossier vis-à-vis de X, je prendrais le train de midi, tout à l’heure. Le nouveau «guest-house» se passe de description:1 des murs de ciment, entourés par des murs de ciment; les plans sont si merveilleux que pas un souffle d'air ne circule là-dedans, et naturellement, on ne voit même pas une touffe d'herbe. Il y a de splendides grilles de fer forgé et des panneaux de ciment ajouré, mais pas les plus élémentaires commodités. J'ai absolument refusé d'entrer dans ce sarcophage et on m'a mis dans une maison adjacente, achetée par X, qui sert de garage. C'est la crasse la plus absolue. Ils n'ont même pas eu l’idée de m'offrir une natte. Finalement on m'a apporté un banc pour dormir dessus, que j'ai refusé.......Voilà pour les conditions matérielles. J'espère que le corps va se remettre. Dès que je pourrai décemment partir, je lèverai l’ancre.

Signé: Satprem

25 avril 1963

(Lettre de Satprem à Mère)

Rameshwaram, 25 avril 63

Douce Mère,

J'ai reçu hier ta carte du 23 et cela coïncidait avec une amélioration d'«atmosphère» et même une amélioration physique. Depuis le moment où je suis arrivé ici, j'ai rarement senti d'une façon aussi concrète, continue et aussi puissante, ta Force et ta Présence. Il est presque superflu de dire que c'est la seule réalité – il n'y a vraiment que Cela qui VIT. Le reste est un faux-semblant. J'ai hâte de quitter les lieux, mais X a dit qu'il voulait faire certaines modifications à mon japa, si bien qu'il faut attendre l’heure. Il est difficile de presser X, tu le sais. Je te télégraphierai dès que le moment sera venu. Ceci dit, je fais l’expérience du pouvoir d'immobilisation mentale de X, qui est très remarquable. Tout le reste me semble assez pauvre.

De plus en plus, je sens, je vis, je vois que Cela seul est réel. C'est très absorbant.

Ma, avec reconnaissance

je suis à tes pieds

Signé: Satprem


(Fragment de lettre à Sujata)

25 avril 63

J'attends que X fasse certaines modifications à mon japa, comme il me l’a dit, et je reviendrai sans perdre de temps. Depuis deux jours il y a une amélioration de santé. Je ne suis plus aussi constamment fatigué qu'avant. Le soir je vais me promener seul dans les grandes dunes de sable près de Rameshwaram, on se croirait en Arabie, et pas de haut-parleur! c'est le repos dans une sorte d'infini tranquille.

Les singes m'ont volé ma glace pendant que je prenais mon bain, et après s'être longuement admirés dans le miroir, l’ont cassée. Puis ils ont jeté mon dentifrice au fond du puits. Enfin ils ont été assez gentils pour me laisser mon rasoir, de peur sans doute que je ne finisse par leur ressembler!

Signé: Satprem

29 avril 1963

(Lettre de Satprem à Mère)

Rameshwaram, Lundi 29 avril

Douce Mère,

Vendredi, X m'a donné un nouveau mantra, puis, le lendemain, il m'a dit avoir reçu un «ordre» pendant son poudjâ, que ce mantra n'était pas celui qui me convenait, et qu'il allait m'en donner un autre. En principe, je dois recevoir ce mantra demain, mardi. X m'a dit que ce mantra serait final and with effect [définitif et doué d'effet]. J'espère vraiment qu'il en sera ainsi, je voudrais bien en finir de tous ces changements et de toutes ces préparations et ces délais, avoir le Mot comme disaient les Rishis et me fixer là-dessus. Je voudrais bien ne plus revenir à Rameshwaram et sortir de ces tergiversations. Enfin, il faudra que j'attende encore trois jours après avoir reçu ce nouveau mantra pour que X voie si «l’effet» voulu est obtenu. Je ne peux donc pas partir avant jeudi.

J'espère que cette fois-ci sera la bonne et que tout va s'établir dans le Rythme vrai.

Je sens très fort ton aide.

Avec amour,

Signé: Satprem

mai




3 mai 1963

X ne t'a pas parlé des événements généraux, la guerre?

Il a dit ce qu'il dit toujours, qu'il y aurait la guerre. Que c'était sûr.

Elle est toujours là, la guerre!

Il y a des choses nouvelles sur ce plan?

Tu sais, du jour au lendemain je vis. Seulement l’impression que «ça» marche très vite. Ce que je veux dire par «ça», c'est tout un ensemble de choses.

Au fond, c'est très difficile à dire.

C'est plus la perception d'un mouvement terrestre qu'autre chose. Alors les détails en eux-mêmes n'ont pas d'importance, mais ils sont symptomatiques du tout. C'est-à-dire que les difficultés, les obstacles, les batailles, les victoires, les progrès ne sont rien en eux-mêmes, que des indications d'un mouvement général: il y a des moments où la résistance et l’opposition sont formidables; il y a des moments avec des avances ou des progrès fantastiques, qui paraissent miraculeux; et vu le tout ensemble, on sent, on sent comme une poussée – une poussée globale – dans laquelle la petite concentration cellulaire est vraiment une chose qui paraît sans beaucoup d'importance en tant que concentration cellulaire; son importance diminue avec son manque de résistance, en ce sens que plus il laisse l’Œuvre s'accomplir sans enrayer le mouvement ou sans le déformer – sans l’enrayer, sans le compliquer –, dans cette mesure le sentiment de son importance diminue de plus en plus. C'est-à-dire qu'il ne paraît avoir d'importance que dans la mesure où il est gênant.

Il y a évidemment un mouvement qui est double: d'un côté, quelque chose qui essaye d'attirer de moins en moins l’attention et la concentration des autres, c'est-à-dire de diminuer le sens d'intermédiaire nécessaire pour que les forces et les pensées se répandent (de plus en plus on essaye de défaire1 ça), et en même temps, il y a une croissance – qui à certains moments devient prodigieuse, vertigineuse – de pouvoir. De temps en temps (très peu, et je dois dire que je n'essaie pas d'augmenter cela du tout), mais de temps en temps vient une minute – même pas: quelques secondes – le sentiment d'un Pouvoir absolu; et puis tout de suite, c'est recouvert, voilé. l’effet à distance devient de plus en plus grand, mais ne correspond pas à une volonté consciente – je veux dire qu'il n'y a pas essai d'avoir plus de pouvoir, pas du tout. De temps en temps, c'est une constatation (une constatation qui, quelquefois, est tout à fait amusante): il y a des moments où le Pouvoir (mais c'est un effet de secondes), le Pouvoir est absolu, et puis ça recommence à être le méli-mélo habituel.

l’effet sur les autres augmente considérablement, mais aussi, cela ne correspond pas à une tentative pour qu'il en soit ainsi, pas du tout: ces choses-là sont automatiques. Et pourtant, comme je l’ai dit, à certaines secondes s'élève quelque chose... quelque chose qui veut. Mais pas qui «veut» de la manière ordinaire: quelque chose... c'est entre sait, voir et veut; c'est un petit quelque chose qui tient des trois, qui est... c'est dur comme un diamant, c'est... (oh! comment dire? – je ne sais pas, il n'y a pas de mots pour ça), ça tient de la vibration émotive, mais ce n'est pas cela; ça n'a rien à voir avec tout ce qui est intellectuel, rien du tout; ce n'est pas une vision intellectuelle ou une connaissance supramentale, ce n'est pas cela, c'est quelque chose d'autre. C'est... c'est comme un diamant qui serait force vive – vive, vivante. Et ça, c'est tout-puissant. Mais c'est extrêmement fugitif, c'est tout de suite recouvert d'un tas de choses, comme justement les visions, la vision supramentale, la compréhension, le discernement – tout cela est devenu une masse constante, n'est-ce pas.

Au point de vue de la sensibilité ou de la sensation (je ne sais pas comment appeler ça), quand le corps se repose et qu'il entre dans cet état statique de l’Existence pure... Avant, c'était (ou ça avait) l’impression d'une immobilité totale – pas une chose qui ne bouge pas: un «non-mouvement», je ne sais pas; pas l’opposition entre une chose qui ne bouge pas et une chose qui bouge, ce n'était pas ça – c'était l’absence de possibilité de mouvement. Et maintenant, il se trouve qu'il a l’impression non seulement d'un mouvement terrestre, mais d'un mouvement universel qui est d'une rapidité si formidable qu'elle est imperceptible, elle dépasse la perception. C'est comme si, par-delà l’Être et le Non-Être, il y avait un «quelque chose» qui est à la fois... n'est-ce pas, qui ne se meut pas DANS un espace, mais qui est à la fois par-delà l’immobilité et par-delà le mouvement, en ce sens que c'est d'une rapidité qui est absolument imperceptible pour tous-tous les sens (je ne parle pas même des sens physiques), tous les sens dans tous les mondes.

Ça, c'est une chose nouvelle.

Quand je m'étends, je passe de l’un à l’autre avec une rapidité extraordinaire. Et j'ai remarqué (c'est seulement une chose qui commence, alors je ne sais pas beaucoup), mais j'ai remarqué que dans cet état-là, le Mouvement2 dépasse la force ou le pouvoir qui concentre les cellules pour en faire une forme individuelle. Et c'est un état qui semble être tout-puissant, quoiqu'il n'y ait pas de volonté ou de vision conscientes (pour le moment). C'est un état... (comment dire?) dont les attributions dépassent la puissance qui concentre les cellules pour en faire un corps individuel. Et l’effet est automatique (pas voulu): dès qu'il y a quelque chose qui se traduit par une douleur physique, ça disparaît INSTANTANÉMENT. Mais alors là, c'est très intéressant, parce que dès que le corps revient dans un certain état – son état ordinaire, qui n'est pas l’état ordinaire humain, ce n'est pas cela, mais son état ordinaire habituel –, il rattrape le SOUVENIR de ce qui était, et avec ce souvenir la possibilité de le rétablir si un certain nombre de conditions ne sont pas automatiquement remplies. Je ne sais pas si je dis quelque chose qui ait un sens, mais l’expérience est comme cela... Ce doit être le passage de la chose vraie à la chose qui ne l’est plus – ce n'est pas le Mensonge tel qu'on l’entend ici sur la terre (c'est encore tout autre chose), mais c'est déjà un changement par rapport à la Vibration pure. Ça donne l’impression d'un mauvais pli, il ne reste plus qu'une question de mauvaise habitude. Ce n'est pas le principe déformé qui est là: c'est la mauvaise habitude de l’effet d'un AUTRE principe. Et là, il y a quelque chose à trouver pour arrêter – arrêter, supprimer, empêcher cet effet de se reproduire automatiquement.

Et ça, c'est constamment. C'est une chose constante: passer de ceci à cela, ceci à cela, ceci à cela, et au point – c'est si fort – qu'il y a une seconde ou une minute, ou enfin un espace quelconque (je ne sais pas) où on n'est ni ça ni ça; alors on a l’impression qu'il n'y a plus rien. C'est presque instantané; si ça durait, probablement ça se traduirait par un évanouissement, ou je ne sais quoi, je ne peux pas dire quoi. Mais c'est constant: ça, ça (geste d'oscillation). Et entre ça et ça, il y a un passage.

La vie apparente (ce que les gens voient, ce avec quoi ils sont en contact) est certainement une sorte de mélange des deux (mixture), comme quelque chose qui se passe derrière l’écran, et sur l’écran, ce qu'on voit est comme une combinaison des deux – ça ne se combine pas, mais ça donne un effet visuel bizarre (pour Mère). Je dis «visuel», pas seulement pour les yeux mais pour la conscience extérieure. C'est une drôle de vie, qui n'est ni ça ni ça, qui n'est pas le mélange des deux, qui n'est pas la juxtaposition, qui est comme si les deux fonctionnaient l’un à travers l’autre. Ce doit être intercellulaire: quelque chose qui fait comme ça (Mère passe les doigts de sa main droite entre les doigts de sa main gauche, dans un mouvement d'interpénétration continu), c'est-à-dire que le mélange doit être très microscopique, de surface.

(Mère reste absorbée à «regarder» l’expérience)

Mais au point de vue beaucoup plus extérieur, la nuit qui a suivi votre arrivée là-bas3 a été une nuit effroyable, en ce sens que la conscience était en rapport avec toutes les choses les plus négatives, destructives: comme tout un monde, oui, de démenti, de refus aussi, d'opposition, de bataille, de mauvaise volonté – l’apparence visuelle était crayeuse, tu sais, comme cette craie d'un blanc qui n'a pas d'âme, et tout était comme ça, même le noir était crayeux (!) C'était absolument quelque chose dont toute la vie d'âme était enlevée. C'était horrible. Je ne sais pas, il faudrait que je remonte à des années et des années et des années pour dire que j'ai vu une chose pareille. Et j'étais là-dedans, et c'était forcé sur moi; c'était comme si quelqu'un me tenait là et qu'il fallait que je voie.

J'ai oublié: j'ai tout nettoyé tout de suite. Je ne sais plus ce que c'était, sauf ce que je viens de dire – je ne sais plus ce que c'était parce que je ne VOULAIS PAS que ça existe. Mais c'était horrible. Et le lendemain matin, il y avait une impression tellement douloureuse! Alors je me suis dit que ça n'allait pas là-bas, et quand j'ai reçu ta lettre, j'ai compris. Mais ce n'est pas limité à une personne ou une autre, à un endroit ou un autre endroit: c'est comme si cela évoquait une manière d'être universelle, et c'est ça qui m'ennuie. C'était comme si toute une manière d'être, que je repousse depuis... depuis presque, enfin plus de 70 ans, que je tiens à distance pour que cela n'existe plus d'une façon réelle, comme si tout ça était poussé sur moi. Comme quelque chose qui appartient à un passé qui n'a plus le droit d'être.

Après, ça a été mieux; c'était la pire nuit.

Alors, dans la méditation du matin, je ne comprenais plus... C'est peut-être le clinging to the past [ce qui s'accroche au passé], le symbole de ça? C'est possible. Mais enfin il y a beaucoup de gens comme cela dans le monde, qui s'accrochent au passé, beaucoup...

(silence)

J'ai eu le lendemain matin, pendant une heure, une expérience... Tout se passe toujours comme si c'était dans le corps (mais ce corps est devenu une espèce d'objet représentatif, symbolique), ça se passe toujours comme cela, depuis le sentiment qu'on va mourir, jusqu'au sentiment d'une immortalité parfaite; tout ça, c'est tout le temps dans le corps – c'est le champ de bataille, c'est le champ de victoire, c'est la Défaite, c'est le Triomphe, c'est tout. Alors j'ai noté l’expérience. (Mère tend un feuillet au disciple):

«Le Seigneur est la résignation paisible,
mais le Seigneur est aussi la lutte
et la Victoire.

«Il est l’acceptation joyeuse
de tout ce qui est; mais aussi
l’effort constant
vers une harmonie plus totale et parfaite.

«Le mouvement perpétuel
dans l’immobilité absolue.»

Ce n'est pas une réflexion intellectuelle: c'est la notation de l’expérience. N'est-ce pas, ce double mouvement constant, d'acceptation totale de tout ce qui est comme une condition absolue pour pouvoir participer à tout ce qui sera, et en même temps, l’effort perpétuel vers une perfection plus grande. Et c'était l’expérience de toutes les cellules.

l’expérience a duré plus d'une heure: les deux conditions.

Et ça, c'est ce qui a divisé beaucoup toute la pensée spirituelle de l’humanité ou la volonté spirituelle de l’humanité. Ça paraît ne pas avoir été compris. Les uns ont déclaré, comme le Bouddha et tous ceux-là, que ce monde est incorrigible, qu'il n'y a qu'une chose à faire, c'est d'en sortir, que ça ne peut pas être autrement que c'est – ça change, mais ça change pour être la même chose. Et cela détermine une certaine attitude d'acceptation parfaite. Alors, pour eux, c'est pour en sortir – n'est-ce pas, échapper: laisser tel que c'est, échapper. Et puis les autres, qui pressentent qu'il y a une perfection vers laquelle on tend indéfiniment et qui se réalise progressivement. Et je vois de plus en plus que ce sont deux mouvements qui se complètent, et non seulement qui se complètent mais qui sont comme indispensables l’un à l’autre.

C'est-à-dire que le changement qui proviendrait d'un refus d'accepter le monde tel qu'il est n'a pas de force, n'a pas de pouvoir: il faut l’acceptation non seulement totale mais comprehensive, joyeuse – connaître la joie suprême dans ce qui est pour avoir (je ne parle pas de droit ni de pouvoir), mais pour qu'il soit possible que ça change.

Ce qui reviendrait à dire qu'il faut devenir le Suprême pour pouvoir aider à Son action, au changement du monde; il faut la Vibration suprême pour avoir la possibilité de participer à ce Mouvement, que maintenant je commence à sentir dans les cellules du corps – ce Mouvement qui est une sorte de Vibration éternelle, qui n'a ni commencement ni fin. Qui n'a pas commencé (la terre a commencé, alors c'est facile; avec le commencement de la terre, on a le commencement de l’histoire de la terre), mais ce n'est pas ça: ça n'a pas de commencement, c'est... c'est quelque chose qui est de toute éternité, pour toute éternité; et il n'y a pas de division de temps, c'est seulement quand c'est projeté sur un écran que ça commence à prendre la division du temps. Mais on ne peut pas dire une «seconde», on ne peut pas dire un «instant»... C'est très difficile à expliquer... On n'a même pas le temps de le percevoir qu'il n'est déjà plus: ce quelque chose qui n'a pas de limites, qui n'a pas de commencement, qui n'a pas de fin, et qui est un Mouvement tellement total – total et constant, constant – que pour une perception, ça donne le sentiment d'une immobilité parfaite.

C'est absolument indescriptible. Mais c'est ça qui est l’Origine et le Support de toute l’évolution terrestre.

Quand on parle des choses terrestres, c'est très facile, très facile.

Alors ces mots-là (Mère montre la notation de son expérience), ça vient longtemps après que l’expérience est finie. C'est-à-dire qu'il y a une sorte de silence, d'immobilité, et c'est comme quelque chose qui se décante lentement-lentement; et alors quand c'est décanté, le résidu, c'est ça4 (Mère montre sa note en riant).

11 mai 1963

Le début de cette conversation a été noté de mémoire.)

... Si seulement je pouvais avoir le «Mot» comme disaient les rishis, le vrai mantra, je me fixerais là-dessus, je ferais des heures de japa s'il le faut, et j'irais jusqu'au bout. C'est comme si on me disait: «Tu vois, ce champ, il y ai millions de m3 de terre à remuer, et au bout, c'est la liberté.» Eh bien, je m'y mettrais, ça ne fait rien, parce que je saurais qu'il y a un bout. Mais il faut une pioche pour ça.

Le vrai mantra, personne ne peut vous le donner. Ce n'est pas quelque chose qu'on donne: c'est quelque chose qui jaillit du dedans. Il faut que ça sorte du dedans, tout d'un coup, spontanément, comme un besoin profond, intense de ton être, alors ça contient le pouvoir; parce que ce n'est plus quelque chose qui vient du dehors, c'est ton cri à toi.

Et j'ai vu pour moi, mon mantra a le pouvoir d'immortalité; n'importe quoi peut arriver, si on le prononce, c'est le Suprême qui domine, ce n'est plus la loi inférieure. Et les mots n'ont pas d'importance, ils peuvent ne vouloir rien dire – pour quelqu'un d'autre, mon mantra n'a pas de sens, mais pour moi il est plein, il est bourré de sens. Et il est effectif, parce que c'est mon cri, c'est l’aspiration intense de tout l’être.

Le mantra que vous donne un gourou, c'est seulement le pouvoir de réaliser l’expérience qui a été obtenue par celui qui a découvert le mantra. Le pouvoir est là automatiquement, parce que le son contient l’expérience. J'ai vu ça une fois à Paris, à une époque où je ne connaissais rien de l’Inde, absolument rien, que les balivernes habituelles. Je ne savais même pas ce qu'était un mantra. J'étais allée à une conférence d'un individu quelconque qui avait soi-disant fait un an de «yoga» dans les Himalayas et qui racontait son expérience (du reste pas bien intéressante). Et tout d'un coup, au cours de sa conférence, il a prononcé le son ÔM. Alors j'ai vu toute la pièce où nous étions qui s'est emplie de lumière soudain, une lumière dorée, vibrante... J'ai probablement été la seule à remarquer. Je me suis dit «Tiens!» Puis je n'y ai plus fait attention, j'ai oublié cette histoire. Mais il se trouve que deux, trois fois, l’expérience s'est reproduite, dans deux ou trois pays différents, avec des personnes différentes, et chaque fois qu'il y avait ce son ÔM, je voyais tout d'un coup la même lumière qui emplissait l’endroit. Alors j'ai compris. Ce son-là contient la vibration de milliers et de milliers d'années d'aspiration spirituelle – toute l’aspiration des hommes vers le Suprême est là-dedans. Et le pouvoir est là automatiquement, parce que l’expérience est là.

C'est la même chose pour mon mantra. Quand j'ai voulu traduire la fin de mon mantra, «Gloire à Toi Seigneur», en sanscrit, j'ai demandé l’aide de Nolini, qui m'a apporté sa traduction sanscrite, et quand il l’a lue, j'ai vu tout de suite qu'il y avait le pouvoir – non pas parce que Nolini y avait mis son pouvoir (!) Dieu sait qu'il n'avait pas l’intention de me «donner un mantra»! mais le pouvoir était là parce que mon expérience était là. Nous avons fait quelques ajustements et modifications, et maintenant c'est le japa que je fais – je le fais tout le temps, quand je dors, quand je marche, quand je mange, quand je travaille, tout le temps.1 Et c'est comme cela que le mantra a de la vie, quand il jaillit tout le temps, spontanément, comme le cri de votre être – il n'y a pas d'effort à faire, pas de concentration: c'est le cri naturel. Alors ça a tout le pouvoir, c'est vivant. Il faut que ça jaillisse du dedans...

Ce n'est pas un gourou qui peut vous donner ça.

Que ça jaillisse... Eh bien, nous en sommes loin! Il faudra que j'aie une quantité de papier pour faire ces «diagrammes» (tantriques, donnés par X). 72 tous les jours.

Tu veux du papier?

Oui, une quantité!

Mais c'est grand comme quoi?

Comme cela, à peu près (10 cm environ). Et il faut que j'aie un papier très lisse. Tu comprends, il faut écrire ça avec du «chandanam» (pâte de santal) et un bout de bois! Alors si je mets trois minutes ou quatre minutes à faire un diagramme... en 72 ça fait... j'en aurai pour quatre heures à faire cela! Alors il faut un papier un peu lisse – et une quantité: 72 tous les jours.

72 papiers... Qu'est-ce qu'on va pouvoir trouver?

Il faut que j'aille à l’Imprimerie.

Ils n'ont plus de papier, mon petit, avec cet état de guerre. Moi, j'ai du papier.

Mais tu en as besoin.

Pas tout. Une rame de papier... Tiens, regarde là-dessous si par hasard il y a une boîte ou quelque chose. Nous allons voir.

(le disciple tire une boîte)

C'est tout jauni... Ça ne fait rien?

Ça boirait l’eau! Parce que tu comprends, j'écris ça avec de l’eau et du chandanam, en me servant d'un morceau de bois de «l’Amour Divin»! (grenadier)

Sans coton, sans rien?

Non, sans rien. Un morceau de bois que je taille comme une plume.

Et ce sont des petits dessins?

Ça représente un rectangle, avec trois compartiments, avec des chiffres et des lettres – une lettre sanscrite. C'est un labeur, tu sais!

72 par jour.... Mon petit! (Mère rit)

Il faut que je trouve quelque chose...

Quand je sors de là, j'ai l’impression d'être hébété.

Mais c'est ça qu'ils veulent!

Je t'assure, je le sais, ils veulent vous abrutir. Alors naturellement, quand vous êtes bien abruti, quand ils mettent une bonne charge de force, ça vous paraît un miracle!

Tu comprends, il faut que je reste deux heures là, accroupi, à faire tous ces gribouillages sacrés.

Mais dis-moi, tu n'aurais pas le droit de faire ça assis sur une chaise, devant une table?

Je ne sais pas.

Pourquoi pas? Il n'y pense pas, parce que lui (X), a l’habitude d'être assis par terre et d'écrire par terre. C'est comme si, moi, j'avais pensé que je ne pouvais pas faire ma méditation à moins d'être assise les jambes croisées et de me tenir toute droite!... Heureusement, j'ai vécu avec Sri Aurobindo, qui n'était jamais assis les jambes croisées. Il m'a dit tout de suite que tout ça, c'est une question d'habitudes – d'habitudes subconscientes. Ça n'a aucune espèce d'importance. Et il expliquait si bien: si c'est nécessaire, la posture vous vient. Et c'est tout à fait vrai que, par exemple, à un moment donné quand c'est nécessaire, tout d'un coup tout le corps se redresse – ça vient spontanément. Il disait: ce qui est important, ce n'est pas le cadre extérieur, c'est l’expérience intérieure, et s'il y a une nécessité physique, si votre expérience intérieure est tout à fait sincère, cette nécessité physique D'ELLE-MÊME se produira.2 Ça, c'est une chose dont je suis sûre, absolument. Et il me donnait son exemple (et j'avais le mien) de choses qui sont considérées comme dangereuses ou mauvaises, que nous avons faites chacun de notre côté, spontanément, et qui nous ont beaucoup aidés! Par conséquent, toutes ces histoires de postures, etc., ce sont les petits cadres mécaniques de la mentalité.

Ça m'est venu pendant que je marchais (pour le japa). J'ai eu une espèce de vision de toi, de travers, accroupi, en train d'écrire. J'ai dit: «Mais c'est effroyable! il va s'abîmer la santé!»

Ce qu'il faut, c'est que l’attitude intérieure soit là.

Mais justement, l’attitude intérieure... j'ai l’impression que ce nouveau travail est quelque chose de vide et de mécanique.

Tu ne sens pas chaque mot que tu écris?

Ce sont des chiffres. Des chiffres et une seule lettre sanscrite. Eh bien, les chiffres, on ne peut pas dire que ça ait beaucoup d'âme?

Veux-tu me le dire, que je voie?

Je vais te l’écrire.

(Le disciple dessine le diagramme tantrique qu'il a reçu l’ordre de faire 72 fois par jour, pendant trois fois 72 jours. C'est un carré de 9 carreaux contenant des chiffres et une lettre sanscrite. La première chose que fait Mère est de calculer la somme des divers chiffres:)

Tu as fait l’addition? Non? Ça fait 72 dans tous les sens... Neuf, c'est le chiffre de l’enfantement.

On doit le faire 72 fois pendant 72 jours, et trois fois.

Et 72, c'est 7 + 2, qui font 9.

Et ça, (la lettre sanscrite), c'est HRIM.

C'est l’un des trois sons essentiels. Je ne me souviens plus, mais chacun représente un des aspects de la Mère.

Sujata m'a dit que c'est Mahâlakshmi.

J'hésitais entre Mahâlakshmi et Mahâsaraswati.

(Mère reste concentrée)

C'est évidemment pris comme le symbole de la gestation de la nouvelle naissance, la seconde naissance, la naissance divine. Ça, c'est sûr.

Il a dit 72 jours?

Trois fois 72 jours... Ça fait un peu plus de huit mois.

C'est ça.

C'est... (riant, je viens de le lui demander!) c'est le travail de gestation pour la naissance de la conscience divine.

Et 7 (7 et 2), c'est intéressant. 7, c'est la réalisation; 2, c'est duel: réalisation duelle. Et si tu mets les deux ensemble, c'est le chiffre de la gestation.

N'est-ce pas, Mahâlakshmi, c'est l’aspect d'amour de la Mère divine;3 la perfection de l’amour manifesté qui doit avoir lieu avant que cet Amour suprême, qui est au-delà de la Manifestation et de la Non-manifestation, puisse s'exprimer – celui dont il est question dans Savitri quand le Suprême envoie Savitri sur la terre:

For ever love, O beautiful slave of God!4

C'est pour pouvoir préparer la terre à recevoir la manifestation du Suprême, qui est la manifestation de Sa Victoire.

Comme ça, cela devient clair – compréhensible et même compréhensif: ça contient des choses.

(Soudain, Mère montre un bout de papier sur la table à côté d'Elle, où se trouve écrit le chiffre 8)

Tu as remarqué ce chiffre?... Il y a un vers de Savitri (je ne peux pas citer exactement): «Partout où la Nature est, Il (le Suprême) est toujours, car, en vérité, Lui et Elle sont un.»5 J'ai dû trouver une illustration pour ce vers,6 et j'ai trouvé le 8.

Le dessin commence ici (Mère dessine la première moitié du 8): c'est le Suprême qui se penche en avant. Puis c'est la Nature dans sa base, la Nature dans le sommeil (la base du 8). Et ici (le sommet du 8) je mets deux petites figures (comme le symbole d'un œil, d'un nez et d'une bouche) pour dire le sommet de la conscience. Alors le Suprême est penché comme ça et la Nature s'élève comme ça (Mère dessine la deuxième moitié du 8). Et tout ça, c'est doré (le sommet du 8); puis ça devient prismatique (le milieu du 8); puis ça devient bleu foncé ici (la base du 8) dans la partie la plus matérielle de la création, et le bleu s'éclaire de plus en plus (en remontant), et ça redevient doré. Et indéfiniment.

Huit, c'est le signe de l’infini pour les mathématiciens (oo).

C'est ça. C'est très intéressant.

(Puis Mère regarde un à un les divers chiffres du diagramme tantrique:)

4, c'est le chiffre de la Manifestation (le carré est le chiffre de la Manifestation). Alors tu as la manifestation de l’Infini: 4 + 8 = 12.

6, c'est le chiffre de la création.

12, la perfection de la création: la création parfaite.

30, c'est... Le 3, c'est Satchidânanda, et le 30 c'est son expression extérieure (parce que 10, c'est quelque chose qui est exprimé). Alors 30 c'est la manifestation de Satchidânanda.

Donc, nous avons 6 d'abord, puis 12 (une perfection de manifestation), 30 la manifestation de Satchidânanda, et 48 la manifestation de l’Infini. Tu vois, ça commence à prendre une vie!

Et après, tu as le 42: c'est la manifestation duelle, c'est-à-dire le Suprême et la Nature.

Et puis 18... Le 10 (si ce n'est pas 12... 12 c'est deux fois six; c'est aussi 10 et 2, mais ça a un autre sens), mais le 10 en lui-même, c'est quelque chose qui est établi (le 11, c'est quelque chose qui commence, tandis que le 10 est quelque chose qui est établi). Alors si tu as 18, c'est que l’Infini s'établit.

Puis 36, c'est-à-dire 3 fois 12: c'est l’union de 30 (Satchidânanda) et de 6, la création.

Le 12, c'est le chiffre de la Mahâshakti. C'est la création essentielle, dans son essence – le Pouvoir créateur. Et la perfection: la perfection dans l’exécution. Le 12 est un chiffre tout à fait important (24, c'est deux fois, et 36, trois fois).

48, c'est quatre fois 12. C'est un chiffre extrêmement important. Extrêmement important.

Et puis, alors, nous avons ici 9: gestation. Gestation dans la Matière – pas tout là-haut: ici, physiquement.7

(Mère se met à dessiner elle-même le diagramme avec les chiffres et le mantra sanscrit.)

Voyons si je me souviens de mon sanscrit...

Je n'ai plus d'yeux, j'ai perdu tout mon pouvoir d'expression comme cela (Mère prend sa loupe et dessine). Avant, je faisais ces lettres si facilement, et puis je ne vois plus...

Voilà.

Maintenant, ça a une vie, tu comprends. Ça a une vie. Et c'est ça, le dessin correct, je veux dire que c'est un carré (pas un rectangle comme tu l’as fait), un carré avec neuf carreaux. Et c'est l’image de la réalisation (pas réalisation: gestation), la naissance de la conscience de Mahâlakshmi dans la Matière, c'est-à-dire la forme de l’amour divin dans la Matière.

(Mère reste longtemps penchée sur le diagramme. Notons que les chiffres du diagramme doivent se lire et s'écrire dans un certain ordre afin d'avoir leur pouvoir véritable.)

Tiens, il y a une musique!

(Mère se met à chanter la musique ou la vibration qui lui est venue, correspondant à ce diagramme et à la naissance de la conscience de Mahâlakshmi dans la Matière.)

Encore un point qui n'est pas clair: après 30, on va là ou là?

Après 30, c'est 48, et puis 42...

(Mère chante de nouveau)

Voilà, mon petit.8 Maintenant je te conseille de prendre une chaise où tu es confortable, une table sur laquelle tu peux écrire confortablement, de mettre ça devant toi, et puis de marcher!

C'est dommage qu'on ne puisse pas noter la musique.

(Mère chante encore)

Voilà.

Mais c'est plein de sens, vibrant de sens!9

Je ne suis pas sûre, mais quand il te l’a donné, s'il avait eu en lui-même le sens conscient, il te l’aurait passé... J'ai l’impression que c'est surtout un érudit. C'est peut-être plutôt pour lui une impression qu'une compréhension.

Mais d'où vient le sens des chiffres?

Le sens profond des chiffres... Il y a des tas de traditions, des tas de choses écrites... que je me suis bien gardée de suivre; mais ce sens profond des chiffres, je l’ai eu à Tlemcen, dans le Surmental. Je ne sais plus les noms que Théon donnait à tous ces mondes, mais c'était dans quelque chose qui correspondait à la région la plus haute, la plus lumineuse de l’Overmind [Surmental] de Sri Aurobindo. C'était au-dessus, juste au-dessus de la région des dieux. Et c'était quelque chose qui était en accord avec la création de l’Overmind – de la terre sous l’influence des dieux. C'était là que les chiffres avaient pris un sens vivant pour moi – pas une chose mentale: un sens vivant. C'était là que Madame Théon m'avait reconnue, parce que j'avais les douze perles en formation sur la tête; elle m'a dit: «Vous êtes ça, parce que vous avez ça. Il n'y a que ça qui ait ça!» (Mère rit) C'était aussi loin que possible de ma pensée, Dieu merci!

Mais ces chiffres sont vivants pour moi. Ils ont une réalité concrète.

Et ça (ce diagramme), c'est pour préparer la «seconde naissance» dont il est question dans les Védas, la naissance spirituelle. C'est-à-dire qu'on devient un être complet et consciemment complet.

Évidemment, c'est le commencement de la réalisation. Mais c'est l’aboutissement pour beaucoup de gens.

J'espère que ça ne te fatiguera plus.

(Au moment de partir)

Crois-tu que ta machine (le magnétophone au fond de la pièce) aura pris la musique?10

J'espère bien!

Il y a quelqu'un qui pourrait la noter: Sunil peut la noter, quelqu'un qui sait écrire la musique. Moi, je ne sais plus... j'ai oublié tout ça. J'ai passé tout mon temps à oublier tout.

J'écrivais mon sanscrit comme j'écris le français – tout oublié.

Il faut savoir tout perdre pour tout gagner. Toujours, à chaque minute.11

Voilà.

Et puis j'ai dit à Sujata de te préparer du jus d'orange – il faut que ce soit préparé par quelqu'un qui y met de son cœur.

Au revoir, petit.

15 mai 1963

88 – Ce monde fut construit par la Mort afin qu'elle puisse vivre. Voudrais-tu abolir la mort? Alors la vie périrait du même coup. Tu ne peux pas abolir la mort, mais tu peux la transformer en un mode de vie plus grand.

89 – Ce monde fut construit par la Cruauté afin qu'elle puisse aimer. Voudrais-tu abolir la cruauté? Alors l’amour périrait du même coup. Tu ne peux pas abolir la cruauté, mais tu peux la transfigurer en son contraire: un Amour et un Délice impétueux.

90 – Ce monde fut construit par l’Ignorance et par l’Erreur afin qu'elles puissent connaître. Voudrais-tu abolir l’ignorance et l’erreur? Alors la connaissance périrait du même coup. Tu ne peux pas abolir l’ignorance et l’erreur, mais tu peux les transmuer en ce qui dépasse la raison.

91 – Si la Vie existait seule, sans la mort, il ne pourrait pas y avoir d'immortalité. Si l’amour existait seul, sans la cruauté, la joie ne serait qu'un tiède ravissement éphémère. Si la raison existait seule, sans l’ignorance, notre réalisation la plus haute ne dépasserait pas un rationalisme étroit et une sagesse mondaine.

92 – Transformée, la Mort devient la Vie qui est Immortalité; transfigurée, la Cruauté devient l’Amour qui est extase intolérable; transmuée, l’Ignorance devient la Lumière qui bondit par-delà la sagesse et la connaissance.

C'est la même idée. C'est-à-dire que l’opposition et les contraires sont un stimulant du progrès. Parce que, dire que sans Cruauté, l’Amour serait tiède... le principe de l’Amour, tel qu'il est au-delà du Manifesté et du Non-Manifesté, n'a rien à voir avec la tiédeur ou la cruauté. Seulement l’idée de Sri Aurobindo, semblerait-il, est que les opposés sont le moyen le plus efficace et le plus rapide de pétrir la Matière pour qu'elle puisse intensifier sa manifestation.

Comme expérience, c'est absolument certain, en ce sens que, d'abord, quand on entre en contact avec l’Amour éternel, l’Amour suprême, imédiatement on a une... (comment appeler cela?) une perception, une sensation (ce n'est pas une compréhension, c'est quelque chose de très concret): la conscience matérielle même la plus éclairée, la plus pétrie, la plus préparée, est INCAPABLE de manifester Ça! La première impression, c'est cette espèce d'incapacité. Puis vient une expérience: justement quelque chose qui manifeste une forme de... on ne peut pas dire exactement «cruauté» parce que ce n'est pas la cruauté telle que nous la concevons; mais dans l’ensemble des circonstances, il y a une vibration qui se présente avec une certaine intensité de refus de l’amour tel qu'il est manifesté ici – c'est exactement cela, quelque chose dans le monde matériel refuse la manifestation de l’amour telle qu'elle existe maintenant (je ne parle pas du monde ordinaire, je parle de la conscience à son maximum maintenant). C'est une expérience, je parle de quelque chose qui a eu lieu. Alors la partie de la conscience qui a été touchée par cette opposition fait un appel direct à l’origine de l’Amour, AVEC UNE INTENSITÉ QU'ELLE N'AURAIT PAS EUE SANS l’EXPÉRIENCE DE CE REFUS. Il y a des limites qui se brisent, un flot qui descend, qui ne POUVAIT PAS se manifester avant, et quelque chose s'exprime qui n'était pas exprimé.

Ceci s'est passé il n'y a pas très longtemps.

Et voyant ça, il y a évidemment une expérience analogue au point de vue de ce que l’on appelle la vie et la mort. C'est cette espèce de «surplombement» (ça me vient en anglais, c'est pour cela que c'est difficile), de cette présence constante de la Mort ou de la possibilité de la mort; comme il dit dans Savitri: on a un compagnon constant pendant tout le trajet entre le berceau et la tombe; on est constamment accompagné par cette menace ou cette présence de la Mort. Eh bien, il y a, avec ça, dans les cellules, une intensité d'appel à une Puissance d'Éternité, qui ne serait pas là sans cette menace constante. Et on comprend – on commence à sentir d'une façon tout à fait concrète – que toutes ces choses sont seulement des moyens d'intensifier, de faire progresser et de rendre plus parfaite la Manifestation. Et si les moyens sont grossiers, c'est parce que la Manifestation est très grossière. Et à mesure qu'elle se perfectionnera et qu'elle deviendra plus propre à manifester ce qui est ÉTERNELLEMENT PROGRESSIF, on passera des moyens très grossiers à des moyens plus subtils, et le monde progressera sans avoir besoin de ces oppositions si brutales. C'est seulement parce que le monde est dans l’enfance et que la conscience humaine est tout à fait dans l’enfance.

C'est une expérience très concrète.

Par conséquent, quand la terre n'aura plus besoin de mourir pour progresser, il n'y aura plus de mort. Quand la terre n'aura plus besoin de souffrir pour progresser, il n'y aura plus de souffrance. Et quand la terre n'aura plus besoin de haïr pour aimer, il n'y aura plus de haine.

(silence)

C'est le moyen le plus rapide et le plus efficace pour faire sortir la création de son inertie et la faire avancer vers son épanouissement.

(long silence)

Il y a un certain aspect de la création (qui est peut-être un aspect très moderne): c'est un besoin de sortir du désordre et de la confusion – de la désharmonie, la confusion. Une confusion, un désordre qui prend toutes les formes, qui se change en luttes, en efforts inutiles, en gaspillage. Cela dépend du domaine où l’on se trouve, mais matériellement, dans l’action, ce sont les complications inutiles, le gaspillage d'énergie et de matériel, la perte de temps, l’incompréhension, la mal-compréhension, la confusion, le désordre – c'est ce que dans l’ancien temps on appelait la déformation, crookedness dans les Védas (je ne sais pas l’équivalent de ce mot; quelque chose qui est tordu, qui au lieu d'aller droit au but, va par des zigzags inutiles et aigus). C'est l’une des choses les plus contraires à l’harmonie de l’action purement divine – qui est d'une simplicité!... qui paraît enfantine... directe – directe, au lieu d'être en circonvolutions absurdes et complètement inutiles. Eh bien, il est évident que c'est la même chose: ce désordre est une façon de stimuler le besoin de la simplicité pure et divine.

Le corps sent beaucoup-beaucoup que tout pourrait être si simple, si simple!

Et pour que l’être – cette espèce d'agglomérat individuel – puisse se transformer, il a justement besoin de se simplifier-simplifier-simplifier. Toutes ces complications de la Nature, que l’homme commence à comprendre maintenant et à étudier, qui sont tellement compliquées pour la moindre chose – le moindre de nos fonctionnements physiques est le résultat d'un système tellement compliqué que c'est presque impensable... certainement, il serait impossible à la pensée humaine de prévoir et de combiner toutes ces choses –, maintenant la science les découvre. Et on voit très clairement que pour que le fonctionnement puisse être divin, c'est-à-dire échapper à ce Désordre et à cette Confusion, il faut qu'il se simplifie-simplifie-simplifie.

(long silence)

C'est-à-dire que dans la Nature, ou plutôt la Nature dans sa tentative d'expression, a été obligée d'avoir recours à une complication incroyable et presque infinie pour reproduire la Simplicité première.

Et on revient à la même chose: c'est par cet excès de complication que vient la possibilité de la simplicité qui ne serait pas un vide – une simplicité pleine. Une simplicité qui contient tout, tandis que sans ces complications, la simplicité est un vide.

C'est mon expérience de ces jours-ci.

Ils sont en train de faire des découvertes comme cela. En anatomie, par exemple, ils font des découvertes pour les traitements par la chirurgie qui sont incroyables de complication! C'est comme leur division des éléments de la Matière: c'est d'une complexité! effroyable. Et ça, c'est tout avec le but, dans l’effort pour exprimer l’Unité, la Simplicité une – l’état divin.

(silence)

Peut-être que ça ira vite... Mais la question se réduit à ceci, à l’aspiration suffisante, suffisamment intense et efficace, pour attirer Ce qui peut transformer ça: la complication en Simplicité, la cruauté en Amour... et ainsi de suite.

Et ce n'est pas la peine de se plaindre et de dire que c'est dommage. Parce que c'est comme cela. Pourquoi c'est comme cela?... Probablement, quand ce ne sera plus, on saura. On pourrait dire autrement: si on le savait, ce ne serait plus.

Alors, les spéculations: «Il aurait mieux valu que ce ne soit pas», etc., tout ça, ce n'est pas pratique; ça ne sert à rien du tout, c'est inutile.

Il faut se dépêcher de faire le nécessaire pour que ce ne soit plus, c'est tout, c'est la seule chose pratique.

Pour le corps, c'est très intéressant. Mais c'est une montagne, n'est-ce pas! une montagne d'expériences, toutes petites en apparence, mais qui prennent leur place par leur multiplicité.1

18 mai 1963

(Mère demande qu'on lui apporte une boîte d'aquarelle afin de montrer pratiquement les différentes couleurs de conscience qui s'échelonnent de la Nature au Suprême, à commencer par la Nature la plus matérielle. Il s'agit d'illustrer le symbole de l’Infini, le chiffre 8, dont il a été question dans la conversation du 11 mai: le jeu infini du Suprême qui se penche vers la Nature et de la Nature qui s'élève vers le Suprême. Mère parle en anglais devant un disciple peintre afin qu'il répète les indications à H, la disciple qui fait les illustrations de «Savitri».)

Naturellement, ce sont des lumières; on ne peut pas reproduire cela; mais tout de même il faut que ce soit un violet qui ne soit pas terne ni sombre (Mère commence par la Nature la plus matérielle). Elle a fait quelque chose qui est trop rouge, mais il ne faut pas que ce soit trop bleu non plus – vous voyez la difficulté. Puis, après le violet, vient le bleu, qui est vraiment bleu et pas trop clair; il faut que ce soit un bleu vif, et pas trop clair parce qu'il y a trois bleus qui se suivent: il y a le bleu du Mental, puis le bleu du Mental supérieur qui est plus pâle, puis le Mental illuminé qui a la couleur du drapeau (de Mère), bleu argenté, mais plus pâle que ça naturellement. Après, il y a le jaune: le jaune du Mental intuitif; il ne faut pas que ce soit doré: ça doit être cadmium. Puis, après ce jaune (qui est pâle), nous avons le Surmental avec toutes les couleurs – des couleurs éclatantes, pas sombres: bleu, rouge, vert, violet, pourpre, jaune... tout ça, toutes les couleurs. Puis, après cela, nous avons tous les ors du Supramental, avec trois couches différentes. Après, il y a une couche de blanc doré (c'est blanc, mais c'est un blanc doré). Après le blanc doré, il y a le blanc argenté... blanc argenté, comment expliquer ça? (H m'a envoyé des peintures ridicules d'un soleil qui brille sur de l’eau – ça n'a rien à voir avec cela!) Si on met de l’argent, du gris argenté (Mère montre une boîte d'argent à côté d'Elle, qui éclate dans le soleil), du gris argenté dans du blanc, c'est blanc, mais si vous mettez les quatre blancs ensemble, vous verrez la différence: il y a le blanc-blanc, puis il y a le blanc avec une touche de rose, le blanc argenté et le blanc doré. Ça fait quatre mondes.

J'ai expliqué à H, comme je vous l’explique, mais H n'a pas vu, alors elle ne peut pas comprendre. Je veux lui donner cela sur du papier. Ça fait douze choses différentes (ou douze mondes) l’une après l’autre.1

(Puis le disciple lit un Aphorisme:)

93 – La douleur est comme la poigne de notre Mère qui nous apprend à supporter l’ivresse divine et à grandir en elle. Sa leçon se fait en trois étapes: endurance d'abord, puis l’égalité d'âme, enfin l’extase.

...Il y a encore une période de conflit.

Il y a tout le temps des périodes de conflit entre les idées extérieures et l’expérience intérieure.

Le problème est comme ceci: vous pouvez prendre l’attitude d'endurer, et tout endurer, au point que justement vous pouvez changer la douleur en extase – c'est une expérience que l’on peut toujours faire, à n'importe quel moment. Mais les gens qui ont l’esprit matérialiste vous disent: «Tout ça, c'est très bien, mais vous démolissez votre corps.» Et c'est là... (riant) qu'il faudrait faire comme on fait avec les cobayes, toutes sortes d'expériences, pour savoir si l’extase a le pouvoir de rétablir l’ordre dans le corps.

Vous souffrez d'une chose matérielle, purement matérielle (moralement, ça ne se discute pas, c'est une affaire entendue; je parle d'une chose tout à fait matérielle), quelque chose s'est désorganisé dans le fonctionnement ou dans la structure des organes. Ça produit une souffrance. Vous commencez par endurer, et de l’endurance vous passez à une égalité parfaite, et de l’égalité parfaite vous passez à l’extase – c'est tout à fait possible; non seulement c'est possible mais ça a été prouvé. Mais alors il faudrait faire l’expérience JUSQU'AU BOUT pour savoir si l’extase a le pouvoir de rétablir l’ordre du corps, ou si tout simplement ça se traduit par une dissolution: vous êtes dans l’extase, vous mourez dans l’extase. C'est-à-dire que vous quittez votre corps dans l’extase. Est-ce cela?... Non seulement c'est possible, mais enfin c'est très évident. Mais ce n'est pas ce que nous voulons! Nous voulons rétablir l’ordre, supprimer le désordre DANS LA MATIÈRE – est-ce que cette extase a le pouvoir de rétablir l’ordre dans le fonctionnement et de triompher des forces de dissolution?

Pour le savoir, il faut faire l’expérience!

Et il y a toujours quelque chose qui dit que le risque est gros pour... On est trop, on est encore trop prudent. Ou est-ce un manque de foi? Mais c'est plus un manque de connaissance qu'un manque de foi parce que si nous disons: «Tout ce qui arrive, arrive par la Volonté du Seigneur, et si cette expérience dissout le corps, eh bien, ça prouve qu'il le voulait, et c'est tout», il n'y a pas besoin de se tourmenter. Et c'est vrai, on est dans cette idée-là, on sent comme cela, on perçoit comme cela; seulement, il y a quelque chose qui est en dehors ou qui vient du dehors et qui dit: «Tout ça, c'est très bien, mais est-ce que ce besoin ou cette inclination à faire l’expérience est légitime? Est-ce que la même connaissance ne peut pas s'obtenir sans un aussi grand risque?...»

On est en face de problèmes comme cela.

Alors moi, mon attitude (tout cela n'a rien à voir avec le Bulletin), mon attitude est de regarder tout ça: cette opinion-ci, cette opinion-là, cette attitude-ci, cette attitude-là, et je reste comme ça (geste de Témoin tout à fait en dehors et passif). Je m'abstiens de décider et d'agir, et je deviens absolument un témoin – un témoin qui ne collabore pas. Je dis au Seigneur: «C'est à Toi de décider; ce n'est pas mon affaire, c'est Toi qui décideras; ce qui arrivera, c'est ton affaire.» Jusqu'à présent, ça s'est toujours traduit par une intervention qui a rétabli l’ordre; mais... Mais sans preuve évidente que c'est comme ceci ou comme cela, par-ci ou par-là que l’ordre s'est rétabli. Il n'y a pas de certitude.2

Dans ce domaine-là, on ne sait rien. Oh! dès que l’on est dans le domaine... même de la sensation, dans le vital, tous les problèmes sont résolus; c'est tout à fait, tout à fait facile, il n'y a pas de discussion; le domaine sentimental, il y a longtemps que c'est réglé. Ce n'est pas ça: c'est quand on souffre tout à fait en bas. Tout-tout est dans une sorte d'incompréhension, d'ignorance totale, avec toutes ces idées qui viennent du développement intellectuel et scientifique et qui sont si sûres d'elles-mêmes, avec une telle certitude indiscutable! la certitude de l’expérience matérielle, de la chose qu'on touche.

Se servir de ça et ne pas être gouverné par ça. S'appuyer là-dessus et ne pas être influencé par ça, c'est très difficile.

Peut-être que quelqu'un de beaucoup plus intelligent, beaucoup plus calé que moi trouverait le travail plus facile; mais probablement il aurait plus de difficultés pour le dedans – le dedans, il n'y a pas de difficultés! Mais extérieurement... N'est-ce pas, il semblerait que cette découverte chimique de la construction de la Matière devrait être suffisante pour servir de point d'appui à la vraie connaissance pour agir sur la Matière.3 Et peut-être justement que ces savants-là, ceux qui ont fait cette découverte et cette expérience de la construction de la Matière, n'auraient pas de difficultés... Mais le champ de la plus grande difficulté, c'est le champ médical, le champ thérapeutique: leur science est encore TOUT À FAIT contraire à la vraie connaissance. Et alors, quand il s'agit de l’équilibre du corps... Ils savent l’anatomie, ils savent même un peu (pas beaucoup-beaucoup) mais un peu de la chimie du corps, ils savent toutes sortes de choses que le commun des mortels ne sait pas, et avec ça ils vous font des affirmations dogmatiques, et ils vous envoient promener comme une imbécile qui ne sait rien. Toutes ces histoires de fonctionnement, que savent-ils? Naturellement, quand on leur demande: «Mais pourquoi est-ce comme ça?» – «Oh! pourquoi? Je n'en sais rien.»

Mais la façon dont ils vous disent: «C'est comme ça et puis ce n'est pas autrement»! Et quand on leur dit: «Votre expérience est fondée sur des espèces de statistiques, mais vos statistiques sont nulles, elles s'étendent sur un champ d'expérience tellement limité qu'elles ne valent rien – il y a tout ce que vous ne savez pas.» Alors là, ils vous regardent avec pitié.

Ils sont encore dans l’enfance, ils ont ces espèces de certitudes dogmatiques de l’enfance.

Et de l’autre côté, les autres, ceux qui savent le dedans, ils n'ont pas l’expérience – personne n'a transformé son corps encore! Personne ne peut vous dire: «Voilà, c'est fait comme cela et puis c'est arrivé comme cela; j'ai fait ça et c'est arrivé comme cela» – personne. C'est pour cela que c'est si difficile.

Très difficile.

Et alors, oh! il y a toutes ces grandes vagues de pensée, de convictions (Mère dessine de grandes vagues cosmiques qui viennent du dehors l’assaillir), toute cette habitude de la Matière de se décomposer, de se recomposer, de se défaire, de se refaire... Ça vient et revient, très régulièrement, comme les vagues qui viennent battre le barrage.

C'est très difficile.

(silence)

Et ce doit être nécessaire parce que, quelquefois, quand tout ça est tellement confus, quelquefois je demande une Assurance – et je vois bien, je vois très bien que les cellules de mon corps, la conscience corporelle, si on lui disait: «Tu es immortelle; tout ça, ces difficultés, ce sont dés expériences; ce que tu souffres n'a aucune importance; cette décomposition apparente n'a aucune importance; tout ça, ce sont des expériences nécessaires, et tu iras jusqu'au bout de l’expérience; c'est-à-dire tu iras jusqu'à la transformation», si cela lui était dit, évidemment ce ne serait plus qu'un jeu d'enfant, c'est-à-dire l’endurance des difficultés – ce n'est rien. Et alors je me demande... Mais ça ne m'a pas été dit, ça ne m'a jamais été dit, l’Assurance ne m'a jamais été donnée – de temps en temps, il y a une espèce d'ÉTAT dans lequel il se trouve, qui est un état d'immortalité; mais ce n'est pas constant, ça dépend d'autres choses; et de la minute où ça «dépend», ce n'est plus une Assurance suprême. Et en même temps, il y a une sorte de discernement: il se pourrait bien qu'il y ait un relâchement général de l’effort des cellules si on leur disait: «Ça ne fait rien, tout ça n'a aucune importance parce que vous durerez jusqu'à ce que ce soit fait», peut-être qu'elles se laisseraient aller? Il y aurait une concentration de volonté dans la lutte, qui disparaîtrait. Et alors une des conditions nécessaires n'existerait plus.

Mais il y a quelque chose d'autre qui vient et qui dit: «Oh! tu donnes toujours des explications très favorables, c'est pour te consoler!...» N'est-ce pas, c'est comme si j'assistais (Mère fait le même geste de grandes vagues cosmiques qui l’assaillent) à une espèce de tournoi de toutes les réactions (je traduis cela par des mots pour me faire comprendre, mais ce ne sont pas des mots: c'est tout DES sensations; la traduction verbale, c'est simplement pour expliquer, mais ce sont des espèces de sensations, ou plutôt des états de conscience; ce sont tout des états de conscience). Et tout ça s'enchevêtre... (geste de vagues)

Ah! ce n'est pas pour le «Bulletin»!


(Au moment de partir, le disciple pose son front sur les pieds de Mère. Notons que la fois d'avant, au moment où le disciple avait fait le même geste, Mère, qui était alors debout, avait perdu l’équilibre et failli tomber)

La dernière fois, tu as vu, j'ai perdu l’équilibre. Quand tu as touché mon pied, il est descendu une... ce n'était pas une colonne, c'était un ouragan! d'une lumière blanche-blanche! Pas blanche transparente – blanche éclatante comme du blanc de lait. Mais c'était une masse tellement forte! C'est venu tellement violemment que ça m'a fait perdre l’équilibre. C'était tout, j'ai seulement perdu l’équilibre. Et c'est resté là, c'était là – tu as vu, je suis restée un petit moment sans lever la tête, c'était parce que je voyais ça; c'était... c'était beaucoup plus solide que la Matière. C'était quelque chose de très particulier, c'était solide! plus solide, plus matériel que la Matière. Et ça avait une puissance – un poids, une densité, extraordinaire! C'était comme une grande colonne, et tout est devenu tout blanc. Tout blanc, blanc. Il n'y avait plus rien que du blanc, partout. Et c'est resté quelques secondes. Et c'est ça, c'est la puissance de ça qui m'a fait perdre l’équilibre.

Je n'étais pas en état de te le dire à ce moment-là!

Tu n'as rien senti?

J'ai senti, si, la Force!

Oh! c'était... (riant) c'était assez formidable!

(silence)

Je ne me souviens pas de l’avoir jamais sentie de cette façon-là. C'est quelque chose (comment dire?...) qui est plus matériel que la Matière. C'est ça. Et c'est venu, ce n'était pas comme une descente de lumière, ce n'était pas cela: c'était comme une masse, comme quelque chose qui serait tombé.

Blanc! blanc-blanc, éclatant, éblouissant. Alors on ne pouvait pas regarder. C'est pour ça que j'ai baissé les yeux, je ne pouvais pas regarder.

Et puis je ne voyais plus que ça – il n'y avait plus ni toi ni mes pieds ni mon corps ni rien, il n'y avait plus que ça.

(silence)

La nuit, je me réveille quelquefois (pas «réveille», enfin je m'éveille), je m'éveille entourée de quelque chose comme cela, très-très-très dense – dense. Qui a un poids.

Ça, un chimiste l’expliquerait peut-être!

Ça me paraît une chose nouvelle.

22 mai 1963

(Cette conversation a eu lieu quelques jours après une «maladie» infectieuse qui a violemment attaqué le disciple.)

l’autre soir, vers six heures et demie, j'avais très mal; j'avais la tête à éclater, vraiment j'ai souffert: une douleur de chien; et alors tout d'un coup, je me suis allongé, j'ai senti comme une détente – tout d'un coup c'est comme si ça basculait, puis une détente. Et le lendemain, j'ai appris que c'est à cette heure-là exactement que V t'a parlé pour t'annoncer que j'étais malade.

Non seulement cela, mais il y a eu une expérience assez particulière: une Volonté est venue en moi... Je ne sais pas, une Volonté: «Décide.» Quelque chose qui voulait que je décide: «C'est à toi de décider.» Alors imédiatement, j'ai projeté cette puissance sur toi, j'ai dit: «Il faut qu'il guérisse.»

C'est une expérience nouvelle. C'est venu très fort, comme si on me transférait la décision finale, à la conscience PHYSIQUE. Alors j'ai dit: «Bon, c'est bien! alors c'est décidé, il guérit.»

Ce qui m'a frappé, c'est la soudaineté: tout d'un coup j'ai senti une détente.

Oui, ce n'était pas progressif, c'était tout d'un coup.

Alors j'ai demandé de tes nouvelles le lendemain (parce que ça m'intéressait, c'est une expérience tout à fait nouvelle), j'ai demandé: «Est-ce qu'il y a eu une différence?» Et on m'a dit que tu allais beaucoup mieux.

(Mère donne une rose au disciple)

Et puis celle-ci pour Sujata: ouverte comme son cœur.

25 mai 1963

(À propos d'une lettre d'un ami personnel du disciple aux Éditions du Seuil, qui lui laisse prévoir le refus du deuxième manuscrit sur Sri Aurobindo [«l’Aventure de la Conscience»]: «Je ne sais pas si P.A.L l’a lu, il ne m'en a pas encore parlé, mais dès les premières pages, j'ai senti que ce manuscrit ne serait jamais édité par le Seuil. Il a des défauts, des maladresses: mais ce n'est pas à cause de cela qu'il sera refusé...»)

Bon! (rires) On verra ce qu'ils vont dire. Ça, n'est-ce pas, pas une minute je n'ai pensé que ces gens-là pouvaient le publier – d'autres gens.

Quand NOUS l’aurons publié, je suis sûre – sûre – qu'il y aura des gens qui voudront le publier. Et puis ce n'est pas un livre qui aura du succès pendant quelque temps et puis ça tombe. Ça doit avoir une longue action.

Qu'est-ce qu'il appelle «maladresse»? – Ce que lui, n'a pas compris!

C'est un homme qui comprend bien. Il veut dire probablement du point de vue littéraire, des choses qui sont peut-être longues. Enfin, je ne sais pas, il m'écrira. Il me dira... Je serais bien curieux de savoir ce qu'il a compris. Mais c'est un homme ouvert.

Moi, j'ai plutôt l’impression que pour vraiment apprécier ce livre, il faut déjà savoir beaucoup – beaucoup plus que ce que ces gens-là ne savent.

J'ai vraiment l’impression – et c'est pour cela que ce livre intéressait tellement Sri Aurobindo et qu'il s'en est tant occupé – que c'est la façon d'expliquer la plus compréhensible pour ceux qui ont été éduqués en Europe. Ou peut-être éduqués d'une façon moderne, dans l’esprit moderne, parce que pour l’Amérique aussi, c'est très bien. Et toute la partie de l’Inde qui est sous l’influence de l’éducation anglaise, ça les mettra en contact sous un angle qui leur fera comprendre.

Pas une seconde, je n'ai pensé qu'ils publieraient ça – au fond, pour te dire la vérité, je n'en serais pas trop contente non plus! Ce n'est pas un livre pour leur «Collection». Leur Collection est beaucoup trop banale, superficielle.

De toute façon, ça n'aurait pas été pour la «Collection» parce qu'il a 300 pages et plus, et leur collection en a 150. Mais cela aurait pu être en dehors de leur collection – mais enfin ce ne sera pas... Je serais bien curieux de connaître leurs critiques.

Ah! ça, ils ne comprendront rien.

Donne-moi l’écriture.

(Mère regarde la lettre)

Oh! il est intuitif, cet homme-là. Oh! oh!

Oh! il est très bien! Beaucoup mieux que ce qu'il dit.1

J'aurais aimé te poser une petite question. Dans ce livre sur Sri Aurobindo, je dis en passant que les trois aspects – Transcendant, Immanent, Cosmique – correspondent probablement à la Trinité catholique, Père-Fils-St-Esprit. Pourrais-tu me dire quelle est la correspondance exacte? Le Père, on voit bien que c'est le Transcendant, mais le Fils?...

Le Fils, c'est l’Immanent.

Mais alors, ce Saint-Esprit qui descend?

Oui, je me suis demandé ça plusieurs fois.

Il y avait un temps où je le savais, c'est-à-dire que j'en ai parlé avec l’ami d'un cardinal, et c'est lui qui m'a donné l’explication en me disant que c'était cette façon de comprendre que l’on enseignait aux cardinaux d'une façon ésotérique, en leur défendant d'en jamais rien dire. On leur enseignait aussi que la Vierge était la Nature, la Mère universelle.

Mais ce St-Esprit qui descend avec des «langues de feu», le jour de la Pentecôte, qu'est-ce que c'est? Ces «langues de feu» n'ont pas l’air d'être un symbole cosmique?

Mais je ne vois pas comment le Christ serait cosmique? Tandis que c'est très clairement le dieu dans l’homme.

Et pourquoi? Le St-Esprit descend partout, ou c'est limité?

D'après la tradition, il descend le jour de la Pentecôte.

Qu'est-ce que c'est, le «jour de la Pentecôte»?

Je crois que c'est quarante jours après Pâques.

Quarante jours après la résurrection.

À ce moment-là, les douze apôtres étaient réunis et il y a eu la «descente» du St-Esprit sous forme de langues de feu.

Mais l’Immanent ne «descend» pas, mon petit!

Eh bien, oui, évidemment! Mais comment le Cosmique (en supposant que le St-Esprit soit un symbole cosmique) «descend-il» aussi? et sous forme de langues de feu?

Peut-être que l’on veut forcer la comparaison et que c'est autre chose.

(silence)

Cela pourrait plutôt faire partie de l’annonce (pas l’annonciation!) du monde nouveau – d'un monde nouveau. Le St-Esprit serait le monde qui descendra après le monde humain.

Je dis cela parce que Théon annonçait toujours l’arrivée du «monde nouveau»; il ne parlait pas de «Supramental», mais il disait: «Il y aura de nouveaux cieux et une nouvelle terre.» C'était cette explication. Alors, peut-être que, originairement, dans la religion catholique à son origine, on avait aussi l’idée que quarante jours après (ça peut vouloir dire quelque chose? peut-être 40 siècles, peut-être 40 âges), il y aura la descente du St-Esprit sous forme de flammes qui entreront dans ceux qui sont prêts. Cette explication-là me paraît plus logique.

Évidemment, l’oiseau, cette «colombe blanche» dont on parle, ce pourrait être l’Universel. Il serait manifesté ouvertement comme résultat de cette descente?

Au fond, on essaye de couper en petits morceaux les choses. C'est évidemment la manifestation, une manifestation nouvelle du Divin, et qui se produit un certain temps après que le Divin dans l’homme a ressuscité. Le Divin dans l’homme a ressuscité, c'est très clair: il est devenu conscient. Et un certain temps après (4 c'est la manifestation, 10 c'est la perfection de la manifestation), la perfection de la manifestation du Dieu ressuscité dans l’homme permet à cette chose universelle ou cosmique de se manifester. Prends-le comme cela, ça a un sens.2

Cette chose «universelle», ce serait peut-être une transformation collective. Une transformation qui n'est plus seulement individuelle – la descente du Saint-Esprit dans la collectivité?

On m'avait dit que même dans le Collège des cardinaux, les choses étaient suggérées seulement et qu'on laissait à chacun la capacité de comprendre vraiment ou pas. C'est très probable. Mais qui est-ce qui a gardé la tradition telle qu'elle est?... Nous n'en savons rien.

Enfin, comme cela, ça a un sens.3

29 mai 1963

Je voudrais bien un éclaircissement sur un passage d'une ancienne conversation [du 3 mai], où tu disais ceci: «Il y a quelque chose qui essaye d'attirer de moins en moins l’attention et la concentration des autres...» Et tu ajoutes ceci: «C'est-à-dire de diminuer le SENS D'INTERMÉDIAIRE nécessaire pour que les forces et les pensées se répandent...» Qu'est-ce que c'est que ce «sens d'intermédiaire»? Tu veux dire: ton «rôle d'intermédiaire» pour la diffusion des forces? Tu veux diminuer ce rôle – tu te retires?

Ce n'est pas «rôle»! Le rôle, c'est un fait, une sorte de fait inéluctable, tout à fait indépendant de la volonté et de la conscience individuelles – j'en suis de plus en plus convaincue, à un point fantastique. l’Œuvre est accomplie à travers un ensemble d'éléments – qu'ils le sachent, qu'ils ne le sachent pas, qu'ils aident, qu'ils n'aident pas, ça fait des différences minimes. Ça a été décidé comme cela, ça a été choisi comme cela et c'est fait comme cela; qu'on le veuille, qu'on ne le veuille pas, qu'on le sache, qu'on ne le sache pas, qu'on aide, qu'on n'aide pas – toute petite différence. C'est surtout une question de satisfaction personnelle!

Et alors, à mesure que même les cellules du corps ne sentent plus leur séparation (ça n'existe presque plus, même dans la sensation), alors c'est quelque chose qui est fait (ou qui se fait) et qui ne se regarde pas faire. Quelque chose quelque part (geste en haut), sait, veut, agit; autre part, il y a un ensemble de choses qui est dans un état de réceptivité heureuse et tout à fait, extraordinairement passif, n'intervenant pas. Et moins cela regarde, mieux ça vaut. Ça reste dans une contemplation intérieure, ou plutôt tourné vers le Haut (un Haut qui est partout, n'est-ce pas, qui n'est pas juste au-dessus), un Haut qui est parfaitement lumineux, parfaitement conscient, parfaitement efficace. Et c'est tout ce qui est nécessaire.

Et moins la conscience est tournée vers le dehors, moins elle perçoit les obstacles, les résistances – tout cela paraît de plus en plus irréel, éphémère, d'une relativité extrême.

Dans le contact journalier inévitable et obligatoire avec les gens, de plus en plus vient cette perception que la chose quelle qu'elle soit, qui en elle-même est d'une sim-pli-ci-té plus qu'enfantine, n'est-ce pas – c'est d'une simplicité parfaite –, dès que ça entre en contact avec l’atmosphère humaine terrestre, ça devient compliqué! Et tout à fait inutilement. Il semble que l’occupation humaine ordinaire, c'est de compliquer ce qui pourrait être extrêmement simple. Et je vois ça jour par jour, pour tous les petits événements de chaque jour et de chaque-chaque minute. Et alors, dans certaines consciences – dès que ça touche certaines consciences –, ça se tord, ça fait même des nœuds terribles. Alors il faut un labeur formidable pour défaire – tout cela, par-fai-te-ment inutile!

Justement ces jours derniers, je regardais et je me demandais: «Pourquoi est-ce comme cela?...» Ça a dû être le moyen – le moyen probablement le plus efficace, je ne sais pas – de sortir de l’inertie, du tamas. Si tout était avec cette Simplicité, cette Tranquillité parfaite, eh bien, la conscience humaine était dans un tel état qu'elle se serait simplement endormie. Elle serait rentrée dans l’état... même pas d'un animal, peut-être d'une plante somnolente!

Ce doit être la raison.

Mais quand on le voit de l’autre côté, c'est tellement absurde – c'est fantastiquement absurde! Au point qu'il n'y a pas un mot que l’on dise et dont le sens ne soit imédiatement tordu – on ne sait pas pourquoi, automatiquement. Et une chose qui est claire, évidente, qui devrait se dérouler sans heurts et sans obstacles, imédiatement on entre dans un tourbillon de complications.

N'est-ce pas, tout-tout-toutes les activités, toute-toute la vie est comme cela.

Alors il y a des petits degrés, des petites différences, et ces différences prennent des proportions naturellement considérables dans ces consciences déformées; alors on dit: «Oh! maintenant tout va bien», et puis: «Oh! maintenant tout va mal», mais ce n'est pas comme cela! C'est toujours la même chose, mais il y a des petits degrés.

Mais le vrai «tout va bien», la vraie chose telle qu'elle est, est tellement simple! Tellement simple, tellement tranquille, tellement imédiate, tellement directe que c'est presque impensable pour la pensée humaine, et encore moins pour sa sensation. Voilà.

juin




3 juin 1963

(Mère s'apprête à lire en anglais une lettre de Sri Aurobindo, dont nous donnons ci-dessous la traduction:)

Tu comprends quand je lis?

Quand tu lis, je comprends! Mais ça va te fatiguer...

Non, fatiguer, ça ne me fatigue pas.

(Mère lit)

Le mental du corps

Et il y a aussi un mental obscur, un mental du corps, des cellules mêmes, des molécules, des corpuscules. Haeckel, le matérialiste allemand, a parlé quelque part d'une volonté dans l’atome, et la science récente, en présence des imprévisibles variations individuelles dans les activités de l’électron, est sur le point de s'apercevoir que ce n'est pas une métaphore mais l’ombre projetée par une réalité secrète. Ce mental corporel est très tangiblement réel; par son obscurité, son attachement obstiné et mécanique aux mouvements passés, sa facilité à oublier, son refus du nouveau, il est l’un des obstacles principaux à la permeation1 de la Force supramentale dans le corps et à la transformation du fonctionnement corporel. Par contre, une fois effectivement converti, ce sera l’un des instruments les plus précieux pour stabiliser la Lumière et la Force supramentales dans la Nature matérielle.

(XXII.340)

C'est tout à fait conforme à mon expérience.

C'est ce mental des cellules qui s'empare d'un mantra ou d'un japa et qui finit par le répéter automatiquement, avec une persistance! c'est-à-dire d'une façon CONTINUE. Et c'est cela que Sri Aurobindo veut dire quand il dit que ça aide: ça garde les choses indéfiniment (Mère ferme son poing, d'un geste qui ne vacille pas).

Il y a quelques jours, à la fin d'une activité et dans une situation qui demandait un effort, presque une lutte, j'ai entendu (c'est curieux), j'ai entendu les cellules répéter mon mantra! C'était comme un chœur, et chacune répétait comme ça, automatiquement... Oh! j'ai dit: «Tiens!...» Et c'est après cela, c'est justement le lendemain ou le surlendemain qu'on m'a apporté cette lettre.

C'est étonnamment vrai.

Je l’ai entendu – j'ai entendu LES CELLULES, les cellules qui répétaient. Automatiquement dans la difficulté (il y avait une difficulté), elles répétaient le mantra. C'était comme un chœur, un chœur innombrable dans une église, c'était très curieux. C'étaient comme des tas de petites voix, mais d'innombrables petites voix qui répétaient-répétaient le même son. Ça m'a fait l’effet d'un chœur dans une église, avec beaucoup-beaucoup-beaucoup d'enfants de chœur – c'étaient de toutes petites voix. Mais le son était très clair, j'en étais ahurie, très clair: le son du mantra.

C'est ce même mental dont se servent les tantriques? Par exemple, quand tu parles de cette «lumière bleu foncé» du mental physique, c'est ce même mental cellulaire?

Je ne crois pas.

Parce que c'est aussi par le japa, les mantra, l’éveil de la conscience physique, que ce pouvoir fonctionne.

Mais je crois que leur pouvoir vient d'une couche supérieure (au mental cellulaire). Parce que leur action est très cérébrale: ça affecte toujours là (geste au front et aux tempes), ça prend là (même geste) – ça fait même mal!

C'est cérébral.

Mais comment ce pouvoir agit-il dans la Matière? Parce qu'ils ont un pouvoir dans la Matière.

Mais parce que c'est très matériel – le cerveau est matériel! C'est juste un tout petit peu moins mécanique que le mental cellulaire. Mais c'est matériel; ce n'est pas le mental supérieur, c'est sûr: c'est un mental qui ne sort pas du corps (même geste aux tempes). Mais le mental dont je parle, ce mental corporel, il est partout, dans toutes les cellules: chaque cellule a ça au-dedans d'elle; tandis que ce mental-là est spécialement localisé dans le cerveau. C'est une action très cérébrale qui enveloppe le front et le bas du visage, et qui ne descend même pas jusqu'à la gorge.2


Ça va, ton «écriture»?

*Oui, je ne suis plus fatigué comme je l’é tais, mais... C'est un domaine qui me semble tellement mécanique!

Pourtant j'ai mis la Force dedans.*

J'ai mis la Force dedans parce que je peux VOIR ton yantram comme ça (Mère ferme les yeux et répète à haute voix:) 6-12-30...

Je le vois, ça existe.

Ça a une réalité maintenant.

Et il y a un rythme – un rythme très bien: 6-12-30-48...

Tu le vois quand je le dis?

C'est devenu réel, ça je peux te le garantir.


Peu après

J'ai vu hier un bébé de sept mois... qui est un sage.

Il regarde avec son âme. Quand je l’ai regardé, ses yeux se sont illuminés.

Pleure pas, parle pas, mais il a fait une espèce de bruit – il m'a tendu les bras, et c'était comme s'il faisait «Aaah!». Alors je l’ai pris dans mes bras et il a mis sa tête là, contre mon cœur – il n'a pas fermé les yeux et il est devenu extatique.

Extraordinaire! Je n'ai jamais vu ça avant, c'est la première fois que je vois ça.

Et alors Champaklal (c'est lui qui l’a apporté) ne voulait pas qu'il s'en aille avant d'avoir touché mes pieds (moi, je croyais que ça allait faire une catastrophe): il l’a mis par terre et il lui a penché la tête – dès qu'il a vu mes pieds, il les a attrapés avec ses deux mains, une main sur chaque pied!

Sept mois!

Et pas de bruit: rien que ce «Aaah!»

Il n'avait jamais vu Champaklal avant; Champaklal l’a pris, il n'a rien dit, pas protesté: il se tenait tout droit, comme ça, assis sur son bras.

Des yeux! Déjà des yeux qui regardent dedans. Quand j'ai regardé ses yeux, tout de suite il y a eu la réponse – une réponse que j'ai rarement dans les yeux des gens ici.

Et puis il ne demandait plus rien, il était content. Et tout d'un coup, ce «Aaah!» Je l’ai pris dans mes bras: imédiatement il a mis sa tête là, sur mon cœur. Plus bougé.

Je ne sais pas qui c'est.

Je croyais que je le saurais après mais je ne sais pas. Je ne sais pas. J'ai seulement une sorte de connaissance en arrière que ce n'est pas une personne entière, que c'est une émanation de quelqu'un qui est venu consciemment s'établir là-dedans. Mais ce quelqu'un... on me dirait que c'est Sri Aurobindo, que je ne serais pas étonnée. Comme si Sri Aurobindo avait fait une émanation et l’avait mise là (je ne le dis pas, je ne le sais pas). Mais ce n'est pas n'importe qui, n'importe quoi.3

Ou bien c'est un des êtres pas incarnés, ou alors c'est Sri Aurobindo qui s'est payé cette fantaisie!

Il est tout petit, tout petit, mais il n'a pas la grosse tête et le petit corps: il est proportionné. Il est tout petit, il est grand comme ça. Sept mois.

Mais très bien formé: de jolies mains, de jolis bras, de jolis pieds. Très bien formé.

C'est quelque chose de nouveau, je n'ai jamais vu un bébé comme cela, jamais.

Il est venu sur terre en Amérique (déjà c'est un signe), mais ses parents sont Indiens. Entièrement conçu et formé, les neuf mois, en Amérique. Et né en Amérique. Et il a passé les quatre ou cinq premiers mois de sa vie en Amérique.

La mère, avant de se marier, m'a dit: «J'aurai un enfant seulement quand je le veux et, j'espère, comme je le veux.» Et ça n'a pas été un accident.

Ah! voyons, il faut travailler!

8 juin 1963

C'était hier, je crois, dans la nuit (pas la nuit d'hier à aujourd'hui, la nuit d'avant-hier à hier, donc le 6 juin), pendant plus de trois heures sans arrêt, il n'y avait plus conscience de rien – pas une pensée, pas une volonté, pas une action, pas une observation, rien. Tout ça était arrêté. Par exemple, ce qui se passe quand on a des expériences dans le subconscient et qu'on fait du travail, tout ça, tout-tout était arrêté. C'était comme une action de Force. Sans pensée, sans idée, rien que la sensation et une sorte de perception (le vrai mot, c'est awareness) d'une Force, mais d'une Force formidable, n'est-ce pas, comme la Force de la terre – toutes les combinaisons des forces avec une action venant d'en haut et qui travaillait là-dedans. Ça passait (c'était surtout autour de la tête jusqu'à la poitrine, mais c'était dans tout le corps, et c'était sphérique), ça passait et ça allait et ça allait et ça allait, dans une direction, dans l’autre direction, dans une autre, dans d'innombrables directions, et rien que des mouvements de Force (il y avait quelque chose comme une perception de couleurs mais pas de la façon ordinaire: c'était comme s'il y avait une sorte de connaissance que certaines vibrations correspondaient à une couleur), mais c'était une MASSE innombrable, presque... en tout cas indéfinie, et simultanée. Tout d'abord je me suis dit (riant): «Qu'est-ce qui se passe?» Puis j'ai dit: «Non, ça n'a pas d'importance, simplement je laisse faire.» Et ça allait, ça allait, ça allait – trois heures sans arrêt.

Je ne savais... je ne savais plus rien, je ne connaissais plus rien, je ne comprenais plus rien; il n'y avait plus que de la Force qui marchait, et quelle Force!... C'était une Force qui venait d'au-delà et qui agissait sur toutes les forces de la terre: il y avait de grosses choses, il y avait de petites choses, il y avait des petits points précis, il y avait d'énormes choses, et ça allait et ça allait et ça allait, et l’une et l’autre et tout ensemble et partout... Je suppose que si le mental avait dû être associé à l’expérience, il serait devenu un peu fou! Ça donnait cette impression, n'est-ce pas, parce que c'était tellement formidable que... Et il y avait tout le temps, tout le temps, dans le centre physique (le centre physique, c'est-à-dire dans la base corporelle), quelque chose qui était dans un état d'extase; et alors c'était très intéressant, cette extase – cette extase scintillante comme du diamant – était là, si douce, si douce, si paisible! comme si elle était là tout le temps pour dire au corps: «Ne t'effraye pas, (riant) t'inquiète pas, t'effraye pas, tout va bien.» C'était tout le temps comme si la Puissance suprême disait: «T'inquiète pas, t'inquiète pas, laisse faire, laisse faire...» Ça a duré plus de trois heures.

Et je me suis demandé: «Dans quel état je vais être quand je me lèverai? Complètement abrutie, ou quoi?» – Très tranquille, rien de changé, seulement une sorte de... quelque chose qui souriait et qui disait: «Ah! ça PEUT être comme cela.»

Et le mental absolument silencieux, absolument: toutes les connexions coupées avec tout ce que tous les gens envoient tout le temps de partout – tout ça, complètement parti. Seulement les forces universelles en action, avec quelque chose qui venait d'en haut et qui les imprégnait toutes, qui les envoyait. Et avec ça, un point – c'était comme un point dans cette immensité –, mais un point scintillant qui était absolument extatique, dans une paix! une extase extraordinaire, mais volontairement disant: «Ne t'inquiète pas; tu vois, c'est comme ça, t'inquiète pas, t'inquiète pas», parce que ça avait certainement dépassé toutes les proportions individuelles possibles.

C'est la première fois. J'ai eu des courants de force, j'ai eu des actions sur la terre, j'ai eu des forces qui venaient, toutes sortes de choses; mais ça, ce n'était pas ça: c'était tout à la fois. C'était partout à la fois, tout à la fois, avec cet Influx, et c'était... Il y avait certainement quelque chose qui voulait que je me tienne très tranquille et que je ne m'inquiète pas. Il fallait que je me tienne très tranquille.

