La Vie Divine 1153 pages 2005 Edition
French Translation
  Cristof Alward-Pitoëff

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Sri Aurobindo's principal work of philosophy and metaphysics, expounding a vision of spiritual evolution culminating in the transformation of man from a mental into a supramental being and the advent of a divine life upon earth.

La Vie Divine

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Sri Aurobindo

Sri Aurobindo's principal work of philosophy and metaphysics. In this book, Sri Aurobindo expounds a vision of spiritual evolution culminating in the transformation of man from a mental into a supramental being and the advent of a divine life upon earth. The material first appeared as a series of essays published in the monthly review Arya between 1914 and 1919. They were revised by Sri Aurobindo in 1939 and 1940 for publication as a book.

Sri Aurobindo Birth Centenary Library (SABCL) The Life Divine Vols. 18,19 1070 pages 1970 Edition
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Sri Aurobindo's principal work of philosophy and metaphysics. In this book, Sri Aurobindo expounds a vision of spiritual evolution culminating in the transformation of man from a mental into a supramental being and the advent of a divine life upon earth. The material first appeared as a series of essays published in the monthly review Arya between 1914 and 1919. They were revised by Sri Aurobindo in 1939 and 1940 for publication as a book.

French Translations of books by Sri Aurobindo La Vie Divine 1153 pages 2005 Edition
French Translation
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DEUXIÈME PARTIE 

 

 

LA CONNAISSANCE

ET

L'ÉVOLUTION SPIRITUELLE

 

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15

La Réalité et la Connaissance intégrale

Ce Moi doit être conquis par la Vérité et par une connaissance intégrale.

Mundaka Upanishad. III. l. 5.

Écoute, et apprends comment tu me connaîtras en Ma totalité (...), car, même parmi les chercheurs qui ont atteint leur but, à peine en est-il un qui Me connaisse dans toute la vérité de Mon être.

Gîta, VII. 1,3.

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Telles sont donc l'origine, la nature et les frontières de l'Ignorance. Son origine est une limitation de la connaissance, son caractère distinctif une séparation de l'être d'avec sa propre intégralité et son entière réalité; ses frontières sont déterminées par ce développement séparateur de la .conscience, car celui-ci nous coupe de notre vrai moi ainsi que du vrai moi et de la nature complète des choses et nous oblige à vivre une existence superficielle apparente. Le retour à l'intégralité, ou le progrès dans ce sens, la disparition des limites, l'abolition de la séparativité, le dépassement des frontières, le recouvrement de notre réalité essentielle et complète, sont donc nécessairement le signe et le caractère inverse du mouvement intérieur vers la Connaissance. La conscience limitée et séparatrice doit être remplacée par une conscience essentielle et intégrale, identifiée à la vérité originelle et à la vérité complète du moi et de l'existence. La Connaissance intégrale est déjà présente dans la Réalité intégrale, ce n'est pas une chose nouvelle ou encore inexistante qu'il faille créer, acquérir, apprendre, inventer ou construire au moyen du mental. Il faut plutôt la découvrir ou la dévoiler, c'est une Vérité qui se révèle d'elle-même dans la quête spirituelle ; car elle est là, voilée, dans notre moi plus vaste et plus profond ; elle est la substance même de notre conscience spirituelle, et c'est en nous éveillant à elle, jusque dans notre moi de surface, que nous devons la posséder. Il existe une connaissance de soi intégrale et, le moi cosmique étant aussi notre moi, une connaissance cosmique intégrale qu'il nous faut recouvrer. Une connaissance que le mental peut acquérir ou construire existe, et elle a sa valeur, mais ce n'est pas ce que nous entendons par Connaissance et Ignorance.

Une conscience spirituelle intégrale porte en soi la connaissance de tous les termes de l'être ; elle relie le plus élevé au plus bas en passant par tous les termes intermédiaires, et réalise un tout indivisible. Au plus

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haut sommet des choses, elle s'ouvre à la réalité de l'Absolu, ineffable parce que supraconsciente pour tout, hormis sa propre conscience de soi. À l'extrémité inférieure de notre être, elle perçoit l'Inconscience d'où procède notre évolution ; mais elle est en même temps consciente de l'Un et du Tout qui se sont involués dans ces profondeurs, elle dévoile la Conscience secrète dans l'Inconscience. Interprétative, révélatrice, se mouvant entre ces deux extrêmes, sa vision découvre la manifestation de l'Un dans le Multiple, l'identité de l'Infini dans la disparité des choses finies, la présence de l'Éternel intemporel dans le Temps éternel; c'est cette vision qui illumine pour elle le sens de l'univers. Cette Conscience n'abolit pas l'univers; elle s'en empare et le. transforme en lui donnant son sens caché. Elle n'abolit pas l'existence individuelle ; elle transforme l'être individuel et la nature individuelle en leur révélant leur sens véritable et en leur permettant de triompher de ce qui, en eux, les sépare de la Réalité divine et de la Nature divine.

Une connaissance intégrale présuppose une Réalité intégrale, car c'est le pouvoir d'une Conscience-de-Vérité qui est elle-même la conscience de la Réalité. Mais notre conception et notre perception de la Réalité varient selon l'état et le mouvement de notre conscience, selon sa vision des choses, ce sur quoi elle insiste, ce qu'elle reçoit. Cette vision et cette insistance peuvent être intensives et exclusives, ou bien extensives, inclusives et globales. Il est tout à fait possible — et dans son domaine particulier, c'est un mouvement qui a sa valeur pour notre pensée et pour une très haute voie de réalisation spirituelle — d'affirmer l'existence de l'Absolu ineffable, d'insister sur sa' seule Réalité, et de nier et d'abolir pour nous-mêmes l'être individuel et la création cosmique, de les effacer de notre conception et de notre perception de la réalité. La réalité de l'individu est Brahman, l'Absolu; la réalité du cosmos est Brahman, l'Absolu: l'individu est; ; un phénomène, .une apparence temporelle dans le cosmos ; le cosmos lui-même est un phénomène, une apparence temporelle plus vaste et plus complexe. Les deux termes. Connaissance et Ignorance, n'existent que par rapport à cette apparence, et tous deux doivent être transcendés si nous voulons atteindre à une supraconscience absolue. La conscience de l'ego et la conscience cosmique s'éteignent dans cette suprême transcendance, et seul demeure l'Absolu. Car le Brahman absolu n'existe qu'en sa propre identité, il dépasse toute connaissance autre. En lui, l'idée même d'un connaissant et d'un connu et donc d'une connaissance où ils se rejoignent et deviennent un,

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disparaît, est transcendée et perd sa validité, en sorte que le Brahman absolu demeurera toujours inaccessible au mental et au langage. Contrairement au point de vue que nous avons exposé, ou pour le compléter — point de vue selon lequel l'Ignorance n'est elle-même qu'une action limitée ou involuée de la Connaissance divine, limitée dans ce qui est partiellement conscient, involuée dans l'inconscient —, nous pourrions dire, en regardant depuis l'autre extrémité de l'échelle des choses, .que la Connaissance n'est elle-même qu'une Ignorance supérieure, puisqu'elle s'arrête avant d'atteindre la Réalité absolue qui, pour Elle-même, est évidente en soi, mais que le mental ne peut connaître. Cet absolutisme correspond à une vérité de la pensée et à une vérité de l'expérience suprême dans la conscience spirituelle ; mais elle ne représente pas toute la pensée spirituelle, complète et globale, ni n'épuise les possibilités de la plus haute expérience spirituelle.

