L’Agenda de Mère Set of 13 volumes
L’Agenda de Mère 1965 Vol. 6 1980 Edition   Satprem
French
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ABOUT

Agenda de l’action Supramentale sur la Terre. Mother discovers the 'mind of the cells', a new cellular memory, not of death or the 'real' world, and a marvel of physical freedom hidden within our cells.

L’Agenda de Mère 1965

The Mother symbol
The Mother

"A whole world is opening up." It is the year when Mother reaches "the mind of the cells", buried under the old genetic coding that seems to want to keep men forever harnessed to death: "There, there is such a concentration of power.... as if you had caught the tail of the solution." Another power of consciousness in matter capable of undoing the old program: "A kind of memory being elaborated from below" - a new cellular memory which is no longer the memory of decay, illness, death, gravity and all our "real" world? At the same time, at that cellular level, freed from the old laws, Mother discovers "two worlds one inside the other: a world of truth and a world of falsehood, and that world of Truth is PHYSICAL; it is not up above: it's MATERIAL. And that's what must come to the forefront and replace the other: the true physical." Mother called that replacement the "transfer of power". Is it really conceivable that a marvel of physical freedom lies concealed within our cells, while we strive and toil outside with illusory panaceas: "If even a tiny aggregate of cells were to succeed in experiencing the total transformation, all the way, that would be more effective than any big upheaval. But it's more difficult.... You must overcome death! Death must cease to exist, it's very clear." Is the entire earth not in the process of living through this "transfer of power", just as one day it passed from the reign of the animal to the reign of the mind? "Everything is escaping, there's nothing left to lean on, it is the passage to the new movement.... and for the old, that always means a dangerous disruption of equilibrium."

L’Agenda de Mère L’Agenda de Mère 1965 Editor:   Satprem Vol. 6 1980 Edition
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Mother's Agenda 1965 Conversations with Satprem

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janvier




6 janvier 1965

(À propos de la musique composée par Sunil pour le 1er janvier 1965:)

C'est curieux, toute cette musique d'autrefois, européenne, que je connaissais bien, que j'admirais, elle me semble comme vide de substance, tandis que là, il y a un contact tout là-haut: tout de suite on plonge.

Oui, c'est cela. Quand j'ai entendu sa musique pour la première fois, tout d'un coup ça s'est ouvert, j'étais en plein dans le lieu que je connais, d'où vient l’Harmonie véritable – d'un seul coup.


(Peu après, il est question de la grave opération que le disciple vient de subir:)

...Ne laisse pas les gens te manger.

Et puis, je voudrais être ce que tu veux que je sois.

Oui, mon petit. Moi, je veux que tu sois paisible, heureux, lumineux et... (Mère dessine de grandes ondulations) vivant dans le Devenir éternel – le sentiment de l’éternité, toujours. C'est cela que je veux. Parce que... l’ouverture vers le haut, elle est là, tu l’as – elle est là et ça descend; ce sont les remous du dehors qui fatiguent.

Repose-toi, et je veux dire justement: se laisser aller dans le Mouvement éternel sans se crisper; ne pas se dire: «J'ai ça à faire, ça à faire, et ceci et cela...»

Ne laisse pas les gens t'embêter. J'ai prévenu Sujata...

9 janvier 1965

...Il faut mieux te porter, mon petit.

Tout ce que je peux dire, c'est qu'il y a une férocité dans la résistance à la descente de la Vérité. N'est-ce pas, cette descente est tout à fait concrète et évidente, et tout ce qui ne voulait pas résiste avec une férocité terrible – ça ne peut pas durer. Seulement, il faut tenir le coup, c'est cela la difficulté.

Pour moi, c'est une lutte de chaque minute avec tout ce qu'il y a de plus négatif dans la vie, dans la conscience terrestre, ce qui refuse de reconnaître la possibilité d'une divinité. C'est-à-dire le concept matérialiste dans ce qu'il a de plus obstinément obscur.

Seulement... dans la conscience là-haut, et même dans la conscience mentale, il n'y a pas de conséquences (je veux dire que la férocité de la lutte ne change rien, ça assiste seulement au phénomène), mais c'est ce pauvre corps qui reçoit les coups.

Le tout est qu'il dure.

Pour cela, il faut faire juste ce que l’on est obligé de faire pour garder l’équilibre: l’inertie totale n'aiderait pas, mais un effort d'action est mauvais. Alors, n'en fais pas trop, surtout ne vois pas de gens.

12 janvier 1965

(À propos d'un ancien «Entretien», du 8 mars 1951, où Mère parlait de l’être qui possédait Hitler et le «guidait»: «Hitler était en rapport avec un être qu'il considérait comme le Suprême: cet être venait et lui donnait des conseils, lui disait tout ce qu'il fallait faire. Hitler se retirait dans la solitude et restait le temps qu'il fallait pour entrer en contact avec son "guide"et recevoir de lui les inspirations, qu'il mettait ensuite à exécution très fidèlement Cet être qu'Hitler prenait pour le Suprême était tout simplement un Asoura, celui qu'on appelle "Le Seigneur du Mensonge" en occultisme, et cet être se proclamait "Le Seigneur des Nations". Il avait une apparence resplendissante, il pouvait donner le change à n'importe qui, sauf à celui qui avait vraiment la connaissance occulte et qui pouvait voir ce qui était là, derrière l’apparence. Il aurait trompé n'importe qui, il était vraiment splendide. Généralement, il apparaissait à Hitler avec une cuirasse et un casque d'argent (une sorte de flamme sortait de sa tête), et il y avait une atmosphère de lumière éblouissante autour de lui, si éblouissante qu'Hitler pouvait à peine le regarder. Il lui disait tout ce qu'il fallait faire – il jouait avec lui comme avec un singe ou une souris. Il avait tout à fait décidé de lui faire faire toutes les extravagances possibles... jusqu'au jour où il se romprait le cou, ce qui est arrivé. Mais des cas comme celui-là, il y en a beaucoup, à une moindre échelle bien entendu. Hitler était un très bon médium, il avait de grandes capacités médiumniques, mais il manquait d'intelligence et de discernement. Cet être pouvait lui dire n'importe quoi et il avalait tout. C'est lui qui le poussait peu à peu. Et cet être faisait cela comme une distraction, il ne prenait pas la vie au sérieux. Pour ces êtres-là, les hommes sont de très petites choses avec lesquelles on joue comme un chat joue avec une souris, jusqu'au jour où on les mange.»)

Je connaissais cet être très bien (pour d'autres raisons... ce serait trop long à raconter), et une fois, je savais qu'il devait aller chez Hitler – j'y suis allée avant lui: j'ai pris son apparence, c'était très facile. Puis j'ai dit à Hitler: «Va attaquer la Russie.» Je ne me souviens plus exactement des mots ni des détails, mais le fait est ainsi, je lui ai dit: «Va... Pour que tu aies la victoire suprême, va attaquer la Russie.» C'était la fin d'Hitler. Il l’a cru et il l’a fait – deux jours après, nous avions la nouvelle de l’attaque.1 Et alors, le lendemain, c'est-à-dire quand je suis revenue de chez Hitler, je rencontre cet être et je lui dis: «J'ai fait ton travail!» Naturellement, il était furieux!

Mais après tout, dans cette conscience-là, avec cet être-là (ce Seigneur du Mensonge, l’un des quatre premiers Émanés), malgré tout, il y a une relation très profonde, n'est-ce pas. Il m'a dit: «Je sais, je sais que finalement je serai vaincu, mais je détruirai sur la terre autant que je le pourrai avant ma fin.»

Puis, comme je te l’ai dit, le lendemain, la nouvelle de l’attaque est arrivée, et cela a été véritablement la fin d'Hitler.

Sri Aurobindo, lui... (tu sais qu'il y a un endroit où ils ont été vaincus en Russie),2 Sri Aurobindo l’avait prévu et il avait travaillé la nuit précédente, et c'est comme cela que c'est arrivé – nous savions tous les détails.

Nous n'avons jamais dit tout cela, bien sûr, mais c'était d'une précision parfaite.

Mais cet être, je le connaissais, je l’avais déjà vu au Japon – il se disait «Le Seigneur des Nations». Et c'est vraiment une forme de l’Asoura du Mensonge, c'est-à-dire la Vérité qui est devenue le Mensonge: le premier Émané de la Vérité qui est devenu le Mensonge.

Et il n'est pas encore détruit.3


Puis Mère passe à la préparation de l’Aphorisme pour le prochain Bulletin:

108 – Quand il observait les actes de Janaka,4 Nârada lui-même, le sage divin,5 pensait que c'était un mondain adonné au luxe et un libertin. Si tu ne vois pas l’âme, comment peux-tu dire qu'un homme est libre ou esclave?

Cela soulève toutes sortes de questions. Par exemple, comment se fait-il que Nârada ne pouvait pas voir l’âme?

Pour moi, c'est très simple. Nârada était un demi-dieu, n'est-ce pas, il appartenait au monde surmental et il avait la possibilité de se matérialiser – ces êtres-là n'ont pas de psychique. Les dieux n'ont pas en eux l’étincelle divine qui est le centre du psychique puisque c'est seulement sur la terre (je ne parle même pas de l’univers matériel), seulement sur la terre qu'il y a eu cette Descente de l’Amour divin qui a été à l’origine de la Présence divine au centre de la Matière. Et naturellement, comme ils n'ont pas d'être psychique, ils ne savent pas, ils ne connaissent pas l’être psychique. Il y a même de ces êtres qui ont voulu prendre un corps physique afin d'avoir l’expérience de l’être psychique – il n'y en a pas beaucoup.

Généralement, ils ne l’ont fait que partiellement par une «émanation», mais pas une descente totale. Il est dit, par exemple, que Vivékananda était une incarnation (un vibhouti) de Shiva; mais Shiva lui-même... J'ai eu des relations très proches et il a clairement exprimé la volonté de ne venir sur la terre qu'avec le monde supramental. Quand la terre sera prête pour la vie supramentale, il viendra. Et presque tous ces êtres se manifesteront – ils attendent ce moment, ils ne veulent pas de la lutte et de l’obscurité de maintenant.

Et certainement, Nârada faisait partie de ceux qui venaient ici... Au fond, c'était un amusement! il jouait beaucoup avec les circonstances. Mais il n'avait pas la connaissance de l’être psychique et cela devait l’empêcher de reconnaître l’être psychique là où il était.

Mais toutes ces choses ne peuvent pas s'expliquer: ce sont des expériences personnelles. Ce n'est pas une connaissance suffisamment objective pour pouvoir être enseignée. Cela vient de ma relation avec tous ces êtres, des échanges avec eux – je les connaissais avant même de connaître la tradition hindoue. Mais on ne peut rien dire d'un phénomène qui dépend d'une expérience personnelle et qui n'a d'autre valeur que pour celui qui a l’expérience. Parce que tout le monde a le droit de dire: «Eh bien, oui, vous pensez comme cela, vous avez une expérience comme cela, mais elle n'a d'autre valeur que pour vous.» Et c'est parfaitement vrai.

Ce que Sri Aurobindo dit était fondé sur l’érudition de la tradition de l’Inde et il dit ce qui a concordé avec son expérience propre, mais il se fondait sur une érudition et une connaissance que je n'ai pas.

Je ne peux que répéter ce qu'il a dit.

Tout ce que l’on peut demander, c'est comment voir l’âme? Pour voir l’âme, il faut soi-même connaître sa propre âme.

Oui, pour être en rapport avec l’âme, c'est-à-dire l’être psychique, il faut porter soi-même un être psychique, et il n'y a que les hommes – les hommes de l’évolution, ceux qui sont issus de la création terrestre – qui possèdent un être psychique.

Tous ces dieux n'ont pas d'être psychique, c'est seulement en descendant, en s'unissant à l’être psychique d'un homme, qu'ils peuvent en avoir, mais eux-mêmes n'en ont pas.


(Peu après, à propos de la maladie du disciple. Notons que depuis son opération – une péritonite compliquée –, le disciple est en proie à de violentes crises de fièvre avec des sortes d'évanouissements, comme si le cœur lâchait. Il marche tout de même et travaille. Cet Agenda va de nouveau être interrompu pendant plus d'un mois, le disciple devant être transporté à l’hôpital de Vellore, à 200 kilomètres de Pondichéry.)

...Il faut que tu sortes de ça (Mère touche son front), tout à fait, mais sortir, tu sais, dans la Liberté (geste d'éclatement en haut), parce que j'aurais des choses à te dire, qui sont de belles choses, mais je ne peux te les dire que quand tu sentiras que... tu es au-dessus de la situation.

Ça va venir.

Ce n'est pas que je ne sache pas que ton état n'est pas très agréable,6 je ne me fais aucune illusion, mais c'est mettre les bouchées doubles pour le progrès.

Voilà.

Le tout est de tenir le coup. Et pour tenir le coup, je n'ai trouvé qu'un seul moyen, c'est ce Calme – le calme intérieur –, un calme qui doit se faire d'autant plus... (comment dire?) complet que la lutte est plus matérielle.

Il y a eu ces temps derniers (surtout depuis le premier janvier), une espèce de bombardement des forces adverses – une rage, tu sais. Alors il faut se tenir comme cela (Mère devient immobile comme une statue), c'est tout. Et quand on a été secoué physiquement, il ne faut pas trop demander au corps, il faut lui donner beaucoup de tranquillité, beaucoup de repos.

Ma difficulté, c'est que je suis très absorbé par ce corps. Il m'absorbe, il me prend beaucoup de conscience. Le mental physique, par exemple, m'envahit complètement.

Oui, mais je le sais bien! Mais c'est toujours la difficulté, c'est la difficulté de tout le monde. C'est pour cela que, dans le temps, on vous disait: «Allez-vous en! laissez ça tranquille barboter – allez-vous en.» Mais nous n'avons pas le droit de le faire, c'est le contraire de notre travail. Et... tu sais, j'étais arrivée à une liberté presque absolue à l’égard de mon corps, au point que je pouvais ne rien sentir, rien; mais je n'ai même plus le droit de m'extérioriser, figure-toi! Même quand j'ai assez mal ou que les choses sont assez difficiles, ou même quand je suis un peu tranquille (c'est-à-dire la nuit) et que je me dis: «Oh! m'en aller dans mes béatitudes...», ça ne m'est pas permis. Je suis liée comme ça (Mère touche son corps). C'est LÀ, là, là, qu'il faut réaliser.

C'est pour cela.

Il n'y a que, de temps en temps, pour une action précise (quelquefois ça vient comme un éclair, quelquefois quelques minutes seulement), le grand Pouvoir d'avant (qui était constamment senti) vient, brrm! fait son travail, et puis s'en va. Mais JAMAIS POUR CE CORPS. Jamais. Il ne fait rien pour ce corps – ce n'est pas une intervention supérieure qui changera, c'est... du dedans.

Et à cause, d'abord de ce que tu sais, à cause de ce que tu as vu, à cause de ton contact avec Sri Aurobindo, à cause de ton contact avec moi, c'est la même chose qui t'arrive, et c'est cela qui fait la difficulté. C'est pour cela que je te dis: «Ça ne fait rien, ne te tourmente pas si tu es occupé de ton corps: tâche seulement de PROFITER de ça – profiter de cette préoccupation – pour y amener la Paix, la Paix...» Constamment, c'est comme si je t'enveloppais d'un cocon de paix. Et alors, si tu peux, justement dans ce mental qui vibre-vibre, bouge tout le temps (vraiment comme un singe), si tu peux y mettre... c'est une Paix qui ne passe pas par le mental supérieur: c'est une Paix qui agit DIRECTEMENT dans cette vibration matérielle – une Paix où tout se détend.

Ne pas penser – pas penser à vouloir transformer ce mental physique ou à le faire taire ou à l’abolir: tout ça, c'est encore de l’activité. Simplement, le laisser marcher, mais... mettre la Paix, sentir la Paix, vivre la Paix, connaître la Paix – la Paix, la Paix, la Paix.

Ça fait tomber la fièvre tout de suite – presque tout de suite.

C'est la seule chose.

Et naturellement, les gens qui viennent, les lettres qui viennent, toutes les choses qui viennent du dehors apportent ce même tourbillon – il faut diminuer ça autant que possible.

Sujata est très paisible, son contact est bon.

16 janvier 1965

(de Mère à Satprem)

Samedi soir

Satprem, mon cher petit,

À midi, j'ai parlé de toi au docteur qui m'a expliqué ton cas et ce qu'il faut faire.

Il m'a convaincue et je pense que c'est la plus rapide manière de guérir radicalement. Ainsi tu prendras cette semaine1 comme un exercice de «contact intérieur».

Bien entendu, je serai avec toi dans la lumière et l’amour.

Signé: Mère

24 janvier 1965

(de Mère au disciple à l’hôpital)

(Toutes nos lettres de Vellore ont disparu, malheureusement, comme les autres. Nous avions écrit à Mère pour lui demander un mantra, d'autant plus que nous avions abandonné la discipline tantrique.)

24.1.65

Satprem,

Voici Ganesh qui danse pour que tu guérisses VITE.

Tendresse

Signé: Mère

P.S. J'ai entendu ta demande, et je t'ai envoyé un mantra qui commence par ÔM. Je voudrais que tu l’entendes au-dedans de toi. Essaye.

Avec mon amour.

Signé: Mère

31 janvier 1965

(de Mère à Sujata)

Sujata, ma chère enfant,

Je suis avec toi toujours et avec Satprem aussi. Soyez calmes et confiants, tout ira bien.

Avec toute ma tendresse

Signé: Mère

Apprenez, Satprem et toi, à sentir CONCRÈTEMENT ma présence dans votre cœur. C'est une merveilleuse occasion de faire ce progrès.

4 février 1965

(de Mère au disciple à l’hôpital)

4.2.65

Satprem, mon cher petit,

Ton mental est encore trop critique, trop soucieux de l’exactitude traditionnelle ou classique. C'est pourquoi tu n'as pas reçu le mantra.

Mais ne te fais pas de souci, je te le donnerai de vive voix quand tu seras de retour.

En attendant, repose-toi tranquillement dans l’éternel.

Avec toi, dans l’amour, et la joie profonde.

Signé: Mère

février




19 février 1965

(À propos du mantra que le disciple avait demandé à l’hôpital et qu'il n'a pas reçu.)

Le mantra... Tu as reçu mon mot?... Plusieurs fois pendant que je marche pour mon japa, je te l’ai envoyé avec insistance.

La vérité est que je veux te faire un beau cadeau. Seulement, pour que ce soit vraiment un beau cadeau, il faut que le mental n'intervienne d'aucune façon; autrement, je ne pourrai pas te passer le Pouvoir avec les mots.

C'est un Pouvoir qui grandit d'année en année.

Jusqu'à présent, je l’ai gardé pour moi exclusivement, mais quand tu m'as demandé, j'ai regardé s'il y avait quelque chose qui allait pour toi et j'ai, pour ainsi dire, reçu l’intimation de te donner le mien. Mais pour cela, tu sais... il faut que ce soit reçu dans un silence parfait pour que cette croissance de puissance, de pouvoir, ne soit pas arrêtée.

Tu dois savoir les mots parce que nous avons eu l’occasion d'en parler; mais ce n'est pas cela qui a de l’importance. J'avais dit... (Mère se retourne vers Sujata:) Toi, Sujata, tu entends, mais tu le gardes dans ton cœur silencieux, n'est-ce pas? Rien ne doit sortir.1

(À Satprem:) Approche ta chaise, reste tout près, sois bien tranquille... Je t'ai expliqué plusieurs fois le mantra, et finalement, un jour, j'ai écrit l’explication, parce que ça revenait et revenait et revenait, alors j'ai pensé que c'était pour que je le note (Mère cherche un papier). J'ai noté ceci:

Le premier mot représente...

Je mets «représente», parce que le mot est toujours une forme symbolique de quelque chose qui le dépasse infiniment. C'est l’une des choses que l’on doit sentir: c'est comme un moyen de contact. Un moyen de contact que l’on rend de plus en plus efficace, d'abord par la sincérité de la concentration, de l’aspiration, puis par l’usage, par l’emploi, en ayant soin de toujours garder le contact avec Ce qui est au-delà quand on l’emploie. Et ça fait comme une concentration, comme si le mot se chargeait de force, se chargeait de plus en plus comme une batterie, mais une batterie qui peut prendre indéfiniment. Alors j'ai mis (ce qui m'a paru plus exact): le premier mot «représente». Il représente:

l’invocation suprême...

C'est-à-dire Ce que l’on peut atteindre de plus haut dans l’aspiration et dans l’invocation – ce qui est le plus pur, le plus haut. «Le plus pur», je veux dire: être exclusivement sous l’influence du Divin. Alors j'ai mis:

l’invocation suprême
l’invocation du Suprême.

Le premier mot, on invoque le Suprême dans tout ce que l’on peut atteindre et tout ce que l’on atteindra, et indéfiniment. Ce doit être un mot progressif.

Le deuxième mot représente:
le don total de soi...

On invoque, puis on fait le don total de soi.

la soumission parfaite.

Soumission parfaite dans tous les états d'être. Ça vient progressivement, ça vient à travers des années de répétition, mais c'est cela que le mot doit représenter quand on le dit: le don total de soi à... ce Suprême, qui dépasse naturellement toute conception. La soumission parfaite, c'est-à-dire la soumission spontanée, qui ne demande ni effort ni rien – une soumission qui doit être tout à fait spontanée. Ça aussi, c'est quelque chose qui s'atteint petit à petit; c'est pourquoi j'ai dit que le mantra est progressif, en ce sens qu'il se perfectionne de plus en plus.

Le troisième mot représente:
l’aspiration...

Ce n'est pas exactement ce que l’on demande, mais c'est... Vraiment, il n'y a que le mot aspiration. C'est infiniment plus qu'espérer: il y a la certitude que ce sera comme cela, mais on n'oublie jamais que c'est ÇA que l’on veut. Et j'ajoute:

ce que la manifestation...

Vraiment, c'est la manifestation physique, terrestre; pour le moment, c'est ce qui nous concerne, mais c'est le début d'autre chose. Alors, pour le moment:

ce que la manifestation
doit devenir...

Cette manifestation terrestre doit devenir:

Divine.

«Divine», on met dans le mot la réflexion de tout ce que l’on a mis dans le mot «Suprême».

Mais je l’ai dit en commençant, toute activité mentale diminue le pouvoir; ce doit être l’élan de tout l’être, avec aussi peu de pensée que possible.

Ça, je peux te le donner (Mère donne sa note). Tu peux le garder.

Les trois mots, tu les connais...

Image 1

(longue concentration)

ÔM......


(Peu après, il est question des événements du 11 février pendant l’absence du disciple: l’Ashram a été attaqué par des émeutiers, plusieurs bâtiments ont été pillés et incendiés.)

Tu n'as rien à demander ni à dire?

Il s'est passé beaucoup de choses depuis un mois ou deux mois...

Le soir de l’attaque, le onze vers sept heures du soir, un peu après, j'ai eu pour la première fois, d'une façon concrète, totale, la conscience physique – physique – de la terre. C'était un ÉTAT de conscience qui m'était donné, l’état de conscience de la terre. La conscience physique du corps n'existait plus: c'était la conscience physique de la terre. Et cette conscience physique de la terre était concentrée, son attention était concentrée sur ce petit point de Pondichéry. Tout petit point de Pondichéry. Et alors, c'était vu comme de... pas positivement de très haut mais comme une toute petite chose (geste microscopique), mais avec une exactitude de détail, du moindre élément. Et cette conscience physique de la terre était la conscience de la vérité physique de la terre – la Conscience-de-Vérité physique de la terre; c'est-à-dire exactement, la qualité de vibration de la Vérité dans la conscience physique de la terre.

Et la vision, la perception (c'était comme une perception, n'est-ce pas) n'était pas positivement de très loin parce que ça avait l’exactitude du microscope, mais c'était... (comment dire?) un objet d'observation. À ce moment-là, il y avait tous les incendies qui s'allumaient, puis le bombardement de centaines de moellons (pas des pierres: des moellons) sur toutes les fenêtres, les portes (toutes nos fenêtres, toutes les portes sont défoncées), c'est-à-dire un vacarme infernal: une bande de plusieurs centaines de gens, tous saouls, qui hurlaient, et des cris de tous les côtés. Alors ce bombardement de pierres et ces flammes qui montaient jusqu'au ciel – tout le ciel était rouge –, c'était vu (j'étais simplement assise à ma table; quand l’attaque a commencé, j'étais en train de dîner, et un peu avant que cela n'ait commencé, cette expérience est arrivée, cette conscience: je n'étais plus ce corps, j'étais la terre – la conscience-de-vérité physique de la terre exactement – avec une paix! une im-mo-bi-li-té! que l’on ne connaît pas physiquement)... et tout cela apparaissait comme un Mensonge absolu, sans aucun élément de vérité derrière. Mais en même temps, j'avais une perception microscopique (mais absolument précise et exacte) de tous les points de mensonge dans l’atmosphère de l’ashram, qui établissaient le contact.

Ce qui fait que cette conscience qui était là, si elle avait été collective, si collectivement on avait pu la recevoir, rien N’aurait touché: les pierres seraient lancées, on ne serait pas touché. C'est cela. Par exemple, il y a une pierre (un moellon) qui a été envoyée et qui a touché ma fenêtre; elle est tombée sur le toit là (faisant même une fuite d'eau que l’on a dû colmater), et j'ai vu... à cette minute-là, j'ai vu exactement dans la conscience des gens présents la vibration de Mensonge qui avait permis que la pierre touche là; et ça, en même temps, simultanément (ça ne peut pas se dire, mais simultanément), partout, sur toute la ville, et spécialement sur l’Ashram ici, je voyais tous les points, exactement la vibration de Mensonge en chacun ou en chaque chose, qui permettait le contact.

l’expérience a commencé un peu après sept heures, sept heures dix, et elle a duré jusqu'à une heure du matin.

À une heure du matin, j'ai eu un autre travail à faire, parce qu'un de nos garçons, T (c'est une graine de héros, ce garçon-là), presque seul a sauvé la clinique, mais ça lui a coûté un enfoncement du crâne. Sur le moment, on croyait que c'était fini. On m'a apporté la nouvelle, et j'ai vu quand la nouvelle est entrée, j'ai tout d'un coup senti que l’autre expérience s'en allait, et puis je devenais la Mère universelle avec toute la puissance de la Mère universelle. Et alors, ce T est devenu tout petit comme ça (geste minuscule, au creux de la main) et je le tenais dans mes mains – mais il était tout lumineux, tout lumineux – et je le berçais dans mes mains en lui disant: «Mon petit, mon tout petit, mon cher petit...», comme cela, et ça a duré plusieurs heures.

Je pense que c'est cela qui l’a sauvé. Parce que le crâne a été cassé, il s'est enfoncé; ça s'est arrêté juste à temps pour ne pas endommager le cerveau – le morceau enfoncé était dedans, on a dû opérer, couper, enlever. Ça s'est arrêté juste à temps. Et je sais que c'est cela qui l’a sauvé.

Mais l’autre expérience avait duré de sept heures à une heure du matin, jusqu'à ce que ce travail-là soit devenu nécessaire. Et PAS UNE PENSÉE dans la tête, pas une pensée – rien, un Silence total. Ça a duré comme cela jusque dans la matinée du lendemain.

Après, est revenue ma conscience ordinaire que tu connais, mais avec une perception devenue très claire des mouvements: des mouvements d'atmosphère, des formations de pensée, des possibilités vitales... Tout cela est devenu très clair.

Et la conscience absolument certaine, parce qu'il y a d'autres détails... Trois jours avant, Kâli était dans une fureur parce que les choses n'étaient pas comme elles devaient l’être sur la terre, et spécialement parmi les gens qui ont mission de préparer le monde nouveau. Elle était... elle était vraiment en fureur. Et elle voyait toutes les erreurs partout, et ça faisait une vibration tellement puissante dans l’atmosphère, comme si elle voulait commencer sa Danse; et moi, je lui disais: «Calme-toi, calme-toi...» (la journée du onze au matin, elle était ici et elle insistait sur ceci, sur cela, sur les erreurs dans le gouvernement, dans la ville, dans l’Ashram, dans ceci, dans cela – elle voyait tout), j'essayais de la calmer, mais vraiment je ne réussissais pas. Finalement, quand j'ai vu qu'il n'y avait pas moyen, j'ai dit au Seigneur: «Je Te prie, occupe-toi d'elle et fais ce qu'il faut» – je me suis déchargée de la responsabilité, je la Lui ai passée. Et alors, le soir même, l’attaque a commencé, et j'ai vu que c'était elle qui dansait. Alors j'ai pensé: vraiment, nous avions quelque chose à apprendre! Moi, j'ai vu, j'ai eu cette expérience et je SAIS maintenant (je le sais d'une façon certaine, absolue et inoubliable) quelle est la vibration de Vérité dans le Physique, quel état doit avoir le Physique pour répondre à la Vérité – pour ÊTRE la Vérité. Maintenant, je sais. Ce qui fait que j'ai appris ma leçon aussi. Mais tout le monde a appris quelque chose et j'espère qu'on ne l’oubliera pas.

Et ce matin (c'est assez intéressant), j'ai reçu une lettre de R me disant: «Ce soir-là, j'ai eu une expérience extraordinaire, mais maintenant ça commence à me paraître une impossibilité, quelque chose d'irréel...» Exactement au moment où l’expérience est venue sur moi (n'est-ce pas, quand il a reçu la nouvelle de l’attaque, la première réaction était la réaction de peur humaine, les mains qui deviennent froides, etc., mais il s'est assis, il s'est raidi, il m'a appelée), et alors il a senti venir d'en haut une Paix, quelque chose qu'il n'avait jamais senti avant, qui a envahi tout son être, qui l’a tenu tout entier et qui a duré pendant... je ne sais pas, je crois qu'il a dit jusqu'à onze heures du soir – ça a duré longtemps. Il avait connu un petit peu de ça de temps en temps, mais jamais ce n'avait été comme cela: c'était descendu en lui, ça l’avait pris tout entier. Et il dit: «Je pouvais bouger: c'était LÀ, ça ne bougeait pas, c'était en moi.» Alors j'ai pensé: «Enfin! quelqu'un a senti! au moins, il y en a un qui a senti.»

Mais à ce moment-là, je voyais si clairement dans les gens, ceux dont la vibration répondait aux vibrations de Mensonge: cette espèce de mouvement qui fait comme une trépidation dans la Matière. Donc, je connais les gens. Mais je dois dire qu'autour de moi, il y a quelqu'un, une personne qui avait la vraie vibration physique (je le savais depuis longtemps, mais là, j'ai eu une preuve concrète: c'est P), et personne ne peut le comprendre, personne ne peut le savoir, mais je le savais: physiquement, pas une réponse, comme ça (geste immuable). Alors je lui ai dit de s'occuper de la défense et de tout organiser.

Personne ne peut savoir, le mental ne peut pas comprendre ces choses-là (moi, je le savais depuis tant-tant d'années), parce que les gens ne voient que les choses extérieures, la forme extérieure, les mouvements extérieurs, les réactions extérieures, mais ils ne voient pas la possibilité intérieure. Enfin, c'est très bien, je lui ai dit imédiatement de s'occuper de la défense (d'ailleurs, il ne m'avait pas demandé, il avait commencé à s'en occuper), j'ai dit à tout le monde: «Faites ce qu'il vous dit de faire.» Il a tout organisé. N'est-ce pas, c'est quelque chose qui est comme cela (geste poings fermés, inébranlable), qui ne BOUGE PAS PHYSIQUEMENT. Mentalement, ce n'est rien, c'est facile.

C'est comme un aimant physique des vraies vibrations physiques. Ça ne passe pas par le mental ni par l’intelligence ni même par le vital: c'est, physiquement, une sorte d'aimant qui attire la Vérité physique.


Au moment de partir, à propos de la maladie du disciple:

Ça, tu sais, la vraie Vibration aurait tout guéri. Seulement voilà...

Eh bien, justement, la seule façon de réagir contre tout ça, c'est d'attirer cette Paix. Maintenant, je la tiens. Si tu te branches...

Donne-moi ta main...

24 février 1965

Mère revient aux événements du 11 février:

Juste quelques jours avant l’événement, j'ai écrit quelque chose (Mère cherche une note):

«Le genre humain tolère et accepte
l’existence d'êtres supérieurs seulement
s'ils sont à son service.»

C'était une expérience tellement forte au moment où je l’ai dit (en anglais), et puis un ou deux jours après, l’attaque est arrivée.


(À propos de l’expérience de la Vibration de Vérité dans le monde physique, le soir du 11 février:)

...Je voyais toute la différence entre cette Vibration qui n'avait aucun contact avec la formation de Mensonge et de violence, et puis la trépidation intérieure, qui naturellement établissait automatiquement le contact et permettait que cette manifestation du Mensonge ait une action.

C'est la force de Kâli qui est venue. Mais ça va bien, c'est ce qu'elle voulait; elle trouvait que l’on s'endormait un peu!


Peu après

Oh! si tu veux t'amuser, j'ai reçu une lettre d'Alexandra David-Neel... Tu le sais, nous étions en correspondance et elle était la «grande protectrice» des lamas tibétains (l’un d'eux était son «fils» et il est mort là-bas, alors elle se sentait très seule). Je lui avais dit que l’on nous avait mis en rapport avec tous ces Tibétains (Mère en a reçu plusieurs depuis l’invasion du Tibet) et je lui ai demandé pourquoi elle n'en prenait pas un autre avec elle (parce qu'elle m'avait écrit à ce sujet), et alors j'ai ajouté que, certainement, ils seraient très heureux de la servir en reconnaissance du grand progrès intellectuel qu'ils feraient auprès d'elle – elle ne me l’a jamais pardonné! Jamais pardonné. Parce que j'ai mis «intellectuel» au lieu de «spirituel» (je considère qu'elle est tout à fait incapable de faire faire à qui que ce soit un progrès spirituel, tandis qu'intellectuellement, elle est de première qualité). Et depuis ce moment-là, plus de lettres, rien. l’autre jour, je reçois une lettre où elle me dit (Mère imite le ton persifleur de la lettre): «Chère amie du passé, j'apprends l’attaque sur l’Ashram (il aurait fallu lire la lettre, c'est une merveille!), j'espère qu'il ne vous est rien arrivé de mauvais; mais maintenant que l’invulnérabilité de l’Ashram est détruite, les attaques peuvent recommencer, je pense que vous quitterez Pondichéry...»1 (Mère rit). Je lui ai simplement répondu: «Chère amie de toujours (riant), ne vous inquiétez pas, tout va bien. Au-dessus des forces de destruction, il y a la Grâce divine qui protège et répare», et j'ai mis simplement: «Très affectueusement à vous.» Et j'ai joint à la lettre le message2 du 21.

C'est une femme qui se ronge elle-même. Chaque fois que j'en ai eu l’occasion, je lui ai parlé de l’amour du Bouddha; je lui ai dit: «Mais le Bouddha a été plein d'amour!» Et ça la met en rage!

Bien.3


Plus tard

As-tu lu ma réponse dans le dernier «Bulletin»? (Mère tend le texte au disciple)

«Ceux qui veulent aider la Lumière de Vérité à triompher des forces d'obscurité et de mensonge peuvent le faire en observant soigneusement la source initiale de leurs mouvements et de leurs actions afin de discerner les impulsions venant de la Vérité et celles qui viennent du mensonge, pour obéir aux unes et refuser ou rejeter les autres.

«La possibilité de ce discernement spécial est l’un des premiers effets de l’apparition dans l’atmosphère terrestre de la Lumière de Vérité...»

On m'avait posé la question et j'ai répondu (en anglais).

Mais il y a là quelque chose d'intéressant. Je me suis aperçue que si l’on essaie à CHAQUE SECONDE de discerner l’impulsion de l’action, quelle difficulté! Discerner si ça vient de l’ego, si ça vient de l’obscurité, si ça vient de la Lumière... Et quand on veut exprimer aussi purement que possible ce qui vient exclusivement du Suprême, c'est un travail de chaque seconde et c'est... il y avait un temps (il n'y a pas si longtemps) où je considérais que c'était pratiquement impossible matériellement – pas dans les grandes lignes ni dans les grands mouvements qui viennent des parties supérieures de l’être, mais dans tout ce qui est purement matériel, tout à fait matériel. Et tout d'un coup, au début de cette année, avec ce «Salute to the advent of the Truth»,4 est venu une espèce de sens intérieur très aigu – très aigu –, très précis et tellement tranquille, tellement tranquille, qui faisait que l’on pouvait voir clairement l’origine de l’impulsion matérielle ou de la réaction matérielle, même dans les toutes petites choses. C'était très intéressant. Et j'ai étudié avec soin, et c'est devenu presque automatique.

Avant, on avait besoin d'un malaise intérieur, d'un sentiment de quelque chose qui frotte, pour s'apercevoir que ce n'était pas la vraie chose; mais maintenant, ce n'est pas cela: ça se voit d'avance en l’espace d'une demi-seconde.

C'est ce que j'ai essayé de dire ici. Si les gens pouvaient recevoir ça, ceux de bonne volonté tout naturellement suivraient l’indication à chaque minute.

Et c'était comme une préparation à ce qui est arrivé l’autre nuit (du 11 février) où du haut de cette conscience physique terrestre, m'apparaissait (aussi clairement que les objets matériels) la vibration qui produisait le contact avec cette formation de Mensonge, et la Vibration, cette espèce d'état qui faisait que ça n'avait pas de contact, que ça ne pouvait pas toucher.

Depuis, plusieurs personnes m'ont raconté leur expérience et c'est comme une preuve. Par exemple, la nuit du 11, C est sorti (il était à l’abri à l’intérieur), il voulait téléphoner à la police et il fallait qu'il traverse la cour (c'était littéralement une pluie de moellons; ils avaient démoli le mur du volley-ball et ils s'étaient servis des pierres: ils les apportaient dans les rickshaws5 pour nous bombarder), mais C m'a lui-même raconté que quand il est sorti, tout le monde lui a crié: «Rentrez, rentrez! vous êtes fou!», mais il a traversé (les pierres tombaient partout): pas une ne l’a touché. Et il avait le sentiment que c'était impossible qu'elles le touchent; que ma protection était autour de lui et qu'elles ne pouvaient pas le toucher. Et en fait, elles ne le touchaient pas: elles tombaient.

J'ai eu plusieurs exemples comme cela.

C'était comme une démonstration de ce discernement entre la vibration qui répond au Mensonge et là où il n'y a pas de réponse, c'est-à-dire qu'il n'y a pas de contact possible – ce sont d'autres mondes. C'est un monde de Vérité et l’autre est un monde de Mensonge. Et ce monde de Vérité est PHYSIQUE, il est matériel: ce n'est pas dans les hauteurs, c'est matériel. Et c'est ça qui doit venir devant et prendre la place de l’autre.

Le «vrai physique» dont parlait Sri Aurobindo?

Le vrai physique, oui.

(Sujata:) Ce soir-là, N.S. aussi a couru pieds nus sur des morceaux de vitres, rien n'est arrivé.

Oui, c'est comme cela.

Et ce moellon qui est tombé sur la fenêtre ici, je sais pourquoi il a touché, j'ai vu (je voyais de là-haut exactement), mais il y avait tout de même cette espèce de Paix qui était dans cette conscience et qui était là; ce moellon qu'ils ont gentiment envoyé contre ma fenêtre (parce que nous avions laissé toute la lumière ici), contre le grillage moustiquaire (qui n'est même pas en fil de fer: ce sont des fils de plastique) a rebondi dessus alors qu'il aurait dû passer, est tombé sur le toit là, et a fait une fissure (on ne le savait pas, on a seulement entendu le bruit, mais la nuit suivante, il y a eu une grosse pluie qui a traversé, et on a su), eh bien, normalement, cette pierre qui avait assez de force pour casser le ciment aurait dû entrer – elle ne pouvait pas. Et c'était impensable – impensable que quoi que ce soit puisse arriver, absolument impensable, l’idée n'en venait pas.

27 février 1965

(À propos de l’Entretien du 10 mars 1951:) «Dans la forme physique se trouve "l’esprit de la forme", et cet esprit de la forme persiste pendant un certain temps, même quand, extérieurement, on dit que la personne est morte. Et aussi longtemps que l’esprit de la forme persiste, le corps ne se détruit pas. Dans l’ancienne Egypte, ils avaient cette connaissance; ils savaient que s'ils préparaient le corps d'une certaine façon, l’esprit de la forme ne s'en irait pas et le corps ne se dissoudrait pas. Dans certains cas, ils ont merveilleusement réussi. Et si l’on va violer le repos des êtres qui ont été ainsi pendant des milliers d'années, je comprends qu'ils ne soient pas très satisfaits, surtout quand on viole leur repos par une curiosité malsaine que l’on légitime avec des idées scientifiques. Il y a au Musée Guimet, à Paris, deux momies. De l’une, il ne reste plus rien; mais dans l’autre, l’esprit de la forme est resté très conscient, conscient au point que l’on peut avoir un contact de conscience. Il est évident que quand un tas d'idiots viennent vous regarder avec des yeux ronds qui ne comprennent rien, en disant: "Oh! il est comme ça, il est comme ceci", cela ne doit pas faire plaisir. N'est-ce pas, on commence par faire une chose infâme: ces momies sont enfermées dans une boîte d'une forme spéciale suivant la personne, avec tout ce qu'il faut pour les conserver; alors on ouvre la boîte, plus ou moins violemment, on enlève quelques bandelettes ici et là pour mieux voir... Et étant donné que l’on ne momifiait jamais les gens ordinaires, c'étaient des êtres qui avaient réalisé une puissance intérieure considérable ou des membres de la famille royale, des gens plus ou moins initiés...»

Ces choses sur les momies, je les ai sues quand j'avais neuf, dix ans, ce sont des souvenirs de ce moment-là. Je retrouvais des objets dont je m'étais servie dans le temps (c'est comme cela plus tard que j'ai pu rétablir la trace). J'ai eu au moins – au moins – trois incarnations en Égypte (trois que l’on a retrouvées).

Mais mon premier contact a eu lieu quand j'étais toute petite, neuf ou dix ans, avec cette momie du Musée Guimet: j'ai parlé à ce moment-là.


(Puis il est question d'une personne d'Occident qui voudrait faire un don d'argent à Mère:)

Il ne faut pas contredire les inspirations des gens, je les sens très vivantes, et par conséquent la Force agit (geste au loin dans l’espace).

Et ça les ouvre intérieurement quand ils donnent: cela fait une possibilité de recevoir au-dedans d'eux.


(Plus tard, Mère ajoute ce commentaire à la «Déclaration» qu'Elle a faite à l’occasion des événements du 11 février:) «Nous ne luttons contre aucune croyance, aucune religion. Nous ne luttons contre aucune forme de gouvernement. Nous ne luttons contre aucune caste, aucune classe sociale. Nous ne luttons contre aucune nation, aucune civilisation. Nous luttons contre la division, l’inconscience, l’ignorance, l’inertie et le mensonge. Nous nous efforçons d'établir sur la terre l’union, la connaissance, la conscience, la vérité; et nous luttons contre tout ce qui s'oppose à l’avènement de cette création nouvelle de Paix, de Vérité et d'Amour.» 16 février 1965

Ça nous situe au point de vue extérieur. Beaucoup de gens croient que nous voulons établir une «nouvelle religion», ou que nous sommes contre cette religion ou contre celle-là; il y a beaucoup d'idées comme cela partout. Mais ça ne nous intéresse pas du tout! ce sont toutes les activités humaines sous toutes leurs formes – ce sont des approximations.

Tous les espoirs humains sont des approximations, toutes les réalisations humaines sont des approximations: c'est quelque chose qui essaye, qui essaye d'exprimer ce qui n'est pas encore exprimable – on n'a pas les moyens.

Et c'est justement pour créer ces moyens que l’on cherche à éclairer les consciences.

La possibilité est dedans, très profondément, mais c'est encore endormi.

mars




3 mars 1965

Tu as apporté quelque chose?

Il y a un bel Aphorisme.

(le disciple lit:)

109 – Tout ce qui dépasse son niveau semble dur à l’homme et c'est dur, en effet, pour son seul effort et sans aide; mais la même chose devient facile aussitôt, et simple, quand Dieu en l’homme prend le travail en main.

C'est parfait. Il n'y a rien à dire.

Justement, j'ai écrit quelque chose il y a deux ou trois jours en réponse à une question, et je disais à peu près ceci: Sri Aurobindo est le Seigneur, mais seulement une partie du Seigneur, pas le Seigneur dans Sa totalité parce que le Seigneur est Tout – tout ce qui est manifesté et tout ce qui n'est pas manifesté. Puis j'ai mis: il n'y a rien qui ne soit le Seigneur, rien – there is nothing –, il n'y a rien qui ne soit le Seigneur, mais très rares sont ceux qui sont CONSCIENTS du Seigneur. Et c'est cette inconscience de la création qui constitue son Mensonge.

C'était tout d'un coup si évident: «Voilà! voilà!...» Comment est venu le Mensonge? – Mais c'est ça: c'est l’inconscience de la création qui constitue le Mensonge de la création. Et dès que la création redeviendra consciente D'ÊTRE le Seigneur, le Mensonge cessera.

Et c'est cela, n'est-ce pas: tout est difficile, tout est laborieux, tout est pénible, tout est douloureux, parce que tout est fait en dehors de la conscience du Seigneur. Mais quand II reprendra possession de Son domaine (ou plutôt qu'on Lui laissera reprendre possession de Son domaine) et que ce sera dans Sa conscience, avec Sa conscience, que les choses seront faites, tout deviendra non seulement facile mais merveilleux, glorieux – et dans une joie inexprimable.

C'est venu comme une évidence. On dit: «Qu'est-ce que c'est, qu'est-ce qu'on appelle le Mensonge? Pourquoi la création est-elle mensongère?» – Ce n'est pas une illusion au sens où ce serait inexistant: c'est tout à fait existant, mais... ce n'est pas conscient de ce que c'est! Non seulement pas conscient de son origine mais pas conscient de son essence, de sa vérité. Ce n'est pas conscient de sa vérité. Et c'est pour cela que ça vit dans le Mensonge.

Cet aphorisme est magnifique. Il n'y a rien à dire, n'est-ce pas, ça dit tout.

6 mars 1965

(Mère regarde une lettre non ouverte) J'avais écrit quelque chose à K, et il doit m'avoir répondu... probablement très indigné!

Qu'est-ce que tu lui avais dit?

(Mère cherche une note)

«Nous avons foi en Sri Aurobindo, il représente pour nous quelque chose que nous nous formulons à nous-mêmes avec les mots qui nous paraissent les plus propres à exprimer notre expérience. Ces mots sont évidemment les meilleurs pour nous afin de formuler notre expérience. Mais si, dans notre enthousiasme, nous étions convaincus qu'ils sont les seuls appropriés à exprimer correctement ce qu'est Sri Aurobindo et l’expérience qu'il nous a donnée, nous deviendrions dogmatiques et serions sur le point de fonder une religion.»

Oui, oh, combien!...

Je lui avais écrit (il avait lu quelque chose dans «White Roses») et il m'avait répondu (il était indigné): «Comment pouvez-vous dire que Sri Aurobindo n'exprime pas TOUT le Seigneur, que Sri Aurobindo est seulement une partie du Suprême!» Je n'ai pas répondu directement, je lui ai dit: «Faites attention de ne pas devenir dogmatique...» Et il n'a jamais rien compris.


Peu après

J'ai trouvé des citations de Sri Aurobindo... des merveilles!

Hier, j'ai écrit quelque chose à un autre (c'était en anglais). Il y avait d'abord une citation de Sri Aurobindo: The Power that governs the world is at least as wise as you... (Mère rit – tu ne connais pas cette citation de Sri Aurobindo? Elle est merveilleuse) and you need not be consulted for its organisation, God looks to it.1 Quelque chose comme cela. Puis, en dessous, j'avais mis mon message du 21 février: «Au-dessus de toutes les complications de la soi-disant sagesse humaine se tient la lumineuse simplicité de la Grâce divine, prête à agir, si nous la laissons faire.» Et sur l’autre page, j'ai écrit ceci en anglais (Mère cherche une note):

«En communion consciente avec
le Seigneur Suprême, je déclare
que je fais ce que le Seigneur veut
que je fasse pour servir sur terre
Sa Vérité et Son Amour.»

Il avait déploré (riant) que je fasse des accusations sur les gens, surtout sur la religion catholique (bien qu'il ne soit pas catholique du tout – c'est un Hindou hindouïsant), il trouvait que ce n'était pas sage au point de vue légal et que je risquais de m'attirer des ennuis (!) Alors je lui ai dit verbalement: «Vous savez, l’opinion que la terre entière a de moi, tout le monde, c'est comme zéro, cela m'est absolument indifférent.» Alors ses yeux se sont agrandis d'épouvante! Puis je lui ai dit: «Voilà, maintenant en toute humilité, vous méditerez là-dessus», et je lui ai donné ce que tu viens de lire.

Mais je ne veux pas que cela circule. C'était venu fortement à cette occasion comme une nécessité, il fallait que je dise cela, mais le temps n'est pas encore venu de le déclarer publiquement.


(Puis le disciple demande s'il doit informer «officiellement» son instructeur tantrique qu'il a quitté cette discipline et qu'il préfère désormais à l’attitude tantrique de l’effort personnel, l’attitude de l’abandon à la Force d'en-haut.)

Il vaut mieux ne rien dire, parce qu'il ne peut pas comprendre.

Tu sais, il est encore dans cet état où l’on pense que si l’on quitte son chemin, on quitte la spiritualité... Pourquoi le déranger?

Peut-être qu'un jour, au-dedans, il comprendra... Mais j'ai beaucoup regardé le problème et je pense qu'il est arrivé au sommet de son évolution actuelle – ce ne sera que dans une autre vie qu'il ira plus loin. Il faudrait une sorte de catastrophe intérieure pour qu'il en soit autrement – je ne lui souhaite pas une catastrophe. Alors il vaut mieux le laisser tranquille.

10 mars 1965

(Mère commence par lire une note se rapportant aux événements du 11 février:)

«Derrière toutes les destructions – que ce soient les immenses destructions de la Nature: tremblements de terre, éruptions volcaniques, inondations, etc., ou les violentes destructions humaines: guerres, révolutions, émeutes –, se trouve le pouvoir de Kâli, qui, dans l’atmosphère terrestre, travaille à hâter le progrès de la Transformation.

«Tout ce qui est non seulement d'essence divine, mais aussi divin dans sa réalisation, est par sa nature même au-dessus de ces destructions et ne peut être touché par elles. Ainsi, l’étendue du dommage donne la mesure de l’imperfection.

«La vraie manière d'empêcher la répétition de ces destructions est d'apprendre leur leçon et de faire le progrès nécessaire.»

Oui, c'est la suite de ce que tu disais l’autre jour: ces vibrations qui n'entrent que dans la mesure où elles trouvent la réponse.

Oui, exactement.


(Peu après, à propos d'un ancien Entretien du 12 mars 1951, où Mère disait que les deux principales occupations de l’homme, c'est d'oublier et de se distraire.)

Je dirais beaucoup de choses maintenant...

Ainsi, lorsque le Seigneur s'approche le plus près des hommes pour établir un rapport conscient avec eux, dans leur folie, c'est à ce moment-là que les hommes font les plus grosses bêtises.

C'est vrai, c'est tout à fait vrai.

C'est au moment où tout se tait pour que l’homme devienne conscient de son Origine, que, dans sa folie, pour se distraire, l’homme conçoit ou exécute les pires stupidités.

Pour se distraire, parce qu'il ne peut pas supporter la force de la Lumière.

Oui.

La pression est trop forte.

Oui, il y en a qui ont peur, ils s'affolent. Ils ne peuvent pas le supporter, alors ils font n'importe quoi pour se sortir de là.1


Un peu plus tard

Pendant que tu étais à l’hôpital, j'ai eu une sorte de... je ne peux pas dire que c'était une «vision» parce que c'était très... c'était vécu. C'était vécu dans le monde du physique subtil, qui est symbolique de la Réalité (les formes sont symboliques de la Réalité, elles expriment la Réalité, et en même temps c'est existant en soi). Dans ce monde-là, presque toutes les nuits je suis avec Sri Aurobindo plus ou moins longtemps, et il se passe toutes sortes de choses qui sont des indications.2 Mais cette nuit-là, c'était très particulier.

Nous étions tous les deux dans une auto extrêmement confortable, et tous les deux nous nous reposions dans une éternité de paix, de béatitude – tranquilles, l’un à côté de l’autre. C'était conduit par... l’éternel Conducteur. N'est-ce pas, c'était la suprême Béatitude. Lorsque tout d'un coup, en dehors de l’auto (on ne sait pas comment), deux papiers ont été jetés sur la route, et l’un des papiers était une lettre (c'était une enveloppe qui avait passé par la poste, avec les timbres), puis une autre chose écrite; et avec une légèreté (l’auto continuait à marcher), avec une légèreté toute divine, Sri Aurobindo saute de la voiture sur la route pour ramasser les lettres. Je me suis dit: «Ah! c'est fini la Béatitude... (riant) maintenant on va encore avoir à travailler!» Et je suis descendue de l’auto aussi (qui a disparu).

Sri Aurobindo a ramassé ces lettres (j'ai su exactement à ce moment-là ce que cela voulait dire, mais c'est secondaire), et alors il m'a prise par la main (c'est-à-dire que sa main droite a pris ma main gauche: j'étais à sa droite) et nous avons commencé à marcher sur la route. Et en marchant sur la route, au bout d'un moment (il y a eu beaucoup de détails et beaucoup de choses que je ne raconte pas parce que ce sont des incidentes, qui avaient leur raison d'être à ce moment mais ça n'a pas d'importance), en marchant sur la route, tout d'un coup il s'est penché vers moi et m'a montré que je marchais sur des silex (tu sais, quand la route est faite sur des pierres concassées et un peu bombée pour que l’eau coule? sur le côté, la terre est un peu enlevée et quelquefois les pierres sont à vif), et moi, je marchais là-dessus – non, il marchait là-dessus et il m'a montré ça, et je l’ai fait passer sur le milieu de la route et je me suis mise à marcher sur les cailloux pour qu'il ne marche pas dessus (mais moi, je ne sentais pas du tout les pierres). Et alors j'ai remarqué (je l’ai regardé à ce moment-là), j'ai remarqué la tête de Sri Aurobindo... une tête glorifiée, vraiment une tête supramentale, une merveille! Et tout son corps, CHAQUE PARTIE DE SON CORPS était quelqu'un en qui il se manifestait pour un travail ou une raison spéciale ou une action spéciale par rapport à moi, qui n'étais pas une personne, qui étais seulement une Force (j'ai remarqué que, moi, je n'avais pas de corps); et j'ai vu tous les gens qui participaient (pas leur apparence physique, mais je savais qui c'était): celui-ci, telle chose; celui-là, telle chose; la main, telle chose; le bras, telle chose..., etc. Et j'ai vu ses pieds: c'étaient mes pieds chaussés de «tabi» (c'étaient ses pieds), mes pieds chaussés de tabi. Et c'étaient mes pieds chaussés de tabi qui ne voulaient pas le laisser marcher sur les pierres, sur le côté du chemin, et c'était pour cela qu'il avait quitté...

C'était merveilleux de clarté, de signification! Et j'ai vu, j'ai su exactement la place de quelqu'un dans le Travail; et dans ce Travail, dans ce rapport avec moi, il était soutenu, dirigé par Sri Aurobindo... Tout en détail.

Cela a été une révélation d'une exactitude absolument merveilleuse. Et ce souci qu'il avait... D'abord, le sentiment que j'étais ses pieds (mais ses pieds blancs chaussés de tabi, comme le sont les miens) et qu'il ne voulait pas que je marche sur le bord, sur les pierres rugueuses du chemin, et c'est pour cela qu'il allait...

Ça m'a laissé une impression tout à fait inoubliable parce que c'était une révélation du jeu des forces – de ce que sont les choses vraiment en dépit de leurs apparences, qui sont trompeuses.

(silence)

Sa tête était une splendeur. Et ça dominait tout, c'était cela qui dirigeait – c'était la splendeur de sa conception supramentale qui dirigeait tout. Et chacun avait sa place.

J'ai eu beaucoup-beaucoup de visions pendant que tu n'étais pas là; mais ce n'étaient pas des visions, n'est-ce pas: c'était de la vie intense, et une vie qui est vraie – intense et intensément vraie.

Et alors, cette espèce de chose qu'il tenait par la main (Mère) et qui voyait tout ça, c'était simplement la conscience, la conscience qui travaille, la vraie conscience; et les pieds, c'était ma présence physique sur la terre.

C'était vraiment très intéressant.

Et j'ai su exactement la place, le rapport de ceux qui travaillaient. Seulement je ne peux pas le révéler. Mais ce que je t'ai toujours dit de ta place et de ton travail était tout à fait vrai – je l’ai vu à ce moment-là. Tout à fait vrai. Certaines choses étaient des révélations concernant d'autres personnes – pas beaucoup de gens; pas beaucoup, mais ceux qui sont dans un rapport vrai avec moi pour le travail. Et des rapports très différents, dans des mondes différents, sur des plans différents et pour des activités différentes. Mais ils ne sont pas très nombreux, et c'était très précis. Et alors j'ai vu que ce que j'avais vu pour toi était tout à fait correct, et qu'il est LÀ, n'est-ce pas: pour faire le travail, il est avec toi. Quand je t'ai dit qu'il était dans ton livre, c'est un fait absolu.

C'était l’une des choses que j'avais décidé de te dire un jour, parce que...

C'est un monde où les choses sont vraies. Vraies et pas de la réalité telle qu'elle est conçue humainement: ça devient tout à fait une apparence; une apparence souvent mensongère, en tout cas mensongère dans sa division.

(silence)

Je ne peux pas dire à quel point ce corps était non seulement heureux mais plein d'une sorte de gloire béatifique d'être Ses pieds. C'était une merveille quand j'ai vu cela. Et en même temps, il y avait la sensation, la perception claire de toutes les relations pour le Travail, avec le sentiment et la sensation, la perception exacte du rapport que j'ai avec ces gens – pas très nombreux, mais je les connais.

20 mars 1965

Ça paraît être un moment de «mise à l’épreuve» (test en anglais, au sens de «pierre de touche»), de mise à l’épreuve de l’égalité d'âme – pas d'âme: de l’égalité intégrale, même dans les cellules du corps. Comme si quelqu'un disait: «Ah! vous voulez que la terre change; ah! vous voulez que la Matière devienne divine; oh! vous voulez que tout le Mensonge disparaisse, eh bien, voyons si vous tenez le coup.» Voilà.

N'est-ce pas, si nous comptons sur ce que Sri Aurobindo a dit, évidemment c'est très court; s'il faut que les forces supramentales dominent effectivement (peut-être pas extérieurement mais effectivement) la vie de la terre en 1967, il n'y a pas beaucoup de temps...

Et probablement, plus on approchera de l’échéance, plus ça va devenir serré.

Il y a des phénomènes curieux. Tu n'as pas rencontré ce B quand il était ici?... Il m'a fait connaître certaines choses que je ne connaissais pas: il y a, paraît-il, des gens qui ont reçu des messages dans divers coins du monde, et notamment un être qui s'appelle «Vérité» (Truth) et qui parle en mon nom. Il dit: «La Mère dit... la Mère dit...», et puis: «La Mère vous fera des déclarations, et il faut que vous les preniez très sérieusement», toutes sortes de choses de ce genre (des gens que je ne connais pas). Puis il y a quelqu'un, toujours parmi ces gens qui reçoivent des messages et des révélations, un esprit (je ne sais pas si c'est ce même «Truth» ou quelqu'un d'autre, je ne me souviens plus en détail) qui a dit, qui a «annoncé 1967» – c'est intéressant. Et je ne connais pas du tout ces gens. Et il ne me paraît pas possible qu'ils aient même eu entre les mains des livres de Sri Aurobindo ou de moi, je ne crois pas. Il a annoncé qu'en 67 (je répète à peu près), on serait sur le point du push-button [presse-bouton] qui produit la destruction (parce qu'ils se vantent dans ces pays, que s'ils pressent un bouton, une destruction terrible sera déclenchée), et ce sera au moment où la catastrophe va se produire que, dit-il d'une façon imagée, la Puissance suprême pressera son bouton et tout sera transformé – au moment où l’on attendra la complète destruction, viendra la complète transformation.

C'est dans ce domaine que marche leur imagination. Ils reçoivent des messages de ce genre. C'est-à-dire que l’on a l’air de sentir très fortement que, juste avant le changement, ce sera un moment extrêmement critique. Seulement, naturellement, eux vous disent cela d'un ton tranquille: «La transformation viendra et tout sera sauvé» – c'est très bien, mais...

Il faut travailler.

Ah! il ne faut pas s'asseoir et dire: «Oh! alors ça va bien.» (Mère rit)

Parce qu'il ne me paraît pas possible (je n'en sais rien), mais il ne me paraît pas possible que l’état de la terre soit suffisant pour légitimer une transformation intégrale. Sri Aurobindo, lui, disait que ça viendrait par étapes, qu'il y aurait d'abord comme une petite formation, ou une petite création qui recevra la Lumière et sera transformée, et c'est cela qui travaillera comme un ferment de la transformation générale.

Il y a toutes les théories chrétiennes, bouddhiques, Shankara, tous les gens qui déclarent que le monde est un «Mensonge irréel» et qu'il doit disparaître en faveur d'un «ciel» (d'un «monde nouveau» et d'un «ciel»), et cela, parmi les éléments les plus «aspirants» de l’humanité, ceux qui ne se contentent pas du monde tel qu'il est et qui ne disent pas: «Oh! tant que je suis là et que je vis, ça va bien; après, ça m'est égal» – la vie courte et bonne. «Après, eh bien, c'est fini, et puis voilà; je profite du moment qui m'est donné.» Quelle drôle de conception!... C'est l’autre extrême.

Mais d'ailleurs, si l’on revient aux sources, il y a un évangéliste (je crois que c'est St Jean) qui a annoncé «un ciel nouveau et une TERRE nouvelle».

Oui, une terre nouvelle.

Il y a les deux.

C'est St Jean.

Ils n'ont rien compris.

Oui.

Et naturellement, les anciens Védas et toutes les vieilles traditions ont annoncé une terre nouvelle, c'est entendu.

Mais même les chrétiens.

Même les chrétiens, oui. St Jean a dit qu'il y aurait une terre nouvelle – qu'il y aurait, d'ailleurs, un nouveau Christ, qui correspond à celui des Hindous.

Kalki?

Oui, Kalki. C'est très semblable comme description.

Et le Bouddha Maïtreya aussi.

Oui, mais il paraît que c'est plus sujet à caution. Aux dires d'Alexandra David-Neel, ce n'est pas un texte vraiment authentique, c'est venu après, avec les descendants du Bouddha: ce n'est pas ce que le Bouddha lui-même aurait prêché. Il y a controverse. N'est-ce pas, Alexandra appartenait au Bouddhisme du Sud, qui est très rigide et qui renie tout à fait les fantaisies du Bouddhisme du Nord avec ses innombrables boddhisattva et toutes les histoires (il y en a des histoires! des romans-feuilletons). Et elle reniait tout cela, elle disait que cela ne faisait pas partie de l’enseignement authentique du Bouddha.

Le Bouddha disait que le monde, ce monde terrestre (peut-être l’univers, je ne sais pas, le point n'est pas très clair), en tout cas le monde terrestre est le résultat du Désir (mais je connais quelqu'un qui disait (riant): «Oui, c'est le désir de Dieu de se manifester!»), et que quand le «Désir» disparaîtra, le monde disparaîtra, ce sera le Nirvana. C'est-à-dire que le désir de se manifester disparaissant, il n'y a plus de Manifestation.

Je ne crois pas que le Bouddha était ignorant; je crois qu'il savait très bien l’existence d'êtres invisibles, d'êtres immortels (ce que les hommes appellent des dieux) et que, probablement, il y avait un Dieu suprême aussi – très probablement, il le savait; mais il ne voulait pas que l’on y pense parce que cela paraissait contredire son opinion que le monde était le résultat du Désir et que, le Désir retiré, le monde se retirait – s'il y a un monde immortel, ça ne peut pas se passer comme cela.

Au fond, plus on va, plus on s'aperçoit que tous les enseignements humains sont opportunistes: c'est dit «en vue» d'un but à atteindre; certaine chose est dite, et l’autre (non qu'elle ne soit pas connue) mais volontairement on l’ignore. Cela me paraît difficile autrement, parce que dès que l’on a passé le Mental (et ces gens-là semblent avoir dépassé le Mental), toute la connaissance est... (comment dire?) available, obtenable.

(silence)

C'est une chose que l’on voit constamment: quand on ne donne pas aux gens une nourriture toute digérée, c'est-à-dire que l’on a choisi ce qu'il fallait garder et rejeté le reste, ils ne l’absorbent pas... ou alors ils font leur propre digestion, ce qui est pire que tout.

Mais de plus en plus, les esprits s'ouvrent aux autres possibilités qui étaient cachées par les religions jusqu'à présent. Les esprits sont prêts à comprendre les révélations «ésotériques» des religions.

*(Mère hoche la tête sans conviction)

C'est cela, le progrès actuel.*

Le premier résultat est de créer un malaise général – ils ont l’impression d'être sur une terre qui n'est plus solide: ça tremble. Ce n'est pas confortable pour eux.

(long silence)

Pour moi, le problème est tout à fait différent... Là-haut, dans le Mental et au-dessus, tout va bien – tout va bien; mais la grosse difficulté est de changer le physique, changer la Matière... On a l’impression que l’on a touché – touché un secret, qu'on a une clef –, et puis la minute d'après, pfft! ça ne fonctionne plus, c'est insuffisant.

Je disais à Pavitra il y a quelques jours: tous ces désordres physiques du corps, ces désordres de fonctionnement ou même organiques, tout d'un coup (naturellement l’état constant est un état d'aspiration: une aspiration intense, continue, consciente), et tout d'un coup – tout d'un coup –, une Réponse presque stupéfiante: tout le désordre disparaît, non seulement au-dedans mais autour (autour, sur un champ quelquefois assez vaste), et tout s'organise, s'harmonise automatiquement, sans le moindre effort, et ça commence... (Mère dessine les grandes ondes du Mouvement éternel) à bouger dans une harmonie progressive extraordinaire; puis, sans aucune raison apparente, sans que rien n'ait changé dans la conscience et sans qu'il y ait des circonstances extérieures modifiantes, prrt! ça retourne à ce que c'était avant: désordre, conflit, chaos, les choses qui grincent. Et alors, comme on n'est pas conscient du pourquoi, on n'a pas la clef!

Je disais: c'est pour cela que les gens qui ont beaucoup cherché en vain et qui n'ont pas trouvé ont parlé de la «Volonté de Dieu»; mais ça... (Mère hoche négativement la tête), ça paraît inconciliable avec, justement, la connaissance que l’on a quand on a dépassé le Mental. Le Mental peut se dire cela pour se tenir tranquille, mais c'est tout à fait, tout à fait peu satisfaisant, parce que ça postule un arbitraire inacceptable que l’on sent contraire à la Vérité. Mais alors comment expliquer ces sortes de renversements?... Naturellement, les autres, comme le Bouddha, ont parlé d'Ignorance; ils ont dit: «Vous ignorez; vous croyez que vous savez, mais vous ignorez.» Mais la clef qu'il a donnée n'est pas satisfaisante non plus... Parce que, quand on a pris soin d'établir, même dans les cellules du corps, une égalité qui paraît imperturbable, comment peut-on admettre ce facteur d'ignorance?

C'est-à-dire que plus on va, plus on s'approche du But, plus ça paraît... inexplicable.

Alors, pour moi (je veux dire pour ce corps-là), la seule ressource est un surrender [abandon] béatifique (geste d'offrande immobile vers le Haut), et pas lourd, pas inerte: intense! intense, et dans une joie alors extraordinaire. Et c'est la seule chose.

Je ne sais pas, peut-être que pour d'autres, il est permis que cela dure [l’extase], mais pour ce corps ici... Au bout d'un moment, tous les problèmes du dehors reviennent, c'est-à-dire que toutes les difficultés vibratoires du monde ont accès de nouveau pour que ce soit pris et transformé dans la Lumière du Seigneur. Et c'est tout le problème qui se repose.

N'est-ce pas: des problèmes de maladie, des problèmes de possession (possessions vitales et mentales), des problèmes d'ego qui refusent de céder (et qui se traduisent par des circonstances que, humainement, on décrit de la façon ordinaire: telle chose est arrivée à telle personne – mais ce n'est pas comme cela que ça vient dans la conscience), eh bien, si l’on se place d'une façon assez générale, ces problèmes-là RESTENT des problèmes. Il y a bien quelque chose, mais c'est un «quelque chose» qui est encore insaisissable (insaisissable dans son essence): ça tient du sentiment, de la sensation, de la perception, et puis de l’aspiration, ça tient de tout cela, et c'est... ce que nous avons l’habitude d'appeler l’Amour divin (c'est-à-dire l’Amour essentiel, ce qui se traduit par Amour et qui semble être au-delà de la Manifestation et de la Non-manifestation, qui devient Amour dans la Manifestation naturellement), et alors Ça, ce serait l’expression TOUTE-PUISSANTE. C'est-à-dire que c'est Ça qui aurait le pouvoir de transformer en conscience et en substance divines tout le chaos que nous appelons «monde» actuellement.

Il y a eu l’expérience de Ça (les grandes pulsations), mais une expérience... (comment dire?) d'une goutte qui serait un infini, ou d'une seconde qui serait une éternité. À ce moment-là, c'est une certitude absolue; mais extérieurement, tout recommence à être comme c'était le moment d'avant – Ça (geste de pulsation, une seconde), poff! tout est changé; puis tout recommence, peut-être avec un petit changement mais qui n'est perceptible que pour une conscience (perceptible pour la conscience, mais pas perceptible concrètement), et généralement avec des réactions violentes dans le Désordre: quelque chose qui se révolte.

Alors, pour notre logique (qui est évidemment imbécile, mais enfin), ça veut dire que c'est encore très loin, que le monde n'est pas prêt.

Tout d'un coup, n'est-ce pas, par l’intensité de l’aspiration, de cette espèce de soif de «la Chose», il y a contact – il y a contact; ce n'est même pas un contact de deux choses différentes, c'est... Ça qui est tout. Mais c'est dans le Temps que se traduit la Chose, et là ça ne dure pas, au point que l’effet produit lui-même ne semble pas durable. Quoique là, il y ait quelque chose qui démente: c'est un effet durable mais imperceptible tant qu'il n'est pas général; alors c'est tout de suite une traduction dans le monde du Temps, de l’Espace, etc.

Tandis que «Ça» dépasse le Temps et l’Espace. Quand on a passé de la Création à la Non-création (qui ne sont pas l’une après l’autre, qui sont concomitantes), si l’on va au-delà, on rencontre ce «quelque chose» que, pour je ne sais quelle raison, j'appelle Amour... Probablement parce que la vibration d'Amour vrai (ce que j'appelle l’Amour divin qui est à l’œuvre dans le monde) est ce qui ressemble le plus à Ça. C'est quelque chose d'absolument inexprimable, qui n'appartient ni à recevoir ni à donner, ni à unir ni à absorber, rien de tout cela... C'est quelque chose de très particulier.

(long silence)

Je me souviens, cette nuit-là dont j'ai parlé, j'étais cette Pulsation, et chaque éclatement de pulsation créait; eh bien, c'était la première expression de Ça dans la Manifestation; et c'était déjà en action, c'était déjà en mouvement; mais la Vibration qui est derrière ça, c'est... on pourrait peut-être dire la potentialité de tout – de tout ce qui nous devient perceptible par la Manifestation; parce que c'est tout ce qui se divise dans notre conscience en possibilités diverses, comme: vérité, amour, vie, puissance, etc. (mais tout cela n'est rien, n'est-ce pas, c'est de la poussière à côté). Et c'est tout ensemble; non pas l’union de choses différentes: c'est tout – c'est tout qui est absolument UN, mais tout est là. Et Ça, c'est ce que l’on rencontre au-delà de la Manifestation et de la Non-manifestation – la Manifestation paraît presque comme un jeu d'enfant en comparaison. Cette Pulsation, c'était l’origine de la Manifestation.

Et la Non-manifestation, c'est l’Immobilité béatifique – c'est plus que cela, mais c'est essentiellement cela: l’Immobilité béatifique. C'est l’essence suprême et suprêmement divine du repos. Et les deux sont ensemble (Manifestation et Non-manifestation) et ça vient de Ça.

J'ai un très fort sentiment que c'est seulement Ça, seulement avec Ça que les choses peuvent changer, que tout le reste n'est pas suffisant.

Et si je me souviens bien, Sri Aurobindo a dit que cette manifestation (que lui aussi appelle Amour) serait après la manifestation supramentale, n'est-ce pas?

D'abord la Vérité, puis l’Amour.

Puis l’Amour.

Oui, il a dit que c'étaient différents «échelons» dans le Supramen-tal – mais ça (souriant), c'est la sauce pour rendre les choses digestibles (!) Chacun dit de la façon qui lui paraît la plus assimilable.

Mais l’expérience – l’expérience – est toujours au-delà des mots, toujours.

(silence)

Et c'est assez curieux: toutes ces cellules dans leur aspiration, elles ont un Ananda de la Lumière, de la Vérité, mais ça ne les satisfait pas entièrement, c'est-à-dire qu'elles ont encore la sensation de l’impuissance... N'est-ce pas, c'est constamment toute l’Obscurité, tout le Mensonge, tout le Désordre, toute la Déshar-monie du monde, que l’on absorbe chaque fois que l’on respire (sans compter tout ce que l’on absorbe avec la nourriture, et tout le reste – c'est le pire de tout – que l’on absorbe mentalement au contact des autres, mentalement et vitalement), et tout cela, c'est constamment qu'il faut le changer, le transformer. Eh bien, elles sentent leur impuissance à faire face au travail s'il n'y a pas Ça, cette Vibration-là. Cette Vibration-là, il leur semble que c'est irrésistible, et que ce soit la seule irrésistible.

Bien sûr, il y a un progrès (un travail que l’on peut noter, qui peut être discernable) dans la conscience des cellules, dans leur réceptivité et dans leur résistance au Désordre; mais c'est seulement un progrès, c'est-à-dire que la possibilité, et même la récurrence du désordre, de la décomposition, de la désharmonie, du mauvais fonctionnement, tout cela n'est pas du tout conquis, pas du tout... Il y a le sentiment croissant d'être l’instrument docile de la Volonté suprême au point qu'elles ont l’impression qu'on peut leur demander n'importe quoi, elles peuvent le faire, mais il y a en même temps la perception très nette que le champ de ce qui leur est demandé est encore très limité – très limité – et qu'elles seraient incapables de faire mieux ou de faire plus. Et c'est cela qui donne du poids à la notion d'usure, de vieillissement (quoique leur sentiment ne soit pas comme cela), mais dans le fait matériel, ce qui leur est demandé est très limité.

(silence)

J'ai eu, le 19, une expérience très claire: j'étais avec A, qui était dans un état effroyable – effroyable – d'excitation, de révolte, de confusion, de... tout ce que l’on peut imaginer, et qui est resté à me jeter tout cela avec violence pendant certainement pas loin de trois quarts d'heure. J'étais là – je ne m'en suis pas aperçue! Je riais, je parlais, j'agissais, je bougeais, et le corps était par-fai-te-ment bien. Je reviens ici dans ma chambre, il y avait P, V, et on avait entendu (il criait comme un fou), ils avaient entendu tout cela; ils étaient pleins d'une sorte de pitié horrifiée pour ce que ce garçon m'avait infligé – et instantanément les cellules ont senti la fatigue, la tension terrible... qu'elles n'avaient pas sentie tout le temps, pas une minute! Quand je me suis levée pour quitter A, c'était tout charmant, on s'amusait; et instantanément, quand je suis entrée dans cette chambre, une fatigue et une tension qui venaient de leur conscience! Et alors, j'ai regardé attentivement (n'est-ce pas, c'était intéressant comme expérience), je me suis dit: «C'est curieux que cela ait à ce point de l’influence sur ces cellules.» Naturellement, j'ai commencé à faire la contraction intérieure de la conscience, et c'est parti. Mais c'est parti parce que j'ai travaillé, tandis que, avant, je n'avais pas travaillé pour ne pas être fatiguée: c'était spontané.

Cela m'a donné une mesure intéressante de l’interdépendance.

Le corps suit l’action, très bien, et tout ce qu'il doit faire, il le fait, mais quand il y a, autour, des consciences qui sentent ou pensent autrement, cela a encore une considérable action; quoique la conscience ne soit pas touchée: elle est tout à fait clairvoyante, elle voit tout le jeu, tout le temps, et elle est consciente des forces qui viennent et de tout le jeu; alors comment se fait-il que, consciente des forces qui viennent, ces forces aient encore le pouvoir d'agir directement sur les cellules?... C'est un problème.

Ça veut dire une interdépendance cellulaire qui rend le programme très-très-très difficile.

Ça m'a intéressée. Absolument aucune fatigue et cette espèce de sentiment de vivre dans le Rythme universel, éternel, comme cela (grand geste ondulatoire), et toujours amusée, je suis toujours amusée; et imédiatement: tension, fatigue, besoin de se reposer, de se concentrer.

Et visiblement – visiblement pour la conscience –, les vibrations venaient des autres (P, V).

Alors il faut une vibration toute-puissante pour faire comme ça, vrrm! (geste d'aplatissement autour) et puis que tout soit annulé dans son action.

Mais comme Sri Aurobindo l’a écrit, si ça venait (Mère rit), peut-être que ça détruirait trop de choses!

Parce que c'étaient des vibrations de bonne volonté, il n'y avait aucune hostilité, rien, absolument rien – l’hostilité, c'était avant, avec A! la révolte, etc., et ça n'avait aucun effet.

Après cela, je me suis dit: «Comme on sait peu de chose! Comme tout ce que nous comprenons est peu de chose par rapport à ce qui EST: le mécanisme.»

Voilà.

24 mars 1965

Quoi de nouveau?

Sujata a fait un rêve plutôt mauvais: elle arrivait dans une maison sur laquelle des gens devaient veiller, qu'ils devaient protéger, et personne n'avait veillé; alors des ennemis étaient entrés. Sujata est entrée dans cette maison, elle a trouvé une chambre où était Sri Aurobindo, et Sri Aurobindo avait été blessé au pied: il gémissait. Il avait été blessé par les adversaires que l’on avait laissé entrer dans la maison. Voyant Sri Aurobindo blessé, elle a couru-couru pour te chercher.

C'est peut-être tout simplement l’image de ce qui est arrivé le 11 février?

Le pied, ça veut dire quelque chose de physique.

Je crois que c'est cela, c'est seulement l’image symbolique de ce qui est arrivé.

Ce n'est pas quelque chose qui va continuer?

Prémonitoire? Non.

C'est la forme symbolique de ce qui est arrivé.

