La Vie Divine 1153 pages 2005 Edition
French Translation
  Cristof Alward-Pitoëff

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Sri Aurobindo's principal work of philosophy and metaphysics, expounding a vision of spiritual evolution culminating in the transformation of man from a mental into a supramental being and the advent of a divine life upon earth.

La Vie Divine

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Sri Aurobindo

Sri Aurobindo's principal work of philosophy and metaphysics. In this book, Sri Aurobindo expounds a vision of spiritual evolution culminating in the transformation of man from a mental into a supramental being and the advent of a divine life upon earth. The material first appeared as a series of essays published in the monthly review Arya between 1914 and 1919. They were revised by Sri Aurobindo in 1939 and 1940 for publication as a book.

Sri Aurobindo Birth Centenary Library (SABCL) The Life Divine Vols. 18,19 1070 pages 1970 Edition
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Sri Aurobindo

Sri Aurobindo's principal work of philosophy and metaphysics. In this book, Sri Aurobindo expounds a vision of spiritual evolution culminating in the transformation of man from a mental into a supramental being and the advent of a divine life upon earth. The material first appeared as a series of essays published in the monthly review Arya between 1914 and 1919. They were revised by Sri Aurobindo in 1939 and 1940 for publication as a book.

French Translations of books by Sri Aurobindo La Vie Divine 1153 pages 2005 Edition
French Translation
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La triple transformation

Un être conscient est le centre du moi, qui gouverne le passé et l'avenir; il est comme un feu sans fumée... Cela, il faut le dégager de son propre corps, avec patience.

Katha Upanishad. 11.1.12,13 ; 11.3.17.

 

Une intuition dans le cœur voit cette vérité.

Rig-Véda. 1.24.12.

 

Je demeure dans l'être spirituel et, de là, je détruis l'obscurité née de l'ignorance, avec la lampe illuminatrice de la connaissance.

Gîta. X.11.

 

Ces rayons sont dirigés vers le bas, leurs fondations sont en haut: puissent-ils s'enfoncer profondément en nous... Ô Varuna, éveille-toi ici-bas, étends largement ton empire; puissions-nous demeurer dans la loi de tes œuvres et rester irréprochables devant la Mère infinie.

 Rig-Véda; 1.24.7,11,15.

 

Le Cygne qui demeure dans la pureté... né de la Vérité, lui-même la Vérité, le Vaste.

Katha Upanishad. 11.2.2.

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Si la seule intention de la Nature, dans l'évolution de l'homme spirituel, est d'éveiller celui-ci à la suprême Réalité et de le délivrer d'elle-même — ou de l'Ignorance derrière laquelle elle s'est masquée en tant que Pouvoir de l'Éternel — en l'incitant à se tourner ailleurs, vers un plus haut état d'être, et si ce stade de l'évolution s'avère être une fin et une issue, alors l'essentiel de son travail est déjà accompli et il ne reste plus rien à faire. Les voies ont été tracées, les capacités nécessaires pour les suivre ont été développées, et le but, l'ultime sommet de la création, a été révélé ; tout ce qui reste à accomplir, c'est, pour chaque âme, d'atteindre individuellement la vraie étape et le vrai tournant de son développement, de s'engager sur les voies spirituelles, et de sortir de cette existence inférieure par le chemin de son choix. Mais nous avons supposé que la Nature avait un plus vaste dessein, non seulement une révélation de l'Esprit, mais une transformation radicale et intégrale de la Nature. Il y a en elle la volonté d'effectuer une vraie manifestation de la vie de l'Esprit dans un corps, d'achever ce qu'elle a commencé, en opérant un passage de l'Ignorance à la Connaissance, de rejeter son masque et de se révéler comme la Conscience-Force lumineuse qui porte en soi l'Existence éternelle et sa Joie d'être universelle. Il devient alors évident que quelque chose n'a pas encore été accompli ; tout ce qui reste à faire apparaît clairement, bhûri aspashta kartvam. Un sommet reste à atteindre, une étendue que doit encore embrasser l'œil de la vision, l'aile de la volonté — l'Esprit doit maintenant s'affirmer dans l'univers matériel. Ce qu'a fait le Pouvoir évolutif, jusqu'à présent, c'est de rendre quelques individus conscients de leur âme, de leur moi, de l'être éternel qu'ils sont, de les mettre en communion avec la Divinité ou la Réalité dissimulée derrière ses apparences. Un certain changement de la nature prépare, accompagne ou suit cette illumination, mais ce n'est pas le changement complet et radical qui établit un nouveau principe sûr et invariable,

