La Vie Divine 1153 pages 2005 Edition
French Translation
  Cristof Alward-Pitoëff

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Sri Aurobindo's principal work of philosophy and metaphysics, expounding a vision of spiritual evolution culminating in the transformation of man from a mental into a supramental being and the advent of a divine life upon earth.

La Vie Divine

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Sri Aurobindo

Sri Aurobindo's principal work of philosophy and metaphysics. In this book, Sri Aurobindo expounds a vision of spiritual evolution culminating in the transformation of man from a mental into a supramental being and the advent of a divine life upon earth. The material first appeared as a series of essays published in the monthly review Arya between 1914 and 1919. They were revised by Sri Aurobindo in 1939 and 1940 for publication as a book.

Sri Aurobindo Birth Centenary Library (SABCL) The Life Divine Vols. 18,19 1070 pages 1970 Edition
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Sri Aurobindo's principal work of philosophy and metaphysics. In this book, Sri Aurobindo expounds a vision of spiritual evolution culminating in the transformation of man from a mental into a supramental being and the advent of a divine life upon earth. The material first appeared as a series of essays published in the monthly review Arya between 1914 and 1919. They were revised by Sri Aurobindo in 1939 and 1940 for publication as a book.

French Translations of books by Sri Aurobindo La Vie Divine 1153 pages 2005 Edition
French Translation
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La Matière

Il parvint à la connaissance que la Matière est le Brahman.

Taittirîya Upanishad. m. 2.

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Nous avons maintenant l'assurance rationnelle que la Vie n'est ni un rêve inexplicable, ni un mal impossible qui est pourtant devenu une réalité douloureuse, mais une puissante pulsation de la divine Toute-Existence. Nous entrevoyons ses fondements et son principe, et nos regards se tournent vers ses hautes possibilités, vers son ultime et divine efflorescence. Mais il est un principe, au-dessous de tous les autres, que nous n'avons pas encore suffisamment examiné : c'est le principe de la Matière, sur lequel la Vie repose comme sur un piédestal ou hors duquel elle évolue, telle la forme d'un arbre aux multiples branches émerge de la semence où il est enclos. Le mental, la vie et le corps de l'homme dépendent de ce principe physique, et si l'efflorescence de la Vie est le résultat de ce mouvement de la Conscience qui émerge dans le Mental, se répand, s'élève en quête de sa propre vérité dans l'immensité de l'existence supramentale, elle semble néanmoins conditionnée par cette gaine qu'est le corps et par ce fondement qu'est la Matière. L'importance du corps est évidente; c'est parce qu'il a été doté d'un corps et d'un cerveau capables de recevoir et de servir une illumination mentale progressive, ou qu'il les a développés, que l'homme s'est élevé au-dessus de l'animal. De même, ce ne peut être qu'en développant un corps, ou du moins un fonctionnement de l'instrument physique capable de recevoir et de servir une illumination plus haute encore, qu'il s'élèvera au-dessus de lui-même pour atteindre à une humanité parfaitement divine, non seulement dans sa pensée et dans son être intérieur, mais dans la vie. Sinon, ou bien la promesse de la Vie se verra annulée, son sens anéanti, et l'être terrestre ne pourra réaliser Satchidânanda qu'en s'abolissant lui-même, en se dépouillant du mental, de la vie et du corps pour retourner au pur Infini, ou bien l'homme n'est pas l'instrument divin.; une limite est fixée au pouvoir consciemment progressif qui le distingue des autres existences terrestres, et de même qu'il

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les a détrônées, de même un autre être devra finalement le remplacer pour assumer son héritage.