La conception absolutiste de la réalité, de la conscience et de la connaissance se fonde sur un aspect de la pensée védântique primitive, mais elle n'en représente pas la totalité. Dans les Upanishad, ces Écritures inspirées du plus ancien Védânta, nous trouvons l'affirmation de l'Absolu, le concept-expérience de la Transcendance pure et ineffable; mais nous trouvons aussi, non pas sa contradiction mais son corollaire : une affirmation de la Divinité cosmique, un concept-expérience du Moi cosmique et du devenir du Brahman dans l'univers. Nous y trouvons également l'affirmation de la Réalité divine de l'individu ; et là encore il s'agit d'un concept-expérience Cette Réalité est prise non comme une apparence, mais comme un devenir réel. Au lieu d'une seule et suprême affirmation exclusive qui nie tout ce qui n'est pas l'Absolu transcendant, nous trouvons une affirmation globale menée à sa plus extrême conclusion : ce concept de la Réalité et de la Connaissance embrassant dans une" seule; vision le cosmique et l'Absolu, coïncide fondamentalement avec le nôtre, car il implique que l'Ignorance aussi est une partie à demi voilée de la Connaissance, et la connaissance du monde une partie de la connaissance du moi. L'Îshâ Upanishad insiste sur l'unité et la réalité de toutes les manifestations de l'Absolu; elle refuse de limiter la vérité à un seul aspect, quel qu'il soit. Le Brahman est le stable et le mobile, l'intérieur et l'extérieur, tout ce qui est proche et tout ce qui est éloigné, que ce soit spirituellement ou dans l'étendue du Temps et de l'Espace. Il est l'Être et tous les devenirs, le Pur et Silencieux, sans traits, inactif, il est le Voyant, le Penseur qui organise le monde et ses objets, l'Un qui

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devient tout ce qui nous est perceptible dans l'univers, l'Immanent et ce en quoi il établit sa demeure. L'Upanishad affirme que la connaissance parfaite et libératrice est celle qui n'exclut ni le Moi, ni ses créations : en toutes, l'esprit libéré voit des devenirs de l'Existant-en-soi dans sa vision intérieure et par une conscience qui perçoit l'univers en elle-même, au lieu de le voir de l'extérieur comme autre que soi, à l'instar du mental égoïste et limité. Vivre dans l'Ignorance cosmique, c'est être aveugle, mais s'enfermer dans un absolutisme exclusif de la Connaissance, est une autre forme d'aveuglement. Connaître que le Brahman est tout à la fois et indissociablement la Connaissance et l'Ignorance, atteindre à l'état suprême par le Devenir comme par le Non-Devenir, relier la réalisation du moi transcendant et celle du moi cosmique, établir notre assise dans le supra-mondain et une manifestation consciente de soi dans le monde, telle est la connaissance intégrale. Et c'est posséder l'Immortalité. C'est cette conscience totale, avec sa connaissance complète, qui établit les fondations de la Vie divine et rend sa réalisation possible. Il s'ensuit que la réalité absolue de l'Absolu doit être, non une unité rigide et indéterminable, non un infini vide de tout ce qui n'est pas pure existence en soi, accessible seulement par l'exclusion du multiple et du fini, mais quelque chose qui dépasse ces définitions, qui se trouve en fait au-delà de toute description, positive ou négative. Toutes les affirmations et toutes les négations en expriment des aspects, et c'est à la fois par une suprême affirmation et une suprême négation que nous pouvons atteindre l'Absolu. 

D'une part, nous avons donc une Existence-en-soi absolue, un éternel être-en-soi qui se présente à nous comme la Réalité, et, par l'expérience du Moi silencieux et inactif ou du Purusha immobile et détaché, nous pouvons approcher de cet Absolu sans traits ni relations, nier les actions du Pouvoir créateur, que celui-ci soit une Maya illusoire ou. une Prakriti formatrice, cesser de tourner dans l'erreur cosmique pour entrer dans la Paix et le Silence éternels, nous débarrasser de notre existence personnelle et nous trouver — ou nous perdre — en cette seule Existence véritable. D'autre part, nous avons un Devenir qui est un vrai mouvement de l'Être, et l'Être et le Devenir sont tous deux des vérités d'une unique Réalité absolue. Le premier point de vue repose sur la conception métaphysique qui formule une perception extrême dans notre pensée, une expérience exclusive dans notre conscience de l'Absolu considéré comme une réalité exempte de

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toutes relations et de toutes déterminations : d'où la nécessité logique et pratique de nier le monde des relativités en le tenant pour la fausseté d'un être irréel, un non-existant (Asat), ou du moins une expérience du moi inférieure, évanescente, temporelle et pragmatique, et de le retrancher de la conscience afin de libérer l'esprit de ses perceptions fausses ou de ses créations inférieures. Le second point de vue se fonde sur l'idée que l'Absolu ne peut être limité ni positivement, ni négativement. Il est au-delà de toutes relations, en ce sens qu'aucune relativité ne le lie ni ne peut limiter son pouvoir d'être. Nos conceptions relatives les plus hautes comme les plus ordinaires, positives ou négatives, ne peuvent l'enchaîner ni le circonscrire; il n'est lié ni à nôtre, connaissance ; ni à notre ignorance, ni à notre concept de l'existence ni à notre concept de la non-existence. Mais il ne peut non plus être limité par une incapacité à contenir, soutenir, créer ou manifester des relations ; au contraire, on peut considérer son pouvoir de. se manifester dans l'infini; de, l'unité et l'infini de la multiplicité comme une force inhérente, un signe, un résultat de son absoluité même, et cette possibilité est en soi une explication suffisante de l'existence cosmique. L'Absolu ne peut certes, en sa nature" être contraint de manifester un cosmos de relations, mais il ne peut pas non plus être contraint de ne manifester aucun cosmos. Il n'est pas lui-même une pure vacuité, car un Absolu vide n'est pas un Absolu — notre conception du Vide ou du Zéro n'est qu'un signe conceptuel de notre incapacité mentale à le connaître ou le saisir. Il porte en soi quelque ineffable essence de tout ce qui est et de tout ce qui peut être, et puisqu'il contient en lui-même cette essence et cette possibilité, il doit également contenir, d'une façon propre à son absoluité, la vérité permanente ou l'actualité inhérente et réalisable (fût-ce à l'état latent) de tout ce qui est fondamental pour notre existence ou celle du monde. C'est l'actualisation de cette actualité réalisable, ou cette vérité permanente déployant ses possibilités-, que nous appelons manifestation .et que nous voyons comme l'univers.

