Sri Aurobindo's principal work of philosophy and metaphysics, expounding a vision of spiritual evolution culminating in the transformation of man from a mental into a supramental being and the advent of a divine life upon earth.
Sri Aurobindo's principal work of philosophy and metaphysics. In this book, Sri Aurobindo expounds a vision of spiritual evolution culminating in the transformation of man from a mental into a supramental being and the advent of a divine life upon earth. The material first appeared as a series of essays published in the monthly review Arya between 1914 and 1919. They were revised by Sri Aurobindo in 1939 and 1940 for publication as a book.
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Il existe un moi dont l'essence est Matière; il existe un autre moi intérieur de Vie, qui emplit le premier ; il existe un autre moi intérieur de Mental; un autre moi intérieur de Connaissance-de-Vérité; un autre moi intérieur de Béatitude.
Taittirîya Upanishad. II. 1-5.
Ils escaladent Indra comme une échelle. A mesure que l'on s'élève de pic en pic, apparaît clairement tout ce qui reste à accomplir, Indra apporte la conscience que Cela est le but.
Tel un faucon, tel un milan. Il se fixe sur le Vaisseau et le soutient ; dans le flot de Son mouvement Il découvre les Rayons, car Il va portant ses armes ; Il s'attache à la houle océanique des eaux ; grand roi, Il proclame le quatrième état. Tel un mortel purifiant son corps, tel un destrier galopant à la conquête des richesses, lançant son appel Il se déverse à travers toute l'enveloppe et pénètre en ces vaisseaux.
Rig-Véda. 1.10.1,2; IX. 96.19, 20.
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Si nous considérons ce qui, pour nous, représente le mieux la matérialité de la Matière, nous verrons que ce sont ses aspects de solidité, de tangibilité, de résistance croissante, de ferme réponse au contact des sens. La substance paraît d'autant plus véritablement matérielle et réelle qu'elle nous oppose une résistance tenace et, du fait de cette résistance, présente une forme sensible permanente sur laquelle notre conscience peut se fixer; elle nous semble moins matérielle à mesure qu'elle se fait plus subtile, que sa résistance perd de sa densité et que les sens peuvent la saisir de façon moins permanente. Cette attitude de la conscience ordinaire vis-à-vis de la Matière est un symbole de l'objet essentiel pour lequel la Matière a été créée. La substance passe à l'état matériel afin de pouvoir offrir, à la conscience qui doit entrer en rapport avec elle, des images durables, fermement saisissables, sur lesquelles le mental puisse s'appuyer pour fonder ses opérations, et où la Vie puisse trouver, dans la forme qu'elle façonne, une relative garantie de permanence. C'est pourquoi, dans l'ancienne formule védique, la Terre, typique des états plus solides de la substance, est le terme symbolique reconnu désignant le principe matériel. C'est pourquoi, également, le toucher ou contact est pour nous le fondement primordial des sens ; tous les autres sens physiques, le goût, l'odorat, l'ouïe, la vue, reposent sur une série de contacts de plus en plus subtils et indirects entre le sujet qui perçoit et l'objet perçu. Nous voyons également, dans la classification sânkhyienne des cinq états élémentaires de la substance, depuis l'éther jusqu'à la terre, que leur caractéristique est une progression constante du plus subtil au moins subtil, en sorte qu'au sommet se trouvent les vibrations subtiles de la condition élémentaire éthérique, et à la base la densité plus grossière de la condition élémentaire terrestre ou solide. La Matière est donc la dernière étape connue dans la progression de la substance pure vers une base de relation cosmique
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où le premier terme sera, non point l'Esprit mais la forme, et la forme au plus haut degré possible de sa concentration, de sa résistance, de son image brute permanente, de l'impénétrabilité mutuelle de la forme et de l'Esprit — point culminant de la distinction, de la séparation et de la division. Telle est l'intention, tel est le caractère de l'univers matériel; c'est la formule de la divisibilité accomplie.