Il semble en vérité que le corps soit depuis le début la grande difficulté de l'âme, la pierre d'achoppement et l'écueil où elle se heurte constamment. C'est pourquoi ceux qui, pleins d'ardeur, se sont mis en quête de la réalisation spirituelle ont jeté leur anathème sur le corps, et, dans leur dégoût du monde, ils vouent une haine toute particulière à ce principe universel. Le corps est l'obscur fardeau qu'ils ne peuvent porter ; l'irréductible grossièreté matérielle est l'obsession qui les conduit à chercher leur délivrance dans la vie ascétique. Pour s'en débarrasser, ils sont même allés jusqu'à nier son existence, et la réalité de l'univers matériel. La plupart des religions ont maudit la Matière, et elles ont fait du renoncement à l'existence physique, ou de son acceptation résignée et provisoire, la mesure de la vérité religieuse et de la spiritualité. Plus patientes, plus profondes en leur méditation, à l'abri de la torture et de la fiévreuse impatience de l'âme sous le fardeau de l'âge de Fer, les croyances plus anciennes ne faisaient pas cette redoutable division; elles reconnaissaient en la Terre la Mère et en le Ciel le Père, et leur vouaient un amour égal, une égale révérence; mais leurs antiques mystères sont obscurs, et notre regard ne peut les sonder ; que notre vision des choses soit matérialiste ou spirituelle, nous sommes également satisfaits de trancher le nœud gordien du problème de l'existence d'un seul coup décisif et de nous évader dans une béatitude éternelle, ou d'en finir par un anéantissement ou un apaisement éternels.

En fait, ce conflit ne commence pas avec l'éveil à nos possibilités spirituelles; il débute avec l'apparition de la vie elle-même, avec sa lutte pour établir ses activités et ses agrégats permanents de forme vivante contre la force d'inertie, la force d'inconscience, la force de désintégration atomique qui, dans le principe matériel, constituent le nœud de la grande Négation. La Vie est constamment en guerre avec la Matière, et le combat semble toujours se terminer par l'apparente défaite de la Vie et l'écroulement, la rechute vers le principe matériel que nous appelons mort. La discorde s'accentue avec l'apparition du Mental ; car le Mental est en conflit avec la Vie et avec la Matière ; il est perpétuellement en guerre contre leurs limitations, perpétuellement révolté contre la grossièreté et l'inertie de l'une, les passions et les souffrances de l'autre auxquelles il est assujetti; et la bataille semble

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finalement s'orienter vers la victoire partielle et coûteuse — et pas Blême assurée — du Mental qui conquiert, réprime, ou va même jusqu'à supprimer les appétits du vital, altère la force physique et perturbe l'équilibre du corps au profit d'une plus grande activité mentale et d'une existence morale supérieure. C'est dans cette lutte que se manifestent l'impatience à l'égard de la Vie, le dégoût pour le corps et la volonté de s'en détacher pour se tourner vers une pure existence mentale et morale. Lorsque l'homme s'éveille à une existence par-delà le Mental, il pousse encore plus loin ce principe de discorde. Le Mental, le Corps et la Vie sont condamnés en tant que trinité du monde, de la chair et du diable. Le Mental est lui aussi banni, sous prétexte qu'il est la source de tous nos maux. La guerre est déclarée entre l'esprit et ses instruments, et l'on recherche la victoire de l'Habitant spirituel par une évasion hors de son étroite résidence, un rejet du mental, de la vie et du corps et un retrait en ses propres infinitudes. Le monde est discorde, et c'est en portant le principe même de la discorde jusqu'à ses possibilités les plus extrêmes, en nous coupant du monde jusqu'à la rupture finale, que nous en résoudrons le mieux les perplexités.