Et j'ai eu l’impression qu'on me rendait consciente de quelque chose qui est en train de se passer. Parce que la nuit généralement, je me détache de tout et je m'universalise – non, ce n'est pas ça, ce n'est pas «je m'universalise»: je m'identifie au Seigneur. C'est ma façon de me reposer. Je fais ça toutes les nuits, c'est le moment de mon grand repos. Mais alors on m'a rendu consciente de ça. Il y a souvent des expériences qui viennent (il y en a eu un certain nombre ces temps derniers), mais celle-là, c'est la première fois, parce que... Certainement, c'était quelque chose qui se passait POUR la terre; mais ça ne venait pas du centre de forces qui agit généralement sur la terre. Ce n'était pas le fonctionnement ordinaire des forces sur la terre. C'était «quelque chose qui se passait». Et qui donnait l’impression que la terre était toute petite – ça allait vers la terre et c'était pour la terre, mais c'était tout petit.

C'était tout petit.

(silence)

Et il n'y avait pas de perceptions psychologiques (ce que j'appelle «perceptions psychologiques», c'est, par exemple, les vibrations d'amour, les vibrations de paix, les vibrations de lumière, les vibrations de connaissance, de puissance), ce n'était pas sous cet aspect-là, ce n'était pas ça. Pourtant, il devait y avoir tout ça parce qu'il y avait beaucoup de choses, beaucoup de choses qui étaient toutes une même chose, mais une même chose prenant des formes différentes; mais les formes, je ne les voyais pas; les couleurs, je ne les voyais pas. C'était seulement une question de pure sensation. Une pure sensation vibratoire: rien que des vibrations-vibrations-vibrations, à une échelle... colossale.

C'est une expérience nouvelle.

(silence)

Évidemment, il y avait... il devait y avoir une raison de s'inquiéter, parce que dès que j'ai pris conscience de l’expérience (elle a commencé avant que je devienne consciente; quand je suis devenue consciente, j'ai eu l’impression qu'il y avait déjà longtemps que ça se passait; par conséquent si je dis trois heures, c'est trois heures où j'ai été consciente, mais ça avait commencé longtemps avant: c'était vers onze heures du soir et ça a duré jusqu'à trois heures du matin), alors juste quand on m'a donné la conscience de la «chose», évidemment il y avait un sujet d'inquiétude parce que, imédiatement, il m'a été dit: «Tu vois, c'est comme ça que ça se passe», et c'était cette extase dans le corps qui faisait qu'il n'y avait pas d'inquiétude: «Oh! ça va bien, tout va bien.» Et quand l’expérience a été finie, elle n'a pas fini comme les expériences qui s'épuisent; elle a fini comme si, très lentement, la chose était, pas positivement voilée à ma conscience mais on me détournait la conscience de la chose, avec ce sentiment: «Ne t'inquiète pas.» Au commencement et à la fin. Mais tout de même, quand je me suis éveillée, je me suis dit (parce que la tête avait une curieuse impression, c'était quelque chose d'un peu bizarre, comme si on était très gonflé! gonflé, démesurément gonflé), je me suis dit: «Peut-être que demain matin quand je vais me lever (je me lève à 4h l/2), je vais me trouver tout à fait abrutie!» C'est pour cela que j'ai observé – mais tout allait bien, il y avait seulement cette espèce de sentiment d'être gonflée qui est resté. J'ai l’impression (pourtant, c'était il y a deux jours, ce n'était pas la nuit dernière), l’impression que la tête est gonflée! Mais la limpidité est restée la même!! (riant) Il n'y a rien de dérangé!

Il y a au contraire une sorte de... comme une acuité, quelque chose d'un peu aigu dans la perception, un tout petit peu moqueur – je ne sais pas pourquoi. l’exagération de l’impression que toutes les choses du monde, c'est beaucoup de bruit pour rien et beaucoup d'embarras pour rien (ce sentiment-là, on l’a depuis... on pourrait dire des siècles), mais il y a en plus comme quelque chose d'un tout petit peu aigu et moqueur.

Mais autrement, c'est très clair!

(silence)

S'il y avait quelqu'un pour me dire...

Mais on ne veut pas que je sache, c'est évident. Probablement je bavarde trop (!) Je te raconte toujours toutes mes histoires, et probablement ce n'est pas nécessaire, alors on ne me dit pas. Mais, n'est-ce pas, les gens aiment tant mettre des étiquettes sur les choses: «C'est ceci, c'est cela, c'est ça...» On ne veut pas de ça! Tu sais, «ça fait si bien», comme les nouvelles dans les journaux: «Telle chose vient de se passer.» (Mère dessine de grands titres sensationnels.) On ne veut pas.

Les expériences, on les a pendant quelquefois une heure, deux heures, mais ça, c'était l’impression que... tout d'un coup on me faisait savoir. Et que je participais: on permettait à ça (le corps) de participer, parce que, pour une raison quelconque que je ne connais pas (peut-être à cause du travail qui se fait dans le corps, je ne sais pas; c'est probablement ça), peut-être qu'il était nécessaire que je participe. Mais l’impression que c'est une chose formidable qui est en train de se passer.

N'est-ce pas, quand j'ai eu cette expérience l’année dernière au mois d'avril, de ces pulsations d'Amour, j'avais la perception de la couleur, la perception «psychologique» de l’état dans lequel on est (comment dire?...) par exemple, la qualité de la vibration de l’Amour (quelque chose qui n'a rien à voir avec les choses terrestres, du tout). À ce moment-là, j'étais Ça, j'étais ces vibrations, mais je connaissais toute la qualité de ces vibrations, et c'est resté pendant des mois – ce n'est rien de cela! C'était seulement une action. Seulement une action. Et une action, n'est-ce pas, où le corps humain est moins qu'une fourmi. Beaucoup moins qu'une fourmi: un point imperceptible. Et pourtant, c'était comme s'il n'y avait que ce corps! comme si ce corps seulement était là et que c'est ce corps qui faisait ça. Et ce corps était un corps... c'était le corps! Et ce point – ce point réconfortant d'extase – était tout petit. C'était tout petit. Mais c'était là, très insistant, très conscient, pour me dire: «Pas d'intervention; laisser faire absolument, tout va bien – tu vois, tout va bien.» Tout petit, tout petit... Et pourtant c'était mon corps: je te dis, ma tête est restée comme grossie!

C'est curieux.

(silence)

Mais ce sont des forces nouvelles, ou bien est-ce quelque chose qui se passe habituellement? C'est un travail nouveau sur la terre, ou est-ce que tu as vu ce qui se passe d'habitude, dont tu n'avais pas conscience avant?

Je me le suis demandé... Mais la question n'est pas correcte. C'est quelque chose d'Éternel qui, par ce qui s'est passé à ce moment-là (pas à cette minute-là parce que, comme je l’ai dit, ça a dû se passer pendant longtemps avant et après)... c'est devenu quelque chose de nouveau comme cela, PAR ce qui s'est passé.1 Alors si on en revient à tout ce que l’on sait, on pourrait dire (mais c'est le bavardage habituel) que c'est quelque chose qui s'est manifesté nouvellement.

Mais l’impression était... l’impression d'une Éternité. Éternité HORS DU TEMPS (pas quelque chose qui dure indéfiniment: quelque chose d'éternel), et, oui, le mot serait: «qui se manifeste», «qui se rend perceptible» ou «qui entre en activité» – ce n'est pas cela parce que... Oui, qui agit, qui devient perceptible parce que ça agit.

C'était l’impression.

On pourrait dire aussi: quelque chose d'universel qui devient individuel (pas individuel comme une petite personne), mais conscient de soi.

Mais ce qui était remarquable, c'est que ça n'avait ABSOLUMENT RIEN à voir avec toute l’activité intellectuelle, depuis son sommet jusqu'en bas – rien. Rien. Rien à voir avec la connaissance, ni avec l’observation, le discernement, la perception intellectuelle, la compréhension, le jugement, je ne sais pas... Rien-rien-rien à voir. C'était... une Force en mouvement.

«Force» n'est rien! Force, c'est quelque chose de tout petit. C'est... l’impression d'une chose formidable!

Alors ça n'avait rien à voir avec la Connaissance ni la Lumière ni la compréhension (tout le côté lumière, connaissance intellectuelle); rien à voir avec l’Amour (ce que j'avais senti l’autre fois et qui a sa vibration propre). La meilleure définition que l’on puisse donner, c'est le Pouvoir. C'était le Pouvoir dans ce qu'il a de plus formidable – écrasant. Et avec LA Toute-Puissance; le Pouvoir dans la toute puissance, avec cette espèce de chose inébranlable, immuable, intouchable.2 Oui, c'est vraiment la Puissance, c'est vraiment ça.

Mais tu comprends, la Puissance... Par exemple, la puissance d'un ouragan, en comparaison, ce n'est rien. Toutes les puissances qu'un être humain peut supporter, même probablement concevoir, ce n'est rien – c'est rien... c'est (Mère souffle en l’air) comme une bulle de savon.

l’impression de quelque chose qui ne peut pas être supporté ni senti, à cause de son état formidable.

Et c'était très clair que cette sollicitude, la Sollicitude suprême, avait grand soin de me prévenir par une indication: «Tout va bien.» Mais évidemment, sans ça, l’impression était que tout-tout va se dissoudre.

Alors si nous utilisons notre petite jugeotte, nous pouvons dire peut-être que c'est le Pouvoir supramental, je ne sais pas, qui s'est manifesté.

(silence)

Mais il n'y avait pas de perception de lumière, pas de choses qui serviraient d'indication; il n'y avait pas de perceptions de sentiments, d'amour, qui pourraient servir d'indication; il n'y avait rien de tout cela, rien – rien que quelque chose qui vous fait gonfler les joues (!) et qui est si formidable que c'est indescriptible. Indescriptible.

C'est évidemment le Pouvoir.

Nous, nous concevons toujours le pouvoir agissant SUR quelque chose, SUR un objet, ayant un objet, POUR réaliser quelque chose; nous ne dissocions pas les deux – ce n'est rien de tout cela, c'était... c'était le Pouvoir en action. Mais pas une action SUR quelque chose.

J'ai eu l’impression que c'était une étape décisive qui dépassait de beaucoup ma petite compréhension.

(silence)

Un jour, on saura.

Mais l’explication vient après: c'est une petite réduction à notre mesure... (riant) pour nous faire plaisir!3

12 juin 1963

Il y avait quelque chose... Mais j'étais en train de l’éliminer; et alors quelque chose m'a dit: «Si tu ne racontes pas ça à Satprem, ce sera perdu pour toujours.» Mais j'étais déjà en train de l’effacer, et maintenant je ne sais plus ce que c'est...

C'était la nuit dernière, c'était au milieu de la nuit.1

(silence, Mère cherche, la pendule sonne)

C'était la sensation assez aiguë que lorsque le monde, la terre, passe d'un état à un autre, il y a une sorte de transition; et toujours, c'est comme sur une crête entre deux montagnes (geste en équilibre instable), et il y a un moment très périlleux où la moindre chose peut faire une catastrophe – et alors il y aurait beaucoup de choses à recommencer. Et ce même phénomène existe à une toute petite échelle, pour les individus, en ce sens que quand ils passent d'un état de conscience – d'un ensemble d'états qui constitue leur individualité – à un état supérieur, ou qu'ils introduisent dans leur état un élément qui donnera une synthèse supérieure, il y a toujours une période dangereuse où la catastrophe est possible. Et la sensation que j'avais cette nuit, c'est que la terre est en train de passer par une de ces périodes de transition, et qu'il y a – il y avait ou il y a – une possibilité de catastrophe.

(silence)

Et si l’on peut conserver l’équilibre (c'est presque une question d'équilibre) pour ne pas tomber ici ou là, si l’on peut conserver l’équilibre et qu'on passe ce moment-là, alors il y aurait toute une période de développement normal qui peut être très harmonieux.

(long silence)

C'est une loi du progrès: qu'il s'agisse du progrès des mondes ou des sphères, ou qu'il s'agisse d'un progrès individuel, c'est la même chose, mais à des échelles différentes. J'ai l’impression qu'on est dans une de ces périodes.

Il faut avoir très grand soin de garder son équilibre.

15 juin 1963

J'ai reçu une lettre d'un ami de France qui me parle longuement d'une personne, auteur de trois volumes intitulés «Gnosis».

Ooh!

Il est en Suisse, c'est un Russe du nom de B.M. Il a un centre avec des disciples. J'ai demandé sa photo et j'aurais voulu que tu me fasses comprendre qui est cet homme.

(Mère regarde la photo) C'est un intellectuel en tout cas – pas un homme spirituel, c'est clair. Il peut avoir des pouvoirs vitaux (c'est généralement ce qui prend les gens). Oui, c'est un intellectuel, un idéaliste.

Tu n'as pas son écriture?

Non.

Il est terriblement bien élevé, c'est ça qui m'ennuie! (Riant) C'est un monsieur bien élevé!

J'ai eu la même impression: une impression extraordinairement bourgeoise.

Un monsieur très «respectable».

Il doit avoir de l’esprit, un esprit assez fin. Un ironiste: il doit savoir répondre d'une façon adroite, c'est-à-dire vraiment ce qu'on appelle en français de «l’esprit».

Il n'y a pas signe de pouvoirs dans la photo, mais s'il en a sur les gens, ce doit être un pouvoir vital.

Ce n'est pas un véritable esprit: il ne dépasse pas l’intellect idéaliste. Mais pour les gens, c'est plus qu'assez parce que le vrai pouvoir spirituel, ça leur passe au-dessus de la tête, complètement – ils sont très sensibles à un petit pouvoir vital, n'est-ce pas, mental-vital.

C'est un homme qui pourrait avoir fait du tantrisme à la manière de Woodroffe, je ne sais pas. Il y a aussi beaucoup de ces gens qui se sont convertis au soufisme – très facilement ils se convertissent au soufisme. Mais la vraie vie spirituelle, il n'y en a pas beaucoup...

Il a écrit trois volumes intitulés «Gnosis».

C'est une grande ambition.

Mais c'est un intellectuel, il peut avoir reçu quelque chose intellectuellement.

C'est quelqu'un de France qui t'écrit?

C'est un ami, et comme ce B.M semble se répandre, pour ma gouverne personnelle je voulais savoir s'il est entre de bonnes mains ou entre des mains douteuses.

Le plafond n'est pas très haut, mais ce n'est pas nécessairement de «mauvaises mains».

C'est un aristocrate, ton monsieur. Peut-être était-ce un ancien aristocrate de Russie?

Mon ami est un aristocrate; c'est un marquis de quelque chose. Mais c'est un marquis pas ordinaire: un aventurier.

Eh bien, oui! ça fait partie du caractère. C'est le Kshatria,1 ça fait partie du caractère: être aventurier.

Mais celui-là est terriblement bien élevé! (Riant) Très bonnes manières, peut-être raffiné. C'est un intellectuel.

Mais il est humanitaire, c'est pour le bien de l’humanité ce qu'il fait?... Ou pour le bien de sa propre gloire!

Il se dit chargé d'un Message. Il a un Message.

Ah! il a à révéler quelque chose au monde – Seigneur! pauvre monde! combien de révélations!...

Enfin attendons le livre, on verra.

Parce que tu connais l’histoire de ce Roumain qui a été torturé par les communistes et qui a eu des visions de Sri Aurobindo2 (il ne l’a pas vu comme il est, d'ailleurs, il l’a vu selon sa propre conception: maigre et ascétique), et finalement cette apparition lui a dit: «Je suis ton âme», etc. Mais c'est quelqu'un qui n'avait jamais vu écrit le nom de Sri Aurobindo, il l’a entendu seulement, et il avait écrit le nom d'une façon très bizarre (Aurobin Dogos)...Ça paraît être quelque chose de Sri Aurobindo. Ça lui a donné en tout cas la force de passer à travers toutes ces tortures – des tortures effroyables, inimaginables. Et il a pu s'enfuir; une personne l’a aidé à s'enfuir (maintenant il est en sécurité, en Angleterre). Et à ce moment-là, il souffrait tellement qu'il avait pensé se laisser mourir, et c'est cette «voix», cette apparition qui venait, qui lui parlait pendant des heures, qui lui a donné du courage et lui a dit que «l’âme ne se décourage jamais et qu'elle a quelque chose à faire, etc., et il fallait durer.» Et il a duré à cause de ça.

Eh bien, des choses analogues ont pu arriver ailleurs et des gens ont pu recevoir des inspirations – on ne sait pas.

Il est évident que partout où il y a une réceptivité, la Force agit, c'est sûr.


(Mère reprend la précédente conversation où Elle parlait de ces périodes de transition périlleuses pour la terre et pour l’individu, où tout est en équilibre instable.)

Ça se produit encore assez souvent.

Ce matin, il y a eu encore une période de plusieurs heures (qui a commencé à la fin de la nuit, entre trois et quatre heures, et qui s'est étendue jusqu'à six heures trente, sept heures du matin), et c'est la sensation d'être en équilibre comme sur une crête (geste): il faut faire bien attention, rester bien tranquille – pas immobile mais tranquille.

Ce doit être (en tout petit) à des moments comme cela que l’on tombe malade; quand les gens tombent malade, ce doit être (à leur échelle, n'est-ce pas, probablement tout petit-petit), ce doit être comme cela (geste en équilibre instable): ils doivent être en train de passer d'un moment à un autre, d'un équilibre à un autre, et s'ils ne font pas attention, ils basculent. Et alors, c'est dans la maladie qu'ils retrouvent une nouvelle harmonie – (riant) soit ici, soit dans un autre monde!


(Puis Mère parle de la visite de Pandit Nehru, qu'Elle a reçu l’avant-veille, le 13 juin:)

Avec cette visite, que nous pouvons appeler présidentielle, il y avait naturellement un grand tohu-bohu ici: tous les gens excités, en tout cas la plupart d'entre eux. Cette visite a été pour ainsi dire forcée sur moi, en ce sens que je ne voulais pas le voir – je ne me sentais pas dans l’état où ça pouvait avoir une importance capitale. Mais il y a des gens qui avaient beaucoup d'espoir dans cette visite (un peu partout, même en Suisse, même en Amérique), ils pensaient que je pourrais faire quelque chose... Mais au point de vue extérieur, c'était une illusion, n'est-ce pas.

Et c'est venu tellement clair, tout d'un coup, comme si le Seigneur Lui-même arrangeait quelque chose, et ça se traduisait comme ça: «Donner un bain du Seigneur.» N'est-ce pas, faire une atmosphère (il n'y a pas besoin de parler, pas besoin de rien dire), mais une atmosphère qui est un bain du Seigneur. Et que tous ceux qui entrent dans l’atmosphère, nécessairement entrent dans le bain du Seigneur. C'était si joli! Et si simple, si souriant, pas prétentieux, pas de grands mots: quelque chose de très simple, de très naturel. Alors je suis allée là-bas, dans la pièce, de bonne heure; j'avais beaucoup de gens à voir avant, des tas de gens qui sont venus me voir le matin, mais déjà dès le matin, j'avais commencé à préparer mon bain du Seigneur! Puis j'ai fini de voir les gens à peu près une heure avant l’arrivée de Nehru, et je suis restée là-dedans, et j'ai préparé le «bain»... C'était très charmant.

Il se peut qu'il ait senti quelque chose – ils sont très coriaces, n'est-ce pas, forcément: des gens surmenés, très infatués d'eux-mêmes naturellement, et convaincus qu'ils savent tout et qu'ils peuvent tout (malheureusement ils peuvent beaucoup), et alors toute la vie s'organise pour empêcher toute réceptivité intérieure.

Mais le bain, il l’a eu!

Il venait pour deux, trois minutes – il est resté quinze minutes.

Moi, je n'ai rien dit. Il y avait quelqu'un d'autre là, qui a parlé. Et à peu près vers la fin, on voyait (je lui avais mis un fauteuil confortable), on voyait qu'il voulait se tirer de son fauteuil d'un air de dire: Now I must go [maintenant il faut que je m'en aille]. Alors je lui ai simplement dit ceci: You need a little rest [vous avez besoin d'un peu de repos] – tu aurais dû voir la figure de cet homme: imédiatement, tout s'est détendu. Pendant tout le temps, il avait ses doigts qui bougeaient comme ça (Mère tambourine les bras du fauteuil), deux doigts de la main qui bougeaient pendant tout le temps, quoique je lui mettais tout le temps la Paix et la Tranquillité, mais tout le temps les doigts bougeaient, parce qu'il avait tout le temps une activité intérieure. Et quand je lui ai dit ça, quelque chose s'est détendu dans la figure, et les doigts se sont arrêtés. Mais il était très tard et les autres attendaient, alors au bout d'un petit moment, je l’ai laissé partir. Mais c'était intéressant: simplement je lui ai dit: You need a little rest – tout s'est arrêté.

Mais mentalement, n'est-ce pas... (Mère fait un geste complètement bouché). Il y a un prince du Cachemire qui était venu ici, un tout jeune homme;3 il est allé en Angleterre et il a fait une thèse là-bas sur la vie politique de Sri Aurobindo: Sri Aurobindo, Prophet of Indian Nationalism [Sri Aurobindo, prophète du nationalisme indien], avec une préface de Jawaharlal Nehru. J'ai lu cette préface, mais je l’ai lue après, le lendemain du jour où j'ai vu Nehru – c'est affreux! Comprend rien, il ne comprend rien-rien-rien, absolument bouché. C'est très aimable, mais enfin c'est de quelqu'un qui ne comprend rien... Je vais te dire le fait: entre ma première et ma deuxième visite ici, pendant que j'étais au Japon et que Gandhi commençait sa campagne,4 il a envoyé un télégramme, puis un messager ici, à Sri Aurobindo, pour lui demander d'être président du Congrès – à quoi Sri Aurobindo a répondu «Non».

Ces gens-là ne lui ont jamais pardonné.

Oui, il n'a jamais compris pourquoi Sri Aurobindo ne reprenait pas la vie politique.

Non. Et puis, n'est-ce pas, il prend l’ascétisme de Gandhi pour la vie spirituelle – c'est toujours cette même erreur! Et il n'y a pas moyen de les en sortir. Malheureusement, le monde entier est dans la même idée.

Et quand il y a eu cette affaire Cripps,5 je crois que c'est Nehru (ou Gandhi, je ne sais lequel des deux) qui a dit: «Il s'est retiré de la vie politique, de quoi se mêle-t-il! Ça. ne le regarde pas.» – Ils ne lui ont jamais pardonné. C'est-à-dire tout à fait bouchés, impossible de comprendre qu'on peut avoir une connaissance plus haute que la connaissance pratique.

Voilà.

Tu crois qu'il y a de nouvelles menaces sur l’Inde?

Les Chinois?... Je ne sais pas. Ils en parlent beaucoup.

En tout cas, X avait annoncé que ce serait pour le mois d'avril – il n'est rien arrivé!

C'est venu il y a quelques jours, j'ai recommencé à penser à «là-bas». Alors j'ai regardé, j'ai dit: «Mais le mois d'avril est passé?» C'était juste ces jours-ci – peut-être qu'ils préparent quelque chose, je ne sais pas.

Mais les Chinois sont assez réceptifs, malgré leur communisme. Ils sont réceptifs à une idée de bonne volonté humaine, c'est-à-dire qu'ils pensent que leur organisation politique est la meilleure au point de vue humain, et*alors ils voudraient que tout le monde l’adopte – il y a une sincérité dans leur conviction, ils croient que c'est la meilleure façon de vivre. Ils ne sont pas tout à fait de mauvaise volonté. Et ils sont très intelligents.

En tout cas, ils pouvaient faire ce qu'ils voulaient (en octobre dernier, aux frontières sans défense de l’Inde) et ils n'ont rien fait.

Oui, c'était extraordinaire!

(Mère sourit) Pas tout à fait extraordinaire. Mais ça prouve en tout cas une réceptivité.

Ils aimeraient mieux avoir une domination mentale et politique que faire la guerre. Tu comprends, ils ne tiennent pas à massacrer les gens.

Et il paraît (c'est ce que j'ai entendu dire, je ne sais pas) que tous les prisonniers (ils ont fait des tas de prisonniers – malheureusement beaucoup de prisonniers parmi les Indiens – et la plupart ont été relâchés), ils ont tous dit qu'ils avaient été traités admirablement. Je l’ai entendu de beaucoup de côtés.

Et, n'est-ce pas, Nehru (c'est ce que Pavitra m'a dit hier: il est allé entendre le discours de Nehru à la mairie), Nehru est un démocrate socialiste convaincu qui croit que l’organisation idéale pour l’humanité, c'est qu'au lieu d'une «élite» seulement qui puisse progresser, la masse tout entière doit progresser (comme si elle le voulait!... mais enfin). C'est une idée – chacun ses idées. Et alors il paraît que quand les Chinois ont attaqué, ça a été un coup violent pour sa conviction: il lui paraissait impossible que les Chinois en viennent là (!) Il a été beaucoup-beaucoup touché.

Naturellement, ils voient les choses pas plus loin que le bout de leur nez, et puis ils sont étonnés que les circonstances (riant) ne soient pas d'accord!

Mais EXTÉRIEUREMENT, il n'y a rien à faire (pour agir sur Nehru et les politiciens). C'est seulement assis dans son fauteuil, très tranquille, que l’on peut faire quelque chose – à condition qu'il n'y ait pas trop de gens qui sachent que vous faites quelque chose (!)

Voilà.

l’autre jour, j'avais fait venir S.M en même temps que Nehru (un ami qui a sa confiance) et c'est S.M qui lui a parlé. Et j'ai vu que s'il avait été très silencieux, si je n'avais rien dit et que l’autre soit resté assis dans son fauteuil sans rien entendre, il n'aurait pas pu rester! Il serait parti. C'aurait été trop fort, il n'aurait pas pu rester. Tandis qu'en écoutant S.M, il ne faisait pas attention et je pouvais lentement-lentement faire mon travail. C'est-à-dire que ça ne peut se faire que d'une façon TOUT À FAIT détournée, tout à fait.

Après son départ, il y a eu comme une invasion... une invasion tout à fait inattendue (la suite de Nehru). Quand j'ai vu ça, je me suis dit: «Tiens! c'est comme cela que je suis protégée!» Si parmi ces gens, quelqu'un avait une mauvaise intention, il aurait passé comme une lettre à la poste! Une invasion de tout le gouvernement de Pondichéry: les conseillers. C'était comme une ruée de... je ne sais pas, si je dis «une mer démontée», je leur fais un compliment! J'hésitais, j'allais dire «un troupeau», mais le troupeau n'a pas le scepticisme vulgaire de ces gens; le troupeau est d'une inconscience bienveillante, tandis que ceux-ci sont inconscients mais malveillants.

Et je ne les connaissais pas (je les connais, mais je ne les connais pas!) mais je savais qui c'était rien qu'à la façon dont la figure a réagi à l’atmosphère de l’endroit! C'était très amusant. Deux particulièrement, quand ils sont entrés, j'ai dit: «Tiens! ce doit être celui-là», et puis l’autre: «Tiens! c'est sûrement celui-là», juste à la façon dont la figure a réagi – la crispation des traits pour entrer dans le bain! Mais il y a eu dans toute cette foule un homme, un grand gaillard, qui était habillé en costume militaire – un seul –, la figure s'est... (comment dire?) est-ce qu'on peut dire «dignifiée»? Ce n'est pas un mot français, mais c'est ça. Tout d'un coup, il y a eu une dignité sur sa figure. C'était le chef de la police de Madras (!)

C'est le seul.

Je me demande pourquoi on a laissé monter cette troupe, on n'aurait pas dû te laisser...

Je te dis, je suis à la merci de n'importe quoi! Il faudrait que les gens préviennent qu'ils sont de mauvaise volonté pour qu'on les empêche de monter!

Mais enfin, des gens comme G sont des bandits notoires!

Oui, c'est G que j'ai reconnu. G et D, ce sont les deux que j'ai reconnus. J'ai dit: «Tiens! ça c'est G», et l’autre: «Tiens, ce doit être D», simplement avec ce qui est arrivé sur leur figure!

Non, mais tu n'imagines pas! C'était une ruée!6 Ils étaient vingt en même temps. Je me suis dit: «Tiens, physiquement je ne suis pas protégée.» À moins qu'un assassin vienne, disant: «J'ai l’intention d'assassiner», (riant) on ne l’empêcherait pas de monter!

Nolini s'est senti un peu confus; il m'a dit: «Je voulais empêcher quelqu'un de passer, et il m'a poussé de côté en me disant: «Moi aussi, je suis un Ministre»!! (rires)

Ah! ils sont ridicules... Quelle foire!


(Au moment de partir)

Il n'y a pas quelque chose que tu aimerais manger, non?

Non, douce Mère, j'ai vraiment tout ce qu'il me faut.

Tu crois?

Tout-tout-tout.

Excepté un peu de remplissage!... C'est vrai qu'il fait chaud pour manger. Tu as chaud?

Ah! oui. Mais enfin on a l’habitude.

C'est une chose admirable! Je rends grâce au Seigneur: je ne sens plus ni chaud ni froid ni rien. Mais je vois que les gens souffrent de la chaleur.

Je souffre quand j'écris. Quand j'écris, je brûle. Je brûle! Mon corps vraiment brûle. Quand j'ai écrit ce livre sur Sri Aurobindo, j'ai été épuisé – ça me brûle, tu comprends, je flambe! Alors je suis couvert de sel: je ne transpire pas mais je deviens tout salé!

Non, toi, tu es vraiment un homme d'Occident.

Hem...

Non, c'est vrai, on est construit normalement pour l’endroit où l’on doit vivre, mais moi, je ne me suis sentie à l’aise qu'ici. Jusqu'à trente ans, toute mon enfance et ma jeunesse, j'ai toujours eu froid – toujours eu froid. Pourtant, je patinais, je faisais des exercices, je menais une vie très active – mais froid, terriblement froid! l’impression qu'il me manquait le soleil. Et quand je suis venue ici: «Ah, enfin! (Mère respire) me voilà à mon aise.» Et la première année que je suis venue ici, que j'apportais toute cette accumulation de froid dans mon corps, en plein été, en cette saison-ci, je me promenais avec un costume tailleur de laine! Une jupe, un corsage et un manteau. Les gens me regardaient... Je ne le remarquais pas: c'était mon costume naturel.

Et quand je suis repartie, j'ai pris le bateau (il n'y avait pas de voyages en avion de ce temps-là), et quand je suis arrivée au milieu de la Méditerranée, je suis tombée malade – de froid! dans la Méditerranée. Alors vraiment j'avais été bâtie pour le travail ici, (riant) c'était prévu!7

Mais cette sensation de brûlure, on doit pouvoir faire quelque chose, non?

Oh! tant que je n'écris pas, ça ne fait rien – je pense que je ne vais pas écrire tout le temps des livres!?

La prochaine fois, je te donnerai une bouteille de friction. Avant d'écrire, tu te frictionnes! (rires) Ça garde frais.

19 juin 1963

En ce moment, il y a une période vraiment difficile.

Toute la nuit dernière...

Ce sont des activités qui se passent dans une demi-obscurité, que les gens de l’endroit – des gens qui sont ici, à l’Ashram – considèrent comme la lumière... et où chacun poursuit son activité avec son idée propre et ce qu'il considère être sa «connaissance»; et tout se passe dans une demi-obscurité, une grande confusion et une... n'est-ce pas, une sensation d'impuissance tout à fait oppressante. Ça a duré pendant des heures. Finalement, je voulais absolument – je voulais sortir de là-dedans, à tout prix, et me trouver, justement, dans la Lumière, avec un chemin libre. Et c'était littéralement impossible: tous les chemins que je prenais pour sortir, tout d'un coup s'effondraient, ou ils disparaissaient comme s'ils étaient engloutis dans un mur ou dans une complexité de choses incohérentes, ou bien ça s'arrêtait abruptement et ça tombait à pic à une.grande profondeur... Je me souviens d'un de ces endroits, je voulais absolument passer et m'en aller, puis je suis arrivée, c'était un gouffre à pic, et je me disais: «Comment vais-je faire?» Et à ce moment-là, j'ai vu un homme, je ne sais pas qui c'était mais il était costumé (c'était symbolique) comme un alpiniste, avec tout l’attirail de l’alpiniste pour descendre les parois à pic, et à l’aide de son piolet, il s'accrochait et il descendait; alors j'ai dit: «Ça, c'est PRÉTENDRE faire, mais ce n'est pas faire.» Et j'étais à me concentrer là, et comme je me concentrais, j'ai pu passer subitement par un chemin, sur une terrasse.

J'étais accompagnée de trois ou quatre personnes (mais ce sont des personnes symboliques). Et tout ça se passait dans une demi-nuit, et le dehors, c'était la nuit totale. Mais quand je suis arrivée sur la terrasse, il y avait comme une de ces grandes lampes électriques dans la rue, qui s'est allumée avec une lumière blanche (ça faisait la demi-lumière d'une lampe électrique dans la nuit: ce n'est rien). Et c'était une très longue terrasse, mais le vide de tous les côtés: il n'y avait aucun moyen de passer; au bout, c'était bouché par une sorte de maison, et des deux côtés, ça descendait à pic dans un trou noir. Et alors cette impression d'impuissance, de ne pas savoir – ne pas savoir où aller, ne pas savoir que faire, c'était... Et c'est l’ÉTAT ORDINAIRE DE LA CONSCIENCE HUMAINE – la conscience de l’activité humaine. Mais dans ma conscience (parce que j'étais enfermée là-dedans), c'était vraiment... c'était presque comme un supplice la nuit dernière; c'était effroyable.

Et je me disais à moi-même: «Mais comment faut-il faire pour sortir de là?» Et je me concentrais et je reprenais conscience de la Présence divine, mais il y avait quelque chose qui me disait: «Rien ne répond, ce n'est pas efficace.» C'était horrible. «Rien ne répond, ce n'est pas efficace; ce n'est pas efficace, ça ne peut pas changer, rien ne répond; rien ne répond, ce n'est pas efficace.» Et j'étais là avec deux ou trois personnes. Je me suis assise (il y avait des chambres qui étaient plus hautes que les autres et qui faisaient une espèce de dénivellement sur les terrasses), j'étais assise sur un rebord et j'étais en train de réfléchir intensément au-dedans: «Quoi faire, quoi faire, comment faire, quoi faire? Quel est le levier?» Je cherchais le levier pour changer ça. Et je n'arrivais pas à trouver. Tout d'un coup, de la chambre tout au fond, est sorti un petit vieux, qui était tout vieux, qui donnait l’impression d'un attachement aux vieilles choses; mais tout de même (il était tout bleu), tout de même quand il est arrivé (ce doit être le symbole d'une vieille méthode ou d'une vieille discipline), j'ai dit: «Ah! maintenant que vous venez, savez-vous par où on sort d'ici? Par où est-ce qu'on peut être libéré, par où est-ce qu'on sort?» Alors il s'est mis à rire: «Non-non! il n'y a pas moyen, il n'y a pas moyen, il faut se contenter de ce que l’on a.» Puis il a regardé cette pauvre lampe qui était allumée là-haut, qui éclairait à peine, et il a dit (Mère prend un ton grandiloquent): «Mais d'abord, je suis venu vous dire qu'il faut éteindre ce soleil! Je ne veux pas de ce soleil éblouissant ici.» Ah!... j'ai dit: «Ah! il appelle ça, le soleil!» J'étais tellement dégoûtée que ça m'a réveillée finalement. Quelque chose m'a sortie brusquement. Mais avec l’impression tellement forte – tellement forte – que je suis rentrée dans une angoisse: «Qu'est-ce qu'on peut faire pour changer ça?» Le MOYEN, n'est-ce pas, le moyen n'est pas suffisant – ce n'est pas suffisant. C'était ça, c'était l’angoisse: «Mon expérience à moi, ce n'est pas suffisant, ça n'agit pas LÀ, quoi faire? quoi faire? qu'est-ce qu'on peut faire?» Et alors, pendant des heures ce matin, j'étais comme cela: «Qu'est-ce qu'il faut, qu'est-ce qu'il faut, qu'est-ce qu'il faut pour changer cette obscurité en lumière?»

Ce n'était pas gai.

Et je ne te donne pas tous les détails, mais il y avait tous les gens avec tous leurs plans, toutes leurs idées, et il y en avait qui arrivaient (ce que je viens de dire, c'était tout à fait la fin, mais avant cela beaucoup de gens étaient venus) et ils disaient: «Oh! maintenant, j'ai admirablement organisé ça!» Et puis un autre arrivait avec un autre plan, et puis ils discutaient entre eux, et puis... enfin c'était toute la vie, quoi! tout un domaine mental de la vie.

Et mon expérience ne TOUCHAIT PAS là; il n'y avait pas de contact, j'étais impuissante. Et le peu de lumière qui s'allumait par ma présence et que l’on considérait comme un soleil éblouissant, c'était pour moi un de ces lumignons de la rue... C'était pénible.

Et je me disais: «Comment? Pourquoi est-ce que je ne suis pas heureuse et tranquille, même ici?» Et quelque chose disait: «C'est parce que je veux changer ça.» Si je l’acceptais, je ne m'en apercevrais même pas, mais c'est parce que je veux changer cette obscurité. Et alors... alors il n'y aura la joie que quand on aura TROUVÉ – et comment trouver?... Tous les moyens que j'emploie pour le yoga et la transformation, tout ça était inutile-inutile-inutile, ça n'agit pas, ça n'agit pas, ça n'a pas d'effet, ça n'a pas d'effet... Je n'ai jamais vu un endroit aussi peu réceptif! Pas d'effet, pas du tout d'effet. Et tout le monde TRÈS content de ce qu'il savait!

C'est un domaine mental évidemment. Un subconscient mental. Mais c'est horrible. C'est horrible.

Et alors le matin, je me suis demandé: «Quoi? Est-ce qu'il y en a encore beaucoup comme ça?» – Un monde! un monde, une quantité de choses. Et alors cette impuissance où on est; c'est-à-dire qu'à moins qu'on ne me donne la clef, rien à faire. Cette espèce de petit vieux, oh! j'étais presque en colère (je ne peux pas être en colère, mais j'étais presque en colère et c'est ça qui m'a réveillée), j'étais indignée. «Aah! aah! (Mère prend le ton grinçant du petit vieux) vous voulez sortir d'ici?! Mais on ne sort pas d'ici! mais pourquoi sortir d'ici?... Il n'y a pas moyen d'en sortir, vous voyez bien qu'on ne sort pas d'ici – mais pourquoi voulez-vous sortir!?... Et moi, je viens vous dire, je suis venu seulement pour vous dire: «Il faut éteindre ce soleil! vous savez, ce soleil éblouissant.»

Voilà.

Ça, ce sont mes nuits.

Et alors, on a l’impression que des siècles, il faut des siècles pour que ça puisse changer! – ou une catastrophe.

Et encore, une catastrophe... (Mère hoche la tête négativement), ça secoue, et puis tout retombe au fond.

(silence)

Et je cherchais toujours à descendre.

Ce doit être pour entrer dans des profondeurs subconscientes et inconscientes. C'est toujours pour ça qu'il y a des difficultés – un trou.

Je n'ai pas encore essayé de sauter. Jusqu'à présent jamais rien ne m'a poussé à sauter – il m'est arrivé plusieurs fois de trouver un moyen inattendu, mais il n'y a jamais eu l’impulsion: «Tant pis, je me jette.»

Je ne sais pas pourquoi.

(long silence)

Ça devient de plus en plus positif – positif. Et comme si le problème devenait de plus en plus proche, serré, écrasant.

(long silence)

Il est tout à fait évident que les gens peuvent vivre, que les hommes peuvent exister et vivre parce Qu'ils sont inconscients. Que s'ils étaient conscients, vraiment conscients de l’état dans lequel ils se trouvent, ce serait intolérable. Et je vois qu'il y a une période très difficile quand on passe de cette inconscience (cette inconscience de l’habitude d'être comme cela) à une vision de conscience de l’état dans lequel on se trouve; quand on devient tout à fait conscient de ce que sont les choses – ce que l’on est et dans quelle condition on est –, et qu'on n'a pas encore le pouvoir d'en sortir, comme cette nuit, c'est presque intolérable. Et alors il y avait cette conscience si claire, tout à fait précise, que ce n'est pas une question de vie ou de mort: ça ne dépend pas de cette espèce de chose-là, qui au fond ne change presque rien excepté une apparence tout à fait* superficielle – ce n'est pas ça! N'est-ce pas, les hommes qui sont malheureux se disent: «Ah! un jour viendra où je mourrai et ce sera fini des difficultés» – ce sont des serins! Ce ne sera pas fini du tout, ça continuera. Et ça continuera jusqu'au moment où ils sortiront pour de bon, c'est-à-dire qu'ils sortiront de l’Ignorance dans la Connaissance. Et c'est la seule sortie: c'est sortir de l’Ignorance dans la Connaissance. Et on peut mourir mille fois, ça ne vous fait pas sortir, ça ne sert à rien du tout – on continue. Au contraire, quelquefois ça vous enfonce encore plus profond.

C'est ça.

Et si on sait ça trop tôt, il y a quelque chose qui est... intolérable, intolérable. Il y a une minute où c'est vraiment intolérable. S'il n'y avait pas la réponse de la foi intérieure, que ça finira, qu'on sortira...

Ce doit être un levier d'une puissance formidable.

Je suppose que les gens qui n'ont pas la tête solide doivent déménager. Mais il y a vraiment une Grâce remarquable parce que les expériences sont tout à fait dosées selon la capacité des gens. Mais j'ai eu une heure ce matin... c'était une heure tout à fait consciente, tout à fait consciente et consciente d'une seule chose: de ça, de l’impuissance – l’impuissance à sortir de l’Ignorance. La volonté de sortir de l’Ignorance et l’impuissance à en sortir. Ça a duré une heure de tension comme cela.

Quand je me suis réveillée, la tension était telle que la tête était comme une bouilloire; et alors, imédiatement, j'ai dit: «Seigneur, c'est Ton affaire, ce n'est pas la mienne; ça ne me regarde pas.» Et naturellement, tout s'est calmé, instantanément.

Mais ceux qui n'ont pas cette expérience (ce n'est pas une question de mots: c'est une question d'expérience), ceux qui n'ont pas cette expérience, s'ils avaient cette semi-connaissance, cette connaissance qu'on est dans l’Ignorance; qu'on est dans l’Ignorance et qu'il y a une sorte d'incapacité à en sortir – «Il n'y a pas de chemin pour en sortir, il n'y a pas moyen d'en sortir» –, et que la sagesse humaine est comme ce petit vieux qui vient dire: «Mais pourquoi voulez-vous en sortir? Pourquoi voulez-vous – c'est comme ça, c'est comme ça...» C'est épouvantable. J'avais l’impression, tu sais, comme quand on concentre des forces pour un éclatement, comme dans leurs bombes; c'était tout à fait comme cela; c'était tellement concentré, tellement formidable qu'on avait l’impression que tout allait éclater. C'est même au point qu'il serait vraiment impossible pour l’humanité de vivre sachant dans quel état elle est, si, en même temps, il n'y avait pas la clef pour en sortir (qui n'est pas encore trouvée), ou cette assurance qu'on en sortira.

Je ne parle pas des choses du mental supérieur parce qu'on a trouvé la clef pour en sortir, depuis longtemps: je parle d'en bas, du monde matériel – le monde matériel. C'est pour ça que tous ces gens, comme le vieux de cette nuit, s'en vont ailleurs – ça leur est égal, qu'est-ce que ça peut faire! «Pourquoi voulez-vous changer ça?... Mais n'essayez pas d'éclairer ici, ce n'est pas la peine et puis ça dérange. Laissez cette Ignorance tranquille.»

C'est très clairement symbolique. Mais c'est une angoisse effroyable, difficile à supporter.

Et c'est pour cela qu'ils ont tous dit: «S'en aller, s'en aller, s'en aller – laissez tout ça, ne vous en occupez plus, on n'en sort pas.»

(silence)

C'est ce travail dans le mental physique dont on avait parlé l’autre jour – mental matériel.

(silence)

Et c'était très curieux parce que j'étais tout le temps dans cet état où je me disais: «Il faut trouver, il faut trouver, il y a quelque chose à trouver...» Et j'essayais d'entrer en rapport avec les expériences des êtres supérieurs,1 mais ça ne touchait pas – ça ne touchait pas, pas de contact. Et alors, quand j'ai vu arriver ce vieux (je savais parfaitement qu'il ne pouvait absolument rien, mais je me disais: «Il faut demander, il faut demander tout de même, il faudra demander»), je lui ai demandé – quoique je savais parfaitement qu'il ne pouvait pas me donner la clef. Il y avait cette double chose: savoir que tout ce qui se passe là2 ne sert à rien-rien-rien, ce n'est pas là qu'on trouve la solution; et pourtant il ne faut rien négliger, rien omettre, il faut tout-tout essayer. Tout essayer.

(silence)

Et je suis partie comme ça (geste, comme si Mère sortait brusquement de l’expérience par un mouvement en arrière et vers le haut). Comment expliquer?... Je cherchais mon chemin en allant vers le bas, trouver une sortie par le bas, et c'est ça que je ne trouvais pas. Et quand ce vieux est arrivé, il y a une petite personne qui était avec moi... qui très gentiment est allée éteindre la lumière! (selon les ordres du vieux.) Et alors, moi, au-dedans de moi, j'ai senti: «Je ne peux pas le supporter, je ne peux pas voir qu'on éteigne cette lumière – cette lumière qui s'est allumée quand je suis venue –, je ne peux pas supporter ça!» Et je suis partie subitement comme ça (même geste de retrait en arrière et vers le haut), et imédiatement je me suis retrouvée dans mon lit.

Tandis que le chemin que je cherche est toujours descendant-descendant-descendant – ce n'est jamais pour monter. C'est toujours en descendant-descendant-descendant.

Ah!... quand ce sera fini... je ne sais pas.

(silence)

Tous les détails sont clairs – ce serait un livre à écrire. Chacun maintenant a sa place et son sens.3 Et ils sont tous si contents, si contents! et si, si par-fai-te-ment ignorants de la condition dans laquelle ils sont. Et je ne parle pas de gens qui ne savent rien: tous ceux qui étaient là cette nuit étaient des gens pleins de philosophie, de connaissance, d'«expériences spirituelles» et tout ce qui s'en suit – c'est la crème.

l’élite de l’humanité...

22 juin 1963

J'ai eu une expérience assez amusante en marchant (pendant le japa). Je regardais l’attitude des gens (je parle de ceux qui pensent mener une vie spirituelle, qui pensent avoir fait un surrender1), et à quel point ils sont vexés quand les choses n'arrivent pas comme ils le veulent! (Ils ne se l’avouent pas toujours, ils ne se le disent pas toujours, mais c'est comme ça.) Et alors, tout d'un coup, j'ai vu un immense robot – immense, n'est-ce pas, magnifique, splendide, avec de l’or et des bijoux –, un être immense... mais c'était un robot. Et alors tout-puissant – tout-puissant, il pouvait tout faire, tout; tout ce que l’on pouvait imaginer, il pouvait le faire: il n'y avait qu'à presser un bouton et il le faisait. Et c'était... (riant), c'était comme si le Seigneur me disait: «Tu vois, voilà ce que je suis pour eux!»

Je ne pouvais pas raconter ça tel quel, mais j'ai écrit une note. Il disait: «Tu vois, c'est ça que je suis pour eux.» Alors j'ai écrit

(Mère lit):

Puis je l’ai écrit en anglais (s'il y a un «trou» dans le Bulletin, je le mettrai!):

«Le Seigneur n'est pas un automate tout-puissant que les êtres humains peuvent mouvoir par le déclic de leur volonté. Et pourtant l’immense majorité de ceux qui lui font leur soumission attendent cela de Dieu.»

C'est très amusant!

... the push-button of their will – and yet most of those who surrender to God expect that from Him.

J'ai lu ça à Pavitra, il m'a dit: «Mais tout de même, c'est un peu comme ça!» Il n'a pas tout à fait compris (Mère rit).


(Mère reparle de la précédente conversation quand Elle cherchait un passage «par le bas» et qu'Elle est brusquement sortie de l’expérience «par le haut»:)

Pour être complet, il faudrait dire qu'on a la connaissance (pas la connaissance: on sait, c'est une certitude) que tous les chemins qui vont vers le haut sont ouverts, parcourus, et on y va comme on veut, quand on veut. C'est ça, c'est pour cela. Et lorsque j'ai voulu sortir de l’expérience, c'était aller en haut, voilà tout. Ce n'est pas que ce soit fermé, c'est que, au contraire, c'est parcouru, c'est connu – mais ça ne suffit pas. Il faut la correspondance en bas.

(silence)

On a trouvé et pratiqué tous les moyens pour en sortir. Mais c'est pour en sortir individuellement, ou en haut – on n'a jamais trouvé comment changer, comment faire pour que ce ne soit plus.

Parce que cela ne peut cesser que pour être autre chose.

Et pour que ça devienne autre chose, il faut qu'il y ait ce ferment de transformation.

Il y a une période (et une période qui au point de vue humain peut paraître longue, mais qui certainement peut...), une période de transition qui doit commencer d'abord par la perception de ce que ça doit être, puis l’aspiration, la volonté de le devenir, et puis le travail de transformation.

Et où en est-on de ce travail de transformation?...

(silence)

Sri Aurobindo est venu avec la notion, ou l’Ordre, ou la conviction que c'était actuel. Mais dans quelle mesure la transformation est-elle actuelle? Et qu'est-ce que c'est que «actuel»? Sur combien de temps ça s'étend?...

Il y a une telle certitude – une telle certitude que c’est déjà comme cela, mais vu par l’autre bout. Par ce bout-ci... Quand c'est vu à la mesure de ce que sont les hommes et les événements terrestres, combien de temps ça prendra? Je ne sais pas. Et où en est-on de ce parcours, à quel degré? Je ne sais pas.

Et il est de toute évidence que les certitudes telles que nous les concevons, c'est-à-dire que quelqu'un qui sait (et le quelqu'un qui sait ne peut être que le Suprême) vous dise clairement: «Voilà où tu en es», mais avec votre façon de voir, (Mère rit) ça ne paraît pas être dans les possibilités! Probablement il est tout à fait idiot de demander cela.

On sent un peu que c'est idiot, mais on en sent souvent le besoin! (rires) C'est idiot mais...

Ce n'est pas beaucoup, ce n'est pas une grande partie de l’être qui veut savoir. C'est quand le corps se sent tout à fait... bizarre, pas du tout, pas du tout comme il était avant, et pas du tout comme il conçoit devoir être. Une période de transition vraiment pas satisfaisante en ce sens qu'on ne se sent pas la force qu'on avait, la capacité qu'on avait, et on ne se sent pas du tout le Pouvoir et les capacités que l’on prévoit – on est à mi-chemin, ni comme ceci ni comme cela. Avec des choses absolument ahurissantes; de temps en temps, des choses qui vous font écarquiller les yeux: «Aah! c'est comme ça!» Et puis, en même temps, des limitations si lassantes, si lassantes...

C'est ça (qui est tout à fait enfantin) qui a besoin d'un peu d'encouragement: «Allons, ne te fais pas de souci, tu es sur le chemin.» Mais c'est de l’enfantillage. Il n'y a qu'à rester tranquille et à continuer, sans se tourmenter.

Il y a quelque part une espèce de capacité de discernement aigu, qui peut tourner très facilement au censeur (ça reste encore; probablement c'est utile), et c'est ça qui demande des certitudes. La majeure partie de l’être dit: «Ce n'est pas mon affaire. Je suis ici parce que Tu veux que je sois ici. Si Tu ne voulais pas que je sois ici, je n'y serais pas.» Il n'y a rien qui ressemble à un attachement ou à un désir (depuis fort longtemps! mais maintenant c'est arrivé à une espèce de condition presque cellulaire). «Et puisque Tu me tiens ici, c'est que j'y fais quelque chose, et puisque j'y fais quelque chose, c'est tout ce qu'il faut, et c'est pour ça que Tu me tiens ici...» Ça tourne en rond, n'est-ce pas.

Combien de temps ça durera? – Ça ne me regarde pas. Peut-être quelque chose serait-il un peu... effrayé si on lui disait le temps que ça va prendre (on ne sait pas, on ne sait pas quelles sont les réactions). Par conséquent, il vaut mieux rester tranquille. Mais ce n'est pas intéressant. Il n'y a rien qui puisse faire de la littérature intéressante – rien-rien du tout... du tout, du tout.

Patience.

26 juin 1963

(À propos du yantram tantrique du disciple)

J'ai fait justement cette expérience: écrire la lettre ÔM. Quand on en arrive au quatrième, cinquième, sixième, ça devient épatant!

Je voulais savoir pourquoi on t'avait dit de faire ce travail et qu'est-ce qu'on pouvait en tirer? Alors je me suis assise à écrire ton yantram, et c'était devenu très vivant, je le voyais devant moi – je le voyais tout le temps. Je me suis dit: «Mais alors, LE FAIT D'ÉCRIRE doit avoir un effet.» Et je me suis mise à écrire ÔM, avec soin... Eh bien, quand j'en étais au quatrième, cinquième, ça a commencé à être épatant – épatant, comme s'il y avait une vibration qui se créait comme cela. Ça a un pouvoir comme cela, extérieur. Et alors, c'était très amusant (le corps est comme un enfant – il est comme un enfant), et tout d'un coup il a dit: «Oh! quel jeu magnifique! être là à écrire, oh! comme c'est amusant! Si j'avais le temps, comme je m'amuserais à écrire-écrire, beaucoup-beaucoup-beaucoup de fois.» Je l’ai vu dans le corps – dans les cellules du corps. Alors j'ai compris.

Au fond, ce sont presque des moyens pour les enfants (les enfants au point de vue spirituel), les jeunes âmes – les âmes-enfants. Ce sont des moyens pour âmes-enfants.

Il y avait un temps où j'écrivais comme cela couramment tout le japa, en sanscrit,1 maintenant j'ai tout oublié de nouveau.

(Puis Mère se met à écrire le yantram du disciple, avec les neuf chiffres, dans l’ordre prescrit, de mémoire. Quelques jours plus tôt, Elle avait fait la même chose sans une erreur; aujourd'hui Elle s'arrête au milieu:)

Impossible de se souvenir de quoi que ce soit de la façon ordinaire (je n'essaye pas d'ailleurs). Mais les choses dont je dois me souvenir viennent spontanément: elles deviennent vivantes et présentes, avec une réalité.

Juste maintenant, quand je voulais me rappeler, tout d'un coup je me suis mise à «penser» – j'ai pensé que tu étais là et que... Tout est parti, je n'ai plus rien su!

26 juin 1963

(Lettre de Sujata à Mère)

Mercredi

Petite Mère,

J'ai eu un rêve cet après-midi. Je l’ai raconté à Satprem qui me dit de te l’écrire.
Je me trouvais sur les marches d'un escalier qui ressemblait à celui de la salle de méditation. Il y avait deux jeunes filles de l’Ashram, d'environ 16-17 ans, qui attendaient. Elles devaient monter voir «mère». Quand j'ai entendu cela, j'étais remplie d'un sentiment de grand danger. Parce que je savais que Toi, Tu n'étais pas là. Alors j'ai commencé à donner des instructions à ces deux filles, que je connaissais d'ailleurs, surtout une. Je ne me souviens plus ce que je disais mais que c'était une question de volonté – de vie et de mort. La fille qui me connaissait bien m'a promis de faire ce que je lui ai dit, l’autre n'avait pas l’air de comprendre et le temps pressait. En fait, à peine la première a-t-elle eu le temps de comprendre, que la porte s'ouvrait et la «mère» était là pour nous recevoir. J'ai pu avoir un aperçu d'elle. Elle était plus petite que Toi en taille, mais la figure ressemblait à la tienne, mais pas le regard. Et puis elle était toute couverte de taches rondes noires (pas noir-noir mais noir brunâtre). Autrement elle était blanche.

Après cet aperçu, j'ai fait demi-tour parce que, Petite Mère, je sentais que si, une fois, cette fausse Mère m'avait entre ses mains, là, je ne sortirais plus vivante. Tandis que si je pouvais sortir de cet endroit, peut-être que j'arriverais à sauver la vie d'une des filles au moins. Donc, avant qu'on s'aperçoive de mon absence, j'ai commencé à descendre. l’escalier est devenu étroit. La porte est fermée et un gardien, sombre, est là. Il est étonné de me voir et ne veut pas me laisser passer. J'insiste pour qu'il ouvre la porte. Il me demande si j'ai vu «la Mère». Je réponds que oui. Il a l’air de douter. J'ajoute qu'elle est pleine de taches noires. Il est obligé de me laisser passer mais pense que peut-être le deuxième gardien plus loin m'arrêtera. Je descends, je vois le deuxième gardien mais je prends un autre chemin, et puis c'est plein de portes fermées et j'ouvre des portes qui, d'après eux, ne pouvaient pas être ouvertes par moi. Et finalement je me trouve dans une cour, avec la dernière porte fermée derrière moi. Il fallait encore que je traverse la cour sans être vue et que je franchisse les hauts murs qui entouraient la maison. À ce moment-là, j'ai été réveillée par des domestiques avant de savoir si j'ai pu sortir ou pas.

Avec mes pranams à tes pieds.

Ton enfant qui t'aime,

Signé: Sujata

29 juin 1963

(Mère regarde une collection d'anciens «Entretiens» et tombe par hasard sur la question suivante, à laquelle Elle répond aussitôt:)

«Pourquoi l’univers n'est-il pas un lieu de béatitude parfaite?»1

Parce qu'il est progressif. Il n'y a pas d'autre raison.


(Puis Mère parle du nouveau pape, Paul VI, qui vient d'être élu il y a quelques jours:)

Sri Aurobindo semble s'être intéressé à la succession du pape... parce que, il y a deux nuits (ce n'était pas la nuit: c'était à quatre heures du matin), j'étais avec lui – je suis restée avec lui une demi-heure (une demi-heure de NOTRE temps, ce qui est très long), et il était juste revenu d'un «tour», et spécialement d'Italie. Nous ne parlions pas de cela directement, mais il y avait des gens (il y avait toutes sortes de choses, beaucoup de choses), et d'après les réflexions qu'il faisait à celui-ci ou celui-là, ou à propos de ceci ou de cela, j'ai su qu'il revenait d'Italie et qu'il avait été là pour la nomination du nouveau pape. Et il a dit à peu près ceci, que c'était «le mieux que l’on pouvait faire dans les circonstances actuelles.» C'est-à-dire qu'il paraissait plutôt satisfait.

Je t'avais dit, n'est-ce pas, que j'avais vu la mort du pape [Jean XXIII], sans savoir même qu'il était malade?... Tout d'un coup, une nuit, j'ai vu dans l’atmosphère mentale TERRESTRE un mouvement assez formidable, c'est-à-dire assez terrestre: il y avait comme de grandes vagues mentales (c'était tout mental), de grandes vagues d'anxiété, comme si toute la pensée humaine était très troublée; mais ce n'était pas comme l’angoisse des croyants, c'était un mouvement très terrestre – l’atmosphère mentale terrestre qui avait de grands mouvements de soulèvement et d'anxiété (Mère dessine des vagues en l’air). Je me suis dit: «Qu'est-ce qui se passe?... Qu'est-ce qui se passe qui peut troubler les hommes? (comme cela arriverait, par exemple, pour une guerre mondiale, des événements de ce genre), qu'est-ce qui se passe qui puisse attirer l’attention de toute l’atmosphère terrestre, l’atmosphère mentale?» Et le lendemain, on m'a dit que juste à ce moment-là, le pape était mort. J'ai dit: «Tiens!...»

Et alors j'ai su (parce que je ne m'occupe pas de tout cela), on m'a dit ce qu'il était en train de faire: son «concile œcuménique» et toutes ces réformes; enfin qu'il essayait de mettre tous les gens d'accord autant qu'il le pouvait (tous les chrétiens en tout cas) et qu'il était devenu l’ami des Russes, etc. Alors, à ce moment-là, je me suis concentrée, parce que selon la logique naturelle (des actions de la Nature), le pape suivant devrait être un horrible réactionnaire – enfin, c'était défavorable. Je me suis concentrée et j'essayais que les choses s'arrangent bien. Et je vois qu'en effet ça paraissait important à Sri Aurobindo, qui s'est concentré là-bas.

Selon la petite jugeotte humaine, il paraît que le successeur est un homme encore plus avancé en idée que celui qui est parti. J'ai vu sa photo... (mais c'est une photo de journal, c'est généralement très mauvais: on ne peut pas contacter, on voit seulement juste comme ça, en surface). La chose qui m'a frappée le plus, c'est une sorte d'insincérité. Une insincérité bienveillante et ecclésiastique – tu connais ça?

Très bien.

Il y avait en même temps la photo du cardinal de l’Inde (l’unique et premier cardinal de l’Inde), un homme «bon jeu, bon argent» et d'une croyance à cœur ouvert – ce doit être un catholique fanatique, mais avec une sincérité, un élan. l’autre est un homme très intelligent – oh! il a cette bouche que je ne peux pas voir, c'est effroyable.

Enfin, nous allons voir ce qui va arriver.

Et il paraît que Kennedy est catholique. Ça, c'est une chose sérieuse.

Il paraît qu'il a été la première personne que le pape ait vu après son... Comment dit-on pour les papes?

Investiture?

Je ne sais pas. Quand il paraît en public: voilà le pape!

Enfin il a eu sa cérémonie d'investiture et après, il a vu Monsieur Kennedy: première personne.

(silence)

Le catholicisme a deux choses que le protestantisme n'a pas: c'est le sens occulte (non seulement le sens, mais aussi une certaine connaissance occulte) et puis la Mère – la Vierge. Les protestants ont quelque chose que les catholiques n'ont pas: c'est la présence divine intérieure.

C'est seulement par ces deux choses-là qu'on peut les attraper. Mais...

Voilà. On va voir.

Je ne sais pas, j'ai eu une impression assez forte quand j'ai vu la photo du nouveau pape: l’impression d'un homme très malin et d'un politicien.

(Mère approuve de la tête)

Quelqu'un qui est très-très malin. Je n'ai pas eu du tout une impression spirituelle.

Oh! mais l’autre non plus!

Mais l’autre avait l’air brave.

C'était un brave homme.

Celui-là, j'ai eu l’impression d'un type très malin et dangereux. Un politicien.

(Mère hoche la tête) Sri Aurobindo avait employé à peu près ces mots: It is all that can be done in the present circumstances [c'est tout ce que l’on peut faire dans les circonstances actuelles].

C'est-à-dire que ça avait l’air d'être le choix de son choix, parce que certainement il est allé au conclave et il a vu, et c'est comme cela qu'il travaillait – il a influencé le vote. Ce doit être probablement (riant) parmi tous ces gens (ils sont quatre-vingt, mon petit!) parmi tous ces gens, c'est probablement celui qui avait le plus de chances de faire ce que l’on veut.

Il peut le faire pour des raisons inavouables, mais enfin... Généralement, c'est comme cela dans l’état actuel de la terre: le motif pour lequel les gens font les choses ne doit pas être pris très au sérieux – ce qui est important, c'est qu'ils fassent. Et si on regarde à une certaine hauteur (où c'est décidé, n'est-ce pas), les gens et les choses sont contraints d'agir d'une certaine manière, mais les motifs conscients humains qui règlent leur action n'ont pas d'importance – «pas d'importance», c'est-à-dire que ce n'est pas toujours... pour dire plus clairement: c'est très rarement le vrai motif qui vous fait faire les choses.

En tout cas, Sri Aurobindo s'intéresse aux événements terrestres, ce qui veut dire qu'il considère que l’élection de ce pape a une certaine importance.

(silence)

Mais au fond, le catholicisme tient en équilibre à cause du communisme; et que les deux se soient rapprochés, c'était un coup de maître. Et probablement (celui-là m'a l’air d'une fine mouche), je ne crois pas qu'il veuille perdre l’avantage de ce que l’autre avait gagné. Cette amitié avec la Russie est très habile. Ce sont les deux plateaux d'influence de l’atmosphère terrestre maintenant.

On verra.

Je crois que celui qui est parti avait surtout une idée: empêcher la guerre. Consciemment, il voulait que tous les chrétiens s'aiment! (Mère rit) ce qui est un enfantillage. Qu'ils s'aiment en Jésus – qu'ils laissent sur la croix.

Comme dit Sri Aurobindo, les hommes... les hommes AIMENT la douleur, et c'est pourquoi Jésus est encore cloué sur la croix.2

(silence)

Les autres, les communistes, c'est le contraire: ils veulent que tout le monde soit content; mais ils ont réussi à rendre tout le monde malheureux! Il n'y a plus personne – avant, quelques-uns étaient contents et beaucoup étaient malheureux; maintenant ils sont tous malheureux!

Et c'est ça qu'ils appellent «les choses sérieuses».


(Peu après, à propos de la lettre de Sujata sur la «fausse Mère»:)

À part cela, ça va bien?

Ça va, douce Mère... Tu n'as rien vu de spécial pour ce rêve de Sujata?

Ah! j'ai oublié de te dire.

C'est une promenade dans le vital.

Tu peux lui dire qu'elle s'en est bien tirée.

Au point de vue occulte, si, par exemple, elle avait dit aux gens qui gardaient les portes: «Au nom de la Mère, laissez-moi passer», probablement portes et gens, tout aurait disparu.

Il est difficile de se souvenir de ces choses-là quand on rêve. Mais enfin, elle a une confiance intérieure qui a fait qu'elle s'en est bien tirée.

Ce n'est pas un hasard qu'on l’ait réveillée – ce n'est pas un hasard: elle a été AIDÉE.

Probablement d'autres personnes qu'elle n'auraient pas vu les taches.

Ooh!

C'est sa sincérité qui lui a fait voir les taches. Et c'est parce qu'elle a révélé ça que le gardien était dams l’impossibilité de l’empêcher de passer, parce que c'était le signe d'un pouvoir de sincérité intérieure.

Ça m'a laissée un peu songeuse... en ce sens que je ne trouve pas très admissible qu'il y ait des personnes (la fausse «Mère») qui s'amusent à faire des choses comme cela – mais je sais que ça arrive, je sais qu'il y en a.

Mais je pense que ça a aidé à nettoyer un peu l’atmosphère.

Oui, je lui ai dit de t'écrire parce qu'il y avait non seulement elle, mais deux filles de l’Ashram aussi, qui étaient en danger, semble-t-il.

Oui. Oh! mais ça, il y en a beaucoup qui sont en danger – parce qu'ils ne sont pas sincères, n'importe qui peut les tromper. Ça, dans ces cas-là, pour le danger occulte, il n'y a qu'UNE CHOSE qui soit absolument indispensable, c'est la sincérité. Et c'est la sauvegarde, c'est la sécurité. La sincérité, c'est la sécurité. C'est-à-dire que justement les gens qui sont insincères, en présence de cet être, auraient dit: «Ah! mais c'est la Mère.» Tu comprends, ILS N'AURAIENT PAS VU. Et elle, elle a vu – c'est sa sincérité qui a vu.

La seule chose... (enfin ça ne fait rien, ça viendra), c'est que si au lieu de vouloir s'enfuir, elle avait pris une attitude décidée et dit: «Au nom de la Mère, ouvrez», brrrt! elle aurait vu: tout se serait évanoui. Mais ça... je ne pense pas que ça se reproduira, mais si ça se reproduit, elle saura faire la prochaine fois. C'est une sorte de sens de la bataille.

Tu as bien fait de lui dire d'écrire, c'était assez important que je sache parce que je dois nettoyer un peu le coin. Mais je te dis, il y a trop-trop d'insincérités, c'est ça qui ouvre les portes – l’insincérité, c'est tout à fait comme la sentinelle qui ouvre la porte, ce n'est pas autre chose, c'est ça. Et malheureusement, il y en a beaucoup-beaucoup...

Mais enfin elle s'en est bien tirée.

Tiens, je vais te donner une rose pour elle. Je vais t'en donner une grosse, une très grosse, voilà!


(Au moment de partir, Mère parle soudain. Les deux premières phrases ont échappé à l’enregistrement magnétique:)

Il y a un bateau qui est en train de se construire (évidemment le symbole du yoga), et il est tout en glaise rose, d'un rose!... Un bateau de glaise rose. J'étais là avec Sri Aurobindo – un Sri Aurobindo très alerte qui allait, venait, dirigeait la construction; moi aussi, je montais et descendais avec une facilité extrême.

De la terre glaise.

Il y avait des ouvriers, un jeune homme particulièrement qui était extraordinaire – je ne crois pas que ce soient des êtres purement humains. Mais c'est une longue histoire...

Mais la terre glaise, c'était vraiment quelque chose de nouveau – joli! rose. Rose, d'un rose chaud, doré. Et on coupait (dans la glaise) des chambres, des escaliers, des ponts de bateau, des cheminées, des cabines de capitaine... Et Sri Aurobindo lui-même est comme il était, mais plus... avec une harmonie de forme: très-très large d'ici (la poitrine), large et solide. Mais très alerte: il va, il vient, il s'assoit, il se lève, avec une grande majesté. Et il a une couleur comme du bronze doré; c'est une couleur comme la coagulation de son or supramental, de son être supramental doré; comme si c'était bien concentré, coagulé pour faire son apparence; et ça ne reflète pas la lumière: on dirait que c'est éclairé du dedans (mais ça n'irradie pas), et ça ne fait pas d'ombres. Mais c'est tout à fait naturel, on n'est pas étonné, c'est la chose du monde la plus naturelle: il est comme ça. Sans âge; les cheveux sont de la même couleur que le corps: il a des cheveux mais on ne sait pas si ce sont des cheveux, c'est de la même couleur; les yeux aussi: le regard est doré. Et pourtant, c'est tout à fait naturel, il n'y a rien d'étonnant. Et il s'assoit comme il s'asseyait, il met sa jambe comme il la mettait [la jambe droite en avant], et en même temps, quand il se lève, il est alerte: il va, il vient. Et puis quand il est sorti de la maison (il m'avait prévenue qu'il ne pouvait pas rester, qu'il avait rendez-vous avec quelqu'un: il avait promis à deux personnes de les voir, il fallait qu'il y aille), il est parti dans un grand jardin, puis il est descendu, et puis c'était le bateau – qui n'était pas un bateau! qui était un bateau plat – et il devait aller dans la cabine du capitaine (il avait affaire avec le capitaine), mais c'était le bateau avec lequel il rentrait dans sa chambre «ailleurs» – il a une chambre ailleurs. Et alors, à un moment donné, je me suis dit: «Tiens, je vais le suivre, je vais aller voir.» Et je l’ai suivi; tant que je le voyais devant, je le suivais. Et quand je suis arrivée au bateau, j'ai vu que c'était tout construit en glaise rose! Et il y avait des ouvriers qui travaillaient – c'étaient des ouvriers admirables. Alors Sri Aurobindo est descendu comme ça, tout naturellement, dans la construction, sans... (je ne crois pas qu'il y avait d'escaliers ni de marches), et moi, je suis descendue derrière. Puis j'ai vu qu'il entrait dans la chambre du capitaine; là, il m'avait dit qu'il avait affaire, alors j'ai pensé (riant): «Je ne peux pas me mêler de ce qui ne me regarde pas! je vais remonter chez moi» (j'ai bien fait, j'étais déjà en retard pour me réveiller!), «je vais remonter chez moi.» Et j'ai vu l’un des ouvriers qui s'en allait (parce que Sri Aurobindo était revenu, alors ils arrêtaient le travail). Il s'en allait. Je l’ai appelé, mais il ne savait pas parler ma langue, aucune de mes langues; je l’ai appelé par la pensée et je lui ai dit de me tirer parce que j'étais en bas et il y avait un mur à pic en terre glaise glissante; alors il a souri et il m'a dit avec sa tête: «Moi, je veux bien aider, mais ce n'est pas nécessaire! Tu peux monter toute seule.» Et en effet, il m'a tendu la main, je lui ai pris la main (nous nous sommes effleurés), puis je suis montée toute seule sans l’ombre d'une difficulté – je n'avais pas de poids! Je ne me suis même pas accrochée pour tirer, sa main ne m'a pas tirée. Et dès que j'ai été en haut, je suis rentrée – je me suis réveillée, trouvée dans mon lit... en retard de cinq minutes sur mon heure.

Mais ce qui m'a frappée, c'était cette terre glaise – ça veut dire quelque chose de très matériel, non? Et rose! d'un rose, oh! c'était joli! un rose doré.

On est en train de fabriquer quelque chose.

Ce doit être... On ne dit rien, mais «on» nous fait notre travail.

Voilà.3

Ça a laissé un très grand sentiment de Pouvoir – concentré.

C'était hier.

juillet




3 juillet 1963

(Cette conversation a eu lieu peu de jours après le couronnement du nouveau pape, Paul VI. Mère avait demandé que l’enregistrement fût effacé, sauf quelques fragments, mais nous avons cru bon de garder au moins sa transcription intégrale.)

Je te donne tes fleurs (des roses). C'est une couleur magnifique...

Et j'ai une autre photo du pape (Mère montre «Time Magazine»).

Il paraît que c'est la photo qu'il a choisie lui-même pour les journaux, pour annoncer son élection.

Elle est mieux que l’autre.

(Mère tend la photo au disciple) Alors, qu'est-ce que tu as à dire?

C'est plutôt toi qui as à dire!

J'ai à dire.

J'ai à dire que je connais cet homme. Je l’ai rencontré plusieurs fois. Je ne sais pas s'il est conscient, en ce sens que je ne crois pas qu'il se souvienne quand il revient dans son corps. Mais c'est un homme qui, depuis longtemps (pas récemment: certainement au moins un an, peut-être deux), s'occupe des affaires de la terre, c'est-à-dire qu'il s'intéresse aux mouvements terrestres.1 Je le rencontre à ce propos; je ne peux pas dire que nous ayons eu des «conversations» intéressantes, ni rien, mais il fait partie des organisations.

Je ne l’avais pas vu du tout sur l’autre photo (celle que les journaux ont publiée)... ce sont ces yeux. La bouche est mauvaise comme dans l’autre photo, mauvaise d'une autre façon: il est presque méchant. Mais c'est un homme qui a du pouvoir – du vrai pouvoir; pas le pouvoir de pape, n'est-ce pas: du vrai pouvoir, dedans.

Vital, tu veux dire, ou spirituel?

Pas spirituel! Pas spirituel: du pouvoir – du pouvoir, c'est-à-dire une capacité mentale assez supérieure et une réalisation vitale. C'est un homme qui, s'il n'était pas le pape, n'aurait pas de scrupules. Mais il se trouve (riant) qu'il est obligé au moins d'avoir l’air bon!

J'ai une impression de dureté.

Très dur. Juste l’opposé de l’autre (Jean XXIII).

Mais il a annoncé publiquement qu'il allait continuer ce que l’autre avait commencé. Seulement l’autre n'avait pas de pouvoir du tout: c'était un brave homme sur la terre. Celui-là n'est pas un brave homme! mais c'est une puissance effective dans les organisations terrestres.

Et maintenant il a une position.

C'est un peu périmé (la papauté). Mais pas tant que cela. J'ai vu cela quand l’autre est mort, oh! ce que ça a fait des remous dans l’atmosphère mentale terrestre, c'était considérable. Et alors, cela veut dire que beaucoup-beaucoup d'êtres humains sont gouvernés par ça.2

Mais je ne me suis jamais occupée de ce domaine; même quand j'ai vu ce pape, le précédent du précédent (Pie XII), qui était venu m'offrir les Clefs (je t'ai dit cela, n'est-ce pas?), même celui-là, qui était spirituellement en rapport avec la Mère universelle, je ne m'en suis jamais occupée. Je n'ai jamais rien fait, je ne m'en suis jamais occupée. Cette fois-ci, je ne sais pour quelle raison, mais tout le temps, tout le temps, il y a quelque chose qui me tire vers ça.

Je ne sais pas, peut-être que quelque chose de décisif va être fait? Je ne sais pas...

Mais son pouvoir d'organisation, c'est un pouvoir de «bien», si j'ose dire, ou quoi?

Je te dis, c'est un pouvoir de domination. Et alors maintenant, il est pape. Alors il faut que sa domination soit au service de son poste, n'est-ce pas.

Mais il se peut... Le fait que, justement, je l’aie rencontré (peut-être pensait-il déjà à être pape, je n'en sais rien), mais enfin longtemps avant que personne n'y ait pensé sauf lui, le fait que je l’ai rencontré quand je m'occupe des arrangements de la terre prouve que, probablement inconsciemment (je te l’ai dit tout de suite: je ne pense pas qu'il soit conscient dans son corps), mais il est malgré tout sous l’influence, sinon le contrôle des forces supérieures.

Pourquoi est-ce que, tout d'un coup, mon attention est attirée de ce côté? Toutes ces choses, généralement, ne m'intéressent pas. Pour l’action, je ne m'occupe que du petit champ d'expérience qui m'a été donné, et mon action terrestre est d'une tout autre nature; elle est sur un plan supérieur et très indépendante des individus.

Il y a pour moi trois points à noter: d'abord que cet homme s'occupait déjà des choses terrestres alors qu'il n'était qu'un simple cardinal de Milan (à Milan, il s'occupait beaucoup des questions ouvrières – à Milan il y a beaucoup d'ouvriers – et ça l’intéressait: il aimait résoudre les problèmes ouvriers). Puis il y a la continuation de ce que l’autre a fait: cette espèce de rapprochement avec la Russie, qui est vraiment intéressant. Et il y a le fait que Kennedy est catholique. Et que tout ça se passe juste en ce moment-ci, n'est-ce pas, où, au moins (je ne dis pas au mieux, je dis au moins), la fondation du monde nouveau est en train de se préparer...

Les fondations sont en train de se préparer.

On verra.

(Mère regarde encore la photo de «Time Magazine») Pour ces photos, c'est très intéressant, j'ai des expériences curieuses: tout d'un coup, je vois absolument clair (beaucoup plus clair que je ne vois physiquement), je vois clair l’individu – il est vivant, les yeux me parlent –, et je dis: «Ah! c'est ça et ça et ça...» Tous les gens m'apportent des photos, parce que j'ai l’habitude de lire le caractère des gens sur les photos, c'est très facile pour moi, c'est élémentaire; mais alors, quelquefois, on me donne une photo, et tout d'un coup je vois quelqu'un, alors je dis: «Oh! mais c'est telle personne, c'est ceci, cela...» Et la même photo, si on me la montre quelques jours après, c'est une simple photo et je ne vois rien. C'est un moyen que l’«on» emploie pour me faire savoir certaines choses, et une fois que je les sais, c'est fini. Par exemple, cette photo du pape, la première fois que je l’ai vue, quand on m'a apporté ça, j'ai vu cet homme (que je connais, n'est-ce pas), tel que je le vois, là-bas. Maintenant je regarde – ça ne me dit plus rien, que les choses qu'on voit dans une photo: une bouche qui n'est pas bonne, il s'en faut de beaucoup... Et certainement, qu'il ait choisi cette photo, c'est qu'il aime l’autorité – il veut paraître sous son aspect d'autorité.

Et ce qui est curieux, c'est qu'il est assis [sur cette photo], et que moi, je le vois tout le temps debout. Il est assis, avec la main sur le bras du fauteuil, et moi, je le vois tout le temps debout – tête haute, faisant face à la vie, debout. Ce doit être un homme assez grand: celui que je connais est assez grand, il lui ressemble beaucoup. C'est unmistakable [à s'y méprendre], c'est-à-dire que quand j'ai vu la photo, j'ai vu l’autre.

Mais je crois... pas «je crois», enfin je vois que sa croyance est simplement, d'abord une question d'habitude parce qu'il est né là-dedans, et puis une question de nécessité politique – je ne pense pas qu'il soit convaincu que ce soit la Vérité pure. Tandis que l’autre pape, vraiment il y croyait.3 Celui-là, dans son supraconscient, il en sait trop pour croire que le Christianisme est la vérité pure et exclusive. Seulement, n'est-ce pas, quand on a la chance d'être pape, il faut croire que le pape est le pape! Imagine, prends du recul, et regarde la situation terrestre: évidemment toute la terre n'est pas catholique, mais il y a des catholiques sur toute la terre.

Ce qui paraît... bizarre à ceux qui ont dépassé les petites limites purement terrestres – humaines terrestres –, c'est cette croyance en une unique manifestation divine sur la terre; toutes les religions sont basées là-dessus, chacun dit: «Le Christ était le seul», et puis «Bouddha était le seul», et puis ailleurs «Mahomet était le seul», etc.; eh bien, ce «le seul» est une chose impossible dès qu'on est un petit peu au-dessus de l’atmosphère terrestre ordinaire – ça paraît un enfantillage. Ce n'est compréhensible et admissible que si c'est une espèce de mouvement récurrent de la Conscience divine sur la terre.4

Évidemment, officiellement, il n'y a que le Christ; peut-être que pour cet homme (Paul VI), il est resté le plus grand, mais ça m'étonnerait qu'il croie que ce soit le seul. Seulement «il faut» qu'il soit le seul – on se couperait la langue plutôt que de le dire!

Il ne doit pas se tourmenter beaucoup (!) Ce qui l’occupe, c'est le moyen de prendre et de tenir en son pouvoir, et alors, peut-être, de prouver sa supériorité.

Il leur reste ça, n'est-ce pas, que cette religion-là est supérieure à toutes les autres, que leur pouvoir est supérieur à tous les autres, et pour cela, il faut qu'ils soient plus puissants que les autres. C'est surtout ça: «Être plus puissant que.» Et quel est le moyen, maintenant, qui peut amener cette toute-puissance? – Ils ont compris déjà, depuis deux ou trois générations, qu'un élargissement est nécessaire: ils avaient trop de points faibles avec l’étroitesse du dogme... Mais lui (Paul VI), comprend peut-être encore mieux. Nous allons voir ce qui va se passer.5

Tiens, j'ai reçu ça (Mère tend une guirlande de jasmin), tu le donneras à Sujata – ça sent bon!

(silence)

Mais il me paraît être de beaucoup le plus intéressant des papes qu'il y ait eu depuis très longtemps.

Je ne sais pas, j'ai eu une impression de répulsion.

Répulsion?

Le seul danger de ces gens-là, c'est l’esprit d'Inquisition, mais est-ce que c'est possible maintenant? – Je ne crois pas.

Non, mais il est très possible que sous le couvert d'une «synthèse» ou d'un élargissement de la doctrine, ils cherchent à accroître encore le pouvoir catholique sur le monde.

Mais oui. Ah! mais c'est évident. C'est l’intention.

Seulement, il y a toujours une ironie dans les choses: s'ils deviennent trop vastes, ils sont engloutis par leur propre ampleur! C'est impossible autrement.