Et si, comme le veut la nature même des choses, il existe une série ascendante dans l'échelle de la substance reliant la Matière à l'Esprit, elle doit être marquée par une diminution progressive des propriétés les plus caractéristiques du principe physique et par une augmentation progressive des caractères opposés qui nous conduiront à la formule de la pure extension spirituelle. Autrement dit, ces propriétés doivent être marquées par un asservissement de plus en plus réduit à la forme, par une subtilité et une flexibilité croissantes de la substance et de la force, et par une fusion, une interpénétration, un pouvoir d'assimilation, d'échange, de variation, de transmutation, d'unification toujours plus grands. En nous éloignant de la durabilité de la forme, nous nous rapprochons de l'éternité de l'essence; en nous éloignant de notre équilibre dans la séparation et la résistance persistantes de la Matière physique, nous nous rapprochons du suprême équilibre divin dans l'infinité, l'unité et l'indivisibilité de l'Esprit. Telle doit être l'antinomie fondamentale entre la substance grossière et la pure substance spirituelle. Dans la Matière, Chit, la Force-Consciente, se condense de plus en plus pour résister à d'autres masses de la Force-Consciente, et s'affirmer; dans la substance de l'Esprit, la pure conscience se représente librement dans sa perception de soi avec une indivisibilité essentielle et un constant échange unificateur comme formule de base, qui s'applique même au jeu le plus diversifiant de sa Force. Entre ces deux pôles, une gradation infinie est possible.
Ces considérations revêtent une grande importance lorsque nous envisageons la possibilité d'une relation entre la vie divine et le mental divin d'une âme humaine ayant atteint à sa perfection, et ce corps très grossier et apparemment non divin, formule de l'être physique, où nous sommes actuellement établis. Cette formule est le résultat d'une certaine relation fixe entre les sens et la substance, qui est à l'origine de l'univers matériel. Cependant cette formule, tout comme cette relation,
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n'est pas la seule possible. La vie et le mental peuvent se manifester dans un autre type de relation avec la substance et élaborer des lois physiques différentes, d'autres habitudes d'un caractère supérieur, voire une substance corporelle différente, avec un jeu plus libre des sens, de la vie et du mental. Mort, division, résistance, exclusion mutuelles entre les masses incarnées de la même force-de-vie consciente, constituent la formule de notre existence physique ; l'étroite limitation de l'activité des sens, le déterminisme qui agit dans un petit cercle du champ, la durée et le pouvoir des opérations de la vie, l'obscurcissement, le mouvement boiteux, le fonctionnement brisé ou borné du mental, forment le joug que cette formule exprimée dans le corps animal a imposé aux principes supérieurs. Mais ces choses ne constituent pas le seul rythme possible de la Nature cosmique. Il y a des états supérieurs, il y a des mondes plus élevés, et si, par un progrès quelconque, par une libération permettant à notre substance d'échapper à ses imperfections actuelles, on réussit à imposer la loi de ces mondes à la forme, à l'instrument sensible qu'est notre être, alors, même en ce monde, peut s'élaborer le fonctionnement physique d'un mental et de sens divins, un fonctionnement physique de la vie divine dans le corps humain, et il est même possible qu'évolue sur la terre ce que nous pourrions appeler un corps divinement humain. On peut envisager qu'un jour, même le corps de l'homme sera transfiguré, et que la Terre-Mère révélera en nous sa divinité.
Il y a, jusque dans la formule du cosmos physique, une série ascendante de l'échelle de la Matière qui nous conduit du plus dense au moins dense, du moins subtil au plus subtil. Lorsque nous atteignons le plus haut degré de cette série, la subtilité la plus supra-éthérée de la substance matérielle, de la formulation de la Force, qu'est-ce qui s'étend au-delà ? Ni le Néant, ni le vide ; car il n'existe rien qui ressemble à un vide absolu ou à une réelle nullité, et ce que nous appelons ainsi est simplement quelque chose que nos sens, notre mental ou notre conscience la plus subtile ne peuvent saisir. Il n'est pas vrai non plus qu'il n'y ait rien au-delà, ou que quelque substance éthérée de la Matière soit l'éternel commencement; car nous savons que la Matière et la Force matérielle ne sont qu'un ultime résultat d'une Substance et d'une Force pures où la conscience est lumineusement consciente d'elle-même et se possède au lieu de se perdre, comme dans la Matière, en un sommeil inconscient et un mouvement inerte. Qu'y a-t-il donc entre cette substance matérielle et cette pure substance? Car nous ne sautons pas de
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l'une à l'autre, nous ne passons pas d'un seul coup de l'inconscient à la conscience absolue. Il doit y avoir, et il y a effectivement des degrés entre la substance inconsciente et l'extension parfaitement consciente de soi, comme entre le principe de la Matière et le principe de l'Esprit.