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une nouvelle création, un nouvel ordre d'existence permanent dans le domaine de la Nature terrestre. L'homme spirituel est apparu dans l'évolution, mais non l'être supramental qui sera désormais le maître de cette Nature.

Il en est ainsi parce que le principe spirituel ne s'est pas encore affirmé de façon tout à fait indépendante et souveraine. Jusqu'à présent, il a donné à l'être mental le pouvoir de s'évader de lui-même, ou de s'affiner et de s'élever jusqu'à un équilibre spirituel; il a aidé l'Esprit à se libérer du mental et l'être à s'élargir dans un mental et un cœur spiritualisés — mais il ne lui a pas permis, ou du moins pas encore suffisamment, d'affirmer sa propre maîtrise dynamique et souveraine, et ne l'a pas libéré des limitations du mental et des instruments mentaux. D'autres instruments ont commencé à se développer, mais il faut encore que ce développement devienne total et effectif, qu'il cesse, en outre, d'être une création purement individuelle au sein d'une Ignorance originelle, quelque chose de supranormal pour la vie terrestre, voué à demeurer à jamais un accomplissement individuel, le fruit d'un dur labeur. L'emploi de ces instruments doit devenir normal dans la nature d'un type d'être nouveau. De même que le mental est établi ici-bas sur la base d'une Ignorance qui cherche la Connaissance et qui se change en Connaissance, de même le supramental doit s'établir ici-bas sur la base d'une Connaissance qui devient sa propre Lumière plus haute. Mais cela ne peut s'accomplir tant que l'être mental-spirituel ne s'est pas pleinement élevé jusqu'au supramental pour faire descendre ses pouvoirs dans l'existence terrestre; Car un pont doit être jeté sur l'abîme qui sépare le mental du supramental, les passages fermés doivent être ouverts et des routes créées pour monter et descendre, là où maintenant il n'est que vide et silence. Cela ne peut s'accomplir que par la triple transformation dont nous avons déjà parlé brièvement. Il faut d'abord que le changement psychique se produise, la conversion de notre nature actuelle tout entière en un instrument de l'âme ; ensuite, ou en même temps, doit avoir lieu le changement spirituel, la descente d'une lumière, d'une connaissance, d'une puissance, d'une force, d'une félicité, d'une pureté plus hautes, dans tout notre être, même dans les tréfonds de la vie et du corps, même dans l'obscurité de notre subconscience; enfin, couronnant l'ensemble, doit survenir la transmutation supramentale, l'ascension dans le supramental et la descente transformatrice de la Conscience supramentale dans l'intégralité de notre être et de notre nature.