Si le pape admet, par exemple, par besoin d'élargissement, toutes les différentes sectes (puisqu'ils commencent déjà à admettre les protestants), toutes ces sectes, s'il admet tout ça, (riant) petit à petit ou ils éclatent ou ils se noient! N'est-ce pas, si tu regardes cela d'en haut... Admets même que ce soit un pouvoir asourique – ce n'est pas... (Mère hésite) ce n'est pas clairement et distinctement un pouvoir asourique, à cause de la position, parce que le pape est OBLIGÉ par sa position de reconnaître un dieu supérieur à lui; ce dieu peut être évidemment un asoura, mais... J'ai comme une sorte de souvenir – le souvenir d'une très-très vieille histoire que personne ne m'a jamais racontée... où le premier Asoura challenged, défiait le Seigneur suprême, en lui disant: «Je suis aussi grand que Toi!» Et la réponse était: «Je souhaite que tu deviennes plus grand que moi, parce qu'il n'y aura plus d'asoura.»

Et ce souvenir est très vivant, quelque part... Si tu deviens le Tout, c'est fini – n'est-ce pas, l’ambition de l’asoura, c'est d'être plus grand que le Seigneur suprême: «Deviens plus grand que moi; il n'y aura plus d'asoura.»

En tout petit, c'est comme cela sur, la terre.

(silence)

Il y a un état de conscience où il est tout à fait impossible de craindre ce qui peut arriver;6 où c'est visiblement – obvious, d'une façon évidente – tout le travail de la même Force unique, de la même Conscience unique, et du même Pouvoir unique. Et ce sentiment, cette volonté, cette ambition d'être «plus» – plus puissant, plus grand –, c'est encore la MÊME Force qui pousse vers l’extension jusqu'à l’Illimité. Dès qu'on a dépassé la limite, c'est fini.

Ce sont les vieilles idées – les vieilles idées de deux pouvoirs qui s'opposent: un pouvoir du Bien et un pouvoir du Mal, et une bataille entre les deux, et qui aura le dernier mot... Il y avait un temps où l’on amusait les enfants avec des histoires comme cela. C'est un enfantillage.

Il y a des gens (ou si tu veux, il y a des êtres, ou il y a des forces, ou il y a des consciences) qui, pour progresser, ont besoin de se donner et de se fondre, et qui, dans l’annulation totale, atteignent à la Réalisation; il y en a d'autres pour qui le chemin est diamétralement opposé: c'est un accroissement, une domination, un agrandissement qui devient de plus en plus fantastique... jusqu'à ce que la séparation disparaisse – elle ne peut plus exister.

Il y en a qui aiment mieux ce chemin, il y en a qui aiment mieux celui-là – mais quand on sera au bout, tout se rejoint.

(silence)

Au fond, la seule chose nécessaire est d'abolir les limites... Il y a beaucoup de moyens d'abolir les limites.

Et peut-être qu'ils sont tous également difficiles.

(silence)

Cette religion-là, c'est peut-être celle contre laquelle j'ai lutté le plus. Et pour une très simple raison, parce que son pouvoir, son moyen d'action (le pouvoir qu'elle utilise comme moyen d'action), c'est la peur. Et ça, c'est de toutes choses la plus dégradante.

J'ai eu deux exemples comme cela, l’un physiquement et l’autre intellectuellement (je parle de choses avec lesquelles j'ai été matériellement en contact). Intellectuellement, c'était une camarade d'atelier; pendant des années, nous avions fait de la peinture ensemble et c'était une fille très gentille, qui était plus âgée que moi, très sérieuse, et très bon peintre. Pendant mes dernières années de vie à Paris, je la voyais souvent et je lui parlais, d'abord des choses occultes et de la «philosophie cosmique», puis de ce que je savais de Sri Aurobindo (j'avais un «groupe» là-bas et j'avais l’habitude d'expliquer certaines choses), et elle écoutait avec une grande intelligence: elle comprenait, elle adhérait. Et un jour, je suis allée chez elle et elle m'a dit qu'elle était dans un grand tourment: quand elle était éveillée, elle n'avait pas de doutes, elle comprenait bien, elle sentait les limites et les obscurités de la religion (c'était une famille où il y avait plusieurs archevêques, un cardinal, enfin de ces «vieilles familles françaises»), et alors elle m'a dit: «Mais la nuit, tout d'un coup je me réveille avec une angoisse, et quelque chose – qui évidemment doit être dans mon subconscient – me dit: «Et si après tout ça, tu vas en enfer?» Et elle me disait: «Quand je suis réveillée, ça n'a pas de force, mais la nuit, quand ça vient du subconscient, ça m'étouffe.»

Alors j'ai regardé, et j'ai vu comme une pieuvre immense sur la terre, de cette formation d'Église, de l’enfer, avec laquelle ils tiennent les gens. La peur de l’enfer. Même quand toute votre raison, toute votre intelligence, tout votre sentiment est contre, il y a cette pieuvre de la peur de l’enfer qui, la nuit, vous saisit.

Ça m'a... donné la mesure de grandeur du problème – c'est une chose terrestre. Il y a des catholiques partout: en Chine, en Afrique parmi les nègres; des gens qui ne pensent rien mais qui sont là-dessous et qui sont pris par cette pieuvre.

Et puis, plus jeune, j'étais en Italie, à Venise, et je faisais une peinture dans un coin de St. Marc, la cathédrale (c'est un endroit merveilleux, d'une grande beauté), et il se trouvait que j'étais assise tout près d'un confessionnal. Un jour que j'étais là à peindre, j'ai vu arriver le prêtre, qui est entré dans le confessionnal – cet homme... tout noir, grand, maigre, avec vraiment le masque de la méchanceté, de la dureté: une méchanceté impitoyable. Il s'est enfermé là-dedans. Peu de temps après, est arrivée une femme d'un âge moyen, vers les trente ans, gentille, très douce – pas intelligente mais très douce –, et tout de noir vêtue. Elle s'est mise dans la boîte (lui, était enfermé, on ne pouvait plus le voir), et ils se parlaient à travers un grillage. Il faut dire que c'est beaucoup plus moyenâgeux qu'en France, c'était vraiment... c'était presque théâtral. Elle s'est agenouillée là, je voyais la longue robe qui sortait, et puis elle parlait (je ne pouvais pas entendre, elle chuchotait; d'ailleurs ils parlaient italien tous les deux, mais enfin je comprends l’italien), on entendait à peine les voix, il n'y avait pas de son. Et alors, tout d'un coup, j'ai entendu d'abord que la femme sanglotait (elle avait des spasmes et elle sanglotait), mais ça continuait, lorsque, soudain, un écroulement: elle s'était évanouie, par terre. Alors cet homme a ouvert la porte en poussant le corps avec la porte – et il est parti, tout droit, sans un regard en arrière. Tu sais, j'étais jeune, eh bien, si j'avais pu, je l’aurais tué. C'était une monstruosité qu'il venait de faire. Et il s'en allait... c'était un morceau d'acier qui sortait.

Avec des incidents comme cela, il m'est resté une certaine impression. Les histoires de l’Inquisition m'avaient déjà assez... Maintenant, n'est-ce pas, tu as entendu ce que j'ai raconté [l’histoire de l’asoura], et ça, c'est vraiment ma façon de voir. Mais il y avait un temps où j'aurais dit: «Il n'y a pas de religion qui ait fait plus de mal au monde que celle-là.»

Mais je n'en suis pas sûre maintenant. C'est un ASPECT de cette religion.

Et c'est encore une vision trop humaine des choses. J'aime mieux – j'aime mieux la vision du Seigneur disant à l’Asoura: «Mais oui! grandis, grandis, grandis... et il n'y aura plus d'asoura!» (riant) C'est mieux.7

(silence)

Cet homme-là (Paul VI) a peut-être été comme ce prêtre de Venise. C'était un homme grand, jeune, qui ne devait pas avoir plus de trente ans, très mince, avec une figure comme une lame de couteau, oh!...

La peur n'est pas une chose négative: c'est une chose très positive, et c'est une forme spéciale du pouvoir qui est toujours utilisée par les forces asouriques – c'est leur grande force. Leur grande force, c'est la peur.

Je vois: tous les gens qui sont vaincus, c'est TOUJOURS par la peur, toujours.

Alors, toi (Mère s'adresse à la photo), si tu as l’intention d'employer ça, tu feras bien de faire attention!

(Mère fixe la photo)

C'est une magnificence qui me vient...

Bien. On verra.


(Peu après, il est question de la traduction anglaise du nouveau livre sur Sri Aurobindo:)

Je pense que E pourra trouver un public là-bas, surtout en Amérique – plus qu'en France.

(silence)

Tous les gens en France qui ont un éveil, un besoin spirituel, ils se reprécipitent dans la religion catholique. C'est-à-dire que la pieuvre a encore beaucoup de pouvoir là-bas – beaucoup-beaucoup.

Il y a quelque temps, je ne sais plus à quelle occasion, je me suis souvenue du temps où l’on ne pouvait pas dire que la terre tourne, ni même qu'elle était ronde – on vous tuait! Tu imagines ça...

Tout de même, on a fait un bon bout de chemin.8

Quand je me suis aperçue que je connaissais cet homme (Paul VI), une pensée m'est venue comme un amusement (parce que je connais des gens qui sont capables de le faire): si quelqu'un lui montrait ma photo et si, lui-même, disait: «Mais je connais cette femme!» Alors j'ai vu ce vieil instinct, justement cette habitude de ne pas permettre qu'on puisse dire, énoncer seulement le contraire de ce qu'ils disent, et j'ai vu tout de même la courbe – la courbe accomplie vers la liberté... Il serait pratiquement obligé de me tolérer. Le prédécesseur de son prédécesseur (Pie XII) avait interdit à l’archevêque ici d'excommunier les gens qui venaient à l’Ashram (l’archevêque voulait le faire, mais il ne pouvait pas le faire sans l’autorisation du pape, et le pape lui a répondu: «Tenez-vous tranquille»). Le nouvel archevêque a renouvelé l’excommunication en chaire ici, mais c'en est resté là. Et alors je me demandais: «Mais quelle serait l’attitude de celui-ci?»... Parce que, naturellement, ce genre d'individu peut très bien ordonner l’excommunication de quelque chose qu'il considère, qu'il SAIT être vrai – c'est ça, c'est ça que tu vois dans cette photo (la répulsion du disciple). N'est-ce pas, en eux, l’esprit politique domine tout le reste.

Tu ne vas pas enregistrer tout ce que j'ai dit. Je ne veux pas l’avoir ici, je ne veux pas que ce soit gardé. Parce que le temps n'est pas venu de me mêler de ces affaires.

Voilà.

Il y a toute une partie de moi qui très souvent se pense en guerrier quand je suis en contact avec cette pieuvre chrétienne. Quelque chose de moi tout de suite a envie de se battre avec ces gens-là.

Mais ce n'est pas surtout mental? – Tu sens la bataille des idées.

Oui, mais presque comme ces moines d'autrefois qui allaient prêchant – je ne me vois pas prêchant (!) mais je me vois me battant par la parole avec eux.

Oui, par la parole, c'est ça.

Parce que tu as un très grand pouvoir combatif dans le mental, très grand, et ça, c'est d'une immense utilité, mais je n'ai jamais rien vu vitalement de toi comme un guerrier.

Mais oui! aller, aller prêcher dans le monde, aller lutter avec les idées, comme, par exemple, les grands sages d'ici luttaient par la parole – ça, oui. Mais pas le général en chef d'une armée!

Non!

Pas un Napoléon, n'est-ce pas.

Mais se battre! Parce que je sens tellement le Mal qu'il y a là-dessous...

Oh!...

Et le mal vicieux – un mal vicieux, un mal qui est caché.

Sous le couvert de charité, bienveillance totale: une hypocrisie. Oui, ce sont toutes ces choses qui m'avaient toujours mises en bataille.9

Et d'une façon, je souffre de voir que le peu que je peux faire, par exemple ce livre sur Sri Aurobindo, ce n 'est pas compris. En France, il y a un mur – ce n'est pas accepté, je n'entre pas, c'est bouché. Je souffre de cela. Et tous les gens que je connais là-bas, c'est la même chose, partout je rencontre le mur, l’incompréhension – c'est fermé-fermé-fermé.10

(Long silence) Avec la qualité intellectuelle de la France, la qualité de son esprit, le jour où elle sera vraiment touchée spirituellement (elle n'a jamais été touchée spirituellement), le jour où elle sera touchée spirituellement, ce sera quelque chose d'exceptionnel.

Sri Aurobindo aimait beaucoup la France. Je suis née là-bas – il y a certainement une raison. Pour moi, je sais très bien: c'était la nécessité de la culture, de l’esprit clair, précis; du raffinement de la pensée, du goût, et de la clarté d'esprit – il n'y a pas de pays au monde comme cela. Il n'y en a pas. Et Sri Aurobindo aimait la France à cause de cela aussi, beaucoup-beaucoup. Il disait que pendant toute sa vie en Angleterre, il aimait beaucoup plus la France que l’Angleterre!

Il y a une raison.

On verra.

Peut-être que les choses vont avancer un peu – j'ai l’impression, comme ça, que c'est en train de marcher. Seulement, il peut y avoir de la casse – chaque fois qu'on va vite, il peut y avoir de la casse. Les périodes de stabilité où les choses s'installent et s'étalent sont plus paisibles. Mais maintenant, c'est plus dangereux.

C'est plus dangereux.

(Mère reprend la photo du pape)

Tu me laisses mon pape! (rires)

6 juillet 1963

Et puis?

Il y a des textes de l’Agenda.

Encore! Mais je n'ai rien dit! Je t'ai dit qu'il fallait tout enlever.

Mais il y a des choses qu'il faut garder.

Bon.

Il y a aussi celui d'avant: ton expérience du bateau de glaise rose...1

Ah!

Tu sais, le lendemain, j'ai revu Sri Aurobindo – c'était Sri Aurobindo, il était avec moi, mais un peu plus grand que la fois d'avant, un peu plus mince et la peau presque blanche, presque comme la mienne (pas le blanc des gens du nord, mais une espèce de blanc doré). Alors j'ai regardé et j'ai souri (parce que c'était différent n'est-ce pas!) et je n'ai rien dit, mais (riant) il m'a dit: Yes, to meet all the tastes! [oui, pour satisfaire tous les goûts!] J'ai trouvé cela admirable!

Ce jour-là, il était très occupé par l’organisation extérieure; il me demandait des renseignements et il me donnait des indications sur tout. Et il y a eu un incident (je ne sais pas encore ce que ça veut dire), il m'a dit: Oh there (et je ne peux pas me souvenir de quel pays – il s'agissait des pays et des gouvernements), Oh there, all is all right, isn't it? [oh! là-bas, tout va bien, n'est-ce pas?] Alors je lui ai répondu: «Oui, certainement, tout va bien puisque tout le gouvernement ce sont nos gens.» Et c'était comme s'il me montrait... (la nuit, à gauche, c'est toujours l’Europe, et à droite c'est toujours l’Amérique, comme si je faisais toujours face au nord), et alors il me montrait la gauche et moi aussi je montrais la gauche, et c'était là, et c'étaient tous des gens à nous: Everything is quite smooth [tout marche sans heurts]. Mais je ne peux pas me rappeler (c'est exprès probablement); le nom du pays ou l’endroit, ou quoi, a été balayé – je n'ai pas pu me souvenir.

Mais je vois encore Sri Aurobindo, un peu plus grand que moi, et moi, penchée et souriante, faisant ce geste à gauche, et il m'a dit: «Oui», et alors je voyais – je voyais des tas de gens. Parce que c'est une chose curieuse, la vue est une vue tout à fait différente (c'est dans le physique subtil), la vue est tout à fait différente de la vue physique: on voit en même temps à des milliers de kilomètres et tout près, et la distance est impliquée seulement par une place dans l’atmosphère (comment expliquer cela, je ne sais pas), mais c'est aussi proche au point de vue de l’action que ce qui est tout près. N'est-ce pas, l’action est aussi concrète et aussi proche, mais c'est comme placé différemment (Mère montre des niveaux différents dans l’atmosphère)... Je n'y ai jamais réfléchi, mais il est probable que dans cette activité du physique subtil, nous sommes beaucoup plus grands physiquement, je crois; pourtant les proportions restent les mêmes; mais les choses sont plus petites (que Mère ou Sri Aurobindo). C'est comme monter et descendre, ça ne veut pas dire la même chose qu'ici. Et ce pays dont je parlais était à gauche, un peu... pas en arrière, un petit peu en avant et un peu plus bas, comme ça (geste).

Sri Aurobindo était très grand, là. Mais moi aussi, j'étais grande.

C'était juste le lendemain de cette expérience et à la même heure, mais au lieu de s'occuper d'un genre de choses, il s'occupait d'un autre: de toutes les organisations matérielles, même dans les plus petits détails, toutes les choses administratives... Je me souviens très bien de l’avoir regardé comme cela (Mère lève la tête, comme si Sri Aurobindo était un peu plus haut qu'Elle) et je lui ai dit: «Oh there, it is quite all right, it is all our people, you know. It is all our people, so everything goes smooth» [Oh! là-bas, ça va très bien, ce sont tous des gens à nous. Ce sont nos gens, alors tout marche sans heurts].

?

(Riant) Il n'y a pas d'endroit où ce soit comme cela!

Non, je ne vois pas!

Ça va venir, peut-être.

C'était peut-être prémonitoire!

C'était une très plaisante impression. Et alors, il m'a posé une question sur un détail d'organisation (mais ce n'était pas une petite chose, c'était une grande chose) et je lui ai répondu (je traduis): «Oh! je ne sais pas, je ne m'occupe pas de ça; je les laisse beaucoup faire comme ils l’entendent. Je donne seulement l’orientation générale; pour les détails, je laisse faire comme ils l’entendent.» Alors il a remué la tête en approuvant.

Je ne l’ai pas vu le lendemain – je m'attendais à le voir, mais je n'ai rien vu. J'ai vu tout à fait autre chose.


Peu après

Depuis quelque temps (je veux dire un an, un an et demi peut-être), je vois très souvent passer de très vilaines figures, puis toutes sortes d'objets bizarres – des choses que je n'avais pas l’habitude de voir avant. Je n'avais vu de vilains êtres qu'une fois, quand j'étais avec Sri Aurobindo: j'avais attrapé dans la journée une sorte d'influenza (c'était plus vital que physique) parce que j'avais assisté et, pour ainsi dire, présidé à la «fête des armes»2 des ouvriers ici. Et tous avaient jeté sur moi toutes leurs misères et demandé à être protégés, soulagés, etc. – il y a une sorte de sincérité spontanée chez ces gens, et je répondais «bon jeu bon argent», sans me protéger. Je n'ai même pas pensé une minute à me protéger: je leur répondais à tous (au-dedans, naturellement). Je suis rentrée... Dans la nuit, j'ai eu une fièvre épouvantable. Et dans cette fièvre, j'étais tout à fait consciente; j'avais la fièvre que les gens appellent délire; j'ai vu ce que c'était que le délire; il y avait une quantité d'êtres du vital le plus matériel qui se précipitaient avec une violence! c'était une véritable bataille contre une armée d'êtres du vital le plus bas, le plus matériel, et de la plus grande violence – ils venaient par vagues, puis je les repoussais (probablement les gens ne peuvent pas le faire), et encore une autre vague et je les repoussais, une autre vague et je les repoussais, et ça a duré toute la nuit comme cela. J'ai eu une fièvre fantastique. Et Sri Aurobindo était là, assis à côté du lit, et je lui ai dit: «Voilà, c'est ça qui donne ce que les gens appellent le délire.» Ça attaque les régions cérébrales et c'est vraiment une bataille épouvantable. Le matin, j'ai eu une influenza qui ressemblait à de la typhoïde – je savais d'où ça venait, j'avais vu, je voyais tout, n'est-ce pas.

C'est arrivé une fois et puis c'était fini: l’atmosphère tout naturellement faisait une protection. Et cette fois-ci, c'était de même nature, en ce sens que ce sont des figures grimaçantes et des instincts très bas, des choses très laides qui viennent, et qui entrent, c'est-à-dire qu'il doit y avoir un travail qui se fait dans ce domaine et que, pour le faire, il faut qu'il y ait contact (naturellement quand j'ai mon atmosphère blanche autour de moi, ils peuvent essayer tant qu'ils veulent, ils ne peuvent pas toucher ça), mais cette fois, ils entrent. Et moi, je regarde ça (riant) avec une certaine curiosité (les premières fois, j'étais étonnée, je me suis dit: «Pourquoi est-ce que je commence à voir des choses si laides!», et puis, tout de suite, j'ai compris que c'était parce qu'il y avait un travail à faire). Je regarde ça avec une certaine curiosité, et je vois qu'il suffit de faire comme ça (comme un petit coup de plumeau), simplement un tout petit mouvement sans le moindre effort... prrt! ça fuit! avec une rapidité fantastique.

Mais j'ai vu des figures qui étaient venues avec l’intention de faire certaines suggestions – je l’ai vu (je ne sais pas quelles étaient leurs suggestions parce que cela ne m'intéressait pas et que je balayais tout ça, et c'est parti), et je n'y attachais aucune importance, sauf que toujours je répondais de la même façon (le coup de plumeau), et je me disais: «Ce doit être en train de mettre de l’ordre quelque part!» Mais aujourd'hui, N m'a lu une lettre, et il m'a raconté l’histoire d'un garçon qui était ici – qui était très gentil, qui travaillait bien –, et puis tout d'un coup, il avait été pris de malaise et de frayeur, et il était tellement mal à l’aise que finalement il a dit: «Ma famille m'appelle, ils me veulent, il faut que j'y aille.» Et alors (je ne sais pas quand c'est arrivé, c'était il y a quelque temps), il a écrit qu'il est arrivé chez lui et qu'au bout d'un certain temps (je ne me souviens plus des détails), il a fini par savoir qu'un magicien faisait régulièrement de la magie noire contre lui (il voyait des vilaines figures, de l’encens qui brûlait, toutes sortes de petits gestes bizarres – il racontait cela ici – et il était très affecté), et enfin que ce magicien – qui était, je crois, plus ou moins en rapport avec la famille! – faisait ça régulièrement pour le faire partir de l’Ashram. Alors il a été trouver le magicien, ou plutôt quelqu'un a été trouver le magicien et lui a dit: «Maintenant ce garçon est revenu, vous n'avez pas besoin de continuer, il est ici, il n'y a plus de raison...» Et à partir de ce moment-là, imédiatement, tout a disparu: tout son malaise, toutes ses visions. Enfin, une preuve évidente que c'était le travail de ce magicien qui l’avait mis dans cet état, et que, dès que le magicien retirait son travail, ça cessait.

N'est-ce pas, j'ai vécu des années, on sait que ces choses-là existent, mais je n'y attachais aucune importance parce que ça me paraissait n'avoir aucune force... Et en effet, ça ne m'a jamais touchée (il y a eu des tantriques qui ont fait de la magie et qui sont arrivés à me rendre malade, mais cela avait un tout autre caractère; l’histoire de ce garçon, c'est dans le domaine vital le plus matériel, le plus bas, n'est-ce pas), et c'est seulement dernièrement que j'avais remarqué ces manigances (qui ne me faisaient aucun effet – c'était comme si, sur un écran de cinéma, on faisait passer des images qui ne sont pas jolies; je disais: «À quoi ça sert?», c'est tout). Tout de même je nettoyais, par habitude. Mais alors, quand j'ai appris cette histoire, j'ai pensé: «Eh bien, je dois être en train de donner de bonnes leçons à tous ces gens qui font de la sale magie!»

C'est-à-dire qu'un domaine après l’autre, une difficulté après l’autre, un des obstacles après l’autre (qui sont ou subconscients ou dans la conscience la plus matérielle ou dans le vital le plus bas), tout ça vient pour une ACTION. Et c'est une action qui est très continue, qui est variée; et même quand une autre chose (une autre difficulté, un autre problème) est plus en avant, domine davantage dans la conscience, tout est là (dans l’atmosphère autour), et tout le temps il y a cette Lumière (Mère fait un geste de nettoyage de l’atmosphère) que j'ai toujours eue – dont je suis devenue tout à fait consciente avec Madame Théon qui m'a dit ce que c'était –, que j'ai toujours gardée, qui est une Lumière blanche absolument pure, mais d'une blancheur si éclatante que les yeux ne peuvent pas la regarder, et qui est...

(long silence. Mère part dans cette Lumière, les yeux clos)

Je dirai ce qu'elle est, plus tard.

Mais en tout cas, c'est de cette force dont Dourga se sert. Et c'est la force qui est INVINCIBLE pour les asouras – c'est comme cela. Ce qu'elle est... on le saura plus tard.

(silence)

Mais ce n'est pas la Victoire totale, non. Ce n'est pas le pouvoir de transformation. Je t'avais dit l’autre jour, peut-être, qu'une de mes activités maintenant consistait en une sorte de concentration consciente sur un individu ou un autre, une chose ou une autre, pour obtenir le résultat voulu. Pendant des années et des années, la Volonté et la Force agissaient d'en haut, et l’être conscient extérieur (de Mère) ne s'occupait plus de rien sachant que cela ne pouvait que compliquer les choses et pas aider, et que la Force, laissée à elle-même, directement sous l’Impulsion suprême, faisait les choses beaucoup mieux, beaucoup plus exactement. Mais depuis quelques mois, il y a une volonté et une tendance qui font que l’être matériel (de Mère) participe consciemment à des détails d'exécution. Et il est d'une sorte d'obéissance passive, ce qui fait que quand ça a été vu (la nécessité de l’intervention matérielle de Mère), ça a commencé. Et un cas s'est présenté dernièrement; il s'agit d'un très bon ami de l’Ashram, un homme qui occupe une position importante et qui était très-très utile. Il a dû être opéré (je ne vais pas raconter toute l’histoire, ce serait trop long), et on recevait deux, trois dépêches par jour et c'était suivi pas à pas. Il y avait une force très puissante de destruction – c'était une lutte très âpre –, et il y avait une volonté de le conserver, parce que, dans ce corps-ci, il avait été très utile et il continuait d'être très utile et il pouvait encore être très utile. Il avait une grande foi, une grande confiance, et il était conscient (une conscience très suffisamment développée: je le voyais constamment; constamment il venait à moi). Il est tombé entre les mains d'un charcuteur; enfin, ça a été misérable. Pourtant, alors que tout le monde s'attendait à ce qu'il s'en aille, il tenait le coup et constamment il disait (on avait des nouvelles par son fils), il sentait que c'était moi qui le faisais vivre. Et alors je voyais même ce qu'on aurait dû faire et j'envoyais constamment la formation, la pensée: «Mais c'est ça, c'est ça qu'il faut faire», avec insistance. Finalement on a attrapé la pensée, mais je crois (je ne sais pas parce que je ne connais pas les détails, les petits détails matériels), probablement ça n'a pas été fait comme il fallait – c'est pour cela que je dis que ce doivent être des charcuteurs. On lui a donc fait trois opérations coup sur coup; il a subi ça et, après, il est venu me trouver (il venait très souvent – on disait tout le temps qu'il était drowsy, en demi-coma; ce n'était pas cela: il vivait intérieurement), il est venu me trouver et il était tout à fait conscient comme d'habitude, mais il m'a dit: «Je crois que mon corps est définitivement abîmé et si maintenant je survis, ce corps, au lieu d'être une aide et un moyen de travail, va être un empêchement, un encombrement, une difficulté, et je viens demander à être libéré – je préfère entrer dans un nouveau corps.» Je lui ai répondu tout de suite: «Mais tel que tu es, tu es utile, très utile; la situation que tu occupes fait que tu es très utile; tu es tout à fait conscient; ce serait bien que tu puisses te rétablir.» Alors il a écouté, il a insisté encore un peu, j'ai insisté aussi, puis il est parti.

Le lendemain matin, il était beaucoup mieux; j'espérais qu'il avait pris la décision de rester, mais on n'a pas eu de nouvelles pendant à peu près vingt-quatre heures, et puis, subitement, on a appris qu'il ne respirait plus, on lui donnait de l’oxygène. Puis il est parti.

Et j'ai vu si clairement: s'il avait consenti... (naturellement l’âme de chaque être est libre; elle est libre de décider), mais s'il avait consenti à rester, j'aurais eu le pouvoir de le maintenir, de garder le corps en état suffisant pour qu'il puisse vivre, MAIS JE N'AVAIS PAS LE POUVOIR DE RÉPARER LE DOMMAGE QUI ÉTAIT FAIT – ça, ce n'est pas encore là.

Ça m'a donné l’exacte mesure. Ce n'est pas encore là. La transformation, ce n'est pas encore là.

C'est-à-dire que ce n'est pas quelque chose qui est POSSÉDÉ de telle façon que je puisse le passer à quelqu'un. Beaucoup d'autres pouvoirs sont possédés et peuvent être passés à celui-ci, celui-là, mais ça...

Maintenant je vais essayer (je dis toujours «essayer» parce que... parce qu'il y a toujours des oreilles malveillantes qui écoutent!») enfin le prochain pas, c'est de lui donner une nouvelle demeure. Ça, c'est dans le domaine des choses non seulement faisables mais qui sont faites tout le temps.

Il était très conscient, il avait une jolie foi. C'était un homme actif, très énergique (un petit homme). Actif! très énergique, d'une grande autorité, oh!... l’idée d'être à la merci de gens qui seraient obligés de le soigner... il a préféré partir. Il était suffisamment conscient pour savoir que l’essence de son être, l’essence de son expérience n'est pas perdue – mais il y a tout de même tout ce que l’on a construit matériellement petit à petit, et dans son cas surtout, sa position qui est le résultat de toute une vie. Je ne sais pas...

Recommencer dans un petit bébé?... (Mère secoue négativement la tète) C'est bien cela, n'est-ce pas; quand Sri Aurobindo est parti, il a dit: «Je reviendrai dans un être formé d'une façon supramentale – entièrement conscient, ayant ses pleines capacités.»

10 juillet 1963

(À propos de la traduction anglaise de «l’Aventure de la Conscience»:)

...Il y a une chose qui est intraduisible, c'est le rythme musical de la phrase – c'est impossible. Parce que le rythme anglais et le rythme français ont une façon tout à fait différente; ce qui est poétique en anglais, ce rythme-là, si on le traduit exactement, ce n'est pas poétique du tout en français. Alors une traduction est une traduction, il faut en prendre son parti... Mais il restera encore bien assez d'idées pour que cela fasse du bien aux gens!

Non, mais souvent cela devient très coupé. Le français est haché, fort, avec un rythme, alors en anglais on a l’impression que ce sont des petits bouts coupés, collés. Mais enfin je crois qu'elle fait le mieux possible.

Mais Sri Aurobindo m'a toujours dit que le français traduit faisait du bon anglais, tandis que l’anglais traduit fait du mauvais français. Justement, il y a une précision de langue, qui vient de la traduction, qui n'existe pas dans l’anglais naturel. Enfin je sais que ça ira.


(Puis Mère lit un passage de «Savitri»:)

Il y a ici quelque chose...

A slow reversal’s movement then took place:
A gas belched out from some invisible Fire,
Of its dense rings were formed these million stars;
Upon earth’s new-born soil God’s tread was heard.

(II.101)

C'est magnifique... magnifique.

En français, ce serait pauvre.1

Je ne cherche pas à traduire poétiquement, j'essaye seulement de donner le sens. Je lis la phrase anglaise jusqu'à ce que je VOIE le sens clairement, puis, quand je vois, je le dis en français, mais très maladroitement –je n'ai pas la prétention d'être poète! Seulement le sens est juste.

Cette traduction ne servira à rien du tout – elle ne sert qu'à moi. Mais je n'ai même pas le temps, j'ai à peine une demi-heure à lui donner tous les jours – je peux bien me donner une demi-heure à moi-même tous les jours!


(Le disciple lit à Mère une ancienne conversation, du 11 mai, ou Mère disait que le vrai mantra n'est pas celui qu'un gourou vous donne, mais celui qui jaillit spontanément du dedans, comme le cri de votre âme.)

Mais comment se fait-il, si le mantra contient automatiquement le pouvoir de l’expérience, que l’on dise toujours qu'à moins que le mantra ne vous ait été «donné» par le gourou, il n'a pas de pouvoir.

Quand vous n'avez pas de pouvoir vous-même, naturellement! Si, par exemple, n'importe qui vient et me demande un mantra, je ne lui dis pas de trouver son mantra intérieur... Ce que je dis là s'applique à ceux qui sont en contact avec leur âme. Mais ceux qui ne sont pas en contact conscient avec leur âme ne peuvent pas avoir le mantra – c'est la tête qui cherche un mot, alors ce n'est rien. J'ai dit que le mantra doit jaillir du dedans – pour ceux-là, ça ne jaillit pas! Ils ne l’ont pas. Ils ne l’ont pas, ils ne risquent pas de l’avoir! Alors c'est le gourou qui passe le pouvoir qu'il a.

Oui, mais un mantra qu'on lit dans un livre, par exemple, il paraît que ça n'a pas de force – comment se fait-il, puisque la vibration est là?

Mais quelqu'un qui a le pouvoir en lui, il le lit dans le livre et il a la force! (Mère rit) C'est la capacité de sentir et d'être en contact qui est nécessaire.

Au fond, le gourou, qu'est-ce qu'il fait? Il met ensemble (geste de jonction), ce n'est pas autre chose qu'un lien. Ce n'est pas «son» pouvoir qu'il vous donne (il le croit, mais ce n'est pas vrai): il est le lien. Il vous met en contact avec le Pouvoir – un contact que vous n'avez pas sans lui. Mais ceux qui n'ont pas besoin de gourou, ils ont le contact SANS le gourou.

Ce n'est pas du tout quelque chose qu'il a dans sa poche (riant) et dont il vous fait cadeau! Ce n'est pas du tout cela: c'est le pouvoir d'établir le contact.

(silence)

Au fond, c'est simplement une question de conscience: les gens (ordinaires) ont une conscience qui va jusqu'à un certain point (qui n'est généralement pas très lointain), et après cela, pour eux, c'est «l’inconscient» (quoique ce soit plein de conscience!), mais c'est pour eux l’inconscient parce qu'ils n'ont pas de contact. C'est comme la nuit quand on s'éveille dans un autre état d'être et que l’on devient conscient, on a un «rêve» (ce que les gens appellent un rêve, c'est-à-dire une expérience), puis ils reviennent dans leur conscience ordinaire et il n'y a pas de contact entre les deux consciences, alors ils ne se souviennent même pas de leur rêve. Mais on peut, par un développement méthodique, prolonger sa conscience et faire un lien entre les deux; et de la minute où on a un lien, il suffit de très peu de chose pour se souvenir de tout. Mais ce qui est difficile, c'est de prolonger sa conscience.

Et au fond, le vrai pouvoir du gourou, c'est de boucher les trous! C'est de vous mettre en contact; quand on est dans les plans supérieurs, de vous mettre en contact avec Tout-en-Haut. Ou de vous mettre en contact avec votre âme, votre être psychique au-dedans, ou de vous mettre en contact avec le Suprême – mais ça, il n'y en a pas beaucoup qui puissent le faire.

(silence)

C'est cela que je voyais quand je t'avais parlé l’autre jour de ce que j'appelais un «bain de Seigneur». l’atmosphère est pleine, n'est-ce pas, pleine-pleine d'une Présence (on ne peut même pas dire une «vibration», c'est beaucoup plus qu'une vibration: c'est une Présence), mais les gens entrent, ils ne sentent rien! Ou s'ils sentent, ils ne comprennent même pas, ça ne correspond à rien dans leur conscience. Mais si je concentre une certaine vibration sur leur conscience, je les mets en contact. Et tout d'un coup, ils sentent quelque chose, avec l’impression que c'est une chose nouvelle – ce n'est pas nouveau du tout! c'est leur capacité de percevoir qui est nouvelle.

Et d'une façon générale, c'est comme cela: le Seigneur est partout, Sa vibration est partout, mais c'est la capacité de Le sentir ou d'en être conscient qui est nouvelle. De toute éternité Il est là, pour toute éternité Il est là.

Et l’expérience que j'ai constamment – constamment –, ce n'est pas que je vais chercher quelque chose qui n'est pas là et que je l’amène là où ce n'est pas! Quand je dis au Seigneur: «Manifeste-Toi», je ne veux pas dire qu'il ne s'est pas manifesté! je veux dire: «Donne-nous le pouvoir de sentir Ta manifestation.» Il faudrait dire (je ne sais pas si c'est français ou si c'est une traduction de l’anglais): «Rends-Toi manifeste... Permets que nous devenions conscients de Ta Présence.»

Et ça donne bien le sentiment de l’Irréalité, de l’Inconscience – et de tout le désordre qui en résulte. Parce qu'il y a une Réalité CONSTANTE, un Ordre divin CONSTANT, et c'est seulement l’incapacité de le percevoir qui est le Désordre, le Mensonge actuel.

Les expériences sont en train de se multiplier; alors, extérieurement, c'est comme si tous les gens commençaient à se disputer, à se quereller (riant, encore beaucoup plus qu'avant!) pour les choses les plus futiles du monde, absolument inutilement, sans raison, comme cela. Et alors, pour moi, les deux deviennent visibles en même temps: la chose vraie et sa déformation; l’événement tel qu'il devrait se passer et la déformation. Et l’événement RESTE LE même – la déformation est simplement comme une excroissance qui est dessus, tout à fait inutile, qui complique atrocement, pour rien. Et alors, qui donne tout à fait l’impression vraiment du Mensonge (dans le sens de falsehood, pas dans le sens de lie):2 ça n'a pas de sens, ça n'a pas de raison d'être, c'est absolument inutile, parfaitement imbécile, et pourquoi c'est là??... C'est pris et tordu – tout est pris et tordu. Quelle est cette habitude de tordre les choses? Je ne sais pas.

Au fond, on se demande qui ça amuse?! Les gens se plaignent, ils disent qu'ils sont bien malheureux – mais c'est leur propre faute! ce sont eux qui font cela! S'ils ne le faisaient pas, tout serait tout à fait simple.

Et les événements ne seraient pas changés.

(silence)

Voilà.

C'est tout?

À moins que tu ne veuilles demander quelque chose?

Non... J'étais à contempler ce que tu disais... C'est vrai, on voit les choses à l’envers.

Oui, c'est ça! c'est tout à fait ça!

En ce moment, je suis en train de vivre cette expérience à chaque minute, avec tout-tout, tous les gens et les choses qui m'entourent, à chaque MINUTE. C'est tout à fait intéressant.

Tiens, c'est comme ce que Pavitra m'a dit hier: il avait toujours l’habitude de sortir de son corps dans son aspiration et de monter très haut – je lui avais dit cent fois de ne pas le faire, que ce n'était pas bon (pour lui; pour un autre, je dirais de le faire). Il n'avait jamais compris, et chaque fois qu'il méditait, brrt! il sortait de son corps. Alors l’autre jour, il m'a dit: «Ah! maintenant j'ai compris! je cherchais toujours Mère là-haut, et puis tout d'un coup, je n'ai plus rien trouvé. Alors je me suis concentré ici (dans le corps) et puis j'ai trouvé Mère imédiatement», et il a ajouté: «C'est parce que Mère est ici maintenant!» (Mère rit) Je ne lui ai rien expliqué, mais c'était tellement ça!

Je ne lui ai rien dit, mais j'ai souri comme si c'était une découverte qu'il avait faite!

On cherche à entrer en rapport avec quelque chose qui est là!

(silence)

Et le Pouvoir... c'est une montagne d'expériences qu'il faudrait dire. Le Pouvoir, pendant des années et des années et des années, était comme cela (geste au-dessus de la tête): la Conscience est là et le Pouvoir agit comme cela (même geste); et ça prend longtemps pour se traduire (ça dépend des gens, mais enfin ça prend toujours du temps pour se traduire), et ça se déforme au passage; et alors ce qui reste est un résidu pas très efficace. Je demandais au-dedans de moi: «Mais pour que tout ça change, il faudrait un pouvoir direct! Il faudrait un pouvoir qui se fasse sentir directement, c'est-à-dire qui passe de cellule à cellule: vibrations de même qualité...» Ça commence à venir. Mais je me demandais aussi pourquoi ça ne vient pas plus vite?... Quoique je le sache très bien: c'est parce que nous déformons tout; nous avons une telle habitude de vivre dans une conscience mentalisée que nous déformons tout, et que naturellement le Pouvoir ne peut pas venir pour être déformé. Et maintenant, la leçon est ainsi: le Pouvoir vient pour un fait spécial, par exemple pour agir sur quelqu'un – et le Pouvoir est là, il agit –, et en même temps, il m'est donné d'observer, de visualiser réellement les... (comment dire?)... Sri Aurobindo emploie le mot accretions («excroissances» n'est pas le vrai mot, parce que excroissance donne l’impression de quelque chose qui croît du dedans au dehors – ce n'est pas ça, c'est quelque chose qui vient du dehors et qui s'ajoute). Je visualise comment la déformation vient et s'ajoute automatiquement sur le Pouvoir – et ça gâte tout. Alors le Pouvoir s'arrête net, on remet tout en place... et puis ça recommence.

Il faut une observation très aiguë, très attentive, et surtout très impersonnelle (dans le sens d'objectif, où il n'y a aucune réaction), pour voir ces choses-là.

C'est petit à petit, petit à petit que l’on apprend le vrai fonctionnement; parce que ces choses qui s'ajoutent et qui gâtent, ce ne sont pas des adjonctions volontaires venant d'un désir ou d'une impatience, ou d'un excès d'enthousiasme – ce n'est pas tout cela, c'est... une habitude. C'est tout simplement une habitude. C'est-à-dire que l’élément psychologique est purifié et n'intervient pas: c'est seulement une habitude. La substance a l’habitude de faire ça, elle le fait. Alors il faut lui apprendre à ne pas bouger, à se tenir tranquille; que lorsque la Vibration vient, cette espèce de chose qui se précipite ne se précipite pas.

C'est très intéressant.

C'est comme si l’on se tenait au seuil d'une réalisation for-mi-da-ble, et qui dépend d'une chose toute petite.

(silence)

Sri Aurobindo a dit quelque part que les réalisations miraculeuses ne durent pas (elles se produisent, mais elles ne durent pas) et que c'est seulement la transformation qui fera que ce sera durable – maintenant je comprends! Parce qu'il se trouve des gens qui, pour une raison quelconque (un moment, un éclair, une utilité), reçoivent la Force: tout d'un coup la Force vient, passe, agit, le résultat est fantastique, mais... ça ne se reproduit pas. Ça ne peut pas se reproduire, parce que c'est comme un concours de circonstances, c'est tout. C'est seulement quand un petit travail comme cela, de transformation que l’on pourrait appeler «locale», sera achevé et qu'il y aura la pleine conscience dans la pleine maîtrise de la manière de se servir de la Force sans que rien n'intervienne, que, alors... c'est comme l’expérience de chimie que l’on a appris à bien faire: on peut la refaire à volonté, chaque fois que c'est nécessaire.

C'est la période du travail actuel. C'est très intéressant.

Mais sans gloire!

13 juillet 1963

Je reçois des lettres de partout, d'Argentine, du Canada, etc., de gens que je ne connais pas mais qui sont bien gentils. Tiens, écoute (Mère prend une lettre près d'Elle), c'est la mère de Z qui est ici: If I were within walking distances of you, I would pick a rose, not yet full bloomed, laden and fragrant, to lay at your feet. This sounds like a love letter – well, it is! My son has been trying to teach me through you that all letters should be love letters...1 C'est joli. Alors je lui ai répondu ceci: Indeed, all life is love if we know how to live it.

[En vérité, toute la vie est amour, si nous savons la vivre.] Et alors Nolini m'a dit...

(Mère relate certaines affaires de l’Ashram)

...La Force semble agir à distance plus fortement que tout près – c'est curieux. C'est-à-dire qu'elle agrippe les gens et elle ne les lâche plus. Évidemment, tout près, il y a en moi toujours cette volonté constante de ne pas influencer: d'aider sans influencer – laisser une liberté totale. Et ça... au fond, les gens ne sont pas prêts pour cela. Et pourtant, c'est comme cela que je comprends les choses! J'ai l’impression que le monde ne peut être vrai que s'il est absolument libre.

Et plus on a de pouvoir, moins il faut influencer.

Mais ce doit être probablement dans ma conscience très matérielle (cette volonté de ne pas influencer), alors de loin, ça ne compte pas: les gens sont pris, saisis, tenus comme cela, puis plus lâchés. C'est très intéressant.


(Puis Mère raconte la visite de X)

Je lui ai donné son «bain de Seigneur»!

C'était très intéressant. J'avais quelqu'un à voir avant lui et je voulais avoir le temps d'arranger l’atmosphère, mais c'est allé assez vite. Alors «ça» s'est condensé, accumulé. C'était une atmosphère absolument immobile, avec seulement la vibration interne – je ne sais pas comment expliquer... J'ai déjà dit cela plusieurs fois: il y a une Force qui ne se déplace pas, par conséquent on peut dire qu'elle est absolument immobile, mais qui a une intensité de vibration INTÉRIEURE beaucoup plus considérable que la vibration du déplacement. Et ça, c'est une lumière d'un doré CLAIR: ce n'est pas blanc du tout, c'est doré. Mais ce n'est pas un doré de couleur soutenue: c'est une couleur claire. C'était tout plein (il n'y avait plus de murs dans la chambre), et c'était condensé-condensé, comme si... serré comme si... n'est-ce pas, sous pression. Il n'y avait plus que la vibration intérieure.

Il est entré, et ça a fait juste le remous de son entrée. Il lui a fallu peut-être une ou deux minutes pour qu'il s'adapte. Je ne sais pas quelle a été sa première impression mais, visiblement, il avait l’air un peu gêné – pas mal à l’aise mais presque étonné, comme s'il se demandait: «Qu'est-ce qui se passe?» Puis au bout de deux minutes, même pas, il a fait son mouvement habituel, et il est resté vingt-deux minutes exactement sans RIEN bouger. Rien n'a bougé. l’atmosphère était absolument immobile, pas une pensée, pas un mouvement, pas une réaction, rien.

Après, est venu du dehors qu'il était temps (j'avais dit à C d'ouvrir la porte et la porte n'était pas encore ouverte), ça a dérangé un petit peu, mais ça venait justement de là où devait être C. Puis j'ai vu que la porte était ouverte: c'était vingt-deux minutes après. Alors j'ai regardé X une ou deux fois et il a ouvert les yeux.

Je dois dire que c'est exceptionnel.

Pendant cinq minutes, dix minutes (j'ai même été jusqu'à un peu plus de dix minutes avec une ou deux personnes), il est arrivé que tout restait comme cela, absolument sans bouger: pas une pensée, tu comprends, rien. l’atmosphère était bien préparée, mais généralement ça ne tient pas avec les gens, même ceux qui viennent avec les meilleurs dispositions du monde: au bout d'un certain temps, ils ne peuvent plus – ils ne peuvent plus le supporter.

Et lui, surtout ce qui était remarquable, c'était le silence. Le silence mental.

Les autres fois, je te l’avais dit, je l’avais plus ou moins suivi pour voir ce qui se passait. La première fois que je l’avais vu ici (dans la chambre du haut), son aspiration montait en cône, mais c'était un cône un peu rigide et d'une lumière argentée spirituelle qui donnait l’impression d'une lumière... (comment dire?) une lumière common-place, je ne sais pas comment expliquer... quelque chose de très courant, rien d'exceptionnel; et c'était comme un cône et ça montait en pointe, une pointe très aiguë qui se terminait par un point qui était inexistant – une inexistence. Ce n'était pas très satisfaisant. Mais cette fois-ci... Justement c'était ce que je voulais, préparer cette atmosphère pour voir. C'était bien.


Peu après

Alors, qu'est-ce que tu m'apportes?

Une lettre de l’éditeur.

Ah!

Voici ce qu'il dit:

«Il me faut maintenant me résoudre à vous écrire. J'avoue que c'est avec regret et tristesse, puisque c'est pour vous dire que nous ne croyons pas pouvoir publier votre livre sur «Shri Aurobindo ou l’aventure de la conscience». J'avoue que ce qui m'a retenu ces derniers temps de vous écrire, ce n'est pas tant la crainte de vous faire de la peine à vous-même, car vous savez dépasser le choc que ne peut manquer de causer ce genre de nouvelle, que l’impossibilité où je savais être de vous expliquer nos raisons. Franchement, nous n'arrivons pas à vraiment comprendre ce livre. Et expliquer les raisons pour lesquelles on ne comprend pas, comment faire? Pour ma part, j'ai eu souvent le sentiment de passer d'un plan à un autre, de celui du fait à celui de la conjecture, de celui de la logique (à partir de termes définis) à celui de la présupposition (à l’intérieur d'une cohérence sans liens avec ce que vous donnez à connaître). Je sais que tout ce que je vous dis est contestable. Je sais aussi, ou je devine, qu'il y a derrière ces pages toute une expérience vécue, mais à laquelle on n'a pas le sentiment que le lecteur puisse participer. Pourquoi? Une fois encore je l’ignore. Aveuglement du lecteur, c'est très possible. Limitation de l’esprit, aussi. Mais un livre doit faire le pont, crever l’écran, et sans doute y a-t-il des cas où il ne dépend plus de l’auteur de le faire. Il me faut donc vous renvoyer ce manuscrit-ci.»

(Signé, P.A.L)

Il est noyé. C'est très amusant!

Ça n'a aucune importance.

??

Oui, ça veut dire que le livre est vraiment très bien.

!?

J'ai eu l’impression que Sri Aurobindo y avait mis beaucoup de sa force pour que ce soit une révélation, beaucoup. Et j'ai été convaincue que mon impression était correcte dès que Pavitra m'a dit que ça lui avait ouvert des portes qui ne s'étaient jamais ouvertes. Mais ça veut dire qu'il faut que ce soient déjà des gens qui savent beaucoup. Ce livre est peut-être un pas en avant, ce n'est pas seulement une explication.

Nous verrons en Amérique, là je crois qu'il aura beaucoup de succès.

Il y a moins de barrières.

Ils sont plus jeunes, n'est-ce pas. Ils sont jeunes et ils ont encore le sentiment de vouloir apprendre – ils se trompent, ils font un gâchis de beaucoup de choses, mais il y a ça: ce besoin d'apprendre.

Les Français sont un peu racornis.

Ils sont pris dans des constructions raffinées, mais terribles.

Oui. Et puis ils se savent trop intelligents. Ce sont des châteaux intellectuels dans lesquels ils sont emprisonnés!

J'avais presque envie d'envoyer mes bénédictions à ton éditeur... s'il se mettait à comprendre, ce serait drôle!

Je crois qu'il n'y a pas beaucoup d'espoir!

Tu crois que les cellules ne sont pas là!

Non, et puis il y a toute leur formation.

C'est sur un autre plan.

Ça viendra un jour.

Non, mais j'ai eu un contact.

?

Juste maintenant, quand je te parlais. C'est pourquoi je disais: j'ai envie de lui envoyer mes bénédictions. «Avec mes bénédictions pour que tu comprennes!»

Oui, tout d'un coup, un contact.

Nous assisterons à des choses étranges – ça tu peux en être sûr.

La Force travaille d'une façon extraordinaire... Je te dirai cela une autre fois, pas aujourd'hui.

17 juillet 1963

Nolini me disait que depuis que la Force va en augmentant, tous les jours c'est une pluie de lettres de gens qui crient leur misère, morale ou matérielle; c'est un cri général pour appeler à l’aide et, m'a-t-il dit: «Ce qui est remarquable, c'est que personne ne demande une aide matérielle», ils demandent tous mes bénédictions en disant (ils ont la foi) que ça les soulage; il dit: «C'est la note presque identique dans tous.» Les relations avec l’extérieur ont considérablement augmenté; avant, c'étaient seulement les gens qui me connaissaient, mais ce sont des quantités de gens absolument inconnus.

Pendant la partie de la nuit qui est réservée au travail (généralement entre deux heures et quatre heures et demie... un peu plus, un peu moins), tous les jours maintenant, je vois des gens que je ne connais pas physiquement – tout le temps, tout le temps, et beaucoup de travail. Le travail que je faisais avec les personnes autour de moi, maintenant paraît se répandre: il y a là des endroits que je ne connais pas du tout. Et toujours, toujours c'est dans quelque chose en construction – toujours c'est en construction, toujours. Même, il arrive que je sois en train d'essayer des constructions nouvelles, c'est-à-dire de passer ici, de passer là, de faire ça, d'essayer ça, d'essayer ceci;1 et en même temps de travailler avec des gens qui, eux, ne sont pas pris là-dedans – ils sont à côté. C'est au point que ce matin, quand je me suis levée, je me suis dit: «Est-ce que ça ne va pas cesser? Est-ce que je ne vais pas me reposer!» Mais alors, c'était toujours une réponse (qui n'est pas une réponse de mots, qui est une réponse de FAITS) instantanée: ça ne prend pas de temps, ce n'est pas progressif, c'est instantané.2

Et en même temps, c'est le repos étal – tu sais, le repos étal? – dans cette Lumière (probablement c'est la Lumière telle qu'elle se manifestera). C'est une Lumière dorée, pas très soutenue, pas très claire non plus; un peu moins claire que celle dont je parle quand je concentre;3 un petit peu plus soutenue que cela, mais pas foncée – une Lumière dorée et absolument immobile, avec une intensité de vibration intérieure telle qu'elle ne peut pas être sentie, qu'elle dépasse toute perception. Et alors c'est le repos parfait – instantanément. Et dès que je me plains, c'est toujours la même remarque ironique qui vient: «Oh! quand on peut avoir ça au milieu du travail, il ne faut pas se plaindre!» Les deux états sont... on ne peut pas dire simultanés (naturellement, ce n'est pas l’un après l’autre, c'est les deux ensemble), mais ce n'est pas comme deux choses qui sont ensemble, c'est... deux façons de regarder, pourrait-on dire, deux points – pas points de vue... un regard horizontal et un regard... ou plutôt, un regard particulier et un regard général. Le regard particulier, c'est le regard de l’activité imédiate, et puis un regard général et constant, du tout; et dès qu'on regarde le tout, c'est... (geste étal) une paix immuable, un repos invariable. Et alors c'est comme si les choses se gonflaient – se gonflaient d'un contenu infini.

Et ça ne demande pas de préparation, ce n'est pas quelque chose à obtenir: c'est quelque chose qui est TOUJOURS là. Seulement ça vient aussi de ce que je ne suis ici (c'est si clair, si clair! ça ne demande aucune réflexion, aucune observation, c'est un fait tellement établi)... je ne suis ici pour rien, absolument rien, aucune satisfaction d'aucun genre, dans aucun plan, sur aucun point – ça n'existe plus, ça n'a plus de réalité, ça n'a plus d'existence. La seule chose que je SENTE encore, c'est une sorte de... ce n'est pas une aspiration, ce n'est pas une volonté, ce n'est pas une adhésion, ce n'est pas un enthousiasme, c'est quelque chose qui est... peut-être, ça ressemble le plus à un pouvoir: faire l’Œuvre du Seigneur. Et en même temps, je sens le Seigneur... n'est-ce pas, Il n'est pas là en face de moi ou en dehors de moi! ce n'est pas ça, Il est partout et... Il est partout et je suis partout avec Lui. Mais ce qui tient ces cellules ensemble dans une forme qui se perpétue, c'est ça, ce quelque chose qui est à la fois la volonté et le pouvoir (mais c'est plus que cela) de faire l’Œuvre du Seigneur. Ça contient quelque chose qui, probablement, doit se traduire dans les consciences par la Félicité, l’Ananda (je dois dire que c'est un aspect du problème dont je ne m'occupe pas). C'est quelque chose comme l’intensité d'un super-. amour pas encore manifesté – c'est impossible à dire.

Il y a quelque temps j'ai fait une découverte comme cela: quelqu'un m'a demandé s'il y avait une différence entre l’Ananda et l’Amour; j'ai dit non. Alors il m'a dit: «Mais comment? il y a des gens qui sentent l’Ananda et il y a des gens qui sentent l’Amour...» Je lui ai dit: «Oui! ceux qui sentent l’Ananda, ce sont ceux qui aiment à recevoir, qui ont la capacité de recevoir; et ceux qui sentent l’Amour, ce sont ceux qui ont la capacité de donner.» Mais c'est la même chose: on le reçoit comme Ananda, on le donne comme Amour.

Alors, probablement, quelqu'un qui est plus du côté de «recevoir» appellerait cette Vibration l’Ananda – c'est peut-être cela qu'on appelle «la joie de la vie», je n'en sais rien... Ça ne ressemble absolument à rien de ce que les êtres humains appellent la joie. C'est vraiment l’impression de quelque chose qui est plein au lieu d'être vide – la vie, telle que les gens la vivent, telle que je les vois la vivre, est une chose creuse, vide, sèche. C'est creux. C'est dur et c'est creux en même temps. C'est vide. Et alors, quand je travaille comme cela, comme je le disais, tout ce qui m'entoure, tout le travail, tout ça, c'est... oui, ça donne l’impression d'être sec et creux; et l’autre chose qui est là, on a tout de suite l’impression: plein-plein-plein-plein – plein! n'est-ce pas, débordant, il n'y a plus de limites. C'est tellement plein que tout-tout, toutes les limites sont balayées, effacées, disparues – et il n'y a plus que Ça, ce Quelque chose. C'est pour cela que les cellules restent agglomérées – c'est à cause de Ça, c'est pour Ça, c'est par Ça. Pour rien d'autre.

Ça devient de plus en plus constant, évident – naturel, spontané. Et l’impression de plus en plus que le Toi – n'est-ce pas, ce Toi, ce Toi d'adoration –, Toi... c'est seulement pour le plaisir! Je ne sais pas comment dire. C'est presque comme un éclat de rire... tellement c'est évident qu'il n'y a aucune différence. Oui, mais il y a le: «Oh! c'est si amusant de dire Toi!» C'est comme cela.

Tout ça se passe là-dedans, dans le corps.

20 juillet 1963

Alors, qu'est-ce que tu as à me dire? Raconte-moi quelque chose!

Je n'ai pas de choses intéressantes à raconter. J'ai une impression bien stagnante.

Enfin, cette fois-ci, j'ai bien observé, soigneusement observé: l’arrivée, le séjour et le départ de X. Parce qu'il y avait des opinions: quelques-unes très mauvaises, qu'il apportait toujours des difficultés, et d'autres qui pensaient toujours qu'il apportait quelque chose. Eh bien, pour te dire la vérité, il n'y a rien, QUE ce que les gens pensent.

Oui.

Simplement ce qu'ils pensent. Autrement, son arrivée, son séjour, ses méditations, son départ: absolument neutre. C'est-à-dire que je n'ai noté ni une augmentation de difficultés ni une amélioration de condition. Les choses vont leur petit bonhomme de chemin et ça ne fait aucune différence. C'est un mélange d'atmosphère qui ne change rien.

J'avais décidé d'étudier très soigneusement, d'une façon tout à fait objective, pour être sûre – parce que j'étais entourée de toutes les vagues de toutes les impressions, bienveillantes et malveillantes à la fois, et que je trouvais tous ces remous ridicules. J'ai fait l’observation d'une façon tout à fait scientifique et objective: tout-tout-tout l’effet est purement mental. Tout le remous: mental.

Voilà.

C'est tout.

Et alors, pour toi, il ne t'a rien dit? Pour ton yantram? Tu ne lui as pas demandé?

J'ai perdu l’habitude de lui demander!

Il ne répond pas.

Alors depuis longtemps je ne demande plus.

Mais non! parce qu'il ne sait pas quoi répondre.

Peut-être!

Non-non, maintenant j'en suis sûre! Au début, je me disais: c'est peut-être... Mais non. J'en suis sûre.

Bon.

Tu en as encore pour combien de temps avec ça (le yantram)?

Jusque fin décembre.

Fin décembre... Note que la Force, le Pouvoir peut agir – simplement X est un instrument... à peine conscient. Ça peut passer à travers lui – ça, je ne dis pas non. Parce que, dans les méditations, ce qui est remarquable (j'ai regardé cette fois), au moment où la réceptivité était la meilleure, la plus complète, il a fallu que je descende à la forme tout à fait matérielle (de X) pour trouver une forme – tout le reste, il n'y avait plus de forme. C'est-à-dire que l’être intérieur n'est pas individualisé: identifié comme cela, fondu. Et alors c'est justement ce que Sri Aurobindo explique si bien: la différence entre celui qui s'identifie au Suprême par annihilation de son être, et celui qui peut exprimer le Suprême (geste de tirer en bas) dans un être perfectionné, partout. Et c'est cela qui fait toute la différence. De X, il ne restait que, pour ainsi dire, l’écorce extérieure (assez grossière, d'ailleurs, épaisse et lourde, avec des vibrations très lourdes), ça, c'était là, assis devant moi, et creux: la conscience était partie (geste montrant la conscience répandue, ou dissoute, dans l’Infini). Alors son pouvoir agit d'une façon presque médium-nique, c'est-à-dire que quand c'est X qui parle, c'est quelque chose de tout à fait ordinaire, mais la Force vient à travers lui.1

Mais ce qui est curieux, ce «yantram» semble exaspérer le mental physique.

Ça ne tranquillise pas quelque chose dans ton mental?

Généralement, le mental très matériel devient extrêmement actif.

Extrêmement actif...?

J'ai beaucoup de mal à le tenir. Un détail domestique, par exemple, des choses extrêmement matérielles, cela envahit ma conscience. Le reste est toujours tranquille, mais les choses extrêmement matérielles deviennent très actives.

C'est probablement que ça tire la Force dans un domaine très matériel...

Bon. Mais ça se calmera avec le développement.

Oui, je pense. D'ailleurs je vois que c'est bon, c'est utile.

Oh! oui, sûrement.

Mais par ailleurs, j'ai une grande impression de stagnation intérieure depuis quelques mois: ça n'avance pas. Là-haut, il y a toujours quelque chose; si je m'en vais là-haut, si je médite, si je suis branché là-haut, ça va, mais... j'ai l’impression que ça peut durer des siècles comme cela!

Oui.

Sans que ça change rien. Je n'ai pas l’impression de progrès.

C'est parce que l’action, le pouvoir de progrès agit maintenant tout à fait dans la Matière. Et là, il y a beaucoup-beaucoup de chemin à faire – beaucoup, oh!...

Il n'y a qu'à s'armer de patience, c'est tout.

Il n'y a que ça à faire. Être patient.

Mais matériellement, le corps est mieux ou...?

Parce que c'est là qu'est le progrès.

(silence)

Tous les rythmes habituels du monde matériel sont changés...

Le corps avait fondé son espèce de sentiment de bonne santé sur un certain nombre de vibrations, et quand ces vibrations étaient là, il se sentait en bonne santé; quand quelque chose venait les déranger, il avait l’impression qu'il allait être malade ou qu'il était malade, suivant l’intensité. Maintenant, tout cela est changé; ces vibrations de base ont été tout simplement enlevées, n'existent plus; les vibrations sur lesquelles il fondait son opinion de bonne ou de mauvaise santé: enlevées; c'est remplacé par quelque chose d'autre, et quelque chose d'autre qui est de telle nature que la «bonne santé» et la «maladie» n'ont plus de sens! Maintenant, c'est le sens d'une harmonie établie entre les cellules, et qui s'établit de plus en plus entre les cellules, et qui représente le bon fonctionnement, quel qu'il soit: il n'est plus question d'estomac, de cœur, de ceci, de cela. Et la moindre chose qui vient déranger cette harmonie est TRÈS pénible; et en même temps, il y a la connaissance de ce qu'il faut faire pour rétablir cette harmonie, instantanément; et si l’harmonie est rétablie, il n'y a pas de dérangement dans le fonctionnement. Mais si, par exemple, par curiosité (c'est une maladie mentale chez les hommes), on commence à se poser des questions: «Qu'est-ce que c'est que ça? Quel est l’effet, qu'est-ce qui va arriver?» (c'est ce qu'il appelle «vouloir apprendre»), si on a le malheur d'être comme cela, on est sûr (riant) d'avoir quelque chose de très désagréable qui, au dire du docteur (au dire des ignorants), devient une maladie ou un dérangement du fonctionnement; mais si l’on n'a pas cette curiosité malsaine et que, au contraire, on ait la volonté que l’harmonie ne soit pas dérangée, il suffit, pourrions-nous dire poétiquement, d'apporter une goutte du Seigneur sur l’endroit, et ça s'arrange.

Le corps ne peut plus savoir de la manière dont il savait avant.

Alors il y a une période où on est en suspens: ce n'est plus ça, ce n'est pas encore ça; c'est juste au milieu. Et c'est une période difficile où il faut être très tranquille et très patient et surtout – surtout – ne jamais avoir peur et ne jamais s'énerver, s'impatienter, parce que ces choses-là sont catastrophiques. Et la difficulté, c'est qu'il y a de tous les côtés et d'une façon constante toutes les suggestions imbéciles de la pensée ordinaire: l’âge, la détérioration, la possibilité de la mort, les constantes menaces de la maladie, de la moindre chose – la maladie et l’abrutissement... la déchéance. Ça vient tout le temps, tout le temps, tout le temps; et tout le temps ce pauvre corps harcelé, il faut qu'il se tienne bien tranquille et qu'il n'écoute pas, qu'il soit occupé seulement à tenir ses vibrations dans un état harmonieux.

Et quelquefois, je le surprends à avoir (ce doit être une chose très courante parmi les êtres humains) une sorte de hâte – une hâte, une sorte d'impatience et, en même temps, on ne peut pas dire crainte, pas anxiété, mais incertitude; deux choses à la fois: impatience de sortir du moment présent pour le moment imédiat, et en même temps incertitude de ce que ce moment imédiat va apporter; et ça fait une vibration de restlessness, comment dit-on en français?

Fébrilité, agitation?

C'est beaucoup – agitation est beaucoup, mais un manque de repos. Ce n'est pas véritablement de l’agitation mais c'est quelque chose qui manque du repos d'une certitude. J'attrape tout le temps mes cellules à être comme cela. Naturellement, je réagis, mais c'est un état très normal pour elles: toujours tendues vers le moment d'après, jamais la tranquillité du moment présent. Et ça se traduit (les mots que l’on emploie donnent une allure très concrète à quelque chose qui est assez fluide), ça se traduit par le sentiment d'avoir à supporter, endurer, et la hâte d'être sorti de cette endurance, avec un espoir (très faible et très inconsistant) que le moment suivant sera meilleur. Et c'est comme cela de moment en moment, de moment en moment, de moment en moment. Dès que la Conscience vient (geste de descente), qu'elle se concentre, que l’on amène la Conscience dans le moment présent, tout devient tranquille, immobile, éternel. Mais si l’on n'est pas TOUJOURS attentif, l’autre condition vient presque comme une subconscience: c'est là tout le temps. Et c'est TRÈS fatigant – ce doit être l’une des sources les plus grandes de fatigue de l’humanité. Surtout là (Mère touche son front, ses tempes), c'est très fatigant. C'est seulement quand on peut vivre dans l’éternité de la minute présente, alors tout s'arrête – tout devient blanc, immobile, calme, et tout va bien.

Mais c'est une vigilance constante – constante. C'est infiniment plus difficile que quand on travaillait même dans le vital; dans le vital, ce n'est rien! c'est un jeu d'enfant en comparaison; mais ici, ouf!... Parce que, n'est-ce pas, dans le mental, dans le vital, ce sont des mouvements d'organisation, d'action, de choix, de décision – c'est très facile de décider, de gouverner! Mais cette tension cellulaire, c'est à CHAQUE SECONDE: c'est l’activité inhérente à l’existence matérielle. C'est seulement quand on entre en samâdhi que ça s'arrête. C'est-à-dire quand, extérieurement, on est en transe. Alors ça s'arrête.

On me donne de temps en temps – deux, trois fois par jour – quelques minutes de ça. C'est un délassement merveilleux. Mais j'en sors toujours (c'est-à-dire que le CORPS en sort) avec une anxiété, en ce sens qu'il dit: «Oh! j'ai oublié de vivre!» C'est très curieux. C'est une seconde, mais une seconde d'anxiété: «Oh! j'ai oublié de vivre» – et toute la comédie recommence.

Non, ce n'est pas amusant. Et ce n'est intéressant que pour quelqu'un qui s'intéresse à TOUT, pour qui TOUT est intéressant, c'est-à-dire qui a cette espèce de volonté de perfection qui ne néglige aucun détail – autrement, ce n'est pas... Dès qu'on entre dans le mental, n'est-ce pas, le mental dit: «Ah non! Non, on perd son temps.» – Ce n'est pas vrai, mais il considère ça comme des balivernes.

(silence)

Je disais tout à l’heure que quand je sortais de ces moments de transe, le corps sentait: «Oh! j'ai oublié de vivre...» Ce n'est pas «vivre», c'est l’impression: j'ai oublié, à la fois, d'agir ou de concentrer, ou de faire la chose voulue; l’impression d'un serviteur qui, pendant une minute, aurait arrêté de travailler – c'est cela. C'est juste un éclair, et puis tout de suite vient le sens de la Présence divine, et c'est fini.

Ce n'est pas le mot «vivre», ce n'est pas ça, mais: «Faire ce que l’on doit faire.»

C'est surtout quand ça m'arrive dans la journée (ça m'arrive entre midi et demie et une heure – pas pour longtemps, quelques minutes, je ne sais pas; et entre cinq heures trente et six heures). La nuit, ce n'est pas la même chose parce que (je crois te l’avoir dit déjà), dès que je m'étends, le corps tout entier est comme une prière; c'est plus qu'une aspiration, c'est un besoin intense: «Seigneur, prends-moi TOUT ENTIER! qu'il n'y ait plus que Toi», et ça produit toujours un résultat (la transe) – qui dure plus ou moins longtemps, mais (comment dire?)... il est «entendu» que c'est le moment! Alors quand je m'éveille, ou plutôt quand le corps sort de là, il sait que c'est entendu, il n'a pas cette anxiété. Je ne sais pas comment expliquer... C'est presque un enfant comme conscience: c'est très simple, très simple. Et pas de complications, pas du tout de complications, très simple: faire ce que l’on doit faire de la manière qu'il faut en exprimant la Volonté suprême... N'est-ce pas, mélanger aussi peu que possible la Volonté suprême (ce n'est pas une question de Volonté: le Mouvement, la Vibration), mélanger ou déformer, ou détériorer aussi peu que possible la Vibration – on traduit par des mots qui sont trop intellectuels.

Mais c'est docile, de bonne volonté. Seulement, je trouve qu'il est un petit peu geignard (ce doit être particulier; je suis sûre que d'autres corps sont autrement), il n'est pas spontanément joyeux. Il ne se plaint pas, du tout, mais... Peut-être que c'est cette espèce de concentration de Force de progrès – ce n'est pas la satisfaction béate, du tout. Il y a longtemps qu'il a cessé de jouir des satisfactions ordinaires, comme le goût, l’odorat, tout ça; il n'en jouit pas – il est conscient, il est très conscient, il peut discerner les choses très clairement, mais d'une façon tout à fait objective, sans y prendre un plaisir quelconque.

Mais il a une tendance spontanée à se trouver incapable; et tout le temps il reçoit la même réponse: «C'est encore de l’ego.» Si souvent, ça vient comme cela; il dit au Seigneur: «Regarde comme je suis incapable de faire ce que Tu veux», et la réponse vient, directe, imédiate, comme un éclair: «Ne t'occupe pas de ça, ce n'est pas ton affaire»! Naturellement, je traduis pour m'expliquer, mais ce ne sont pas des mots, c'est tout des sensations – même pas «sensations»: des vibrations.

Voilà.

Alors tout cela doit avoir des répercussions sur les autres, comme l’autre jour Pavitra quand il m'a dit qu'il me cherchait «en haut» et qu'il ne me trouvait plus! Il est possible aussi que cet état de choses si terre-à-terre (nous pouvons vraiment dire que c'est terre-à-terre), cet état de choses très terre-à-terre puisse créer, pas un alourdissement parce que Dieu sait que ce n'est pas lourd! – c'est tout lumineux, vibrant, lumineux, tout vibrant-vibrant – ce n'est pas cela! mais c'est très par terre. Très par terre. Ça n'a pas les envolées, les enthousiasmes des choses mentales, des visions, rien de tout cela. Alors ça paraît un peu monotone et très-très par terre.

Oui, mais on n'a pas l’impression qu'on participe à quelque chose. Toi, tu es consciente, tandis que nous ne le sommes pas.

Oui, c'est ça, il n'y a rien qui donne une satisfaction d'aucun genre!

Oui, mais si on était conscient, on verrait au moins qu 'il se passe quelque chose, mais on est inconscient, alors on ne sait rien.

Oui, mais comment dire qu'il se «passe» quelque chose, mon petit!

On verrait qu'il y a un travail... Là, on ne voit rien du tout.

Mais non, on ne peut pas «voir»! Comment est-ce qu'on peut?

(silence)

J'ai une sorte de certitude (pas très formulée avec des mots: une certitude de sensation, d'impression) que lorsque ce travail sera terminé, le résultat sera... presque foudroyant. Parce que toute l’action du Pouvoir à travers le mental se dilue, s'atténue, s'adapte, se transforme, n'est-ce pas, et qu'est-ce qui arrive en bas...? (geste comme du sable.) Tandis que quand ce sera à travers cette matière (Mère touche son corps), évidemment ce sera formidable. Ça ne fait pas l’ombre d'un doute. Seulement quand est-ce que ce sera? Après combien de temps? Je ne peux pas dire. Quand on voit ça dans le détail, n'est-ce pas, ça a l’air d'être interminable.

Moi, je me console en me disant que les voies du Seigneur, nous ne les connaissons pas, et que le jour où il Lui plaira de dire: «Voilà, maintenant c'est changé» (Mère rit), nous n'aurons plus qu'à contempler!

Mais quand? Je ne sais pas. Voilà.

Il faut avoir de l’endurance, de la patience, et puis de la confiance – durer-durer-durer. Parce que, au fond, de toute façon, c'est la seule solution. Tous les chemins de détours que l’on prend (geste en zigzag comme pour montrer les disciplines spirituelles et toutes les recherches humaines habituelles), c'est simplement pour vous donner l’illusion que vous faites quelque chose.

C'est très clair.

(silence)

J'ai tout de même un espoir qu'en février de l’année prochaine,2 quelque chose sera tangible. Mais... (riant) Sri Aurobindo dit que l’homme vit d'espoir, du berceau jusqu'à la tombe! Mais enfin, ce n'est pas un espoir de ce genre-là: c'est une espèce de sensation. Il se peut qu'au mois de février prochain quelque chose se passe – nous verrons.3

24 juillet 1963

(Mère commence par lire une lettre inédite de Sri Aurobindo:)

About the present civilisation, it is not this which has to be saved; it is the world that has to be saved and that will surely be done, though it may not be so easily or so soon as some wish or imagine or in the way that they imagine. The present must surely change, but whether by a destruction or a new construction on the basis of a greater Truth, is the issue. The Mother has left... (riant) this question hanging and I can only do the same.1

(September 1945)

C'est admirable! (Mère rit) Admirable. Et c'est écrit en 45, c'est-à-dire pendant la guerre – la guerre n'était pas finie.

C'était la fin.2

Je veux distribuer cela le 15 août.

Is it still hanging? [Est-ce que c'est toujours en suspens?]

(Mère rit et ne répond pas)

Il y a deux autres lettres:

To bring the Divine Love and Beauty and Ananda into the world is, indeed, the whole crown and essence of our yoga. But it has always seemed to me impossible unless there comes as its support and foundation and guard the Divine Truth – what I call the supramental – and its Divine Power...3

(XXIII.753)

Ici, c'est clair: il dit que ce qu'il appelle le «Supramental», c'est the divine Truth [la Vérité divine], et que ça doit venir d'abord, et que le reste vient après.

Et pourtant, depuis quelque temps et de plus en plus, il y a une Réponse tout à fait concrète à une sorte d'aspiration (ou d'appel, de prière) où je dis au Seigneur: «Seigneur suprême, manifeste Ton Amour» (c'est la fin d'une longue invocation où je Lui demande de manifester tous les aspects l’un après l’autre, l’un après l’autre, et la fin se termine comme cela), et alors ce qui est remarquable, c'est qu'il y a, à ce moment-là, une Réponse de plus en plus claire et de plus en plus forte... Mais Sri Aurobindo dit que, d'abord, il faut établir la Vérité, et que c'est la suprême Vérité, la divine Vérité, qu'il appelle le Supramental. Et cela correspond à ce que j'ai remarqué quand je traduisais ce dernier chapitre sur la «perfection de l’être», dans le Yoga of Self-Perfection; je me disais toujours: «Mais c'est seulement l’aspect de Vérité; tout ce qu'il exprime, c'est l’aspect de Vérité; toujours, partout, c'est le côté de Vérité; et son action supramentale est une action de Vérité.»

Je ne savais pas qu'il avait dit cela, mais c'est écrit clairement:

...But it has always seemed to me impossible unless there comes as its support and foundation and guard the Divine Truth – what I call the supramental – and its Divine Power. Otherwise Love itself blinded by the confusions of this present consciousness may stumble in its human receptacles and, even otherwise, may find itself unrecognised, rejected or rapidly degenerating and lost in the frailty of man's inferior nature. But when it comes in the divine truth and power, Divine Love descends first as something transcendent and universal and out of that transcendence and universality it applies itself to persons according to the Divine Truth and Will, creating a vaster, greater, purer personal love than any the human mind or heart can now imagine. It is when one has felt this descent that one can be really an instrument for the birth and action of the Divine Love in the world.4

(XXIII.753)

Ils ne donnent pas la date, mais je trouve cela très intéressant.

Et puis la dernière:

The importance of the body is obvious; it is because he has developed or been given a body and brain capable of receiving and serving a progressive mental illumination that man has risen above the animal Equally, it can only be by developing a body or at least a functioning of the physical instrument capable of receiving and serving a still higher illumination that he will rise above himself and realise, not merely in thought and in his internal being but in life, a perfectly divine manhood. Otherwise either the promise of Life is cancelled, its meaning annulled and earthly being can only realise Sachchidananda by abolishing itself, by shedding from it mind, life and body and returning to the pure Infinite, or else man is not the divine instrument, there is a destined limit to the consciously progressive power which distinguishes him from all other terrestrial existences and as he has replaced them in the front of things, so another must eventually replace him and assume his, heritage.5

(The Life Divine, XVIII, 231)

C'est amusant.

(silence)

Tu ne réponds pas à ma question?

Non! (rires)

Non, il y a seulement deux-trois jours, quelqu'un m'a posé une question similaire, c'est-à-dire: «Est-ce qu'il y aura encore une grande destruction ou pas?» – Ce sont des choses dont on ne parle pas.

(silence)

Tu sais que X est tout le temps à répéter: «Il va y avoir la guerre, il va y avoir la guerre, il va y avoir la guerre... même si je ne veux pas, il y aura la guerre»!! Et il avait dit que ce serait pour avril – nous sommes maintenant en juillet.

Il est évident que, pour le moment, dans le monde, ce sont les Chinois qui représentent l’attitude agressive; ils se sont même disputés avec les Russes à cause de cela – une dispute sérieuse. Tu connais l’histoire, je suppose.

(silence)

Ce sont des choses dont il vaut mieux ne pas parler.


Puis Mère revient sur la deuxième lettre de Sri Aurobindo:

Et si l’Amour était manifesté avant la Vérité, il y aurait des catastrophes.

C'est curieux, pendant très longtemps, pendant des mois, presque des années, toujours il y avait quelque chose qui m'arrêtait quand je demandais la manifestation de l’Amour; tout à fait comme une espèce d'impression: «Non, ce n'est pas le moment, ce n'est pas le moment...» Et puis, tout d'un coup, un jour c'est parti, et il y a eu une Réponse formidable; et c'était déjà il y a plusieurs mois; et depuis ce moment-là, il y a une Réponse – une Réponse qui va croissant.

Mais je ne peux pas dire en toute sincérité que la Vérité est manifestée!

Peut-être que la préparation est suffisante?

Peut-être que c'est une question individuelle – pourtant, mon action n'est pas individuelle, c'est tout le temps la perception de l’atmosphère terrestre.

Ça ne fait rien, c'est bon à dire!

(silence)

Santé, ça va bien?

Ça va, douce Mère.

Bon. C'est cela qu'il faut – important, très important: garder le corps en bonne santé, une sorte d'équilibre. Il faut garder l’équilibre. Très important. Le reste, ça ne fait rien!

(Mère rit et le disciple rit)

27 juillet 1963

(Il est tout d'abord question de la mort d'un disciple, M)

Comme on traite ces pauvres morts ....

Naturellement, ils se sont dépêchés de le brûler; et alors ils m'ont demandé avec candeur (parce que son neveu devait venir et il ne pouvait arriver que le lendemain matin, c'est-à-dire pas tout à fait vingt-quatre heures après – à peu près vingt heures après), ils m'ont dit: «Est-ce qu'il faut le garder ou pas?» J'ai dit: «Cela dépend. Si c'est pour lui que vous me demandez, certainement, plus vous le gardez, mieux c'est.» Alors je vois des yeux qui s'ouvrent, une bouche qui s'ouvre – comprennent rien! Je leur ai dit: «Mais il y a tout le temps que ça prend à sortir, lentement! Autrement, quand vous le brûlez, c'est poussé dehors avec violence, ça fait un choc terrible.»

Au fond, brûler comme cela, c'est pour détruire le vital, j'en suis sûre. l’idée, c'est de ne pas avoir de ghosts [revenants].

Il m'avait demandé, peu de temps avant, un nouveau nom. Il avait failli mourir deux fois et il a été sauvé (les docteurs étaient sûrs qu'il allait mourir), il a été sauvé par sa foi; il avait une telle foi, si formidable, que ça l’a tiré d'affaire, deux fois: il était paralysé, il ne voyait plus, c'était effroyable; et tout était revenu (les yeux n'étaient pas très bons, mais enfin il bougeait, il parlait), deux fois. La troisième fois, il voulait guérir tout à fait parce que c'était un homme d'affaires et il avait mis dans sa tête qu'il gagnerait dix lakhs de roupies pour moi (il m'en a déjà donné quatre dans le temps, mais il voulait m'en donner dix), alors il voulait absolument vivre, mais il trouvait qu'il n'était pas très bien (il était tout à fait détérioré!) et il a fait venir un de ces kaviraj (tu sais, ces docteurs qui n'en sont pas) qui l’a fini: il ne pouvait plus manger, il ne pouvait plus dormir. Et le «docteur» lui disait: «Vous allez beaucoup mieux»! et le pauvre homme restait toute la nuit assis sur une chaise... Enfin, il a été emmené d'urgence à l’hôpital, il y est mort. Et alors le jour de sa mort, à peu près une heure après, on est venu me dire que son fils (ce n'est pas un enfant, c'est un homme) voulait ABSOLUMENT me voir, imédiatement. C'était l’heure où je ne vois pas les gens, mais j'ai dit «bon» (j'ai senti qu'il y avait quelque chose), j'ai dit «bon» et je suis allée le recevoir. Il était onze heures du matin (je crois qu'il était mort à 9 heures 30). Je vais là-bas (je ne me souviens plus si c'était le matin ou juste l’après-midi, mais enfin c'était très peu de temps après sa mort), je m'assois, on fait entrer le garçon, et alors avec lui est arrivé un petit enfant pas plus grand que ça (geste), tout doré, joyeux, vivant, heureux!... qui s'est précipité sur moi. Il est resté comme cela, contre moi, plus bougé. Et il riait! il était content!