Tous ceux qui ont si peu que ce soit sondé ces abîmes témoignent qu'il existe une série de formulations de plus en plus subtiles de la substance qui échappent à la formule de l'univers matériel et la dépassent. Sans approfondir ces questions, trop occultes et difficiles pour la présente étude, nous pouvons dire, conformément à notre théorie de base, que ces degrés de la substance, sous un aspect important de leur formulation graduée, correspondent visiblement à la série ascendante Matière, Vie, Mental, Supramental, et à cette autre triplicité, supérieure et divine, qu'est Satchidânanda. En d'autres termes, nous constatons que cette substance se fonde, en son ascension, sur chacun de ces principes et se fait tour à tour le véhicule caractéristique de l'expression de soi cosmique dominante de chacun en leur série ascendante.
Ici, dans le monde matériel, tout est fondé sur la formule de la substance matérielle. Les Sens, la Vie, la Pensée se fondent sur ce que les anciens appelaient le Pouvoir-de-la-Terre ; ils sont issus de lui, obéissent à ses lois, accordent leurs opérations à ce principe fondamental, se laissent limiter par ses possibilités, et s'ils veulent en développer d'autres, ils doivent, même au cours de ce développement, tenir compte de la formule originelle, de son dessein et de ce qu'elle exige de l'évolution divine. Les sens fonctionnent par l'intermédiaire d'instruments physiques, la vie par un système nerveux physique et des organes vitaux physiques, le mental doit édifier ses opérations sur une base corporelle et se servir d'instruments matériels, et même ses pures opérations mentales doivent prendre les données ainsi obtenues comme champ d'action et comme matériau. Or, rien dans la nature essentielle du mental, des sens et de la vie n'impose une telle limitation, car les organes sensoriels physiques ne sont pas les créateurs des perceptions sensorielles, mais eux-mêmes la création, les instruments et, en ce monde, un intermédiaire nécessaire des sens cosmiques ; le système nerveux et les organes vitaux ne sont pas les créateurs de l'action et des réactions de la vie, mais eux-mêmes la création, les instruments et, en ce monde, les intermédiaires nécessaires de la force de Vie cosmique ; le cerveau n'est pas le créateur de la pensée, mais lui-même la création, l'instrument et, en ce monde, l'intermédiaire
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nécessaire du Mental cosmique. La nécessité n'est donc pas absolue, mais téléologique ; elle est le résultat d'une divine Volonté cosmique dans l'univers matériel qui veut affirmer ici une relation physique entre les sens et leur objet, établit une formule et une loi matérielles de la Force-Consciente et s'en sert pour créer des images physiques de l'Être-Conscient qui soient le fait initial, dominant et déterminant du monde où nous vivons. Ce n'est pas une loi d'être fondamentale, mais un principe constructeur rendu nécessaire par l'intention de l'Esprit, par sa volonté d'évoluer dans un monde de Matière.