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Au commencement, l'âme dans la Nature, l'entité psychique dont l'épanouissement est le premier pas vers le changement spirituel, est une partie complètement voilée de notre être. Et pourtant, c'est grâce à elle  que nous existons et continuons d'exister en tant qu'êtres individuels dans la Nature. Les autres parties qui composent notre nature ne sont pas seulement changeantes, mais périssables, tandis que l'entité psychique en nous persiste et reste toujours et fondamentalement la même. Elle contient toutes les possibilités essentielles de notre manifestation sur terre, mais n'est pas constituée par elles ; elle n'est pas limitée par ce qu'elle manifeste, ni contenue par les formes incomplètes de la manifestation, ni souillée par les imperfections et les impuretés, les défauts, les dépravations de l'être de surface. C'est une flamme toujours pure de la divinité cachée dans les choses, et rien de ce qui vient à elle, rien de ce qui entre dans notre expérience ne peut entacher sa pureté ou éteindre la flamme. Cette substance spirituelle est immaculée et lumineuse, et parce qu'elle est parfaitement lumineuse, elle perçoit immédiatement, intimement, directement la vérité de l'être et la vérité de la nature ; elle est profondément consciente du vrai, du bien et du beau, parce que le vrai, le bien et le beau sont proches de sa nature, ce sont des formes de cela qui est inhérent à sa propre substance. Elle perçoit aussi tout ce qui contredit ces choses, tout ce qui s'écarte de son caractère inné, le mensonge et le mal, ce qui est laid et fruste; mais elle ne devient pas ces choses, elle n'est pas non plus touchée ni modifiée par tout ce qui contredit sa nature et affecte si puissamment ses instruments extérieurs, le mental, la vie et le corps. Car l'âme, l'être permanent en nous crée et utilise le mental, la vie et le corps comme instruments, et bien qu'elle se laisse envelopper et soit influencée par leur condition, elle est différente et plus grande que ses éléments.

Si, dès le début, l'entité psychique avait été dévoilée à ses ministres et connue d'eux, au lieu d'être un souverain dissimulé dans une chambre :secrète, l'évolution humaine aurait été un épanouissement rapide de l'âme, et non ce développement difficile, mouvementé et défiguré que nous voyons à présent; mais le voile est épais et nous ne connaissons pas la Lumière cachée en nous, la lumière dans la crypte secrète du sanctuaire le plus profond du cœur. Des messages s'élèvent de l'âme, la psyché, vers la surface de notre être, mais notre mental n'en discerne; pas la source ; il les prend pour ses propres activités parce que, avant même d'arriver à la surface, ils sont revêtus de substance mentale ; ainsi,

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ignorant leur autorité, il les suit ou ne les suit pas suivant sa tendance ou son humeur. Si le mental obéit à l'impulsion de l'ego vital, il y a peu de chance pour que l'âme puisse diriger la nature ou y manifester tant soit peu sa substance spirituelle secrète et son mouvement naturel ; ou, si le mental est assez présomptueux pour agir selon sa propre petite lumière,'s'il est attaché à son propre jugement, à sa volonté et à l'action de sa connaissance, l'âme restera également voilée et inactive, attendant une évolution plus avancée du mental. Car l'élément psychique au-dedans est là pour soutenir l'évolution naturelle, dont le premier mouvement doit être le développement successif du corps, ;de "la vie et du mental; ceux-ci doivent donc agir chacun suivant sa propre nature ou tous ensemble dans une association mal assortie, pour croître, faire leur expérience et progresser. L'âme recueille l'essence de toutes nos expériences mentales, vitales et corporelles et les assimile pour que notre existence puisse continuer d'évoluer dans la Nature ; mais cette action est occulte, elle ne s'impose pas en surface. Au cours des premières étapes matérielles et vitales de l'évolution de l'être, il n'y a, en fait, aucune conscience de l'âme ; il y a des activités psychiques, mais les instruments, les formes de ces activités sont vitales et physiques, ou mentales quand le mental est actif. Car le mental lui-même ne reconnaît pas leur caractère profond, tant qu'il est primitif ou que son développement reste encore par trop extérieur. Nous pouvons facilement nous considérer comme des êtres physiques, ou des êtres vitaux, ou des êtres mentaux qui se servent de la vie et du corps, et ignorer totalement l'existence de l'âme. Car la seule idée définie que nous ayons de l'âme, c'est qu'elle survit à la mort de notre corps ; mais ce qu'elle est, nous ne le savons pas, et même si nous sommes parfois conscients de sa présence, nous ne sommes pas normalement conscients de sa réalité distincte, pas plus que nous ne sentons clairement son action directe dans notre nature.