La conception ou la réalisation de la vérité de l'Absolu n'implique donc pas, comme conséquence inhérente et inévitable, le rejet ou la dissolution de la vérité de l'univers. L'idée d'un univers essentiellement irréel, manifesté d'une manière ou d'une autre par un inexplicable Pouvoir d'illusion, le Brahman absolu ne le regardant pas ou se tenant à l'écart, et. ne l'affectant pas plus qu'il n'en est affecté, revient ;au fond à reporter sur Cela, à lui imposer ou lui imputer, adhyâropa, une

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incapacité de notre conscience mentale, afin de le limiter. Quand elle outrepasse ses limites, notre conscience mentale perd sa ligne et ses moyens propres de connaissance, et elle tend à cesser toute activité ou à s'éteindre ; elle perd en même temps son ancien contenu, ou a tendance à perdre toute prise sur lui, toute conception continue de la réalité de ce qui, auparavant, était pour elle tout le réel. Nous prêtons au Parabrahman absolu, conçu comme éternel non-manifesté, une incapacité correspondante ou une séparation ou un éloignement par rapport. ce qui est devenu irréel, ou nous semble tel ; comme notre mental quand celui-ci s'arrête ou s'éteint, il doit être, de par sa nature même de pur absolu, exempt de tout lien avec ce monde de manifestation apparente, incapable de toute cognition qui le soutienne ou de tout support dynamique lui donnant une réalité — ou si une telle cognition existe, elle doit être de la nature d'un Est qui n'est pas, d'une Maya magicienne. Mais il n'y; a aucune raison impérieuse de supposer qu'un tel abîme existe. La capacité ou l'incapacité de notre conscience humaine relative ne peut servir de mesure ou de critère à une capacité absolue, ses conceptions ne peuvent s'appliquer à une conscience de soi absolue : ce qui est nécessaire à notre ignorance mentale pour échapper à elle-même ne peut être une nécessité pour l'Absolu qui n'a aucun besoin de s'échapper de lui-même, ni aucune raison de refuser de connaître tout ce qui est connaissable.

Il y a cet Inconnaissable non manifesté; il y a ce connaissable manifesté, partiellement manifesté pour notre ignorance, entièrement manifesté pour la Connaissance divine qui contient en soi sa propre infinité. S'il est vrai que. ni .notre ignorance, ni notre connaissance mentale la plus extrême et la plus vaste ne peuvent nous donner prise sur l'Inconnaissable, il est vrai également que, se servant de notre connaissance ou de notre ignorance. Cela se manifeste diversement; car Cela ne peut manifester autre chose que soi-même, puisque rien d'autre ne peut exister : dans cette diversité de la manifestation, il y a cette Unité et, à travers la diversité, nous pouvons toucher l'Unité. Mais même alors, même en acceptant cette coexistence, il est encore possible de rendre un verdict final qui condamne le Devenir, de décider qu'il faut y renoncer et revenir en l'Être absolu. Ce verdict peut reposer sur la distinction entre la réalité réelle de l'Absolu et la réalité partielle et trompeuse de l'univers relatif.

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Dans ce déploiement de la connaissance nous avons en effet les deux termes que sont l'Un et le Multiple, comme nous avons ceux du fini et de l'infini, de ce qui devient et de ce qui ne devient pas mais est à jamais, de ce qui prend forme et de ce qui ne prend pas forme, de l'Esprit et de la Matière, du suprême Supraconscient et de l'Inconscience la plus profonde. Dans ce dualisme, et pour nous en affranchir, nous sommes libres de définir la Connaissance comme la possession d'un des deux termes, la possession de l'autre constituant l'Ignorance. Le but ultime de' notre vie serait alors de nous écarter de la réalité inférieure du Devenir pour atteindre à la réalité plus grande de l'Être, de bondir de l'Ignorance dans la Connaissance et de rejeter l'Ignorance, d'abandonner le Multiple pour l'Un, le fini pour l'Infini, la forme pour le sans-forme, de quitter la vie dans l'univers matériel pour vivre en l'Esprit, d'échapper à l'emprise de l'inconscient pour entrer dans l'Existence supraconsciente. Cette solution suppose, dans chaque cas, une stricte opposition des deux termes de notre être, considérés comme définitivement inconciliables. Ou bien, s'ils sont tous deux un moyen de manifestation du Brahman, le terme inférieur est un indice faux ou imparfait, un moyen qui doit échouer, un système de valeurs qui ne peut finalement nous satisfaire. Déçus par les confusions de la multiplicité, dédaignant même la lumière, la puissance et la joie les plus hautes qu'elle peut nous révéler, nous devons poursuivre notre quête au-delà, vers la concentration et la stabilité absolues où cesse toute variation. L'appel de l'Infini nous rend incapables de demeurer à jamais enchaînés au fini ou d'y trouver satisfaction, vastitude et paix, et nous devons donc briser tous les liens de la Nature individuelle et universelle, détruire toutes les valeurs, tous les symboles, toutes les images, toutes les définitions de nous-mêmes, toutes les limitations de l'illimitable et dissoudre toute petitesse et toute division dans le Moi qui est à jamais satisfait de sa propre infinité. Dégoûtés des formes, revenus de leurs charmes éphémères et mensongers, lassés, découragés par leur fuyante impermanence et la vaine ronde de leur récurrence, nous devons nous évader des cycles de la Nature pour atteindre au sans-forme et sans-trait de l'Être permanent. Mortifiés par la Matière et sa grossièreté, impatientés par le trouble et l'agitation sans objet de la Vie, épuisés par la course sans but du Mental ou convaincus de la vanité de tout ce qu'il vise et poursuit, nous devons nous en libérer en entrant dans l'éternel repos et l'éternelle pureté de l'Esprit. L'Inconscient est un sommeil ou une prison, le conscient une ronde d'efforts sans issue ou le vagabondage d'un rêve, et nous devons nous éveiller dans le supraconscient où

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toute l'obscurité de la nuit et toutes les demi-lumières s'abolissent en la lumineuse béatitude de l'Éternel. L'Éternel est notre refuge. Tout le reste n'est que fausses valeurs, et l'Ignorance et ses labyrinthes sont une stupéfaction que l'âme s'impose à elle-même dans la Nature phénoménale.

Notre conception de la Connaissance et de l'Ignorance rejette cette négation et les oppositions sur lesquelles elle se fonde. Elle indique une solution plus vaste, bien que plus difficile, où elles se réconcilient. Nous voyons en effet que ces deux termes apparemment opposés que sont l'Un et le Multiple, la Forme et le Sans-Forme, le Fini et l'Infini, ne sont pas tant des contraires que des complémentaires ; non des valeurs alternatives du Brahman qui, en sa création, 'perd constamment son unité pour se trouver dans la multiplicité et, incapable de se découvrir dans la multiplicité, la perd à nouveau pour recouvrer l'unité, mais des valeurs doubles et concomitantes qui s'expliquent mutuellement; non les termes désespérément incompatibles d'une alternative, mais les deux faces de l'unique Réalité qui peuvent nous y conduire si nous les réalisons toutes deux en même temps et pas seulement en les évaluant chacune séparément — bien qu'une telle expérimentation puisse être une étape ou une partie légitime, voire inévitable, du processus de la connaissance. La connaissance est sans aucun doute connaissance de l'Un, réalisation de Être; l'Ignorance est un oubli de soi de l'Être, l'expérience de la séparation dans la multiplicité, le fait de demeurer ou de tourner en rond dans le labyrinthe des devenirs dont nous comprenons mal le sens. Mais nous trouvons le remède quand l'âme dans le Devenir, croissant en connaissance, prend conscience de l'Être qui, dans la multiplicité, devient toutes ces existences, et cela est possible parce que leur vérité est déjà présente en son existence intemporelle. La connaissance intégrale du Brahman est une connaissance qui embrasse à la fois l'Être et le Devenir, et la quête exclusive de l'un ou de l'autre nous empêche de voir un aspect de la vérité de l'omniprésente Réalité. La possession de l'Être qui est au-delà de tous les devenirs nous libère des liens de l'attachement et de l'ignorance dans l'existence cosmique, et cette liberté entraîne à son tour une libre possession du Devenir et de l'existence cosmique. La connaissance du Devenir est une partie de la connaissance ; si elle agit comme une Ignorance, c'est seulement parce que nous y sommes emprisonnés, avidyâyâm antare, dépossédés de l'Unité de l'Être qui en est le fondement, le matériau, l'esprit ; elle est la cause de sa manifestation et sans elle, celle-ci serait impossible.