C'était M, son être psychique.

Joli comme tout! Tout lumineux – lumineux d'une lumière dorée et SI heureux, SI content! Comme un petit bébé, grand comme ça (geste). Et il gesticulait, il était content! Il est resté là et... plus bougé. Alors naturellement, je l’ai accueilli et j'ai fait le nécessaire.

J'en ai vu des milliers, tu sais, mais c'est la première fois que je vois ça! Et il avait une connaissance remarquable parce que, pour ne pas risquer les contre-temps, il s'était accroché à son fils, et il poussait le fils à venir vers moi pour être sûr d'arriver sans encombre, sans qu'interviennent des forces adverses, des courants et toutes sortes de choses; il s'était accroché (le fils n'en savait rien du tout, excepté que quelque chose VOULAIT qu'il vienne à moi). Et le pauvre fils pleurait; je lui ai dit: «Ne vous faites pas de souci, il est très content»! (Mère rit)

Et joli! Une jolie chose. Ça m'a remplie de joie de voir cela – si content, si content, comme s'il disait: «Enfin je suis avec toi! Je ne peux plus bouger maintenant, on ne peut plus m'enlever.» Petit comme cela.

Je t'avais raconté l’histoire de cet autre qui était venu pour son opération et qui est mort1 (ça fait deux, coup sur coup, parmi nos meilleurs ouvriers). l’autre avait une position gouvernementale importante et il nous rendait des services inouïs (c'était un homme très intelligent, il avait été président de tribunal pendant très longtemps) et il était très utile et plein de dévotion et de foi. Celui-ci (M), avait même promis de prêter de l’argent, et il est mort juste avant! quelques jours avant de le donner.2 Mais l’autre était un être conscient très mentalisé, avec un mental très formé, il savait beaucoup, et il m'a dit: «Moi, je suis très conscient, je sais maintenant que je suis tout à fait vivant et tout à fait conscient, et je ne veux pas avoir un corps impotent qui a toujours besoin de quelqu'un pour le faire marcher ou le soigner; j'aime mieux changer.» Il m'a demandé de lui en trouver un bon (!) Celui-ci n'a pas demandé à reprendre un corps, mais la dernière chose qu'il ait dite (après, il a été paralysé), c'est: I must live, because I want to give 10 lakhs of rupees to the Mother [Il faut que je vive parce que je veux donner 10 lakhs de roupies à la Mère], et il est parti avec ça – il faut trouver un corps approprié.

Mais celui-ci (M) savait très peu, ce n'était pas un intellectuel, c'était un homme d'action, et très psychique – je comprends! joli! joli, oh! Il était comme un petit enfant, tout nu, n'est-ce pas, un bébé grand comme ça, avec des petits bras, des petites jambes, – ça dansait, il était heureux, il riait-riait-riait, il était content. Et tout lumineux. J'ai dit à son fils imédiatement (il faisait un «pranam» et il s'est relevé avec des larmes plein les yeux), je lui ai dit: Don't weep, he is now where he wants to be and perfectly at rest [Ne pleure pas, il est maintenant là où il veut et parfaitement tranquille.] Je ne lui ai pas raconté l’histoire – il n'aurait rien compris!

(Puis Mère lit deux lettres de Sri Aurobindo qui paraîtront dans un prochain Bulletin:)

Ça, je trouve que c'est très-très bien:

What the supramental will do the mind cannot foresee or lay down. The mind is ignorance seeking for the Truth, the supramental by its very definition is the Truth-Consciousness, Truth in possession of itself and fulfilling itself by its own power. In a supramental world imperfection and disharmony are bound to disappear. But what we propose just now is not to make the earth a supramental world but to bring down the supramental as a power and established consciousness in the midst of the rest–to let it work there and fulfil itself as Mind descended into Life and Matter and has worked as a Power there to fulfil itself in the midst of the rest. This will be enough to change the world and to change Nature by breaking down her present limits. But what, how, by what degrees it will do it, is a thing that ought not to be said now–when the Light is there, the Light will itself do its work–when the supramental Will stands on earth, that Will will decide. It will establish a perfection, a harmony, a Truth-creation–for the rest, well, it will be the rest–that is all.3

(XXII.13)

C'est très utile à dire aux gens – ils sont tellement embêtants! ils veulent toujours mettre la charrue avant les boeufs.

Et cette autre lettre qui doit aller avec:

It is not advisable to discuss too much what it (the supermind) will do and how it will do it, because these are things the super-mind itself will fix, acting out of the Divine Truth in it, and the mind must not try to fix for it grooves in which it will run. Naturally, the release from subconscient ignorance and from disease, duration of life at will, and a change in the functionings of the body must be among the ULTIMATE [Mother repeats twice] elements of a supramental change; but the details of these things must be left for the supramental Energy to work out according to the Truth of its own nature.4

(XXII.8)

(Mère fait le geste de marteler) Je suis tout le temps à enfoncer ça dans la tête des gens. Je passe mon temps à leur dire: «D'abord, soyez prêts pour que ça vienne; après, on verra ce que ça fera!»

Une fois la traduction prête,
le disciple relit à Mère le texte français:

Il y a une petite pointe d'humour, toujours!

«Ce que le supramental fera, le mental ne peut le prévoir ni le réglementer. Le mental est l’ignorance à la recherche de la Vérité; le supramental, par définition, est la Conscience-de-Vérité, la Vérité en possession d'elle-même et se réalisant par son propre pouvoir. Dans un monde supramental, l’imperfection et la désharmonie disparaîtront inévitablement. Mais ce que nous nous proposons juste maintenant, ce n'est pas de transformer la terre en un monde supramental, c'est de faire descendre sur la terre le supramental comme un pouvoir et comme une conscience permanente au milieu du reste et de le laisser travailler ici-bas afin qu'il s'accomplisse lui-même, de même que le Mental est descendu dans la Vie et dans la Matière et qu'il a travaillé ici-bas comme un pouvoir afin de s'accomplir lui-même au milieu du reste...»

Si nous suivons cela (Mère dessine une grande courbe vers l’avenir), il prévoyait qu'un jour la terre serait une création supramentale – tout entière... tout changé. Ça veut dire très-très loin en avant. C'est-à-dire que, plus tard, dans la race supramentale, on dira: «Ce n'est pas tout, c'est seulement le commencement; maintenant, il faut que la terre tout entière devienne une manifestation supramentale.» De même que de l’homme mental est né l’être supramental, de même de l’être supramental naîtront les pouvoirs qui transformeront la terre...

Tu vois ça?! C'est intéressant.

(silence)

C'est quelque chose qu'on m'a déjà montré. On m'a déjà montré ça; quand je fais comme cela (geste) et que j'enveloppe la terre, on m'a déjà montré une terre glorieuse qui était illuminée d'une lumière intérieure. Et alors, au lieu d'un soleil brûlant, c'était une Lumière qui permettait à la Vie d'exister – n'est-ce pas, c'était le Physique lui-même qui était devenu lumineux. Ça, je l’ai vu, je me souviens TRÈS BIEN de l’avoir vu.

Mais c'est loin! (Mère rit) C'est tout?

(le disciple lit la fin de la lettre:)

«... Ceci suffira à changer le monde et à changer la Nature en brisant ses limites actuelles. Mais ce qu'il fera et comment et dans quelle mesure est une chose que l’on ne doit pas dire maintenant – quand la Lumière sera là, Elle fera elle-même son travail; quand la Volonté supramentale se manifestera sur la terre, cette Volonté décidera. Elle établira une perfection, une harmonie, une création de Vérité – pour le reste, eh bien, ce sera le reste, c'est tout.»

À part cela, ça va?

(le disciple répond par le silence)

(Riant) Nous laissons le supramental descendre faire son travail!

(silence)

Le plus difficile, c'est que la texture du corps est faite d'Ignorance, et alors chaque fois que la Force, la Lumière, le Pouvoir veulent pénétrer quelque part, il faut déloger cette Ignorance. Et c'est chaque fois une expérience analogue, renouvelée dans le détail (mais pas dans l’essence, je veux dire que c'est chaque fois un petit point particulier mais l’essence du problème est toujours la même): c'est une sorte de Négation par ignorante stupidité – mais pas par mauvaise volonté, il n'y a pas de mauvaise volonté: c'est une stupidité inerte et ignorante qui, par le fait même de ce qu'elle est, NIE la possibilité du Pouvoir divin. Et chaque fois, c'est cela qu'il faut dissoudre. À chaque pas, dans chaque détail, c'est toujours la même chose qu'il faut dissoudre.

Et ça se répète... Ce n'est pas comme dans le domaine des idées où une fois qu'on a vu clair et qu'on sait, c'est fini; il peut vous revenir des doutes ou des absurdités du dehors, mais la chose est établie, la lumière est là, et automatiquement les choses sont ou repoussées ou transformées. Mais ça, ce n'est pas la même chose! chaque petit agglomérat de cellules... Ce n'est pas que ce soit reçu du dehors: c'est BàTI comme cela! c'est bâti par une inerte et stupide Ignorance. Un automatisme inerte et stupide. Et alors, automatiquement ça nie – ce n'est pas «nie», ce n'est pas une volonté de nier: c'est le contraire, c'est-à-dire que ça ne PEUT PAS comprendre, c'est un contraire – contraire ÉTABLI – de la Puissance divine. Et chaque fois, il y a une sorte d'action, qui vraiment dans chaque détail est presque miraculeuse: tout d'un coup, c'est contraint... contraint de reconnaître que la Force divine est toute-puissante. Vu sous un autre angle, c'est une sorte de petit miracle perpétuel.

Je vais te donner un exemple: la dernière fois que tu étais avec moi, il m'est venu (pendant que tu étais là) une douleur ici (geste au côté droit) épouvantable, de ces douleurs qui font crier les gens (n'est-ce pas, ils croient qu'ils sont très malades!), c'est venu comme ça, là. Tu n'as rien vu, n'est-ce pas, je n'ai rien montré.

Puis je ne m'en suis pas occupée tant que tu étais là – simplement... je pensais à autre chose. Et quand tu as été parti, je me suis dit: «Il n'y a pas de raison de laisser ça là.» Alors je me suis concentrée – j'ai appelé le Seigneur, et je l’ai mis là (geste au côté), et j'ai vu tout ça, ce que je te disais maintenant, cet état de négation stupide, et que si on laisse la chose suivre son cours que l’on appelle «normal», ça devient une bonne maladie (Mère rit), sérieuse maladie. J'appelle le Seigneur (Il est toujours là! mais par le fait que je me concentre, que je reste tranquille...). Alors c'est presque instantané: la première chose, c'est la réaction – presque pas une réaction, c'est un ÉTAT – qui NIE la possibilité de l’Action divine. Ce n'est pas une volonté, c'est une négation automatique. Et puis il y a toujours un Sourire qui répond (c'est ça qui est intéressant, c'est qu'il n'y a jamais une colère, jamais une force qui s'impose, seulement un Sourire), et presque instantanément, la douleur disparaît – «Ça» s'installe, lumineux, tranquille.

Note que ce n'est pas final, c'est seulement un premier contact: l’expérience revient, à une autre occasion et pour une autre raison (ce ne sont pas des raisons mentales, ce sont des occasions), ça revient, mais là, il y a déjà un commencement de collaboration: les cellules ont SU qu'avec Ça, l’état changeait (elles se souviennent, c'est très intéressant), et alors elles commencent à collaborer, et l’Action est encore plus rapide. Puis une troisième fois, à une distance de quelques heures, ça revient encore; alors ce sont LES CELLULES ELLES-MÊMES qui appellent, qui demandent l’Action divine, parce qu'elles se souviennent. Alors Ça arrive glorieusement, comme quelque chose d'établi.

Maintenant je connais – je connais le truc! C'est pour l’éducation des cellules, tu comprends! Ce n'est pas simplement qu'une personne est malade et qu'il faut la guérir tout à fait: non, c'est l’éducation des cellules, pour leur apprendre... à vivre.

C'est admirable.

Et c'est pour cela qu'avec toute la conscience et toute la force, je dis aux gens: «C'est VOUS qui vous rendez malades avec votre peur idiote!» (une peur subconsciente – ou quelquefois mentale, alors là c'est tout à fait imbécile –, mais enfin il y a une peur dans les cellules, c'est une peur subconsciente). «C'est VOUS qui vous rendez malades. Cessez d'avoir peur et vous ne serez pas malades.» Et ça, je peux le dire avec une assurance absolue.

C'est intéressant.

Mais toujours, alors (je précise le problème pour être claire), il y a toujours dans l’atmosphère, comme je l’ai toujours dit, toutes les suggestions, toute cette atmosphère du mental physique qui est pleine de toutes les imbécillités possibles; il faut toujours être sur ses gardes et balayer: «Va-t'en, n'intervenez pas.» Les opinions des docteurs, les exemples des autres personnes, tout ce... n'est-ce pas, ce fouillis terrible d'Ignorance qui est là, qu'il faut repousser: «Ce n'est pas votre affaire, occupez-vous d'autre chose.»

(silence)

Alors, d'abord, régulièrement, dès qu'il y a une douleur quelque part, ou un malaise, ou quelque chose, imédiatement, instantanément: «Ah! Seigneur, qu'est-ce que Tu veux m'apprendre?» Et je deviens attentive.

Et si tout le monde fait cela, tous ceux qui peuvent faire cela (sincèrement, n'est-ce pas, pas prétendre, bien entendu), mais sincèrement: «Ah! Seigneur, qu'est-ce que Tu veux m'apprendre?» et puis

observer, attendre; alors ça va, on se met déjà dans des conditions meilleures.

31 juillet 1963

Mère a l’air très secouée et fatiguée, bien que toujours souriante.

J'ai fait une découverte – ce n'est pas positivement une découverte, mais c'est une confirmation. Une constatation assez intéressante.

Il y avait une sorte de périodicité dans les attaques – est-ce que l’on peut appeler cela «physiques»?... ce n'est pas physique, mais enfin sur le corps. Ce n'était pas absolument à intervalles réguliers parce que les distances n'étaient pas toujours les mêmes, mais c'était avec une sorte d'analogie, de similarité dans les circonstances. Et maintenant je viens d'avoir une sorte de certitude.

Le travail consiste, pourrait-on dire, à... ou retirer, ou transformer (je ne sais pas exactement lequel des deux) toutes les cellules du corps qui sont, ou ont été, sous l’influence du Mensonge (pas «mensonge» mais falsehood), de l’état contraire au Divin. Mais comme probablement une purge ou une transformation radicales auraient tout simplement amené la dissolution du corps, ça se fait par étapes, progressivement (je remonte très loin, à mes premières attaques). Alors la séquence est la suivante: d'abord une série d'activités ou de visions (mais ce sont toujours des activités en même temps: activités et visions) dans le domaine subconscient, qui montrent d'une façon très vivante et objective le Mensonge qui doit être retiré (transformé ou retiré). Tout d'abord, je prenais ça pour des attaques adverses, mais maintenant je vois que ce sont des «états mensongers» auxquels certains éléments de l’être physique sont rattachés (à ce moment-là, je pensais: «Je suis en rapport avec ça à cause de l’équivalence en moi», et je travaillais là-dessus – mais c'est une autre façon de voir la même chose). Et ça produit... il y a certainement une dissolution – il y a une transformation, mais il y a aussi une dissolution –, et cette dissolution amène naturellement une très grande fatigue, ou une sorte d'épuisement dans le corps; alors entre deux de ces étapes de transformation, on laisse le temps au corps de reprendre de la force et de l’énergie.1 Et j'avais remarqué que ces «attaques» viennent toujours après la constatation (que j'ai faite ces jours derniers) d'une grande augmentation de pouvoir, d'énergie, de force; quand le corps redevient de plus en plus solide, toujours le lendemain ou le surlendemain, d'abord il y a une série de nuits que l’on pourrait appeler déplaisantes (mais elles ne sont pas déplaisantes parce qu'elles sont instructives), puis une bataille terrible dans le corps. Cette fois-ci j'ai été consciente – naturellement, chaque fois je suis consciente, mais (souriant) chaque fois je suis plus consciente.

J'avais constaté ces temps derniers que le corps devenait beaucoup plus fort, beaucoup plus solide, et même qu'il reprenait du poids (!) ce qui est presque anormal; puis j'ai eu, d'abord une vision (pas vision: activité, mais tout à fait claire), puis une autre, puis une troisième. La nuit dernière, j'ai été nourrie d'une nourriture subtile, comme pour me dire que j'en aurai besoin parce que je n'aurai pas de nourriture physique2 (je ne l’ai pas pensé, mais j'ai constaté que j'avais été nourrie, qu'il m'avait été donné certaines choses). Et avec les visions que j'ai eues les deux nuits précédentes, j'ai su qu'il s'agissait d'éléments qui faisaient partie de la construction (construction psychologique) du corps, et que ça devait être éliminé. Et je travaillais fortement à l’élimination. Et aujourd'hui, c'était la bataille.

Mais alors, comme j'avais travaillé fortement à l’élimination, la bataille a été assez formidable – quand ça dépasse une certaine mesure, c'est le cœur qui a de la difficulté, alors j'ai besoin de me reposer. C'est arrivé comme cela. Mais c'était si clair, si évident! Et alors tout le processus a été vu depuis le commencement, tout-tout, c'est... c'est merveilleux! Merveilleux de conscience, de mesure, de dosage pour que la purification et la transformation aient lieu sans rupture d'équilibre, de façon que la dissolution ne se produise pas. C'est basé sur la capacité d'endurance, de résistance (naturellement, si le corps ne pouvait pas endurer, ça ne pourrait pas se faire).

Et maintenant il sait (au début, il ne savait pas, il croyait à des «attaques» du dehors, à des forces «adverses»; et ça peut toujours s'expliquer ainsi, c'était vrai d'une certaine façon, mais ce n'était pas la vérité vraie, la vérité la plus profonde), maintenant il sait d'où ça vient, et c'est tellement merveilleux! merveilleux de sagesse... Ça remet toutes les choses à leur place, ça fait qu'on comprend bien que toutes ces forces adverses qui jouent, c'est une façon, peut-être nécessaire à un moment donné, de voir les choses («nécessaire», je veux dire pratique), mais c'est encore une illusion; les maladies, c'est une façon nécessaire de voir les choses, de façon à pouvoir résister comme il convient, lutter comme il convient, mais c'est encore une illusion. Et maintenant, c'est le corps qui sait tout ça – tant que c'était le mental qui savait, c'était loin comme cela, dans le domaine des idées; maintenant, c'est le corps qui sait. Et qui est non seulement rempli de bonne volonté, mais rempli d'une gratitude infinie – il se demande toujours, c'est son premier mouvement: «Est-ce que je suis capable?» Et il reçoit toujours la même réponse: «Ce n'est pas ta capacité.» «Est-ce que j'aurai le pouvoir?» – «Ce n'est pas ton pouvoir.» Et même le sentiment de cette infirmité disparaît dans la joie d'une gratitude infinie – c'est fait avec tant de bonté, de clairvoyance, de soin, de précaution pour conserver, autant que possible, un équilibre progressif.

C'est venu avec une certitude, une évidence: c'est ça, le processus de la transformation.

Mais cette fois-ci, il y a eu collaboration volontaire et peut-être que ça ira plus vite.

Je ne pouvais pas faire mon travail:3 la secousse était trop forte; mais j'ai dit que je te verrai parce que je voulais te dire cela.

(silence)

C'est curieux, quand je suis dans cet état, j'ai l’impression qu'il faut, pour me faire entendre, soulever un poids stupéfiant; j'ai l’impression (depuis plusieurs jours comme cela) qu'il faut que je parle très fort, très fort, pour être entendue; il y a comme une masse... tiens, c'est comme si j'étais sous terre et qu'il faille crier très fort pour être entendue.

Est-ce que je parle très fort?

Non.

Parce que, avec tout le monde, j'ai l’impression qu'il faut que je crie pour que l’on m'entende – et c'est un effort, un effort considérable. Il y a comme une masse, quelque chose couleur de terre brunâtre, qui pèse, comme si j'étais enfouie et qu'il faille que je crie. Tout ce que je viens de te dire maintenant, j'ai l’impression que j'ai fait un effort formidable pour me faire entendre.

Je crie ou je...?

Non.

Pas du tout?

Non, ce doit être l’épaisseur des consciences que tu sens?

Oui! oui.

Oui, c'est l’air – c'est dans l’air.

(long silence)

Et quelque chose m'a été dit ce matin (je crois que c'est ce matin, ou dans la nuit, je ne sais plus); ça n'a pas été dit à moi, c'était dit au corps. Il a été dit au corps qu'il irait jusqu'à la complète purification; et que, alors, il aura le choix entre continuer son travail ou bien... N'est-ce pas, quand il aura atteint la complète purification au point de vue (pas de ce que les hommes appellent «pureté» physiquement, ce n'est pas ça), au point de vue cellulaire, de l’Influence divine, c'est-à-dire que chaque cellule soit sous l’influence exclusive du Suprême (c'est cela, le travail qui est en train de se faire), il lui a été dit que ce serait fait et que quand ce travail-là serait achevé, c'est lui-même, le corps, entièrement sous l’influence du Suprême, qui décidera s'il veut continuer ou s'il veut se dissoudre. C'était très intéressant, parce que... la dissolution c'est l’éparpillement, mais l’éparpillement (on peut facilement le comprendre), c'est une façon de RÉPANDRE la conscience sur une très large étendue. Et alors il sera laissé aux cellules le choix, ou bien d'agir comme cela (geste de diffusion) ou d'agir agglomérées (Mère ferme son poing).

(silence)

C'est la première fois que le problème est envisagé de cette façon, c'est-à-dire du point de vue d'une œuvre générale.

Mais je ne vois pas comment l’éparpillement... Si ça s'éparpille, ça se dissout, tout le travail se dissout?

Non, chaque cellule est parfaitement consciente.

Alors elles iraient en d'autres corps?

(Mère reste songeuse un instant) Qu'est-ce qui se passe au point de vue matériel?... On sait que ça retourne à une Matière inerte, ou quoi? Ça devient de la poussière – qu'est-ce que ça devient?

De la poussière, oui.

C'est de la poussière...

Ce ne sont plus des cellules?

Non, je ne crois pas.

Alors ce ne doit pas être ça parce que, d'après ce qui m'a été dit, c'étaient les cellules – cela restait cellule. Ce doit être quelque chose de nouveau. Cela restait cellule, c'était la cellule à laquelle on donnait le choix de rester dans sa présente agglomération ou de se répandre.

Ça ne pourrait persister qu'aggloméré à d'autres êtres vivants, je ne sais pas, il me semble.

Les cellules du corps humain ne sont pas les mêmes que celles des autres, par exemple des animaux? Ou est-ce que ce sont les mêmes?

À part certaines cellules spécialisées, je crois que les autres cellules ne sont pas différentes.

Mais ce doivent être les cellules spécialisées qui sont en question, parce que ce sont les cellules pleinement conscientes – ce sont des cellules spécialisées.

Alors je ne vois pas qu'elles puissent passer dans des animaux, ce n'est pas la même chose, je ne pense pas.

Ce ne pourrait être passé que dans d'autres organismes humains.

Oui, humains.

Peut-être est-ce la différence entre UN être et beaucoup d’êtres?4...

Ce doit être quelque chose en préparation. On verra.

Voilà, mon petit, je vais te laisser partir parce que...


Quelques jours plus tard, Mère a ajouté la réflexion suivante:

C'est évidemment (selon la logique extérieure) une nouvelle manière de mourir qui doit être possible – ce n'est plus la mort comme on la considère. Mais ça... pour le moment, tout ce que l’on pourrait dire serait des spéculations, ce n'est pas une expérience concrète.

On verra.5

août




3 août 1963

La Matière physique, la substance physique, cette conscience très élémentaire qui est dans la substance physique, a été si maltraitée (je suppose que c'est depuis la présence de l’homme sur la terre, parce que, avant, il n'y avait probablement pas de conscience de soi suffisante pour s'apercevoir que l’on était maltraité; elle n'était pas assez consciente pour pouvoir faire une distinction entre un état paisible normal et des conditions défavorables, je le suppose; mais enfin, ça fait tout de même assez longtemps), si maltraitée qu'il est très difficile, pour elle, de croire que ça peut être autrement. Il y a une aspiration – une aspiration surtout à une paix LUMINEUSE, quelque chose qui n'est pas cette paix obscure de l’Inconscience, qu'elle n'aime pas (je ne sais pas si elle l’a aimée, mais elle ne l’aime plus), et elle aspire à une paix lumineuse; pas une conscience remplie de choses diverses, ce n'est pas cela: simplement, une conscience paisible, très paisible, très tranquille, très lumineuse, c'est cela qu'elle veut. Et en même temps, elle a une certaine difficulté à croire que c'est possible. C'est une expérience que j'ai: l’intervention concrète et tout à fait tangible du Pouvoir suprême, de la Lumière suprême et de la Bonté suprême – elle en a l’expérience: chaque fois c'est un nouvel émerveillement –, et alors, je vois, dans cet émerveillement, quelque chose comme: «Vraiment, est-ce possible?»

Ça me fait l’effet, tu sais, d'un chien qui a été tellement battu qu'il ne s'attend qu'à recevoir des coups.

C'est triste.

Et pourtant, les preuves s'accumulent. Si la foi et la confiance pouvaient s'installer d'une façon permanente, probablement la difficulté serait passée.

(silence)

Et elle a une sorte d'anxiété vis-à-vis de la force mentale; dès que se manifeste une force mentale, elle fait comme cela (geste de recul): «Oh non! assez de ça! assez de ça! assez.» Comme si c'était la cause de tout son tourment. Elle sent la force mentale comme quelque chose de tellement dur, sec, rigide, implacable, et surtout sec – sec, vide –, vide de la vraie Vibration.

Ça devient tout à fait clair; par exemple, quand il n'est pas nécessaire de faire quelque chose extérieurement et qu'il y a arrêt de l’activité, alors c'est le repos, et il y a cette soif et cette aspiration à la Paix lumineuse. Et ça vient; non seulement ça vient, mais ça semble être installé, là. Mais alors, si, dans ce repos, tout d'un coup se produit un fléchissement et un commencement de vieille activité mentale (de ce mental des cellules, mental le plus matériel), imédiatement elle sort de là avec un jerk, un sursaut: «Ah non! pas ça, pas ça, pas ça!» Et imédiatement, ça l’arrête, et il y a aspiration à la Présence. – «Pas ça, pas ça!»

Ce matin, j'ai eu deux fois l’expérience; n'est-ce pas, une toute petite activité, et presque instantanément: «Ah! non-non! pas ça.» Elle aime mieux bouger, agir, faire n'importe quoi, que de tomber là-dedans – ça paraît être considéré comme l’Ennemi.

(silence)

Il y avait ce matin une espèce de vision, de sensation de la courbe qui a passé de l’animal à l’homme – une courbe en spirale –, et puis du retour à l’état au-dessus de l’animal, où la vie, l’action, le mouvement ne sont pas le produit du Mental mais d'une Force, qui est sentie comme une Force de lumière sans ombre, n'est-ce pas, de lumière en soi, qui ne fait pas d'ombre, et qui est absolument paisible; et alors dans cette paix, si harmonieuse et si douce... oh! c'est le repos suprême. C'est cette désharmonie et cette dureté qui font la fatigue de la vie.

Je parle de la conscience des cellules.

Oh! sortir de ce chaos d'idées, de volontés, de conceptions – tout ça, si petit, si sec, si creux, et en même temps si irritant dans son instabilité.

Et ça semble se traduire dans les circonstances: il semble que chacun soit, peut-être pas au sommet, mais enfin à une bonne hauteur de ses difficultés (!) La désharmonie, le conflit, le chaos paraissent être à un maximum (j'espère que ça n'augmentera pas parce que c'est à peine supportable). Depuis le matin jusqu'au soir, sans arrêt, des querelles, des mécontentements, des réclamations, des... oh!... des insatisfactions, des grumblings [grognements], tout le temps, tout le temps, avec une espèce de frémissement – frémissement de désordre et d'insatisfaction (Mère montre un paquet de lettres): voilà, tout ça... naturellement à quoi je dois répondre.


(Peu après, Mère entre en méditation et le disciple suit:)

Est-ce que tu as encore la sensation d'une «descente»? descente de force?

Moi, je n'ai plus la sensation que ça descend: c'est là (geste autour et partout). C'est-à-dire que je n'ai pas l’impression de «quelque chose qui descend», c'est constamment là – non?

J'ai rarement l’impression que ça descend, sauf quelquefois quand la Force se précipite vers le bas, au-dessous des épaules vers le bas.

Oui, dans le corps.

Alors là, je sens que ça descend.

C'était très bien (la méditation), très immobile et très lumineux, sans rien qui dérange. Très bien.

Mais la conscience n'a pas l’air de progresser – la conscience, tu comprends.

Parce qu'elle ne veut pas se mentaliser!

Il ne faut pas s'inquiéter.

*Oh! je me souviens, un jour (ça m'avait fait une forte impression), le Swami m'avait dit: «Mais vous devriez imaginer ceci, cela...»()

Oh!

J'ai dit: «Non, je ne veux pas! Je veux que ça vienne.» Alors il m'a dit (il m'a dit cela avec une grande force): «Cela a été votre erreur à travers toutes les vies.»

De ne pas vouloir imaginer?

Oui, imaginer, me servir de l’élément mental.

Mais c'est tout à fait... Moi, j'ai eu au contraire à me battre contre cela, non pas en moi mais partout, contre cette manie d'imaginer. C'est cela qui me fait une impression si... (comment dire?) à la fois reposante et agréable [avec toi], c'est que ça reste immobile. Et si on veut recevoir la Vérité, il faut que tout ça s'arrête.

Je comprends bien... Ma plainte, c'est plutôt que ce silence ne s'exprime pas par une conscience plus claire, par exemple.

Ça viendra.

Non, cette habitude d'imaginer est très-très... je la considère comme très funeste.

J'avais cette tendance très fort, dans le temps; c'était ce que j'appelais «raconter des histoires» – tout-tout devenait des histoires: tout le travail, tout ce qui était à faire. Mais j'ai arrêté ça complètement, complètement, comme une chose dangereuse – ça donne un grand pouvoir matériel (c'est probablement pour cela que le Swami t'avait dit de le faire), c'est le pouvoir matériel que ça donne, mais c'est TRÈS mauvais, ça falsifie tout ce qui vient d'en haut.

7 août 1963

Tu es fatiguée, on dirait?

Les difficultés continuent.

C'est une lutte aiguë contre la Négation constante de toute vie intérieure – supérieure plutôt. C'est-à-dire l’Incroyance générale (dans le corps).

Ça me donne encore le même genre de nuit. Mais c'est curieux, je ne sais pas, cette nuit c'étaient tout des bâtiments en une espèce de granit rouge, et il y avait beaucoup de Japonais. Il y avait des femmes japonaises qui cousaient et faisaient des robes, des étoffes; des jeunes gens japonais qui montaient et descendaient avec une grande agilité; et tout le monde était très gentil. Mais c'était tout le temps la même chose (geste d'effondrement et de chute dans un trou): n'est-ce pas, le chemin s'ouvre, on prend le chemin, et puis au bout d'un moment, poff! tout s'écroule. Et il y avait un jeune homme japonais qui descendait et montait là-dedans absolument comme un singe, avec une facilité extraordinaire: «Ah! je me disais, mais il n'y a qu'à faire ça!» Mais quand, moi, je m'approchais de l’endroit, les choses dont il se servait pour monter et descendre disparaissaient! Finalement, à un moment donné, j'ai pris une sorte de décision: «J'irai tout de même», et je me suis retrouvée en bas. En bas, j'ai rencontré des gens, il y a eu toutes sortes de choses. Mais ce qui m'a intéressée, c'est que tout était (il y en avait et il y en avait! des bâtiments et des bâtiments), presque comme du porphyre rouge. C'était très beau. Du granit ou du porphyre, il y avait les deux. De grands escaliers, de grandes salles, de grands jardins – même dans les jardins, il y avait des constructions.

Mais extérieurement, les difficultés reviennent, en ce sens que les Chinois semblent être repris d'une ardeur conquérante – ils massent des gens sur la frontière.

Il semble bien improbable qu'ils attaquent, pourtant.

Pourquoi massent-ils les gens?

Du chantage.

Évidemment, mais... Le résultat, c'est que les Américains ont dit qu'ils viendraient aider si l’on attaque. Et même les Russes ont dit qu'ils aideraient.

On ne sait pas, n'est-ce pas. Je VOIS ces grands courants: c'est comme des espèces de folies qui prennent les gens et les choses... Au fond, c'est peut-être vraiment un conflit assez aigu entre le Oui et le Non, c'est-à-dire tout ce qui lutte pour hâter la venue des choses nouvelles et tout ce qui refuse – qui refuse avec une violence croissante.

(silence)

Et constamment, constamment, ce pauvre corps est assailli par toutes les vieilles idées et les vieilles convictions qui lui disent qu'il se trompe, qu'il est dans l’illusion, qu'il croit qu'il est en train de se transformer, mais que tout ça, ce sont des blagues. Alors il est... il est un peu fatigué, il demande: «Est-ce que je ne vais pas avoir un peu de repos?» – Passer son temps, nuit et jour, dans la bataille, tout le temps. Il commence à se demander si ce n'est pas une sorte d'infériorité qui lui est propre, ou d'incapacité de prendre les choses tranquillement?

Et alors il n'a jamais beaucoup aimé manger (c'est une chose qui ne l’a jamais intéressé), et dans ces cas-là, ça devient une sorte de... pas positivement de dégoût, mais... Il a toujours considéré que de manger était une fatigue.

Oui.

Tu comprends ça!1


(«Comme par hasard», le disciple lit à Mère une ancienne conversation, du 24 janvier 1961, sur l’épidémie d'influenza au Japon pendant la première guerre.)

Et le plus beau de l’affaire, c'est qu'ils n'ont plus jamais eu ce genre d'influenza.

Ces Japonais sont des gens réceptifs.

Ils ont tant appris avec les Américains – leur goût s'est faussé, mais maintenant ça commence à revenir. Et alors tout ce qu'ils ont appris les aide. Et ils ont converti l’Amérique au sens de la Beauté!

C'est curieux, cette nuit, c'était tout japonais...


(Puis le disciple lit une conversation du 22 mai 1963 où il raconte comment Mère l’a guéri soudainement d'une maladie infectieuse, comme si quelque chose «basculait» tout d'un coup.)

J'ai remarqué cela: toujours, quand il y a de ces grosses difficultés, une attaque violente et que les choses se désorganisent, le changement n'est pas progressif – c'est soudain, comme un renversement.

Encore ce matin, c'était la même chose pour moi. N'est-ce pas, quand la difficulté vient, il y a une sorte de désorganisation corporelle générale avec des douleurs intenses et... (j'observe, pour voir) ce n'est pas du tout une chose qui diminue progressivement puis qui se rétablit, ce n'est pas du tout cela: c'est tout à fait comme un renversement du prisme; tout disparaît, d'un coup. Il n'y a plus que cette stupide habitude du corps de se souvenir. Alors en se souvenant... ce souvenir fait que l’on se sent fatigué, que l’on n'est pas normal – mais la chose est finie.

Ce souvenir du corps, c'est encore quelque chose sur quoi il va falloir travailler.

Il y a un état où l’on ne sent rien – un état –, et c'est un état positif parce que c'est un état de paix; une sorte de paix très tranquille et très heureuse; une paix qui vous donne envie de rester toujours comme ça: «Oh! être toujours comme ça!...» Ou alors c'est un chaos où tout se heurte, nie, se querelle – comme si tout se mettait en bataille. Ça me fait souvenir de l’expérience première que j'ai eue quand j'étais (je vivais, n'est-ce pas) cette Pulsation d'Amour et qu'il a été décidé qu'il fallait que je reprenne mon corps, que je rentre dans mon corps; eh bien, je n'ai eu de contact avec mon corps, je n'ai su que j'étais en contact avec mon corps, qu'avec une douleur. Le contact avec le corps voulait dire souffrir.

J'ai dit cela, d'ailleurs.

Et il me semble (il y a longtemps maintenant, il y a plus d'un an, presque un an et demi), il me semble que tout le travail a été fait pour que tous les éléments du corps apprennent à avoir une conscience physique, matérielle, mais en même temps à garder cet état de paix – une paix positive, pleine, tout à fait confortable: c'est quelque chose qui peut durer indéfiniment. C'est-à-dire que j'apprends au corps, progressivement, ce que l’on pourrait appeler tous les états divins; je lui apprends à sentir et à vivre dans les états divins; eh bien, ce qui se rapproche le plus (il y a deux choses qui se rapprochent, mais l’une est plus confortable, si je puis dire – c'est le mot anglais ease – que l’autre; l’autre est plus tendue – Mère ferme son poing – avec une volonté): c'est le sens de l’éternité et le sens du silence. Parce que derrière toute la création (je parle de la création matérielle), il y a un Silence parfait, qui n'est pas le contraire du bruit, qui est un silence positif, et c'est en même temps une immobilité complète – ça, c'est très bon comme réactif à ce désordre. Mais le sens de l’éternité est encore meilleur, et avec une douceur qui n'est pas dans l’autre; le sens de l’éternité contient le sens de la douceur aussi (mais pas «douceur» telle que nous la comprenons). C'est extrêmement confortable. C'est-à-dire qu'il n'y a pas de raison que ça change – ni que ça cesse ni que ça recommence. C'est comme cela, c'est parfait en soi. Et ce sont les meilleurs réactifs contre l’autre état (de désordre); la paix, la simple paix n'est pas toujours suffisante.

Et après tout, le corps est une chose très-très misérable... Je crois que c'était hier, il se plaignait; vraiment il se plaignait (j'ai dit qu'il était «geignard», mais hier il se plaignait), vraiment il demandait: «Pourquoi-pourquoi est-ce qu'une telle chose, si misérable, a été faite?» – Incapacité, incompréhension, oh!... rien que des limitations et des impossibilités. Une bonne volonté stérile, un manque complet de pouvoir, et dès que vient un petit pouvoir vital, ça se transforme en violence – c'est dégoûtant.

(silence)

Quand je me plains comme cela, je peux être sûre que j'ai une nuit de tension et que le lendemain matin j'ai une «secousse».

Il vaudrait mieux se tenir tranquille, prendre les choses comme elles sont et laisser le Seigneur faire Son travail sans le... tout le temps le pousser, là. On a toujours l’impression que tous les malheurs qui vous arrivent, on les a attirés par une impatience ou un mécontentement. Si l’on était content, béatifiquement, et qu'on laisse faire: «Quand Tu voudras, ce sera, voilà tout. Je suis une imbécile, je reste une imbécile, quand Tu voudras que...»

Mais est-ce qu'on peut laisser faire? Si on laisse faire, tout se désorganise.

Non.

On peut se dire: «Bon, ça va bien», laisser les choses se faire, mais alors tout va n'importe comment.

Tout va n'importe comment, mais probablement il y aura un moment où ce sera mieux... (Riant) Nous n'osons pas faire l’expérience jusqu'au bout!

Évidemment c'est cela qui, en nous, fait que nous luttons. Mais je ne suis pas tellement sûre que c'est vraiment la Sagesse.

Je ne sais pas.

Prenons un exemple concret [Mère a un sourire ironique pour le «concret»],sur un autre plan que le plan corporel: tu as un jardin, il est envahi par des corbeaux, des moineaux qui mangent tout, des insectes, des jardiniers qui font mal le travail. Alors, de deux choses l’une: tu te fatigues, tu t'énerves, mais tu gardes le jardin; ou tu réagis contre ta réaction, tu dis: «Bon, je ne dis rien, je laisse tout aller comme ça veut», alors tout s'abîme.

Oui, oui...

Mais si tu mets le nez dedans, tu t'énerves, parce que c'est le chaos.

Non, il faut savoir mettre le nez dedans sans s'énerver! Et c'est tout à fait possible. C'est quelque chose que le corps a réalisé, ici, celui-là: il peut intervenir sans s'énerver. Mais ce n'est pas ça! c'est quelque chose qui est DERRIÈRE ça. Ce n'est pas ça. Est-ce que, si on laisse le désordre (justement aller jusqu'à son maximum), est-ce que, au bout, le progrès (ce que nous appelons progrès, c'est-à-dire le changement) ne sera pas plus grand?

Est-ce que le jardin ne sera pas mangé complètement par les insectes? – c'est cela.

Nous n'en faisons pas l’expérience!

J'ai vu en France un bout de jardin: c'était entouré de murs et c'était une terre qui avait appartenu à quelqu'un qui en prenait très grand soin; il y plantait des fleurs. C'était assez grand, mais tout clos. Cette personne est morte. C'était dans le Midi de la France. Il est mort et personne (il n'y avait pas d'héritiers), personne ne s'est occupé du jardin: c'était fermé et c'est resté comme cela. J'ai vu ce jardin... je ne me souviens plus, mais c'était certainement plus de cinq ans après; il se trouvait que, probablement, petit à petit, la serrure s'était disloquée et ne tenait plus; j'ai poussé la porte et je suis entrée... Je n'ai jamais rien vu de plus beau! Il n'y avait plus d'allées, il n'y avait plus d'ordre, il n'y avait plus qu'une confusion – mais quelle confusion! Je n'ai jamais rien vu de plus beau. Je suis restée là-dedans dans une sorte d'extase... Il y a un livre (je crois que c'est Le Paradou de Zola) où l’on a fait la description d'un endroit féerique – c'était tout à fait cela: toutes les fleurs entremêlées, les plantes entremêlées, tout ça avec une croissance absolument désordonnée, mais avec une harmonie d'un autre genre, une harmonie beaucoup plus vaste, beaucoup plus forte.

C'était d'une beauté extraordinaire.

Nous avons l’habitude mentale de vouloir arranger, classer, réglementer; il faut toujours qu'il y ait un ordre – mental. Mais c'est... Par exemple, dans les endroits où les hommes ne sont jamais allés, dans les forêts vierges, il y a une beauté qui n'est pas dans la vie, et c'est une beauté vitale, déréglée, et qui ne satisfait pas la raison mentale, mais qui contient une richesse beaucoup plus grande que tout ce que le mental conçoit et organise.

Enfin, en attendant, la vie est assiégée par des milliers d'insectes – des millions d'insectes...

Oui.

... qui veulent constamment la manger.

Tu sais, un naturaliste a dit que si l’homme ne détruisait pas la fourmi, la fourmi chasserait l’homme de la terre.

Eh bien, oui! voilà.

C'est possible! (Mère rit)

Il est difficile de trouver...

C'est trouver la vraie chose qui est difficile.

(silence)

Mais d'ailleurs, ce doit être un problème bien difficile puisque c'est justement le problème qui se pose pour l’avenir de la terre.

Le côté raison (progrès graduel et harmonieux selon la conception mentale) veut la paix, la tranquillité, l’ordre et l’harmonie entre les nations. Le moyen «coup de tampon» qui mélange tout pour qu'il en sorte quelque chose de plus formidable, une combinaison plus riche des éléments, demande la destruction. Et les deux sont dans l’atmosphère, comme cela (Mère regarde). Et il semblerait – il semblerait – que la décision n'a pas encore été prise, comme Sri Aurobindo l’a dit (it is still hanging).

Pourtant... maintenant, il semblerait que mon travail est plutôt un travail d'apaisement (je veux dire le travail universel).

Mais je n'en suis pas sûre.

(silence)

Il y avait un temps où, très fortement, je luttais contre le gaspillage: gaspillage de force, gaspillage de matériel et gaspillage de temps, et puis, n'est-ce pas, le gaspillage de vies. Un terrible gaspillage de vies. Mais est-ce que ce n'est pas encore les oeillères d'une sentimentalité?? Je n'en sais rien.

(long silence)

Pendant très longtemps – très longtemps –, je préférais un chemin à l’autre, et pendant tout le temps que j'ai vécu avec Sri Aurobindo physiquement, très certainement j'ai préféré le chemin de la croissance harmonieuse au chemin de... la «remise dans le pot» générale!

(silence)

Cette habitude de tout rejeter comme cela, mélanger et puis recommencer... Même si, pour réapprendre sa leçon, ça prend de moins en moins longtemps, ça prend tout de même du temps, et ça paraît tellement inutile!

Tout ce que ce corps sait, tout ce qu'il a appris, c'est en tant que «groupement» qu'il l’a appris, et alors si tout cela entre dans un autre corps, il faut recommencer à tout apprendre – c'est tout à fait assommant. On perd beaucoup de temps.

(silence)

Alors ton jardin ne va pas!?

Si-si! c'est un exemple que je prenais.

Oui, mais c'est un exemple «concret», disais-tu!

Non, quelquefois il m'arrive par vagues la sensation de l’assiègement de la vie – on est assiégé. C'est une perception que j'ai, mais quelquefois très forte: on ne peut rien faire sans être assiégé par quelque chose – tout, partout, dans tous les détails. Depuis un an ou deux, j'ai cette sensation. C'est parfois révoltant... ou douloureux. Je n'ai jamais senti cela aussi fort que ces dernières années, cette sensation d'être assiégé, assailli.

Il y a toutes sortes de choses comme cela qui viennent; à certaines périodes, c'est l’une; à certaines, c'est d'autres – ce sont des périodes de transformation intérieure. Par exemple, le sentiment d'une duplicité générale (ce que les gens des Védas appellent crookedness): l’impression que rien ne va droit. Et j'ai des exemples extraordinaires d'avoir écrit une phrase avec une volonté claire, précise, et qu'elle a été comprise (par quelqu'un de parfaite bonne volonté) juste d'une autre manière, conformément à sa propre vision des choses. C'est arrivé ces jours-ci. Mais ça arrive tout le temps! Je dis une chose, qui pour moi est aussi claire que possible, et elle est comprise d'une façon absolument différente, quelquefois absolument le contraire! Et le sentiment, la sensation, que TOUT est comme cela, que toute la vie est comme cela, que toutes les consciences sont comme cela, que toutes les vibrations sont comme cela, que tout, au lieu d'aller droit, est tordu. Et c'est tellement fort que ça donne, comme tu dis, une espèce de malaise. On est dégoûté, enfin ça vous donne mal au cœur.

Et une autre fois, c'est autre chose.

C'est justement en réponse à ces choses-là qu'il y a l’appel (geste de descente de la Force dans le corps) pour la purification: pour que la chose soit corrigée, qu'il y ait au moins une goutte de Vérité quelque part. Et alors ça donne une «secousse».

Et le degré de cette déformation est si considérable, si général que l’on ne s'en aperçoit pas d'habitude, ni en soi ni dans les autres – on ne s'en aperçoit que quand ça prend des proportions tout à fait évidentes, mais alors là... l’hypocrisie, par exemple.

Mais je parle de quelque chose qui est constant.

C'est sur toute la gamme, n'est-ce pas, depuis le plus matériel. Le plus matériel, c'est vraiment ça: des éléments qui sont tout le temps en conflit, en conflit, en conflit... tout est en conflit, comme si c'était le seul moyen d'exister. Dans le domaine vital, c'est la violence. Et dans le domaine mental, c'est surtout cela: crookedness [tortuosité]. Et c'est pour cela que je disais: «Vraiment, nous sommes de pauvres êtres!»

Il est évident qu'il y a en nous le Souvenir qui donne naissance à cette aspiration vers quelque chose de divin – si ce n'était pas là, latent, jamais nous ne pourrions... nous ne pourrions même pas imaginer! Cette aspiration ne pourrait pas exister, elle n'aurait pas de sens. Mais enfin, quelle longueur dans le chemin...

Il semble (c'est très sûr) que plus on est près de l’autre côté, plus ça paraît... plus on voit la différence.

Quand on barbote dans son Ignorance, on ne s'en aperçoit pas.

Bon.

10 août 1963

93 – La douleur est comme la poigne de notre Mère qui nous apprend à supporter l’ivresse divine et à grandir en elle. Sa leçon se fait en trois étapes: endurance d'abord, puis égalité d'âme, enfin l’extase.

Tant qu'il s'agit de choses morales, c'est absolument évident, c'est indiscutable: toutes les douleurs morales vous forment le caractère et vous conduisent tout droit à l’extase, quand on sait les prendre. Mais quand ça touche le corps...

Il est vrai que le docteur lui-même (riant: le docteur représente le Doute avec un grand D1) a dit que si l’on apprend au corps à supporter la douleur, il devient de plus en plus endurant et se désorganise moins vite – c'est un résultat concret. Les gens qui savent ne pas être complètement bouleversés dès qu'ils ont mal ici ou là, qui arrivent à supporter tranquillement, à garder leur équilibre, il paraît que pour eux, la capacité du corps de supporter le désordre sans se disloquer augmente. C'est une grande chose. Tu te souviens, dans l’un des Agenda, je m'étais posé la question au point de vue purement pratique, extérieur, et il paraît que c'est comme cela. Intérieurement, il m'avait été dit bien des fois – dit et montré par des petites expériences comme cela – que le corps peut supporter beaucoup plus qu'on ne le croit si, à la douleur, ne s'ajoutent pas la crainte ou l’anxiété; si l’on supprime ce facteur mental, le corps, laissé à lui-même, qui n'a ni crainte ni peur ni anxiété de ce qui va arriver – pas d'angoisse – peut supporter beaucoup.

Le second pas, c'est que quand le corps a décidé de supporter (n'est-ce pas, il prend la décision de supporter), imédiatement l’acuité, ce qui est aigu dans la douleur disparaît. Je parle absolument matériellement.

Et si on a le calme (là, intervient la nécessité d'un calme intérieur, qui est un autre facteur), si on a le calme intérieur, alors la douleur se change en une sensation presque agréable – pas «agréable» au sens où on l’entend d'ordinaire, mais une impression presque confortable, qui vient. Encore une fois, je parle purement physiquement, matériellement.

Et le dernier stade, quand les cellules ont la foi en la Présence divine et en la Volonté souveraine divine et qu'elles ont cette confiance que c'est pour le bien que tout est, alors vient l’extase – les cellules s'ouvrent comme cela, deviennent lumineuses et extatiques.

Cela fait quatre étapes (il n'est question que de trois dans cet aphorisme).

La dernière n'est probablement pas à la portée de tout le monde (!) mais les trois premières sont tout à fait évidentes – je sais que c'est comme cela. La seule chose qui me tracassait (je te l’ai dit une fois), c'est que ce n'est pas une expérience purement psychologique et qu'il y a une usure dans le corps du fait que l’on endure la souffrance. Mais je me suis enquise auprès du docteur (je l’ai fait parler sans en avoir l’air), et il m'a dit que si l’on apprend très jeune au corps à supporter la douleur, sa capacité de supporter augmente tellement qu'il peut résister vraiment à des maladies, c'est-à-dire que la maladie ne suit pas son cours, elle avorte. C'est précieux.

La dernière expérience (celle de ces jours-ci) où il y a eu apparemment un accroc (qui n'était pas un accroc) était une sorte de démonstration. Je t'ai dit ce que c'était, n'est-ce pas: c'est comme une purge des vibrations qui sont des vibrations mensongères, qui ne sont pas la réponse pure et simple à l’Influence suprême (tout ce qui, dans les cellules, répond encore aux vibrations de mensonge, ou de l’habitude ou de l’entourage ou de la nourriture absorbée – cinquante mille choses); alors, avec une aspiration, une décision, presque une prière pour la purification, venant du corps, quelque chose arrive et, naturellement, ça produit un déséquilibre; ce déséquilibre produit un malaise général. La forme habituelle de ce malaise est à peu près la même: d'abord des douleurs et toutes sortes de sensations que je n'ai pas besoin de décrire; si ça va croissant, si on lui permet de se déployer complètement, cet état finit... dans le temps aboutissait à un évanouissement. Mais cette fois-ci, j'ai suivi pendant à peu près deux heures le processus, depuis le moment où je me suis levée: la lutte entre le nouvel équilibre, la nouvelle Influence qui s'établissait, et puis la résistance de ce qui était là et qui était forcé de s'en aller. Ça faisait une sorte de conflit. Et la conscience restait très claire – la conscience DU CORPS restait très claire, très tranquille, avec une parfaite confiance. Par conséquent, pendant deux heures, j'ai pu suivre le processus (j'ai pu continuer à faire tout ce que je faisais d'habitude, sans rien changer), lorsque j'ai senti, ou plutôt il était dit d'une façon assez claire que le Seigneur voulait que mon corps soit dans une immobilité complète pendant un certain temps pour achever Son travail. Mais je ne suis pas toute seule: il y a ici d'autres personnes qui m'aident et qui veillent à tout (mais je ne leur dis rien, je ne leur explique rien, parce que ce sont des choses dont je ne parle pas – je ne dis pas ce qui se passe, je ne dis rien), et j'étais là à me demander: «Est-ce que c'est vraiment tout à fait indispensable?» (Mère rit) Alors j'ai senti que le Seigneur faisait une petite pression de plus, qui a augmenté l’intensité du conflit, et j'ai eu tous les signes de l’évanouissement. J'ai compris (!)... Je me suis levée, j'ai laissé mon corps gémir un peu pour faire comprendre qu'il ne se sentait pas très bien (!) et je me suis étendue. Alors c'était l’immobilité, et j'ai vu, pendant l’immobilité, le travail qui se faisait – un travail qui ne peut pas se faire si on continue à bouger. J'ai vu le travail. Ça a pris à peu près une demi-heure; au bout d'une demi-heure, c'était fini. C'est-à-dire qu'il y a vraiment... le fait dont je ne peux pas douter, même si toutes les pensées et toutes les forces environnantes contredisent, je ne peux pas douter que la conscience augmente de plus en plus – la conscience là-dedans. Ça devient de plus en plus précis, lumineux, exact, tranquille – très paisible. Mais très conscient d'une bataille for-mi-da-ble contre des habitudes millénaires. Tu comprends?

Après cela, j'ai vu que même physiquement, corporellement, il y a une force: ça se traduit par une augmentation de force. Il y a une augmentation de force très claire.

Mais ça continue. Maintenant, c'est une grande bataille contre toutes les idées, toutes les habitudes, toutes les sensations, toutes les possibilités, tout, concernant la mort – la «mort» (riant), pas la «mort», le départ de la conscience (ça, n'est-ce pas, on en parle, et puis... ces choses-là n'existent plus), non: ce que les cellules doivent sentir.2 Et alors toutes les possibilités me sont présentées... Avec cette conscience (qui est accumulée, comprimée dans toutes ces cellules), quand le cœur s'arrête de battre et qu'il est entendu, selon l’ignorance humaine, qu'on est «mort», la force qui réunit toutes ces cellules ensemble, comment abdique-t-elle sa volonté de garder tout cela ensemble?... Naturellement, il m'a été imédiatement dit (parce que le problème – tous les problèmes – viennent de partout, et c'est exprès que l’on me fait voir le problème et lutter avec; ce n'est pas simplement comme cela, en «idée»), imédiatement on m'a dit que cette force, cette conscience qui tient tout ça ensemble dans des cellules qui sont si super-conscientes (ce n'est pas du tout le genre de conscience ordinaire; ordinairement, c'est l’être intérieur, vital – Mère touche le centre du cœur – qui est conscient de l’unité, c'est-à-dire conscient d'être un être), maintenant cet agglomérat de cellules est un agglomérat volontaire, avec une conscience organisée qui est une sorte de groupement de cette conscience cellulaire; eh bien... Évidemment c'est un état exceptionnel, mais même autrefois, chez les êtres qui étaient très développés extérieurement, il y avait un commencement de groupement cellulaire volontaire, conscient, et c'était certainement pour cela que dans l’ancienne Egypte où l’occultisme était développé, les êtres exceptionnels comme les pharaons, les grands prêtres, etc., étaient momifiés, c'est-à-dire que l’on gardait la forme aussi longtemps que possible. Même ici, généralement on les pétrifiait (dans l’Himalaya, dans des sources pétrifiantes). Il y avait une raison.3

Et j'ai vu pour Sri Aurobindo (qui pourtant n'avait pas commencé cette transformation systématique; seulement il tirait tout le temps la force supramentale dans son corps), même là, ça a pris cinq jours avant de donner le moindre signe de décomposition. Moi, je l’aurais gardé plus longtemps, mais le gouvernement se mêle toujours de ce qui ne le regarde pas, naturellement, et on m'embêtait terriblement en disant qu'il est interdit de garder si longtemps un corps et qu'il fallait le... Alors, quand le corps a commencé à (comment dit-on?) shrink – ça diminuait, ça se resserrait, c'est-à-dire qu'il se déshydratait –, alors il a fallu le faire. Il avait eu le temps de sortir, puisque presque tout est venu dans mon corps – presque tout ce qui était matériel est venu dans le mien.

Mais la question se posait pour ce corps-ci (de Mère) comme ça, «pour voir». Alors j'ai vu toutes sortes de choses, et finalement la réponse était toujours la même (n'est-ce pas, le problème était présenté devant moi pour que je comprenne bien toute la situation et que je voie les nécessités), mais que naturellement tout serait pour le mieux! (Riant) C'est bien entendu. Mais je veux dire que c'était présenté d'une façon très concrète et on pourrait dire très «personnelle» de façon que je comprenne le problème. Et il y avait cette vieille chose que l’on m'avait dite l’autre jour («vieille», enfin vieille de plusieurs jours!): on m'avait dit que c'était aux cellules elles-MÊMES que l’on donnerait le libre choix. Et la conclusion de toute cette méditation était qu'il doit y avoir quelque chose de nouveau dans la conscience des agrégats cellulaires – quelque chose... une nouvelle expérience qui doit être faite. Résultat: la nuit dernière, j'ai eu une série d'expériences fantastiques, cellulaires, que je ne peux même pas expliquer, et qui doivent être le commencement d'une nouvelle révélation.

Quand l’expérience a commencé, il y avait quelque chose qui regardait (tu sais, il y a toujours quelque chose qui regarde d'une façon un peu ironique, toujours amusée), qui a dit: «Bon! si ça arrivait à quelqu'un d'autre, on se croirait bien malade! (riant) ou à moitié fou.» Alors j'étais très tranquille et j'ai dit: «Bien, il faut laisser faire; je vais regarder, je vais voir – je vais bien voir! ça a commencé, ça prendra fin! il faut bien...» Indescriptible! indescriptible (il faudra que l’expérience se répète plusieurs fois pour que je puisse comprendre), fantastique! Ça a commencé à huit heures et demie et ça a duré jusqu'à deux heures et demie du matin; c'est-à-dire que pas une seconde je n'ai perdu la conscience et que j'étais là à observer les choses les plus fantastiques – pendant six heures.

Je ne sais pas où ça va aller...

C'est indescriptible; n'est-ce pas, on devient une forêt, une rivière, une montagne, une maison – et c'est la sensation, sensation tout à fait concrète, DU CORPS, de ça (le corps). Et beaucoup d'autres choses. Indescriptible. Ça a duré longtemps, et avec toute une diversité de choses.

Alors à deux heures et demie du matin, j'ai dit au Seigneur: «Ça suffit, non?!» (Mère rit) Et Il m'a donné un repos béatifique jusqu'à quatre heures et demie.

Bon.

Et tout cela à propos de l’Aphorisme!... Non, le commencement peut servir. Mais tu dois me poser une question. Pose-moi une question.

Je m'étais demandé si ce processus supramental sera toujours, automatiquement, pour tout le monde, lié à beaucoup de douleurs physiques?

Non.

Non, parce que j'ai une preuve croissante que les choses que j'ai maîtrisées maintenant, dans le corps, j'ai le pouvoir (tout le temps, je reçois des lettres, des mots, d'ici, de là, là, de gens qui sont malades ici, là)... ça commence; pour le moment c'est seulement commencé, c'est un tout petit commencement: le pouvoir de supprimer la douleur.

Tu sais, en tout petit, ce qui s'est produit avec ta maladie.

Oui, mais je ne parle pas de gens qui sont malades. Je parle de gens qui, maintenant ou plus tard, chercheront à opérer la transformation en eux-mêmes.

Non, ils...

Est-ce qu'ils passeront par toutes ces souffrances?

Non! ça, Sri Aurobindo l’a écrit très clairement: pour tous ceux qui auront la foi et qui s'ouvriront avec un surrender [soumission] et une foi, automatiquement ce sera fait.4 Pendant qu'il était là, mon petit, et que je suis restée trente ans avec lui à travailler, PAS une FOIS je n'ai eu à faire un effort pour une transformation. Simplement, quand il y avait une difficulté, je répétais: My Lord, my Lord, my Lord... comme ça, je pensais à lui – hop! ça s'en allait. Douleur physique: il annulait. N'est-ce pas, il y avait des choses qui gênaient le corps, de vieilles habitudes qui étaient revenues, je n'avais qu'à le lui dire: ça s'en allait. Et à travers moi, il faisait la même chose sur d'autres. Et il a toujours dit que c'était lui et moi qui faisions le Travail (en fait, quand il était là, c'était lui qui faisait; moi, je faisais seulement du travail extérieur), c'était lui et moi qui faisions le Travail, et que les autres, on leur demandait seulement la foi et le surrender, c'est tout.

S'ils avaient confiance et qu'ils se donnaient en toute confiance, le Travail était fait automatiquement.

Donc, dans les cellules de ton corps, c'est un progrès universel qui se fait, c'est la terre qui progresse.

Oui.

(silence)

Il a été bâti pour ça, ce corps, parce que je me souviens très bien que quand la guerre – la première guerre – a commencé et que j'ai offert mon corps en holocauste au Seigneur pour que cette guerre ne soit pas en vain, chaque partie de mon corps, l’une après l’autre (Mère touche ses jambes, ses bras, etc.), ou quelquefois la même plusieurs fois, représentait des champs de bataille: je le voyais, je le sentais, je le vivais. Et chaque fois c'était... c'était tout à fait étrange, je n'avais qu'à rester assise et à regarder: je voyais ici, là, là, tout ça dans mon corps, tout ce qui se passait. Et quand ça se passait, je mettais la concentration de la Force divine là, pour que tout – justement toute cette douleur, toute cette souffrance, tout ça –, pour que ça hâte la préparation terrestre et la Descente de la Force. Et ça se faisait consciemment pendant toute la guerre.

Le corps a été bâti pour ça.

À ce moment-là, il y avait une grande activité mentale encore, et les expériences prenaient toutes les formes que le mental donne à toutes les choses – très joli, très littéraire! Maintenant, tout ça est fini – heureusement, Dieu merci! le silence complet – je ne fais pas de discours sur la chose. Mais l’expérience de la nuit dernière!... Et quand on pense, les expériences, lorsqu'elles durent une demi-heure, trois quarts d'heure, une heure, c'est extraordinaire – ça a duré de huit heures et demie jusqu'à deux heures et quart, sans arrêt.

Une sorte d'ubiquité des cellules?

Oui-oui.

Une unité, n'est-ce pas – le sens de l’Unité.

(silence)

Il est évident que si ça devient une chose naturelle, spontanée et constante, la mort ne peut plus exister: même ça, n'est-ce pas (Mère touche son corps).

Il y a là quelque chose que je sens, sans pouvoir l’exprimer ou le comprendre mentalement encore. Il doit y avoir une différence, même dans le comportement des cellules, quand on laisse son corps.

Quelque chose d'autre doit se passer.

Il m'était venu pendant toute cette période de concentration et de méditation sur ce qui se passe après la mort dans un corps (je parle de l’expérience du corps, c'est l’expérience du corps après ce que l’on appelle la «mort» maintenant), eh bien, plusieurs fois il m'était venu le même genre de vision... On m'avait parlé (montré et parlé) de certains saints qui ne se décomposent pas (il y en a un ici, il y en avait un à Goa – des histoires fantastiques). Naturellement, on brode toujours là-dessus, mais enfin il y a un fait matériel, c'est qu'il y a un saint qui est mort à Goa, qui a laissé son corps à Goa, mais le corps ne s'est pas décomposé.5 Je ne connais pas toute l’histoire en détail, mais le corps avait été enlevé d'ici, transporté en Chine et il est resté enterré en Chine, à Hong-Kong, je crois (ou par là) pendant un certain temps; puis il a été repris, ramené ici, mis sous terre; il est resté pendant dix ans, douze ans, deux fois sous terre: il ne s'est pas décomposé. Desséché, momifié (desséché, c'est-à-dire déshydraté), mais conservé. Eh bien, ce fait a été plusieurs fois présenté à moi comme UNE des possibilités.

C'est-à-dire, à vrai dire, que tout est possible.

Mais on m'a montré clairement, et ce que j'ai vu, c'est... (j'ai de la difficulté à parler parce que tout cela m'est venu en anglais: Sri Aurobindo était là et c'était en anglais), mais c'est la stupidité, carelessness, n'est-ce pas, ignorance – ignorance stupide et je-m'en-fichisme des vivants à l’égard des morts! C'est une chose effroyable. Effroyable... Effroyable. Il m'est venu des histoires de partout, de toutes sortes de choses effarantes... Par exemple, l’une des histoires qui est arrivée (justement pendant que Sri Aurobindo était là): il y avait un disciple, son fils était mort (ou du moins on le croyait mort), et ce n'étaient pas des Hindous, donc on ne l’a pas brûlé: on l’a enterré. Et alors, dans la nuit, son fils est venu le trouver en lui disant... n'est-ce pas, il voyait son fils, là, à la fenêtre, qui frappait à la fenêtre et qui lui a dit: «Pourquoi m'as-tu enterré vivant?» (Je ne sais pas en quelle langue mais enfin...) Et cet imbécile de père s'est dit: «C'est un rêve»!! Puis le lendemain, longtemps après, il a eu une sorte d'arrière-pensée, comme cela, il a dit: «Si on allait voir.» Et on l’a trouvé retourné dans son cercueil.

Quand cet homme m'a raconté ça et qu'il a trouvé tout naturel d'avoir pensé: «C'est un rêve», je ne peux pas dire mon indignation à ce moment-là quand j'ai vu cette... n'est-ce pas, c'est d'une stupidité si... si crasse, si inerte! Il n'a même pas pensé: si la même chose était arrivée À LUI. Il n'a même pas pensé ça!

Il y en a un autre que l’on avait apporté au terrain pour le brûler, puis il est tombé une pluie torrentielle – pas question de le brûler. On l’a laissé là et on a dit: «On le brûlera demain matin.» Et le lendemain matin, quand on est venu, il n'était plus là! (Riant) Il était parti. Mais ce n'est rien: trente ans après, il est arrivé (c'était un raja), il avait été ramassé par des sannyasins, emmené dans la solitude, il était devenu un sannyasin, puis, trente ans après, je ne sais pour quelle raison, il a pensé qu'il valait mieux réclamer son bien, et il est arrivé avec des preuves qu'il était bien le même6...

J'ai entendu toutes sortes d'histoires comme cela, qui prouvent à quel point les êtres humains... Ils veulent s'en débarrasser, hein! aussi vite qu'ils peuvent.

Je me souviens de quelqu'un qui m'a dit (et c'était quelqu'un qui prétendait être sage), il m'a dit: «Mais si ce n'est pas vrai que les mêmes êtres se réincarnent plusieurs fois, le nombre des morts augmente de plus en plus, et l’atmosphère va être encombrée effroyablement par tous ces morts!... qui deviendront une peste. Qu'est-ce qu'on va faire de tout ça? Ils seront beaucoup plus nombreux que les vivants et ils vont encombrer tout, qu'est-ce qu'on va faire de tout ça?» Voilà. Voilà le genre de réflexions.

(silence)

l’attitude des vivants à l’égard des morts est l’une des expressions les plus répugnantes de l’ignorance égoïste de l’humanité.

C'est, ou bien le je-m'en-fichisme complet, ou: «Oooh! se débarrasser de ça.» J'ai des enfants ici (ce ne sont plus des enfants), qui sont ici avec leur père et leur mère (qui ne sont pas très vieux), et quelques-uns de ces enfants m'ont raconté des «rêves» où ils avaient vu que leur père ou leur mère étaient morts et qu'ils venaient à eux... et ils les renvoyaient avec violence en disant: «Tu es mort, tu n'as plus le droit de venir nous embêter»!...

Tu es mort, tu n'as plus le droit de venir nous embêter. Voilà.

Et c'est... il y en a peu qui auront la franchise de le dire, mais c'est très général.

Il y a beaucoup de choses qui doivent changer avant qu'un peu de vérité puisse se manifester – c'est tout ce que je peux dire.7

13 août 1963

(À propos d'un ancien «Entretien» de 1950 noté de mémoire par un disciple et que Mère nous fait mettre au pilon. Il s'agissait du Nirvana, auquel on parvenait, soi-disant, en retirant toutes ses énergies dans l’être psychique ou âme.)

Tout cela n'est pas vrai!

Il faudrait d'abord dire que chaque domaine a son énergie propre. Mais ce que les gens sentent généralement comme énergie, c'est l’énergie vitale; et l’énergie vitale... (hem!) elle est vitale! Alors dire que ceux qui se retirent, retirent toutes leurs énergies et toute leur conscience dans le psychique pour réaliser le Nirvana, c'est une bêtise!

Il y a un nirvana derrière le vital, il y a un nirvana derrière le psychique, il y a un nirvana derrière le mental, il y a un nirvana partout, même derrière le physique: c'est la mort. Et les gens qui se retirent, qui veulent atteindre le Nirvana, ils ne vont JAMAIS dans le psychique – le psychique est une chose essentiellement liée à la manifestation divine, pas à l’abstention divine, pas au Nirvana.

Tout ça, c'est bon pour le panier!1

13 août 1963

Note de Mère au disciple

Il s'agissait d'un ancien «Entretien», du 21 décembre 1950, que nous avons lu à Mère au cours de la précédente entrevue. Mère parlait de la «vision claire, précise et constante de la Vérité», et Elle ajoutait: «Quelques-uns appellent cela la Voix de Dieu ou la Volonté de Dieu. Le véritable sens de ces termes a été faussé, c'est pour cela que je préfère dire «la Vérité», quoique ce ne soit qu'un aspect très limité de Cela que nous ne pouvons pas nommer mais qui est la Source et le But de toute existence.»

Satprem,

Ceci est venu pour l’Entretien, après ton départ, vois si tu peux t'en servir en l’intercalant dans le texte:

Je n'emploie pas volontiers le mot de «Dieu» parce que les religions en ont fait le nom d'un être tout-puissant, autre que sa création, en dehors d'elle. Ce qui est inexact.

Pourtant, sur le plan physique, la différence est évidente. Car nous sommes encore tout ce que nous ne voulons plus être, et Lui, Il est tout ce que nous voulons devenir.

Signé: Mère

21 août 1963

(À propos d'un ancien «Entretien», du 4 janvier 1951, où Mère disait que l’une des conditions essentielles de la Transformation est la prise de conscience des dimensions intérieures, qu'Elle décrivait ainsi: «C'est un renversement total de conscience, comparable à ce qui arrive à la lumière quand elle passe par un prisme. Ou bien c'est comme si vous retourniez une balle du dedans au dehors, ce qui ne peut se faire que dans la quatrième dimension. On sort de la conscience ordinaire de la troisième dimension pour entrer dans la conscience supérieure de la quatrième dimension, et dans un nombre infini de dimensions. C'est le point de départ indispensable.»)

C'est ce que je t'avais dit déjà: toute la base de l’effort yoguique est changée. Avant, le travail était justement basé sur cette connaissance des dimensions intérieures – je ne peux plus rattraper ça maintenant, ça me paraît tout à fait en dehors de moi.1

Et je ne peux pas rajouter quelque chose à ces «Entretiens»: ça part d'ailleurs. Même pour ces «Aphorismes» maintenant, c'est un petit peu difficile. J'ai l’impression qu'il faut descendre, se remettre dans un vieil état d'esprit pour pouvoir dire quelque chose.

Tu n'as pas besoin de te soucier des gens. Dis selon ton mode actuel, sans te soucier s'ils comprennent ou ne comprennent pas.

Ils ne comprennent rien.

Ça ne fait rien.

Alors ce n'est pas la peine de le publier!

Il y en a qui comprennent.

Non, ce que je dis maintenant, c'est bon pour mettre dans la boîte (de l’Agenda).2


(Puis Mère se remet à l’Aphorisme 94 sur le «renoncement». Elle reste silencieuse. Elle a l’air encore secouée.)

C'est difficile parce que...

Ces jours-ci, je ne sais pas si c'est la dernière lutte, mais c'est descendu très profond, dans ce qu'il y a de moins éclairé dans les cellules: ce qui appartient encore le plus au monde de l’Inconscience, de l’Inertie, qui est le plus étranger à la Présence divine. C'est pour ainsi dire la première substance qui a été employée par la Vie, avec une sorte d'incapacité de sentir, d'éprouver une raison à cette vie.

En fait, c'est quelque chose dont je n'avais jamais eu l’expérience (ce non-sens); même dans ma plus tendre enfance quand il n'y avait aucun développement, j'avais toujours une perception (pas mentalisée, mais vibrante) d'une Puissance derrière toute chose et qui est la Raison d'être de toute chose – une Puissance, une Force, une sorte de chaleur.

Ce n'est pas l’expérience des cellules de ce corps: c'est une identification avec le monde en général, la Terre dans son ensemble. C'est une condition absolument effroyable, et désespérante: quelque chose qui n'a ni sens ni but ni raison d'être, qui n'a pas de joie en soi ni de... qui est pire que désagréable – qui est meaningless [sans sens], et qui ne sent rien. Qui n'a pas de raison d'être et qui est. C'était... c'est une situation effroyable.

J'ai l’impression que c'est bien près du fond du trou.

Et c'était comme cela presque toute la journée, hier. Mais tout d'un coup est venu (on ne sait d'où ni comment... ce n'est ni d'en haut ni du dedans ni de... on ne sait pas): il n'y a qu'une Raison d'être, il n'y a qu'une Réalité, il n'y a qu'une Vie, et rien n'est autre que... ça. Et c'était Ça (pas du tout mentalement, aucune formule intellectuelle, rien), c'était Quelque chose qui était la Lumière (beaucoup plus que la Lumière), le Pouvoir (beaucoup plus que le pouvoir), l’Omnipotence (beaucoup plus que l’Omnipotence), et alors une intensité de douceur, de chaleur, de plénitude – tout ça ensemble –, et puis ce «Quelque chose», naturellement que les mots ne peuvent pas dire. Et Ça, c'est venu tout d'un coup, là, comme ça, quand l’état était dans une angoisse tellement effroyable, parce que c'était un rien – dont on ne pouvait pas sortir. Il n'y avait pas moyen de sortir de ce rien-là, parce que c'était rien.

N'est-ce pas, ceux qui vont à la recherche du Nirvana, tout leur dégoût de la vie, tout cela, ce sont des choses presque agréables à côté! c'est pas ça. C'est pas ça, c'était mille fois, des millions de fois pire. C'était rien, et parce que c'était rien il était impossible d'en sortir – il n'y avait pas... il n'y avait pas de solution.

Et c'était, à un moment donné, une tension tellement grande que... on se demande: «Est-ce qu'on va éclater?»

Puis tout s'est détendu et s'est ouvert (geste comme une éclosion cellulaire)... ÔM.

(silence)

Je ne sais pas s'il y a encore un trou plus profond mais...

Et alors ce soulagement, cet épanouissement, cette paix... Tout disparaît, excepté Ça.

(silence)

C'était vraiment la première fois que j'avais cette expérience – jamais-jamais je n'avais eu cette expérience. Et ce n'est pas du tout, pas du tout personnel à mon corps, ce ne sont pas les cellules de mon corps3 – c'est quelque chose d'autre...

Et c'est cela qui est la base, le fondement, de tout le matérialisme.

Ça a duré toute une journée ....

(silence)

l’expérience est venue au moment où la condition était tellement aiguë dans son néant... Je ne sais pas comment expliquer cela, c'est inexprimable, mais c'était COMPLET: il ne restait rien que cela, cette espèce de «rien» qui n'a ni sens ni raison d'être ni but ni origine – et par conséquent, pas de remède. Et alors, c'était juste le point où... n'est-ce pas, tout va éclater, une telle tension (est-ce une tension? je ne sais pas comment expliquer); et puis tout d'un coup le changement le plus total qu'on puisse imaginer.4

Alors tu comprends, ces vieux Entretiens, tout ça... on bavarde!

(long silence)

Et chaque fois qu'une expérience comme cela se produit, toute la vision des choses et du rapport entre les choses, tout ça change (geste de renversement). Même au point de vue tout à fait pratique. N'est-ce pas, la Vie est une sorte d'échiquier sur lequel on arrange tous les pions selon certaines lois intérieures, et chaque fois tout change: tout change, l’échiquier change, les pions changent, l’ordre des organisations changent. Et la qualité interne des pions – beaucoup.

J'ai eu, par exemple, ces jours-ci, toute une vision de X, de ce qu'il représente, des gens qui sont autour de lui, de son rapport avec l’Ashram – tout ça, tout à fait changé. Chaque chose prenait une place différente l’une vis-à-vis de l’autre. Et je n'y suis pour rien, je ne «tâche» pas de comprendre, je n'«essaye» pas de voir, rien: simplement, c'est présenté. Ce sont comme des tableaux qui sont présentés. Chaque chose a sa saveur spéciale, sa couleur spéciale, sa qualité spéciale et sa relation spéciale avec le reste – toutes les relations sont différentes.

Ça devient très précis, très ténu, très aigu, et pas flottant: très exact, dans chaque détail. Et avec une grande simplicité.

C'est comme si l’entremêlement des forces, des consciences, des mouvements, devenait de plus en plus clair, complet, très-très précis. Et c'est très simple.

Très simple.

Et tous les problèmes, tous les problèmes deviennent comme cela.

Et toujours cette impression de sortir (ce que j'appelais avant la «clarté» et la «compréhension», maintenant c'est pour moi une incompréhension et une confusion): sortir de là vers une clarté plus grande, une compréhension plus totale. Et puis toutes sortes de complications qui disparaissent, et pourtant tout est beaucoup plus complet qu'avant.

Avant, il y avait des endroits fumeux, toujours, des choses fumeuses, imprécises, incertaines; et à mesure que ça disparaît, tout devient beaucoup plus clair, beaucoup plus simple et beaucoup plus exact. Et les choses nuageuses disparaissent. Il y a, n'est-ce pas, tout un monde d'impressions et de guessing5 (c'est quelque chose que l’on imagine, ce sont plutôt des imaginations et des impressions), qui bouche les trous; et alors il y avait des points de repère, de choses qui sont sues et qui sont reliées ensemble par toute une masse fumeuse d'impressions et d'imaginations (c'est automatique); tout ça, chaque fois, oh! on sort de là vers quelque chose de si léger (geste au-dessus) et tous ces nuages s'évaporent. Et ça paraît si simple! On dit: «Mais c'est si évident, c'est si clair! il n'y avait pas de complications.»

Et chaque fois, c'est comme cela (geste d'ascension, d'étage en étage): on voit plus loin, on voit plus de choses à la fois.

Il semblerait qu'il y aura un moment où tous les mouvements de la terre deviendront comme cela, très clairs, très simples.

Et ça correspond à cette descente dans le trou.6

24 août 1963

(Mère demande au disciple s'il a préparé une question sur cet Aphorisme 94 – le «renoncement» – qui doit paraître dans le prochain Bulletin. Puis elle ajoute:)

Je t'ai fait de grands discours là-dessus, mais je ne me souviens pas! (Riant) C'était la nuit, je t'ai fait tout un discours, et même, au milieu de la nuit, j'ai dit: «Tiens, c'est ce qu'il faut que je dise à Satprem demain»!

Je te disais que le seul processus que j'ai connu, et qui s'est répété plusieurs fois dans ma vie, c'est de renoncer à une erreur. Quelque chose que l’on croit vrai – qui probablement a été vrai pendant un certain temps –, sur quoi l’on fonde en partie son action, et qui, en fait, n'était qu'une opinion. On pensait que c'était une constatation véridique avec toutes ses conséquences logiques, et l’action (une partie de l’action) était fondée là-dessus, et tout le déroulement était automatique; et soudain, une expérience, une circonstance, ou une intuition, vous met en garde que votre constation n'est pas aussi vraie qu'elle en avait l’air (!) Alors il y a toute une période d'observation, d'étude (ou quelquefois ça vient comme une révélation, une preuve massive), et alors ce n'est pas seulement l’idée ni la fausse connaissance mais toutes les conséquences qui doivent être changées, peut-être toute une manière d'agir sur un point quelconque. Et à ce moment-là, il y a une sorte de sensation, quelque chose qui ressemble à une sensation de renoncement; c'est-à-dire qu'il faut défaire tout un ensemble de choses qui avaient été bâties – quelquefois ce peut être assez considérable, quelquefois c'est une toute petite chose –, mais l’expérience est la même: c'est le mouvement d'une force, d'un pouvoir qui dissout, et il y a la résistance de tout ce qui est à dissoudre, de toute l’habitude passée. Et c'est le contact de ce mouvement de dissolution avec la résistance correspondante, qui doit se traduire dans la conscience ordinaire humaine par le sentiment de renoncement.