Je t'ai raconté le rêve où j'étais différentes parties du corps de Sri Aurobindo... Le pied, c'est son action physique à travers certaines gens ou à travers l’Ashram ou à travers moi.

Je ne crois pas que ce soit sérieux. C'est l’image de ce qui a eu lieu, qui s'est enregistrée quelque part.

(silence)

C'est un développement assez curieux. Depuis quelque temps, mais d'une façon de plus en plus précise, quand j'entends quelque chose, qu'on me lit quelque chose ou quand j'écoute de la musique ou que quelqu'un me raconte un fait, ça vibre tout de suite: l’origine de l’activité ou le plan sur lequel elle se passe ou l’origine de l’inspiration se traduit automatiquement par une vibration dans l’un des centres. Et alors, suivant la qualité de la vibration, c'est une chose constructive ou négative; et quand ça touche si peu que ce soit, à un moment donné, à un domaine de Vérité, il y a... (comment dire?) comme l’étincelle d'une vibration d'Ananda. Et la pensée est absolument silencieuse, immobile, rien – rien (Mère ouvre les mains vers le Haut dans un geste d'offrande totale). Mais cette perception devient de plus en plus précise. Et je sais comme cela: je sais d'où vient l’inspiration, où se situe l’action et la qualité de la chose.

C'est d'une précision! oh! infinitésimale, de détail.

Par exemple, la première fois que j'ai senti cela d'une façon claire, c'était lorsque j'ai entendu la musique de Sunil sur The Hour of God) c'était la première fois, et à ce moment-là, je ne savais pas que c'était quelque chose de tout organisé, une sorte d'organisation d'expérience. Mais maintenant, après tous ces mois, ça s'est classé et c'est pour moi une indication absolument sûre, qui ne correspond à aucune pensée active, aucune volonté active – simplement, je suis une machine infiniment délicate de réception des vibrations. C'est comme cela que je sais d'où viennent les choses. Il n'y a aucune pensée. C'est comme cela que m'est venue la vibration du rêve de Sujata (Mère fait un geste en bas, sous les pieds): c'était dans le domaine du subconscient. Alors j'ai su qu'il s'agissait d'un enregistrement.

Et l’autre jour, quand Nolini m'a lu son article, c'était neutre (geste vague, à hauteur moyenne), tout le temps neutre, et puis tout d'un coup, une étincelle d'Ananda; c'est cela qui m'a fait apprécier. Et tout à l’heure, lorsque tu m'as lu ce texte de Y, au moment où elle a exprimé son expérience du lever du soleil, il y a eu une petite raie de lumière (geste à hauteur de la gorge), alors j'ai su. Une raie de lumière agréable – pas l’Ananda, mais une lumière agréable ici (même geste), alors j'ai su qu'il y avait là quelque chose, qu'elle avait touché quelque chose.

Et il y a des degrés de qualité, n'est-ce pas, c'est presque infini.

C'est la façon qui m'est donnée d'apprécier la position des choses.

Et tout à fait, tout à fait en dehors de la pensée. C'est APRÈS; par exemple, pour ce rêve, quand tu m'as posé la question, j'ai dit: «Logiquement, puisque la vibration est là (geste sous les pieds), ce doit être un souvenir.» Et avec une sorte de certitude parce que... parce que la perception est tout à fait impersonnelle.

C'est un mécanisme d'une délicatesse extraordinaire, et avec un champ de réceptivité (geste en gradation) presque infini.

Ma façon de connaître les gens est comme cela aussi maintenant. Mais depuis longtemps, quand je vois une photographie, par exemple, ça ne passe pas du tout par la pensée, ce ne sont pas des déductions ni des intuitions: ça crée une vibration quelque part. Et il arrive même des choses amusantes; l’autre jour, on me donne la photographie de quelqu'un, alors je sens très bien: d'après l’endroit qui est touché, à la vibration qui répond, je sais que cet homme-là a l’habitude de manier les idées et qu'il a l’assurance de quelqu'un qui enseigne. Je demande (pour voir): «Que fait cet homme?» On me dit: «Il fait des affaires.» J'ai dit: «Eh bien, il n'est pas fait pour faire des affaires, il n'y entend rien!» Et trois minutes après, on me dit: «Ah! pardon, excusez-moi, je me suis trompé, c'est un professeur»! (Mère rit) C'est comme cela.

Et c'est constant-constant.

l’appréciation du monde, des vibrations du monde.

C'est pour cela que je t'ai demandé de me donner tes mains tout à l’heure – pourquoi? C'est pour avoir justement la vibration. Eh bien, j'ai senti ce qu'on appelle en anglais a sort of dullness [une sorte de lourdeur]; je me suis dit: ça ne va pas.

Et aucune pensée, rien: simplement des vibrations.

Alors qu'est-ce qui ne va pas?! (Mère rit en regardant le disciple)... Oui, c'est cela, c'est une sorte de «dullness».

Oui, je suis très englouti par la Matière.

C'est cela.

Ce n'est pas drôle.

Non, mais tu ne peux pas en sortir?

Oh! on est assailli! Et puis mon corps ne m'aide pas beaucoup non plus.

Ah! non, le corps n'aide jamais. Maintenant j'en suis convaincue. On peut, dans une certaine mesure, aider son corps (pas trop grande, mais enfin une petite mesure), on peut aider son corps, mais le corps ne vous aide pas. Toujours, sa vibration est par terre.

Oui, c'est lourd.

Sans exception. Sans exception, c'est un abaissement, et surtout ça: c'est quelque chose qui rend terne-terne – qui ne vibre pas.

C'est lourd.

Mais avec cette sâdhanâ que je suis en train de faire, il y a certains fils conducteurs que l’on suit, j'ai certaines phrases de Sri Aurobindo... Pour les autres sâdhanâs, j'avais l’habitude: tout ce qu'il disait était clair, ça indiquait le chemin, on n'avait pas à chercher; mais là, il ne l’a pas fait; seulement il a dit ou fait certaines remarques de temps en temps, et ces remarques me servent (il y a la nuit aussi quand je le rencontre, mais je ne veux pas compter trop là-dessus, parce que... on devient trop anxieux d'avoir ce contact et ça gâte tout). Il y a plusieurs remarques qui me sont restées ainsi et qui sont, oui, comme des fils conducteurs. Par exemple: «Endurer... endurer.»

Vous avez, supposons, une douleur quelque part; l’instinct (l’instinct du corps, l’instinct des cellules) est de se crisper et de vouloir rejeter – c'est la pire chose: ça augmente invariablement. Par conséquent, la première chose à enseigner au corps est de rester immobile – n'ayez pas de réaction. Surtout pas de crispation, mais même pas de mouvement de rejet – une parfaite immobilité. Ça, c'est l’égalité corporelle.

Une parfaite immobilité.

Après la parfaite immobilité, c'est le mouvement d'aspiration intérieure (je parle toujours de l’aspiration des cellules – j'emploie des mots pour ce qui n'a pas de mot, mais il n'y a pas moyen de s'exprimer autrement), le «surrender», c'est-à-dire l’acceptation spontanée et totale de la Volonté suprême (que l’on ne connaît pas). Est-ce que la Volonté totale veut que les choses aillent de ce côté-ci ou de ce côté-là, c'est-à-dire vers la désintégration de certains éléments ou vers...? Et là encore, il y a des nuances infinies: il y a le passage entre deux hauteurs (je parle de réalisations cellulaires, n'est-ce pas, ne pas oublier cela), je veux dire que l’on a un certain équilibre intérieur, un équilibre de mouvement, de vie, et il est entendu que pour passer d'un mouvement à un mouvement supérieur, presque toujours il se produit une descente puis une remontée – c'est une transition. Alors, est-ce que le choc reçu vous pousse à descendre pour remonter, ou est-ce qu'il vous pousse à descendre pour abandonner de vieux mouvements? Parce qu'il y a des façons d'être cellulaires qui doivent disparaître pour faire place à d'autres; il y en a d'autres qui s'inclinent pour remonter avec une harmonie, une organisation supérieures. C'est le second point. Et il faut attendre et voir SANS POSTULER D'AVANCE ce qui doit être. Surtout, n'est-ce pas, il y a le désir – le désir d'être confortable, le désir d'être en paix, tout cela – qui doit absolument cesser, disparaître. Il faut être absolument sans réaction, comme cela (geste paumes ouvertes, d'offrande immobile vers le Haut), Et alors, quand on est comme cela («on», ce sont les cellules), au bout d'un moment, vient la perception de la catégorie à laquelle appartient le mouvement, et il n'y a qu'à suivre, soit qu'il s'agisse de quelque chose qui doit disparaître et être remplacé par autre chose (que pour le moment on ne connaît pas), soit qu'il s'agisse de quelque chose qui doit se transformer.

Et ainsi de suite. Et c'est tout le temps comme cela.

Je te donne un exemple pour être un peu plus claire: constamment, j'ai ce qu'il est convenu d'appeler «mal aux dents» (ça ne correspond à rien dans la réalité, mais enfin les gens appellent cela «avoir mal aux dents»). J'avais des difficultés à manger, congestion, etc. l’attitude: on endure – on endure au point que l’on ne s'aperçoit même pas que les choses vont mal. On endure mais on sait (d'ailleurs, il y a des signes extérieurs: fluxion, etc.). Il y avait une période (c'est depuis longtemps dans cet état, mais enfin), une période qui a commencé par une première fluxion, en décembre – contrôle, travail, etc., toutes les précautions intérieures nécessaires. Puis on observe le mouvement; «on» veut savoir où ça mène, ce que c'est (c'est une longue histoire, pas intéressante du tout – intéressante seulement parce que instructive), et la nuit d'avant-hier à hier, la situation était en apparence la même que d'habitude, même chose, lorsque, tout d'un coup, il y a eu la volonté de rester éveillée, de ne pas s'endormir, et alors j'ai eu la claire perception d'une congestion et qu'il devenait nécessaire de retirer ces choses (des bouts de dents qui bougeaient – ça bougeait plus, ça bougeait moins, mais ça a commencé en décembre), de les retirer pour que la congestion puisse sortir. Autrefois aussi, il y avait eu des bouts de dents qui bougeaient, et ils étaient sortis d'eux-mêmes un jour, sans difficulté – quand leur temps de partir était venu, ils étaient partis; j'avais donc le souvenir de cela: pourquoi ne pas attendre ce moment? Pendant longtemps, c'était l’attitude. Et puis il y avait une espèce de curieux recul des cellules d'avoir un contact très proche avec quelque chose (un dentiste) qui n'était pas complètement harmonisé avec la force directrice du corps. Ça se traduisait ainsi en langage courant: T (qui est très gentille, c'est bien entendu) ne sait ni les habitudes ni les réactions ni le genre de vibration ni ce qui est nécessaire – elle ne sait rien. Comment entrer en contact? Et la nuit d'avant-hier, il m'est venu clairement: voilà ce qu'il faut lui dire (et les mots exacts de la lettre à écrire) et il FAUT la faire venir demain matin. Puis tout s'est tenu tranquille, c'était fini, j'ai continué ma nuit comme toutes les nuits d'habitude. Le lendemain matin, j'ai écrit ce qu'il avait été décidé et elle est venue, et quand elle est venue, eh bien, elle savait ce qu'elle devait savoir et elle a fait exactement ce qu'il fallait. Elle a même dit: «Je ne ferai que ce que vous me direz de faire.»

Et j'ajoute un détail (pas très plaisant, mais qui donne la mesure de la vérité): il y avait deux bouts de dents à tirer; elle en a tiré un d'abord, et c'était à peu près normal, puis elle a tiré le second et il y a eu une sorte d'hémorragie: une quantité formidable de sang qui s'était accumulé, épais, noir – le sang d'une congestion dangereuse. Mais j'avais senti (une douleur dans le cerveau, une douleur dans l’oreille, une douleur...), et je me disais: «Ça, ce n'est pas bon, il faut faire attention.» Le corps était conscient que ça n'allait pas. Et une hémorragie tout à fait inaccoutumée; j'ai même fait la remarque à T: «C'est bon que ça sorte.» Elle a dit: «Ah, oui!»

Tout cela pour te dire que la pensée est absolument immobile, tout se passe directement: des questions de vibration. Eh bien, ce n'est que comme cela que l’on peut savoir ce que l’on doit faire. Si ça passe par le mental – surtout cette pensée physique qui est absolument imbécile, absolument –, on ne peut pas savoir; tant qu'elle marche, on est toujours amené à faire ce que l’on ne doit pas faire, à avoir surtout la réaction mauvaise: la réaction qui aide les forces de désordre et d'obscurité au lieu de les contredire. Et je ne parle pas de l’anxiété parce qu'il y a extrêmement longtemps qu'il n'y a plus d'anxiété dans mon corps – longtemps, des années –, mais l’anxiété, c'est comme si l’on avalait une tasse de poison.

C'est cela que l’on appelle le yoga physique.

Surmonter tout ça. Et la seule façon de le faire: à chaque seconde, que toutes-toutes ces cellules soient (geste d'offrande immobile vers le Haut) dans une adoration, une aspiration – une adoration, une aspiration, une adoration, une aspiration... Et rien d'autre. Alors, au bout de quelque temps, il y a aussi la joie, puis ça finit par la confiance béatifique. Quand cette confiance sera établie, tout ira bien. Mais... c'est très facile à dire, c'est beaucoup plus difficile à faire. Seulement, pour le moment, je suis convaincue que c'est le seul moyen, il n'y en a pas d'autres.

Voilà. Donne tes mains...

27 mars 1965

'Je trouve que toutes ces viandes que l’on m'a données pour me «remonter» m'alourdissent, surtout avec les chaleurs qui recommencent Est-ce que je ne pourrais pas revenir à la nourriture végétarienne?

Ça n'a pas vraiment d'action sur la conscience, j'en suis absolument certaine. La nourriture carnée peut donner au corps le sentiment d'une grande solidité, mais, à mon avis, la solidité est tout à fait importante, tout à fait – je ne crois pas à la spiritualité qui «éthéréalise», c'est le vieux mensonge d'avant.

Non, la lourdeur du corps... Il faut non seulement que tu conçoives mais que tu comprennes et approuves que cette lourdeur est faite pour réparer le dommage intérieur du corps, et il faut que le corps change justement cette lourdeur en une sorte de tranquillité constante de façon que tout rentre dans l’ordre.

Je ne crois pas que l’impression d'être «léger» soit une bonne impression. Parce que l’une et l’autre, la prétendue légèreté et la prétendue lourdeur, n'ont ABSOLUMENT rien à voir avec le yoga et la Transformation. Tout ça, ce sont des sensations humaines. La vérité est toute différente et très indépendante de ces choses. La vérité, n'est-ce pas, c'est l’aspiration consciente des cellules au Suprême; c'est la seule chose qui puisse vraiment transformer le corps; et c'est très-très indépendant du domaine des sensations.

Au contraire, il est bon que les nerfs s'assagissent, et je crois que quand les nerfs deviennent forts, leur premier mouvement est de se tranquilliser, et ça donne l’impression d'une lourdeur, presque l’impression d'un tamas, mais c'est une sorte de stabilité tranquille qui est nécessaire. Voilà. Je vois ça comme cela.

Au fond, il n'est pas mauvais pour guérir les méfaits de ce mental physique de devenir... on pourrait faire une plaisanterie: végétarien au sens de devenir une plante – la vie paisible de la plante, comme ça (geste étendu au soleil).

Oui, il y a une sorte d'immobilité végétative qui est excellente pour surmonter l’agitation – l’agitation effrénée – de ce mental physique... Tiens, on a la sensation d'un nénuphar sur l’eau: ces grandes feuilles qui s'étalent comme ça – une eau bien tranquille qui ne bouge pas et un nénuphar.

Le nénuphar, c'est la fleur blanche qui s'ouvre à la lumière, sur de grandes feuilles qui flottent... Oh! comme c'est bon d'être porté.

Quand les nerfs sont bien tranquillisés parce qu'on a bien mangé, on peut entrer dans une contemplation béatifique – ne s'occuper de rien, surtout ne pas essayer de penser: comme ça (geste flottant, offert), faire une invocation au Seigneur et à son Harmonie – une harmonie lumineuse –, puis rester au moins une demi-heure, trois quart d'heure comme cela après le repas, étendu. C'est très bon, c'est excellent. Ne pas s'endormir: béatifique – rien, être rien. Rien qu'une tranquillité béatifique. C'est le meilleur remède.

Je crois que quand on a bien mangé, c'est plus facile!

Essaye de faire le nénuphar... C'est joli un nénuphar!1

Même l’observation des animaux est très jolie – ils savent se reposer beaucoup mieux que les hommes.

On pourrait faire un slogan: si vous voulez bien vous porter, faites le nénuphar! (Mère rit)... Je vois l’image de l’étang au soleil.

Au fond, j'ai du mérite à demander aux gens de bien manger... Tu sais que j'ai eu des difficultés: pendant deux jours, j'étais à peu près dans l’impossibilité de manger – et je suis si contente! Et je me gronde toujours: c'est une faiblesse – une faiblesse morale. Je suis très bien placée pour le dire parce que j'ai la même difficulté que toi avec ces histoires de nourriture, et c'est très mauvais. Ce n'est pas par goût personnel pour la nourriture que je prêche (!) mais pour réagir contre l’autre tendance. Chaque fois que quelque chose vient m'empêcher de manger, tout de suite, spontanément, le corps dit: «Oh! merci, Seigneur, je n'ai pas besoin de manger!» Je m'attrape et je me donne une tape!2

avril




7 avril 1965

Est-ce que tu dors bien?

Pas trop, et ce n'est pas conscient: je ne te vois pas.

Oh! mon petit (riant), quelquefois je me dis: «C'est beau, les gens qui ne sont pas conscients!»

Tout le temps, tu sais, tout le temps, sans arrêt, ça défile – naturellement il y a des moments où j'entre dans un état béatifi-que, mais on ne me donne pas ça longtemps. J'aimerais bien passer au moins quatre ou cinq heures comme cela, mais ça, on ne me le donne pas. Tout le temps, tout le temps... et quelles histoires!

Je ne peux pas dire... Ce n'est ni supraconscient ni subconscient... on pourrait dire que c'est intraconscient – c'est juste le dessous des choses. Et alors... (Mère hoche la tête)

(silence)

Au point de vue semi-historique, ce serait très intéressant à raconter au jour le jour, tout ce qui se passe; parce que ce n'est pas limité à un endroit ou à un certain nombre de personnes: c'est une activité très terrestre. Ce serait évidemment très intéressant. Mais il faudrait au moins une heure ou deux le matin pour noter toute la nuit! et rester bien tranquille, autrement tout s'en va. Mais ça ferait des documents formidables.

Si l’on me donne quelque prévision, c'est sous une forme très symbolique, ou sous une forme curieuse: une forme que l’on pourrait appeler «analogique», c'est-à-dire que l’on me montre des faits analogues qui se sont produits dans l’histoire de la terre (quelquefois l’histoire de la terre qui n'est pas historique, qui est «préhistorique») et avec une coloration spéciale, un peu plus interne que le simple fait brutal: il y a en même temps une vibration qui est à la fois un mélange de pensée, de sentiment et surtout de force – force d'action. Ça vient comme cela avec une sorte de pouvoir de projection dans l’avenir (Mère dessine une trajectoire qui va de l’événement passé vers le futur), et entre les deux, il y a la courbe produite par le progrès terrestre. Alors, au fond, ce serait assez intéressant... Il faut n'avoir rien d'autre à faire!

Mais c'est très visible: par exemple, un mot, une phrase, un geste, une pensée, une impulsion qui a son point vibratoire quelque part spécialement (dans le passé), et toute sa ligne de conséquences (même geste de trajectoire), toute sa courbe de conséquences. Tout ça, vu d'un seul coup (Mère dessine un écran sur lequel s'arrête soudainement une image). La courbe: telle chose va... brrt! là-bas. Mais l’aboutissement (ce qui donnerait une valeur spectaculaire et ronflante qui fait beaucoup d'effet), ça ne m'est jamais donné. Ce qui ferait une réputation de grand prophète, cela non, ce n'est pas donné (je ne cherche pas à l’avoir, mais ce n'est pas donné). Simplement (même geste de trajectoire): telle chose va aller comme cela, brrt! puis il y aura tout ça, là, là... (Mère marque divers points sur la trajectoire)) mais l’aboutissement: silence.

Mais enfin, il faut n'avoir rien à faire pour pouvoir noter ça! Et au fond, ça n'a jamais servi à rien. Tu crois que les prophètes ont aidé les hommes?... Je ne crois pas. Ce qui devait arriver est toujours arrivé, et ce n'est pas parce qu'on l’avait prévu que cela l’a empêché d'arriver.

10 avril 1965

On m'a posé une question (Mère cherche une note):

How can I love the Lord? I have never seen Him and never He speaks to me.

Je réponds ceci:

It is not what one sees or hears that one loves, it is love that one loves through the forms and sounds, and of all love the most perfect love, the most loving love is the Lord's love.

Voilà le français, c'est venu séparément:

Comment puis-je aimer le Seigneur? Je ne l’ai jamais vu et Il ne m'a jamais parlé (!)

Ce n'est pas ce que l’on voit ni ce que l’on entend que l’on aime; on aime l’amour, qui s'exprime à travers les formes et les sons, et l’amour le plus parfait, le plus adorable, est l’Amour du Seigneur suprême.

Quand je l’ai écrit, c'était une expérience d'une intensité extraordinaire: on ne peut pas aimer autre chose que l’amour, et c'est l’amour derrière toute chose que l’on aime – c'est l’amour que l’on aime.

C'est l’Amour qui s'aime partout.

Et la forme, le son, ce sont des excuses.1

(silence)

Tu trouves ça difficile à comprendre?

!?

Non, parce que je l’ai fait lire à N: he has blinked [il a clignoté], je l’ai fait lire à U: he has blinked... Alors toi aussi, tu... blink?

Non! Ça me semble...

Ah! bon, alors ça va bien! S'il y a au moins une personne qui comprend, ça suffit.

C'est la vérité, C'EST l’amour... Il y en aura d'autres qui comprendront.

J'aime cela. Cela a une sorte de simplicité enfantine: «... et l’amour le plus parfait, le plus adorable est l’Amour du Seigneur suprême.»

17 avril 1965

Tu disais que l’on avait fait un pas en avant. Il y a du nouveau?

J'avais toujours dit que, sur deux points, l’avenir ne m'avait jamais été montré. D'abord ce que serait exactement la première forme de la vie supramentale sur la terre, c'est-à-dire l’échelon qui suivra l’homme tel qu'il est – comme cet échelon qui a suivi l’animal (et qui a disparu, au fond), quel est l’échelon qui suivra l’homme, et qui sera peut-être aussi appelé à disparaître? Puis, l’autre point qui était plus personnel: la transformation de ce corps serait-elle suffisante pour une prolongation indéfinie, ou est-ce qu'une partie du travail sur les cellules serait en quelque sorte gaspillée?

Je ne peux pas dire que j'aie des réponses, mais dans les deux voies c'est comme si cela s'était un peu ouvert. l’impression que l’on était devant un mur et ça s'ouvre, on me permet d'avancer. Eh bien, les conclusions ne sont pas encore là, mais dans les deux directions, nous avons vraiment fait un pas en avant parce que c'est ouvert – ce n'est plus un mur, c'est ouvert.

C'est surtout ce sentiment d'être bloqué qui est parti.

Les premières découvertes ne valent pas d'être dites parce que ce n'est pas assez précis ni concret ni définitif. Seulement ce sentiment de soulagement: au lieu d'être devant quelque chose qui vous bouche le chemin, ouf! on peut respirer et on peut avancer.

Les conséquences seront pour plus tard.

(long silence)

La transition entre les deux ne paraît possible vraiment que par l’entrée – consciente et volontaire – d'une conscience supramen-talisée dans un corps, que l’on pourrait appeler un «corps physique amélioré», c'est-à-dire le corps physique humain tel qu'il est maintenant mais amélioré: l’amélioration, par exemple, que produit une VRAIE culture physique, non pas telle qu'on l’exagère maintenant mais dans son sens véritable. C'est une chose que j'ai vue assez clairement: dans une évolution (la culture physique va très vite en ce moment, il n'y a même pas un demi-siècle que cela a commencé), dans l’évolution, cette culture physique amènera une amélioration, c'est-à-dire une souplesse, un équilibre, une endurance et une harmonie – ce sont les quatre qualités: souplesse (plasticité), équilibre des différentes parties de l’être, endurance et harmonie du corps, qui en feront un instrument plus souple pour la conscience supramentalisée.

Alors le passage: utilisation consciente et volontaire d'un corps ainsi préparé, par une conscience supramentalisée. Il faut que ce corps soit amené au maximum de son développement et de l’utilisation des cellules pour être... oui, imbibé consciemment des forces suprêmes (ce qui est en train de se faire ici – en Mère – en ce moment), et ça, au maximum de ses possibilités. Et si la conscience qui habite ce corps, qui anime ce corps, a les qualités requises en suffisance, normalement elle doit pouvoir utiliser ce corps jusqu'au point maximum de sa possibilité de transformation, ce qui fait que le déchet causé par la mort des cellules qui se décomposent devrait être réduit au minimum – dans quelle mesure?... C'est justement ce qui appartient encore à l’inconnu.

Cela correspondrait à ce que Sri Aurobindo appelait la prolongation de la vie à volonté, pour une durée indéfinie.

Mais telles que sont les choses actuellement, il semble qu'il y aurait une période transitoire où la conscience aurait à passer de ce corps à un autre mieux préparé – mieux préparé extérieurement, physiquement (pas intérieurement); «extérieurement», je veux dire ayant acquis certaines aptitudes par le développement actuel (que celui-ci ne possède pas) des quatre qualités, qu'il ne possède pas en quantité et en completeness [suffisance]; c'est-à-dire qu'il faut que ces quatre qualités soient en accord parfait et en quantité suffisante pour pouvoir supporter le travail de transformation.

Je ne sais pas si je peux me faire comprendre...

Oui, mais tu parles de «changer» de corps?

Dans ce cas-là, il faudrait changer de corps. Mais un changement (au point de vue occulte, c'est une chose connue), un changement non dans un corps à naître mais dans un corps déjà formé. Ce serait par une sorte d'identification de la personnalité psychique du corps à changer avec l’autre corps récepteur – ça, les fusions de personnalités psychiques, c'est possible, (riant) je connais le procédé! Mais il faut une annulation de l’ego – ça, oui, l’annulation de l’ego est nécessaire; mais si l’annulation de l’ego est suffisante dans l’individualité (peut-on employer le mot «individualité»? je ne sais pas... ce n'est ni «personnalité» ni «individualité»), dans l’être supramentalisé, si l’annulation de l’ego est faite, terminée, cet être a le pouvoir de neutraliser complètement la présence de l’ego dans l’autre être. Et alors, par cette neutralisation, la diminution qui provient toujours d'une réincarnation serait annulée – c'est cela qui est affreux, n'est-ce pas, ce temps perdu par la diminution dans un être nouveau! mais par ce passage conscient – volontaire et conscient – d'un corps à un autre, l’être dont l’ego n'existe plus a le pouvoir presque total d'annuler l’autre ego.

Tout ce mécanisme occulte est à développer, mais c'est presque rationnel pour la conscience.

Ce serait le processus.

Les conditions de la prolongation presque indéfinie du corps sont connues ou presque connues (elles sont plus que pressenties: elles sont connues), et elles sont apprises par le travail nécessaire pour contrecarrer l’extrême fragilité de l’équilibre physique du corps en transformation. C'est une étude de chaque minute, pourrait-on dire, presque de chaque seconde. C'est cela, le domaine extrêmement difficile. C'est difficile pour toutes les raisons que j'ai déjà expliquées, à cause de l’intrusion des forces qui sont en état de déséquilibre et qu'il faut, au fur et à mesure, remettre dans l’état nouveau d’équilibre.1 C'est là où se trouve le signe d'inconnu.

Voilà. C'est là.

Mais ce n'est plus bloqué. Le chemin est ouvert, on peut voir – on peut voir.

Ça viendra.

Mais la transition vraiment difficile à percevoir, c'est la transition entre la création animale (qui se perpétue, n'est-ce pas), et la formation supramentale, qui n'a pas encore été faite. Le passage de cette création à la création supramentale d'un corps, c'est là où l’on ne sait pas. C'est le passage de l’un à l’autre: comment? N'est-ce pas, c'est encore un problème un peu plus difficile que le passage de l’animal à l’homme, parce que le procédé de la création humaine est raffiné mais il est le même... Oh!

(La conversation est coupée par l’entrée du docteur)

...Tandis que là, c'est une nouvelle forme de création.2

21 avril 1965

À propos de la dernière conversation, j'avais pensé à une citation de Sri Aurobindo qui m'est venue à l’esprit.

Laquelle?

Tu parlais de la première forme de la vie supramentale.

Sur la terre.

Oui, dans un «corps physique amélioré». Je me suis posé des questions à ce sujet... surtout quand tu parles de «changer de corps».

Quelle question?

Notamment celle-ci. La différence entre le corps humain actuel et la création supramentale est si considérable, doit être tellement différente de substance...

Évidemment.

... que je me demande dans quelle mesure, même un corps physique amélioré pourra servir? Parce que c'est quelque chose qui va être tellement différent. Que ce corps soit vieux et courbé ou qu'il soit jeune et plein de souplesse, est-ce que cela fait vraiment une différence, puisque...

Ce n'est pas ce que je voulais dire par «amélioré». Que le corps soit jeune ou vieux ne fait aucune différence, parce que les avantages sont compensés par des inconvénients. J'ai regardé, moi aussi, le problème – ça ne fait aucune différence.

Changer de corps peut devenir une nécessité, c'est tout, mais c'est secondaire.

Ce que je voulais dire par un «corps physique amélioré», c'est cette espèce de maîtrise du corps que l’on est en train d'obtenir par la culture physique. J'ai vu dernièrement des revues qui montraient comment l’on avait commencé: les résultats du début et les résultats de maintenant; et au point de vue harmonie des formes (je ne parle pas des excès – il y a des excès partout –, je parle de ce qui peut être fait dans les meilleures conditions possibles), l’harmonie des formes, la force et un certain sens de la beauté, le développement de certaines possibilités d'endurance et d'habileté, de précision dans l’exécution unie à la force, c'est très remarquable quand on pense à la courte durée de la culture physique. Et cela se répand en ce moment très vite, c'est-à-dire que le pourcentage de la population humaine qui s'y intéresse et s'en occupe fait boule de neige. Alors, quand j'ai vu toutes ces photos (pour moi, c'est surtout par l’image que je vois), je me suis dit que par ces qualités-là, les cellules, les agrégats de cellules, acquièrent une plasticité, une réceptivité, une force qui rendent la substance plus souple pour l’infusion des forces supramentales.

Prenons le sens de la forme, par exemple (je donne un exemple parmi beaucoup d'autres). l’évolution s'oriente ouvertement vers une diminution de la différence entre la forme féminine et la forme masculine: l’idéal qui est en train de se créer masculinise les formes féminines et donne une certaine grâce et une souplesse aux formes masculines, ce qui fait qu'elles ressemblent de plus en plus à ce que, moi, j'avais vu tout en haut, par-delà les mondes de la création, à ce que l’on pourrait appeler le «seuil» du monde de la forme. J'avais vu au commencement du siècle, avant même de connaître l’existence de Sri Aurobindo et sans avoir jamais entendu le mot «supramental» ni rien ni l’idée, j'avais vu là, tout en haut, au seuil du Sans-Forme, à l’extrême limite, une forme idéale qui ressemblait à la forme humaine, et qui était une forme humaine idéalisée: ni homme ni femme. Une forme lumineuse, une forme de lumière dorée. Quand j'ai lu ce que Sri Aurobindo a écrit, j'ai dit: «Mais c'est la forme supramentale que j'ai vue!», sans avoir la moindre idée que cela puisse exister. Eh bien, l’idéal de forme vers lequel on va maintenant ressemble à ce que j'ai vu. C'est pourquoi j'ai dit: puisqu'il y a une concentration évolutive sur ce point, sur la forme physique corporelle, ce doit être que la Nature prépare quelque chose pour cette Descente et cette incarnation – ça me paraît logique. C'est ce que je voulais dire par une forme physique améliorée.

l’autre point est tout à fait secondaire, c'est une incidente, ce n'est pas dans la ligne de l’évolution. Je dis seulement que ça PEUT être un moyen utilisé, et que ça a été utilisé dans le temps.

Changer de corps?

Changer de corps. Cela peut être de nouveau un moyen utilisé, Si LE BESOIN S'EN FAIT SENTIR. Ce n'était pas l’idée centrale, c'était tout à fait une incidente – ça peut arriver. Et tout ce que j'ai dit, c'est que la conscience dans ces cellules-ci ayant perdu le sens de l’ego (je crois qu'elles l’ont perdu, bien que ce corps ait été formé sans sens de l’ego – en tout cas, s'il a été nécessaire à un moment donné, il ne l’est plus), ayant perdu le sens de l’ego, n'éprouvent aucune difficulté à se manifester dans un autre corps. Et c'est une expérience tout à fait pratique et matérielle, c'est-à-dire que j'ai multiplié les expériences de cette conscience se servant de ce corps-ci, de ce corps-là, de ce corps-là... pour certaines choses; c'était momentané naturellement, pas d'une façon permanente, mais à volonté et enfin pendant une durée suffisamment longue pour en avoir l’expérience concrète.

Mais c'est une affaire personnelle, cela n'a rien à voir avec le public et la collectivité, tandis que l’autre point est intéressant: j'ai l’impression que c'est la collaboration de la Nature qui pousse l’humanité dans ce sens afin de préparer une matière plus réceptive à l’idéal qui veut se manifester.

En repensant à cette dernière conversation, il m'avait semblé que la différence était si formidable entre les deux créations, animale et supramentale, que cela ne faisait pas beaucoup de différence que le corps soit plus souple, etc.

La différence n'est pas si formidable. La différence est formidable dans le mode de création, c'est là où il y a une différence formidable. C'est là où il est difficile de concevoir comment on va passer de l’un à l’autre et comment il peut y avoir des intermédiaires.

Justement, tout d'un coup, je me suis rappelé à ce propos une citation de Sri Aurobindo qui m'a semblée intéressante. C'est dans le «Cycle Humain», à la fin du «Cycle Humain». Il dit ceci: «Il se peut qu'une fois commencée, l’entreprise (supramentale) n'avance pas rapidement, il se peut qu'elle prenne de longs siècles d'effort avant d'arriver à naître avec quelque permanence; mais ce n'est pas tout à fait inévitable. Les changements de ce genre dans la Nature semblent avoir pour principe une longue et obscure préparation suivie d'un rassemblement rapide et d'une précipitation des éléments dans une nouvelle naissance – une conversion brusque, une transformation qui fait figure de miracle par sa lumineuse instantanéité.»1

C'est très intéressant... Oui (riant), il me l’a dit ces jours-ci!

C'est vrai.

Au fond, quand il y aura un corps, justement formé par un idéal et un développement croissant, un corps qui aura suffisamment d'étoffe et de possibilités, de potentiel, il se peut très bien qu'il y ait une Descente brusque d'une forme supramentale, comme il y en a eu une avec la forme humaine. Parce que ça, je sais (je le sais pour l’avoir vécu) que lorsque ce passage – très obscur – de l’animal à l’homme (dont on a retrouvé des traces plus ou moins probantes) a été suffisant, quand le résultat a été suffisamment plastique, il y a eu une Descente – il y a eu une descente mentale de la création humaine. Et c'étaient des êtres (il y a eu une descente double; justement elle avait ceci de particulier qu'elle était double, masculine et féminine: ce n'était pas un seul être, c'étaient deux êtres qui sont descendus), et c'étaient des êtres qui vivaient dans la Nature, d'une vie animale, mais avec une conscience mentale; seulement sans désaccord avec l’harmonie générale. Tous les souvenirs sont absolument clairs, d'une vie spontanée, animale, absolument naturelle, dans la Nature. Une Nature merveilleusement belle qui ressemble étrangement à la nature de Ceylan et des pays tropicaux: l’eau, les arbres, les fruits, les fleurs... Et une vie harmonieuse avec les animaux: il n'y avait aucun sentiment de crainte ou de différence. C'était une vie très lumineuse, très harmonieuse et très naturelle, dans la Nature.

Et c'est étrange, on dirait que l’histoire du paradis soit une déformation mentale de ce qui s'est passé véritablement. N'est-ce pas, tout cela est devenu ridicule, et aussi avec une tendance... on a l’impression qu'une volonté hostile ou un être asourique a voulu se servir de cela pour en faire la base d'une religion et mettre la main sur l’homme. Mais c'est une autre question.

Mais cette vie spontanée, naturelle, harmonieuse – très harmonieuse –, extrêmement belle et lumineuse et facile!... Un rythme harmonieux dans la Nature. Au fond, une animalité lumineuse.

C'est comme cela que l’on a commencé, et ça a commencé comme cela parce qu'il y a eu une descente de la conscience supérieure mentale humaine dans la forme qui existait. Le phénomène peut se renouveler de la même façon, avec cette différence que cela peut être plus conscient et plus volontaire – il peut y avoir l’intervention d'une volonté consciente. Ce serait, ou cela pourrait être par un procédé occulte – ça, je ne sais pas, il y a toutes sortes de possibilités dont l’une pourrait être le passage conscient d'un être qui s'est servi de l’ancien corps humain pour son développement et son yoga, et qui quitterait la forme devenue inutile pour entrer dans une forme capable de s'adapter à la croissance nouvelle.

Là, les deux possibilités se rejoignent.

Mais ça, pour le moment, il n'en est pas question parce que, bien que ce développement de la culture physique soit extrêmement rapide, on conçoit tout de même que cela puisse prendre des centaines d'années.

Il y a une citation de Sri Aurobindo disant que le premier point à acquérir est la prolongation de la vie à volonté – ce n'est pas directement l’immortalité: c'est la prolongation de la vie à volonté. Il l’a écrit dans les articles sur «La Manifestation Supramentale».

23 avril 1965

Maintenant, toutes les nuits presque sans exception, je passe une partie de la nuit dans quelqu'un d'autre, qui me paraît être moi – c'est «moi», mais les circonstances sont tout à fait différentes, les relations sont tout à fait différentes. Et cette nuit, je ne sais comment (oh! c'était une longue histoire), je me suis vue: j'étais habillée en sari et j'avais les cheveux défaits, et ils étaient blancs! C'était blanc avec quelque chose de noir qui était resté encore noir; et j'ai vu ma figure tout d'un coup, dans un miroir, et c'est comme cela que j'ai su que c'était quelqu'un d'autre.

Et cela paraît être une occupation très quotidienne, très régulière, avec des gens tout à fait différents les uns des autres, tout à fait, mais tous en rapport avec la pensée de Sri Aurobindo ou l’Œuvre de Sri Aurobindo. Il y en a que je connais très bien, avec un entourage que je connais très bien; il y en a que je connais moins bien.

La nuit d'avant, c'était pénible parce que j'étais («j'étais» – qui j'étais? je ne sais pas), j'étais harcelée et attaquée par quelqu'un qui ne voulait pas me quitter et qui était pour moi tout à fait répugnant, un être de mensonge et d'hypocrisie. C'était un être symbolique (tout cela était symbolique) et il représentait quelque chose, presque comme l’un des vices humains, quelque chose de symbolique et de très général, et c'était pénible, oh!... je faisais appel à tout pour m'en débarrasser. Mais je n'ai pas su qui j'étais – c'était «moi», mais extérieurement je ne sais pas.

Mais la nuit dernière, il s'est trouvé qu'au cours de toutes les circonstances, j'étais avec quelqu'un que je connais très bien (pas matériellement) et j'avais les cheveux blancs, et cette personne me disait: «Oh! c'est très bien, allez comme cela...» Puis j'ai vu ma tête... J'avais un visage pâle mais pas blanc, et des cheveux blancs qui me tombaient dans le cou, qui étaient très blancs (le blanc des cheveux noirs), avec quelques mèches noires là – des cheveux blancs; et j'ai dit: «Mais non! quand on a des cheveux blancs... (je ne sais pas quelle langue je parlais parce que l’on n'entend pas de sons, on comprend de l’intérieur)... ce n'est pas joli des cheveux blancs comme cela.» Alors (riant), quand je suis revenue à mon état habituel, je me suis dit: «Tiens! mais comme j'avais une drôle de tête!»

C'est fatigant, un petit peu. Chaque fois, c'est une nouvelle difficulté qu'il faut surmonter, un problème à résoudre, quelque chose à mettre en ordre...

28 avril 1965

Mère semble absorbée

...Enfin, tant que l’on ne peut pas tout, on ne sait rien.

C'est mon expérience de ces jours-ci, de plus en plus claire.

Tant que l’on ne peut pas tout, c'est-à-dire que l’on n'a pas le Pouvoir suprême, on ne sait rien. Et le Pouvoir suprême, c'est... Je vais m'expliquer plus clairement (Mère sourit). Quelqu'un est en train de mourir d'un cancer en Amérique. J'ai dit à ce quelqu'un que ce qui arriverait serait le mieux pour son âme; je l’ai dit à un moment où, encore, la soi-disant connaissance humaine s'imaginait qu'elle pouvait le guérir. Il a perdu la parole mais pas la conscience – ni l’ouïe ni la conscience (c'est un cancer du cerveau). Le docteur (l’éminence même, n'est-ce pas, ce qu'il y a de mieux) dit que c'est seulement à force de volonté qu'il vit – et lui ne veut pas vivre! (pourtant il persiste, la vie persiste). Lui ne veut pas vivre, il veut mourir. Mais il ne peut pas le dire évidemment, il ne peut plus parler. Et le docteur, lui, dans son ignorance, ahuri par le phénomène, dit que c'est par sa volonté qu'il vit.

J'ai reçu tout cela ce matin; j'ai vécu pendant plusieurs heures à travers les consciences, avec ce problème: qu'il vivait. Et il y a toujours (pour des consciences comme celles-là) la «Mort» avec un grand point d'interrogation – qu'est-ce que c'est exactement? Que se passe-t-il exactement? Quel est le changement dans la conscience? Y a-t-il un changement dans la conscience? Qu'est-ce qui se passe?... Parce que mon travail consiste (la promesse que j'ai faite) à ce qu'avant de quitter son corps, il devienne conscient de la Vérité éternelle. Alors, pendant au moins trois heures ce matin, j'étais en face de ce problème (c'est pour cela que j'étais tout à fait au-dedans quand je suis venue), et je me suis dit: «Mais... tant que l’on n'est pas le maître de la vie et de la mort, on ne sait rien!»

C'est pour cela que j'étais un peu absorbée.

(silence)

J'ai eu toutes sortes d'expériences depuis tant-tant-tant d'années. Depuis à peu près soixante ans, constamment je m'occupe de gens dont on dit qu'ils «meurent», constamment. Eh bien, il y a presque autant de cas que de personnes – il y a des catégories, mais les cas sont innombrables (et je ne parle pas des cas extérieurs, de l’événement matériel: je parle du cas intérieur). C'est-à-dire que j'ai été mise en rapport presque constant avec le phénomène, et c'est encore, pourtant, un problème... Il m'est arrivé au moins deux fois, dans cette existence-ci, ce que les gens appellent de «mourir» – et les deux fois, l’expérience était différente. l’expérience était différente, et pourtant le fait apparent était le même.

Et si je regarde d'une certaine manière (n'est-ce pas, les explications ne veulent rien dire), si je regarde d'une certaine manière, ce qui veut dire avoir vraiment la clef... on ne l’a qu'avec le Pouvoir. Eh bien, ce Pouvoir-là... (Mère hoche négativement la tête).

C'est difficile à expliquer si je veux me faire comprendre. Par exemple, beaucoup de fois (beaucoup de fois, très souvent), des gens m'ont demandé de mourir pour une raison ou pour une autre; et en faisant certaine chose, c'est arrivé. La «chose» n'était pas toujours la même, mais le résultat était en apparence toujours le même: la personne quittait son corps. J'ai eu même près de moi, au moins deux fois d'une façon tout à fait claire et précise, des personnes qui étaient ce que l’on appelle «mortes», qui avaient quitté leur corps de cette façon-là, et elles n'en savaient rien! Par conséquent, pour cette partie de leur être, ça ne faisait aucune différence.1 Et il m'est arrivé aussi de soi-disant «ressusciter» quelqu'un que l’on avait déclaré mort. C'est-à-dire que toutes les diversités, toutes les possibilités (pas toutes, mais beaucoup), tout cela s'est présenté à moi.

Naturellement, c'est toujours un mouvement de la conscience (la «chose» qui amène la mort) et un certain mouvement de la volonté, mais-

Ce que je me demandais aujourd'hui (ce n'est pas «demandais» – les mots sont toujours mauvais –, parce que ce n'est pas mental, je ne me demandais pas mentalement), mais tout d'un coup est venu devant moi, comme cela (geste comme sur un écran de cinéma): est-ce que, par hasard, ce ne serait pas une multitude de choses différentes que l’on appelle «mort»?... Nous disons «la vie», «la mort», et nous opposons cette mort à la vie – est-ce que, par hasard, ce ne seraient pas d'innombrables choses, possibilités différentes, que les hommes appellent «mort»?

(silence)

Qu'est-ce que c'est?

La science humaine répond: il y a un phénomène analogue, c'est la décomposition. Mais ça...

Nous sommes en constant état de décomposition – tout, toute la vie tout le temps est en état de décomposition et de transformation; toute cette nourriture que nous absorbons, c'est tout le temps en état de décomposition. Alors...

Peut-être est-ce simplement la partialité, je veux dire la limitation de la vision, de la perception: on voit trop les détails au lieu de voir l’ensemble. N'est-ce pas, j'ai tout d'un coup eu l’impression avec cette tension de la concentration: quelle est la perception physique de la totalité du monde physique? Quelle est la conscience de la totalité du monde physique? Est-ce que, pour elle, tout cela que nous appelons mort et vie, est-ce que ce n'est pas un phénomène analogue au phénomène de décomposition, assimilation, transformation qui se produit dans chaque être vivant?

C'est à vous abrutir complètement!

C'est la transformation cellulaire, la transformation progressive cellulaire qui est, à l’échelle de l’être humain (de l’être humain, de l’animal, etc.) ce que nous appelons la «mort».

Nous en reparlerons.

30 avril 1965

J'ai passé une partie de la nuit dans tes chambres – tu ne le savais pas?... Comment as-tu dormi?... Comme d'habitude.

Je ne sais pas.

Comment dire... (souriant) c'était un service d'inspection des conditions «sanitaires spirituelles» des différents logements (!). Je le dis de cette façon, mais c'était assez curieux; c'était comme une force, oui, ou une sorte de conscience qui venait voir les différents locaux du point de vue de la santé spirituelle – c'était assez curieux, intéressant. Ça avait commencé par une visite de mes propres chambres, ici; puis j'ai demandé l’explication du principe, si l’on peut dire, sur lequel se fondait cette inspection, et quand l’explication a été donnée, j'ai dit: «Eh bien, allons voir chez Satprem justement.» Et j'ai même eu une sorte d'impression que tu ne savais pas (note que je n'en sais rien en fait, c'est seulement ce que j'ai vu cette nuit) que le grillage anti-moustique que l’on t'avait mis est le mien, celui qui était ici autrefois.

Oui.

Ah! tu le sais.

Et alors, cette force (c'était une force, c'était un être, c'était une action, c'était... – pas un être humain) disait: «Oh! mais il est dans des conditions exceptionnelles», quand j'ai parlé d'aller chez toi. «Ah! ai-je dit, pourquoi?» – «Oh! il a ce grillage, et tout l’âir qui passe – l’air subtil – s'imprègne de ton atmosphère avant d'entrer.» (Mère rit) J'ai dit: «Bien.»

C'était de bonne heure ce matin, entre trois et quatre heures, tu dormais.

mai




5 mai 1965

Tu as l’air pâle.

Je ne me sens pas très bien.

(silence)

J'ai l’impression de ne pas être ici, depuis...

Mon corps est loin de moi.

La dernière fois, dans l’après-midi du jour où tu es venu, le 30, j'étais assez mal en point (Mère a eu des troubles «cardiaques»). Et depuis ce moment-là, j'ai l’impression de... d'être assez loin de mon corps... Je suis dans une conscience très-très diluée (geste répandu), très diluée.1

(Mère entre en méditation)

J'ai l’impression qu'il n'y a qu'une seule chose qui existe, c'est de mettre le contact – mettre la Vibration divine en contact avec la Matière. Et c'est la seule chose qui soit RÉELLE. Les choses se sont comme décantées ces jours-ci, depuis le 30; et ce matin, quand je me suis levée, c'était tellement fort que c'était vraiment la seule chose qui existait. Au point qu'il y avait la perception spontanée que le revêtement de la pensée là-dessus, quel qu'il soit, ou l’organisation de la vie, quelle qu'elle soit, n'a aucune importance – ce sont seulement les hommes qui leur donnent de l’importance, mais au point de vue du Travail, c'est seulement ça: être dans cet état dans lequel je me trouve (qui est un état très particulier), où la vibration, la vibration de la Matière, est mise en rapport, est unie – unie – à la Vibration divine.

Tout le reste... irréel.2

(long silence)

J'ai presque l’impression que la circulation ne se fait pas, je ne sais pas comment dire.

(Mère entre en concentration)

C'est comme cela (geste étal, étendu) im-mo-bi-le... Mais avec une grande intensité de vibration – la vibration qui ne se déplace pas.3

Tu n'as pas de nouvelles de ta maman? Je te demande cela parce que, hier, j'étais en rapport avec elle et avec ton frère...

(longue méditation)

Ça peut durer comme cela indéfiniment.

Alors, qu'est-ce que nous allons faire? Si ça continue, nous n'aurons pas vite fait notre travail!

On a le temps.

On a le temps, oui! quand on se dit: «Il y a le temps», ça dure des années! Enfin, je ne le fais pas exprès – ça vient sur moi, et puis il n'y a rien à faire.

Mais ça va mieux pour toi?

Oui, douce Mère.

(silence)

Il y a le sentiment croissant d'un Pouvoir qui commence à être sans limite. Mais justement cet état est associé à ces difficultés (troubles cardiaques ou circulatoires). Et n'est-ce pas, je ne décide rien, je ne fais rien (pour obtenir cet état): je suis comme cela (geste immobile, paumes ouvertes vers le Haut), dans «quelque chose» qui semble pouvoir être éternellement comme cela. Mais là-dedans, je perçois des vagues, des ondes, des mouvements (et quelquefois des concentrations quand il s'agit d'événements terrestres), d'une puissance formidable.

Il n'y a qu'à rester tranquille, et puis voilà, on verra bien ce qui arrivera.

Mais il faut que, toi, tu deviennes de plus en plus fort physiquement.

Ça va.

Ça, c'est très-très important, parce que nous aurons beaucoup de travail à faire ensemble; je le sais.

8 mai 1965

(À chaque entrevue, Mère traduit un vers de «Savitri» qu'on lui copié en gros caractères. Cette fois-ci, il s'agit du dialogue entre la Mort et le cœur de Savitri:)

And never lose the white spiritual touch

(Mère répète)

And never lose the white spiritual touch1

Sans jamais perdre le blanc contact de l’Esprit

(silence)

Hier, j'ai lu avec H la série des expériences de Savitri quand elle commence par l’annulation: Annul Thyself so that God alone exist (je ne me souviens plus, mais c'est l’idée). «Annule-toi pour que Dieu seul existe.»2 Ça commence par l’annulation, puis elle a l’expérience d'ÊTRE le Tout, c'est-à-dire d'être le Suprême (le Suprême en elle) et d'être toute la Manifestation, toutes choses. Il y a trois passages. C'est absolument... une description absolument merveilleuse. C'est extraordinaire de beauté.3

C'est un chapitre qui n'a pas de titre.

(Mère cherche en vain le passage dans «Savitri»)

D'abord, elle rencontre son âme: une maison de flammes. Elle entre dans la maison de flammes et se joint à son âme (The finding of the Soul, vii.v). C'est après cela. Après, c'est le Nirvana (Nirvana and the Discovery of the All-Negating Absolute, vii.vi). Elle entre en Nirvana: elle n'est plus qu'une ligne violette dans le Néant.4 Puis elle se retrouve dans son corps – c'est là que ça commence. Un chapitre sans titre vii.vii.

Je trouverai une autre fois.

(Mère abandonne le livre)

C'était une révolution dans l’atmosphère, c'est pour cela que je t'en parle. Parce que toutes les expériences décrites sont justement les expériences que j'ai. Et alors, dans le corps, tout d'un coup... J'étais là-bas dans la salle de musique, et H me lisait, puis quand elle a eu fini de lire, tout d'un coup, tout le corps s'est dressé dans une aspiration et une prière d'une intensité! n'est-ce pas, c'était une angoisse épouvantable: «Voilà, toute l’expérience est là (en Mère), complète, totale, parfaite, et parce que ça a vécu trop longtemps (le corps), ça n'a plus le pouvoir d'exprimer.» Et ça disait: «Mais Seigneur, pourquoi? Pourquoi, pourquoi Tu m'enlèves le pouvoir d'exprimer parce que ça a pris trop longtemps?» C'était une sorte de révolution dans la conscience du corps.

Les choses vont beaucoup mieux depuis, beaucoup mieux. Il y a eu un changement décisif.

N'est-ce pas, c'était exactement la description de l’état dans lequel le corps se trouve, et pourtant il a le sentiment d'être tout le temps fragile, en équilibre instable. Et alors, avec toute son aspiration, il a dit: «Mais POURQUOI? pourquoi?... Voilà, l’expérience est là – pourquoi ça n'exprime pas?»

Comme toujours (riant), j'ai eu l’impression que le Seigneur riait et me disait: «Mais puisque tu le veux, ce sera comme cela!» Pour me dire simplement: c'est toi qui CHOISISSAIS d'être comme cela.

Et c'est tout à fait vrai. Toutes nos incapacités et toutes nos limitations, toutes nos impossibilités, c'est cette Matière imbécile qui les choisit – pas avec intelligence mais avec une sorte de sentiment que ça «doit être comme cela», que c'est «naturellement» comme cela. Une adhésion – une adhésion imbécile – au mode de la nature inférieure.

Alors ça a été du rire, des larmes, toute une révolution, et tout allait bien après.

Mais personne au monde ne pourra me convaincre que ce n'est pas parce que cette nature matérielle choisit d'être comme cela qu'elle est comme cela.

Et le Seigneur regarde, sourit, attend... (riant) que son imbécillité lui passe.

Il fait tout ce qu'il faut, mais... on n'en tient pas compte.

C'est le ressort de la foi qui n'est pas là, cette fameuse foi dont Sri Aurobindo parle toujours.

Quand les gens m'écrivent de longues lettres (j'en reçois des lettres! tout le temps des jérémiades: la santé ne va pas, le travail ne va pas, les relations ne vont pas – des jérémiades tout le temps), et toujours je vois cette Conscience-là, derrière, lumineuse, splen-dide, merveilleuse – solaire, n'est-ce pas –, exactement l’air de dire: «Quand est-ce que ça te passera, cette manie!» La manie du tragique et de l’inférieur.

Quelque part dans la raison, on comprend – ce n'est pas que la raison ne comprenne pas, mais cette raison n'a aucun pouvoir de faire obéir cette matière.

Et à chaque minute, j'ai le sentiment du choix, maintenant, entre la victoire et la défaite, le soleil et l’ombre, l’harmonie et le désordre, la solution facile... vraiment, le confortable ou l’agréable et le désagréable; et que si l’on n'intervient pas avec autorité, c'est une sorte de... oh! ça tient de la lâcheté et de la veulerie: c'est quelque chose de flasque – tu sais, flasque, sans ressort.

Quand on parle comme cela, c'est très simple et ça paraît très facile, mais c'est à chaque minute que l’on est entre trois possibilités (généralement trois) pour le corps: l’évanouissement ou la souffrance aiguë, le mouvement mécanique indifférent, ou la Maîtrise glorieuse. Et il s'agit de se laver les yeux, de se laver la bouche, de toutes les petites choses absolument indifférentes (dans les grandes choses, ça va toujours bien parce que la nature a l’habitude de penser qu'en face des circonstances il faut se tenir «convenablement» – tout cela est ridicule; mais dans les petites choses c'est comme cela). Alors la tête tourne, et hop!... Et on voit – on voit avec une précision extrême – les trois possibilités, et si l’on n'est pas tout le temps attentif (geste poing fermé, d'autorité et de contrôle), la nature physique avec une veulerie mais repoussante, n'est-ce pas, absolument dégoûtante, se laisse aller.

Ça se répète des centaines et des centaines de fois par jour... Ce qui fait que si l’on n'appelle pas ça «sâdhanâ», je ne sais pas ce que c'est qu'une sâdhanâ! N'est-ce pas, le repas est une sâdhanâ, le sommeil est une sâdhanâ, la toilette est une sâdhanâ, tout est une sâdhanâ. Ce qui est le moins une sâdhanâ, c'est, par exemple, de recevoir quelqu'un, parce que imédiatement le corps se tient bien tranquille – il appelle le Seigneur et il dit: «Maintenant, sois là», alors tout va bien (parce qu'il se tient tranquille). Le visiteur vient, le corps sourit, tout va bien – le Seigneur est là, n'est-ce pas, alors tout se passe très bien. Mais quand il s'agit de choses que l’on appelle «matérielles», les choses de la vie courante, c'est un enfer, à cause de cet imbécile.

l’autre jour quand tu es parti, je n'ai pu rien prendre! Je n'ai pas pu manger, parce que le corps sentait qu'il se diluait dans le monde comme cela (geste répandu); alors il se diluait (c'est très bien, l’expérience va bien), seulement il avait l’impression qu'il ne pouvait pas manger – pourquoi? je ne sais pas. Et ça a été impossible. Le docteur qui était là comme toujours pour mes repas, a dit. «Qu'est-ce qu'il y a?...» (parce que le jour d'avant, il y avait eu une attaque, une sorte de malice: des vomissements; ça m'arrive une fois tous les six ou sept ans; une histoire à longue échéance; et c'était sérieux, mais ça n'a pas duré longtemps). Mais l’autre jour, c'était autre chose: l’impression que le corps se diluait (tu te souviens, tu disais que j'étais blanche), et quand il s'est agi de manger, le corps a dit (Mère prend un ton gémissant): «Je suis comme cela, je ne peux pas manger.» Si j'avais eu un peu de temps (riant), je lui aurais donné une bonne claque et dit de se tenir tranquille! Mais je n'avais pas le temps, c'était l’heure et il fallait que je m'asseoie et que je mange – je n'ai pas pu manger. Alors j'ai eu des difficultés toute la journée, parce que naturellement ce sont des plaisanteries qui rendent la vie difficile.

Mais ce qui, pour les gens, est inconscient et qu'ils ne comprennent pas ou qu'ils appellent «maladie», pour moi c'est clair comme le jour; et c'est toujours un CHOIX, il y a toujours un choix à chaque minute (pour la nature matérielle), et si la volonté n'est pas inébranlable, si l’on n'est pas branché avec un acharnement à toute épreuve sur la Volonté supérieure, on se laisse aller; et puis il devient imbécile: il s'évanouit, il a des douleurs... Ce même jour (où je n'ai pas pu manger), après le repas, je me repose toujours pendant un certain temps pour... enfin, ce sont les heures où je mets le corps en réception directe de la Force (ce n'est pas très long, je n'ai pas beaucoup de temps), mais dès que j'ai été étendue sur la chaise-longue, des douleurs! des douleurs à vous faire hurler, qui vous prennent... (geste à la taille) aux endroits qui sont ouverts aux attaques adverses. J'étais couchée, mais là j'étais tout à fait consciente, je me suis dit: «Oui, ah! tu veux que je fasse le grand jeu maintenant... Eh bien, je supporterai tout et je ne dirai rien – et je ne bouge pas, et tu vas rester tranquille.» Alors j'ai commencé à répéter mon mantra tranquillement, comme s'il n'avait pas mal. Et au bout d'un moment, c'est parti. Il a vu que ce n'était pas la peine, et c'est parti!

Et je SAIS que c'est pour tout comme cela, pour toutes les «maladies», sans exception. Je vois, je connais les «origines» des maladies, des différents désordres, tout cela maintenant est clair-clair (c'est une histoire que l’on pourrait raconter pendant des heures et des jours), et c'est comme cela. Alors, quand d'une façon plus ou moins dogmatique ou littéraire, les sages disent: «Le désordre, c'est parce que la nature a décidé d'être en désordre», ce n'est pas si bête que cela.

C'est... oh! une veulerie qui est l’une des choses les plus contraires à la Gloire divine. La veulerie qui accepte d'être malade, voilà. Et je dis cela au corps, à personne d'autre – les autres, ce n'est pas mon affaire, c'est leur travail, ce n'est pas le mien; c'est-à-dire que je ne suis présente qu'en tant que Conscience divine, et alors là c'est très facile, c'est un travail très facile; mais le travail ici... la sâdhanâ là-dedans.

Mais les gens malades... quand je leur dis: «Soyez sincères», je sais ce que je veux dire: si VRAIMENT ils veulent le Divin, tout ça doit cesser. Voilà.

Je me suis encore mise en retard!5

Tu sais ce que l’on appelle self-pity? (Mère se caresse la joue): «Pauvre petit, comme tu souffres, comme tu es à plaindre!» Eh bien, la nature matérielle est comme cela, elle dit: «Je me veux comme Toi, Seigneur; alors comment, Tu me laisses dans cette condition!» – Une bonne claque et marche!

11 mai 1965

Après avoir traduit «le» vers de Savitri:

Un par jour, ça ferait 365, et là ce serait combien?

104 par an.

Ça ne fait rien, on vit dans l’éternité.

Avant, je faisais trois ou quatre vers tous les jours; quelquefois moins, quelquefois plus, et ça allait très vite. Mais maintenant, mon petit! (riant) je n'ai plus le temps de rien. Il est traditionnel ou convenu que je «dois» prendre quelque chose l’après-midi pour couper entre le matin et le soir – je n'ai jamais le temps! Ceux qui devraient s'en aller à quatre heures s'en vont à cinq heures moins le quart.

Tu aurais besoin d'une police près de toi...

Oui.

... de quelqu'un d'autorité, sans pitié, qui dise: «C'est l’heure, sortez!»

Oui, une police.

Et surtout pas que l’on me demande, parce que si l’on vient me dire: «Oh! celui-ci veut vous voir, oh! celui-là a envoyé une lettre...», je ne peux tout de même pas dire: «Ah! non, maintenant je me repose»! C'est un peu... Ce n'est pas une impression agréable et le repos ne serait pas très reposant. Mais c'est au point (ils sont quatre secrétaires, comme tu le sais), au point qu'un bonhomme avait dit: I'll shoot him [je vais le descendre], l’un des quatre secrétaires, parce qu'il ne transmettait pas les lettres. Alors tu comprends (riant), ta police serait en danger!

Il n'y a qu'à sourire, c'est le meilleur remède – on rit, on sourit.

Il faut apprendre à rire, de plus en plus.

15 mai 1965

C'est encore en pleine période de bataille.

Il y a des moments où tout a l’air d'aller mal, tout à fait mal, et puis la minute d'après, tout va triomphalement bien, puis encore ça recommence à aller mal – ce n'est pas steady, régulier.

Par moments, il y a une sorte d'harmonie dans le fonctionnement qui est ahurissante de perfection, et puis le moment d'après, il semble que tout se désorganise. Alors je ne sais pas si c'est pour nous assouplir. Ce doit être pour nous rendre plastiques.

Les circonstances extérieures aussi: il y a des moments où tout s'arrange – tout s'arrange avec une bienveillance et vraiment un à-propos extraordinaire; puis la minute d'après, les gens deviennent de plus en plus stupides, malveillants et incompréhensifs... (riant) et quelquefois ce sont les mêmes! Et des gens qui ont des expériences extraordinaires, remarquables, indiquant une avance en flèche, et puis tout d'un coup, ils retombent dans une imbécillité sans nom.

C'est la douche écossaise, pour nous assouplir.

Bien.

Toi, ça va?

Aussi comme cela: des hauts, des bas.

19 mai 1965

À la suite d'un ancien Entretien (du 14 mars 1951)

J'ai envie de te poser une question très simple. Tu dis: «Si l’on avait toujours le sentiment que c'est le meilleur qui arrive en toutes circonstances, on n'aurait pas peur...» Est-ce que vraiment c'est le meilleur qui arrive en toutes circonstances?

C'est le meilleur étant donné l’état du monde – ce n'est pas un meilleur absolu.

Il y a deux choses: d'une façon totale et absolue, à chaque instant, c'est le meilleur possible pour le But divin du tout; et pour celui qui s'est consciemment branché sur la Volonté divine, c'est le plus favorable à sa propre réalisation divine.

Je crois que c'est l’explication correcte.

Pour le tout, c'est toujours, à chaque instant, ce qui est le plus favorable à l’évolution divine. Et pour les éléments consciemment branchés sur le Divin, c'est le meilleur pour la perfection de leur union.

Seulement, il ne faut pas oublier que c'est constamment en changement, que ce n'est pas un meilleur statique; c'est un meilleur qui, s'il était conservé, ne serait pas le meilleur le moment d'après. Et c'est parce que la conscience humaine a toujours tendance à vouloir conserver statiquement ce qu'elle trouve bon ou considère comme bon qu'elle s'aperçoit que c'est insaisissable. C'est cet effort pour conserver qui fausse les choses.

(silence)

J'ai regardé cela quand j'ai voulu comprendre la position du Bouddha qui reprochait à la Manifestation son impermanence; pour lui, la perfection et la permanence étaient une même chose. Dans son contact avec l’univers manifesté, il avait constaté un changement perpétuel, par conséquent il avait conclu que le monde manifesté était imparfait et devait disparaître. Et le changement (l’impermanence) n'existe pas dans le Non-manifesté, par conséquent le Non-manifesté est le vrai Divin. C'est en regardant, en me concentrant sur ce point qu'en effet j'ai vu que sa constatation était correcte: la Manifestation est absolument impermanente, c'est une perpétuelle transformation.

Mais dans la Manifestation, la perfection est d'avoir un mouvement de transformation ou de déroulement identique au Mouvement divin, au Mouvement essentiel. Tandis que tout ce qui appartient à la création inconsciente ou tamasique1 essaye de conserver identique son existence, au lieu de durer par la transformation constante.

C'est pour cela que certains esprits ont postulé que la création était le résultat d'une erreur. Mais on trouve toutes les conceptions possibles: la création parfaite, puis une «faute» qui a introduit l’erreur; la création elle-même qui est un mouvement inférieur et qui doit prendre fin puisqu'il a commencé; puis la conception des Védas suivant ce que Sri Aurobindo nous en a dit, qui était un déroulement ou une découverte progressive et infinie – indéfinie et infinie – du Tout par Lui-même... Naturellement, tout cela, ce sont des traductions humaines. Pour le moment, tant que l’on s'exprime humainement, c'est une traduction humaine; mais suivant la position première du traducteur humain (c'est-à-dire une position qui admet «l’erreur» primordiale, ou «l’accident» dans la création, ou la Volonté consciente suprême depuis le commencement dans un déroulement progressif), les conclusions ou les «descentes» dans l’attitude yoguique sont différentes... Il y a les nihilistes, les «nirvânistes» et les illusionnistes, il y a toutes les religions (comme la chrétienne) qui admettent l’intervention diabolique sous une forme ou une autre; et puis le védisme pur, qui est l’éternel déroulement du Suprême dans une objectivation progressive. Et suivant les goûts, on est ici, on est là ou là, et il y a des nuances. Mais suivant ce que Sri Aurobindo a senti comme la vérité la plus totale, suivant cette conception d'un univers progressif, on est amené à dire qu'à chaque minute, c'est le mieux possible pour le déroulement du tout qui se produit. C'est d'une logique absolue. Et je crois que toutes les contradictions ne peuvent venir que d'une tendance plus ou moins prononcée pour ceci, cela, cette position, cette autre; tous les esprits qui admettent l’intrusion d'une «faute» ou d'une «erreur» et le conflit qui en résulte entre des forces qui tirent en arrière et des forces qui tirent en avant, naturellement peuvent contester la possibilité. Mais on est obligé de dire que celui qui est spirituellement branché sur la suprême Volonté ou la suprême Vérité, pour lui, c'est nécessairement, à chaque instant, le mieux pour sa réalisation personnelle qui se produit – dans tous les cas, c'est comme cela. Le mieux inconditionné ne peut être admis que par celui qui voit l’univers comme un déroulement, une prise de conscience du Suprême par Lui-même.

(silence)

À dire vrai, toutes ces choses n'ont aucune importance (!) parce que ce qui est, de toute façon dépasse entièrement et absolument tout ce que la conscience humaine peut en penser. Ce n'est que lorsqu'on cesse d'être humain que l’on sait; mais dès que l’on s'exprime, on redevient humain, et alors on cesse de savoir.

C'est incontestable.

Et à cause de cette incapacité, il y a aussi une sorte de futilité à vouloir absolument réduire le problème à ce que l’entendement humain peut en comprendre. En ce cas, il est très sage de dire comme disait Théon: «Nous sommes ici, nous avons un travail à faire, et ce qu'il faut, c'est de le faire aussi bien que nous le pouvons, sans nous préoccuper du pourquoi ni du comment.» Pourquoi le monde est-il comme il est?... Quand nous serons capables de comprendre, nous comprendrons.

Au point de vue pratique, c'est évident.

Seulement chacun prend une position... J'ai tous les exemples ici, j'ai un petit échantillonnage de toutes les attitudes, et je vois très bien les réactions; je vois la même Force – la même Force unique – agissant dans cet échantillonnage et produisant naturellement des effets différents; mais ces effets «différents», pour la vision profonde, sont très superficiels: c'est seulement «Il leur plaît de penser ainsi, voilà, alors il leur plaît de penser ainsi.» Mais à dire vrai, la marche intérieure, le développement intérieur, la vibration essentielle, ça ne l’affecte pas – pas du tout. l’un aspire de tout son cœur au Nirvana, et l’autre aspire de toute sa volonté à la manifestation supramentale, et dans tous les deux le résultat vibratoire est à peu près le même. Et c'est toute une masse de vibrations qui de plus en plus se prépare à... à recevoir ce qui doit être.

Il est un état – un état essentiellement pragmatique, spirituellement pragmatique – où, de toutes les futilités humaines, la plus futile est la métaphysique.


Peu après, Sujata demande à Mère la permission de consulter un oculiste:

C'est simplement pour ajuster des verres?

Examiner aussi.

Examiner? Mon petit, tu vois dix personnes, ces dix personnes te diront dix choses différentes! l’instabilité du diagnostic est pour moi une chose tout à fait certaine. Parce qu'il n'y a pas deux cas pareils – il y a des analogies, il peut même y avoir des familles de cas, mais il n'y a pas deux cas pareils; par conséquent, en chacun, il y a des variations; et à moins que le monsieur ne soit très intuitif, il commence à raisonner, et alors il est sûr de se tromper, ou de dire des «vagueries» comme: «Vous êtes myope» ou «Vous êtes presbyte» (!) C'est au point qu'il n'y a pas deux cas de cataracte pareils – il y a des symptômes qui se répètent et qui sont très analogues, d'une analogie très proche, mais il n'y a pas deux cas pareils. Et ceux qui sont vraiment sincères vous le disent, mais il n'y en a pas un sur mille (!) Et ils vous font de grands discours – avec autorité, ils vous annoncent quelque chose qu'ils ne savent pas.

(À Satprem:) Ton frère ne serait pas content s'il m'entendait!

Si!

Il serait content, n'est-ce pas. Ton frère est un homme sincère.

J'ai connu un ou deux docteurs sincères, et ils m'ont avoué tout à fait nettement que c'était comme cela. Je leur ai dit: «Au point de vue spirituel, il ne peut pas y avoir deux cas pareils. La Nature ne se répète jamais – il y a des familles, il y a des analogies, il y a des similitudes, mais il n'y a pas deux cas pareils; et par conséquent, vous savez très bien que vous ne savez pas. l’immense complication des possibilités de la réalité physique, quand vous voulez l’étudier sur son plan, est telle qu'à moins d'avoir une perception directe et intime, vous ne pouvez pas savoir ce qui arrivera.»

Maintenant que le corps sait un peu, quand il y a quelque chose qui ne va pas, qui se détraque pour une raison ou une autre (ce peut être une raison de transformation, ce peut être une raison d'attaques – il y a d'innombrables raisons), mes cellules commencent à dire: «Non! pas de docteur, pas de docteur, pas de docteur!...» Elles sentent que ça va cristalliser le désordre, le durcir et enlever la plasticité nécessaire pour répondre aux forces profondes; et alors le désordre suivra un cours extérieur, matériel... qui n'en finit plus – je n'ai pas le temps d'attendre.

Je ne dis jamais cela aux gens qui me demandent, jamais; je leur dis toujours: «Allez voir le docteur et faites ce qu'il vous dit», parce que, à moins que le corps lui-même (certaines personnes ont cela, mais il n'y en a pas beaucoup, très peu), à moins que le corps lui-même ne dise: «Non-non-non! je ne veux pas», alors il est prêt; mais si le corps est là à vous dire: «Peut-être que le docteur me tirera d'embarras, peut-être qu'il trouvera...» – Allez-y, allez-y! faites ce qu'il vous dit.

Il faut que les cellules commencent à sentir que c'est un danger d'arrêt dans le progrès, de remise en contact avec la vieille-histoire-qui-n'en-finit-plus: «Si cette histoire vous amuse, nous allons la recommencer.» Eh bien, ça ne les amuse plus, elles n'ont pas envie de la recommencer.

(À Sujata:) Mais c'est autre chose, si tu as un docteur gentil, de bonne volonté, très patient, qui ait une grande expérience des verres et qui en ait une magnifique collection (!), si tu vas le voir et qu'il s'en donne la peine, il pourra t'aider. Mais un monsieur qui du haut de sa prétendue science va te dire: «Tu as ceci et cela et cette déformation...»

(Sujata:) Je crois qu'il n'y a aucune déformation, rien, c'est plutôt à l’intérieur, comme si les canaux n'étaient pas propres, alors la vue ne traverse pas.

(Mère rit) Ce n'est pas très scientifique ce que tu dis!

(Satprem:) Ses sinus sont en mauvais état.

Alors, n'est-ce pas, il y a le Monsieur chirurgien qui dira: «On va opérer», (riant) et il y a le Monsieur qui n'est pas chirurgien qui voudra faire des injections... Non, pour t'aider à lire ou à travailler, tu peux choisir des verres; et puis, mon remède à moi, c'est de te mettre très tranquille – très tranquille –, avec les coudes sur une table et les yeux dans les paumes, puis, à ce moment-là, si tu peux dans ton cœur avoir une aspiration et que tu dises au Seigneur: «Seigneur, prends possession de Ton domaine, entre dans Ton royaume ici, fais un petit nettoyage», comme cela... Même en formulant la chose d'une façon tout à fait enfantine (le Seigneur n'est pas un pontife, il n'aime pas les cérémonies: il aime la sincérité), là, comme ça (geste du cœur), quelque chose qui dit: «Oh! oh!...», qui vraiment veut – c'est tout. Lui dire comme cela: «Viens ici, viens, entre dans mes yeux, viens-viens-viens, regarde avec ces yeux.» C'est beaucoup plus fort que tout le reste.

Seulement, c'est très bien de prendre des verres pour t'aider dans ton travail en attendant. Mais tu n'as pas besoin d'un pontife pour cela; tu as besoin d'un homme de bonne volonté qui sache choisir des verres...

29 mai 1965

(À propos de la visite de X.)

...Il est devenu plus sobre, il parle moins. Tu sais qu'il avait fait une prédiction à propos de la femme de M... Comment s'appelait-elle?... (les noms... c'est une chose assez curieuse, quand les gens ont quitté leur corps, le nom s'en va, je ne peux plus me rappeler – c'est coupé, il y a une coupure; il faut que je m'arrête et qu'alors ce soit une espèce de mémoire matérielle qui revienne, mais dans ma conscience, c'est coupé, il n'y a plus de nom: le nom est parti avec le corps – c'est tout à fait correct, d'ailleurs). Il lui avait dit: «Oh! vous vivrez encore dix ans.» – Le mois suivant, elle était partie. Alors je crois que ça l’a un peu douché, parce que, évidemment, les gens attachent beaucoup d'importance à ces choses-là. En tout cas, il n'aurait pas dû lui dire, parce que ça a interrompu tout mon travail – tout mon travail était qu'elle joigne son âme avant de s'en aller de façon que tout ce qui pouvait être emmené dans la vie spirituelle le soit; et je travaillais pour cela, et alors quand l’autre lui a dit qu'elle allait vivre dix ans, naturellement elle n'était plus pressée! J'ai perdu au moins dix jours avec tout cela. Et elle est partie le lendemain du jour où le contact s'est fait – elle a trouvé son âme, elle est devenue tranquille, toute tranquille... et le lendemain elle était partie.

Je n'ai pas perdu l’espoir que X soit progressif. S'il est progressif, tout ira bien. Peut-être que dans deux ou trois ans, ce sera un nouvel homme avec une nouvelle conscience? l’étoffe est bonne.

J'ai vu l’autre jour, c'était très intéressant, juste le jour où il était en route pour venir (je ne pensais pas à lui – je ne «pense» jamais aux gens), et tout d'un coup, j'ai vu tout ce que cette connaissance des Pandits1 et de tous ceux qui font profession de vie spirituelle (toute la classe des Sannyasins, des Pandits, des Pourohits,2 etc.), tout ce que cela représente. (Je ne parle pas des religions dans les autres pays: c'est spécial à l’Inde.) Et ce sont des gens qui ont une connaissance (mentale naturellement), mais très précise et très exacte des mouvements en relation avec le Surmental: tous les dieux et les divinités et leurs manières d'être, et les relations entre l’homme et les dieux; et ils ont essayé d'organiser et de formuler les relations des hommes avec les dieux pour que, comme on le disait dans le temps, les hommes ne soient pas le «bétail des dieux» – ils ont voulu changer la position humaine à l’égard des divinités. C'est intéressant, c'est tout un domaine intéressant... qui ne représente pas pour moi la vraie chose. Eux, croient que c'est cela, la vie spirituelle – ce n'est pas la vie spirituelle, mais c'est un domaine mental supérieur qui touche au Surmental, qui entre même dans le Surmental, et qui est tout organisé; c'est une sorte de «législation» des relations entre les hommes et les dieux. À ce point de vue, c'est intéressant.

J'ai vu cela très clairement: la place dans l’organisation universelle. Alors ça va bien, si c'est à sa place – chaque chose à sa place devient très bien.