Mais ces défaites et ces victoires ne sont qu'apparentes, et cette solution n'en est pas une, car elle élude le problème. La Vie n'est pas réellement vaincue par la Matière; elle accepte un compromis en recourant à la mort pour prolonger la vie. Le Mental n'a pas vraiment triomphé de la Vie et de la Matière; il n'a atteint qu'un développement imparfait de certaines de ses possibilités au détriment de certaines autres qui sont elles-mêmes liées aux possibilités, pas encore réalisées ou rejetées, qui lui permettraient de faire un meilleur usage de la vie et du corps. L'âme individuelle n'a pas conquis la triplicité inférieure; elle n'a fait qu'en rejeter les revendications et s'est dérobée au travail entrepris par l'Esprit lorsqu'il s'est projeté sous forme d'univers. Le problème persiste parce que le labeur du Divin dans l'univers se poursuit lui aussi, mais le problème n'a toujours pas reçu de solution satisfaisante et le labeur attend toujours son accomplissement et sa victoire. Et puisque Satchidânanda, selon notre point de vue, est le commencement et le milieu et la fin, et que lutte et discorde ne peuvent être des principes éternels et fondamentaux de Son être mais supposent, par leur existence même, un effort vers une solution parfaite et une victoire totale, nous devons donc chercher cette solution dans une victoire réelle de la Vie sur la Matière, rendue possible grâce à un parfait et libre usage du corps par

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la Vie, dans une victoire réelle du Mental sur la Vie et la Matière grâce à un parfait et libre usage de la force de vie et de la forme par le Mental, dans une victoire réelle de l'Esprit sur la triplicité grâce à une libre et parfaite occupation du mental, de la vie et du corps par l'esprit conscient ; à nos yeux, seule cette ultime conquête peut rendre les autres réellement possibles. Ainsi, pour voir dans quelle mesure ces conquêtes sont vraiment ou complètement possibles, nous devons découvrir la réalité de la Matière, de même qu'en cherchant la connaissance fondamentale nous avons découvert la réalité du Mental, de l'Âme et de la Vie.

Dans un sens, la Matière est irréelle et non existante ; c'est-à-dire que notre connaissance, notre idée et notre expérience actuelles de la Matière ne représentent pas sa vérité, mais sont simplement un phénomène exprimant une relation particulière entre nos sens et la toute-existence en laquelle nous nous mouvons. Quand la Science découvre que la Matière se résout en des formes d'Énergie, elle saisit une vérité universelle et fondamentale; et quand la philosophie découvre que la Matière n'existe pour la conscience que comme apparence substantielle et que l'unique réalité est l'Esprit, ou pur Être conscient, elle saisit une vérité plus grande et plus complète et plus fondamentale encore. Mais la question demeure : pourquoi l'Énergie doit-elle prendre la forme de la Matière et non celle de simples courants de force, ou pourquoi ce qui est en réalité Esprit doit-il admettre le phénomène de la Matière et non demeurer en des états, des volontés et des joies de l'Esprit ? C'est, dit-on, l'oeuvre du Mental, ou bien, comme de toute évidence la Pensée ne crée ni même ne perçoit directement la forme matérielle des choses, c'est l'œuvre des Sens ; le mental sensoriel crée les formes qu'il semble percevoir et le mental pensant travaille sur les formes que celui-ci lui présente. Mais il est bien évident que le mental individuel incarné n'a pas créé le phénomène de la Matière ; l'existence terrestre ne saurait être le produit du mental humain qui est lui-même le produit de l'existence terrestre. Si nous disons que le monde n'existe que dans notre mental, nous exprimons un non-fait et une confusion; car le monde matériel existait avant que l'homme ne fût sur la terre et il continuera d'exister même si l'homme disparaît de la terre ou même si notre mental individuel s'abolit dans l'Infini. Nous devons donc en conclure qu'il existe un Mental universel, subconscient pour nous dans la forme de l'Univers ou supraconscient en son esprit, qui a créé cette forme pour y habiter. Et puisque le créateur a dû précéder sa création et doit la transcender,

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cela implique en réalité l'existence d'un Mental supraconscient qui, par l'instrumentalité d'un sens universel, crée¹ en lui-même la relation de forme à forme et constitue le rythme de l'univers matériel. Mais cette solution non plus n'est pas complète; elle nous apprend que la Matière est une création de la Conscience, mais ne nous explique pas comment la Conscience en est venue à créer la Matière comme base de ses opérations cosmiques.