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En fait, le Brahman est un, non seulement dans une unité sans traits au-delà de toute relation, mais dans la multiplicité même de l'existence cosmique. Conscient des œuvres du mental diviseur sans être limité par lui, Il trouve son unité aussi aisément dans le multiple, dans les relations, dans le devenir que dans tout retrait hors du multiple, des relations et du devenir. Et pour posséder pleinement son unité, nous-mêmes devons la posséder— puisqu'elle est là, puisque tout est cela — dans l'infinie diversité du cosmos. L'infinité de la multiplicité ne s'explique et ne se justifie que lorsqu'elle est contenue et possédée dans l'infinité de l'Un ; mais l'infinité de l'Un se déverse et se possède également dans l'infinité du Multiple. C'est en ce pouvoir de déverser ses énergies sans se perdre dans leur flot, de ne pas reculer, vaincu, devant ses vicissitudes et ses différences sans limites et sans fin, et de ne pas non plus se laisser diviser par ses variations, que réside la force divine du libre Purusha, l'Âme consciente en possession de son immortelle connaissance de soi. Les variations finies du Moi où le mental, perdant la connaissance de soi, est pris et dispersé, ne sont cependant pas des négations mais des expressions sans fin de l'Infini, elles n'ont pas d'autre sens ni d'autre raison d'exister. L'Infini lui aussi, tout en possédant la félicité de son être sans bornes, trouve également la joie même de cette absence de limites dans l'univers où il se définit à l'infini. L'Être divin n'est pas incapable de revêtir des formes innombrables parce qu'il est en Son essence au-delà de toute forme; et en revêtant ces formes, Il ne perd pas Sa divinité, mais bien. plutôt déverse en elles le délice de Son être et les gloires de Sa divinité. Cet or ne cesse pas d'être de l'or parce qu'il se moule en divers ornements et se change en de nombreuses monnaies et valeurs. La Puissance-de-la-Terre, principe de toute cette existence matérielle figurée, ne perd pas non plus son immuable divinité parce qu'elle se façonne en mondes habitables, se projette dans les monts et les vallées et se laisse modeler en ustensiles domestiques ou, métal dur, en armes et en machines. La Matière — elle-même substance, subtile ou dense, mentale ou matérielle — est la forme et le corps de l'Esprit et n'aurait jamais été créée si elle n'avait pu devenir une base pour l'expression de soi de l'Esprit. L'Inconscience apparente de l'univers matériel contient obscurément tout ce qui, de toute éternité, est révélé en soi dans le Supraconscient lumineux; le révéler dans le Temps est la félicité que recherche lentement et volontairement la Nature, et c'est le but que ses cycles poursuivent.

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Mais il y a d'autres conceptions de la réalité, d'autres conceptions de la nature de la connaissance, qu'il nous faut considérer. Il y a le point de vue selon lequel tout ce qui existe est une création subjective du Mental, une structure de la Conscience, et que l'idée d'une réalité objective existant en soi, indépendante de la Conscience, est une illusion, puisque nous n'avons et ne pouvons avoir aucune preuve que les choses existent ainsi en elles-mêmes de façon indépendante. Cette façon de voir peut nous amener à affirmer que la Conscience créatrice est la seule Réalité, ou à nier toute existence et à affirmer que la Non-Existence ou un Zéro nescient sont l'unique réalité. Car, selon un certain point de vue, les objets construits par la conscience n'ont aucune réalité intrinsèque, ce/sont simplement des structures ; la conscience qui les construit n'est elle-même qu'un flux de perceptions qui revêtent une apparence de cohérence et de continuité et donnent l'impression d'un temps continu ; mais en fait, ces choses n'ont pas de fondement stable puisqu'elles n'ont que l'apparence de la réalité. Cela signifierait que la réalité est une absence éternelle à la fois de toute existence consciente de soi et de tout ce qui constitue le mouvement de l'existence : la Connaissance serait le fait de quitter l'apparence de l'univers pour revenir à cela. Il y aurait une double et complète extinction de soi : la disparition du Il, la cessation ou l'extinction de la Prakriti. L'âme consciente et la Nature sont en effet les deux termes de notre être et ils embrassent tout ce que nous entendons par existence; la négation des deux est le Nirvana absolu. Dès lors, ce qui est réel doit être soit une Inconscience en laquelle apparaissent ce flux et ces structures, soit une Supraconscience au-delà de toute idée de moi ou d'existence. Mais cette vue de l'univers ne correspond qu'à l'apparence des choses quand nous considérons que notre mental de surface est la totalité de la conscience ; elle est valable en tant que description du fonctionnement de ce Mental : là, sans aucun doute, tout paraît être un flux, tout semble construit par une Conscience impermanente. Mais elle ne peut prévaloir, comme explication complète de l'existence, s'il existe une plus grande et plus profonde connaissance du moi et du monde, une connaissance par identité, une conscience pour laquelle cette connaissance est normale et un Être dont cette conscience est l'éternelle conscience de soi ; car alors le subjectif et l'objectif peuvent être réels et intimes pour cette conscience et cet être, tous deux peuvent en être des éléments, des aspects de son identité, représentant quelque chose d'authentique pour son existence.

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D'autre part, si le Mental, ou la Conscience qui construit, est réel, est la seule réalité, alors l'univers des êtres et des objets matériels peut avoir une existence, mais il est purement une structure de la subjectivité : la Conscience le construit à partir d'elle-même, le maintient, et il. se dissout en elle quand ces objets et ces êtres disparaissent. Mais s'il n'y a rien d'autre, pas d'Existence ou d'Être essentiels soutenant la Puissance créatrice, et s'il n'y a pas non plus de Vide ou de Néant pour la soutenir, alors cette Conscience qui crée tout, doit elle-même avoir ou être. une existence ou une substance. Si elle peut construire des structures, celles-ci doivent être faites à partir de sa substance ou des formes de son existence. Une conscience qui n'est pas conscience d'une Existence, ou qui n'est pas elle-même une existence, doit être une irréalité, la Force perceptive d'un Vide ou dans un Vide où elle érige ces structures irréelles faites de rien — proposition que l'on peut difficilement accepter, à moins que toutes les autres ne s'avèrent irrecevables. Ce que nous percevons comme conscience est donc nécessairement un Être ou une Existence, et c'est à partir de la substance de sa conscience que tout est créé.

Mais si nous revenons ainsi à la réalité bi-une ou duelle de l'Être et de la Conscience, nous pouvons supposer, avec le Védânta, un Être originel ou, avec le Sânkhya, une pluralité d'êtres à qui la Conscience, ou quelque Énergie à laquelle nous attribuons la Conscience — présente ses structures. Si une pluralité d'êtres originels séparés est seule réelle, la difficulté consiste à expliquer leurs relations dans un univers unique et identique, puisque chacun serait, ou créerait, son propre monde dans sa propre conscience. Il doit y avoir une Conscience unique ou une unique Énergie — correspondant à l'idée sânkhyenne d'une seule Prakriti qui est le champ d'expérience de nombreux Il semblables — où ils se rencontrent dans un univers identique construit par le mental. Cette théorie a l'avantage de rendre compte de la multitude des âmes et de la multitude des choses, ainsi que de l'unité dans la diversité de leur expérience, tout en accordant une réalité à la croissance et à la destinée spirituelles séparées de l'être individuel. Mais si nous pouvons supposer qu'une Conscience unique, ou qu'une unique Énergie crée une multitude de représentations d'elle-même et abrite dans son monde une pluralité d'êtres, il n'est pas difficile de supposer qu'un seul Être originel soutienne une pluralité d'êtres — âmes ou pouvoirs spirituels de son existence une — et s'exprime en eux. Ainsi,

