La Vie Divine 1153 pages 2005 Edition
French Translation
  Cristof Alward-Pitoëff

ABOUT

Sri Aurobindo's principal work of philosophy and metaphysics, expounding a vision of spiritual evolution culminating in the transformation of man from a mental into a supramental being and the advent of a divine life upon earth.

La Vie Divine

Sri Aurobindo symbol
Sri Aurobindo

Sri Aurobindo's principal work of philosophy and metaphysics. In this book, Sri Aurobindo expounds a vision of spiritual evolution culminating in the transformation of man from a mental into a supramental being and the advent of a divine life upon earth. The material first appeared as a series of essays published in the monthly review Arya between 1914 and 1919. They were revised by Sri Aurobindo in 1939 and 1940 for publication as a book.

Sri Aurobindo Birth Centenary Library (SABCL) The Life Divine Vols. 18,19 1070 pages 1970 Edition
English
 PDF    philosophymetaphysics
Sri Aurobindo symbol
Sri Aurobindo

Sri Aurobindo's principal work of philosophy and metaphysics. In this book, Sri Aurobindo expounds a vision of spiritual evolution culminating in the transformation of man from a mental into a supramental being and the advent of a divine life upon earth. The material first appeared as a series of essays published in the monthly review Arya between 1914 and 1919. They were revised by Sri Aurobindo in 1939 and 1940 for publication as a book.

French Translations of books by Sri Aurobindo La Vie Divine 1153 pages 2005 Edition
French Translation
Translator:   Cristof Alward-Pitoëff  PDF    LINK

20

La philosophie de la renaissance

Ils ont une fin, ces corps d'une âme incarnée qui est éternelle; (...) elle ne naît ni ne meurt et il n'est pas vrai qu'ayant été elle ne sera plus. Elle est non née, ancienne, sempiternelle; elle n'est pas tuée lorsqu'est tué le corps. De même qu'un homme rejette ses vêtements usés et en prend de neufs, de même l'être incarné se dépouille de ses corps, et s'unit à des corps nouveaux. Certaine est la mort de ce qui naît, et certaine la naissance de ce qui meurt.

Gîta. II. 18; 2'0; 22,27.

Il y aune naissance et une croissance du moi. Suivant ses actes, l'être incarné revêt des formes successives en de multiples lieux; par la force des qualités propres à sa nature, il revêt des formes multiples, grossières et subtiles.

Shvetâshvatara Upanishad. V. 11,12.

Page 790


La naissance est le premier mystère spirituel de l'univers physique ; la mort est le second, qui donne un double nœud de perplexité au mystère de la naissance ; car la vie — qui serait autrement un fait de l'existence évident en soi — devient elle-même un mystère en vertu de ces deux choses qui semblent en être le début et la fin et qui, pourtant, se trahissant de mille façons, se révèlent n'être ni l'un ni l'autre, mais plutôt des étapes intermédiaires dans un processus occulte de la vie. À première vue, la naissance paraît être un constant jaillissement de vie dans une mort générale, une circonstance persistante dans l'universelle absence de vie de la Matière. Quand on l'examine de plus près, il commence à paraître plus probable que la vie est quelque chose d'involué dans la Matière, ou même un pouvoir inhérent de l'Énergie qui crée la Matière, mais qui ne peut apparaître que lorsque sont réunies les conditions nécessaires pour qu'elle puisse affirmer ses phénomènes caractéristiques et s'organiser de façon adéquate. Mais il y a, dans la naissance de la vie, quelque chose de plus qui participe à l'émergence — il y a un élément qui n'est plus matériel, un puissant soulèvement d'une flamme d'âme, une première vibration évidente de l'esprit.

Toutes les circonstances et toutes les conséquences connues de la naissance présupposent un inconnu antérieur ; et il y a, dans la vie, une suggestion d'universalité, une volonté de persistance, et, dans la mort, quelque chose d'inachevé, qui semblent indiquer un inconnu par-delà. Qu'étions-nous avant de naître ? Que sommes-nous après la mort ? Ces questions — dont les réponses sont intimement liées —, l'intellect humain se les est posées dès le début, mais il n'est encore parvenu à -aucune solution définitive. L'intellect, à dire vrai, est bien incapable de donner la réponse définitive, car celle-ci doit nécessairement se trouver par-delà les données de la conscience et de la mémoire physiques, qu'elles concernent l'espèce ou l'individu. Or ces données sont justement les seules que l'intellect ait l'habitude de consulter avec quelque

Page 791


confiance. Devant cette pénurie d'informations et cette incertitude, il tourne en rond, passant d'une hypothèse à l'autre, hypothèses qui, tour à tour, deviennent pour lui des conclusions. En outre, la solution dépend de la nature, de la source et du dessein du mouvement cosmique, et nous ne pourrons donc rien conclure, à propos de la naissance et de la vie et de la mort, de ce qui précède la naissance et de ce qui suit la mort, sans en avoir déterminé le sens.

La première question qui se pose est de savoir si l'avant et l'après sont d'ordre purement physique et vital ou, d'une certaine manière, principalement mental et spirituel. Si la Matière était le principe de l'univers, comme le prétend le matérialiste, s'il fallait trouver la vérité des choses dans la première formule à laquelle parvint Bhrigu, fils de Varuna, lorsqu'il médita sur le Brahman éternel : " La Matière est l'Éternel, car de la Matière tous les êtres naissent, par la Matière ils existent et à la Matière ils s'en retournent ", alors il serait impossible de s'interroger davantage. Avant de naître, nos corps rassembleraient leurs éléments constitutifs à partir de divers éléments physiques, au moyen de la semence et de la nourriture et sous l'influence, peut-être, d'énergies occultes mais toujours matérielles, tandis que notre être conscient subirait une préparation, par l'hérédité ou par quelque autre opération physiquement vitale ou physiquement mentale dans la Matière universelle, spécialisant son action et construisant l'individu par l'entremise du corps de nos parents, de la semence, des gènes et des chromosomes. Après la mort, le corps serait dissous en les éléments matériels, et l'être conscient serait replongé dans la Matière, bien que certains effets de son activité puissent survivre dans la mentalité et la vie générales de l'humanité ; cette survivance bien illusoire serait notre seul espoir d'immortalité. Mais puisqu'on ne peut plus prétendre que l'universalité de la Matière suffise à expliquer l'existence du Mental — et en vérité, la Matière elle-même ne peut plus s'expliquer par la Matière seule, car elle ne semble pas exister en soi —, nous devons rejeter cette solution facile et par trop évidente, et nous tourner vers d'autres hypothèses.

L'une d'entre elles est le vieux mythe religieux, l'ancien mystère dogmatique d'un Dieu qui, sans cesse, crée des âmes immortelles hors de son être, ou encore par son " souffle " ou son pouvoir-de-vie qui, il faut le supposer, pénètre dans la Nature matérielle, ou plutôt dans les corps qu'il crée en elle, et les vivifie intérieurement par un principe

Page 792


spirituel. Comme mystère de la foi, cette hypothèse peut se justifier et il n'est pas nécessaire de l'examiner, les mystères de la foi étant par vocation au-delà de toute question et de toute analyse; mais pour la raison et la philosophie, elle n'est guère convaincante et ne s'accorde pas à l'ordre connu des choses. Elle renferme en effet deux paradoxes qu'il est nécessaire de mieux justifier avant même de pouvoir les prendre en considération : d'abord, la création incessante d'êtres qui ont un commencement dans le temps mais pas de fin et, de surcroît, naissent quand naît le corps mais ne meurent pas avec lui ; ensuite, le fait que ces êtres assument une masse préfabriquée de qualités, de vertus, de vices, de capacités, de défauts, d'avantages et de handicaps caractériels et autres, qui se combinent et sont le résultat non de leur croissance, mais d'un fiât arbitraire — sinon d'une loi de l'hérédité — qui leur est imposé ; et pourtant, le Créateur les en tient responsables, et s'attend à ce qu'ils en fassent un parfait usage.

