La Vie Divine 1153 pages 2005 Edition
French Translation
  Cristof Alward-Pitoëff

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Sri Aurobindo's principal work of philosophy and metaphysics, expounding a vision of spiritual evolution culminating in the transformation of man from a mental into a supramental being and the advent of a divine life upon earth.

La Vie Divine

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Sri Aurobindo

Sri Aurobindo's principal work of philosophy and metaphysics. In this book, Sri Aurobindo expounds a vision of spiritual evolution culminating in the transformation of man from a mental into a supramental being and the advent of a divine life upon earth. The material first appeared as a series of essays published in the monthly review Arya between 1914 and 1919. They were revised by Sri Aurobindo in 1939 and 1940 for publication as a book.

Sri Aurobindo Birth Centenary Library (SABCL) The Life Divine Vols. 18,19 1070 pages 1970 Edition
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Sri Aurobindo's principal work of philosophy and metaphysics. In this book, Sri Aurobindo expounds a vision of spiritual evolution culminating in the transformation of man from a mental into a supramental being and the advent of a divine life upon earth. The material first appeared as a series of essays published in the monthly review Arya between 1914 and 1919. They were revised by Sri Aurobindo in 1939 and 1940 for publication as a book.

French Translations of books by Sri Aurobindo La Vie Divine 1153 pages 2005 Edition
French Translation
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La Force consciente

Ils contemplèrent la force en soi de l'Être divin cachée profondément par ses propres modes conscients d'action.

Shvetâshvatara Upanishad. I. 3.

C'est lui qui veille en ceux qui dorment.

Katha Upanishad. II. 2. 8.

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Toute existence phénoménale se réduit à une Force, à un mouvement d'énergie qui revêt des formes plus ou moins matérielles, plus ou moins grossières ou subtiles, pour se représenter à sa propre expérience. Jadis, la pensée humaine recourait à certaines images, pour essayer de comprendre et de percevoir la réalité de cette origine et de cette loi d'être. Elle se représentait cette existence infinie de la Force comme un océan, initialement au repos et donc privé de formes ; mais la première perturbation, la première ébauche de mouvement nécessite la création de formes, et c'est la ; semence d'un univers.

La Matière est la représentation de la force que peut le plus facilement comprendre notre intelligence modelée par les contacts dans la Matière auxquels répond un mental involué dans le cerveau matériel. Selon les physiciens de l'Inde antique, l'état élémentaire de la Force matérielle est une condition de pure extension matérielle dans l'Espace, dont la propriété particulière est la vibration que figure pour nous le phénomène du son. Mais dans cet état éthéré, la vibration ne suffit pas pour créer des formes. Il doit d'abord y avoir quelque obstruction dans le flot de cet océan de Force, une contraction et une expansion, un jeu de vibrations, une collision de forces afin de créer de premières relations fixes et des effets mutuels. La Force matérielle modifiant son état initial, celui d'éther, en revêt un second, appelé aérien dans le langage d'antan, et dont la propriété spécifique est de permettre le contact entre les forces, contact qui est la base de toutes les relations matérielles. Cependant, ce ne sont pas encore des formes réelles, mais seulement des forces variables. Un principe sustentateur est nécessaire. Ce principe est fourni par une troisième modification de la Force primitive, dont le principe de la lumière, de l'électricité, du feu et de la chaleur est pour nous la manifestation caractéristique. Même alors, certains types de force peuvent préserver leur caractère et leur action propres, mais il n'existe pas encore de formes stables de la Matière. Un quatrième état, caractérisé par la diffusion et par un premier milieu

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d'attraction et de répulsion permanentes, appelé de façon imagée eau, ou état liquide, et un cinquième état, de cohésion, nommé terre, ou état solide, complètent les éléments nécessaires.

Toutes les formes de Matière dont nous sommes conscients, toutes les choses physiques, et jusqu'aux plus subtiles, proviennent de la combinaison de ces cinq éléments. Toute notre expérience sensible repose également sur eux; car de la réception des vibrations provient le sens du son ; du contact des choses dans un monde de vibrations de Force, provient le sens du toucher; de l'action de la lumière dans les formes couvées, délimitées, soutenues par la force de la lumière, du feu et de la chaleur, provient le sens de la vue; du quatrième élément, le sens du goût; du cinquième, le sens de l'odorat. Tout ce qui existe, est essentiellement une réaction aux contacts vibratoires entre forces. Ainsi, les penseurs d'autrefois ont-ils jeté un pont sur l'abîme qui sépare la Force pure de ses modifications finales, et résolu la difficulté qui empêche le mental humain ordinaire de comprendre comment toutes ces formes qui, pour les sens, sont si réelles, solides et durables, peuvent n'être en fait que des phénomènes temporaires, et comment une chose telle que l'énergie pure, qui pour les sens est non existante, intangible et presque inconcevable, peut être l'unique réalité cosmique permanente.