Et quand X est arrivé, on l’a mené à Auroville,3 et là, il y a un petit temple de Ganesh qui a été acheté avec la terre, à condition que l’on respecte le petit temple et qu'on laisse les gens venir faire leurs prières s'ils le veulent. On lui a montré le temple, il était très content, puis on lui a demandé ce qu'il fallait faire, les rites – «Oh! Ganesh s'en occupera, laissez-le!» (Mère rit) Il a dit cela très gentiment.4


(Peu après. Nous ne savons plus à quel propos est venue la remarque suivante:)

Il paraît que Ramakrishna avait dit à Vivékananda: «Vous pouvez voir le Seigneur comme vous me voyez et entendre Sa voix comme vous entendez ma voix.» Il y a des gens qui ont pris cela pour une déclaration que le Seigneur est en chair et en os sur la terre (!) J'ai dit: «Non, ce n'est pas cela! Ce qu'il voulait dire, c'est que si vous entrez dans la vraie conscience, vous pouvez l’entendre (moi, je dis: beaucoup plus clairement que l’on n'entend physiquement et voir beaucoup plus clairement qu'on ne voit physiquement).» – «Ah! ça...» Tout de suite on ouvre de grands yeux, ça devient quelque chose d'irréel!


Puis Mère passe à la préparation du prochain Aphorisme:

110 – Voir la composition du soleil ou les lignes de Mars est sans doute un grand exploit, mais quand tu auras l’instrument qui te fera voir l’âme de l’homme comme tu vois un tableau, tu souriras alors des merveilles de la science physique comme d'un jouet pour les petits enfants.

C'est la continuation de ce que nous étions en train de dire à propos de ceux qui veulent «voir».

Est-ce que les merveilles de la science physique te font sourire?

Les merveilles, c'est très bien, c'est leur affaire (!) Mais c'est leur assurance outrecuidante qui me fait sourire. Ils s'imaginent qu'ils savent. Ils s'imaginent qu'ils ont la clef, c'est cela qui fait sourire. Ça fait sourire. Ils s'imaginent qu'avec tout ce qu'ils ont appris, ils sont les maîtres de la Nature – c'est un enfantillage. Il y aura toujours quelque chose qui leur échappera tant qu'ils ne seront pas en rapport avec la Force créatrice et la Volonté créatrice.

C'est une expérience que l’on peut faire très facilement: un savant peut expliquer tous les phénomènes que l’on voit, il peut même se servir des forces physiques et leur faire faire ce qu'il veut (ils sont arrivés à des résultats stupéfiants au point de vue matériel), mais si on leur pose seulement cette question, cette simple question: «Qu'est-ce que c'est que la mort?», au fond, ils n'en savent rien. Ils vous décrivent le phénomène tel qu'il se produit matériellement mais... s'ils sont sincères, ils sont obligés de dire que ça n'explique rien.

Il y a toujours un moment où ça n'explique plus rien. Parce que savoir... savoir, c'est pouvoir.

(silence)

Au fond, ce qui est le plus accessible à la pensée matérialiste, la pensée scientifique, c'est le fait qu'ils ne peuvent pas prévoir. Ils prévoient beaucoup de choses, mais le déroulement des événements terrestres est au-delà de leurs prévisions. Je crois que c'est la seule chose qu'ils peuvent admettre: il y a un aléatoire, il y a un champ d'imprévu qui échappe à tous leurs calculs.

Je n'ai jamais parlé avec le savant-type ayant la connaissance la plus moderne, alors je ne suis pas tout à fait sûre, je ne sais pas dans quelle mesure ils admettent un imprévu ou un incalculable.

Ce que Sri Aurobindo veut dire, je crois, c'est que quand on est en communion avec l’âme et que l’on a la connaissance de l’âme, c'est une connaissance tellement plus merveilleuse que la connaissance matérielle qu'alors c'est presque un sourire de dédain. Je ne pense pas qu'il veuille dire que la connaissance de l’âme vous apprenne sur la vie matérielle des choses que l’on n'apprend pas avec la Science.

Le seul point (je ne sais pas si la Science y est arrivée), c'est l’imprévisible de l’avenir. Mais il se peut qu'ils disent que c'est parce qu'ils ne sont pas encore arrivés à la perfection des instruments et des méthodes! Par exemple, ils pensent peut-être qu'au moment où l’homme a fait son apparition sur la terre, s'il y avait eu les instruments qu'ils ont maintenant, ils auraient été capables de prévoir la transformation de l’animal en homme ou l’apparition de l’homme à la suite de «quelque chose» dans l’animal – je ne suis pas au courant (Mère sourit) de leurs prétentions les plus modernes. En ce cas, ils devraient être capables de mesurer ou de percevoir la différence de l’atmosphère maintenant, avec l’intrusion de «quelque chose» qui n'y était pas – parce que cela appartient encore au domaine matériel.5 Mais je ne pense pas que ce soit cela que Sri Aurobindo voulait dire; je crois qu'il voulait dire que le monde de l’âme et les réalités intérieures sont tellement plus merveilleuses que les réalités physiques, que toutes les «merveilles» physiques vous font sourire – c'est plutôt cela.

Mais la clef dont tu parles, cette clef qu'ils n'ont pas, est-ce que ce n'est pas justement l’âme? Un pouvoir de l’âme sur la Matière, de changer la Matière – de faire aussi des merveilles physiques. Est-ce que l’âme a ce pouvoir?

Elle a ce pouvoir et elle l’exerce CONSTAMMENT, mais la conscience humaine n'en est pas consciente! Et la grande différence, c'est que la conscience humaine devient consciente, mais elle devient consciente de quelque chose qui est TOUJOURS là! et que les autres nient parce qu'ils ne l’aperçoivent pas.

Par exemple, j'ai eu l’occasion d'étudier cela. Pour moi, les circonstances, les caractères, tous les événements et tous les êtres se meuvent selon certaines «lois», si l’on peut dire, qui ne sont pas rigides mais que je perçois et qui font que je vois: «Ceci mènera à cela, et ça mènera là, et celui-ci étant comme cela, il lui arrivera cela, et...» Cela se précise de plus en plus. Je pourrais, si c'était nécessaire, faire des prédictions à cause de cela. Mais cette relation de cause à effet dans ce domaine-là, pour moi, est tout à fait évidente et corroborée par les faits; pour eux, qui n'ont pas cette vision et cette conscience de l’âme comme dit Sri Aurobindo, les circonstances se déroulent selon d'autres lois, superficielles, qu'ils considèrent comme les conséquences naturelles des choses; des lois tout à fait superficielles et qui ne résistent pas à l’analyse profonde, mais ils n'ont pas la capacité intérieure, par conséquent ça ne les gêne pas, ça leur paraît évident.

Je veux dire que cette connaissance intérieure n'a pas le pouvoir de les convaincre, j'en ai l’expérience presque journalière. Si bien que quand, moi, à propos d'un événement quelconque, je vois: «Oh! mais c'est tout à fait (pour moi), c'est tout à fait évident: j'ai vu la Force du Seigneur agir là, j'ai vu telle chose se produire, et tout naturellement c'est cela qui doit arriver», pour moi, c'est de toute évidence; mais je ne dis pas ce que je sais parce que cela ne correspond à rien dans leur expérience, et alors cela leur paraît être des divagations ou des prétentions. C'est-à-dire que quand on n'a pas soi-même l’expérience, l’expérience d'un autre n'est pas convaincante, elle ne peut pas convaincre.

Le pouvoir n'est pas tant d'agir sur la Matière – c'est une chose qui se produit CONSTAMMENT – mais... à moins que l’on n'use de moyens hypnotiques (qui ne valent rien, qui ne mènent à rien), c'est d'ouvrir la compréhension (geste de percée au sommet du crâne), c'est ça qui est si difficile... La chose dont on n'a pas l’expérience est inexistante.

Même si, devant eux, une espèce de miracle se produit, ils en auront l’explication matérielle; ce ne sera pas, pour eux, un miracle au sens d'une intervention d'une autre force et d'une autre puissance que les forces et les puissances matérielles. Pour eux, ils auront leur explication matérielle, ce ne sera pas convaincant.

On ne peut comprendre que si, soi-même, on a touché ce domaine dans son expérience.

Et on voit bien – on voit bien: c'est dans la mesure où quelque chose est éveillé qu'il y a une possibilité de compréhension. C'est là-dessus que l’on s'appuie, c'est la base.

En somme, il ne s'agirait peut-être pas tellement d'une «transformation de la Matière» que d'une prise de conscience du vrai déroulement

C'est justement ce que je veux dire. La transformation peut avoir lieu jusqu'à un certain point sans même que l’on en soit conscient!

On dit, n'est-ce pas, qu'il y a une grande différence: quand l’homme est venu, l’animal n'avait pas les moyens de s'en apercevoir; eh bien, je dis que c'est exactement la même chose: en dépit de tout ce que l’homme a réalisé, l’homme n'a pas le moyen; certaines choses peuvent se produire, il ne le saura que beaucoup plus tard, quand «quelque chose» en lui sera suffisamment développé pour qu'il s'en aperçoive.

Même le développement scientifique poussé à l’extrême, là où vraiment on a l’impression qu'il n'y a presque plus de différence; par exemple, quand ils sont arrivés à cette unité de la substance et qu'il semble qu'il n'y ait plus qu'un passage presque insensible ou imperceptible entre une condition et l’autre [matérielle et spirituelle], eh bien, non, ce n'est pas comme cela! Pour percevoir cette sorte d'identité, il faut déjà porter en soi l’expérience de l’AUTRE CHOSE; autrement on ne peut pas.

Et justement parce qu'ils ont acquis la capacité d'«expliquer», ils expliquent pour eux-mêmes les phénomènes intérieurs de telle façon qu'ils restent dans leur négation de la réalité des phénomènes intérieurs: ils disent que ce sont comme des continuations de ce qu'ils ont étudié.

Seulement, à cause même de sa constitution (parce qu'il n'y a pour ainsi dire pas d'être humain qui n'ait au moins la réflexion ou l’ombre ou le commencement d'une relation avec son être subtil, son être interne, son «âme»), à cause de cela, il y a toujours une faille dans leur négation; mais ils considèrent cela comme une faiblesse – c'est leur seule force!

(silence)

C'est vraiment quand on a l’expérience – l’expérience et la connaissance et l’identité avec les forces supérieures –, que l’on voit la relativité des connaissances extérieures; mais jusque là, non, on ne peut pas, on nie les autres réalités.

Je pense que c'est cela que Sri Aurobindo voulait dire; c'est seulement quand l’autre conscience sera développée que le savant sourira, il dira: «Oui, c'était très bien, mais...»

Au fond, l’un ne peut pas mener à l’autre. Excepté par un phénomène de grâce; s'il y a intérieurement une sincérité absolue qui fait que le savant voit, a la prescience, la perception du point où ça lui échappe, alors cela peut le mener à l’autre état de conscience, mais PAS PAR SES PROCÉDÉS. Il faut... il faut que quelque chose abdique – quelque chose abdique et accepte les moyens nouveaux, les perceptions nouvelles, les vibrations nouvelles, l’état d'âme nouveau.

Alors c'est une question individuelle. Ce n'est pas une question de classe ou de catégorie: c'est le savant qui est prêt à être... autre chose.

(silence)

On peut seulement poser une affirmation: tout ce que vous savez, si beau que ce soit, n'est rien en comparaison de ce que vous pouvez savoir si vous pouvez employer les autres méthodes.

Voilà.

(silence)

C'était l’objet de mon travail tous ces jours-ci: comment toucher ce refus de savoir?... Il y a longtemps que c'est là. Et c'est la continuation de ce que Sri Aurobindo disait dans l’une de ses lettres: il dit que l’Inde, avec ses méthodes, a fait beaucoup plus pour la vie spirituelle que l’Europe avec tous ses doutes et ses questions.6 C'est tout à fait cela. C'est une espèce de refus – un refus d'accepter une certaine méthode de savoir qui n'est pas la méthode purement matérielle, et la négation de l’expérience, de la réalité de l’expérience – comment les convaincre de cela?... Et alors, il y a la méthode de Kâli, qui est de flanquer une bonne tripotée. Mais... c'est beaucoup de dégâts pour peu de résultats, selon moi.

Non, c'est encore un grand problème.

Il semble que la seule méthode qui puisse avoir raison de toutes les résistances soit la méthode de l’Amour; mais justement les forces adverses ont perverti cela de telle façon qu'une quantité de gens très sincères, de chercheurs sincères, sont comme cuirassés contre cette méthode, à cause de sa déformation. C'est cela, la difficulté. C'est pour cela que ça prend du temps. Enfin...

juin




2 juin 1965

Mère essaie de regarder un papier à la loupe:

C'est assez curieux, ça ne m'aide plus... Est-ce que ce n'est pas propre? (Mère tend la loupe au disciple) Ça paraît comme un brouillard.

Si, c'est propre.

C'est assez étrange, cette vision. C'est toujours comme s'il y avait un voile entre moi et les choses, d'une façon constante; j'y suis si habituée; je vois très bien tout, mais comme s'il y avait un léger voile. Et puis tout d'un coup, sans raison apparente (je veux dire d'une logique extérieure), une chose devient claire, précise, nette (geste qui saute aux yeux) – la minute d'après, c'est fini. Quelquefois c'est un mot dans une lettre ou écrit quelque part, quelquefois c'est un objet. Et c'est une autre qualité de vision, une vision... (comment expliquer cela?) c'est comme si la lumière qui éclaire était dedans au lieu d'être dessus: ce n'est pas une lumière de réflexion. Ce n'est pas lumineux, ce n'est pas comme une bougie, par exemple, ou une lampe, ce n'est pas cela, mais au lieu d'être une lumière projetée, ça a sa propre lumière, qui ne rayonne pas.

Ça devient de plus en plus fréquent, mais avec un illogisme parfait. C'est-à-dire que je n'en comprends pas du tout la logique; je ne sais pas pourquoi telle chose au lieu de telle autre, ou ça au lieu de ça – tout d'un coup, quelque chose saute aux yeux, ah! et puis c'est comme un éclair. Et d'une précision de vision! extraordinaire, avec la pleine compréhension de la chose vue en même temps qu'on la voit. Autrement, tout est comme derrière... est-ce un voile? Je ne sais pas.

Il m'arrive la même chose quelquefois (souvent) pour parler. J'ai l’impression que je parle de très loin ou de derrière une substance cotonneuse qui enlève la précision des vibrations. À un degré extrême, c'est à cause de cela que je n'entends pas quelquefois, rien: certaines personnes me parlent, je n'entends absolument pas, rien. Il y en a d'autres, j'entends le ronflement d'un son qui n'a pas de sens. Et certaines personnes, j'entends TOUT ce qu'elles disent. Mais c'est une autre façon d'entendre: c'est la vibration de leur pensée que j'entends et qui fait que c'est très clair.

J'ai la même chose pour l’ouïe, la même chose pour la vision.

Ça commence pour le goût, mais ça ne m'intéresse pas beaucoup, alors je ne remarque pas, je ne fais pas attention. Mais j'ai eu ces jours-ci l’expérience que la qualité des goûts avait changé: certaines choses avaient un goût artificiel (le goût habituel est un goût artificiel) et d'autres portaient en elles-mêmes un goût vrai; et alors c'est très clair – très clair, très précis. Mais c'est un sujet moins intéressant, alors je m'en suis moins occupée.

Ce qui m'a frappée le plus, c'est la vision. l’ouïe... j'ai depuis très-très longtemps (des années) l’impression que quand les gens ne pensent pas clairement, je ne peux pas entendre. Mais ce n'est pas tout à fait cela: c'est quand leur conscience n'est pas vivante dans ce qu'ils disent – ce n'est pas tant une question de «penser», c'est leur conscience qui ne vit pas dans ce qu'ils disent; c'est une mécanique mentale; alors là, je ne comprends rien du tout, rien. Quand leur conscience vit, ça me touche. Et j'ai remarqué, par exemple, les gens que je n'entends pas croient que c'est parce que je suis sourde à la manière ordinaire et ils se mettent à crier – c'est encore pire! Ça devient comme si l’on me jetait des cailloux à la figure.1

Il doit y avoir une action sur les organes.

Mais ce sont mes yeux qui m'intéressent le plus. Par exemple, j'avais remarqué cela le matin de bonne heure quand je fais ma toilette. J'entre dans le cabinet de toilette avant que la lumière soit allumée, parce que ça s'allume dedans; mais je vois tout aussi clair que quand la lumière est allumée! ça ne fait aucune différence. Et alors tout était comme derrière une espèce de voile. Puis j'ai fait attention (c'est-à-dire que l’attention était attirée) et je me suis dit: «Mais tout cela devient si terne, ça n'a aucun intérêt!» Et j'ai commencé à penser (pas penser, mais prendre conscience d'une chose ou d'une autre), et tout d'un coup, j'ai vu ce phénomène, d'une bouteille dans l’armoire qui est devenue si claire, si... d'une vie intérieure (geste comme si la bouteille s'éclairait du dedans). Ah! je me suis dit: «Tiens!» – la minute d'après, c'était passé.

Mais c'était comme si l’on me disait: «Non, tu peux. Tu ne vois plus comme cela, mais tu peux voir comme cela; tu ne vois plus de la manière ordinaire, mais tu peux voir...» (geste intérieur). On m'a laissé assez de vision pour que je puisse me mouvoir librement, mais c'est évidemment la préparation à une vision par la lumière intérieure au lieu de la lumière projetée. Et c'est... oh! c'est chaud, c'est vivant, c'est intense – c'est d'une précision! tout se voit en même temps, non seulement la couleur et la forme mais le caractère de la vibration: dans un liquide, le caractère de sa vibration – c'est admirable. Seulement c'est momentané, ce sont comme des promesses qui viennent vous dire (comme quand on fait une promesse à quelqu'un pour le consoler et lui donner du courage): «Ce sera comme ça.» Bon. (Mère rit) Dans combien de siècles, je ne sais pas!

Mais quand je prenais cette loupe, je pouvais lire très bien (j'ai arrêté à cause de ces hémorragies, pourtant mes yeux ont l’air bien à nouveau), mais maintenant ça ne me sert plus à rien! (Mère regarde un dossier à la loupe) Ça ne devient pas plus clair, il y a toujours ce même nuage. C'est plus gros, c'est tout. (Mère regarde encore) C'est curieux, c'est plus gros mais c'est la même chose, il y a le même voile... d'irréalité.

l’odorat, il y a très-très longtemps que mon odorat a changé de nature. D'abord, j'avais pratiqué cela (il y a très longtemps, des années, beaucoup d'années): ne sentir que quand je veux et ce que je veux. Et c'était tout à fait maîtrisé. Ça a déjà beaucoup préparé l’instrument. Je vois bien que c'était déjà une préparation. Je sens les choses... je sens plutôt la qualité vibratoire des choses que simplement l’odeur. Il y a toute une classification des odeurs: il y a les odeurs qui vous allègent, comme si elles vous ouvraient des horizons – ça vous allège, ça vous rend plus léger, plus joyeux; il y a les odeurs qui vous excitent (celles-là sont dans la catégorie de celles que j'ai appris à ne pas sentir); quant à toutes les odeurs qui vous dégoûtent, je ne les sens que quand je veux – quand je veux savoir, je sens, mais quand je ne veux pas, je ne les sens pas. Maintenant c'est automatique. Mais l’odorat était très cultivé même quand j'étais encore enfant, il y a très longtemps: à ce moment-là, j'avais cultivé les deux, les yeux et l’odorat. Mais mes yeux ont servi à tout, à toutes les visions, alors c'est quelque chose de beaucoup plus compliqué, tandis que l’odorat est resté comme cela: je sens l’état psychologique des gens quand je m'approche d'eux; je le sens, ça a une odeur – il y a des odeurs très spéciales... toute une gamme. J'ai cela depuis très-très longtemps, c'est quelque chose de très dominé, très maîtrisé. Je peux absolument ne rien sentir: quand, par exemple, il y a des odeurs mauvaises qui dérangent le système du corps, je peux couper la connexion complètement.

Mais je ne m'aperçois pas d'un grand changement dans ce domaine parce que c'était déjà très cultivé, tandis que mes yeux sont beaucoup plus... (comment dire?) en avance, en ce sens qu'il y a déjà une différence beaucoup plus grande entre la vieille habitude de voir et l’autre. C'est comme si j'étais derrière un voile, c'est cela vraiment l’impression: un voile; et puis tout d'un coup, quelque chose qui vit de la vraie vibration. Mais c'est rare, c'est encore rare... Probablement (riant), il n'y a pas beaucoup de choses à voir!

Tiens, c'était la fête de Y l’autre jour. Je l’ai fait venir. Elle est arrivée: elle avait la figure de son singe, tout à fait! Elle s'est assise en face de moi, nous avons échangé quelques mots, puis je me suis concentrée et j'ai fermé les yeux, puis j'ai ouvert les yeux – elle avait la figure d'une madone idéale! d'une beauté! Alors comme j'avais vu le singe (le singe n'était pas vilain, mais c'était un singe, n'est-ce pas), et puis ça, ah! j'ai été frappée, je me suis dit: «C'est admirable de plasticité.» Une figure... oh! vraiment une belle figure, tout à fait harmonieuse et pure, et avec une si jolie aspiration – oh! une belle tête. Puis j'ai regardé plusieurs fois: ce n'était plus ni l’un ni l’autre, c'était... c'était quelque chose (ce qu'elle est d'habitude, n'est-ce pas), et c'était derrière le voile. Mais ces deux visions, c'était sans voile.

Et pour moi c'est comme cela, je ne vois pas les gens, je ne vois plus (mais il y a longtemps), je ne vois plus comme les gens voient, comme l’on voit d'habitude. Quelquefois, on me dit: «Avez-vous remarqué: telle personne est comme cela et comme cela», je dis: «Non, je n'ai rien vu», et d'autres fois, je vois des choses que personne ne voit! C'est un développement beaucoup plus complet que de passer simplement d'une vision à l’autre.

Mais odorat et vision ont été très cultivés dans les années de vingt à vingt-quatre ans. C'était une éducation consciente, volontaire, méthodique, et qui a eu des résultats intéressants. Et qui a préparé l’instrument à maintenant, beaucoup.

(Mère regarde l’heure)

Ah! voilà, j'ai encore bavardé – c'est lui qui me fait bavarder!

5 juin 1965

Mère montre le texte d'une réponse qu'Elle a envoyée à une disciple:

...Elle parle comme un enfant, et ça a le charme de l’enfant. Elle m'a dit: «Oh! je t'en supplie, demande au Seigneur de faire vite et d'arranger les choses!» (Mère rit) Alors j'ai répondu:

We are always free (laughing) to make our
proposals to the Lord, but after
all it is only His will that is realized.1

Et la conséquence logique de l’enfant: «Ah! alors il faut vouloir ce qu'il veut» – c'est ça. C'est ce que j'avais dit il y a quelque temps: il faut être dans le «il Lui plaît»; pas seulement dans ce qui est objectivé, mais dans Ce qui objective.

C'est dit d'une façon enfantine mais c'est tellement vrai et c'est tellement simple! Plus on voit en détail, plus on s'aperçoit que quatre-vingt-dix-neuf fois sur cent, et même davantage, on est crispé ou heurté, ou chagriné, ou ennuyé, simplement parce que les choses ne sont pas exactement comme on s'est formulé qu'elles doivent être – ceci, pour les gens intelligents; pour les gens moins «intelligents», c'est une sorte de désir: ils veulent que ce soit «comme cela» (ils le sentent beaucoup plus qu'ils ne le pensent), et alors quand les choses se passent autrement, oh! ils reçoivent un choc. Mais s'ils l’avaient voulu avant, ce serait un plaisir – exactement la même chose. La chose serait exactement la même. S'ils l’avaient voulu avant, ils diraient: «Ah! enfin c'est réalisé», et simplement parce qu'ils n'y ont pas pensé, parce qu'ils n'ont pas vu comme cela: «Oh! quelle horreur!» Presque partout et presque toujours c'est ainsi. De plus en plus, je vois cela dans le petit mouvement de chaque minute.


(Puis Mère se met à classer de vieilles notes éparpillées sur toutes sortes de feuillets. Elle tend un premier papier au disciple:)

Qu'est-ce que c'est?

C'est à propos du petit I.

Oh! I... – I est Amenhotep.

C'était très amusant (je ne l’ai pas dit à sa mère), mais je l’avais vu il y a un an ou deux quand il est arrivé d'Amérique avec ses parents. Ils sont entrés ici pour me voir. Je l’ai vu, je ne pensais à rien, simplement je le regardais (c'est-à-dire que je le prenais au-dedans de moi). Il n'était pas tout à fait comme un enfant ordinaire, il avait des manières assez souveraines. J'avais remarqué cela, mais pas autrement. Je l’ai vu le matin, puis l’après-midi quand je me suis reposée, j'ai eu une vision, c'est-à-dire que j'ai revécu une vie en Egypte. C'était l’ancienne Egypte, je le voyais d'après mon costume, d'après les murs, d'après tout (je ne sais pas si je l’ai noté là), enfin ce n'était pas moderne. Et j'étais évidemment la femme du Pharaon, ou sa sœur (je ne me souviens plus maintenant), et tout d'un coup je me suis dit: «Cet enfant est insupportable! il est tout le temps à faire ce qu'il ne doit pas faire!» (Mère rit) et je suis sortie de ma chambre, entrée dans un grand vestibule, et le petit était en train de jouer dans une gouttière! (riant) ce qui me paraissait tout à fait dégoûtant! Alors son précepteur a accouru vers moi tout de suite pour me dire (je dois l’avoir noté): «Ainsi le veut Amenhotep.»

C'est comme cela que j'ai su son nom.

Qu'est-ce que j'ai écrit?

«I. dans l’ancienne Egypte. Temple ou palais de l’ancienne Egypte. Peintures de couleurs claires et fraîches sur les très hauts murs. Lumière claire. À propos de l’enfant, très hardi, indépendant et joueur, j'entends la fin d'une phrase: "Ainsi le veut ...tep." Le nom est prononcé très clairement tout entier, mais en me levant (trop brusquement), seulement la syllabe "tep" est retenue dans la mémoire de la conscience de veille. C'était le précepteur qui me parlait de l’enfant. Je suis la Pharaonne ou grande-prêtresse du temple avec pleine autorité.»

C'est le premier souvenir au réveil.

Mais c'est Amenhotep.

Qu'est-ce qui est écrit là?

C'est une note sur Amenhotep: «Amenhotep III est le constructeur des temples de Thebes et de Louxor... Son palais, au sud de Thèbes, était en briques crues recouvert de stuc peint Sa femme, Taia, semble avoir été de famille modeste, mais comblée d'honneurs par lui et par leur fils. Le fils succède à son père sous le nom d'Amenhotep IV. Ce fut un réformateur religieux qui a remplacé le culte d'Ammon par celui d'Aton (le Soleil). Il prit le nom d'Akhenaton.» Encyclopedia Britannica

C'est celui-là.

C'est un petit bonhomme, oh, là! là! ils ont du mal avec lui.

Je ne l’ai pas dit à sa mère.

Quand ils sont ici, ça va bien. Mais dès qu'ils vont à Bombay où se trouve la famille du mari, il tombe malade, il est absolument insupportable, il est intraitable – ici, il est contrôlé. Et c'est assez curieux: dans sa chambre, on lui a fait des frises d'animaux simplifiés (j'ai vu des photos, ça ressemble beaucoup à des peintures d'Egypte), alors là, il est très content, très tranquille.

C'est amusant.

Et je n'avais pas la moindre idée; je regardais cet enfant (qui est évidemment un être conscient et très sûr de lui), je regardais ça et cela m'amusait; puis je n'y ai plus pensé. Et après, j'ai eu cette vision et j'ai su que c'était lui – je l’ai vu. «Ainsi le veut Amenhotep.»


Mère continue à classer ses papiers épars:

Il y a de tout, parce que je fourre tout sans discernement – des fragments, des lettres privées, des choses que je n'ai jamais envoyées...

Et ça, qu'est-ce que c'est?

You leave free hand to the bandits and ...2

Ah! ça, c'est un message que j'ai envoyé mentalement au Gouvernement de l’Inde! Ils voulaient prêter de l’argent au «Lac»3 et ils demandaient des garanties, toutes sortes de choses effroyables, comme s'ils avaient affaire vraiment à une bande de bandits. J'ai refusé. Je leur ai dit: «Gardez votre argent, je n'en veux pas à ce prix-là.» Mais pendant longtemps, je l’avais écrit et gardé là, sur ma table (c'est mon moyen, c'est pour mon travail que je fais cela). J'étais très fâchée et j'ai écrit:

You leave free hand to the bandits...
and you take all sorts of insulting
measures against honest people.4

Ce n'est pas publié. Ce sont des actions, ces papiers-là: des actions occultes. J'écris, puis je garde, et alors je «recharge».

Tu peux classer ça dans les «sujets de méditations» (!)... sur les manières du Gouvernement.

Quelquefois, pour une personne ou une autre, j'écris une phrase comme cela, mais je ne l’envoie pas, je la garde; puis, huit jours, quinze jours ou un mois après, la personne me dit qu'elle a eu une expérience et que je lui ai dit telle chose – et c'est exactement ce que j'avais écrit. C'est un moyen très bien.

Et quand on veut aussi détruire quelque chose, on l’écrit, puis on le déchire et on le brûle.

Oui, mais le Gouvernement est sourd!

(Mère rit) Ça a eu de l’effet, beaucoup d'effet. Nous avons reçu presque des excuses. Mais ce n'est pas encore fini; ils ont dit qu'ils donneraient (qu'ils ne prêteraient pas: qu'ils donneraient) sans demander aucune garantie.

Bon, nous verrons.


Mère classe un autre papier:

Tu sais, c'est toujours la même chose: je ne «pense» pas – je ne pense pas, je ne cherche pas à répondre, je ne questionne pas; quand je lis quelque chose, une lettre, je laisse entrer dans le Silence, et puis c'est tout. Et puis tout d'un coup, à n'importe quel moment, prrt! vient la réponse. Ce n'est pas de ma tête, qui est tout à fait tranquille: ça vient. Et ça m'embête: ça vient et ça se répète jusqu'à ce que je l’écrive. Alors j'ai des papiers partout et des crayons partout! Je prends un papier, j'écris; et puis c'est fini; dès que c'est écrit, je suis tranquille. Et quand j'ai le temps de me mettre à «écrire» une lettre, alors je m'installe, je choisis un bon papier et je recopie.

Mais les papiers et les crayons dépendent de l’endroit où j'ai écrit!

(Le disciple regarde un bout de page 3 à l’encre, avec un autre bout n° 2 de taille différente, au crayon, sans page n° L) Il y en a dans tous les coins des chambres!


Peu après, à propos d'une autre note:

«Dans la vie spirituelle, on est toujours vierge chaque fois...

Je ne l’ai jamais envoyé. C'est quelqu'un qui a eu une expérience assez curieuse (une Française) et qui m'a écrit en me disant que tout d'un coup, elle avait senti qu'en amour, elle était vierge quand elle m'a rencontrée, et que c'était l’amour d'une vierge qui venait à moi. Alors j'ai répondu, parce que c'est vrai:

«... on est toujours vierge chaque fois que l’on s'éveille à un amour nouveau, car dans chaque cas, c'est une partie nouvelle de l’être, un état d'être nouveau qui s'éveille à l’Amour divin.»

Je l’ai écrit, mais ne l’ai pas envoyé.


Autre note:

«Les hommes, dans leur aveuglement, quittent la lumière...

(Mère enchaîne) à laquelle ils sont habitués, pour aller à l’obscurité qui est nouvelle pour eux!... Ça, c'est pour les enfants qui ont été élevés ici et qui veulent aller faire des études en Amérique ou je ne sais où. l’un d'eux était parti faire des études sur «la vraie éducation»... en Angleterre! Alors c'était un peu de trop.


Autre note:

If you want peace in the world or upon earth, first establish peace in your heart.

If you want union in the world, first unify the different parts of your own being.5

C'est allé à «World-Union»!6


Une dernière note ou réflexion de Mère sur son yoga actuel:

«Quand, à travers ceux qui m'entourent, le monde extérieur essaye d'imposer sa volonté au rythme de la vie intérieure, cela crée un déséquilibre que le corps n'a pas toujours le temps de surmonter.»

9 juin 1965

Alors, ton mantra, ça va?

Oui, douce Mère, c'est un beau Mantra.

J'ai eu une expérience assez intéressante.

Tu sais, on a toujours l’impression que si l’on fait connaître le Mantra, il va perdre de sa force, mais je me suis dit: «Tant pis, je vais le faire», et de la minute où c'était décidé, je n'y ai plus pensé naturellement – c'était parti. Et le soir du jour où je t'ai dit le Mantra, vers la fin de la journée, tout d'un coup les mots sont venus avec une chaleur et une intensité, comme si... (comment dire?) c'était comme arrondi de force. Et alors en même temps, je me suis souvenue que je t'avais dit le Mantra, et j'ai regardé, et j'ai vu que c'était ce que ta conscience y avait ajouté – j'étais très contente.

Je t'ai dit qu'il avait une grande puissance, mais c'est devenu... (comment expliquer cela?) plus chaud (Mère rit). Je ne sais pas comment dire... oui, c'est comme une chaleur de richesse qui était entrée dedans – comme une puissance en puissance (c'est-à-dire pas manifestée, mais en puissance), une puissance de joie très chaude qui était venue dedans. Alors j'étais très contente.

(silence)

J'ai tout un mantra, je te l’ai dit (en dehors du Mantra principal), depuis des années, et qui est extrêmement complet: il s'applique à toutes les nécessités et toutes les occasions, c'est une longue série. Mais depuis quelque temps, c'est devenu aussi très spontané et très vivant en soi: quand je veux voir d'une façon tout à fait concrète où en est quelqu'un (qui médite devant moi, par exemple), je le récite (au-dedans, naturellement) et je vois les réactions, parce que le mantra touche au surrender [soumission] de toutes les parties de l’être et de tous les modes de la vie: c'est très total; et alors suivant les réactions (dans les centres de Mère), je vois très clairement. Et l’autre jour quand X est venu, je l’ai fait (c'est la première fois que je le faisais avec lui), je l’ai fait, et arrivé à un certain endroit... (Mère sourit), il n'a pas pu tenir le coup! Il a eu comme un raidissement, il m'a salué et il s'est levé. Autrement, il était resté très silencieux, très tranquille. Mais ça... (Mère rit) N'est-ce pas, j'invoque le Seigneur et je Lui demande de manifester Ses différentes manières d'être ou réalisations (ce n'est pas pris au sens mental, du tout), mais au moment où je dis (je dis beaucoup de choses, mais jusque là, il était tranquille, silencieux, immobile), et à un moment donné (parce que cela vient dans une suite logique), j'ai dit: «Manifeste Ta Connaissance» – il a eu un malaise, comme s'il avait l’impression d'être jeté hors de lui-même! Alors j'ai essayé de calmer ça, mais il n'a pas pu – au bout de cinq minutes, il s'est levé et il est parti. Un véritable malaise; parce que, pour moi, je suis dans les gens (je suis partout, n'est-ce pas), je sens comme si c'était mon corps.


Peu après, Mère fait lire au disciple une réponse qu'Elle vient d'écrire:

Ce sont des conseils à des mentalités d'enfant (pas enfant en âge), la même chose que: You say that you can't love the Lord because you have never seen Him... [Vous dites que vous ne pouvez pas aimer le Seigneur parce que vous ne l’avez jamais vu...] C'est le même genre de niveau. Mais j'aime cela parce que, au moins, ils ne prétendent pas qu'ils sont intelligents. Et hier, un enfant m'annonçait que c'était sa fête et qu'il avait deux questions à me poser, en anglais: Where does God live? or Where is the house of God? (quelque chose comme cela) and can I ever see Him? [Où est-ce que Dieu vit? Où est la maison de Dieu et est-ce que je Le verrai jamais?] Alors je lui ai répondu comme on répond à un enfant, avec la simplicité de l’enfant:

God lives everywhere and in everything,
and you will be able to see Him if you can
find Him deep inside yourself.1

Au fond, il faudrait une «section d'enfants» avec les réponses pour les enfants – moi, je trouve cela beaucoup plus instructif que les choses philosophiques. Je trouve cela beaucoup plus direct que les transcendances intellectuelles, où il y a toujours un peu de prétention; n'est-ce pas, on est «au-dessus de tous ces enfantillages» – et c'est exactement aussi enfantin.

12 juin 1965

À propos d'une lettre que Mère a écrite à un disciple:

...Il y en a de toutes sortes! des complications, beaucoup de complications; il y a toutes sortes de mauvaises volontés, enfin de gens qui tournent en rond au lieu d'avancer. Et des inventions idiotes. l’autre nuit... Parce que la tête est toujours immobile, comme cela (geste au front, paumes ouvertes vers la Lumière d'en haut); ça, je rends grâce au Seigneur, mais c'est toujours comme cela; alors je ne décide pas ce qu'il faut faire, je ne décide pas ce qu'il faut répondre, rien: quand ça vient, ça vient. Et il y avait des gens qui avaient fait un très sale tour (riant: ça m'est tout à fait indifférent!) et je ne bougeais pas. Et voilà qu'au milieu de la nuit, vient une force qui me tient et qui me dit: «Voilà la réponse, voilà ce qu'il faut dire.» J'ai dit bon (j'étais sur mon lit, n'est-ce pas) et je ne bouge pas. (Mère prend un ton plus impératif:) «Voilà ce qu'il faut dire.» – Ah! bon. Et je continue à ne pas bouger. (Ton encore plus impérieux:) «Voilà ce qu'il faut dire», (Mère rit)

alors je me suis levée, je suis allée là-bas, et dans l’obscurité j'ai écrit ce qu'il fallait dire!

Après, c'était fini.


(Puis Mère passe à la traduction de «Savitri»: le dialogue avec la Mort)

(Mère lit le texte) Ah-ah! le farceur.

... Then will I give thee all thy soul desires
[Alors je te donnerai tout ce que ton âme désire]

C'est un farceur.

All the brief joy earth keeps for mortal hearts
[Toutes les joies brèves que la terre réserve aux cœurs mortels]

But I don't want them! [Mais je n'en veux pas!] – C'est vraiment un farceur.

Et qu'est-ce qui lui arrive?

... My will once wrought remains unchanged through Time
[Une fois fixée, ma volonté reste inchangée à travers les temps]

Oh-oh! Tu le crois!

And Satyavan can never again be thine
[Et Satyavan ne sera plus jamais à toi]

X.III.636

Ce n'est pas vrai, mon vieux!

(Mère traduit)

Alors je te donnerai tout ce que ton âme désire...

l’âme n'a pas de désir! C'est facile de dire: «Je te donnerai ce que ton âme désire», l’âme ne désire rien. Alors il ne s'engage pas beaucoup!

C'est un farceur – il l’a fait très farceur.

14 juin 1965

(Mère cherche une carte pour répondre à un disciple. l’une est illustrée d'un gros poisson:)

Quel est le symbole des poissons?

Je ne sais pas, les bouddhistes représentent deux poissons entrecroisés. Je crois que c'est la Multitude?

Je fais souvent des rêves sous-marins: par exemple, l’autre jour j'allais sous l’eau (sans difficulté aucune, d'ailleurs) et il y avait des tas de poissons, je faisais une pêche sous-marine. Mais ces poissons étaient morts, ou venaient de mourir – des quantités de poissons qui n'étaient pas décomposés, qui étaient encore bons, mais morts, parce qu'ils n'avaient plus d'air ou plus d'eau.

Généralement, les poissons avec la mer, c'est la Multitude.1 Mais il doit y avoir beaucoup de sens; je t'ai dit que le Bouddhisme emploie beaucoup l’image du poisson comme symbole.

Des symboliques, mon petit, il y en a des centaines et des centaines. Et on les oppose toujours, mais au fond ce sont seulement des manières de voir une même chose. D'après mon expérience, chacun a sa symbolique.

Par exemple, pour les serpents, c'est très remarquable. Certains, quand ils rêvent de serpents, ont l’impression qu'il va leur arriver des catastrophes; moi-même, j'ai eu toutes sortes de rêves de serpents: j'avais à traverser des jardins remplis de serpents partout – par terre, sur les arbres, partout –, et des serpents pas bienveillants! Mais je savais très bien ce que cela voulait dire; au moment même, je savais: ça dépendait de certaines conditions mentales autour de moi et de mauvaises volontés – des mauvaises volontés mentales.2 Mais si l’on a justement le contrôle et le pouvoir mental, on peut passer au travers, il ne peuvent pas vous toucher. Et d'autres gens, quand ils voient un serpent, ils croient que c'est la conscience universelle. Alors on ne peut pas dire. Théon disait toujours que le serpent est le symbole de l’évolution, et ceux qui étaient avec lui voyaient toujours des serpents couleur d'arc-en-ciel, avec toutes les couleurs, et c'était le symbole de l’évolution universelle. Au fond, vraiment, chacun a sa symbolique. Et pour moi-même, j'ai vu que cela dépendait des époques, des activités, du degré de développement. Il y a des choses que je revois maintenant et dans lesquelles je vois un autre sens qui était derrière le sens que j'avais vu.

C'est très intéressant, mais ça relève tout à fait du domaine de la relativité.

C'est très mental.

Je me souviens, par exemple, il y avait un temps où je voyais les gens sous forme d'animaux!... C'était l’indication du type de nature auquel ils appartenaient. Et je me souviens, quand j'étais encore en France, d'avoir vu un jour (j'étais assise dans une grande chambre) des tas de petits animaux qui venaient, surtout des lapins, des chats, des chiens, toutes sortes d'animaux, des oiseaux – ils venaient, ils venaient tous sur mes genoux! Et il y en avait, il y en avait... Et tout d'un coup, entre dans la chambre un grand tigre, qui se précipite là-dessus et vrff! les a envoyés promener partout! (Mère rit) Seulement, les animaux étaient des gens... et le tigre aussi était quelqu'un.

C'est amusant.

Mais maintenant, je vois qu'il y a des profondeurs superposées: on a une symbolique, puis une profondeur et c'est une autre symbolique. Et finalement, toute forme est un symbole. Toutes les formes, notre forme est un symbole – pas très brillant, je dois dire!

Oh! si je n'avais rien à faire et que je passe mon temps à écrire simplement mes activités de la nuit, ce que je vois, j'entends et je fais la nuit avec tous les gens... toutes sortes de gens, oh! dans toutes sortes de pays. Et des choses, des choses, tant-tant de choses que je n'ai jamais vues physiquement et auxquelles je n'ai jamais pensé – des choses tout à fait inattendues.

C'est plus intéressant que les romans, ah! oui! Seulement il faut beaucoup de temps.3


(Mère passe à la traduction de «Savitri», le dialogue avec la Mort, puis Elle s'arrête au milieu d'un vers:)

Je n'entends rien en ce moment, je suis dans un... Tiens, c'est tout à fait l’impression d'être dans un matelas de brouillard... (Mère «regarde») d'un gris perle très pâle. Et c'est un brouillard pour le son et un brouillard pour la vue.

Comme si les choses étaient loin-loin, loin de moi: les choses, les gens, les bruits, les images, tout, loin-loin... (Mère reprend sa lecture):

My will once wrought remains unchanged through Time
And Satyavan can never again be thine.

[Une fois fixée, ma volonté reste inchangée à travers les temps
Et Satyavan ne sera plus jamais à toi.]

Il Ta fait un peu stupide, parce que même si Satyavan ne revient pas dans ce corps, qu'est-ce qui l’empêche d'en prendre un autre!

Il se vante!

Et Savitri lui dit après (ou «la Voix»), tu te souviens: «Ah! on te gardera tout de même, on a encore besoin de toi pendant quelque temps.» Quand il est bien battu, fini, elle lui dit: «On te gardera encore parce qu'on a encore besoin de toi»,4 tu ne te rappelles pas?

Un joli cadeau... Oh! il est vrai que dans beaucoup de cas, c'est indispensable.

Je me souviens d'avoir lu une histoire, du temps où je recevais... je crois que c'était Le Matin, le journal «Le Matin». Il y avait des romans et je lisais les romans pour voir l’état d'esprit des gens. Et il y avait un roman extraordinaire où le personnage principal était une femme qui était immortelle (elle avait été condamnée à être immortelle, je ne sais par quelle divinité), et elle essayait de son mieux de mourir et elle n'y arrivait pas! C'était idiot, le tout était idiot, mais c'était le point de vue retourné: elle était immortelle obligatoirement et... ouf! elle disait: «Quand est-ce que je pourrai mourir?», avec l’idée ordinaire que c'est la fin, que tout est fini, qu'on se repose. Et on lui avait dit: «Tu ne pourras mourir que lorsque tu trouveras sur terre l’amour véritable...» Tout était mis à l’envers. Mais quand j'ai lu cela, ça m'a donné beaucoup à réfléchir – quelquefois, ce sont les plus grosses stupidités qui vous font réfléchir le plus. Et pour compléter l’histoire... N'est-ce pas, elle avait été une personne, une autre, prêtresse en Egypte, enfin toutes sortes de choses, et finalement (je ne me souviens plus) c'était dans les temps modernes: elle avait rencontré un couple de jeunes mariés; le mari était un homme remarquable, intelligent (je crois que c'était un inventeur); sa femme, qu'il aimait passionnément, était une imbécile stupide et méchante qui gâtait tout son travail, qui abîmait toute sa vie... et il continuait à l’aimer. Et c'était cela (riant) qu'ils donnaient comme exemple de l’amour parfait!

J'ai lu cela il y a plus de cinquante ans peut-être, et je m'en souviens encore! parce que cela m'a fait réfléchir pendant longtemps. J'ai vu cela et je me suis dit: «Voilà comment les hommes comprennent!»

C'était, oh! il y a certainement plus de cinquante ans parce que j'avais déjà rencontré le «Cosmique», l’enseignement de Théon, et la Présence divine intérieure, et je savais que la nouvelle création serait une création d'immortalité – j'avais senti tout de suite que c'était vrai (que c'était une façon de dire quelque chose qui était vrai). Et alors, quand j'ai lu cela, je me suis dit: «Voilà comment les hommes mettent tout à l’envers! la tête en bas, les pieds en l’air.» Et j'ai réfléchi longtemps-longtemps à ce problème: «Comment amener ça à la position véritable?» Et j'ai commencé à travailler... Déjà, à ce moment-là, je m'exerçais à me mettre à ce point de vue-là, à regarder les choses de ce point de vue, à comprendre comment ce point de vue pouvait exister. Et ces deux choses m'avaient donné à réfléchir: la volonté de mourir, et ce que cet homme considérait comme «l’amour parfait» – deux âneries.

Mais j'ai découvert ce qu'il y avait de vrai là-dedans, c'était cela qui était intéressant; j'ai cherché-cherché, et j'ai tout d'un coup senti cette aspiration vers l’immuable, la paix immuable. Eh bien, c'était à l’envers: ce n'est que la paix immuable qui peut vous donner l’éternité d'existence. Là, c'était tout à l’envers, on voulait cesser l’existence pour trouver la paix immuable. Mais c'est la paix immuable que l’on cherche et c'est cela qui oblige à la cessation de l’existence, pour permettre la transformation.

Et l’amour, qui est inconditionné: cela ne dépend pas de si l’on vous aime ou ne vous aime pas, est intelligent ou ne l’est pas, est méchant ou ne l’est pas – c'est bien entendu. Mais c'était dit d'une façon ridicule. Mais c'est bien entendu, l’amour est inconditionné, autrement ce n'est pas de l’amour, c'est ce que j'appelle du marchandage: «Je te donne mon affection pour que tu me donnes la tienne; je suis gentil avec toi pour que tu sois gentil avec moi»! C'est comme cela que les gens comprennent, mais c'est idiot, ça n'a pas de sens. C'est une chose que je comprenais quand j'étais toute petite, je disais: «Non! vous pouvez avoir envie que les autres soient gentils avec vous si vous êtes gentil avec eux, mais ça n'a rien à voir avec l’amour, non, rien, absolument rien.» l’essence même de l’amour est inconditionnée.


Peu après

Nous sommes en train d'élaborer... (comment peut-on appeler cela?) un règlement (oh! c'est un vilain mot) pour l’admission à l’Ashram... Oui!... Non pas que si l’on accepte le règlement, on soit admis, ce n'est pas cela, mais quand quelqu'un est admis, on lui dit: «Mais voilà, vous savez... (quand il est admis potentiellement), voilà à quoi vous vous engagez en devenant membre de l’Ashram.» Parce que les demandes d'admission pleuvent comme les sauterelles, et au moins quatre-vingt-dix-neuf sur cent sont des gens qui veulent venir ici pour être confortable et se reposer et ne rien faire – il y en a un sur cent qui vient parce qu'il a une aspiration spirituelle (oh! et encore... mitigée). Alors il ne faut pas qu'ils vous disent après (parce que nous avons des expériences): «Ah! mais je ne savais pas que c'était comme cela», sous prétexte qu'on ne le leur avait pas dit. «Je ne savais pas, par exemple, qu'il ne faut pas...» (Mère s'interroge un instant) Qu'est-ce qu'il ne faut pas faire?... (puis Elle montre du doigt le disciple en riant:) il ne faut pas fumer. Et il ne faut pas boire d'alcool, il ne faut pas être marié, sauf nominalement, etc. Et puis il faut travailler, et tous vos désirs ne sont pas automatiquement satisfaits. Alors on m'écrit des lettres: «Mais vous m'aviez dit que... (oh! des choses que je n'ai jamais dites, naturellement); à telle date (tu comprends, c'est assez loin pour que je ne me souvienne pas!), vous m'avez dit que...» Et alors je vois très bien d'après ce qu'ils écrivent ce que, moi, j'ai dit et comment ils l’ont mis à l’envers. Alors on va maintenant faire un papier qu'on leur donnera à lire et on leur demandera: «Vous avez bien compris?» Et quand ils auront dit qu'ils ont bien compris et signé, au moins on gardera le papier, et quand ils commenceront à être embêtants, on pourra le leur montrer et leur dire: «Pardon, on vous a prévenus que ce n'est pas un endroit... (comment dire?) édénique, où l’on peut rester à ne rien faire, et que les alouettes vous arrivent toutes rôties dans la bouche!»

Alors j'ai mis, première condition (je l’ai dit en anglais): l’unique but de la vie est de se consacrer à la réalisation divine (je ne l’ai pas mis dans ces termes, mais c'est cela). Il faut d'abord (on peut se tromper soi-même, mais cela ne fait pas de différence), d'abord être convaincu que c'est cela que l’on veut, et on veut seulement cela – primo. Puis Nolini m'a dit qu'il fallait que la seconde condition soit que l’on reconnaisse mon autorité absolue. J'ai dit: «Pas comme cela!», il faut mettre que l’on «reconnaît l’autorité absolue de Sri Aurobindo» (on peut ajouter – riant – «représenté par moi», parce qu'il ne peut pas parler, n'est-ce pas, excepté à moi – moi, il me parle très bien, mais les autres n'entendent pas!). Puis il y a beaucoup d'autres choses, je ne sais plus, et finalement un dernier paragraphe qui est comme cela... (Mère cherche la note)... Avant, je me souviens, Sri Aurobindo avait fait un petit papier aussi pour donner aux gens, mais c'est périmé (il était question de ne pas se disputer avec la police! et je ne sais plus quoi: c'est périmé), mais moi, je ne veux pas mettre de défenses, parce que les défenses... d'abord c'est un encouragement à la révolte, toujours, puis il y a aussi un bon pourcentage d'individus, quand on leur défend de faire quelque chose, imédiatement ils ont envie de le faire – ils n'y penseraient peut-être même pas autrement, mais il suffit de leur dire pour que: «Ah! moi, je fais ce que je veux.» Bien.

(Mère commence à lire) To those... [À ceux...] Je fais une distinction: il y a des gens qui viennent ici et qui veulent se consacrer à la vie divine, mais c'est pour faire du travail et ils travailleront (ils ne vont pas faire un yoga intensif parce qu'il n'y en a pas un sur cinquante qui soit capable de le faire, mais ils sont capables de dévouer leur vie et de travailler et de faire du bon travail d'une façon désintéressée, comme un service pour le Divin – c'est très bien), mais en particulier: To those who want to practice the integral yoga, it is strongly advised to abstain from three things [À ceux qui veulent pratiquer le yoga intégral, il est fortement conseillé de s'abstenir de trois choses]... alors, les three things (riant, tu te bouches les oreilles): sexual intercourse (ça vient en troisième) and drinking alcohol and... (murmurant) smoking [les relations sexuelles, boire de l’alcool et... fumer].

Il faut te dire que je suis née dans une famille où personne ne fumait: mon père n'avait jamais fumé et ses frères n'avaient jamais fumé – enfin, on ne fumait pas. Par conséquent, depuis ma petite enfance, je n'étais pas habituée. Après, quand j'ai vécu avec les artistes... N'est-ce pas, les artistes fument (il paraît que ça leur donne des «inspirations»!) mais j'avais horreur de l’odeur. Je ne disais rien pour ne pas être désagréable, mais j'avais horreur de ça. Puis je suis arrivée ici – Sri Aurobindo fumait. Il fumait exprès, il fumait pour dire: on peut faire le yoga en fumant, je dis qu'on peut fumer et faire le yoga, et je fume. Et il fumait. Et tous les disciples fumaient naturellement, parce que Sri Aurobindo fumait. Pendant quelque temps, je leur ai même donné de l’argent de poche pour qu'ils s'achètent des cigares (on fumait des cigares – c'était une infamie!). Puis je suis venue vivre dans la maison de Sri Aurobindo, nous avons parlé librement, et un jour, je lui ai dit: «Ce que la fumée peut sentir mauvais! (riant) c'est dégoûtant!» Alors il m'a dit: «Oh! vous n'aimez pas l’odeur?» – «Oh! ai-je dit, non! Non seulement cela, mais j'ai dû faire un effort yoguique pour que ça ne me donne pas mal au cœur!» Le lendemain, il avait cessé. C'était fini, il n'a plus jamais fumé... C'est gentil. Ce n'était pas par principe, c'était parce qu'il ne voulait pas m'imposer l’odeur. Mais je n'avais jamais rien dit: c'était simplement parce qu'il m'avait demandé comme cela, dans la conversation, alors je lui ai dit. Et quand il a cessé de fumer, tout le monde a dû cesser – ce n'était plus permis de fumer: lui ne fumait plus.

Non, pour ceux qui ne fument pas (riant), la fumée des autres est très...

Mais c'était la même chose pour la nourriture, la viande, etc. Pendant longtemps, nous avons mangé de la viande; c'était même très amusant: Pavitra était végétarien à tous crins quand il est arrivé, et à ce moment-là, non seulement nous n'étions pas végétariens mais on tuait les poulets dans la cour (!) et... (riant) Pavitra avait juste la chambre à côté de la cuisine – on lui tuait les poulets sous le nez! Oh! pauvre Pavitra! Puis ça a cessé pour une raison très simple (pas du tout par principe): pour entretenir des gens avec de la nourriture carnée, c'est beaucoup plus coûteux que d'être végétarien! Cela représentait des complications. Moi, j'étais végétarienne par goût – tout est par goût, ce n'est pas par principe. Je suis devenue végétarienne au commencement du siècle, oh! il y a longtemps... (oui, il doit y avoir plus de soixante ans), parce que dans mon enfance, on m'obligeait à manger de la viande, et cela me dégoûtait (pas l’idée: c'était le goût que je n'aimais pas, ça me dégoûtait!) et le docteur demandait que l’on me donne des pickles [condiments] et toutes sortes de choses pour couvrir le goût. Alors dès que j'ai été indépendante et libre, j'ai dit: «Fini! (riant) Ah! non, je ne mange plus» – pas comme une règle puisque de temps en temps je prends encore du foie gras (ce n'est pas végétarien!) et longtemps j'ai encore mangé de la langouste ou du homard, comme cela – pas de règles, oh! surtout pas de règles, mais le goût. Mais comme tu le disais tout à l’heure,5 ce sont des «complications», c'est exactement ce que je sentais. Et quand je suis montée ici (tu sais qu'ils m'ont fourrée au lit pendant je ne sais combien de temps – je n'arrive pas à savoir pendant combien de temps, personne ne veut me le dire) et quand j'ai recommencé à manger, le docteur me faisait prendre du bouillon de poulet; mais pour ce bouillon de poulet, on était obligé d'assassiner une poule tous les jours – ils assassinaient une poule tous les jours pour que j'aie mon bouillon de poulet. Puis, quand les chaleurs ont commencé, on m'a dit que les poules étaient malades (la chaleur les rendait malades) et que, après tout, ce n'était peut-être pas très bien de manger de la soupe de poule malade! Alors j'ai dit: «Arrêtez-arrêtez!», et une fois que j'ai arrêté, ah! mon cœur était content: «Maintenant (riant) on n'assassine plus de poulets!» Et j'ai dit: «Fini, on ne recommencera plus.» Seulement il se trouve que c'est justement pendant cette période-là que j'ai engraissé de deux kilos (de ce temps-là, le docteur prenait mon poids) et il m'a dit: «Voyez, vous avez engraissé!» Je lui ai dit: «Mais je ne tiens pas à engraisser!»

Tu vois (à Sujata), je parle franchement devant lui! (Riant:) Il faut faire ce que je dis et ne pas faire ce que je fais!

Pas par principe – pas de principes: par goût.

Voilà, mon petit.6

18 juin 1965

Tu te souviens de ce que j'avais dit? que ce serait un «corps physique amélioré» – improved – qui ferait la transition entre le corps humain et le corps supramental?...1 Sri Aurobindo m'a dit à sa manière, la nuit dernière, que c'était cela, que c'était vrai. C'était très intéressant.

Très intéressant.

La nuit dernière, pendant longtemps, nous allions dans toutes sortes d'endroits que je ne connais pas: des villes, des campagnes, des forêts, etc. Ça a duré très longtemps. Et une fois, nous étions là, près d'une forêt (près d'une route qui traversait une forêt) et nous étions occupés, nous «parlions», lorsque, tout d'un coup, il se lève d'un bond... Tu sais, pour ainsi dire, il n'a jamais d'habits; je l’avais vu une première fois dans sa maison (sa maison supramentale), dans le physique subtil, et il était sans habits; mais c'est une espèce de matière vibrante: c'est très matériel, c'est très concret, et c'est une espèce de couleur qui n'en est pas une, qui est un peu dorée et qui est radiante – ça ne jette pas de rayons, mais ça vibre d'une lumière radiante. Et au moins neuf fois sur dix, il est comme cela; généralement, quand nous sommes ensemble pour du travail, il est comme cela. Il était comme cela la nuit dernière. Alors j'étais occupée (nous avions arrangé quelque chose et j'étais occupée) lorsque, tout d'un coup, je le vois qui se lève d'un bond et qui fait un cent mètres, a dash-race. J'ai eu d'abord un choc, je me suis dit comment?! Et très facilement, n'est-ce pas: il est parti comme une flèche, puis il s'est arrêté quelques minutes, puis il est revenu en courant. Puis encore il s'est arrêté, puis il est parti une troisième fois on a dash-race [dans une course de vitesse]: les cent mètres que l’on fait. Mais la troisième fois, il était devenu grand et un corps mince. Devenu grand, comme si c'était pour me démontrer: comme cela, le corps se transformera. Il était devenu très grand, très fort.

C'était très intéressant et tout à fait inattendu.

Et la seconde fois, il était plus fort que la première; et la troisième fois, il était magnifique: un grand être superbe avec cette substance vibrante, radiante. Et une course! des bonds! c'était fantastique. La dernière fois, c'était fantastique, comme s'il ne touchait pas le sol.

Nous «parlons» très-très rarement. Quelquefois il me dit une chose, mais c'est avec une portée spéciale et dans un but spécial – nous nous comprenons sans paroles. Là, il n'a rien dit, mais j'ai compris.

Cela faisait partie d'une très longue activité, mais cette chose m'a frappée beaucoup parce que c'était comme la réponse [à ce que je disais il y a quelque temps], il disait: «Oui, c'est vrai, tu as raison, c'est comme cela.» Et ce changement du corps entre les trois fois: la première fois, il était comme je l’ai connu mais plus jeune et plus alerte; et la seconde fois, il était déjà plus fort; et la troisième fois, il était magnifique.

Je voulais te raconter ça.

C'est tout.

Maintenant, toi, qu'est-ce que tu as à me dire?

(silence)

Bien, je ne parle plus!

Il reste toujours la question que je t'avais posée à ce même propos: je vois mal comment le corps supramental, qui est d'une substance très matérielle mais quand même d'une substance différente...2

Ah! à ce sujet, j'ai eu une autre expérience il y a quelques jours... Tu sais que l’on parle d'une substance «plus dense» que la substance physique... Comment appellent-ils cela?... (Mère cherche en vain.) Théon en avait déjà parlé, mais je croyais que c'était son imagination. Mais on m'a dit que, scientifiquement, cela a été découvert et que la quantité de cette «matière plus dense» semble AUGMENTER.

Comment appellent-ils cela? Il y a un nom. Je ne me souviens plus mais il y a quelque temps, un ou deux mois, quelqu'un venant de France m'a dit que, maintenant, on semble dire dans les milieux scientifiques que cette matière plus dense que la matière physique paraît augmenter en quantité sur la terre – ce serait extrêmement intéressant.3

Théon, lui, disait que le corps glorieux serait fait d'une matière plus dense que la matière physique, mais avec des qualités que la matière physique n'a pas. Et en effet, elle a des qualités, paraît-il, que la Matière n'a pas: comme l’élasticité, par exemple. Eh bien, il y a quelques nuits (je ne me souviens plus quand), j'étais dans un endroit où l’on avait rassemblé une sorte de substance qui était d'un gris pâle et qui ressemblait à de l’argile diluée (c'est-à-dire une pâte). Et élastique, (riant) gluant! Et c'était comme du ciment dilué, mais très pâle, d'un gris perle très joli, et collant: ça se tirait comme du chewing-gum! Et alors, il y avait un certain nombre de gens qui s'étaient rassemblés pour prendre des bains de cette substance. Il y en avait qui se traînaient là-dedans avec délice! ils se barbouillaient partout, et ça collait! Et moi-même... (une fois que l’on était là, on était obligé de se tremper dedans, plus ou moins: c'était comme si, même dans l’air, il y en avait; on ne pouvait pas ne pas en avoir), mais il y avait une dame qui prenait très grand soin de moi pour que ce ne soit pas trop incommode: je me souviens que j'avais une espèce de vêtement lumineux, blanc et rouge (blanc avec des ornements rouges), dans lequel je m'enveloppais pour que ça ne me colle pas après. Mais je regardais ça, et j'ai vu, par exemple, notre Purani4 qui se vautrait là-dedans, qui glissait avec délice! tout ruisselant de cette boue. Et tout le monde était dans cette boue. Seulement, c'était une boue gris perle d'une très jolie couleur, mais c'était collant! Et le matin, quand je me suis réveillée, je me suis dit: ce doit être la nouvelle substance qui est en préparation – qui n'est pas encore complète mais en préparation.

Il y avait des détails tout à fait amusants: c'était arrangé comme les établissements d'eaux thermales, tu sais, dans les grands endroits chics. C'était comme cela. Et on venait là prendre des bains de ça.

Comment appellent-ils cela?... Pavitra saurait le nom. Je connaissais: Théon lui avait donné le nom qu'on lui donne maintenant. Mais je ne me souviens plus. Une matière plus dense que la Matière physique. Mais élastique.

Et probablement une matière qui subirait quelques transformations, je ne sais pas. Peut-être que cette cape que je mettais sur moi était le symbole de... C'était blanc avec des fils d'or et des broderies rouges (c'était très beau) et je m'enveloppais avec ça de sorte que cette boue n'était pas gênante.

C'était le symbole de quoi?

De la force qui transformera ça en une substance acceptable.

(silence)

Probablement, la conscience qui saura utiliser cette substance (de même qu'il y a eu une conscience qui a su utiliser la substance corporelle) saura en faire quelque chose que l’on peut employer. Parce que nous y sommes habitués, mais il est évident que c'est une espèce de super-chimie qui a fait cette matière corporelle. Cela nous paraît tout naturel, mais ça n'a pas toujours été comme cela – il y a du chemin entre la méduse, par exemple, et puis ce corps.

J'avais l’impression d'une substance qui doit être soumise à un travail d'adaptation, de transformation, d'utilisation, et qui servirait de forme extérieure à l’être supramental.

J'ai l’impression que Sri Aurobindo a déjà sa forme supra-mentale subtile. Par exemple, pour les déplacements, on n'a pas l’impression qu'il soit soumis aux mêmes lois que nous; seulement comme c'est subtil, ça ne paraît pas étonnant. Et aussi une sorte d'ubiquité: il est à plusieurs endroits en même temps. Et une plasticité, une adaptabilité suivant le travail qu'il veut faire, les gens qu'il rencontre. Je me rends très bien compte dans ces activités que, moi, je le vois [Sri Aurobindo] d'une certaine façon, mais je pense que les autres ne le voient pas comme cela – ils le voient différemment, probablement avec des habits. Quand il a couru dans la forêt, nous étions tout seuls, et c'était une grande forêt où il n'y avait personne; et puis quelques minutes plus tard, nous étions à un autre endroit et il y avait du monde, d'autres gens à qui il parlait, et je n'avais pas du tout l’impression que les autres le voyaient sans habits: ils devaient le voir avec un habit.

Je l’ai vu une fois, il y a assez longtemps: je t'ai raconté l’histoire de son bateau, justement d'argile.

De glaise.

De glaise, oui.

De glaise rose.5

Oui, c'est une sorte de glaise, c'était une glaise rose. Eh bien, à ce moment-là, il semblait habillé. N'est-ce pas, ça n'a pas la fixité de notre matière.

C'était comme cette vision du «bateau supramental»6 où l’on était habillé par sa volonté propre.

Mais dans mes activités de la nuit, c'est tout à fait naturel, je n'y pense pas – je ne suis pas là à observer avec le petit entendement imbécile de l’habitude, tout cela est tout à fait naturel.

Voilà, on a assez bavardé!

(Sujata:) Et toi aussi, la nuit, tu es grande.

Je n'entends pas, mon petit, je suis dans mon nuage!

(Sujata répète:) La nuit, quand on te voit, tu as l’air grande.

Mais oui! ah! ça, je sais! tous les gens me paraissent petits, et c'est seulement comme cela que je me rends compte – je ne sais pas que je suis grande, mais ils me paraissent petits.

Je suis grande.

(Sujata:) Tu as au moins cette hauteur (Sujata désigne le plafond de 4,50 m environ).

Oui, j'ai remarqué: souvent je regarde les gens comme cela (Mère se penche par-dessus son fauteuil). Mais c'est tout à fait naturel, je n'ai pas le sentiment d'être grande.

(silence)

Cette nuit, il y avait un moment où nous avions préparé un certain nombre de choses qui étaient, à la fois, comme de la nourriture, des remèdes et un moyen de transformer la Matière. Ça avait des couleurs différentes, c'était dans des éprouvettes, et il expliquait tout cela. Mais ce n'est pas la première fois: c'est arrivé très souvent. Et alors, le plus beau de l’affaire, c'est que quand je me réveille, tous les détails précis sont balayés imédiatement! comme si je sentais une main qui venait, qui prenait et qui enlevait – exprès.

Mais je me souviens, j'ai encore l’image où il est avec ses éprouvettes à montrer des choses. Il y avait un homme... qui avait l’air d'un savant (un homme d'une quarantaine d'années environ, entre quarante et cinquante ans, jeune, mais pas jeunet) et qui avait l’air très réfléchi. Il était assis. Je ne sais pas de quelle nationalité il est, je ne me souviens pas, mais c'était un moderne; il était moderne, avec des vêtements modernes, et Sri Aurobindo lui montrait ses éprouvettes avec des choses dedans et l’effet sur un ensemble de matière. Moi, j'étais là, je voyais ça (je regardais avec beaucoup d'intérêt), et à ce moment-là, je comprenais tout. Et je vois encore l’image, mais la connaissance mentale, la traduction mentale qui aurait fait que je pourrais me dire: «Maintenant, je sais», prrt! enlevée. Chaque fois, c'est la même chose.

C'est-à-dire que ce doit être donné à d'autres gens qu'à moi pour qu'ils l’utilisent, parce qu'ils ont un cerveau plus préparé que le mien, probablement, et des conditions de recherche meilleures.

Il est évident que le travail est en train de se faire.

(silence)

Encore autre chose, hier... quelque chose qui est en train de se préparer... Dans le temps, quand Sri Aurobindo était là et que j'habitais cette maison qui est maintenant le «dortoir annexe», il y avait une grande véranda; je me promenais de long en large dans la véranda (Sri Aurobindo était dans sa chambre, il travaillait), et je me promenais toute seule; mais je n'étais jamais seule: il y avait toujours Krishna – Krishna, le dieu Krishna tel qu'on le connaît, mais plus grand, plus beau, et pas de ce bleu ridicule, n'est-ce pas, bleu faïence! pas comme cela. Et toujours-toujours, nous nous promenions de long en large ensemble – on se promenait ensemble. Il était juste un tout petit peu en arrière (geste derrière et presque contre la nuque et les épaules)) moi, j'étais un tout petit peu en avant, comme si j'avais ma tête sur son épaule, et il se promenait (mais je n'avais pas le sentiment d'avoir ma tête sur son épaule, mais c'était comme cela), et nous nous promenions, nous communiquions. Cela a duré plus d'un an, n'est-ce pas, tous les jours. Puis ça a été fini. Je l’ai vu de temps en temps (quand nous avons déménagé, je l’ai vu); la nuit quelquefois quand j'étais très fatiguée, il venait et je dormais sur son épaule. Et alors je savais très bien que c'était une manière de Sri Aurobindo de se montrer. Puis, quand je suis venue ici [dans cette chambre], Sri Aurobindo était parti, et j'ai commencé à me promener de long en large en récitant mon mantra. Et Sri Aurobindo est venu, et il était exactement à la place où était Krishna (même geste, juste derrière la tête), et je me promenais et il était là, et nous nous promenions ensemble jour après jour, jour après jour. Et ça devenait tellement concret, tellement merveilleux que j'ai commencé à me dire: «Pourquoi m'occuper des gens, des choses, je veux être comme cela toujours!...» Il a attrapé ça, puis il m'a dit: «Je ne viens plus.» Et il a arrêté. J'ai dit: «C'est bon», et j'ai commencé mon mantra au Seigneur suprême, et j'ai beaucoup essayé qu'il vienne se promener avec moi, mais sous aucune autre forme: Lui-même. Et la Force, la Présence, tout était là, et je Le sentais de plus en plus, de plus en plus clairement, se tenant comme cela, juste derrière moi, impersonnel. Depuis quelques jours, j'avais une espèce de sentiment que j'étais proche de quelque chose; et hier pendant une demi-heure: LA Présence – une Présence... Une présence absolument concrète. Et c'est Lui qui m'a dit: «D'abord Krishna, puis Sri Aurobindo, puis Moi.»

Seulement (riant), Il ne veut pas que l’effet soit le même et que je dise: «Maintenant, assez des gens»!


(l’importante digression qui suit a été déclenchée par une banale question: Mère demande à Sujata si sa nouvelle machine à écrire marche bien.)

(Sujata:) Ils ont arrangé le clavier de telle façon que l’on a beaucoup de mal à s'en servir.

Mais c'est international, non?

Oui, mais ils ont voulu «améliorer».

Ah!... C'était la même chose quand j'étais au Japon, tout ce qu'on leur apprenait, ils l’«amélioraient» – ça devenait absolument impraticable! Après l’occupation américaine, ils ont compris.

(silence)

«On» est en train de se demander si, vraiment, il ne sera pas nécessaire qu'il y ait une occupation américaine ici, qui aurait le double effet de convertir les Américains et de faire faire un progrès aux Indiens... Un progrès pratique, ils le feront, comme les Japonais l’ont fait. Et les Américains sont des disciples des Japonais maintenant: au point de vue de la Beauté, ils ont fait un progrès merveilleux et absolument inattendu. Si les Américains venaient ici, ils seraient convertis, ils deviendraient... oh! ils comprendraient la vie spirituelle. Seulement, n'est-ce pas, ce ne serait pas agréable (!) Mais c'est le procédé le plus sûr – c'est toujours le dominateur qui apprend la leçon du dominé. Les Américains deviendraient peut-être les plus militants spiritualistes du monde s'ils occupaient l’Inde. Seulement les Indiens auraient du mauvais temps... Mais ils deviendraient très pratiques, ils sauraient mettre de l’ordre dans ce qu'ils font – ce qui leur manque tout à fait (tu n'as qu'à voir: je ne te l’ai pas fait dire pour cette machine à écrire).

C'est ennuyeux. C'est quelque chose qui est en suspens (l’occupation américaine). Dans la conscience active, je ne le veux pas. D'abord, cela prendrait longtemps – ça prend toujours longtemps. Beaucoup de temps perdu, beaucoup de souffrances, beaucoup d'humiliations. Mais c'est un moyen très radical.

En tout cas, si une nouvelle domination est indispensable, il est infiniment préférable que ce soit par les Américains que par les Russes parce que, ce que l’on apprendrait des Russes est une leçon inutile: c'est la communauté, la vérité de la communauté – les Indiens le savaient avant les Russes (les Sannyasins étaient la communauté idéale); ils le savaient avant les Russes, par conséquent ils n'ont rien à apprendre là, c'est tout à fait inutile. Et pour dire la vérité, il m'est tout à fait égal que les Russes soient spiri-tualistes parce que les Russes, dans leur âme, sont mystiques – ils sont au moins (au moins) aussi mystiques que les Indiens. Alors toute leur communauté et leur communisme, c'est de la prétention. Ça ne servirait à rien – à rien.

Une occupation américaine, c'est un moyen drastic [radical], mais... Oh! quand je vois ici ce qu'ils peuvent être imprégnés de l’esprit anglais, oh! c'est hideux – je n'aime pas les Anglais. Et les Anglais... les Anglais ont appris des Indiens au maximum, mais le maximum pour eux est très peu de chose. Les Américains veulent apprendre. Ils sont jeunes et ils veulent apprendre; les Anglais sont vieux, rassis, durcis et... oh! d'une prétention – ils savent tout mieux que tout le monde. Alors ils ont très peu appris. Ils ont bénéficié au maximum, mais c'est très peu; le maximum pour eux est très peu. Les Anglais... (geste d'engloutissement) ils sont destinés à descendre sous l’eau.7

Oh! j'espère que vous n'enregistrez pas cela!

On a plutôt l’impression que ce sont les Chinois qui viendraient ici, non les autres.

Oh! mais les Chinois... Les Chinois viennent de la lune, qu'est-ce qu'ils font sur la terre! Les Chinois ne sont pas d'origine terrestre: ils sont d'origine lunaire.

Oui, mais enfin ce sont plutôt eux qui viendraient ici que les Américains ou les Russes, semble-t-il?

Que les Américains...

Les circonstances semblent plutôt..

Non, les Américains peuvent venir pour «sauver» l’Inde de la Chine.

(silence)

Être sous la domination des Chinois, il vaut mieux mourir avant. Ce sont des... au point de vue sensibilité, ce sont des monstres. Ce sont des monstres.

Ils sont lunaires – lunaires, c'est-à-dire froids, glacés.

Ça, il n'y a pas d'hésitation entre les deux. Les Chinois, la domination chinoise sur la terre, c'est... c'est un durcissement de la terre, un refroidissement de la terre comme la lune. Oh! ce serait épouvantable.

Ah! au revoir, mes enfants.

Nous ne voulons pas de catastrophes.

23 juin 1965

Tu as entendu parler d'Auroville?...

Pendant longtemps, j'avais eu un plan de la «ville idéale», mais c'était du temps de la vie de Sri Aurobindo, avec Sri Aurobindo vivant au centre. Après... cela ne m'intéressait plus. Puis on a repris l’idée d'Auroville (c'est moi qui ai dit «Auroville»), mais c'était par l’autre bout: au lieu de la formation qui devait trouver l’endroit, c'est l’endroit (près du lac) qui faisait naître la formation; et jusqu'à présent, je m'y intéressais d'une façon très secondaire parce que je n'avais rien reçu de direct. Puis cette petite H s'est mise dans la tête d'avoir une maison là-bas, près du lac, et d'avoir une maison pour moi à côté de la sienne, et de me l’offrir. Et elle m'a écrit tous ses rêves; et une ou deux phrases ont tout d'un coup éveillé un vieux-vieux souvenir de quelque chose qui avait essayé de se manifester – une création – quand j'étais toute petite (je ne me souviens plus de l’âge), puis qui avait recommencé à essayer de se manifester tout au début du siècle quand j'étais avec Théon. Puis tout cela avait été oublié. Et c'est revenu avec cette lettre: tout d'un coup, j'ai eu mon plan d'Auroville. Maintenant, j'ai mon plan d'ensemble; j'attends R pour faire les plans de détail parce que j'avais dit depuis le commencement: «C'est R qui sera l’architecte», et j'ai écrit à R.

Quand il est venu ici l’année dernière, il était allé voir Chandigarh, la ville construite par Le Corbusier là-haut, en Penjab, et il n'était pas très heureux (ça m'a l’air assez quelconque – je n'en sais rien, je n'ai pas vu; je n'ai vu que des photographies qui étaient détestables), et quand il me parlait, je voyais qu'il sentait: «Oh! si, moi, j'avais une ville à construire!...» Alors je lui ai écrit: «Si tu veux, j'ai une ville à construire.» – Il est content-content, il arrive. Et quand il arrivera, je lui montrerai mon plan, puis il construira la ville.1

Mon plan est très simple.

Ça se passe là-haut, sur la route de Madras, en haut de la colline. (Mère prend un papier et commence à dessiner.) Nous avons ici (naturellement ce n'est pas comme cela dans la Nature: il faudra s'adapter – c'est comme cela là-haut, dans l’idéal), ici, un point central. Ce point central est un parc que j'avais vu quand j'étais petite fille (peut-être la plus belle chose du monde au point de vue de la Nature physique, matérielle), un parc avec de l’eau et des arbres comme tous les parcs, et des fleurs mais pas beaucoup (des fleurs sous forme de plantes grimpantes), des palmiers et des fougères (toutes les espèces de palmiers), de l’eau (si possible de l’eau courante), et si possible une petite cascade. Au point de vue pratique, ce serait très bien: au bout, en dehors du parc, on pourrait construire des réservoirs qui serviraient à l’alimentation en eau des résidents.

Alors, dans ce parc, j'avais vu le «Pavillon de l’Amour» (mais je n'aime pas employer ce mot parce que les hommes en ont fait quelque chose de grotesque), je parle du principe d'Amour divin. Mais c'est changé: ce sera le «Pavillon de la Mère»; mais pas ça (Mère se désigne elle-même): la Mère, la vraie Mère, le principe de la Mère (je dis «Mère» parce que Sri Aurobindo s'est servi de ce mot, autrement j'aurais mis autre chose – j'aurais mis «principe créateur» ou «principe réalisateur» ou... quelque chose comme cela). Et ce sera un petit bâtiment, pas grand, avec seulement une salle de méditation en bas, avec des colonnes et probablement une forme circulaire (je dis probablement parce que je laisse ça à la décision de R). En haut, le premier étage sera une chambre, et le toit sera une terrasse couverte. Tu connais les anciennes miniatures indo-mongoles avec les palais où il y a des terrasses et des petits toits soutenus par des colonnes? Tu connais ces vieilles miniatures? J'en ai eu des centaines entre les mains... Mais ce pavillon, c'est très-très joli: un petit pavillon comme ça, avec un toit sur une terrasse, et des murs bas contre lesquels on met des divans pour s'asseoir, méditer en plein air le soir, la nuit. Et en bas, tout en bas, par terre, une salle de méditation simplement – quelque chose où il n'y a rien. Il y aurait probablement, dans le fond, quelque chose qui serait une lumière vivante (peut-être le symbole2 en lumière vivante), une lumière constante. Et autrement, un endroit très calme, très silencieux.