Au degré suivant de la substance, le fait initial, dominant, déterminant, n'est plus la forme et la force substantielles, mais la vie et le désir conscient. Le monde au-delà de ce plan matériel doit donc être un monde fondé sur une Énergie vitale cosmique consciente, un pouvoir de recherche vitale et une force de Désir, ainsi que sur leur expression propre, et non point sur une volonté inconsciente ou subconsciente revêtant la forme d'une force et d'une énergie matérielles. Toutes les formes, tous les corps, toutes les forces, tous les mouvements de vie, de sensation, de pensée, tous les développements et les plus hautes réalisations, tous les accomplissements de soi en ce monde, sont obligatoirement dominés et déterminés par ce fait initial de la Vie-Consciente à laquelle la Matière et le Mental doivent se soumettre ; c'est leur point de départ, leur base, et ils sont limités — ou exaltés — par ses lois, ses pouvoirs, ses capacités, ses limitations. Et si le Mental cherche à y développer des possibilités plus hautes encore, il n'en doit pas moins, lui aussi, tenir compte de la formule vitale originelle de la force-de-désir, de son dessein et de ce qu'elle exige de la manifestation divine.
Il en va de même pour les gradations supérieures. La suivante, dans la série, est gouvernée par le facteur dominant et déterminant du Mental. La substance doit y être assez subtile et souple pour prendre les formes que lui impose directement le Mental, pour obéir à ses opérations et se soumettre à ce qu'il exige pour s'exprimer et se réaliser lui-même. Les rapports entre sens et substance doivent eux aussi avoir une subtilité et une souplesse correspondantes et être déterminés, non par les rapports entre l'organe physique et l'objet physique, mais par ceux du Mental avec la substance plus subtile sur laquelle il agit. Dans un tel monde, la sujétion de la vie au Mental assumerait une signification que nos faibles opérations mentales et nos facultés vitales limitées, grossières
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et rebelles ne peuvent se représenter de façon adéquate. Là, c'est le Mental qui domine, il est la formule originelle, son dessein prévaut, son exigence l'emporte sur toutes les autres dans la loi de la manifestation divine. À un niveau encore plus élevé, le Supramental — ou, sur un plan intermédiaire, les principes qu'il influence —, et plus haut encore, la pure Béatitude, le pur Pouvoir Conscient ou Être pur, remplacent le Mental comme principe dominant, et nous pénétrons alors dans ces domaines d'existence cosmique qui, pour les anciens voyants védiques, étaient les mondes d'existence divine illuminée et le fondement de ce qu'ils nommaient Immortalité et que, plus tard, les religions indiennes représentèrent par le Brahmaloka ou Goloka, une suprême expression de soi de l'Être en tant qu'Esprit où l'âme libérée en sa plus haute perfection possède l'infinité et la béatitude de l'éternelle Divinité.
Le principe qui sous-tend cette expérience et cette vision toujours ascendantes, soulevées par-delà la formulation matérielle des choses, est que toute existence cosmique est une harmonie complexe et ne se borne pas à l'étroit champ de conscience où la vie et le mental humains ordinaires acceptent d'être emprisonnés. L'être, la conscience, la force, la substance descendent et montent une échelle aux nombreux degrés, et à chaque degré l'être s'étend plus largement, la conscience possède un sens plus vaste de son propre domaine, de son ampleur et de sa joie, la force une plus grande intensité, une capacité plus vive et plus allègre, où la substance exprime sa réalité première de façon plus subtile, plastique, souple, 'aérienne. Car le plus subtil est aussi le plus puissant — le plus réellement concret, pourrait-on dire; il est moins enchaîné que le grossier, son être est plus permanent, son devenir plus riche de possibilités, plus plastique, plus étendu. À chaque plateau de la montagne de l'être, notre expérience qui s'élargit accède à un plan supérieur de notre conscience, et notre existence à un monde plus riche.