Cette théorie ne résout pas le problème de la conscience, car elle n'explique pas comment le contact de vibrations de Force en vient à susciter des sensations conscientes. C'est pourquoi les penseurs sânkhyens, esprits analytiques, supposèrent l'existence de deux principes supportant ces cinq éléments; en réalité, ces principes, qu'ils appelèrent mahat et ahamkâra, ne sont pas matériels ; car le premier n'est rien d'autre que le vaste principe cosmique de la Force, et l'autre le principe de division qui préside à la formation de l'Ego. Néanmoins, ces deux principes, de même que celui de l'intelligence, deviennent actifs dans la conscience non par la vertu de la Force elle-même, mais par celle d'une Âme-Consciente inactive, ou de multiples âmes en lesquelles les activités de la Force se reflètent et, par cette réflexion, prennent la coloration de la conscience.

Telle est l'explication des choses offerte par l'école de philosophie indienne qui se rapproche le plus des idées matérialistes modernes; elle impliquait l'idée d'une Force mécanique ou inconsciente dans la Nature, pour autant que. ce fût possible à un mental indien sérieux

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dans sa réflexion; Quels -qu'en fussent les défauts, l'idée centrale était si indiscutable que l'on finit généralement par l'accepter. De quelque façon que l'on explique le phénomène de la conscience, que la Nature soit une impulsion inerte ou un principe conscient, elle est certainement Force; le principe des choses est un mouvement d'énergies, un mouvement formateur : toutes ces formes naissent de la rencontre et de l'adaptation mutuelle de forces amorphes; toute sensation, toute action est une réaction de quelque chose, d'une forme de la Force, aux contacts d'autres formes de la Force. Tel est le monde dont nous faisons l'expérience, et nous devons toujours partir de cette expérience.

L'analyse physique de la Matière par la science moderne est arrivée à la même conclusion générale, même s'il subsiste encore quelques doutes. L'intuition et l'expérience confirment cet accord entre la science et la philosophie. La raison pure y trouve la satisfaction de ses propres concepts fondamentaux. Car même si l'on conçoit que le monde est essentiellement un acte de conscience, l'acte même qui se trouve impliqué, implique également un mouvement de la Force, un jeu de l'Énergie. Lorsque nous l'examinons au cœur de notre propre expérience, cela aussi nous apparaît comme la nature fondamentale du monde. Toutes nos activités sont le jeu de la triple force des anciennes philosophies ; connaissance-force, désir-force, action-force, qui se révèlent être en réalité trois courants d'un seul Pouvoir originel et identique, Âdyâ Shakti. Nos états de repos ne sont eux-mêmes que l'état d'égalité ou l'équilibre du jeu de son mouvement.

Une fois admis le fait que la nature entière du Cosmos est un mouvement de la Force, deux questions se posent. D'abord, comment ce mouvement a-t-il seulement pu se produire au sein de l'existence? Si nous supposons qu'il est non seulement éternel, mais qu'il constitue l'essence même de toute existence, la question ne se pose pas. Mais nous avons réfuté cette théorie. Nous sommes conscients d'une existence qui n'est pas soumise au mouvement. Comment donc ce mouvement étranger à son repos éternel peut-il s'y produire ? Par quelle cause ? quelle possibilité ? quelle mystérieuse impulsion ?

La réponse privilégiée par l'ancienne mentalité indienne, était que la Force est inhérente à l'Existence. Shiva et Kâlî, le Brahman et la Shakti sont un et non pas deux. On ne peut les séparer. La Force inhérente à

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l'existence peut être au repos ou en mouvement, mais lorsqu'elle est au repos, elle n'en existe pas moins, elle n'est pas abolie, diminuée, et son essence n'est aucunement altérée. Cette réponse est si entièrement rationnelle et si conforme à la nature des choses que nous pouvons l'accepter sans hésiter. En effet, il est impossible, car cela contredit la raison, de supposer que la Force est étrangère à l'existence une et infinie, et qu'elle y est entrée du dehors ou n'existait pas auparavant et y est apparue à un certain moment du Temps. Même la théorie illusionniste doit admettre que la Maya, le pouvoir d'auto-illusion du Brahman, est éternelle en puissance dans l'Être éternel, et la seule question concerne donc sa manifestation ou sa non-manifestation. Le Sânkhya affirme lui aussi la coexistence éternelle de la Prakriti et du Purusha, de la Nature et de l'Âme-Consciente, et les états alternatifs de repos ou d'équilibre de la Prakriti, et de mouvement ou de perturbation de l'équilibre.