Nous comprendrons mieux si nous retournons immédiatement au principe originel des choses. L'Existence, en son activité, est une Force-consciente qui présente à sa conscience les opérations de sa force comme des formes de son être. La Force n'étant qu'une action de l'Être-conscient unique, qui seul existe, elle ne peut rien produire d'autre que des formes de cet Être-Conscient; la Substance ou Matière n'est donc qu'une forme de l'Esprit. L'apparence que cette forme de l'Esprit revêt pour nos sens est due à cette action séparatrice du Mental qui, nous l'avons logiquement déduit, est à l'origine de tout le phénomène de l'univers. Nous savons maintenant que la Vie est une action de la Force-consciente dont les formes matérielles sont le produit; la Vie involuée dans ces formes, qui prend tout d'abord en elles l'apparence d'une force inconsciente, évolue et ramène dans la manifestation, sous la forme du Mental, la conscience qui est le moi réel de la force et qui n'a jamais cessé d'exister en elle, même lorsqu'elle n'était pas manifestée. Nous savons aussi que le Mental est un pouvoir inférieur de la Connaissance originelle supérieure ou Supramental, pouvoir dont la Vie est l'énergie instrumentale ; car, descendant par le Supramental, la Conscience ou Chit se représente comme Mental, et la Force de conscience ou Tapas se représente comme Vie. Le Mental, en se séparant de sa propre réalité supérieure dans le Supramental, donne à la Vie l'apparence de la division et, en s'involuant davantage encore dans sa propre Force-de-Vie, devient subconscient dans la Vie et donne ainsi à ses opérations matérielles l'apparence extérieure d'une force

¹Le Mental, tel que nous le connaissons, ne crée que dans un sens relatif et instrumental ; il a un pouvoir illimité de combinaison, mais ses inspirations créatrices et ses formes lui viennent d'un plan supérieur : routes les formes créées ont leur base en l'Infini au-dessus du Mental, de la Vie et de la Matière et sont ici-bas représentées, reconstruites — et mal construites le plus souvent — à partir de l'infinitésimal. Leur fondation est en haut, leurs branches sont dirigées vers le bas, dit le Rig-Véda. Le Mental supraconscient dont nous parlons pourrait plus justement être appelé Surmental; dans l'ordre hiérarchique des pouvoirs de l'Esprit, il réside en une zone qui dépend directement de la conscience supramentale.

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inconsciente. Par conséquent, l'inconscience, l'inertie, la désagrégation atomique de la Matière doivent avoir leur source dans cette action involuée du Mental qui divise tout et qui donna naissance à notre univers. De même que le Mental n'est qu'une action finale du Supramental dans la descente vers la création, et la Vie une action de la Force-consciente œuvrant dans les conditions de l'Ignorance créée par cette descente du Mental, de même la Matière, telle que nous la connaissons, n'est que la forme finale prise par l'être-conscient à la suite de cette opération. La Matière est la substance de l'unique Être-Conscient phénoménalement divisé en lui-même par l'action d'un Mental universel¹ — division que le mental individuel reproduit et sur laquelle il se concentre, mais qui n'abolit pas et ne diminue en rien l'unité de l'Esprit, ni l'unité de l'Énergie, ni l'unité réelle de la Matière.