Nous pouvons — du moins provisoirement — considérer certains arguments comme des suppositions légitimes de la raison philosophique, et, en toute honnêteté, laisser à ceux qui les nient le soin de les réfuter. Parmi ces postulats, se trouve le principe selon lequel ce qui n'a pas de fin ne peut pas avoir eu de commencement; tout ce qui commence, ou tout ce qui est créé a une fin lorsque cesse le processus qui l'a créé et le maintient, ou lorsque se dissolvent les matériaux dont cette chose est composée, ou encore lorsque s'achève la fonction pour laquelle elle a pris naissance. S'il y a une exception à cette loi, ce doit être dû à une descente de l'esprit dans la matière, animant la matière par la divinité ou donnant à la matière son immortalité ; mais l'esprit même qui descend ainsi est immortel, il n'est ni construit ni créé. Si l'âme était créée pour animer le corps, si elle dépendait du corps pour venir à l'existence, cette existence ne pourrait avoir de raison d'être ou de fondement après la disparition du corps. Il faut naturellement supposer que le souffle ou le pouvoir donné pour animer le corps retournerait, lors de sa dissolution finale, à son Créateur. S'il persiste au contraire en tant qu'être immortel incarné, il doit y avoir un corps subtil ou psychique en lequel il continue d'exister, et il est raisonnablement certain que ce corps psychique et son habitant doivent préexister au véhicule matériel. Il est irrationnel de supposer qu'ils ont été créés à l'origine pour habiter cette forme fugitive et périssable. Un être immortel ne peut être le produit d'un incident aussi éphémère dans la création. Si l'âme demeure, mais désincarnée,

Page 793


alors elle ne peut avoir eu, au commencement, à dépendre d'un corps pour exister; elle a dû subsister comme esprit non incarné avant la naissance, de même qu'elle persiste comme entité spirituelle désincarnée après la mort.

. Nous pouvons aussi postuler que tout stade de développement observé dans le Temps, doit avoir eu un passé. Par conséquent, si l'âme entre dans cette vie dotée d'une personnalité déjà développée, elle doit l'avoir préparée dans d'autres vies antérieures, ici ou ailleurs. Ou, si elle ne fait que reprendre une vie et une personnalité toutes faites, qu'elle n'a pas préparées elle-même, mais qui l'ont été, peut-être, par une hérédité physique, vitale et mentale, elle doit être elle-même quelque chose de tout à fait indépendant de cette vie et de cette personnalité, qui n'est relié que fortuitement au mental et au corps et ne peut donc être réellement affecté par ce qui est fait ou développé dans cette existence mentale et corporelle. Si l'âme est réelle et immortelle, si elle n'est pas un être fabriqué ou symbolique, elle doit aussi être éternelle, sans commencement dans le passé et sans fin dans l'avenir; et si elle est éternelle, elle doit être un moi permanent qui n'est pas affecté par la vie et ses conditions, ou bien un Purusha intemporel, une Personne spirituelle éternelle qui manifeste ou génère dans le temps le courant d'une personnalité changeante. Si elle est une telle Personne, elle ne peut manifester ce courant de personnalité dans un monde de naissance et de mort qu'en revêtant des corps successifs — en un mot, par une renaissance constante ou répétée dans les formes de la Nature.

Mais l'immortalité ou l'éternité de l'âme ne s'impose pas d'emblée, même si nous refusons d'expliquer toutes choses par la Matière éternelle. Car selon une autre hypothèse, une âme temporaire ou apparente serait créée par quelque pouvoir de l'Unité originelle dont procèdent toutes choses, par laquelle elles vivent et en laquelle elles prennent fin. D'une part, sur la base de certaines idées ou découvertes récentes, nous pouvons édifier la théorie d'un Inconscient cosmique créant une âme temporaire, une conscience qui, après un jeu de courte durée, s'éteint et retourne dans l'Inconscient. Ou bien il peut y avoir un Devenir éternel qui se manifeste dans une force-de-Vie cosmique, l'apparition de la Matière étant la finalité objective de ses opérations, et l'apparition du Mental sa finalité subjective, l'interaction de ces deux phénomènes de la force-de-Vie créant notre existence humaine. Nous avons d'autre part

Page 794


l'ancienne théorie d'un Supraconscient qui seul existe, d'un Être éternel et non modifiable qui admet la possibilité, ou par Sa Maya nous donne l'illusion, d'une vie de l'âme individuelle en ce monde de Matière et de Mental phénoménaux, tous deux étant en fin de compte irréels — même s'ils possèdent ou assument une réalité temporaire et phénoménale —, puisqu'un Moi ou Esprit unique, non modifiable et éternel est la seule entité. Il y a aussi la théorie bouddhique d'un Néant ou Nirvana, et, superposée en quelque sorte, l'action ou l'énergie éternelles d'un devenir successif. Karma, qui crée l'illusion d'une permanence du moi ou de l'âme par une continuité ininterrompue d'associations, d'idées, de souvenirs, de sensations, d'images. Si l'on considère leur effet sur le problème de la vie, ces trois explications n'en font pratiquement qu'une, car même le Supraconscient est, pour les desseins de l'action universelle, un équivalent de l'Inconscient ; il ne peut avoir conscience que de sa propre existence en soi immuable. La création d'un monde d'êtres individuels par la Maya se superpose à cette, existence en soi ; elle se produit peut-être dans une sorte de sommeil de la conscience absorbé en lui-même, sushupti,¹ d'où émergent pourtant toute conscience active et toute modification du devenir phénoménal, exactement comme dans la théorie moderne notre conscience est un développement impermanent issu de l'Inconscient. Dans les trois théories, l'âme apparente, l'individualité spirituelle de la créature, n'est pas immortelle dans le sens d'une éternité, elle a un commencement et une fin dans le Temps ; elle est créée par la Maya ou par la Force de la Nature, ou par l'Action cosmique, à partir de l'Inconscient ou du Supraconscient et, dès lors, son existence est impermanente. Dans les trois théories, la renaissance est soit inutile, soit illusoire ; elle est le prolongement d'une illusion par répétition, ou un rouage additionnel qui tourne parmi les nombreuses roues du mécanisme complexe du Devenir, ou encore elle se trouve exclue, une seule naissance étant tout ce que peut réclamer un être conscient engendré par hasard et faisant partie d'une création inconsciente.

Dans ces conceptions, que nous considérions l'Existence éternelle et unique comme un Devenir vital ou un Être spirituel immuable et non modifiable, ou comme un Non-Être sans nom ni forme, ce que nous appelons l'âme ne peut être qu'une masse changeante ou un courant de

¹Le Prâjña de la Mândûkya Upanishad; le Moi situé dans le sommeil profond, est le seigneur et créateur des choses.