Mais puisque la Force est ainsi inhérente à l'existence et qu'elle a, de par sa nature même, cette double potentialité, cette alternance de repos et de mouvement — autrement dit, qu'elle peut être une Force qui se concentre ou une Force qui se diffuse —, la question de savoir comment se produit ce mouvement, quelle est sa possibilité, son impulsion première ou sa cause motrice ne se pose pas. Car alors nous pouvons facilement concevoir que cette potentialité doive se traduire, soit par un rythme alternatif de repos et de mouvement se succédant dans le Temps, soit par une éternelle auto-concentration de la Force en l'existence immuable avec un jeu superficiel de mouvement, de changement et de formation, comme les vagues s'élèvent et retombent à la surface de l'océan. Et ce jeu superficiel — nous employons fatalement des images inadéquates — peut coexister avec l'auto-concentration et être lui-même éternel, ou bien il peut commencer et finir dans le Temps, et recommencer de nouveau, en une sorte de rythme constant ; il est alors éternel, non dans sa continuité, mais dans sa récurrence.

Le problème du comment ainsi éliminé, se pose la question du pourquoi. Pourquoi cette possibilité d'un jeu du mouvement de la Force devrait-elle même se traduire ? Pourquoi la Force de l'existence ne resterait-elle pas éternellement concentrée en elle-même, infinie, libre de toute variation et de toute formation ? Cette question non plus ne se pose pas si nous supposons que l'Existence n'est pas consciente et que la conscience n'est qu'un développement de l'énergie matérielle qu'à

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tort nous supposons immatérielle. Car alors, nous pouvons simplement dire que ce rythme est la nature de la Force dans l'existence et qu'il n'y a absolument aucune raison de chercher un pourquoi, une cause, un mobile initial ou un dessein ultime pour ce qui, par nature, existe éternellement en soi. Nous ne pouvons poser cette question à l'éternelle existence en soi et lui demander pourquoi elle existe ou comment elle est venue à l'existence ; nous ne pouvons pas non plus la poser à la force en soi de l'existence et à sa nature inhérente qui l'incite à se mouvoir. Tout ce que nous pouvons chercher à connaître, c'est son mode de manifestation, ses principes de mouvement et de formation, son processus évolutif. L'Existence et la Force étant toutes deux inertes — état inerte et impulsion inerte —, toutes deux inconscientes et inintelligentes, il ne peut y avoir aucun dessein, aucun but final dans l'évolution, ni aucune cause, aucune intention originelle.

Mais si nous supposons ou découvrons que l'Existence est l'Être conscient, alors le problème se pose. Certes, nous pouvons imaginer un Être conscient soumis à sa nature de Force et qui, subissant sa loi, n'ait pas la possibilité de choisir s'il se manifestera dans l'univers ou demeurera non manifesté. Tel est le dieu cosmique des tantriques et des mâyâvâdîns, qui est soumis à la Shakti ou à la Maya — Purusha involué en la Maya ou gouverné par la Shakti. Mais il est évident qu'un tel dieu n'est pas la suprême Existence infinie que nous avions conçue au départ. Il nous faut reconnaître que c'est simplement, dans le cosmos, une formulation du Brahman par le Brahman qui est lui-même logiquement antérieur à la Shakti ou à la Maya et la reprend en son être transcendantal lorsqu'elle met fin à son action. Dans une existence consciente qui est absolue, indépendante de ses formations et non déterminée par ses œuvres, nous devons supposer une liberté inhérente de manifester ou de ne pas manifester la potentialité de mouvement. Un Brahman contraint par la Prakriti n'est pas un Brahman, mais un Infini inerte dont le contenu actif est plus puissant que le contenant, possesseur conscient d'une Force qui serait son maître. Si nous disons qu'il est contraint par lui-même en tant que Force, par sa propre nature, nous ne nous débarrassons pas de la contradiction, du subterfuge de notre premier postulat. Nous sommes revenus à une Existence qui, en réalité, n'est que Force, Force au repos ou en mouvement, Force absolue peut-être, mais non point Être absolu.