J'ai vu cela tout dernièrement; c'est insignifiant, ce sont des circonstances qui n'ont aucune importance en elles-mêmes (c'est seulement dans l’ensemble de l’étude que c'est intéressant). C'est le seul phénomène qui s'est répété plusieurs fois dans ma vie et que je connais bien à cause de cela. Et à mesure que l’être progresse, la puissance de dissolution augmente, devient de plus en plus imédiate, et la résistance diminue. Mais j'ai le souvenir de l’époque où il a eu le maximum de résistances (c'était il y a plus d'un demi-siècle) et ce n'était jamais que cela: c'était toujours quelque chose en dehors de moi – pas en dehors de ma conscience mais en dehors de ma volonté –, quelque chose qui résiste à la volonté. Je n'ai jamais eu l’impression d'avoir à renoncer mais j'ai eu l’impression d'avoir à presser sur les choses pour les dissoudre. Tandis que maintenant, de plus en plus la pression est imperceptible, c'est imédiat: dès que la Force qui dissout tout un ensemble se manifeste, il n'y a pas de résistance, tout se dissout; et au contraire, il y a à peine un sentiment de libération – il y a quelque chose qui est encore amusé et qui dit: «Ah! encore! que de fois on se limite...» Que de fois on croit que l’on avance constamment, sans heurts, sans arrêt, et que de fois on se met une petite limite devant son action (ce n'est pas une grosse limite parce que c'est une toute petite chose dans un immense tout, mais c'est une limite). Et alors, quand la Force agit pour dissoudre la limite, au début on se sent libéré, on a une joie; mais maintenant ce n'est même plus cela: c'est un sourire. Parce que ce n'est pas le sentiment d'une libération, c'est tout simplement comme on enlève une pierre sur le chemin pour pouvoir passer.

C'est à peu près ce que je t'ai dit la nuit dernière, mais alors avec toutes les illustrations! Il faudrait des pages, tu comprends! (Riant) C'est pour cela que les illustrations sont parties, autrement ça ferait un volume. Il y avait toutes les explications, tous les détails.

Cette idée de renoncement ne peut venir que dans une conscience égocentrique. Naturellement, les gens (que j'appelle tout à fait primaires) tiennent aux choses – quand ils ont quelque chose, ils ne veulent pas le lâcher! Ça me paraît tellement enfantin!... Ceux-là, s'ils doivent le donner, ça fait mal! Parce qu'ils s'identifient aux choses qu'ils tiennent. Mais c'est un enfantillage. Le vrai processus derrière, c'est... the amount, la quantité de résistance dans les choses formées sur une certaine base de connaissance – qui était une connaissance à un moment donné, qui ne l’est plus à un autre –, une connaissance partielle, pas fugitive mais impermanente; il y a tout un ensemble de choses construites sur cette connaissance et ça résiste à la Force qui dit: «Non! ce n'est pas vrai, (riant) votre base n'est plus vraie, on l’enlève», et alors, ah! ça fait mal – c'est cela que les gens sentent comme un renoncement.

Ce qui est difficile, ce n'est pas vraiment de renoncer, c'est d'accepter... [Mère sourit] quand on voit la vie telle qu'elle est maintenant. Mais alors, comment, si on accepte, comment vivre au milieu de tout ça et avoir ce «ravissement immuable» – le ravissement immuable, pas là-bas, mais ici?1

C'est mon problème depuis des semaines.

J'en suis venue à cette conclusion: en principe, c'est la conscience et l’union avec le Divin qui donnent le ravissement (c'est le principe), par conséquent la conscience et l’union avec le Divin, que ce soit dans le monde tel qu'il est ou dans la construction d'un monde futur, doivent être les mêmes – en principe. C'est ce que je me dis tout le temps: «Comment se fait-il que tu n'aies pas ce ravissement?»

Je l’ai: au moment où toute la conscience est centralisée dans l’union, à n'importe quel moment, au milieu de n'importe quoi, avec ce mouvement de concentration de la conscience sur l’union, le ravissement vient. Mais je dois dire qu'il disparaît quand je suis dans ce... c'est un monde, mais un monde très chaotique, de travail, où j'agis sur tout ce qui m'entoure, et nécessairement je suis obligée de recevoir ce qui m'entoure de façon à pouvoir agir dessus. Je suis arrivée à l’état où toutes les réceptions, même celles que l’on considère comme les plus douloureuses, me laissent absolument tranquille et indifférente – «indifférente», pas une indifférence inactive: sans réaction pénible d'aucun genre, absolument neutre (geste tourné vers l’Éternel), d'une égalité parfaite. Mais dans cette égalité, il y a la connaissance précise de ce qui est à faire, ce qui est à dire, ce qui est à écrire, ce qui est à décider, enfin tout ce que comporte l’action. Tout cela se passe dans un état de neutralité parfaite, avec le sens du Pouvoir en même temps: le Pouvoir passe, le Pouvoir agit, et la neutralité reste – mais il n'y a pas le ravissement. Je n'ai pas l’enthousiasme, la joie, la plénitude de l’action, pas du tout.

Et je dois dire que l’état de conscience de ce ravissement serait dangereux dans l’état du monde tel qu'il est... Parce que ça a des réactions presque absolues – je vois que cet état de ravissement a un pouvoir for-mi-da-ble. Mais j'insiste sur le mot «formidable» dans le sens que c'est intolérant, ou intolérable (plutôt intolérable) pour tout ce qui n'est pas semblable! C'est la même chose, ou presque (pas la même tout à fait mais presque), la même chose que l’Amour divin suprême: la vibration de cette extase, ou de ce ravissement, est un petit début de la vibration de l’Amour divin, et ça, c'est absolument... oui, il n'y a pas d'autre mot, c'est intolérant dans le sens que ça n'admet pas la présence de quelque chose qui est contraire.

Alors, ça aurait des résultats effroyables pour la conscience ordinaire. Je le vois bien parce que, quelquefois, cette Puissance vient – cette Puissance vient... on a l’impression que tout va éclater. Parce que ça ne peut tolérer qu'une union, ça ne peut tolérer que la réponse qui accepte – qui reçoit et qui accepte. Et ce n'est pas une volonté arbitraire: c'est DU FAIT MÊME de son existence qui est toute-puissante – «toute-puissante», pas de la façon dont l’homme comprend la toute-puissance: une toute-puissance réellement. C'est-à-dire qu'elle existe entièrement, totalement, exclusivement. Elle contient tout, mais ce qui est contraire à sa vibration est obligé de se changer, n'est-ce pas, puisque rien ne peut disparaître; et alors ce changement imédiat, brutal pour ainsi dire, absolu, dans le monde tel qu'il est, c'est une catastrophe.

Voilà la réponse que j'ai reçue à mon problème.

Parce que c'était ça, je me disais: «Pourquoi, moi qui suis...?» À n'importe quelle seconde je n'ai qu'à faire comme cela (geste vers le haut) et c'est... il n'y a plus que le Seigneur, tout est ÇA – mais d'une façon si absolue que tout ce qui n'est pas Ça disparaît! Alors la proportion maintenant... (riant) c'est qu'il y aurait trop de choses qui devraient disparaître!

J'ai compris cela.

(silence)

Quelquefois... Pour le corps, c'est un travail – un labeur – constant, tout petit, de chaque minute, un effort qui ne cesse pas, avec un résultat pour ainsi dire inappréciable (extérieurement en tout cas, tout à fait inexistant), c'est-à-dire que pour quelqu'un qui n'a pas ma conscience, il est de toute évidence que le corps a l’air de s'user, de vieillir, de s'acheminer lentement vers la décomposition: c'est dans l’atmosphère, c'est dans la conscience de tout le monde (Mère rit), c'est ce genre d'appréciation et de vibration qu'on jette tout le temps sur ce pauvre corps, qui est d'ailleurs très conscient de son infirmité, il ne se fait pas d'illusions! Mais cette tranquille, paisible, mais INCESSANTE endurance dans l’effort de transformation fait que, quelquefois, il soupire après un peu d'extase – non pas une abolition ou une annihilation, du tout, mais c'est comme s'il disait: «Oh, Seigneur! je t'en prie, laisse-moi être Toi tranquillement.» Au fond, c'est sa prière de tous les soirs quand les gens sont censés le laisser tranquille (malheureusement, physiquement ils le laissent tranquille, mais mentalement ils ne le font pas!) Mais ça... Je pourrais couper, il y a longtemps-longtemps que j'avais appris à couper, je pourrais couper mais... quelque chose, c'est-à-dire quelque part, «on» n'approuve pas! (Mère rit) Il est évident que ce que le On – le grand On – veut voir réalisé, c'est la paix parfaite, le repos parfait, et une joie, une joie passive (pas très active, une joie passive est suffisante), une joie passive, constante, sans l’abandon du travail. C'est-à-dire que ce n'est pas l’expérience individuelle que l’on considère comme la chose exclusivement importante – très loin de là: l’aide apportée au tout, le ferment qui soulève le tout, est au moins aussi important. Au fond, c'est probablement cela la raison majeure de la persistance dans ce corps.

Tout le dedans ne questionne pas, il n'y a pas de problème; tous ces problèmes dont je parle, ce sont des problèmes posés par le corps, pour le corps; autrement dedans, tout est parfait, tout est exactement comme ce doit être. Et ça, n'est-ce pas, c'est total: ce qu'on appelle «bon», ce qu'on appelle «mauvais», ce qui est «beau», ce qui est «laid», ce qui... tout ça, c'est une petite immensité (pas une grande immensité) mais une petite immensité qui se dirige de plus en plus vers une réalisation progressive – voilà – dans une Conscience intégrale qui, intégralement (comment dire?) enjoys (ce n'est pas «jouir»), on pourrait dire qui a la plénitude de ce qu'il fait – fait, est, etc. (tout cela, c'est la même chose). Mais c'est ce pauvre corps...

Et probablement... Il est certain aussi qu'on ne peut pas aller trop vite: si cette Joie était en lui, cette extase, ce ravissement était en lui d'une façon constante, ça ferait une transformation trop rapide, sûrement – il y a encore beaucoup de choses à changer, beaucoup-beaucoup-beaucoup...

Ce que l’on voit (quand on regarde le corps de Mère) c'est seulement l’apparence, mais cette apparence est l’expression de quelque chose d'autre... (silence) C'est une sorte de connaissance (est-ce une connaissance?) ou de prescience qui lui est donnée, de comment cette apparence sera changée. Et ça paraît être très simple et très facile, et ce peut être très imédiat parce que ce n'est pas du tout – ce ne sera pas du tout fait de la manière dont les gens le croient ou l’attendent... Ce serait plutôt comme la vision du mouvement interne vrai qui s'imposerait de telle sorte qu'elle voilerait la fausse vision qui voit les choses comme ça (en surface). C'est très difficile à expliquer, mais c'est... Je l’ai senti plusieurs fois pendant quelques secondes (il y a une sorte de sensation de cela): il y a quelque chose qui est vrai, qui est le vrai Physique, mais qui n'est pas perceptible pour nos yeux tels qu'ils voient, mais qui pourrait se rendre perceptible par une INTENSIFICATION. Et ce serait cette intensification qui réaliserait extérieurement la transformation: qui remplacerait l’apparence fausse par la forme réelle.

Mais je ne sais pas du tout si l’apparence fausse n'existerait pas encore pour ceux qui ne seraient pas prêts à voir la chose vraie?... En tout cas, ce serait une période intermédiaire: ceux qui ont les yeux ouverts pourraient voir (ce qu'on appelle «les yeux ouverts» dans les Écritures), ceux-là pourraient voir; et ils pourraient voir non par un effort ou en cherchant, mais ça s'imposerait à eux; tandis que ceux qui n'auraient pas les yeux ouverts... en tout cas, pour un temps, ce serait comme cela, ils ne verraient pas – ils verraient encore la vieille apparence. Les deux peuvent être simultanés.

Je me suis VUE telle que je suis, et il est tout à fait évident... (Mère rit) il semble qu'on ait racorni mon corps de façon à pouvoir le dominer et le dépasser de tous les côtés sans difficulté! C'est ça, l’impression, quelque chose qui est shrunk! [rétréci] l’anglais est très expressif (Mère rit).

Mais maintenant, quand on dit cela, les gens imaginent que c'est une vision psychique ou une vision mentale – ce n'est pas ça, je ne parle pas de cela! Je parle d'une vision physique, avec ces yeux-là (Mère touche ses yeux). Mais une vision physique vraie, au lieu de la vision déformée telle qu'elle est maintenant.

C'est-à-dire, au fond, que la réalité vraie est beaucoup plus merveilleuse que nous ne pouvons l’imaginer, parce que ce que nous imaginons est toujours une transformation ou une glorification de ce que nous voyons – mais ce n'est pas ça. Ce n'est pas ça!

Je ne suis pas très sûre que je n'existe pas déjà, physiquement, avec un corps vrai2 – je dis «je ne suis pas très sûre» parce que les sens extérieurs n'en ont aucune preuve! mais... Je n'essaye pas, je n'ai jamais cherché à voir ou à savoir; je n'essaye pas, mais de temps en temps, c'est comme une chose qui s'impose: pendant une minute, je me vois, me sens, m'objective telle que je suis. Mais ça dure quelques secondes, et puis pfft! c'est parti – c'est remplacé par la vieille habitude.

N'est-ce pas, nous ne pouvons penser qu'à des choses qui changent de l’une à l’autre: on redevient jeune, tous les signes de vieillesse disparaissent, etc. – ce sont de vieilles histoires, ce n'est pas ça. Ce n'est pas ça!

Une fois, je me souviens, il y avait comme un gros chagrin d'enfant dans mon corps, et il se lamentait un peu de ce qu'il était, et il a entendu une voix – une voix formidable – qui lui a dit: «Pourquoi ne te sens-tu pas COMME TU ES?» Et l’expérience a suivi – mais ça a duré une seconde. Une seconde, un éclair.

Et alors vient cette admirable raison, dont nous sommes pourris (je ne dis pas «pétris», je dis «pourris») qui commence à se demander: comment c'est possible, et comment est-ce qu'on peut être efficace, et comment est-ce qu'on peut avoir un contact avec le reste du monde, et comment... et comment et comment? Alors j'ai arrêté, tout arrêté. Et qu'est-ce qui va arriver à ce corps-ci, et quel sera son mode d'existence?...

Nous concevons très bien (c'est une chose que l’on conçoit très bien) que des êtres naissent d'une autre manière, par une puissance de concentration, et que ces êtres se matérialisent sans aucune des misères que nous avons – c'est très bien, mais c'est pour plus tard. C'est entre les deux, c'est là qu'est la difficulté.

28 août 1963

J'ai reçu une lettre d'un de mes amis éditeur. Il me dit les vraies raisons pour lesquelles on a refusé mon manuscrit sur «Sri Aurobindo ou l’Aventure de la Conscience».

Tiens-tiens!

C'est intéressant. Tu veux que je te lise ça...

(le disciple lit)...

«Je vous avais déjà confié mes prévisions pessimistes.1 Quant aux motifs de la décision, nous en revenons toujours au même point: une volonté sincère (mais ambiguë) d'oecuménisme, une curiosité intellectuelle plus large que profonde, permettent à des mentalités comme celles qui donnent à notre maison sa direction et son visage d'accorder quelque attention à des exposés académiques sur des questions considérées (à tort en l’occurence) comme relevant de la fameuse «spiritualité orientale». Mais, dès qu'il s'agit d'exposés vécus de l’intérieur, les bonnes volontés rentrent dans leur coquille. La réaction s'aggrave encore si l’auteur est un «renégat», un Occidental passé à l’ennemi. (Croyez bien que j'en sais quelque chose!2) J'insiste sur le fait que tout ce processus est non seulement involontaire, mais plus encore: inconscient (ce qui n'est pas une excuse, mais une circonstance aggravante). Le barrage qui se dressait devant votre premier manuscrit,3 s'est plutôt durci devant le second, nettement plus personnel, je veux dire moins «détaché», moins «objectif» encore que le premier – et plus ample. Par le biais de la littérature, vous pouviez faire passer ce que vous vouliez» Par le moyen de l’exposé direct, vous n'atteindrez – mais tant pis, ou tant mieux – que ceux qui cherchent. Notre maison et son public n'appartiennent pas, en ces matières, à la catégorie de ceux qui cherchent.»

Il est conscient!

C'est évident, je te l’ai dit tout le temps: ce n'est pas fait pour eux. Ceux qui cherchent, il n'y en a pas beaucoup.

Ceux qui cherchent... vraiment, il n'y en a pas beaucoup.

Je vois les lettres qu'on reçoit de ceux qui sont convaincus, non seulement qu'ils cherchent mais qu'ils ont trouvé... les lettres de prétendus disciples de Sri Aurobindo, qui viennent de là-bas, de France, d'Allemagne, d'Angleterre – comprennent pas, ils ne comprennent pas!

Enfin ça ne fait rien, ce sera pour plus tard.

Surtout, ils croient avoir tout compris.

Ah! moins on sait, plus on croit que l’on sait.

Oui, ils savent tout, on ne peut rien leur apprendre.

Il faut qu'ils te renvoient tes manuscrits, les deux. Ce n'est pas la peine qu'ils moisissent là-bas.

Mais on ne voit pas ce qui peut toucher ça?

Non-non! ce n'est pas la peine d'essayer.

Mais c'est quand même la peine au point de vue du Travail – comment est-ce qu'un jour ça entrera?

Oh!... Tu te souviens de cet Aphorisme de Sri Aurobindo?... Moi, je comprends très bien ce qu'il veut dire.

Ce sera le jour de la culbute.

Un petit enfant...

[76 – l’Europe se vante de son organisation et de son efficacité pratiques et scientifiques. J'attends que son organisation soit parfaite, alors un enfant la détruira.]

Je n'ai pas voulu le commenter... Mais c'est vrai.

Parce qu'ils sont imprenables. Ils sont imprenables, ces gens-là.

Mentalement.

Ce n'est pas mentalement qu'on peut les prendre.

Mais comment?... C'est ou par la force – la force violente – ou alors un miracle (ce qu'ils appellent un «miracle»)... qui les laissera sidérés.

Ce sont des gens tout à fait vulnérables (vulnérables, c'est-à-dire sans défense), à la force spirituelle. Le jour où elle se manifestera physiquement, ce sera la débâcle.

Déjà ici, ces gens qui sont tellement habitués par leur tradition au Pouvoir, au vrai Pouvoir spirituel, déjà quand ça se manifeste un petit peu, ils... ils tremblent. Mais là-bas où ils le nient... c'est-à-dire qu'ils sont complètement sans défense.

Je ne sais pas quand ça viendra – je ne sais pas, peut-être que ce ne sera pas bientôt –, mais je sais une chose, quand ça viendra, ce sera la panique – n'est-ce pas, LA Panique.

Et alors, dans une panique, on peut faire quelque chose.

(silence)

En tout cas, ton livre va être publié ici, c'est-à-dire qu'il touchera les quelques-uns qui sont prêts – pas là-bas.

Les Américains sont plus ouverts, parce qu'ils sont restés plus enfants – ils croient tout savoir au point de vue matériel, mais ils savent qu'il y a des choses qu'ils ne savent pas. Tandis que les autres... ils ont «dépassé les croyances religieuses enfantines», n'est-ce pas!

Et ce n'est même pas vrai parce que dès qu'il y a un petit quelque chose qui bouge dedans (geste au centre du cœur), ils se replongent dans leur catholicisme.

Enfin...4


(Suit une discussion entre Mère et le disciple pour savoir si l’on doit publier in extenso, dans le «Bulletin», le commentaire sur le dernier Aphorisme [du renoncement] ou n'en donner que des extraits. Mère trouve tout d'abord que c'est trop «personnel». Ainsi se trouve posé le problème des publications de Mère.)

...Il aurait fallu que ce soit dit d'une façon objective, pas dire «mon expérience». Et si je commence à dire «mon expérience», il faut que j'aille tout au bout de mon expérience, je ne peux pas rester au milieu.

Ce n'est vraiment touchant que quand, justement, c'est TON expérience.

Oui, mais alors il faudrait tout dire.

C'est exactement la même chose que dans cette lettre de ton ami: si on vous présente une théorie «objective», alors c'est bien – les gens le prennent ou ne le prennent pas, et ça ne fait rien; mais introduire cet élément personnel... Non pas que je craigne que les gens n'apprécient pas (ça m'est absolument indifférent), c'est que j'ai peur que cela ne fasse du mal à certains.

Du mal, comment?

Quand on lit une chose pour laquelle on n'est pas prêt, ça ne fait pas de bien.

Encore, si je l’avais dit d'une façon didactique...

Oui, mais d'une façon didactique, ça n'a pas cette richesse, cette force.

C'est évident, mais c'est ce que les gens considèrent comme «intellectuel».

Moi, je crois qu'il faut s'en moquer.

Il faut, ou bien que je donne des leçons, ou que... Mais j'avoue que maintenant ça ne m'amuse pas. Et ça me paraît si enfantin de dire: «Les choses se passent comme cela.» – Je sais parfaitement bien que ça ne se passe pas «comme cela»! Ça se passe comme cela et ça se passe d'une autre façon, et tout est possible. On ne peut pas dire tout le temps aux gens: «Vous savez, tout est possible.» Chaque fois répéter: «Vous savez, tout est possible», c'est absurde.

Alors, ou il faut que je me taise, ou...

Tiens, encore un exemple, quand je réponds aux lettres des gens, il n'est jamais question de moi, il est question d'eux, mais c'est très personnel: c'est POUR EUX. Et justement, je suis en train de voir (d'une façon peu agréable) que d'une réponse personnelle, on veut faire un enseignement général – c'est absurde! C'est absurde. Je dis ça à cet homme-là ou à cette femme-là, et je dirais le contraire à une autre! Et ils publient cela... Alors il ne faut plus rien publier.

Ou ne plus rien publier ou, ma foi, tant pis...

Si on doit tenir compte toujours de ceci et de cela, il n'y a rien à faire, rien à dire.

Je peux très bien ne rien publier, dire: «Maintenant, je ne parle plus, c'est fini.» Mais alors il faudrait arrêter le Bulletin.

Je crois que tu n'as qu'à introduire ton expérience, et puis c'est tout. Parce que, autrement, à couper dans ces textes pour ne laisser que les choses «objectives», ça devient sec.

Oui, sec et creux.

Et incomplet, terriblement incomplet. Alors les gens peuvent comprendre d'une façon tout à fait dogmatique – c'est mauvais.

Je crois qu'il vaut mieux tout mettre.

Au fond (riant) je m'en fiche! même s'ils ont l’impression que l’on est en train de «déménager»...

Ceux qui ont de fausses impressions, les auront dans tous les cas.

Et puis, vraiment, sincèrement, ça m'est tout à fait indifférent. C'est la même chose quand les gens m'écrivent: «C'est admirable», j'ai un sourire, je me dis: «Qu'est-ce qu'ils peuvent comprendre!?» Je reçois des lettres... des lettres impayables! Des lettres tout à fait exubérantes, pleines de mots redondants, et puis il y en a d'autres qui me disent très franchement qu'ils sont pleins de doute, que j'emploie tout simplement des «trucs» pour faire marcher «l’affaire» (!) comme une intelligence humaine ordinaire, et qu'ils n'ont pas du tout l’impression qu'il y ait rien de divin là-dessous – ça me fait le même effet, l’un et l’autre! (Mère rit) C'est pour moi la même chose. C'est leur impression – ils ont le droit d'avoir toutes les impressions qu'ils veulent. À vrai dire, tout ce qu'on pourrait leur répondre, c'est: «Ayez les impressions qui vous font progresser», que ce soit d'une façon ou d'une autre, ça n'a aucune importance!

Ce n'est pas cela... C'est peut-être la crainte (il y a une crainte quelque part, je n'en sais rien), la crainte d'ouvrir un peu trop l’intimité, pour les vibrations.

Mais (riant) je crois qu'il n'y a pas de danger!

J'ai vu, n'est-ce pas, j'ai donné des morceaux de l’Agenda, que j'ai choisis, à A. Il est évident que A m'aime bien, et puis il fait des efforts pour comprendre spirituellement – eh bien, j'ai vu clairement pendant qu'il lisait, qu'il ne comprend pas. Il y avait toute une partie qui passait absolument au-dessus de sa compréhension, il ne comprenait pas, et ce qu'il attrapait, c'était une écorce.

Alors, au fond, ça n'a pas d'importance.

Il y a bien la règle qu'il n'est pas bon de parler de soi – c'est entendu. Mais maintenant de quoi puis-je parler, si ce n'est de mon expérience? Parce qu'il n'y a plus rien qui existe – toute la connaissance soi-disant «objective», c'est pour moi une activité mentale inutile.

Alors il n'y a qu'à laisser faire.

Autrement des publications tronquées... Je trouve que c'est très mauvais; il vaut mieux rien du tout parce qu'elles sont comme vidées.

Oui, vidées de tout pouvoir.

Il n'y a qu'à laisser.

31 août 1963

(Mère regarde longtemps le disciple)

J'ai vu une chose nouvelle devant toi.

Tu étais dans une sorte de lumière dorée, assez solide, et alors, depuis ici (la gorge), jusque là (le plexus solaire), il y avait toutes les couleurs tantriques, tu sais, toutes les nuances. Je ne sais pas si tu l’as jamais vu: ils ont une atmosphère de toutes les couleurs, pas mélangées mais juxtaposées. C'est une espèce de «carte de pouvoirs», et, suivant la couleur qu'ils choisissent et qu'ils tirent, qu'ils utilisent, c'est pour une chose ou pour une autre: l’une est pour la santé, l’autre pour le progrès, l’autre pour la compréhension, etc. Il y avait ça avec toi, et puis je voyais ta main qui bougeait comme si tu écrivais.

Je vois ces couleurs, je les vois toujours associées à tous ceux qui ont fait du tantrisme. X a toujours ça avec lui, et chez son gourou,1 c'est encore beaucoup plus, c'est très fort et très intense.

C'était là devant toi, à partir d'ici (la gorge), c'est-à-dire le centre de relation avec le monde, jusque là (plexus solaire).2


Peu après

Ces jours-ci, j'ai eu l’occasion de travailler sur la proportion entre l’expression et le fait. Je m'explique: par exemple, on a une expérience (il y a deux cas où c'est très clair)... d'abord on a l’expérience, puis vient l’expression de cette expérience; et c'est la proportion entre cette simplicité divine de l’expérience et le pouvoir réalisateur de l’expression, qui donne la mesure de la sincérité parfaite – il faut que le rapport soit tout à fait vrai.

J'ai vu là comme une clef pour apprécier la sincérité.

La même chose pour renseignement, en ce sens qu'on a un certain pouvoir, qui agit en vue d'un résultat sur ceux qui, naturellement, sont réceptifs – certain pouvoir destiné à produire certain résultat, certain effet –, et du fait de la condition du monde, qui est presque exclusivement mentale, il est nécessaire d'ajouter des mots (ce qu'on appelle un «enseignement») à ce pouvoir; et alors il faut la proportion exacte entre la phrase et le pouvoir: la phrase ne doit pas exprimer plus ou moins que le pouvoir; elle doit être l’expression exacte du pouvoir – ne pas trop en dire, ou ne pas en dire trop peu; dire exactement les mots qui conviennent pour qu'ils soient un revêtement (recevable mentalement) du pouvoir, un véhicule du pouvoir. Et la proportion entre les deux donne juste la mesure de la sincérité.

Je ne sais pas si je peux me faire comprendre, mais pendant deux jours j'étais dans ce travail-là, à établir un rapport absolument vrai – et justement qui n'est vrai que dans une complète simplicité et une complète sincérité. J'ai vu le pouvoir qui agit dans les mots, et le pouvoir qui agit sans mots, et il faut que la proportion entre les deux pouvoirs soit exacte, tout à fait correcte, pour qu'il y ait une complète sincérité. Tu suis?

C'était très intéressant comme travail – pas du tout intellectuel, un travail tout à fait matériel, là, très-très pratique. Par exemple, ce que l’on écrit à quelqu'un doit correspondre exactement à la qualité et à la quantité du Pouvoir– qui agit DIRECTEMENT, pas à travers le mental. C'était très intéressant, un travail très minutieux. Et c'était la clef – une des clefs de la sincérité parfaite.

C'était mon occupation de ces jours-ci.

(silence)

Et encore une fois, j'ai eu cette expérience au moment où le corps était de nouveau gémissant – je dis «gémissant», ce n'est pas cela, mais c'est une sorte d'aspiration tellement forte que ça devient comme une angoisse; et puis ce sentiment d'incapacité. Et la même Réponse: tout d'un coup, il est pris d'une puissance formidable, tellement grande que le corps lui-même a l’impression qu'il est capable de tout casser! Ça vient comme une masse. Et je me suis souvenue d'une phrase que Sri Aurobindo a écrite où il disait: «Avant d'être le lion du Seigneur, il faut être l’agneau du Seigneur»,3 et c'était comme si l’on me disait: «Assez d'être l’agneau! (riant) Maintenant deviens le lion.» Mais ça ne dure pas.

Et je vois bien pourquoi ça ne dure pas! Oh! c'est... On a l’impression qu'on va jeter tout par terre!

(silence)

Mais le corps lui-même profite de l’expérience, en ce sens qu'il se sent plus fort après – pas beaucoup plus fort physiquement, on s'en fiche de cette force-là! C'est une chose très curieuse: le sens du «concret» disparaît – disparaît de plus en plus. La vision «concrète», l’odorat «concret», le goût «concret», l’audition «concrète», tout ça, c'est comme quelque chose qui est loin – loin dans un passé... irréel; et cette sorte de «concret» sec et sans vie est remplacé par quelque chose de très souple (geste arrondi, global), très complet dans le sens que tous les sens fonctionnent en même temps, et très intime avec tout.

On m'a montré pendant un moment les deux fonctionnements pour que je puisse percevoir la différence: comment les sens fonctionnent maintenant et comment c'était avant; et ça fait une impression de flou, mais c'est une impression, à la fois, de quelque chose de très intime et de très complet (même geste arrondi), tandis qu'avant, chaque chose était séparée, divisée (geste hachés, durs), sans connexion avec l’autre, et c'était très superficiel – très précis mais très superficiel, comme une pointe d'aiguille. Ce n'est plus du tout cela.

Et je vois bien que si on se laissait faire au lieu d'avoir cette résistance absurde de l’habitude, si on se laissait faire, il y aurait une sorte de chose très... (même geste arrondi, global), très douce, au sens de smooth, très douce, très complète, très vivante, et avec une perception très intime des choses. Et une connaissance qui devient... s'il n'y avait pas ce mélange de la vieille habitude, ce serait vraiment extraordinaire: la perception, pas comme de quelque chose d'extérieur, mais une perception intime. Quand quelqu'un entre, par exemple, quand la pendule va sonner, c'est juste (je ne peux pas dire une seconde, un millième de seconde), juste avant que ça ne se produise matériellement; ce qui vous donne justement l’impression d'une prescience, mais ce n'est pas ça! ce n'est pas une prescience, c'est... Ça appartient au domaine de la sensation, mais ce sont d'autres sens. Et ça donne surtout l’impression d'une intimité, c'est-à-dire qu'il n'y a pas de distance, il n'y a pas de différence, il n'y a pas quelqu'un qui voit et quelque chose qui est vu; et pourtant il y a là-dedans ce qui correspond à la vision, à l’audition, à la sensation, à toutes les perceptions, au goût, à l’odorat, tout ça.

Il y a là vraiment un changement très concret avec avant, très perceptible.

Et je comprends bien: ce qui empêche que le fonctionnement soit parfait, ce sont toutes les vieilles habitudes. Si on pouvait se laisser aller et ne pas résister – ne pas vouloir «bien voir», «bien entendre», «bien...» –, on aurait l’autre perception, qui est beaucoup plus vraie. Et cette intimité de la chose... ce n'est plus une chose étrangère. Mais il n'y a pas de pensée là-dedans; n'est-ce pas, on dit «la connaissance par identité», tout ça, ce sont des notions intellectuelles, ce n'est pas ça! c'est...

Et toujours cette impression de quelque chose qui n'a pas de heurts (même geste arrondi), pas de chocs, pas de heurts, pas de complications, comme si on ne pouvait plus se cogner, on ne pouvait plus... C'est tout à fait intéressant.

Et ça prend du temps simplement à cause de la résistance des vieilles habitudes. Si on pouvait se laisser aller toujours, ça irait beaucoup plus vite – beaucoup plus vite. Tout le temps, cent fois par jour (plus que ça!), je suis en train de me dire: «Pourquoi penses-tu à ceci, pourquoi penses-tu à cela?» Par exemple, je dois répondre à quelqu'un (pas toujours par écrit, mais faire un travail [occulte], organiser quelque chose), il y a la Force qui agit tout naturellement et toujours sans heurts et sans résistance; puis la pensée tout d'un coup vient et s'en mêle (chaque fois je l’attrape, chaque fois je l’arrête; mais c'est trop souvent!), et c'est toute la vieille habitude qui revient. Ce besoin de traduire les choses en pensée, les traduire en expression «claire»... Et alors on retarde tout le fonctionnement.

Oh! se laisser vivre simplement, simplement, sans complications...4

septembre




4 septembre 1963

C'est une avalanche de lettres!

Quelqu'un disparaît, on me demande où il est: s'il est mort ou vivant. Quelqu'un d'autre a des embêtements: il veut me voir. Quelqu'un... Des gens que je ne connais pas du tout! Une pile de lettres! Ils me demandent que leurs affaires marchent bien, que leur santé soit bonne, qu'ils aient un enfant (un garçon!), une belle situation... Enfin tout ce que les gens peuvent désirer, ils m'écrivent pour le demander. Ah! et puis il y en a aussi qui me demandent la bonne aventure! il y en a beaucoup, mais je leur dis carrément: «Je ne suis pas une diseuse de bonne aventure, je ne lis pas dans le marc de café»!

(Mère griffonne un mot)

Voilà une réponse que je ferai envoyer à tous ces gens que je ne connais pas et qui me demandent des choses...: What have you given to the Lord, or done for Him, that you ask me to do something for you? – I do only the Lord's work! 1 (Mère rit)

N'est-ce pas, on voit que c'est à des millions et des millions de lieues de leur pensée, alors...

C'est amusant, non? Même Nolini sera choqué! (Mère rit beaucoup.) Mais ça m'amuse.

Au fond, leur idée du divin, c'est quelque chose qui est à leur service – qui sait un peu plus que vous (!) et qui est à votre service pour vous donner tout ce que vous désirez.2


Après une méditation avec le disciple

J'ai encore vu une forme carrée, comme la dernière fois, qui était devant toi, mais cette fois-ci, ce n'était plus la même: c'était une lumière dorée brillante, et cette forme carrée était ici (entre la gorge et le plexus solaire), devant toi, et puis c'est monté-monté-monté, comme ça, doucement, tout doucement, au-dessus de ta tête, et puis là, ça s'est répandu dans une grande lumière... très tranquille.

Je pense que c'est le symbole de ta méditation. Un carré – un carré parfait, n'est-ce pas, à peu près de cette dimension-là, qui va de là à là (du sommet de la tête au plexus solaire): c'est toi quand tu médites. Et puis c'était très établi, comme quelque chose de très établi, et puis lentement, très lentement, c'est monté-monté-monté jusqu'au-dessus de ta tête, et là... pas violemment, n'est-ce pas, ça n'a pas éclaté, mais ça s'est répandu dans une Immensité de lumière.

Le symbole de ta conscience.

C'est toujours une forme carrée.

La dernière fois, je t'avais dit que c'étaient ces lumières tantriques; cette fois-ci, c'était de l’or pâle, très lumineux, très tranquille, et la forme (du carré) était comme une vibration un peu plus dorée, un peu plus foncée (mais pas «foncé»), et c'est resté immobile très longtemps, et puis tout d'un coup, j'ai senti dans ta conscience comme une chose qui s'épanouissait, comme quelque chose qui se détendait, qui s'épanouissait, comme une sorte de bien-être dans ta conscience. Et alors à peine cela s'est produit que le carré a commencé à monter-monter-monter jusqu'au-dessus de ta tête, et là...

Est-ce le symbole de ta méditation ou le symbole de ta conscience?... – Le symbole de ta conscience.

Est-ce que tu as senti, vers la moitié de la méditation, tout d'un coup comme la détente d'un bien-être intérieur?

Oui, j'ai senti.

Alors c'est ça.

Dès que tu as senti, ça a commencé à monter et puis... comme si ça se perdait dans un infini.

Mais c'est bien.

C'est très bien.

Tu n'as rien à me dire? Nous avons encore un quart d'heure.

Quoi?

Certaines choses sont beaucoup dans ma conscience depuis quelque temps: la mort.

La Mort?

Beaucoup.

C'est parce que... oui.

Et tu te demandes ce que c'est?

J'ai l’impression d'une menace, quelque chose qui est là; comme un Destin qui est là et qui est très proche, et à mesure que l’année va vers la fin, ça devient de plus en plus lourd.

(silence)

Sujata aussi a senti ces derniers mois – mais moi, depuis longtemps. J'ai l’impression qu'il y a quelque chose qui est là, quelque chose qui pèse sur elle et sur moi – je ne sais pas sur lequel des deux. Autrefois je ne pensais pas beaucoup à la mort, mais maintenant j'y pense constamment.

Mais qu'est-ce que tu appelles la mort?!

Je veux dire quitter ce corps.

Une chose personnelle à toi?

Ça se traduit personnellement; peut-être est-ce quelque chose de plus général, je n'en sais rien.

(Mère reste silencieuse) Il y a deux ans, je la voyais sur toi beaucoup – beaucoup plus que maintenant. Ça semble s'être écarté, c'est curieux.3

Il y a deux ans, quand je descendais encore, quand je te voyais dans le bureau de Pavitra.

Il y a un temps où j'ai agi (c'était à l’époque des activités du Swami et tout cela). C'était là, à ce moment-là. Mais dernièrement... je n'ai rien vu de spécial – les attaques, elles viennent périodiquement avec la présentation de toutes sortes de possibilités catastrophiques: rien de plus particulier pour toi que pour d'autres. Ça fait partie du travail, je n'y fais pas attention.

Mais quant à une menace tout à fait personnelle pour toi, ça paraît être beaucoup mieux maintenant qu'il y a deux ans.

Seulement, il se peut qu'à cause du travail que je fais, tu sois mis en rapport avec une certaine layer [couche] de possibilités, et que tu deviennes plus conscient de cela... Sujata, elle, doit être sans le savoir sous ton influence, et ce que tu sens, elle le sent – c'est mon impression.

Je vais regarder, mais ces temps-ci je n'ai rien vu. Au contraire, cette chose que je voyais sur toi de ce temps-là et que j'écartais volontairement, depuis surtout cette année-ci je ne la vois pas – je vais regarder.

J'ai plutôt l’impression que c'est un travail dans le champ de ta conscience, quelque chose qui s'éveille, qui était moins conscient avant – c'est plutôt ça qu'un danger qui s'approche.

Comment ton corps se sent-il? fatigué toujours?

Pas brillant Oh! remarque, j'ai toujours pensé que 63, pour moi, serait une date très importante. Pourquoi? Je n'en sais rien.

Oui, nous la VOULONS très importante!

Il y a une chose qui m'est revenue avec une sorte d'obstination ces temps derniers, c'était le souvenir (ce qui est curieux, c'est que ça vient comme un SOUVENIR, comme si c'était quelque chose que j'avais vécu): ton camp de concentration. C'est très curieux. Ça m'est revenu il y a peut-être deux, trois semaines, je ne sais pas, avec beaucoup de force. J'ai même regardé – étudié plutôt – quelles étaient les conséquences pour ton corps. Étudié et... enfin fait le nécessaire.

Je ne sais pas, je ne peux pas dire parce que pour toutes ces expériences-là, j'essaie d'écarter le plus possible toutes les pensées, parce que ça n'aide pas la perception correcte. Ce qui fait que je ne peux pas dire s'il y avait une raison ou s'il n'y avait pas de raison à ce «souvenir» – en vérité, le mental trouve toujours des raisons à tout, alors... N'est-ce pas, je ne m'en occupe pas, je ne cherche pas et par conséquent ça ne vient pas – les choses viennent d'elles-mêmes. Il y avait évidemment une nécessité: tout ce qui vient, je sais que c'est nécessaire, autrement ça ne vient pas. Mais ce souvenir n'avait pas apporté la sensation ou la perception d'un danger quelconque pour ta vie physique, pas du tout. Je n'ai pas cette perception, alors que je l’ai eue il y a deux ans. Maintenant je ne l’ai pas.

Mais je me souviens que pendant quelques jours, j'avais été occupée par ce souvenir, dans un grand travail sur certaines vibrations physiques, de tous les domaines physiques, dont je m'occupe. Et c'était venu (c'est étrange, c'est toujours SITUÉ – c'est situé quel-que part...) et c'est une perception très aiguë que j'ai, absolument comme on a la perception de quelque chose qui vous est arrivé personnellement (mais tout ce qui me vient maintenant est comme cela). Seulement, il y avait la connaissance que c'était ton corps à toi qui avait passé par cette expérience-là. Et alors... oui, je me souviens, c'était une certaine qualité de vibration... (Mère reste silencieuse à «regarder») et c'était associé à une étude sur l’expérience acquise par les cellules dans le processus de la mort. Je me souviens, j'étudiais les expériences cellulaires (qu'elles ont la plupart du temps d'une façon semi-consciente et souvent inconsciente), mais semi-conscientes et qui restent dans leur subconscient, et qui servent à faire des cellules de plus en plus réceptives et préparées à la Force nouvelle. Et alors comme j'étudiais ça, ton expérience des camps est venue, et j'ai vu justement qu'il y a un certain nombre de tes cellules, un nombre assez considérable (des cellules qui sont en partie dans le cerveau, en partie dans le centre de la gorge et en partie ici: geste au haut de la poitrine) qui ont eu l’expérience préliminaire de la mort.

Et ça leur donne une capacité de conscience très particulière.

C'est peut-être cela qui t'a amené cette impression de mort...? Mais tu dis que c'est depuis longtemps. Moi, c'était récent (peut-être une dizaine de jours), mon étude était récente. C'était très intéressant... Je les vois encore maintenant, c'est comme localisé dans certaines parties de ton corps.

Mais c'est une constatation favorable, ce n'est pas une constatation dangereuse!

Favorable, comment?

Favorable, oh! oui, favorable dans le sens que ces cellules-là sont beaucoup plus conscientes que les cellules ne le sont d'ordinaire.

Par le fait d'avoir eu cette expérience?

Oui, d'avoir eu cette expérience et d'avoir survécu – la forme ayant survécu à cette expérience.

Au point de vue de la réception d'en haut,4 c'est d'une importance très-très considérable – je veux dire des forces nouvelles, d'une préparation pour recevoir les forces nouvelles.

(silence)

Mais les choses sont assez complexes... Pour le corps dans sa conscience ordinaire, l’état absolument normal c'est quand il ne se sent pas vivre; quand le corps ne se sent pas vivre, ça veut dire qu'il fonctionne normalement; dès qu'il se sent vivre dans une partie de lui-même, c'est que quelque chose n'est pas tout à fait normal, et instinctivement (je ne parle pas de la conscience vitale ou mentale), mais sa conscience primaire est inquiète, parce que ce n'est pas normal (ce n'est pas ce qu'il appelle «normal»); et alors cette sorte d'inquiétude (inquiétude qui n'est pas formulée dans des pensées), cette sorte d'inquiétude le met en rapport avec tout un monde de suggestions adverses et défaitistes – oh! il y a une atmosphère intense de suggestions pessimistes, défaitistes, adverses, qui font comme un bain autour des vies humaines. C'est même très fort ici, très fort – je veux dire dans l’Ashram –, très fort. Les gens très sensitifs et qui n'ont pas une conscience très fortement établie en la foi, ils sont très... (comment dire?) très profondément... pas profondément mais intimement attaqués par cette atmosphère.

Et les corps, ça les met très mal à l’aise.

(silence)

Je regarderai encore,5 mais pour le moment, ça me paraît être une période, ou un stade dans le développement intégral, qui te met en rapport avec la mort. C'est une chose impersonnelle et je ne vois rien de menaçant, c'est-à-dire que je ne considère pas cela comme prémonitoire – excepté que la Mort est partout dans le monde, n'est-ce pas! voilà, c'est tout. Ça se réduit à cela.

Voilà, mon petit.

Et c'est peut-être ça, parce qu'il y a un travail intéressant qui se fait au-dedans de toi.

Moi, j'ai une impression... Si tu me demandes, j'ai une impression contraire: c'est que, pour le moment, je suis en train de te préparer une vie nouvelle. Voilà.

Il faut... je ne vois même pas la nécessité de te le dire, mais ce qu'il faut, c'est accrocher la conscience d'une façon imperturbable à quelque chose qui n'est justement pas personnel – à la Réalisation Nouvelle.

Et puis si tu sens ces vibrations défaitistes, savoir que c'est un champ de bataille maintenant, d'action, très actif. N'est-ce pas, la bataille là-dedans se livre à chaque minute – tout le temps, tout le temps... Je ne m'attends pas à ce que les autres la livrent en même temps que moi; seulement, s'ils tiennent, eux, à ce qui doit être, c'est tout ce qu'il faut.

7 septembre 1963

(Ce début de conversation était voué à la disparition, mais nous l’avons retrouvé par hasard sur une deuxième piste de l’enregistrement magnétique. Il nous a semblé charmant et nous le remettons ici. Nous avons bien souvent fait disparaître ces débuts de conversation... Il s'agissait de la santé du disciple, Sujata ayant écrit à Mère que notre santé «se détériorait» et proposé que l’on nous donne une nourriture supplémentaire.)

Voyons, que je te contemple! (rires)

Comment ça va, mon petit?

Il y a amélioration.

Un peu mieux... Et cette nourriture, ça va?

Oui, ça a l’air d'aider.

Tiens... (Mère donne un hibiscus blanc): c'est la «volonté une avec la Volonté divine» – quand elles sont fondues comme ça, qu'on ne les distingue plus.

Petit...


(Il est question d'une «ancienne» expérience, du 29 juin: le «bateau de glaise rose»)

Les choses vont beaucoup plus vite que je ne le croyais parce que cette expérience-là me paraît loin-loin-loin (l’expérience remonte à deux mois), il y a tant de choses qui se sont passées – il y a tant de choses que je ne dis pas.1


Peu après

l’autre jour, pour une question de travail, j'ai été amenée à expliquer ma position du point de vue de la conviction matérialiste (je ne sais pas où ils en sont maintenant parce que je ne m'occupe pas de cela généralement), mais enfin j'ai été amenée à le faire à cause d'un travail.2

Pour eux, toutes les expériences qu'ont les hommes sont le résultat d'un phénomène mental: on est arrivé à un développement mental progressif (ils seraient bien incapables de dire pourquoi ni comment!) enfin c'est la Matière qui a développé la Vie, et la Vie qui a développé le Mental, et toutes les expériences soi-disant spirituelles de l’homme sont des constructions mentales (ils emploient d'autres mots, mais je crois que c'est leur idée). En tout cas, c'est une négation de toute existence spirituelle en elle-même et d'un Être, ou d'une Force, ou de Quelque chose qui est supérieur et qui dirige tout.

Je le répète, je ne sais pas où ils en sont maintenant, à quoi ils sont arrivés, mais j'étais en présence d'une conviction de ce genre.

Et alors j'ai dit: «Mais c'est très simple! J'accepte votre point de vue, il n'y a pas autre chose que ce que nous voyons: l’humanité telle qu'elle est; et tous les soi-disant phénomènes intérieurs sont dûs à une action mentale, cérébrale; et quand on meurt, on meurt – c'est-à-dire quand le phénomène d'agglomération est arrivé au bout de son existence et qu'elle se dissout, tout se dissout. C'est très bien.»

(Il est probable que si les choses avaient été telles, la vie m'aurait paru tellement dégoûtante qu'il y a longtemps que j'en serais partie. Mais je dois dire tout de suite que ce n'est pas pour une raison morale, ni même spirituelle, que je désapprouve le suicide, c'est que, pour moi, c'est une lâcheté, et il y a quelque chose en moi qui n'aime pas la lâcheté, et par conséquent je ne me suis pas... Je ne me serais jamais enfuie du problème.)

C'est un point.

«Et alors, une fois que vous êtes ici, sur la terre, et que vous devez aller jusqu'au bout, même si le bout est un néant – vous allez jusqu'au bout et il vaut mieux y aller le mieux du monde, c'est-à-dire à votre plus grande satisfaction... Il se trouve que j'avais des curiosités philosophiques et que j'ai étudié un peu tous les problèmes, et je me suis trouvée en présence de l’enseignement de Sri Aurobindo, et ce qu'il a enseigné (je dirais révélé, mais pas à un matérialiste) est de beaucoup, parmi les systèmes humains formulés, le plus satisfaisant pour moi, le plus complet et3 ce qui répond de la façon la plus satisfaisante à toutes les questions qui peuvent se poser; c'est ce qui m'aide le plus, dans la vie, à avoir le sentiment que ça «sert à quelque chose». Par conséquent, j'essaie de me conformer entièrement à ce qu'il enseigne et de le vivre intégralement de façon à vivre le mieux du monde – pour moi. Cela m'est tout à fait égal que les autres n'y croient pas – qu'ils y croient ou n'y croient pas ne fait aucune différence pour moi; je n'ai pas besoin d'être soutenue par la conviction des autres, il suffit que ce soit ma propre satisfaction.»

Eh bien, il n'y a plus rien à dire.

l’expérience a duré longtemps – dans tous les détails, à tous les problèmes j'ai répondu de cette façon. Et quand je suis arrivée au bout, je me suis dit: «Mais c'est merveilleux comme argument!» Parce que tous les éléments de doute, d'ignorance, d'incompréhension, de mauvaise volonté, de négation, imédiatement, avec cet argument, c'est muselé – c'est annulé, ça n'a pas d'effet.

C'est un travail qui, je pense, doit avoir eu des répercussions mondiales. J'ai été là-dedans, dans cet état (avec le sentiment d'une très grande puissance et d'une merveilleuse liberté) pendant certainement au moins six, huit heures. (Le travail avait commencé depuis longtemps, mais il se présentait d'une façon assez aiguë ces derniers jours.)

Et après, tout était tenu en main, solide – qu'est-ce que vous avez à dire?

(silence)

Il est beaucoup plus facile de répondre à des matérialistes à tous crins, convaincus, sincères («sincères», c'est-à-dire dans la limite de leur conscience) qu'à des gens qui ont une religion! beaucoup plus facile.

Avec les Indiens, c'est très facile – ils sont bénis du ciel, ces gens, parce qu'il suffit d'une toute petite chose pour qu'ils soient orientés convenablement4 –, mais il y a deux genres de religions difficiles, c'est la religion chrétienne (surtout sous la forme du protestantisme) et la religion juive.

Les Juifs sont aussi des matérialistes à tous crins: on meurt, on meurt, et puis c'est fini. Mais je n'ai pas bien compris comment ils accordent ça avec leur Dieu, qui d'ailleurs est Impensable et ne doit pas être nomé... mais qui, vu du point de vue d'une vérité plus vaste, semble (je n'en suis pas sûre), mais semble être un Asoura. Parce que c'est un Dieu tout-puissant et UNIQUE, et étranger au monde – le monde (pour autant que je sache) et lui, sont deux choses tout à fait différentes.

C'est la même chose dans le catholicisme. Et pourtant, si je me souviens bien, il a créé le monde d'une partie de lui-même, non?

Non-non!

Non? C'est l’homme seulement qu'il a tiré de sa côte?

Non! c'est de la côte d'Adam qu'il a tiré l’homme, pas de sa côte à lui!

Aah!

C'est de la côte d'Adam...

...qu'il a tiré la femme. Aah!...

Non-non! Il a «créé» le monde.

De rien, il a fait le monde?

C'est ça.

Alors c'est la même chose, c'est la même difficulté.

C'est tout simplement une incompréhension.

Et il a envoyé son fils, justement, pour «sauver le monde».

Alors son fils n'appartient pas à la création?

Il est le fils de Dieu – pas les autres.

Il est le seul fils de Dieu?

Oui, bien sûr!

Ils ont tordu tout.

Mais Adam appartenait à la création?

Oui, tandis que le Christ n'est pas humain, c'est le fils.

Mais il est entré dans un corps humain.

Oui, mais c'est le fils de Dieu. Ce n'est pas un être humain qui est devenu divin, c'est un être divin – «le fils de Dieu» – qui a pris un corps humain.

Mais c'est entendu! Tous les Avatars sont comme cela.

Oui, mais il est le seul.

Tout est tordu.

Mais la Vierge, dans cette affaire? Qu'est-ce qui lui est arrivé, parce qu'elle était une femme.

Elle était humaine, elle.

Oui... parce que même, dans l’histoire, il y a un moment où le Christ dit: «Qu'ai-je à voir avec cette femme»!

Mais alors, l’Assomption?...

(silence)

N'est-ce pas, ceux qui savent comprennent très bien – tout cela est symbolique.

Mais par exemple, je t'ai dit que j'ai parlé pendant très longtemps avec le pape le jour de son élection, et tout d'un coup la conversation a été interrompue brutalement par une réaction de lui (c'était une vraie conversation mentale entre nous: je disais et il me répondait, et j'entendais sa réponse – je ne sais pas s'il a été conscient de quelque chose?... probablement non. mais enfin; ce n'était pas du tout une formation de mon esprit parce que je recevais des réponses unexpected, pas du tout ce que j'attendais), mais la conversation a été interrompue brutalement par une réaction de lui au moment où je lui ai dit que Dieu est partout, en toutes choses; que toute chose est Lui; et alors une grande Force est venue en moi et je lui ai dit: «Même quand on descend aux Enfers, là aussi Il est.»

Alors tout s'est arrêté net.

J'ai appris depuis que c'est l’une des choses qu'ils enseignent: que ce ne sont pas tant les douleurs de l’Enfer qui sont terribles, c'est qu'il n'y a pas de Dieu là; que c'est la seule partie de la création où il n'y a pas de Dieu – il n'y a pas de Dieu dans l’Enfer. Et moi, j'ai affirmé qu'il était là aussi.

Mais naturellement, au point de vue intellectuel, toutes ces choses-là s'expliquent et se mettent à leur place – il n'est rien de ce que les hommes ont pensé qui ne soit la déformation d'une vérité. Ce n'est pas ça, la difficulté, mais c'est justement le fait que, pour les gens religieux, il y a des choses qu'ils ont le devoir de croire, et que c'est un «péché» de permettre à l’esprit de discuter – alors ils se ferment naturellement et jamais ils ne pourront faire un progrès. Tandis que les matérialistes, eux, sont censés, au contraire, tout connaître, tout expliquer – rationnellement ils expliquent tout. Et alors (Mère rit) par le fait qu'ils expliquent tout, on peut justement les mener là où on veut aller.

Voilà.

Il n'y a rien à faire avec les gens religieux.

Non. Et d'ailleurs ce n'est pas bon aussi. S'ils se sont accrochés à une religion, c'est que cette religion les a aidés d'une façon ou d'une autre; a aidé en eux justement quelque chose qui voulait avoir une certitude sans avoir à chercher – pouvoir s'appuyer sur une chose solide sans être responsable de la solidité, quelqu'un d'autre est responsable! (Mère rit) et s'en aller comme ça. Et c'est un manque de compassion de vouloir les tirer de là – il n'y a qu'à les laisser là où ils sont. Jamais je ne discute avec quelqu'un qui a une foi – qu'il garde sa foi! Et je me garde bien de lui dire quoi que ce soit qui pourrait ébranler sa foi parce que ce n'est pas bon – ils ne sont pas capables d'en avoir une autre.

Mais un matérialiste...: «Je ne discute pas, j'accepte votre point de vue; seulement vous n'avez rien à dire – j'ai pris ma position, prenez la vôtre. Si vous êtes satisfait de ce que vous savez, gardez-le. Si ça vous aide à vivre, c'est très bien.

«Mais vous n'avez aucun droit de me blâmer ou de me critiquer, parce que c'est sur votre propre base que je me place. Même si tout ce que j'imagine est une simple imagination, je préfère cette imagination à la vôtre.» Voilà.

18 septembre 1963

J'ai eu une expérience intéressante avant-hier.

D'une façon tout à fait concrète, c'était la conscience que tout est le Seigneur et que tout est Sa volonté, Son action. Sa conscience, et tout comme cela; et en même temps, la perception du monde tel qu'il est (enfin «tel qu'il est»... tel que nous le sentons); et alors comme il n'y avait plus de notion de bien et de mal ni de tout cela, il y avait une sorte d'étonnement, presque candide, un étonnement tout à fait spontané, pas pensé, devant la réprobation, la colère, la désapprobation, le mépris, pour tous les gens qui sont ce que l’on appelle «mauvais», qui font le mal et qui ont de la mauvaise volonté. Ça paraissait si étrange qu'on puisse se fâcher contre cela! Et alors est montée une Pitié profonde – mais une Pitié qui n'a rien du sentiment de supériorité ou d'infériorité, rien de cela –, comme une sorte de chagrin qu'il y ait des gens si petits et si faibles, dans cette Immensité, pour être obligés d'être méchants, malveillants, de haïr, de rejeter, de vouloir le mal.

Les mots diminuent beaucoup-beaucoup l’expérience; c'était si... une super-compassion, n'est-ce pas, pleine d'un Amour profond et d'une Compréhension: «Comment peut-on leur reprocher d'être de la façon dont le Seigneur les veut?»

Puis, quand tout s'est tassé, plusieurs heures après, j'ai écrit quelque chose – je l’ai écrit en français (et même avec la volonté que ce ne soit pas traduit en anglais). Et en effet, c'est intraduisible. Voilà ce que j'ai écrit:

«Ce monde est plein de misères pitoyables,
mais les êtres que je plains le plus
sont ceux qui ne sont pas assez grands
et assez forts pour être bons.»

Et alors le mot «bon» n'avait plus ce sens par opposition à «mauvais»: ça contenait toute la splendeur divine. C'était le rayonnement de l’Amour divin.

(silence)

Toutes les traductions du mot «bon» en anglais sont toutes petites, elles sont par terre. Je ne voulais pas de l’anglais. Mais aujourd'hui, tout d'un coup ça m'est venu en anglais et je l’ai écrit:

This world is full of pitiable miseries,
but of all beings those I pity most are
those who are so small and so weak that
they are compelled to be nasty.

C'est vu du côté opposé,1 et il y a autant là-dedans que dans le premier.


Peu après

Qu'est-ce que tu m'apportes?

Il y a du travail...

Tu sais, le travail actif... je ne suis pas bonne à grand-chose!

Quand j'ai une expérience, je n'essaye même pas de la formuler – jamais je n'essaye: je la vis aussi intensément que je peux et je la garde vivante aussi longtemps que je peux. Puis tout d'un coup, c'est comme un petit ruisseau: un petit ruisseau de mots qui viennent, et qui viennent tous ensemble, et puis ils s'arrangent – moi, je n'y suis pour rien!

Je ne sais pas si c'est écouter ou voir: c'est quelque chose entre les deux. Pendant très longtemps, tous mes contacts avec l’invisible étaient des contacts de vision, mais maintenant le son est là aussi. Alors c'est comme cela: simplement il faut que je fasse attention, c'est-à-dire que je ne sois pas activement occupée à autre chose; si je reste tranquille, ça vient: c'est tout à fait comme un tout petit ruisseau, tout petit, qui sort de la montagne; c'est très clair, c'est très pur comme de l’eau pure, c'est très transparent, et c'est très blanc et lumineux en même temps. Ça vient (geste comme des perles d'eau qui tombent) et puis ça s'arrange ici, juste au-dessus de la tête, en mots. Ça s'arrange et il y a quelqu'un, je ne sais pas qui (probablement Sri Aurobindo! parce que c'est quelqu'un qui a un pouvoir poétique), qui fait attention au son et à la place des mots, et qui remet comme il faut; puis finalement, au bout d'un petit moment, c'est complet. Alors je l’écris – c'est très amusant.

C'est ce qui est arrivé pour l’anglais; j'avais dit avec autorité: «Ce ne sera pas traduit.» Puis ce matin, je ne pensais à rien du tout: c'est venu tout seul. C'est-à-dire, pour être exacte, j'étais en train de raconter le fait à quelqu'un qui sait mieux l’anglais que le français, et je l’ai dit en anglais, et quand ça a été dit, j'ai remarqué: «Tiens-tiens! ah! c'est ça, c'est comme cela!» – c'est l’expérience qui s'était exprimée en anglais.

Mais Dieu merci, tout ça (geste à la tête) n'y est pour rien – tranquille, oh!... si paisible.

(silence)

Il y a comme un paroxysme de désordre et de confusion dans toutes les choses terrestres (à l’Ashram aussi: c'est peut-être pire qu'ailleurs! Non, pas pire mais aussi mauvais!) et ça paraît s'accumuler: je découvre presque heure par heure des confusions... des confusions, des désordres (avant j'aurais dit des méfaits, maintenant...). Mais des confusions!... des gens qui sont persuadés qu'ils savent (ils savent beaucoup mieux que le Seigneur, beaucoup mieux – le Seigneur ne connaît rien aux choses de ce monde; eux, ils savent), et alors ils vous font de ces bêtises! Et puis quand ils ont fait les bêtises, au bout d'un moment ils s'aperçoivent que c'est une bêtise, alors, pour réparer, ils en font une autre! Et tout est comme cela ici, tout-tout-tout, de toutes sortes. Et quand ils ont bien gaffé, qu'ils ont accumulé les bêtises, qu'ils sont dans un pétrin complet, ils pensent à me demander! (riant) Ils me disent: «Qu'est-ce qu'il faut faire?» Alors je dis: «Il est temps!»

Et ce qui est admirable, c'est que rien ne bouge là (geste à la tête), rien ne bouge. Et le Seigneur sourit.


J'ai eu plusieurs heures de concentration à propos de cette diminution d'énergie dans ton corps; pas une maladie: une diminution d'énergie dans ton corps2 (tu y ajoutes des choses mentales, mais c'est ton affaire, mon petit, tu corrigeras ça). J'ai eu plusieurs heures de concentration et j'ai même fait des reproches au Seigneur en Lui disant que, vraiment, si c'est ça l’effet que je produis sur les gens, (riant) ce n'est pas la peine d'en parler, il vaudrait mieux que je m'en aille! (Il y avait une concordance de pas mal de choses.) Je ne crois pas un mot de ma plainte! mais enfin... (riant) je la fais «comme cela».

Alors imédiatement, est venue une descente massive, et puis tout était béatifique – je me suis dit: «Seigneur, c'est Ton affaire. C'est Ton affaire que je sois ici, c'est Ton affaire que j'agisse; moi, je n'agis pas, c'est Toi qui agis. Le résultat, c'est Ton affaire, mais... pour autant que je voie, s'il m'est permis de voir, je ne trouve pas ça logique!»

Et alors il m'a été dit d'une façon (pas avec des mots) mais d'une façon très claire et très forte que c'était une transition nécessaire à ton développement intégral – intégral. Et que je ne devais pas me tourmenter.

Je le suis...

Il m'a absolument convaincu que tu en sortiras grandi, illuminé (pas illuminé au sens un peu fou!), éclairé, et beaucoup plus fort. Voilà.

J'ai même ajouté quelque chose que je ne devrais pas te dire, mais enfin... (d'habitude, ça ne se dit pas), mais j'ai ajouté que j'avais besoin de toi. Et par conséquent qu'il ne fallait pas qu'il t'arrive quoi que ce soit.

On m'a répondu par un sourire.

Après m'est venu que c'était une transition. Donc, j'espère que ça ne durera pas trop longtemps.3

Il y a un petit changement dans ton attitude mentale qui est nécessaire; justement ce que nous pourrions appeler une petite guérison d'un pessimisme – ou une grande guérison d'un petit pessimisme! Voilà... quelque part: c'est à toi de savoir où.

Mais c'est une transition, ce n'est pas autre chose qu'une transition.

Le corps est très ignorant (ça va sans dire, on le sait!) et alors dès qu'il lui arrive quelque chose, je ne peux pas dire qu'il prenne peur mais il a l’impression que c'est très grave! (riant) toujours! (je le sais par expérience, pour moi), jusqu'à ce qu'on lui ait bien expliqué qu'il doit être bien sage, bien tranquille, pas avoir peur et... laisser faire.

Il répond toujours: «Mais regardez tous les gens qui meurent, tous ceux qui sont malades, toutes ces...» Moi, maintenant, je réponds au mien: «Il y en a assez qui sont malades, ce n'est pas la peine de les imiter!»

(silence)

Surtout, c'est cette sorte de concomitance, de juxtaposition de deux choses, qui sont vraiment des états opposés et qui semblent être toujours ensemble: une Paix où tout est harmonieux (je parle des cellules du corps), où tout est harmonieux au point qu'aucun désordre ne peut pénétrer, aucune maladie, aucune souffrance, aucune désorganisation, aucune décomposition ne peut se produire – impossible; c'est une Paix qui est éternelle, qui est tout à fait en dehors du temps (et pourtant elle est sentie dans les cellules du corps); et puis, en même temps, une trépidation – une trépidation ignorante, affairée, obscure dans le sens qu'elle est inconsciente de son ignorance, ne sachant quoi faire et faisant tout le temps des choses inutiles. Et alors, là-dedans, vient le désordre, la décomposition, la désorganisation, la souffrance et... quelquefois ça devient aigu-aigu, tous les nerfs sont tendus, on a mal partout – et les deux sont ensemble.4

C'est-à-dire «sont ensemble» au point que l’on n'a même pas l’impression de faire un mouvement de renversement, on ne sait même pas comment on passe de l’un à l’autre, c'est... le renversement est imperceptible.

Et c'est totalement opposé.

Vous pouvez, en l’espace de bien moins qu'un éclair, supprimer toute douleur, tout désordre, toute maladie dans votre corps; et en l’espace d'une seconde, tout peut revenir. Et alors vous pouvez passer de l’un à l’autre, de l’un à l’autre... (geste de va-et-vient).

Ce qui pour le moment n'est pas encore compris, saisi, c'est comment stabiliser cette Paix?

Quand Elle est là, l’impression est que rien ne peut la changer: toutes les attaques du monde tombent, impuissantes; rien ne peut la changer. Et Elle disparaît de la même façon qu'Elle est venue, on ne sait pas comment.

Si on observe très attentivement, j'ai l’impression que ce mental de la Matière dont Sri Aurobindo parle,5 n'est-ce pas, cette pensée de la Matière, ce n'est pas encore pur, c'est encore mélangé; et alors il lui suffit d'un faux mouvement pour que tout se défasse. Et dans les gens, il vit constamment son faux mouvement – excepté de temps en temps un éclair: c!est renversé. Mais ici (chez Mère), il reste encore l’habitude; une habitude (presque un souvenir seulement) du faux mouvement. Et il suffit que ça se reproduise un tout petit peu comme une pointe d'aiguille, pour que... brrt! tout retombe dans la vieille affaire.

Et quand je vois le soin que j'ai pris depuis tant d'années pour purifier ce monsieur-là, je suis un peu (comment dire?...) je ne peux pas dire effrayée, je ne peux pas dire anxieuse, mais... (je ne peux même pas dire pessimiste), mais pour la condition des gens qui n'ont pas fait tout ce yoga que j'ai fait depuis des années, comme ce doit être difficile! Parce que les cellules du corps obéissent à ce mental matériel qui est, dans son état naturel, une accumulation de stupide ignorance qui se croit très intelligente, ouf!... Une masse presque immonde de stupidité, et qui se croit si intelligente! Il croit tout savoir.

(silence)

Parce que RIEN dans la conscience n'a bougé pendant ces changements (le va-et-vient du vrai au faux mouvement); la conscience est comme ça, tournée (pas vers le haut), tournée (pas vers le dedans), tournée... simplement tournée vers le Seigneur, vivant dans sa Lumière qui, quand il s'agit du monde physique, devient une splendeur dorée. C'est tourné vers Ça. Il n'y a que Ça, c'est la seule réalité, la seule vérité. Et Ça vibre comme ça (Mère touche ses mains, ses bras), Ça vibre dans toutes les cellules, partout. Je fais cela (Mère fait le geste de ramasser «ça» dans l’air autour), c'est comme si je le prenais. Ce n'est pas éthéré, c'est très matériel; ça se sent comme un nerf qui serait épais – mais vibrant-vibrant-vibrant... La conscience est comme cela. Et tout ça se passe dans le corps. Et avec la présence de ce vieil imbécile... imédiatement il est pessimiste, catastrophique, défaitiste – il est défaitiste, oh .... il voit tout comme les pires choses. Et alors cet admirable individu, après avoir imaginé le pire (dans l’espace d'une seconde, n'est-ce pas), il soumet tout ça au Seigneur; il Lui dit: «Voilà Seigneur, voilà Ton œuvre, et c'est tout à Toi, et fais ce que Tu veux avec»! Cette espèce d'imbécile, quel besoin avait-il de préparer ses catastrophes! Une catastrophe, toujours une catastrophe, tout est catastrophique – mais il offre sa catastrophe au Seigneur!

Et la réponse est toujours un sourire, plein d'une patience! oh .... Cette patience-là est pour moi un émerveillement de chaque seconde.

De temps en temps, il y a une grande puissance qui vient (c'est donné volontairement au corps pour qu'il sente, qu'il commence à devenir conscient que «ça» existe), une grande puissance vient, et avec cette puissance l’impression qu'il n'y aurait qu'à faire comme ça (Mère abaisse ses deux bras, dans un geste souverain) pour que tout change. Mais...

C'est encore beaucoup-beaucoup trop limité et ignorant pour que ce soit permis d'agir. Ça voit beaucoup de côtés de la question (l’individualité de Mère), mais pas tout. Ce n'est pas... malgré tout, ça a un angle – tant qu'il y a un angle, ce n'est pas permis d'agir (la Puissance).

Oui, l’autre jour cette expérience: quand tout était le Seigneur, tout, avec toutes les choses telles qu'elles sont, telles que nous les voyons; quand tout était Ça dans un ensemble SI parfait parce qu'il était si complet, si harmonieux parce qu'il était si conscient, et dans un Mouvement perpétuel de progression vers une perfection plus grande (c'est une chose curieuse, ça ne peut pas rester tranquille le quart d'une seconde: c'est tout le temps, tout le temps, tout le temps progressant vers une Totalité plus parfaite); là, à ce moment-là, si le Pouvoir agit (probablement il agit), si le Pouvoir agit, il agit convenablement. Mais ce n'est pas toujours là – ce n'est pas toujours là, il y a encore le sentiment des choses qui doivent s'évanouir et des choses qui doivent venir – du passage; une progression qui... qui ne contient pas tout.

Mais dans cet état-là, il semble que ce que l’on voit DOIT être – et forcément (je devrais dire nécessairement), cela est. Et probablement instantanément. Mais il faut voir le tout en même temps pour que ce soit tout-puissant; si on voit seulement un point (comme, par exemple, on a l’impression que l’action sur la terre se limite à un certain champ qui dépend de vous), tant que l’on a cela, on ne peut pas être tout-puissant, ce n'est pas possible – ce n'est pas possible. C'est forcément conditionné.

(long silence)

Il y a, croissant, le sentiment que tout ce qui est, tout ce qui se passe, extérieurement et intérieurement (aussi intérieurement), est d'une nécessité absolue pour la totalité du tout.

Justement je pense à cette espèce de réaction que j'ai eue l’autre jour... Il y a naturellement une partie qui regarde, qui sourit et qui dit: «Ah! tu en es encore là!» Et puis en même temps, j'ai vu: «Non, c'est nécessaire – tout est nécessaire.» Il y a une vibration spéciale qui était nécessaire... qui était nécessaire pour que se déclenche autre chose. Et tout est comme cela.

Tout est comme cela.

(silence)

C'est une période de transition – mais est-ce que la période de transition n'est pas constante?! Elle doit être constante. Seulement, il y a tout de même un moment où elle devient absolument consciente et voulue, alors cela n'a plus le même caractère.

Au fond, quand on est sorti de la Stupidité, il y a... il devrait y avoir un changement assez considérable.

Oh! il y aurait un monde de choses à dire.

(silence)

Il est impossible qu'un changement quelconque, un changement vers la perfection (je ne parle pas d'une rétrogradation parce que c'est un autre phénomène), mais il est impossible qu'un changement quelconque, même dans un élément ou un point de la conscience terrestre, ne fasse pas participer toute la terre à ce changement. Forcément.

Tout se tient étroitement. Et une vibration quelque part a des conséquences TERRESTRES – je ne dis pas universelles, je dis terrestres –, forcément.

Ce qui fait qu'il n'y a pas une aspiration, pas un effort qui soit inutile, en se plaçant au point de vue terrestre (au point de vue individuel, c'est évident depuis très longtemps), mais en se plaçant au point de vue terrestre, il n'y a pas un effort – pas un effort vers le Mieux, pas une aspiration vers le Vrai, qui n'ait des répercussions terrestres, des conséquences terrestres.6

21 septembre 1963

(Au cours de la conversation, Mère envisage la possibilité de lire quelque message, s'il en vient, à l’occasion du 29 février 1964, deuxième anniversaire de la Manifestation supramentale. Puis elle ajoute:)

...Si je peux parler.

?

Oui, il m'a été dit aimablement que je ne pourrai plus parler.

Qu'est-ce que tu veux dire?

Oh! les forces adverses, elles font toujours toutes sortes de suggestions. On m'a dit que je perdrai l’usage de la parole – (riant) ce sera tant mieux pour tout le monde!

(le disciple n'a pas l’air d'apprécier)

C'est arrivé comme cela: l’autre jour, le docteur avait apporté des serins, une cage de serins pour me les montrer. Partout dans le monde, les serins sifflent; ils vont, ils viennent, ils sont très actifs... et ici, plus rien! Le docteur avait posé la cage sur le rebord de la fenêtre, je me suis approchée pour les voir – ils étaient absolument muets, descendus au fond de leur cage et comme paralysés. J'ai voulu siffler (je savais très bien siffler autrefois): pas un son! Alors on m'a aimablement dit: «Tu ne peux plus siffler et tu ne peux plus chanter, et bientôt tu ne pourras plus parler.» Voilà.

Je dois faire un drôle d'effet aux animaux parce que, l’autre jour, le petit M est venu me voir avec un tout petit écureuil dans une boîte avec du coton, parce que c'était un tout petit-petit. Il l’a sorti de sa boîte et me l’a montré; je l’ai caressé – plus personne! en transe, endormi!

Oh! ils ne se sentent pas malheureux, ils sont très contents (!) mais c'est trop fort pour eux. Alors ils s'endorment, ou ils sont immobilisés comme ces serins. À la fin, le docteur commençait à être inquiet pour ses oiseaux, il m'a dit: «Mais qu'est-ce qui se passe? À la maison, ils sont toute la journée en train de siffler!» J'ai répondu (riant): «Oui, ici, c'est autre chose»!

Il a pris sa cage, et juste au moment de partir, les serins se sont secoués, ils ont sifflé quelques petits coups et puis voilà!

Enfin on verra. J'en entends de toutes sortes.

25 septembre 1963

(Mère commence par lire la notation d'une expérience récente:)

C'est venu en anglais (je veux le mettre dans le Bulletin pour boucher un trou!) Il faut que ce soit mis en français aussi.

Love is... (inutile de dire que c'est la condensation d'une expérience – d'une expérience dont je ne parle pas).

Love is not sexual intercourse.
Love is not vital attraction and interchange.
Love is not the heart’s hunger for affection.
Love is a mighty vibration coming straight from the One. And only the very pure and very strong are capable of receiving and manifesting it.

Puis une explication sur ce que j'entends par «pur», the very pure and very strong [le très pur et le très fort]:

To be pure is to be open only to the Supreme's influence, and to no other.

Beaucoup plus difficile que ce que les gens considèrent comme la pureté! qui est tout à fait artificiel, et faux.

La dernière phrase, je l’ai aussi en français (les deux sont venus ensemble):

«Être pur, c'est être ouvert seulement à
l’influence du Suprême et à nulle autre.»

C'est simple et réglé.1

Maintenant, il faut traduire le reste en français – j'ai tant de papiers que je ne sais plus! (Mère cherche parmi un amas de petits bouts de papiers épars.) Je suis inondée de papiers!

J'avais mis d'abord: «l’Amour n'a rien à voir avec..., etc.», mais ce n'est pas vrai. Alors nous mettrons: «l’Amour n'est pas...»

l’Amour n'est pas les relations sexuelles.
l’Amour n'est pas les attractions et les echanges vitaux.
l’Amour n'est pas le besoin d'affection du cÏur...

C'est tiré de Savitri, dans le colloque avec la Mort, quand il dit à Savitri: «What you call love is the hunger of your heart»2

On pourrait traduire: l’Amour n'est pas le cœur et son besoin d'affection?

Mais le cœur peut manifester l’Amour! Non: «l’Amour n'est pas le besoin d'affection du cœur.» Et alors, le positif:

«l’Amour est une vibration toute-puissante
émanée directement de l’Un. Et seul, le très
pur et le très fort est capable de la recevoir
et de la manifester.»

J'ai tout un paquet de petits papiers!3 (Mère montre ses successives ébauches de traduction)

C'est une chose nouvelle pour moi. C'est ce que je te disais l’autre jour: d'abord une expérience, mais une expérience... quelque chose qui prend l’être, tout le corps, tout-tout, comme ça (geste de saisissement) et qui vous tient. Et ça travaille. Ça travaille partout dans les cellules: partout-partout, dans la conscience, dans la sensation, dans les cellules. Puis il y a comme une décantation, comme si ça se tamisait à travers quelque chose de très fin, et ça retombe de l’autre côté – en mots. Mais pas toujours organisés en phrases (c'est très curieux): deux mots ici, trois mots là (Mère montre comme des taches de couleur ici et là). Puis je reste bien tranquille, je ne bouge pas – surtout pas penser, pas bouger, silence. Alors, petit à petit, ces mots font une danse, et quand ça commence à faire une phrase un peu cohérente, j'écris. Mais généralement ce n'est pas final. Si j'attends encore un peu (même en faisant autre chose), au bout d'un moment, ça vient: une phrase qui a une existence beaucoup plus logique et plus frappante. Et si j'attends encore, ça se précise; et finalement ça vient avec l’impression: «Maintenant, c'est ça.» Pour l’anglais, c'est ce qui s'est produit: «Maintenant, c'est ça.» – Bon, alors j'écris.

Jamais je n'avais cela avant. Il a fallu que tout se taise (je veux dire même le mental extérieur le plus actif, le plus matériel), il a fallu que je prenne l’habitude, quand mon expérience vient, de ne pas bouger, pas bouger – rien ne bouge, ça reste comme ça (geste suspendu) et ça attend.

Et même visuellement, il y a l’impression d'une petite pluie de lumière blanche; cette petite pluie, au bout d'un certain temps, c'est comme si elle faisait pousser des mots! comme si elle arrosait les mots! – les mots arrivent. Puis ça fait une sorte de danse, un quadrille, et quand le quadrille est bien formé, alors la phrase devient claire.

C'est très amusant!

C'est déjà la troisième fois que ça arrive – tout nouveau.

Alors quand je note, ça fait toutes sortes d'écritures! (Mère montre le paquet d'ébauches)

Et maintenant, avec ce nouveau procédé, les écritures vont se multiplier! parce que ça vient comme je te l’ai dit (par petits morceaux successifs). Mais ça a un avantage: le mental reste absolument silencieux – le mental n'a rien à faire, c'est comme quelqu'un qui vient chercher des mots dans un magasin et qui fait tous les arrangements. Et ce quelqu'un est impersonnel; c'est une conscience impersonnelle; c'est presque «la conscience de ce qui veut s'exprimer», la conscience d'une révélation ou la conscience d'une instruction ou la conscience d'une volonté, mais ce n'est pas une personne. Il ramasse les mots et il les met ensemble, puis il y a une danse... comme une danse d'électrons!

(silence)

l’autre jour, le processus était moins complet mais c'était quelque chose d'analogue, un commencement: K m'avait envoyé un article qu'il voulait publier quelque part avec des citations de Sri Aurobindo et de moi, et il voulait être sûr que c'était correct, qu'il n'avait pas fait une bouillie (!) et à un endroit, j'ai vu un commentaire de lui (tu sais l’amusement des jeux de mots quand on est tout à fait dans le mental: le mental aime faire des jeux de mots et des oppositions de phrases), c'était en anglais, je ne cite pas, mais il disait que «l’âge des religions était l’âge des dieux»; alors naturellement, notre mental, ce monsieur, aime beaucoup les jeux de mots, et il lui a fait dire que, maintenant, ce n'était plus l’âge des dieux, c'est «l’âge de Dieu» – c'est-à-dire qu'il retombait lamentablement dans la religion chrétienne... sans s'en apercevoir! Et j'ai vu, en même temps que sa phrase écrite, j'ai vu cette espèce de tendance du mental, qui aime ça, qui trouve ça très... oh! c'est charmant, c'est tout à fait bien tourné (!) Je n'ai rien dit, j'ai continué, j'ai fini son article. Puis à l’endroit où il y avait cette phrase, j'ai vu une petite lumière qui brillait: c'était comme une petite étincelle (je vois avec les yeux ouverts); j'ai regardé mon étincelle, et, à la place de God, il y avait The One [l’Un]. Alors j'ai pris ma plume et j'ai corrigé.

Mais ma première traduction était The All-containing One [l’Un qui contient tout], parce que c'était une expérience, pas une pensée. Ce que j'ai vu, c'était The One containing all. Et moi, innocemment, je l’ai écrit sur un papier (Mère montre un petit bout de papier): The All-containing One. Et juste à ce moment-là, j'ai vu comme quelqu'un qui était en train de me donner une gifle et qui me disait: «Ce n'est pas ça: il faut mettre The One, c'est tout.» Alors j'ai écrit The One.

C'est comme cela que ça fonctionne!

C'est vraiment la pensée vue d'en haut, de dessus, et c'est très amusant. C'est très amusant, tout ça joue, c'est comme des petits feux-follets qui sortent d'ici, là, qui font une danse, qui s'arrangent – c'est très amusant.

Ça commence à être amusant. C'était très fort ces jours-ci: c'était la nuit, c'était le jour, c'était tout le temps.