Page 795


phénomènes de conscience qui est né dans l'océan d'un devenir réel ou illusoire et cessera d'y exister — ou peut-être est-ce un substrat spirituel temporaire, un reflet conscient de l'Éternel supraconscient qui, par sa présence, soutient la masse des phénomènes. Elle n'est pas éternelle, et sa seule immortalité est une continuité plus ou moins grande dans le Devenir. Elle n'est pas une Personne réelle et toujours existante qui maintient le flux ou la masse des phénomènes et en fait l'expérience. Ce qui les soutient, ce qui existe réellement et toujours, c'est ou bien le Devenir unique et éternel, ou bien l'Être unique, éternel et impersonnel, ou bien encore le courant continuel du jeu de l'Énergie. Dans une théorie de ce genre, il n'est pas indispensable qu'une entité psychique, toujours la même, persiste et revête corps après corps, forme après forme, jusqu'à ce qu'elle soit enfin dissoute par quelque processus annulant complètement l'élan originel qui a créé ce cycle. Il est tout à fait possible qu'en même temps que la forme, se développe une conscience "correspondant à cette forme, et que lorsque la forme se dissout, la conscience correspondante se dissolve également. Seul perdure l'Un qui forme tout. Ou bien, de même que le corps est constitué à partir des éléments généraux de la Matière, et que sa vie commence à la naissance et se termine à la mort, de même se peut-il que la conscience soit élaborée à partir des éléments généraux du mental et qu'elle aussi commence avec la naissance pour finir avec la mort. Là encore, l'Un qui, par la Maya ou autrement, fournit la force qui crée les éléments, est la seule réalité permanente. Dans aucune de ces théories de l'existence, la renaissance n'est une nécessité absolue ni un résultat inévitable.¹

Mais en réalité, nous constatons une grande différence, car les anciennes théories affirment que la renaissance fait partie du processus universel — ce que nient les théories modernes. La pensée moderne considère que le corps physique est la base de notre existence et ne reconnaît de réalité à nul autre monde qu'à cet univers matériel. Ce qu'elle voit ici, c'est une conscience mentale associée à la vie du corps, qui, à sa naissance, ne donne aucun signe d'une existence individuelle antérieure, et ne laisse, à la fin, aucun signe d'une existence individuelle

¹Dans la théorie bouddhique, la renaissance est inévitable, à cause du Karma; ce n'est pas l'âme, mais le Karma qui sert de lien dans une conscience apparemment continue — car en fait la conscience change à chaque instant : il y a cette continuité apparente de la conscience, mais pas réellement d'âme immortelle qui naisse et passe par la mort du corps pour renaître dans un autre corps.

Page 796


ultérieure. Ce qu'il y avait avant la naissance, c'est l'énergie matérielle avec sa semence de vie, ou tout au plus une énergie de la force-de-vie qui persiste dans la semence transmise par les parents et qui, par la mystérieuse infusion de ses développements passés dans ce véhicule insignifiant, donne une empreinte mentale et physique particulière au nouveau corps et au nouveau mental individuels créés de façon aussi étrange. Ce qui subsiste après la mort, c'est la même énergie matérielle ou;la; même force-de-vie persistant dans la semence transmise aux enfants et qui agit pour le développement ultérieur de la vie mentale et physique qu'elle apporte. Rien ne reste de nous, hormis ce que nous transmettons ainsi aux autres ou ce que l'Énergie — qui a formé l'individu par son action préexistante et environnante, par la naissance et le milieu — peut emporter, comme fruit de sa vie et de ses œuvres, dans son action future. Seul survit ce qui, par hasard ou en raison de quelque loi physique, peut aider à former les éléments et les milieux mentaux et vitaux d'autres individus. Derrière ces phénomènes tant mentaux que physiques, il y a peut-être une Vie universelle dont nous sommes les devenirs individualisés, évolutifs et phénoménaux. Cette Vie universelle crée un monde réel et des êtres réels, mais la personnalité consciente de ces êtres n'est pas, ou du moins n'a pas besoin d'être le signe ou la forme de conscience d'une âme éternelle ou même durable, ou d'une Personne supraphysique : rien dans cette formule de l'existence ne nous oblige à croire en une entité psychique qui subsiste après la mort du corps. Il ne reste dès lors plus aucune raison — et fort peu de place — pour admettre la renaissance dans l'ordre des choses.

Mais qu'en serait-il si, avec l'accroissement de nos connaissances, et comme certaines recherches et découvertes semblent le présager, nous nous apercevions que l'être mental ou l'entité psychique en nous ne dépendent pas aussi complètement du corps que nous l'avions d'abord et naturellement conclu en nous fondant sur la seule étude des données de l'existence physique et de l'univers physique ? Si nous découvrions que la personnalité humaine survit à la mort du corps et se meut entre d'autres plans et cet univers matériel ? Il faudrait alors que la conception moderne prédominante, qui suppose une existence consciente temporaire, s'élargisse et admette une Vie dont le champ est plus vaste que l'univers physique, et admette également une individualité personnelle qui ne dépende pas du corps matériel. Pratiquement, il lui faudrait peut-être reprendre l'ancienne conception d'une forme subtile ou d'un

Page 797


corps subtil habité par l'entité psychique. Une entité psychique ou âme, porteuse de la conscience mentale, ou, si une telle âme originelle n'existe pas, un individu mental évolué, permanent, subsisterait après la mort dans cette forme subtile, et permanente elle aussi, qui aurait été nécessairement créée pour lui, soit avant cette naissance, soit par la naissance elle-même ou pendant la vie. Car, ou bien une entité psychique préexiste en d'autres mondes dans une forme subtile, et l'emporte avec elle pour son bref séjour terrestre, ou bien l'âme se développe ici, dans le monde matériel lui-même, tandis qu'un corps psychique se développe suivant la progression de la Nature, et subsiste après la mort en d'autres mondes ou en se réincarnant sur terre. Ce seraient les deux seules explications possibles.

Une Vie universelle évolutive peut avoir élaboré sur terre la personnalité croissante qui est à présent devenue nous-mêmes, avant même d'entrer dans un corps humain. L'âme en nous peut avoir évolué dans des formes inférieures de vie avant que l'homme n'ait été créé. Dans ce cas, notre personnalité aurait auparavant habité des formes animales, et le corps subtil serait une formation plastique portée de naissance en naissance, mais s'adaptant à toute forme physique que peut habiter l'âme. Ou bien la Vie évolutive a peut-être le pouvoir de construire une personnalité capable de survivre, mais seulement dans la forme humaine, une fois que celle-ci a été créée. Cela se produirait par la force d'une soudaine croissance de la conscience mentale ; une enveloppe de substance mentale subtile pourrait en même temps se développer et contribuer à individualiser cette conscience mentale, et lui servirait alors de corps intérieur, tout comme la forme physique grossière est organisée de manière à individualiser et abriter à la fois le mental et la vie de l'animal. Dans la première hypothèse, nous devons admettre que l'animal, lui aussi, survit à la dissolution du corps physique et possède une certaine formation d'âme qui, après la mort, occupe d'autres formes animales sur la terre et, finalement, un corps humain. Il n'est guère vraisemblable, en effet, que l'âme animale quitte la terre et pénètre en des plans de vie autres que le plan physique, et revienne continuellement ici-bas jusqu'à ce qu'elle soit prête pour une incarnation humaine. L'individualisation consciente de l'animal ne semble pas suffisante pour supporter un tel transfert ou s'adapter à une existence en d'autres mondes. Dans la seconde hypothèse, la capacité de survivre ainsi à la mort du corps physique en passant dans d'autres états d'existence, ne se manifesterait

Page 798


qu'au stade humain de l'évolution. Si l'âme n'est pas une personnalité élaborée par la Vie au cours de l'évolution, mais une réalité permanente non évolutive, dont la vie et le corps terrestres sont le champ nécessaire, alors il faudrait admettre effectivement la théorie de la renaissance conçue comme une transmigration, au sens pythagoricien. Mais si elle est une entité évolutive persistante, capable de dépasser le stade terrestre, alors la conception indienne d'un passage en d'autres mondes et d'un retour à la naissance terrestre deviendrait possible et hautement probable. Mais elle ne serait pas inévitable, car on pourrait supposer que la personnalité humaine, une fois capable d'atteindre d'autres plans, n'a pas besoin d'en revenir. En l'absence de quelque raison supérieure impérative, elle poursuivrait naturellement son existence sur le plan plus élevé qu'elle aurait atteint : elle en aurait fini avec l'évolution de la vie sur terre. Il faudrait que nous soyons confrontés à des preuves réelles d'un retour sur la terre pour qu'une hypothèse plus vaste s'impose et nous oblige à admettre le fait, de la renaissance récurrente dans des formes humaines.