Mais pourquoi cette division phénoménale et pragmatique d'une Existence indivisible ? Parce que le Mental doit amener le principe de la multiplicité jusqu'à son extrême possibilité, et cela n'est possible que par un processus de séparation et de division. Ainsi, se précipitant dans la Vie afin d'y créer des formes pour le Multiple, il doit, pour y parvenir, donner au principe universel de l'Être l'apparence d'une substance grossière et matérielle au lieu d'une substance pure ou subtile. Autrement dit, il faut qu'il lui donne l'apparence d'une substance qui s'offre au contact du Mental comme une chose ou un objet stable dans une multiplicité durable d'objets, et non celle d'une substance qui s'offre au contact de la conscience pure comme quelque chose qui participerait de sa pure existence éternelle et de son éternelle et pure réalité, ou qui s'offrirait aux sens subtils comme un principe de forme plastique exprimant librement l'être conscient. Le contact du Mental avec ses objets crée ce que nous appelons sensibilité, mais ce doit être ici un sens obscur et extériorisé, assuré de la réalité de ce avec quoi il entre en contact. La descente de la pure substance dans la substance matérielle suit alors inévitablement la descente de Satchidânanda, à travers le Supramental, dans le Mental et la Vie. C'est une conséquence nécessaire de la volonté de faire de la multiplicité de l'être — et d'une perception des choses à partir de centres de conscience séparés —, la première méthode de cette expérience inférieure de l'existence. Si nous

¹Le mot mental est employé ici dans son sens le plus large, et inclut les opérations d'un pouvoir surmental qui est le plus proche de la Conscience-de-Vérité supramentale et qui est la source première de la création de l'Ignorance.

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revenons à la base spirituelle des choses, la substance en son extrême pureté se résout en pur être conscient, existant en soi, conscient de soi de façon inhérente, par identité, mais ne dirigeant pas encore sa conscience sur soi-même en tant qu'objet. Le Supramental conserve cette conscience de soi par identité comme sa substance de connaissance de soi et sa lumière de création de soi ; mais pour cette création, il présente l'Être à lui-même comme le sujet-objet, un et multiple, de sa propre conscience active. L'Être en tant qu'objet y est saisi en une suprême connaissance qui, par compréhension, peut à la fois le voir en elle-même comme objet de cognition et le voir subjectivement comme elle-même, mais peut aussi et simultanément, par appréhension, le projeter comme objet (ou objets) de cognition dans la circonférence de sa conscience; cet objet n'est pas autre, il fait partie de son être, mais cette partie, ou ces parties sont éloignées d'elle — autrement dit du centre de vision où l'être se concentre comme Connaissant, Témoin ou Purusha. Nous avons vu que, de cette conscience appréhensive, émerge le mouvement du Mental, le mouvement par lequel le connaissant individuel perçoit une forme de son être universel dans son altérité ; mais dans le Mental divin, il y a immédiatement, ou plutôt simultanément, un autre mouvement ou l'envers du même mouvement, un acte d'union dans l'être qui supprime cette division phénoménale et l'empêche, fût-ce pour un moment, de devenir pour le connaissant la seule chose réelle. Cet acte d'union consciente est représenté autrement dans le Mental diviseur, de façon obtuse, ignorante, toute extérieure, comme un contact, dans la conscience, entre êtres divisés et objets séparés, et en nous ce contact dans la conscience divisée est représenté, en son essence, par le principe sensoriel. Sur cette base des sens, sur ce contact d'union sujette à la division, l'action du mental pensant se fonde et prépare son retour à un principe supérieur d'union où la division est soumise et subordonnée à l'unité. La substance telle que nous la connaissons, la substance matérielle, est donc la forme en laquelle, agissant par les sens, le Mental entre en contact avec l'Être conscient dont il est lui-même un mouvement de connaissance.

Mais, de par sa nature même, le Mental tend à connaître et à percevoir la substance de l'être-conscient, non en son unité ou sa totalité, mais selon le principe de division. Il la voit, en quelque sorte, en points infinitésimaux qu'il réunit afin d'arriver à une totalité, et le Mental cosmique se projette en ces points de vue et ces associations