À mesure que se poursuit l'évolution, la Nature fait lentement des essais pour manifester les parties occultes de notre être ; elle nous amène à regarder de plus en plus en nous-mêmes, ou elle commence à projeter à la surface, depuis ces parties occultes, des messages et des formations plus clairement reconnaissables. L'âme en nous, le principe psychique, a déjà commencé à prendre secrètement forme; elle crée et développe une personnalité psychique, un être psychique distinct pour la représenter. Cet être psychique reste encore derrière le voile dans la partie subliminale de notre être, comme le mental vrai, le vital vrai,

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ou comme l'être physique vrai ou subtil; mais il agit, lui aussi, sur les couches superficielles de la vie au moyen des influences et des indications qu'il fait remonter à la surface. Celles-ci viennent se joindre à l'agrégat superficiel qui est le produit de l'agglomération des influences et des surgissements intérieurs ; c'est cette formation ou superstructure visible que généralement nous sentons et croyons être nous-même. Sur cette façade d'ignorance nous percevons vaguement quelque chose que l'on peut appeler une âme et qui est distinct du mental, de la vie et du corps, et cette âme nous la sentons non seulement comme l'idée mentale ou le vague instinct que nous avons de nous-même, mais comme une influence perceptible dans notre vie, notre caractère et notre action. Une certaine sensibilité pour tout ce qui est vrai, bon et beau, raffiné, pur et noble, une réceptivité à ces choses, un besoin de ces choses, une pression sur le mental et la vie pour qu'ils les acceptent et les formulent dans nos pensées, nos sentiments, notre conduite, notre caractère, tels sont les signes les plus habituellement reconnus — bien qu'ils ne soient pas les seuls —, les signes les plus généraux et les plus caractéristiques de l'influence de la psyché. De l'homme qui n'a pas cet élément en lui ou qui' ne répond pas du tout à ces incitations, nous disons qu'il n'a pas d'âme. Car c'est cette influence que nous pouvons le plus aisément reconnaître comme la partie subtile ou même divine en nous, et la plus puissante aussi pour orienter lentement notre nature vers quelque perfection.

Cependant, cette influence ou cette action psychique n'émerge pas tout à fait pure, ou ne demeure pas distincte dans toute sa pureté ; sinon nous serions capables de distinguer clairement ce qu'est l'âme en nous et de suivre consciemment et pleinement ses ordres. Une action occulte du mentale, du vital et du physique subtil intervient, se mélange à elle, essaie de s'en servir et de la modifier à ses propres fins, rapetisse sa divinité, déforme ou réduit son expression, la fait même dévier et trébucher, ou la salit avec les impuretés, les petitesses et les erreurs du mental, de la vie et du corps. Après avoir atteint la surface, ainsi altérée et amoindrie, l'influence psychique est saisie par la nature superficielle qui la reçoit de façon obscure et lui donne une forme entachée d'ignorance, et cela peut produire une déviation ou un mélange encore plus prononcés. Une fausse direction est prise, une déformation se produit, une application et une formation fausses, un résultat erroné de ce qui, en soi, est action pure et substance pure de notre être spirituel. Ainsi se forme une conscience qui est un mélange de l'influence et des suggestions psychiques, pêle-mêle

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avec des idées et des opinions mentales, des désirs et des impulsions vitales, et les tendances habituelles du physique. À l'influence psychique obscurcie viennent se mêler également les efforts ignorants, quoique bien intentionnés, des parties extérieures de l'être qui aspirent à une direction plus haute ; une idéation mentale d'un caractère très mélangé, souvent obscure même dans son idéalisme et commettant parfois des erreurs désastreuses, la ferveur et la passion de l'être émotif qui vient jeter l'écume de ses émotions, de ses sentiments et de sa sentimentalité, l'enthousiasme dynamique de l'être vital, les réactions impatientes du physique, les frémissements et les excitations des nerfs et du corps, toutes ces influences se fondent dans un ensemble complexe que l'on prend souvent pour l'âme, et l'on confond cette action mélangée et confuse avec le souffle de l'âme, avec le développement ou l'action du psychique, ou avec une véritable influence intérieure. L'entité psychique elle-même est libre de toute souillure et de tout mélange, mais ce qui en provient ne jouit pas de la même immunité; c'est pourquoi cette confusion devient possible.