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tous les objets, toutes les représentations de la conscience seraient des représentations de l'Être. On doit alors se demander si cette pluralité et ces représentations sont des réalités de l'unique Existence Réelle, ou seulement des personnalités et des images représentatives, ou des symboles ou des valeurs créés par le Mental pour la représenter. Cela dépendra dans une large mesure de la réponse à la question suivante : est-ce seulement le Mental tel que nous le connaissons qui agit, ou est ce une Conscience plus profonde et plus grande dont le Mental serait un instrument de surface, qui exécute ses projets et lui permet de se manifester ? Dans le premier cas, l'univers construit et vu par le Mental ne peut avoir qu'une réalité subjective, symbolique ou représentative ; dans le second, l'univers, ses êtres et ses objets naturels peuvent être de vraies réalités de l'unique Existence, des formes ou des pouvoirs de son être manifestés par sa force d'être. Le Mental ne serait qu'un interprète entre la Réalité universelle et les manifestations de sa Conscience-Force créatrice, Shakti, Énergie, Maya.

Il est clair qu'un Mental de même nature que notre intelligence de surface ne peut être qu'un pouvoir secondaire de l'existence. Car il porte le sceau de l'incapacité et de l'ignorance, indiquant que c'est un dérivé, et non le créateur originel; nous voyons qu'il ne connaît ni ne comprend les objets qu'il perçoit, qu'il n'en a aucune maîtrise automatique; il lui faut acquérir une connaissance et un pouvoir de contrôle construits laborieusement. Cette incapacité fondamentale ne pourrait exister si ces objets étaient les structures propres du Mental, les créations de son Pouvoir essentiel. S'il en est ainsi, c'est peut-être parce que le mental individuel n'a qu'un pouvoir et une,connaissance superficiels et dérivés et qu'il existe un Mental universel qui est complet, doué d'omniscience, capable d'omnipotence. Mais la nature du Mental tel que nous le connaissons est une Ignorance en quête de la connaissance; il connaît des fractions, opère par divisions et s'efforce d'arriver à une somme, de reconstituer un tout — il ne possède ni l'essence des choses, ni leur totalité : un Mental universel de même nature pourrait connaître la somme de ses divisions par la force de son universalité, mais il lui manquerait encore la connaissance essentielle, et sans elle il ne saurait y avoir de vraie connaissance intégrale. Une conscience possédant la connaissance essentielle et intégrale, procédant de l'essence au tout et du tout aux parties, ne serait plus le Mental mais une parfaite Conscience-de-Vérité qui se connaîtrait elle-même et connaîtrait le

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monde automatiquement, naturellement. C'est sur cette base que nous devons considérer le point de vue subjectif de la réalité. Il est vrai qu'il n'existe aucune réalité objective indépendante de la conscience; mais par ailleurs, il y a une vérité dans l'objectivité, à savoir que la réalité des choses réside en quelque chose qui est en elles et qui ne dépend pas de l'interprétation qu'en donne notre mental ni des structures qu'il élabore à partir de ses observations. Ces structures constituent l'image ou la représentation subjective que le mental se fait de l'univers, mais l'univers et ses objets ne sont pas qu'une image ou qu'une représentation. Essentiellement, ce sont des créations de la conscience, mais d'une conscience qui est une avec l'être, dont la substance est la substance de l'Être et dont les créations, elles aussi, sont faites de cette substance, et par conséquent réelles. Selon ce point de vue, le monde ne peut être une création purement subjective de la Conscience; la vérité subjective et la vérité objective des choses sont toutes deux réelles, ce sont deux aspects de la même Réalité.

Dans un certain sens, pour employer les termes relatifs et suggestifs de notre langage humain, toutes choses sont les symboles que nous' devons utiliser pour nous approcher de plus en plus de Cela par quoi' ces choses et nous-mêmes existons. L'infinité de l'unité est un symbole, l'infinité de la multiplicité en est un autre ; en outre, chaque chose dans la multiplicité renvoyant à l'unité, chaque chose que nous appelons finie étant une image représentative, une forme frontale, une silhouette esquissant quelque chose de l'infini, tout ce qui le définit dans l'univers — tous ses objets, ses événements, ses formations conceptuelles, ses formations vitales —, est à son tour un indice et un symbole. Pour. notre mental subjectif, l'infinité de l'existence est un symbole, l'infinité de la non-existence un autre symbole. L'infinité de l'Inconscient et l'infinité du Supraconscient sont deux pôles de la manifestation du Parabrahman absolu; notre existence entre ces deux pôles et notre passage de l'un à l'autre sont une saisie progressive, une constante interprétation, une construction subjective en nous de cette manifestation du Non-manifesté. Par ce déploiement de notre existence en soi nous devons devenir conscients de sa Présence ineffable, et conscients que tout, nous-mêmes et le monde et tout ce qui est et tout ce qui n'est pas, est le dévoilement de ce qui ne se dévoile jamais entièrement qu'à sa propre lumière éternelle et absolue.

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Mais cette façon de voir les choses est propre au mental lorsqu'il cherche à interpréter la relation entre l'Être et le Devenir extérieur. Elle est valable en tant que représentation mentale dynamique correspondant à une certaine vérité de la manifestation, mais à condition que ces valeurs symboliques ne fassent pas des choses elles-mêmes de simples jetons signifiants, des symboles abstraits comme des formules mathématiques ou autres signes que le mental utilise pour acquérir la connaissance. Les formes et les événements dans l'univers sont en effet des réalités signifiant la Réalité ; ce sont des expressions de soi de Cela, des mouvements et des pouvoirs de l'Être. Chaque forme existe parce qu'elle exprime quelque pouvoir de Cela qui l'habite ; chaque événement est un mouvement dans l'élaboration d'une Vérité de l'Être en son processus dynamique de manifestation. C'est cette signification qui donne sa validité à la connaissance interprétative du mental, à sa construction subjective de l'univers. Notre mental a principalement une fonction perceptive et interprétative, et de façon secondaire et dérivée, une fonction créatrice. Telle est en fait la valeur de toute subjectivité mentale : elle reflète une certaine vérité de l'Être qui existe indépendamment du reflet -—; que cette indépendance se présente comme une objectivité physique ou comme une réalité supraphysique qui peut être perçue par le mental, mais non par les sens physiques. Le mental n'est donc pas le constructeur originel de l'univers : c'est un pouvoir intermédiaire qui a une valeur pour certaines actualités de l'être ; agent, intermédiaire, il réalise des possibilités et joue son rôle dans la création, mais la vraie créatrice est une Conscience, une Énergie inhérente à l'Esprit transcendant et cosmique.

Il existe une vue opposée de la réalité et de la connaissance, qui affirme que la Réalité objective est la seule et entière vérité, et la connaissance objective, la seule qui soit entièrement fiable. Ce point de vue part de l'idée que l'existence physique est l'unique existence fondamentale. Elle relègue la conscience, le mental, l'âme ou l'esprit au rang de produits temporaires de l'Énergie physique en son action cosmique — à supposer que l'âme ou l'esprit aient la moindre existence. Tout ce qui n'est pas physique et objectif a une moindre réalité, qui dépend du physique et de l'objectif, et doit pour se justifier donner au mental physique des preuves objectives, ou des signes distinctifs et vérifiables de sa relation avec la vérité des choses physiques et extérieures, avant que le passeport de. la réalité ne lui soit délivré.