Adjacent, il y aurait un petit logis (enfin un petit logis qui aurait tout de même trois étages), mais pas de grande dimension, et ce serait la maison de H qui servirait de gardienne – elle serait la gardienne du pavillon (elle m'a écrit une lettre très bien, mais elle n'a pas compris tout cela, bien entendu).

Ça, c'est le centre.

Tout autour, il y a une route circulaire qui isole le parc du reste de la ville. Il y aurait probablement une porte d'entrée (il faut bien qu'il y en ait une) dans le parc. Une porte d'entrée avec le gardien de la porte. Le gardien de la porte est une nouvelle fille qui est arrivée d'Afrique et qui m'a écrit une lettre me disant qu'elle voulait être le «gardien d'Auroville» pour ne laisser pénétrer que les «serviteurs de la Vérité»... (riant) c'est un très joli plan (!) Alors je la mettrai probablement comme gardienne du parc, avec un petit logement sur la route, à l’entrée.

Mais ce qui est intéressant, c'est qu'autour de ce point central, il y a quatre grandes sections, comme quatre grands pétales (Mère dessine), mais les coins des pétales sont arrondis et il y a des petites zones intermédiaires: quatre grandes sections et quatre zones... Naturellement, c'est seulement en l’air: par terre il y aura un à-peu-près.

Nous avons quatre grandes sections: la section culturelle au Nord, c'est-à-dire en allant vers Madras; à l’Est, section industrielle; au Sud, section internationale; et à l’Ouest, c'est-à-dire vers le lac, section résidentielle.

Je m'explique: la section résidentielle où se trouveront les maisons des gens qui auront déjà souscrit, et de tous les autres qui viennent en quantité pour avoir a plot in Auroville [un terrain à Auroville]. Ce sera du côté du lac.

La section internationale... On a déjà approché un certain nombre d'ambassadeurs et de pays pour que chacun ait son pavillon: un pavillon de tous les pays (c'était ma vieille idée); certains ont déjà accepté, enfin c'est en route. Chaque pavillon a son jardin avec autant que possible la représentation des plantes et des produits du pays représenté. S'ils ont assez d'argent et assez de place, ils peuvent avoir aussi une sorte de petit musée ou d'exposition permanente des œuvres du pays. Et la construction doit être faite selon l’architecture de chaque pays représenté: que ce soit comme un document d'information. Alors, suivant l’argent qu'ils veulent mettre, ils peuvent avoir aussi des logements pour étudiants, des salles de conférence, etc., la cuisine du pays, un restaurant du pays – ils peuvent avoir toutes sortes de développements.

Image 2

Puis la section industrielle... Déjà beaucoup de gens, y compris le gouvernement de Madras (le gouvernement de Madras prête de l’argent) veulent ouvrir des industries, qui seront sur une base spéciale. Et cette section industrielle est à l’Est, et elle est très grande: il y a beaucoup de place; et elle doit descendre vers la mer. En effet, au Nord de Pondichéry, il y a un espace assez grand qui est tout à fait inhabité et inculte; c'est au bord de la mer en remontant la côte vers le Nord. Alors cette section industrielle descendrait vers la mer et, si c'est possible, il y aurait une espèce de débarcadère (pas exactement un port, mais un endroit où les bateaux peuvent accoster), et toutes ces industries avec les moyens de transports intérieurs nécessaires auraient une possibilité d'exportation directe. Et là, il y aurait un grand hôtel, dont R a déjà fait le plan (nous voulions faire l’hôtel ici, à la place des «Messageries Maritimes», mais le propriétaire, après avoir dit oui, a dit non – c'est très bien, ce sera mieux là-bas), un grand hôtel pour recevoir les visiteurs du dehors. Déjà, pas mal d'industries se sont inscrites pour cette section; je ne sais pas s'il y aura assez de place, mais on s'arrangera.

Puis au Nord (c'est là où il y a le plus de place naturellement), en allant vers Madras: la section culturelle. Là, auditorium (l’auditorium que j'ai rêvé de faire depuis longtemps: il y avait déjà des plans de faits), auditorium avec une salle de concert et de grandes orgues, ce que l’on fait de mieux maintenant (il paraît que l’on fait des choses admirables). Je veux de grandes orgues. Il y aura aussi une scène de théâtre avec des coulisses (la scène rotative, etc., tout ce que l’on fait de mieux). Donc un magnifique auditorium, là. Il y aura une bibliothèque, il y aura un musée, des salles d'exposition (pas dans l’auditorium: en plus), il y aura un studio de cinéma, une école de cinéma; il y aura un gliding club [école de vol à voile]: nous avons déjà presque l’autorisation du gouvernement et la promesse – enfin c'est déjà très avancé. Puis, vers Madras, là où il y a beaucoup de place: un stadium. Et un stadium que nous voulons le plus moderne et le plus parfait possible, avec l’idée (c'est une idée que j'ai depuis longtemps), que douze ans (les jeux olympiques ont lieu tous les quatre ans), douze ans après 1968 (en 1968, c'est au Mexique qu'ont lieu les Olympiades), douze ans après, nous aurions les jeux olympiques en Inde, là. Alors il faut de la place.

Entre ces sections, il y a des zones intermédiaires, quatre zones intermédiaires: une pour les services publics (postes, etc.), une zone pour les transports (gare de chemin de fer et, si possible, un aérodrome), une zone pour l’alimentation (celle-là serait du côté du lac et comprendrait des laiteries, poulaillers, vergers, cultures, etc. – ça se répandrait et incorporerait le Lake estate: ce qu'ils voulaient faire séparément sera fait dans le cadre d'Auroville); puis une quatrième zone (j'ai dit: services publics, transports, alimentation), et la quatrième zone: des magasins. On n'a pas besoin de beaucoup de magasins, mais il en faut quelques-uns pour avoir ce que l’on ne produit pas. Ce sont comme des quartiers, n'est-ce pas.

Et tu seras là, au centre?

H l’espère! (Mère rit) Je ne lui ai pas dit non, je ne lui ai pas dit oui; je lui ai dit: «Le Seigneur décidera.» Ça dépend de mon état de «santé». Déménager, non – je suis ici à cause du Samâdhi, j'y reste, c'est tout à fait sûr; mais je peux y aller en visite (ce n'est pas si loin, il faut cinq minutes en auto). Seulement H veut être tranquille, silencieuse, loin du monde, et c'est très possible dans son parc entouré d'une route avec quelqu'un pour empêcher d'entrer – on peut être très tranquille –, mais si je suis là, c'est fini! il y aurait des méditations collectives, etc. C'est-à-dire que si j'ai des signes (d'abord les signes physiques), puis l’ordre intérieur de sortir, j'irai en voiture là-bas passer une heure l’après-midi – je peux de temps en temps le faire... Nous avons encore le temps, parce que, avant que tout ne soit prêt, il se passera des années.

C'est-à-dire que les disciples resteront ici.

Ah! l’Ashram reste ici – l’Ashram reste ici, moi je reste ici, c'est bien entendu. Auroville, c'est...

Un satellite.

Oui, c'est le contact avec le monde extérieur. Le centre de mon dessin est un centre symbolique.

Mais c'est l’espoir de H: elle veut une maison où elle serait toute seule à côté d'une maison où je serai toute seule – la seconde partie est un rêve parce que moi «toute seule...» il n'y a qu'à voir ce qui se passe! c'est vrai, n'est-ce pas, alors ça ne va pas avec le «toute seule». Il faut trouver la solitude dedans, c'est la seule manière. Mais sur le plan de la vie, je n'irai certainement pas vivre là-bas parce que le Samâdhi est ici; seulement, je peux y aller en visite. Par exemple, je peux y aller pour une ouverture ou pour certaines cérémonies – c'est à voir, ce ne sera que dans des années. Ça va mettre des années à se faire.

En somme, Auroville est plutôt fait pour l’extérieur.

Ah! oui, c'est une ville! par conséquent c'est tout le contact avec l’extérieur. Et un essai de réalisation sur la terre d'une vie un peu plus idéale.

Dans l’ancienne formation que j'avais faite, il fallait une colline et une rivière. Il fallait une colline parce que la maison de Sri Aurobindo était sur le haut de la colline. Mais Sri Aurobindo était là, au centre. C'était arrangé d'après le plan de mon symbole, c'est-à-dire un point au milieu avec Sri Aurobindo et tout ce qui concerne la vie de Sri Aurobindo, puis quatre grands pétales (qui n'étaient pas les mêmes que dans ce dessin, c'était autre chose), puis douze autour (la ville proprement dite), puis autour de cela, il y avait la résidence des disciples (tu connais mon symbole: au lieu d'une ligne, ce sont des bandes; eh bien, la dernière bande circulaire formait la place de résidence des disciples), et chacun avait sa maison et son jardin: une petite maison et un jardin pour chacun. Et il y avait des moyens de communication; je n'étais pas sûre si c'étaient des transports individuels ou des transports collectifs (comme ces petits tramways ouverts dans les montagnes, tu sais), qui passaient dans toutes les directions pour ramener les disciples vers le centre de la ville. Et autour de tout cela, il y avait un mur avec des portes d'entrée et des gardiens à la porte, et on n'entrait qu'avec l’autorisation. Et il n'y avait pas d'argent: à l’intérieur des murs, pas d'argent; aux différentes portes d'entrée, on trouvait comme des banques ou des comptoirs où les gens déposaient leur argent et recevaient en échange des tickets avec lesquels ils pouvaient avoir logement, nourriture, ceci, cela. Mais pas d'argent. Et intérieurement, absolument rien, personne n'avait d'argent – les tickets, c'était seulement pour les visiteurs, qui n'entraient qu'avec un permis. C'était une organisation formidable... Pas d'argent, je ne voulais pas d'argent!

Tiens! dans mon plan, j'ai oublié une chose: je voulais faire une cité ouvrière. Mais la cité ouvrière devrait faire partie de la section industrielle (peut-être un prolongement en bordure de la section industrielle).

Et en dehors des murs, dans ma première formation, il y avait d'un côté, une ville industrielle, et de l’autre côté, les champs, les fermes, etc. qui devaient approvisionner la ville. Mais cela représentait un véritable pays – pas un grand paya, mais un pays. Maintenant, c'est très réduit; ce n'est plus mon symbole, ce n'est plus que quatre zones, et il n'y a pas de murs. Et il y aura de l’argent. N'est-ce pas, l’autre formation, c'était vraiment une tentative idéale... Mais je comptais beaucoup d'années avant d'essayer de commencer: à ce moment-là, je comptais ne commencer que dans vingt-quatre ans. Mais maintenant, c'est beaucoup plus modeste, c'est un essai de "transition, et c'est beaucoup plus réalisable – l’autre plan était... J'ai failli avoir le terrain: c'était du temps de Sir Akbar (tu te souviens?) de Hyderabad. On m'avait envoyé des photographies de l’État de Hyderabad et j'avais trouvé là, dans ces photos, mon endroit idéal: une colline isolée (une colline assez grande) et en bas, une grande rivière qui coulait. Je lui ai dit: «Je voudrais cet endroit», et il avait arrangé l’affaire (c'était tout arrangé, on m'avait envoyé les plans, les papiers et tout comme quoi l’on donnait cela à l’Ashram), seulement ils ont mis une condition (c'était de la forêt vierge, des terrains incultes): on donnait l’endroit à condition naturellement que nous le cultivions, mais que les produits devaient être utilisés sur place; par exemple, les récoltes, les bois devaient être utilisés on the spot [sur place], pas transportés, on ne pouvait rien faire sortir de l’État de Hyderabad. Il y avait même N qui était navigateur et qui avait dit qu'il se procurerait un bateau à voile d'Angleterre pour remonter la rivière et chercher tous les produits pour nous les ramener ici – tout était très bien arrangé! Puis ils ont mis cette condition. J'ai demandé s'il n'était pas possible de l’enlever, puis Sir Akbar est mort et c'était fini, l’affaire est tombée à Peau. Après, j'ai été contente que ce ne se soit pas fait parce que, une fois Sri Aurobindo parti, je ne peux plus quitter Pondichéry – je ne pouvais quitter Pondichéry qu'avec lui (à condition qu'il accepte de venir habiter dans sa ville idéale). J'avais parlé à ce moment-là du projet à Antonin Raymond, celui qui a construit «Golconde», et il était enthousiaste, il m'a dit: «Dès que vous commencerez à construire, vous m'appelez, je viens.» Je lui avais montré mon plan (c'était d'après mon symbole agrandi), il était tout à fait enthousiaste, il trouvait cela magnifique.

C'est tombé à l’eau. Mais l’autre, qui est juste une petite tentative intermédiaire, on peut essayer.

Je ne me fais pas d'illusion sur le fait que ça restera dans sa pureté, mais... on essaiera quelque chose.

Beaucoup dépend de ceux à qui tu confieras l’organisation financière du projet

Organisation financière, pour le moment, c'est N qui s'en occupe, parce que c'est lui qui reçoit l’argent à travers cette Sri Aurobindo Society et qui a acheté les terrains – il y a déjà pas mal de terrains achetés. Ça va bien. Naturellement, la difficulté, c'est de trouver assez d'argent, mais par exemple, les pavillons, c'est chaque pays qui fera les dépenses pour son pavillon; les industries, c'est chaque industrie qui met son argent dans l’affaire; les résidents, c'est chacun qui donne l’argent nécessaire pour son terrain. Et le gouvernement (Madras nous l’a déjà promis) donne de 60 à 80 % (une partie grant [subvention], c'est-à-dire donnée; une partie loan [prêt] sans intérêt et repayable dans dix ans, vingt ans, quarante ans – un repaiement lointain). N s'y entend,3 il a déjà eu assez de résultats. Mais suivant que l’argent rentrera vite ou rentrera seulement petit à petit, ça ira plus ou moins vite.

Au point de vue construction, ça va dépendre de la plasticité de R... Les détails me sont tout à fait égal, il n'y a que ce pavillon que je voudrais très joli – je le vois. Parce que je l’ai vu, j'ai eu sa vision, alors j'essaierai de lui faire comprendre ce que j'ai vu. Et le parc aussi, je l’ai vu – ce sont de vieilles visions que j'ai eues d'une façon répétée. Mais ça, ce n'est pas difficile.

La plus grosse difficulté, c'est l’eau parce qu'il n'y a pas de rivière proche là-haut; mais ils sont déjà en train d'essayer de capter des rivières; il y a même un projet de capter l’eau de l’Himalaya et de traverser toute l’Inde (L avait fait un plan et en avait parlé à Delhi; on lui a objecté que ce serait un peu cher évidemment!). Mais enfin, sans faire des choses aussi grandioses, il faut faire quelque chose pour amener l’eau; ce sera la plus grosse difficulté, c'est cela qui prendra le plus de temps. Pour tout le reste: lumière, force motrice, ce sera fait sur place dans la section industrielle – mais l’eau ne se fabrique pas! Les Américains ont sérieusement pensé à trouver un moyen d'utiliser l’eau de mer, parce que la terre n'a plus assez d'eau potable pour les hommes (l’eau qu'ils appellent «douce»... c'est ironique); la quantité d'eau n'est pas suffisante pour l’emploi qu'en font les hommes, alors ils ont déjà commencé des essais chimiques en grand pour transformer l’eau de mer et la rendre utilisable – évidemment, ce serait la solution du problème.

Mais ça existe déjà.

Ça existe, mais pas en proportion suffisante.

Si, en Israël

Ils le font en Israël? Ils emploient l’eau de mer? Évidemment, ce serait la solution – la mer est là.

C'est à voir.

Puis il faudrait la faire monter.

Un yachting club aussi ne serait pas mal! (rires)

Ah! certainement: avec la section industrielle.

Près de ton port, là.

Ce ne sera pas un «port», mais enfin. Oui, l’hôtel des visiteurs avec un yachting club à côté, c'est une idée. Je vais l’ajouter (Mère note).

Cela aurait sûrement beaucoup de succès (!)

Ça! tu sais, une pluie de lettres, mon petit! De partout, de tous les pays, les gens m'écrivent: «Enfin! voilà le projet que j'attendais», etc. Une pluie.

Il y a aussi un gliding club [école de vol à voile]. On nous a déjà promis un instructeur et un planeur – c'est promis. Ce sera dans la section culturelle, sur le haut de la colline. Naturellement, le yacht club sera sur la mer, pas sur le lac; mais j'avais pensé (parce que l’on parle beaucoup de creuser le lac, il est presque comble), je pensais à une station d'hydravion, là.

On peut faire aussi du bateau sur le lac.

Pas s'il y a des hydravions. Ce n'est pas très grand pour faire du bateau. Mais ce serait très bien pour une station d'hydravion. Mais cela dépendra: si nous avons un aérodrome, ce n'est pas nécessaire; si nous n'avons pas d'aérodrome... Mais déjà, dans le projet du Lake estate, il y avait un aérodrome. S, qui est devenu Squadron Leader [chef d'escadrille], m'a envoyé un plan d'aérodrome aussi, mais pour de petits avions, tandis que nous voulons un aérodrome qui puisse faire le service de Madras régulièrement: un aérodrome de passagers. On en a déjà beaucoup parlé, il y a eu des discussions entre Air India et une autre compagnie, puis ils ne se sont pas mis d'accord – toutes sortes de petites difficultés stupides. Mais tout cela, avec la croissance d'Auroville, tombera tout naturellement – les gens ne seront que trop contents d'avoir un aérodrome.

Non, il y a deux difficultés. Les petites sommes d'argent, on les a (justement, ce que le gouvernement peut prêter, ce que les gens donftent pour avoir un plot [terrain] – ça vient), mais ce sont les sommes massives: n'est-ce pas, ce sont des milliards qu'il faut pour une ville!...

Les Américains sont en train de se ruiner... Il y a un phénomène bizarre: l’argent semble avoir été englouti quelque part, avoir disparu de la circulation – en Amérique, le dollar descend de valeur, ils sont en train de se lamenter. Ici, les gens sont ruinés... Il y a un industriel qui avait une industrie magnifique (il paraît que c'était merveilleux) et avec cet income tax [impôts], le gouvernement a réussi à le ruiner – il a fermé. Puis il a rouvert partiellement et il a refait des papiers pour sa nouvelle société et ses nouvelles industries; or, il avait un chien, il avait donné un nom à son chien, et il a signé les papiers du nom du chien! et il a mis la photographie du chien... (Riant) Alors, naturellement, il a reçu des lettres lui demandant s'il se fichait du monde. Il a dit: «Non, c'est seulement un chien qui peut accepter vos conditions.» C'est bien, non?

Oui, ils se fichent du monde.

Ils sont en train de ruiner le pays.

Il n'y avait qu'un endroit encore où les choses étaient faciles: c'était en Afrique – maintenant, c'est fini; maintenant les Africains (riant) sont pires que n'importe qui! Tu sais combien d'amis nous avions là, combien de choses nous venaient de là – tout fini. Et ils sont ruinés. Alors ils arrivent ici, puis ils rencontrent toutes ces difficultés.

Vraiment, les hommes se compliquent tout!

Mais oui, bien entendu!4

On dirait que c'est un plaisir.

J'avais écrit quelques lignes, tu te souviens, sur le Gouvernement. Où ai-je mis cela? (Mère cherche.) J'ai ajouté quelque chose (ce sera pour plus tard, ce sera le commencement de ma «série politique»):

You leave free hands to the bandits and take insulting measures against the honest people.

It will be like that so long as the country is not governed by the wisest people.

The wisest people are those who can freely and correctly read the hearts and the minds of men.5

Ce sera comme cela tant que le pays ne sera pas gouverné par les gens les plus sages.

Les gens les plus sages sont ceux qui peuvent spontanément et exactement lire le cœur et la pensée des hommes.»

C'était sous forme de conversation. Je dis aux gouvernants:

— Vous laissez les mains libres aux bandits et vous prenez des mesures insultantes contre les honnêtes gens.

Alors, la réponse:

— Mais comment pouvons-nous faire la distinction entre les bandits et les honnêtes gens avant de les voir à l’œuvre?

J'ai dit:

— Oui, ce sera toujours comme cela, vous ferez toujours ce genre de bêtise... jusqu'à ce que le pays soit gouverné par les gens les plus sages.

— Ah! mais comment savoir si ce sont les gens les plus sages?

— Les gens les plus sages sont ceux qui peuvent librement et correctement lire le cœur et la pensée des hommes.


Quelque temps plus tard, le 7 septembre, Mère a été amenée à situer le projet d'Auroville:

Auroville wants to be a universal town...

Une cité universelle – pas internationale: universelle.

... where men and women of all countries will be able to live in peace and progressive harmony above all creed, all politics and all nationalities, straining to realize human unity.6

26 juin 1965

(Sujata montre à Mère une sorte de kyste qui s'est développé dans son cou. Ce banal incident est le point de départ d'une découverte capitale: «l’enroulement cellulaire».)

C'est une tumeur. Probablement un cheveu qui s'est enroulé et que l’organisme a enveloppé d'une couche de peau, et par habitude, il a continué à fabriquer de la peau autour: une couche, puis une autre couche, puis... C'est une bonne volonté imbécile. Et c'est comme cela pour presque toutes les maladies.


Peu après

J'aurais un petit problème à te poser. J'aimerais bien que tu me donnes une indication ou que tu demandes une indication à Sri Aurobindo. Il s'agit de la traduction de certains mots en allemand: le mot «mental» et le mot «esprit».

Et alors?

Tous les traducteurs allemands se disputent, ils sont tous en désaccord.

Oui, je sais!

Depuis longtemps, je suis en rapport avec C.S. pour la traduction allemande de ce livre [l’Aventure de la Conscience], Il a beaucoup pensé (moi aussi) et finalement P a fait une suggestion. Le mot employé pour «esprit» en allemand, «geist», est employé n'importe comment, surtout pour désigner le mental, bien entendu -- comme en français, c'est employé d'une façon très vague. Alors P suggérait que l’on garde le mot «geist» pour le mental, en le qualifiant: mental pensant, mental illuminé, etc. Mais resterait à traduire le mot «esprit», pour lequel il n'y a pas de mot en allemand. Il existe quelques adjectifs dérivés du mot latin «spiritus» mais rien pour «esprit». P suggérait d'employer «der Spirit», dérivé du latin. C.S. est hésitant. Alors je voulais te demander si tu avais une impression quelconque. Peut-on introduire en allemand «der Spirit»? C'est ce genre de choses qui oppose tous les traducteurs allemands.

Mais il n'est pas dit qu'ils accepteront.

Si, déjà, le mot entre dans la traduction de ce livre, et que ce livre soit assez lu, cela fera une base d'acceptation. Je ne sais pas.

Quel est le mot sanscrit pour «esprit»?

C'est le Pourousha, par opposition à la Nature, Prakriti.

Mais tu dis que C.S. ne veut pas de ce «Spirit»?

Il est réticent. Il objecte que c'est un mot latin et non un mot allemand.

Quel est le mot dont ils se servent? Le même que pour «mental»?

Oui: «geist».

Ça ne va pas. «Geist» ne va pas du tout. Pour le mental, ça va bien.

Oui, c'est ce que j'avais senti, d'autant que ce serait très bien de dire pour le supramental, «Übergeist».

(Mère approuve de la tête) Qu'est-ce qu'ils parleront, les gens futurs!... Tout cela est très pauvre. Toutes ces langues sont pauvres. Rien que dans l’Inde, d'une province à l’autre on ne se comprend pas – sans l’anglais, on ne se comprendrait pas du tout.

Il n'y a pas mieux que ce «Spirit»?... Pourousha ne va pas du tout, c'est trop long, trois syllabes... Il n'y a qu'à dire cela à C.S. Seulement s'il n'aime pas cela, ça va l’embêter beaucoup...

C'est un pis-aller.

Mais en français aussi, tout ce que l’on dit est à peu près! C'est-à-dire que l’on adopte son propre langage, c'est très bien, mais on est seul à le comprendre vraiment.

Si l’on prend un mot nouveau, il faut que ce soit un mot qui ait une force, c'est cela qui est important

Des mots comme Tat, Sat, Chit, c'est fort, mais Pourousha... Il n'y a qu'à proposer «Spirit».


(Mère demande au disciple de lui lire une lettre qui vient d'arriver d'Amérique. Cette lettre annonce que certaine personne mourante a miraculeusement recouvré l’usage de la raison et de la parole:)

Ça, c'est très intéressant, mes enfants! parce que quand j'ai reçu le télégramme annonçant qu'il était mourant...

Il faut dire d'abord que quand il a eu son cancer, E m'a demandé d'intervenir; je lui ai répondu: «J'accepte, mais il lui arrivera ce qui sera le mieux pour lui au point de vue spirituel (pas du tout selon la conception humaine).» Il a refusé les traitements des docteurs, il a été de mal en pis; puis ce télégramme que j'avais là encore jusqu'à avant-hier. Et quand j'ai reçu ce télégramme m'annonçant que c'était la fin, tout d'un coup j'ai dit: «Bien, il va commencer à se guérir.» Et je n'ai rien dit à personne. E m'a écrit une lettre, après, me demandant ce qu'il fallait qu'elle fasse de toutes les choses qui allaient lui revenir de droit. Mais avec persistance, il y avait: «Maintenant, ça va aller de mieux en mieux...», et tout le monde attendait le télégramme annonçant que c'était fini. Et puis voilà!

C'est intéressant.

C'était un cancer dans le cerveau.

(silence)

Il a recommencé à parler, à penser... C'est vraiment intéressant.

Seulement l’idée (pas «l’idée» – tiens, tu vois, c'est impossible de parler, mon petit!)... Ce que l’on voyait était ainsi: cet homme n'a jamais cru à une force divine ni à une réalité supérieure à ce qui se manifeste dans l’homme, à rien, et «l’idée» était qu'il devait sentir une intervention (qu'il appellerait du nom qu'il voudrait) supérieure à tout ce que l’on connaît sur la terre.

Est-ce qu'il l’a reconnue?... Que dit-elle?

Non-non! «Does this patient give to You any credit for his marked and miraculous improvement? I have put the question to him specifically – "No, I do not", such is his reply. Nor does the doc, nor does anyone else observing the case. So be it.»1

Alors que pensent-ils que ce soit?

C'est curieux.

(silence)

C'est la précision avec laquelle je l’ai su qui est remarquable, seulement je n'ai rien dit – je ne dis jamais rien, n'est-ce pas. Je ne dis rien pour une raison occulte, c'est que de parler, de prononcer, dérange beaucoup l’action.

C'était basé sur une action DE LA NATURE – de la Nature répondant à une pression d'en haut. Et c'était visible, n'est-ce pas: ce n'était pas pensé mais visible.

C'est drôle, la vie, tu ne peux pas savoir! Je trouve cela intéressant.

C'est clairement un Ordre supérieur donné à la Nature matérielle, qui a obéi.

Je ne sais pas s'il guérira – ce n'est pas sûr. Mais ce qui était important, c'est qu'il recouvre l’entendement et la parole.

30 juin 1965

(À propos d'un kyste)

Que faut-il faire pour Sujata?

Qu'a dit le docteur?

On doit l’opérer demain.

Il a dit qu'il fallait couper?

Oui, mais depuis qu'elle t'en a parlé, ça a beaucoup diminué!

(Mère rit et examine le kyste de Sujata:) Ça fait encore mal?... Il vaut mieux l’enlever parce que s'il en reste un petit bout, ça recommencera.

Mais c'est vrai que ça a diminué.

(Sujata:) Et ça continue de diminuer.

Tu diras au docteur que ça diminue, il verra – peut-être dira-t-il d'attendre encore quelques jours?...

C'est vrai (riant), c'est beaucoup moins gros.1

(silence)

J'ai vu le «docteur pour les yeux», parce que c'était sa «fête» l’autre jour. Il est venu (je ne savais pas que c'était un docteur: on m'avait demandé de le voir pour sa fête, j'ai dit oui), il est venu et quelqu'un a dû lui dire que j'avais mal aux yeux (!) ou quoi, je ne sais pas; alors il avait préparé des gouttes pour les yeux! Il est venu, puis il s'est assis, et puis je l’ai regardé (comme je regarde tous les gens, pour voir). Alors... il a eu l’air très étonné (Mère sourit), je ne sais pas pourquoi, et il a très timidement dit: «J'avais apporté des gouttes pour vous, mais je pense que vous n'en avez pas besoin.» (Mère rit) Il avait l’air tout étonné!

(silence)

Oh! il m'est arrivé avant-hier, dans la nuit, quelque chose de curieux. J'étais avec Sri Aurobindo, c'était une chambre... oh! une chambre... enfin c'était magnifique, c'était haut-haut de plafond, très grand, et il n'y avait rien du tout dedans; mais c'était une très grande chambre et il y avait des espèces de portes-fenêtres qui donnaient sur un balcon ou une terrasse (ça dominait une ville), et ces fenêtres, de bas en haut, étaient une grande vitre: ça donnait une lumière magnifique. Il était là; puis je ne sais pour quelle raison, j'ai eu l’impression qu'il voulait une tasse de thé. Alors je suis partie lui chercher sa tasse de thé et je suis allée dans des chambres, des salles, même des chantiers (!) à la recherche d'une tasse de thé pour lui; et c'étaient toutes de grandes chambres – toutes les chambres étaient grandes –, mais alors, à l’opposé de celle où il se trouvait, qui était si claire, les autres étaient sombres. Et il y avait une grande salle qui était comme une salle à manger avec une table et ce qu'il fallait pour servir, mais sombre – et puis il n'y avait plus rien. Il y avait des gens (des gens que je connais) qui disaient: «Ah! (ton désolé) c'est tout fini.» – On avait tout fini, on avait tout mangé! (Mère rit) tout avalé, il n'y avait plus rien. Enfin, j'ai trouvé quelqu'un dans une espèce de cuisine en contre-bas (quelqu'un que je ne nommerai pas, je connaissais), qui m'a dit: «Oui-oui! je vais vous amener ça tout de suite, tout de suite», et elle m'a apporté un pot en me disant: «Voilà.» Je suis partie avec mon pot, puis j'ai eu une espèce de soupçon et, dehors, j'ai soulevé le couvercle... et la première chose que je vois, c'est de la terre! de la terre rouge. J'ai gratté la terre rouge avec mes doigts, et dessous (riant), il y avait une tranche de pain!

Enfin il y en a long, j'ai eu toutes sortes d'aventures. Puis j'ai regardé si Sri Aurobindo vraiment avait besoin de sa tasse de thé... parce que ça paraissait difficile! Je l’ai vu, il y avait cette admirable porte-fenêtre, si claire, et puis comme dans le mur, je ne sais pas, une sorte de divan-estrade, un endroit pour s'asseoir, mais c'était très joli, et il était assis ou à demi allongé là-dessus, et très confortable. Et il avait appelé un garçon (ou un garçon était venu lui demander quelque chose), et il y avait comme des marches qui conduisaient au divan; le garçon était allongé sur les marches et il lui posait des questions, et Sri Aurobindo lui expliquait quelque chose. J'ai reconnu le garçon... J'ai pensé: «Ah! (riant) il ne pense plus à sa tasse de thé, heureusement!» Puis je me suis réveillée. Mais j'ai pensé: «Si c'est comme cela qu'il nous voit!»... ayant tout boulotte, n'est-ce pas.

Mais il y a quelques années, tu m'avais raconté une vision presque identique où justement tu étais en quête de nourriture pour Sri Aurobindo, et tu ne trouvais rien: les gens qui devaient préparer n'avaient pas préparé ou ne savaient pas préparer...2

C'est cela, c'était la même chose.

Mais c'était très concret, très matériel, et c'était l’impression qu'il y avait eu une plénitude – tout était somptueux –, mais il ne restait plus rien. Tout avait été mangé. J'ai rencontré quelqu'un (je ne les nomme pas, mais je les connais), qui m'a dit: «Oh! oui, c'était un beau festin, mais nous avons tout mangé; il ne reste plus rien, nous avons tout mangé.»

Qu'est-ce que cela veut dire?

Je me suis réveillée – pas «réveillée», enfin quand je suis sortie de là et que j'ai réfléchi le matin, je me suis dit: «Ah! bien, si c'est comme cela qu'il nous voit! avoir tout mangé...» Et je lui apportais un peu de terre dans un pot!

Ça m'a laissée songeuse pendant plusieurs heures.

(silence)

Mais lui, était comme enveloppé d'une étoffe très souple (tu sais, ces choses propres au vital, des étoffes particulières qui ne sont pas tissées) et c'était d'un beau violet – le violet d'une grande puissance.

Mais la chambre où il était... Je me souviens encore de cette impression de lumière, d'une lumière si claire, si claire, si pure, par la fenêtre – on ne voyait que de la lumière.

(silence)

Alors nous avons tout boulotte.

Moi, je ne savais même pas qu'il y avait eu des festins; je ne l’ai su qu'en entrant dans les salles. D'ailleurs, je n'avais pas faim et je ne voulais rien; je n'avais pas l’impression qu'il me manquait quelque chose: je n'avais besoin de rien, c'était très bien.

Et ce n'était pas du tout de la mauvaise volonté, oh! il y avait un grand désir de servir... (Mère rit) mais: «Il n'y a plus rien.»

Qu'est-ce qui avale tout comme cela?

Je ne sais pas...

J'ai parlé (dans cette vision) à deux personnes (qui sont à l’Ash-ram) et à quelques gens du dehors (un ou deux), et ceux-là étaient vraiment d'une bonne volonté complète, ils voulaient servir, n'est-ce pas, mais il n'y avait plus rien. Et celle qui m'a donné le pot n'a pas hésité, elle a dit: «Oui-oui! je vous le donne», et puis elle est revenue avec ça! probablement inconsciente elle-même que ce qu'elle donnait pour du thé était seulement de la terre – du pain et de la terre rouge.

Mon thé, dans mon idée, était très doré – clair et doré; et je voulais lui donner quelque chose avec, je ne me souviens plus quoi.

Tout cela est symbolique, probablement.

Mais...3


Au moment de partir, Mère examine à nouveau le kyste de Sujata en se concentrant:

Tu sais, le truc (il y a un truc), c'est de dire aux cellules que ce n'est pas du tout cela que l’on attend d'elles; comme je te l’ai dit l’autre jour, que ce n'est pas du tout de se mettre ensemble comme cela en paquet, là, que l’on attend d'elles; que ce n'est pas leur devoir de faire cela – les convaincre.

C'est assez curieux. C'est l’origine des habitudes, n'est-ce pas; elles ont l’impression que: «C'est cela qu'il faut faire, c'est cela qu'il faut faire, c'est cela...» (Mère tourne un doigt en rond).

Chez moi, c'est la même chose, mais je leur ai dit. Seulement, il faudrait être conscient du mouvement, et puis, d'une façon très tranquille mais très-très SÛRE, très sûre, dire comme on dirait à des enfants: «Non, ce n'est pas votre devoir de faire cela; ça, ce n'est pas votre devoir.»

Toutes les maladies chroniques viennent de cela. Il peut y avoir un accident (quelque chose se produit, c'est un accident) et alors, il y a une espèce de bonne volonté soumise et inconsciente qui fait que ça se répète: «Il faut répéter, il faut répéter, il faut répéter ça...» (geste en rond). Et ça s'arrête seulement s'il y a une conscience qui est en contact avec elles, qui peut leur faire comprendre que «Non, dans ce cas-ci, il ne faut pas répéter!» (Mère rit)

Il y a des cas où c'est extrêmement utile, ce pouvoir de répéter. Je pense même que c'est cela qui donne de la stabilité à la forme, autrement on changerait de forme ou d'apparence, ou on se liquéfierait.

C'est ce qui travaille pour la durée.

Il y a cette habitude de répétition, et puis le sentiment d'une fatalité. Par exemple, si l’on reçoit un coup ou que quelque chose ne va pas, tout de suite il y a ce sens de la fatalité: «Ah! maintenant c'est comme cela, maintenant c'est comme cela...» (même geste en rond). Alors là aussi (tout cela se passe dans la conscience des cellules), là aussi il faut leur dire: «Non! ce n'est pas irrémédiable: si vous faites comme cela (par exemple, quelque chose est tordu accidentellement), si vous faites le mouvement dans l’autre sens, ce sera remediable.»

Ce ne sont pas du tout des volontés à grands éclats, des puissances, ce n'est pas cela: c'est un pouvoir de conviction très-très tranquille – très gentiment mais d'une façon très sûre et très persistante.

Toutes les choses vitales ne marchent pas – ça a un effet momentané, puis c'est fini.

Oh! c'est très intéressant.

Mais il faut être très modeste pour faire ce travail, il ne faut pas aimer les grands éclats – très modeste. Et très tranquille.4

juillet




3 juillet 1965

Après la lecture du dernier «Commentaire sur les Aphorismes»:1

C'était tellement ennuyeux que j'en avais mal au cœur.

(protestations du disciple)

Enfin, ça ne fait rien.

Pour moi, c'est très différent: les choses, toujours, me paraissent vieilles, appartenir à un passé qui est loin derrière. Surtout ces jours-ci... Par exemple, ce rhume (Mère est très enrhumée), j'ai vu clairement pourquoi je l’ai attrapé (extérieurement, la raison était très simple: celui qui prépare mes cartes est enrhumé et en prenant ses cartes, j'ai pris le rhume), mais pourquoi l’ai-je pris vraiment? Eh bien, cela correspondait à un mouvement en flèche de la conscience des cellules, et alors naturellement, un décalage: tout ce qui refusait (refusait ou était incapable – on a plutôt l’impression de choses somnolentes qui ne tiennent pas beaucoup à faire des progrès) se décale, et alors naturellement ça se manifeste par un désordre.

Bien.

7 juillet 1965

(À propos du dernier rhume. Mère se met à parler en anglais après avoir écouté la traduction anglaise des derniers «Aphorismes» que Nolini a apportée:)

I don't know for others but for a very long time in life when there is an illness (some illness of any kind) automatically the cells forget everything, all their sadhana and everything, and it is only slowly when you get out of the illness, that the cells begin to remember. And then, my ambition was (I remember that, it was long ago, many years ago) my ambition was that the cells should remember when being ill – which is absurd because it would have been better to aspire to have no illness! But for a time it was like that. The first time that the cells remembered, oh! I was very happy. But now, it is the opposite; that is, as soon as the disorder comes, the cells first... first they got a little anxious: «Oh, we are so bad that we are still catching illnesses» – that was a period; and then, afterwards there was the impression: «Oh, You want to teach us a lesson, we have something to learn» – that was already much better: a kind of eagerness. And now there is an intense joy and a kind of power; a power that comes, a power of aspiration and a power of realisation that comes with the sense: «We are winning a victory, we are winning a new victory...» That is my condition of the last days.

I know how this cold came in, it comes only by negligence – not exactly... on ne fait pas attention.

(traduction)

Je ne sais pas ce qu'il en est pour les autres, mais pendant très longtemps dans la vie, quand il y a une maladie, n'importe quelle maladie, automatiquement les cellules oublient tout, toute leur sâdhanâ, tout, et c'est seulement quand on sort de la maladie, que les cellules commencent à se souvenir. Alors mon ambition était (je me souviens, c'était il y a longtemps, bien des années), mon ambition était que les cellules se souviennent pendant qu'elles étaient malades – ce qui est absurde parce qu'il aurait mieux valu qu'elles aspirent à ne pas être malades! Mais à une époque, c'était comme cela. Et la première fois que les cellules se sont souvenues, oh! j'étais si heureuse... Mais maintenant, c'est l’inverse: dès que le désordre vient, les cellules commencent... D'abord elles étaient un peu anxieuses: «Oh! nous sommes si mauvaises que nous attrapons encore des maladies» – c'était une période; puis, plus tard, elles avaient l’impression: «Oh! Tu veux nous apprendre une leçon, nous avons quelque chose à apprendre» – c'était déjà beaucoup mieux: une sorte d'ardeur. Et maintenant, il y a une joie intense et une sorte de pouvoir; un pouvoir vient, un pouvoir d'aspiration et un pouvoir de réalisation viennent avec le sentiment: «Nous gagnons une victoire, nous gagnons une nouvelle victoire...»

C'est l’état de ces derniers jours.

Je sais comment ce rhume est entré, c'est venu seulement par négligence – pas exactement... on ne fait pas attention.

(suite de la conversation)

Par exemple, le docteur avait un rhume, je l’ai su tout de suite; tout de suite, j'ai fait le nécessaire et je n'ai rien attrapé; mais quelqu'un d'autre avait un rhume, je ne faisais pas attention, et en manipulant les choses qu'il manipulait, je l’ai attrapé – je m'en suis aperçue quand c'est entré: c'était déjà trop tard. J'ai dit bon, puis ça a suivi tout son cours. C'était particulièrement violent, je crois parce que les cellules sentaient: «Ah! (d'abord la joie) ah! maintenant nous allons faire un progrès», puis une espèce de force, de puissance de transformation est venue comme cela, avec la maladie, et c'est pour cela que la maladie a pris son plein développement. À un moment donné, ça allait dépasser certaine limite et ce serait devenu très gênant pour le travail, alors j'ai dit: «Non-non! fais attention, parce que je ne peux pas cesser mon travail comme cela.» Comme si l’on disait: «Assez de ces mauvaises plaisanteries, on ne veut plus être malade.» Alors une force est venue, quelque chose... comme un boxeur.

C'était très-très intéressant.

Et le jeu de la volonté sur les cellules, la façon dont les cellules obéissent à la volonté, c'est très intéressant. Parce que c'est entendu, maintenant ce n'est pas une volonté individuelle (ce n'est pas une volonté personnelle, ce n'est rien qui ressemble aux vieilles histoires d'avant), mais c'est... la Volonté d'Harmonie dans le monde: le Seigneur sous son aspect d'harmonie. Il y a le Seigneur sous son aspect de transformation et il y a le Seigneur sous son aspect d'harmonie. Mais le Seigneur sous son aspect d'harmonie a la volonté d'harmoniser; alors cette volonté d'harmonie vient, elle agit à son tour en disant: «Pas tout pour la Volonté de Transformation! Il ne faut pas aller trop vite parce qu'on va tout démolir! Il faut avoir la volonté d'harmonie et que les choses aillent selon un mouvement rythmique et harmonieux», et alors tout s'arrange.

À vrai dire (c'était une étude très serrée ces jours-ci), je ne sais pas ce que c'est qu'une maladie. Ils parlent de virus, ils parlent de microbes, ils parlent... mais on est entièrement fait de ces choses! c'est seulement leur interplay [interaction], leur façon de s'ajuster et de s'harmoniser qui fait toute la différence. Il n'est rien qui ne soit un «microbe» ou un «virus» – ils donnent de vilains noms aux choses qu'ils ne veulent pas, mais c'est tout la même chose!... Pour les cellules, ce n'est pas ça – ce n'est pas ça, mais: suivre la Volonté de Transformation (quelquefois un peu brutale – brutale par rapport à cette toute petite chose qu'est un corps), ou suivre la Volonté d'Harmonie, qui est toujours plaisante, et qui est toujours là même quand, extérieurement, les choses se décomposent.

C'est une explication plus vraie, cela explique mieux que toutes les notions de maladie.

Je ne crois pas beaucoup aux maladies.

Il n'y a pas deux maladies pareilles.

Je suis sûre (je ne suis pas un savant, mais si je savais), je suis sûre qu'il n'y a pas deux microbes pareils.1


Puis Mère passe à «Savitri»: le dialogue avec la Mort.

Il continue? Qu'est-ce qu'il offre encore à Savitri?

Des «daughters», des «sons»! [des filles et des garçons].

Oh! il est ignoble (riant), il est ignoble de vulgarité. (Mère lit:)

Daughters of thy own shape in heart and mind
Fair hero sons and sweetness undisturbed... 2

(X.III.637)

Tu vois cette joie! Oh!... il est d'une vulgarité cet être! Non, il y a vraiment des gens que cela tente?

Je crois que Sri Aurobindo a fait exprès très vulgaire cette Mort, pour décourager tous les illusionnistes et les nirvânistes.

Mais même quand j'étais toute petite, cinq ans, cela me semblait common place [vulgaire], tandis que si l’on m'avait dit: «Qu'il n'y ait plus de cruauté dans le monde», ah! voilà qui m'aurait semblé valoir la peine. «Qu'il n'y ait plus d'injustice, qu'il n'y ait plus de souffrance parce que les gens sont méchants», voilà quelque chose à quoi l’on peut se consacrer. Mais faire des filles et des garçons... Je ne me suis jamais sentie très maternelle physiquement. Il y a des millions et des millions de gens qui font ça, alors recommencer? – Non, vraiment, ce n'est pas pour cela que l’on est né.

10 juillet 1965

(À propos d'une tuberculose «imbécile»:)

Tu vas bien?1

Pas trop.

Où est-ce que ça ne va pas?

Ici, là (gestes).

Oh! mon petit, toutes les sensations sont mensongères! c'est une expérience que je fais des dizaines de fois par jour, dans tous les détails. On sent que l’on a besoin de ceci, on sent que l’on a besoin de cela, on sent que l’on a mal ici, mal là... mais c'est tout faux. En réalité, c'est que l’on est sorti de l’état d'Harmonie, cette Harmonie qui est toujours là, mais on en est sorti, alors on a besoin de ceci, besoin de cela, mal ici, mal là. Quelque chose manque, et c'est Ça qui manque.

On pourrait dire qu'il y a trois états: l’état d'Harmonie – c'est celui vers lequel on tend tout le temps, et quelquefois on l’attrape quelques secondes, alors tout s'arrange comme par miracle; et puis l’état habituel de Désordre où l’on est toujours en bordure de quelque chose de désagréable, en équilibre instable; et quand le désordre devient plus visible, il y a ce qu'ils appellent une «maladie», mais ce n'est pas réel. N'est-ce pas, on considère que le corps est bien portant, en équilibre et que «quelque chose s'introduit du dehors, alors on tombe malade», mais ce n'est pas comme cela! On est TOUJOURS en déséquilibre, le corps est toujours en déséquilibre (plus ou moins prononcé), et c'est quelque chose d'autre, au-dessus, une Volonté ou une Conscience, qui le tient et qui fait marcher. Alors si l’on peut faire appel à cette Volonté – cette Volonté d'Harmonie – et si l’on peut avoir la Flamme dedans, cette Flamme d'aspiration, établir le contact, on sort de la soi-disant «maladie», qui est irréelle, une sensation irréelle et mensongère et seulement une façon d'être du Désordre général, et on entre dans l’Harmonie, alors tout va bien. Encore la nuit dernière, j'en ai eu l’expérience, et c'est pour cela que je peux affirmer avec certitude: toutes les sensations sont mensongères.

Mais quand il y a des signes extérieurs évidents, par exemple des saignements (hémoptysies).

Eh bien oui, c'est un désordre. Mais le désordre est partout! Si ça peut te consoler, mon corps aussi est en désordre... Ce n'est pas nettement un désordre mais c'est un manque presque total d'harmonie – c'est l’état constant de la vie; c'est le résultat de l’effort, de la résistance, de l’endurance, et puis de cette tension à la recherche de quelque chose que l’on espère atteindre, qui vous échappe tout le temps – le quelque chose qui vous échappe, c'est Ça, c'est cette Harmonie (Harmonie qui, dans sa perfection, est l’Ananda, c'est évident). Et l’état constant est comme cela. C'est même cela qui produit la fatigue, la tension, etc. La nuit dernière, j'ai passé toute la nuit à regarder cela et je me demandais: «Comment se fait-il?... On est dans cet état tout le temps, tendu à vouloir quelque chose qui vous échappe.» Et alors les sens, tout le domaine des sens semble être dans un état mensonger constant, et il se sert de cet état de tension pour vous donner l’impression que ceci ne va pas et cela ne va pas, et ça, et ça... Et si par malheur, il y a un semblant de collaboration mentale (de ce fameux mental physique), alors ça tourne mal, ça devient vraiment quelque chose de désagréable.

Mais ce n'est pas inévitable. Ce n'est pas inévitable et ce n'est pas réel – ce que j'appelle «réel», c'est quelque chose qui vient de la Volonté suprême, directement. Ça, c'est vrai; le reste, ce n'est pas vrai, c'est le produit de toute la confusion (geste qui descend en zigzag) et de tout le désordre de la conscience humaine – la maladie n'est pas vraie. Je ne crois pas qu'il y ait une maladie sur cent (oh! peut-être sur mille) qui soit vraie. Il y en a qui sont l’expression d'une Volonté pour que quelque chose qui ne va pas soit bien secoué, démoli, et que, dans ce chaos, une chose plus vraie puisse se former – mais c'est un état exceptionnel.

J'ai un champ d'expérience très étendu. Je reçois une pluie de lettres des uns, des autres, chacun pour son petit désordre, sa petite maladie, son petit inconvénient, et demandant naturellement de mettre tout cela en ordre. Alors je suis mise en contact avec la vibration (tous les gens d'ici: cela fait beaucoup), eh bien, je peux dire vraiment qu'il n'y en a pas, oh! il n'y a pas un quart sur cent qui soit l’expression de la Volonté directe – c'est quelque chose... (geste de chute en zigzag) qui fait comme cela et qui dans la conscience humaine se met à s'embrouiller comme un fil tellement tordu qu'on ne peut plus le défaire. Et à cause de cet état-là, on est à la frontière, oui, d'un malaise (ça, presque constamment), d'une maladie, d'un désordre. Et c'est la collaboration mentale défaitiste (parce que ce mental a pour caractère spécial d'être défaitiste), la collaboration du mental défaitiste et des sens mensongers qui vous font la vie que nous vivons, qui n'est pas amusante.

Pendant deux heures la nuit dernière, j'ai vu cela, avec preuves à l’appui, exemples. J'ai regardé, j'étais presque horrifiée de voir à quel point les sens déforment – et ils déforment... (je ne sais pas, il y a peut-être des gens qui déforment pour le bien, (riant) ce n'est pas mon cas! mais ce doivent être des optimistes merveilleux), ils déforment toutes les vibrations et ils en font tout le temps des choses désagréables, en tout cas pas plaisantes, ou même des «indications de danger», des «avertissements de catastrophe». C'était assez répugnant. Mais j'ai laissé libre cours à tout ce mouvement pour bien voir, et toutes les organisations cellulaires et autres ont commencé à gémir-gémir-gémir... comme si elles disaient: «Mais cette vie est in-to-lé-rable, intolérable.» Et j'ai écouté ça un petit moment pour voir; et ici, et là et là et partout, et c'était un gémissement général. Et à la fin (geste de descente de la Volonté): en une seconde c'était parti!... C'était toute une comédie que ces sens se jouent à eux-mêmes. Nous sommes des êtres ri-di-cules, voilà (Mère rit). C'était ma constatation de cette nuit.

Naturellement, les gens ne sont pas comme cela ouvertement et constamment parce qu'il y a une autre conscience qui est là un petit peu et qui contrôle, mais si on laisse faire... J'ai fait l’expérience, n'est-ce pas, de laisser la pleine liberté à ce champ de conscience cellulaire, alors c'est une lamentation. Mais il y avait derrière, au fond, tout au fond des cellules, cette espèce de foi, de besoin absolu de l’Ananda; alors elles se plaignaient: «On nous a trompées, nous ne sommes que pour Ça et pourquoi ne nous le donne-t-on pas?» (J'ajoute des mots, mais ce n'étaient pas des mots: c'étaient des sensations.)

Bien sûr, on ne s'en aperçoit pas parce que, dans le courant de la vie, ce n'est pas cela qui gouverne – heureusement! On regarde ça d'un peu plus haut et on ne veut pas le voir – mais C'EST LÀ. Et c'est terriblement défaitiste.

Tu ne sais pas... Moi aussi, on m'aurait dit cela il y a quelque temps, j'aurais dit non!

Oui, mais quand, jour après jour, certains désordres se reproduisent, on se dit qu'il y a quelque chose qui ne va pas.

Mais ce n'est pas «quelque chose» qui ne va pas! Il n'y a rien qui va – tout va de travers.

Tu connais la pièce de Jules Romains où le médecin déclare que l’homme bien portant est un malade qui s'ignore? Eh bien, ça donne cette impression-là; le désordre est constant, et justement parce que l’on vit dans une autre conscience, on ne le voit pas, mais si on observe, on est sûr de trouver. N'est-ce pas, si j'observe avec cette façon de voir, il n'y a absolument rien, nulle part, qui soit normal, qui marche harmonieusement – rien. Tout est comme cela (même geste zigzaguant) et c'est un chaos, et ça continue à fonctionner simplement parce que ce n'est pas laissé à soi-même, parce qu'il y a une Volonté supérieure qui se sert de tout cela, tant bien que mal. Mais c'est un tant bien que mal.

J'ai regardé tous les cas (parce que ça m'intéresse beaucoup), j'ai regardé ton cas, j'ai regardé son cas, j'ai regardé tous les cas, mais il n'y a pas un cas où l’on puisse dire que c'est une maladie vraie. l’idée de maladie, c'est: un corps (enfin un être physique) qui vit suivant certaines lois, puis tout d'un coup un désordre, quelque chose qui s'introduit, qui s'établit et qui dérange; mais ce n'est pas cela! ce n'est pas cela: c'est quelque chose qui n'est pas en ordre – le corps n'est pas en ordre –, seulement il y a une dominante dans la conscience: quelque chose qui est mis en contact avec ce désordre, et quelque chose qui ne s'en soucie pas, qui marche. Et j'ai fait la même étude pour les gens soi-disant bien portants: c'est la même chose. Alors, la conclusion, c'est qu'il faut donner le plein pouvoir, c'est-à-dire faire gouverner toute cette espèce de mélange désordonné par une Volonté supérieure, qui s'impose – elle s'impose. Et alors au moins, si ce n'est pas remis tout à fait en ordre, c'est gardé dans certaines limites et ça peut continuer à servir d'instrument à la Volonté qui veut se manifester.

Je vois cela très clairement, pas seulement pour ce corps-ci, pour les autres aussi; mais pour ce corps-ci, c'est dans les plus minuscules détails parce que l’observation est plus constante: il aurait eu déjà au moins cent raisons de mourir, et s'il n'est pas mort, ce n'est pas de sa faute. Ce n'est pas de sa faute, c'est parce qu'il y avait quelque chose (qui heureusement n'est pas une volonté personnelle), qui disait: «Non! va! va, continue, ne t'occupe pas de toi.» Autrement, ça s'en va en petits morceaux.

Maintenant, tout cela n'est pas pour te dire de faire comme moi; si tu veux prendre la chose par le bout ordinaire et considérer que c'est une «maladie», va te montrer au docteur et prends des remèdes, je ne m'y oppose pas, mais c'est simplement une manière de voir les choses.

Maintenant, dis-moi quelles sont tes grievances! [doléances]. Oui, qu'est-ce que tu observes et qui ne marche pas?

(geste à la poitrine, ici et là)

Je peux te dire que les déformations mentales de docteur sont effrayantes: elles se collent dans votre cerveau, elles restent là, et elles reviennent dix ans après. Je le sais par expérience personnelle, ça revient tout le temps: «Le docteur a dit que c'est comme cela, le docteur a dit que c'est comme ceci, le docteur a dit...» Pas avec des mots, mais ça vient.

Mais ça ne fait rien, on peut prendre le désordre par ce bout-là et puis voir.

Mais je ne crois pas en leurs remèdes! Leurs remèdes ne m'ont rien fait

Ils ne t'ont jamais rien fait? À moi non plus! mais ça ne fait rien, j'en prends tout de même!

Je suis un traitement.

Oh! tu suis un traitement.

Oui, des comprimés.

Oh! ça ne sert à rien.

Je n'ai pas l’impression. Enfin, je n'en sais rien.

Tu n'en sais rien. Comme ce pauvre Pavitra qui a essayé toutes sortes de traitements, et puis...

Alors, qu'est-ce qui ne va pas? Tu as de la difficulté à respirer?

Un peu comme cela. Et puis chaud-chaud.

Oui, (riant) il fait chaud!

Oui, ça aussi! surtout le soir, le corps est un peu comme une bouilloire. Il y a aussi un peu de sang qui vient.

Tu n'as pas essayé ça? Il faut attraper le rapport avec les cellules du corps, et puis leur dire que ce n'est pas nécessaire que le sang sorte – (riant) ça ne fait pas partie du jeu! Tu peux te ficher un peu d'elles: «Vous n'avez pas besoin de faire comme cela!» Je t'assure, c'est tellement grotesque que le seul moyen, c'est de le prendre par le rire.

Oui, il ne faut pas y faire attention.

Non, ce n'est pas cela! Si tu n'y fais pas attention, elles continueront leur danse et croiront, au contraire, que tu approuves leur manière d'être. Il faut tirer la Volonté, il faut attraper la Volonté – je la mets en toi, mon petit, la Volonté! Je ne te demande pas de te servir de quelque chose d'illusoire: je la mets en toi, une Volonté for-mi-da-ble. Et tranquille, tu sais, quelque chose qui n'emploie pas de violence, qui est comme cela (geste de descente massive, imperturbable).

En tout cas, je peux te dire que c'est aussi efficace que les remèdes! Et que cela n'a pas les inconvénients des remèdes parce que les remèdes vous guérissent d'une chose et vous en donnent une autre.

Depuis combien de temps prends-tu des remèdes?

Depuis Vellore. Le traitement est de deux ans.

Ils ont dit deux ans? Alors il faut faire deux ans! Il faut faire comme ils disent. Ils ont, oh!... ils ont un pouvoir hypnotique sur la conscience matérielle, qui est un peu... inquiétant.

Je pourrais te raconter toutes sortes d'histoires, mais enfin les histoires de docteurs ne sont pas amusantes; ce sont toujours des détails ridicules. Et ça revient: on envoie leur suggestion se promener, on ne s'en occupe pas, on croit que c'est tout fini, et c'est parti dans le subconscient; et tout d'un coup, un beau jour, avec un tout petit incident, ça revient, formidable: «Le docteur a dit ça... tel docteur a dit ça – le Docteur, avec un grand D, a dit ça, ou "la Science Médicale" a dit ça», alors les cellules commencent à s'affoler – un pouvoir hypnotique épouvantable.

Non, c'est un sujet intéressant... (riant) J'ai l’air de ne pas prendre au sérieux ton malheur! mais c'est un sujet, je t'assure, qui est très intéressant. Pour moi, ça appartient entièrement au monde du Désordre, ça n'a pas de vérité profonde – ça n'en a pas. Et par conséquent, si on laisse le pouvoir de la Vérité agir, ça doit céder. Je ne dis pas que ça cède volontiers, je ne dis pas que ça s'en aille comme par miracle, non, mais ça doit céder.

Oh! je pourrais parler pendant des heures!

Tu devrais t'asseoir [Mère était debout tout ce temps-là]. Non. Je ne tiens pas essentiellement à m'asseoir!

(silence)

Et quel est ce traitement?

C'est le traitement prescrit dans ces cas-là.

Oui-oui, classique...

Je peux te dire (si cela aide ton mental physique), qu'au Japon, j'ai eu une sorte de rougeole (qui avait ses raisons assez profondes) et que le docteur japonais (qui d'ailleurs avait fait ses études en Allemagne, enfin il était Docteur en plein) m'a dit très gravement que je devais faire attention, que j'avais un commencement de cette merveilleuse maladie, et qu'il fallait surtout que je n'aille jamais dans un climat froid, et que ceci et que cela... Je maigrissais, etc. C'était au Japon; puis je suis arrivée ici et j'ai dit cela à Sri Aurobindo, qui m'a regardée et qui a souri; et c'était fini, on n'en a plus parlé. On n'en a plus parlé et puis ça n'a plus été! (Riant) C'était tout fini. Quand j'ai rencontré le docteur S, des années plus tard, je lui ai demandé – «Rien du tout, tout va bien; il n'y a absolument rien, pas une trace.» Et je n'avais rien fait, pris aucun remède, pris aucune précaution. Seulement, je l’avais dit à Sri Aurobindo, qui m'a regardée et qui a souri.

Eh bien, je suis convaincue que c'est comme cela, voilà. Seulement, le mental physique n'y croit pas. Il croit que ça, c'est très bien dans les domaines supérieurs, mais quand nous sommes dans la Matière, les choses suivent une loi de la Matière et sont matérielles et mécaniques, et c'est un mécanisme, et quand le mécanisme... etc. (pas avec ces mots, mais avec cette pensée). Et il faut être tout le temps à travailler là-dessus, tout le temps lui dire: «Oh! arrête-toi avec toutes tes difficultés, tais-toi!»

Seulement, il faut la Flamme – la Flamme dedans –, la flamme de l’aspiration et la flamme de la foi; et puis vraiment le quelque chose qui veut que ça cesse. N'est-ce pas, que ce soit comme ceci ou comme cela, je n'ai pas besoin de présenter la chose à ma pensée et que ma pensée l’accepte; parce que c'est un jeu très dangereux: quand on cherche l’égalité d'âme, on se dit: «Eh bien, si ça et ceci arrive, quelle sera ma réaction?», et on continue le petit jeu jusqu'à ce que l’on dise: «Moi, ça m'est égal.» C'est un jeu très dangereux. C'est encore une façon de tourner en rond autour du but au lieu d'entrer dedans.

Il n'y a qu'une chose: c'est une espèce de flamme – une espèce de flamme qui brûle tout ce mensonge.

Je n'ai rien à dire pour me vanter, tu sais! Je prêche pour ce corps autant que pour les autres. Je devrais être droite, forte, solide-Pourquoi suis-je comme cela, voûtée? – Je le sais, pourquoi, mais ce n'est pas un compliment. Je le sais, c'est parce que tout cela est encore soumis à toutes ces suggestions du monde, toute cette pensée médicale et ce qui s'ensuit et toutes les suggestions de la vie. Et les habitudes. Et tout ce monde ici... Alors, il n'y a pas de quoi se vanter. Seulement je sais (l’avantage est que je le sais), je sais que cela devrait être autrement. Je le sais et les cellules le savent aussi, et je te l’ai dit: hier soir, elles en pleuraient, là, sur mon lit; elles étaient là à gémir-gémir: «Je ne suis pas faite pour cette vie d'obscurité et de désordre, je suis faite pour la Lumière, pour la Force et pour l’Amour» – «Ah! alors prends-le!» Et elles gémissaient: «Pourquoi m'oblige-t-on à être comme ça?...» Et tout d'un coup, au lieu de leur laisser libre jeu: la Pleine Présence – en une seconde, c'était parti. Seulement la suggestion collective, l’atmosphère collective est si... on peut dire pourrie, que ça agit tout le temps.

Mais toi (s'adressant à Sujata), tu es l’une de celles qui peuvent dire que quand je viens la nuit, je suis grande et forte. Et la nuit, je travaille, je suis grande, je suis forte. Et ça continue de gémir! C'est imbécile. Et non seulement imbécile, mais il y a encore cette espèce de self-pity, apitoiement (Mère se caresse la joue) qui est de toutes choses la plus répugnante: «Oh! mon pauvre petit, comme tu es fatigué. Oh! mon pauvre petit, comme les gens te fatiguent, comme la vie est dure, comme c'est difficile...» Et puis gémir-gémir comme un imbécile. Si ce n'était que moi, je leurs flanquerais une bonne tripotée! mais on me demande de ne pas le faire, alors je ne le fais pas. Mais j'ai vraiment le sentiment que devant les yeux de cette Grâce merveilleuse – n'est-ce pas, de cet Amour divin splendide et de cette Puissance omnipotente –, nous sommes profondément ridicules, voilà.

(silence)

Il y a de malicieux esprits, aussi. Des esprits malicieux qui viennent suggérer toutes sortes de choses. Il y a une zone, là, tout près du physique, tout près – une zone de larves, mon petit! Toutes les mauvaises suggestions de toutes les catastrophes possibles, de toutes les malices méchantes, de toutes les envies... C'est écœurant. Tout ça grouille comme si l’on mettait le nez dans un vase plein de vers. C'est embêtant.

Eh bien, oui! je vais essayer de te faire un cocon. Avant de dormir, quand tu es couché, il faut faire appel à la Lumière blanche, ma lumière blanche, et puis je vais faire attention. Enveloppé comme ça: un cocon, un bon petit cocon tout blanc. Comme cela on peut dormir tranquille.

Les nuits sont horribles.

Oui, n'est-ce pas. C'est pour cela que je te dis d'appeler ma lumière. Oui, c'est horrible. Tu as des cauchemars?

Ce ne sont même pas des cauchemars: c'est dégoûtant. Les trois quarts des choses dont je me souvienne, ce sont des sortes d'égouts, des lieux infâmes. C'est... c'est terrible.

Oui, c'est cela. Si tu savais ce que l’on me montre!...

Il y a deux ou trois nuits aussi, j'ai eu un rêve symbolique. Tu sais que c'est ton ancien grillage-moustiquaire que l’on a posé dans ma chambre?

Oui.

Eh bien, il y avait un petit être qui avait fait un trou dedans. Un être assez intime parce que je l’ai attrapé comme un enfant, en disant: «Mais si tu fais un trou, tous les moustiques vont entrer.» Puis je me suis aperçu qu'il y avait une grande déchirure.

Ah!

Et je me suis dit: «Tous les ennemis vont entrer», ou «tous les moustiques vont entrer.» Une grande déchirure.

Tu l’as raccomodée?

Non, cela m'a réveillé parce que j'étais très ennuyé.

(Mère reste concentrée, puis demande:) Ton frère, le médecin, ne t'a rien dit? Il ne t'a pas donné de conseils?

Si, des indications au sujet du nombre de comprimés à prendre. C'est tout.

Il croit aux comprimés?

Il dit: «À partir du moment où l’on suit un traitement, il faut que ce soit le mieux possible.»

Ah! oui, je suis pleinement d'accord, et scrupuleusement, parce que ça représente une formation. Au moins quatre-vingt-dix pour cent des docteurs sont de bonne volonté, ils veulent vous guérir (il y en a qui s'en moquent, mais pas beaucoup – 90% veulent vous guérir), alors il faut donner plein pouvoir à leur formation. Pas la contredire parce que ça n'a plus d'effet et ce n'est pas la peine.

(l’heure sonne)

J'ai bavardé une heure? Regarde-moi ça, si ce n'est pas honteux!

Attends, j'avais une fleur que j'avais mise de côté pour toi, elle est jolie.

La volonté de vaincre, mon petit, c'est ça! Pas une volonté ici ou là ou là (geste en divers points du corps), pas ça, pas la victoire personnelle sur la maladie: la victoire sur le monde. Au fond, nous sommes ici pour ça; je ne sais pas si ce sera pour cette fois-ci, mais en tout cas c'est cela que l’on veut de nous. Nous sommes ici pour ça: se battre. Alors on nous fait battre, et comme c'est la façon (comment dire?) la plus intime, c'est le corps qui est touché.2

(silence)

Je crois que ça suffit pour aujourd'hui!

Tu manges bien?

Oui-oui!

Vraiment bien, ou tu fais semblant?

Je mange bien.

C'est bon ce qu'on te donne à manger? Je veux dire: c'est nourissant?

Ah! oui, c'est très nourissant.

Tu as des troubles de digestion, mais tu assimiles?

Je crois.

Alors ça suffit. Les troubles digestifs, ça, mon petit, ça n'empêche pas de vivre 86 ou 87 ans. Ça n'empêche pas. Depuis qu'André est né, c'est comme cela; ça fait (j'avais juste vingt ans), ça fait soixante-sept ans. Eh bien (riant), je te donne soixante-sept ans à vivre!3

Et puis, tu sais, je l’ai toujours dit: les ennemis qui veulent vous faire peur ou qui veulent vous attrister ou qui veulent vous inquiéter, la seule chose à faire est de leur rire au nez, voilà. Se fâcher? Ils sont contents, ils disent: «Il est fâché» – Non-non. Taper? Ils échappent, ils sont comme de la gélatine, ça ne touche pas. Mais quand on leur rit au nez, ça les embête beaucoup! C'est la seule chose: se ficher d'eux. Ce sont des histoires pour effrayer les bébés, pas pour nous.

Nous, nous vivons dans l’éternité.

Et je te dis (c'est l’état de conscience normal, naturel), il n'a pas fallu une minute la nuit dernière: il a fallu une seconde, brrf! fini. Et alors je suis entrée dans une sorte de joie tranquille, comme cela, qui a duré trois heures sans interruption. Après, on a recommencé à travailler.

Mais avant de dormir, tu fais ça: tu imagines (tu imagines si tu ne le vois pas), tu imagines une lumière blanche. Ce n'est pas une lumière cristalline, note, ce n'est pas transparent: c'est blanc – c'est blanc-blanc, un blanc tout à fait éclatant, une lumière blanche qui a l’air solide. Tu l’imagines comme cela (et elle est comme cela, mais tu l’imagines): une lumière blanche. C'est la lumière de la Création, comment s'appelle-t-elle?... Maheshwari? (Riant) La suprême Dame là-haut.

Oui, Maheshwari.

La lumière de Maheshwari. Mais il paraît que je l’avais toujours, parce que Mme Théon, quand elle m'a vue, c'est la première chose qu'elle m'ait dite; elle n'a pas parlé de «Maheshwari» mais elle m'a dit: «Vous avez la lumière blanche» qui dissout automatiquement toutes les mauvaises volontés. Et ça, j'en ai fait l’expérience: j'ai vu des êtres qui tombaient en poussière. Alors tu prends ça, tu imagines ça, et puis tu fais un cocon autour de toi – tu sais, comme les insectes se font leur cocon –, tu fais un cocon avant de t'endormir. Je le ferai ici, mais ton «imagination», c'est pour aider à ce que ce soit mieux adapté, ajusté. Tu fais un cocon, et puis quand tu es bien enveloppé de ce cocon blanc, que les ennemis ne peuvent pas traverser, tu te laisses aller au sommeil. Alors tout ce qui vient du dehors et d'une mauvaise volonté notoire ne peut pas passer. C'est sûr. Naturellement, il y a ce que l’on porte dans son subconscient... ça, il faut l’éliminer par sa propre volonté, petit à petit.

Mais cette Lumière, c'est tout-puissant, mon petit! (S'adressant à Sujata:) Toi aussi, tu peux faire la même chose si tu as des ennemis la nuit.

(Sujata:) Je l’ai vue, tu sais, cette lumière blanche.

Tu l’as vue?

Oui, j'ai vu.

Eh bien, c'est très bien. Tu es une bonne voyante, forcément tu l’as vue. Mais moi, je l’ai vue, n'est-ce pas, comme si c'était la lumière de quelqu'un d'autre – c'est ma nature. Je m'en servais même avant de rencontrer Théon: je ne savais rien, n'est-ce pas, rien, mais je la voyais. Et c'est Mme Théon qui m'a dit: «C'est votre lumière.» C'est Mme Théon qui a été la première à me dire ce que j'étais, ce qu'elle a vu: la couronne des douze perles sur ma tête. Et moi, j'en ai eu l’expérience, et après je pouvais m'en servir simplement à volonté: il suffisait que je fasse appel à ça. Et je la voyais comme je te vois, d'une façon tout à fait objective.

Mais je t'ai raconté l’histoire de I qui était avec Dilip? Elle avait été avec un gourou, un sannyasin ou je ne sais quoi, avant de rencontrer Dilip, et il était absolument furieux qu'elle l’ait quitté, et il l’a maudite. Sa malédiction lui a donné une espèce de thrombose (tu sais, quand le sang s'arrête de circuler et se coagule), enfin c'était ici, dans le cou, près du bras droit, je crois, et c'était très douloureux – c'était même dangereux. Elle me l’a dit. Moi, je l’ai dit à Sri Aurobindo et Sri Aurobindo m'a dit de la protéger. J'ai envoyé ma lumière au Monsieur. Cet homme, il lui est arrivé des choses épouvantables! une maladie affreuse dont il est mort. Et I est allée le voir à ce moment-là, un peu avant qu'il meure, et l’homme (qui était conscient) lui a dit: «Voilà ce que votre Mère a fait de moi.» Il avait été conscient. Alors j'ai vu que mon affaire était tout à fait objective, parce que je n'avais jamais dit un mot, rien, à personne. Et surtout, cette lumière avait passé par Sri Aurobindo... J'ai tout simplement fait ça, j'ai mis la lumière, et le Monsieur est parti... pour que ça cesse. Et comme il n'était pas très-très pur, ça s'est traduit par une affreuse maladie.

Maintenant, au revoir, mes enfants.

Alors, si tu veux dormir tranquillement, tu fais un petit cocon avant de t'endormir. Au revoir, mon petit.

Et à toi, je te recommande: l’irréalité des conceptions humaines de maladie.

14 juillet 1965

Mère tient à la main une série de petits bouts de papier:

Ce matin, j'étais dans une espèce de zone – une zone ou un filon... Tu sais, les filons d'or dans la terre? C'était comme cela. Dans la banalité mentale du monde, il y avait une espèce de filon lumineux qui passait et dans lequel je me suis trouvée plongée – on était bien, c'était très confortable. Et j'avais commencé à noter des choses, puis ces gens sont arrivés avec toutes les inepties habituelles, chacun demandant quelque chose, chacun enfermé comme cela (geste en œillères), alors c'est parti.

J'appelais cela: «Quelques définitions.»

La première était à propos d'une personne qui s'en allait et qui voulait emporter quelque chose (béni par Mère) pour sa famille. Je lui ai dit: «Oh! ils ne sont pas réceptifs.» Alors il a demandé: «Qu'est-ce qu'être réceptif?» (pas à moi, mais en sortant d'ici, il se grattait la tête et il a demandé à son ami: «Qu'est-ce que Mère veut dire? Qu'est-ce qu'être réceptif?»). J'ai répondu en anglais et cela a pris beaucoup-beaucoup de formes, et aujourd'hui, c'est l’une des choses qui est venue dans ce «filon». Et ce qu'il y a de particulier dans ce genre d'expérience, quand cela vient, c'est que les mots revêtent un sens très précis; je ne sais pas du tout si c'est le sens habituel, mais ils ont la vibration de leur sens, une espèce de petite vibration cristalline. Et ça vient sans retouches. J'ai mis:

«Être réceptif, c'est sentir le besoin et éprouver la joie de donner à l’Œuvre divine
tout ce que l’on a,
tout ce que l’on est,
tout ce que l’on fait.»

C'est la première qui est venue. Après, venait la vieille histoire de «être pur» – qu'est-ce qu'être pur? Cela ne veut pas dire toutes sortes de vieilles idées morales, non.

«Être pur, c'est refuser...

C'est-à-dire qu'il y avait la sensation d'une chose très active – très active: il ne suffisait pas d'être passif, il fallait être très actif.

... refuser toute autre influence que celle de l’Amour-Vérité suprême.»

«Suprême» au singulier.

Puis une troisième définition est venue:

«Être sincère, c'est unifier tout son être autour de la suprême Volonté intérieure.»

Unifier tout son être autour de la suprême Volonté intérieure. Et cette suprême Volonté était visible, comme une flamme qui aurait la forme d'une épée; et on ne laisse rien agir que dirigé par Ça.

Puis, la dernière (la dernière parce que l’on m'a apporté mon petit déjeuner et j'ai été obligée de cesser):

«Être intégral, c'est faire une synthèse harmonieuse de toutes ses possibilités.»

C'était accompagné de la vibration que cela comportait. Et ça aurait pu continuer, c'était là, et puis j'ai été interrompue. En tout cas, c'est plus amusant que d'écouter leurs histoires.

l’inspiration de tout cela était ce filon d'or?

Oui. C'est de la lumière, ce n'est pas de l’or. C'était de la lumière comme une bande (geste). Puis on baigne là-dedans, on est très content.

Et cela m'avait apporté (ce que je viens de dire n'est rien, c'était la fin) une claire vision de ce qui est nécessaire pour le monde, les transformations nécessaires dans l’atmosphère mentale de la terre pour qu'il n'y ait plus de guerres, par exemple. Le «plus de guerres» était l’une des conséquences. Et chaque chose était à sa place l’une par rapport à l’autre (Mère dessine comme un échiquier), et il y avait une vision si claire, si claire de toutes les relations, de toutes les positions, tout cela.

C'est très amusant.

Je veux dire que c'est une distraction agréable. Cela vous donne l’impression de voir très clairement tout ce qui doit arriver dans le domaine... pas positivement des idées, mais des réactions psychologiques.

Et cela ne dépend pas de moi, je ne fais pas un effort: ça vient, comme cela. C'est quelque chose qui vient, puis c'est comme si l’on me mettait dans un bain et je n'ai qu'à regarder. Ça vient tout prêt, sans effort. C'est un ÉTAT dans lequel je me trouve, avec la vision, par exemple, du progrès mental terrestre, de la façon dont s'organise la mentalité humaine (même geste comme un échiquier); et c'est très intéressant parce que les conditions de vie sont conditionnées par des états de pensée, alors je vois comment il faut changer l’état de pensée pour que la vie soit changée (Mère dessine des courants de force sur cet échiquier). Et je suis là comme si j'étais assise au théâtre, et puis je regarde, et ça marche.

Si j'étais tranquille, j'écrirais (parce que ça vient tout formulé) et ça pourrait être intéressant. Ça doit appartenir au domaine de la révélation. C'est comme une bande lumineuse qui passe, mais c'est tout organisé. Seulement, il faut être tranquille (la dernière note, je l’ai griffonnée ici pendant que l’on préparait mon petit déjeuner, et après...). Mais enfin, ce n'est pas d'un intérêt transcendant; c'est seulement parce que c'est très clair, très précis, et évidemment ça n'a pas le caractère de la pensée humaine ordinaire: c'est tout prêt, ça vient tout prêt.

Dans cet état-là, par exemple, toutes les cellules, tout le corps se tient tranquille – on n'a plus de corps, on n'a plus de cellules, on n'a plus tous ces désordres, toutes ces frictions: tout ça s'en va. Ça disparaît et c'est cette autre conscience qui domine. On comprend que celui qui pourrait rester là-dedans pourrait vivre indéfiniment. Mais probablement, c'est conditionné, en ce sens que les autres doivent avoir leur champ d'activité aussi, autrement le progrès ne serait pas général. Mais enfin, ce n'est rien de vraiment transcendant, c'est intéressant.