Mais même alors, la théorie vitaliste qui en découle n'a nul besoin de se spiritualiser, nul besoin d'admettre l'existence réelle d'une âme, ni dé son immortalité, ni de son éternité. Elle pourrait encore considérer la personnalité comme une création phénoménale de la Vie universelle due à l'interaction de la conscience-de-vie d'une part, de la forme et de la force physiques de l'autre, mais avec une action mutuelle plus vaste, plus variable et plus subtile, et une histoire différente de celle qu'elle avait d'abord crue possible. Elle pourrait même arriver à une sorte de bouddhisme vitaliste, admettant le Karma, mais n'y voyant que l'action d'une force-de-Vie universelle. Elle admettrait comme l'une de ses conséquences la continuité du courant de la personnalité dans les renaissances par association mentale, mais pourrait refuser tout moi réel à l'individu, ou tout être éternel autre que ce Devenir vital perpétuellement actif. Elle pourrait aussi, obéissant à une nouvelle tendance de la pensée qui commence tout juste à s'affirmer, admettre qu'un Moi universel, un Esprit cosmique, est la réalité primordiale dont la Vie est le pouvoir ou l'agent, et parvenir ainsi à une forme de monisme vital spiritualisé. Dans cette théorie aussi, une loi de la renaissance serait possible, mais non impérative. La renaissance pourrait être un fait phénoménal, une loi réelle de la vie, mais elle ne serait pas un résultat logique de la théorie de l'être et sa conséquence inéluctable.

Page 799


L'Advaïta du Mâyâvâda, comme le bouddhisme, est parti de la croyance déjà bien établie — et qui faisait partie du fonds d'un très ancien savoir — en des plans et des mondes supraphysiques et en un échange entre ces plans et les nôtres déterminant un passage hors de la terre et — mais cette découverte semble avoir été plus récente — un retour sur terre de la personnalité humaine. En tout cas, leur pensée s'appuyait sur une ancienne perception, voire une ancienne expérience, ou du moins une tradition séculaire d'un avant et d'un après pour la personnalité qui n'était pas limitée à l'expérience de l'univers physique. Ils se fondaient en effet sur une vision du moi et du monde qui faisait de la conscience supraphysique le phénomène primordial, et de l'être physique un simple phénomène secondaire et subordonné. C'est autour de ces données qu'ils durent déterminer la nature de la Réalité éternelle et l'origine du devenir phénoménal. Il fut donc admis que la personnalité passe de ce monde en d'autres mondes et revient sur la terre pour y revêtir une nouvelle forme de vie ; mais cette conception de la renaissance n'était pas, du point de vue bouddhique, la vraie renaissance d'une vraie Personne spirituelle dans les formes de l'existence matérielle. Dans la conception ultérieure de l'Advaïta, la réalité spirituelle existe bien, mais son individualité apparente et, par conséquent, sa naissance et sa renaissance font partie d'une illusion cosmique, d'une construction trompeuse mais effective de ta Maya universelle.

La pensée bouddhique niait l'existence du Moi, et la renaissance ne pouvait signifier qu'une continuité des idées, des sensations et des actions constituant un mouvement individuel fictif entre différents mondes ou, si l'on veut, entre des plans de l'idée; et de la sensation différemment organisés; car en fait, seule la continuité consciente du flux crée le phénomène du moi et le phénomène de la personnalité. Dans le Mâyâvâda advaïtin, on admit un Jîvâtman, un moi individuel, et même un moi réel de l'individu ' ; mais cette concession au langage courant et à nos idées habituelles finit par n'être qu'apparente. Il s'avère en effet qu'il n'y a pas d'individu réel et éternel, pas de " je " ou de " toi ", et qu'il ne peut donc y avoir de moi réel de l'individu, ni même de vrai moi universel, mais seulement un Moi en dehors de l'univers, 'à jamais non né, à jamais non modifié, à jamais non affecté par les

¹Dans cette conception, le Moi est un, il ne peut être multiple ni se multiplier. Il ne peut donc y avoir de véritable individu, tout au plus un Moi unique omniprésent qui anime chaque mental et chaque corps avec l'idée d'un " je ".

Page 800


mutations phénoménales. La naissance, la vie, la mort, toute la masse de l'expérience individuelle et cosmique, nous apparaissent, en dernière analyse, comme une simple illusion ou un phénomène temporaire; la servitude et la libération elles-mêmes ne peuvent être qu'une semblable illusion, et faire partie des phénomènes temporels : elles se réduisent à la continuité consciente des expériences illusoires de l'ego, lui-même une création de la grande Illusion, et à la cessation de la continuité et de la conscience dans la supraconscience de Cela qui, seul, était, est et à jamais sera, ou plutôt qui n'a rien à faire avec le Temps,est à: jamais non né, hors du temps, ineffable.

Dans là vision vitaliste des choses, il y a donc un univers réel et un devenir réel, encore que très temporaire, de la vie individuelle, et même s'il n'existe pas de Purusha permanent, cela donne néanmoins une importance considérable à notre expérience et à nos actions individuelles -— car c'est dans un devenir réel qu'elles ont vraiment un effet. Dans la théorie du en naissance, en revanche, ces choses n'ont pas d'importance réelle ou d'effet véritable, ou pas plus qu'elles n'en auraient dans un rêve. En effet, la libération elle-même n'a lieu que dans le rêve ou l'hallucination cosmiques, une fois l'illusion reconnue et le mental et le corps individualisés abolis; en réalité, nul n'est enchaîné et nul n'est libéré, car le Moi, qui seul existe, n'est pas affecté par les illusions de l'ego. Pour échapper à une stérilité dévastatrice, qui en serait la conséquence logique, nous devons prêter une réalité pratique, si fausse qu'elle s'avère en définitive, à cette conséquence de rêve et une importance immense à notre servitude et à notre libération individuelle, même si la vie de l'individu n'est que phénoménale et même si, pour le Moi unique et réel servitude et libération ne sont et ne peuvent être que non existantes. Dans cette concession forcée au mensonge tyrannique de la Maya, la vie et l'expérience n'ont de véritable importance que dans la mesure où elles préparent la négation de la vie, l'élimination de l'individu par lui-même, la fin de l'illusion cosmique.

Cependant, ce sont là une conception et une conséquence extrêmes de la thèse moniste, et le védantisme plus ancien de l'Advaïta, qui part des Upanishad, ne va pas si loin. Il admet un devenir actuel et temporel de l'Éternel, et donc un univers réel. L'individu revêt lui aussi une réalité suffisante, car chaque individu est en soi l'Éternel qui a assumé un nom et une forme et soutient, à travers cet individu, les expériences de la

Page 801


vie, tournant sur la roue toujours en mouvement de la naissance dans la manifestation. Ce qui fait tourner la roue, c'est le désir de l'individu, qui devient ainsi la cause effective de la renaissance, et le mental qui se détourne de la connaissance du moi éternel pour se préoccuper du devenir temporel. Lorsque cessent ce désir et cette ignorance, l'Éternel dans l'individu se retire des mutations de la personnalité et de l'expérience individuelles et retourne en son être intemporel, impersonnel et immuable.