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II est donc nécessaire d'examiner le rapport entre la Force et la Conscience. Mais qu'entendons-nous par ce dernier terme ? La première idée qui s'impose généralement à nous, est celle d'une conscience mentale éveillée, comme celle que possède l'être humain durant la majeure partie de son existence corporelle, lorsqu'il n'est pas endormi, stupéfié, ou privé de ses modes physiques et superficiels de sensation. En ce sens, il est clair que la conscience est l'exception et non la règle dans l'ordre de l'univers matériel. Nous-mêmes ne la possédons pas toujours. Cette conception de la nature de la conscience, fort commune et superficielle, fausse encore notre pensée et nos associations d'idées habituelles; mais elle doit maintenant disparaître définitivement de la pensée philosophique, car nous savons qu'il y a quelque chose en nous qui demeure conscient lorsque nous dormons, lorsque nous sommes stupéfiés, drogués ou évanouis, dans tous les états apparemment inconscients de notre être physique. Nous avons même aujourd'hui la certitude que les penseurs de l'antiquité avaient raison d'affirmer que notre conscience " éveillée " n'est en fait qu'une petite fraction de notre être conscient intégral. C'est une superficie, ce n'est même pas notre mentalité tout entière. Elle cache un mental subliminal ou subconscient beaucoup plus vaste, qui représente la plus grande partie de notre être et contient des sommets et des profondeurs que nul homme n'a encore mesurés ni sondés. Cette connaissance nous servira de base pour établir une science véritable de la Force et de ses opérations, et nous affranchira définitivement des limites du matériel et de l'illusion de l'évident. "

Le matérialisme affirme en fait que la conscience, si vaste soit-elle, est un phénomène matériel indissociable de nos organes physiques, qu'elle n'utilise pas, mais dont elle est le résultat. Cependant, cet argument traditionnel est en train de céder devant la marée montante de la connaissance. Ses explications deviennent de plus en plus inadéquates et forcées. Il apparaît de plus en plus clairement que non seulement la capacité de notre conscience totale dépasse de beaucoup celle de nos organes — les sens, les nerfs, le cerveau —, mais que ces organes, même pour notre pensée et notre conscience ordinaires, ne sont que des instruments habituels. Ils n'en sont pas l'origine. La conscience utilise le cerveau que ses efforts pour s'élever ont engendré, ce n'est pas le cerveau qui a engendré et qui utilise la conscience. Certains cas anormaux tendraient même à prouver que nos organes ne sont pas des instruments vraiment indispensables — que les battements du cœur ne sont pas

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absolument essentiels à là vie, pas plus que la respiration, et que les cellules cérébrales organisées ne sont pas non plus indispensables à la pensée. Notre organisme physique n'est pas plus la cause ou l'explication de la pensée et de la conscience que la construction d'une machine n'est la cause ou l'explication de la puissance motrice de la vapeur ou de l'électricité. C''est -là force qui précède, et non l'instrument physique.

Les conséquences logiques qui en résultent sont d'une importance capitale. Tout d'abord, puisqu'une conscience mentale se trouve même dans ce qui, pour nous, est un état inanimé ou inerte, nous pouvons nous demander s'il n'est pas possible qu'un mental universel subconscient soit présent dans les objets matériels eux-mêmes, bien que, faute d'organes, il soit incapable d'agir ou d'entrer en communication avec la surface. L'état matériel est-il privé de toute conscience, ou n'est-il pas plutôt un simple sommeil de la conscience, même si, du point de vue de l'évolution, il paraît être un sommeil originel et non point intermédiaire ? Et par sommeil, comme l'exemple humain nous l'enseigne, nous entendons, non pas une suspension de la conscience, mais un recueillement intérieur, détaché des réactions physiques conscientes aux impacts des choses extérieures. Et n'est-ce pas l'état de toute existence qui n'a pas encore développé des moyens de communication externe avec le monde physique extérieur ? N'y a-t-il pas une Âme consciente, un Purusha qui veille à jamais, même en tout ce qui dort ?