Mais comment cette série ascendante affecte-t-elle les possibilités de notre existence matérielle ? Elle ne les affecterait en rien si chaque plan de conscience, chaque monde d'existence, chaque niveau de la substance, chaque degré de la force cosmique, étaient entièrement coupés de ce qui précède et de ce qui suit. Mais c'est le contraire qui est vrai; la manifestation de l'Esprit est une trame complexe, et dans le motif et le dessein d'un principe tous les autres principes s'intègrent comme éléments de l'ensemble spirituel. Notre monde matériel est le
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résultat de tous les autres, car les autres principes sont tous descendus dans la Matière pour créer l'univers physique, et chaque particule de ce que nous appelons Matière les contient tous implicitement; leur action secrète, nous l'avons vu, est involuée en chaque moment de son existence et chaque mouvement de son activité. Et de même que la Matière est le dernier mot de la descente, de même est-elle aussi le premier de la montée; de même que les pouvoirs de tous ces plans, mondes, niveaux, degrés sont involués dans l'existence matérielle, de même sont-ils tous capables d'en évoluer. C'est pour cette raison que l'être matériel ne commence ni ne finit par des gaz, des composés chimiques, des forces et des mouvements physiques, des nébuleuses, des soleils et des terres, mais qu'il évolue et manifeste la vie, le mental et finira nécessairement par manifester le supramental et les degrés supérieurs de l'existence spirituelle. L'évolution naît d'une pression incessante des plans supra-matériels sur le plan matériel, l'obligeant à délivrer leurs principes et leurs pouvoirs qui, autrement, seraient restés endormis, emprisonnés dans la rigidité de la formule matérielle. Cela est concevable, encore qu'improbable, puisque leur présence sur le plan matériel suppose une finalité libératrice; néanmoins, cette nécessité inférieure est en fait puissamment soutenue par une pression supérieure de même nature.
Cette évolution ne saurait non plus s'achever avec la première formulation rudimentaire de la vie, du mental, du supramental, de l'esprit que le pouvoir réticent de la Matière concède à ces pouvoirs supérieurs. Car à mesure qu'ils évoluent, à mesure qu'ils s'éveillent, qu'ils deviennent plus actifs et plus impatients de réaliser leurs propres potentialités, la pression qu'exercent sur eux les plans supérieurs, pression involuée dans l'existence même des mondes, dans leur étroite relation et leur interdépendance, doit elle aussi devenir plus insistante, plus puissante, plus efficace. Ces pouvoirs ne doivent pas seulement se manifester d'en bas, en une émergence restreinte et diminuée, mais également descendre des plans supérieurs jusque dans l'être matériel, chargés de leur propre pouvoir, et s'y épanouir autant que cela leur est possible; la créature matérielle doit s'ouvrir à un jeu de plus en plus vaste de leurs activités dans la Matière; il n'est besoin que d'un réceptacle, d'un intermédiaire, d'un instrument adéquats. Le corps, la vie et la conscience de l'homme remplissent ces conditions.
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Certes, si ce corps, cette vie et cette conscience se bornaient aux possibilités du corps grossier — les seules qu'acceptent nos sens et notre mentalité physiques —, l'avenir de cette évolution serait fort limité, et l'être humain ne pourrait espérer réaliser rien de fondamentalement supérieur à ses accomplissements actuels. Mais, comme l'antique science occulte l'avait découvert, ce corps n'est pas même la totalité de notre être physique ; cette densité grossière ne constitue pas toute notre substance. La plus ancienne connaissance védântique parle de cinq degrés de notre être : le matériel, le vital, le mental, l'idéal, le spirituel ou béatifique ; à chacun de ces degrés de notre âme correspond un degré de notre substance, une enveloppe comme on l'appelait autrefois de façon imagée. Plus tard, la psychologie védântique découvrit que ces cinq enveloppes de notre substance sont le matériau de trois corps, le corps physique grossier, le corps subtil et le corps causal, et que l'âme réside en tous, concrètement et simultanément, bien qu'ici et maintenant nous ne soyons superficiellement conscients que du véhicule matériel. Mais nous pouvons devenir conscients dans nos autres corps également, et, à vrai dire, l'ouverture du voile qui les sépare et sépare donc nos personnalités physique, psychique et idéale, est la cause de ces phénomènes " psychiques " et " occultes " que l'on commence à étudier de plus près, bien que de façon encore trop insuffisante et maladroite (on ne se prive pourtant pas de les exploiter exagérément). Les anciens hathayogis et tantriques de l'Inde avaient depuis longtemps donné une dimension scientifique à ce problème de la vie et du corps humains supérieurs. Dans le corps grossier, ils avaient distingué six centres vitaux nerveux correspondant à six centres de vie et de faculté mentale dans le corps subtil, et ils avaient conçu des exercices physiques subtils permettant d'ouvrir ces centres actuellement fermés; ainsi l'homme pouvait-il accéder à la vie supraphysique supérieure propre à notre existence subtile, et même détruire ce qui, dans le physique et le vital, fait obstacle à l'expérience de l'être idéal et spirituel. Il est significatif qu'un des principaux résultats que les hathayogis affirmaient obtenir par leurs pratiques et qui, à maints égards, a été vérifié, est la maîtrise de la force vitale physique qui les affranchissait de certaines habitudes ordinaires, ces soi-disant lois que la science physique croit inséparables de la vie corporelle.