(Peu après, le disciple propose à Mère de publier quelques brefs extraits de la dernière et si intéressante conversation sur les maladies, dans les «Notes sur le Chemin», une nouvelle rubrique ouverte dans le Bulletin de l’Ashram sur les instances du disciple. Nous voulions en effet que l’Ashram profite un peu – au moins quelques gouttes – du trésor de l’expérience de Mère. Ce sont ces «Notes sur le Chemin» qui, après le départ de Mère, ont été froidement et frauduleusement rebaptisées «Agenda de Mère» par les dirigeants de l’Ashram avec l’espoir de voler le titre, de jeter la confusion dans les esprits et d'empêcher à tout prix la publication intégrale de l’Agenda véritable, qu'ils osaient déclarer «non-authentique», tant ils avaient peur de la claire perception de Mère sur son entourage et sur l’Ashram en général. Nous nous souvenons comme nous avons dû insister auprès de Mère pour qu'Elle nous permette de publier ces «Notes sur le Chemin». Nous comprenons mieux maintenant ses réticences.)

Je m'étais demandé si l’on ne pourrait pas se servir de cette dernière conversation pour les prochaines «Notes sur le Chemin»?

C'est impubliable. Ça va dans l’Agenda.

Pourquoi? Ça ferait une révolution chez les médecins?

Oui, oh! ça ferait un drame.

C'est bien dommage que ce ne soit pas publiable.

C'est trop combatif. Et puis beaucoup trop personnel, oh! ce serait l’origine d'histoires sans fin, de légendes sans nombre qui se répandront; et en Amérique, en Afrique, en Angleterre et ailleurs, on racontera toutes sortes d'histoires sur toutes sortes de maladies que j'ai – ça fera des romans sans fin. C'est impossible.

Je ne peux rien raconter de moi, que peut-être une phrase – même une phrase qui paraît dans le Bulletin, ça fait une histoire! Ça me fait des histoires interminables.

Je comprends, mais c'est dommage!

Plus tard, plus tard. Pas maintenant.

Parce que ces questions de maladie font tellement partie de ce yoga.

Oh! je sais bien, je sais, mais pas maintenant: plus tard.

Les gens font trop d'histoires personnelles avec ce que je dis; tu sais, «l’anecdote sur le gourou» comme on en lit dans les livres.

Ils sont bêtes!

Oui, mais (riant) qu'est-ce que tu veux faire? Ils sont bêtes, ça ne se guérit pas si vite!

Je suis d'accord, c'est tout à fait idiot, mais... Ah! passons à «Savitri».

17 juillet 1965

(À propos de la dernière conversation dans laquelle le disciple se plaignait de mauvaises nuits.)

Mais je n'arrive pas à comprendre pourquoi c'est toujours de ce côté-là dont je me souviens, toujours les égouts et les saletés... Parce qu'il doit y avoir un autre côté quand même, non?

(Mère rit) La raison est simple: ce côté-là est très-très proche de la conscience ordinaire, alors on se souvient; l’autre... il n'y a pas de «joint» suffisant, et quand tu te réveilles, tu oublies.

C'est cela qui est décourageant d'ailleurs, parce que l’on se souvient toujours du mauvais côté, mais pas du reste!

C'est peut-être pour voir si nous ne nous décourageons pas.

Ce matin encore...1

(silence)

Ce doit être cela: pour voir si nous tenons le coup – pas même cela: si notre FOI tient le coup.

(silence)

Si l’on voit la question d'assez haut, pour se manifester, cette Puissance de Vérité a besoin d'une réponse, n'est-ce pas, et Elle ne veut pas avoir de préférence: que ce soit ce point-ci ou ce point-là, ça ou ça qui la manifestera, importe peu; Elle fait comme cela (geste de pression massive, générale), Elle s'impose sur l’atmosphère de la terre, et ce qui est capable de répondre répond. Et alors, au point qui répond, la Force se manifeste.

Ce n'est pas la Force qui choisit le point (je ne sais pas si je me fais comprendre): c'est une action globale, et ce qui est capable de répondre répond.

Nous, nous voulons, nous aspirons, nous savons même, et naturellement, parce que nous savons, nous avons une espèce de conviction que nous sommes faits pour répondre... Mais il ne s'agit pas de conviction: il faut que ce soit un fait.

Et pour cela... eh bien, il faut tenir le coup.

(silence)

J'ai au contraire l’impression que ceux qui savent plus peuvent plus, et on leur demande plus – ce n'est pas qu'on leur demande moins: on leur demande plus.

Et ce corps appartient encore presque totalement à la vieille création. Et il a tendance, lui, à dire: «Oh! ce n'est pas gentil! nous avons de la bonne volonté, et plus nous avons de la bonne volonté, plus on exige de nous.» Mais ce sont des idées très humaines, très humaines... Plus nous avons de la bonne volonté, plus on demande de nous – pas par une décision quelconque: spontanément, tout naturellement.

Nous parlons de transformation, même de transfiguration, mais il y a le passage du vieux mouvement au nouveau mouvement, du vieux statut au nouveau statut, qui est une rupture d'équilibre; et toujours, pour ce qui appartient encore à la vieille création, c'est la rupture d'équilibre dangereuse qui donne l’impression que tout échappe, que l’on n'a plus de point d'appui. Alors c'est là où il faut une foi qui ne vacille pas. Et une foi qui n'est pas comme la foi mentale qui se soutient elle-même: c'est une foi de la sensation. Et ça (Mère secoue la tête), c'est très difficile.

(silence)

C'est toujours la même chose. Le vieux système de la solitude est relativement très facile: on se couche, on coupe toutes les connexions, on reste dans la contemplation profonde et on attend que la crise soit passée. Ça dure plus ou moins longtemps, on n'en sait rien. Mais quand on est comme cela, entouré de gens, de travail, de responsabilités (pas morales: matérielles), de choses qui dépendent matériellement de vous, alors... il faut trouver le moyen de continuer, tout en n'ayant plus le support de l’équilibre habituel.

C'est un peu dur.

Mais il est évident que si l’on dit: «Je suis ici à cause de Toi et pour Toi et à Ton service», eh bien, il faut que ce soit vrai, voilà tout.


(Le disciple revient à la charge et demande à Mère la permission de publier certaines de ces conversations dans les «Notes sur le Chemin»:)

Non.

De toutes façons j'aurais fait des coupures là-dedans.

Oh! mais ce ne sont pas des coupures!

C'est tout qu'il faut couper! Bon.

Non, mais on peut prendre des tranches – si elles sont impersonnelles.

Oui, mais si l’on fait des «tranches» (c'est possible), à ce moment-là, cela prend un caractère dogmatique. Ce sont comme des déclarations. Si l’on enlève l’occasion à laquelle ça a été dit, cela devient un énoncé dogmatique.

Oui, mais je ne veux pas le donner. C'est catégorique.

Je comprends bien. Seulement le danger de ces extraits est que cela prend l’allure d'un enseignement: Mère décide que «c'est comme cela et comme cela» – alors que ce n'est pas comme cela!

Oui-oui! (Mère ne veut pas en entendre davantage.)


(Peu après, le disciple propose de demander à E d'acheter des bandes magnétiques pour enregistrer ces conversations:)

Pauvre E! son mari l’a ruinée.

Elle a soigné son mari, elle l’a même presque ressuscité, et quand il a retrouvé la parole et la conscience, la première chose qu'il ait faite, c'est de lui couper les vivres et de la discréditer! Il a dit partout qu'il n'était plus responsable, comme remerciement. Enfin, «c'est la vie».2

Ça t'intéresserait de lire sa lettre?

(extrait de la lettre de E, traduite de l’américain:)

«... Je me souviendrai toujours – c'était si vivant – du moment où votre Force s'est emparée de la situation et a amené ce retour à la vie que même le médecin ne comprenait pas et qui a duré plusieurs semaines. Puis-je vous raconter la petite histoire?

«Le malade a été pris de convulsions: tout le côté droit du corps se contractait horriblement, il ne pouvait plus parler. Puis est venue une détente et je me souviens d'avoir pensé: "Pourquoi ce cerveau envoie-t-il à ce corps des signaux pour qu'il se contracte comme cela? pourquoi?" Et j'ai pris la main droite de Monty, je me suis assise là, au bord du lit. Alors ces deux bras droits sont devenus comme les fiches d'un grand standard téléphonique – vous savez, ces longues prises. Et par ces fiches téléphoniques, j'ai appelé. J'ai appelé la Mère divine; Vous, plus spécifiquement, si j'ose dire, comme c'est mon habitude. À ce moment, Vous êtes apparue, non pas au-dessus de ma tête comme d'habitude, mais au-dessus de la tête du malade. Et ce "Vous", je l’ai appelé trois fois: "Mère", comme vous m'aviez appris à le faire un jour. C'est tout. Pas plus compliqué que cela. Vous étiez là, en position stratégique, et j'ai prononcé trois fois votre Nom. Mais alors, il y a eu un grand courant de Force qui a passé par cette fiche téléphonique, si je puis dire, un grand Pouvoir qui a parcouru toute la longue distance depuis ce Vous jusqu'au cerveau malade de ce petit homme, et encore plus bas, jusqu'à ce bras droit devenu calme, puis qui a remonté toute la longueur de mon bras droit jusqu'à ma machine pensante. Et là-dedans, il y a eu une paix profonde et une connaissance. Il se trouvait que Miss Carter était assise de l’autre côté du lit à ce moment-là, mais elle ne s'est pas aperçue qu'il se passait quelque chose, bien que j'eusse tranquillement fermé les yeux pendant un moment. Étrange, n'est-ce pas? Ça me semble même encore plus étrange quand je vous l’écris. C'était si normal lorsque cela s'est passé. Et c'était si normal que, le lendemain matin, toute trace de tremblement avait disparu et l’usage de la parole était revenu au malade ravi et au plus grand ravissement de tous ceux qui étaient là...»

(11 juillet 1965)

Qu'est-ce que tu dis de cela?

C'est intéressant.

Moi, j'étais consciente ici.

Nos lettres se sont croisées... Le jour où c'est arrivé là-bas, moi, j'ai eu l’expérience ici et j'ai perçu la Volonté qui agit: «Maintenant, il va se remettre et recouvrer l’usage de la parole et de la conscience.» Ça a duré deux jours, et puis hop! (geste de coupure brusque) ça s'est arrêté.

C'était au moment où elle avait là-bas l’expérience que tu viens de lire. Puis quelques jours après, j'ai reçu sa première lettre me disant qu'il s'était remis et que son premier acte avait été de la vilipender auprès de tous les gens qui lui faisaient crédit. Alors je lui ai écrit: voilà mon expérience, et elle m'a répondu ce que tu as lu.

Et ça s'est arrêté net, avec l’impression: maintenant, la preuve est faite, c'est suffisant. Il est retombé dans son coma3 – je ne crois pas qu'il vive longtemps maintenant... Juste assez pour prouver l’ingratitude humaine.


Le disciple se lève pour partir:

Il faut tenir le coup. D'ailleurs, nous n'avons pas autre chose à faire – qu'est-ce que nous pouvons faire?... (Riant) Rester tranquille.

21 juillet 1965

Il y a un petit espoir que ce mental matériel, le mental des cellules, se transforme.

C'est une bonne nouvelle!

N'est-ce pas! J'en suis tout étonnée. Je m'en suis aperçue hier ou avant-hier (ça n'allait pas bien, enfin c'était désagréable) et tout d'un coup, voilà tout ce mental qui fait une prière. Une prière... tu sais comment je faisais les prières avant, les Prières et Méditations: c'était le Mental qui faisait des prières; il avait des expériences et il faisait des prières; eh bien, voilà, maintenant c'est l’expérience de toutes les cellules: une aspiration intense, et tout d'un coup, tout ça qui se met à l’exprimer en mots.

Je l’ai noté.

Et alors, c'est assez intéressant...

C'était l’heure du dîner; il y avait eu (il y a toujours) une fatigue, une tension, le besoin de plus d'harmonie dans l’atmosphère... ça devient un peu pénible; et j'étais assise là, lorsque tout d'un coup, tout ça s'est redressé comme une flamme, oh! dans une grande intensité, et puis c'était comme si ce mental du corps, au nom du corps (c'était le corps qui commençait à se mentaliser), faisait une prière... (Mère cherche une note.) Et il a beaucoup le sentiment de l’unité de la Matière (c'est très fort depuis très-très longtemps, mais ça devient très conscient: une sorte d'identité); alors il y avait le sentiment de toute la Matière – Matière terrestre, humaine, Matière humaine – et il a dit:

«Je suis fatigué de notre indignité. Mais ce n'est pas au repos que ce corps aspire...

Et ça, c'était senti dans toutes les cellules.

«... Ce n'est pas au repos que ce corps aspire, c'est à la gloire de Ta Conscience, la gloire de Ta Lumière, la gloire de Ton Pouvoir, et surtout...

Là, c'est devenu encore beaucoup plus intense:

«... à la gloire de Ton Amour tout-puissant et éternel.»

Et tous ces mots avaient un sens si concret!

J'ai écrit ça vite, puis je l’ai laissé là. Mais voilà que ce mental est comme l’autre... (Mère cherche une deuxième note), il a une espèce de souci de la perfection de l’expression; et le lendemain après-midi (c'est généralement après mon bain, il y a une sorte d'activité spéciale à ce moment-là), après mon bain, il était dans cet état et j'ai dû écrire ceci (c'était devenu tout à fait comme une prière):

«OM, Seigneur suprême,
Dieu de bonté et de miséricorde,
OM, Seigneur suprême,
Dieu d'amour et de béatitude...

Au moment de «béatitude»... toutes ces cellules étaient comme gonflées.

«... Je suis fatigué de notre infirmité. Mais ce n'est pas au repos que ce corps aspire, il aspire à la plénitude de Ta Conscience, il aspire à la splendeur de Ta Lumière, il aspire à la magnificence de Ton Pouvoir; par-dessus tout, il aspire à la gloire de Ton Amour tout-puissant et éternel.»

Il y a une sorte de contenu concret dans les mots, qui n'a rien à voir avec le mental. C'est quelque chose de vécu – pas seulement senti: vécu.

Et puis, dans l’après-midi, ce n'était plus une prière mais c'était une constatation (Mère cherche une troisième note)... J'ai trouvé que cela devenait intéressant. Il a dit:

«Les autres états d'être...

Si tu savais avec quelle espèce de dédain, comme ça, un air de supériorité, il parlait!

«Les autres états d'être, le vital, le mental, peuvent se plaire aux contacts intermédiaires...

C'est-à-dire, tous les états d'être intermédiaires, puis les dieux, les entités et toutes ces choses. Et il parlait avec une puissance et une sorte de dignité – oui, c'était une dignité, presque une fierté, mais il n'y avait pas d'orgueil, rien de tout cela. C'est le sens d'une noblesse.

«... Seul, le Seigneur suprême peut me satisfaire.»

Et alors, tout d'un coup, il y avait cette vision si claire que c'est seulement ce qu'il y a de suprêmement parfait qui peut donner la plénitude à ce corps (geste de jonction du Haut et du Bas).

J'ai trouvé cela intéressant.

C'est le commencement de quelque chose.

(silence)

Ça a commencé par le dégoût – un dégoût... un dégoût écœurant – de toutes ces misères, toutes ces faiblesses, toutes ces fatigues, tous ces malaises, tout ce tiraillement, ce grincement, ouf .... Et c'était très intéressant parce que, il y avait ce dégoût, et en même temps il y avait comme une suggestion qui venait, de l’Anéantissement, du Néant: de la Paix éternelle, n'est-ce pas. Et il a balayé tout cela, comme si tout le corps se redressait: «Eh! mais ce n'est pas ça! Ce n'est pas ça que je veux. Je veux... (et alors, ça a été un éblouissement – un éblouissement de lumière dorée)... je veux la splendeur de Ta Conscience.»

Ça, c'était une expérience.

(silence)

Il y a encore un peu de tiraillement, mais enfin ça va mieux. Tout à l’heure... N'est-ce pas, ils sont deux, trois à me précipiter dessus les demandes de tous les gens, le travail à faire, les réponses à donner, les chèques à signer; c'est un travail... on est harcelé, labouré comme par des griffes. Et il y a cette fatigue que je sens tous les jours, toujours, et qui fait que j'ai besoin de rester tout à fait tranquille (c'est comme si l’on était griffé), et j'ai vu que c'était parce que tout le travail que l’on fait faire au corps ne vient pas de Ce à quoi il aspire – ce n'est pas de là-haut que ça vient: ça vient d'ici, de tout autour –, et c'est pour cela que ça grince, comme si l’on broyait quelque chose. Alors très consciemment, ce mental a fait appel à cette aspiration-là et à l’équanimité, l’égalité cellulaire: «Eh bien, c'est le moment d'être dans l’égalité», et imédiatement, il y a eu une sorte d'immobilité tranquille qui s'est établie, et ça a été mieux, j'ai pu aller jusqu'au bout.

J'ai l’impression que c'est comme si l’on avait attrapé la queue de la solution.1 Maintenant il faut, naturellement, work it out [l’élaborer].

Enfin, il y a un espoir.

J'étais toujours sous l’impression de ce que Sri Aurobindo avait dit: «Cet instrument [le mental physique] n'est bon à rien, il n'y a qu'à s'en débarrasser»...2 C'était très difficile de s'en débarrasser parce qu'il était si intimement lié à l’amalgame du corps physique et de sa forme présente... c'était difficile; et quand j'essayais et qu'une conscience plus profonde voulait se manifester, ça produisait l’évanouissement. Je veux dire que l’union, la fusion, l’identification avec la Présence Suprême, sans ça, sans ce mental physique, en l’annulant, cela produisait l’évanouissement. Je ne savais pas comment faire. Maintenant que ça collabore, et collabore consciemment (et il semble avec une grande puissance de sensation), peut-être les choses vont-elles changer.

Tout ce qui était mental... Je me souviens très clairement de l’état dans lequel j'étais quand j'écrivais ces Prières et Méditations, surtout quand je les écrivais ici (toutes celles que j'ai écrites ici en 1914): ça me paraît froid et sec... oui, sec, sans vie. C'est lumineux, c'est joli, c'est agréable, mais c'est froid, c'est sans vie. Tandis que cette aspiration ici [du mental cellulaire], oh! ça a une puissance – une puissance de réalisation – tout à fait extraordinaire. Si ça s'organise, quelque chose pourra être fait. Là, il y a une puissance accumulée.

(silence)

Et depuis deux nuits, les activités du matin, celles qui se passent dans le physique subtil avec Sri Aurobindo et tous les gens d'ici, concernent la nourriture tout d'un coup! mais sous un aspect tout à fait différent. C'est toujours pour me donner des indications sur les gens, les choses. La nuit d'avant, il y avait un incident amusant. Vous savez que Mridou, la grosse bonne femme qui faisait la cuisine pour Sri Aurobindo, est dans le physique subtil. Quand elle est morte, Sri Aurobindo (je ne savais même pas qu'elle était morte), Sri Aurobindo est allé la chercher dans sa maison, puis il me l’a apportée et il l’a mise à mes pieds ici: c'est comme cela que j'ai su qu'elle était morte (le lendemain matin, on me l’a dit). Mais je ne comprenais pas ce qui s'était passé; j'ai vu Sri Aurobindo qui allait dans la maison de Mridou, puis il est revenu (riant) avec un petit paquet comme ça, et il l’a mis à mes pieds! J'étais ahurie, j'ai vu que c'était Mridou, et j'ai couru après Sri Aurobindo pour lui demander: «Mais qu'est-ce que c'est que ça?!» Puis tout est parti. Le lendemain, on m'a dit qu'elle était morte. Et elle vit comme cela, dans le physique subtil, et je la vois très-très souvent, très souvent (elle est un peu mieux qu'elle n'était physiquement, mais pas beaucoup plus intelligente!). Mais l’autre nuit, elle m'avait apporté de gros pruneaux (ils étaient grands comme ça) et j'en mangeais, et je trouvais cela très bon; puis Pavitra est arrivé et il a regardé ces malheureux pruneaux et il m'a dit: «Oh! il ne faut pas manger ça, il y a des moisissures!» Je m'en suis souvenue parce que cela m'a amusée. Et je regardais, je disais (riant): «Je ne vois pas de moisissures, et puis ils sont très bons!» Et la nuit dernière, c'était un homme (que je connais très bien, mais je ne peux plus me souvenir de son nom), qui me disait qu'il fallait absolument que je boive du lait! (il y a des années et des années que je ne bois pas une goutte de lait), et il me montrait le lait, il me disait: «Vous voyez, il faut mélanger le lait à la soupe, à ceci, à cela.» Je me suis demandé: «Tiens, pourquoi tout d'un coup?...» Jamais-jamais je n'avais de rêves de nourriture! (ce ne sont pas des rêves d'ailleurs: je ne suis pas endormie, je suis tout à fait consciente). Ça a commencé depuis deux nuits; d'abord je mangeais des pruneaux – de gros pruneaux comme cela –, puis la nuit dernière, il fallait que je prenne du lait! Mais c'était si insistant que je me suis demandé un moment ce matin s'il fallait que je me mette à boire du lait!

C'est nouveau aussi.

La série avait commencé par cette vision (toujours dans le même domaine) où j'étais allée chercher du thé pour Sri Aurobindo, et l’on m'avait donné de la terre avec une tranche de pain sec!

C'est tout un monde qui commence à s'ouvrir. Nous allons voir.

Voilà. Alors tu apportes quelque chose?...

Mais c'est vrai, j'ai l’impression d'une atmosphère plus agréable depuis un ou deux jours.

Ah!

Je ne sais pas si cela tient à moi personnellement, mais une atmosphère, oui, plus contente...

Oui, c'est cela.

... qui grince moins.

Oui, c'est comme cela que ce doit être. Nous allons voir... Si ce que je perçois est correct, ça doit aller dans ce sens-là.

Généralement, quand tu ne «vas pas bien», je suis d'une mauvaise humeur terrible.

Oui... Oh! mais moi, je dis le contraire, mon petit! (Riant) Je ne te l’ai pas dit par gentillesse, mais j'avais envie de te dire: «Sapristi! comme tu es de mauvaise humeur, ça me rend malade!» (rires)

C'est vrai, ce n'est ni dans ce sens-là ni dans ce sens-ci (geste de Mère au disciple et du disciple à Mère): c'est tout un. C'est pour cela que je n'ai rien dit. Parce que nous avons l’habitude de faire comme cela (geste qui va de l’un à l’autre), mais ce n'est pas vrai, ce n'est pas comme cela: c'est un tout qui, dans chacun, prend son expression propre.

Bon.3


Peu après, à propos de «Savitri» et du dialogue avec la Mort:

Il avait dit qu'il voulait le refaire, tout ce passage, mais il ne l’a jamais fait. Et quand on lui a demandé (je ne sais pas si c'était Nirod ou Purani), il a dit: «Non, plus tard.»

Et il savait très bien qu'il n'y avait pas de «plus tard». Il le savait déjà à ce moment-là.

«Non, plus tard.»

Je ne sais pas...


Le disciple se lève pour partir:

Alors, il ne faut pas être de mauvaise humeur. (Riant) Tu vas me dire qu'il ne faut pas être malade!... Bien-bien.

24 juillet 1965

(Le disciple avait écrit à Mère pour lui demander ce que signifiait un rêve qu'il avait eu où son frère entrait brusquement et lui annonçait la mort de son fils. C'était un rêve extrêmement vivant. Sous le choc de l’émotion, le disciple s'était éveillé.)

J'ai reçu ta lettre... Je ne pense pas que ce soit prémonitoire. Tu n'as pas de nouvelles de là-bas? Si quelque chose était arrivé, il t'aurait télégraphié.

Ce n'est pas sûr... Mais quel genre de construction ou d'imagination est-ce donc?

Je vais te dire.

J'ai eu une expérience analogue trois jours avant – analogue, je vais te dire en quoi.

D'abord, la dernière fois, je t'avais dit que ce mental physique était en train de se transformer, et il y a trois ou quatre jours, c'est-à-dire avant notre dernière conversation, de bonne heure le matin, je me suis éveillée brusquement au milieu d'une sorte de vision et d'activité, justement dans ce mental physique. Ce n'est pas du tout habituel pour moi. J'étais ici, dans cette chambre, tout était exactement comme c'est physiquement, et quelqu'un (je crois que c'était Champaklal) a ouvert brusquement la porte en disant: «Oh, I am bringing a bad news» [oh! j'apporte une mauvaise nouvelle]. Et j'ai entendu le son physiquement, c'est-à-dire que c'était tout proche du physique. «He has fallen and broken his head» [il est tombé et il s'est brisé le crâne]. Mais c'était comme s'il me parlait de mon frère (qui est mort il y a fort longtemps), et pendant l’activité, je me suis dit: «Mais mon frère est mort il y a longtemps!» Et cela faisait une espèce de tension (geste aux tempes) parce que... C'est un peu compliqué à expliquer. Quand Champaklal m'a donné la nouvelle, j'étais dans ma conscience habituelle où, imédiatement, je me suis dit: «Comment se fait-il que la Protection n'ait pas agi?» et j'étais en train de regarder cela lorsque est venu une sorte de souvenir lointain que mon frère était mort. Alors j'ai regardé (c'est difficile à expliquer avec des mots, c'est complexe). J'ai regardé dans la pensée de Champaklal pour savoir de qui il voulait parler, qui était tombé et s'était cassé la tête. Et j'ai vu la tête de A. Et tout cela faisait une tension (même geste aux tempes), alors je me suis éveillée et j'ai regardé. Et j'ai vu que c'était une expérience pour me faire voir clairement que ce mental matériel AIME (aime, c'est une façon de parler), aime les catastrophes et les attire, et même les crée, parce qu'il a besoin du choc de l’émotion pour éveiller son inconscience. Tout ce qui est inconscient, tout ce qui est tâmasique a besoin d'émotions violentes pour se secouer et s'éveiller. Et ce besoin crée une sorte d'attraction ou d'imagination morbide de ces choses – il est tout le temps à imaginer toutes les catastrophes possibles ou à ouvrir la porte aux suggestions mauvaises de petites entités méchantes qui prennent plaisir, justement, à créer la possibilité des catastrophes.

J'ai vu cela très clairement, cela faisait partie de la sâdhanâ de ce mental matériel. Puis j'ai offert tout cela au Seigneur et je n'y ai plus pensé. Et quand j'ai reçu ta lettre, je me suis dit: «C'est la même chose!» C'est la même chose, c'est cette espèce de besoin malsain de ce mental physique qui cherche le choc violent des émotions et des catastrophes pour éveiller son tamas. Seulement, dans le cas de A s'étant cassé la tête, j'ai attendu deux jours en me disant: «Nous allons voir si par hasard c'est vrai.» Mais rien n'est venu, il ne s'est pas cassé la tête! Et dans ton cas aussi, j'ai dit: «Je ne bouge pas jusqu'à ce que l’on ait des nouvelles», parce qu'il se peut (une fois sur un million) que ce soit vrai, alors je ne dis rien. Mais ce matin, j'ai regardé encore et j'ai vu que c'était exactement la même chose: c'est le processus de développement pour nous rendre conscients du fonctionnement admirable de ce mental.

Oh! oui, ça, dès qu'il y a une égratignure, il y a tout de suite quelque chose dans l’être qui voit des maladies terribles – tout de suite.

Oui, c'est cela. Mais Sri Aurobindo m'avait dit cela. Je lui avais demandé plusieurs fois comment il se faisait que les gens (qui consciemment, extérieurement, aiment mieux les choses agréables et les événements favorables) soient tout le temps à attirer-attirer-attirer les choses désagréables, et même de terribles catastrophes. Je connais des femmes (des hommes aussi, mais il y en a moins) des femmes qui passent leur temps à imaginer ce qu'il y a de pire: elles ont des enfants – elles s'imaginent que chacun va rencontrer les pires catastrophes; quelqu'un part en automobile – oh! l’automobile va avoir un accident; on prend le train – oh! le train va dérailler; et ainsi de suite. Eh bien, c'est cela. C'est ce que Sri Aurobindo a si bien expliqué: toutes ces parties de l’être sont terriblement tâmasiques et c'est la violence du choc qui éveille quelque chose en elles, et c'est pour cela que, comme instinctivement, elles les attirent... Par exemple, les Chinois ont un vital extrêmement tâmasique et un physique qui ne sent pas: il a une sensation tout à fait émoussée – ce sont eux qui ont inventé les supplices les plus effroyables. C'est parce qu'ils ont besoin de quelque chose de superlatif pour sentir, autrement ils ne sentent pas. Il y avait un Chinois qui avait une sorte d'anthrax, je crois, au milieu du dos (un endroit, paraît-il, extrêmement sensible généralement), et à cause de son cœur, on ne pouvait pas l’endormir pour l’opérer, et on était un peu inquiet. On l’a opéré sans anesthésique – il était éveillé, il n'avait pas bougé, il n'avait pas crié, il n'avait rien dit, on était en admiration devant son courage; puis on lui a demandé ce qu'il avait senti: «Oh! oui, j'ai senti que ça grattait un peu dans mon dos»! C'est comme cela. C'est cela qui crée la nécessité des catastrophes, et des catastrophes imprévues: la chose qui donne un choc pour vous éveiller.

Ce que tu dis là, de ces imaginations morbides et maladives, je l’ai dit moi-même il n'y a pas longtemps: imédiatement, l’imagination est défaitiste, catastrophique.

Oui, terrible.

Tout le travail a été pendant longtemps-longtemps de guérir ça: le changer, le changer.

Et d'habitude, mes activités de la nuit ne sont jamais dans le matériel, elles sont toujours dans le physique subtil, la partie la plus dense, si l’on peut dire. J'ai peut-être eu, pas même une demi-douzaine de visions dans ma vie qui avaient la réalité matérielle telle qu'elle est: je voyais la chambre telle qu'elle est et j'ai entendu le son de la voix de Champaklal clairement. Alors j'ai compris que c'était ce mental physique qui rêvait, qui avait une activité, et que c'était pour me montrer cette attraction... N'est-ce pas, la porte qui s'ouvre brusquement, l’homme qui entre et qui me dit (Mère prend un ton dramatique): «I am bringing a very bad news» [j'apporte une très mauvaise nouvelle], et cette atmosphère tendue, puis: «He has fallen down and broken his head» [il est tombé et il s'est brisé le crâne]. Alors j'ai essayé de savoir qui était le he [il], et petit à petit, etc.

Avec cette espèce de travail pour établir l’égalité parfaite, jamais je ne repousse une chose tout de suite en disant: «Non, ce n'est pas possible.» Il faut être calme et tranquille en face de toutes choses. J'étais calme et tranquille, je me disais: «Nous allons voir, je vais attendre deux jours et s'il s'est vraiment cassé la tête (riant), je le saurai!» Naturellement rien n'est arrivé. Et quand j'ai eu ta lettre, j'ai eu l’impression que c'était la même chose, mais je me suis dit: «On va voir, on va attendre...» J'ai regardé, je n'ai rien vu. J'ai regardé à travers ta lettre et tes mots, je n'ai rien vu. Et j'ai eu l’impression que c'était ce même mental physique qui était mis en rapport avec une formation – formation malicieuse, parce que c'est l’habitude du mental physique.

Maintenant que l’on fait le travail pour rectifier sa façon d'être, on s'aperçoit de ce que c'est!... C'est vraiment dégoûtant. Tout le temps il marche et tout le temps défaitiste. Comme tu dis, on a une petite douleur – oh! est-ce que ça va être un cancer?

Et l’on peut s'attraper dix fois par jour.

Oui-oui, c'est presque constant, cet état.

Mais lui-même fait un effort, enfin il s'est rendu compte, il s'est aperçu; il a compris que ce n'était pas très louable (!) il essaye de changer. Une fois que c'est reconnu, ça va assez vite. Seulement la difficulté est que la majorité de nos mouvements matériels sont mécaniques; nous ne nous en occupons pas, et c'est pour cela qu'ils restent toujours ce qu'ils sont. Mais j'ai pris l’habitude depuis un certain temps de m'en occuper. Ce n'est pas amusant, mais il faut le faire, il faut rectifier ça. C'est une chose à rectifier.

C'est un travail constant-constant, pour tout-tout. C'est curieux: s'il s'agit de manger, il pense que la nourriture est empoisonnée, ou que l’on ne va pas digérer, ceci, cela, ou que tout le fonctionnement va aller de travers; on va se coucher – imédiatement, la suggestion que l’on va être agité, que l’on ne pourra pas se reposer, qu'il va y avoir de mauvais rêves; on parle à quelqu'un – la suggestion que l’on n'a pas dit ce qu'il fallait dire ou que cela va lui faire du mal; on écrit quelque chose – que ce n'était pas exactement ça. C'est effrayant, effrayant.

Il faudra que ça change.

Sri Aurobindo me disait que ce n'était pas si fort chez les Indiens que chez les Européens, parce que les Européens se sont beaucoup concentrés dans la Matière et ils sont beaucoup plus liés là.

Enfin...

Et cette prière que je t'ai dite la dernière fois, c'était après cela; pas imédiatement après, mais un jour après. C'était comme si, d'avoir eu cette expérience dans le mental physique et d'avoir vu exactement ce que c'était, la nature de ce mental, cela avait permis un progrès.

Et ce qui m'a donné une indication sur la fausseté de cette conscience et de ses activités, c'est quand j'ai fait cet effort – un effort formidable – pour me souvenir que mon frère était mort il y a des années; j'ai vu, à cela, la distance entre ma conscience véritable et la conscience dans laquelle j'étais pour ce rêve. J'ai vu la distance de fausseté de cette conscience. Cela m'a donné une indication très claire. Au lieu de cette conscience tranquille et paisible qui est comme une ondulation – une ondulation de lumière qui va toujours comme cela (geste de grandes ailes dans l’Infini), le mouvement de la conscience très large, très paisible, et qui pourtant suit le mouvement universel, très tranquillement –, au lieu de cela, il y avait quelque chose de crispé (geste aux tempes), c'était dur comme du bois ou du fer et crispé, tendu, oh!... Alors j'ai su à quel point c'était faux. Ça m'a donné la mesure exacte.

(long silence)

J'ai eu très fort ces jours-ci l’impression que... Je ne sais pas si tu te souviens (étais-tu né seulement?) quand Emile Zola a dit: «La Vérité est en marche.» Tu n'étais pas né. Il a dit au conseil de guerre ses quatre vérités et cela a fait toute une histoire, et on lui a conseillé de quitter la France parce qu'on l’aurait mis en prison. Et arrivé en Angleterre, il a dit: «Ça ne fait rien, la Vérité est en marche.» Ça a fait un bruit retentissant. Et je me souviens encore de l’impression – j'étais jeune, mais j'avais tout de même vingt ans... Il y a plus de vingt ans de distance entre nous deux, quel âge as-tu? Quarante ans?

Quarante et un.

Oui, il y a quarante ans de différence – plus que cela: 45 ans... J'avais vingt ans et cela m'a fait beaucoup d'effet. Ça a eu une grande répercussion, cette affaire. Et cela m'est revenu justement ces jours-ci avec toute la perception de cette habitude catastrophique et défaitiste. Je le savais depuis longtemps, mais ça paraissait tout à fait en dehors de mon contrôle; mais maintenant, c'est sous le contrôle. Non seulement cela, mais c'est désapprouvé et volontairement rejeté.1 C'est ce que l’on a dit: «Je suis fatigué de notre indignité.»

Alors, conclusion: la Vérité est en route.

(silence)

Il y a beaucoup à faire, beaucoup. Mais ça peut aller relativement vite. Quand on observe, on s'aperçoit que ce qui prend le plus de temps, c'est de devenir conscient de ce qu'il faut changer, d'avoir un contact conscient qui permet que ça change. C'est cela qui prend le plus de temps. Le changement... Il y a des récurrences, mais ça diminue beaucoup d'intensité. Tout dépend de la somme d'inconscience et de tamas qu'il y a dans l’être; à mesure que ça diminue, c'est plus fort.2


Mère passe à la traduction de «Savitri», le dialogue avec la Mort:

...Et au point de vue universel, c'est cette inertie, cette inconscience qui ont rendu nécessaire l’existence de la mort – «l’existence» de la mort!!

28 juillet 1965

(Le disciple suggère que l’on publie, parmi les citations du «Bulletin» de l’Ashram, le texte d'une réponse de Mère à un enfant Mère a l’air aussi peu intéressée que possible:)

Ces choses, au moment où elles viennent, sont très puissantes et elles ont un pouvoir transformateur – ça fait une pression sur la Matière. Et puis quand ça a fini son travail, c'est fini – c'est classé, ça va dans un coin. Ça n'a plus d'importance.

Ce sont des actions.

Ce ne sont pas des pensées: ce sont des actions. Et l’action finie, c'est fini. On ne va pas se mettre à parler de ce que l’on a fait, non!


Plus tard

À part cela, ça va bien? Pas trop?

Si, physiquement ça va.

Oui, c'est ça... Il est de toute évidence que l’on veut que nous soyons comme ce monsieur qui fait face à tout sans être jamais fatigué.1 C'est évident. Parce que dès qu'il y a quelque chose qui commence à gémir, je vois le Seigneur qui sourit, je vois son sourire (je ne vois pas sa tête, il n'a pas de tête pour moi!), mais je vois son sourire, et il sourit, il a l’air de dire: «Encore!... Tu en es encore là!»

On se donne toujours des excuses, mais c'est idiot.

(silence)

Une volonté tranquille et persistante, et qui n'est pas du tout affectée d'aucune façon par ce qui arrive, c'est au fond cela que l’on veut de nous...

– Oh! qu'est-ce que c'est que ces réactions enfantines! La vie est comme cela. Et elle est comme cela, elle sera comme cela jusqu'à ce qu'elle change.

– Oh! j'en ai assez.

– J'en ai assez? Alors cela veut dire que tu n'es pas bon à grand-chose.

Alors on empoche ses gémissements.

Et les exemples viennent, si précis, pour vous montrer: «Tu vois, quand on est comme cela, les choses extérieures sont comme cela (geste dans le mauvais sens); et puis quand on est comme cela (geste dans le bon sens), les choses extérieures sont comme cela.» Et on n'a plus qu'à se tirer l’oreille et à dire: «Voilà, c'est encore la même bêtise toujours.»

Je ne sais pas si l’on me comprend, mais je me comprends! (Mère rit)

31 juillet 1965

J'aurais un problème à te poser.

Quel problème?

Un problème pratique, pas un problème yoguique! Il s'agit de l’Italie, de N et de la publication de ce livre sur Sri Aurobindo [«l’Aventure de la Conscience»]. N a fait la traduction et l’a donnée à son ami S pour qu'il s'occupe de la publication en Italie. S a vu un éditeur, qui a demandé à lire le livre en français et l’a trouvé intéressant. Et alors, je ne sais si c'est la suggestion de l’éditeur ou la suggestion de S, ils demandent si l’on ne devrait pas publier d'abord un ouvrage de Sri Aurobindo comme, par exemple, le «Guide du Yoga».

Ça n'existe pas!

Si, tu sais, on a pris des fragments de lettres et on a fait les «Bases du Yoga», etc., et ils ont réuni cela sous le titre de «Guide du Yoga».

C'est une compilation faite par M à l’usage des commençants.

C'est cela.

Ce n'est pas fameux.

Oui.

Ce n'est pas fameux. (Riant) C'est comme «English without tears»! [l’anglais sans larmes.]

Il me paraît que c'est assez limité.

Ce petit livre, c'est tout en bas (geste par terre).

C'est difficile de faire un livre qui donne une idée de Sri Aurobindo.

Parce que l’on choisira toujours un petit aspect.

Et surtout, on choisira avec l’idée que ce soit «facile à comprendre». J'ai eu un exemple, j'ai parlé hier à une Hollandaise: je lui ai expliqué la différence entre la vieille spiritualité qui rejetait la Matière et voulait lui échapper complètement, et la nouvelle spiritualité, la spiritualité de demain, qui adopte la Matière, la domine et la transforme. Pour moi, c'est simple, n'est-ce pas – elle n'a rien compris!

Alors, si l’on se met dans l’état d'esprit de dire aux gens les choses qu'ils peuvent comprendre, on déforme tout.

C'est une question tactique, en quelque sorte, pour l’Italie. Comme rien de Sri Aurobindo n'a encore été publié, est-il meilleur, au point de vue tactique, de commencer par publier une œuvre, une petite œuvre quelconque de Sri Aurobindo, puis ce livre.

Mais ce n'est pas une œuvre! Ce «Guide du Yoga» n'est pas une œuvre! Jamais Sri Aurobindo ne dit les choses comme cela. C'est justement! ça le déforme imédiatement.

Ce qui serait bon, c'est d'avoir un livre de lui prêt, parce que les gens demanderont à lire Sri Aurobindo après avoir lu le tien – là oui, je suis d'accord, il faudrait avoir quelque chose de prêt, mais ce «Guide»...

Mais leur idée est de publier quelque chose avant la publication de mon livre.

Non, c'est le contraire! C'est le contraire. Ça, je ne sais pas, c'est mettre la charrue avant les bœufs. À moins que les Italiens ne marchent la tête en bas et les pieds en l’air!... C'est possible.

Non, si l’on voulait montrer au public quelque chose avant la publication de ton livre, il faudrait que ce soit comme une note biographique et bibliographique: Sri Aurobindo est né à tel endroit, etc., et la liste de ses œuvres, la quantité des volumes écrits. Ça, oui, ce serait une bonne introduction. Une note bibliographique – pas un petit livre qui déforme tout. Une note bibliographique un peu complète, quelque chose de massif! (Mère rit)

Alors, tu peux dire à N de ma part que c'est comme cela que je vois la chose: faire une sorte de note biographique et bibliographique bien complète, leur disant: «Voilà le Monsieur dont Sat-prem parle.» On pourrait le publier en même temps que le livre, ou le publier dans les journaux pour annoncer le livre (c'est une question pratique, suivant ce qui est le plus conforme à leurs goûts). Cela peut être publié dans certains journaux ou certaines revues ou magazines avant la parution du livre, pour l’annoncer.

Du livre... De quel livre?

De ton livre à toi, comme une introduction à ton livre. Et après – après avoir lu le livre –, si les gens demandent: «Ah! nous voudrions bien lire ce que Sri Aurobindo a écrit», alors il faudra commencer à traduire.

Mais je crois que N est en train de traduire «La Synthèse»?

Il m'a dit qu'il t'avait demandé.

Mais c'est entendu. Moi, je croyais qu'il avait déjà commencé son travail.

Pour les gens sérieux, c'est «La Synthèse» et «La Vie Divine» qu'il faut prendre.

Alors dis-lui cela: une note biographique et bibliographique genre «dictionnaire» qui vous donne un coup de poing sur la tête – c'est la meilleure chose (!)

Annonçant mon livre.

Annonçant ton livre. Oui, comme une introduction au livre.

Et après: des traductions.

Après, il faudrait voir suivant l’esprit des demandes des gens. Il peut commencer tout de suite La Synthèse – «La Synthèse» et «La Vie Divine», ce sont les deux choses les plus importantes.

Oui, pas des petits livres qui déforment

Oh! oui, les citations déforment.

Quand nous voulions un «petit livre», on traduisait «La Mère», The Mother, mais cela touche surtout l’Inde, parce qu'ils ont le culte de la Mère; mais ailleurs, cela n'a pas la même importance. Quoique, un homme comme T, c'est le livre «La Mère» qui l’a touché le plus: un Américain, plein Américain. Il a dit que, là, ça lui avait donné la révélation, qu'il y avait toutes sortes de choses qu'il ne comprenait pas et que là, il avait compris.

Maintenant, les Italiens ont beaucoup le culte de la Vierge, beaucoup, dans leur esprit, et ils comprendraient de cette façon-là (ceux qui sont intelligents et qui voient le symbole derrière l’histoire). Il y avait un pape (pas le dernier ni le précédent, mais celui d’avant1) qui a fait des choses remarquables parce qu'il était en relation avec la Vierge; c'était un adorateur de la Vierge, et ça l’a mis vraiment sur le bon chemin. Alors je crois que s'ils veulent un petit livre (c'est un petit livre, on peut même le mettre dans sa poche – ils ont peur des gros livres, les gens n'ont pas le temps). Il y a beaucoup de choses dans ce petit livre, «La Mère», beaucoup de choses. Seulement, la partie sur les «Quatre aspects de la Mère» ne peut guère être sentie que par les Indiens; ceux qui ont une éducation chrétienne, (riant) ça doit les effaroucher beaucoup (!) Mais on peut ne pas mettre ce chapitre-là. N'est-ce pas, ce livre a été fait avec des lettres, par conséquent chaque morceau est un tout; ce n'est pas du tout une composition d'ensemble: on l’a arrangé comme cela d'après les instructions que Sri Aurobindo donnait. Mais ce dernier chapitre (le plus gros d'ailleurs), est surtout pour l’Inde. On peut ne pas le mettre.

Alors tu peux dire cela à N: une note biographique genre dictionnaire pour annoncer la parution de ton livre.

août




4 Août 1965

(En classant d'anciennes notes de Mère, le disciple tombe sur le passage suivant:)

«Écoute toujours ce que le Seigneur de Vérité a à te dire et laisse ton action être dirigée par Lui.»

C'est bien.

Je me demande souvent... On dit justement que l’on doit laisser l’action au Seigneur, mais est-ce qu'il ne faut pas l’aider un petit peu?!

(Mère rit) Certainement il doit avoir besoin d'être aidé!

Non, ça a l’air d'une plaisanterie, mais la vérité est qu'il VEUT qu'on l’aide. Il veut qu'on l’aide, Il ne veut pas du tout que l’on soit passif et inerte.

Il veut qu'on l’aide.

Parce que, si l’on est immobile là-haut, j'ai l’impression que c'est un blanc, mais un blanc où rien ne se passe.

Non! c'est admirable. Mais c'est admirable à condition que l’on ne vive pas dans le monde, que l’on soit retiré dans la caverne ou la forêt. Parce que dans la vie du monde, il y a toutes les volontés, les velléités, les impulsions, les désirs de tout l’entourage, qui viennent tout le temps; et alors, si l’on est passif, on reçoit ça aussi. Et c'est pour se garder de ça qu'il faut rester actif – aider le Seigneur.

Mais cette note était destinée à quelqu'un qui avait besoin de l’entendre. Ce ne sont pas – ce ne sont JAMAIS des choses universelles applicables à tout le monde.

Ce que je trouve très difficile, c'est de trouver le point de partage...

Oui-oui!

... entre l’intervention personnelle, la volonté qui veut faire quelque chose, et puis ce qui devrait venir, me semble-t-il, dans le silence absolu.

J'en suis maintenant à l’état où... Je ne l’entends pas, mais je Le perçois d'une façon très concrète: «Fais. Fais ceci, fais cela, fais ça...» Alors...

C'est ça qu'il faudrait

Jusque là, on est tout le temps à se demander si c'est la vraie chose. Mais c'est devenu comme cela: «Fais.» Et quand il n'y a rien, je ne fais rien. Mais j'ai remarqué que quand c'est nécessaire, ça vient, et d'une façon constante, même la nuit! Même quand on «dort», ça devient comme cela: «Fais ça, fais ça...» – pas avec des mots mais c'est très clair, on ne peut pas se tromper.

Il a fallu longtemps-longtemps pour que ça vienne comme cela. Mais cet état dont tu parles, je l’ai connu pendant des années, où on est là à se demander... Parce que, comme je l’ai dit, pour pouvoir être absolument blanc et immobile, il faut être retiré du monde, il ne faut voir personne, il ne faut rien faire; alors on peut percevoir clairement; mais autrement, quand on est dans le monde et qu'il y a toutes ces suggestions tout le temps qui viennent, il faut laisser ce que l’on appelle la volonté «personnelle» s'exprimer quand on ne reçoit pas l’Ordre très précis.

Mais toujours, l’aspiration était de recevoir la vraie chose. Mais ça arrive, il y a un moment où ça arrive clair-clair – clair – pour tout, même pour les toutes petites choses de la vie quotidienne: «Fais ça, ça, ça...»

Oui, c'est ça qu'il faut

Mais je dois dire que c'est le résultat d'années d'effort – pas d'effort: de vigilance. De vigilance: ne pas oublier que c'est ça que l’on veut, et que l’autre façon est simplement un pis-aller en attendant.

En tout cas, il est tout à fait certain (Sri Aurobindo l’a écrit quelque part, je l’ai lu il y a deux ou trois jours encore), tout à fait certain que le Seigneur ne veut pas d'automates qu'il pousse. Ce n'est pas cela qu'il veut: Il veut une collaboration consciente. Seulement, il y a un moment où le sens de la personne disparaît vraiment; on continue à dire «je» parce que comment s'exprimer? mais quand on dit «je», on a le sentiment (pas la pensée – la pensée, ça prend beaucoup de temps), une espèce de sentiment de la Volonté supérieure qui se manifeste ici, à cet endroit-ci, avec ces moyens-ci.

Ça vient après des années.1


Peu après, à propos d'une autre note:

«Mais il se peut qu'elle se soit manifestée partiellement et momentanément dans un individu, comme une promesse et un exemple.»

C'est une réponse à quelqu'un qui me demandait si la Force supramentale s'était manifestée avant sur la terre.


(Vers la fin de l’entrevue, le disciple informe Mère qu'il a reçu une lettre de l’hôpital de Vellore lui demandant quand il venait pour de nouveaux examens:)

Alors, tu vas leur répondre?

... Ah! non! jamais aller là-bas. J'ai le souvenir d'un cauchemar là-bas.

Je comprends!

C'était pire qu'à l’hôpital de Pondichéry.

Ah! ici, c'était dégoûtant.

Oui, c'était dégoûtant, mais ici je n'ai pas eu cette impression d'être malade. Alors que là-bas, j'ai eu l’impression d'être malade.2

Mais on est malade de la minute où l’on entre chez eux! C'est cela; c'est ce que je dis: c'est l’atmosphère médicale. Jules Romains l’a dit: «l’homme bien portant est un malade qui s'ignore.» Alors, a priori, on est malade – c'est entendu, on est malade. Et s'ils ne trouvent pas tout de suite ce que vous avez, c'est parce que vous avez l’art de bien cacher ce que vous avez!

Mais j'ai eu, oh! combien de petites expériences comme cela si intéressantes! Quelque chose ne va pas ici ou là dans le corps, une petite chose; tant que vous n'y faites pas attention – surtout que vous n'en parlez à personne – et que vous le donnez au Seigneur (si par hasard ça fait mal, on le donne au Seigneur), ça va – ça va bien, on n'est pas malade: c'est «un désordre quelque part». Si par malheur on en dit un mot à quelqu'un, mais surtout au docteur, quel qu'il soit, imédiatement ça devient une maladie. Et je sais pourquoi, c'est parce que les cellules qui sont en désordre, tout d'un coup ont l’impression qu'elles sont des personnes très importantes, très intéressantes! Et alors, comme on est très intéressant, il faut se rendre encore plus intéressant. Et si l’on a un mouvement qui n'est pas harmonieux, on l’exagère – il est encore moins harmonieux, pour s'affirmer davantage.

Ça a l’air d'une blague, mais c'est vrai! C'est comme cela, je le sais. Je l’ai observé attentivement dans mes cellules. Alors quand on leur dit (Mère claque le bras de son fauteuil): «Espèces d'idiots! ce n'est pas du tout ton devoir, tu es ridicule», elles se tiennent tranquilles.

C'est admirable comme comédie.

C'est ce qui s'était passé pour mon œil.3 C'est arrivé pour d'autres choses aussi (des petites choses, de toutes petites choses, un désordre quelque part, quelque chose qui s'est mis de travers pour une raison quelconque): tant que l’on n'y fait pas attention, ça va son petit bonhomme de chemin; dès que quelqu'un le remarque ou si on le montre au docteur (oh! surtout quand on le montre au docteur), ça devient une maladie: ça se gonfle, ça se gonfle! «Oh! je suis une personne importante, on s'occupe de moi.» Voilà. Alors on accentue le mouvement. Et bien heureux si ça ne devient pas vraiment grave.

N'est-ce pas, il faut imédiatement dire: «Non-non et NON! Tu te trompes de route, tu te rends beaucoup plus ridicule – tiens-toi tranquille.» Alors ça s'arrange.

C'est très intéressant.

Le docteur cristallise la maladie, la rend concrète, dure. Et après, il a le mérite de la guérir... quand il peut!4

7 août 1965

J'ai eu une longue conversation avec toi ce matin. Je t'ai dit beaucoup de choses. Tu as entendu?

Non, rien.

Ce matin, pendant, oh! au moins une bonne heure, une expérience est venue: la vraie attitude et le vrai rôle du mental matériel – vécu, pas pensé. Vécu. C'était intéressant. Une sorte de béatitude tranquille... Ça concernait le rapport entre l’état constant et l’action qui vient tout le temps du dehors et interrompt (ou a l’habitude d'interrompre alors que cela ne devrait pas) cet état constant. Il y avait des exemples, et le premier qui est venu, c'était toi, la relation avec toi, et le moyen de sortir de l’«état de maladie», pourrait-on dire, et puis l’épanouissement total de la conscience, l’harmonie de tout l’être – ce que cette nouvelle réalisation pouvait faire pour changer tout cela.

Ça a duré une bonne heure. Tu devais être encore endormi: c'était entre 4h30 et 5 heures du matin – tu dormais... (Mère rit avec malice) C'est très bien, ça aura plus d'effet comme cela!

Mais jamais rien ne passe de l’autre côté! C'est dommage. Je ne suis pas conscient.

Tu es plus conscient que tu ne crois. Ça va bien.

Mais c'était vraiment intéressant! J'ai compris; je me suis dit: «Si la vie devient comme cela tout le temps, alors-alors... on ne se plaindra plus de rien.»

Et tous les désordres: non seulement effacés dans leur effet déplaisant, désagréable (c'est-à-dire la douleur disparue, pour parler leur langage ordinaire), mais participant au progrès de l’être, consciemment. Alors ça devient épatant!

Mais je t'avais «dit» (tu vois comment c'est!) que je n'en parlerai pas parce que quand j'en parle, ça arrête l’expérience et il faut que j'attende quelque temps avant qu'elle se reproduise – elle ne se reproduit jamais pareille. C'est-à-dire que l’expérience que j'ai eue aujourd'hui, maintenant c'est fini. J'en ai parlé, c'est fini; il faut que j'aille vers quelque chose de mieux. Si l’on ne parle pas, on peut garder l’expérience pendant quelque temps, jusqu'à l’extinction de l’effet. Quand on parle, c'est fini; ça appartient au passé et il faut aller vers quelque chose de nouveau.

Il y a quelque chose qui me pousse toujours-toujours-toujours vers du nouveau – un pas de plus. C'est bien.

Mais de quoi s'agissait-il? Une action du mental matériel?

Attitude.

Une attitude du mental matériel?

Attitude, mais... oh! pas voulue ni concertée, rien de tout cela: simplement il avait compris.

Il savait se taire et agir.

Se taire et agir.

Oh! c'était joli.

(silence)

Chaque fois que je l’exprime, ça s'éloigne dans le passé.

Ah! je crois qu'il faut passer à «Savitri»... (Mère regarde le disciple:) Tu as une question? Dis.

Non, je n'avais pas de question, j'étais plongé dans ce que tu dis.

Ça a suivi une longue courbe... Ça a commencé par le dégoût profond de son activité habituelle (du mental matériel)) j'ai commencé par attraper (pas maintenant: cela fait des semaines), attraper toutes ses activités routinières et presque automatiques – je l’ai dit plusieurs fois: défaitiste, toujours pessimiste, se mêlant de tout, grognon, mécontent, un manque de foi, manque de confiance... Même quand il a tendance à être joyeux et content, quelque chose vient et dit: «Ah! arrête-toi, parce que tu recevras encore une tape.» Des choses comme cela. Ça a continué pendant des semaines, et un travail continu, constant... ça finissait toujours par l’offrande. Il y a eu un commencement de progrès quand... Non, il faut d'abord dire ce qui a précédé. Tout d'abord, par exemple, le japa, le mantra était pris comme une discipline; puis de l’état de discipline, c'est passé à l’état de satisfaction (mais encore avec le sens du devoir à remplir); puis de là, c'est passé à une espèce d'état de satisfaction constant avec le désir (pas «désir» mais une volonté ou une aspiration) que ce soit plus souvent, plus constant, plus exclusif. Alors il y avait une sorte de répugnance et de rejet de tout ce qui vient déranger, mélangé à un sens du devoir vis-à-vis du travail, des gens, etc., et tout cela faisait une bouillie et une grande confusion. Et ça finissait tout le temps par le transfert au Suprême avec l’aspiration à ce que ça change. Un long processus de développement.

Dernièrement, il y avait une sorte de volonté d'égalité vis-à-vis des activités qui avaient été supportées ou acceptées seulement comme un effet de la consécration et en obéissance à la Volonté suprême. Et puis tout d'un coup, c'est devenu quelque chose de très positif, avec un sentiment de liberté et une spontanéité d'état, et tin commencement de compréhension de l’attitude dans laquelle l’action devait être faite. Tout cela est venu très-très progressivement. Et puis ce matin, c'était l’expérience.

(silence)

On peut l’exprimer comme cela: la capacité de se taire et de n'intervenir que sous l’Impulsion d'en haut.

N'intervenir que mis en mouvement par la Sagesse suprême, pour chaque acte à faire.

Et ça donnait le sens exact de l’utilité de ce mental matériel; parce qu'il y avait toujours à l’arrière-plan de la conscience cette phrase de Sri Aurobindo qui disait que c'était un instrument impossible et qu'il faudrait probablement s'en débarrasser. C'était resté. Et je voyais que ça n'allait pas: malgré toutes les critiques, toutes les offrandes, tous les dégoûts, même tous les rejets, ce mental matériel était maintenu. Seulement, lentement-lentement ça s'est transformé, et maintenant le premier pas est fait, un pas sur le chemin de la transformation, avec l’expérience de l’arrêt de son activité automatique.

C'était l’expérience de ce matin.

Je ne dis pas que ce soit final, loin de là, mais c'est beaucoup plus sous contrôle. l’arrêt a duré peut-être une heure ou deux heures, je ne me souviens plus, mais son activité n'est plus aussi mécanique. N'est-ce pas, cette espèce de silence mental où tout s'arrête plan (geste immobile, horizontal), eh bien, ça peut se faire avec ce mental matériel maintenant – arrêté plan, tourné vers le haut.

Mais c'est un commencement, seulement le commencement.

Seulement c'est une certitude. Même si ce n'était arrivé que pour quelques minutes, on pouvait être sûr que ce serait – c'est arrivé pour beaucoup plus longtemps que cela. Par conséquent, ce mental matériel fera partie de ce qui sera transformé.

Et ça donne un pouvoir formidable! Quand ça s'arrête, la Vibration d'Amour peut se manifester dans sa plénitude.

C'était vu ce matin, dans une gloire.

C'est pour plus tard.


(Vers la fin de l’entrevue, le disciple demande l’avis de Mère sur ce qu'il doit faire: on l’a sollicité une deuxième fois d'écrire un article dans une revue.)

Tu sais que l’on m'a demandé d'écrire un article?

Oui. Tu le fais?

C'est à toi de me dire. Je ne sais pas.

La première fois, j'avais fait obstruction; je n'avais même pas laissé passer leur suggestion jusqu'à toi. Puis cette lettre de M est venue et on me l’a lue; alors au lieu de penser à toi, j'ai pensé aux gens et je me suis dit que, évidemment, ce serait très bon pour eux. Alors j'ai laissé passer.

Oui, j'ai senti que tu avais laissé passer parce que ça commençait à tourner autour de ma tête – ça m'embête bien quand même!

Ils demandent des «souvenirs personnels».

«Comment et pourquoi j'ai été saisi par Sri Aurobindo?»

Tu le sais?

Oui, mais je n'ai jamais essayé de me l’expliquer mentalement.

Non-non, je te demande si tu le sais.

Et ils ont demandé des pages...

Douze!

Douze pages... Moi, je le dirais en une phrase, et puis ce serait fini.

Quelle est ta phrase?

«Parce que c'était la vérité de mon être.»

Ou la loi – on peut dire «la vérité» ou «la loi».

C'est vrai, c'est idiot ces questions. Ils vous demandent seulement ce que votre mental a cru et a imaginé – ça n'a pas de sens.

On pourrait dire encore (mais ils prendraient cela pour une impertinence): «Parce que cela devait être.» Mais la vraie réponse, c'est: «Parce que telle était la loi de mon être.» Je suis venu sur terre pour le rencontrer ou pour rencontrer ce qu'il représente, et naturellement, comme je suis venu pour cela, eh bien, ça m'a pris – je l’ai pris, ça m'a pris, c'est fini. On peut faire beaucoup de phrases!

Mais ils ne comprennent que quand ça devient du bavardage mental.

Alors, si tu veux, je propose une chose (ils ne seront pas contents, mais ça leur fera du bien!), c'est de leur dire: «À votre question, voilà ce que je peux répondre, et puis c'est tout.» Et ce sera une phrase, deux phrases, une demi-page, c'est tout. Tu ne leur auras pas dit non, et en même temps tu n'auras pas cédé à leur insistance ignorante.

Je n'avais pas l’intention de te dire tout cela, mais enfin voilà comment je vois le problème. Se mettre à écrire des pages là-dessus, c'est du pur bavardage (naturellement, toute leur affaire ne sera que pur bavardage,1 mais ce n'est pas une raison pour faire comme eux). Et en même temps, c'est une bonne leçon: on montre de la bonne volonté – «Eh bien, voilà, maintenant je vous dis la vérité; si ce n'est pas cela que vous attendiez, tant pis pour vous.» C'est une très bonne leçon.

S'ils ont de l’esprit, ils le publieront. Et s'ils le publient, ce sera bon pour tout le monde... Je ne t'ai pas raconté cette petite histoire qui ressemble à la tienne: l’Illustrated Weekly avait posé, il y a deux ans je crois, des questions sur la position de l’Inde, et ils avaient demandé dans leur questionnaire de répondre avec aussi peu de mots que possible. Bien. Moi, j'ai répondu avec un mot, deux mots, trois mots, parce que l’on peut dire les choses en très peu de mots.2 Ils l’ont publié en l’encadrant au milieu des réponses des gens qui en donnaient des colonnes! Mon petit, il paraît que ça a eu plus d'effet que tout le reste. Ils se sont dit: «Ça nous a tous obligés à penser.» Ce sera la même chose pour toi si tu as le courage de mettre juste ce qu'il faut, en aussi peu de mots que possible: la chose aussi exacte que possible.

S'ils ont le courage de le publier, ça fera beaucoup de bien, beaucoup.3

Et ce n'est pas une question de condenser, ce n'est pas cela: c'est de dire juste l’essentiel – d'attraper derrière tout cela l’essentiel, et de le dire.

Fais ça, ce sera amusant!

Sri Aurobindo est content.4


ADDENDUM

l’ÉTAT DE l’INDE

La Mère répond

(Questionnaire de l’«Illustrated Weekly of India», numéro de la fête nationale de 1964 – traduction)

1. Si l’on vous demandait de résumer en une seule phrase votre vision de l’Inde, quelle serait votre réponse?

La vraie destinée de l’Inde est d'être le gourou du monde.

2. De même, si l’on vous demandait vos commentaires sur la réalité telle que vous la voyez, comment le feriez-vous en une phrase?

La réalité présente est un grand mensonge... qui cache une vérité éternelle.

3. Selon vous, quelles sont les trois principales barrières qui séparent la vision et la réalité?

l’ignorance. La peur. Le mensonge.

4. Êtes-vous satisfait du progrès général de l’Inde depuis l’Indépendance? (Répondre par oui ou par non.)

Non.

5. Quelle est notre réalisation la plus marquante dans l’histoire récente. Pourquoi la considérez-vous comme si importante?

l’éveil au besoin de la Vérité – parce que sans Vérité, il n'y a pas de liberté vraie.

6. Pareillement, pouvez-vous nommer notre plus triste échec? Pourquoi le considérez-vous comme si tragique?

l’insincérité. Parce que l’insincérité conduit à la ruine.

(12 novembre 1963)


Pourquoi Sri Aurobindo?

(article de Satprem)

Un matin de décembre, sur les quais de la Gare du Nord, il y a presque vingt ans, un adolescent s'apprêtait à s'embarquer pour... n'importe où, pourvu que ce soit aussi loin que possible et aventureux – provisoirement, c'était l’Amérique du Sud. Et sous cette énorme pendule de quelques tonnes, qui lui semblait aussi lourde que le temps occidental, cet adolescent répétait un curieux mantra dans son cœur: Sri Aurobindo-Mauthausen. Il ne restait plus rien que ces deux mots pour vivre et marcher. Derrière, c'était un monde écroulé une fois pour toutes sous les miradors autrichiens. D'ailleurs, les miradors auraient pu être Boulevard Montparnasse aussi bien, c'était pareil; un autre phare avait percé le décor parfaitement. Et il y avait dans ce mot toute la force d'un homme qui est sorti des morts. Puis ce nom, qui n'avait pas de sens très précis, Sri Aurobindo, mais il est bien entendu que les Sésame n'ont jamais parlé à la tête – ils ouvrent la porte. Et il y avait là-dedans toute la force d'un homme qui a besoin d'une seule petite chose vraie pour vivre.

Parce que nous pouvons amuser notre esprit tant que nous voulons: les bibliothèques sont pleines; nous pouvons amasser toutes les explications du monde possibles, mais nous n'aurons rien fait, pas avancé d'un pas, si nous n'avons pas touché le ressort secret derrière les fioritures de l’esprit. Car la Vérité n'est pas ce qui fait penser, mais ce qui fait marcher.

Pour aller où? Nous savons tous où nous allons, en définitive. Ce n'est pas plus grand que deux mètres sur deux mètres, après avoir fait une certaine progéniture, qui fera ce que nous faisions et les pères de nos pères, avec quelques améliorations techniques et même beaucoup de télévisions – mais pas la seule vision qui change tout. Car nous n'avons rien changé dans le monde tant que nous n'avons pas changé dedans.

C'est pourquoi les mystiques nous renvoient au paradis et les réalistes, aux calendes grecques de la société parfaite et des loisirs automatiques.

Sri Aurobindo ouvre une porte dans ce monde étouffé par ses excès de matière ou ses excès célestes. Il nous dit, d'abord, qu'il y a quelque chose à découvrir et que nous sommes riches, plus riches que tout ce que nous pouvons en penser avec notre tête – nous sommes comme des mendiants assis sur la mine d'or. Mais il faut descendre dans la mine. Et il nous dit que nous avons le pouvoir, si seulement nous sommes assez purs pour le prendre. Le pouvoir sur la Mort et sur la Vie et sur la Matière, car l’Esprit est en nous et c'est ici-bas qu'il veut vaincre:

Le ciel n'annule pas la terre, il l’accomplit.5

Et il nous dit que nous n'en avons pas fini d'être homme parce que nous avons inventé quelques fusées et cultivé quelques pyramides cérébrales. Une aventure plus grande encore nous attend, divine et surhumaine, si seulement nous avons le courage de nous mettre en route.

Et il nous donne les moyens.

Car Sri Aurobindo ne «représente pas un enseignement ni même une révélation dans l’histoire du monde – c'est une action».6 Sri Aurobindo n'est pas un penseur ou un sage, ni un mystique ni un rêveur. C'est une force du futur qui empoigne le présent et nous conduit vers:

Le miracle pour lequel cette vie fut faite7

OM

Satprem

Pondichéry le 11 août 1965

P.S. Il y a peut-être une certaine vanité à dire «Pourquoi Sri Aurobindo? – Parce que ceci ou cela»; c'est encore notre mental qui cherche à s'emparer des choses pour y mettre son explication, comme si rien ne pouvait être sans ses «éclaircissements». Et pourtant, les événements les plus efficaces de notre vie sont ceux que l’on ne s'explique pas, parce que leur force continue de travailler en nous sans être figée par UNE explication – il est bien d'autres niveaux d'explication, et il y a celle qui ne dit rien, mais reste tranquille au fond comme une eau calme pour toujours et claire comme un regard d'enfant. Et il y a encore plus de vanité à dire Sri Aurobindo est ceci et il n'est pas cela – il est ceci et cela, et bien d'autres choses encore; il est avec les oui et les non, les pour et les contre, et avec tout ce qui cherche sans savoir, parce que tout cherche la Joie, par le oui ou le non, l’obscurité ou la lumière, lentement et à travers des siècles trébuchants ou d'un seul coup dans une lumière qui saisit tout. D'âge en âge, cette Lumière se pose sur la terre pour l’aider à devenir plus vite ce qu'elle est depuis toujours et qu'elle cherche dans son cœur troublé; et cette Lumière s'habille d'un mot ou d'un autre, prend un visage doux ou terrible, ou vaste et puissant comme une mer qui embrasse tout, mais c'est la même toujours, et l’âme qui s'ouvre sous ce rayon reconnaît en secret un Visage qu'elle a aimé bien des fois. Elle se découvre, de siècles en siècles, un même enfant les mains jointes qui regarde le monde avec amour.

le 12 août 1965

14 août 1965

À propos des secrétaires de l’Ashram:

...Je le gronde tous les jours en lui disant qu'il me fait perdre mon temps. Il a l’air étonné!

Hier encore, il y avait une chose qui était tout à fait classée, j'avais répondu en deux mots (n'est-ce pas, pour moi, cela prend une seconde à décider; je lui ai dit: «Il faut faire ça, ça – fini», et puis c'était fini), et il continue à me lire tous les arguments de tous les gens qui écrivent! Je lui ai dit: «Mais pourquoi me fais-tu perdre tout mon temps!» Alors il a eu un air tout à fait ahuri, comme si je lui disais quelque chose à quoi il n'avait jamais pensé.

Avec lui, tout ce qui est simple devient compliqué.

Je croyais que c'était mon expérience particulière et que c'était réservé à moi!... Je croyais que c'étaient des scrupules et qu'il voulait que je sache tout ce que les gens écrivent – mais c'est absurde!

Quand on me lit une lettre, n'est-ce pas, je me mets en contact, j'attrape quelques mots, et puis c'est tout réglé. Et la décision vient ou ne vient pas d'ici – elle vient. Et quand j'ai dit la décision, c'est réglé. Mais ils continuent tous à lire la lettre! Je dis: «Mon dieu! à quoi ça sert? Tout cela, ce sont des mots et des phrases.»

Pour lui, il faut que les choses suivent tout leur cours, point par point, et il en ajoute!

Mais le monde ne sera jamais changé!

Depuis des années, chaque fois que je vais près de lui et que je suis mis en contact avec ce genre de choses, j'ai une fatigue épouvantable.

Il me fatigue épouvantablement, et je croyais que c'était particulier à moi.

Non-non!

Quand j'avais mes yeux, je n'avais pas de secrétaires, je ne laissais personne toucher à mes affaires, mais c'était fait en une minute. Une lettre, par exemple, je voyais juste là (Mère indique des petits éclats lumineux à différents endroits de la lettre), et puis je savais qu'il faut lire là, et puis il faut lire là, il faut lire là. Alors ça va bien. Je ne lisais tout que si c'était quelqu'un ayant l’esprit concis, clair et qui avait vraiment quelque chose à dire. Mais autrement, quand on voit que c'est du bavardage, à quoi ça sert?

Pour moi, le travail est devenu peut-être cent fois plus difficile depuis que je ne vois pas moi-même. Et, n'est-ce pas, ce qu'on me lit passe par la pensée de celui qui lit – généralement, cela met dessus un brouillard qui m'empêche de voir la chose. Quand on me lit du Sri Aurobindo, même les gens qui le comprennent, c'est toujours un brouillard. Alors, quelquefois je m'impatiente, je prends une loupe et je lis, et dès que je lis, je vois (geste qui saute aux yeux): «Ah! ça y est.» Je vois tout de suite la chose, et puis c'est lumineux, c'est clair.

Ça a dû être une grande punition – je ne sais pas qui m'a punie! (Riant) Moi-même probablement, parce que je les ai trop fatigués. Mais le travail me prend au moins dix fois plus de temps.

(silence)

...C'est un peu abrutissant.

Non, j'ai remarqué, la seule chose qui soit fatigante, c'est le temps. C'est-à-dire que si l’on pouvait travailler en gardant son rythme éternel, ce serait parfait – que l’on fasse une chose ou que l’on en fasse une autre (on fait toujours quelque chose), ça n'a aucune importance; mais ce qui est horrible, c'est d'être tout le temps pressé – les gens qui vous pressent, le temps qui vous presse; alors on est obligé de faire plus de choses que l’on ne devrait dans le temps, alors c'est très fatigant. Je ne sais pas... C'est difficile.

15 août 1965

Le message chez l’anniversaire de Sri Aurobindo

Some day surely

The world too shall be saved from death by love.

Sri Aurobindo

18 août 1965

(Deux Américains ont apporté à Mère des photos d'un ancien disciple parti aux États-Unis:)

Tu te souviens de C? Il est devenu un grand gourou là-bas, avec un groupe, et il paraît qu'il hypnotise les gens... Et il y a deux Américains (des gens très bien, l’un est peintre et l’autre sculpteur) qui sont venus; l’un était entre les griffes de C et c'est l’autre qui l’a sauvé en le tenant presque brutalement, matériellement, loin de C pendant trois jours – le troisième jour, il était libre (ce qui semble prouver en effet qu'il a une influence hypnotique), et en lui disant: «Nous partons pour Pondichéry, vous n'avez pas besoin d'un intermédiaire entre la Mère et vous.» Parce que C joue les grands «intermédiaires» entre Sri Aurobindo et le pauvre public.

(Mère regarde les photos)

Voilà, eh bien, c'est cela!

Oh! regarde-moi ça...

(Puis Elle lit la lettre qui accompagne les photos)

«... Z and I met with him a jew times. Since I saw in him a devilish evil, we have broken contact I leave this now in your hands.»

[Z et moi l’avons rencontré plusieurs fois. Puis j'ai vu en lui un mal diabolique et nous avons coupé le contact. Je laisse cela maintenant entre vos mains.]

Z vit dans la forêt avec son ami S, dans une maison construite avec des troncs d'arbre. J'ai vu les photos il y a quelque temps. La forêt est une merveille.

Mais moi, je savais, n'est-ce pas...

Il a demandé un visa comme «prédicateur» (!) et il paraît que dans ce cas-là, on peut rester indéfiniment; il n'a plus besoin de s'en aller – c'est très bien, je suis très contente qu'il soit là-bas! Parce que les gens qui sont pris, c'était leur destin et ils avaient besoin d'être pris. Et même, on peut aller au But par un diable aussi bien que par un ange – quelquefois mieux! (Mère rit)

Mais c'était visible ici: un orgueil et une ambition fantastiques qui devaient finir comme cela. Il a une vilaine figure, très vilaine.

Tout de même, c'est ennuyeux qu'il se dise «l’envoyé» de l’Ashram.

Ah! mais j'ai imédiatement écrit au docteur Sanyal qui a passé ma réponse à tous les gens qu'il connaissait.

Mais ce S (un Américain), l’ami de C, est tout à fait en adoration béate – mais c'est très bien, ça devait lui arriver.

Les Américains ont si peu de discernement. Ils se précipitent sur n'importe quoi.

Absolument aucun discernement.

Il (C) doit avoir quelque chose, mais moi, je ne sens rien! (Mère fait un geste mince comme une feuille de papier à cigarette.) C'est quelque chose qui n'a pas de force. Mais K aussi, quand elle était en Amérique, elle était tout à fait sous sa coupe. Et elle a dit qu'elle avait des méditations merveilleuses avec lui!... Seulement j'avais écrit à K, parce qu'il lui donnait des conseils sur sa vie et sur ce qu'elle devait faire et ne pas faire; alors elle m'avait écrit pour me demander: «Qu'est-ce que je dois en croire?» J'ai répondu: «Rien!»... Il lui avait interdit de venir à l’Ashram; il lui avait dit que ce n'était pas un endroit pour elle, qu'elle était une personne beaucoup trop grande pour venir ici! l’Ashram, c'est bon pour ceux qui n'ont rien en eux, qui ont besoin d'être encadrés, tandis que quelqu'un avec une capacité doit vivre indépendant.

C'est comme cela qu'il les prend.

Non, c'est très bien! C'est comique.

Si l’on a de l’ambition, il est relativement très facile de tirer un être (subtil) à soi, qui naturellement vient sous des aspects très trompeurs, puis de se croire l’incarnation d'une grande personnalité.

Mais quand les gens sont sincères, ça ne peut pas durer longtemps.


Peu après

Hier, j'ai signé plus de 200 photos...

Ce n'est pas raisonnable!

Ah! le monde n'est pas raisonnable. Il n'a jamais prétendu l’être, je crois!... Sans compter tous les gens qui veulent que j'arrange toutes leurs affaires et que je lave les affaires de toute leur famille! qui me demandent mon avis sur tout, tout ce qu'ils font, depuis le «business» jusqu'au mariage de leur fille. Je ne réponds plus, je dis:

«Ça ne me regarde pas.»

– «Oh! comment?»

– «Consultez le Guide intérieur.» (Mère rit)


Le disciple s'apprête à partir:

La santé va bien? Les nuits sont mieux, n'est-ce pas?

Oui, il n'y a plus d'ennuis depuis que tu fais ce cocon. Mais si tu me donnais un peu de conscience, je serais content!

Non, si je te voyais toutes les nuits, je te dirais. Mais pourquoi ne viens-tu pas? Je te vois très rarement.

Oui, pourquoi? Comment se fait-il?

Depuis quelques nuits, je crois que je me rapproche de l’endroit où tu vas. Parce que depuis deux nuits, j'ai fortement l’impression en m'occupant de ce genre de choses, que je vais bientôt te trouver. Ce sont des choses très intéressantes, mais très intellectuelles, c'est cela qui est ennuyeux!

Moi, je suis plus intéressée par l’action que par la pensée.

Il y a des endroits (qui sont, ma foi, assez intéressants, je ne dis pas qu'ils manquent d'intérêt), où s'élabore l’expression exacte des idées qui doivent gouverner le monde. C'est dans cette orientation-là, c'est là. Depuis deux ou trois nuits, je vais dans cet endroit. Ça me paraît assez gris et terne, mais enfin... ça ne manque pas d'une certaine saveur. Et il y a plusieurs personnes qui t'ont vu par-là. Ce sont comme de grandes salles avec d'immenses couloirs, et c'est très clair – l’atmosphère est très claire. Mais c'est méticuleux, oh! un travail comme s'il y avait des milliers de scribes en train d'écrire très sagement. Et c'est immense-immense – c'est aussi grand que la terre.

Si je vais là, je te trouverai.

Mais je ne SUIS pas autre chose que cela?!

Oh! si! Mais c'est ta conscience active, mon petit, pas physique: la conscience qui est consciente dans tes rêves... Eh bien, c'est mieux que tes promenades dans le monde vital, tu sais, beaucoup mieux. Parce que là, j'ai dû intervenir.

Probablement, quand j'irai me promener là-bas, ça va tout d'un coup changer d'aspect; il y aura un ouragan de force et de lumière (geste de balayage), et puis ça deviendra intéressant.

Mais ça ne m'intéresse pas spécialement!

Je ne sais pas.

Mais il fallait à tout prix te faire sortir du vital où tu recevais des horions, ce n'était pas bon. C'est beaucoup mieux là. C'est lumineux, c'est très paisible; c'est très vaste, très vaste; c'est comme s'il n'y avait pas de parois, pas de murs.

La prison de verre.