Nous pouvons aller plus loin. Lorsque nous parlons de mental subconscient, il faut entendre par ces termes un mental qui ne diffère pas de la mentalité extérieure, mais qui, sans que l'homme éveillé en soit conscient, agit simplement sous la surface, dans le même sens, mais avec peut-être une plus grande pénétration et une plus vaste portée. Mais les phénomènes du moi subliminal dépassent de beaucoup les limites d'une telle définition. Ils impliquent une action dont le pouvoir est très largement supérieur, et dont la nature est, en outre, tout à fait différente de la mentalité telle que la perçoit notre moi à l'état de veille. L'existence de ce subconscient nous permet donc de supposer l'existence en nous d'un supraconscient, d'une gamme de facultés conscientes — et donc d'une organisation de la conscience — qui s'élèvent bien au-dessus de la strate psychologique que nous appelons mentalité. Et puisque le moi subliminal en nous s'élève ainsi jusqu'à la supraconscience au-delà de la mentalité, ne peut-il également plonger dans la subconscience en

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deçà? N'y a-t-il pas, en nous et dans'te'ai0ndë"-'des formes de conscience submentales que nous puissions appeler conscience vitale ou conscience physique ? Si tel est le cas, nous devons supposer que, dans la plante et le métal également, se trouve une force que nous pouvons nommer conscience, bien qu'elle diffère de la mentalité humaine ou animale à laquelle nous avons jusqu'ici réservé le monopole de cette description.

Cela est non seulement probable, mais certain, pour peu que nous considérions les choses objectivement. Il y a en nous une conscience vitale qui agit dans les cellules du corps et les fonctions vitales automatiques, si bien que nous exécutons des mouvements délibérés et obéissons à des attractions et à des répulsions auxquelles notre mental est étranger. Chez les animaux, cette conscience vitale joue un rôle plus important encore. Dans les plantes, elle est intuitivement évidente. Les aspirations et les rétractions de la plante, son plaisir et sa douleur, son sommeil et sa veille et toute cette étrange vie dont un savant indien, par des méthodes rigoureusement scientifiques, a mis la réalité en lumière, sont des mouvements de la conscience, et non pas du mental, apparemment tout au moins. Il y a donc une conscience sub-mentale, vitale, qui a précisément les mêmes réactions initiales que la conscience mentale, mais qui en diffère par la nature de son expérience de soi, tout comme le supraconscient diffère de l'être mental.

Le domaine que nous appelons conscience prend-il fin avec la plante, où nous reconnaissons l'existence d'une vie sub-animale ? Dans ce cas, il nous faudrait supposer qu'il existe une force de vie et de conscience originellement étrangère à la Matière et qui a toutefois pénétré et investi la Matière — venue peut-être d'un autre monde¹? Car autrement, d'où aurait-elle pu venir ? Les penseurs de l'antiquité croyaient en l'existence de ces autres mondes qui soutiennent peut-être la vie et la conscience dans le nôtre, ou même exercent une pression qui les fait émerger, mais ne les créent pas en y pénétrant. Rien ne peut évoluer à partir de la Matière qui n'y soit déjà contenu.

¹Selon une étrange théorie, assez répandue de nos jours, la Vie terrestre n'aurait pas son origine dans un autre monde, mais viendrait d'une autre planète. Pour le penseur, cela n'explique rien. La question fondamentale est en effet de savoir comment la Vie a pu venir dans la Matière et non comment elle pénètre dans la matière d'une certaine planète.

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Mais il n'y a aucune, raison de supposer que l'horizon de la vie et de la conscience se referme brusquement et s'arrête aux apparences purement matérielles. Le développement de la recherche et de la pensée contemporaines semble indiquer quelque obscur commencement de la vie, et peut-être une certaine conscience inerte ou réprimée dans le métal et dans la terre et en d'autres formes "inanimées". Elles suggèrent du moins la présence d'un premier matériau qui, en nous, devient la conscience. Mais si, dans la plante, nous pouvons vaguement reconnaître et concevoir ce que j'ai appelé conscience vitale, il nous est effectivement difficile de comprendre ou d'imaginer la conscience de la Matière, de la forme inerte ; et nous estimons avoir le droit de nier ce que nous avons du mal à comprendre ou à imaginer. Néanmoins, lorsqu'on a pénétré aussi loin dans les profondeurs de la conscience, on ne peut plus croire qu'un tel abîme s'ouvre brusquement dans la Nature. La pensée a le droit de supposer une unité là où cette unité est attestée par toutes les autres catégories de phénomènes, même si dans une seule d'entre elles, elle se trouve, non pas niée, mais simplement plus dissimulée que dans les autres. Et si nous supposons que l'unité n'est pas rompue, il faut en déduire que la conscience existe en toutes les formes de la Force qui est à l'œuvre dans le monde. Même si aucun Purusha conscient ou supraconscient ne demeure en toutes les formes, une force d'être consciente s'y trouve néanmoins, et leurs parties extérieures elles-mêmes l'expriment de façon passive ou manifeste.