Derrière tous ces termes de l'ancienne science psycho-physique, se trouvent le grand fait et la grande loi de notre être : quel que soit l'équilibre temporaire que sa forme, sa conscience et son pouvoir ont
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acquis dans cette évolution matérielle, il doit y avoir par-derrière, et il y a en effet, une existence plus vaste et plus vraie dont celle-ci n'est que le résultat extérieur et l'aspect physiquement sensible. Notre substance ne prend pas fin avec le corps physique; elle n'est que le piédestal, la base terrestre, le point de départ matériel. De même qu'il y a derrière notre mentalité de veille de plus vastes domaines de conscience qui, par rapport à elle, sont subconscients ou supraconscients et dont nous devenons parfois conscients dans certains états paranormaux, de même y a-t-il derrière notre être physique grossier d'autres degrés de substance plus subtils ; leur loi plus pure et leur pouvoir supérieur soutiennent le corps grossier, et si nous pénétrons dans leurs propres domaines de conscience, nous pouvons obtenir d'eux qu'ils imposent cette loi et ce pouvoir à notre matière dense, et substituent leurs états d'être plus purs, plus élevés, plus intenses à notre vie, à nos impulsions et nos habitudes physiques actuelles, frustes et limitées. S'il en est ainsi, l'évolution d'une existence physique plus haute — que ne limitent pas les conditions ordinaires de la naissance, de la vie et de la mort animales, les difficultés de l'alimentation, le déséquilibre et la maladie, auxquels nous succombons si facilement, et la sujétion à des appétits vitaux mesquins et toujours insatisfaits — ne nous apparaît plus comme un rêve et une chimère, mais devient une possibilité fondée sur une vérité rationnelle et philosophique en accord avec tout ce que nous avons jusqu'à présent connu, expérimenté et conçu de la vérité manifeste ou secrète de notre existence.
Rationnellement, il devrait en être ainsi; car la série ininterrompue des principes de notre être et leur étroite relation mutuelle sont trop évidentes pour qu'aucun d'entre eux puisse être condamné et retranché, tandis que les autres seraient capables d'une libération divine. L'ascension de l'homme depuis le physique jusqu'au supramental doit ouvrir la voie à une ascension correspondante dans les degrés de la substance, jusqu'à ce corps idéal ou causal propre à notre être supramental ; et la conquête des principes inférieurs par le supramental, qui permet leur libération dans une vie divine et un mental divin, doit également rendre possible une conquête de nos limitations physiques par le pouvoir et le principe de la substance supramentale. Et cela signifie l'évolution non seulement d'une conscience désentravée, d'un mental et de sens qui ne soient pas enfermés entre les murs de l'ego physique ou limités à la maigre base de connaissance fournie par les organes
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sensoriels physiques, mais un pouvoir de vie de plus en plus affranchi de ses limitations mortelles, une vie physique digne d'un habitant divin. Mais cela ne veut pas dire que nous serons attachés ou réduits à notre structure corporelle présente : ce serait un dépassement de la loi du corps physique — la conquête de la mort, une immortalité terrestre. Car de la Béatitude divine, de la Joie d'être originelle, le Seigneur de l'Immortalité vient, versant le vin de cette Béatitude, le Soma mystique, dans ces jarres de vivante matière mentalisée; éternel et radieux, il pénètre en ces enveloppes de substance pour la transformation intégrale de l'être et de la nature.
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