C'est cela.

(Moqueuse) Mais une grande prison! ce n'est pas petit.

Ça vient. Ne te préoccupe pas, ça vient.

Quelque chose de plus intéressant: il y a les vibrations très précises de ta conscience dans le mantra. J'ai remarqué cela, c'est très bien. Des vibrations très précises et intenses. Par conséquent on arrivera. Ça, c'est quelque chose.

Il faut être patient. Moi, j'ai été très patiente. Il faut être patient.

Ça fait partie du calme nécessaire.

Parce que le calme et la paix sont INDISPENSABLES pour que quelque chose puisse se réaliser. Et la patience fait partie du calme nécessaire. Les nerfs sont un peu impatients et c'est mauvais pour eux, très mauvais.

21 août 1965

(À propos d'un ancien Entretien, du 17 mars 1951, publié dans le dernier «Bulletin», où Mère raconte qu'en venant du Japon, Elle a senti l’atmosphère de Sri Aurobindo à deux milles marins de Pondichéry:)

Il paraît qu'en 1958, nous avons dit une chose et que cette fois-ci, nous en avons dit une autre, alors on me demande ce qui est vrai. C'est à propos de l’atmosphère de Sri Aurobindo que j'ai sentie sur la mer. Alors en 1958 (probablement je me souvenais mieux), j'avais dit 10 milles marins (je me souviens d'avoir demandé sur le bateau, pour savoir), et il paraît que cette fois-ci, j'ai dit deux milles. Alors on me dit...

Quelle importance!

Ils sont comme cela, ils sont idiots.

Oui.

C'est accablant. Alors j'ai répondu...

Tu as répondu que c'était à neuf milles, virgule huit cent soixante-quinze!?

(Mère rit) C'est cela!

Je ne leur ai pas dit cela, j'ai dit simplement (parce que de cela, je me souviens) que l’on ne voyait pas la côte. Mais maintenant, ça me paraît une autre vie...

Mais quelle importance?!

Absolument! ils sont idiots.

C'est comme cela qu'on lit ce que j'écris. On prend une loupe et on voit qu'il y a une faute ici, une faute là...

(Mère donne une fleur au disciple: une rose)

Elle est belle. C'est beaucoup plus joli que les hommes.

Oh! oui, c'est sûr.

(Mère tend une autre fleur appelée «prière») Tiens, c'est une prière pour qu'ils changent.

Non, mais on ne devrait jamais donner de précisions, comme cela ils ne pourraient pas vous les envoyer dans les jambes.

Mais ça me semble tellement idiot!

Oui, mais ils SONT idiots – ce n'est pas de leur faute.

Et si on leur disait que ça n'a pas d'importance, ils diraient: «Ah! c'est pour couvrir son erreur»...


Mère semble fatiguée. Elle entre dans une longue contemplation, puis se met à parler:

Le 15 août au balcon, Sri Aurobindo était là. Il était venu et il est sorti avec moi. Je n'ai rien dit à personne, absolument personne. Et il y a une petite, qui a une quinzaine d'années maintenant, que l’on considère ici comme une mauvaise élève, irrégulière, fanciful, fantaisiste (il avait même été question de l’envoyer dehors), mais je l’avais fait venir pour son anniversaire et, moi, je la trouvais bien (!) Et elle m'a écrit il y a deux ou trois jours qu'au Darshan, le 15 août, elle a vu Sri Aurobindo à ma droite. Et elle m'a demandé (riant): «Est-ce que c'est vrai?»

Ça m'a bien amusée. Je me suis dit: «Voilà les jugements moraux sur les élèves ici! C'est comme cela.»

Mais maintenant, je ne vois plus les enfants; avant, je les voyais tous les jours, ou en tout cas une fois par mois je les voyais régulièrement. Quand j'allais au Playground, je les voyais tous les jours. Mais maintenant, je ne les vois plus, sauf quelques-uns pour leur anniversaire.

Mais cela m'a intéressée. Peut-être que d'autres ont vu aussi et ne m'ont rien dit. Mais elle, elle m'a écrit: «Eh bien, voilà, j'ai vu Sri Aurobindo qui se tenait debout à côté de toi, est-ce que c'est vrai?»

(silence)

Depuis le 15, il y a tout un travail de préparation de la transformation... Comment pourrait-on appeler cela?... Un transfert de pouvoir.

Les cellules, toute la conscience matérielle, obéissait à la conscience individuelle intérieure – psychique le plus souvent, ou mentale (mais le mental, il y a longtemps qu'il se taisait). Mais maintenant, ce mental matériel est en train de s'organiser comme l’autre,1 ou plutôt comme tous les autres, comme le mental de tous les états d'être – figure-toi qu'il s'éduque. Il apprend les choses et il organise la science ordinaire du monde matériel. Par exemple, quand j'écris, j'ai remarqué qu'il est très soigneux de ne pas faire de fautes; et il ne sait pas, alors il se renseigne, il apprend, il regarde dans le dictionnaire ou il demande. C'est très intéressant. Il veut savoir. N'est-ce pas, toute la mémoire qui venait de la connaissance mentale, il y a longtemps-longtemps qu'elle est partie, et je recevais seulement comme cela (geste d'en haut) les indications. Mais maintenant, c'est une espèce de mémoire qui se construit d'en bas, et avec un soin de petit enfant qui s'éduque mais qui veut savoir, qui ne veut pas faire de fautes – qui est tout à fait conscient de son ignorance et qui veut savoir. Et ce qui est vraiment intéressant, c'est qu'il sait que c'est tout à fait... plus que relatif, que c'est simplement conventionnel, mais ce serait comme un instrument qui ne veut pas avoir de défaut, comme une machine qui voudrait être parfaite.

C'est un éveil assez récent. Il y a eu comme un renversement de conscience.

Et ça correspond, la nuit, à des activités tout à fait étranges: une façon tout à fait nouvelle de voir, de sentir et d'observer les gens, les choses. La nuit dernière, par exemple, il y a eu pendant plus de deux heures une claire vision – vision active (c'est-à-dire par l’action) – de la façon dont les consciences humaines rendent compliquées et difficiles les choses les plus simples. C'était fantastique – fantastique. Et alors, cette conscience était spontanément mue par la Présence divine, mais elle suivait les mouvements humains des autres avec la perception claire de la chose simple et de la façon dont elle devient compliquée. C'était symbolique, imagé; une activité imagée en ce sens qu'elle n'était pas purement matérielle, physique, telle que nous la connaissons ici, mais dans un physique symbolique, imagé (là où le monde matériel est comme de la glaise). C'était très intéressant.

Seulement il y avait une très grande intensité de transformation, et (comment dire?)... C'est comme un déplacement de la volonté directrice. Et là, matériellement, physiquement, il y a comme un étonnement, et un besoin de s'identifier à la nouvelle direction – c'est un petit peu difficile. C'est difficile à expliquer aussi... Ce n'est plus la même chose qui vous fait agir – «agir», tout, n'est-ce pas: bouger, marcher, n'importe quoi. Ce n'est plus le même centre. Et alors si, par habitude, on essaie de se raccrocher au vieux centre, oh! ça fait un grand désordre, et il faut être bien soigneux de ne pas laisser l’habitude, la vieille habitude s'exprimer, se manifester.

C'est difficile à dire. C'est encore trop seulement une action.


(Mère passe à la traduction de «Savitri». Une ou deux fois, Elle remarque qu'Elle n'entend rien du tout lorsque le disciple lui parle.)

...C'est un phénomène très bizarre. Il y a des moments où je vois avec une précision beaucoup plus grande que la précision ordinaire, comme je n'ai jamais vu; il y a des moments où j'ai l’impression d'un matelas de brouillard entre moi et le monde. Je vois (je SAIS plutôt les choses, que je ne les vois), et c'est une vision comme à travers un voile.

Pour entendre, c'est la même chose. Il y a des fois où le moindre petit son est distinct; mais le son n'est plus là (dans l’oreille), c'est... quelque part (geste autour ou au-dessus de la tête). Il y a d'autres moments où je n'entends plus rien du tout. Pendant longtemps, c'était une question de gens, d'heures, d'endroits – toi, par exemple, je t'entendais très bien. Mais maintenant, ce n'est plus comme cela, c'est... Je me suis réveillée avec, oui, comme un matelas de brouillard entre moi et le monde quand je me suis levée ce matin, quand je suis sortie de tout cela, oh! deux heures d'une activité effroyable, effroyable (et en même temps tellement intéressante, où il y avait beaucoup de gens et des choses fantastiques).

La nuit d'avant, j'avais passé plus de deux heures avec Sri Aurobindo... Nous étions assis sans être assis (c'est une chose curieuse, mais tellement concrète) et en train de corriger des phrases (!) c'est-à-dire de préciser des expressions.2 Il avait même (je lui avais demandé quelque chose), il avait son crayon ou sa plume entre les lèvres, comme un enfant, avec une figure presque d'enfant, et au bout d'un moment, il m'a dit: «No, you put it like that»... [Non, mets cela comme ça.] Après, je me suis dit: «Tiens! mais comment étions-nous assis?» Il n'y avait pas de sièges et nous n'étions pas debouts, et pourtant nous étions très confortables!

La pensée ici, dans ce cerveau-là, a de la difficulté à s'adapter.

Parce que pendant deux jours (je veux dire deux jours continus), il y avait tout le temps une aspiration: «Comment sera ce monde nouveau quand il sera matériel ici? Comment sera ce monde nouveau?...» Et alors, ça m'avait tellement mis «dedans», que j'étais... je n'étais pas loin mais il y avait ce matelas de brouillard entre moi et le monde tel qu'il est.

C'était là encore aujourd'hui.

(silence)

Ce matin, par exemple, plusieurs fois pendant un certain temps (je ne sais pas combien de temps, mais pas très court: un quart d'heure, une demi-heure, je ne sais pas), les cellules du corps, c'est-à-dire la forme du corps, avait l’expérience que de rester ensemble ou de se dissoudre dépend d'une certaine attitude – une attitude ou une volonté; quelque chose qui tient de la volonté et de l’attitude. Et avec la perception (quelquefois presque double, en même temps, l’une étant plutôt un souvenir et l’autre une chose vécue) de ce qui vous fait mouvoir, agir, savoir; la vieille manière comme un souvenir, et la nouvelle manière où, évidemment, il n'y a aucune raison de se dissoudre, excepté si on le choisit – ça n'a pas de sens, c'est une chose qui n'a pas de sens: pourquoi se dissoudre?

C'était un peu hier et c'était beaucoup ce matin.

Et si, au moment où l’on retombe... Ce n'est pas exactement cela: quand la vieille conscience revient à la surface, si l’on n'est pas très attentif, ça produit naturellement un évanouissement.

Pendant... oh! c'était longtemps, pendant tout le temps entre cinq heures et six heures moins le quart, c'était comme cela.

Cela donne, en même temps, un sentiment d'irréalité de la vie et d'une réalité que l’on pourrait appeler éternelle:3 le sens de la mort n'existe pas, ça ne veut rien dire. Ce n'est qu'un choix. Et la dislocation qui n'a pas de sens, qui n'a pas de raison d'être: c'est une fantaisie.

Et alors toute la vieille manière de voir, de sentir, de percevoir est derrière comme une sorte de matelas – un matelas de brouillard – qui rend le contact cotonneux, imprécis.

Maintenant, n'est-ce pas, j'ai retrouvé la conscience ordinaire, alors je peux l’exprimer; autrement c'était difficile à exprimer. Et le contraste ou l’opposition est pénible, douloureuse; les deux se plaignent: l’autre a l’impression qu'il s'évanouit, et le nouveau, qu'on ne le laisse pas tranquille. Quand on est dans l’un ou dans l’autre, ça va, mais quand les deux sont ensemble... ce n'est pas très agréable. Et il y a une sorte de sentiment d'incertitude: on ne sait pas très bien où l’on est, si l’on est ici, si l’on est là; on ne sait pas très bien.4

Bon.

Et alors, la stupidité des gens et des choses devient cruelle, parce que, même dans la conscience ordinaire, toutes ces choses n'ont pas de sens pour moi, mais alors, avec cette nécessité de garder deux états presque contradictoires en même temps (une période de transition, n'est-ce pas), si l’on ajoute là-dessus un tombereau d'idioties, ce n'est pas agréable.

C'est comme ce «Monsieur» (la Mort dans Savitri), toutes les bêtises qu'il dit!

25 août 1965

(Mère lit un passage des «Essais sur la Guîtâ» qu'Elle veut publier dans le prochain Bulletin:)

"No real peace can be till the heart of man deserves peace; the law of Vishnu cannot prevail till the debt to Rudra is paid. To turn aside then and preach to a still unevolved mankind the law of love and oneness? Teachers of the law of love and oneness there must be, for by that way must come the ultimate salvation. But not till the Time-Spirit in man is ready, can the inner and ultimate prevail over the outer and immediate reality. Christ and Buddha have come and gone, but it is Rudra who still holds the world in the hollow of his hand. And meanwhile the fierce forward labour of mankind tormented and oppressed by the powers that are profiteers of egoistic force and their servants cries for the sword of the Hero of the struggle and the word of its prophet."

(Essays on the Gita, XIII.372)

(traduction)

«Il ne peut pas y avoir de vraie paix tant que le cœur de l’homme ne méritera pas la paix: la loi de Vichnou [le dieu d'amour] ne peut prévaloir tant que la dette avec Roudra [le dieu de la destruction] ne sera pas payée. Alors se détourner pour prêcher la loi de l’unité et de l’amour à une humanité encore non évoluée? Des instructeurs de la loi de l’amour et de l’unité, il faut qu'il y en ait, certes, car c'est par cette voie que viendra l’ultime salut. Mais tant que l’Esprit des Temps ne sera pas prêt dans l’homme, la réalité ultime et intérieure ne peut pas prévaloir sur la réalité imédiate et extérieure. Le Christ et le Bouddha sont venus et partis, mais c'est Roudra qui tient toujours le monde dans le creux de sa main. En attendant, le féroce labeur de progrès d'une humanité tourmentée et opprimée par des Pouvoirs qui sont les profiteurs et serviteurs de la force égoïste appelle l’épée du Héros et la parole du prophète de la lutte.»

C'est exactement le portrait de la situation.

La dernière fois, je disais comme la chose était proche, et puis... (geste comme une lame de fond) imédiatement, tout le contraire se lève: tous les gens se mettent de travers, les uns sont malades, les autres méchants, les autres sont furieux... oh! Et tout grince et crie et... Chaque fois qu'il y a quelque chose qui s'approche: «Ah! ça y est, on a attrapé la chose», imédiatement, vrrrm!

Bien.

On n'a pas encore payé sa dette, comme dit Sri Aurobindo.

Que faire?... Continuer. Être plus endurant que l’opposition.

Plus endurant. Sri Aurobindo a dit: «La victoire est au plus endurant.»

C'est évident. Il n'y a qu'à durer.

28 août 1965

(À propos de la conversation du 21 août et de l’expérience du «transfert de pouvoir» à la conscience cellulaire:)

J'ai dit l’autre jour que cet agrégat de cellules avait changé de pouvoir initiateur.1 Cela m'a fait l’effet d'une expérience unique, de quelque chose qui n'avait jamais eu lieu avant. Malheureusement, ça n'a pas duré longtemps. Mais l’expérience a laissé une sorte de certitude dans le corps: il est moins incertain de l’avenir. Comme si c'était venu lui dire: «Ce sera comme cela.»

Si cela reste, c'est l’évidente immortalité.

Je me souviens, quand je l’ai dit, ce n'était plus du tout une chose personnelle: si tu peux attraper ça...

31 août 1965

(À propos de la conversation du 21 août et du 28 août sur le «transfert de pouvoir»:)1

Comment définis-tu ce mental physique, celui qui a fait l’objet du transfert de pouvoir?

Ce n'est pas le mental physique. Le mental physique, il y a longtemps... C'est le mental matériel – pas même le mental matériel: le mental de la Matière.2 C'est la substance mentale qui appartient à la Matière elle-même, aux cellules. C'est ce que l’on appelait autrefois «l’esprit de la forme» quand on disait que les momies gardaient leur corps intact aussi longtemps que l’esprit de la forme persistait.3 C'est ce mental-là, ce mental tout à fait matériel. l’autre, le mental physique, il y a longtemps qu'il était organisé.

Le mental physique, c'est le mental de la personnalité physique formée par le corps. Il croît avec le corps, mais ce n'est pas le mental de la Matière: c'est le mental de l’être physique. Par exemple, c'est ce mental physique qui donne le caractère: caractère corporel, caractère physique, qui est en grande partie formé par l’atavisme et par l’éducation. C'est tout cela que l’on appelle le «mental physique». Oui, c'est le résultat de l’atavisme, de l’éducation et de la formation du corps; c'est ce qui fait le caractère physique. Par exemple, il y a des gens qui sont patients, des gens qui sont forts, etc.; physiquement, n'est-ce pas, non pour des raisons vitales ou mentales mais purement physiquement, on a un caractère. C'est le mental physique. Et cela fait partie de tout yoga intégral: on fait la discipline de ce mental physique. Il y a plus de soixante ans que j'ai fait cela.

Mais alors, par exemple, ce mental qui est spontanément défaitiste, qui a toutes sortes de craintes, de peurs, qui voit le pire, qui répète toujours les mêmes choses, est-ce le mental physique ou le mental matériel?

C'est la partie la plus inconsciente du mental physique, et c'est ça qui fait le lien entre le mental physique et cette substance matérielle. Mais c'est déjà un mental organisé, tu comprends? C'est la partie la plus matérielle, celle qui touche au mental... (comment peut-on appeler ce mental?) on ne peut même pas l’appeler le «mental corporel»: c'est le mental des cellules, c'est un mental cellulaire.

Ce mental cellulaire existe dans les animaux, et même il y a un petit commencement (mais très petit, comme une promesse) dans les plantes: elles répondent à une action mentale. Elles répondent. Dès que la Vie se manifeste, il y a déjà le commencement, comme une promesse de mental, de mouvement mental. Et dans les animaux, c'est très clair. Tandis que ce mental physique n'a vraiment commencé à exister que dans l’homme. C'est ce que le tout petit enfant a déjà: il a déjà un mental physique; c'est-à-dire que deux tout petits enfants ne sont pas pareils, leurs réactions ne sont pas les mêmes, il y a déjà une différence. Et c'est surtout ce qui vous est donné avec la FORME spéciale de votre corps, par l’atavisme, puis développé pleinement par l’éducation.

Non, le mental physique, dès que l’on fait un yoga intégral, il faut s'en occuper, tandis que ce mental matériel, cellulaire, je t'assure que c'est tout à fait nouveau! C'est tout à fait nouveau.

C'est le mental qui était comme une substance non coordonnée, qui avait une activité constante, pas organisée (Mère fait un geste de trépidation continue). C'est celui-là qui est en train de s'organiser. C'est ça qui est important, parce que Sri Aurobindo avait dit que c'était inorganisable et qu'il n'y avait qu'à le rejeter de l’existence. Et j'avais cette impression aussi. Mais quand l’action transformatrice est constante sur les cellules, ce mental matériel commence à s'organiser, c'est cela qui est merveilleux! il commence à s'organiser. Et alors comme il s'organise, il apprend à SE TAIRE – c'est cela qui est beau! Il apprend à rester tranquille, à se taire et à laisser la Force suprême agir sans intervenir.

Le plus difficile, c'est dans les nerfs, parce qu'ils ont tellement l’habitude de cette volonté consciente ordinaire que quand elle s'arrête et que l’on veut l’Action directe de tout en haut, ils deviennent comme fous. Hier matin, j'ai eu cette expérience-là, qui a duré plus d'une heure, et c'était difficile; mais ça m'a appris beaucoup de choses – beaucoup de choses. Et tout cela, c'est ce que l’on peut appeler le «transfert de pouvoir»: c'est l’ancien pouvoir qui se retire. Et alors, avant que le corps ne s'adapte au nouveau pouvoir, il y a une période, là, qui est critique. Comme toutes les cellules sont en état d'aspiration consciente, ça va relativement vite, mais tout de même... les minutes sont longues.

Mais de plus en plus, il y a une espèce de certitude dans les cellules, que tout ce qui se passe est en vue de cette transformation et de ce transfert du pouvoir directeur. Et même au moment où c'est matériellement douloureux (pas même physiquement: matériellement douloureux), les cellules gardent cette certitude. Et alors elles résistent, elles endurent la souffrance sans dépression, sans être aucunement affectée, avec cette certitude que c'est pour préparer la transformation, que c'est même le processus de transformation et du transfert du pouvoir directeur. Comme je le disais, c'est dans les nerfs que l’expérience est la plus pénible (naturellement, parce que ce sont les cellules les plus sensibles, celles qui ont la sensation la plus aiguë). Mais ils ont une réceptivité très considérable, très spontanée, spontanément forte – il n'y a pas d'effort à faire – à la vibration physique harmonieuse (qui est très rare, mais enfin ça existe chez certains individus), et cette vibration physique... ce que l’on pourrait appeler une FORCE physique, une vibration harmonieuse physique (spontanément harmonieuse, n'est-ce pas, sans nécessité d'une intervention mentale – comme les vibrations d'une fleur, par exemple; il y a des vibrations physiques qui sont comme cela, qui portent en elles une force harmonieuse) et les nerfs sont extrêmement sensibles et réceptifs à cette vibration, qui les remet d'aplomb tout de suite.

C'est très intéressant, ça explique beaucoup-beaucoup de choses. Un jour viendra où tout cela sera expliqué et mis à sa place. Ce n'est pas encore le moment de révéler, mais c'est très intéressant.

J'ai vraiment l’impression que ça commence à s'organiser, le travail commence à s'organiser.

Naturellement, il faut éviter soigneusement de faire intervenir une organisation mentale, c'est pour cela que je n'essaye pas d'expliquer trop. Le mental vient, et alors ce n'est plus ça.

septembre




4 septembre 1965

(Il est question d'une deuxième opération que doit, ou devrait, subir le disciple. Mère refuse l’opération et conseille certains exercices:)

Je demandais justement que tu me guérisses sans que l’on fasse d'opération!

Non! il faut aider le corps. C'est entendu, dans les exercices et dans les supports matériels et dans tout je mettrai la Conscience, mais il faut aider – il faut aider le corps. C'est une modestie nécessaire.

C'est la même chose pour la nourriture. Nous sommes obligés de manger, n'est-ce pas, et ce n'est pas intéressant, ce n'est pas par plaisir, mais... (Mère parle au corps:) «Là, maintenant, soyez modeste, indispensablement modeste: il est nécessaire de manger et il faut manger.» Et par-dessus le marché, il faut manger ce que l’on DOIT manger, ce qui aide le plus le corps... C'est une histoire que je me suis racontée depuis des années, mais c'est absolument vrai. Et quand vous commencez à être orgueilleux, vous recevez une bonne tape sur la figure, c'est-à-dire une douleur ou un accident: «Tiens, voilà! maintenant sois modeste, tu comprends?» Alors il dit: «Oui-oui, j'ai compris»!

8 septembre 1965

Mère lit quelques vers de «Savitri» qu'Elle s'apprête à traduire:

The great stars burn with my unceasing fire
And life and death are both its fuel made.
Life only was my blind attempt to love:
Earth saw my struggle, heaven my victory.1

(X.III.638)

Elle dit: Life and death are the fuel [La vie et la mort sont le combustible], puis, In my blind attempt life only was my attempt to love [Dans mon essai aveugle, la vie seule fut mon essai d’amour2]. Parce que mon essai d'amour était aveugle, je le bornais à la vie – mais j'ai remporté la victoire dans la mort.

C'est très intéressant (Mère répète:)

Earth saw my struggle, heaven my victory
[La terre vit ma lutte, le ciel ma victoire]

Pourtant, Earth should see the victory? Ce devrait être sur la terre, la victoire?

Oui, mais elle ne pouvait pas remporter la victoire sur la terre parce qu'il lui manquait le ciel – elle ne pouvait pas remporter la victoire dans la vie parce qu'il lui manquait la mort et qu'il lui fallait conquérir la mort pour conquérir la vie.

C'est cela, l’idée. À moins que l’on ne conquière la Mort, la victoire n'est pas remportée. Il faut vaincre la mort, qu'il n'y ait plus de mort.

C'est très clair.

(silence)

D'après ce qu'il dit là, c'est le principe d'Amour qui se transforme en flamme et finalement en lumière. Ce n'est pas le principe de Lumière qui se transforme en flamme en se matérialisant: c'est la flamme qui se transforme en lumière.

Les grandes étoiles donnent de la lumière parce qu'elles brûlent; elles brûlent parce qu'elles sont l’effet de l’Amour.

l’Amour serait le Principe originel?

C'est ce qu'il tendrait à dire.

Je ne me souvenais pas de ce passage. Mais je te l’ai dit: mon expérience3 est que la dernière chose à mesure que l’on s'élève – la dernière chose par-delà la lumière, par-delà la conscience, par-delà... –, la dernière chose que l’on touche, c'est l’Amour. «On», ce «on», c'est... c'est Moi – je n'en sais rien. D'après l’expérience, c'est la dernière chose à se manifester dans sa pureté maintenant, et c'est elle qui a le pouvoir de transformer.

C'est ce qu'il semblerait dire là: la victoire de l’Amour paraît être la victoire finale.

(silence)

Il a dit: «Savitri, une légende et un symbole»; c'est lui qui en a fait un symbole. C'est l’histoire de la rencontre de Savitri, principe d'Amour, avec la Mort; et c'est sur la Mort qu'elle a remporté la victoire, ce n'est pas dans la vie. Elle ne pouvait pas remporter la victoire dans la vie si elle n'avait pas remporté la victoire sur la Mort.

Je ne savais pas que c'était mis là si clairement. Je l’ai lu, mais je ne l’avais lu qu'une fois.

C'est très intéressant.

Combien de fois! combien de fois j'ai vu qu'il avait écrit mes expériences... Parce que pendant des années et des années, je n'avais pas lu les œuvres de Sri Aurobindo; ce n'est qu'avant de venir ici que j'avais lu La Vie Divine, La Synthèse des Yoga et encore quelque chose d'autre. Par exemple, Les Essais sur la Guita, je ne l’avais jamais lu, et Savitri je ne l’avais jamais lu, je l’ai lu tout dernièrement (c'est-à-dire il y a une dizaine d'années, en 1954 ou 55). Le livre Sri Aurobindo on Himself and on the Mother, je ne l’avais jamais lu, et quand je l’ai lu, je me suis aperçue de ce qu'il écrivait aux gens sur moi – je n'en savais rien, il ne m'avait jamais rien dit!... N'est-ce pas, il y a des quantités de choses que j'avais dites quand je parlais aux gens – que j'avais dites comme cela, parce que ça venait (geste d'en haut) et je disais –, je me suis aperçue qu'il les avait écrites. Alors naturellement, j'avais l’air simplement de répéter ce qu'il avait écrit – mais je ne l’avais jamais lu! Et maintenant, c'est la même chose: ce passage de «Savitri», je l’avais lu, mais je ne l’avais pas remarqué – parce que je n'avais pas eu l’expérience. Mais maintenant que j'ai eu l’expérience, je vois qu'il la dit.

C'est bien intéressant.

Il va falloir peut-être relire «Savitri»?...

Au fond, si nous étions bien gentils, nous essaierions de traduire tout «Savitri», non? Ce que nous faisons maintenant pour la fin (le livre X), le faire pour tout le reste. Il y a une partie que j'ai essayée toute seule, mais ce serait amusant de la faire ensemble. On pourrait essayer. Pas pour la publication! parce que imédiatement il y a une dégradation: tout ce que l’on publie est dégradé, autrement les gens ne comprennent pas. La faire pour soi.

Mais c'est très intéressant.

Justement j'ai noté quelque chose l’autre jour à ce sujet (Mère cherche une note, puis lit):

«Très rares et exceptionnels sont les êtres humains qui peuvent comprendre et sentir l’Amour divin, parce que l’Amour divin est sans attachement et sans besoin de plaire à l’objet aimé.»

C'était une découverte.

C'est pour cela que les hommes ne comprennent pas; pour eux, l’amour est tellement comme cela (Mère joint les doigts de sa main droite entre les doigts de sa main gauche) qu'ils ne peuvent même pas sentir ni croire qu'ils aiment si ce n'est pas un attachement comme cela (même geste). Et alors forcément, la conséquence de l’attachement, c'est la volonté, le désir, le besoin de plaire à l’objet que l’on aime.

Si l’on enlève l’attachement et le besoin de plaire, les hommes se grattent la tête et se demandent s'ils aiment. Et c'est seulement si l’on enlève ces deux choses que commence l’Amour divin!

Ça, mon petit, nous en reparlerons, c'est une révélation.

C'est pour cela qu'ils ne comprennent pas et c'est pour cela qu'ils ne peuvent pas le sentir.

11 septembre 1965

(Le 6 septembre, après de nombreuses escarmouches dans le désert de Kutch depuis des mois, les troupes indiennes ont pénétré au Pakistan. Karachi demande l’aide des «alliés occidentaux». New Delhi ordonne la mobilisation générale. Le 16 septembre, la Chine exprimera son soutien au Pakistan. Le 19 septembre, le Conseil de Sécurité enjoint l’Inde et le Pakistan de déposer les armes et la Russie propose une rencontre à Tachkent. Le 22 septembre, l’Inde et le Pakistan donnent l’ordre de cessez-le-feu. Le 29 septembre, la Chine renouvelle ses revendications sur 90.000 km2 de territoire indien. C'est le deuxième conflit indo-pakistanais depuis l’Indépendance. Il y en aura un troisième en 1971 au moment du Bangladesh.)

On nous menace d'un black-out.

C'est commencé.

Oui, mais enfin, pour le moment, ils ont seulement enlevé toutes les lumières de la rue – pour faciliter le travail des voleurs. Mais ils n'ont encore rien dit pour les lumières du dedans.

Ils veulent enlever celles-là aussi?

Oui. Alors il n'y aura plus qu'à se coucher à sept heures du soir (même plus tôt) jusqu'à six heures du matin. On ne pourra plus rien faire. C'est idiot. D'autant plus que s'il y a un magnifique clair de lune, on n'a pas besoin de lumière pour bombarder.

Comment veux-tu que les avions viennent du Pakistan jusqu'ici? Ils n'auraient pas de quoi retourner.

Ce n'est pas cela. Ils ont envoyé des bateaux porte-avions.

Le Pakistan?

Oui. Ils ont déjà bombardé plusieurs endroits.

Est-ce que cette fois, tu vas permettre aux Indiens d'aller jusqu'au bout?1

Moi, je n'ai rien à voir là-dedans.

Tu n'as rien à voir?... Tu laisses faire?

Non, vraiment... Il m'a été dit beaucoup de choses, mais parmi ces beaucoup de choses, il m'a été dit que c'était pour arriver à une conclusion.

C'était ridicule, non?2

Ah, oui!

On va voir.

Auront-ils [les Indiens] le courage de résister à la pression des Américains, des Anglais, etc.? C'est cela, le plus difficile. Le plus difficile, ce n'est pas militairement, c'est politiquement de résister aux pressions de tous ces gens qui disent: «Il faut faire la paix.»

Mais ils ne sont pas sincères.

C'est cela, le malheur, il n'y a aucune de ces nations qui soit sincère. Ils prétendent, ils prennent une attitude, mais ce n'est pas vrai.

On dit (on dit beaucoup de choses, mais il y a toujours quelque chose de vrai qui est déformé), on dit que, extérieurement, l’Amérique prêche la paix, mais que, en dessous, elle offre de l’argent aux gens qui déclarent la guerre à certains gouvernements. Je ne sais pas si c'est vrai... Il doit y avoir quelque chose de vrai. Le nouveau Président de je ne sais plus quel pays (le Vietnam, je crois) a fait une déclaration publique disant que l’Amérique lui avait offert des sommes fantastiques pour qu'il prenne parti – est-ce vrai? n'est-ce pas vrai? on ne sait pas. Tout le monde dit des mensonges, mais derrière tous ces mensonges, il y a quelque chose.

Je ne sais pas.

Il faudrait en finir.

Il y a une chose, c'est que le Pakistan dépend entièrement de l’aide qu'on lui donne – il ne fait rien lui-même. Ils n'ont pas d'usines, ils n'ont pas d'industries, ils n'ont rien. Alors évidemment, ils sont dans une situation inférieure.

Mais enfin, tout cela...

Il y a des gens, avec raison, qui voient une analogie entre cette guerre et celle de la Guîtâ où Arjouna devait combattre les membres de sa propre famille. On dit que ce sont les membres de la même famille qui sont en train de se battre, et peut-être justement pour...

Ce que j'ai senti fortement, c'est qu'il fallait que quelque chose éclate: c'était trop absurdement tendu sans vérité.

Je ne sais pas si je t'ai dit que la veille du jour où l’on a su que c'était devenu vraiment une espèce de guerre, la veille, la nuit d'avant, j'ai eu une expérience que j'ai eue seulement deux ou trois fois dans ma vie, et toujours en des circonstances analogues. Cette fois-ci, je ne m'attendais à rien du tout, et la nuit, il y a eu dans l’atmosphère TERRESTRE, avec une concentration sur l’Inde, une sorte de... quelque chose que l’on peut appeler une «pression du Suprême» (c'est comme si la Conscience du Suprême faisait une pression), et ça produit un certain genre d'immobilité qui a une solidité et une consistance qu'on ne trouve nulle part ailleurs. N'est-ce pas, c'est même plus solide et plus consistant que l’inertie la plus inerte. Et c'est la pression de la Puissance Suprême. C'est presque intolérable ou insupportable pour la Matière, pour la substance matérielle. Et ça fait comme cela (geste de descente massive), absolument une impossibilité de bouger, et en même temps on sent que c'est la Puissance Suprême. Eh bien, ça a duré des heures la nuit, et j'étais extrêmement attentive pour savoir ce que cela voulait dire. Et le lendemain, on m'a dit que ça avait tout d'un coup éclaté comme une guerre: tous ces tiraillements qu'il y a depuis... des années, tout d'un coup avaient pris cette forme.

Alors il est évident que c'était une intervention très exceptionnelle qui a apporté cela.

Mais pendant que j'avais l’expérience, il n'y avait absolument aucune conscience du but, du mobile, de la raison d'être, rien: c'était comme cela (même geste massif qui empoigne tout), une espèce d'absolu, sans explication.

J'ai eu cela deux ou trois fois dans ma vie, dans les circonstances terrestres les plus sérieuses.

C'est pour cela; le lendemain, on m'a dit ce qui se passait et on m'a demandé ce que je sentais; j'ai répondu simplement: «C'est grave.»

Ce ne peut être que grave.

Maintenant... «grave», ce que l’on pourrait appeler grave, c'est quand cela devient mondial.

Pour le moment, il paraît que le Pakistan a demandé déjà l’aide de trois ou quatre pays, qui ont refusé. Mais les nouvelles... je n'y attache aucune importance parce qu'elles sont toujours falsifiées. Par exemple, quand un pays comme l’Angleterre peut décider de donner son appui, officiellement elle dira: «Nous n'avons rien à voir avec votre guerre.» Alors, cela ne veut rien dire.

Voilà.

J'espère tout de même que l’on nous permettra de travailler un peu le soir, autrement on se repose... On se «repose» (!)... dès que je suis étendue là, sur ce qu'on appelle mon «lit», je commence à travailler.

Bien.

15 septembre 1965

J'ai passé ma nuit dans... pas un ouragan, pas un cyclone, mais... pire que n'importe quel cyclone. J'étais dans une salle obscure, toute vitrée (symbolique), et à travers les vitres, j'ai vu... Partout où je regardais il y avait du vent qui soufflait de tous les côtés, qui emportait tout: maisons, arbres, tout-tout. Ça ne cessait pas.

Et un bruit infernal. Il était évident que cela aurait dû emporter l’endroit où j'étais aussi, mais ça ne bougeait pas.

Et une indication. l’endroit où j'étais était très grand (c'était plus grand qu'une maison) et je circulais: j'avais essayé de me reposer quelque part, mais c'était tellement effroyable comme bruit et comme vacarme que c'était impossible, alors je me suis levée. Il y avait trois personnes, dont deux ont un corps et une n'a pas de corps (je les connais), et elles n'étaient pas au même endroit. La première personne était avec moi, dans l’endroit où je voulais me reposer, mais j'ai dit: «C'est impossible», alors je suis partie de là et je suis allée à l’autre bout, et là j'ai trouvé la personne qui n'a pas de corps et qui regardait intensément à travers ces murs de verre, comme cela, toute tendue (ce qui prouverait que c'est dans le physique subtil aussi, ou même dans le vital le plus matériel). Oh! jamais, on ne peut pas imaginer cela... J'ai regardé un certain temps, là, puis je suis partie de là pour rentrer dans l’endroit où je me reposais (avec un petit travail intérieur, en me disant: «C'est bon, je vais trouver le moyen de me reposer tout de même»). Et en passant, j'ai vu quelqu'un (N pour ne pas le nommer) qui était debout dans une espèce de couloir (mais pas étroit: un grand couloir) et qui regardait aussi intensément.

l’ouragan n'avait pas tout à fait la même couleur (comment expliquer cela?) dans ce grand endroit où était la personne qui n'a pas de corps, et là, dans ce couloir; là-bas, c'était très rouge, comme si toutes les feuilles étaient rouges, les arbres étaient rouges (il y avait d'autres couleurs, mais une dominante de rouge), tandis que là, c'était d'une couleur plus boueuse. Mais tellement fort! tellement fort que c'était difficile d'en sortir.

Alors quand j'en suis sortie (il était trois heures du matin), je me suis dit: «Bon, maintenant je vais m'occuper d'autre chose», et j'ai fait une concentration spéciale pour sortir de ça. Et je me suis trouvée dans un endroit que je connais très bien, qui est comme une réplique – une réplique mentale – de ce que l’on pourrait appeler certaines «chambres de l’Ashram» (ce n'est pas exactement cela, mais ça correspond), et là, il y avait un monsieur que je connaissais très bien, qui était Français et qui était venu me voir. Il avait un grand bureau, il était assis au bureau, et il t'attendait: tu devais venir (c'est pour cela que je te le raconte). Mais moi, je voulais le voir avant qu'il ne te voie. J'avais quelque chose à lui dire. Et alors, au lieu de passer par la porte habituelle, je suis passée d'un autre côté et je suis arrivée avant toi. Je l’ai vu (nous ne nous sommes pas parlés – je ne parle jamais aux gens), mais il était très chaleureux, très enthousiaste, très amical et plein d'une sorte de ferveur assez agréable – ignorante mais agréable. Un homme un peu grand, je crois, qui était habillé d'un costume européen ordinaire. Je ne peux pas très bien le décrire; si je le voyais, je dirais: «Oui, c'est ça.» Et il m'a dit deux mots qui étaient comme... (qui ne voulaient rien dire du tout) mais qui étaient comme l’expression de son sentiment. Je ne me souviens plus exactement du mot, mais ce n'était rien, c'était «oh!...» quelque chose. Alors j'ai mis mon message dans sa tête et je suis partie, et comme je m'en allais (riant), je suis presque tombée sur toi qui arrivais vite! et je te disais: «Ne t'inquiète pas, ne t'inquiète pas, tout va bien!» Et je suis partie.

C'est peut-être l’un des éditeurs, ou peut-être l’homme à qui tu as envoyé ton article.1

Mais je suis allée là simplement pour sortir de cet ouragan: je n'avais pas l’intention vraiment de m'occuper de cela, mais je m'en suis occupée; je t'ai dit: «Tout va bien, tout va bien, ne t'inquiète pas!»... Je te vois rarement d'une façon aussi concrète: nous sommes presque tombés l’un sur l’autre! C'était vers trois heures et demie du matin. Tu dormais profondément, non?

Mais c'était à ta ressemblance physique: ça veut dire que c'est assez matériel. Et cela concernait ton travail, quelque chose que tu avais écrit. Ce n'est pas que je m'en préoccupais ou que ça m'occupait spécialement, non, je l’ai fait comme un dérivatif.

Mais qu'est-ce que cet ouragan? Il va nous tomber dessus?

(Silence)... Ce n'était pas localisé... Ce pourrait être une guerre générale.

J'ai «reçu» beaucoup de choses... Je commence à y attacher de l’importance parce que je me suis aperçue que ces «choses» (que je considérais toujours comme des courants de pensée qui passent et que l’on attrape au passage) correspondent généralement à quelque chose qui va se passer et c'est comme une manière de me prévenir. Alors maintenant, j'y fais attention un peu. Eh bien, j'ai reçu beaucoup de choses: par exemple, l’idée des Chinois de profiter de l’occasion pour entrer en activité, puis ces histoires d’Indonésie2 qui serviraient d'occasion aussi pour bouger. Et il paraît, m'a-t-on dit (j'avais vu cela – il y a beaucoup de choses qui viennent), c'est une rumeur (une rumeur qui a été jusqu'au Gouvernement de l’Inde): le Premier Ministre3 a dit que l’on était menacé d'une jonction entre la Chine, l’Indonésie et le Pakistan pour donner du volume à l’attaque. Il a dit que cela ne faisait rien... Mais enfin c'est son devoir d'être optimiste.

Ça m'a fait l’effet... l’effet d'une chose mondiale. C'était formidable. C'était formidable – il se trouvait que mon corps en grelottait dans mon lit. C'était formidable. Il a fallu que je fasse un peu de sâdhanâ pour remettre les choses en ordre.

(silence)

Il paraît que les Américains ont demandé aux Indiens la permission d'évacuer leurs gens (ils ont beaucoup de gens à Lahore, il y a une grande colonie américaine), ils ont demandé à l’Inde la permission d'envoyer une flotille d'avions pour emmener tous ces gens, et l’Inde a autorisé.

Tiens, je vais te montrer... (Mère se lève et va chercher la photo du général Chaudhuri.) Il y a un peu plus d'un mois (je ne sais pas, c'était à peu près une semaine avant que S.M. vienne4)... Je cherchais un homme, je sentais le besoin d'un homme dans l’Inde, et alors, on m'a proposé de m'envoyer la photo du chef de l’armée. J'ai dit oui (il se trouve que c'est le cousin de K ici). La photo n'est pas bonne mais je vois ce que je voulais voir, et je l’ai vue il y a à peu près un mois ou un mois et demi de cela et je l’ai gardée sous l’accumulation des Forces, ici (la photo est rangée sur une petite table, pas loin de Mère). C'est lui qui conduit les armées maintenant.

La photo n'est pas bonne, mais l’homme est bon!

Et longtemps avant qu'il n'y ait aucune chose active, il était avec moi. Alors je le «charge» de forces.

(silence)

Il paraît, selon les astrologues, que la combinaison des astres pendant le mois de septembre est très mauvaise pour la terre. Naturellement, c'est toujours sujet à caution parce que cela dépend de l’intuition des gens, de leur capacité de lire, si leur vision est assez large, etc., mais il paraît que tous les signes sont indéniables indiquant que c'est «mauvais» (c'est vague, n'est-ce pas), «catastrophique». On m'avait dit cela avant, ils l’avaient dit au mois de juillet. Seulement, leurs conclusions, je n'y attache jamais beaucoup d'importance parce que c'est toujours... Aussi, ils disent des choses très vagues et qui se contredisent. Moi, je n'y entends rien, je n'essaye pas de voir – justement je n'essaye JAMAIS de voir (ce qui est venu cette nuit est venu très spontanément, sans que j'essaye de voir). Le travail, n'est-ce pas, est sans pensée, sans expression verbale, et constant; mais il est constant depuis longtemps: c'est au commencement de l’année, je crois, il y a au moins six mois la première fois. La seconde fois, je t'ai dit que j'avais eu une expérience une nuit (la «pression du Suprême») avant qu'il y ait eu vraiment quelque chose de sérieux. Eh bien, la première expérience que j'ai eue, de la conscience qui jetait un pouvoir formidable sur la terre et qui devait nécessairement faire bouger les choses, c'était au moins six mois avant cette deuxième expérience. Et depuis six mois, c'était constant: dès que j'entrais en rapport avec la conscience terrestre, c'était là, et c'était constant-constant. Puis est venue cette indication: la pression du Seigneur suprême. Et le troisième pas, c'est hier soir.

On verra.

C'est volontairement que je ne veux pas postuler.


(Puis Mère réunit les textes qui formeront le prochain «Bulletin» et parmi eux, la citation de Sri Aurobindo dans les «Essais sur la Guita»: «... C'est Roudra qui tient toujours le monde dans le creux de sa main...» Voir conversation du 25 août.)

Tu vois, je te l’avais dit! Tu m'avais demandé: «Est-ce que tu vois quelque chose?» (Riant) Je t'ai dit: «On verra.»

Ce texte, quoi qu'il arrive, il faut le publier.

15 septembre 1965

(Lettre de Sujata à Mère)

15.9.1965

Petite Mère,

Après ce que Tu as dit ce matin, je me demande si, nous, les jeunes, n'avons pas le devoir comme citoyens de l’Inde d'offrir notre service au pays. Au moins nous préparer à cette éventualité?

Ton enfant qui T'aime,

Signé: Sujata


(Réponse de Mère)

Pour ceux qui en sont capables, le service de l’Œuvre divine est infiniment plus important que le service du pays.

Je ne pense pas avoir dit ce matin quoi que ce soit qui puisse contredire ce fait indéniable.

Signé: Mère

18 septembre 1965

(À propos du conflit indo-pakistanais:)

J'ai toutes sortes de papiers à te montrer... parce que l’on m'a fait dire des choses – on me fait toujours dire des choses!

(Mère donne au disciple une fleur d'hibiscus appelée «Grâce»)

C'est la saison des grâces.

Tu connais ce texte de Sri Aurobindo? (Mère tend une note)

«... The fight in which we are engaged is not like the wars of old in which when the King or leader fell, the army fled. The King whom we follow to the war today is our own Motherland, the sacred and imperishable; the leader of our onward march is the Almighty Himself...»1

May 11, 1907

Puis j'ai écrit ceci:

«It is for the sake and the triumph of Truth that India is fighting and must fight2 until India and Pakistan have once more become one because that is the truth of their being.»3

September 16, 1965

Il y a un membre de l’Unesco qui a posé une question imbécile, disant à peu près ceci: «Il fut un temps où l’Inde représentait la conscience spirituelle (ou enseignait la conscience spirituelle, je ne me souviens plus), mais maintenant qu'elle est engagée dans une telle guerre, qui va le faire?4]»... Alors au lieu de répondre à la question, parce que je lui aurais dit des sottises, j'ai répondu ce que tu viens de lire.

Bien entendu! Tous ces Européens... on leur a parlé de Gandhi pendant cinquante ans, alors ils ne comprennent plus!

C'est cela. Laissez-vous égorger sans rien dire.

Tiens, voilà un autre texte de moi que quelqu'un a ressuscité:

«The world situation is critical today. India's fate too is hanging in the balance. There was a time when India was absolutely secure, there was no danger whatever of her being a victim to Asuric aggression. But things have changed. People and forces in India have acted in such a way as to invite Asuric influences upon her; these have worked insidiously and undermined the security that was there...»5

May 25, 1941

Ça date d'il y a longtemps. J'étais ici.

(Sujata:) Il y a longtemps, tu avais dit: «If there is another war, it will be over India.»6 [S'il y a une nouvelle guerre, ce sera sur l’Inde.]

Oui, cela fait longtemps.

Mais quand il y a eu la division Inde-Pakistan, Sri Aurobindo a écrit très fortement: cette division DOIT cesser d'une manière ou d'une autre, «par n'importe quel moyen», a-t-il dit.7 Et à moi, il m'a dit: «S'ils ne peuvent pas arriver à le faire en s'entendant, ils se battront.»

Et pourtant, si l’on en croit les déclarations officielles de Delhi, ils n'ont pas du tout l’intention d'aller jusqu'au bout. Ils ont seulement l’intention d'«arranger» un petit peu la frontière.

Il y a eu une lettre de S.M. ce matin, disant que la question ne sera jamais résolue à moins que l’on... (geste balayant le Pakistan)

Oui, mais ce n'est pas ce que dit le Premier Ministre.

Le Premier Ministre... Ils ont tous peur.8 Peur de l’opinion mondiale.

C'est cela, oui.

En tout cas, P s'en va aujourd'hui à Delhi et il emporte toute ma «littérature» (ils ont demandé: «Qu'est-ce que Mère dit?»).

Il y a encore un «Entretien» à voir pour le prochain Bulletin, non? Il vaut mieux finir cela.

Il vaudra mieux finir le numéro de bonne heure parce que... ça peut devenir plus difficile.

Ça va désorganiser ton travail?

C'est possible.

Je t'ai dit l’«ouragan», l’autre jour.

Alors la Chine a envoyé son ultimatum.9

Je ne comprends pas pourquoi ils préviennent, d'ailleurs. Si j'étais eux, je ne préviendrais pas.

Non, ils ne veulent rien faire.

Ils ne veulent rien faire?

Ils veulent intimider sans rien faire, et ils veulent savoir comment réagira le monde. Et l’Amérique a réagi immédiatement.10

(silence)

En Pakistan, il y avait un centre de tir du dernier modèle américain, où l’on vise, je ne sais pas, avec des systèmes électriques, et on peut envoyer plusieurs milliers de coups en... enfin c'est effrayant; et des coups qui arrivent exactement où l’on veut. C'est toute une organisation. Ils sont devenus très efficaces. C'était donné par les Américains au Pakistan. Et c'était à détruire. Alors un des aviateurs indiens est allé et s'est laissé tomber dessus. Naturellement, l’avion a tout écrasé – il a été écrasé aussi. Mais l’installation a été démolie... Les gens ici sont capables de faire des choses comme cela. S'ils sentent ce que Sri Aurobindo dit dans cette lettre que je viens de te donner, que c'est le Almighty, the leader of our march [que le Tout-Puissant est le chef de notre marche], s'ils sentent comme cela... C'était ce qui faisait la force des Japonais dans le temps. C'est ce qui fait la force des gens ici, une fois qu'ils sont convaincus. Les Japonais ont pris Port-Arthur comme cela; il y avait une sorte de fossé autour de la forteresse, comme il y en a dans les places fortes, et ils ne pouvaient pas passer à cause de cela; eh bien, ils se sont laissés tuer jusqu'à ce que l’on puisse marcher par-dessus: cela a fait un pont, ça a rempli le fossé et alors on a marché.

Des gens qui ont conscience que la mort n'est pas la fin, que la mort est le commencement de quelque chose d'autre, cela leur donne une force que ces Européens ne peuvent pas avoir.

(au moment de partir)

Il est évident que les circonstances sont organisées pour vous aider à avancer.

22 septembre 1965

Quel est le prochain Aphorisme?

C'est sur le silence.

Le silence... Oh! il vaut mieux le pratiquer que d'en parler.

C'est une expérience que j'ai eue ici, il y a longtemps: la différence entre vouloir répandre et utiliser ce que l’on a appris imédiatement, et par opposition, le contact avec les connaissances supérieures où l’on reste aussi tranquille que l’on peut pour que cela ait l’effet transformateur.

Je t'en reparlerai une autre fois.

l’esprit scientifique n'est sûr de sa connaissance que si elle est appliquée, mise en pratique et qu'elle donne des résultats utiles. C'est cela qu'ils appellent «la connaissance» (!)


Tu as lu le compte-rendu de la séance des Nations Unies?

Oui, pour le «cessez-le-feu»?1

Je n'ai pas lu: on m'a dit. Mais j'ai été mise en contact par certaines choses2 et ils semblent être l’expression unie du mensonge universel.

Des petites combinaisons et des petites préférences à la base, des idées préconçues et TOUTES PETITES sur l’utilité de la division des pays pour qu'il n'y en ait pas un qui puisse dominer les autres – rien que des choses absolument superficielles, et d'ailleurs complètement fausses. Et sans sincérité, sans honnêteté mentale, sans bonne volonté sincère – rien. Ils ont décidé d'avance que le Pakistan avait raison et que l’Inde avait tort.

Malheureusement, les gens de Delhi semblent trembler devant ces fantômes.

Pas tant que ça. J'ai des nouvelles directes de Delhi (Mère tend un télégramme au disciple): «I am deeply grateful says Shastri.» [je suis profondément reconnaissant dit Shastri.] C'était à la suite de mon message.

Et à la séance du Parlement (je ne sais pas si c'est la séance du Parlement ou la réunion du comité directeur), on leur a dit que le vrai but de l’Inde, c'est de reformer l’unité du pays, et le second but, c'est de donner l’autonomie et l’indépendance au Tibet. Et que ce sont les deux choses que l’Inde veut. Et que, d'une façon ou d'une autre, il faudra que ce soit.

Maintenant, que vont-ils faire? je ne sais pas.

Ça ne se concilie pas très bien avec leur «cessez-le-feu» – ils acceptent le cessez-le-feu.

À condition que... Il y a une condition. Ils acceptent à condition que le Pakistan prenne des engagements très sérieux – que le Pakistan refuse de prendre.

Oui, heureusement!3

Des engagements de concorde, d'unité.

En tout cas, la voix (le message de Mère) a été entendue – entendue et acceptée à Delhi. Maintenant, naturellement, il y a des questions de force: seront-ils assez forts pour... Mais c'est un point établi.

(Le disciple incrédule) C'est entré dans leur tête?

Pas tous. Il suffit qu'il y en ait deux ou trois – il y en a plus que cela.

25 septembre 1965

(Suite à l’ultimatum du Conseil de Sécurité, l’Inde a accepté le cessez-le-feu à la date du 22 septembre.)

Finalement, c'est toi qui avais raison!

J'avais raison... pourquoi?... Ah! ton message à Delhi: «India MUST fight» [l’Inde DOIT se battre].

Oui.

Oh! ils ne comprennent rien. C'est dégoûtant, ce que l’on voit

Et c'est aussi faux que ça peut l’être: ils continuent à se battre, seulement ils prétendent ne pas le faire.

Ils sont tous très contents de ce qu'ils ont fait, ils se gargarisent.

Non, ils ne sont pas contents.

Tu crois?

Non, je sais!

Ça me fait l’effet de 1939, Chamberlain qui revient de Munich: «On a sauvé la paix»!

Oui, c'est cela.

Mais à l’ONU, ils se gargarisent, ils sont très fiers d'eux (du cessez-le-feu). Mais ici, on n'est pas content.

Ils sont surtout furieux contre l’Angleterre.1

Oh! ces Anglais...

Oui, et ils vont sortir du Commonwealth.

Ce serait bien.

(Riant) Oui, il est temps!

Les Russes ont appelé Shastri et l’homme du Pakistan (Ayoub Khan) à se rencontrer en Russie (à Tachkent) et il paraît qu'ils se sont entendus avec les Américains (les Russes et les Américains) de façon à séparer définitivement l’Angleterre du Pakistan et la Chine de l’Inde. Ils veulent faire une action définitive pour empêcher la Chine et l’Angleterre d'intervenir dans les affaires d'ici. Ils ont des moyens de coercition, paraît-il.

Naturellement, si la Russie et l’Amérique se mettent ensemble... Et ils ont appelés Shastri et Ayoub, et ils vont y aller – ils vont y aller. Alors nous allons peut-être voir quelque chose d'intéressant.

Le rapprochement de la Russie et de l’Amérique est une chose à laquelle je travaille depuis des années. J'avais cru réussir quand on a assassiné Kennedy, et à ce moment-là, Khrouchtchev était bien disposé – tous les deux, partis! l’un, on l’assassine, et l’autre, on le limoge.

Maintenant, nous allons voir.

Si rien ne vient contrecarrer, il y aura peut-être quelque chose d'intéressant.

Mais on ne voit pas d'autre solution, que militaire. Il faut que ça se liquide, non?

Il y aurait la solution que le Pakistan redevienne une partie de l’Inde.

Oui, mais ce n'est pas possible à moins qu'on ne les avale.

Peut-être y viendront-ils sans qu'on les force. Ce bonhomme (Ayoub) est impossible.

Ah! oui, il est impossible.

Oui, mais il n'est pas éternel.

Il y a une mentalité là-bas que l’on aura du mal à changer. Les Indiens ont raté l’occasion.

Oui. Ah! oui, c'était l’occasion.

Seulement, ce n'est pas de leur faute: c'est de la faute des Nations Unies; et les Nations Unies ont agi avec un seul mobile, parce qu'elles avaient une frousse effroyable d'une guerre générale – n'est-ce pas, ça oblitère la vision.

On verra.

Moi, je crois en Kâli, douce Mère. Je n'espère vraiment plus qu'en Kâli: la force de Kâli qui cogne. On n'imagine pas d'autre possibilité.

(Silence) Cet homme qui est à la tête du Pakistan ne représente pas tout le Pakistan. Il y a toute une partie du Pakistan qui est pour l’union avec l’Inde.

Vraiment?

Une grande partie.

Et il n'est pas sûr que s'ils se sentent protégés, aidés et soutenus par, justement, la Russie et l’Amérique, ils ne poussent à la réunion. N'est-ce pas, les masses, c'est seulement une question de courant de pensée: ce n'est pas une réflexion, ce n'est pas une raison, c'est seulement un courant de pensée.

Je ne sais pas, on verra.

(Mère tend un hibiscus au disciple) Voilà une «Grâce» monumentale, il y en a presque deux ensemble.

(silence)

Avant la bataille, Nolini a eu un rêve qu'il m'a raconté maintenant. Ils étaient un certain nombre de personnes ensemble et ils ont vu Sri Aurobindo qui venait à eux, et Sri Aurobindo était penché comme s'il faisait un effort extraordinaire, et puis il était tout recouvert d'un manteau et on ne voyait rien, mais il était penché comme faisant un grand effort. Il est arrivé à eux, il a ouvert son manteau, et il avait dans les bras des fruits (geste indiquant un maigre ballot), des fruits et d'autres choses symboliques. Puis il leur a tendu cela et il leur a dit: «Voilà tout ce que j'ai pu faire.» Et il est parti. Comme si c'était tout ce qu'il pouvait: «Toute la fête que j'ai pu vous donner», quelque chose comme cela. Alors ils ont essayé de faire une fête avec cela, parce qu'il l’avait donné, et puis cela faisait une confusion et ce n'était pas plaisant... Quand Nolini a eu son rêve, il n'a rien compris – maintenant, il comprend. C'est tout l’effort que Sri Aurobindo a fait pour amener cela: «Voilà tout ce que je peux faire.» Et il paraît que l’on avait le sentiment d'un effort formidable (riant): «Voilà tout ce que j'ai réussi à faire.»

Le monde n'est pas prêt. C'est cela, le pire.

Le monde n'est pas prêt.

Et alors, si c'est Kâli, c'est tout qui est remis à la fonte, et avec les moyens dont ils disposent, peut-être faudra-t-il recommencer toute la civilisation – combien de siècles perdus?

Que nous reste-t-il des civilisations qui ont disparu?... Rien. Rien, même pas un renseignement exact.

Tout cela, toute cette Matière qui fait tout le temps... (geste de soulèvement et d'engloutissement) qui fait un effort, produit des formes, produit un élément qui peut manifester la conscience, et puis, brff! (geste d'engloutissement) et puis encore (geste de soulèvement), et ça recommence – quel gaspillage effroyable! Un grand gaspillage.

(silence)

Toute la nuit (pas la nuit dernière, la nuit d'avant) a été très-très critique, et avec une perception si claire de la futilité du procédé actuel... et de cet esclavage qui vient d'une habitude plus que millénaire.

Il y avait une lutte (justement) dans le corps, entre les deux tendances: celle qui était soumise par habitude au vieux mouvement, et celle qui essayait de faire tomber cette habitude, avec la perception du moyen nouveau. C'était... c'était à la fois extrêmement douloureux, pénible et absolument grotesque. Et alors, ce corps se trouvait être comme une espèce de champ de bataille, et ce n'était pas agréable.

Et la conscience du corps (qui maintenant est en train de se former de plus en plus clairement), même celle qui est soumise à la vieille habitude, elle est consciente de l’existence divine, pourrait-on dire (l’existence du Divin et presque l’existence divine), mais elle a encore le sentiment d'une impuissance, et alors dans cette impuissance, d'un abandon total à la Volonté divine: «Si nous ne sommes pas prêts, ce sera comme cela» (dissolution). Et il y a ce qui se sent prêt, ce qui comprend et sait comment cela doit être et qui veut, et les deux s'entrechoquent. Et ce n'est pas qu'il y en ait un qui soit pour le Divin, un qui soit contre, rien de toute cette vieille histoire qui n'existe plus: c'est l’acceptation totale du Divin, mais la sensation de ne pas être prêt – que le monde n'est pas prêt (ce n'était pas du tout une affaire individuelle, du tout, c'était une conscience terrestre).

Et l’on sent bien dans cette lutte (qui a duré toute la nuit et toute la matinée – hier, je n'étais pas en très brillant état), on voit clairement, c'est visible, que ce n'est pas une question de vouloir avec force ou de... ce n'est pas cela: il faut que la SUBSTANCE soit prête. Une action de force, de puissance, si la substance n'est pas prête, visiblement cela produit une dissolution. Et alors tout ce que l’on a construit est à recommencer. Cette mort imbécile, n'est-ce pas, réduit tout à rien et tout le travail est perdu – ce qui est sorti, c'était ce qui était entré... avec un petit peu plus d'expérience, c'est tout. Ce n'est rien.

(silence)

Si même un tout petit agrégat de cellules pouvait réussir à avoir l’expérience totale jusqu'au bout, de la transformation, ce serait plus efficace que des grands bouleversements, beaucoup-beaucoup plus efficace.

Mais c'est plus difficile. C'est beaucoup plus difficile. Et puis ça ne fait pas des «événements» avec beaucoup d'éclat et qui font beaucoup de bruit.

Oui, c'est lié à l’état général du monde.

Tout à fait.

Et on ne voit pas vraiment de progrès. On a l’impression qu'au contraire, les hommes, les chefs d'État, les consciences humaines, deviennent de plus en plus petits-petits-petits.

Oui, parfaitement exact.

Des pygmées. Je suis frappé, en vingt ans, de voir comme tout cela devient de plus en plus minuscule.

C'est parfaitement exact. Mais je veux dire que selon ma vision (qui, je crois, n'est pas la mienne, ce n'est pas une vision personnelle), des nuits et des journées comme hier (qui ne sont pas agréables) évidemment vous donnent une connaissance, et le bouleversement (Kâli) appartient encore à la vieille méthode – c'est une acceptation que le monde n'a pas changé. Tandis que, justement, cette espèce de rétrécissement apparent est peut-être la preuve que la conscience terrestre a changé et qu'elle fait pression sur ce qui résiste, qui devient de plus en plus petit, mais de plus en plus dur.

De plus en plus dur, c'est cela.

C'est comme si l’on extrayait tout ce qui était conscient et vivant, et ça devient de plus en plus pierreux.

(silence)

La perception consciente des deux éléments (le corps devient comme un objet représentatif; pas seulement symbolique: représentatif), la perception de l’état de conscience des éléments qui appartiennent au passé, au mouvement évolutif passé, et de ceux qui sont ouverts à la méthode nouvelle, si l’on peut dire, est de plus en plus claire; c'est perceptible d'une façon aussi claire, plus claire que les choses physiques extérieures, que la forme extérieure (c'est physique, mais c'est la construction intérieure). Extérieurement, ça se traduit par de la fièvre. C'est une bataille. Et ce n'est pas une bataille de mauvaises volontés, ce n'est pas cela: c'est une sorte d'incapacité. Et ce n'est pas par la violence que l’on réussira. N'est-ce pas, la seule chose qui puisse triompher, c'est cette Vibration suprême d'Amour, mais il y a une incapacité de recevoir, et alors (c'est un phénomène étrange), cette incapacité de recevoir produit une sorte de tamisage, et ce ne sont que des éléments comme dilués qui peuvent passer. La Chose en elle-même dans son essence vraie ne peut pas... si l’on regarde d'en bas, on a l’impression que Ça se refuse, mais ce n'est pas vrai, parce que quand on est Ça (riant), il n'y a aucun sentiment de dilution: Ça se manifeste dans sa plénitude. Et puis voilà ce qui arrive! (ce tamisage)

Et il est évident (on le voit dans de tout petits détails) que s'il y avait contact direct, il y aurait comme un éclatement – ça produirait un éclatement. Oui, un changement trop brusque, trop soudain, comme un éclatement.

Il y a eu des expériences microscopiques, des sortes de démonstrations microscopiques; eh bien, si ces démonstrations microscopiques, avec le résultat, avaient lieu dans une quantité suffisante ou une somme suffisante, oui, ça produirait forcément ce qui, pour nous, serait une dissolution.

Et c'était une expérience vécue à chaque seconde, pendant à peu près six heures continues. Six heures continues avec l’immobilité (pas l’immobilité, mais la possibilité d'immobilité physique sur le lit), puis la continuation pendant plus d'une heure debout, avec les activités (réduites mais ordinaires), alors ça devenait terrible! Et je dis: tous-tous les éléments quels qu'ils soient, qu'ils appartiennent au vieux mouvement ou à l’autre, tous les éléments avec le même sens d'adoration. Par conséquent ce n'est pas une attitude morale: le même sens d'adoration. Seulement, les uns, dans leur adoration, acceptaient l’annulation, et les autres voulaient la Victoire, la transformation – ce n'est pas que les autres «voulaient»: ils SENTAIENT la victoire; et ceux-ci acceptaient la dissolution. Et les deux ensemble... Il est probable que si j'avais exprimé cela (je n'étais pas en état d'exprimer!), si j'avais exprimé cela à ce moment-là, j'aurais été taxée de délire aigu – j'étais tout à fait consciente. Et là, n'est-ce pas, LÀ, au-dessus du corps, la Paix la plus merveilleuse que l’on puisse imaginer, une Paix souriante et...

Et la fièvre continue. C'est-à-dire que je suis très-très consciente que c'est le maximum que l’on puisse faire pour marcher vite vers la transformation.

Cette fièvre que tout le monde a (plusieurs centaines de cas à l’Ashram depuis quelques mois), c'est la même chose, seulement c'est dilué dans une inconscience. Mais c'est la même chose: c'est une affaire «cellulaire» (j'en ai fait l’expérience parce que j'ai pu l’arrêter brusquement chez plusieurs, par un certain procédé d'isolation du mouvement général).

(silence)

Ah! qu'est-ce que tu apportes? le «Bulletin» est fini?

À part l’Aphorisme.

Qu'est-ce que c'est?

111 – La connaissance est comme un enfant avec ses accomplissements: dès qu'elle a découvert quelque chose, elle court les rues çà et là, criant et s'exclamant. La Sagesse cache les siens longtemps dans un silence pensif et puissant.

C'est une expérience que j'ai eue il y a deux ans à peu près. Ce qu'il dit là, j'en ai eu l’expérience vivante – une demi-journée d'expérience vivante; à ce moment-là, j'aurais pu te dire des choses très intéressantes, mais maintenant cela me paraît vieux-vieux-vieux, loin derrière.

J'aurais envie de te poser une question, et c'est lié à ce que tu disais tout à l’heure, quand tu avais cette fièvre, que tu étais allongée sur ton lit et qu'au-dessus, disais-tu, c'était une Paix merveilleuse, immuable – quel est le pouvoir de cette Paix, quel est le pouvoir de ce Silence? Quand on monte au-dessus, on entre dans une espèce de grand silence, qui est gelé, qui est partout, mais quel est le pouvoir de ce silence? Est-ce que ça fait quelque chose?

C'est ce que les gens cherchaient autrefois quand ils voulaient sortir de la vie: ils se mettaient en transe, ils laissaient leur corps immobile, et puis ils entraient là-dedans, et puis ils étaient parfaitement heureux. Et les Sannyasins qui se faisaient enterrer vivants, c'était comme cela; ils disaient: «Maintenant, j'ai fini mon travail (ils faisaient de belles phrases), j'ai fini, j'entre en samâdhi», et ils se faisaient enterrer vivants; ils entraient dans une chambre, ou n'importe, puis on fermait, et puis c'était fini. Et c'est ce qui arrivait: ils entraient en transe, et leur corps au bout d'un certain temps, naturellement se dissolvait, et eux, ils étaient dans la Paix.

Mais Sri Aurobindo dit que ce Silence est puissant.

Puissant, oui.

Eh bien, je voudrais savoir comment il est puissant, justement? Parce qu'on a l’impression que l’on pourrait rester là-dedans une éternité...

Pas une éternité – l’Éternité.

... sans que ça change rien.

Non, parce que ce n'est pas manifesté, c'est en dehors de la manifestation. Mais ce que Sri Aurobindo veut, c'est qu'on le fasse descendre ici. C'est ça, c'est ça la difficulté. C'est ça. Et il faut accepter l’infirmité et l’apparence même de l’imbécillité, tout, et il n'y a pas un être sur cinquante millions (Sri Aurobindo m'a dit que j'étais la seule!... riant, c'est possible!) qui ait le courage de cela.

Justement hier, je regardais ce corps, et il n'y avait... vraiment, les réactions que l’on pourrait appeler «personnelles» étaient réduites à un minimum imperceptible, c'est-à-dire que c'était un sens, je ne peux pas dire universel parce qu'il n'est pas sûr que la Matière dans les autres univers soit soumise à la même loi, je n'en sais rien (je n'en sais rien – j'ai su: il y a un moment où j'étais en rapport avec ceci et cela et je pouvais dire, mais maintenant je ne veux pas m'en occuper: je ne m'occupe que de la terre). Parce qu'il y a toujours cela aussi: la possibilité d'échapper en allant ailleurs. Beaucoup de gens ont fait cela aussi: ils sont partis ailleurs, dans un autre monde plus ou moins subtil. N'est-ce pas, il y a des millions de manières de s'enfuir; il n'y en a qu'une de rester, c'est vraiment d'avoir du courage et de l’endurance, d'accepter toutes les apparences de l’infirmité, les apparences de l’impuissance, les apparences de l’incompréhension, l’apparence, oui, d'une négation de la Vérité. Mais si l’on n'accepte pas, ce ne sera jamais changé! Ceux qui veulent rester grands, lumineux, forts, puissants, et patati-patata, eh bien, qu'ils restent là-bas, ils ne peuvent rien faire pour la terre.

Et c'est une toute petite chose (une toute petite chose parce que la conscience est suffisante pour ne pas en être le moins du monde affectée), mais une incompréhension générale et totale! C'est-à-dire que l’on reçoit des insultes, des expressions de mépris et tout, justement à cause de ce que l’on fait, parce que selon eux (toutes les «grandes intelligences» de la terre), on a renoncé à sa divinité. Ils ne le disent pas comme cela, ils disent: «Quoi? vous prétendez avoir une conscience divine, et puis...» Et ça se manifeste dans tous les gens et toutes les circonstances. De temps en temps quelqu'un, pour un instant, a un éclair, mais c'est tout à fait exceptionnel, tandis que: «Eh bien, montrez votre pouvoir!», c'est partout.

Pour eux, le Divin sur terre doit être tout-puissant, évidemment

C'est cela: «Montrez votre pouvoir, changez le monde. Et pour commencer, faites ce que je veux; n'est-ce pas, la première chose la plus importante, c'est de faire ce que je veux – montrez votre pouvoir»!

(long silence)

Ah! mais cela ne fait pas un Aphorisme, ce n'est pas une réponse à ce que dit Sri Aurobindo! Non, je te l’ai dit, c'était une expérience il y a longtemps. Je me souviens que c'était si joli, si clair, si lumineux, et je me le suis exprimé très bien (!), ça aurait fait un très joli petit article! Mais maintenant, c'est là derrière (geste pardessus l’épaule), loin-loin derrière. Alors je ne sais pas comment faire.

Je crois qu'à moins que tu n'aies une question à poser (mais tu vois la condition!), nous prenons notre «Savitri».

(silence)

C'est un cercle vicieux. On a l’impression que la transformation ne peut pas se produire sans un développement ou une réceptivité générale sur la terre, une préparation plus grande sur la terre, et en même temps, cette préparation plus grande sur la terre n'est pas possible sans une accélération de ta force transformatrice.

Oui, mais elle agit, seulement c'est une action infinitésimale. C'est pour cela que les millions d'années, ce n'est rien. C'est pour notre conscience qu'il y a cette stagnation, par exemple; c'est parce que la conscience humaine mesure tout à sa dimension, malgré tout. l’histoire de la terre est pour elle un infini – ce ne l’est pas dans l’histoire universelle, mais pour l’être humain, il a l’impression d'un infini (il sait bien que ce n'est pas comme cela, mais c'est de la connaissance théorique), et alors, à cette échelle-là, rien ne bouge – mais ce n'est pas vrai.

Oui, mais enfin il faudrait que ce soit fait en l’espace d'une vie.

Ah! ça...

Ce sera seulement la dernière vie – la dernière vie avant la transformation. Ce sera la vie de la transformation. C'est-à-dire que tout ce qui a été préparé pendant des millions et des millions d'années, un beau jour ça va se produire, et quand ça se produira, celui (celui ou celle ou ceux, ou n'importe) pour qui cela se produira, dira: «Voilà, nous l’avons fait!» (Mère rit) oubliant que ce sont des millions d'années qui ont préparé cette minute!

Il serait bon que cette minute arrive bientôt

Ah! c'est justement la chanson que j'entends tout le temps: «Vous dites que la Vérité se manifeste, eh bien, nous espérons bien qu'elle aura la victoire bientôt»!

Je ne sais pas.

Sri Aurobindo, quand je l’ai vu la première fois, m'a dit: «Les autres sont venus pour préparer et ils sont partis, mais cette fois-ci, c'est pour faire.» Il est parti aussi.

Il est parti. C'est vrai qu'il m'a dit: «C'est vous qui ferez», mais il ne m'a jamais... Il n'y a que lui qui m'ait dit cela, et il me l’a dit «comme ça», comme il disait les choses, n'est-ce pas. Ce n'était pas quelque chose qui vous donne une certitude absolue... Il avait ce pouvoir: je lui disais quelque chose et quand il disait: «Oui, c'est comme ça», C'était comme ça (quelque chose que je voulais qui se produise, pas quelque chose qui était), et quand il disait: «Oui, c'est comme ça», alors ça devenait comme ça! La première fois que c'est arrivé, c'a été pour moi un éblouissement. Mais généralement, c'était pour des détails. Mais quand il m'a dit: «C'est vous qui ferez», ce n'était pas de cette façon-là: cela pouvait être aussi la volonté qu'il mettait d'aller jusqu'au bout de... de ce qui était possible.

Et je ne peux pas dire que je pose la question, parce que ce n'est pas vrai, je ne la pose pas, mais les deux possibilités sont là (geste en suspens)) eh bien, ni à l’une ni à l’autre, il n'y a une réponse. Il y a des moments où j'ai la vision que ça va être fini (une vision très pratique de ce que je veux faire), ça vient, mais contre un arrière-plan de complète incertitude; et la minute d'après, c'est la possibilité d'aller jusqu'au bout de la transformation, avec la vision claire de ce qu'il faut faire, mais un arrière-plan... Il n'y a pas l’arrière-plan de l’Assurance que ce sera comme ça – ni dans un cas, ni dans l’autre. Et je sais que c'est volontaire, parce que c'est nécessaire pour le travail des cellules. Si, par exemple, je recevais l’Ordre du Suprême (ça m'arrive de le recevoir clair, aussi clair que...), si je recevais de Lui la certitude que quelles que soient les difficultés, quelles que soient les apparences du chemin, ce corps ira jusqu'au bout de la transformation, eh bien, il se produirait un relâchement quelque part, qui serait très mauvais. Je sais moi-même, je sais parfaitement. Par conséquent, c'est comme cela: je vais et je ne sais pas ce qui arrivera demain. Hier, j'aurais pu dire: «Oui, peut-être que c'est la fin» (comme il paraît que X2 l’a dit aimablement à des gens qui sont venus le voir; il a dit que j'en ai pour six mois, que dans six mois, je m'en irai – riant: c'est dans l’ordre de ses «prédictions» habituelles), eh bien, avec l’expérience d'hier, j'ai dit: «C'est bien possible.» Et avec cette même totale indifférence, n'est-ce pas: c'est bien possible. Avec une citation de Sri Aurobindo que «Rien ne peut altérer la splendeur de la Conscience de l’Éternité.» C'est cela. Et puis quand cet état-là est passé et que l’autre état vient, on dit: «Qu'est-ce que c'est ça, de mourir! Qu'est-ce que ça veut dire? Comment peux-tu dire cela?» Et ce n'est pas que les deux «états» alternent avec... (comment dire?) des oppositions – ce n'est pas du tout cela, c'est presque simultané (Mère passe les doigts de sa main droite entre les doigts de sa main gauche), mais tantôt on voit ceci, tantôt on voit cela. Et c'est un même ensemble de... quelque chose... qui est la Vérité, mais qui est encore un peu nuageux – ce n'est pas pleinement saisi comme ça (geste à pleines mains).

C'est l’état normal, mais c'est évidemment en cours d'élaboration, de construction, de formation.

Et c'est très sage. La Sagesse suprême est infiniment plus grande que la nôtre! Dans notre enthousiasme, nous pensons quelquefois: «Oh! si c'était comme ça!» (Mère se donne une claque) – Tiens-toi tranquille, c'est tout.

Nous sommes très brouillons.

Oui, on a du mal à comprendre que la Sagesse est tout le temps sage.

On a beaucoup de mal à comprendre que le Suprême fait tout, tout le temps.

Voilà.

Et que nous sommes seulement des idiots brouillons (riant) qui voulons que ce soit autrement parce que nous ne comprenons rien à rien!

Ça commence à être un peu plus sage, tout petit peu. Je te l’ai dit, après des nuits comme hier, on est un peu plus sage, et des matinées... on est un peu plus sage. Et une espèce de sensation très-très matérielle que c'est Lui... Parce que nous pensons: «Oh! si c'était nous (nous ne le disons pas comme cela, mais...), tout serait très bien tout de suite», hein? Et ce «très bien», Dieu sait ce que ce serait!

C'était hier ou avant-hier, je ne sais pas (il y a deux jours je crois), il y avait des douleurs partout et c'était tout le temps un effort – un effort pour maintenir un équilibre acceptable; et alors, à un moment donné, je me suis étendue et le corps a dit: «Oh! (riant) est-ce que ça ne va pas finir? Ce sera toujours comme cela?» Puis tout d'un coup, il a eu la perception: «Oh! comme je suis lâche!» Il a eu honte de lui. Et il a senti (Mère presse ses mains contre son visage) comme ça, là-dedans, partout, la Présence du Seigneur – comme ça partout, une Présence!... de puissance lumineuse, mais une puissance lumineuse qui peut être destructrice, n'est-ce pas! (Mère rit) ça peut vous fondre complètement – «Eh bien, tu n'es pas content, tu veux autre chose que ça?!» Oh ....

Il ne demande rien.

C'est cela que j'appelle sincérité: si l’on peut s'attraper à chaque minute à appartenir à la vieille Stupidité.

Et c'est justement pour vous faire voir. On traduit mentalement, mais c'est comme s'il vous disait: «Tu vois, c'est comme ça parce que si ce n'était pas comme ça, tu n'aurais pas compris.» Et c'est tellement vrai qu'il n'y a rien à dire.