Dans une telle conception, le mot conscience change nécessairement de sens. Il n'est plus synonyme de mentalité mais indique une force d'existence consciente-de-soi dont la mentalité est un moyen terme; au-dessous du niveau mental, elle plonge dans les mouvements vitaux et matériels qui, pour nous, sont subconscients; au-dessus, elle s'élève dans le supramental qui est pour nous le supraconscient. Mais en tout, elle est une seule et même chose, organisée différemment. C'est, là encore, la conception indienne de Chit qui, en tant qu'énergie, crée les mondes. Essentiellement, nous arrivons à cette unité que la science matérialiste perçoit depuis l'autre extrémité lorsqu'elle affirme que le Mental ne peut être une force différente de la Matière, mais doit être simplement un développement et un résultat de l'énergie matérielle. La pensée indienne, en ce qu'elle a de plus profond, affirme pour sa part que le Mental et la Matière sont plutôt différents degrés de la même énergie, différentes organisations de l'unique Force consciente de l'Existence.

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Mais de quel droit supposons-nous que la conscience est une description adéquate de cette Force ? Car la conscience implique une certaine intelligence, une intention, une connaissance de soi, même si elles ne revêtent pas les formes auxquelles notre mental est habitué. Et même de ce point de vue, tout supporte, plutôt que contredit, l'idée d'une Force consciente universelle. Chez l'animal, par exemple, nous observons des actes parfaitement délibérés et une connaissance exacte et, en vérité, scientifiquement détaillée, qui dépassent largement les capacités de la mentalité animale. L'homme lui-même ne peut les acquérir que par de longues années d'apprentissage et d'éducation, et même alors, il utilise ces capacités avec une rapidité beaucoup moins sûre. Dans ce fait général, nous sommes en droit de voir la preuve qu'une Force consciente est à l'œuvre dans l'animal et l'insecte, Force plus intelligente, plus délibérée et plus consciente de son intention, de ses fins, de ses moyens, de ses conditions que la mentalité la plus haute qui se soit manifestée à ce jour sur la terre dans une forme individuelle. Et dans toutes les opérations de la Nature inanimée, nous retrouvons la même caractéristique, celle d'une suprême intelligence " cachée dans les modes de son propre fonctionnement ".

Le seul argument qui pourrait contredire l'existence d'une source consciente et intelligente de ce travail délibéré, ce travail d'intelligence, de sélection, d'adaptation et de recherche, est la présence d'un élément largement répandu dans les opérations de la Nature, et que nous nommons gaspillage. Mais c'est bien évidemment une objection fondée sur les limitations de notre intellect humain qui cherche à imposer sa rationalité particulière, suffisante pour des buts humains limités, aux opérations générales de la Force universelle. Nous ne voyons qu'une partie du dessein de la Nature, et appelons gâchis tout ce qui ne lui est pas favorable. Or, même notre action humaine est faite d'un apparent gaspillage, qui semble tel du point de vue individuel et qui sert pourtant fort bien, soyons-en sûrs, le vaste dessein universel. Cette part de son intention que nous pouvons déceler, la Nature l'exécute non sans assurance, malgré son gaspillage apparent, ou peut-être grâce à lui. Nous pouvons bien lui faire confiance pour tout ce que nous n'avons pas encore découvert.

Pour le reste, il est impossible d'ignorer la poussée vers un objectif déterminé, l'orientation de cette tendance apparemment aveugle, l'accomplissement final ou immédiat du but recherché qui caractérisent les

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opérations de la Force universelle dans l'animal, la plante et les choses inanimées. Tant que la Matière était l'alpha et l'oméga de l'esprit scientifique, la réticence à admettre que l'intelligence fût la mère de l'intelligence partait d'un honnête scrupule. Mais aujourd'hui, affirmer l'émergence d'une conscience, d'une intelligence et d'une maîtrise humaines hors d'une inconscience inintelligente qui nous pousse aveuglément et où elles n'auraient eu auparavant ni forme ni substance, n'est plus qu'un paradoxe éculé. La conscience de l'homme ne peut rien être d'autre qu'une forme de la conscience de la Nature. Elle est présente, en d'autres formes involuées au-dessous du Mental, elle émerge dans le Mental, et doit s'élever pour assumer des formes encore supérieures par-delà le Mental. Car la Force qui édifie les mondes est une Force consciente, l'Existence qui se manifeste en eux est un Être conscient, et une parfaite émergence de ses potentialités dans la forme est l'unique objet que nous puissions rationnellement concevoir pour sa manifestation de ce monde de formes.

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