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Mais il est évident que l'on ne peut accepter cette solution à la lettre, car elle n'est pas intégrale, elle n'envisage qu'un aspect de l'existence, et même qu'une province ou qu'un district de l'existence et laisse tout le reste inexpliqué, sans réalité inhérente, sans signification. Poussée à son extrême limite, elle donnerait à une pierre ou à un plum-pudding une réalité supérieure, et une réalité inférieure et subordonnée, voire insubstantielle et évanescente, à la pensée, à l'amour, au courage, au génie, à la grandeur, à l'âme et au mental humains qui affrontent et maîtrisent un monde obscur et dangereux. Dans cette optique, en effet, ces choses si grandes pour notre vision subjective n'ont de valeur qu'en tant que réactions d'un être matériel objectif à une existence matérielle objective, et que dans la mesure où elles s'occupent de réalités objectives et agissent sur elles : l'âme, si elle existe, n'est qu'une. circonstance d'une Nature universelle objectivement réelle. Mais on pourrait soutenir, au contraire, que l'objectif ne prend de .valeur que s'il est en rapport avec l'âme ; c'est un champ, une occasion, un moyen pour la progression de l'âme dans le Temps : l'objectif est créé comme un terrain de manifestation pour le subjectif. Le monde objectif n'est qu'une forme extérieure du devenir de l'Esprit ; c'est ici une première forme, une base, mais ce n'est pas la chose essentielle, la principale vérité de l'être. Le subjectif et l'objectif sont deux aspects nécessaires de la Réalité manifestée et ils ont une égale valeur. Dans le domaine de l'objectif lui-même, l'objet supraphysique de la conscience a le même droit d'entrée que l'objectivité physique; on ne peut l'écarter a priori comme une Illusion subjective ou une hallucination.

En fait, subjectivité et objectivité ne sont pas des réalités indépendantes, mais dépendent l'une de l'autre. Elles sont l'Être qui, par la conscience, se regarde lui-même comme sujet dans l'objet, et le même Être s'offrant à sa propre conscience comme objet au sujet. Le point de, vue plus partiel n'accorde aucune réalité substantielle à tout ce qui n'existe que dans la conscience ou, plus précisément, à tout ce dont témoignent la conscience ou les sens intérieurs, mais à quoi les sens physiques extérieurs ne donnent ni fondement, ni justification. Cependant, les sens extérieurs ne peuvent fournir de preuves fiables que s'ils soumettent leur version de l'objet à la conscience, et si la conscience donne un sens à leur rapport, ajoute à son caractère extérieur sa propre interprétation intérieure intuitive et le justifie par une adhésion raisonnée; car ces preuves sensorielles sont toujours imparfaites, on ne peut vraiment s'y fier et elles

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ne sont certainement pas définitives, étant incomplètes et constamment sujettes à l'erreur. En vérité, nous n'avons aucun moyen de connaître l'univers objectif sinon par notre conscience subjective, dont les sens physiques sont eux-mêmes des instruments : tel le monde lui apparaît, et apparaît en elle, tel il nous apparaît. Si nous refusons toute réalité aux preuves que ce témoin universel confère aux objectivités subjectives ou supraphysiques, il n'y a pas de raison suffisante d'accorder une réalité aux preuves et au soutien qu'il apporte aux objectivités physiques; si les objets intérieurs ou supraphysiques de la conscience sont irréels, l'univers physique objectif a, lui aussi, toutes les chances d'être irréel. Dans chaque cas, la compréhension, la discrimination, la vérification sont nécessaires; mais le subjectif et le supraphysique doivent avoir une autre méthode de vérification que celle que nous appliquons avec succès au physique et à l'objectif extérieur. L'expérience subjective ne peut être soumise aux preuves des sens extérieurs; elle a ses propres normes de vision et sa méthode intérieure de vérification. De par leur nature même, les réalités supraphysiques ne peuvent pas non plus être soumises au jugement du mental physique ou sensoriel, sauf quand elles se projettent dans le physique, et même alors ce jugement est souvent incompétent ou sujet à caution. Elles ne peuvent être vérifiées que par d'autres sens et par une méthode d'examen minutieux et d'affirmation qui s'applique à leur réalité et leur nature particulières.

Il existe différents ordres de réalité ; l'objectif et le physique ne sont que l'un d'entre eux. Il convainc le mental physique et extériorisateur parce qu'il est directement évident pour les sens, tandis que ce même mental n'a aucun moyen de connaître le subjectif et le supraphysique, si ce n'est à partir de signes, de données et d'inférences fragmentaires qui sont à chaque pas sujets à erreur. Nos mouvements subjectifs et nos expériences intérieures forment un domaine d'événements aussi réels que n'importe quel événement physique extérieur; mais si, par expérience directe, le mental individuel peut savoir quelque chose de ses propres phénomènes, il ignore ce qui se passe dans la conscience des autres, sauf par analogie avec sa propre conscience, ou par les signes, données et inférences que son observation extérieure peut lui fournir. Je suis donc intérieurement réel pour moi-même, mais la vie invisible des autres n'a pour moi qu'une réalité indirecte, sauf dans la mesure où elle empiète sur mon mental, ma vie et mes sens. C'est la limitation du mental physique de l'homme, qui prend ainsi l'habitude de ne croire entièrement qu'au

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physique et de mettre en doute ou de contester tout ce qui ne s'accorde pas avec son expérience et le champ de sa compréhension, ou bien ne cadre pas avec ses normes ou avec la somme de ses connaissances établies.

On a récemment élevé cette attitude égocentrique au rang des critères valables de connaissance ; implicitement ou explicitement, on a admis comme axiome que pour être valable toute vérité doit être soumise au jugement du mental personnel, de la raison et de l'expérience de chaque homme, ou qu'elle doit être vérifiée, ou tout au moins vérifiable, par une expérience commune ou universelle. Mais de toute évidence, c'est là un faux critère de la réalité et de la connaissance, puisqu'il implique la souveraineté du mental normal ou moyen, de sa capacité et de son expérience limitées, et l'exclusion de ce qui est supranormal ou dépasse l'intelligence moyenne. À l'extrême, cette prétention de l'individu à juger de tout est une illusion de l'ego, une superstition du mental physique, et, dans l'ensemble, une erreur grossière et fort commune. Il y a cependant une vérité derrière tout cela : c'est que chaque homme doit penser par lui-même, connaître les choses par lui-même selon ses capacités, mais que son jugement ne peut avoir de valeur que s'il est prêt à apprendre et à s'ouvrir à une connaissance toujours plus vaste. On estime que s'écarter de la norme physique et du principe de vérification personnelle ou universelle, conduit à de grossières illusions et à l'admission de vérités non vérifiées et de fantaisies subjectives dans le domaine de la connaissance. Mais l'erreur et l'illusion et l'intrusion de la personnalité et de la subjectivité dans la poursuite de la connaissance sont toujours présentes, et les normes et méthodes physiques ou objectives ne les excluent pas. La probabilité de l'erreur n'est pas une raison pour ne plus rien tenter, et l'on doit poursuivre la découverte subjective par une méthode subjective d'examen, d'observation et de vérification. La recherche dans le supraphysique doit élaborer, accepter et expérimenter des moyens et des méthodes appropriés, autres que ceux par lesquels on examine les éléments constitutifs des objets physiques et les processus de l'Énergie dans la Nature matérielle.