Mais la nuit d'avant, j'étais avec Sri Aurobindo, qui m'a fait une révélation. J'étais avec lui, il était reclining (pas couché mais sur une espèce de chaise-longue) et je devais lui apporter quelque chose à prendre (ce n'est pas du tout comme de la nourriture physique, c'est quelque chose d'autre... je ne sais pas ce que c'est... c'est assez différent dans ce monde-là: c'est le physique subtil), et alors ça s'est traduit... (il n'y avait pas de mots dans ma conscience; je ne sais pas pourquoi, il n'y avait pas de mots!), il m'a dit quelque chose, que j'ai parfaitement compris, et non seulement compris mais j'étais très contente, il y a eu une joie en moi, et je lui ai répondu: «Oui, justement! ça correspond à l’expérience que j'ai eue aujourd'hui et qui est...???» (Mère reste en suspens). N'est-ce pas, j'étais consciente pendant que j'avais toute l’activité, mais ça se traduit par des mots, et puis les mots (là-bas) ne sont pas les mots (ici), je ne sais pas comment faire! Et il me disait avec le ton que l’on prend quand on exprime une expérience définitive et formidable (il avait un ton d'une puissance absolue), quelque chose qui s'est traduit comme cela: Now, the nourishment (ce n'était pas «nourishment», c'était food) comes from the whole of Nature at once [Maintenant, la nourriture vient de toute la Nature en même temps] (Mère prononce ces paroles comme une énigme, ou comme un Sésame qui n'a pas encore ouvert la porte), et il me disait de lui apporter (ça aussi, c'était une traduction): Yes you will bring it (le it était ce «food coming from the whole Nature at once» – c'est une transcription qui paraît idiote, mais enfin...) you will bring it in this translucent bowl [Oui, vous apporterez la nourriture dans ce bol translucide]. Et alors moi, je lui disais: Yes, I knew, I knew that I had to use this translucid bowl to bring you the food... [Oui, je savais, je savais que je devais prendre ce bol translucide pour vous apporter la nourriture]. Mais à quoi ça correspond??... Mais c'était si évident! il y avait une telle joie! (parce que, comme j'étais consciente, je me disais: «Tiens, tout de même, je le suis encore bien dans son développement; ça continue à être comme quand il était ici: quand il a remporté une victoire, elle se traduit en moi.») Donc j'étais tout à fait consciente, et je lui ai dit : Ah! I am glad... (je bafouille, n'est-ce pas, ce n'était pas du tout ça – c'était admirable) oh! I am glad, I knew that I had to bring you the food in this translucid bowl... [Oh! je suis contente, je savais que je devais vous apporter la nourriture dans ce bol translucide]. Et le «translucid bowl» était une merveille! Je l’avais, n'est-ce pas, c'était beau! C'était comme un verre opalin, vivant, tout lumineux, mais où toutes les lumières étaient vivantes, bougeaient, et il y avait des couleurs!... des roses, des mauves, des argents, des ors, oh! c'était beau comme tout. Et je lui apportais ça.

Ça m'a laissé une très forte impression. Très forte: j'étais under a spell [subjuguée, fascinée], probablement parce que l’expérience était encore trop forte, trop puissante pour le cerveau matériel. Et j'ai bien vu tout de suite; au moment même, j'ai vu que c'était une transcription, et une transcription d'une pauvreté extraordinaire, mais il n'y avait pas mieux à faire.

Et alors des détails!... Il y avait toute une histoire (ça a duré encore plus d'une heure et demie)... tous les détails. Parce que j'étais avec lui à un étage supérieur, puis je suis descendue et j'ai vu des gens, j'ai fait des choses, etc. C'était à l’étage d'en haut. Et tout cela se passait dans une lumière éblouissante-éblouissante-éblouissante; tout était comme dans un plein soleil... beaucoup plus brillant que le soleil – le soleil est sombre dans ces cas-là.

Et alors quand je suis descendue (ce n'était pas comme ici: chacun avait sa maison dans son jardin, c'était une immense propriété), je suis allée tout droit à ma salle de bains; j'ouvre la porte... et je trouve là-dedans quelqu'un (que j'ai reconnu, que je ne nommerai pas) qui était en train de s'en servir – ah! je me suis dit: ça va bien!... J'ai refermé la porte. Toutes sortes de détails, ça a duré plus d'une heure. Et tu sais, une heure et demie de nuit, tout ce qui peut se passer...

J'étais encore grande – je suis toujours grande. Mais je n'étais pas habillée comme je le suis d'habitude: j'avais une robe courte. Et il y avait des tas de gens; j'ai reconnu tout le monde, j'entendais les voix, c'était très-très distinct; et il y avait deux filles (pas filles, ce sont des femmes maintenant, mais c'étaient pour moi comme des filles), deux filles qui parlaient et qui disaient: «Comme ses jambes sont fortes!» (c'est symbolique). Et alors, en même temps, j'ai vu mes jambes, comme s'il y avait un miroir là pour me montrer mes jambes! Et j'avais une robe courte et je voyais mes jambes, mes deux pieds qui étaient chaussés – des pieds chaussés. Et une robe courte. Très active.

Voilà.

(silence)

La nuit dernière, c'était moins agréable... Encore il y avait ces écroulements. J'étais en bas, n'est-ce pas, et je voulais remonter chez moi, et chaque fois que je voulais remonter, tous les moyens disparaissaient ou s'abolissaient. Maintenant j'ai chassé tout ça parce que c'était fatigant. Mais je me souviens d'une chose: je montais une sorte de... ce n'était ni un escalier ni une échelle, c'était quelque chose de très bizarre; c'étaient comme des blocs de pierre rouge foncé, et tout ça tombait en morceaux – ça tombait. J'ai fini par être ennuyée, et il y a eu un mouvement, pas de colère mais de volonté qui s'affirme – et tout a disparu... On sent que ce sont des formations adverses qui essayent de vouloir harasser, jusqu'au moment où, je ne peux pas dire que je perds patience mais quelque chose se fâche (est-ce «se fâche»? ou s'affirme: «Ah non! assez!») et imédiatement, pfft! tout s'en va. Et alors je me suis trouvée sur un chemin que je connaissais très bien, mais avec une foule! Une foule, une foule: c'étaient toutes les écoles du monde qui venaient en vacances là. Et il y avait des troupes de gosses conduites par des matrones, des professeurs, et il y en avait, il y en avait.... Et puis des enfants qui s'arrêtaient, qui jouaient par terre; mais tous ces enfants me connaissaient très bien, et quand j'arrivais, ils enlevaient leurs affaires pour me laisser passer – des petits bouts de gosses grands comme ça. Puis j'ai rencontré une personne symbolique (qui n'est pas une personne humaine), que je connais très bien, qui était bleu pâle (c'est-à-dire un être du mental supérieur, une force de la Nature dans le mental supérieur), que je connais très bien, elle est très souvent près de moi; et alors elle m'expliquait ses difficultés et je lui expliquais ce qu'il fallait faire; je lui disais: «Je t'ai déjà dit ça plusieurs fois, c'est comme ça et comme ça...» Elle est restée à côté de moi pendant très longtemps, et elle me disait: «Pourquoi suis-je toujours obligée de te quitter?» Je lui ai répondu: «Ne te fais pas de soucis; maintenant tout est bien.» Ça a duré très longtemps. Mais c'était intéressant, un contact très agréable, très raffiné: une belle fille – c'est-à-dire une belle pensée, une belle idée. C'était une belle fille. Et elle avait la responsabilité d'une quantité innombrable de petits enfants (Mère rit), alors elle était quelquefois un peu ennuyée et je lui expliquais ce qu'il fallait faire.

Je sens une sorte de tendresse pour cette personne.

Et tous ces enfants! même les tout petits qui ne pouvaient presque pas marcher, quand ils me voyaient arriver, ils tiraient leurs jouets de côté, ils faisaient place nette pour que je passe.

Ce n'était pas par terre, ce n'était pas dans le monde physique.

Mais une nuée, n'est-ce pas!... C'est certainement un monde mental quelconque.

(silence)

Mais cette expérience-là (les marches qui s'écroulent), je sais à quoi ça correspond, parce que je sais quelle était mon expérience quand je me suis endormie: c'est toujours quand je suis en présence du Problème... On peut traduire (mais ça le réduit beaucoup): «Pourquoi le monde est-il comme il est?» Alors il me vient cette espèce de... c'est un état de compassion aigu – aigu, presque douloureux – pour l’état du monde et de l’humanité. Quand c'est comme cela, j'ai ces difficultés la nuit. Et alors je demande, je veux savoir le vrai secret – pas tout ce que les gens ont raconté (tout ce qu'ils ont dit me paraît juste comme une histoire pour... pour consoler les enfants), mais la vraie chose. Quand j'entre dans le repos profond avec cette tension, alors ça se traduit toujours par ces écroulements: je veux grimper et pfft! pfft! pfft! tout le temps, tout le temps, tout s'écroule sous le poids de mon ascension. Jusqu'au moment où je vois cette mauvaise volonté qui veut m'empêcher de trouver ce que j'ai à trouver, alors je me fâche, et ça s'arrête imédiatement – «fâche», est-ce que c'est le mot? Je ne sais pas: je refuse, je refuse la situation. Alors elle saute.

Et je me réveille en me disant: «Tu vois, tant que tu acceptes, tu ne peux pas savoir, tu ne sais pas; quand tu refuseras vraiment, tu sauras.»

Alors je réponds: «Quand le Seigneur voudra que je sache, je saurai; quand il sera nécessaire que je sache, je saurai.»

Pour le moment probablement...

C'est comme le «bol translucide» de Sri Aurobindo... Il n'y a rien qui corresponde à ça.

Au fond, on veut toujours aller trop vite. Mais c'est parce que tous les gens pensent avec la notion du temps – ils sont harassants.4


(Au moment de partir, Mère donne au disciple le dernier numéro de «World-Union», une brochure pour «l’Union du Monde», lancée par quelques disciples de l’Ashram.)

Ça me met mal à l’aise.

Mais je comprends! Il y a des gens qui sont même furieux; parce que c'est publié ici (la plupart des gens sont d'ici) et il n'est jamais question de l’Ashram, jamais question de Sri Aurobindo, rien.

Ce qui est pire, c'est que quand ils parlent de Sri Aurobindo, ils le mettent sur le même plan que les autres.

Mais oui! mais oui!

N'est-ce pas, Sri Aurobindo, Teilhard de Chardin, Schweitzer, etc., etc.

Oui, une bouillie.

Moi, j'aurais rejeté ça5 complètement, mais il y a là-dedans ceux qui ont commencé l’affaire: il y a trois personnes à travers lesquelles je fais quelque chose – pas ça! (le numéro de «World-Union»), quelque chose d'autre, et ils le savent très peu eux-mêmes (ils sont très intéressés par ça – le bulletin de World-Union – pas moi!) Alors je n'ai pas tout à fait dit: «Je ne veux rien avoir à faire avec ça.» Mais quand on me demande, je dis que ça n'a rien à voir avec l’Ashram, absolument rien.

28 septembre 1963

Tu te souviens du colloque de Savitri avec la Mort?... D'après cela, Sri Aurobindo a l’air de dire que le Désordre est arrivé quand la Vie est entrée dans la Matière.

(Mère feuillette le gros cahier de sa traduction)

Quoique Dieu ait fait le monde pour Sa félicité,
Un Pouvoir ignorant en a pris charge et a semblé être Sa Volonté

C'est-à-dire que ce Pouvoir a pris l’apparence de Sa Volonté.

Et la profonde fausseté de la Mort a maîtrisé la Vie.
Tout devint le jeu d’un Hasard simulant le Destin.

(X.III.629)

Et avant, Sri Aurobindo écrit:

Ô Mort, ceci est le mystère de ton règne...

Il a l’air de dire que c'est seulement sur la terre:
Dans le champ anormal et tragique de la terre,
Portée dans son voyage sans but par le soleil
Au milieu des marches forcées de grandes étoiles muettes,
Une obscurité occupa les champs de Dieu...

(Mère répète)

Une obscurité occupa les champs de Dieu,
Et le monde de la Matière fut gouverné par ta forme.

La forme de la Mort.

Ton masque a couvert la face de l’Eternel

C'est admirable!

La Félicité qui fit le monde s’est endormie.
Abandonnée dans l’immensité elle sommeilla:
Une transmutation mauvaise s’empara
De ses membres jusqu’à ce qu’elle ne se reconnût plus.

(X.III.627)

Etc., tout un passage. Et il a l’air de dire que c'est au moment où la Vie est entrée dans la Matière inerte, qu'une Puissance ignorante... ce que j'ai dit au commencement:

Un Pouvoir ignorant en a pris charge et a semblé être Sa Volonté
Et la profonde fausseté de la Mort a maîtrisé la Vie.

Par conséquent, d'après cela, la Mort n'existerait que sur la terre.

(silence)

C'est ce que je suis en train de traduire (Mère referme son cahier).

Quelles conclusions en tires-tu?

Il faut que j'aille jusqu'au bout pour comprendre ce qu'il veut démontrer.

N'est-ce pas, j'avais toujours eu l’impression que la terre était une représentation symbolique de l’univers de façon à concentrer le Travail sur un point pour qu'il puisse se faire d'une façon plus consciente et voulue. Et j'ai toujours eu l’impression que Sri Aurobindo pensait comme cela aussi. Mais là... J'avais lu Savitri, je n'avais pas remarqué cela. Et maintenant que je le lis et que je suis tellement dans ce problème... C'est-à-dire que c'est presque comme si c'était LA question que l’on m'a donnée à résoudre.

Je me suis aperçue de cela en lisant.

(long silence)

Cela donnerait une sorte de légitimité ou de raison d'être à ceux qui veulent échapper complètement à l’atmosphère terrestre. l’idée serait que la terre est une expérience spéciale du Suprême dans Son univers; et alors ceux qui n'ont pas un goût très prononcé pour cette expérience (!) préfèrent en sortir (pour dire les choses d'une façon assez familière).

La différence est celle-ci: dans un cas, c'est une concentration du Travail (c'est-à-dire qu'il peut être plus rapide, plus conscient, plus parfaitement fait ici), alors il y a une raison sérieuse de rester et de le faire. Dans l’autre cas, c'est seulement une expérience au milieu de milliers d'autres, ou de millions d'autres; et si cette expérience ne vous paraît pas particulièrement intéressante, il est légitime de vouloir en sortir.

Je ne vois pas comment un point du Suprême pourrait ne pas être tout le Suprême. S'il y a une difficulté là, c'est une difficulté pour tout, non?

Pas forcément.

Pourquoi y aurait-il quelque chose d'à part?

Tout dépend, en fait (riant) de ce qu'il veut en faire!

On peut très bien concevoir qu'il fasse des expériences très différentes les unes des autres. Et on pourrait passer d'une expérience à l’autre, n'est-ce pas.

Ce serait comme le Bouddha l’a dit: c'est un attachement, un désir qui vous tient ici, mais il n'y a pas de raison que vous y restiez.

(le disciple proteste sans mots)

Pour moi, tout est possible, n'est-ce pas, absolument tout est possible, même les choses qui paraissent les plus contradictoires – ça, je n'ai aucune possibilité d'objection mentale ou logique ou raisonnable, que ce soit comme ceci ou comme cela. Mais la question... (Mère reste au milieu de sa phrase). C'est-à-dire que la Volonté du Seigneur, pour Lui, est très claire, et que (riant) le tout est de s'unir à cette Volonté et de la connaître.

Pour moi, il m'avait toujours paru que c'était comme cela (la terre, point de concentration symbolique), mais j'ai tellement la conviction que Sri Aurobindo a vu plus vrai et plus totalement que n'importe qui, que, naturellement, quand il dit quelque chose, on a tendance à considérer le problème!

Je ne sais pas, je ne suis pas allée jusqu'au bout de Savitri maintenant. Parce que je m'aperçois (à une distance de quelques mois, pas même deux ans que je le relis) que c'est tout autre chose que la première fois où je l’ai lu. Tout autre chose: il y a infiniment plus que ce dont j'avais eu l’expérience; mon expérience était limitée, et maintenant elle est beaucoup plus complète (peut-être que si je le relisais encore dans un an ou deux, ce serait encore plus complet, je ne sais pas), mais il y a beaucoup de choses que je n'avais pas vues la première fois.

Ce passage que je viens de lire est peut-être seulement un aspect?... Je vais voir quand j'irai jusqu'au bout.

Ce qu'il annonce, et ce dont je suis sûre, c'est que la Victoire sera remportée sur la terre, et que la terre deviendra un être progressif (éternellement progressif) dans le Seigneur – c'est entendu. Mais ça n'empêche pas l’autre possibilité. l’avenir de la terre, il l’a annoncé clairement et c'est entendu que c'est l’avenir de la terre; seulement si cette possibilité (la mort, phénomène exclusivement terrestre) est ce que l’on pourrait appeler «historiquement» vraie, cela donnerait une sorte de légitimation à l’attitude de ceux qui s'en vont. Comment se fait-il que le Bouddha, qui était un Avatar indiscutablement, ait tant insisté sur le Départ comme conclusion? Et lui, il n'est resté que pour aider les autres... à s'en aller plus vite. Alors, c'est qu'il n'aurait vu qu'une partie?...

Ah! oui.

Mais s'il y a tout un univers, des milliers d'univers où les modes sont tout à fait différents, et que ce soit seulement un CHOIX pour être ici... alors le choix est libre, n'est-ce pas – il y a ceux qui aiment la conquête et la victoire, il y a ceux qui aiment à ne rien faire.

Mais le Bouddha représentait seulement une étape de la conscience. À CE MOMENT-LÀ, il était bon que ce soit ainsi, donc...

On peut concevoir que c'était une nécessité dans le tout, bien entendu. Mais tout ça, ce sont des conceptions, c'est toujours une chose mentale – j'ai eu entre les mains dernièrement une citation de Sri Aurobindo où il disait qu'il n'y a «Pas de problème que le mental humain ne puisse résoudre, s'il le veut.» (Riant) Il n'y a aucun problème qui ne puisse être résolu par le mental s'il s'applique à le faire! Mais cela m'est égal, je n'ai aucun besoin de logique mentale – je n'en ai pas besoin. Et ça n'aurait aucun effet sur mon action – ce n'est pas du tout ça, pas du tout! C'est seulement parce qu'il y a cette contradiction, qui devient de plus en plus aiguë, de la Vérité et de ce qui est. Ça devient douloureusement aigu. N'est-ce pas, cette souffrance, cette misère générale est une chose qui devient presque insupportable.

Il y avait un temps où je regardais tout ça avec un sourire – pendant longtemps. Pendant des années et des années, c'était un sourire, comme on sourit à un enfantillage. Maintenant, je ne sais pas pourquoi c'est venu... ça a été MIS en moi comme une sorte d'angoisse aiguë – qui est certainement une nécessité pour en sortir.

Pour en sortir, c'est-à-dire pour guérir, pour changer – pas pour s'enfuir. Je n'aime pas les fuites.

C'était ma grande objection aux bouddhistes: tout ce que l’on vous conseille de faire, c'est simplement pour vous donner la possibilité de vous enfuir – ce n'est pas joli.

Mais changer, oui.

(silence)

Il y a de ces vers, tout d'un coup, qui sont si magnifiques! Ils viennent avec une telle puissance, et puis écrit, ce n'est plus ça.

N'est-ce pas, on VOIT ça, cette image du masque de la Mort qui couvre la face du Suprême.

C'est admirable.

Tellement intense.

Et alors ce Pouvoir ignorant qui a pris charge de la terre et qui en a fait... qui a «semblé» être, SEMBLÉ être la Volonté du Suprême.

C'est tellement plein de signification.

octobre




3 octobre 1963

(Sur la table de Mère, il y a deux hibiscus blancs doubles appelés «Grâce». Mère en prend un et le donne au disciple:)

N a rêvé cette nuit que Sri Aurobindo lui donnait beaucoup de choses, puis je suis venue et je lui ai donné deux fleurs de «grâce». Et le matin, elle se réveille, elle va dans son jardin... sur l’arbre, il y avait deux fleurs de grâce.

C'est amusant.

Alors, qu'est-ce que tu apportes?

J'ai une lettre de X.

Bon!... qu'est-ce qu'il dit?

Parce que je lui demandais ce que je dois faire: j'ai terminé aujourd'hui le deuxième «round» de mes écritures tantriques. Alors il me dit: «Once more start the thing and continue.» [recommencez encore une fois et continuez.]

Naturellement il a dit qu'il fallait finir.

Alors j'ai encore besoin de papier!

Ayo!

Si l’on peut faire comme la dernière fois: de l’Imprimerie me donner des chutes de papier. J'ai besoin de... 5.200 feuilles!

Deux mille?

Cinq mille deux cents!...


(Puis Mère traduit cette lettre de Sri Aurobindo sur la descente de l’Amour, dont il avait déjà été question le 24 juillet, et Elle ajoute ce commentaire:)

Si l’Amour divin descendait d'abord, avant la Vérité divine, certains êtres qui ont une puissance ou une réceptivité spéciales pourraient l’attirer en eux, personnellement, et alors tous ces faux mouvements pourraient se produire.1 Mais si cet Amour divin ne descend que dans la Vérité, que dans la Conscience-de-Vérité, il n'entrera dans une personne que si elle est prête à le recevoir. Sans une préparation de Vérité, il peut se produire une attraction très puissante d'éléments qui ne sont pas capables de le garder dans sa pureté; tandis que si la préparation de Vérité est là, dans cette préparation, Ça CHOISIRA pour se manifester les personnes, les individualités prêtes.


Plus tard

Tu es toujours dans le colloque avec la Mort?

Ce n'est pas fini, je n'ai plus le temps de travailler, c'est cela qui est embêtant! J'ai tant de travail l’après-midi – je n'appelle pas ça du «travail», ce sont des occupations: gens à voir, lettres... des lettres! Et puis toute l’organisation: tout est dans une confusion terrible. Je devrais avoir fini de voir les gens à quatre heures, et prendre ma traduction jusqu'à cinq heures – ils s'en vont à cinq heures moins dix! Alors je n'ai plus le temps de rien. Un jour sur quatre, je peux traduire, ça n'avance pas.

Il va falloir encore changer quelque chose dans l’organisation – ça se fausse très vite.

Au début (quand Mère s'est retirée), je recevais une lettre, deux lettres, même pas, tous les jours; maintenant c'est dix, douze par jours, et quand je ne réponds pas imédiatement, deux jours après je reçois une autre lettre: «Je vous ai écrit et je suis sans réponse.» Alors imédiatement je griffonne sur leur lettre deux ou trois mots très secs (Mère rit)... pour leur montrer que ce n'est pas avantageux d'être trop pressé.

Enfin...2

(Mère entre dans une longue contemplation)

J'ai encore vu un carré.

Il était frangé de rouge, comme des petites flamèches rouges. Le même carré blanc. Et après, il a été comme absorbé et remplacé par un carré de lumière bleue et verte – le bleu et le vert des tantriques: c'est comme de l’émeraude et du saphir très colorés, une puissante couleur. C'est translucide, c'est lumineux. Et les deux carrés se sont superposés: le bleu d'abord et le vert dessus.

Et avant cela, le blanc avec cette bordure rouge, quand c'est entré (il s'est formé d'abord, n'est-ce pas; c'est comme si cela se formait entre nous), ça s'est formé et il y a eu une détente en toi – tu as senti une détente?

(le disciple hoche la tête... silence)

Depuis deux jours, Sri Aurobindo était tout le temps, tout le temps là. Tout le temps, tout le temps mélangé aux choses. Et il y a beaucoup de gens qui l’ont vu, qui lui ont parlé – il était très-très présent. Depuis deux jours.

À certains moments, c'est comme s'il entrait dans une sorte de... (je ne sais pas) d'immobilité intérieure, puis il y a des moments où il est très actif.

Et une fois (il y a deux, trois jours), il m'a dit: «Tu es avec moi autant que tu veux, tu parles avec moi autant que tu veux», comme si ce n'était pas lui qui dirigeait mais moi (!) J'ai dit que ce n'était pas vrai! (Mère rit) Mais enfin...

Depuis cette expérience du bol translucide, il est très-très proche. Ce matin, c'était comme s'il était mélangé à tout.

Il y a même des choses assez amusantes: j'ai vu des gens hier qui ne sont pas d'ici; d'habitude, je ne parle pas aux gens mais je leur ai parlé; j'avais commencé à dire quelque chose, puis Sri Aurobindo m'a interrompu: «Ne leur dis pas ça, ils vont être convaincus que tu rabâches toujours la même chose!» Et c'était vrai –j'ai regardé et j'ai arrêté tout de suite. Tout le temps il me prévient: «Celui-ci sent comme ça, celui-là pense comme ça, celui-là...» Il est très-très mélangé à tout, tout le temps, tout le temps.

Et puis à d'autres moments, c'est comme s'il n'était plus là du tout – «plus là», que là-haut... dans le Supramental!3 (Mère rit)

5 octobre 1963

Hier, j'ai eu une expérience très curieuse qui m'a laissé une impression bizarre..,

C'était une construction – une immense construction. Ça ressemblait à l’un de ces immenses hôtels que l’on fait maintenant, avec des cours intérieures et toutes sortes de choses. Et j'avais ma chambre tout en haut (je me suis souvenue d'une ancienne expérience que j'avais eue... tu te souviens de ce «grand hôtel»?1 – C'était quelque chose comme cela). Et tout le monde là était, EN APPARENCE, plein de respect, d'obéissance et de considération... mais chacun filait son propre chemin – c'est bien connu. J'étais d'abord tout en bas (ma chambre était tout en haut, je ne sais pas combien il y avait d'étages), et là je rencontrais des gens: des gens que je connais. Mais tous les détails, chaque détail était si significatif, c'était merveilleux! Et c'était le moment où je devais prendre mon bain (je ne sais pas quelle heure c'était!) et je voulais remonter pour prendre mon bain, mais il fallait quelqu'un pour le préparer (c'est symbolique; je ne sais pas encore, je n'ai pas encore compris le symbole de ce «bain», parce que ça arrive très souvent; mais il y a peut-être une explication là, dans ce symbole), et alors l’un était trop vieux (quelqu'un s'était offert, mais il était trop vieux), l’autre n'était pas assez fort, l’autre... – il fallait des qualités TRÈS spéciales pour pouvoir préparer ce bain. Ce n'est pas la première fois; déjà deux ou trois fois c'était arrivé: il fallait des qualités absolument exceptionnelles, de courage, de force, de pouvoir physique, d'endurance, pour pouvoir préparer ce bain. Et les gens d'en bas... (geste exprimant l’incapacité). Alors je me suis dit: «Eh bien, je vais monter, puis je vais voir ce qui arrivera.»

En cours de route, c'était encore la même histoire: je prenais le chemin habituel – ploc! coupé, plus rien, je ne peux pas passer; je retourne, je prends un autre chemin – ploc! coupé, je ne peux pas passer. Mais je montais toujours (comment, je ne sais pas). Puis je suis arrivée à une sorte de balcon-terrasse, carré, parfaitement carré, et TOUTES les portes étaient fermées. Il n'y avait pas moyen de passer plus loin: toutes les portes étaient fermées. Et alors je vois l’eau qui monte, qui monte, qui monte, dans TOUT le bâtiment comme cela, excepté les endroits où les portes étaient fermées. Tout en bas... (je ne sais pas, j'étais très-très haut, comme au quatrième ou au cinquième étage), les portes étaient fermées, alors naturellement l’eau ne passait pas. Toutes les cours (de grandes cours, immenses cours) étaient changées en swimming-pool! [piscines]. Une eau!... Je la regardais et je l’admirais; je me disais: «Quelle eau merveilleuse!» claire-claire-claire, plus claire que je n'en ai jamais vue. Une eau... Je ne sais pas, c'était transparent comme... comme la pureté même, c'était merveilleux. Ça montait-montait-montait... J'ai vu dans l’une des cours qui était à ma gauche (une très grande cour: c'était devenu une immense piscine!), j'ai vu une personne en costume de bain qui sortait de l’eau, comme si elle avait pris son bain là-dedans, et qui s'enveloppait (une personne très haute, très grande, qui n'était ni homme ni femme), qui s'enveloppait dans une sortie de bain, et puis elle marchait sur l’eau (!) et elle s'en allait. Je regardais ça et je me suis aperçue tout d'un coup que l’eau commençait à monter à mes pieds. Alors j'ai SU: «Ah oui! ils ont décidé de faire ça.» Et j'étais un peu vexée, je me suis dit: «Ils auraient bien pu me prévenir qu'ils allaient le faire!... Mais c'est quelque chose qui doit se faire régulièrement... Est-ce qu'il y a des gens qui sont au courant?» (N'est-ce pas, tout cela était dans ma tête.)

Et j'admirais cette eau, je disais: «Mais c'est la pureté même!» Et elle montait à mes pieds mais elle ne me mouillait pas. Puis j'ai remarqué: «Si je reste là...» (parce que j'étais adossée à des portes fermées et le bâtiment continuait, mais en face il n'y avait rien, alors normalement l’eau aurait dû s'écouler par là, mais comment se fait-il qu'elle ne s'écoulait pas? Je ne sais pas – tout cela était très «merveilleux»!) Et ça montait-montait-montait, et quand c'est arrivé à mes chevilles, tout d'un coup au-dedans de moi il y a eu un déclic, et je me suis réveillée.

Et j'étais en retard d'au moins dix minutes sur mon heure ordinaire.

Je n'ai pas eu l’impression d'un danger – pas du tout. Il y avait seulement ce petit sentiment d'être vexée: «On fait des choses comme cela, mais on devrait prévenir!» Et le «on», c'étaient les chefs suprêmes de l’organisation (ça n'avait rien de religieux ni de spirituel: c'était très concret, dans la Matière). Mais cette eau... j'admirais, je disais: «Oh, ils ont le contrôle de cette eau-là!» C'était comme du diamant liquide. C'était une merveille, comme si tout ce qu'elle touchait était purifié. Et cet être qui est sorti de cet immense swimming-pool (ce n'était pas un être humain: il avait l’air d'un être vital qui n'était ni homme ni femme), il est sorti dans une espèce de costume de bain, il s'est enveloppé, et puis il a disparu. Mais autrement TOUTES les portes étaient fermées, il n'y avait pas un chat – il n'y avait que moi sur mon carré, entourée d'un carré, adossée à une porte fermée et qui regardais ça de très haut. Et tout se remplissait de cette chose – c'était comme de l’eau, mais ce n'était pas de l’eau.

Et l’impression a persisté, comme quand j'ai quelque chose à comprendre.

Et j'avais juste une petite déception: «Ils auraient bien pu me prévenir.» Et en même temps, un sourire qui comprenait que c'était mieux comme cela.

«Ils devraient bien prévenir...»

J'ai pensé que c'était quelque chose dans le vital parce que toutes les relations que j'avais avec les gens en bas, avant de remonter, c'était avec leur caractère, leur vital – pas avec la matière matérielle, mais avec le caractère, la nature vitale. Et c'était!... On pourrait écrire des livres, c'est impayable! d'ironie, de perception aiguë et fine, délicate. C'est charmant, n'est-ce pas: chacun avec son petit travers – tous des gens que je connais!

Mais il y a de ces êtres qui ont été dans deux ou trois personnes: un être vital qui est allé de l’un à l’autre (que je connais très bien, et je sais que c'est comme cela), et c'était l’ÊTRE que je voyais, ce n'étaient pas les différentes personnes. C'est un être vital féminin d'apparence (ils ont des apparences sexuées quand ils ont été dans des êtres humains: ils gardent l’apparence féminine ou masculine), un être d'apparence féminine, et juste au moment où il était question de me préparer mon bain (toujours ce «bain»... il faut que je trouve ce que ça veut dire?), elle avait quelque chose de très pressé à faire et elle est rentrée dans sa chambre, puis (riant) elle en est ressortie une minute après avec une robe! une sorte de robe verte – d'un vert-prairie mais brillant – avec une énorme traîne! une queue. Et elle était si fière de passer: «Oui, j'ai voulu leur montrer qui j'étais.» Admirable de comédie! Si j'avais le temps d'écrire, on pourrait faire des choses tout à fait charmantes.

Alors il faut que je trouve ce que c'est que ce bain qui vient d'une façon répétée.

Il y en avait un autre qui était si anxieux (je sais qui c'est, je le connais très bien), si anxieux de préparer ce bain, mais il n'avait pas la force, il ne pouvait pas: «Oh! je voudrais tant préparer le bain!» Alors je le regardais, je ne voulais pas lui dire non; mais ce n'était pas possible, n'est-ce pas, il n'avait pas la force.

(silence)

Je montais toujours, mais tous les chemins que je connaissais s'arrêtaient court. J'étais d'abord partie dans un très grand escalier, magnifique escalier de marbre rose, et c'était par là que je devais monter, mais au moment où je tourne, ploc! plus moyen de passer (mais comment se fait-il... il n'y a plus moyen de passer et je monte tout de même?...) Et je me trouve à un autre palier, et encore là je veux continuer: ploc! arrêtée, pas moyen de passer. Encore j'essaye et je me trouve sur le troisième palier (mais en fait c'était plus haut, parce que j'avais déjà monté deux étages avant que cela ne s'arrête); j'arrive au troisième palier et je me trouve dans un carré – un carré exactement carré –, bordé d'un parapet de marbre rose, mais avec des veines un peu rouges, très beau: c'était très beau, c'était ciselé, c'était magnifique. Puis une porte, comme une porte de bronze qui était derrière moi, et qui était fermée. Et je regardais là et je voyais l’eau monter-monter (pas de l’eau, mais c'était liquide comme de l’eau), qui montait-montait. Et devant: une immensité. Il n'y avait pas de limites. C'était comme si j'étais au-dessus de toutes les autres maisons; il n'y avait pas d'arbres, il n'y avait pas de montagnes, il n'y avait rien – il y avait une immensité, comme un ciel absolument sans nuages; et ce n'était pas blanc mais c'était de la lumière. Et je regardais ça en bas, et je voyais l’eau monter-monter-monter – comme le déluge. Mais ce n'était pas de l’eau.

Ça reviendra jusqu'à ce que je comprenne.

Ça n'avait pas une allure catastrophique?

Non.

Mais dans cette conscience-là, il n'y a pas de «catastrophes», alors je ne peux pas savoir.

Il y avait seulement ça: «Pourquoi?... Enfin tout de même, ils auraient pu prévenir!» Mais c'étaient «ils» au pluriel: «Ils auraient dû.» Et c'étaient les «maîtres tout-puissants», les «maîtres suprêmes». Mais il n'y avait rien de religieux dans le sentiment, ou de spirituel.

Ce n'était pas le vital, les êtres suprêmes du vital?

Non-non!

C'était ce qui correspondait aux «propriétaires» – c'étaient les propriétaires; et les propriétaires en ce sens qu'ils avaient tout construit et tout leur appartenait: tout construit, tout organisé. Ce sont peut-être des dieux?

Je n'avais aucune considération pour eux (je ne sais pas comment expliquer ça), non seulement aucun respect mais aucune considération: c'étaient des propriétaires. Seulement j'habitais tout en haut de la maison. Et là, dans cette maison, tout le monde m'obéissait (m'«obéissait», enfin en apparence). C'étaient eux, les propriétaires, ou le management [la direction]. Mais ils ne dépendaient pas de moi, ce n'était pas moi qui leur donnais des ordres; ils n'avaient pas à me demander pour faire quelque chose –je ne dépendais pas d'eux non plus. Mais je n'avais pas le sentiment d'être là particulièrement chez moi plus qu'ailleurs; pourtant j'avais ma chambre incontestable, tout en haut de la maison.

Ce seraient peut-être des dieux?

La construction du monde telle qu'ils l’ont faite?

Mais alors, cette eau qui monte-monte-monte??...

Mais tout était très bien organisé parce que toutes les portes étaient fermées et cette eau n'entrait pas où elle ne devait pas entrer – je n'ai vu personne de noyé, personne en danger. Il n'y' avait aucun danger pour personne. Et il n'y avait qu'un seul être, qui était un être du vital (il n'était pas comme les autres que j'avais vus en bas). Et lui s'était bien amusé dans cette eau! et il s'en allait.

Et je me souviens que quand l’eau a touché mes pieds, c'était... (comment expliquer?) ce n'était pas une sensation, je n'avais pas de sensations, mais autour de mes pieds, c'étaient comme des diamants qui brillaient. Évidemment je n'avais pas l’intention d'être entièrement dedans. Et quand j'ai senti cette eau autour de mes pieds, j'ai eu une étrange sensation (c'était une perception, ce n'était pas une sensation), pas la sensation d'être mouillée, mais comme clairement: «Je ne dois pas rester là.» Et je me suis réveillée très brusquement.

(silence)

Et avant que l’eau n'arrive à mes pieds, quand je voyais ça qui montait-montait, je me suis dit: «Pourtant, ils auraient bien pu me prévenir» (non, ce n'était pas «me» prévenir, c'était annoncer la chose). Et en même temps, j'avais l’impression: «Tiens, mais c'est une chose qui se fait régulièrement (gestes cycliques); ça se fait régulièrement, mais ils devraient bien tenir les gens au courant.» Mais ce n'était pas très fort, c'était tout simplement quelque chose qui passait (dans la pensée de Mère).

Pas une seconde l’impression d'un danger, pas du tout. Pas une seconde.

Je ne sais pas...

(silence)

Quelque chose reviendra pour que j'aie l’explication.

On parle souvent, dans les vieilles traditions, de «bains d'immortalité», est-ce que ce ne serait pas lié à ça? Des bains qui avaient le pouvoir de donner l’immortalité.

Peut-être.

Qui vous rendaient invulnérable.

Invulnérable... c'est peut-être cela.

Je dois toujours prendre mon bain: j'ai un bain à prendre et personne n'est capable de me le préparer.

J'ai une salle de bains.

Toujours je vais prendre mon bain, mais quelqu'un doit me le préparer; alors, ou bien on n'est pas assez fort, ou l’on pense à autre chose, ou l’on ne s'en soucie pas, ou... Et une fois (je te l’ai dit), j'avais ouvert la porte et j'ai trouvé quelqu'un qui essayait de prendre un bain,2 mais je suis arrivée juste à temps.

On verra.3

16 octobre 1963

(Mère commence par lire deux vers de «Savitri» extraits du Colloque avec la Mort. Elle voudrait les mettre en exergue à la conversation du 7 septembre: le dialogue avec un matérialiste.)

Écoute ça:

Ô Mort, tu dis la Vérité, mais une Vérité qui tue,
Je te réponds par la Vérité qui sauve.

(x.iii.621)

C'est beau!

Alors le matérialiste... «Ô Mort, tu dis la Vérité»... Qu'est-ce qu'il a à dire? – C'est la Vérité! En anglais:

O Death, thou speakest Truth but Truth that slays,
I answer to thee with the Truth that saves.1


Tu connais Z? Je l’ai vu deux fois ces temps derniers (hier pour la seconde fois) et je voulais attendre de l’avoir vu la seconde fois avant de te raconter l’histoire.

Voilà ce qui s'est passé: je fais mon habituel «bain de Seigneur» et il est entendu qu'au bout d'un certain temps, Champaklal ouvre la porte – c'est pour moi le signe que l’entrevue est terminée. Alors j'ai regardé Z, comme ça, pour voir (je l’avais regardé plusieurs fois avant, mais il n'y avait rien de particulier), je l’ai regardé et j'ai vu devant lui comme une masse de substance, qui n'est pas matérielle mais qui répond à la formation mentale, c'est-à-dire qu'avec la pensée et la volonté mentales cette substance prend des formes – je connais (Mère fait le geste de palper cette substance entre ses doigts), ça ressemble beaucoup au genre de substance dont se servent les médiums pour leurs apparitions (moins matériel, plus mental, mais enfin c'est le même genre). Il y avait comme une masse devant lui, qui le cachait; ce n'était pas lumineux, ce n'était pas noir, mais c'était plutôt sombre. Alors j'ai regardé, j'ai fixé pour voir ce que c'était, et comme je fixais, j'ai vu qu'il y avait une volonté ou un effort pour donner une forme à cette masse de substance. C'était exactement devant la tête et les épaules de Z. Et il y avait cette volonté de lui donner une forme (geste de modelage). Comme je fixais bien attentivement, ça a pris la forme de la tête de Sri Aurobindo telle qu'elle apparaît dans les journaux, les magazines (ce que moi, j'appelle le «Sri Aurobindo populaire», tel qu'on le représente dans les livres), la substance a pris cette forme. IMédiatement, j'ai pensé (ton ironique): «Ah! c'est la forme populaire, ça ne lui ressemble pas!» Et immédiatement, la substance s'est arrangée autrement, et elle a pris la forme du Sri Aurobindo de Cartier-Bresson2 (la tête de trois quart, assis dans le fauteuil). C'était mieux! (Mère se retient pour ne pas rire.) Ce n'était pas tout à fait bien, mais enfin c'était mieux (mais note que ça n'avait ni lumière ni vie: c'était de la matière mise en forme – une matière subtile, n'est-ce pas –, mise en forme par une volonté mentale). Alors j'ai commencé à me demander: «Qu'est-ce que c'est que ça?! Est-ce qu'il veut me faire croire que Sri Aurobindo est en lui, ou quoi?» Parce que la tête et les épaules de Z avaient complètement disparu, il n'y avait plus que ça. Et j'ai pensé (pas une pensée forte, simplement une réflexion): «Non, ce n'est pas très bien! vraiment pas très ressemblant!» (Mère rit) Alors il y a eu une dernière tentative et ça a ressemblé tout à fait à la photographie que l’on a prise quand il a quitté son corps (cette photo que nous avons mise debout et que nous avons appelée «méditation»), c'était très ressemblant à la photographie, (avec ironie) très-très ressemblant. Et c'est resté. Alors j'ai pensé: «Ah oui! voilà la photographie.»

Puis je me suis concentrée juste un petit peu, j'ai dit: «Voyons, à qui veut-on en faire accroire?» Alors instantanément, tout-tout a disparu. Et j'ai vu Z, sa tête.

J'avais fixé cette chose – ça a duré plus de dix minutes–, et je fixais, je fixais cette chose, et vraiment avec une extrême bonne volonté je cherchais à voir s'il y avait là-dedans la vibration de Sri Aurobindo (la lumière n'était pas là, mais je cherchais à voir si la vibration était là), et je ne sentais rien.

Tout de même, il y avait une VOLONTÉ très forte de me faire croire que c'était lui – je l’ai vu, n'est-ce pas.

J'étais un petit peu ennuyée.

D'abord, j'ai pensé: «Mais enfin, pour qui me prend-on! (riant) pour une imbécile à qui l’on peut faire prendre des vessies pour des lanternes?» Puis je me suis dit que je ne dirai rien: je voulais attendre de le voir une seconde fois. Alors j'ai fait une très forte formation et j'ai dit à Sri Aurobindo: «S'il y avait vraiment quoi que ce soit de toi là-dedans, eh bien, il faudra que ça recommence la prochaine fois.» Et hier, j'ai regardé tout le temps, attentivement, avec un grand soin – et absolument rien ne s'est produit.

Je n'ai pas beaucoup aimé cela.

N'est-ce pas, je connais ces choses-là, j'en ai vu des milliers! seulement il se trouve qu'il y a plus d'un demi-siècle que je perçois la différence d'une façon tout à fait aiguë. Je crois que je t'ai raconté déjà que quand je suis revenue du Japon ici, il y a eu des difficultés: une fois, j'ai été en danger et j'ai appelé Sri Aurobindo, et il est apparu, et le danger est parti3 – il est apparu, c'est-à-dire qu'il est venu, quelque chose de lui est venu, une ÉMANATION de lui est venue, vivante, tout à fait concrète. Le lendemain (ou plutôt le jour même, après), je lui ai dit mon expérience et que je l’avais vu; alors il s'est inquiété (c'était un danger perpétuel, n'est-ce pas) et il a très fortement pensé qu'il fallait qu'il se concentre sur moi pour me protéger. Et le lendemain, je l’ai vu – mais c'était une image, c'était une formation mentale! Je lui ai dit: «Oui, vous êtes venu en formation mentale, ce n'était pas la même chose.» Alors il m'a dit que cette capacité de discernement est une chose extrêmement rare. Mais je l’ai toujours eue, même quand j'étais petite. C'est une sensibilité de la perception. Je crois, en effet, qu'il y a très peu de personnes qui peuvent sentir la différence. Et justement, ma première impression était: «Mais enfin, moi... tout de même! j'ai un peu d'expérience du monde, on ne peut pas me faire prendre comme ça des vessies pour des lanternes!»

Et hier, tout était très paisible, rien: Z était là tout le temps et personne devant lui, ne prétendant rien. Et la première fois, comme il s'attendait à un résultat, il a prolongé l’entrevue – probablement il s'attendait à une réaction (je ne lui ai jamais dit que Sri Aurobindo était avec moi tout le temps, que toutes les nuits nous parlons). En tout cas, il s'attendait probablement à un enthousiasme de ma part (!) Voilà.

[Le disciple n'arrive pas à croire ce que Mère lui a dit:] C'était une volonté qui venait de lui? Ce n'était pas quelqu'un d'autre qui s'est servi de cette substance?

Non. It was either he or his guru – his guru interferes in many things. And I saw his guru several times by his side – I wasn't positively sure it was X, but if it wasn't X, it was his guru, it can only be one or the other.4 Et c'était fait EXPRÈS, pour me faire penser que Sri Aurobindo était là, dans Z, et se servait de Z comme d'un moyen d'expression.

Il y a très-très longtemps, quand j'étais encore en bas (pas la dernière année, l’année d'avant), un jour, je ne me souviens plus des détails, mais je sais qu'il m'a fait une espèce de cinématographe: il s'est montré comme celui-ci, celui-là, ceci, cela – il y avait toute une ribambelle de dieux et d'êtres qui sont venus se plaquer sur lui, comme ça (Mère pose ses deux mains l’une sur l’autre), et il y avait Sri Aurobindo aussi, dans le tas! Naturellement, j'ai vu ce que c'était; ce n'était aucun de ces personnages, c'était seulement leur image. Mais je n'y ai attaché aucune importance parce que c'était pour moi... (riant) comme quelqu'un qui me faisait une représentation!

Mais cette fois-ci...

C'est la première fois, note, que c'est arrivé, qu'il a essayé – spontanément je dis qu'il a essayé de m'en faire accroire. Ça m'étonnerait qu'il ne soit pas conscient.

You know that for a long time he said, "I and the Mother, the Mother and I, are one." Of course, in the Scriptures too it's like that! But it was reported to me (I don't attach much importance to it because people twist everything), it was reported to me that he said several times, "It's the Mother speaking to you through me," and I talked nonsense! (Laughing) That's the trouble. If at least I said some very wise things ...5

C'est grave.

Je n'appelle pas cela «grave».

Je n'appelle pas ça grave parce que c'est peut-être avec la meilleure intention du monde: pas pour me tromper mais pour m'aider. Mais ça m'a paru d'une IGNORANCE! Qu'il se serve de moyens comme cela avec moi, ça veut dire qu'il ne connaît absolument rien de moi.

Ça réussirait avec n'importe quel médium ordinaire, ou quelqu'un qui prétend. Quelqu'un qui prétend, qui n'est pas sincère, serait pris imédiatement, parce que dans des cas comme cela, c'est la sincérité qui sauve. Apparemment, il est très-très difficile de faire une différence. C'est la sincérité qui sauve (c'est la même chose que ce que j'ai dit à Sujata6). Je me souviens de Madame Théon, comme je lui avais raconté plusieurs de mes expériences, elle m'a dit: «Personne ne peut vous tromper parce que vous êtes parfaitement sincère» (occultement, je ne dis pas extérieurement: occultement). Et c'est vrai, ça dépend de la sincérité. Par conséquent, que Z essaye cela, prouve qu'il a une curieuse opinion de moi!

Mais pourquoi tout ça? dans quel but?

On m'a dit beaucoup de choses... Il a dit que c'est lui qui prendrait ma place quand je m'en irai, quand je quitterai mon corps.

Ah oui!?!

Oui, je sais qu'il l’a dit.

Ça me paraît invraisemblable.

Je n'appelle pas cela une accusation parce que je prends toujours les choses au mieux – ce peut être l’expression d'une grande bonne volonté, mais évidemment absolument ignorante. Et alors il a une manie de raconter... Il a dit que je descendrai l’année prochaine, que je reprendrai mes activités en bas. Alors j'ai regardé (à travers cela, j'ai regardé ce qu'il pensait), et j'ai vu: pour lui, ce n'était pas du tout que je prenais possession d'une Puissance nouvelle, c'était un retour aux vieilles choses – mais un retour aux vieilles choses, dans mon cas, c'est une ineptie!

Mais oui!

Tu comprends, c'est cela qui m'intéresse, ce n'est pas du tout que je trouve une faute, mais c'est la preuve qu'il n'a absolument aucune perception véritable de ce que c'est.

He certainly has no understanding of what's taking place here, of your work, for sure; but I had rather the feeling of a goodwill.7

Il a même dit qu'on lui demanderait – on lui DEMANDERAIT – de prendre ma place.

Enfin...

Je voulais te dire cela parce que c'est intéressant à noter et que ça reste.

Mais je ne veux pas qu'on le sache, parce que je le prends au mieux comme une bonne volonté, comme pour m'exprimer qu'il veut participer... mais tout ça, dans un mental qui me paraît tellement enfantin! N'est-ce pas, l’idée que je n'ai confiance qu'en Sri Aurobindo et que si c'est présenté sous la forme de Sri Aurobindo, j'accepterai! Des choses comme cela. J'ai tellement eu l’impression qu'il pensait avoir affaire à une oie!

Mentally, I know. When I am with him, if I happen to listen to what he says for just two minutes, I get a headache, I can't bear it. I can stay with him only when I am above or outside, then it's quite all right. But if I listen to him mentally, I get a headache.

Yes, I told you, the day when I entered his mind, it was frightful!

I can't listen to him, but I can be with him without listening to him.

There you have it! (Mother laughs)8

Évidemment, il sait mettre en forme la substance mentale – mais tout le monde le fait sans le savoir, le fait automatiquement, ce maniement de la matière mentale pour lui donner une forme; tout le monde le fait; il suffit de penser avec un peu de force pour que ça se fasse. Seulement les gens ne le voient pas parce qu'ils n'ont pas la vision mentale. Et là, c'était tout à fait amusant (la formation mentale de Z) parce que ça répondait si bien à ma pensée immédiate (et je ne pensais pas avec force); je regardais ça et spontanément, au-dedans de moi, j'ai pensé: «Ah non!»... C'était presque comme si Sri Aurobindo disait: «Ah non! c'est mon portrait populaire, ça ne vaut rien!»9 Voilà.


Peu après

Je voudrais bien savoir ce que c'était, cette «inondation» de l’autre jour?

Tiens, j'ai eu l’explication, et puis je ne me souviens plus. Je l’ai eue, je l’ai classée – tout ça, ça s'en va si vite, si vite, si vite...

Je l’ai eue très clairement, je ne me souviens plus. Ça reviendra.

Il y a des milliers de choses comme cela.


(après un silence)

C'est vraiment la lutte maintenant avec toute cette formation terrestre... oui, avec l’ignorance et l’inconscience de la pensée primaire de la terre.

C'est encore là, même chez les gens qui ont développé leur mental supérieur, qui sont capables de sortir de cette obscurité et de cette ignorance, c'est encore là – c'est encore là dans une sorte de subconscient mental ou subconscient vital. C'est si obscur! Tout à fait stupide, n'est-ce pas: ça peut avoir des centaines et des milliers de preuves, ça ne le touche pas – une sorte d'incapacité de comprendre. Et alors, constamment, ça vient à la surface, et constamment je suis obligée (geste d'offrande vers le Haut) de le «présenter»: «Ça, c'est encore là; ça, c'est encore là, ça...» Et je vois bien que la distinction entre ce qui se passe dans ce corps et son atmosphère, et ce qui se passe dans tous les autres corps... je ne sais pas si elle existe encore, mais elle est imperceptible. Et alors la conscience est consciente de tous ces mouvements comme de mouvements personnels à la personne physique. Mais la personne physique, ce n'est pas seulement ça (Mère touche son corps), ce n'est pas seulement ce corps – je ne suis pas encore sûre si la personne physique n'est pas toute la terre (pour certaines choses, c'est toute la terre), ou si la personne physique est l’ensemble de tous les corps des gens avec qui je suis en rapport... Dans les dernières heures de la nuit, c'est-à-dire entre deux et quatre, je vois des formes précises, mais ces formes précises sont elles-mêmes représentatives, en ce sens qu'il y a des types et que ces types prennent l’image de quelqu'un avec qui j'ai un rapport ou j'ai eu un rapport personnel; mais ce sont pour moi des types: «Ah! c'est tel type» – et ce peut être des milliers de gens. Et l’action (c'est toujours pour une action), l’action sur le personnage-type a des répercussions sur tout ce qu'il représente.

Et ça, c'est un labeur qui paraît... infini – sans fin en tout cas.

Ça a des conséquences.

N'est-ce pas, ce que je fais, c'est ceci: la chose vient, elle est prise, elle est présentée (geste vers le Haut) comme si elle était mienne: «Mais enfin, Tu vois comment je suis...» (mais c'est le «Je» – le grand Je), elle est présentée au Seigneur, très humblement, avec l’impression et le sentiment d'une impuissance totale – simplement, je demande: «Voilà, change-le.» l’impression qu'il n'y a que Lui qui puisse le faire, que tout ce qu'on a essayé, ça paraît partout des enfantillages – tout paraît être des enfantillages. La plus sublime intelligence me paraît un enfantillage. Tout ce que l’on essaye pour éclairer, organiser, instruire l’humanité, l’éveiller à une conscience plus haute, lui faire maîtriser la Nature et ses forces, tout ça – tout ça qui pour un regard humain quelquefois est tout à fait sublime –, ça paraît tout à fait des jeux d'enfants qui s'amusent dans une nursery. Et qui aiment les jeux dangereux, qui croient terriblement à ce qu'ils font (naturellement comme les enfants). Je n'ai jamais rencontré une justice plus grave et plus sévère que la justice des enfants dans leurs jeux, ils prennent vraiment la vie au sérieux. Eh bien, c'est ça, c'est ça l’effet que cela fait: c'est une humanité dans l’enfance qui prend furieusement au sérieux ce qu'elle fait. Et puis, qui n'en sortira jamais – n'en sortira jamais, il lui manque le petit quelque chose (qui n'est peut-être rien du tout, n'est-ce pas), un tout petit quelque chose qui fait que... ah! tout s'éclaire et s'organise – c'est toujours en marge de la Vérité.

Alors la seule chose que je puisse faire, c'est ça (geste de présentation): «Tiens Seigneur, Tu vois, nous ne savons rien, nous ne pouvons rien, nous sommes absolument imbéciles – à Toi de le changer.» Comment le changer? – On ne peut même pas l’imaginer, même pas. Et alors tout mon temps (même geste); pas de temps en temps: constamment, nuit et jour, sans arrêt, nuit et jour sans arrêt; si pendant l’espace d'une ou deux minutes ce n'est pas fait, imédiatement il y a quelque chose qui rattrape: «Oh! tout ce temps perdu!» Et si je regarde attentivement ce qui s'est passé, alors je vois: pendant ces quelques minutes, je vois que j'étais comme ça, béatifique dans le Seigneur; je me laissais vivre béatifiquement dans le Seigneur; alors je ne lui présentais pas les choses – ça arrive deux ou trois fois par jour. Un délassement, n'est-ce pas, on se laisse aller béatifiquement dans le Seigneur. Et c'est si naturel et si spontané que je ne le remarque même pas; je le remarque quand je reprends mon attitude... (geste vers le Haut) de tout reporter au Seigneur à chaque minute.

(silence)

Et toujours cette question d'âge... Chez tout le monde, tout le monde, sans même qu'ils s'en aperçoivent, il y a toujours à l’arrière-plan (à propos de n'importe quoi, à n'importe quelle occasion), toujours l’idée du vieil âge, de la dégringolade, la décrépitude. Et c'est mille fois par jour que ça vient! (Mère rit) Alors là aussi, je dis au Seigneur: «Écoute, est-ce que vraiment je suis en train de dégringoler?» Alors Il me montre une ou deux choses... dans un éblouissement de lumière. Ça m'arrive de temps en temps –- pas souvent – quand «l’avalanche» a été assez considérable; alors il y a un éblouissement de Lumière, de Pouvoir, quelquefois d'une Puissance si formidable qu'on a l’impression que si l’on s'en servait... qu'est-ce qui arriverait? Par exemple, simplement d'avoir été mise en contact avec une mauvaise volonté méchante (c'est rare), un besoin ou un désir de nuire; je fais ça (Mère pince la vibration entre ses doigts), je fais comme cela (mais ça correspond à quelque chose dedans: c'est une Puissance qui agit avec une Lumière blanche, absolument blanche, n'est-ce pas, qui ne tolère rien d'autre que le tout à fait blanc), et presque instantanément, dans la personne où le mouvement de mauvaise volonté s'est produit par une possession partielle du vital: une crise de nerfs ou (comment appelle-t-on cela?) a vital collapse, ou un nervous collapse [un écroulement nerveux], très tangible. Alors naturellement, on refrène tout mouvement, et on regarde tout à fait tranquille avec l’éternel Sourire. Mais c'est comme pour me montrer: voilà – voilà la potentialité (!) Seulement il n'y a pas l’Ordre de s'en servir, excepté de temps en temps «comme ça».

(silence)

Tiens, la nuit d'avant, dans la nuit, quelqu'un est venu me trouver (quelqu'un qui était bleu foncé, c'est-à-dire une formation mentale) avec un plan d'action, et qui me disait: «Tout est arrangé: à tel moment et tel jour (c'était pour l’année prochaine), vous avez à faire ce travail, il faut descendre, et voilà comment on arrangera tout pour votre descente – ceci, cela, cela...» Moi, je jouais le jeu très bien, je disais: «Ah! non, ça ne va pas, il faut arranger comme cela et comme cela...» Puis, quand tout a été bien fini, tout d'un coup quelque chose m'a fait rentrer (geste de retour à l’intérieur) et j'ai regardé, j'ai vu la personne, j'ai vu le plan, j'ai vu tout (j'étais en train d'agir) et j'ai dit: «Oui, tout ça est très bien, mais voilà... le malheur est que je ne descends pas!» Et d'un seul coup, brrt! parti10 – c'était une construction, comme s'il y avait toute une organisation, même gouvernementale (!) pour me faire descendre. Et en me réveillant (c'est-à-dire le matin quand je suis sortie de mon activité de la nuit), je me suis dit: «Peut-être est-ce cela qui s'est montré (c'était une formation mentale – de qui, de quoi? je ne m'en suis pas préoccupée), mais c'est peut-être cela qui s'est montré à Z et qui lui a fait dire avec l’autorité du voyant: «Mère va descendre l’année prochaine.» J'ai trouvé ça très amusant.

De plus en plus, les choses sont telles qu’elles sont: exactes, sans complications. J'ai remarqué qu'avec les hommes, même les plus sincères, les plus droits, il y a toujours une espèce de revêtement, coating, un revêtement émotif (même les plus froids, les plus secs), quelque chose qui appartient au vital; un revêtement émotif qui rend flou, incertain, et permet un jeu qui leur donne l’impression de toutes sortes de «forces mystérieuses» qui jouent – les choses sont très claires, très simples, très, oh! très simples, et ça, ça vient donner une sorte de confusion. Ce n'est pas sentimental, ce ne sont pas des émotions non plus, c'est quelque chose... quelque chose qui aime l’incertitude, l’inconnu, l’inattendu – pas positivement le hasard (ce n'est pas si fort), mais qui aime vivre dans ça, dans... au fond c'est l’Ignorance! ne pas savoir ce qui va arriver. Même les choses les plus simples, même les choses les plus évidentes, c'est tout revêtu de ça.

Tiens, par exemple, combien de gens, même les plus sérieux, aiment qu'on leur dise l’avenir: on lit dans la main, on lit dans l’écriture (je suis accablée de gens qui me demandent des choses comme cela), mais enfin même en dehors de toute idée spirituelle, cette espèce d'intérêt qu'ils ont à ce qu'on leur dise: «Voilà, votre ligne de vie va durer jusque là...» Les gens aiment ça! ils aiment, ils aiment rester dans leur incertitude. Ils aiment leur ignorance. Ils aiment cet inconnu – cet inconnu «plein de mystères». Ils aiment le prophète qui vient leur dire: «Tu feras ça... Il t'arrivera ça...» Ça paraît si enfantin! C'est le même goût que le goût du théâtre, c'est la même chose (pas l’auteur qui a écrit la pièce, mais le spectateur qui la voit sans savoir comment elle va finir), ou le même goût que pour lire des romans – le goût de «l’inconnu». Et alors c'est tout près du goût du merveilleux.

Beaucoup de chemin à faire encore pour entrer dans la Connaissance – dans la conscience où l’on sait tranquillement, et où tout est si simple, si naturel, si évident. Et c'est ce revêtement qui donne les complications: ça se complique tout d'un coup dans l’atmosphère humaine.

Je crois que les animaux (pas les animaux qui vivent avec les hommes), les animaux (il n'y en a plus beaucoup maintenant, ils sont tous infectés par l’homme!) les animaux naturels – les animaux dans leur état naturel ont une vie très simple. Tout est très évident, très simple, très naturel – c'est nous qui mettons les complications.11

19 octobre 1963

J'en viens à la conclusion qu'il doit y avoir un grand pouvoir (un pouvoir probablement transformateur) dans l’extrême tension des circonstances.

Je m'explique:

l’Aide est toujours là, en ce sens que l’on sent d'une façon indiscutable que la Force agit (la «Force», c'est-à-dire la Conscience suprême et la Connaissance suprême), qu'elle agit avec une sorte de pression sur tous les gens et toutes les circonstances, dans un sens favorable pour que ce soit vraiment le mieux qui arrive – et le mieux hiérarchiquement, c'est-à-dire que ce qui est le plus haut et le plus pur (tu sais ma définition de «pur») est comme le centre pour lequel les choses s'organisent; elles s'organisent hiérarchiquement, chacune avec son «droit au progrès», mais comme en faveur de ce qui est le plus proche et le plus expressif du Divin – ça, c'est constant, je le vois à des centaines d'exemples tout le temps. Et pourtant, au point de vue des circonstances extérieures, il y a une telle tension qu'on a l’impression que l’on est proche de la catastrophe.

Sri Aurobindo m'a dit qu'il y avait trois difficultés, et ce sont les trois choses à vaincre pour que la terre soit prête (du point de vue purement extérieur, il n'est pas question de facteurs psychologiques): le gouvernement, l’argent, la santé.

Des trois, c'est la santé qui est le plus directement en rapport avec la transformation intérieure, mais pas complètement parce qu'elle dépend constamment de ce qui vient du dehors: les influences, les vibrations – les contagions du dehors. On est obligé de manger: tout ce que l’on reçoit avec la nourriture, c'est fantastique! Il y en a tellement que manger représente un travail considérable – la digestion physique n'est rien, mais le travail d'assimilation et d'adaptation de tout le reste est considérable. Par conséquent, des trois, c'est la santé qui est le plus directement sous l’influence du progrès intérieur, mais pas complètement comme je l’ai dit. Donc, ça aussi est à conquérir.

Pour l’argent, quand Sri Aurobindo était ici, il n'y avait pas de problème: tout ce dont on avait besoin venait. Pourtant les deux dernières années commençaient à être plus difficiles et je disais toujours, comme je crois te l’avoir déjà dit, que cela dépendait de la mauvaise attitude des gens autour; ça représente un problème considérable, cette mauvaise attitude – ça a été de mal en pis, c'est devenu tout à fait aigu.

Pour le gouvernement, ça a suivi une courbe opposée: au début, c'était d'une hostilité effroyable, c'est-à-dire que pour simplement garder la possibilité de rester ici, c'était un problème de chaque minute. Et Sri Aurobindo m'a dit que, probablement les deux, santé et argent céderaient ensemble; peut-être la santé d'abord et l’argent après mais pas avec une grande différence. Et il m'a dit: «Pour le gouvernement, il n'y a qu'une solution, une seule, c'est d'ÊTRE le gouvernement.» Si l’on n'est pas le gouvernement, on ne pourra jamais le vaincre, sauf quand la terre sera transformée; mais alors il n'y aura plus de travail! Voilà la situation. Tout est comme cela depuis... quarante ans, cinquante ans – plus de quarante ans.

Mais de plus en plus, à cause de mon travail intérieur, je deviens consciente des choses; de plus en plus, je suis consciente de ce Soin, cette Sollicitude et cette Organisation hiérarchique des circonstances pour que ce soit la chose la plus précieuse et la plus utile pour le travail divin qui soit favorisée – naturellement pas d'une façon évidente, mais d'une façon intérieure. Et pourtant, dans les trois domaines – gouvernement, argent et santé –, cela arrive toujours à un point, un tel point de tension et de complication que si l’on n'avait pas cette certitude intérieure, ça indiquerait tout simplement la catastrophe, la culbute. Et c'est toujours quand c'est là que... (geste de renversement subit) tout se retourne – pas avant, pas une minute avant.

Et ce n'est pas pour me donner la foi – je l’ai; ce n'est pas pour me donner la conscience – je l’ai; c'est pour une raison extérieure. Je n'arrive pas encore à comprendre pourquoi. Parce que, intérieurement, même si l’on m'annonçait que tout serait démoli de la façon la plus tragique, je dis: «Bien.» – et en toute sincérité, n'est-ce pas, il n'y a rien nulle part qui se mette à protester ou à vibrer, rien du tout. Je dis bon. Mais je vois – je vois que dans cette tension, il y a une certaine puissance qui est libérée, comme une puissance assez intense pour guérir un tamas, pour changer un tamas1.

Hier (je te donne cela comme exemple, mais dans les trois domaines, c'est similaire), hier, c'était une question d'argent. La question d'argent, depuis plus de douze ans, c'est un problème – il devient de plus en plus aigu parce que les dépenses augmentent d'une façon fantastique et les revenus diminuent! (riant) alors les deux ensemble font que le problème devient très aigu. Ça se traduit par des choses à payer et pas d'argent, c'est-à-dire que le caissier (ce pauvre caissier, ça lui fait beaucoup de bien au point de vue yoguique: il a attrapé un calme qu'il n'avait pas du tout avant! mais enfin c'est lui qui a la tension la plus grande), il dépense de l’argent et je ne peux pas le rembourser. Bien. Alors ce n'est pas moi qui vais courir, chercher, m'arranger, discuter, n'est-ce pas, ce n'est pas convenable (!) et ceux qui le font pour moi ont en eux une somme assez considérable de tamas, que je n'arrive pas à secouer encore. Avant-hier, ils m'avaient fait une proposition absurde (je ne veux pas entrer dans les détails, ça n'a pas d'importance), mais la proposition était absurde et elle me mettait dans une situation tout à fait «inacceptable», c'est-à-dire que je pouvais avoir des procès, être appelée en justice, enfin toutes sortes de choses «inadmissibles» – personnellement, ça m'est égal, mais c'est «inadmissible». Quand on m'a fait la proposition, j'ai regardé et j'ai vu que c'était idiot, et j'étais très tranquille lorsque, tout d'un coup, est venue en moi une Puissance! (je t'ai dit que de temps en temps ça arrive) comme cela (geste massif). Quand ça vient, on a l’impression qu'on peut détruire – détruire tout avec ça... n'est-ce pas, c'est trop formidable pour l’état de la terre telle qu'elle est. Et alors j'ai dit très tranquillement que c'était inacceptable, pourquoi, et j'ai rendu le papier. Puis quelque chose m'a OBLIGÉE, alors, à dire: «Si je suis ici, ce n'est par aucune nécessité, aucune obligation; ce n'est pas une nécessité du passé, un karma, aucune obligation, aucune attraction, aucun attachement, mais seulement, uniquement, absolument, par la Grâce du Seigneur. Je suis ici parce qu'il me garde ici, et quand Il ne me gardera plus, quand Il considérera que je n'ai plus à rester, je ne resterai pas.» Et j'ai ajouté (je parlais en anglais): «Pour moi...» («pour moi», là-haut, c'est-à-dire pas ça, le corps) «Pour Moi, je considère que le monde n'est pas prêt: sa façon de répondre intérieurement et extérieurement, et même visiblement chez ceux qui sont autour de moi, prouve que le monde n'est pas prêt – quelque chose doit arriver pour qu'il soit prêt. Ou bien il faudra LE TEMPS qu'il se prépare et... Moi, ça m'est égal: qu'il soit prêt ou qu'il ne soit pas prêt, ça ne fait aucune différence. Et tout peut s'écrouler, ça-m'est-tout-à-fait-égal.» Et j'ai dit ça avec une force! Mon bras s'est levé, mon poing s'est abattu sur la table – mon petit, je croyais que tout allait casser!

J'assistais à la scène et je me disais: «Diable! pourquoi est-ce que l’on me fait faire ça!?» Ce sont des gens, apparemment, tout à fait dévoués, tout à fait soumis et suffisamment intimes pour ne pas avoir peur. (Je ne sais pas l’effet que ça a fait, mais ça a dû faire de l’effet.) Dès que ça a été fini, j'ai recommencé à travailler, faire les affaires, etc. Après, quand j'ai été toute seule, je me suis dit: «Mais pourquoi est-ce venu en moi?»... Et le soir, j'avais la solution de la situation: elle est là (Mère prend une enveloppe sur la table). Je n'ai même pas regardé (Mère ouvre et regarde le montant d'un chèque).

Alors je me suis dit: c'est comme cela, il doit y avoir un certain tamas – un tamas incompréhensif – qui a besoin d'être violemment secoué pour changer. Pour les maladies, c'est la même chose, c'est-à-dire que c'est au moment où ça a vraiment l’air de basculer du mauvais côté... je sors volontairement de mon corps en planant au-dessus de toutes choses, et il se rétablit – ça prend maintenant très peu de temps: un quart d'heure, vingt minutes.

Et au point de vue gouvernement aussi, ça a l’air d'être la même chose, comme si toutes les difficultés AMENAIENT petit à petit au pouvoir des gens qui sont sous mon influence.2 Mais c'est encore sporadique – je crois que c'est la chose qui cédera en dernier. Sri Aurobindo avait dit que ce serait en 67... nous avons encore du temps, nous ne sommes qu'en 63, quatre ains à passer. Mais ce n'est pas que l’on gouvernera soi-même (Dieu sait que l’on n'a pas le temps de le faire!), mais «être le gouvernement», cela veut dire qu'au gouvernement, il y aura des gens directement sous l’Influence. Et il ne suffit pas que ce soit local (Dieu sait! – riant – je n'ai jamais rien vu de plus pourri!), il ne suffit pas que ce soit local, il ne suffit pas que ce soit indien, ça ne suffit pas du tout: il faut que ce soit mondial pour que... Et évidemment, pour le moment, nous en sommes encore très loin – même dans l’invisible, même dans l’Inconscient.

Il y a des signes. Il y a des signes devant lesquels les gens ordinaires seraient émerveillés, se réjouiraient, mais moi, ça ne me suffit pas du tout.

Non, le gouvernement, ce n'est pas encore décidé, et pourtant-Seulement il y a tant de choses qui tendent, qui s'approchent, et puis ça passe en tangente – c'est ça, le malheur, c'est quand ça passe en tangente parce que, alors, ça s'en va très loin... (geste montrant la possibilité qui va presque croiser l’Histoire, puis qui s'écarte en dessinant un immense cercle vers l’arrière, pour revenir encore)... et il faut attendre très longtemps pour que ça revienne.3

On essaye quelque chose maintenant: il y a des gens qui sont en rapport avec nous, qui sont conscients, et qui ont une possibilité d'action, et ils essayent; ils ont attrapé une idée: réunir la Russie et l’Amérique pour faire des deux pouvoirs réunis les agents de la paix terrestre. C'est une idée excellente. On va voir ce qui va se passer.

Parce que, évidemment... Oh! au fond, je n'en sais rien. Je dis «évidemment» mais cela m'est tout à fait égal que tout soit démoli et que tout recommence – c'est une autre façon de jouer, voilà tout. Mais peut-être que si ce n'est pas démoli... Démolir et recommencer (riant), on a déjà fait ça plusieurs fois! Peut-être que c'est assez et que, sans démolir, si l’on pouvait progresser... Mais est-ce que c'est possible?

Il faut être arrivé très près du but pour que ce soit possible.

La grosse difficulté, c'est cette imbécillité tamasique. J'ai eu comme cela l’expérience, hier, de deux jeunes gens qui sont venus me voir (il est d'usage, maintenant, que les jeunes gens qui vont se marier et dont je connais les familles, ou qui sont ici, viennent recevoir mes bénédictions avant d'aller se marier! c'est la nouvelle mode). Ils sont venus. La fille a été éduquée ici et le garçon est resté ici pendant très longtemps, il travaillait ici, enfin ils veulent se marier. Le garçon est allé chercher une situation; il avait confiance (en Mère) et il l’a trouvée; et il est, je ne peux pas dire conscient parce que ça ne ressemble pas à de la conscience, j'appellerais cela plutôt une superstition (!) seulement c'est une superstition placée au bon endroit! le mouvement est ignorant, mais il est bien placé, alors ça marche; ce n'est pas qu'il ait une foi éclairée, mais il a la foi. Bon. Ça va bien et ça fonctionne très bien (la réussite matérielle du garçon). Ils sont donc venus hier recevoir mes bénédictions. Puis ils sont partis. Et ils ont laissé dans la chambre... une formation vitale, toute pétillante, absolument ignorante, toute pétillante de joie de vivre, et d'une telle joie de vivre absolument ignorante de toutes les difficultés possibles, de toutes les misères possibles, et pas seulement pour soi mais pour tous! N'est-ce pas, cette joie de vivre qui dit: «Ah! mais moi, ça m'est égal que l’on naisse ou que l’on meure – la vie est courte; eh bien, qu'elle soit bonne et puis c'est tout.» Aucune curiosité mentale, aucun besoin de savoir pourquoi le monde – tout ça, ce sont des inepties, on n'a pas besoin de s'occuper de ça! on est content, on s'amuse, on fait aussi bien que l’on peut. Et puis c'est tout... Cette formation était tellement forte n'est-ce pas, là, que je l’ai vue et que j'ai dû lui trouver une place. Ça m'a mise en contact avec tout un domaine de la terre, de l’humanité, et il a fallu que je mette ça en place, que je la range, que je l’organise. Ça m'a pris un petit moment (assez longtemps, peut-être trois quarts d'heure, une heure), il a fallu tout classer, organiser. Et à ce moment-là, je voyais à quel point c'est répandu sur la terre (note que ces jeunes gens appartiennent au «sommet» de la société, qu'ils passent pour très intelligents, qu'ils sont très bien éduqués, enfin c'est parmi ce qu'il y a de mieux dans l’humanité! ce n'est pas les bas-fonds, il s'en faut de beaucoup), et je me suis demandé si ce n'est pas encore plus répandu dans les pays de l’Ouest qu'ici – je crois. À ce moment-là, je suis entrée en rapport avec partout, eh bien, le «partout» était vraiment très considérable.

Après cela, je me suis dit: «Diable! mais quoi faire de tout ça?...» Déranger ces gens? qui sont tout à fait incapables de sortir de leur état dans cette vie, qui probablement auront besoin de beaucoup-beaucoup-beaucoup de vies pour s'éveiller au besoin de savoir – pourvu qu'ils bougent, n'est-ce pas! (riant) qu'ils bougent et que ce ne soit pas trop douloureux, ils sont très contents! Et alors, en plus, il y a tout en bas toute la masse, n'est-ce pas, inerte, des hommes qui sont tout près de l’animal – quoi faire de ça? S'il faut que ça aussi, ce soit prêt, ça me paraît impossible... Parce que ce jeune couple, selon l’opinion humaine, ce sont des gens très bien!

Alors combien faut-il... Combien faut-il qu'il y ait de consciences, quelle quantité si l’on peut dire (intensité, il y a: de temps en temps, ça brille comme des étoiles), mais quelle est la masse de consciences nécessaire pour que ce nouveau monde puisse descendre sur la terre?... Autrement, qu'est-ce qui lui arriverait? – il serait englouti. Comme en 60 quand j'ai vu les forces supramentales qui descendaient (mon petit! c'était quelque chose à voir, ça descendait, c'était formidable, c'était merveilleux; c'était comme des torrents; on avait l’impression que ça allait inonder tout), et alors, d'en bas, de grosses masses d'un bleu foncé se levaient comme ça, et puis faisaient brouff! (geste d'engloutissement) et tout était englouti.

Alors ce serait la même chose physiquement, tu comprends.

(silence)

Donc, hier, c'était d'abord la visite de ces jeunes gens, puis cette affaire d'argent, et puis cette manifestation (de Puissance) qui vient de temps en temps. Après, je me disais: «Comment se fait-il? Comment se fait-il que j'étais comme cela?» Ça dure un certain temps, je fais une certaine chose, puis ça disparaît tout à fait. Et je me sens étonnée, n'est-ce pas, étonnée. Les premières fois, quelque chose dans le corps avait de la difficulté à le tenir (le Pouvoir); maintenant, rien-rien du tout, le corps ne sent pas, il est habitué. Peut-être est-ce cela que l’«on» fait: l’habituer. Mais si c'était tout le temps là, diable! il faudrait que les gens se tiennent à carreau parce que...

Et je regardais, je me disais: «Comment ça se fait?» Je n'étais ni fâchée ni mécontente ni rien, absolument rien – dedans, il y avait toujours ce même Amour, égal, toujours, toujours là, pour tout, même quand je perçois avec une sorte de discernement (même pas intuitif, un discernement plus haut que ça, qui est comme une vision claire – claire, précise, dans la Lumière blanche), le discernement de toute l’imbécillité, de toute la mauvaise volonté, de toutes les crookedness4 – très clair – et ça, toujours avec un Sourire, et c'est cette même Vibration d'un Amour éternel. Puis cette Puissance qui vient – ça ne dérange rien, ça ne prend la place de rien: c'est une addition. C'est une action: ça fait son action et puis ça s'en va. Mais quand c'est là... n'est-ce pas, la Force qui a fait abattre mon poing sur la table, elle pouvait tout broyer. Mais naturellement une pauvre petite main, un pauvre petit bras, ça n'a rien fait que secouer la table!... (Mère rit) faire beaucoup de bruit, secouer la table. Mais la perception était formidable.

C'était la dernière fois, mais pas la première.

Certaines fois, je ne bouge pas; quelquefois ça vient quand je suis toute seule, alors naturellement je ne dis pas un mot et je ne bouge pas, mais au bout d'un moment, il y a une sorte de... (comment dire?) je me demande: «Mais qu'est-ce qui va arriver?...» Ce n'est pas une anxiété mais quelque chose qui observe et qui dit: «Mais enfin est-ce qu'on peut laisser ça... laisser ça se manifester?» Et ça vient toujours en connexion avec une circonstance, une action, un mouvement (quelquefois – très rarement – une idée chez quelqu'un, mais c'est rare), et c'est comme une espèce de nécessité: «Ça, c'est à frapper» (geste, comme une épée de lumière qui s'abat). Et alors la puissance de frappe!... Aucune proportion avec les choses terrestres. Puis ça s'en va – ce n'est pas moi qui tire et ce n'est pas moi qui renvoie: j'assiste, et le corps est utilisé, et puis c'est tout. Et puis c'est parti.

Il y a une aspiration constante du corps vers tout ce qui peut le perfectionner – n'est-ce pas, perfectionner l’instrument –, et il y a très peu, très peu de demande de Pouvoir. Quand Sri Aurobindo était là, il y avait la claire conscience de la nécessité du Pouvoir et j'avais dit plusieurs fois: «C'est le Pouvoir supramental qui se manifestera d'abord», parce que, sans Pouvoir, ce sera impossible: la masse d'opposition dans le monde est suffisante pour tout engloutir, comme la Lumière a été engloutie en 60 – la Lumière et la Conscience supramentales ont été englouties; ce sera la même chose. Mais après, quand il a fallu que je fasse toute la besogne, je n'ai plus insisté sur ce point-là (le Pouvoir), il n'y avait plus le sentiment de cette nécessité, mais plutôt l’impression d'un tout qui doit progresser ensemble et se manifester ensemble. Une sorte de perfection d'ensemble.

Mais ça vient.

Mais par exemple, avant, quand nous avions ces réunions pour les poudjas5 et que Dourga venait (quand Sri Aurobindo était là et pendant quelque temps après), quand elle se manifestait, il y avait un grand pouvoir qui venait avec elle – mais ce n'est rien! Ce n'est rien à côté de Ça. Le pouvoir de Dourga... oui, c'est comme de l’eau de rose à côté.

Et ça n'a absolument rien de vital – le pouvoir vital me semble tout à fait grossier maintenant, presque répugnant. Ça n'a rien de vital: c'est quelque chose de tout là-haut. Ça vient toujours avec une Vibration dorée, très forte, mais si massive!...

Mais ça ne vient que quand les situations sont tout à fait tendues; ce qui expliquerait que, probablement, c'est nécessaire pour secouer un petit peu toute cette Matière, et que ça ne peut venir que quand les autres moyens ne suffisent plus.

Tu sais, à ces moments-là, je me sens une force, même une force physique, plus grande que je n'ai jamais sentie dans ma vie, même quand j'étais jeune et suffisamment forte, et qui me fait paraître la force physique des gens... ce n'est rien! La première fois que c'est venu après ma maladie (et je ne me suis pas méfiée), c'est venu apparemment sans raison (probablement comme une tentative) et il y avait sur ma table cet instrument (Mère montre un porte-stylo monté sur un pivot d'acier), alors la Force est venue, puis je ne sais pour quelle raison, je voulais rabattre ce machin; j'ai posé ma main sans effort, sans force (mais la Force était là, elle était dans mon bras): cassé net! (ce n'est pas facile à casser), cassé net! clac! sans l’ombre d'un effort. Le docteur était là, il m'a dit: «Pourquoi?» Je lui ai dit: «Oh! je ne l’ai pas fait volontairement, mais il y a une force qui a pris mon bras et qui a fait clac!» Et je l’ai fait consciemment, j'ai vu: j'ai vu la Force, vu une espèce d'éclair doré, très fort, qui est venu, et clac! Je n'ai pas fait le moindre effort. Le docteur n'était pas content! (c'est un homme sattvique de nature), il m'a dit: That is stupid, it breaks your things [C'est idiot, ça casse vos objets] – J'en aurai d'autres!

C'était la première fois. Après, je me suis méfiée.