Mais cette réalité de l'individu est tout à fait temporelle ; elle n'a pas de base durable, pas même de récurrence perpétuelle dans le Temps. Bien qu'elle soit une réalité très importante dans cette explication de l'univers, la renaissance n'est pas une conséquence inévitable du rapport entre l'individualité et le but de la manifestation. La manifestation, en effet, ne semble avoir d'autre objet que la volonté de l'Éternel de créer le monde, et elle ne peut prendre fin que si cette volonté se retire ; cette volonté cosmique pourrait s'accomplir sans aucun mécanisme de renaissance et sans le désir de l'individu pour la maintenir; son désir, en effet, ne peut être qu'un ressort du mécanisme, il ne saurait être la cause ou la condition nécessaire de l'existence cosmique, puisque dans cette conception, l'individu est lui-même un résultat de la création et ne préexiste pas au Devenir. La volonté de création pourrait alors s'accomplir en assumant temporairement une individualité en chaque nom et chaque forme, unique vie de nombreux individus impermanents. L'unique conscience se façonnerait suivant le type de chaque être créé, mais elle pourrait fort bien commencer en chaque corps individuel avec l'apparition de la forme physique et prendre fin avec elle. L'individu succéderait à l'individu, comme la vague à la vague, l'océan demeurant toujours identique,¹ chaque formation d'être conscient surgirait de l'universel, roulerait pendant le temps qui lui est imparti, et s'immergerait à nouveau dans le Silence. La nécessité, pour un tel dessein, d'une

¹Dans son livre sur la pensée indienne, le Dr Schweitzer affirme que telle était la vraie signification de l'enseignement des Upanishad, et que la renaissance est une invention ultérieure. Mais il existe de nombreux passages importants dans presque toutes les Upanishad où l'idée de renaissance est clairement énoncée, et de toutes façons elles admettent que la personnalité survit après la mort et passe dans d'autres mondes, ce qui est incompatible avec une telle interprétation. S'il y a survie dans d'autres mondes, et si les âmes incarnées ici-bas sont destinées à atteindre finalement la libération dans le Brahman, alors la renaissance s'impose et il n'y a pas de raison de supposer que c'est une théorie plus récente. L'auteur, évidemment influencé par la philosophie occidentale et ses associations, donne un sens simplement panthéiste à la pensée plus subtile et complexe de l'ancien Védânta.

Page 802


conscience individualisée continue, persistante, revêtant nom après nom et forme après forme, allant et venant d'un plan à l'autre, n'est pas évidente et même sa possibilité ne s'impose pas catégoriquement; il y a encore moins de place pour un progrès évolutif se poursuivant inéluctablement dans des formes de plus en plus développées, comme doit le supposer toute théorie de la renaissance qui affirme que l'involution et l'évolution de l'Esprit dans la Matière constituent la formule significative de notre existence terrestre.

Il est concevable que l'Éternel ait réellement pu choisir de se manifester, ou plutôt de se dissimuler ainsi dans le corps; il peut avoir voulu devenir ou prendre l'apparence d'un individu passant de la naissance à la mort et de la mort à une nouvelle vie en un cycle d'existence humaine et animale durable et récurrente. L'Être unique personnalisé passerait par diverses formes de devenir selon sa fantaisie ou suivant quelque loi des conséquences de l'action, jusqu'à ce qu'une illumination, un retour a l'Unité, un retrait du Seul et Identique hors de cette individualisation particulière y mette fin. Mais aucune Vérité déterminante, originelle et finale, ne donnerait à un tel cycle une quelconque signification. Rien ne le rendrait nécessaire ; ce serait seulement un jeu, une Lîlâ. Cependant, si l'on admet que l'Esprit s'est involué dans l'Inconscience et se manifeste dans l'être individuel suivant une gradation évolutive, alors tout le processus prend un sens et devient cohérent : l'ascension progressive de l'individu devient la note dominante de ce sens cosmique, et la renaissance de l'âme dans le corps devient une conséquence naturelle et inévitable de la vérité du Devenir et de sa loi inhérente. La renaissance est un mécanisme indispensable à l'accomplissement d'une évolution spirituelle ; c'est la seule condition effective possible, le processus dynamique évident d'une telle manifestation dans l'univers matériel.

Selon nous, et c'est ainsi que s'explique l'évolution dans la Matière, l'univers est un processus de création de soi d'une Réalité suprême dont la présence fait de l'esprit la substance des choses — toutes choses existent en lui en tant que pouvoirs, moyens et formes de la manifestation de l'Esprit. Une existence infinie, une conscience infinie, une force et une volonté infinies, une joie d'être infinie, sont la secrète Réalité derrière les apparences de l'univers; son Supramental divin ou Gnose divine a arrangé l'ordre cosmique, mais indirectement, par l'intermédiaire des .trois termes subordonnés et limitatifs, dont. nous sommes conscients ici :

Page 803


le Mental, la Vie et la Matière. L'univers matériel est le stade le plus bas d'une plongée de la manifestation, d'une involution de l'être manifesté de cette Réalité tri-une en une apparente nescience de soi, que nous appelons maintenant l'Inconscient ; mais l'évolution, hors de la nescience, dé cet être manifesté vers une conscience de soi recouvrée était, dès le début, inévitable. Inévitable parce que ce qui est involué doit évoluer ; en effet, cet être n'est pas là seulement comme une existence, comme une force cachée dans son contraire apparent — et toute force de ce genre, en sa nature la plus profonde, est nécessairement poussée à se trouver, à se réaliser, à se libérer dans le jeu —, il est la réalité de ce qui le dissimule, il est le moi que la Nescience a perdu, et c'est pourquoi tout le sens secret, la tendance constante de son action doivent être de le rechercher et de le recouvrer. Or c'est l'être individuel conscient qui rend cela possible; c'est en lui que la conscience évolutive s'organise et devient capable de s'éveiller à sa propre Réalité. L'immense importance de l'être individuel, qui augmente à mesure qu'il s'élève dans l'échelle, est le fait le plus remarquable et le plus significatif d'un univers qui a commencé sans conscience ni individualité dans une Nescience indifférenciée. Cette importance ne peut se justifier que si le Moi en tant qu'individu n'est pas moins réel que le Moi en tant qu'Être ou Esprit cosmique, et que s'ils sont tous deux des pouvoirs de l'Éternel. Ainsi seulement peut-on expliquer le fait que la croissance de l'individu et sa découverte de lui-même soient une condition nécessaire à la découverte du Moi et de là Conscience cosmiques, et de la Réalité suprême. Si nous adoptons cette solution, la persistance de l'individu devient une réalité, c'est la première conséquence ; mais une autre en résulte, et c'est qu'une certaine forme de renaissance n'est plus un mécanisme possible, acceptable ou non : elle devient une nécessité, un résultat inévitable de la nature fondamentale de notre existence.