Refuser d'étudier la question pour des raisons générales, préconçues et à priori, est un obscurantisme qui porte autant préjudice à l'expansion de la connaissance que l'obscurantisme religieux qui s'opposa, en Europe, à l'expansion des découvertes scientifiques. Les

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plus grandes découvertes intérieures, l'expérience de l'être en soi, la conscience cosmique, le calme intérieur de l'esprit libéré, l'influence directe d'un mental sur un autre, la connaissance des choses obtenue par un contact direct de la conscience avec une autre conscience ou avec ses objets, et la plupart des expériences spirituelles ayant quelque valeur, ne sauraient passer devant le tribunal de la mentalité commune qui n'a aucune expérience de ces choses et prend son manque d'expérience, ou son incapacité à en avoir, pour preuve qu'elles n'ont aucune valeur ou aucune existence. La vérité concrète des formules, des généralisations, des découvertes fondées sur l'observation physique peuvent être soumises à un tel jugement, mais même dans ce fias, il est nécessaire d'éduquer nos facultés avant de pouvoir vraiment comprendre et juger. Sans un entraînement préalable, rares sont les esprits qui peuvent saisir les mathématiques de la relativité ou d'autres vérités scientifiques complexes, ou juger de la valeur de leurs résultats ou de leurs méthodes. Certes, pour que leur vérité soit reconnue, toute réalité, toute expérience doivent pouvoir être vérifiées par une expérience identique ou analogue ; ainsi, tous les hommes peuvent en fait avoir une expérience spirituelle, la. suivre et la vérifier en eux-mêmes, mais il faut pour cela qu'ils en aient acquis la capacité ou qu'ils aient suivi les méthodes intérieures qui rendent possibles cette expérience et cette vérification. Il est nécessaire d'insister sur ces vérités élémentaires évidentes, car les idées opposées ont dominé toute une période récente de la pensée humaine — leur influence commence tout juste à décliner — et elles ont fait obstacle au développement d'un vaste domaine de connaissance possible. Il est suprêmement important que l'esprit humain soit libre de sonder les profondeurs de la réalité intérieure ou subliminale, de la réalité spirituelle et de celle qui est encore dans l'infini, au lieu de se murer dans le mental physique et son étroit domaine de solidité extérieure et objective ; car c'est la seule façon de nous affranchir de l'Ignorance où demeure .neutre mentalité et, libérés, d'accéder à une conscience complète, une réalisation et une connaissance vraies et intégrales de nous-mêmes.

Une connaissance intégrale exige que l'on explore et dévoile tous les domaines possibles de conscience et d'expérience, car il existe des domaines subjectifs de notre être qui s'étendent derrière la surface évidente ; il faut les sonder, et admettre dans le champ de la réalité totale .tout ce que nous aurons vérifié. Il existe toute une gamme intérieure d'expérience spirituelle qui forme un très grand domaine de la conscience

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humaine; il faut y pénétrer jusqu'en ses profondeurs les plus extrêmes et ses étendues les plus vastes. Le supraphysique est aussi réel que le physique; sa connaissance fait partie d'une connaissance intégrale. On a associé la connaissance du supraphysique au mysticisme et à l'occultisme, et l'on a banni l'occultisme comme une superstition, une erreur et une divagation. Mais l'occulte fait partie de l'existence; le véritable occultisme n'est autre qu'une recherche dans le domaine des réalités supraphysiques et un dévoilement des lois cachées de l'être et de la Nature, de tout ce qui n'est pas évident à la surface. Il tente de découvrir les lois secrètes du mental et de l'énergie mentale, les lois secrètes de la vie et de l'énergie vitale, les lois secrètes du physique subtil et de ses énergies —tout ce que la Nature n'a pas fait agir visiblement, à la surface; il aspire également à trouver une application à ces vérités et ces pouvoirs cachés de la Nature, afin d'étendre la maîtrise de l'esprit humain au-delà des opérations ordinaires du mental, de la vie et de notre existence physique. Dans le domaine spirituel qui, pour le mental de surface, est occulte dans la mesure où il dépasse l'expérience normale et pénètre en l'expérience supranormale, il est possible non seulement de découvrir le moi et esprit, mais la lumière de la conscience spirituelle qui nous élève, nous façonne du dedans et nous guide, et le pouvoir de l'esprit, la voie spirituelle de la connaissance, la manière spirituelle d'agir. Connaître ces choses et impartir leurs vérités et leurs forces à la vie humaine fait nécessairement partie de l'évolution de l'humanité. À sa manière, la science elle-même est un occultisme, car elle met en lumière les formules que la Nature a cachées et elle utilise sa connaissance pour libérer certaines opérations de ses énergies, qu'elle n'a pas incluses dans ses fonctionnements ordinaires, et pour organiser et mettre au service de l'homme ses pouvoirs et processus occultes : un vaste système de magie physique — car il n'y a et il ne peut y avoir d'autre magie que l'utilisation des vérités secrètes de l'être, des pouvoirs et des processus secrets de la Nature. Peut-être même découvrira-t-on qu'une connaissance supraphysique est nécessaire à l'intégralité de la connaissance physique, car derrière les méthodes de la Nature physique se trouve un facteur supraphysique, une puissance et une action mentales, vitales ou spirituelles qui ne sont tangibles pour aucun mode extérieur de connaissance.

Tous ceux qui affirment la valeur exclusive ou fondamentale du réel objectif, s'appuient sur le sens de la réalité primordiale de la Matière. Or il est maintenant évident que la Matière n'est, en aucune

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façon, fondamentalement réelle; c'est une structure de l'Énergie. On commence même à se demander si les actes et les créations de cette Énergie elle-même peuvent s'expliquer autrement que comme mouvements de puissance d'un Mental secret ou d'une secrète Conscience dont ses processus et ses étapes structurales seraient les formules. Il n'est donc plus possible de considérer la Matière comme l'unique réalité. L'interprétation matérialiste de l'existence résultait d'une concentration exclusive, d'une recherche portant sur un seul mouvement de l'Existence. Une concentration aussi exclusive a son utilité et elle est donc acceptable, comme les nombreuses et immenses, innombrables et subtiles découvertes de la Science physique l'ont récemment prouvé. Mais une solution de tout le problème de l'existence ne peut reposer sur une connaissance exclusive et unilatérale ; nous devons savoir non seulement ce que sont la Matière et ses processus, mais ce que sont le Mental et la Vie et leurs processus, et il faut également connaître l'Esprit et l'âme et tout ce qui se trouve derrière la surface matérielle; alors seulement nous pourrons avoir une connaissance suffisamment intégrale pour résoudre le problème. Pour la même raison, ces conceptions de l'existence qui naissent d'un intérêt exclusif ou dominant pour le Mental et la Vie, considérés comme la seule réalité fondamentale, n'ont pas une base assez large pour qu'on puisse les accepter. Un tel souci de concentration exclusive peut conduire à un examen fructueux qui met largement en lumière le Mental et la Vie, mais ne peut aboutir à une solution totale du problème. Il se pourrait très bien qu'une concentration exclusive ou prédominante sur l'être subliminal, l'existence de surface n'étant considérée que comme un simple système de symboles conçus pour exprimer sa seule réalité, jette une puissante lumière sur le subliminal et ses opérations, et accroisse considérablement les pouvoirs de l'être humain ; mais ce ne serait pas en soi une solution intégrale, et ne nous conduirait pas non plus avec succès à la connaissance intégrale de la Réalité. Selon notre point de vue, l'Esprit, le Moi est 'la réalité fondamentale de l'existence; mais une concentration exclusive sur cette réalité fondamentale, refusant toute réalité au Mental, à la Vie et à la Matière, ne voyant en eux que des choses imposées sur le Moi, ou des ombres sans substance projetées par l'Esprit, pourrait contribuer à une réalisation spirituelle indépendante et radicale, mais pas à une explication intégrale et valable de la vérité de l'existence cosmique et individuelle.