Quand Sri Aurobindo était là, il y avait un garçon qui était très incontrôlable: il avait des mouvements de colère qu'il ne pouvait pas contrôler (et qu'il ne pensait pas beaucoup à contrôler d'ailleurs!). C'était un ingénieur et un garçon très intelligent (mais ça ne fait rien) et une fois, comme Sri Aurobindo était dans ma chambre, ce garçon est venu dans l’escalier et m'a fait appeler; je suis allée le voir. Alors il est entré dans une très grande fureur, puis il a commencé à crier et il a voulu se jeter sur moi dans sa fureur. Moi, j'ai simplement posé mes deux mains sur ses épaules, sans un effort, comme ça – il a dégringolé l’escalier. Tout simplement, je l’ai empêché d'approcher en touchant ses épaules... Mais ça, c'était clairement Kali. Sri Aurobindo est arrivé et je lui ai raconté ce qui s'était passé (le garçon s'était relevé et il remontait; quand il a vu Sri Aurobindo, il a détalé!... Il n'a plus recommencé naturellement). Mais c'était clairement Kali: quand Kali vient, elle est très forte, mais c'est encore dans le domaine des choses mondiales. Elle est très forte: simplement, j'ai empêché le garçon d'approcher, j'ai mis mes mains sur ses épaules, il a perdu l’équilibre et il est tombé jusqu'en bas, roulé l’escalier jusqu'en bas. Alors j'ai pensé que Sri Aurobindo avait fait agir Kali (il avait entendu, n'est-ce pas, les cris de cet énergumène).

Ce n'est pas la même chose. Kali, dans le temps, quand Sri Aurobindo était là, venait de temps en temps – mais ça appartient encore à ce monde, ce n'est pas la même chose (que cette Puissance supramentale).

Une fois aussi, il y avait un individu (il y a des énergumènes comme cela) qui était arrivé d'Australie: c'était un professeur et on lui avait donné des classes à faire à l’École. Il a commencé à prêcher des choses incroyables – il était le dieu incarné, n'est-ce pas! Jusqu'au jour où ça a commencé à devenir assez gênant. Et il avait dit qu'il resterait ici pour toujours... Les gens étaient ennuyés, tout le monde était ennuyé, on ne savait pas comment faire. Moi, j'étais déjà dans ma chambre ici (c'était il y a trois, quatre ans peut-être). Je me souviens: j'étais assise sur mon lit (en ce temps-là je travaillais sur le lit, là) et j'ai reçu une lettre où l’on me disait... enfin que c'était impossible, intolérable, et que l’on ne pouvait pas le garder. Alors je me suis concentrée une minute et Kali est arrivée – Kali dans son humeur de bataille, une Kali noire, dansante. Je lui ai dit: «Va donc sur sa tête.» (Riant) Elle est allée faire une danse sur sa tête – le lendemain, il écrivait qu'il quittait l’Ashram. Là, c'était très clair: la veille, il avait dit qu'il ne bougerait pas, qu'il avait l’intention de rester ici et de continuer ses leçons et qu'il faudrait le renvoyer de force pour qu'il parte (on m'avait dit cela tout à fait éploré). La danse de Kali l’a convaincu qu'il valait mieux partir!

Mais tout cela, n'est-ce pas, ce sont les jeux du monde. Ce qui se passe maintenant, c'est autre chose, tout à fait autre chose.

Et ça vient, ça fait, et puis ça part. Ça ne prévient pas quand ça vient!

Et à ce moment-là, le corps se sent très vaste – vaste, sans limite, très vaste, comme s'il TOUCHAIT toute la Matière; il y a un contact conscient avec toute la Matière. Et ce coup de poing que j'ai donné hier, c'est tout à fait symbolique, rien d'autre que cela: ce n'était pas une table, c'est un coup de poing donné sur la terre! «La terre, si tu n'es pas prête, eh bien, on te laissera te débrouiller toute seule; on s'en ira et on reviendra quand tu seras prête.»

Et alors, ça paraît être comme une nécessité pour secouer un tamas quelque part – il y a beaucoup de tamas, beaucoup.

N'est-ce pas, je ne me sens aucune hâte – j'aime tant les pierres, les fleurs, les plantes, les animaux, tout cela est si admirable! Ça commence à être moins plaisant après... le plus déplaisant, c'est la perversion humaine – perversion de cruauté, de méchanceté, de dureté. Il faut monter plus haut pour pouvoir l’admettre, pour que ça ne gêne pas.

Mais cette chose que j'ai vue hier, cette formation toute pétillante de joie de vivre, j'ai vu clairement que c'était l’un des plus grands obstacles – un des plus grands obstacles: une joie vitale qui ne connaît qu'elle-même, qui ne sait rien d'autre que sa propre joie vitale, et qui est par-fai-te-ment satisfaite. J'ai vu que c'était un grand obstacle, parce que... ça contenait déjà comme une réflexion de la Vraie Chose. Et là, on ne peut que rire, mais il y a les gens sévères qui disent: «Vous verrez quand vous serez malades, vous verrez quand vous serez vieux...» (Tout cela est venu, parce qu'il y a eu tout un travail, qui représente toute une grande comédie à l’échelle de la terre, et il y avait ceci, cela, cela...) Pourquoi faire? Pourquoi être sévère? – Laissez-les êtres heureux, ils représentent... tiens, c'est comme la mousse sur la bière fraîche!


Au moment de partir

J'ai fait un rêve cette nuit, c'est la dernière chose dont je me souvienne. C'était comme une route de montagne et il y avait d'énormes véhicules, comme des tanks, très noirs, très hauts, qui montaient dans cette montagne; et j'avais l’impression que c'étaient des Russes ou des Chinois, comme un convoi militaire énorme, très-très noir, qui montait dans une montagne.

Ce n'est pas un rêve! c'est peut-être ce qui se passe là-haut.6

Probablement, tu es allé là-bas.

(silence)

Oui, on voit des choses comme cela, beaucoup de choses.

(silence)

C'est pour te montrer que tu as des sens intérieurs – on va voir, on va se promener, on revient. (Riant) Ce sont des exercices!7

26 octobre 1963

(Pondichéry vient d'être secoué par un cyclone et le disciple par une curieuse fièvre.)

Tu n'as rien senti pendant le cyclone, non, rien de particulier?

On a toujours l’impression de quelque chose qui s'acharne et qui n'est pas gentil!

(Riant) Évidemment!

C'est d'abord venu dans une direction, puis le calme plat – c'est toujours comme cela. Tu sais comment font les cyclones? C'est quelque chose qui tourne, et au centre, c'est le calme plat; tout autour c'est le tourbillon; et ça tourne et ça avance. Alors la première partie (ce que l’on pourrait appeler le devant du cyclone) arrive dans une direction, puis ça continue à tourner, et la seconde partie vient dans la direction opposée. Nous avons ici un vice-amiral américain qui connaît ces choses – tous les gens de la mer connaissent ça –, il avait vu de loin le cyclone sur la mer, il nous a prévenus. Mais c'est toujours ainsi, je l’avais remarqué. La première vague arrivait du Nord, mais comme nous étions prévenus, tout était fermé. Puis le vent s'est calmé absolument, et les fenêtres du Sud étaient restées ouvertes. Et la deuxième vague est venue de l’autre côté (c'est venu vers le soir, un peu avant sept heures, je ne me souviens plus; en tout cas j'étais assise à la table, là), puis j'ai vu... j'ai vu ce tourbillon qui arrivait, et, dedans, il y avait des formations: c'étaient comme des masses accumulées; il y en avait des gris-noir et il y en avait des brun-roux. Et je regardais; de loin, je les voyais, il y en avait beaucoup: de grandes formations, c'était grand comme des maisons à peu près. Ça arrivait en masses accumulées, comme des espèces de formations dans le tourbillon. Et alors j'étais là, je commençais juste à prendre mon dîner, quand une formation brun-roux est passée là-dessus, comme ça, juste d'ici vers ta maison (Mère balaye la pièce du Sud au Nord), et elle m'a frappée. Mon petit! des douleurs à hurler, puis un malaise épouvantable. Alors naturellement, mon remède habituel: rester immobile, puis j'ai tout offert au Seigneur. La formation a passé, elle ne s'est pas arrêtée (elle a passé, elle a frappé, puis elle s'en est allée), et elle a laissé derrière (les douleurs étaient sourdes après: on pouvait les tenir), mais une espèce de sentiment de malaise très particulier... il y avait une sorte de méchanceté, comme de grandes griffes pointues qui vous labouraient le ventre. Alors je m'attendais à quelque chose chez toi – d'autres personnes aussi ont été malades qui justement se trouvaient sur le chemin. Mais il a dû y avoir de nombreux cas parce que j'ai vu beaucoup de formations – celle-là a frappé, n'est-ce pas. Et je l’ai vue arriver avec la rapidité du cyclone, et frapper, et aller. Alors quand on m'a dit que tu avais la fièvre, tout de suite j'ai pensé: «C'est ça.»

Tu as eu mal?

Oh! terrible, comme si j'avais le feu en moi.

C'est ça, comme des griffes de fer rouge. Et d'autres aussi ont eu la même chose, exactement la même chose.

J'ai mal dans tout le corps, tous mes muscles, comme si j'avais été battu.

Eh bien, c'est ça, mon petit. Les docteurs diraient que c'était une masse de germes ou de microbes ou de virus (ou de Dieu sait quoi), mais c'étaient des mauvaises volontés vitales – méchancetés vitales –, mais revêtues suffisamment matériellement pour agir directement (Mère frappe): c'était instantané, n'est-ce pas, il n'y a pas eu besoin d'incubation! Instantané, comme si on vous ouvrait le ventre avec une épée enflamée – charmant.

Ça va s'en aller.

Mais j'ai empêché l’effet imédiat (l’effet imédiat était... presque catastrophique), j'ai empêché par mon grand moyen: cette espèce d'immobilité intérieure, et remettre tout au Seigneur. Pourtant, le lendemain, je n'ai pas été bien (je ne suis pas encore tout à fait bien), comme si le corps avait été terriblement secoué.

Puis j'ai vu toutes sortes de choses, oh! bah! bah!... Une organisation adverse dans le vital le plus matériel pour dévoyer les aspirations spirituelles non éclairées: cette nuit, j'ai eu affaire à ça. C'était comme un prédicateur qui enseignait à faire les choses, et il a fallu, à chaque chose, que je contredise et que j'explique – parce qu'il avait tout un public, et c'est un public qu'il a la nuit, et les gens ne sont pas conscients quand ils se réveillent, et ça les influence. Et ça se traduit par une sorte de possession. C'était (oh! je le vois souvent, ce monsieur), c'est un grand être noir – il est noir, il est tout noir –, mais il fait figure de grand Initié auprès des gens! qui ne le voient pas comme il est (ils doivent le voir avec des apparences très attractives) et il vous prêche des choses juste pour aider à la désintégration. Et il vous enseigne en détail comment faire – un très bon professeur de mischief [malfaisance]. Mais j'ai tout discuté avec lui, expliqué en détail, très soigneusement, très consciencieusement, et puis, quand ça a été fini, j'ai tout offert au Seigneur – alors je ne sais pas ce qui lui est arrivé!

On n'est pas du tout content de ce qui se passe ici!

(Mère rit) Ce serait un bon signe, alors.

Oui, mais... Ça secoue un peu les gens.

Ce qui est curieux, c'est que L qui était sur le chemin de cette formation (geste du Sud au Nord), comme toi, a été malade, il a eu la fièvre: la même chose, les mêmes douleurs – des douleurs très particulières. Et U aussi a failli être attrapé; mais la veille, je lui avais expliqué comment se défendre, et il m'a dit qu'il s'était servi de mon moyen et que ça a bien réussi. Je lui avais expliqué comment «passer la chose» au Seigneur (n'est-ce pas, apprendre à la donner); il a essayé, il m'a dit: «Ça a bien réussi, ça ne s'est pas incrusté: un malaise, et puis c'était fini.»

Il faudrait apprendre cela. Si on le fait avec la tête, ça ne sert à rien; ce qui fait quelque chose, c'est quand on peut apporter cette sorte d'immobilité éternelle... alors là, l’effet est imédiat. Mais généralement les gens savent le faire pour les autres et pas pour eux, parce que, pour eux, ils continuent à vibrer – quand on a très mal, c'est difficile d'arrêter ça. Mais on PEUT; c'est au point que même quand la douleur est absolument aiguë, presque insupportable (naturellement on se mettrait à crier), on PEUT, on peut le faire et apporter à l’endroit où est le mal cette immobilité silencieuse – immobilité d'éternité. Très-très vite, en quelques secondes, l’intensité disparaît; il ne reste plus qu'un souvenir, qu'il faut faire attention de ne pas réveiller en y pensant, mais qui reste comme un souvenir dans le corps, comme quand on s'est bien cogné: on s'est donné un bon coup, la douleur aiguë est partie, mais il reste la trace. Ça reste plus ou moins longtemps. Si on se donnait la peine de rester très-très tranquille, immobile, sans rien faire, sans rien penser, sans rien vouloir, assez longtemps, je crois qu'il y aurait très peu d'effet.

Par exemple, c'est au point que, on SAIT que l’on a une fièvre violente (ça vient avec une fièvre violente, une réaction violente), et pourtant il n'y a aucun signe de fièvre! J'en ai fait l’expérience trois, quatre fois: j'ai eu de ces choses qui apportent des crises de fièvre violentes, puis quand le docteur est venu, je lui ai demandé: «Docteur, est-ce que j'ai la fièvre?» (je savais que j'avais la fièvre, je n'avais pas besoin de le demander! une de ces fièvres à très haute température, mais il y a cette immobilité que l’on a mise), le docteur prend le pouls: «Non, ça va bien»!

Évidemment, on peut imiter mentalement, mais c'est seulement une imitation; ce dont je parle, c'est quelque chose d'autre, qui n'a rien à voir avec une volonté mentale – (riant) c'est peut-être un don du Seigneur, je ne sais pas!

30 octobre 1963

(À l’occasion de l’anniversaire du disciple, Mère écrit le message suivant:)

«Un jour viendra où tous les beaux rêves deviendront réels, d'une réalité beaucoup plus merveilleuse que tout ce que nous pouvons rêver.

Avec notre amour et nos bénédictions.»

Je le mets en français, mais c'est quelque chose qui a été dit par Sri Aurobindo pour toi!

J'ai mis «notre», c'est exprès.

Et il l’a dit avec assurance: «Tu lui diras bien ça, qu'il n'oublie pas, que tout ce que l’on a rêvé de plus beau, de plus merveilleux, de plus fantastique, n'est rien à côté de ce qui sera réalisé» – et pourtant ce sera la réalisation des rêves. Mais en beaucoup plus parfait, plus merveilleux, plus complet, plus vivant.

l’autre jour, je me disais: «Qu'est-ce que je vais lui dire?» Et imédiatement, il m'a dit ça: «Il faut lui dire ça.»

Oui, ce sera comme ça.

Oui! évident.1

novembre




4 novembre 1963

(Mère a l’air fatiguée)

Hier, j'avais résolu de voir Sujata, et ils m'ont tenue là à ranger des objets, tout à fait inutilement, sous prétexte qu'ils ont des vitrines et qu'il y a des gens qui vont venir et qu'il faut que les objets soient arrangés dans les vitrines... Après avoir passé plus d'une heure à ce travail, je leur ai dit: «Allez-vous en, j'en ai assez! et... faites comme vous voulez.» J'étais excédée.1

Une avalanche de gens, de lettres, de choses, de complications... Mais en même temps, c'est une avalanche de... (comment dire?) tout-tout devient si nouveau. Tout. Tout.

Un exemple: hier, pendant au moins un quart d'heure, j'étais pleine d'une admiration merveilleuse – émerveillée – devant l’imagination fantastique de la Nature qui a inventé tous les animaux. Je voyais tous les animaux avec tous leurs détails – c'est-à-dire l’âge pré-humain. Par conséquent, il n'y avait pas de mental. Sans mental, cette imagination était si merveilleuse, tu sais! C'était comme si je vivais dedans: il n'y avait pas d'homme, il n'y avait pas de pensée, mais ce pouvoir imaginatif faisant sortir une espèce d'une autre, une espèce d'une autre, et tous ces détails... Et tout devient comme cela, comme si c'était vu pour la première fois et sous un angle tout à fait différent: tout-tout, les caractères des gens, les circonstances, même le mouvement de la terre et des astres, et tout est comme cela, tout est devenu tout à fait nouveau et... inattendu, en ce sens que toute la vision humaine mentale: complètement partie! Alors les choses sont beaucoup mieux! (riant) beaucoup mieux sans le mental humain (je ne veux pas dire qu'elles sont mieux sans l’homme, je veux dire que, vu d'un autre point de vue que le point de vue humain, qui est mental, n'est-ce pas, tout est beaucoup plus merveilleux). Et alors, tous les détails de chaque minute, tous les gens, toutes les choses, tout... Les arbres (Mère regarde le cocotier devant sa fenêtre) dénudés par le cyclone; celui-là qui a tenu le coup si merveilleusement, et qui a une nouvelle fleur – il a de vieilles feuilles toutes abîmées par le cyclone, mais il a une nouvelle fleur. Si joli, si frais!... Tout est comme cela.

Moi aussi. Moi aussi, je suis vue (riant) sous un angle nouveau! Et les choses qui, dans le temps, n'étaient pas positivement des problèmes mais enfin des «questions à résoudre» (certaines actions, certaines relations), tout parti-parti! Et il y a quelque chose qui s'amuse beaucoup – ce quelque chose, je ne sais pas ce que c'est, mais ça s'amuse beaucoup.

Extérieurement, comme je te l’ai dit, ça tombe sur moi (enfin «sur moi», ce n'est pas sur moi), mais sur ce corps qui est obligé de répondre, qui est obligé de lire des lettres, qui est obligé de voir des gens... alors qu'il s'amuse tellement mieux quand il peut justement profiter de l’expérience intérieure, avoir cette nouvelle vision des choses – parce que tout cela est très matériel, ce n'est pas sortir de la Matière pour voir le monde d'une autre façon (ça, ça a été fait depuis longtemps, n'est-ce pas, ce n'est rien de nouveau, et ce n'est pas merveilleux), ce n'est pas ça: c'est la Matière qui se regarde elle-même d'une façon toute nouvelle, et c'est ça qui est amusant! – elle revoit toute l’affaire tout à fait différente. Alors on me replonge dans cette façon idiote de voir les choses, qui est la façon humaine ordinaire où tout devient un problème, une complication. Et je suis obligée – je suis obligée de répondre aux gens, d'écouter quand ils me parlent... C'est dommage.

On me fait perdre mon temps.


(Plus tard, Mère pense à la préparation du prochain «Bulletin» et demande quel est l’Aphorisme suivant.)

95 – C'est seulement en renonçant parfaitement au désir ou en le satisfaisant parfaitement que Dieu peut venir nous embrasser absolument, car, dans les deux cas, la condition première est remplie: le désir meurt.

Il est impossible de satisfaire parfaitement le désir – c'est une chose impossible. Et renoncer au désir aussi: on renonce à un désir et on en a un autre. Par conséquent, les deux sont relativement impossibles – ce qui est possible, c'est d'entrer dans une condition où il n'y a pas de désir.

(long silence)

C'est dommage que je ne puisse pas noter toutes les expériences qui viennent parce que, justement ces jours-ci, pendant une période, il y avait la perception très claire du fonctionnement vrai, qui est l’expression de la Volonté suprême et qui se traduit spontanément, naturellement, automatiquement à travers l’instrument individuel; on pourrait même dire (parce que le mental est tranquille, il se tient tranquille): à travers le corps. Et la perception du moment où cette expression de la Volonté divine est troublée, déformée (distorted) par l’introduction du désir, la vibration spéciale du désir, qui a une qualité tout à fait à elle et qui vient pour beaucoup de raisons apparentes: ce n'est pas seulement la soif de quelque chose, le besoin de quelque chose ou l’attachement à quelque chose; cette même vibration peut être déclenchée par le fait, par exemple, que la volonté exprimée paraît être (ou en tout cas a été prise pour) l’expression de la Volonté suprême, mais il y a eu confusion entre l’action imédiate qui était évidemment l’expression de la Volonté suprême, et le résultat qui devait en découler – c'est une erreur que l’on fait très souvent. On a l’habitude de penser que quand on veut telle chose, c'est cela qui doit venir; parce que la vision est trop courte – trop courte et trop limitée au lieu d'avoir une vision d'ensemble qui ferait voir que cette vibration-là est nécessaire pour déclencher un certain nombre d'autres vibrations et que c'est l’ENSEMBLE de tout cela qui produira un effet, qui n'est pas l’effet imédiat de la vibration émise... Je ne sais pas si c'est clair, mais c'est une expérience constante.

Si je donnais un exemple, ce serait plus facile à saisir, mais il faut que ce soit un exemple vécu, autrement ça n'a pas de valeur.

Mais justement pendant cette période, j'ai fait l’étude et l’observation du phénomène: comment la vibration de désir s'ajoute à la vibration de la Volonté émise par le Suprême (pour les petits actes de tous les jours). Et avec la vision d'en haut (si l’on prend soin, n'est-ce pas, de garder la conscience de cette vision d'en haut), on voit comment cette vibration émise était exactement la vibration émise par le Suprême, mais au lieu d'obtenir le résultat imédiat que la conscience superficielle attendait, c'était pour déclencher tout un ensemble de vibrations et pour arriver à un autre résultat, plus lointain et plus complet. Je ne parle pas de grandes choses ni d'actions terrestres, je parle des toutes petites choses de la vie; par exemple, dire à quelqu'un: «Donne-moi ça», et ce quelqu'un, au lieu de donner ça, ne comprend pas et donne autre chose; alors si l’on ne prend pas soin de garder une vision d'ensemble, il peut se produire une certaine vibration, mettons d'impatience, ou un manque de satisfaction, avec l’impression que la vibration du Seigneur n'est pas comprise et n'est pas reçue; eh bien, c'est cette petite vibration AJOUTÉE, d'impatience (ou en fait, d'incompréhension de ce qui arrive), cette impression d'un manque de réceptivité ou de réponse, qui est de la qualité du désir – on ne peut pas appeler cela un «désir», mais c'est le même genre de vibration. Et c'est cela qui vient compliquer les choses. Si on a la vision complète, exacte, on sait que le «donne-moi ça» produira autre chose que le résultat imédiat, et que cette autre chose amènera une autre chose qui est exactement celle qui doit être. Je ne sais pas si je suis claire, c'est un peu compliqué!... Mais ça me donnait la clef de la différence de qualité entre la vibration de la Volonté et la vibration du désir. Et en même temps la possibilité d'éliminer cette vibration de désir par une vision plus large et plus totale – plus large, plus totale et plus lointaine, c'est-à-dire d'un ensemble plus vaste.

J'insiste là-dessus, parce que ça élimine tout élément moral. Ça élimine cette notion péjorative du désir. De plus en plus, la vision élimine toutes ces notions de bien, de mal, de bon, de mauvais, d'inférieur, de supérieur et tout ça; c'est seulement ce que l’on pourrait presque appeler une différence de qualité vibratoire – «qualité» donne encore l’idée d'une supériorité ou d'une infériorité, ce n'est pas qualité, ce n'est pas intensité, je ne sais le mot scientifique qu'ils emploient pour distinguer une vibration d'une autre, mais c'est cela.

Et alors, ce qui est remarquable, c'est que la Vibration (ce que l’on pourrait appeler la qualité de la vibration qui vient du Seigneur) est constructrice: elle construit et elle est paisible et lumineuse; et cette autre vibration, de désir et autres similaires, complique, détruit et embrouille, tord les choses – les embrouille et les déforme, les tord. Et ça enlève la lumière: ça produit une grisaille, qui peut s'intensifier avec des mouvements violents allant jusqu'à des ombres très fortes. Mais même là où il n'y a pas de passion, où la passion n'intervient pas, c'est comme cela. N'est-ce pas, la réalité physique est devenue seulement un champ de vibrations qui s'entremêlent et qui, malheureusement, s'entrechoquent aussi, sont en conflit; et le choc, le conflit, est un paroxysme de ce genre de trouble, de désordre et de confusion que créent certaines vibrations, au fond qui sont des vibrations d'ignorance (c'est parce que l’on ne sait pas, ce sont des vibrations d'ignorance), et trop petites, trop étroites, trop limitées – trop courtes. Ce n'est plus du tout le problème vu à un point de vue psychologique: ce sont seulement des vibrations.

Si l’on regarde à un point de vue psychologique... Sur le plan mental, c'est très facile; sur le plan vital, ce n'est pas très difficile; sur le plan physique, c'est un peu plus lourd parce que cela fait figure de «besoins». Mais là aussi, il y a eu un champ d'expériences ces jours-ci: l’étude des conceptions médicales et scientifiques de la construction du corps, de ses besoins et de ce qui lui est bon ou mauvais. Et tout ça, réduit à son essence, revient encore à une même question de vibration. C'était assez intéressant: il y a eu l’apparence (parce que toutes les choses telles que les voit la conscience ordinaire sont purement apparentes), il y a eu l’apparence d'un empoisonnement par la nourriture (des champignons qui auraient été mauvais), et alors cela a été l’objet d'une étude particulière pour trouver s'il y avait un absolu dans l’empoisonnement, ou si c'était relatif, c'est-à-dire basé sur l’ignorance et la mauvaise réaction et l’absence de la Vibration véritable. Et la conclusion était ainsi: c'est une question de proportion entre la quantité, la somme des vibrations qui appartiennent au Suprême, et des vibrations qui appartiennent encore à l’obscurité; et suivant la proportion, ça prend l’allure de quelque chose de concret, de réel, ou de quelque chose qui peut être éliminé, c'est-à-dire qui ne résiste pas à l’influence de la Vibration de Vérité. Et c'était très intéressant, parce que, imédiatement, dès que la conscience a été avertie de la cause du trouble dans le fonctionnement du corps (la conscience a perçu d'où ça venait et ce que c'était), imédiatement a commencé l’observation avec l’idée: «Voyons ce qui se passe.» D'abord mettre le corps dans un repos parfait avec cette certitude (qui est toujours là) que rien n'arrive que par la Volonté du Seigneur et que l’effet aussi est la Volonté du Seigneur, toutes les conséquences sont la Volonté du Seigneur, et que, par conséquent, il faut être bien tranquille. Alors le corps est bien tranquille: pas de trouble, il n'est pas agité, pas vibrant, rien – très tranquille. Après cela, dans quelle mesure les effets sont-ils inévitables? Parce qu'une certaine quantité de matière qui contenait un élément non favorable aux éléments du corps et à la vie du corps a été absorbée, quelle est la proportion entre les éléments favorables et les éléments défavorables, ou entre les vibrations favorables et les vibrations défavorables? Et alors j'ai vu très clairement: la proportion diffère suivant la quantité de cellules du corps qui sont sous l’Influence directe, qui répondent seulement à la Vibration suprême, et les autres qui appartiennent encore à la façon ordinaire de vibrer. Et c'était très clair, parce que l’on voyait tous les possibles, depuis la masse ordinaire [des cellules] qui est complètement bouleversée par cette intrusion et où il faut se battre avec tous les moyens ordinaires pour se débarrasser de l’indésirable élément, jusqu'à la totalité de la réponse cellulaire à la Force suprême, qui fait que l’intrusion ne peut avoir aucun effet... Mais ça, c'est encore le rêve de demain – nous sommes en route. Et la proportion est devenue assez favorable (je ne peux pas dire toute-puissante, il s'en faut de beaucoup), mais assez favorable, ce qui fait que les conséquences du malaise n'ont pas duré très longtemps et le dommage a été pour ainsi dire minime.

Mais toutes les expériences en ce moment, l’une après l’autre – toutes les expériences physiques, du corps – amènent à la même conclusion: tout dépend de la proportion entre les éléments qui répondent exclusivement à l’Influence du Suprême, les éléments qui sont moitié-moitié, en cours de route de transformation, et les éléments qui sont encore dans le vieux processus de vibration de la Matière. Le nombre de ceux-là paraît diminuer; il paraît diminuer beaucoup, mais enfin il y en a encore assez pour produire des effets désagréables ou des réactions désagréables – des choses qui ne sont pas transformées, qui appartiennent encore à la vie ordinaire. Mais tous les problèmes, que ce soient des problèmes psychologiques, des problèmes purement matériels, des problèmes chimiques, tous les problèmes se réduisent à cela: ce ne sont rien que des vibrations. Et il y a la perception de cet ensemble de vibrations et de ce que l’on pourrait appeler (d'une façon très grossière et très approximative) la différence entre les vibrations constructrices et les vibrations destructives. Nous pourrons (c'est une façon de parler simplement) dire que toutes les vibrations qui viennent de l’Un et qui expriment l’Unité sont constructrices, et toutes les complications de la conscience ordinaire séparatiste mènent à la destruction.

(long silence)

On dit toujours que c'est le désir qui crée les difficultés (et c'est comme cela, n'est-ce pas). Le désir peut être simplement quelque chose d'ajouté à une vibration de volonté. On dit aussi que rien n'est fait que par la Volonté suprême, et alors comment les deux peuvent-ils être vrais en même temps et se combiner? Et c'est parce que ce problème-là se posait que j'ai trouvé... La volonté (quand c'est la Volonté une, la Volonté suprême qui s'exprime) est directe, imédiate, il n'y a pas d'obstacles possibles; alors tout ce qui retarde, empêche, complique, ou même fait échouer, est nécessairement le mélange du désir.

On voit cela pour tout. Par exemple, prenons un champ d'action extérieur, avec le monde extérieur et les choses extérieures (naturellement, dire que c'est «extérieur», c'est simplement se mettre dans une position fausse), mais par exemple, on dit à quelqu'un dans la conscience la plus haute, celle de la Vérité: «Va (je donne un exemple parmi des millions), va, vois celui-ci, dis-lui ça pour obtenir cela.» Si la personne est réceptive, immobile intérieurement et surrendered [soumise], elle va, elle voit celui-ci, lui dit ça, et la chose se fait – sans AUCUNE complication, «comme ça». Si la personne a une conscience mentale active, n'a pas la foi totale et a tout le mélange de ce qu'apportent l’ego et l’ignorance, elle voit les difficultés, elle voit les problèmes à résoudre, elle voit toutes les complications – naturellement, tout ça se produit! Et alors suivant la proportion (toujours, tout est une question de proportion), suivant la proportion, ça crée des complications, ça prend du temps, la chose est retardée, ou, un peu plus mal, elle est déformée, elle ne se produit pas exactement comme elle doit se produire, elle est changée, elle est diminuée, elle est déformée, ou, finalement, elle ne se fait pas du tout – il y a beaucoup-beaucoup de degrés mais tout ça appartient au domaine des complications (des complications mentales) et du désir. Tandis que l’autre manière est imédiate. Des exemples de ces cas sont innombrables (de tous les cas) et aussi du cas imédiat; alors les gens vous disent: «Oh! vous avez fait un miracle!» – Il n'y a pas de miracle fait: c'est comme cela que ça devrait être toujours. C'est que l’intermédiaire ne s'est pas ajouté à l’action.

Je ne sais pas si c'est clair, mais enfin...

Donc, depuis la plus petite chose jusqu'à des choses même terrestres... Je ne veux pas du tout être personnelle, par conséquent je ne raconte pas, mais il y a eu des exemples amusants comme, par exemple, de faire prendre des décisions à des gens comme des présidents d'État, des premiers ministres – si on a le bon intermédiaire.

Ça peut aller jusqu'à une action terrestre.

Et il y a l’exemple, dans l’action terrestre, de choses qui ont été faites «comme cela»: personne n'a compris comment ça s'est fait, pourquoi ça s'est fait – comme cela, si simplement, tout simplement, tout s'est arrangé. Et dans d'autres cas, pour obtenir un simple visa ou un permis, il faut soulever des montagnes! Alors, depuis la plus petite chose, le plus petit malaise physique, jusqu'à l’action la plus mondiale, c'est tout le même principe, tout se réduit au même principe.

Naturellement quand on a l’expérience, c'est très facile à comprendre, mais c'est difficile à expliquer (je ne crois pas d'ailleurs que l’on puisse mettre ça dans un Bulletin).

Si, c'est clair!

Oh! incompréhensible.

Si.

Enfin... J'ai essayé d'enlever le plus possible de l’élément personnel.

C'est clair.

C'est clair, oui?... Bon (riant), alors c'est bien!2

13 novembre 1963

(À propos d'un ancien «Entretien» de 1951, 8 janvier, où Mère disait: «Il semble que l’histoire de la terre soit une histoire de victoires suivies de défaites et non de défaites suivies de victoires... [Mais] en vérité, les mouvements de la Nature sont comme ceux des marées: ça avance, ça recule, ça avance, ça recule... ce qui implique, dans la vie universelle, et même dans la vie terrestre, une avance progressive bien qu'elle soit en apparence coupée de reculs. Mais ces reculs ne sont qu'une apparence, comme lorsqu'on prend son élan pour faire un saut. Vous avez l’air de reculer, mais c'est simplement pour pouvoir aller plus loin. Vous me direz que tout cela est fort bien, mais comment donner à un enfant la certitude que la vérité triomphera? Car, quand il apprendra l’Histoire, quand il observera la Nature, il verra que les choses ne finissent pas toujours bien.»)

(Mère reste songeuse)

Au fond, tant qu'il y a la mort, les choses finissent toujours mal.

Ce n'est que la victoire sur la mort qui fera que les choses ne finissent pas mal... c'est-à-dire quand le retour dans l’Inconscience ne sera plus nécessaire pour permettre un nouveau progrès.

Tout le processus de développement, au moins terrestre (je ne sais pas comment ça se passe sur les autres planètes) est comme cela. Et peut-être (je ne connais pas bien l’histoire de l’astronomie), les univers aussi – est-ce qu'ils savent si des univers périssent physiquement, s'il existe l’histoire physique de la fin d'un univers?... Les traditions vous disent qu'un univers est créé, puis qu'il est retiré dans le pralaya, puis un nouveau vient; et d'après eux, nous serions le septième univers, et étant le septième univers, nous sommes celui qui ne retournera pas dans le pralaya mais qui progressera constamment, sans recul. C'est pour cela, d'ailleurs, qu'il y a dans l’être humain ce besoin de permanence et d'un progrès ininterrompu – c'est parce que le moment est venu.

(Mère reste en contemplation)

20 novembre 1963

Alors, quoi de neuf? Ça va?

Comme ça.

Pas trop bien?

Pas trop.

La santé n'est pas bonne?

Pas trop non plus.

Qu'est-ce qu'il y a?

Intérieurement aussi.

Ah! c'est pour cela, alors! Et qu'est-ce qu'il y a intérieurement?

Tu ne veux pas dire?

Je suis un peu... désillusionné.

Par quoi?

Ma foi ne varie pas, mais j'ai l’impression qu'en dehors d'un certain nombre de choses que je dois faire et pour lesquelles je reçois une aide précise, une aide vraiment d'en-haut, pour le reste, rien. Tu comprends, voilà dix ans que je suis ici, eh bien, il n'y a rien – ce n'est pas que je manque de foi, mais il n'y a pas de développement.

Peut-être pas le développement que tu attends.

Enfin, pour moi, il s'agit d'un développement de conscience: on voit. Je ne sais pas, on doit voir!

Ah! c'est toujours cette question de «voir».

Mais oui!

Mais ce n'est pas nécessaire, il y a des gens qui réalisent sans voir

Ça me semble tout à fait incomplet. Il n'y a pas de conscience.

Pas de conscience?

Non.

Tu n'est pas conscient?

De quoi??

(silence)

Ma foi ne change pas: c'est la Vérité, il n'y a aucun doute; même si rien n'arrivait pendant deux siècles, ce serait quand même la Vérité, mais...

Oh! deux siècles, ce n'est rien! deux millénaires, mon enfant, voyons... Tu es trop pressé.

Vraiment il me semblait... Quand j'ai commencé le yoga, ça me semblait tout à fait naturel: on fait telle chose et on arrive à tel résultat – ça me semblait évident. C'est cette évidence qui est ébranlée.

Oui, c'est ce que j'ai senti. Figure-toi que ces derniers temps, depuis deux ou trois semaines à peu près, il y a comme un craving [désir, soif] pour des effets (ce que tu appelles des «résultats», toi), des effets. Pour moi, c'étaient des «effets». Et je me disais: «C'est drôle, je n'ai jamais eu cela de ma vie, ça m'est tout à fait égal, pourquoi ce besoin?» – Tout le temps j'attrape tes maladies! Dis-moi, ce n'est pas gentil! (rires)

Ah! je comprends maintenant, je me disais: «D'où ça vient, d'où ça vient?...»

Bien.

Eh bien, ça passera. Ça va passer.

(silence)

On m'a fait voir d'une façon tout à fait objective, mais ténue, des effets qui sont insignifiants par leur dimension, et formidables, tu entends, formidables par leur qualité. Et avec un sourire, comme si on se fichait de moi, en me disant: «Ah! tu veux des résultats, tiens, voilà; tu veux des effets, tiens, les voilà.» Et alors on ajoutait (tu sais ce que j'appelle «insignifiant», c'est ce qui concerne les toutes petites circonstances de toutes les minutes de la vie): «Tu veux des résultats terrestres? Eh bien, ceux-là sont beaucoup plus considérables, dans leur qualité, que ce que tu vois.» Et en effet, j'ai vu des petites, toutes petites choses, justement des mouvements de conscience dans la Matière, des toutes petites choses qui étaient... vraiment ahurissantes dans leur qualité, et que l’on ne remarque jamais parce qu'elles n'ont aucune importance (aucune importance extérieure); ce n'est que si l’on observe d'une façon tout à fait ténue que l’on s'en aperçoit, c'est-à-dire, justement, des phénomènes de conscience des cellules – tu es conscient de tes cellules?

(Le disciple hoche la tête)

Non. Eh bien, deviens conscient de tes cellules et tu verras qu'il y a des résultats!

Tous ces jours-ci, ça vient comme... comme des preuves, des preuves accablantes pour le doute: des preuves de l’omniprésence du Suprême dans la Matière la plus inconsciente en apparence – quelque chose de tellement formidable que la raison raisonneuse peut à peine le croire. Mais elle est obligée. Seulement, n'est-ce pas, on s'en aperçoit quand on est arrivé à ce degré d'attention tout à fait ténue et qu'au lieu de vouloir des grandes choses qui font beaucoup de bruit, beaucoup de mouvement et qui ont des apparences très éblouissantes, on se contente d'observer des toutes-toutes petites, toutes petites choses, qui pour notre prétentieuse raison sont tout à fait insignifiantes, mais qui pour le Suprême sont des preuves accablantes.

Mais je n'ai pas besoin de preuves! – Je ne doute pas une seconde, il n'y a pas un doute dans ma conscience.

Alors qu'est-ce qui te manque?

Eh bien, je me dis que je ne vaux rien! Je ne suis pas capable. C'est tout.

Mais ce n'est pas vrai!

Alors pourquoi ne suis-je pas conscient?

Mais c'est un mensonge, mon petit!

Mais je ne sais rien de ce qui se passe. Je me réveille le matin, je ne sais pas une seconde où j'ai été dans la nuit, par exemple.

Et moi qui essaye de ne jamais me souvenir!... J'ai toutes les peines du monde à y réussir – j'y réussis, je commence à réussir. Je me couche en me disant: «Pour l’amour du ciel! pour l’amour de Toi, Seigneur, laisse-moi me reposer béatifiquement et tranquille sans être consciente de,., tout ce fatras inutile de la vie et des gens.» Et quand je me réveille (je me réveille à peu près quatre ou cinq fois dans la nuit, c'est-à-dire que je sors de ma transe et entre dans la conscience extérieure), chaque fois je m'aperçois qu'il y avait un événement, mais imédiatement il y a quelque chose qui vient et qui fait brrt!... (geste d'effacer), parce que j'ai demandé, alors ça s'en va. Et Il est plein d'humour, tu sais, le Seigneur (Mère rit), beaucoup plus que nous le croyons, parce qu'il me fait juste sentir quelque chose qui, tout d'un coup, est extrêmement intéressant et révélateur (l’autre jour, j'avais été mise en rapport avec les circonstances politiques du pays), puis naturellement, sur ma demande imbécile, dès que je me suis réveillée, dès que j'ai repris la conscience extérieure, il y a quelque chose qui est venu, qui a fait brrt!... et c'est parti. Alors j'ai fait un petit essai, mais j'ai entendu quelqu'un qui riait, qui disait: «Tu vois!...»

Au fond, la conclusion de tout cela, c'est que nous sommes des idiots! que nous voulons ce que l’on ne nous donne pas, que nous ne voulons pas ce que l’on nous donne, que nous mélangeons toutes sortes de désirs personnels au soin que le Seigneur prend de nous.

Mais je ne peux pas appeler l’inconscience un «soin»! Quand je suis inconscient, je sens cela comme une chose qui n'est pas bien!

Mais tu es inconscient??

Mais oui, de quoi suis-je conscient?...

Mon petit...

Je suis conscient de mon propre bruit, de mon propre vacarme, de mes histoires, c'est de cela dont je suis conscient!

(Mère rit) Je me souviens, ce n'était pas pendant la nuit, c'était pendant le jour, pendant que je marchais, le Seigneur m'a fait des compliments de toi.

Eh bien, alors!...

Pas comme cela, pas comme nous entendons les compliments, non. Je m'occupais de la façon dont la Vérité doit utiliser les capacités mentales pour s'exprimer (parce qu'on vous demande de faire taire le mental, et quand on y arrive, on y arrive très bien, mais ce n'est pas le but: c'est seulement un moyen, c'est pour changer sa façon de fonctionner), alors je regardais la façon dont le mental doit fonctionner dans la vie vraie (la vie supramentale puisque Sri Aurobindo a dit qu'il appelait «supramental» la manifestation de la Vérité et de la Lumière). Bon, je regardais. Je faisais une sorte d'inspection terrestre et j'étais en train de me demander: «Y a-t-il sur la terre des mentalités qui sont prêtes à pouvoir recevoir et à manifester – surtout manifester – convenablement cette vibration-là?» Et j'ai entendu le Seigneur qui m'a dit quelque chose (je traduis naturellement): «Mais pourquoi cherches-tu si loin? Tu as près de toi l’instrument convenable.» Et c'était toi. Alors je me suis dit: «Ça va bien.»

Je n'ai émis aucun doute sur Son jugement!

Mais puisque tu protestes ou piaffes... Et Il m'a montré comment la goutte de Lumière venait éclater et faisait des radiations et passait à travers ta mentalité sans s'obscurcir – c'était très joli à voir.

Je ne le disais pas parce que... est-il nécessaire de faire des compliments? Le fait était plus important que cela ne valait la peine de le dire. Mais puisque tu n'es pas content, alors je te dis: voilà. C'est peut-être une habitude de révolte intérieure – tu n'es pas un révolté de nature?

J'ai cherché pourquoi ta vie physique a commencé (enfin, pas tout à fait commencé mais très-très jeune malgré tout) par une expérience si douloureuse (les camps de concentration). Et j'ai vu le pourquoi: c'était comme une séparation (ce n'est pas séparation), disentanglement [démêlement], tu comprends?... Il y a deux choses dans tous les êtres humains: ce qui vient du passé, qui a persisté parce que c'est formé et conscient, et puis toute cette masse obscure, inconsciente, et vraiment bourbeuse, qui s'ajoute à chaque vie; alors l’autre entre dedans et se trouve tout emprisonné, n'est-ce pas – mélangé, emprisonné –, et généralement il faut plus de la moitié de la vie pour sortir de cet encombrement. Eh bien, on a pris soin de... plus que te doubler la dose au commencement, et ça a fait une sorte d'arrachement: une partie qui est partie en haut, et une partie qui est tombée en bas. Et la partie (ça a agi presque comme un filtre), la partie qui s'est levée était très clarifiée, très clarifiée de tout ce remous: ça devient très-très conscient de ce mélange... Tiens, aujourd'hui, toute la matinée jusqu'à ce que les gens m'accablent sous le travail, jusque là c'était très conscient de la partie qui appartient encore, justement, à l’Inconscience, à l’Ignorance, à l’Obscurité, à la Stupidité, qui est... même pas aussi harmonieuse que les arbres ou qu'une fleur; quelque chose qui n'est même pas aussi tranquille que la pierre, même pas aussi harmonieux et même pas aussi fort que l’animal – quelque chose qui est vraiment une déchéance. Ça, c'est vraiment l’infériorité humaine. Et peut-être que (non, je ne devrais pas dire peut-être: je sais), c'était nécessaire pour, justement, que les choses se décantent – se décantent, tu sais quand on laisse un liquide se décanter? – C'est tout à fait cela; c'est la Lumière qui se décante, la Conscience qui se décante. Et alors c'est vrai, il y a une partie qui est tout à fait décantée chez toi; chaque fois que je la vois (n'est-ce pas, ça entre dans le travail), c'est joli comme qualité de lumière, comme qualité de vibration, et c'est très décanté. Mais c'est vrai qu'il y a aussi une sorte de sédiment, un dépôt (tu sais le dépôt?) qui est un peu lourd – c'est ça dont tu es conscient.

Mais il ne faut pas dire «moi»! Ce n'est pas toi, ce résidu n'est pas toi!... Mais tu es bien conscient de la Lumière?

Oui, je suis conscient de cela quand j'écris, par exemple.

Oui, ou quand tu médites.

Oui, mais c'est tout. C'est une lumière ou une force.

Mon petit, c'est joli comme tout! C'est pétillant comme du champagne – c'est joli comme tout, et c'est de la lumière. Tu sais la mousse de champagne? C'est une mousse de lumière.

Mais pourquoi cela ne se traduit-il pas par une conscience extérieure éveillée?

Parce que c'est décanté! Alors il faudrait arriver à cette conscience ou à cette connaissance que ça (le corps), ce n'est pas toi – le malheur, c'est que quand tu dis «toi», tu penses à ça (Mère frappe son corps), mais ce n'est pas ça! ce n'est pas toi! Et il faut que tu sentes que ce n'est pas toi avant que tu puisses redescendre dedans prendre possession et le changer. Tant que tu dis: «Ça, c'est moi», tu es lié, ligoté.

Ce qui est toi, c'est ça (geste au-dessus de la tête), c'est là: ce qui pétille dans la lumière – ça, c'est toi. Ça (le corps), ce n'est pas toi, c'est le sédiment. Tu as encore l’amour-propre de ton corps! Il faudrait que tu sentes: ce n'est pas moi, ce n'est pas moi. C'est... oui, ce qui a été assemblé plus ou moins maladroitement, d'une façon ignorante, par le père, la mère, peut-être avec l’influence des grands-parents... Cette découverte-là, je l’ai faite vers l’âge de 15 ou 16 ans, ou 17 ans; j'ai commencé à voir clairement tous les «cadeaux» (si l’on peut appeler ça des cadeaux) qui m'ont été faits par père, mère, parents, grands-parents, éducation, gens qui se sont occupés de moi, toute cette espèce de bourbier dans lequel on tombe la tête la première. Et alors, la qualité de la vibration et la qualité des sensations, des soi-disant «pensées» (qui ne sont pas des pensées, qui sont des sortes de réflexes mentaux presque automatiques) et des sentiments (si l’on peut appeler ça des sentiments: ce sont des espèces de réactions au milieu et à ce qui vient du dehors), tout ça, ça grouille – tu sais, ça grouille comme des vers dans de la boue.

Quand on voit comme cela et que l’on commence à dire: «Mais ce n'est pas moi!» et qu'on sent que ce n'est pas moi: «Ce n'est pas moi! non. – Moi, c'est ce qui regarde; moi c'est ce qui veut, moi c'est ce qui sait...»

Tu dois avoir des révélations et ne pas même t'en apercevoir! Tu as tout ça, là (geste au-dessus de la tête du disciple), c'est plein de révélations, mon petit! Alors tu es là à chercher à voir avec des yeux du vital, à avoir des expériences dans le physique subtil, toutes sortes de choses, qui ne peuvent pas venir parce que tu es là (geste au-dessus), et que ça, c'est le sédiment.

(silence)

Mais je ne sais pas, il est évident que ton cas intéresse particulièrement le Seigneur, parce qu'il m'a montré beaucoup de choses de ta vie corporelle, de tes réactions corporelles – Il doit être en train de s'occuper de toi! (Riant) Peut-être que si tu lui fais crédit, tu t'en apercevras!

Je me mets plutôt en rogne, je me fâche, je l’attrape.

Oh! tu rognes toujours – tu es un révolté de nature.

C'est ennuyeux, on perd son temps.

(silence)

Mais ce doit être le temps du changement, parce qu'il m'a été présenté le pire – ton état pire –, et puis ce que tu dois être. Au fond, je m'aperçois maintenant (riant) que je me suis beaucoup occupée de toi ces jours-ci.

Je dois dire que ce n'est pas joli, ce que je vois.

On est né avec... (comment dire?) some special twist [une torsion spéciale], chacun est né (riant) tordu d'une façon spéciale – je le connais mon tordu, je le connais bien! (Je n'en parle pas parce que ce n'est pas amusant.) Mais c'est ce qui reste en dernier. Dans notre logique humaine imbécile, nous nous disons: «C'est ce qui devrait partir le premier», mais ce n'est pas vrai: c'est ce qui part en dernier! Même quand tout cela devient clair-clair (geste en haut), même quand on a les expériences, l’habitude reste, et ça revient. Alors on le pousse: ça remonte du subconscient; on le chasse: ça revient du dehors; ou alors si une minute on n'est pas sur ses gardes, ça ressort comme cela – et c'est agaçant! Mais Sri Aurobindo a écrit cela quelque part, je ne me souviens plus des mots, je l’ai lu tout dernièrement, et quand je l’ai lu, je me suis dit: «Ah! voilà! lui, il savait que c'était comme cela.» Alors ça m'a consolée et je me suis dit: «Bon.» Il disait que celui qui a purifié son mental, etc., etc., qui est prêt pour travailler à la Perfection (c'est dans La Synthèse, «La Perfection de soi»), «Il est prêt et patient pour les rechutes et la réapparition des vieilles erreurs, et il travaille tranquillement et attend patiemment que l’heure de leur départ soit arrivée.» Je me suis dit: «Bien, maintenant c'est comme cela.» J'attends tranquillement que l’heure... (mais je ne manque pas une occasion de les attraper par le bout du nez, ou par le bout de l’oreille, et de dire: «Ah! tu es encore là...»).

La première chose, c'est de détacher sa conscience, c'est tout à fait important; de dire: je-ne-suis-pas-ça, c'est quelque chose qui a été ajouté, mis pour pouvoir toucher la Matière – mais ce n'est pas moi. Et alors si tu dis: «Ça, c'est moi» (geste en haut), tu verras que tu seras content, parce que c'est joli – c'est joli, c'est lumineux, c'est pétillant. C'est vraiment bien, c'est d'une qualité exceptionnelle. Alors ça, c'est toi. Mais il faut que tu dises: «Ça, c'est moi» et que tu sois convaincu que c'est toi. Naturellement, les vieilles habitudes viennent contredire, mais il faut savoir que ce sont de vieilles habitudes, c'est tout, ça n'a aucune importance – ça, c'est toi.

C'est un mouvement indispensable. Il y a un moment où il faut absolument se séparer de ça, parce que c'est seulement quand on s'est séparé et que l’on est bien conscient qu'on est là (geste au-dessus de la tête), qu'on est Ça, qu'alors on peut redescendre et le changer. Ce n'est pas pour l’abandonner: c'est pour être son maître.

J'ai passé des nuits dans des égoûts, à nettoyer des égoûts.

Ah c'est bien! (Mère rit) Oh! mais c'est très amusant parce que j'ai fait des choses identiques. Écoute... Ah bien! c'est très amusant.

Ça va, ça va.

Il faut durer. La victoire est au plus endurant.

Il y a des moments où on est dégoûté, et c'est à ce moment-là qu'il faut se souvenir de ça. Maintenant, ton dégoût peut avoir ses raisons (!) Mais tu n'as qu'à durer. Tu sais, il y a une chose, je ne sais pas si tu en goûtes la saveur encore: dès que l’on a une difficulté, une insatisfaction, une révolte, un dégoût – n'importe –, une fatigue, une tension, un malaise, tout-tout ce côté négatif (il y en a beaucoup-beaucoup-beaucoup comme cela; ça prend toutes sortes de couleurs différentes), ce mouvement imédiat – imédiat – d'appeler le Seigneur, de dire: «À Toi.» Tant que l’on essaye (instinctivement on essaye d'arranger les choses avec sa meilleure lumière, sa meilleure conscience, sa meilleure connaissance...), c'est idiot, parce que ça prolonge la lutte, et au fond ce n'est pas très efficace; il n'y a qu'une chose efficace, c'est de faire un pas en arrière de ce qui encore s'appelle «moi» et... (sans mots ou avec des mots, ça ne fait rien), mais surtout avec la flamme d'aspiration, ça (geste au cœur), et une chose tout à fait, tout à fait sincère: «Seigneur, c'est Toi; et Toi seul Tu peux faire, il n'y a que Toi qui puisses le faire, moi je ne...» C'est épatant, tu ne peux pas t'imaginer comme c'est épatant! N'est-ce pas, quelqu'un vient, vous assomme avec des histoires insupportables, veut que vous preniez des décisions imédiates; il faut écrire, il faut répondre, il faut dire – tout ça – et c'est comme des tombereaux que l’on vous jette dessus, d'obscurité, de stupidité, de mauvais mouvements, de tout ça; et alors ça tombe, ça tombe, ça tombe – on est comme lapidé avec tout ça. On commence à se raidir, on est dans une tension; alors, tout de suite (geste de retrait): «O Seigneur...» On reste tranquille, on recule un tout petit peu (geste d'offrande): «À Toi.»

Mais tu ne peux pas t'imaginer, c'est merveilleux! IMédiatement vient – clair, simple, sans fatigue, sans recherche –, exactement ce qu'il faut faire, ou ce qu'il faut dire, ce qu'il faut écrire – toute la tension est arrêtée, c'est fini. Et puis alors, si l’on a besoin d'un papier, le papier se trouve là; si l’on a besoin d'un porte-plume, c'est justement celui-là que l’on trouve; on a besoin de... – on ne cherche pas: surtout ne cherche pas, n'essaye pas de chercher, tu fais une autre bouillie – et c'est là. Et ça, c'est le fait de CHAQUE MINUTE. On a le champ d'expérience à chaque seconde. Par exemple, tu as affaire à un domestique qui ne fait pas les choses comme il faut ni comme tu penses qu'elles doivent être faites, ou tu as affaire à un estomac qui ne fonctionne pas comme tu veux et qui te fait mal: c'est le même procédé, il n'y a pas d'autre procédé. N'est-ce pas, il m'arrive... les situations sont si tendues qu'on a l’impression que l’on va s'évanouir, le corps ne peut plus supporter, c'est si tendu; ou c'est une douleur, c'est une chose qui ne va pas, un arrangement qui ne se fait pas, et il y a une tension; alors imédiatement on arrête tout: «Seigneur, Toi, c'est à Toi...» Ça commence par une paix, comme si l’on était tout à fait hors de l’existence, et puis c'est parti – le mal s'en va, le vertige disparaît. Et ce qui doit arriver arrive automatiquement. Et ça, n'est-ce pas, ce n'est pas dans la méditation, ce n'est pas dans des actions d'importance terrestre: c'est le champ d'expérience que l’on a tout-le-temps, sans interruption – quand on sait s'en servir. Et pour tout: quand on a mal, par exemple, que ça tire, que ça grince, que ça hurle là-dedans, au lieu de dire: «Oh! comme j'ai mal!...», on appelle le Seigneur là-dedans: «Entre-là», et puis on se tient tranquille, on ne pense plus à rien – simplement, on reste immobile dans sa sensation. Et il m'est arrivé plus de mille fois, tu sais, une espèce d'ahurissement: «Tiens! la douleur est partie!» On ne s'est même pas aperçu comment c'est parti. Alors les gens qui veulent avoir une vie spéciale ou une organisation spéciale pour avoir des expériences, c'est tout à fait idiot – la plus grande diversité d'expériences est à votre disposition à chaque minute, à chaque minute. Seulement, il faut savoir ne pas avoir l’ambition mentale des «grandes» choses. Justement on m'a montré l’autre jour, d'une façon si claire, une toute petite chose que j'avais faite («j'avais», c'est le corps qui parle), une toute petite chose qui avait été faite par le Seigneur dans ce corps (ça fait une longue phrase!) et cette toute petite chose, on m'a montré la conséquence terrestre – c'était visible, n'est-ce pas, comme ma main est visible à mes yeux, et la correspondance terrestre. Alors j'ai compris.

On nous donne tout – tout. Toutes les difficultés à vaincre, toutes (et plus nous sommes capables, c'est-à-dire plus l’instrument est complexe, plus les difficultés sont multiples), toutes les difficultés, toutes les occasions de les vaincre, toutes les expériences possibles, et réduites dans le temps et dans l’espace de façon à pouvoir être innombrables. Et ça a ses répercussions et ses conséquences sur la terre tout entière (je ne m'occupe pas de ce qui se passe dans l’univers parce que, pour le moment, ce n'est pas mon travail); mais il est certain (parce que cela a été dit et je le sais) que ce qui se passe sur la terre a ses répercussions dans l’univers tout entier. Assise là, tu vis la vie de chaque jour dans son insignifiance habituelle, son manque d'importance, son manque d'intérêt... et c'est un champ merveilleux d'expériences! d'expériences innombrables, et non seulement innombrables mais des plus variées possibles, depuis les plus subtiles jusqu'aux plus matérielles, sans sortir de son corps. Seulement, il faut y être revenu. On ne peut pas avoir l’autorité sur son corps sans l’avoir quitté.

Quand le corps n'est plus vous, du tout: c'est quelque chose qui a été ajouté et plaqué sur vous; quand c'est comme cela et qu'on le regarde d'en haut (un «haut» psychologique), alors on peut y redescendre en maître tout-puissant.

Il faut commencer par sortir, puis on redescend.

Voilà.

Et il faut aussi regarder toutes ces difficultés, ces mauvaises habitudes (comme toi, cette habitude de révolte: c'est une chose qui semble avoir été pétrie dans les cellules de ton corps), il faut regarder tout ça avec le sourire de quelqu'un qui dit: «Je ne suis pas ça. Ah! on m'a mis ça!... Ah! ça a été ajouté...» Et tu sais, ça a été ajouté... parce que c'est l’une des victoires que tu dois remporter.

J'ai assisté au panorama le plus complet de toutes les imbécillités de cette vie,1 ça m'a été présenté comme un panorama complet: passer de l’une à l’autre, les voir toutes, séparément et comment elles se combinent. Et alors, pourquoi? pourquoi choisir ça? (question d'enfant, que l’on commence par poser), et imédiatement la réponse: «Mais plus l’origine est (disons «centrale», c'est plus clair), plus l’origine est centrale et pure dans son essence, plus ce que nous pourrions appeler «l’ignoble complexité en bas» est grande; parce que plus c'est bas, plus ça nécessite une lumière essentielle pour se changer.»

Une fois que l’on vous a très gentiment dit ça, alors on est satisfait, on ne se tourmente plus – c'est bon, on prend les choses comme elles sont: «C'est comme cela, c'est mon travail, et je le fais; je ne demande qu'une chose, c'est de faire mon travail, tout le reste n'a pas d'importance.»

Voilà, mon petit.

Oh! tu m'en as fait parler!2

23 novembre 1963

Kennedy a été assassiné, cela veut dire la possibilité de la guerre.

C'était l’un des instruments de l’établissement de la paix – c'est un recul pour toute l’histoire politique de la terre.

Mais probablement, au fond, c'est que les choses n'étaient pas prêtes: certaines parties seraient restées en plan.

Mais cela m'avait été dit il y a quelques semaines, le mois dernier, quand je faisais le tour d'horizon; j'ai entendu quelqu'un qui disait («quelqu'un», c'est une façon de dire, je sais qui): Kennedy won't be able to do it [Kennedy ne pourra pas le faire]. J'avais pensé que l’instrument était trop petit, mais je n'avais pas pensé à ça.

Et puis cinq de nos chefs de l’aviation ont été tués dans un accident d'hélicoptère – les hélicoptères n'ont jamais d'accident, et c'étaient les meilleurs pilotes possibles. C'est un sabotage – les communistes sabotent beaucoup. Alors cela fait deux accidents coup sur coup.

Mais ces accidents arrivent toujours au moment de Kali, en novembre: octobre-novembre.

Novembre et février.

Février aussi?

Les révolutions, les grandes grèves, les événements INTÉRIEURS dangereux, c'est toujours juste avant le 21 février. Et les catastrophes de ce genre, en novembre – toujours.

Sri Aurobindo disait aussi que la période de l’année la plus difficile est de novembre à février.

(silence)

Il faut s'élargir et durer, c'est tout. C'est la seule leçon à apprendre: élargissement et endurance – durer-durer-durer.

Quant à l’accident ici (les cinq chefs d'armée), ceux qui ont été tués étaient des pilotes de premier ordre; il y a tout lieu de penser que c'est un sabotage. Encore la même chose.

Les communistes ici sabotent partout (ils sabotent la poste aussi, c'est embêtant), ils sabotent beaucoup, ils sabotent partout.

Enfin voilà, il n'y a qu'à attendre, durer, et puis, de plus en plus, s'élargir.

(silence)

Kennedy won't be able to do it [Kennedy ne pourra pas le faire]... D'après la constitution américaine, c'est le vice-président qui devient automatiquement président, la minute suivante; et ce vice-président était le symbole de l’opposition à Kennedy. Et dans son parti même, parmi les démocrates, il y avait déjà une division.

Bien.1

Alors qu'est-ce que tu apportes?

Rien, douce Mère, sauf des Agenda.

Ça va paraître du rabâchage bientôt – les choses vont vite.

(silence)

Hier, tu étais mieux n'est-ce pas?

Oui, mieux.

J'ai senti même quelque chose qui s'est soulevé: j'ai pressé dur-dur, et hop! ça s'est soulevé.

Mais je sens une ombre bien noire qui me suit.

Toujours?

Pas comme autrefois.

Non. Tu sais, ce qui donne de la force à l’opposition, c'est l’ignorance superstitieuse – superstitieuse au sens d'une sorte de foi, ou tout au moins de croyance dans le Destin, la Fatalité. C'est ingrained [invétéré], comme tissé dans la substance humaine. Ils ont la même superstition, la même croyance superstitieuse dans ce qui leur est favorable comme dans ce qui leur est défavorable; dans la Puissance divine comme dans la puissance adverse – c'est la MÊME attitude. Et c'est pour cela que la Puissance divine n'a pas son plein pouvoir, et c'est pour cela justement que la force adverse a tant de pouvoir sur eux, parce que c'est un mouvement absolument de Mensonge, d'Ignorance – d'Ignorance totale.

Ces jours-ci, j'étais en train de suivre ça dans le tout petit détail, dans la mentalité de tous. Même ceux qui ont lu Sri Aurobindo, qui ont étudié Sri Aurobindo, qui ont compris, qui sont entrés en rapport avec cette région de lumière, c'est encore là – c'est encore là. C'est très... oui, c'est tissé très étroitement avec la partie la plus extérieure, la plus matérielle de la conscience. C'est une sorte de soumission, qui peut être très révoltée mais qui est une impression, justement de quelque chose qui pèse sur la tête et sur les épaules, et qui est une sorte de Fatalité, de Destin.

Alors il y a le bon destin, il y a le mauvais destin; il y a une force divine que l’on considère tout à fait comme quelque chose que l’on ne comprend pas, qui a des intentions et des buts tout à fait inexplicables, et la soumission, le «surrender» consiste en une acceptation – aveugle – de tout ce qui arrive. La nature se révolte, mais se révolte contre un Absolu contre quoi elle ne peut rien. Et tout ça, c'est de l’Ignorance. Il n'y a pas un seul de tous ces mouvements qui soit vrai – depuis la révolte la plus intense jusqu'à la soumission la plus aveugle, c'est tout faux, pas un seul mouvement vrai.

Je ne sais pas si c'est dans ce que Sri Aurobindo a écrit (je ne me souviens pas), mais j'entends très fort (pas pour moi: pour l’humanité):

ÉVEILLE-TOI ET VEUX

Naturellement les hommes prennent «veux» pour leurs velléités, qui n'ont rien à voir avec une volonté: toutes des impulsions.

«Veux», ça veut dire «veux de la Volonté suprême». Et ça, c'est comme si c'était la clef qui ouvre la porte de l’avenir:

ÉVEILLE-TOI ET VEUX

Et garde-toi bien de vouloir de travers parce que ce n'est plus une volonté, c'est de la velléité – ne confonds pas. Veux de la Volonté suprême.

Il ne faut pas courber les épaules – ça vous fait ronchonner terriblement au-dedans et ça ne sert à rien.

Oh! (Mère redresse la tête) ce sentiment comme cela: passer la tête au-dessus de tout ça, émerger là-haut...

Mais on est tellement-tellement l’esclave de toutes petites choses – les toutes petites choses du corps: les besoins (censément des besoins). Je vois tout ce qui vient de supplications de partout, et ça tourne toujours autour de la même chose (même chez ceux qui croient avoir compris que la conscience doit être générale – pas collective mais mondiale –, ils sont esclaves des réactions de leur corps), ça tourne autour de deux choses: sommeil-nourriture-sommeil-nourriture-sommeil... (Mère dessine un rond). Et même ceux qui professent de n'avoir «aucun intérêt» pour ces choses, ça a encore le pouvoir de réagir sur leur conscience: une nuit sans sommeil ou un manque de digestion, ou un fonctionnement détraqué dans le système digestif – voilà. Ça a le pouvoir de presser sur la foi et de lui enlever sa capacité d'action. C'est une sorte d'attachement – d'attachement involontaire et mécanique – à ce besoin de sommeil et ce besoin de nourriture. Et je ne parle pas des gens qui aiment manger ou des gens qui sont paresseux et qui veulent dormir – je ne parle même pas de cela, qui est tout en bas, ce n'est pas cela: ceux que la nourriture n'intéresse pas et ceux qui voudraient bien remplacer le sommeil par quelque chose d'autre, de plus intéressant, même chez ceux-là – tous-tous-tous.

Et même ce corps, qui depuis des années est travaillé, trituré... C'est dans le subconscient du corps. Et alors c'était cela, la réponse, c'était au corps que c'était dit:

ÉVEILLE-TOI ET VEUX

(silence)

Et comme d'habitude, c'était plein d'humour; quelque chose disait: «Tu grognes tout le temps, tu gémis tout le temps, tu te plains tout le temps, à quoi ça sert? – ÉVEILLE-TOI ET VEUX!»

Et cette soumission, n'est-ce pas, cette acceptation du pire, avec l’idée que ça vient du Seigneur! et non seulement cela, mais presque l’imagination du pire comme d'une épreuve, comme d'un test pour savoir si vous êtes vraiment «surrendered» [soumis] – c'est encore une ânerie! C'est qu'il y a encore quelque part le germe ou le résidu de la révolte si vous avez besoin de faire cela pour savoir si vraiment vous n'êtes pas révolté.

Et la peur d'être égoïste, la peur d'être révolté – c'est que c'est encore là, autrement on ne l’aurait pas.

(silence)

On est tout petit, tout petit. Plus on est petit, plus on se révolte. On veut tout casser, parce qu'on est tout petit – quand on est vaste, on n'a rien à casser. On n'a qu'à être.

ÉVEILLE-TOI ET VEUX2

27 novembre 1963

J'ai passé toute la nuit avec Sri Aurobindo, tout le temps, c'est vraiment très intéressant... Mais je ne me souviens plus.

Ça reste, mais pas comme un souvenir mental, du tout: comme une impression d'atmosphère – très intéressant.

Il y avait de la Chine, il y avait de l’Amérique, il y avait... tout le temps, partout-partout. Comme une certaine chose qu'il a réalisée à travers mon expérience sur la terre, et une action qu'il fait d'après cela, et le résultat partout.

Une masse de choses – très intéressant.

(silence)

On veut me faire parler de la mort de Kennedy, j'ai refusé.

Il y avait un pauvre nègre qui était ici, très gentil, qui a fait toutes ses études en Amérique, et qui m'envoyait une lettre, quelquefois deux tous les jours. Son pays vient d'être libéré, c'est un de ces pays... le Nigeria je crois, et il a l’ambition de faire que son pays soit l’un des premiers pour la transformation – grande ambition. Et j'ai reçu de lui une dépêche le jour où Kennedy a été assassiné, priant que je l’aide. C'est très touchant.

Mais ça a déclenché toutes sortes de choses –justement, c'est en partie pour cela que j'ai eu cette longue présence de Sri Aurobindo et ce long travail; comme si ça avait servi de déclic à l’un des mouvements de transformation de la terre.

Il y a des jalons comme cela... Je t'avais dit, n'est-ce pas, que ce grand Asoura (qui au fond était le premier né; c'est pour lui que j'avais fait un corps subtil) avait dit qu'il allait en Chine et que la révolution de Chine (il y a longtemps!) serait le signe du commencement du travail de transformation de la terre.1 Ces choses-là sont comme des bornes sur la route, et la révolution chinoise était comme la première borne qui ouvrait la route. Eh bien, cet assassinat de Kennedy fait partie de ces signes, c'est l’un des jalons – cela m'a été dit.

(silence)

Je me souviens avoir dit: «Mais la terre, la terre humaine, est-elle donc encore si tamasique qu'elle ait besoin d'événements dramatiques comme cela pour éveiller sa conscience?...» Et on m'a répondu: «Encore beaucoup plus tamasique que tu ne le crois.»

Les intelligences qui ont émergé dans une lumière supérieure sont comme des étoiles dispersées dans un ciel tout à fait obscur – tout à fait obscur.

Mais ce «déclic» dont tu parlais, la mort de Kennedy, ça va précipiter les choses dans le sens du «secouage»?

Oui. Ça fait l’effet d'une décharge électrique qui secoue le tamas, secoue l’inertie.

C'est comme dans Savitri, il parle de la «conscience qui s'est endormie dans la poussière»... la Conscience divine qui s'est endormie dans la poussière de sa création (je brode). La Conscience divine, la Mère éternelle, n'est-ce pas, s'est endormie dans la poussière de sa création; on l’éveille, et Elle s'aperçoit (ce n'est pas du Sri Aurobindo!), Elle s'aperçoit (riant) que c'est le Seigneur suprême qui l’a secouée! Alors Elle fait tout, elle commence à faire des choses extraordinaires, surtout pour qu'il ne s'en aille pas!

She reposes motionless in its dust of sleep.2

(II.VI.180)

Puis:

For him she leaped forth from the unseen Vasts
To move here in a stark unconscious world.3

And then:

In beauty she treasures the sunlight of his smile.
Ashamed of her rich cosmic poverty....4

C'est admirable!

And woos his large-eyed wandering thoughts to dwell
In figures of her million-impulsed Force.
Only to attract her veiled companion
And keep him close to her breast in her world-cloak
Lest from her arms he turn to his formless peace,
Is her heart's business and her clinging care.5

(II.VI.181)

(silence)

Tu sais, cette femme russe qui est partie dans la stratosphère6 (elle a fait plusieurs tours autour de la terre, je ne sais combien), enfin elle est venue en visite dans l’Inde et elle a fait une conférence quelque part pour raconter son voyage. Et elle a dit (paraît-il d'une très jolie façon, je ne sais pas ses mots) qu'elle a vu la terre de là-haut et que c'était si beau, si magnifique! Et alors elle a fait cette réflexion: «De là-haut, il n'y a pas de délimitations entre les pays et ça fait une unité si harmonieuse qu'il paraît impensable que les hommes puissent se disputer.» C'est joli...

N'est-ce pas, dès que l’on va assez haut, c'est une unité, c'est un tout, et qui est si beau et sans division – «Pourquoi se battent-ils?»

Ça a frappé beaucoup les gens.

(silence)

Les gens ont encore besoin de morts, de drames, de maladies – c'est dommage.7


Un peu plus tard

Depuis quelque temps, je rencontrais une sorte de résistance chez N, à l’Action. Quand il venait dans l’atmosphère (Mère fait le geste de se cogner à un mur), ça résistait terriblement. Et je n'avais aucune intention, sauf celle de faire céder ça, c'est-à-dire que je m'en tenais seulement à l’action intérieure (geste indiquant la Force qui travaille). Puis, voilà qu'il tombe malade. Hier il est venu comme tous les jours, mais il n'était pas bien. Alors je lui ai dit: «Allez, descendez, enfermez-vous chez vous et pendant au moins une heure, entrez dans Sat-Chit-Ananda et n'en bougez plus» (il est tout à fait capable de le faire). Le soir, quand le docteur est venu, il m'a dit que N avait une très forte fièvre: He is restless [Il est agité]. La fièvre était trop forte. J'ai pensé: «La résistance était plus forte même que je ne le pensais.» La nuit, quand je me suis couchée, j'ai commencé à me concentrer là pour voir, et je l’ai vu entouré d'une sorte de croûte noire, qui vient évidemment de ce qu'il n'a pas l’habitude de se purifier à mesure que les choses viennent sur lui du dehors (moi aussi, par exemple, je serais entourée d'une cuirasse noire, absolument noire comme du charbon, si je ne faisais pas mon travail de purification tout le temps, tout le temps, tout le temps). Donc j'ai vu cela, j'ai fait le nécessaire. Et ce matin, la fièvre était tombée. Mais ce qui est intéressant, c'est qu'il est venu ce matin, et il m'a dit ceci: «La nuit dernière, j'ai eu une vision: je me suis trouvé tout d'un coup tout entouré de charbon, d'une croûte épaisse de charbon, et je devais me débarrasser de ça et sortir de ça; et alors je regardais mes mains, je n'avais rien dans mes mains, et j'ai dit: «Comment puis-je faire? je n'ai rien pour le faire», et alors imédiatement, j'ai vu que ça commençait à se mettre en poudre-poudre-poudre et... parti! Et ce matin, je me sens faible et fatigué, mais c'est fini.»

C'est un minimum de déformation.

De temps en temps, j'ai des exemples comme cela, où l’expérience correspond presque exactement; c'est-à-dire que l’idiosyncrasie de chacun, la déformation individuelle n'intervient pas (chaque individu a sa déformation propre)... Quel est le mot français?... Je sais que la fin du mot est «... syncrasie» personnelle (en moi, ça s'est traduit par idiot-syncrasie, mais je ne crois pas que ce soit le mot!)

C'est un minimum de déformation. Je suis tout le temps à étudier, dans le corps, la différence entre la Chose et la façon dont elle se transcrit. C'est très intéressant. C'est très subtil –- très subtil. Et un rien suffit pour que ce ne soit plus la Vraie Chose.

30 novembre 1963

(Après une méditation avec Mère. l’enregistrement magnétique de cette conversation a disparu mystérieusement, nous n'avons jamais compris comment.)

Tu crois aux Muses?

Aux Muses?!... [le disciple reste interloqué]... Je crois à l’inspiration.

Parce que j'ai vu... C'était tellement précis, concret, matériel, que j'étais un moment à me demander si c'était physique ou pas; il y avait seulement un bras et une épaule, de quelqu'un, qui se tenait derrière toi, mais voilé, c'est-à-dire comme s'il y avait un brouillard devant pour qu'on ne le voie pas. C'était un bras de femme, très jeune, et d'un blanc très laiteux, et un petit peu rond – pas gras (!) mais il n'y avait pas d'angles. Il y avait une main et un bras très blancs de peau – blanc laiteux – et on voyait le commencement d'une sorte de robe qui était en argent. Et alors elle avait des mots et des feuilles, et elle arrangeait des mots sur les feuilles, puis les mots s'inscrivaient en noir sur les feuilles – elle avait les mots séparés et les feuilles séparées, et elle arrangeait les mots sur les feuilles, puis elle passait les feuilles devant toi. Et elle se tenait derrière toi. Mais pas une vision vague et imprécise, c'était très-très matériel... (souriant) je me suis demandé si tu avais une muse?

C'était seulement le bras droit – pas très grande, et très jeune, et d'une forme qui n'avait pas d'angles (je ne peux pas dire grassouillette!) mais c'était une forme d'une ligne très arrondie. Et alors elle avait des petits doigts comme ça, elle prenait les mots et les arrangeait sur les feuilles, puis quand c'était arrangé (ce n'était pas partout couvert: certains endroits seulement), elle passait la feuille devant toi.

Ça a duré longtemps.

Une Muse...

C'est un être du physique subtil, ça n'avait pas du tout l’air humain.

Et ce n'étaient pas des lettres: c'étaient des mots tout préparés, qu'elle prenait et qu'elle arrangeait; puis quand il y en avait un certain nombre sur le papier, elle posait le papier devant toi.

(silence)

Alors il y a quelqu'un qui t’aide.1

(silence)

La nuit, souvent, je vois des êtres qui sont comme les génies de la forme littéraire – ces temps derniers, j'en ai vu pas mal. Oh! ils sont extrêmement intéressés par des précisions et des détails de la forme pour que ce soit très harmonieux, et exact en même temps. J'en ai surpris (deux, trois ensemble) en train de discuter, presque, quelle serait la meilleure façon de dire certaine chose. Donc cela veut dire que tu dois être en compagnie de gens comme cela.

C'étaient sûrement ces êtres-là que l’on prenait dans le temps pour les Muses, les inspiratrices. Ce sont des génies de la forme. Et ce n'est pas tant ce que l’on a à dire que la manière de le dire.

Ce sont des compagnies agréables; il y a un sens de l’harmonie, il n'y a pas de heurts. C'est une compagnie qui donne l’impression que tout se déroule harmonieusement – ce n'est pas si fréquent!

décembre




3 décembre 1963

*(À propos des difficultés de certains disciples)8

...Mais enfin, ça se décante – nous sommes dans les années de décantation. Chacun est pris par son illusion – c'est toujours un mirage d'illusion: elle est persuadée (Y), elle a une très grande conviction qu'elle est en train de faire descendre le Supramental sur la terre; et beaucoup-beaucoup parmi les gens que je connais sont pris par cette illusion; alors ils partent en tangente loin de la Vérité, vers une réalisation «mirifique».

l’orgueil, la vanité, c'est le pire des pièges. Et quand on sent cette espèce de force vitale en soi [comme Y], on croit tout d'un coup que l’on a attrapé la Chose...

Plus je vais, plus je trouve le contraire: je trouve que tout est pauvre – pauvre, pauvre.

Oh! quand on est sincère et que l’on regarde tout droit, on se trouve effroyablement pauvre pour exprimer ce qui est à exprimer.

C'est sûr!

Mais ça, ce sont les derniers jours de l’ego, la dernière phase. Quand il est parti, on n'est plus rien! (Mère rit) C'est-à-dire que l’on n'a pas cette impression d'être quelque chose de mauvais ou de bon – c'est tout parti. On a tellement le sentiment d'une SEULE existence, et tout le reste... tout le reste est une chose qui s'est tordue comme ça, tordue dans la conscience. Et ça devient tellement concret...

(silence)

C'était intéressant, le deux décembre, jour des sports:1 la veille, le premier, le temps était magnifique, et pour autant que j'y avais pensé, j'étais convaincue que le deux serait très bien aussi. Mais le matin, j'ai vu qu'il n'en était rien, et à mesure que la journée avançait, ça se gâtait de plus en plus. D'abord, le premier mouvement a été de me dire: «Tiens, je ne m'en suis pas occupée, j'aurais dû y penser», puis j'ai vu que c'était absurde. Après, j'ai dit au Seigneur: «Pourquoi fais-Tu ça, ce n'est pas bien gentil! Ces enfants qui ont tant travaillé, qui se sont donnés beaucoup de peine...» En même temps que je le disais, il y avait la conscience qui regardait la chose dite, en souriant: «Dieu que c'est bête d'être encore comme cela!» Puis il y avait encore quelque chose (ça devient très-très complet), quelque chose qui n'était pas exactement le Seigneur mais comme une expression du Seigneur, et qui me disait (pas avec des mots, bien sûr, mais comment expliquer?... Sri Aurobindo décrit cela très bien dans le «Yoga of Self-Perfection»: c'est une chose très nouvelle, qui ressemble à la fois à l’action, au sentiment, à la sensation et à la conscience; c'est tout ça ensemble; ce n'est aucune de ces choses et ce sont toutes ces choses), alors c'était là et ça disait (je traduis en mots et ça déforme tout à fait): «Et après! si c'est un test, qu'est-ce que tu en dis?» Alors imédiatement s'est éveillée dans la conscience ici – la conscience qui travaille ici – la pensée: «Ah! il faut que ça devienne un test. Dans leur conscience à eux, il faut que ça devienne un test» (parce qu'il y avait d'abord une sorte d'essai pour arrêter la pluie; puis j'ai vu que ça ne correspondait pas à la Vérité et qu'il fallait accepter la pluie – accepter la pluie, pourquoi?... Rien faire après avoir tant travaillé? Et accepter, c'est facile, ce n'est rien, ce n'est pas intéressant, ce n'est rien de nouveau). Alors un test, bon. S'ils le prennent comme un test, ils vont passer à travers ça victorieusement et ce sera très bien. Et tout le temps, j'étais tellement concentrée sur eux (au Sports Ground) que je ne savais plus ce que je faisais ni où j'étais. Ça a duré de quatre heures de l’après-midi jusqu'à huit heures du soir. À peu près vers huit heures, j'ai eu des nouvelles: ils avaient fait tout de même la représentation, les visiteurs importants étaient restés jusqu'au bout, et au fond c'était un vrai succès.

Il n'y avait qu'une difficulté: c'étaient les petits enfants, qui ne peuvent pas avoir conscience d'un test, n'est-ce pas, et qui sont restés quatre heures et demie sous la pluie... Il ne fallait pas que ça fasse des dommages – il y avait à peu près une centaine de petits, tout petits. J'ai passé la nuit à me concentrer pour amener dans leur sensation matérielle la vraie réaction (parce que, pour un court temps, les enfants aiment beaucoup la pluie, ça les amuse beaucoup), alors je me disais: «Il faut que cette partie de leur conscience domine de façon qu'il n'y ait pas de dégâts.» Et j'attendais le lendemain. Le lendemain, personne de malade.

Puis j'ai reçu une lettre de M, le capitaine, me disant qu'ils avaient senti que c'était un test, la lilâ2 du Seigneur (il a mis «la lilâ de la Mère universelle»), est-ce vrai?» J'étais contente, j'ai répondu en lui disant que c'était vrai et que j'étais contente. Et tout le monde m'a dit: «Ils ont été magnifiques.» Comme si de faire cette démonstration sous la pluie avait suscité une sorte de volonté en eux et ils ont été remarquables: tout le monde était enthousiaste. Alors au lieu de dire au Seigneur: «Ce n'est pas gentil», il faut Lui dire merci! Et j'ai ri, j'ai pensé: «Voilà bien! c'est toujours comme cela!...»