Car il ne suffit plus de supposer qu'un individu illusoire ou temporaire ait été créé dans chaque forme par le jeu de la conscience; on ne peut plus concevoir l'individualité comme un accompagnement du jeu de la conscience sous la forme d'un corps, qui peut ou non survivre à la forme, prolonger ou non la fausse continuité de son moi de forme en forme, de vie en vie, mais n'a certainement aucun besoin de le faire. Dans ce monde, ce que nous croyons voir tout d'abord, c'est un individu prenant la place d'un autre individu sans aucune continuité : la forme se dissout, l'individualité fausse ou transitoire se dissout en même

Page 804


temps, tandis que seule l'Énergie universelle ou quelque Être universel demeure à jamais; il se pourrait très bien que cela soit tout le principe de la manifestation cosmique. Mais si l'individu est une réalité persistante, une part ou un pouvoir éternels de l'Éternel, si la croissance de sa conscience est le moyen par lequel l'Esprit dans les choses dévoile son être, le cosmos se révèle être une manifestation conditionnée du jeu de l'Un éternel dans l'être de naissance avec l'éternel Multiple. Alors, a l'abri derrière tous les changements de notre personnalité, soutenant le flot de ses mutations, il doit y avoir une Personne vraie, un Individu spirituel réel, un Purusha véritable. L'Un étendu dans l'universalité existe en chaque être et s'affirme en cette individualité de lui-même. Dans l'individu, il dévoile son existence totale par l'unité avec tous dans l'universalité. Dans l'individu, il dévoile aussi sa transcendance en tant qu'Éternel en qui se fonde toute l'unité universelle. Cette trinité de la manifestation de soi, cette prodigieuse Lîlâ de l'Identité multiple, cette magie de la Maya ou ce miracle protéen de la consciente vérité d'être de l'Infini, est la révélation lumineuse qui, par une lente évolution, émerge de l'Inconscience originelle.

Si cette découverte de soi n'était pas nécessaire, mais que seule existât la jouissance éternelle de ce jeu de l'être de naissance — et cette jouissance éternelle est la nature même de certains états suprêmes de l'existence consciente —, il n'aurait pas été nécessaire que l'évolution et la renaissance entrent en jeu. Mais il y a ,eu involution de cette unité dans le Mental diviseur, une plongée dans cet oubli de soi nous fait perdre le sens toujours présent de l'unité complète, et fait que le jeu de la différence séparatrice — phénoménale, puisque l'unité réelle dans la différence demeure entière à l'arrière-plan — vient au premier plan comme réalité dominante. Ce jeu de la différence a pris la forme extrême du sens de la division lorsque ce Mental diviseur s'est précipité dans une forme corporelle où il devient conscient de lui-même en tant qu'ego séparé. Une involution de la conscience-de-soi dynamique de naissance dans une Nescience phénoménale a fourni une base dense et solide à ce jeu de la division en un monde de formes matérielles séparatrices. C'est cette base dans la Nescience qui assure la division, parce qu'elle s'oppose impérieusement à un retour à la conscience de l'unité; mais, en dépit de son obstruction effective, elle est néanmoins phénoménale et peut prendre fin, car en elle, au-dessus d'elle et la soutenant, est l'Esprit omniconscient, et il s'avère

Page 805


que là Nescience apparente n'est qu'une concentration, une action exclusive de la conscience, que sa plongée abyssale et son absorption dans le processus matériel formateur et créateur a jeté dans une transe où elle s'oublie elle-même. Dans un univers phénoménal ainsi créé, là forme séparatrice devient le fondement et le point de départ de toute son action vitale ; c'est pourquoi le Purusha individuel, en élaborant ses relations cosmiques avec l'Un, doit, dans ce monde physique, se fonder sur la forme et revêtir un corps ; c'est de ce corps qu'il doit faire sa propre base et son point de départ pour développer la vie, le mental et l'esprit dans l'existence physique. Revêtir un corps, c'est ce que nous appelons naître, et ce n'est qu'en ce corps et sur la terre que le moi peut se développer, et se déployer le jeu des relations entre l'individu et l'universel et tous les autres individus; ce n'est qu'en lui que, par un développement progressif, notre être conscient peut croître et effectuer la reconquête suprême de son unité avec Dieu et avec tous en Dieu. Toute la somme de ce que nous appelons la Vie dans le monde physique est un progrès de l'âme et s'accomplit par la naissance dans le corps : c'est là son pivot, la condition de son action et de sa continuité évolutive.

La naissance est donc une nécessité de la manifestation du Purusha sur le plan physique ; mais qu'elle soit humaine ou autre, cette naissance ne peut être, en cet ordre cosmique, un accident isolé ou l'excursion soudaine d'une âme dans le physique sans aucune préparation antérieure ni aucun accomplissement futur. Dans un monde d'involution et d'évolution, non de la seule forme physique, mais de l'être conscient, à travers la vie et le mental jusqu'à l'esprit, assumer isolément la vie dans le corps humain ne pourrait être la règle de l'existence de l'âme individuelle ; ce serait là un arrangement dépourvu de sens et sans conséquence, une aberration qui n'a aucune place dans la nature et le système des choses tels qu'ils existent sur terre, une violente contradiction qui romprait le rythme de la manifestation de soi de l'Esprit. L'intrusion d'une telle règle de la vie de l'âme individuelle dans une progression spirituelle évolutive en ferait un effet sans cause et une cause sans effet ; ce serait un présent fragmentaire sans passé ni futur. La vie de l'individu doit avoir le même rythme de signification, la même loi de progression que la vie cosmique ; sa place dans ce rythme ne peut être une intervention fortuite et sans but, ce doit être une instrumentation permanente du dessein cosmique. Dans un ordre de ce genre, nous ne pouvons pas non plus expliquer une apparition isolée, une unique naissance de l'âme

Page 806


dans le corps humain — qui serait la première et la dernière expérience du genre — par une existence antérieure en d'autres mondes, avec un avenir qui l'attendrait dans encore d'autres champs d'expérience. Car ici, la vie sur la terre, la vie dans l'univers physique n'est pas et ne peut être un simple perchoir où l'âme se poserait à l'occasion, tandis qu'elle vagabonde de monde en monde ; c'est un grand et lent développement qui nécessite, nous le savons maintenant, d'incalculables espaces dé Temps pour évoluer. La vie humaine n'est elle-même qu'un terme dans une série de degrés par laquelle l'Esprit secret dans l'univers mûrit peu à peu son dessein et, finalement, le réalise grâce à la conscience de l'âme individuelle qui, dans le corps, s'élargit et s'élève. Cette ascension ne peut s'effectuer que par la renaissance dans l'ordre ascendant ; la visite éclair d'une âme individuelle qui s'en irait ailleurs et sur une autre ligne poursuivre son progrès, n'aurait aucune place dans le système de cette existence évolutive.

L'âme humaine, l'individu humain, n'est pas non plus une libre voyageuse qui, capricieusement ou d'un pas léger, se hâte à son gré de domaine en domaine, sans contrainte, suivant les variations de son action libre et spontanée et de ses conséquences. Cette radieuse conception de la pure liberté spirituelle peut avoir sa vérité dans des plans au-delà ou dans une libération finale, mais ce n'est pas, à l'origine, une vérité de la vie terrestre, de la vie dans l'univers physique. La naissance humaine dans ce monde, sous son aspect spirituel, se compose de 'deux éléments : une Personne spirituelle et une âme personnelle ; la première est l'être éternel de l'homme, la seconde son être cosmique et changeant. En tant que personne impersonnelle et spirituelle, il est un en sa nature et son être avec la liberté de Satchidânanda qui, sur terre, a accepté ou voulu son involution dans la Nescience pour suivre un certain cycle d'expériences de l'âme, impossibles autrement, et qui préside secrètement à son évolution. En tant qu'âme personnelle, il fait lui-même partie de ce long développement des expériences de l'âme dans les formes de la Nature ; sa propre évolution doit suivre les lois et les lignes de l'évolution universelle. En tant qu'esprit, il est un avec la Transcendance qui est immanente dans le monde et l'englobe; en tant qu'âme, il est un avec l'universalité de Satchidânanda qui s'exprime dans le monde, et en fait en même temps partie; son expression de soi doit traverser les étapes de la progression cosmique, l'expérience de son âme doit suivre les révolutions de la roue du Brahman dans l'univers.