«Tu as (le corps) besoin de ça pour comprendre.»3

29 septembre 1965

Ça va, non?

Je crois...

Tu es étonné que je dise «ça va»? (Mère rit) Ça va: leur hypocrisie s'étale, tout le monde est obligé de la voir.1

Je reçois de bonnes indications.

Ils continuent à se battre là-bas.

Tiens, encore un nouveau papier (Mère tend un extrait de lettre de.Sri Aurobindo). C'est très intéressant:

"For instance, India is free and her freedom was necessary if the divine work was to be done. The difficulties that surround her now and may increase for a time, especially with regard to the Pakistan imbroglio, were also things that had to come and to be cleared out.... Here too there is sure to be a full clearance, though unfortunately, a considerable amount of human suffering in the process is inevitable. Afterwards the work for the Divine will become more possible and it may well be that the dream, if it is a dream, of leading the world towards the spiritual light, may even become a reality. So I am not disposed even now, in these dark conditions to consider my will to help the world as condemned to failure."

Sri Aurobindo

April 4, 1950

(traduction)

«Par exemple, l’Inde est libre et sa liberté était nécessaire pour que l’œuvre divine puisse s'accomplir. Les difficultés qui l’assiègent maintenant et qui peuvent croître pendant un certain temps, surtout en ce qui concerne l’imbroglio pakistanais, faisaient aussi partie des choses qui devaient venir pour être nettoyées... Là aussi, il est certain que le nettoyage sera complet, bien que, malheureusement, une somme considérable de souffrances humaines soit inévitable pour en arriver là. Après, le travail pour le Divin deviendra plus réalisable et il se peut bien que ce rêve – si rêve il y a – de conduire le monde vers la lumière spirituelle devienne même une réalité. Par conséquent, je ne suis pas disposé, même maintenant, au milieu de cette sombre situation, à considérer que ma volonté d'aider le monde soit condamnée à l’échec.»

Sri Aurobindo

April 4, 1950

C'est bien, n'est-ce pas.

Oui, on a l’impression que cette histoire du Pakistan est symbolique et tant que ce ne sera pas réglé, l’Inde ne jouera pas son rôle dans le monde.

C'est cela.

Et c'est par ce symbole que l’hypocrisie de l’Inde de Gandhi et toutes ses erreurs doivent être balayées en même temps.

Tout à fait.

Tu disais que tu avais reçu des indications?

Matérielles: des lettres, des gens, des choses... Je ne peux pas parler de cela. Un mouvement politique.

Le message (l’Inde est une) été un peu partout, et accepté.

Il vaut mieux ne pas en parler.

On sera bien content quand ce sera réglé... parce qu'il est aima-ble ce pays!

Il est prédestiné.

Il n'y en a pas deux comme celui-là (il est vrai qu'il n'y a pas deux pays pareils, mais les autres, ce sont toutes sortes de choses différentes sur un même plan), mais ça, il n'y a qu'ici.

C'est quelque chose que l’on respire avec l’atmosphère du pays.

J'ai eu cette expérience très-très forte. Quand je suis partie d'ici et à mesure que je m'éloignais, je me sentais comme vidée de quelque chose, et dans la Méditerranée, je n'ai plus pu le supporter: je suis tombée malade. Et même au Japon, qui au point de vue extérieur est un pays admirable – admirablement beau, harmonieux (il ÉTAIT, je ne sais plus ce qu'il est maintenant), et extérieurement c'est une joie de chaque minute, une joie ahurie tellement la beauté s'exprimait –, et je me sentais vide-vide-vide, il me manquait absolument... (Mère ouvre la bouche comme si Elle suffoquait)... il me manquait la Chose importante. Et je ne l’ai retrouvée qu'en rentrant ici.

octobre




10 octobre 1965

Et tes nuits?

(le disciple a l’air profondément dégoûté)

Oh! il y a tout un travail qui se fait la nuit. Oh!... Tout le petit fonctionnement subconscient des habitudes, avec toutes les gradations de l’importance que cela prend dans la conscience générale, et suivant la proportion de l’importance, d'une façon très intéressante, cela donne l’échelle. Il y avait toute l’échelle, depuis les petites manies que l’on a, qui sont très superficielles naturellement et simplement des habitudes, jusqu'aux gens qui sont des maniaques avérés ou des demi-fous – toute l’échelle avec tout le fonctionnement. Et alors, la perception que c'est seulement une question de dosage: on appartient tous à la même substance! C'était vu d'une façon si concrète que c'était bien intéressant. Et à la conclusion, on voyait comment mettre cela sous l’Influence directe de la Force et de la Conscience suprêmes de façon à rompre l’enchaînement obligatoire des habitudes. C'était très intéressant.

Ce sont toutes les choses que l’on considère comme «sans importance», et c'est tout ça, toute la masse de tout ça, qui empêche la transformation physique.

Et parce que ce sont de toutes petites choses (c'est-à-dire APPAREMMENT de toutes petites choses qui n'ont aucune importance, par exemple au point de vue de la pensée, qui sont considérées comme négligeables), ce sont les pires obstacles.

Naturellement, si la conscience est faussée, il faut d'abord la rectifier, mais je parle de consciences qui sont éclairées, qui vivent dans la Vérité, qui ont l’aspiration, et qui se demandent pourquoi cette intensité d'aspiration produit de si pauvres résultats – maintenant, je sais. Le pauvre résultat est dû à ce que l’on ne donne pas assez d'importance à ces toutes petites choses qui appartiennent au mécanisme subconscient et qui font que dans la pensée, vous êtes libre, dans le sentiment vous êtes libre, même dans l’impulsion vous êtes libre, et que physiquement vous êtes l’esclave.

Il faut défaire tout cela, défaire-défaire.

Et quand les cellules sont de bonne volonté... Ce que j'appelle être de «bonne volonté», c'est que dès que leur attention est tournée vers la Force suprême (ou la Présence suprême ou l’Existence suprême ou la Réalité suprême, n'importe, les mots ce n'est rien que des mots), dès que leur attention est tournée vers Ça, un éclatement de joie: «C'est ça! c'est ça!» Dans les cellules qui sont vraiment non seulement de bonne volonté mais assoiffées de la Vérité: un éclatement de joie. Et puis... les vieilles habitudes qui recommencent. Et elles disent (ça revient périodiquement, c'est-à-dire très souvent, des milliers de fois dans la journée): «Mais il n'y a qu'à vouloir!», ou «Il n'y a qu'à aspirer», ou «Il n'y a qu'à y penser» (ce n'est pas «penser» penser), «Il n'y a qu'à tourner son attention» – «Oh! mais c'est vrai!» Comme ça. «Oh! quelle joie!» Et puis brff! toutes les vieilles habitudes qui reviennent. C'est fantastique... fantastique.

La crainte de l’inconnu est partie (le doute est parti depuis très longtemps), la crainte de l’inconnu, du nouveau, de l’inattendu, est partie; ce n'est plus que le mécanisme de l’habitude. Mais ça tient, ça colle, oh!...

Ça partira.

Et de temps en temps (de temps en temps: assez rarement), une étincelle, pour ainsi dire, de la vraie Conscience qui fait un essai, qui descend, mais encore cela produit des... (geste de soulèvement et de tumulte). Ce n'est pas encore reçu et manifesté dans la Paix suprême, alors ça s'en va.

Ce qui, avant (avant le travail sur les cellules), ce qui faisait que le corps restait tranquille quand la Force descendait et qu'il n'était pas bouleversé, c'était cette somme formidable de tamas qui était dedans! c'est ça! qui ne répondait pas, alors c'était tranquille. Mais maintenant, ça répond.

Et on se rend compte que si toute cette Puissance, cette Force formidable se manifestait – celle qui est consciente, qui est là consciente –, si elle se manifestait, oh! (Mère rit) on a l’impression que toutes les choses se mettraient à danser, sauter!

Il faut être patient, c'est ce que je me répète cent cinquante fois, mille fois par jour: il faut être patient.

(Riant) Toi, tu n'es pas content.

Non!

Je vois bien! (Mère rit) Tu n'es pas content du tout. Que faire?...

13 octobre 1965

Il y a du sable dans les rouages, partout. Ça grince.

(silence)

Il paraît qu'il y a une nouvelle maladie à Pondichéry que les médecins de différents endroits de l’Inde viennent étudier ici, et que c'est une sorte de paratyphoïde – tout le monde est malade. Tu ne l’as pas attrapée, non? Tu as bien fait! (à Sujata:) Toi non plus? Bon.

C'est une façon de grincer. Il y a d'autres façons de grincer, mais elles sont très habituelles: c'est l’ego de l’un qui gratte contre l’ego de l’autre – ça fait toujours des grincements.

Résultat: des nuits très occupées et pas d'une façon très plaisante.

(silence)

Mais le Seigneur sourit, alors je pense que ce n'est pas sérieux.

Il sourit... Il en a profité pour faire une démonstration pratique et très efficace: une démonstration du même ensemble de vibrations (se traduisant par des circonstances extérieures et intérieures) avec la conscience de Sa Présence et sans la conscience de Sa Présence – la conscience de Sa Présence et l’oubli de Sa Présence. Et alors c'est formidable, c'est incroyable! Exactement la même chose – depuis les pensées, les sentiments, les sensations, les circonstances et l’état général, l’ensemble de vibrations – avec la conscience de Sa Présence et l’oubli; non pas que ce soit renvoyé au loin, rien de ce genre: simplement oublié (n'est-ce pas, l’état habituel du monde), oublié. C'est incroyable, c'est incroyable!

Ça a duré assez longtemps (geste indiquant un mouvement de va-et-vient très rapide d'un état à l’autre: conscience de Sa Présence et oubli de Sa Présence), comme une démonstration. Et avec ce Sourire... Tu sais, quand je dis: «Le Seigneur sourit», ça veut dire quelque chose; ce n'est pas que je voie une figure qui sourit, mais c'est une... c'est une vibration solaire... n'est-ce pas, le soleil est fade et terne et froid et presque noir à côté. Et puis «ça» parti... (même geste de va-et-vient) ça là et ça parti. Ce qui fait que ceux qui viendront et qui se manifesteront, qui existeront quand tout sera changé, il leur manquera l’émerveillement de l’opposition.

N'est-ce pas, on ne peut pas faire autrement que d'être émerveillé! (comment dire?...) une espèce de rire – de rire solaire – qui est plein d'une intensité d'amour et... Oui, c'est sans doute ça, l’Ananda, le vrai.

(Même geste de va-et-vient) Comme ça, comme ça, comme ça, comme ça...

Alors, je t'ai dit tout à l’heure que «tout grince»: c'est l’état dans lequel se trouve le monde sans la conscience de Sa Présence. Même quand les hommes trouvent que les choses vont bien et qu'ils sont contents, qu'enfin les circonstances sont soi-disant favorables et que tout va bien et qu'on se porte bien et que tout, humainement, s'arrange bien: ça grince d'une façon épouvantable en comparaison de l’autre état.

On ne peut plus que sourire. Au lieu d'être affecté parce que celui-ci est de mauvaise humeur et que celui-là s'est mis en colère et que ces choses ne vont pas bien et que les gens se battent et que les éléments font des ouragans, au lieu d'être attristé, on ne peut que sourire. On ne peut que sourire, parce que tout-tout est pareil – le bon et le mauvais, le lumineux et le sombre –, tout est pareil et tout grince en comparaison de «ça». Et n'est-ce pas, l’expérience que l’on a quand on monte Le trouver là-haut, ce n'est pas la même chose, parce qu'on a l’impression: «Oui, là-haut tout est comme ça, c'est très bien», mais quand on descend ici, c'est affreux. Mais ce n'est pas de cela dont je parle: c'est l’expérience ici même – ici même –, c'est-à-dire ce que le monde doit être. Ce qu'il doit être, ce qu'il sera évidemment... quand les hommes le permettront.

Ils tiennent beaucoup à leur grincement, beaucoup, ils y tiennent. Ils n'ont pas l’impression de vivre quand ça ne grince pas.

Seulement, ils ne savent pas.

Quelquefois, dans l’évolution individuelle ou collective, il y a des passages où l’on est sorti du grincement, c'est-à-dire que l’on n'y croit plus, on ne croit plus à la vérité et à l’importance, à la réalité de ces choses, mais on n'a pas encore l’autre, alors entre les deux... c'est austère, terne et froid. On n'a plus l’excitation de l’un, on n'a pas la joie de l’autre; on est entre les deux et c'est un peu aride. Mais il n'y a qu'un petit nombre limité d'individus qui en sont là. Ce sont les gens qui disent: «Ce monde, je n'en veux pas.»

l’autre chose, ça...

On se rend bien compte: si l’autre était constant, établi, oh!...

Et ça ne peut se sentir que quand il n'y a pas de retour sur soi, c'est-à-dire que l’on ne se sent pas le sentir. Et c'est la grande difficulté, parce que dès que ça vient, il y a quelque chose qui veut le sentir, et alors imédiatement on retombe dans le grincement. Et on ne se sent pas le sentir: si on se sent le sentir, ce n'est déjà plus ça.

Oh! c'est déjà gâté.

(silence)

Il y a un vers de Savitri dont la traduction libre est:

Annule-toi pour que seul le Divin soit.1

Traduction très libre, mais l’idée est là. Et c'est dans cet état-là que «ça» peut exister. Et il est évident que le corps ne se dissout pas (Mère touche son propre corps), il est là, n'est-ce pas, tu le vois!

(silence)

Et c'est l’unique – l’unique – moyen infaillible d'établir l’harmonie dans le corps (ce Sourire de la Présence). Tout le reste, toutes les précautions, tous les remèdes, tout cela paraît si futile, si futile... et si inadéquat! Le seul – pour tout-tout.

Je n'ai pas encore la preuve de la reconstruction de quelque chose qui a disparu (amputé ou cassé), je ne peux pas dire, mais logiquement c'est la même chose.

Nous en reparlerons quand ce sera prouvé.2

16 octobre 1965

Je viens de piquer une crise d'indignation! Parce que, presque sans exception, tous les gens qui m'entourent et qui font profession de ne vouloir que ce que je veux, apparemment sont d'une obéissance complète, mais leur instinct est juste à l’opposé. Quand, par exemple, je vois quelqu'un, je vois comment il est, ce qu'il est capable de faire, etc., et quand je vois que c'est un homme sur lequel on ne peut pas compter, leur instinct à eux: «Oh! quel homme admirable!» Et c'est leur instinct, c'est-à-dire que le mouvement spontané de leur être est en contradiction constante avec ma connaissance.

Alors cela veut dire... Je ne peux pas dire que ce soit de l’hypocrisie, mais c'est une attitude purement mentale qui ne correspond pas à la conscience de l’être. Parce qu'il y a pour moi une indication très sûre: quand je ne dis rien à quelqu'un (c'est-à-dire que je ne me sers pas de l’intermédiaire mental), mais que je vois que sa sensation, son impression, son état de conscience sont en harmonie avec la mienne, je sais que ça va bien. Et quand cette personne me dit: «Oui, je veux ce que tu veux», c'est vrai. Mais quand c'est simplement une attitude purement mentale, superficielle, et que, parce que je dis: «C'est comme ça», ils répètent extérieurement: «C'est comme ça», mais intérieurement tout bouillonne parce qu'ils sentent autrement...

Par exemple, pour des problèmes précis, une décision à prendre, on me pose le problème; je ne réponds pas matériellement tout de suite, j'envoie la réponse comme cela (geste de communication intérieure), puis j'attends; eh bien, il est arrivé (assez rarement, mais enfin c'est arrivé) que la personne m'écrive: «J'ai reçu la réponse, c'est ceci et cela.» Alors je dis: «C'est bien.» Mais quand j'écris des mots et que, parce que j'écris des mots, ils disent la même chose, cela ne prouve rien. C'est une obéissance artificielle.

Et je ne parle pas de ceux qui sentent imédiatement: «Oh! Mère se trompe», je ne parle même pas de ceux-là; je parle de ceux qui sont vraiment de bonne volonté mais qui sont en plein jusque là (geste à la bouche), même jusque là (geste au front), dans l’Ignorance et le Mensonge, et qui mettent là-dessus le manteau d'une connaissance apprise et même pas sentie...

Comment le monde changera-t-il? Ce n'est pas possible.

Non, je ne parle pas de la masse énorme de ceux qui s'imaginent que je me trompe tout le temps, mais enfin qui disent: «Oh! la pauvre vieille dame, il ne faut pas la contrarier», je ne parle même pas de ceux-là. Je parle de ceux qui sont de bonne volonté mentalement – ils ont mis un masque de bonne volonté. Mais les vibrations intérieures appartiennent encore au monde du Mensonge.1


(Peu après, il s'agit d'un nouveau disciple de France qui demande une photo de Sri Aurobindo.)

On va lui envoyer une bonne photo de Sri Aurobindo.

Quelle photo de Sri Aurobindo?...

S'il a été élevé chrétiennement, c'est la jeune qui est bien, ils y voient tout de suite une tête de Christ!... Tous... Encore avant-hier, il y a un Américain, peintre, qui est ici et qui a lu les livres de Sri Aurobindo; il a voulu faire le portrait de Sri Aurobindo (il ne l’a jamais vu) d'après des photos – c'est la même chose que le buste qui est dans la chambre de Sri Aurobindo!2 ils font tous un Sri Aurobindo mystique avec les tempes étroites, comme ça (geste qui file vers le haut), une figure longue et mystique, parce qu'ils ne peuvent pas sortir de leur chrétienté! N'est-ce pas, pour eux, le Pouvoir, tout ce qui exprime le Pouvoir, oh!... (geste de répulsion)

Je voulais le dire à cet Américain... Pour eux, la vie spirituelle, c'est le sacrifice, c'est le Dieu qui se sacrifie: celui qui renonce aux joies de la terre et qui sacrifie son existence pour sauver l’humanité. Et ils ne peuvent pas en sortir!

Alors, pour ceux-là, il faut leur envoyer la photo jeune, comme celle qui est dans la salle de réception. Parce qu'il venait juste de sortir de sa période ascétique ici, et il a encore le visage long.

Celle dans le fauteuil... c'est un petit peu trop tard; il commençait déjà à sentir que... le monde n'était pas prêt pour aller jusqu'au bout. Il y a déjà l’expression de la souffrance sur sa figure.

Mais l’autre photo, c'est bien. Moi, j'ai connu Sri Aurobindo comme cela: il venait juste de sortir de la photo de profil où il est très maigre. Et les photos de Cartier-Bresson, c'est en 1950 qu'elles ont été prises.

C'est dommage que l’on n'ait rien d'avant.

Oh! il ne se serait jamais laissé photographier!

Mais quand j'ai vu la photo (de Cartier-Bresson, en 1950), que j'ai vu qu'il avait cette expression... Parce que, avec moi, il ne l’avait jamais; il n'a jamais montré cela. Seulement là, je n'étais pas dans la chambre quand on a pris la photo, et tout d'un coup il a... (n'est-ce pas, il était assis là), il s'est relâché. Quand j'ai vu la photo (parce qu'elles sont venues longtemps après, il a fallu écrire pour leur demander de les envoyer), c'était un ahurissement... Il avait cette expression-là.

Je l’ai toujours vu avec une figure tout à fait paisible et souriante, et surtout, la dominante, c'était l’expression de compassion. C'était ce qui dominait dans son apparence. Une expression de compassion si... si paisible, si tranquille, oh! magnifique.3

20 octobre 1965

(Le disciple avait envoyé une lettre à Mère pour se plaindre du manque d'expériences et notamment du fait qu'il ne voyait jamais Sri Aurobindo, sauf une fois il y a onze ans, et qu'en outre, Mère lui avait dit qu'Elle ne le voyait que rarement. Et finalement, il disait: «Je me demande ce que je fais ici?»)

Je ne vais pas te manger, n'aie pas peur!

(dénégation du disciple)

Dis-moi, tu n'as rien à ajouter depuis? Il ne s'est rien passé depuis que tu as écrit?... Rien. Tu es dans le même état?

Plus calme.

Ah! bon.

Mais c'est le même état, parce que c'est là depuis longtemps. Depuis longtemps, je me dis: «Qu'est-ce que cela veut dire?...» Je ne comprends pas très bien. Il y a comme une espèce de frustration ou de...

C'est la déformation égoïste de l’aspiration.

C'est-à-dire que c'est un retour sur soi tout petit qui veut des satisfactions. Je te le dis brutalement parce que ça ne sert à rien de faire des phrases.

(silence)

Quand tu étais à l’hôpital, pendant plusieurs jours, j'étais dans une concentration constante la nuit pour que... Moi, ma manière est une manière que les gens intelligents considèrent comme très enfantine, mais qui me paraît la meilleure: je m'adresse au Seigneur et je Le prie avec toute l’ardeur de ma conscience; et je Lui ai demandé de sauver ta vie qui était en danger, et avec la connaissance de la cause et de ce qui devait te guérir. Et je n'ai pas cessé jusqu'à ce que soit venue une sorte de certitude que ça irait bien.

Il n'y a pas si longtemps, peut-être quelques semaines, je voyais bien quelque chose qui n'allait pas, mais justement j'insistais et j'espérais que c'était seulement un souvenir remonté du subconscient...

Ça ne doit plus être, mon petit! Tu as dépassé ce stade-là. C'est vraiment une obscurité à laquelle tu n'appartiens plus. Et ce n'est pas ta nature: c'est quelque chose qui a été imposé à ta nature – par beaucoup-beaucoup de choses. Beaucoup de choses. X dit que c'était apporté dans ta vie par une vie précédente, mais ces histoires-là... Je vois bien les choses, mais ça n'a pas tellement d'importance. Il est relativement facile quand on est dans la vraie Lumière de nettoyer tout ça.

Il faut secouer ça, mon petit! – il le faut. Tu as été et tu es encore dans ton être en pleine Lumière quelque part. Je te l’ai dit, c'était une sorte de collaboration étroite entre la Lumière qui est dans Sri Aurobindo et ta capacité d'exprimer. On n'a pas le droit d'oublier cela.

Je n'oublie pas cela.

Et puis, il y a justement tout ce que je t'ai dit ces temps derniers à propos de cette période du développement qui fait que, extérieurement... Oui, ce que j'entends de tout le monde: «Pourquoi vous ne changez pas ça? Pourquoi vous ne me libérez pas de ça? Pourquoi vous ne supprimez pas ça?...» Pour le moment, le pouvoir ne m'est pas donné, à moi, de faire les choses imédiatement. Je ne sais pas pourquoi. Mais chaque fois qu'il est nécessaire d'intervenir, je transfère tout au Seigneur et je Lui dis: «Fais-le.»

(silence)

Je vois bien, n'est-ce pas. C'est une déformation de l’aspiration. Dans ta conscience – ta conscience la plus matérielle –, il y a l’impression que c'est une aspiration, et comme tu dis, une aspiration frustrée, et tu n'as pas compris que c'est parce que c'est une aspiration déformée que tu ne sens pas la réponse, et la réponse est là – non seulement la réponse, mais une action.

Je parle d'une expérience qui ferait que... une expérience qui est comme une chaleur dans le cœur – si je le voyais, si j'avais au moins l’expérience, oui, de le voir...

Le voir? Avec quelle partie de ton être? Tu ne peux pas le voir physiquement.

Je ne le vois jamais. Je te dis, je l’ai vu une fois il y a onze ans.

Oui, eh bien, il y a des gens qui ne l’ont jamais vu depuis qu'il est parti physiquement. Mais il n'y a pas besoin de le voir pour le sentir.

Oui, mais le «sentir», c'est une force impersonnelle, ce n'est pas vivant. Ce que je demande – ce que je demandais –, c'est la chaleur de quelque chose qui est vivant et qui est là: pas une «force» qui descend. Ça oui, je sais bien, il y a «La Force». Mais quelque chose vers quoi l’on puisse se tourner, dont on puisse se souvenir parce que c'est quelque chose qui est vivant, humain, proche, quelque chose qu'on voit.

Ce n'est pas une question de voir, c'est une question de sentir.

Mais si!... «Sentir», on peut imaginer et sentir n'importe quoi.

Mais non, il n'est pas question d'imaginer.

Tu es encore terriblement attaché au corps.

On vit dans un corps, n'est-ce pas.

Ah! moi aussi!

Quelque chose que l’on aime, c'est quelque chose qui est tout proche.

(long silence)

Au fond, la chose dont tu te plains, c'est de ne pas pouvoir aimer.

Oui! mais oui, bien sûr!

C'est de ne pas savoir aimer. C'est de ne pas être ouvert à l’Amour. Mais ça ne dépend de rien qui soit en dehors de toi. Cela ne dépend que de toi.

Quand je parle de «voir», c'est cela que je veux dire.

Voir... Voir, ce n'est pas «voir»! Ce n'est pas une question de voir. On peut voir et ne pas aimer. Ce n'est pas cela. Ce n'est pas une question de voir. C'est une porte qui est encore fermée.

Tu parles de voir parce que tu essayes encore d'aimer là (geste au front). Tu n'en sais rien, mais moi, je le sais. Tu essayes d'aimer là, et alors tu parles de voir. Mais ce n'est pas là qu'on aime. Et il n'est pas besoin de voir quelqu'un pour l’aimer. Ce n'est pas vrai.

Si l’on me demande: «Est-ce que tu as vu le Seigneur?» – Je ne peux pas dire humainement que j'ai vu le Seigneur. Et Il est là, tiens! Il est là et Il est amour parfait. Il est là et Il est puissance formidable.

Et Il est là, et Il est justement l’essence même de l’Amour vrai, et sans cette Vibration-là, on ne sait pas ce que c'est d'aimer, on ne peut pas. Et à moins que l’on ne rejette toutes ses limitations égoïstes personnelles, on ne peut pas l’aimer.

27 octobre 1965

J'ai quelque chose d'intéressant à te raconter... Sri Aurobindo est sorti de méditation et a commencé à «jouer».

Je suis arrivée où je vais toujours le trouver, dans le physique subtil, cette nuit vers deux heures trente, et il y avait une foule! des milliers de gens. Quand je suis arrivée, avant d'entrer j'ai rencontré quelqu'un qui devait être l’un des anciens politiciens du temps de la révolution quand Sri Aurobindo faisait de la politique, qui est mort naturellement mais qui était là et qui m'a dit (il était tout jubilant), il m'a dit (en anglais): «Sri Aurobindo est sorti de méditation, il a commencé à jouer!» Et en effet, on avait l’impression que tout le monde jouait-jouait... J'ai traversé la cour (j'ai même traversé une chambre où il y avait encore des gens en méditation et ils avaient l’air étonné que j'entre comme cela; je leur ai dit: «Ne vous tourmentez pas, je ne veux pas vous déranger!»), puis j'ai trouvé Sri Aurobindo, qui était en train de jouer – tout jeune et fort et amusé et joyeux, et il jouait. Il jouait avec quelque chose que l’on ne peut pas décrire – il jouait, il jouait... Et alors, ce même monsieur que j'avais vu à l’entrée est venu me dire à l’oreille: «Il a beaucoup joué avec ça... it is worn out», c'est un peu abîmé, un peu usé. Alors je me suis approchée, et Sri Aurobindo, qui avait entendu, m'a dit: «Yes it is worn out, take it and bring me another» [Oui, c'est usé, prends-le et apporte m'en un autre], et il me l’a donné dans la main (je ne peux pas le décrire, ça ne ressemble à rien, c'était... «quelque chose» – il y avait du noir qui bougeait dans quelque chose –, et en effet, ça avait l’air un peu démoli). Alors je suis partie, je suis redescendue; et le symbole du corps physique, c'étaient des chaussures – j'ai remis mes chaussures et je suis partie.

Il y avait des tas de détails; cela a commencé après deux heures et demie, et cela a duré jusqu'à quatre heures et demie à peu près.

Et alors, après, le matin, j'étais tout à fait dans l’atmosphère et j'ai compris que c'était la forme du gouvernement – c'était... (riant) la vieille démocratie qui ne vaut plus rien.

Et il se met à jouer, c'est-à-dire que quelque chose va se passer?

(Riant) Sûrement, sûrement!

Ce ne serait pas trop tôt

Et toute une foule jubilante, n'est-ce pas: «Enfin, ça bouge!»

30 octobre 1965

(Mère improvise à l’orgue pour l’anniversaire du disciple. l’orgue, longtemps inutilisé, a quelques grincements.)

Voilà.

J'entends en même temps. Je n'entends pas ce que je joue: j'entends autre chose. Alors quand il y a quelque chose qui grince tout d'un coup, ça ne va plus! C'est probablement parce qu'on n'a pas joué depuis longtemps. Je suis restée neuf mois sans jouer – la dernière fois, c'était...

En décembre.

Dix mois. En dix mois, je joue beaucoup mieux parce que quand je joue souvent, je me souviens de ce que j'ai joué avant, alors ce n'est plus ça. Ce n'est pas une question de «pratique» du tout: c'est une question que les mains n'aient pas peur. C'est tout. Dès que les mains deviennent conscientes, ça ne va plus.

Et puis ça a une pureté qui n'est pas là, ce que j'entends. C'est très intéressant. Et ce qui est curieux, c'est que quand je t'ai dit que j'allais jouer, je me suis dit que je ne pourrais pas, et le lendemain est venue, oh! une cascade de musique, pendant longtemps-longtemps... Je me suis dit: «Bon, je vais voir, puisque ça vient.»1


Peu après

Quelque chose d'amusant est arrivé. Tu sais qu'il y a une nouvelle comète2... Ce matin vers quatre heures, j'ai vu la comète, et tout d'un coup je me suis trouvée dans un état au-dessus de la terre, et j'ai vu un être qui était comme associé à cette comète. Il avait des cheveux rouges (mais pas un rouge agressif), un corps blanc, mais pas blanc-blanc: blanc-doré, comme s'il était nu, mais on n'avait pas l’impression qu'il était nu, ni qu'il était vêtu non plus (j'ai remarqué cela plusieurs fois déjà), insexué – ni homme ni femme. Et c'était un être jeune, charmant, plein d'une espèce de joie, comme cette joie qui est venue un peu tout à l’heure dans la musique, et il répandait dans l’atmosphère terrestre une sorte de substance qui était plus lourde que la Matière – pas plus lourde, mais plus dense –, et qui était comme gélatineuse. C'était comme s'il avait profité du passage de cette comète près de la terre pour répandre cette substance. Et en même temps, il m'était dit que c'était pour «aider à la transformation de la terre». Et il me montrait comment faire circuler cette substance dans l’atmosphère.

C'était charmant: un être jeune, plein de joie, comme dansant, et qui répandait partout cette substance.

Ça a duré longtemps. Pendant plusieurs heures, je me suis trouvée là-dedans.

novembre




3 novembre 1965

(Avant de passer dans la salle de musique pour jouer de l’orgue1 à l’occasion de la fête de Sunil, le disciple musicien.)

Je t'avais parlé de cette comète l’autre jour, et il est arrivé quelque chose d'amusant. Je m'étais dit comme cela: «Tiens, ce serait bien intéressant de voir cette comète comme on peut la voir avec le plus puissant télescope que l’on ait inventé.» Et à peine la pensée était-elle venue (c'était la nuit dernière) que j'entends: «Regarde.» Alors j'ai ouvert les yeux, et j'ai vu la comète, grande comme ça, toute grande, comme on pouvait la voir avec le télescope le plus puissant, toute brillante, avec sa queue! Et ce qu'il y avait d'intéressant, c'est que tout à côté (pas comme la queue de la comète, mais juste à côté), il y avait un astre, une sorte d'astre, mais tout petit, très brillant, qui me paraissait avoir un intérêt très particulier.

Et l’effet continue. Cette substance dont je t'ai parlé, continue d'agir dans l’atmosphère terrestre. Tu ne sens pas? Tu n'as pas la sensation d'être plus confortable, non?


Plus tard, après la musique:

C'est un peu compliqué de vivre! (Mère rit) Pour cela, tu es d'accord!

Oui. Mais tu as l’air fatiguée.

Non, je ne suis pas fatiguée – je ne suis pas fatiguée.

C'est un rythme intérieur tout à fait harmonieux, et quand je peux vivre selon ce rythme, tout est très bien, et même merveilleusement bien, comme l’histoire de ma comète, c'est-à-dire que l’on a l’impression qu'il suffit de dire: «Tiens, je voudrais ça», et c'est tout de suite comme ça; et en même temps, on est dans un ensemble de choses, qui ont leur utilité, leur nécessité et qui ne sont même pas en désaccord avec le Principe profond, mais qui extérieurement imposent leur rythme à ce Rythme-là. Et alors c'est quelquefois difficile.

Par exemple, aujourd'hui, j'avais l’intention d'avoir fini à dix heures et de te voir tranquillement, puis d'aller dans la salle de musique, j'avais même exprimé mon intention, mais rien n'y fait! Ce n'est pas de la mauvaise volonté, c'est une sorte de coalition des circonstances.

Ils s'en vont de plus en plus tard.2

Il me semble. Et il n'y a pas de raison que cela n'augmente pas encore. N'est-ce pas, j'ai tout cela (Mère montre un paquet de lettres) qui est du travail qui n'a pas été fait, qui devait être fait ce matin. Tous les jours, c'est comme cela. Maintenant, c'est une montagne de lettres, et il y a des lettres qui ne sont même pas ouvertes. Alors certains m'écrivent (mais ça me libère): «Je vous ai écrit déjà deux lettres et vous ne m'avez pas répondu, je n'ai pas de chance.» – Tant pis pour eux. Mais il y a ceux qui sont très patients, qui demandent des choses importantes pour eux et à qui je n'ai pas le temps de répondre. Quand j'entends la lettre (il y a des lettres que je n'ai même pas ouvertes, je ne sais pas ce qu'ils ont écrit), mais quand j'entends, je réponds intérieurement; s'ils avaient la perception mentale, ils recevraient ma réponse; malheureusement ils ne l’ont pas. Il y a des lettres importantes, des gens qui ont demandé une chose raisonnable, et un mot ou un geste les aiderait beaucoup à avancer – ce n'est pas possible. Et ça augmente de plus en plus. Avant, je me reposais («reposais», c'est-à-dire concentrais) régulièrement, à heure fixe, mais maintenant c'est fini, je ne peux plus. Ça aussi mange sur le repos, et c'est mauvais.

C'est le monde qui se précipite. Ce n'est pas seulement un petit nombre d'individus, c'est de partout: des Nations Unies, du Gouvernement de l’Inde, des gens ici ou là, partout, qui demandent la directive, l’indication. Ils devraient pouvoir recevoir mentalement; comme cela je pourrais faire tout le travail parce que ça ne prend pas de temps, c'est imédiat, mais ils n'en sont pas là, ils ne peuvent pas. N'est-ce pas, des demandes de «message», quelque chose pour faire partir une action, il y en a des dizaines tous les jours. Et c'est bon signe, je ne peux pas me plaindre. C'est bon signe, ça veut dire que le monde devient réceptif. Mais...

6 novembre 1965

Ça va mieux?

Pas trop.

Oh!... (Riant) Qu'est-ce qu'il faut faire!?

La nuit, depuis deux ou trois nuits, mais spécialement la nuit dernière (au milieu de la nuit, après minuit), et pendant au moins deux heures, je suis emportée dans un mouvement, mais d'une rapidité effroyable! Je suis couchée sur quelque chose qui est comme une lumière argentée – une lumière argentée. Et je suis là-dessus, enveloppée de ça, et emportée dans un mouvement tellement vertigineux que... on a l’impression que la tête va casser.

Et il y a des gens avec moi – tu en es.

Vraiment?

Oui!

Ça a duré deux heures la nuit dernière. Et on veut se tenir, parce que c'est tellement vertigineux... Je ne sais pas, au milieu de l’expérience la nuit dernière, je suis devenue un petit peu consciente, et c'était... (geste exprimant un mouvement fou) Mais l’Ordre est venu: «Tranquille-tranquille, bouge pas, tranquille», alors je n'ai pas bougé. Et ça a duré presque deux heures. Et on va la tête en avant (pas les pieds en avant), la tête en avant, c'est la tête qui est tirée.

Tout ce que je sais, c'est que c'est en rapport avec la transformation du corps. Mais comment sait-on que c'est vite? Il n'y a rien d'autre que le mouvement et le sentiment de son corps emporté vertigineusement.

Et j'ai remarqué quelques personnes – tu étais là. Prrtt! à toute vitesse comme ça. Je me suis dit (riant), ce doit être pour le guérir! Mais un mouvement... Je te dis, juste la conscience s'était éveillée, je voulais commencer à observer, et imédiatement l’Ordre est venu: «Tranquille-tranquille, bouge pas, tranquille, rien ne doit bouger.»

Ce doit être au moment où tu dors vraiment. C'est après minuit et c'est avant deux heures du matin.

Mais il n'y a pas à se souvenir, on est comme happé, comme ça – c'est peut-être l’allure des comètes! Je me suis dit: c'est un traitement «drastique» [radical], comme on dit en anglais.

Mais l’autre nuit (c'était venu deux ou trois fois déjà), ce n'était pas si fort. La nuit dernière, c'était tellement fort et ça a duré tellement longtemps... J'ai pensé: peut-être que demain matin, il aura un sourire... Mais ça n'a pas réussi! (Mère rit)

Moi, je vois plutôt des choses pas drôles.

La nuit? Qu'est-ce que tu vois?

J'en ai vu de toutes sortes.

Non, ces jours-ci?

Attaqué. Ça sort des eaux.

Du vital.

De la mer?

Non, des eaux noires.

Oh! du vital humain sombre.

Des serpents très agressifs. Et mentalement aussi, je reçois des choses très violentes.

Qu'est-ce que tu veux dire?

Assailli. Si j'écoutais ce qui vient, c'est la folie. Si je laissais aller... Tu comprends, ça vient et revient et puis ça charge. C'est très désagréable. Et une souffrance au fond – une souffrance.

Donne-moi un exemple des suggestions que tu reçois.

Généralement, c'est sur toi ou sur l’Ashram.

Sur moi?

Oui, généralement. Ou sur ce que je jais, ce que je suis (ou ne suis pas).

Tu ne sais pas d'où cela vient?

Non. Mais il y a quelque temps, un phénomène s'est produit, qui est peut-être lié à cela. J'ai vu Patrick, tu te souviens?1

Tiens!

Il essayait de m'enfoncer dans le crâne une espèce d'éclat, et je sentais que c'était extrêmement dangereux. Puis j'ai dit OM et tout s'est évanoui – c'est une chance que j'ai eue de m'être souvenu! Mais enfin, il y a des choses qui m'attaquent très fortement.

Mais tu devrais employer cela chaque fois.

Eh bien oui, si l’on peut! On n'a pas toujours la chance de se souvenir.

(Mère rit) Tu es éduquable, non?

Et qu'est-ce que l’on te dit de moi? pour savoir la qualité.

Ce sont plutôt des détails...

Je veux dire: on m'accuse, ou on te dit que je n'ai pas soin de toi ou...

Pas ça. Ce sont plutôt mes rapports avec toi, ou l’impossibilité de certains contacts, ou... Je ne trouve la paix que lorsque je passe au-dessus; je dis: «Eh bien, oui, regardons LA Mère», là-haut.

Oui, c'est cela.

Alors là, tout est tranquille.

C'est pour te faire réaliser l’infirmité du monde extérieur! (Riant) Mais tu me connais, non!

Enfin, ce n'est pas plaisant... Ou alors, ça tombe tout d'un coup sur moi et c'est vraiment comme une souffrance – sans mots sans explication –, c'est comme une souffrance au fond, une flamme de souffrance.

(Long silence) Ça passera.


(Puis Mère se met à la traduction de «Savitri» et s'arrête tout à coup, comme si Elle suivait du regard quelque chose:)

...Gros comme cela, un soleil, un soleil scintillant de la lumière de Sri Aurobindo, quand j'écris, entre moi et le cahier, et ça se promène en même temps que la plume! C'est gros comme cela (une grosse orange), c'est de la lumière de Sri Aurobindo, bleue, ce bleu spécial, bleu argent, scintillant, qui se promène chaque fois que j'écris dans ce cahier! (Riant) C'est pour cela que j'ai de la difficulté à voir parce que ça se promène avec ma plume!


Peu après, entre le docteur Sanyal, signe que c'est bientôt l’heure du déjeuner.

Ah! voilà le docteur, ça veut dire que nous sommes en retard!

Un jour viendra où je serai à l’heure... Peut-être qu'à force de me mouvoir d'une façon vertigineuse...

Tu as été dans une voiture à plus de cent à l’heure, n'est-ce pas?... Ça a l’air immobile en comparaison de cette Vitesse-là. Ce n'était pas physique puisque mon lit ne bougeait pas, mais c'était tellement vite, tellement vite qu'on sentait la friction de la rapidité. Et la tête en avant: on allait la tête en avant. On n'allait pas les pieds d'abord parce que j'étais couchée et je n'allais pas les pieds devant: j'allais la tête devant, brrf! comme aspirée par quelque chose. Et j'avais les yeux ouverts. Mais naturellement le corps ne bougeait pas – visiblement en tout cas, ça ne bougeait pas!... Oh! je me souviens, oui, que la nuit d'avant, c'était la maison qui bougeait, et j'étais dans une chambre qui bougeait avec cette rapidité, et je regardais tout, et ça passait, ça passait, c'était fantastique! Et hier, ce n'était pas la maison, c'était seulement... une espèce dé colonne... comment dire? Ce n'est pas une colonne: une bande. J'étais là, sur cette bande, mais j'étais très grande, j'occupais beaucoup de place, et il y avait beaucoup de gens, ils étaient petits (Mère dessine des petits bonshommes), beaucoup, brrf!

Oui-oui, je me souviens, la nuit d'avant, c'était la chambre qui bougeait: une chambre carrée; il n'y avait pas de murs, il y avait seulement des fenêtres, et ça allait et ça allait et c'était une course!... Puis tout s'est arrêté tout d'un coup, fini – pas fini, pas arrêté: la conscience change, un renversement de conscience, alors c'est fini.

Oui, maintenant je me souviens. D'abord une chambre sans rien – rien –, l’espace absolument vide; il n'y avait rien que cette bande. Tiens, tu te souviens des tapis roulants? Quelque chose comme cela, mais au lieu d'un tapis, c'était une bande de lumière argentée, et c'était la bande qui roulait. Une bande de lumière argentée avec des petits scintillements. Et puis j'étais couchée dessus (pas mal de gens étaient couchés dessus aussi), et ça allait!...

10 novembre 1965

(Mère tend au disciple une brochure, «Spiritual Unity of India», l’Unité Spirituelle de l’Inde, où l’on a rassemblé des citations de Sri Aurobindo et de Mère sur la partition de l’Inde, et notamment la déclaration de Mère: «India must fight until India and Pakistan have once more become ONE.» «l’Inde doit se battre jusqu'à ce que l’Inde et le Pakistan redeviennent UN.»)

Ça a fait le tour de l’Inde.

Des milliers d'exemplaires ont été répandus dans l’Inde. Il y a même des quantités de journaux qui en ont parlé. Ça a fait beaucoup de bruit dans le pays.

Mais ils ne semblent pas du tout – les dirigeants en tout cas – ne semblent pas du tout avoir compris.

Le Premier Ministre a pleinement approuvé. Mais c'est un homme faible. Ils ont peur des Nations Unies.

Oui! ils ont peur de tout

Mais aux Nations Unies, j'ai envoyé beaucoup de messages: beaucoup de gens en ont parlé là-bas. Ils sont en train de se disputer. Là-bas, aux Nations Unies, ça a fait du raffut. Seulement, les Américains sont d'une stupidité! qui a très peu d'égal. D'autant plus qu'ils sont bouffis d'orgueil – ils sont convaincus d'être la nation dirigeante du monde, alors ça met le point final à la bêtise. Mais enfin, ils ne sont pas les seuls aux Nations Unies et ça a fait beaucoup de bruit, ça a secoué un peu les gens.

Mais à moins que des circonstances extérieures n'OBLIGENT l’Inde à réunir le Pakistan, ils ne bougeront pas.

Mais ça se prépare. Ça se prépare. Ça va éclater tout d'un coup.

On a l’impression que si, de l’extérieur, l’Inde n'est pas poussée, contrainte à refaire cette unité, ils ne bougeront pas.

l’armée est tout à fait avec nous. D'ailleurs, il paraît (je reçois des lettres en quantité, j'en ai encore reçu ces jours-ci), il paraît qu'ils ont eu des exemples véritablement miraculeux de forces qui intervenaient, de gens qui devenaient tout d'un coup des héros extraordinaires... Il y a eu des choses magnifiques.

À ce moment-là,1 si l’on ne s'était pas arrêté, c'aurait été facile.

Oh! mais oui! Vraiment c'est triste.

C'est bien ce que ces imbéciles craignaient!

Ça ne fait rien. Ça ne fait rien, mon petit, parce que nous ne voyons jamais qu'une partie des choses; même étant en rapport là-haut, à chaque minute on n'a pas la vision du tout. Alors moi, quoi qu'il arrive, je dis: ça va bien – Il sait mieux que moi.

Il sait mieux que moi.

Non, c'est forcément ce qu'il y a de mieux... étant donné les conditions – la terre n'est pas en des conditions merveilleuses, il s'en faut –, mais étant donné les conditions, c'est ce qu'il y a de mieux. Ça prépare quelque chose de beaucoup plus complet, beaucoup plus profond, beaucoup plus intégral que ce que nous pouvons imaginer. C'est indiscutable, c'est au-dessus de toute possibilité de discussion.


Plus tard, à propos de la santé de Sujata qui ne mange rien:

...Quand j'avais six, huit ans, je mangeais avec mon frère, et nous étions obligés de nous raconter une histoire pour manger! On nous donnait de la viande, n'est-ce pas, il y avait des morceaux de beefsteak, c'était un cauchemar! Alors mon truc, je disais à mon frère: «Je suis un ogre... et j'ai devant moi la moitié d'un bœuf», et à chaque coup de couteau, je dépeçais mon bœuf! – Je me racontais une histoire et je finissais par avaler mon beefsteak!

(Sujata:) Lui, il ne raconte pas d'histoires. Je lui ai demandé combien de fois!

Il ne raconte pas d'histoires?

(Satprem:) Elle voudrait que j'écrive des contes – des contes de fées.

Tu connais des contes de fées?

(Satprem:) J'en inventerai.

Bien sûr! Moi, j'en inventais beaucoup-beaucoup!... des vrais contes de fées où toutes les choses sont si jolies, tout s'arrange si bien – pas une seule misère. Rien que de jolies choses...

13 novembre 1965

Douce Mère, depuis quinze jours ou trois semaines, il y a du sang qui revient.

Ils t'ont donné un traitement, tu le suis?

Oui, très scrupuleusement.

C'est embêtant.

Je n'ai pas foi en leurs traitements.

Les docteurs n'existeraient pas sans les maladies, tu comprends. Je ne dis pas que, consciemment, ils les encouragent, mais ils sont tout à fait... en termes amicaux.

C'est très subtil, mais c'est tout à fait vrai.

Je vois le même phénomène vibratoire des cellules avec la Conscience (la Conscience universelle, disons), et puis exactement la même chose vue dans une conscience médicale – si tu savais comme ça change! Ça prend un caractère, d'abord très concret (que cela n'a pas autrement) et puis très... c'est entre «fatal» et «obligatoire», je ne sais pas comment expliquer. C'est comme une sorte de Destinée rigide. Quand ils disent: «Oh! c'est une maladie» – fini. Et ce n'est pas vrai, il n'y a rien qui soit «une maladie», il n'y a pas deux cas pareils.

Alors leur atmosphère est une difficulté.

À moins que l’on ne soit en harmonie avec eux, comme cette pauvre M, par exemple. Tu sais, elle a eu l’impression qu'elle entrait dans un paradis quand elle est allée à l’hôpital de Vellore! Alors, à elle, ça lui fera beaucoup de bien, c'est harmonieux (!)

Mais comment cela peut être harmonieux!

Mon petit, les gens qui ont du vice sont en harmonie avec le vice; les gens qui sont méchants sont en harmonie avec la méchanceté.

Oui, mais elle n'est pas comme cela.

Elle est infirmière – elle est en harmonie avec les docteurs. Et ça lui a redonné du courage. Parce qu'ils ont dit qu'elle était venue à temps – juste à temps – et qu'ils la sauveraient, alors maintenant elle est pleine de confiance. J'ai reçu une lettre, elle m'a écrit une lettre: «J'ai repris courage à la vie, je suis tranquille et je suis sûre que je vais guérir, la fièvre est tombée, etc.»

Tout est relatif dans ce monde, il n'y a pas deux cas pareils, il n'y a pas deux «maladies» pareilles – il n'y a pas un absolu de bien et il n'y a pas un absolu mauvais.

Les hôpitaux m'étouffent. Je tombais de plus en plus malade là-dedans.

Oui. C'est à l’hôpital ici que ce que tu avais (c'est-à-dire un petit désordre intérieur) est devenu une maladie. C'est ici. Et à Vellore, cela s'est aggravé.

Oui, c'est vrai.

C'est comme cela. Je le sens bien, n'est-ce pas; j'ai en moi la possibilité de cinq ou six maladies fatales (je le sais par les vibrations); si j'avais le malheur, non pas d'entrer dans un hôpital (!) mais même de me confier à un docteur, j'aurais des maladies inguérissables.

Et ce n'est contre aucun docteur en particulier (eux-mêmes souffrent de l’atmosphère sans le savoir): c'est l’atmosphère médicale.

La maladie est leur raison d'être; s'il n'y avait pas de maladies, il n'y aurait pas de docteurs. Ce ne serait pas nécessaire, ce serait quelque chose d'autre; ils pourraient devenir quelque chose d'autre, mais pas docteurs; quelque chose d'autre de très utile, je ne sais pas: des savants de la construction humaine, des savants de l’utilisation de la nourriture, des savants de toutes sortes de choses qu'il est bon de savoir, mais pas «docteurs» – docteur, c'est pour guérir des maladies, par conséquent il faut qu'il y ait des maladies pour qu'il y ait des docteurs.

Et je ne suis pas très sûre qu'avant les docteurs, il y avait des maladies – il y avait des désordres, il y avait des accidents, il y avait toutes sortes de choses parce que cela existe, mais il n'y avait pas l’ÉTIQUETTE «maladie». Et plus les docteurs deviennent savants (c'est-à-dire plus ils connaissent leur métier), plus les maladies deviennent (Mère ferme son poing) solides, fixes. Et alors ils ont l’utilité de les guérir – s'il n'y avait pas de maladies, ils ne seraient pas ici.

Ils devraient être des savants de la vie... Les Chinois ont eu un petit peu cette idée. Je ne sais pas comment c'est maintenant, mais dans le temps, chaque famille avait un docteur (un docteur pouvait avoir beaucoup de familles à soigner), et le docteur n'était payé que quand tout le monde était en bonne santé – s'il y avait un malade, on cessait de le payer! (rires) Voilà.


Peu après, le disciple classe d'«anciens» Agenda.

Qu'est-ce que c'est? des vieux?

C'est de 1964 (l’année dernière).

Ce doit être de l’histoire ancienne. Ça ne paraît pas vieilli, non?

Non, pas du tout!

(Mère rit)

Pas du tout, du tout. Non-non!

Moi, j'ai l’impression que c'est d'un passé lointain.

Pas du tout.

Tu sais, tous les problèmes que le mental humain a discutés et résolus, enfin tout ce qui est à la base des religions, philosophies, yoga, etc., les grandes idées sur le comment et le pourquoi – idées universelles –, tout cela qui était résolu depuis fort longtemps... ça revient ici (Mère désigne son corps). Ça revient avec l’intensité, l’acuité de quelque chose de tout à fait nouveau et de tout à fait inconnu: pourquoi la vie? pourquoi cette création? quel est le sens de tout cela? Et avec une connaissance intime et douloureuse de toutes les misères de la Matière, de toutes les stupidités de la Matière, de toutes les obscurités, de tout cela – pourquoi tout cela? pourquoi tout ça? Et puis, pas content: à quoi ça sert?

C'est admirable.

Et la réponse vient, mais alors vient avec une solidité, une certitude extraordinaires – c'est extraordinaire. Pourquoi la création... pourquoi la création? Et la réponse n'est pas du tout des phrases comme dans les philosophies (Dieu merci! il n'y a rien de tout cela): c'est juste des vibrations.

Et alors, tout d'un coup, dans tout ce chaos, cette lutte, cette friction, cette souffrance, et cette ignorance et cette obscurité et cet effort et ceci, cela (oh! bien pire que quand cela se passe dans le mental: c'est là [dans le corps] et c'est une question de, oui, de vie et de mort dans le vrai sens, c'est-à-dire d'existence ou de non-existence, de conscience ou d'inconscience totale... et puis ce que ça coûte pour savoir quelque chose!), et puis, tout à coup, rien qu'une goutte... ce n'est même pas une goutte (ce n'est pas liquide!), ce n'est même pas un éclair, c'est... oui, c'est une vibration, c'est une autre vibration: lumineuse, tellement merveilleusement douce, paisible, puissante, absolue. C'est comme quelque chose qui s'allume (geste comme un éclatement ou une pulsation lumineuse). Et puis il n'y a plus besoin de discussion ni d'explication ni de rien: on a compris – c'est pour devenir conscient de ça, c'est pour vivre ça.

C'est arrivé ce matin.

Ça a commencé hier et ça s'est développé.

Ça, mon petit... Ah! comme les explications sont pauvres – pauvres, incomplètes, sans force convaincante. Mais juste ça, une vibration de ça, et alors on comprend tout.

Et j'ai l’impression, très forte impression (pour le moment je n'ai pas encore de preuves) que c'est d'une contagion absolue. Tu comprends. Alors c'est fini d'avoir à expliquer, d'avoir à lutter, d'avoir à... ouf! – c'est contagieux.

Apporter ça et le garder. Le tenir, savoir le tenir. C'est fantastique! Et alors ce n'est plus qu'une question de réceptivité, c'est tout. Et la réceptivité doit être à la mesure de la bonne volonté (pour le moment, c'est ce que dit la vieille expérience, je n'ai pas de preuves), mais la réceptivité doit être à la mesure de la bonne volonté ou de l’aspiration (mais les deux sont très semblables), de ce quelque chose qui veut autre chose. Les gens qui sont très contents, très satisfaits et... (ça, c'est une illustration intéressante) et qui ont réalisé une harmonie dans la vie (il y a des gens qui ont réalisé une harmonie dans cette vie: tout paraît si harmonieux, si confortable, et tout ce qu'ils font, ils le réussissent, tout ce qui leur arrive est...), ceux-là, je crois qu'ils ont encore beaucoup de choses à faire avant de pouvoir recevoir.

Ça (cette vibration), cela n'a rien à voir, rien à voir avec tout ce chemin, ce long-long-long chemin que l’on a parcouru pour se préparer, et à quels coups! oh!... Ça (geste, comme un éclatement lumineux), et puis tout le reste n'importe plus.

Mais ce n'est pas mental. Pour le moment, ça n'a rien à voir avec la pensée.

15 novembre 1965

(Depuis quelque temps, Mère donne à Sujata des paquets de potages tout préparés: allemands, suédois, etc.)

...Tu vas devenir cosmopolite, mon enfant – cosmopolite de goût.

(Sujata fait la moue)

Tu ne veux pas? Est-ce qu'il y a quelque chose dans ta nature qui ne veut pas?

(Sujata:) Pour la nourriture, depuis mon enfance je n'aimais pas manger.

Mais mon petit, la nourriture ne m'a jamais intéressée! je n'ai jamais aimé manger. Quand j'étais petite, il fallait trouver toutes sortes de trucs pour me faire manger, cela me paraissait la chose la plus absurde et la moins intéressante. Eh bien, je connais la nourriture de tous les pays et j'ai fait une étude comparative (!) de toutes les cuisines, et je peux être n'importe où sans que cela dérange le moins du monde mon corps.

Ce n'est pas par goût de la nourriture, c'est par goût de... (comment dire?) l’extension de la conscience, la suppression des limites, et surtout empêcher l’esclavage des habitudes – ça, c'est une chose horrible. Être l’esclave de ses habitudes, c'est dégoûtant. Même tout petit, c'était comme cela: pas d'esclavage. On me disait: «Mais il faut faire ça parce qu'on a l’habitude de faire ça», et moi, je répondais d'une façon très peu polie: «Zut!»... Faire comme ça parce que c'est l’habitude de faire comme ça, ce n'est pas un argument pour moi – libre-libre-libre! Le goût de la liberté.

Il ne faut pas être un petit esclave parce que tu es née à tel endroit avec certains parents – c'est un hasard, ce n'est pas une fatalité!

(Sujata:) Non, Mère, c'est surtout l’odorat. Il y a certaines odeurs que je supporte très mal.

Mais il faut apprendre à les supporter. Tu n'as qu'à faire ceci: quand tu reçois un choc, tu restes très tranquille et tu appelles – tu appelles le Seigneur ou tu m'appelles, ça n'a pas d'importance (riant), ça fait le même effet! (n'allez pas répéter ça!), et puis tu dis: «Donne-moi une conscience élargie», voilà. Et puis tu restes tranquille. Et la prochaine fois que l’odeur viendra, tiens! tu t'apercevras que ce n'est pas seulement désagréable, et la troisième ou la quatrième fois, tu sentiras l’Ananda qui est derrière.

Je le sais par expérience.

C'est tout simplement une étroitesse de goût parce que depuis ton enfance il y avait un certain nombre de choses que l’on te donnait. Tu es habituée: «Alors c'est bien»; tu n'es pas habituée: «Oh! quelle horreur!»... Il faut apprendre à voir pourquoi c'est là, pourquoi c'est dans le monde – tout ce qui se trouve dans le monde est pour la joie d'être, alors la joie doit y être puisqu'elle est partout!

Tu n'as qu'à la trouver.

(Sujata:) Mais ça pourrait être pour la joie d'autrui!

(Mère rit)


Vers la fin de l’entrevue

Il faut bien dormir. Oui, j'ai remarqué qu'il est important de dormir longtemps. Dès que tu te sens fatigué, tu te laisses dormir, ne résiste pas. C'est important. Je dis cela par expérience personnelle, parce que tout d'un coup... Quand il y a une période (pendant une heure, deux heures, cela dépend) où l’atmosphère est toute vibrante de cette lumière-force-joie dont j'ai parlé l’autre jour, et on est comme... c'est tout plein, tout plein; et puis tout d'un coup (geste de plongée à l’intérieur), et au bout d'un moment on se dit: «Tiens, où étais-je?...» Il y a des moments comme cela où l’on entre dans une sorte de sommeil. Les premières fois, je croyais que j'étais tombée dans une inconscience (quoique ce me soit rarement arrivé! mais enfin), je me demandais ce que cela voulait dire. Puis j'ai bien regardé et j'ai vu que c'est une période d'assimilation nécessaire. C'est très nécessaire. C'est dans une espèce d'immobilité de la conscience des cellules qu'elles assimilent cette force nouvelle. Alors quand cela vient, ne pas résister. Généralement, ça ne dure pas très longtemps: quinze minutes, vingt minutes. Une période d'assimilation. N'est-ce pas, l’atmosphère est chargée-chargée-chargée de plus en plus. Alors, si vous sentez tout d'un coup que ça tire, ne résistez pas, laissez aller – il vaut mieux ne pas être debout!

20 novembre 1965

(Sur la table de Mère se trouve un «Illustrated Weekly» avec une grande photo du Président Kennedy les mains jointes. C'est le deuxième anniversaire de sa mort: 22 novembre 1963.)

C'était un homme religieux?

Il était catholique, je crois.

Oh! catholique...

Ah! c'est pour cela qu'il est mort... Tu sais qu'il était vraiment pour la liberté, et non seulement la liberté mais l’union. Et il était réceptif. Tu sais comment il travaillait là-bas pour les Noirs (c'est d'ailleurs la cause extérieure de sa mort). Mais c'était sur lui que je comptais, non sans raison, parce qu'il avait donné des signes d'assentiment à une union avec la Russie pour établir la paix sur la terre. Il y avait déjà des pourparlers et on avait saisi l’occasion de l’agression chinoise contre l’Inde. Naturellement, ce n'était pas très bien vu des extrémistes, et, dans l’atmosphère, la force qui pendant des siècles a agi derrière la religion catholique n'était pas du tout en faveur de ce plan; alors ça s'est bien «arrangé» et on l’a tué. l’autre, en Russie, qui avait répondu, Khrouchtchev, il n'est pas mort parce qu'il est parti à temps!

Mais je ne savais pas, je croyais que Kennedy était protestant.


(Plus tard, à propos d'une disciple très bavarde, mais pleine d'esprit ironique: Bharatidi.)

...Elle m'a gardé presque une heure! Elle m'a dit: «La prochaine fois, je ne serai pas bavarde.» Alors ce n'était plus qu'une demi-heure! Mais elle a une façon de dire très plaisante. Et il y a un phénomène curieux, cela s'est produit il y a deux ou trois ans, je ne me souviens plus... C'était après que la conscience se soit tout à fait répandue sur tout le monde (au fond sur la terre entière) mais comme progressivement, en ce sens que c'est plus intense plus près et moins intense plus loin; mais là, avec Bharatidi, ce n'est pas seulement une proximité physique: c'est une sorte de proximité de vibration dans un certain domaine; et chez elle, la proximité se situait dans une certaine observation... d'une bienveillance ironique. Et je me suis attrapée, je ne sais combien de fois, quand je parlais à quelqu'un, à avoir la voix et à employer les mots de Bharatidi! Et dans ma candeur, je le lui ai dit: «Figure-toi que nous sommes dans un rapport si intime que quelquefois – très souvent – quand je parle, j'ai ton intonation et j'emploie tes mots.» Ah! mon petit, depuis lors!... Mais elle n'est pas ennuyeuse! On peut passer une heure avec elle sans s'ennuyer, ce qui est remarquable.

23 novembre 1965

À propos du «Message» que Mère va donner pour le darshan du 24 novembre:

«C'est certainement une erreur de faire descendre de force la lumière, de la tirer. Le Supramental ne peut pas être pris d'assaut. Quand le temps sera venu, il s'ouvrira de lui-même. Mais d'abord, il y a beaucoup à faire et il faut que ce soit fait patiemment et sans hâte.»

(Sri Aurobindo)

C'est bon pour les gens raisonnables. Ils diront: «Voilà, il ne promet pas de miracles.»

Pourquoi? Beaucoup de gens ont donc tendance à «tirer»?

Les gens sont pressés, ils veulent voir les résultats tout de suite.

Et alors, ils croient tirer le Supramental – ils tirent quelque petite individualité vitale qui se fiche d'eux et leur fait faire de vilaines blagues après. C'est ce qui arrive le plus souvent, quatre-vingt-dix-neuf fois sur cent.

Une petite individualité, une entité vitale qui joue le grand jeu et fait des effets, des jeux de lumière; alors le pauvre bougre qui a tiré est ébloui, il dit: «Voilà, c'est le Supramental!» et il tombe dans un trou.

Ce n'est que quand on a touché, vu d'une façon quelconque et eu un contact avec la Lumière véritable que l’on peut discerner le Vital, et on s'aperçoit que c'est tout à fait comme des jeux de lumière sur un théâtre: des effets de théâtre, une lumière artificielle. Mais autrement, les autres sont éblouis – c'est éblouissant, c'est «magnifique», et alors ils se trompent. Ce n'est que si l’on a VU et que l’on a eu le contact avec la Vérité, ah! alors on sourit.

C'est du cabotinage, mais il faut savoir la vérité pour discerner le cabotinage.

Au fond, c'est la même chose pour tout. Le Vital est comme un super-théâtre qui donne des représentations – très attrayantes, éblouissantes, trompeuses –, et ce n'est que quand on connaît la Vraie Chose, que, imédiatement, instinctivement, sans raisonnement, on discerne et on dit: «Non, ça, je n'en veux pas.»

Et pour tout, n'est-ce pas. Là où ça a pris une importance capitale dans la vie humaine, c'est pour l’amour. Les passions vitales, les attractions vitales ont pris presque partout la place du sentiment véritable, qui est tranquille, tandis que ça, ça vous met en effervescence, ça vous donne le sentiment de quelque chose de «vivant»... C'est très trompeur. Et on ne sait cela, on ne le sent, on ne le perçoit clairement que quand on connaît la Vraie Chose; si on a touché à l’amour véritable par le psychique et l’union divine, alors ça paraît creux, mince, vide: une apparence et une comédie – plus souvent tragique que comique.

Tout ce que l’on peut en dire, tout ce que l’on peut en expliquer ne sert de rien du tout, parce que celui ou celle qui est prise dit tout de suite: «Oh! ce n'est pas comme pour les autres» – ce qui vous arrive à vous-même n'est jamais comme ce qui arrive aux autres (!) Il faut avoir cette «Chose», la vraie expérience, alors... alors tout le Vital prend l’aspect d'une mascarade – pas attrayante.

Et quand on tire, c'est, oh! beaucoup plus de quatre-vingt-dix-neuf fois sur cent: c'est un cas sur un million où il se trouve que l’on tire la Vraie Chose – ça prouve que l’on était prêt. Autrement, c'est toujours le Vital que l’on tire: l’apparence, la représentation dramatique de la Chose, pas la Chose elle-même.

Tirer, est toujours un mouvement égoïste. C'est une déformation de l’aspiration. l’aspiration vraie, ça comporte un don – un don de soi –, tandis que tirer, c'est vouloir pour soi. Même si dans la pensée on a une ambition plus vaste – la terre, l’univers –, ça ne fait rien, ce sont des activités mentales.

(long silence)

Quand on dit les choses mentalement, tous ceux qui ont essayé d'expliquer mentalement, ont fait une opposition, et alors on s'imagine que l’un est très contraire à l’autre [la Vraie Chose et sa déformation]; ce serait si facile, dans ce cas, de discerner. Mais ce n'est pas du tout cela!... Maintenant, je suis en train d'étudier la manière dont la Matière, le corps, peut être constamment en harmonie avec la Présence divine. Et c'est tellement intéressant: ce n'est pas du tout une opposition, c'est une toute-petite-microscopique déformation. Par exemple, on fait souvent cette expérience (et généralement on ne sait pas pourquoi ça se passe comme cela – maintenant je sais): certains jours ou à certains moments, tous les gestes que l’on fait sont harmonieux, toutes les choses que l’on touche semblent toujours répondre harmonieusement à la volonté qui les touche, tout s'organise (je parle des toutes petites choses de la vie – de la vie quotidienne), chaque chose semble être à sa place ou se mettre naturellement à sa place: quand on plie un papier, il se plie comme spontanément, de la façon qu'il faut; quand on cherche quelque chose, on trouve comme spontanément la chose dont on a besoin; on ne cogne jamais rien, on ne renverse jamais rien – tout semble harmonieux. Et puis (sans différence appréciable dans l’état de conscience total), d'autres fois, c'est tout l’opposé: on veut plier un papier, on le plie de travers; on veut toucher quelque chose, on le laisse tomber – tout semble désharmonisé ou déséquilibré ou de mauvaise volonté. Soi-même on est, en gros, dans le même état. Mais maintenant, avec l’observation aiguë et ténue, je vois: dans un cas, c'est une espèce de silence intérieur dans les cellules, une tran-qui-llité profonde, qui n'empêche pas le mouvement et même le mouvement rapide, mais il est comme établi sur une vibration éternelle; et dans l’autre cas, c'est cette précipitation intérieure (geste trépidant), cette vibration intérieure, cette inquiétude intérieure, cette hâte de passer d'un moment à l’autre, d'être toujours pressé (pourquoi? on ne sait pas), toujours-toujours, pressé-pressé; et tout ce que l’on fait va de travers. Et dans l’autre cas, avec cette sérénité et cette paix intérieures, tout se fait harmonieusement, et beaucoup plus vite dans le temps matériel: on ne perd pas de temps.

Et c'est pour cela qu'il est si difficile de savoir comment il faut être. Parce que, dans la pensée, on peut être toujours dans le même état, même dans l’aspiration on peut être toujours dans le même état, dans la bonne volonté générale, même dans la soumission au Divin, tout cela peut être la même chose, dans le même état – c'est là-dedans (Mère touche son corps) et ça fait toute la différence. Je conçois très bien qu'il y ait des gens en qui cette opposition persiste dans le mental et dans le vital, mais là c'est tellement évident... Mais moi, je parle d'une chose tout à fait matérielle. Il y a des gens qui disent et qui pensent: «Comment? je suis de si bonne volonté, je veux tellement bien faire, et puis rien ne réussit, tout est discordant, pourquoi? Je suis si bon (!) et les choses ne répondent pas.» Ou ceux qui disent: «Oh! j'ai fait ma soumission, je suis de si bonne volonté, j'ai une aspiration, je ne veux que la Vérité et le Bien, et puis je suis tout le temps malade, pourquoi est-ce que je suis malade?» Et naturellement, un petit pas de plus, et on commence à douter de la Justice qui régit le monde, etc. Alors on tombe dans un trou... Mais ce n'est pas cela. Ce n'est pas cela que je veux dire. C'est à la fois beaucoup plus simple et beaucoup plus difficile, parce que ce n'est pas criant, ce n'est pas évident, ce n'est pas une opposition où l’on puisse choisir, c'est... vraiment, totalement, intégralement, laisser toute la responsabilité au Seigneur.

De toutes choses, pour l’homme, c'est la plus difficile – c'est beaucoup plus facile pour la plante et même pour l’animal, beaucoup plus. Mais pour l’homme, c'est très difficile. Parce qu'il y a eu toute une période de l’évolution où il a été nécessaire qu'il prenne la responsabilité de lui-même pour progresser. Alors l’habitude est prise, c'est incrusté dans l’être.

J'ai remarqué quelque chose de très intéressant. Par exemple, il y a une douleur, un signe quelconque que quelque chose est détraqué dans le corps. Dans la conscience – la conscience –, on est absolument indifférent, c'est-à-dire que vie ou mort, maladie ou santé, c'est l’égalité; mais si le corps réagit selon sa vieille habitude: «Que faut-il faire pour que ça passe?» et tout ce que cela comporte (je ne parle pas d'une réaction dans le mental mais ici, dans le corps), la chose s'incruste. Pourquoi? – Parce qu'il faut qu'elle reste là... (riant) pour qu'on puisse étudier! Si, au contraire, les cellules ont appris leur leçon et qu'imédiatement elles disent: «Seigneur, Ta présence» (sans mots: l’attitude) – pfft! ça s'en va.

Il ne sert à rien que la pensée le fasse, que la conscience psychique, même la conscience physique le fassent: il faut que ce soient les cellules qui le fassent. Alors celui qui le fait en pensée dit: «Voilà, je me donne au Divin, je suis prêt à tout, je suis dans un état d'égalité parfaite, et tout de même je suis malade! alors que croire?» Ce n'est pas cela. Pour avoir une action ici, imédiate (imédiate, c'est-à-dire ce qui apparaît comme miraculeux, qui ne l’est pas du tout), il faut imédiatement, là où un désordre s'est produit pour une raison quelconque, ça: «Seigneur – Seigneur, c'est Toi; Seigneur, nous sommes Toi; Seigneur, Tu es ici.» – Tout s'envole. Une sensation, une attitude – imédiatement, hop! c'est fini.

J'ai eu des centaines et des centaines d'expériences comme cela.

Et l’état – l’état général de la conscience – est exactement le même, toujours comme cela (geste immobile, paumes offertes vers le Haut), dans une espèce de béatitude consciente de: «Que Ta Volonté soit faite.» Mais ça ne sert à rien, ça ne touche pas ici – il faut que ce soit là que ça se passe (Mère touche son corps).

C'est très intéressant.

Je pourrais parler pendant des heures, mais c'est inutile.

Je sais si bien que c'est inutile que quand on me relit ce que j'ai dit... Je le dis dans l’expérience, et quand je relis, je suis dans une autre expérience, alors cela me paraît dépourvu tout à fait de pouvoir de conviction. Si par hasard je peux rattraper l’expérience, imédiatement je sens: «Tiens, oui, c'est exactement ça.» Par conséquent, à moins que l’on n'ait l’expérience, ça ne sert à rien de lire. On publie tout de même des Bulletins, mais enfin, la vérité, c'est cela. Ce n'est qu'au moment où on a l’expérience que l’on peut vraiment comprendre ce qu'on lit.

Cela a peut-être le pouvoir de transmettre l’expérience (mentalement, c'est indiscutable: on a un effet mental), mais je parle, moi, du travail ici, dans les cellules du corps... On se donne une petite explication mentale mais ce n'est pas cela! Tandis que quand on a eu la vibration, ah! c'est évident.

Tu sais, être tout à fait mal à l’aise, mal fichu, ne pas pouvoir respirer, avoir la nausée, se sentir impuissant, ne pas pouvoir bouger même, ni penser ni rien... n'est-ce pas, tout à fait mal fichu; et puis tout d'un coup... la Conscience – la conscience corporelle de la Vibration d'Amour, qui est l’essence même de la création, mais une seconde: tout s'illumine, pfft! parti, tout est parti. Et alors on se regarde étonné – tout est parti. On était vraiment mal à l’aise – tout est parti.

Ça, je ne crois pas que des mots puissent passer ça. Ce n'est même pas de vivre dans l’atmosphère – qu'est-ce que c'est?... Ce sera peut-être un pouvoir, un jour. Le pouvoir de passer ça. Alors là, tout pourra changer.

Sans doute quand ce sera là, établi d'une façon permanente.

Quand ce devra être, ce sera, non?

27 novembre 1965

Tu n'as rien senti de particulier le jour du darshan? Non?

Sri Aurobindo était là depuis le matin jusqu'au soir.

LÀ, n'est-ce pas.

Pendant, oh! pendant plus d'une heure, il m'a fait vivre comme la vision concrète et vivante de la condition de l’humanité et des différentes couches d'humanité par rapport à la création nouvelle ou supramentale. Et c'était merveilleusement clair et concret et vivant.

Il y avait toute l’humanité qui n'est plus tout à fait animale, qui a bénéficié du développement mental et qui a créé une certaine harmonie dans sa vie – une harmonie vitale et artistique, littéraire – et dont la grande majorité vit satisfaite de vivre. Ils ont attrapé une sorte d'harmonie et ils vivent là-dedans la vie telle qu'elle existe dans un milieu civilisé, c'est-à-dire un peu cultivé, avec des raffinements de goût, des raffinements d'habitudes; et toute cette vie a une sorte d'harmonie où ils se trouvent à l’aise, et à moins qu'il ne leur arrive quelque chose de catastrophique, ils vivent heureux et contents, satisfaits de la vie. Ceux-là peuvent être attirés (parce qu'ils ont du goût, ils sont développés intellectuellement), ils peuvent être attirés par les forces nouvelles, les choses nouvelles, la vie future; par exemple, ils peuvent devenir des disciples de Sri Aurobindo mentalement, intellectuellement. Mais ils ne sentent pas du tout le besoin de changer matériellement, et si on les y forçait, ce serait d'abord prématuré, injuste, et cela créerait tout simplement un grand désordre et troublerait leur vie tout à fait inutilement.

C'était très clair.

Puis il y avait les quelques-uns – rares individus – qui sont prêts à faire l’effort nécessaire pour la préparation de la transformation et pour attirer les forces nouvelles, essayer d'adapter la Matière, chercher les moyens d'expression, etc. Ceux-là sont prêts pour le yoga de Sri Aurobindo. Ils sont très peu nombreux. Il y a même ceux qui ont le sens du sacrifice et qui sont prêts à avoir une vie dure, pénible, pourvu que cela mène ou que cela aide à cette transformation future. Mais il ne faudrait pas, il ne faudrait d'aucune manière qu'ils essayent d'influencer les autres et de leur faire partager leur propre effort: ce serait tout à fait injuste – non seulement injuste mais extrêmement maladroit parce que cela changerait le rythme et le mouvement universel, ou tout au moins terrestre, et au lieu d'aider, cela produirait des conflits et aboutirait à un chaos.

Mais c'était si vivant, si réel, que toute mon attitude (comment dire?... une attitude passive, qui n'est pas l’effet d'une volonté active), toute la position prise dans le travail a changé. Et cela a amené une paix – une paix et une tranquillité et une confiance tout à fait décisives. Un changement décisif. Et même, ce qui, dans la position précédente, paraissait être de l’obstination, de la maladresse, de l’inconscience, toutes sortes de choses déplorables, tout cela a disparu. C'était comme la vision d'un grand Rythme universel où chaque chose prend sa place et... tout est très bien. Et l’effort de transformation réduit à un petit nombre devient une chose beaucoup plus précieuse et beaucoup plus puissante pour la réalisation. C'est comme un choix qui a été fait pour ceux qui seront les pionniers de la création nouvelle. Et toutes ces idées de «répandre», de «préparer» ou de baratter la Matière: des enfantillages. C'est de l’agitation humaine.

La vision était d'une beauté tellement majestueuse et calme et souriante, oh!... C'était plein, plein vraiment de l’Amour divin. Et pas un Amour divin qui «pardonne» – il ne s'agit pas de cela du tout, du tout! –, chaque chose à sa place et réalisant son rythme intérieur aussi parfaitement qu'elle le peut. C'est tout.

C'était un très beau cadeau.

N'est-ce pas, toutes ces choses, on les sait quelque part intellectuellement, comme ça, dans l’idée, on sait tout cela, mais ça ne sert à rien du tout. Dans la pratique de chaque jour, on vit selon quelque chose d'autre, une compréhension plus vraie. Et là, c'était comme si l’on touchait les choses – on les voyait, on les touchait – dans leur ordonnance supérieure.

C'était venu après une vision des plantes et de la beauté spontanée des plantes (c'est quelque chose de si merveilleux!), puis de l’animal avec une vie si harmonieuse (quand les hommes n'interviennent pas), et tout cela était bien à sa place. Puis l’humanité vraie, en tant qu'humanité, c'est-à-dire le maximum de ce qu'un mental équilibré peut produire de beauté, d'harmonie, de charme, d'élégance de la vie et du goût de vivre – du goût de vivre en beauté –, et naturellement en supprimant tout ce qui est laid et bas et vulgaire. C'était une jolie humanité. l’humanité à son maximum, mais jolie. Et qui est parfaitement satisfaite en tant qu'humanité, parce qu'elle vit harmonieusement. Et c'est peut être aussi comme une promesse de ce que la presque totalité de l’humanité deviendra sous l’influence de la création nouvelle: il me paraissait que c'est ce que la conscience supramentale peut faire de l’humanité. Il y avait même une comparaison avec ce que l’humanité avait fait de l’espèce animale (c'est extrêmement mélangé naturellement, mais il y a eu des perfectionnements, des améliorations, des utilisations plus complètes). l’animalité sous l’influence mentale est devenue quelque chose d'autre, qui était naturellement mélangé parce que le mental était incomplet; de même, il y a des exemples d'humanité harmonieuse parmi les gens bien équilibrés, et cela paraissait être ce que l’humanité pouvait devenir sous l’influence supramentale.