Et toutes les expériences viennent comme cela (Mère fait un geste rond, global); on ne peut pas l’exprimer avec des mots; il y a une centaine de choses qui viennent ensemble comme cela, et qui font... (geste de mouvements ronds au sein de cette totalité ronde), et alors il y a le sentiment d'une lumière (qui serait comme une volonté mais ce n'est pas une volonté formulée avec des mots), mais c'est une lumière qui bouge là-dedans (dans cet ensemble rond) et qui arrange tout ça, puis qui donne un résultat – qui n'est pas une petite chose, un point, une chose: c'est une masse de choses; et c'est toujours mouvant et toujours en mouvement, toujours dans une sorte de progression vers une réorganisation plus parfaite. Et le sentiment de l’action individuelle, de la participation individuelle, de la volonté individuelle, paraît tellement imbécile! qu'il est absolument impossible de l’avoir. Même si quelqu'un essayait, il ne pourrait pas. Une fois que l’on vit ça... tout ce sentiment de l’importance individuelle dans tout ça paraît tellement idiot, n'est-ce pas, que c'est absolument impossible de le penser et de le sentir.

Je voudrais pouvoir faire passer cette expérience aux autres, parce que ça, c'est définitif; une fois que l’on vit ça pendant plusieurs heures, c'est fini, on ne peut plus se faire d’illusion,3 ce n'est pas possible – c'est impossible, c'est tellement idiot, n'est-ce pas! C'est surtout cela, c'est si bête, c'est si plat – c'est impossible (Mère fait encore ce geste de totalité ronde mouvante). Et alors on ne peut pas dire: «Moi j'ai dit, l’autre a répondu»! Et comment parler?... Nous avons encore un langage qui est vraiment inadéquat. Ce n'est pas comme ça... c'est... (même geste rond) et il n'y a même pas de sens ou de direction: ce n'est pas que ceci va comme cela et que ça vient comme cela (geste d'une personne à une autre, ou du dedans au dehors), ni que ça va comme cela et que ça revient comme cela (geste de bas en haut et de haut en bas), ce n'est pas ça, c'est... un tout... un tout qui se meut, toujours en avant, et avec des vibrations intérieures, des mouvements intérieurs. Alors suivant le point de concentration donné, c'est telle ou telle action qui se fait.

Il y a très longtemps, bien des fois, quand je voyais l’univers (je ne parle pas de la terre: l’univers), c'était comme cela (même geste de rondeur totale), comment dire?... ça donnait l’impression d'avancer, d'avancer vers une perfection progressive. Depuis des années, ma perception de la terre est comme cela; et maintenant, c'est tout à fait à volonté en ce sens qu'il n'y a qu'ajuste faire un petit mouvement dans la conscience (geste de déclic ou de léger renversement, de retrait à l’intérieur), et c'est toute la terre qui se meut de cette façon, avec les événements et les complications intérieures. Mais maintenant, cette même conscience du tout est comme cela: quand elle pense (pour une raison de travail, pas une décision arbitraire), ça s'impose; c'est un ensemble de choses qui est présenté comme le TOUT sur lequel l’action doit s'exercer. Et alors ce peut être une petite chose comme cette fête des sports, ce peut être l’Ashram (c'est très souvent l’Ashram dans son ensemble), ce peut être une partie de la terre, ce peut même quelquefois être un seul individu (qui n'est plus un «individu» mais un même ensemble, un même monde de choses, un tout4). Un tout de choses (geste rond) qui se meuvent au-dedans d'elles-mêmes, avec des... (au sein de ce tout Mère dessine des petits mouvements ronds, individuels, locaux, comme des ondes ou des courants de force). Oh! c'est tout à fait intéressant. Et même là, il n'y a plus la notion de celui-ci, celui-là, un tel, un tel – ça disparaît.

Mais quand on parle, quoi faire?... On ne peut pas passer son temps à expliquer tout ça, et puis c'est inintelligible pour celui qui ne l’a pas vécu.5

Tiens, tout à l’heure nous parlions de Y; je voyais une sorte de petit monde (toujours ce même geste rond, mouvant), et il y avait toutes sortes de choses dedans qui faisaient comme cela et comme cela (Mère dessine des volutes au sein de cette rondeur), et alors il y avait un mensonge (riant): c'était sa conscience d'elle-même! Et ça prenait tout et ça déformait le mouvement.

Mais quand on s'exprime, on parle avec les mots habituels et le langage habituel... Parce que pour dire une minute de cette conscience-là, il faudrait presque un livre pour se faire comprendre – et encore on ne se ferait pas comprendre.

Mais là, le deux décembre, c'était observé très attentivement parce que c'était un champ restreint et ça a duré un certain nombre d'heures (tout le reste des occupations se faisait automatiquement, sans gêner la conscience active, l’observation).

(silence)

J'ai vu un autre exemple intéressant, un visiteur: un grand magnat industriel d'Allemagne, paraît-il. J'avais vu sa photo et trouvé qu'il y avait quelque chose en lui – je l’ai fait venir. Il est entré, il est venu devant moi: il ne savait pas que faire (personne ne lui avait rien dit). Alors je l’ai regardé, j'ai mis un peu de force (Mère abaisse doucement sa main), un petit peu, progressivement. Et tout d'un coup... (d'abord il était tout à fait officiel, c'était MONSIEUR un tel qui était là), tout d'un coup sa main gauche a commencé à se lever, comme cela (geste d'une main crispée comme en transe), tout le reste était absolument immobile. Quand j'ai vu ça, j'ai souri et j'ai retiré la force, puis je l’ai laissé partir. Il paraît qu'il est descendu, il est entré dans la chambre de Sri Aurobindo et il s'est mis à pleurer. Après, le lendemain, il m'a écrit et il m'a dit dans un anglais allemand, que j'avais été «trop humaine»: «Pourquoi avez-vous été trop humaine?» – Il voulait que son être soit DÉTRUIT pour renaître à la vie vraie.

Ça m'a intéressée. Je me suis dit: «Tiens, il a senti, il a été conscient, à la fois de la Force et que j'ai retiré la Force.» Je lui ai répondu: «C'est vrai, je vous ai épargné, mais parce que c'était la première visite! Préparez-vous, je vous verrai encore.»

N'est-ce pas, il était entré comme le gros personnage industriel avec une puissance de création mentale remarquable qui organise les événements – c'est ça qui est entré –, et puis... fondu. Et je n'ai pas chargé à fond: j'ai simplement mis un petit peu de pouvoir comme ça (Mère abaisse sa main), et je le regardais dans la figure. Puis j'ai senti que quelque chose se passait en bas; j'ai regardé: sa main était toute crispée. Alors j'ai arrêté.

Mais ce qui est remarquable, c'est qu'il a été CORRECTEMENT conscient.

Et il s'est plaint.


(Au moment de partir)

Nous avons encore deux mois difficiles. Parce que ça ne va pas changer brusquement le premier janvier (les gens croient que tout d'un coup tout va changer – ce n'est pas vrai). Deux mois difficiles; après, je crois qu'on commencera à... (geste de dénouement d'une étreinte).

On a l’impression que le moindre fléchissement, et poff! on redégringole, et alors il faut encore grimper. Enfin...

Mais on grimpe plus vite – on grimpe plus vite.

7 décembre 1963

(Mère commence par lire une lettre de Sri Aurobindo:)

The way to get faith and all things else is to insist on having them and refuse to flag or despair or give up until one has them –it is the way by which everything has been got since this difficult earth began to have thinking and aspiring creatures upon it. It is to open always, always to the Light and turn one's back on the Darkness. It is to refuse the voices that say persistently, «You cannot, you shall not, you are incapable, you are the puppet of a dream,»–for these are the enemy voices, they cut one off from the result that was coming, by their strident clamour and then triumphantly point to the barrenness of the result as a proof of their thesis. The difficulty of the endeavour is a known thing, but the difficult is not the impossible–it is the difficult that has always been accomplished and the conquest of difficulties makes up all that is valuable in the earth's history. In the spiritual endeavour also it shall be so.1

Sri Aurobindo

N'est-ce pas, they cut one off from the result that WAS coming... [Ils vous coupent du résultat qui ÉTAIT EN TRAIN de venir]... by their strident clamour [par leurs clameurs stridentes], and then triumphantly point to the barrenness of the result as a proof of their thesis [puis elles vous montrent triomphalement un désert de résultats comme une preuve de leur théorie]! Et c'est TELLEMENT vrai, c'est une expérience que j'ai eue tant-tant-tant de fois, non seulement pour moi mais pour des quantités de gens.


Je crois («je crois», c'est comme le «il semble» des savants) que je peux annoncer que quelque chose s'organise dans le Subconscient – ça commence à s'organiser –, dans le subconscient des individus et dans le Subconscient général. C'est moins inconscient. C'est un petit peu plus... oui, un petit peu plus conscient, réfléchi et organisé – un tout petit commencement d'organisation, très peu, mais une croissance dans la conscience; ce n'est pas tout à fait aussi inconscient.

C'est toujours la dernière partie de la nuit que je passe là-dedans... Tu te souviens de cette histoire du bateau supramental? et que les choses s'organisaient par la volonté, pas par des moyens extérieurs; eh bien, c'est cette action-là qui commence à exister dans le Subconscient.

Par exemple, la nuit dernière, de bonne heure le matin, il y avait comme des étages de petites cellules,2 et chaque cellule était, je ne peux pas dire la propriété mais le bien de chacun, ce qui est sous son contrôle direct et reflète ce qu'il est convenu d'appeler son «état d'âme», sa manière d'être. Et il y avait des étages comme cela: on montait, on descendait... l’impression, pour moi, c'est que j'étais beaucoup-beaucoup plus grande et que je dominais tout ça, et j'étais d'une autre texture, comme faite d'une autre substance, pas tout à fait pareille; et c'était comme si tout ça était au-dedans de moi sans être au-dedans (je ne peux pas expliquer): j'étais à la fois comme en surplomb et agissant au-dedans. Et alors, suivant l’action, les gens montaient, descendaient, allaient, revenaient; mais chacun avait son petit carré – ils commençaient à l’avoir, ça commençait à s’organiser.3 Chaque cellule était plus ou moins précise: certaines étaient très précises, d'autres plus floues, comme en voie de précision. Et l’ensemble avait une sorte de précision dans l’expérience de la nuit dernière. Et j'étais comme quelque chose de très gros, en dehors, et je riais, je parlais à chacun, mais ils ne s'apercevaient pas de l’action (de Mère); n'est-ce pas, ils me paraissaient grands comme ça. (geste de 10 cm), tout petits. Mais tout à fait vivants: ils allaient, ils venaient, ils bougeaient... Et je leur parlais, mais ils ne savaient pas d'où ça venait. Et alors je riais, je m'amusais, je disais à certains: «Ah! tu vois, c'est comme cela que tu conçois les choses!» Et c'était... oh! si je remonte à l’année dernière, il y a une différence formidable de conscience, au point de vue conscience. Avant, tous les mouvements étaient des réflexes, des instincts, comme si les gens étaient poussés par une force dont ils étaient tout à fait inconscients et qu'ils considéraient être leur «caractère» la plupart du temps, ou le Destin (ou leur caractère ou la Fatalité, le Destin). Et c'était tout comme des marionnettes qu'on pousse. Maintenant, ce sont des êtres conscients – qui commencent, ils commencent.

La proportion a changé.

Et je pouvais leur montrer justement la proportion entre le mouvement conscient, voulu, qui s'observe, et cette espèce d'instinct presque inconscient qui obéit à une Force qui contraint, c'est-à-dire que l’on ne sait pas d'où ça vient ni ce que ça veut ni rien – on va.

Certains avaient encore des espaces tout à fait flous et nuageux; d'autres, c'était précis, il y avait même des détails très précis; et clair-clair: il y avait une lumière – il y avait une lumière qui commençait.

Si ça continue, ce sera bien. Ça changera beaucoup de choses.

C'était dans le subconscient des individus?

Des individus, oui.

Ce n'est pas leur conscience éveillée?

Non-non! ce ne sont pas les individus tels qu'ils se connaissent – c'est leur subconscient. C'est dans le subconscient. Le subconscient est un domaine comme le matériel est un domaine – c'est dans le subconscient.

Il y a eu beaucoup d'efforts, de concentrations, de méditations, de prières pour amener l’éclaircissement et le contrôle de tous ces réflexes semi-conscients qui gouvernent les individus – une grande concentration sur ce point-là. Et cette expérience paraît être le résultat.

Il y a beaucoup de choses dont on ne s'aperçoit même pas dans la vie (quand on vit la vie ordinaire, on ne s'en aperçoit pas), il y a tout un domaine de choses qui sont absolument, pas tout à fait inconscientes mais ce n'est certainement pas conscient, et qui sont des réflexes – des réflexes, des chocs en retour, etc.; puis la réponse (la réponse semi-consciente, très peu consciente) à la poussée donnée par la Force d'en haut dont on est tout à fait inconscient. C'est l’étude de cette question qui est au tableau; je m'occupe beaucoup de cela. Une étude de chaque seconde... N'est-ce pas, il y a différentes manières pour le Seigneur d'être là, c'est très intéressant (ce n'est pas pour Lui, la différence, c'est pour nous!) et ça dépend justement de la quantité de mouvements réflexes habituels qui se produisent presque en dehors de notre observation (généralement tout à fait en dehors). Et ça m'a beaucoup-beaucoup préoccupée: la façon de sentir la Présence du Seigneur, les différentes façons. Il y a une façon où on la sent comme quelque chose de vague, mais dont on est sûr – on est toujours sûr mais la sensation est vague et un peu floue –, puis il y a des fois où c'est une Présence aiguë4 (Mère touche son visage) et précise-précise, dans tout ce que l’on fait, tout ce que l’on sent, tout ce que l’on est. C'est toute une échelle. Et alors si on suit le mouvement (geste en dégradé vers le lointain), il y a l’échelle de ceux qui sont si-loin-si-loin qu'ils ne sentent rien du tout.

Cette expérience-là m'a fait écrire quelque chose hier (mais l’expérience a duré plusieurs jours), c'est venu comme le résultat du travail fait, et hier je l’ai écrit en anglais et en français:

«Il n'y a pas d'autre vice,
pas d'autre péché que d'être loin de Toi.»

Alors tout le monde, l’univers me paraissait comme cela, et à chaque point (qui n'occupe pas d'espace), à chaque point de l’univers et dans la totalité de l’univers c'est comme cela; et ce n'est pas qu'il y ait des endroits de l’univers qui soient loin et des endroits qui soient près, ce n'est pas cela (c'est en dehors de l’espace), mais il y a toute une hiérarchie de proximités, jusqu'à quelque chose qui ne sent pas, qui ne sait pas – ce n'est pas que ce soit en dehors parce que rien ne peut être en dehors du Seigneur, mais c'est comme l’extrême limite: si-loin-si-loin-si-loin – c'est tout noir – que c'est comme s'il n'y touchait pas.

C'était une vision très totale. Et une expérience tellement aiguë que ça paraissait être la seule chose vraie. Ça n'occupait pas d'espace, et pourtant il y avait cette sensation de proximité et d'éloignement. Et alors c'était comme un Foyer, ou un Centre, je ne sais pas (mais qui était partout), qui était le paroxysme de Toi – Toi pur. Et ça avait sa qualité propre. Puis ça commençait à s'éloigner, s'éloigner, s'éloigner, ce qui produisait une sorte de mélange avec quelque chose... qui n'était rien – qui n'existait pas – mais qui faisait que ça changeait de vibration, ça changeait d'intensité, et ça s'en allait, ça s'en allait, ça s'en allait jusqu'à... l’Obscurité – l’Obscurité inconsciente.

Et alors il me venait et revenait tout le temps comme cela: il n'y a pas d'autre péché... (parce que c'était à la suite de quelques vers de Savitri que j'ai lus, sur la glorification du péché dans le monde vital, et les mots me sont venus à cause de cela)... il n'y a pas d'autre péché, il n'y a pas d'autre vice que d'être loin de Toi.

Ça paraissait tout expliquer.

Puis l’anglais:

"There is no other sin, no other vice
than to be far from Thee."

Ce n'est pas moi qui l’ai écrit! Il n'y a pas de moi là-dedans: ça vient comme cela.

Le far from Thee [loin de Toi], c'est si-si intense comme vibration, ça a un sens concret.

Et c'est la seule chose: tout le reste, toutes les notions morales, tout-tout, même la notion d'Ignorance... ça devient du bavardage mental. Mais ça, cette expérience-là est admirable. Far from Thee...5

11 décembre 1963

Il y a eu, dans le Subconscient, une bataille effroyable entre le 8 et le 9, dans la nuit, oh!... C'était comme un retour de l’attaque qui avait été faite sur moi quand tu étais parti à Rameswaram (il y a longtemps1) et X avait dit que c'était un tantrique qui avait fait une formation (c'était justement le 9 décembre que c'était arrivé et j'étais très malade, je ne suis pas sortie). Eh bien, c'était une attaque de ce genre. Je ne sais pas si cela vient de la même (je ne peux pas dire une «personne») mais de la même origine de forces. Et très violent, la nuit. Et ça a continué pendant la méditation du 9: pour la première fois pendant ces méditations, il y a eu une bataille formidable, dans le Subconscient. Et le corps était dans un état... pas très heureux. Ça arrête le cœur, alors, n'est-ce pas... c'était désagréable.

Mais après, j'ai vu que vraiment ça avait délogé quelque chose, ça n'a pas été inutile. Ça a délogé quelque chose. Mais ce sont des forces de mauvaise volonté radicale, pas seulement ignorantes – une radicale mauvaise volonté.

Mais ce n'était pas d'origine humaine, un individu humain?

Non, ce n'est pas un individu: c'est une manière d'être universelle. C'est toujours cela: les choses ne sont pas positivement impersonnelles mais elles n'appartiennent pas à une personne; ce sont des manières d'être universelles.

Je veux dire qu'il n 'y a pas eu d'instrument humain?

Je n'étais pas consciente d'un instrument, mais consciente d'un tas d'endroits où ça s'accroche (chaque être auquel s'accroche la force de mauvaise volonté). Ça s'accroche, pas même sur des êtres mais sur des manières d'être d'êtres: sur certaines tendances, certaines attitudes, certaines réactions – ça s'accroche à ça. Ce n'est absolument pas «une» personne ou «une» volonté, ce n'est pas ça, mais c'est une manière d'être. Tout cela, ce sont des manières d'être universelles qui sont appelées à disparaître du champ de l’activité, et qui sont en train d'être éliminées.

Mais la réaction sur le corps était pénible, comme elle l’avait été la première fois. La première fois (au dire de X et du Swami), ça devait me tuer – ça ne m'a même pas rendue très malade, mais l’effet était très désagréable. Je t'ai dit à ce moment-là que c'est un mantra destiné à vous vider de votre sang; j'ai eu plusieurs exemples de gens qui sont morts comme cela: on a trouvé après que c'était le résultat d'une formation mantrique. Moi, tout ce que ça a réussi à faire (riant), c'est à me rendre malade, comme si tout sortait – des vomissements terribles; puis il y avait quelque chose qui me tirait et il fallait absolument que j'aille; ma conscience me disait qu'il fallait que j'aille trouver quelqu'un (j'étais toute seule dans la salle de bains quand c'est arrivé), quelqu'un de précis à qui je devais aller; et quand j'ai ouvert la porte, il y avait Z qui était là à attendre pour préparer mon bain, et je ne le voyais pas du tout mais je voulais absolument aller quelque part, dans l’autre chambre, et alors je poussais contre lui, je me disais: «Qu'est-ce que c'est que cet obstacle qui m'empêche de passer?» Et lui croyait que j'étais en train dé m'évanouir sur lui! Ça a fait toute une histoire.

J'étais tout à fait en transe, n'est-ce pas. Je marchais mais j'étais tout à fait en transe.

Enfin, ça s'est rétabli assez vite à ce moment-là. Mais l’autre jour, le 9, c'était un retour de cette affaire-là, comme si cette mauvaise volonté n'avait pas été complètement éliminée, pas complètement vaincue – il y a eu un retour. Ça n'a pas eu le même effet, mais c'était pénible; une curieuse impression comme si... (j'étais assise devant la table, comme je le suis toujours les matins de méditation), puis au commencement, dans certaines parties du corps, c'était comme si les cellules grinçaient. Je me concentrais, j'appelais, et alors je voyais qu'il y avait une bataille – une bataille formidable qui se livrait en dessous. Ça grinçait, c'est curieux. Une espèce de grincement de choses qui frottent mal. Et je me demandais: «Quand est-ce que ça pourra se détendre?» Puis des spasmes ici, au plexus solaire. Et ces jours-là, le docteur et P restent toujours pour la méditation; mais moi, j'étais en transe, dans ma bataille, lorsque tout d'un coup, j'ai senti une pression sur mon pouls (riant): c'était le docteur qui s'était levé de sa méditation (je devais faire des bruits étranges!) et il me tenait le pouls, et il paraît que mon pouls s'en allait! Mais je ne suis pas sortie de ma transe (j'étais consciente mais je ne suis, pas sortie), je suis restée comme cela jusqu'à la fin de la méditation, et même un peu après. Puis quand les grincements ont diminué, je suis sortie de la transe et je les ai vus tous les deux debouts devant moi; je leur ai fait un gentil sourire, j'ai dit: «Ça va.» Et je me suis étendue. Alors là je suis entrée dans la transe profonde, complètement sortie du corps, et tout s'est remis d'accord.

Puis j'ai regardé. Je n'étais pas trop contente: «Pendant la méditation, faire ça?...» Et «on» m'a dit que ça ne pouvait être que pendant la méditation, que ça ne pouvait pas être à un autre moment, dans l’activité ou même dans la concentration, ce n'est pas la même chose; c'est seulement dans la méditation profonde que ça peut se faire. Alors j'ai dit: «Très bien.» Et on m'a montré aussi qu'il y avait un résultat concret, une sorte de victoire partielle remportée sur ce genre de mauvaise volonté – très-très, extrêmement agressive, et qui appartient à un autre âge: c'est quelque chose qui n'a plus le droit d'exister sur la terre. Ça doit s'en aller.

C'est d'ailleurs la même chose qui a produit l’assassinat de Kennedy. Et je suppose que c'est pour cela que j'ai dû intervenir. Parce que ça a dérangé beaucoup de choses, cet assassinat de Kennedy, au point de vue du travail général. Et c'était la même chose parce que, dès que j'ai eu la nouvelle de l’assassinat, j'ai vu le même genre de vibration, la même force noire – très-très noire – et j'ai dit spontanément (ce n'est pas «moi» qui l’ai dit): «Oh! ça veut dire peut-être la guerre.» C'est-à-dire une victoire de cette force sur celle qui essaye d'aller par des chemins plus harmonieux. Mais j'ai protesté et travaillé depuis ce moment-là, et ce qui s'est passé le 9 est le résultat de cela.

Mais sur le moment... ce n'est pas confortable.


(Puis Mère lit une note manuscrite qui est la continuation de l’expérience relatée le 7 décembre lorsqu'Elle parlait des différentes proximités de la Présence.)

J'adresse cela au Seigneur:

«C'est comme si Tu coulais avec le sang.
Tu vibrais avec les nerfs,
Tu vivais avec les cellules...»

Ce n'est pas «dans», ce n'est pas «par»: c'est avec, c'est identifié. Coulais avec le sang. Et la sensation était absolument concrète: cette Présence du Seigneur coule avec le sang et vibre avec les nerfs et vit («vit», la Vie, l’essence de la Vie) avec les cellules.

Ça, c'est le meilleur moment! (Mère rit)

Eh bien, justement maintenant, depuis cette attaque du 9, cette Présence a augmenté;2 et c'est comme cela que je sais que quelque chose est gagné. C'est-à-dire que ça a augmenté en durée et en fréquence, et dans la promptitude à répondre, à être obtenu.

(silence)

La différence entre avant et après le 9 est qu'avant le 9, il y avait tout le temps une pression de suggestions adverses, comme Sri Aurobindo le dit dans cette lettre que nous avons traduite la dernière fois: «Tout ça, c'est une illusion; tout ça ce sont des imaginations...» Un harassement constant. Et même, ça prend quelquefois des formes très précises: «Tu crois que tu es intégralement consciente du Seigneur, mais pas du tout! C'est seulement un peu dans ta tête, comme ça, et tu t'imagines que c'est vrai.» Quand j'ai entendu ça, j'étais très mécontente et j'ai dit: «Bon, je vais voir.» Et c'est après cette espèce de bataille dans le Subconscient que la voix s'est arrêtée et j'ai eu cette expérience: «Ça coule dans le sang, ça vibre dans les nerfs, ça vit dans les cellules...»

Et c'est partout, n'est-ce pas, ce n'est même pas seulement les miennes, ce n'est même pas seulement les cellules de ce corps-ci: quand l’expérience vient, elle est assez répandue; j'ai l’impression que beaucoup de sangs, beaucoup de cellules, beaucoup de nerfs... c'est-à-dire que la conscience centrale ne le sait pas toujours, l’individu ne le sait pas toujours (il a une impression extraordinaire, mais il ne sait pas ce que c'est), tandis que les cellules le savent, mais elles ne peuvent pas le dire.

J'ai senti ça plusieurs fois: quand l’expérience vient, ce n'est pas limité à un corps. Seulement la conscience – la conscience qui observe – n'est pas partout la même: il y a des degrés de conscience, et ici (le corps de Mère), ça paraît être comme un centre de conscience plus conscient, c'est tout, mais autrement... Pour la conscience elle-même aussi, c'est comme cela: il y a des moments où c'est très éveillé, il y a des moments où c'est moins éveillé... Au fond, tout cela, c'est une expérience de l’Unité, de la multiplicité dans l’Unité, qui dépend du degré de proximité et d'intensité. Mais c'est le tout – le tout qui est un – et vu au point de vue de la conscience du Seigneur... N'est-ce pas, ce que nous appelons «le Seigneur», c'est ce qui est conscient de soi, pleinement; et plus la conscience diminue, plus on a l’impression que c'est moins le Seigneur – mais c'est le Seigneur tout de même!

C'est comme cela.

(silence)

Quand on dit: «La perception ou la connaissance par identité», c'est encore quelque chose qui se projette, s'identifie et SE REGARDE faire, et c'est conscient du résultat. Mais l’expérience de maintenant, ce n'est pas cela; ce n'est pas quelque chose qui se projette: c'est une perception générale; et alors au lieu de pouvoir dire: «Vous pensez ça, CELUI-CI pense ça, CELUI-LÀ sent ça», on le pense ou on le sent avec plus ou moins de clarté dans la perception, de précision dans la perception, mais c'est toujours «on», un «on» – on n'a pas envie de dire «moi»; il n'y a pas de moi, c'est un «on», c'est quelque chose. Tiens, je peux te donner un exemple: ce matin, j'ai reçu cet Italien, puis il a commencé à parler, à faire des gestes, à me dire des choses – il n'y avait PAS UN son qui touchait mon oreille... mais je savais parfaitement bien ce qu'il disait. Et je lui répondais de la même façon, sans parler. Et je n'avais pas l’impression que c'était quelqu'un d'autre qui me parlait et que, moi, je lui répondais: c'était un ensemble de mouvements plus ou moins conscients d'eux-mêmes, un ensemble et un échange, un inter-échange de mouvements plus ou moins conscients d'eux-mêmes, avec certaines vibrations plus conscientes, certaines moins conscientes, mais tout ça était très vivant, très actif. Mais alors, pour parler, il aurait fallu se placer dans la conscience ordinaire où l’Italien était là et, moi, j'étais ici – et ça ne correspondait plus à rien, ce n'était pas vrai. Alors il y avait quelque chose qui répondait dedans, très actif, très nettement, tout ça marchait (geste dessinant des mouvements de conscience ou des ondes de vibration), et en même temps, il y avait une conscience – une conscience très-très vaste – qui voyait tout ça (ces échanges de vibrations) et qui exerçait une sorte de contrôle très-très léger, mais très précis, pour que chaque vibration se mette à sa place.

C'est comme cela maintenant quand je vois les gens. Et ça paraît devenir de plus en plus constant.

l’autre état, l’état où il y a un «moi» et «d'autres gens» devient désagréable; et ça amène des choses que la conscience réprouve, des réactions que la conscience réprouve: «Encore ça? Encore cette petitesse, encore cette limitation, encore cette incompréhension, encore cette obscurité?...» Comme cela, tout le temps. Et alors, imédiatement, il y a quelque chose qui fait comme cela dedans (geste de renversement intérieur), et ça devient l’autre manière. Et l’autre manière est si douce, oh!... elle est si douce, sans heurts, sans frottements, sans frictions, sans réactions désagréables – et c'est ça qui s'est produit quand il y a eu ces «grincements» si pénibles pendant la méditation du 9: c'étaient les réactions individuelles des cellules qui n'étaient pas dans l’harmonie générale.

Ça devient un peu intéressant. C'est un peu nouveau.

Et il y a une sorte de joie, qui n'est pas bruyante, toujours comme une sorte de sourire... sourire comme ça, mais pas moqueur, un peu...

Pour traduire avec des mots, il faut une espèce de contraction, ce qui est dommage – c'est dommage. Je ne sais pas quand il y aura un moyen de s'exprimer sans cette contraction... Je me souviens, je revois ou je revis en ce moment la figure de te garçon, cet Italien (c'est un homme de 35 ou 40 ans, mais jeune au-dedans, très jeune psychiquement), alors il y avait cette conscience qui pétrissait quelque chose dedans, qui remettait en place – mais sans heurts, sans violence, sans chocs, sans réactions. Et quand je lui ai dit: «Maintenant, il faut s'en aller», ce n'était pas du tout une personne qui disait à une autre personne: «Il faut s'en aller», c'était comme si je me disais à moi-même: «Maintenant, il faut s'en aller.» C'est très curieux. C'est assez nouveau. Parce que c'est devenu beaucoup plus conscient; c'était comme cela dans une sorte de manière d'être naturelle et spontanée depuis longtemps, mais maintenant ça devient conscient.

Et quand il y a... Tiens, quand il y a une détente dans quelqu'un ou quand il y a une crispation, je le sens: j'ai une détente et j'ai une crispation; mais «j'ai», pas ici comme cela (Mère dans son fauteuil), j'ai LÀ (Mère dans «l’autre»).

Et je sais la minute exacte, n'est-ce pas. Mais ça (crispation, détentes), ce sont de gros mouvements, alors ça devient évident, mais je m'aperçois que c'est tout le temps – c'est tout le temps comme cela.

Et c'est au point que ce qui arrive dans ce corps n'est pas (oh! il y a longtemps que c'est comme cela, mais ça le devient de plus en plus), ce n'est pas familier comme quelque chose qui est dans un corps particulier: c'est une manière d'être comme toutes les autres. Ça devient de plus en plus comme cela. La réaction ici (dans le corps de Mère) n'est pas plus intime que celle dans les autres. Et elle est à peine plus perceptible: tout dépend de l’état d'attention et de concentration de la conscience (tout ça, ce sont des mouvements de conscience). Mais la conscience n'est pas – PLUS DU TOUT – individuelle; ça, je peux l’affirmer. Une conscience... qui devient de plus en plus totale. Et de temps en temps – de temps en temps –, quand tout est «favorable», ça devient la Conscience du Seigneur, la conscience de tout, et alors c'est... une goutte de Lumière. Rien que de la Lumière.3

14 décembre 1963

Est-ce que W t'a raconté son expérience? Non?... Il dit qu'il a eu dernièrement l’expérience d'une force extraordinaire, comme une sorte de puissance qui sortait de lui par tous ses pores, et que ça se répandait, et qu'il se sentait une puissance extraordinaire, et ça a duré pendant des heures.

Une très bonne expérience.

Quelle force?

(Mère sourit) Tu sais, il y a comme deux catégories dans les hommes: il y a ceux qui reçoivent de nature, qui sont réceptifs; qui reçoivent et qui aiment recevoir et avoir l’impression de recevoir; et il y a ceux qui aiment donner et qui aiment l’impression de donner. Et alors ceux qui aiment recevoir ont l’expérience de recevoir, et ceux qui aiment donner (riant) ont l’expérience de donner. Mais au fond, c'est tout la même chose: c'est la Force qui circule. La Force circule et alors on a le sentiment... (comment expliquer cela?)... ça dépend de la position de la conscience par rapport à l’ego individuel.

Après avoir constaté les difficultés de W, j'avais mis beaucoup de force sur lui, beaucoup, une grande concentration pour arriver à le sortir de là, parce que je sentais une sorte d'hésitation en lui, qu'il n'était plus si ferme sur le chemin; c'était cela qui m'inquiétait; alors j'avais mis une très grande concentration de force pour le remettre dans la vraie route. Et comme je l’ai dit, la Force circule; elle circule: ce n'est pas quelque chose qui va comme cela, comme un petit rayon qu'on envoie, et puis ça arrive, et puis ça reste – ce n'est pas cela. C'est une chose (geste rond) qui se répand, et avec des vagues de concentration. Et j'ai remarqué cela pour tous les gens (la première étude, je l’ai faite sur moi-même), mais il faut que l’ego soit tout à fait... (geste paumes vers le haut, immobiles)... arriver à être inexistant, qu'il n'intervienne plus du tout en tout cas, pour sentir cette grande Pulsation universelle.

Et c'est simplement savoir se mettre au bon endroit pour être sur le passage.

Ou alors, quand on peut voir d'au-dessus: diriger des sortes de concentrations, des sortes de canalisations de la Force (sur les gens, les événements). Et j'ai remarqué (depuis que, pour moi, c'est le fait normal), j'ai remarqué ces deux catégories de gens (avec toutes sortes de nuances et de différences), mais il y a ceux qui sont heureux de recevoir, et alors ils sont beaucoup plus conscients de l’ENTRÉE de la Force au moment de son passage, et il y a ceux (ce sont les natures généreuses, mais aussi les natures dominatrices) qui sont plus heureux d'avoir le sentiment de donner; alors ils sont beaucoup plus conscients du Mouvement quand il sort de leur individualité!

Et c'est bien ce que je connaissais de la nature de W: l’ego chez lui est qu'il aime à être un gourou – ça, c'est quand on est tout à fait égoïste; mais à mesure qu'on l’est moins, il reste encore cet aspect de la nature qui fait que l’on est plus porté à donner qu'à recevoir. Et comme j'avais fait une très forte concentration, il sentait que ça sortait de lui, c'est tout à fait naturel.

Je ne lui ai rien dit, j'ai simplement dit que c'était une très bonne expérience: une expérience «qu'on t'a donnée» ou «qui t'a été donnée» (tout cela impersonnel, aussi impersonnel que possible). Je suis très contente quand les gens ne me disent pas: «Tu as fait cela, tu as fait ceci...», parce que je sens tout de suite cette espèce de petite limitation tellement enfantine – les intellectuels diraient «l’idolâtrie»! (Mère rit) Je n'aime pas ça.

J'étais très contente de l’expérience de W. J'ai vu aussi que c'était très sincère – naturellement il se sent rempli de force! «Mais n'attache pas d'importance d'où cela vient, ça n'a pas d'importance!» – C'est vrai. D'une certaine façon, c'est vrai.

(silence)

Tu sais, ce jouet que l’on tourne et qui fait des images? C'est un kaléidoscope. Tous les petits bouts s'arrangent et font des dessins – il y a beaucoup de cela dans la façon dont les forces s'organisent et jouent.

Ce que je t'ai dit la dernière fois continue, ça s'intensifie; mais quelquefois, à un moment donné, il y a un mouvement qui me vient, une sorte de réaction, par exemple, et alors quelque chose se plaint (tout cela, dans la conscience du corps), le corps dit: «Ah! je suis encore comme cela, quelle misère!» Alors imédiatement, il y a une réponse, et une réponse... C'est curieux, ça ne vient pas d'un endroit, ça vient de partout; et la protestation du corps aussi ne vient pas d'un endroit: ce n'est pas une chose ou un corps qui proteste, c'est une manière d'être; une manière d'être terrestre qui s'exprime comme cela: «Ah! encore comme cela.» Et la réponse imédiate: «Mais tu ne vois pas, tu ne vois pas l’utilité de cela?» Et alors on me montre tout un enchevêtrement de mouvements, de vibrations, de réactions, d'actions, tout cela; et à un petit endroit, il y a besoin d'une petite force: il y a une petite chose un tout petit peu inerte qui sert de support à une autre chose – et alors tout s'explique, tout est à sa place! On voit tellement que c'est l’égoïsme; l’égoïsme qui veut la perfection individuelle personnelle; au lieu de vouloir le progrès global, qui veut le progrès personnel, et qui encore fait des coupures là où il n'y en a pas, des séparations là où ça n'existe pas; et comme il faut accepter qu'un mouvement passe comme cela (à travers Mère) quand c'est sa place et que c'est le moment de son utilité, pour que le tout suive sa route – c'est très-très intéressant.

Et comme cela, on jauge très bien combien il reste de la vieille habitude de réaction personnelle, surtout dans la partie émotive de l’être universel: c'est la partie émotive qui reste encore le plus personnel, même plus personnel que la partie purement physique, matérielle. Dès que la partie émotive entre en action, elle «personnalise», parce qu'elle jouit des réactions individuelles; c'est la partie qui aime à sentir qu'elle aime, qui aime à sentir ses émotions, et à cause de cela il reste la petite coloration personnelle. Et quand il y a un mouvement un petit peu plus obscur ou retardataire qui est là, le corps est indigné et il ne comprend pas que ça fait partie du tout, et qu'il faut que le tout marche en même temps, qu'on ne peut pas séparer un morceau comme cela et le rendre parfait – ça ne se peut pas! c'est impossible. Ce n'est pas que ça ne doit pas: ça ne peut pas. Tout se tient.

(silence)

Mais depuis le 9 – l’expérience du 9 à cette table –, il y a eu un changement considérable, considérable.

(silence)

Tu n'as rien?

Je peux te lire ce que tu as dit la dernière fois...

Oh! maintenant...

Est-ce que c'est la peine!

(Le disciple n'approuve pas)

Si l’expression devient assez claire pour être compréhensible, cette phase de l’expérience est peut-être intéressante pour les autres, non? J'ai l’impression que ça peut aider à rompre quelques limites.

Sûrement.

Oui, mais il faut que ce soit compréhensible, vraiment compréhensible – je n'en suis pas sûre. Parce que quand je te parle, je te communique la vibration de l’expérience; alors dans la mesure de ta réceptivité, tu l’éprouves; mais ça ne passe pas dans les mots imprimés – très peu, très-très peu.

Les gens lisent avec leur tête, avec leur cerveau.1

Je vois des gens comme N, qui est évidemment un sujet exceptionnel en ce sens qu'il vibre à la vibration intellectuelle (Sri Aurobindo disait, et c'est évident, que de tous ceux qui l’entouraient, c'était lui qui comprenait le mieux), eh bien, même lui... ça passe en tangente. Ce n'est pas qu'il ne comprend pas du tout mais c'est en tangente.2 C'est une compréhension mitigée, un tout petit peu déformée et qui ramène tout au sens de la personne, de l’individu (de Mère), et alors ça perd toute l’ESSENCE de sa valeur... Ce que je voudrais arriver à communiquer, c'est justement cette absence d'individu; mais quand je m'exprime, je suis obligée de dire «je», la phrase a toujours une tournure personnelle, et c'est ça que les gens voient. Quand j'ai mon expérience, elle est là, elle est vivante, là; toi, tu la sens, et avec un petit mouvement d'adaptation tu supprimes la déformation du langage, mais les autres ne le font pas.

La meilleure manière de communiquer serait que certains de ces enregistrements soient donnés à l’audition des gens, parce que là, la chose est pure, c'est toi, c'est TA vibration.

Pas tout à fait, mais enfin presque.

C'est ce qui porterait le mieux.

Ce serait une expérience à faire, une fois. On verra.

Si un jour je peux trouver l’expression...

Je sens encore que je me débats avec la vieille manière de dire, je n'ai pas encore trouvé. C'est cette obligation de parler «comme une personne», comment faire?... Mais par exemple, Sri Aurobindo saurait très bien dire de façon que toute cette impression de personnalité s'en aille.

La nuit d'avant, je l’ai passée presque tout entière avec lui – toutes sortes de choses très intéressantes. Ce sont surtout des impressions; des impressions très-très intéressantes. Et j'ai compris tout un aspect de la création...

Tel que le monde est organisé physiquement maintenant, avec la différence et la spécialisation des formes, des sexes, ça encourage une sorte d'opposition des deux pôles, dont l’union fait la création; et alors, naturellement, chaque pôle a une très grosse difficulté à comprendre l’autre (quoiqu'il pense et qu'il croie le comprendre), surtout le pôle que je mets dessous (geste signifiant la base du monde), qui est le pôle créateur effectif, c'est-à-dire ce qui se traduit par la femme. Elle sent très bien que sans ça (au-dessus) la pleine compréhension n'est pas là; mais ça, qui est en haut, ne comprend pas DU TOUT le pouvoir créateur de cela qui est en dessous – il le sait en principe, mais il ne le comprend pas; et il y a un manque d'adaptation et une sorte de conflit qui ne devraient pas exister. Ça n'a jamais existé – jamais – entre Sri Aurobindo et moi, mais je voyais que ça n'existait pas parce qu'il avait adopté l’attitude du «surrender» complet à la Mère éternelle (la période, dans la création, du surrender complet). Et moi, je voyais cela, et ça me gênait! Ça me gênait, je disais: «Mais pourquoi se croit-il obligé de faire cela (riant), comme si je ne pouvais pas comprendre!» Au contraire, j'ai soif de l’autre attitude: de m'identifier comme cela au lieu de comme cela (Mère colle son poing du dessous contre la main du dessus); au lieu de s'identifier de haut en bas, s'identifier de bas en haut. C'était une aspiration depuis... presque des éternités... de la Force créatrice universelle de s'identifier avec le Créateur. Et de s'identifier non pas par la descente du Créateur mais par l’ascension de la Force – l’ascension consciente. Mais Sri Aurobindo le voulait comme cela, alors c'était comme cela... et puis j'étais très occupée par mon travail. Et pendant les trente ans que nous avons vécus ensemble, c'était comme cela, sans un heurt; et mon aspiration, je la tenais tranquille parce que je savais que c'était sa volonté. Mais depuis qu'il est parti et que j'ai été en quelque sorte obligée de faire son travail, ça a changé; mais je ne voulais pas du tout que, parce que je prenais le travail, le Créateur soit obligé de s'adapter à la Force créatrice: ça ne va pas du tout! et toute l’aspiration était que la Force créatrice devienne consciemment le Créateur. Et de plus en plus, ça devient comme cela, et à la dernière rencontre (avec Sri Aurobindo) pendant un temps (pas tout le temps mais pendant un temps), c'était comme cela. Et alors j'ai compris; ça m'a fait comprendre tout le jeu de toutes les forces dans les deux éléments – les deux pôles, n'est-ce pas – et comment on pouvait les joindre, par quel processus cette opposition pouvait disparaître afin que l’Être total puisse exister.

C'est en route. Et ça devient de plus en plus clair. Et ce sera formidablement intéressant. Mais c'est pour plus tard.

De plus en plus (mais il y a longtemps, depuis que Sri Aurobindo est parti), ça va en augmentant, en se perfectionnant et en se précisant, en devenant de plus en plus conscient: la différence disparaît, l’opposition disparaît tout à fait, et la possibilité de s'identifier à l’autre – à l’autre attitude, celle que j'appelle volontairement «d'en haut».

Naturellement, dans les êtres humains, c'est extrêmement mélangé; il n'y en a pas, parmi tous les êtres humains, qui soient vraiment, l’un, un mâle, et l’autre, une femelle – ça n'existe pas. C'est très-très mélangé. Mais le but est une totalité; une totalité où chaque chose est à sa place et joue son rôle, pas en opposition mais en parfaite union – en identité. Et la clef de cela commence à venir.

Mais les difficultés sont encore là, les difficultés sont très subconscientes.

C'est très intéressant.

(silence)

Ce qui résiste le plus au point de vue terrestre (peut-être même au point de vue universel), c'est cette zone (elle est plus marquée dans l’atmosphère terrestre), cette zone émotive. Il y a eu la perception claire qu'elle tient à ses émotions, elle jouit de ses émotions. Ça contrebalance l’effort vers la perfection, vers l’unité parfaite: le plaisir des émotions.

Il y a eu l’expérience de quelques secondes, avec la vision claire et l’action imédiate de la Force suprême là-dessus (sur la zone émotive), mais l’expérience était insuffisante pour pouvoir le noter.

(silence)

Ces choses qui sont des conquêtes et des progrès ESSENTIELS, qui sont en train de se passer, prennent longtemps-longtemps-longtemps .pour se traduire (sur la terre)... Comment faire pour que ça puisse aller plus vite? Je ne sais pas.

C'est encore le même problème que celui de l’Identité dont je parlais l’autre jour, la proximité au centre: identité, puis proximité, puis de plus en plus, de plus en plus d'éloignement – c'est à cause de cela que ça prend du temps. Pour aller tout au bout, ça prend très-très longtemps.

(silence)

Sri Aurobindo a écrit quelque part, je ne sais plus où (je traduis, mais ce n'est pas la phrase exacte): «Les cellules du corps doivent être pleines de la Flamme divine.»

C'est évidemment quelque part où il explique la transformation.

Les cellules du corps doivent être pleines de la Flamme divine.

Et on sent ça – on SENT ça. C'est quand elles commencent à flamber, avec une flamme de plus en plus claire, de plus en plus pure... quand toute la fumée est partie.3

18 décembre 1963

(Mère lit le texte d'une lettre de Sri Aurobindo:)

Il est tout aussi ignorant et à mille lieues de mon enseignement de vouloir chercher ce que j'enseigne dans vos relations avec les êtres humains ou dans la noblesse du caractère humain, ou dans l’idée que nous sommes ici pour établir une Vérité et une justice mentales, morales et sociales suivant les conceptions humaines égoïstes. Je n'ai jamais rien promis de pareil. La nature humaine est faite d'imperfections, même sa rectitude et ses vertus sont des prétentions, des imperfections et les fanfaronnades d'un égoïsme content de lui-même... Notre but est de fonder la vie sur la vérité spirituelle, dont le premier pas est le don de soi, l’union avec le Divin et le dépassement de l’ego. Tant que cette base n'est pas établie, le sadhak est seulement un être humain ignorant et imparfait qui se débat contre les maux de la nature inférieure.

Je veux offrir ça à un amiral américain qui est ici et qui a besoin de savoir cela.

Tu l’as rencontré?

Non. Mais tous les Occidentaux! Le maximum de ce qu'ils conçoivent, c'est toujours les œuvres sociales...

Oui, c'est une sorte de perfection sociale sur la terre.

C'est Schweitzer, Gandhi, la Philanthropie, la Charité...

Pour eux, le Supramental serait le règne d'une égalité harmonieuse de toutes les classes et de tous les pays – au maximum, une union de tous les pays et de toutes les classes. C'est le sommet de leur rêve.

Et j'aime cette lettre, parce qu'il a dit: «Je n'ai JAMAIS rien promis de ce genre.» C'est cela, pour moi, qui est important.1

21 décembre 1963

(À propos des «joies» de la discipline tantrique, quand le disciple en était encore au sept millième, ou peut-être sept cent millième yantram tantrique. Nous n'avons malheureusement pas gardé le début de cette conversation.)

... C'est vrai, d'ailleurs, de temps en temps j'ai des coups de révolte, mais de plus en plus, je m'installe dans une sorte de néant – pas beaucoup de choses n'ont de sens. J'étais très attaché à la vie, j'aimais la vie, je trouvais que la vie était belle – c'est parti.

Ah oui! je comprends!

Mais pourtant, il y avait quelque chose de bien dans cet amour de la vie?

Oui... pour plus tard, quand elle sera différente de ce qu'elle est.

Maintenant, c'est parti, on me dirait: «Vous mourrez demain», ça me serait égal, tout à fait.

Eh bien, je comprends!

Mais d'ailleurs, c'est la condition presque essentielle pour pouvoir vivre une autre vie, tout en restant ici. C'est essentiel, mon petit, tant qu'on a le «goût de la vie», on est ballotté, secoué... Je considère ça comme un GRAND progrès.

Ça, ça va bien.

Le goût de la vie, on pourrait dire que c'est comme un avant-goût de ce qui sera, mais ce n'est pas du tout adapté à ce qui est.

(silence)

N'est-ce pas, quand on a la certitude – la certitude – que l’Ananda, la joie, l’épanouissement, c'est ça la Vérité de l’être; quand on a cette certitude intérieure et que l’on regarde la vie telle qu'elle est, ça paraît une chose incroyable (non la certitude mais la vie telle qu'elle est!) comme déformation.

Justement ces jours-ci, je constatais cela. À part Sri Aurobindo, je n'ai jamais rencontré et eu autour de moi que des gens pas satisfaits. Et dans certains cas (des cas de vies plus constamment intimes avec moi): ou des révoltés, ou des gens terriblement amers contre la vie telle qu'elle est – ce qui est tout l’opposé de ma nature. Je suis plutôt du côté de ceux qui prennent très philosophiquement les choses telles qu'elles sont, même quand j'étais toute petite enfant. Et alors je me suis demandé (je voyais cela ces jours-ci): «Pourquoi est-ce comme cela?»

J'ai vu que cette attitude ou cette manière de sentir est comme une forteresse pour ce qui s'oppose à la transformation.

(silence)

J'avais noté deux constatations ce matin, et je les avais mises sur la table avec l’idée de te les lire (c'étaient des «remarques», des «observations»), et très clairement il m'a été dit que ce sens de discernement très aigu qui s'aperçoit de tout ce qui est contraire à la Vérité divine, il est très bon de l’avoir, de ne pas être déçu ni trompé (ni de se tromper soi-même surtout), mais que chaque fois que l’on insiste là-dessus, on lui donne un POUVOIR D'ÊTRE, une sorte de pouvoir qui augmente ou qui perpétue son existence. Alors j'ai pris mes notes et je les ai mises au panier! (Mère rit) C'était le résultat d'études, d'observations tous ces jours-ci.

Tant que Sri Aurobindo était là, ça ne s'approchait pas de moi parce que je comptais sur lui pour la perception exacte de ce qui devait être et de ce qui devait disparaître; donc c'était tout à fait loin de ma conscience, je ne m'en occupais pas; ce n'est revenu qu'après, quand j'ai dû prendre tout le travail.

Mais à dire vrai, si l’on peut garder toujours dans sa conscience, clairement, d'une façon vivante, CE QUI DOIT ÊTRE, non pas avec l’illusion que c'est comme cela (les illusions ne doivent pas être là), mais une vision claire, positive, de ce qui doit être, en dépit de tout ce qui le dément... on serait très fort. Et cette nécessité commence à s'imposer: c'est cela que l’on me demande maintenant. On sait que ce n'est pas comme ce doit être (Dieu sait qu'on le sait!), mais garder une ignorance volontaire de ces démentis afin de garder active dans la conscience la vision de ce qui doit être – je sens que c'est cela, le vrai pouvoir créateur.

N'est-ce pas, le fait de ne plus avoir le soutien physique de la présence de Sri Aurobindo a été un coup qui aurait pu être mortel (je l’ai empêché d'être mortel en fermant une porte, parce qu'il m'avait demandé de continuer et que j'ai décidé de continuer), mais cela a rendu certaines choses assez difficiles parce qu'il était nécessaire d'avoir une perception constante de ce qui est à faire et un effort constant pour changer ce qui est en ce qui doit être... Probablement, c'est une période de travail qui doit être achevée maintenant, et il me demandait la capacité de vivre dans le côté positif. Le malheur, c'est que le corps lui-même est une sorte de contradiction – mais il m'a été suggéré que ces contradictions du corps proviennent du fait que j'admets dans la conscience toutes les contradictions, et que, par conséquent, elles sont dans le corps. Au lieu de regarder le corps et de dire: «Ah! c'est encore là» (telle limitation, telle étroitesse), je devrais regarder seulement ce qui doit être, et le corps serait obligé de suivre.

Il semble que ce soit la préparation du programme pour l’année prochaine – beaucoup-beaucoup de chemin à faire pour y arriver. Mais enfin, il y a encore quelques jours (!)

Il y a des tas de victoires que je ne peux pas encore remporter! C'est évidemment une incapacité, il y a des limitations; ça doit venir d'une attitude qui n'est pas complètement ce qu'elle doit être.

La Présence du Seigneur est là, son Action est là, d'une façon que je pourrais presque appeler perpétuelle parce que les moments où... Ça ne se retire jamais, mais les moments où Ce n'est pas actif, où Ça devient un peu passif, sont beaucoup moins fréquents que les moments où C'est actif – beaucoup moins, il y a une grande différence. Et pourtant, le résultat que ça devrait avoir n'est pas là. Par conséquent, comme Ça se sert de ce corps et de cette ambiance (de Mère), il doit y avoir quelque chose qui atténue, qui diminue, qui altère, qui... Je pourrais donner des exemples tout à fait précis, concrets, mais enfin cela concerne certaines gens ici et par conséquent je n'en parle pas. Et c'est cela qui m'a fait chercher pourquoi-pourquoi?...

J'ai l’impression qu'il y a quelque chose qui pousse pour supprimer de ma conscience active ce discernement si aigu, si impératif, tu sais aigu, avec une vision... (comme j'ai eu l’autre jour la vision de la Proximité et de l’éloignement), une vision d'une exactitude presque microscopique. Évidemment, c'est une aide pour éliminer toutes les choses qui ne doivent pas être, mais maintenant on veut que cette attitude aille dans le «background», en arrière, et que la conscience active voie d'une façon constante et presque exclusive seulement CE QUI DOIT ÊTRE.

C'est-à-dire qu'il y a des mouvements d'élimination, de rejet, des mouvements (une seconde) de transformation, et puis il y a des mouvements de construction – il semble que le moment soit venu d'entrer dans le mouvement de construction.

La conscience corporelle est encore très timide; très timide dans le sens qu'elle n'a pas confiance en elle-même; elle a l’impression que si elle n'est pas tout le temps vigilante, à regarder-regarder-regarder, observer, discerner, il y a des choses (geste en dessous) qui peuvent passer, et qui ne doivent pas passer. C'est cela qui retarde. Et c'est pour cela que cette certitude vient de plus en plus: pas de critique, pas de critique, pas de critique, ne pas voir ce qui ne doit pas être – voir seulement CE QUI DOIT ÊTRE.

C'est une grande victoire à remporter, grande victoire.

Et elle est d'autant plus grande et d'autant plus difficile que (certainement pour les nécessités du travail) je ne suis entourée que de gens qui sont de l’autre côté. Je n'ai autour de moi pas un seul optimiste. Tout ce que l’on me dit, tout ce que l’on m'apporte, c'est toujours la vision (plus ou moins claire, plus ou moins complète) de ce qui doit s'en aller; mais la vision de ce qui doit être... je ne l’ai jamais trouvée que dans Sri Aurobindo.

Ce n'est que par bouffées, par éclairs, de temps en temps, et seulement quand il écrivait (jamais quand il parlait) que l’on trouvait cette espèce de chose aiguë, de discernement aigu, comme dans ce que nous avons traduit la dernière fois. Autrement quand il parlait, quand il était avec les gens, jamais il n'y avait de critique négative.

Autrement personne.

Depuis ma toute petite enfance (cinq ans, mes souvenirs à cinq ans) et pendant plus de quatre-vingts années, j'ai toujours été entourée de gens qui m'apportaient avec abondance la révolte, le mécontentement, et puis alors, de plus en plus, des cas (certains cas qui ont été très aigus et qui le sont encore) d'ingratitude foncière – pas à mon égard, ça n'a aucune espèce d'importance: à l’égard du Divin. l’ingratitude... c'est une chose qui m'a été très-très douloureuse souvent: que cela puisse être. C'est l’une des choses que j'ai vue dans la vie, qui me paraissait la plus... la plus intolérable, cette espèce d'acidité âpre contre le Divin: que les choses soient comme elles sont, que toute cette souffrance ait été tolérée. Alors ça prend des formes plus ou moins ignorantes, plus ou moins intellectuelles, plus ou moins... mais c'est cette espèce d'acidité. Et ça prend quelquefois des formes personnelles, ce qui rend la lutte encore plus difficile parce qu'on ne peut pas mélanger des questions de personnes là-dedans – ce n'est pas une question personnelle, c'est une erreur de penser qu'il y ait aucun mouvement dans le monde qui soit «personnel»; c'est la conscience ignorante de l’homme qui le rend personnel, mais ce ne l’est pas: ce sont des attitudes terrestres.

C'est venu avec le Mental; les animaux n'ont pas ça. Et c'est pour cela que je sens une douceur dans les animaux, même soi-disant les plus féroces, qui n'existe pas chez l’homme.

(long silence)

Et pourtant, de tous les mouvements, celui peut-être qui donne le plus de joie – de joie sans mélange, qui n'ait pas cette teinte d'égoïsme –, c'est la gratitude spontanée.

C'est quelque chose de très spécial. Ce n'est pas l’amour, ce n'est pas le don de soi... C'est une joie très pleine. Très pleine.

C'est une vibration très spéciale qui ne ressemble à rien d'autre qu'elle-même. C'est quelque chose qui vous élargit, qui vous remplit – qui est si ardente!

C'est certainement, parmi tous les mouvements à la portée de la conscience humaine, celui qui vous sort le plus de votre ego.

Et quand ça peut être une gratitude sans mobile, cette vibration-là (au fond, la vibration de ce qui existe pour la Cause de l’existence)... alors beaucoup-beaucoup de barrières disparaissent imédiatement.

(Mère reste longtemps en contemplation dans cette vibration de gratitude)

Quand on peut entrer dans cette vibration-là dans sa pureté, on s'aperçoit tout de suite que c'est une vibration de la même qualité que celle de l’Amour: elle n'a pas de direction. Ce n'est pas quelque chose qui va d'une chose à une autre, ce n'est pas d'ici à là (geste de bas en haut) ou de là à ici... c'est (geste rond) simultané et total.

Je veux dire que ce n'est pas quelque chose qui a besoin des deux pôles pour exister; ce n'est pas aller d'un pôle à l’autre et de l’autre pôle à ça: c'est une vibration qui, dans sa pureté, est la même que la vibration d'Amour, qui ne va pas d'ici à là et de là à là, les deux pôles de l’existence.

Ça existe en soi pour sa joie d'être. (Et ce que je dis là, abîme beaucoup.)

Comme l’Amour.

Les hommes ont répété à satiété que rien n'existe s'il n'y a pas ces deux pôles, et que ce sont ces deux pôles qui sont la cause de l’existence et que tout tourne autour de ça (Mère hoche la tête), mais ce n'est pas comme cela. C'est-à-dire que l’homme, dans sa conscience extérieure ordinaire, ne peut rien comprendre en dehors de cela, voilà. C'est entendu. Mais dans son essence (Mère hoche encore la tête), ce n'est pas comme cela.

Au fond, la gratitude est seulement une très légère teinte de coloration de la Vibration essentielle d'Amour.

(méditation)

25 décembre 1963

(Mère a l’air fatiguée)

Comment sont les nuits?

Pas très conscientes.

Ça, ça ne fait rien (!) Si tu te reposes, c'est tout ce qu'il faut.

La nuit dernière, c'était un harassement perpétuel.

(silence)

En ce moment, il y a toute une étude dans le subconscient, sur la cause des maladies. On ne voit pas des choses très agréables...

Il y a toute une zone du Vital le plus matériel qui pénètre, pour ainsi dire, le physique subtil – c'est là que se forment les maladies. On voit des tas de formations tout à fait crooked [difformes] – un manque de sincérité. Et ça se traduit par des images: je vois toutes sortes de gens et je fais toutes sortes de choses dans une zone spéciale – les mêmes gens qui sont ailleurs sont là aussi sous un aspect spécial. Et c'est un mélange de la déformation de la conscience, de la déformation du langage et de la déformation de la forme – il y en avait!... pendant des heures.

Mais j'étais tout le temps accompagnée d'une forme, pas très précise, mais qui était la matérialisation, dans ce domaine, de la Présence du Seigneur. Et je me souviens d'être entrée pour le travail dans une immense chambre qui était toute nue, où il n'y avait rien, et qui était dans une demi-lumière; et tout d'un coup, j'ai senti quelque chose qui s'agrippait ici (à la base de la nuque), quelque chose que j'ai senti même physiquement (j'étais couchée dans mon lit mais j'ai senti physiquement). Alors j'ai signalé cela à cette Forme qui m'accompagnait partout – si attentive, si proche – pour m'expliquer les choses, me montrer les choses; je me suis plainte, j'ai dit: «Tiens, il y a quelque chose qui m'a agrippée, j'ai mal même physiquement.» Alors j'ai vu une sorte de bras qui est venu, qui a pris cette chose sur ma nuque, qui l’a tirée et me l’a présentée: c'était comme une de ces grandes chauve-souris qu'on appelle flying-fox1 (il y en a ici, elles mangent les petits oiseaux, les poussins...), c'était agrippé à mon cou! Il m'a dit: «Oh! ce n'est rien! ce n'est que ça.» (Mère rit) Et c'était un gros machin comme ça (un mètre environ) qui m'avait agrippée là et qui avait encore ses deux griffes dehors (il l’avait arraché de mon cou). C'était devenu plat et presque inerte mais c'était encore méchant comme tout.

C'était tout simplement un «incident» – j'en passe.

Mais ce qui est remarquable, c'est que ma douleur physique est partie imédiatement; j'avais une douleur dans la nuque, comme un poids qui faisait mal, qui pressait sur les nerfs, et c'est parti instantanément: «Oh! ce n'est rien, c'est seulement ça»!

Puis c'était comme s'il me conduisait, et, dans d'autres endroits, j'ai vu une sorte de scorpion à forme bizarre (c'était aussi une sorte d'entité de ce domaine, qui donnait d'autres maladies) qui essayait de grimper quelque part. Il y avait aussi un serpent tronqué, qui était coupé, et par la coupure quelque chose comme sa vie s'en allait, et pourtant il était encore vivant. Toutes sortes d'horreurs. Mais il n'y avait pas du tout de sentiment de dégoût: c'était plutôt une conscience qui étudiait, qui observait, et le «je» qui observait, c'était la force de la conscience sur le jeu de ces choses.

Ce n'est pas un domaine agréable. C'est celui qui est juste comme cela (Mère pose ses deux mains l’une contre l’autre), imédiatement après... (comment dire? ce n'est pas plus haut et ce n'est pas plus dedans), après le physique subtil, et c'est le domaine où se MATÉRIALISENT les formations de maladie. J'ai passé plus de trois heures de la nuit là-dedans.

C'est une sorte d'étude... qui, peut-être, est utile. Et j'ai remarqué cela, je me souviens de m'être plainte, j'ai dit: «Oh! mais j'ai mal» (j'étais en apparence profondément endormie, mais j'étais très consciente de mon corps), et alors cela m'a intéressée, je me suis adressée au Seigneur: «J'ai bien mal.» Alors Il a approché sa main, Il a pris cette chose, puis Il me l’a présentée et Il m'a dit: «Oh! ce n'est que ça»!... Ce n'était pas joli. Mais alors INSTANTANÉMENT, la douleur est partie. J'avais un peu mal avant de me coucher le soir (les nerfs faisaient mal, les muscles de la nuque étaient douloureux, c'était comme quelque chose qui pesait lourdement et qui s'agrippait d'une façon pénible), et j'ai vu Sa main prendre ça et me présenter cet animal, et j'ai entendu la voix: Oh, it's only that (il me parle en anglais), «it's only that» [c'est seulement ça] – Parti!

Exactement ce que Sri Aurobindo faisait quand il était ici: comme si sa main venait, prenait la douleur, et puis la maladie s'en allait.

Seulement ce sont des nuits un peu... fatigantes. Des nuits de travail, de lutte. Et alors pendant la journée, il y a cette avalanche de gens et de choses... Si l’on ne devient pas fou, c'est que l’on n'a pas de dispositions! (Mère rit)

Voilà.

Il faudrait pourtant que tu te reposes. Il est temps que ce livre soit fini et que ces écritures [tantriques] soient finies – que tu puisses aller t'asseoir en face de la mer. Voir les vagues bouger, hein?

J'ai encore huit jours de travail.

Bon. Il faut tenir huit jours.

Et ce sont les huit jours les plus...

Après ça, tu vas t'asseoir et tu regardes les vagues. C'est joli, les vagues! (Mère rit, moqueuse)2

29 décembre 1963

(Note de Mère à Satprem)

Satprem, mon cher petit,

Le 31 je te verrai dans la chambre de musique, et je voudrais qu'à 10 heures Sujata vienne aussi, parce que je veux essayer différents claviers à l’orgue, et elle aidera à les arranger.

Ma tendresse est toujours avec toi

Signé: Mère

31 décembre 1963

(Mère essaye l’orgue: une petite silhouette blanche qui oscille sur son tabouret)

Voilà.

Tu devrais avoir enregistré?... Et puis on le jouera demain (pour l’Ashram), comme cela, je n'aurai pas de travail!

(Sujata:) C'est du «travail»?

Toi, tu t'amuses.

Ça m'amuse... Je ne sais pas, je ne sais pas ce que je fais, du tout, du tout, du tout! J'entends à peine. Il y a quelque chose qui s'amuse «là-bas». Si pour une minute j'écoute, ça commence à déranger!

Ça suffit, non?

Qu'est-ce que tu dis, toi là-bas (Satprem)? Ça suffit ou tu en veux encore?

Ça dépend, si tu es fatiguée...

Oh! (riant) ça, fatigant! Ça ne fatigue rien. La tête est vide. Je te dis, quand j'écoute, ça commence à être plus difficile; si je n'écoute pas, ça va bien.

Quelle heure est-il?

Presque dix heures et demie.

Tu n'as rien à me dire?... Tu en veux encore... sur le mode mineur

– ça, c'est le mode majeur!

(À Sujata:) Toi, tu aimes mieux «gai» ou «triste»? (rires)

J'avais l’intention, demain, de jouer «l’horreur du monde du Mensonge», et puis de finir par «La gloire de la Lumière»... si ça vient.

Mais ça, c'était un petit délassement... musical.

(Mère se remet à l’harmonium: «mode mineur gai» et termine par un sol)

Cette fois, fini.

Ça, c'est une promesse: le sol.

Toujours, quand il y a une promesse qui vient, ça finit par un sol.

(Mère fait vibrer le sol)

Alors je garde les claviers comme cela. Et demain à midi et demie je jouerai (pour l’Ashram), peut-être que ce ne sera pas... aussi libre qu'aujourd'hui!

(À Sujata:) Tu remets tout en place.

Je n'ai pas l’heure... Il y a l’heure là (au mur), mais je ne vois rien: je vois le ciel brillant.

(Mère donne des fleurs)

C'est un «pouvoir doré» (hibiscus), hein, il est joli!

Qu'est-ce qu'elle t'a dit, la musique?...– Je ne veux pas que tu dises «bon» ou «mauvais», mais si ça a suggéré quelque chose?

Mes yeux sont tombés sur cette phrase de Sri Aurobindo (près du calendrier).

Ah! n'est-ce pas! C'est ça. C'est ça! Tous les jours, je regarde. Le soir on change la date et la citation – je ne sais pas quel sera le texte de demain, il faut changer tout le calendrier et mettre «janvier». Tu veux qu'on fasse cela? Apporte le calendrier ici.

Tout ça, ça va s'en aller!

Nous avons ici décembre (Mère lit:)

And earth shall be the Spirit's manifest home1

(Sujata:) C'est la promesse qui est venue?

Oui, la promesse du sol. Le sol promet toujours.

(Mère arrange le calendrier à la date du 1er janvier 1964 et lit la citation de Sri Aurobindo)

All can be done if God's touch is there2

Tout peut se faire si le toucher de Dieu est là

Voilà: All can be done. Tout.

J'aime beaucoup ce calendrier à cause de ces citations. Tous les soirs, je le change.

Demain ici, je vois... (Mère regarde son carnet) 4-5-6-7-8 personnes, et puis 2 là-bas, ça fait dix – demain matin entre dix et onze heures... (riant) «All can be done if God's touch is there»!

Alors je vous vois l’année prochaine.

Je t'ai tout donné? Je t'ai donné le second calendrier? (avec une photo de Mère, imprimée à Calcutta) l’autre, il ne l’aimait pas.

(Sujata:) Tu es trop sévère, petite Mère!

Ah! voilà, ça aussi! Mais je n'étais pas sévère: j'étais en contemplation!

(Satprem:) Une contemplation sévère.

(Sur le second calendrier, la photo représente Mère en train de traduire «La Synthèse». On peut même lire la phrase en cours de traduction: «Notre volonté Savitri. sera la forme d'une pensée divine, et la pensée, les rayons du soleil spirituel...»)

C'est le dernier livre de La Synthèse. Nous devions le revoir ensemble mais ça ne marche pas...

(À Sujata:) Tu sais ce qu'il fait? – Il prend l’anglais et puis il se met à traduire! (rires) Alors moi, je n'ai rien à faire!

La conclusion, c'est que quand il aura fini son livre, je te donnerai mon manuscrit à taper. Si j'avais de bons yeux, c'est bien, mais mes yeux ne valent plus rien, les pauvres (je ne peux pas en dire beaucoup de mal, ils ont bien servi, mais enfin...) Ou alors, il faudrait corriger sur mon manuscrit lui-même, mais ça, il (Satprem) ne veut pas.

Ah! non.

Alors ça ne sert à rien.

(Sujata:) J'ai aussi «l’Agenda» à rattraper d'une année tout entière.

Oh! l’Agenda... Je bavarde tout le temps. Il a le talent de me faire bavarder – avant qu'il vienne, je décide: «Je ne dirai rien», et puis... je ne sais pas, il ne dit rien, il ne demande pas, et puis je ne sais pas ce qui arrive mais je me mets à parler!3

Bon, alors nous commencerons le 4 la révision de La Synthèse. Mon écriture est difficile?

(Sujata:) Non-non!

Oh! elle n'est plus si bonne. Et pendant que j'écrivais cela, il m'est arrivé des choses étranges: un jour, tout d'un coup, je sens que je n'ai plus de contrôle sur ma main... Comment faire pour écrire? Et puis tout d'un coup, je me mets à écrire comme ça, et alors je vois: c'est l’écriture de Sri Aurobindo! Et comme elle est illisible, j'ai dit: «Ce n'est pas un progrès!» (rires) Alors j'ai fait beaucoup d'efforts, je me suis concentrée, j'ai écrit lentement-lentement comme l’écolier à l’école, et puis c'est revenu!

Voilà, alors tu tomberas peut-être sur des passages pas très lisibles.

Mais le dernier livre (La Perfection de Soi), c'est le plus gros, et puis il est difficile.

Il n'a pas fini.

Il n'a jamais fini le dernier chapitre, il m'a même dit: «Vous le finirez quand j'aurai fini mon yoga», puis il est parti, tout laissé.

Après, plusieurs fois, il m'a dit qu'il fallait que ce soit moi qui le finisse – j'ai répondu que je n'avais pas le cerveau pour cela. Ou il faudrait que je l’écrive d'une façon médiumnique, mais je ne suis pas un bon médium, je suis trop consciente – tout de suite la conscience s'éveille derrière et regarde le phénomène, alors ça ne marche plus.

Mais ton Agenda, c'est la fin du livre de la «Perfection de Soi»!

Eh bien, il y en aura long! (Mère rit) C'est-à-dire que quand ce sera fini (il faut attendre que ce soit fini d'abord), quand ce sera fini, avec ces notes, on pourrait établir quelque chose – vous avez le temps d'attendre! il y en a encore pour quelques années.

Ça ne fait rien, on ne s'ennuie pas, non? (À Sujata:) Tu t'ennuies? Dis franchement, tu t'ennuies? (rire de Sujata) Lui, je n'ai pas besoin de lui demander, je sais: «Oh! ça n'en finit plus, ça dure trop longtemps, rien ne se passe, rien n'arrive...» (rires) Enfin, mes enfants, c'est comme cela. Moi, je fais aussi vite que je peux, je suis la première intéressée! Mais on ne peut pas se dépêcher, ce n'est pas possible. Ce n'est pas possible.

Justement, dans Savitri, Sri Aurobindo a passé par tous les mondes, et il se trouve que je suis cela sans le savoir (parce que je ne me souviens jamais – Dieu merci, je rends grâce au ciel! j'ai demandé au Seigneur de m'enlever la mémoire mentale et Il me l’a enlevée complètement, alors je ne suis pas encombrée), mais je suis cette description de Savitri sans savoir mentalement l’ordre des mondes, et ces jours-ci... J'étais dans cette Bouillie du Mensonge (je te l’ai dit la dernière fois), c'était vraiment pénible, et je suivais ça dans les vibrations les plus ténues, celles qui arrivent à l’origine du moment où la Vérité a pu se changer en Mensonge – comment c'est arrivé. Et c'est tellement ténu, presque imperceptible, cette déformation-là, la Déformation originelle, qu'on perd un peu courage et que l’on se dit: «C'est bien facile de basculer encore... la moindre chose et on peut encore basculer dans le Mensonge, la Déformation.» Et hier, j'ai eu entre les mains un passage de Savitri que l’on m'a apporté – c'est une merveille, mais... c'est si triste, si misérable, oh! j'en aurais pleuré (je ne pleure pas facilement).

The world grew full of menacing Energies,
And wherever turned for help or hope his eyes,
In field and house, in street and camp and mart,
He met the prowl and stealthy come and go
Of armed disquieting bodied Influences.
A march of goddess figures dark and nude
Alarmed the air with grandiose unease;
Appalling footsteps drew invisibly near,
Shapes that were threats invaded the dream-light,
And ominous beings passed him on the road
Whose very gaze was a calamity:
A charm and sweetness sudden and formidable,
Faces that raised alluring lips and eyes
Approached him armed with beauty like a snare,
But hid a fatal meaning in each line
And could in a moment dangerously change.
But he alone discerned that screened attack.

(II.VII.205)

Le monde s'était empli de forces menaçantes
Partout où ses yeux cherchaient l’aide ou l’espoir,
Dans les champs, les maisons, les rues, le campement, le marché,
Il rencontrait le glissement furtif
D'inquiétantes Influences armées, vêtues d'un corps.
Des silhouettes de déesses noires et nues, en marche
Emplissaient l’air d'alarme et d'un grandiose malaise,
Des bruits de pas s'approchaient, horribles,
Des formes comme une menace envahissaient la lumière de rêve
Et des êtres maléfiques croisaient sa route
Dont le seul regard était une calamité:
Un charme, une douceur soudaine et formidable
Des visages qui laissaient voir des lèvres et des yeux fascinants
S'approchaient de lui, armés de beauté comme un piège
Cachant une intention fatale dans chaque trait
Et, en une seconde, prêts à se changer dangereusement.
Mais lui seul savait percevoir cette attaque voilée.

On se demande... C'est comme quelque chose de gluant qui vous entoure, qui vous touche partout; on ne peut pas avancer, on ne peut rien faire sans rencontrer ces doigts noirs et gluants du Mensonge. C'était une impression très pénible.

Et cette nuit, c'était comme la Réponse. Je ne me suis pas souvenue clairement ce matin en me levant mais au milieu de la nuit je savais très bien (ce n'est pas passer du sommeil à l’éveil: c'est sortir d'un état pour entrer dans un autre, et quand je suis sortie de cet état pour rentrer dans l’état soi-disant normal, je me souvenais très bien), et c'était comme si l’on me faisait vivre le MOYEN de changer ce Mensonge en Vérité, et c'était si joyeux!... Si joyeux. C'est-à-dire que c'est une vibration analogue à la joie qui est capable de dissoudre et de surmonter la vibration du Mensonge. Ça, c'était très important: ce n'est pas l’effort, ce n'est pas la rectitude, ni le scrupule, ni la rigidité, rien de tout cela, ça n'a aucun effet sur cette tristesse (c'est une tristesse) du Mensonge – c'est quelque chose de si triste, de si impuissant, c'est si misérable... si misérable. Et ce n'est qu'une vibration de Joie qui peut changer ça.

C'était une vibration qui coulait comme de l’eau argentée – ça frémissait et ça coulait comme de l’eau argentée.

C'est-à-dire que l’austérité, l’ascétisme, même l’aspiration intense et sévère, toute sévérité, tout ça: aucune action. Aucune action – le Mensonge reste là, derrière, sans bouger... Il ne peut pas résister au pétillement de la joie. C'est intéressant.

(silence)

Et dans son texte, Sri Aurobindo dit que le Seigneur joint les contraires, les opposés, les met ensemble pour qu'ils se battent, et que cette volonté et cette action Lui donnent un sourire sardonique (je commente).

A tract he reached unbuilt and owned by none:
There all could enter but none stay for long.
It was a no man’s land of evil air,
A crowded neighbourhood without one home,
A borderland between the world and hell.
There unreality was Nature’s Lord:
It was a space where nothing could be true,
For nothing was what it had claimed to be:
A high appearance wrapped a spacious void.
Yet nothing would confess its own presence
Even to itself in the ambiguous heart:
A vast deception was the law of things;
Only by that deception they could live.
An unsubstantial Nihil guaranteed
The falsehood of the forms this Nature took
And made them seem awhile to be and live.
A borrowed magic drew them from the Void;
They took a shape and stuff that was not theirs
And showed a colour that they could not keep,
Mirrors to a fantasm of reality.
Each rainbow brilliance was a splendid lie;
A beauty unreal graced a glamour face.
Nothing could be relied on to remain:
Joy nurtured tears and good an evil proved,
But never out of evil one plucked good:
Love ended early in hate, delight killed with pain,
Truth into falsity grew and death ruled life.
A Power that laughed at the mischief of the world,
An irony that joined the world’s contraries
And flung them into each other’s arms to strive,
Put a sardonic rictus on God’s face.

(II . VII. 206)

Il arriva dans une région inhabitée, sans maître.
Là, tout le monde pouvait entrer mais nul ne pouvait rester longtemps.
C'était un no man's land à l’air maléfique
Un voisinage grouillant sans un abri
Un pays frontalier entre l’enfer et le monde.
Ici, l’irréalité était le maître de la Nature,
C'était une région où rien ne pouvait être vrai
Et rien n'était ce qu'il prétendait être:
Une superbe apparence enveloppait un grand vide.
Et pourtant nul ne voulait avouer sa prétention
Même à soi-même en son cœur ambigu:
Une vaste tromperie était la loi des choses,
Par cette tromperie seulement ils pouvaient vivre.
Un Néant sans substance assurait
La fausseté des formes que cette Nature revêtait
Et un instant, les faisait sembler être et vivre.
Une magie d'emprunt les tirait du Vide
Leur faisant prendre une forme et une substance qui n'étaient pas à eux
Et arborer une couleur qu'ils ne pouvaient pas garder,
Miroirs d'une réalité fantôme.
Chaque éclat irisé était un splendide mensonge,
Une irréelle beauté ornait une mine ravissante.
On ne pouvait se fier à rien qui dure:
La joie nourrissait des larmes, le bien se révélait un mal
Et jamais un mal ne livrait quelque bien
l’amour finissait vite en haine, la joie tuée par la douleur
La vérité se changeait en un mensonge et la mort gouvernait la vie.
Une Puissance riait des méchancetés du monde
Une ironie mariait les contraires de l’univers
Et les poussait dans les bras l’un de l’autre pour se battre,
Mettant un rictus sardonique sur la face de Dieu.

Et je devais faire une illustration pour H; je voyais l’image, le visage du Seigneur avec un sourire sardonique; et puis, après l’expérience de cette nuit, ce matin, tout d'un coup cette expression de la tête a changé, et alors j'ai vu l’image de la vraie, la vraie douleur de la Compassion – je ne sais pas comment expliquer ça... Le sourire sardonique se changeait: de sardonique il devenait amer, d'amer il devenait douloureux, de douloureux il devenait plein d'une compassion extraordinaire...

(silence)

Alors on pourrait dire que le Mensonge est la douleur du Seigneur. Et que sa Joie est la guérison de tout Mensonge.

Il fallait que la Douleur soit exprimée pour pouvoir être effacée de la création.

Et la douleur, c'est le Mensonge – la douleur du Seigneur, la douleur dans son essence, c'est le Mensonge.

Alors vivre dans le Mensonge, c'est faire mal au Seigneur.

Ça ouvre des horizons...

Et Sa Joie est la guérison de tout.

C'est le problème vu de l’autre côté.

Donc, si on aime le Seigneur, on ne peut pas Lui donner de douleur, et nécessairement on sort du Mensonge, on entre dans la Joie.

C'est ce que j'ai vu cette nuit. C'était tout argenté. Tout argenté-argenté...

Il y avait même la vision du genre de vibration dans les cellules: c'étaient des vibrations tout argentées, pétillantes, frémissantes, mais très régulières, et précises... (comment dire?...) C'était dans les cellules la contradiction du Mensonge; c'étaient comme des petits éclats de lumière argentée.

Mais ça (le Mensonge), c'est le grand obstacle, c'est l’extrême difficulté. C'est comme quelque chose de gluant qui est entré dans la création et qui se colle partout, et qui est devenu une habitude aussi matérielle parce que ce n'est pas seulement le Mental qui a du Mensonge: il y a du Mensonge dans la Vie, dans la Vie elle-même. Dans ce qui est tout à fait inanimé, je ne sais pas... Peut-être est-ce venu avec la Vie? (d'après Savitri, c'est dans la Vie qu'est l’origine du Mensonge). Mais c'est comme si l’Inconscience pour aller vers la Conscience, pour retourner à la Conscience, au lieu de prendre le chemin de la Vérité, avait pris le chemin du Mensonge et de la Mort.

Et le Mensonge, c'est ça: c'est la douleur du Seigneur.

On m'a demandé un Message pour l’année prochaine, et tout le temps c'étaient des choses de ce genre qui me venaient, alors je n'ai rien dit. On ne comprendrait même pas, ce n'est pas compréhensible si l’on n'a pas l’expérience. Et si on le dit tel quel, d'une façon presque dogmatique: «Le Mensonge est la douleur du Seigneur», ça ne veut rien dire.

Ou si on le dit d'une façon littéraire, ce n'est plus vrai.

Et si l’on disait: «Le Mensonge, c'est la manière d'être malheureux du Seigneur»! (Mère rit) les gens trouveraient que ce n'est pas sérieux.

Bon. Mes enfants, je crois qu'il est temps d'aller faire son travail. Je vous souhaite une bonne année!4









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