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et y demeure. Ainsi établi en eux, créateur par sa force inhérente en tant qu'exécutant de l'Idée-Réelle, contraint par sa propre nature de convertir toutes ses perceptions en énergie de vie — de même que le Tout-Existant convertit tous les aspects actualisés de Lui-même en l'énergie variée de Sa Force de conscience créatrice —, le Mental cosmique change ces multiples points de vue de l'existence universelle en points de vue de la Vie universelle ; il les change dans la Matière en formes d'être atomique animées par la vie qui les forme et gouvernées par le mental et la volonté qui actualisent la formation. En même temps, les existences atomiques qu'il forme ainsi, obéissant à la loi de leur être, tendent nécessairement à s'associer, à s'agréger ; et à tous ces agrégats, animés par la vie cachée qui les forme et par le mental et la volonté cachés qui les actualisent, s'attache la fiction d'une existence individuelle séparée. Selon que le mental y est implicite ou explicite, manifesté ou non manifesté, chaque objet, ou chaque existence individuelle de ce type, est soutenu par l'ego mécanique de sa force où la volonté d'être est muette et emprisonnée, mais néanmoins puissante, ou par son ego mental conscient de soi où la volonté d'être est libérée, consciente, séparément active.

Ce n'est donc pas la loi éternelle et originelle d'une Matière éternelle et originelle qui est la cause de l'existence atomique, mais la nature de l'action du Mental cosmique. La Matière est une création, et pour cette création l'infinitésimal, cette extrême fragmentation de l'Infini, était nécessaire comme point de départ ou comme base. L'éther peut exister et existe effectivement comme support intangible et quasi spirituel de la Matière, mais comme phénomène il ne semble pas qu'on puisse matériellement le déceler, du moins dans l'état actuel de notre connaissance. Subdivisons l'agrégat visible ou l'atome formel en atomes essentiels, réduisons-les en la poussière d'être la plus infinitésimale, nous arriverons encore — du fait de la nature du Mental et de la Vie qui les ont formés — à quelque ultime existence non atomique, instable peut-être, mais se reconstituant sans cesse dans le flux éternel de la force, phénoménalement, mais nous n'arriverons pas à une simple extension non atomique de la substance incapable de rien contenir. Une extension non atomique de la substance, une extension qui n'est pas une agrégation, une coexistence établie autrement que par distribution dans l'espace, sont des réalités d'existence et de substance pures; elles constituent une connaissance du supramental et un principe de son dynamisme, non un concept créateur du Mental diviseur, bien que

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le Mental puisse en prendre conscience derrière ses opérations. Elles sont la réalité qui sous-tend la Matière, non le phénomène que nous appelons Matière. Le Mental, la Vie et la Matière elle-même peuvent, en leur réalité statique, se fondre en cette pure existence et cette extension consciente, mais ils ne peuvent fonctionner, dans leur action, leur perception et leur formation de soi dynamiques, sur la base de cette unité.

Nous arrivons donc à cette vérité de la Matière, à savoir qu'il existe une extension conceptuelle de l'être qui s'élabore dans l'univers comme substance ou objet de conscience, et qu'en leur action créatrice le Mental et la Vie cosmiques représentent, au moyen de la division et de l'agrégation atomiques, par ce que nous appelons Matière. Mais cette Matière, de même que le Mental et la Vie, est encore l'Être ou Brahman en son action auto-créatrice. C'est une forme de la force de l'Être conscient, donnée par le Mental et réalisée par la Vie. Elle contient en soi, comme sa propre réalité, la conscience qui se cache à elle-même, involuée et absorbée dans le résultat de son auto-formation et donc oublieuse d'elle-même. Et si grossière ou si dénuée de sensibilité qu'elle nous paraisse, elle n'en est pas moins, pour l'expérience secrète de la conscience cachée en elle, la joie d'être qui s'offre à cette conscience secrète comme objet de sensation afin d'attirer cette divinité cachée hors de sa retraite. Être manifesté comme substance, la force de l'Être coulée en la forme, en une représentation imagée de la secrète conscience de soi, la joie s'offrant à sa propre conscience comme objet — qu'est-ce d'autre que Satchidânanda ? La Matière est Satchidânanda représenté à Sa propre expérience mentale comme base formelle de la connaissance, de l'action et de la joie d'être objectives.

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