Page 807


L'Esprit universel dans les choses, involué dans la Nescience de l'univers physique, fait évoluer son moi-de-nature suivant une succession de formes physiques, gravissant les degrés de la Matière, de la Vie, du Mental et de l'Esprit. Il émerge d'abord comme une âme secrète dans les formes matérielles, entièrement soumise en surface à la nescience ; il devient progressivement une âme encore secrète, mais sur le point d'émerger dans les formes vitales qui se tiennent à la frontière entre la nescience et cette lumière partielle de la conscience qu'est notre ignorance ; il poursuit sa croissance et devient l'âme dont la conscience s'éveille dans le mental animal et, finalement, l'âme plus consciente extérieurement, mais pas encore pleinement consciente, en l'homme : la conscience est tout le temps présente dans les parties occultes de notre être, le développement a lieu dans la Nature qui la manifeste. Ce développement évolutif a un aspect universel autant qu'individuel : l'Universel déploie les degrés de son être et la variation ordonnée de sa propre universalité dans la série des formes évoluées de son être ; l'âme individuelle suit la ligne de cette série cosmique et manifeste ce qui est préparé dans l'universalité de l'Esprit. L'Homme universel, le Purusha cosmique dans l'humanité, développe dans la race humaine le pouvoir qui, parti des degrés inférieurs, a grandi dans l'humanité et grandira encore jusqu'au supramental et à l'esprit, et deviendra la Divinité en l'homme conscient de son moi véritable et intégral, et de la divine universalité de sa nature. L'individu a dû suivre cette ligne de développement ; il a dû présider à l'expérience de l'âme dans les formes inférieures de la vie avant d'entreprendre l'évolution humaine. De même que l'Un pouvait revêtir en son universalité ces formes inférieures que sont la plante et l'animal, de même l'individu maintenant humain, a-t-il été capable de les revêtir aux stades antérieurs de son existence. Il apparaît maintenant comme une âme humaine, comme l'Esprit qui accepte la forme intérieure et la forme extérieure de l'humanité, mais il n'est pas plus limité par cette forme qu'il ne l'était par celles de la plante et de l'animal qu'il a précédemment assumées ; de là, il peut passer à une plus large expression de lui-même sur un plus haut échelon de la Nature.

Supposer autre chose, c'est prétendre que l'esprit qui préside actuellement à l'expérience humaine de l'âme a été formé à l'origine par une mentalité humaine et par le corps humain, qu'il existe grâce à eux et ne peut exister sans eux, et qu'il est à jamais incapable de descendre aux niveaux inférieurs ou de s'élever au-delà. En fait, il

Page 808


serait alors raisonnable de supposer qu'il n'est pas immortel, mais qu'il a pris naissance lorsque le mental et le corps humains sont apparus dans l'évolution et disparaîtra avec eux. Mais le corps et le mental ne sont pas les créateurs de l'esprit, c'est l'esprit qui est le créateur du mental et du corps ; il tire ces principes de son être, son être n'est pas tiré d'eux, n'est pas un composé de leurs éléments ou le fruit de leur rencontre. S'il semble évoluer à partir du mental et du corps, c'est parce qu'il se manifeste peu à peu en eux et non parce qu'il est créé par eux ou qu'il existe grâce à eux. À mesure qu'il se manifeste, ils apparaissent comme des termes subordonnés de son être, et finalement ils doivent être tirés de leur imperfection présente, intégrés et transformés en des formes et des instruments visibles de l'esprit. Nous concevons l'esprit comme quelque chose qui ne possède ni nom ni forme, mais revêt diverses formes corporelles et mentales suivant lés diverses manifestations de son être d'âme. Cela, il l'accomplit ici par une évolution continue ; il développe des formes et des strates successives de conscience, car rien ne l'oblige à toujours revêtir une seule et même forme à l'exclusion de toute autre, ou à posséder un type unique de mentalité qui serait sa seule manifestation subjective possible. L'âme n'est pas liée à la formule humaine mentale : elle n'a pas commencé avec elle et ne finira pas avec elle ; elle a un passé pré-humain, et elle a devant elle un avenir surhumain.

Ce que nous voyons de la Nature et de la nature humaine, justifie cette conception de la naissance de l'âme individuelle passant d'une formé à l'autre jusqu'à ce qu'elle atteigne le niveau humain de la conscience manifestée qui est son instrument pour s'élever à des niveaux plus hauts encore. Nous voyons que la Nature se développe d'étape en étape, et qu'à chaque étape elle intègre son passé et le transforme en le matériau de son nouveau développement. Nous voyons aussi que la nature humaine est pareillement constituée; tout le passé terrestre est contenu en elle. Elle possède un élément de matière intégré par la vie, un élément de vie intégré par le mental, un élément mental que l'esprit est en train d'intégrer : l'animal est encore présent en son humanité. La nature même de l'être humain présuppose un stade matériel et un stade vital qui ont préparé son émergence dans le mental, et un passé animal qui a façonné un premier élément de son humanité complexe. Et ne disons pas que cela s'explique par le fait que la Nature matérielle, au cours de l'évolution, a développé sa vie, son corps et son mental animal et qu'ensuite seulement une âme est descendue dans la forme

Page 809


ainsi créée; il y a une vérité derrière cette idée, mais pas celle que suggérerait une telle formule. Car cela supposerait un abîme entre l'âme et le corps, entre l'âme et la vie, entre l'âme et le mental, et cet abîme n'existe pas ; il n'y a pas de corps sans âme, pas de corps qui ne soit lui-même une forme de l'âme : la Matière elle-même est substance et pouvoir de l'Esprit et ne pourrait exister si elle était autre chose, car rien ne peut exister qui ne soit substance et pouvoir du Brahman; et s'il est vrai que la Matière est Brahman et qu'elle est animée¹ par la présence de l'Esprit, cela doit être vrai aussi, de façon évidente et plus certaine encore, de la Vie et du Mental. Si la Matière et la Vie n'avaient pas été déjà revêtues d'une âme, l'homme n'aurait pu apparaître, ou bien il n'aurait représenté qu'une intrusion ou un accident, il n'aurait pas fait partie de l'ordre évolutif.

Nous arrivons donc nécessairement à la conclusion que la naissance humaine est une étape que l'âme doit atteindre après une longue succession de naissances, où elle a eu pour étapes préalables et préparatoires les formes inférieures de la vie sur terre ; elle a parcouru toute la chaîne que la vie a tendu dans l'univers physique sur la base du corps, le principe physique. Alors une nouvelle question se pose : une fois que l'état humain a été atteint, cette succession de renaissances se poursuit-elle encore et, si tel est le cas, comment, suivant quelles séries ou quelles alternances ? Nous devons tout d'abord nous demander si l'âme, une fois parvenue à l'état humain, peut retourner à la vie animale, au corps animal, régression que les vieilles théories populaires de la transmigration tenaient pour un mouvement normal. Il semble impossible que l'âme régresse ainsi, d'une façon aussi totale, pour la raison que le passage de la vie animale à la vie humaine représente une conversion décisive de la conscience, tout aussi décisive que celle de la conscience vitale de la plante en la conscience mentale de l'animal. Il est assurément impossible qu'une conversion aussi radicale accomplie par la Nature soit révoquée par l'âme et que la décision de l'Esprit dans la Nature n'aboutisse pour ainsi dire à rien. Cela ne serait possible que pour des âmes humaines — à supposer qu'elles existent — en lesquelles la conversion n'aurait pas été décisive, des âmes qui se seraient suffisamment développées ' pour façonner, habiter ou assumer un corps humain, mais pas assez pour sauvegarder cette assomption, et, une fois celle-ci accomplie, pas assez

¹" ensouled " en anglais ; litt. : revêtue d'une âme (H.d.t).