En outre, l'être psychique, la personnalité psychique en nous, n'émerge pas d'un seul coup dans toute sa splendeur et sa lumière ; elle évolue, passe par un lent développement et une lente formation. La forme de son être peut apparaître d'abord indistincte, puis demeurer longtemps faible et embryonnaire, non pas impure mais imparfaite; car sa formation et sa croissance dynamique s'appuient sur le pouvoir de l'âme qui, malgré la résistance de l'Ignorance et de l'Inconscience, s'est effectivement soulevé à la surface, avec plus ou moins de succès, au cours de l'évolution. Son apparition est le signe que l'âme émerge dans la Nature, et si cette émergence est encore limitée et imparfaite, la personnalité psychique, elle aussi, sera faible et sa croissance avortée. Elle est en outre séparée de sa réalité intérieure du fait de l'obscurité de notre conscience, et elle ne communique qu'imparfaitement avec sa propre source dans les profondeurs de l'être. En effet, la route est encore mal tracée, elle s'obstrue facilement, les fils sont souvent coupés ou encombrés de communications d'un autre genre, provenant d'une autre source; ce qu'elle reçoit, la personnalité psychique ne peut donc le transmettre qu'imparfaitement aux instruments extérieurs. Vu la pauvreté de ses moyens, elle doit, dans la plupart des cas, s'en remettre à ces intermédiaires, et c'est sur leurs données qu'elle s'appuie et prend son élan pour s'exprimer et agir, et non sur la seule et infaillible perception

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de l'entité psychique. Dans ces conditions, elle ne peut éviter que la vraie lumière psychique soit amoindrie ou déformée en passant par le mental et se réduise à une simple idée ou opinion, que le sentiment psychique dans le cœur se transforme en une émotion faillible ou en simple sentimentalité et que, dans les parties vitales, la volonté d'agir d'origine psychique se change en un enthousiasme vital aveugle ou en une excitation fiévreuse. La personnalité psychique est bien obligée d'accepter ces déformations, faute de mieux, et elle essaie de se réaliser à travers elles, car influencer le mental, le cœur et l'être vital, et orienter leurs idées, leurs sentiments, leurs enthousiasmes, leurs dynamismes vers ce qui est divin et lumineux fait partie de sa mission ; mais cela ne peut se faire qu'imparfaitement au début, avec des lenteurs et des mélanges. À mesure que la personnalité psychique grandit en force, elle communie plus étroitement avec l'entité psychique qui est à l'arrière-plan, et elle améliore ses communications avec la surface. Elle peut transmettre ses messages au mental, au cœur et à la vie avec une pureté et une énergie accrues, car elle est mieux à même d'exercer un contrôle assuré et de réagir contre les altérations ; dès lors, elle se fait sentir de plus en plus distinctement comme un pouvoir dans notre nature. Mais cette évolutions n'en resterait pas moins lente et longue, si elle était laissée à la seul action automatique et laborieuse de l'Énergie évolutive ; c'est seulement quand l'homme s'éveille à la connaissance de l'âme et qu'il sent le besoin de l'amener à la surface et d'en faire la maîtresse de sa vie et de son action, qu'une méthode d'évolution consciente et plus rapide intervient et qu'une transformation psychique devient possible.