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Une connaissance intégrale doit donc être une connaissance de la vérité de tous les aspects de l'existence, considérés à la fois séparément et dans les rapports de chacun avec tous et de tous avec la vérité de l'Esprit. Notre état présent est une Ignorance et une quête multiforme, nous recherchons la vérité de toutes choses mais — comme le prouvent l'insistance et la diversité des spéculations du mental humain sur la Vérité fondamentale qui explique toutes les autres, sur la Réalité qui est à la base de toutes choses —, la vérité fondamentale des choses, leur réalité de base doit se trouver en quelque Réel à la fois fondamental et universel. C'est ce qui, une fois découvert, doit tout embrasser et tout expliquer — car " lorsque Cela est connu, tout est connu ". Le Réel fondamental doit nécessairement être et contenir la vérité de toute existence, la vérité de l'individu, la vérité de l'univers, la vérité de tout ce qui est au-delà de l'univers. Lorsqu'il s'est mis en quête d'une telle Réalité, expérimentant toutes choses, depuis la Matière jusqu'aux plus hauts sommets, pour voir si elles ne pourraient pas être Cela, le Mental n'a pas suivi une fausse intuition. Ce qu'il faut, c'est pousser la recherche jusqu'au bout, poursuivre l'expérience jusque sur ses plans les plus élevés, les plus absolus.

Mais puisque nous partons de l'Ignorance pour atteindre à la Connaissance, il nous a fallu d'abord découvrir la nature secrète et toute l'étendue de cette Ignorance. Si nous considérons cette Ignorance où nous vivons habituellement du fait même de notre existence séparée dans un univers matériel, un univers spatial et temporel, nous voyons que, sous son aspect le plus obscur, d'où que nous la regardions ou l'abordions, elle se réduit à une ignorance protéiforme de nous-mêmes. Nous ignorons l'Absolu qui est la source de tout être et de tout devenir ; nous prenons des faits partiels de l'être, des relations temporelles du devenir pour la vérité totale de l'existence — c'est là l'ignorance première, l'ignorance originelle. Nous ignorons le Moi aspatial, intemporel, immobile et immuable; nous prenons la mobilité et les mutations constantes du devenir cosmique dans le Temps et l'Espace pour la vérité totale de l'existence—c'est là la seconde ignorance, l'ignorance cosmique. Nous ignorons notre moi universel, l'existence cosmique, la conscience cosmique, notre unité infinie avec tout être et tout devenir; nous prenons notre ego mental, vital et physique pour notre vrai moi et considérons tout le reste comme non-moi — c'est là notre troisième ignorance, l'ignorance de l'ego. Nous ignorons

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notre devenir éternel dans le Temps ; nous prenons cette petite vie dans une part infime du Temps, dans un champ dérisoire de l'Espace, pour notre commencement, notre milieu et notre fin — c'est la quatrième ignorance, l'ignorance temporelle. Au cœur même de ce bref devenir temporel, nous ignorons notre être vaste et complexe, ce qui, en nous, est supraconscient, subconscient, intraconscient, circumconscient par rapport à notre devenir de surface ; nous prenons celui-ci, et son petit assortiment d'expériences ouvertement mentalisées, pour notre existence tout entière — c'est la cinquième ignorance, l'ignorance psychologique. Nous ignorons la vraie constitution de notre devenir ; nous prenons le mental ou la vie ou le corps, ou deux d'entre eux, ou les trois, pour notre vrai principe ou pour toute l'explication de ce que nous sommes, perdant de vue ce qui les constitue, ce qui, par sa présence occulte, détermine leurs opérations, et qui émerge afin de les déterminer souverainement — c'est la sixième ignorance, l'ignorance constitutive. La conséquence de toutes ces ignorances, c'est que la vraie connaissance, le vrai gouvernement, la vraie jouissance de notre vie dans le monde nous échappent; nous sommes ignorants dans notre pensée, notre volonté, nos sensations, nos actions, nous donnons à chaque fois des réponses fausses ou imparfaites aux questions du monde, nous errons dans un dédale d'erreurs et de désirs, d'efforts et d'échecs, de douleurs et de plaisirs, de péchés et de trébuchements, nous suivons une route tortueuse, tâtonnant aveuglément vers un but changeant — c'est la septième ignorance, l'ignorance pratique. 

Notre conception de l'Ignorance déterminera nécessairement notre conception de la Connaissance et déterminera donc — puisque notre vie est l'Ignorance qui, à la fois, nie et recherche la Connaissance — le but de l'effort humain et la finalité de l'aventure cosmique. La connaissance intégrale signifiera donc l'abolition de la septuple Ignorance par la découverte de ce qu'elle manque et ignore, une septuple révélation de nous-mêmes en notre conscience : elle signifiera la connaissance que l'Absolu est l'origine de toutes choses ; la connaissance du Moi, de l'Esprit, de l'Être, et du cosmos comme devenir du Moi, devenir de l'Être, manifestation de l'Esprit; la connaissance que le monde est un avec nous dans la conscience de notre vrai moi, annulant ainsi la division due à l'idée et à la vie séparatrices de l'ego ; la connaissance de notre entité psychique et de sa persistance immortelle dans le Temps au-delà de la mort et de l'existence terrestre ; la connaissance de notre existence intérieure plus

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grande derrière la surface; la connaissance de notre mental, de notre vie et de notre corps en leur vraie relation avec le moi au-dedans et avec l'être spirituel supraconscient et l'être supramental au-dessus; enfin, la connaissance de la vraie harmonie et du vrai usage de notre pensée, de notre 'volonté et de notre action, et un changement de toute notre nature en une expression consciente de la vérité de l'Esprit, du Moi, du Divin, de la Réalité spirituelle intégrale.

Mais ce n'est pas là une connaissance intellectuelle que l'on puisse acquérir et parfaire dans le moule actuel de notre conscience; ce doit être une expérience, un devenir, un changement de conscience, un changement d'être, d'où le caractère évolutif du Devenir et le fait que notre ignorance mentale ne soit qu'une étape dans notre évolution. Nous ne pouvons donc acquérir la connaissance intégrale que par une évolution de notre être et de notre nature, et cela semblerait impliquer un lent processus dans le Temps, comme celui qui a accompagné les autres transformations évolutives. Mais cela se trouve contredit par le fait que l'évolution est maintenant devenue consciente et que sa méthode et ses étapes n'auront plus nécessairement le même caractère que lorsque son processus était subconscient. La connaissance intégrale devant résulter d'un changement de conscience, on peut l'acquérir par un processus où notre volonté et notre effort ont une part, où ils peuvent découvrir leur méthode et leurs étapes particulières et les suivre; sa croissance en nous peut s'accomplir par une transformation consciente de nous-mêmes. Il est dès lors nécessaire de voir quel est le principe probable de ce nouveau processus évolutif et quels sont les mouvements de la connaissance intégrale qui doivent obligatoirement y apparaître ou, en d'autres termes, quelle est la nature de la conscience qui doit être le fondement de la vie divine, et dans quelle mesure cette vie sera formée, ou se formera elle-même, se matérialisera ou, pourrait-on dire, se "réalisera ".

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