Page 810


pour s'y établir solidement et demeurer fidèles au type de conscience humain. Ou bien, en supposant que certains penchants animaux soient assez violents pour exiger une satisfaction séparée propre à leur espèce, il pourrait tout au plus y avoir une sorte de renaissance partielle, ou l'âme humaine s'attacherait faiblement à une forme animale, pour reprendre aussitôt après sa progression normale. Le mouvement de la Nature est toujours suffisamment complexe pour que nous ne puissions nier dogmatiquement une telle possibilité ; et si ce fait est avéré, alors peut-être y a-t-il une parcelle de vérité derrière cette croyance populaire exagérée qui veut que pour une âme ayant habité un homme, une renaissance animale soit aussi normale et possible qu'une réincarnation humaine. Mais que le retour à l'animal soit possible ou non, là loi normale doit être la récurrence de la naissance dans de nouvelles formes humaines, une fois que l'âme est devenue capable d'assumer cette condition humaine.

Mais pourquoi une succession de naissances humaines au lieu d'une seule ? Pour la même raison qui a fait de la naissance humaine elle-même un point culminant de la succession antérieure, de la série ascendante qui l'a précédée: ce doit être une nécessité de l'évolution spirituelle. Car l'âme n'a pas atteint son but simplement en devenant humaine; il lui faut encore faire progresser cette humanité jusqu'à ses plus hautes possibilités. De toute évidence, l'âme qui habite un Caraïbe, un primitif inculte, un Apache parisien ou un gangster américain n'a pas encore épuisé la nécessité de la naissance humaine, n'a pas réalisé toutes ses possibilités ou toute la signification de la condition humaine ni manifesté tout le sens de revête dans l'Homme universel, pas plus que l'âme logée dans un Européen débordant de vitalité, occupé à produire toujours plus et à jouir des plaisirs du vital, ou dans un paysan asiatique absorbé dans la ronde ignorante de sa vie domestique et économique. Nous pouvons raisonnablement douter que même un Platon ou un Shankara marquent le couronnement, et par conséquent l'épanouissement ultime de l'esprit en l'homme. Nous croyons plutôt qu'ils en sont la limite, parce qu'eux-mêmes, et d'autres comme eux, nous semblent être le point le plus haut que le mental et l'âme de l'homme puissent atteindre. Mais c'est peut-être une illusion relative à nos capacités actuelles. Il existe peut-être une possibilité plus haute, ou en tout cas plus vaste, que le Divin a l'intention de réaliser eu l'homme, et cela signifierait alors que les marches construites par ces

Page 811


âmes supérieures étaient nécessaires pour bâtir la voie qui monte vers ces plus hauts sommets, et pour ouvrir les portes. De toute façon, ce point, jusqu'à présent le plus élevé, doit être atteint avant que nous ne puissions écrire le mot fin dans cette histoire humaine des naissances individuelles successives. L'homme est ici pour évoluer de l'ignorance à la connaissance, et de sa petite vie dans un mental et dans un corps à la vaste vie divine qu'il peut embrasser par un déploiement de l'esprit. Il faut en tout cas que l'esprit en lui s'épanouisse, qu'il atteigne à la connaissance de son moi réel et mène une vie spirituelle, avant de pouvoir se diriger irrévocablement et à jamais vers un Ailleurs. Peut-être y a-t-il aussi, par-delà ce premier apogée, un plus grand épanouissement de l'esprit dans la vie humaine dont nous n'avons encore eu que le pressentiment. L'imperfection de l'Homme n'est pas le dernier mot de la Nature, mais sa perfection n'est pas non plus l'ultime sommet de l'Esprit.

Cette possibilité devient une certitude si l'intellect, le principe directeur actuel du mental tel qu'il s'est développé en l'homme, n'est pas son principe le plus haut. Si le mental lui-même détient d'autres pouvoirs, que, jusqu'à présent, les types les plus élevés de l'individu humain ne possèdent qu'imparfaitement, alors la courbe de l'évolution et, par conséquent, la courbe ascendante de la renaissance qui permet à ces pouvoirs de s'incarner, doivent inévitablement se prolonger. Si le Supramental est lui aussi un pouvoir de conscience caché ici-bas dans Révolution, la courbe de la renaissance ne saurait même s'arrêter là ; elle devra poursuivre son ascension jusqu'à ce que le mental soit remplacé par la nature supramentale et qu'un être supramental incarné devienne le guide de l'existence terrestre.

Tel est donc le fondement rationnel et philosophique d'une croyance en la renaissance. C'est une conclusion logique et inévitable s'il existe à la fois un principe évolutif dans la Nature terrestre et une réalité de l'âme individuelle née dans la Nature évolutive. Si l'âme n'existe pas, alors il peut y avoir une évolution mécanique sans nécessité ni signification, et la naissance n'est qu'un élément de ce mécanisme étonnant, mais absurde. Si l'individu n'est qu'une formation temporaire commençant et finissant avec le corps, l'évolution peut être un jeu de la Toute-Âme ou de l'Existence cosmique s'élevant, par une succession d'espèces de plus en plus évoluées, jusqu'à son ultime possibilité dans ce Devenir, ou jusqu'à son principe conscient le plus haut : la renaissance n'existe

Page 812


pas ou n'est pas un mécanisme nécessaire à cette évolution. Ou si la Toute-Existence s'exprime dans une individualité persistante mais illusoire, la renaissance devient une possibilité ou un fait illusoire, mais elle ne correspond à aucune nécessité évolutive et n'est pas elle-même une nécessité spirituelle ; elle est seulement un moyen d'accentuer et de prolonger l'illusion jusqu'à son extrême limite temporelle. S'il existe une âme individuelle ou Purusha qui ne dépende pas du corps mais l'habite et l'utilise à ses fins, alors la renaissance commence à être possible, mais elle n'est pas une nécessité s'il n'y a pas évolution de l'âme dans la Nature : la présence de l'âme individuelle dans un corps individuel pourrait être un phénomène passager, une unique expérience qui n'a ici ni passé, ni avenir ; son passé et son avenir pourraient exister ailleurs. Mais s'il y a évolution de la conscience dans un corps évolutif et si une âme habite le corps, s'il existe un individu réel et conscient, alors il est évident que c'est l'expérience progressive de cette âme dans la Nature qui prend la forme de cette évolution de la conscience : la renaissance est tout naturellement une part nécessaire, le seul mécanisme possible, d'une telle évolution. Elle est aussi nécessaire que la naissance elle-même; car sans elle, la naissance serait un premier pas suivi de rien, le commencement d'un voyage sans étapes ultérieures et sans destination. C'est la renaissance qui donne à la naissance d'un être incomplet dans un corps la promesse de son plein accomplissement et son sens spirituel.

Page 813










Let us co-create the website.

Share your feedback. Help us improve. Or ask a question.

Image Description
Connect for updates