Seulement c'est très loin en avant; il ne faut pas s'attendre à ce que ce soit tout de suite – c'est très en avant.

C'est clairement, encore maintenant, une période de transition, qui peut durer assez longtemps et qui est plutôt douloureuse. Seulement l’effort, quelquefois douloureux (souvent douloureux), est compensé par une vision claire du but à atteindre, du but qui SERA atteint: une assurance, n'est-ce pas, une certitude. Mais ce1 serait quelque chose qui aurait le pouvoir d'éliminer toutes les erreurs, les déformations et les laideurs de la vie mentale, et alors une humanité très heureuse, très satisfaite d'être humaine, ne sentant nullement le besoin d'être autre chose qu'humaine, mais d'une beauté humaine, d'une harmonie humaine.

C'était très charmant, c'était comme si je vivais là-dedans. Les contradictions avaient disparu. Comme si je vivais dans cette perfection. Et c'était presque comme l’idéal conçu par la conscience supramentale, d'une humanité devenue aussi parfaite qu'elle peut l’être. Et c'était très bien.

Et cela amène un grand repos. La tension, la friction, tout cela disparaît, et l’impatience. Tout cela avait complètement disparu.

C'est-à-dire que tu concentres le travail au lieu de le diffuser un peu partout?

Non, il peut être diffusé matériellement parce que les individus ne sont pas nécessairement rassemblés. Mais ils sont peu nombreux.

Cette idée d'un besoin pressant de «préparer» l’humanité à la création nouvelle, cette impatience-là a disparu.

Il faut d'abord réaliser en quelques-uns.

C'est cela.

Par exemple, prends un livre comme ton livre2 (mais je le savais depuis le commencement), un livre comme celui-là aura rempli sa pleine fonction s'il touche même une douzaine de gens. Il n'a pas besoin de se vendre par milliers d'exemplaires. S'il touche une douzaine de gens, il aura rempli au maximum sa fonction. C'est comme cela.

Je voyais, j'ai vu cela d'une façon si concrète.3 En dehors de ceux qui sont aptes à préparer la transformation et la réalisation supramentales, et dont le nombre est nécessairement très réduit, il faudrait que se développe de plus en plus, au milieu de la masse humaine ordinaire, une humanité supérieure qui ait vis-à-vis de l’être supramental futur ou en promesse la même attitude qu'a l’animalité, par exemple, vis-à-vis de l’homme. Il faut, en plus de ceux qui travaillent à la transformation et qui y sont prêts, une humanité supérieure, intermédiaire, qui ait trouvé en elle-même ou dans la vie cette harmonie avec la Vie – cette harmonie HUMAINE – et qui ait le même sentiment d'adoration, de dévotion, de consécration fidèle à «quelque chose» qui lui paraît si supérieur qu'elle n'essaye même pas de le réaliser, mais qu'elle adore et dont elle sente le besoin de l’influence, de la protection, et de vivre sous cette influence, d'avoir la joie d'être sous cette protection... C'était si clair. Mais pas cette angoisse et ces tourments de vouloir quelque chose qui vous échappe parce que – parce que ce n'est pas votre destin encore de l’avoir, et que la somme de transformation nécessaire est prématurée pour votre existence, et qu'alors cela crée un désordre et une souffrance.

Mais je vois bien que quand le travail se fait comme «on» me le fait faire, ça devient comme cela, très spontanément. Par exemple, l’une des choses très concrètes qui montre bien le problème: l’humanité a l’impulsion sexuelle d'une façon tout à fait naturelle, spontanée, et je pourrais dire légitime. Cette impulsion, naturellement et spontanément, disparaîtra avec l’animalité (bien d'autres choses disparaîtront comme, par exemple, le besoin de manger, et peut-être aussi le besoin de dormir de la façon dont nous dormons), mais l’impulsion la plus consciente dans une humanité supérieure et qui est restée comme une spurce de... béatitude est un grand mot, mais de joie, de délice, c'est certainement l’activité sexuelle, qui n'aura absolument plus de raison d'être dans les fonctions de la nature quand le besoin de créer de cette manière-là n'existera plus. Par conséquent, la capacité d'entrer en rapport avec la joie de vie montera d'un échelon ou s'orientera différemment. Mais ce que les anciens aspirants spirituels avaient essayé par principe – la négation sexuelle – est une chose absurde, parce que ce ne doit être que chez ceux qui ont dépassé ce stade et qui n'ont plus d'animalité en eux. Et ça doit tomber naturellement, sans effort et sans lutte, comme ça. En faire un centre de conflit, de lutte et d'effort, est ridicule. Ça, mon expérience de l’Ashram me l’a tout à fait prouvé, parce que j'ai vu tous les stades, et que toutes les idées, les interdictions ne servent absolument à rien, et que c'est seulement quand la conscience cesse d'être humaine que ça tombe tout naturellement. Là, il y a une transition qui peut être un peu difficile parce que les êtres de transition sont toujours en équilibre instable, mais il y a au-dedans de soi une espèce de flamme et de besoin qui fait que ce n'est pas douloureux – ce n'est pas un effort douloureux, c'est quelque chose que l’on peut faire en souriant. Mais vouloir imposer cela à ceux qui ne sont pas prêts à cette transition, c'est absurde. On m'a beaucoup reproché d'encourager certaines gens à se marier; il y a des tas de ces enfants à qui je dis: «Mariez-vous! mariez-vous!» On me dit: «Quoi! vous les encouragez?» – C'est du bon sens.

C'est du bon sens. Ils sont humains, mais qu'ils ne prétendent pas ne pas l’être.

Ce n'est que quand, spontanément, l’impulsion vous devient impossible, quand vous sentez que c'est quelque chose de pénible et de contraire à votre besoin profond, alors cela devient facile; à ce moment-là, eh bien, extérieurement vous coupez des liens, et puis c'est fini.

C'est l’un des exemples les plus probants.

C'est la même chose pour la nourriture – ce sera la même chose. Et il y aura probablement une transition où l’on aura une nourriture de moins en moins purement matérielle. C'est ce que l’on est en train de chercher maintenant: toutes leurs vitamines et leurs comprimés, c'est une recherche instinctive d'une nourriture moins terre-à-terre et qui servira certainement de transition.

Il y a beaucoup de choses comme cela. Depuis le 24 (jour du dar-shan), je vis dans cette nouvelle conscience et j'ai vu le tableau de beaucoup de choses. Il y a même eu des expériences par lesquelles j'avais passé et que j'ai comprises maintenant. Comme, par exemple, quand j'ai jeûné dix jours (complètement, même pas une goutte d'eau), sans avoir une pensée pour la nourriture (je n'avais pas le temps de manger), et ce n'était pas une lutte: c'était une décision; et à ce moment-là, il y avait une faculté en moi, qui s'est développée petit à petit et, par exemple, quand je respirais des fleurs, c'était nourrissant. J'ai vu cela: on se nourrit d'une façon plus subtile.

Seulement, le corps n'est pas prêt. Le corps n'est pas prêt et il se détériore, c'est-à-dire qu'il se mange lui-même. Alors cela prouve que le moment n'était pas venu et que c'était seulement une expérience – une expérience qui vous apprend quelque chose, qui vous apprend que ce ne doit pas être un refus brutal d'entrer en rapport avec la matière correspondante et un isolement (on ne peut pas s'isoler, c'est impossible), mais une communion sur un plan plus élevé ou plus profond.

(silence)

Ce message que l’on a distribué le 24,4 c'était Sri Aurobindo qui m'avait dit de le garder pour le 24, c'était très clair et très catégorique, et je ne savais pas pourquoi. Mais maintenant, il m'a montré clairement pourquoi et j'ai bien compris. Parce que ce Pouvoir devient de plus en plus évident – ce Pouvoir de Vérité –, et naturellement la pensée humaine, qui est enfantine (elle a le même rapport avec la pensée supramentale que ce que l’on peut appeler la pensée ou le sentiment animal avec le sentiment ou la pensée humaine), elle a presque besoin de superstition (superstition est un vilain mot pour quelque chose qui n'est pas vilain: c'est une foi, ignorante, candide et très confiante), eh bien, cette foi-là, dès que l’on sent l’influence d'un Pouvoir, elle vous fait croire au miracle, et vous fait croire que maintenant le Supramental va se manifester et puis on va devenir supramental, et puis... Et ce qui est très amusant, c'est que d'habitude, ces «messages», je dois en envoyer deux à trois cents chaque darshan (chacun m'en demande pour ses correspondants); cette fois-ci, je n'en ai même pas donné cent! (riant) même pas cent. Ah! ce n'est pas si confortable, n'est-ce pas, ça vient vous dire: «Non-non, soyez sages.»

C'est très amusant. J'ai encore tout mon paquet là.

C'est comme si l’on disait à un chien: «Ne crois pas, ne crois pas du tout que je suis comme tu l’imagines, que je suis tout-puissant, tout-connaissant.» Si on lui disait la vérité, comment on est humainement, le pauvre chien serait très déçu! Il croit que vous êtes l’être tout-puissant, qui sait tout, qui peut tout. Eh bien, c'est la même chose, on ne dit pas à un chien: «Tu es superstitieux.»

(silence)

Ceux qui ont atteint aux régions supérieures de l’intelligence, mais qui n'ont pas dominé les facultés mentales en eux, ont un besoin candide que tout le monde pense comme eux et soit capable de comprendre comme ils comprennent, et quand ils s'aperçoivent que les autres ne peuvent pas, ne comprennent pas, le premier réflexe est d'être horriblement choqué; on dit: «Quel imbécile!» Mais ce n'est pas du tout imbécile – ils sont différents, ils sont dans un autre domaine. On ne va pas dire à un animal: «Tu es un imbécile», on dit: «C'est un animal»; eh bien, on dit: «C'est un homme.» C'est un homme. Seulement, il y a ceux qui ne sont plus des hommes et ne sont pas encore des dieux, et ceux-là sont dans une position très... en anglais, on dit awkward [incommode].

Mais c'était si apaisant, si doux, si merveilleux, cette vision – chaque chose exprimant son espèce, tout naturellement.

Et alors, la Flamme... Quand la Flamme s'allume, tout devient différent. Mais cette Flamme-là est quelque chose de tout à fait différent; c'est tout à fait différent du sentiment religieux, de l’aspiration religieuse, de l’adoration religieuse (tout cela est très bien, c'est le maximum de ce que l’homme peut faire et c'est très bien, c'est excellent pour l’humanité), mais cette Flamme-là, la Flamme de la transformation, c'est autre chose. Tiens, je me rappelle maintenant que Sri Aurobindo m'a fait me souvenir de quelque chose que j'avais écrit au Japon (qui est imprimé dans les Prières et Méditations) et je n'avais jamais compris ce que j'avais écrit. J'avais toujours cherché et je me disais: «Qu'est-ce que, diable, j'ai pu vouloir dire? je n'en sais rien.» C'était venu comme cela et je l’avais écrit directement. Il était question d'un «enfant» et il était dit: «Ne t'approche pas trop près de lui parce que ça brûle» (je ne me souviens plus du tout des mots), et je me disais toujours: «Qu'est-ce que c'est que cet enfant dont je parle?... Et il faut faire attention de ne pas trop s'en approcher??»5 Et tout d'un coup, hier ou avant-hier seulement, j'ai compris; tout d'un coup il m'a montré, il m'a dit: «C'est cela: l’«enfant» est le commencement de la nouvelle création, elle est encore à l’état d'enfance, et n'y touchez pas si vous ne voulez pas être brûlés – parce que ça brûle.»

(silence)

Et il est tout à fait évident qu'avec l’ampleur et la totalité de la vision vient quelque chose qui est une compassion qui comprend – pas cette pitié du supérieur à l’inférieur: la vraie Compassion divine, qui est la compréhension totale que chacun est ce qu'il doit être.

Il ne reste plus que les déformations. Il y avait aussi l’explication des déformations. C'était une vision décisive qui met chaque chose à sa place. Une vraie révélation.

Toutes ces choses, on les a dites mille fois, elles ont été écrites je ne sais combien de fois, elles ont été pensées et exprimées – tout cela est très bien, là-haut. Mais ça, c'est vu dans le plan lui-même (matériel), senti, vécu, respiré, absorbé; c'est tout à fait autre chose. C'est une compréhension qui n'a rien à voir avec la compréhension intellectuelle.

(après un long silence)

Sri Aurobindo continue à me dire des choses... C'est vraiment très intéressant.

Il y a une sorte d'instinct de vouloir que tout soit en accord avec l’expérience que l’on a. Mais c'est une tendance à l’uniformité, l’unité uniforme du Suprême, qui est le Suprême non-manifesté, identique à lui-même éternellement, par opposition à l’innombrable multiplicité de toutes les expressions de cette Unité; et instinctivement, il y a toujours (geste de retrait) un recul vers le Non-Manifesté, au lieu (Mère ouvre les deux mains) d'une admission de la manifestation dans sa totalité. C'est très intéressant.

Et c'est le premier effet du retour à l’Origine.

Le premier effet du retour à l’Origine, c'est la simplification, l’identité, l’Unique – l’Unique identique. Et il y a le mouvement de la manifestation (geste d'expansion): l’Immensité multiple.

C'est instinctif.6

(Mère part en contemplation)

30 novembre 1965

Mère passe à la traduction de «Savitri»:

Imagining meanings in life's heavy drift,
They trusted in the uncertain environment
And waited for death to change their spirit's scene.1

(X.IV.641)

Oui, ce sont les gens qui espèrent aller dans un ciel béatifique.

Tout l’Occident est convaincu, n'est-ce pas, que la terre, il faut la prendre comme elle est et que c'est une préparation à une vie dans un autre monde qui sera, suivant vos «fautes» ou vos «qualités», un ciel ou un enfer. Mais enfin, en supprimant l’enfer, tous ceux qui sont de bonne volonté iront dans un ciel béatifique.

C'est une invention bizarre, non!

Enfin...

Mais il y a une accumulation, une compression de connaissance extraordinaire, dans tout ce «Savitri», à chaque occasion. Il n'y a rien qui soit vide de connaissance. C'est vraiment intéressant.

décembre




1 décembre 1965

(Note de Mère à Satprem)

Satprem,

Dans les «notes sur le chemin», il faut élaguer.1

Le passage concernant les mariages autorisés doit être supprimé, et aussi toute la référence à la composition de TAshram. Tout cela est trop «privé» pour être publié.

Et dans ce sens, tu peux trouver, ici et là, d'autres phrases qu'il vaut mieux omettre.

Je voudrais que nous revoyions cela soigneusement samedi prochain.

Tendresse

Signé: Mère

4 décembre 1965

(Mère était très mal la veille, et semble encore très fatiguée.)

Hier, c'était une journée très difficile. Et ce n'est pas encore tout à fait bien.

Je n'entends pas, je ne vois pas, je suis dans un état lamentable.

(le disciple dissuade Mère de travailler: longue méditation)

Je peux rester comme cela indéfiniment.

Une fois que je suis là-dedans, ça va bien, c'est confortable. Mais enfin, nous pouvons faire notre traduction... La difficulté, c'est que je ne vois pas et que je n'entends pas – je ne suis pas là!

Parce que, pour moi, je n'ai aucune raison d'en sortir (de la méditation). Comme cela, j'ai l’impression qu'enfin le monde va bien! Quand on sort de là, ça commence à grincer. Quand je suis là, le monde et tout va très bien!

(Mère prend les premiers vers de Savitri)

A savage din of labour and a tramp
Of armoured life and the monotonous hum
Of thoughts and acts that ever were the same1

(X.IV.641)

Voilà! c'est ça.


Vers la fin de l’entrevue

C'est mon grand remède. Hier, les trois quarts de la journée, je suis restée comme cela (en méditation). Tout le monde croyait que je dormais (!) et on se gardait bien de me réveiller (tant mieux, c'était gentil). Comme cela, ça va, tout va bien. Et le corps aussi va mieux, c'est l’unique guérison; pour moi, c'est l’unique guérison: apporter cette Paix, cette Lumière – une lumière vaste-vaste, calme-calme –, alors les cellules prennent l’habitude d'être un peu plus harmonieuses.

Autrement, ça ne va pas.

Je ne crois pas aux docteurs. J'ai beau faire, j'y mets toute ma bonne volonté, je ne crois pas aux traitements, je ne crois pas aux docteurs. Quand je suis dans cet état, le docteur me donne des remèdes – je regarde les remèdes: ils produisent autant de désordre que de bien. Ils font du bien à quelque chose et du mal à autre chose. Alors, après, il faut arranger ça. On n'en sort pas. Et encore, on me fait la faveur de me donner des doses d'enfant! Si l’on me donnait des doses de grande personne, je crois que... C'est intéressant, c'est très intéressant (!)

Au fond, pour être bien dans le monde comme il est maintenant, il faut être de la catégorie dont j'ai parlé l’autre jour, de ceux qui ont établi une harmonie avec toutes les facultés humaines et qui sont satisfaits, et puis qui sont suffisamment égocentriques pour ne même pas s'apercevoir que ce n'est pas comme cela pour les autres. Alors ça va bien; autrement... Et Sri Aurobindo était beaucoup (dans son être extérieur), beaucoup de la catégorie de ceux qui veulent que ça change – qui veulent que ça change, qui poussent au progrès, qui veulent avancer, qui veulent rejeter le passé... beaucoup. Il avait un grand effort à faire pour être satisfait des choses et des gens; c'était sa compassion qui lui faisait accepter les gens autour de lui tels qu'ils étaient. Autrement il souffrait beaucoup.

Et c'est cela qui use et fatigue et désorganise.

Tout le temps «on» m'apprend cela... N'est-ce pas, il y a longtemps que ce contentement béat n'existe plus (je ne l’ai jamais eu beaucoup, mais enfin si, à un moment donné, il a pu être, il y a très longtemps que ça ne tenait plus), mais «on» m'apprend à passer à un stade supérieur où l’on est suffisamment libre de toutes les vibrations extérieures pour pouvoir exister dans la Vibration harmonieuse vraie. Mais pour le corps, c'est difficile, parce que chaque fois que l’on mange, on absorbe du désordre; chaque fois que l’on respire, on absorbe du désordre – on vit dans le désordre. Et alors, c'est un travail de clarification, d'organisation, d'harmonisation, et tout devient très immobile, très-très immobile: ça (geste au front), silence absolu et lumière – lumière d'une lumière qui ne bouge plus; et puis faire descendre ça ici (le corps). Très immobile... Pourtant, il y a tout le temps le sang qui marche, non? Mais je crois qu'il doit marcher au ralenti. Alors ça va.

Je crois que selon la science extérieure, c'est quand on dort que l’on brûle les toxines; eh bien, c'est cela: c'est cette immobilité qui illumine les vibrations obscures.

(Riant) Alors je vous en ai donné une dose!

7 décembre 1965

À propos de la dernière «maladie» de Mère.

C'était ce que les gens appellent de la «magie noire» – je n'appelle pas cela de la magie noire, mais c'était une formation adverse que j'ai vue dans tous ses détails, juste le 5 décembre. Le 5 même, j'ai vu, et après j'ai compris. Et c'était extrêmement intéressant, mais impossible à répéter. Le 5 à la méditation, j'ai su ce que c'était (le lendemain du jour où tu es venu). Extrêmement intéressant. Je le dirai peut-être un jour, mais c'est très-très privé.

Le 5 après-midi, après que j'ai eu bien compris et tout vu, tout fait, tout d'un coup... (tu sais comment Sri Aurobindo enlevait les maladies: comme une main qui venait et qui enlevait le mal), c'est parti comme cela, ça a été enlevé, littéralement enlevé comme cela, et instantanément le corps a été bien. Ça, tu sais, j'en suis encore éberluée.

Tout à fait comme si l’on avait un capuchon sur soi, et puis quelque chose qui l’enlève: pfft! tous les symptômes, tout parti. C'est merveilleux.

Quand ce Pouvoir-là fonctionnera, on verra quelque chose.

Mais depuis quatre ou cinq ans, tous les ans vers le 5 décembre, tu es attaquée.

Ah! oui. Tout cela fait partie de la même chose. C'est la même chose.

Il y a plus de quatre ou cinq ans, plus longtemps que cela. Seulement... Enfin, quand j'expliquerai, on comprendra.

Mais j'ai vu cela non pas dans la pensée humaine, pas du tout, pas tel que l’on comprend: je l’ai vu tel que c'est, et ce qui permet ces attaques – ce qui non seulement permet, ce qui non seulement rend possible, mais rend nécessaire ces choses pour la transformation du corps.

Pour ne pas être compliqué, le tout est de tenir le coup, voilà tout. C'est tout – endurer, tenir le coup.

Mais au moment où c'est parti, juste une demi-seconde avant, est venu... Comment expliquer cela? c'est tellement simple et naturel et pas sophistiqué, oh! c'est si simple que ça paraît enfantin. C'était comme s'il m'était dit par une voix qui serait comme la voix de Sri Aurobindo: You are the stronger and you can send the ball away [Tu es la plus forte et tu peux renvoyer la balle], quelque chose comme cela. Mais les mots, ce n'est rien; c'était le sentiment d'une espèce de... on dit buoyancy en anglais [légèreté, entrain], ce sentiment que l’on a quand on est très jeune et plein d'audace et d'enthousiasme – le sentiment de me ficher d'eux absolument et de leur «formidable» formation, comme un lion se ficherait d'un rat. Absolument ce genre de rapport. Et ça a duré comme un éclair, cette espèce d'enthousiasme, et en même temps, absolument en même temps (geste, comme un capuchon que l’on enlève), pfft! – la nuit et le jour.

Oh! cela m'a appris beaucoup-beaucoup de choses, un monde de choses.

C'était dur. Ça a duré longtemps, le 3, 4 et 5, et tout le 5 jusque vers six heures trente du soir: trois jours.

Et tous les jours apportent quelque chose. Ça semble être mis au galop, on va vite. Hier, j'ai encore appris quelque chose: pour le travail, la raison des confusions. C'était très intéressant, une très intéressante démonstration. Et ainsi de suite, tous les jours quelque chose comme cela, dans les petits détails du fonctionnement matériel.

Très intéressant.

Maintenant, passons au travail.


(Suit une longue et habituelle discussion sur le problème de la publication des paroles de Mère. Comme d'habitude, Mère veut tout couper – «Je ne veux pas de je» – et comme d'habitude le disciple doit littéralement se battre pour sauver quelques fragments ici et là. En l’occurence, il s'agit des «Notes sur le Chemin».)

...Mais je vois, il y a beaucoup de gens qui lisent le Bulletin et il faut faire attention à ce que l’on dit. Alors il va falloir voir cela avec soin.

Il y a eu des récriminations encore?

Non, il y a eu des enthousiastes – tellement enthousiastes qu'il faut faire attention.

Il y a eu des protestations, mais cela m'est tout à fait égal, ça ne m'intéresse pas. Ce sont les enthousiastes, les gens à qui cela fait beaucoup d'effet, il faut faire attention.

Les enthousiastes sont souvent plus dangereux... Récrimination, cela veut dire des gens qui ne comprennent rien, ça n'a pas d'importance – s'ils ne comprennent pas, tant pis pour eux. Mais ceux qui comprennent, il ne faut pas que cela leur fasse trop d'effet. Il faut faire attention.

Oui, mais si on enlève tout ce qui est personnel, il reste comme une «déclaration» qui n'a pas de portée concrète. Ça reste vague et général.

On peut garder le texte complet pour ceux qui sont prêts pour voir tout.

(protestations du disciple)

Mais mon petit! relis le tout pour toi, et dis-toi que tous ceux qui sont prêts à lire le tout le liront un jour, voilà tout, ça suffit.

On ne devrait jamais te relire tes textes, parce que tu es impossible!

(Mère rit)

(La discussion continue et Mère veut encore supprimer toute la fin de la conversation du 27 novembre que le disciple voulait publier dans les «Notes sur le Chemin». Il s'agissait du double mouvement d'Unité et de Multiplicité.)

Ne sois pas découragé.

Mais tout ça se tient!

Oui, tous ceux qui ont ton développement comprendront, les autres pas.

Non, c'est un début d'expérience qui n'est pas encore au point. Ça, je le dirai mieux une autre fois. Un jour viendra où je le dirai bien. (Se moquant du disciple:) Tu auras l’occasion de l’écrire bien!

Laisse tout cela, ça suffit, tout cela est privé, c'est bon pour l’Agenda.

Un jour, je ferai un tableau – vivant parce que parfaitement vécu – de la Conscience suprême, qui est à la fois Néant et Totalité. Et ça, le jour où je pourrai mettre des mots sur cette expérience-là, ce sera quelque chose qui aura du poids, mais attends un peu, il faut attendre encore un peu.

Ce sont des balbutiements de néophyte.

Je comprends bien, mais... Mais même ces balbutiements sont pleins de sens! Même tes hésitations, même tes phrases inachevées. C'est plein de sens.

Oui, c'est bon pour... (comme disent les vieilles phrases), c'est bon pour les fidèles, mais les «infidèles», il ne faut pas qu'ils voient les balbutiements, ça ne les aide pas.

Elle (Sujata) aura moins à taper!

(tête du disciple)

10 décembre 1965

Qu'est-ce que tu as à dire?... Dis.

Je suis un peu troublé parce que j'ai reçu la nouvelle que mon ami s'était suicidé.

Raconte-moi cela. Quel ami?

Un Orpailleur.

Mais tu as eu beaucoup d'amis dans la vie, non?

Non.

Tu étais resté en communication avec lui?

C'était la personne la plus proche de moi.

Tu l’avais vu la dernière fois que tu es retourné en France?

Non.

Où était-il?

Oh! partout dans le monde, en Afrique dernièrement, un peu partout.

Et d'où t'écrit-il?

De Paris.

Quel âge a-t-il?

Un peu plus jeune que moi.

Qu'est-ce qu'il t'écrit? Tu as sa lettre? Donne-la moi.

C'était un révolté.

Oui.

Il n'a pas trouvé.

Mais c'est un révolté dans le tamas, mon petit. Suicide et tamas, ça va ensemble – inconscience ou stupidité.

(Mère regarde la lettre) Il ne signe pas son nom, il a écrit: «Ton frère, l’orpailleur.»

Oui.

C'est un intellectuel?

Non, pas beaucoup. C'est un homme d'action.

(Mère «regarde» encore la lettre) Tu es sûr qu'il s'est suicidé?... Moi pas. Tu n'as pas son adresse? Tu ne peux pas le savoir?

Si.

(Silence) Tu es encore très sensible aux formations des autres.

C'est un homme que je comprends bien, avec qui j'ai vécu. Ce n'était pas du tout un homme ordinaire qui acceptait la vie comme les trois quarts des gens qui sont confortables dans la vie.

Non, mais c'était un «dramatiste».

Pas du tout. C'est un homme d'action et c'est un chercheur de minerai.

Ça, c'est l’apparence.

C'est un type très simple et très brutal. Il ne manifestait jamais rien, il ne disait jamais rien, et quand il était sensible à quelque chose, il devenait de plus en plus dur extérieurement. Un homme très brutal, sans raffinement esthétique. Seulement un homme d'action, et qui traduisait en actes ce qu'il sentait.

Non, il est intuitif. Tu ne le savais pas, mais c'était un intuitif.

Oui, il y avait quelque chose en lui.

Quand je disais «dramatiste», je n'entendais pas physiquement; tu m'as démenti, mais je ne parlais pas physiquement, je parlais vitalement, et je sais ce que je dis.

Un dramatiste vitalement... C'est possible.

(silence)

Il avait le goût de la liberté. C'est assez rare.

Tu as l’enveloppe de la lettre? Il y a la date sur le timbre d'envoi?

Oui, le 6 décembre, de Paris.

Comment était-il? Petit, grand? gros, maigre, noir?

Assez petit, fort, trapu, des cheveux en brosse.

Les yeux?

Assez foncés, noirs, je crois.

Cheveux aussi?

Oui. Un nez en l’air.

(silence)

Je me reproche de ne pas l’avoir aidé.

Tu ne lui as jamais écrit?

Une fois tous les deux ou trois ans.

Cela n'aurait fait aucune différence. Il n'arrive que ce qui doit arriver, c'est une règle absolue.

Il n'arrive que ce qui doit arriver. Et il est impensable que cela puisse être autrement. Par conséquent, se dire: «J'aurais dû faire ceci...» Cela aurait été pour ta propre satisfaction, mais cela n'aurait rien changé aux choses.

Et il n'est pas mort – peut-être a-t-il perdu son corps, c'est possible, je n'en sais rien (pour moi c'est une question secondaire), mais il n'est pas mort.1

Mais c'est dommage quand quelqu'un se suicide.

Oui, c'est dommage.

C'est stupide.

Mais il ne savait pas, c'est tout. Ce sont des gens qui ne savent pas.

Oui, ils ne savent pas. Mais il est intuitif.

Mais oui! mais ce qui est terrible, c'est qu'il y a des gens comme cela, qui ne savent pas . Il était exactement comme moi, sans la connaissance de ce qu'il y a ici, par exemple. Si je n'avais pas connu toi et l’Inde, j'aurais fait comme lui, je me serais suicidé, exactement comme lui... Mais ces gens-là, ce n'est pas de leur faute!

Mais il n'y a pas de «faute»! Il n'y a jamais la «faute» de personne! (Mère rit) Ce n'est pas la faute du Seigneur! Le Seigneur n'a pas de fautes!

Enfin, c'est dommage que l’on n'ait pas...

Pour moi, il n'est pas mort. Je ne sais pas; peut-être qu'il est vivant physiquement, je n'en sais rien, mais pour moi il n'est pas mort.

Tu veux dire qu'il est assez formé et qu'il existe sur un autre plan?

Oui, il est assez conscient.

Je t'ai demandé ces renseignements parce que, depuis le 5 jusqu'à aujourd'hui, j'ai vu une quantité de gens dans le Vital qui venaient de quitter leur corps, et je voulais savoir si c'était l’un d'eux. J'en ai vu deux en particulier qui étaient comme tu dis, courtauds, un peu forts, les cheveux noirs et les yeux foncés. Si j'avais une photographie, je te dirais si c'est lui ou non: comme cela, je n'en sais rien. J'en ai vu des quantités – mais pour moi, ces gens ne sont pas morts!

Ils sont restés conscients, alors on n'est pas mort quand on est conscient.

Et si c'est ce que je pense, c'est quelqu'un qui est venu tout droit ici – il est venu tout droit à toi, alors naturellement je l’ai vu.

Et puis après!...

Non, je ne m'attriste pas de la «mort», ce n'est pas cela...

Tu t'attristes de ne pas avoir fait ce que tu crois que tu aurais dû faire.

Non... Et puis, c'est la souffrance que ça représente – la souffrance inutile.

Tu ajoutes ta propre souffrance inutile à toutes les autres! – Je ne vois pas ta logique.

Ça, c'est la leçon for-mi-dable que Sri Aurobindo nous a donnés, et je l’ai pris comme cela. Quand il est parti, la première chose que j'aie dite: «Tout le monde peut mourir maintenant, cela n'a au-cune importance.» Et c'était absolument vrai, et ça a été absolument vrai depuis ce jour-là.

Absolument aucune importance.

Et j'ai maintenant avec Sri Aurobindo une intimité que je n'avais pas quand il vivait dans un corps physique: il était occupé d'un côté, moi j'étais occupée de l’autre, nous ne nous parlions jamais. Nous étions très proches, tout à fait proches, tout à fait un, SUR LE MÊME PLAN QUE MAINTENANT. Et maintenant, quand je veux savoir quelque chose, quand je veux avoir une réponse à une question, je n'ai qu'à faire comme cela (geste de silence immobile) et j'ai la réponse. Avant, je pouvais être occupée dans une chambre et lui dans une autre, et je n'avais même pas le temps ni la possibilité de lui demander le renseignement.

Ce n'est pas que j'approuve la mort! Je lutte contre elle autant que possible, c'est pour moi un mensonge – la mort et le mensonge, ça se tient. Mais... c'est une apparence.

Quand on accepte le mensonge, ça vous fait souffrir. Quand on n'accepte plus, on sourit. On sourit, il n'y a pas autre chose à faire, qu'à sourire.

Ce n'est pas du tout sa mort qui me fait quelque chose, mais...

Eh bien, mon petit, assieds-toi une minute, tiens-toi tranquille, appelle ton ami et dis-lui: «Voilà; voilà ce que je voulais te dire, voilà ce que j'aurais dû t'enseigner, voilà; maintenant apprends-le de moi (je veux dire, toi), de ma conscience. Maintenant, je te mets dans la Lumière; maintenant, je te mets dans la Connaissance; maintenant, apprends tout ce que tu es capable d'apprendre», et puis c'est fini. Tu auras fait le mieux que tu pouvais faire.

C'est parce qu'il y a encore dans ta conscience extérieure le doute sur la réalité invisible; ce n'est pas autre chose que cela, et quand «ça» qui se voit, qui se touche, s'en va, c'est pénible.

Non, ce n'est pas cela...

Mais moi, je te dis: ce qui t'a affecté, c'est qu'il y avait dans cette lettre une formation vitale très forte (qui l’influençait lui-même), une espèce de... (je m'excuse, parce que je ne veux pas faire de mal à ton amitié ou à ton souvenir), mais c'est une espèce de drame qu'il se jouait à lui-même – d'ailleurs, tous les gens qui se suicident sont comme cela, sans une exception. C'est un drame qu'il se jouait à lui-même et qu'il vivait très fortement dans le vital, et cette formation est venue sur toi avec la lettre et c'est cela qui t'a troublé. Je le sais, parce que ma première réaction en lisant la lettre a été le sourire – le sourire que j'ai devant les drames du vital. J'en suis absolument sûre, tu pourrais me jurer que c'est autrement, ça ne ferait aucune différence. J'en suis absolument sûre. Il a été la première... on peut dire «victime», si tu veux, la première victime du drame, mais c'est venu sur toi, ça s'est jeté sur toi avec la lettre. Un drame dans le vital. Et c'est un drame dans le vital, toutes ces choses sont des drames dans le vital-Écoute, justement ces jours-ci – ces jours-ci entre le 5 et le 9 –, je revis toujours les minutes que j'ai vécues en 1950, et je les vois toujours à la lumière de la connaissance que j'ai acquise, et j'ai vu, j'ai vu à quel point la douleur, le chagrin, le regret... surtout ce regret de ne pas avoir fait ce que l’on aurait dû faire, qui est encore une absurdité parce que NÉCESSAIREMENT on a fait ce que l’on devait faire – on n'était pas ce que l’on devait être et on doit changer et c'est pour cela qu'il faut changer –, mais on a fait ce que l’on devait faire parce que l’on ne peut pas faire autre chose que ce que le Seigneur vous fait faire, et Il vous fait faire la chose qui, à la fois, est la meilleure possible pour le tout et la meilleure possible pour votre propre progrès. Voilà. Par conséquent, tous les regrets sur le «j'aurais dû... je n'aurais pas dû...», ce sont des niaiseries.

Tu comprends, je dis cela avec toute la puissance de la connaissance vécue dans tous les détails. Je le SAIS. Et c'est justement le moment de l’année où je le sais le mieux, de la façon la plus vivante et la plus concrète, et la plus puissante.

Ça va bien, c'est un bon garçon, il a de l’étoffe, il ira. S'il a vraiment actuellement laissé son corps, on lui en donnera un autre. Voilà.

Oui, c'était un bon garçon.

Oui, c'est un bon garçon. Oh! maintenant je le connais bien. Maintenant, je le connais. Un bon garçon. C'est très bien.

Mais il est ici, vitalement.

Ça va bien.

Tu n'as qu'à lui donner toute l’affection que tu avais pour lui, exactement comme s'il était physiquement à côté de toi. Tu lui donnes ton affection et tu fais pour lui, comme cela, dans le silence intérieur, ce que tu aimerais faire s'il était là physiquement – et ça ne fait aucune différence, voilà. C'est là-dessus que j'insiste, c'est cette illusion – cette illusion collante – qui s'agrippe à notre conscience, que la réalité c'est ça (Mère pince la peau de ses mains): ça, c'est le mensonge; ça, c'est l’illusion, parce que ce n'est pas l’expression correcte de la réalité.

Et les révoltés (ils ne savent pas, ils sont ignorants), mais ils sont révoltés parce que les choses ne sont pas comme elles doivent être, et au lieu de se dire (parce qu'ils n'ont pas la connaissance), au lieu de se dire: «Maintenant, je vais travailler à ce que ça devienne ce que ça veut être, ce que ça doit être», ils s'en vont. Ils disent: «Non, je n'accepte pas le monde comme il est.» C'est très bien. C'est très bien, il ne faut pas l’accepter, personne ne vous demande de l’accepter comme il est, mais si vous êtes de bonne volonté, aidez à ce que ça change.

Maintenant, il comprendra.

Oui, c'est ce qu'il faut

Il comprendra.

Non, tant que le monde n'est pas changé, la mort n'a aucune importance, et quand le monde sera changé, il n'y aura plus de mort, voilà tout. Ou alors ce sera la mort pour les plantes, la mort pour les animaux, la mort pour l’homme (l’homme-homme), et pour eux, ce sera un état tout à fait naturel, et il n'y aura pas de quoi se lamenter.

La mort telle qu'on la comprend au-dedans, c'est la perte de la conscience... Ce serait la chose la plus... la plus épouvantable, la plus horrible, si c'était possible. Mais ce n'est pas possible. Si on a la conscience, on ne peut pas la perdre. Il y a des choses qui n'ont pas encore la conscience, alors petit à petit, petit à petit, elles apprennent à l’avoir; mais la conscience que l’on a, on ne peut pas la perdre, ce n'est pas possible. Toutes les morts du monde ne peuvent pas vous l’enlever, et c'est pour cela que l’on sourit – essaye, mon petit!

C'est impossible.

La conscience est une chose éternelle. La conscience est divine, la conscience est éternelle, et rien ne peut la détruire.

Les apparences, c'est autre chose.

Et ce n'est que l’inconscience qui est détruite (c'est-à-dire qu'il y a l’apparence de la destruction), mais pas la conscience.

Et alors, tout le drame – toute la tragédie, toute l’horreur, toute l’épouvante, tout cela –, c'est de la fabrication vitale. Eh bien, ceux qui sont les guerriers de Dieu ne se laissent pas affecter par cela. On sourit: «Oui-oui! vous pouvez nous jouer le grand jeu, ça nous est égal; jouez le grand jeu si cela vous amuse.» Nous savons que ce n'est qu'un jeu – un vilain jeu, si vous voulez, il n'est pas joli, mais ce n'est qu'un jeu.2


(Peu après, à propos du Dr. Sanyal qui est parti se faire opérer du cerveau à Madras après s'être fait opérer vainement en Amérique.)

Le docteur est à Madras...

Quand l’opère-t-on?

Je ne sais pas. On téléphonera.

On va d'abord voir si c'est possible. Parce que le chirurgien d'Amérique avait dit que ce serait fatal, alors celui-là prend ses précautions, je suppose.

Mais le docteur dit: «J'aime mieux tenter et mourir...» Il n'avait pas une foi suffisante pour pouvoir guérir sans un moyen extérieur, c'est cela qui est dommage – mais qui a une foi suffisante?... Je ne sais pas. Il y en a... Il y en a qui ont cette grâce merveilleuse. Il ne l’avait pas: la raison, l’intelligence étaient infiniment trop actives pour qu'il l’ait.

Hier soir, je lui ai donné un peu plus de vingt minutes de concentration. Il était assis et j'étais debout, et je tenais ses mains... On dit: «Ne tirez jamais sur vous», mais on peut tirer sur quelqu'un d'autre – je tirais la Force, à fond. C'était si puissant que sa main continuait à trembler3 et que la mienne restait immobile! Après, quand cela a été fini, je me suis demandé comment c'était possible, je n'ai pas compris: ma main qui tenait la sienne est restée immobile, et la sienne s'agitait; je sentais dans ma main son tremblement. Puis j'ai cessé, quand, tout d'un coup, tout s'est arrêté: il n'a plus bougé. Et la détente est venue, une détente. Je me concentrais là, sur sa tête – détente. Alors j'ai arrêté. Et c'était l’heure d'ailleurs. Par conséquent, C'EST POSSIBLE. Mais ce manque de foi fondé sur l’intelligence supérieure, la raison supérieure, fait que ça ne peut pas rester: ça ramène la difficulté imédiatement. Mais j'ai vu – j'ai vu: ça s'est arrêté. C'était pour moi une preuve évidente.

Et je l’ai fait délibérément. C'est vrai qu'il est dangereux de «tirer» parce que si la résistance est trop grande, on démolit quelque chose, mais il n'y avait plus rien à risquer puisque, lui, était prêt à s'en aller à Madras pour qu'on l’envoie dans l’autre monde. Je l’ai fait.

Vraiment, même matériellement et même dans l’état actuel du monde, rien n'est impossible. Il n'y a qu'à avoir la Sanction («sanction» au sens anglais) du Seigneur. Et c'est Lui qui voulait, c'est Lui qui l’a voulu. Moi qui ne peux pas me tenir debout plus de dix minutes sans que ma tête tourne, je suis restée là une demi-heure SANS BOUGER: je ne sentais rien, j'étais tout à fait en dehors des «karma»! Ça a pris une demi-heure pour que tout s'arrête, et c'était visiblement un effet momentané, c'est-à-dire que cela aurait pu durer une heure, deux heures, je ne sais pas, mais avec les vibrations intérieures de son être (manque de foi, etc.), ça ne pouvait être que momentané.

Mais c'est arrivé. Et ce n'était pas par une imposition: c'était par une détente, avec la Force qui descendait comme une masse, brrf! formidable, mon petit!... Deux-trois fois il y a eu un relâchement [dans le docteur], puis ça recommençait: c'était comme chassé du cerveau, et ça revenait dans le cerveau; je chassais et puis ça revenait. Et cette fois-là, il y a eu une détente. Alors j'ai dit: «Seigneur, merci, je Te remercie.»

Maintenant, je suis sûre.

Nous allons voir. Peut-être que l’opération le convaincra que c'est possible (si le docteur de Madras aussi est convaincu que c'est possible). C'est évidemment possible – tout est possible.

Mais c'est très intéressant, ces choses-là... Parce que, quand il était en Amérique, j'ai tout d'un coup vu qu'on allait le tuer (après la première opération) et imédiatement j'ai dit: «Je ne veux pas qu'il meure là, c'est idiot, c'est une histoire stupide, c'est une défaite, je ne veux pas.» Je lui ai envoyé un talisman que j'ai préparé moi-même (pour que son intelligence humaine ait un petit peu de foi), puis j'ai travaillé sur l’autre docteur, le chirurgien américain. Et alors, quand Sanyal est allé trouver le chirurgien pour se faire opérer, le chirurgien lui a dit: «Non, entre votre première opération et celle-ci, j'ai eu une série de catastrophes, d'expériences fatales, de gens qui sont morts; je ne veux pas, parce que j'ai l’impression que je vous ferai mourir et je refuse.» Alors Sanyal a dit: «J'accepte de mourir», l’autre a répondu: «Mais moi, je n'accepte pas de vous tuer!», et il est revenu ici. Et quand il est revenu, je lui ai dit: «Excusez-moi, mais c'est mon travail!» (Mère rit)

Maintenant, nous allons voir. Si l’autre docteur a confiance et que, lui, ait confiance, c'est tout à fait possible. Mais ce n'est ni ce docteur ni un autre qui l’aura fait, c'est autre chose: c'est le Seigneur. Il n'y a que Lui qui peut. Je l’ai dit à Sanyal quand il est revenu d'Amérique: It's only the Lord that can cure you, nobody [C'est seulement le Seigneur qui peut vous guérir, personne]. Alors il m'a dit: «Oh! oui, mais il y a des moyens d'intervenir.» Je lui ai répondu: «Tous les moyens que vous voulez, ça m'est tout à fait égal!»


Puis Mère revient au suicide de l’Orpailleur:

Petit, c'est pour t'aider à faire un pas en avant.

C'est très bien.

Tu sais, la grande difficulté, c'est cette importance et surtout ce sens de réalité absolue que nous donnons à la vie physique.

Ce n'est pas la vie physique qui est importante: c'est la Vie; ce n'est pas la conscience physique qui est importante: c'est la Conscience. Et alors on se sert... eh bien, de la matérialité que l’on veut, quand on est libre. Il faut pouvoir prendre, laisser, prendre, laisser... et utiliser comme on veut; que l’on soit les maîtres de la Matière – pas la Matière qui s'assoit sur vous et qui vous oblige, qu'est-ce que c'est que ça!

Et c'est cela, c'est parce que, dans votre être intérieur, vous avez le souvenir d'une Liberté que vous vous révoltez contre l’esclavage ici (c'est un esclavage dégoûtant), seulement il vous manque la connaissance que c'est seulement la conscience qui peut tout changer. Flanquer tout en l’air, ce n'est pas le moyen de changer les choses, c'est tout.

Mais ton ami, c'est fini, je l’ai pris avec moi. Ça va bien.4

15 décembre 1965

La veille, Mère a reçu la visite du roi du Népal.

Je n'ai plus de roses (Mère cherche une fleur pour le disciple), ils m'ont tout pris!

Mais ce roi1 est un homme remarquable. Il a une histoire remarquable, mais ce serait trop long à raconter... J'étais en relation avec lui avant (geste de communication mentale) et j'avais dit que «je ne parle pas» – je n'ai pas parlé. Quand il est arrivé, il m'a regardé, puis tout d'un coup (il était debout), il est resté debout en méditation, il a fermé les yeux et il n'a plus bougé. Et alors, il m'a posé ses questions mentalement – j'ai reçu. Et la réponse est venue d'en haut, magnifique. Une réponse avec une force dorée, superbe, et un pouvoir lui disant qu'il avait un grand rôle à jouer et qu'il fallait qu'il soit fort, etc.

Un homme très-très intelligent.

Et l’ambassadeur de l’Inde au Népal (que j'avais déjà vu une fois, qui a une femme très remarquable qui était là aussi, très gentille) m'a fait demander (parce qu'ils vont avoir une conférence au Népal à propos des revendications chinoises), il m'a demandé la solution que je voyais. Je le lui ai fait dire.

C'est vraiment très intéressant, comment je voyais la chose.2 Et il paraît, m'a-t-on dit: «Oh! c'est justement ce que les Chinois veulent!» J'ai dit: «Très bien, c'est très bien, seulement au lieu que ce soit avec les Chinois, ce sera avec les Indiens»: une fédération de tous ces États.

Tout cela est très bien. C'est-à-dire qu'il y a vraiment une Force qui marche.

Seulement, toutes mes roses sont parties!


Peu après

C'était hier l’opération de Sanyal.

À 3h45, V a téléphoné de Madras que l’opération avait réussi, que le tremblement avait cessé dans la main droite et la jambe droite, et qu'il n'y aurait pas de paralysie.

Aujourd'hui, il y a une lettre de V racontant tout. Mais après, il y a eu un télégramme disant qu'il avait passé une nuit très agitée et qu'il avait de la fièvre. Ce sont les dernières nouvelles.

(Mère tend la lettre de V au disciple)

«l’opération a réussi. Le tremblement de la main droite et de la jambe a cessé. Pas de paralysie. Le docteur se sent bien. Ce matin, après son café, à 7h30, le barbier lui a rasé le crâne. Le docteur avait l’air d'un moine bouddhiste (Mère rit). À 9h on l’a emmené près de la salle d'opération n° 2 et on lui a mis un bandage aseptique sur la tête. À 10h on l’a fait entrer dans la salle d'opération. Il en est sorti à 3h de l’après-midi et a été mis dans le service post-opératoire. Quand il nous a vus tous autour de son lit, il s'est mis à pleurer. Puis nous nous sommes écartés et il a levé sa main droite et sa jambe – il n'y avait absolument aucun tremblement. Sa tête est couverte d'un énorme bandage. Nous prions tous pour sa guérison.»3

18 décembre 1965

(Sujata:) Pourquoi Pavitra est-il en si mauvais état?

Le docteur lui avait prédit qu'il ne pourrait plus bouger du tout, et il monte les étages, il va ici et là. Seulement, c'est un effort. Mais le docteur avait dit: «Il ne pourra plus bouger, il sera dans son lit, immobilisé.» Donc, c'est déjà a big achievement [un grand résultat].

C'est une ankylose de tous les muscles.1

(Sujata:) Quand je le vois le matin, c'est terrible. Il lui faut longtemps pour pouvoir remuer, et il a beaucoup de douleur.

Oui, ça fait mal.

Oh! il ne marche que par la volonté. Ça, je sais. Je sais, parce que, en règle générale, on est fichu, on ne peut plus bouger.

(silence)

Au fond, toute la difficulté vient de la somme d'inconscience qui reste dans la Matière qui nous constitue. C'est... c'est terrible. Et alors, il faut tout ça pour sortir cette Matière de son inconscience: toutes les souffrances, tous les désordres, toutes les triturations... C'est ce que je vois tous les jours. Et le degré d'imbécillité... cela nous paraît une imbécillité, nous appelons cela une imbécillité, mais... N'est-ce pas, l’intermédiaire auquel cette inconscience répond, c'est cette mentalité de la cellule, la mentalité matérielle, et alors, cette mentalité matérielle, quand elle est saisie par une idée, elle est véritablement possédée par l’idée et il lui est presque impossible (pas impossible mais extrêmement difficile) de se libérer – il faut une intervention d'un autre domaine.

Et les maladies, c'est cela. C'est la même chose pour la maladie du docteur: ce tremblement, c'est une possession d'idée, c'est ce qui, pour l’intelligence consciente, se traduit par une possession d'idée, un hypnotisme – une sorte d'hypnotisme accompagné d'une peur dans la matière. Les deux ensembles: possession et peur, une sorte de crainte. Et tout cela, impuissant. Une possession d'idée et une impuissance à la rejeter, et une peur, une impuissance à résister. Et alors cette espèce de crainte que nous traduisons par: «Oh! ça va être comme cela... oh! ça va être cette maladie...»

Dans les anciennes Écritures, on comparait cela à la queue du chien tordue. Mais c'est vraiment comme cela, c'est une espèce de PLI, que l’on essaye de redresser et qui se reforme automatiquement, imbécilement – on détord, et puis ça se retord, on rejette, et puis ça recommence. C'est extrêmement intéressant, mais c'est lamentable. C'est lamentable. Et toutes les maladies sont comme cela, toutes-toutes-toutes, quelle que soit la forme extérieure. La forme extérieure, c'est seulement une façon d'être de la MÊME CHOSE2 – parce que les choses s'arrangent de toutes les façons possibles (il n'y a pas deux choses pareilles et tout s'arrange différemment), et alors, il y en a qui suivent des plis analogues, et c'est cela que les docteurs appellent «telle maladie». Mais s'ils sont sincères, ils vous disent: «Il n'y a pas deux maladies qui se ressemblent.»

Mais c'est un travail!... Je suis en train de me battre avec ça, c'est un pugilat.

Combien de temps cela prendra? Je ne sais pas. Quel prix faudra-t-il payer? Je ne sais pas... Oui, certainement, on peut voir au bout: quand on aura attrapé le «truc», la loi profonde ou la puissance vraie qui régit ces choses, ah! alors!... on pourra quelque chose.

Jusque là, il faut tenir bon. Tu sais ce que c'est, tenir bon? C'est être comme cela (geste immobile dans l’Éternel). On est assailli par d'innombrables idées, un défaitisme général (même geste): être immobile dans une foi ascendante et progressive.

Tiens, j'ai dit l’autre jour que la perfection est éternelle et que c'est à cause de la résistance de la Matière que, sur la terre, elle est progressive.

22 décembre 1965

J'ai beaucoup de difficultés intérieurement... Je ne sais pas, je me sens très inhumain, comme si j'étais loin-loin-loin, et tous les rapports humains me fatiguent. Je suis loin.

Ça ne fait rien.

Tu crois qu'il est nécessaire de se sentir humain?

Je ne sais pas... Ce n'est pas bien, non?

Ce n'est pas très nécessaire de se sentir humain.

C'est comme si je me prêtais à un certain jeu, mais cela me fatigue plutôt qu'autre chose. Comme si j'étais loin. Et alors je me demande si c'est bien ou pas bien (!)

Moi, je crois que toutes les expériences que l’on nous envoie, c'est parce qu'elles sont nécessaires. Ça, j'en suis convaincue. Et heureusement que mon corps en est convaincu aussi parce que... si je le regardais du point de vue ordinaire, il est assez mal fichu.

Tout le monde est malade autour de moi et... (geste qui retombe sur Mère)... la fièvre, ceci, cela.

C'est difficile, c'est très difficile. Je te l’ai dit, c'est très difficile.

Eh bien, je suis convaincue – il est convaincu (heureusement lui-même est convaincu) que c'est parce qu'il a des choses à apprendre. Il faut apprendre. Il y a beaucoup à apprendre...

Tiens (Mère tend au disciple une fleur appelée «Grâce»), Il faut s'y cramponner comme ça, tu sais, à deux mains, fermer les yeux quand ça va très mal et attendre que ce soit parti.

Mais tu ne vois rien de mal en moi? Nothing wrong?

Non-non! «Nothing wrong»! (Mère rit)

Tu peux travailler ou tu es trop fatigué?

Non-non! je suis fatigué intérieurement

Oh! on ne doit jamais être fatigué intérieurement.

Je veux dire psychologiquement, vis-à-vis des autres.

Tu n'as pas envie de les voir (Mère rit). C'est très bien, excellent état, tout à fait favorable!

25 décembre 1965

(À propos de la mère du disciple qui a fait un don d'argent à l’Ashram:)

C'est ton argent?

Non, elle a donné tous ses biens à ses enfants et il y a une portion qui devait être pour moi, mais c'est à elle, alors c'est aussi bien entre tes mains. Elle dit qu'elle «s'aère».

Mais tu sais, c'est vrai. C'est un sentiment très spontanément vrai dans l’être: on se sent augmenté par ce que l’on donne.

Tant que j'avais l’impression que l’on me donnait à moi, une personne, c'était un rétrécissement, mais maintenant c'est une sensation tout à fait concrète (Mère fait un mouvement circulaire passant par Elle): ça circule, ça circule... Alors maintenant, on a la joie de la chose, parce que ça circule, rien ne reste.

Mais elle est très gentille, ta maman1... Elle va avoir la joie de son âme. Tu sais, il y a une joie à être plus conscient de son âme que du monde matériel – on peut s'occuper, on peut voir clair, on peut comprendre, on peut faire ce qu'il faut, tout cela reste, c'est très bien, mais il y a... une Lumière derrière. Une lumière, quelque chose qui est chaud, chaud d'une chaleur dorée lumineuse. C'est vraiment le sentiment de l’immortalité, quelque chose qui ne dépend pas d'une forme ou de circonstances. C'est une conscience où l’on a tout de suite l’impression qu'il n'y a pas eu de commencement, il n'y a pas de fin... Et une sorte de douceur très forte, très forte, qui est derrière toute chose. Ça vous fait traverser la vie; même toutes les difficultés, ça ne fait rien, quand on a attrapé ça. C'est quelque chose de très intime, qui s'exprime avec difficulté, mais qui est comme un soutien, quelque chose qui vous soutient toujours, en toutes circonstances.2

C'est cela qu'elle aura, ta maman.

Elle doit vivre ça, sans peut-être le savoir; elle doit déjà l’avoir un petit peu, un commencement.

Mais quand on l’a consciemment, alors... alors au fond, les circonstances n'ont pas beaucoup d'importance.

Et cet argent vient admirablement au bon moment, comme toujours!


(Puis Mère passe aux «Commentaires sur les Aphorismes» pour le prochain Bulletin.)

113 – La haine est le signe d'une attirance secrète, anxieuse de se fuir elle-même et furieuse de se nier. Ceci aussi est le jeu de Dieu dans Sa créature.

Cela correspond à une sorte de vibration – vibration reçue de gens qui haïssent. C'est une vibration qui est fondamentalement la même, pour ainsi dire, que la vibration de l’amour. Tout au fond d'elle-même, il y a la même sensation. Quoique à la surface ce soit l’opposé, c'est soutenu par la même vibration. Et l’on pourrait dire que l’on est l’esclave de ce que l’on hait tout autant que de ce que l’on aime – peut-être même davantage. C'est quelque chose qui vous tient, qui vous obsède, et que l’on chérit; une sensation que l’on chérit, parce que, sous sa violence, il y a une chaleur d'attraction aussi grande que celle que l’on éprouve pour ce que l’on aime. Et il semble que c'est seulement dans l’activité de la manifestation, c'est-à-dire tout à fait à la surface, qu'il y a cette déformation d'apparence.

On est obsédé par ce que l’on hait encore plus que par ce que l’on aime. Et l’obsession vient de cette vibration intérieure.

Tous ces «sentiments» (comment les appeler?) ont un mode vibratoire, avec quelque chose de très essentiel au centre et comme des couches qui recouvrent; et alors la vibration la plus centrale est identique, et c'est à mesure que ça se «gonfle» pour s'exprimer, que ça se déforme. Pour l’amour, c'est tout à fait évident; ça devient extérieurement, dans l’immense majorité des cas, quelque chose d'une nature tout à fait différente de la vibration intérieure, parce que c'est quelque chose qui se replie, se racornit et veut tirer à soi dans un mouvement égoïste de possession. On VEUT être aimé. On dit: «J'aime celui-là», mais en même temps, il y a ce que l’on veut, et le sentiment vécu, c'est: «Je veux être aimé.» Et alors, c'est une déformation presque aussi grande que la déformation de la haine qui consiste à vouloir détruire ce que l’on aime pour ne pas être lié. Parce que l’on n'obtient pas ce que l’on veut de l’objet que l’on aime, on veut le détruire pour être libéré; et dans l’autre cas, on se racornit, presque dans une fureur intérieure, parce que l’on n'obtient pas, on ne peut pas absorber ce que l’on aime. (Riant) Et à vrai dire, au point de vue de la vérité profonde, il n'y a pas beaucoup de différence!

Ce n'est que quand la vibration centrale reste pure et qu'elle s'exprime dans sa pureté initiale, qui est un déploiement (comment peut-on appeler cela?... c'est quelque chose qui s'irradie, c'est une vibration qui se répand dans une gloire et qui est un épanouissement, oui, un épanouissement radieux), alors ça reste vrai. Et matériellement, ça se traduit par le don de soi, l’oubli de soi, la générosité d'âme. Et c'est le seul vrai mouvement. Mais ce qu'on a l’habitude d'appeler «amour» est aussi loin de la vibration centrale de l’Amour vrai que la haine; seulement, l’un se replie, se racornit et se durcit, et l’autre tape – c'est ce qui fait toute la différence.

Et ce n'est pas vu avec des idées: c'est vu avec des vibrations. C'est très intéressant.

Justement, j'ai eu pas mal à étudier cela ces temps derniers (!) J'ai eu l’occasion de voir ces vibrations: les résultats extérieurs peuvent être lamentables, au point de vue pratique ils peuvent être détestables, c'est-à-dire que cette sorte de vibration encourage le besoin de nuire, de détruire; mais au point de vue de la vérité profonde, ce n'est pas une déformation beaucoup plus grande que l’autre, elle est seulement d'une nature plus agressive – et encore.

Mais si l’on suit l’expérience plus loin et plus profondément, cette vibration, si l’on se concentre sur elle, on s'aperçoit que c'est la Vibration initiale de la création et que c'est elle qui s'est transformée, déformée dans tout ce qui est. Et alors, il y a une sorte de chaleur comprehensive (on ne peut pas exactement appeler cela «douceur», mais c'est une douceur qui serait forte), une chaleur comprehensive dans laquelle il y a autant de sourire que de chagrin – beaucoup plus de sourire que de chagrin... Ce n'est pas une légitimation de la déformation, mais c'est surtout une réaction contre le choix que la mentalité humaine (et surtout la moralité humaine) a fait entre un certain genre de déformation et un autre genre de déformation. Il y a toute une série de déformations qui ont été qualifiées de «mauvaises» et il y a toute une série de déformations pour laquelle on est plein d'indulgence et presque de compliments. Et pourtant, au point de vue essentiel, cette déformation-ci ne vaut pas beaucoup mieux que cette déformation-là – c'est une question de choix.

Au fond, il faudrait d'abord percevoir LA Vibration centrale, et puis en apprécier la qualité UNIQUE et merveilleuse, au point de s'éloigner automatiquement et spontanément de toutes les déformations, quelles qu'elles soient, les déformations vertueuses comme les déformations vicieuses.

Nous en revenons toujours à la même chose, il n'y a qu'une solution: atteindre à la vérité des choses et s'y accrocher, cette vérité essentielle, la vérité de l’Amour essentiel, et s'accrocher à elle.


Peu après, Mère remarque

C'est intéressant: le champ d'expérience dans lequel je me trouve est toujours en rapport avec les idées qui font partie, de l’activité de la semaine (comme les vibrations de haine et cet aphorisme, par exemple). C'est intéressant (!)

28 décembre 1965

(Mère montre une boîte de papier à lettres rose bonbon qu'Elle vient de recevoir.)

Du joli papier... pour écrire de la poésie!

Tu écriras?

Moi! je ne suis pas poète!

La première poésie que j'ai appréciée dans ma vie, c'est Savitri. Avant, j'étais fermée. Ça me paraissait toujours des mots: creux-creux-creux, juste des mots – des mots pour des mots. Alors c'est joli comme son, mais... j'aime mieux la musique. La musique est mieux!

Cette traduction de Savitri, pour moi, ça m'amuse beaucoup-beaucoup, c'est un grand amusement.

Beaucoup plus amusant que de «dire des choses»... inutiles.


Plus tard

...Mon travail de la nuit commence vers neuf heures à peu près, jusqu'à quatre heures du matin, et c'est partagé en trois groupes d'activités (activités de la nuit). Le dernier groupe se situe généralement entre deux heures et quatre heures du matin, et là, je m'occupe de tous les gens!... Ça, mon petit!... c'est tout à fait rigolo – ce n'est pas toujours très-très plaisant, mais c'est tout de même rigolo, oh!... Je vois les gens tels qu'ils sont (Mère rit)', pas tels qu'ils se croient ni tels qu'ils veulent paraître: je les vois tels qu'ils sont.

J'ai des renseignements comme cela, tout le temps.

Tiens, Purani, par exemple,1 je le voyais presque toutes les nuits, et puis il y a à peu près quinze jours (je crois que c'est entre dix et quinze jours2), avant qu'il laisse son corps là, comme ça, je l’ai vu dans un endroit... C'est un endroit qui est tout entier fait d'une espèce de terre glaise, d'un gris rosâtre – c'est sticky, gluant et assez liquide (Mère fait le geste d'étirer du chewing gum). Il y avait beaucoup de gens. C'était un endroit où beaucoup de gens allaient qui se préparaient là à la vie supramentale – mais pas dans leur corps présent, c'est-à-dire qu'ils préparaient quelque chose pour être prêts à la vie supramentale dans une existence future. Et l’on m'avait amenée là; il y avait pas mal de gens qui m'avaient amenée pour que je voie (pour que j'aie une action de contrôle là). Mais pour moi-même, on avait très grand soin que je ne sois pas touchée (il ne fallait pas que je sois touchée), alors on m'enveloppait de voiles dorés et de toutes sortes de choses, et je marchais. Et lui, je l’ai vu... Je passais dans une sorte de véranda (mais tout cela avait un caractère très spécial, tout était fait avec une matière... bizarre), et il y avait comme une grande cour qui était tout entière de cette matière semi-liquide, semi-gluante, qui ressemblait à de la terre glaise très diluée, mais très collante (même geste élastique comme du chewing gum), et tout d'un coup, je vois Purani qui se précipite là-dedans. Par l’autre bout, il arrive vers moi tout entier couvert de ça, faisant des brassées là-dedans! Il en avait plein la figure, plein partout! On ne voyait plus que ça. Je lui ai dit (riant): «Ah! ça vous plaît, ça!»... Oh you like it. Il m'a dit: «Oh! c'est très bien, très bien!»

Depuis ce soir-là, je ne l’ai plus vu. Et puis, je ne sais si c'est douze ou quinze jours après, il a quitté son corps.

C'était une préparation.

Je vois des choses très-très amusantes.

30 décembre 1965

(Lettre de Mère à Satprem)

(En réponse à une lettre où le disciple disait qu'il était «à moitié dissous» et demandait sur quelle route il se trouvait ou s'il se trouvait sur une route quelconque car il n'avait «aucun signe» qu'il avançait ni qu'il allait quelque part.)

Jeudi matin

Satprem, mon cher petit.

Nous parlerons de cela demain matin.

En tout cas, tu es plus proche de moi maintenant que tu ne Tas jamais été.

Avec toute ma tendresse

Signé: Mère

31 décembre 1965

(À propos de la dernière lettre du disciple à Mère:)

Tu as reçu ma réponse? (Mère fait un geste de communication mentale) Non? Je t'ai beaucoup-beaucoup parlé, beaucoup.

J'ai l’impression de t'avoir vue plusieurs fois ces deux dernières nuits, mais... J'essayais toujours d'arranger le magnétophone pour prendre ce que tu me disais et ça ne marchait pas!

(Mère rit, puis après un silence) Vraiment, tu ne sens pas où est ta difficulté?... C'est un manque de satisfaction, non? C'est ce que l’on appelle en anglais «frustration», quelque chose qui est déçu.

Oui, mais c'est seulement une façon de dire. Une autre façon de dire serait: «Quelque chose n'est pas accompli.»

Oui, mais «quelque chose qui n'est pas accompli», c'est un sentiment que l’on a et que l’on doit avoir jusqu'à la réalisation, jusqu'à la transformation. C'est non seulement naturel mais c'est indispensable, parce que ceux qui se sentent accomplis ou satisfaits, c'est fini pour eux, ils ne bougeront plus jamais.

Oui, bien sûr.

Cette espèce de longing [soif], ce sentiment de quelque chose qui vous manque – que l’on veut avoir, qui vous manque –, plus on va, plus ça augmente.

Oui, mais ce n'est pas exactement cela... Je ne sais pas où je suis, je ne sais pas sur quelle route. Je ne sais pas, je ne sais rien du tout!

Mais c'est admirable, mon petit! Cela veut dire que tu es sorti des formations mentales.

Ce sont les formations mentales qui disent: «Vous êtes sur cette route», ou «Vous êtes à ce point de réalisation», ou... Pour moi, c'est lamentable! Quand on est là-dedans, on est encore enfoui dans la mentalité.

Oui, mais dans la mesure où l’on va quelque part...

Mais sais-tu exactement où tu vas?

Non, bien sûr, mais...

Personne, mon petit! personne, moi non plus. Et c'est bon de ne pas savoir.

Je comprends très bien, je ne demande pas de savoir où je vais, mais ce que je demande, ce que je voudrais savoir, c'est que JE VAIS, que je marche. Il n'y a aucun signe, tu comprends, aucun signe. C'est comme si j'allais quelque part dans un train dont tous les rideaux seraient fermés – ça avancerait peut-être, ou n'avancerait pas, on n'en sait rien, mais il n'y a aucun signe qui montrerait que l’on VA vers ce quelque part, que je ne définis pas... C'est pour cela, je ne sais pas du tout où je suis, ce que je fais.

Tu sais (tu veux que je sois franche?), c'est purement une insatisfaction vitale. Et ça, je le sais, parce que cela a été (comment dire?...) ma grande difficulté avec toi. C'était cent fois, mille fois plus violent avant; maintenant, ça commence à s'assagir. C'est un vital qui est très intense dans ses désirs (qui peuvent ne pas être du tout des désirs ordinaires), mais une sorte d'intensité presque agressive et... il est essentiellement insatisfait. C'était très-très fort avant, il y a des années; maintenant, ça s'est assagi. Mais chaque fois que le vital entre en jeu (et on est obligé de laisser le vital jouer à cause de la santé physique; on ne peut pas le «calmer» tout à fait parce que le corps physique en souffrirait), il est comme cela... Si tu veux, ça me donne l’impression d'un vital de chat! Les chats ont un vital merveilleux (riant), beaucoup-beaucoup plus adroit et intense que les êtres humains, mais le chat griffe, n'est-ce pas, et l’impression c'est: «Je ne suis pas content, voilà. Je ne suis pas content»! (Mère rit)

Non, mais par exemple, les premières années où j'étais ici, presque toutes les nuits j'avais comme un signe que j'étais en route,1 que je marchais – des signes qui étaient infimes, trois fois rien: une voiture qui m'emène, une marche dans une montagne, des petites choses de rien du tout, mais qui me disaient: «Ah! bon, j'avance. Ça va, je suis en route.» Mais maintenant, depuis des années, non seulement je n'ai aucun signe, mais tout ce que je vois, ce sont des choses négatives: je vois des trous, je vois les accidents, je vois les enfers, je vois... Mais je ne vois jamais un signe qui me dirait: «Ah! oui, je marche. Ça va, je marche.» – Pas ça, jamais. Alors, est-ce que je marche? Je n'en sais rien. Ce que je demande, c'est un encouragement, simplement un petit geste pour me dire: «Oui, tu es en route, ça va. Tu es en route, ne te fais pas de bile.»

Mais qu'est-ce que tu appelles un «geste»?

Un signe.

Et qu'est-ce que tu appelles un «signe»?... Enfin, je crois que tu as une certaine confiance en moi, et si je te dis que non seulement tu avances, mais que tu avances très vite, ça ne te fait aucun effet? Tu me diras: «Prouve-le moi.» – Je ne peux pas te le prouver, c'est quelque chose que je vois, c'est ce que je sais.

Mais j'aimerais VOIR un peu que je progresse. Je ne demande pas grand-chose, mais quelque chose qui de temps en temps me dise: «Eh bien, ne te fais pas de bile, tu es en route», tandis que je vois toujours le côté obscur, je vois toujours les trous, les enfers, les égouts. Alors pourquoi, de temps en temps, n'y aurait-il pas une petite lumière, un beau paysage?

(Mère rit) Mais tu es sûr que tu n'en vois jamais?

Eh bien, je n'en ai pas de traces en tout cas. J'ai des traces des enfers, tout le temps, oui, mais l’autre côté, jamais, aucune trace.

Tu veux parler des activités de la nuit?

Oui, je parle des activités de la nuit. Je ne vais même pas jusqu'à demander des activités les yeux ouverts, je demande au moins un signe la nuit. La journée, il n'y a rien, c'est entendu depuis longtemps... Et ce n'est pas une insatisfaction, c'est... oui, un besoin de savoir que l’on marche, quoi!

Mais enfin, je te dis que tu marches, ça ne te suffit pas! Tu dis «un besoin de savoir», mais tu me demandes une preuve.

Ce n'est pas une preuve. Quand tu me dis: «Tu marches», mon mental comprend, mais...

Alors, c'est ton vital. C'est ce que je te dis. Et j'insiste sur ce point: ton vital, on a été obligé de le tenir sous contrôle, parce que... eh bien, à cause de sa nature. Et naturellement, lui, il dira: «Tout ça, ce n'est pas ce que je veux, je n'ai pas de preuves que ça avance.»

Tu n'as aucun signe d'une présence psychique en toi?

(Après un silence) Depuis des années, j'ai le sentiment (c'est un sentiment, ce n'est pas une vision), le sentiment qu'il y a une grande étendue de lumière, là, et que, quand je me tais suffi samment longtemps, je suis paisible, tranquille, là, et c'est pour l’éternité. Bon, eh bien, ça, c'est là, toujours.

Mais ça, mon petit, c'est merveilleux!

Mais ça a toujours été là, ce n'est rien de nouveau!

Oui, mais il y a des gens qui ont ça une minute dans leur vie et qui en font une réalisation merveilleuse.

Et c'est toujours là – je sais bien que c'est toujours là! je le sais, c'est pour moi un fait palpable.

Oui.

Non, je t'assure, tu peux me croire (Mère rit), j'ai un petit peu d'expérience: c'est fait. Pour le dire poétiquement: «Tu as la tête dans la Lumière.» Mais ton vital ne veut pas de cette manifestation; ton vital voulait une manifestation vitale, comme par exemple quand il était dans la forêt vierge et qu'il taillait des arbres: il voulait avoir le sentiment de la puissance de la vie. Et cela lui a été refusé (pour des raisons yoguiques ET matérielles, les deux extrêmes, parce que le corps n'était pas fabriqué pour cela et parce que – riant – le yoga n'avait pas à perdre son temps avec cela), alors Monsieur vital est furieux! On lui a dit: «Calme-toi, reste tranquille, bien tranquille, ça va bien, tu auras aussi ta joie, mais... transformé.» Et il est peut-être moins batailleur ou révolté ou agressif qu'avant, mais il n'est pas satisfait, et alors c'est lui qui te donne l’impression: «Mais moi, je n'ai aucun signe que je marche! Moi, je n'ai aucun signe que je progresse! Au contraire! au contraire, c'est de plus en plus terne, de plus en plus morose, de plus en plus ordinaire, c'est-à-dire de moins en moins conforme à mon idéal, et mon idéal...»

Ce n'est pas exactement ça... Oui, quand il est dans ses excès, c'est comme cela, mais...

(Mère prend les mains du disciple) Pour moi, tu es encore tout petit et tout jeune, tu sais.

Allons, dis-moi ce que tu veux me dire.

Te dire?

Tu avais commencé à me dire quelque chose, tu as dit: «Ce n'est pas tout à fait ça...» (riant) naturellement!

Je ne sais pas. Cela tourne toujours autour de ce problème de vision. Si, de temps en temps, j'avais une belle vision. Une fois, regarde, une fois à Ceylan (c'est la seule fois de ma vie), j'ai entendu de la Musique, c'était... merveilleux, c'était vraiment divin. Eh bien, pour moi c'est un signe (ça m'est arrivé une fois dans ma vie), je me dis: «Ah! bon, je ne suis pas loin, il y a quelque chose.» C'est un signe pour moi. Ou si je vois une belle lumière, ou... Alors cela m'encourage, je me dis: «Bon, ça va.» Je peux descendre aux enfers après ça. Après ça, je peux faire toutes sortes de choses absurdes, mais je me dis: «Au moins je sais que j'avance vers ça.» Eh bien, non! tu vois, ça m'arrive une fois en dix ans. Bien sûr, le vital s'en empare et en fait une insatisfaction, mais autrement, dans la raison normale, simplement je dis: «Qu'est-ce qui se passe? Je ne sais pas.» Je ne suis nulle part, j'attends.

Mais moi aussi, mon petit, j'attends – j'ai des millions d'années et j'attends.

Justement tous ces jours-ci, j'étais dans l’état que tu décris où l’on dit: «Mais où, où est la preuve concrète que tout cela va changer?» Les choses ne sont vraiment pas belles à regarder – où est-elle, la preuve concrète? Et il me vient toujours ceci, toujours, qui a été le test le plus sévère que l’on pouvait donner: c'est le départ de Sri Aurobindo. Parce que Sri Aurobindo parlait comme s'il ne partirait pas. Et c'est comme une chose qui vient dire: «Voyez, tout cela, ce sont des rêves pour dans des milliers d'années.» Et ça revient et ça revient et ça revient (geste de martèlement); et alors c'est comme une épée de Lumière, intangible: la Certitude.

Alors on ne demande plus – on ne dit plus, on ne demande plus. On a cette patience de la foi: «Quand Tu voudras, eh bien, ce sera.» Seulement, moi, je ne bouge pas, je reste comme cela (geste tourné vers le haut): la lumière intangible.

N'est-ce pas, tous les événements extérieurs viennent démentir. Malgré la transformation intérieure (qui est certaine, on en a des preuves à chaque seconde), pourtant le corps reste avec son habitude de détérioration. Et au moment où l’on croit que les choses s'arrangent (pour vous donner justement une preuve que l’on avance), il arrive quelque chose qui vient comme pour vous prouver que tout ça, c'est une illusion! Et ça devient de plus en plus aigu, de plus en plus aigu. Il y a toujours une Voix (que je connais bien, c'est la voix des forces adverses qui vous tentent), qui vient vous dire (même geste de martèlement): «Tu vois, tu vois comme tu te trompes, tu vois comme tu te fais des illusions, tu vois comme tout ça est un mirage, tu vois...» Et alors, si on écoute, on est fichu. C'est très simple, tout est fichu.

Il n'y a qu'à boucher ses oreilles, fermer ses yeux et rester accroché là-haut.

Ça, depuis que Sri Aurobindo est parti, c'est ce qui vient et revient (même geste de martèlement), et tu sais: plus cruel que toutes les tortures humaines et tout ce que l’on a pu imaginer de cruauté. C'est une chose effroyablement cruelle, et avec toute la méchanceté de la cruauté, et ça vient (même geste). Chaque fois que l’être s'épanouit dans une joie de certitude (même geste): «Calme-toi...»

C'est là que je dis naturellement que cette réalisation n'est pas pour les êtres faibles – c'est pour les plus forts. Et alors, on a honte de ce qui est faible en soi et on l’offre, on dit: «Libère-moi de ma faiblesse.» Il faut être terriblement fort pour ça – la force de l’endurance qui ne se soucie de rien. C'est comme une perfection de méchanceté qui est là pour dire tout le temps (même geste): «Tu te trompes, ce n'est pas possible, tu te trompes, ce n'est pas possible...» Et alors: «Tu vois, il y a une preuve de la vérité de ce que je te dis: Sri Aurobindo qui savait, lui, il est parti.» Et si on écoute et si on y croit, on est absolument fichu. C'est très simple, on est fichu. Et c'est cela qu'ils veulent. Seulement... il ne faut pas qu'ils réussissent, il faut s'accrocher. Depuis combien d'années?... (geste de martèlement) quinze ans, mon petit – depuis quinze ans (même geste). Il n'est pas de jour qui se passe sans qu'il y ait des attaques comme cela, pas de nuit qui se passe sans... Tu dis que tu vois des horreurs – mon petit, tes horreurs doivent être quelque chose de très charmant en comparaison des horreurs que j'ai vues! Je ne crois pas qu'un être humain puisse supporter la vue de ce que j'ai vu. Et cela m'est montré comme pour me dire que toutes-toutes mes «ambitions» sont folles. Et alors, je n'ai qu'une réponse: «Seigneur, Tu es partout, Tu es en tout, et c'est à nous de Te voir à travers tout.»

Et alors... ça se calme.

Je te l’ai dit, et ce n'est pas pour te faire plaisir ni pour te consoler, je te l’ai dit parce que c'est un fait que moi-même j'ai observé avec curiosité et intérêt: nous sommes extrêmement proches là-haut dans la compréhension intellectuelle profonde et dans la Grande Lumière. Et ça se traduit par une identité d'expérience dans la conscience intellectuelle. Je sais tes difficultés, je les connais, je les ai connues du premier jour où je t'ai vu (et avant même que tu ne viennes ici); à ce point de vue, il y a un grand progrès, seulement cela a ébranlé ta santé physique, à cause de cette lutte. Je sais que tu peux guérir tout à fait, mais pour guérir tout à fait, il faut que ton vital se convertisse, et ce que j'appelle «convertir», ce n'est pas se soumettre – convertir, c'est comprendre. Convertir, c'est adhérer.

(le disciple pose sa tête sur les genoux de Mère)









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