Ce lent développement peut être facilité si le mental perçoit clairement en lui quelque chose au-dedans qui survit à la mort du corps, s'il met l'accent sur cela et s'efforce d'en connaître la nature. Mais au début, cette connaissance est retardée du fait que des éléments et des formations multiples se présentent en nous comme des éléments de l'âme et qu'on peut les confondre avec la psyché. Dans la tradition grecque primitive de l'après-vie, et dans certaines autres traditions, les descriptions que l'on en donne montrent très clairement que ce que l'on prenait alors pour l'âme n'était qu'une formation subconsciente, une empreinte subphysique, une ombre de l'être, ou bien un double, un fantôme de la personnalité. Ce fantôme, appelé à tort esprit, est parfois une formation vitale reproduisant les traits caractéristiques de l'homme, les particularités de sa vie de surface, parfois une prolongation physique subtile

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de la forme superficielle de l'enveloppe mentale ; au mieux, c'est une gaine de la personnalité vitale qui subsiste encore en façade pendant quelque temps, après avoir quitté le corps. À part ces confusions nées d'un contact posthume avec des fantasmes rejetés ou avec les vestiges des enveloppes de la personnalité, la difficulté vient aussi de notre ignorance des parties subliminales de notre nature, et de la forme et des pouvoirs de l'être conscient, ou généralement, qui préside à leur action ; et du fait de cette inexpérience, nous pouvons facilement confondre tel élément du mental intérieur ou du moi vital avec le psychique; Car si l'Être est un et cependant multiple, la même loi est également valable pour nous et les parties de notre être : l'Esprit, le généralement est un, mais il s'adapte aux formations de la Nature. À chaque niveau de notre être préside un pouvoir de l'Esprit; nous avons en nous un moi mental, un moi vital, un moi physique, et nous les découvrons quand nous pénétrons assez profondément au-dedans. Il y a un moi mental, ou généralement mental, qui s'exprime partiellement à la surface, à travers les pensées, les perceptions et les activités de notre nature mentale; un moi vital qui s'exprime partiellement à travers les impulsions, les sentiments, les sensations, les désirs et les activités de notre nature vitale dans la vie extérieure; un moi physique, un moi du corps, qui s'exprime partiellement à travers les instincts, les habitudes et les activités extérieures de notre nature physique. Ces êtres ou " moi " partiels en nous sont des pouvoirs de l'Esprit, et comme tels, ils ne sont pas limités par leur expression temporaire, car ce qu'ils formulent ainsi n'est qu'un fragment des possibilités de l'Esprit ; mais en s'exprimant ils créent une personnalité temporaire, mentale, vitale ou physique, qui croît et se développe, comme l'être psychique ou la personnalité psychique grandit et se développe au-dedans de nous. Chacune de ces personnalités a sa propre nature distincte, son influence, son action sur l'ensemble, mais à mesure que cette action et toutes ces influences viennent à la surface, elles se mélangent et créent un agrégat, un être de surface qui est un composé, un amalgame de toutes ces personnalités, une formation extérieure persistante, et cependant changeante et mobile, pour les besoins de cette vie et de son expérience limitée.

Mais du fait de sa composition, cet agrégat est un mélange hétérogène, non un tout harmonieux et homogène. C'est pour cette raison qu'il y a entre les éléments de notre être une confusion, voire un conflit constants, que notre raison et notre volonté mentale se sentent portées

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à maîtriser et à harmoniser ; et elles ont souvent beaucoup de peine à y mettre un semblant d'ordre et de direction. Malgré tout, nous nous laissons plus souvent dériver ou pousser par le courant de notre nature, et nous obéissons à tout ce qui vient momentanément à la surface et se saisit de nos instruments de pensée et d'action — même ce qui nous semble un choix délibéré est, beaucoup plus que nous ne l'imaginons, un automatisme. La coordination des multiples éléments de notre être par la raison et la volonté, et par suite celle de nos pensées, de nos sentiments, nos impulsions, nos actions, est incomplète et palliative. Chez l'animal, la Nature agit suivant ses propres intuitions mentales et vitales; elle établit un ordre par la contrainte de l'habitude et de l'instinct à laquelle l'animal obéit implicitement, si bien que les fluctuations de sa conscience n'ont pas d'importance. Mais l'homme ne peut agir tout à fait. de la même manière sans forfaire à ses prérogatives d'homme ; il ne .peut accepter que son être devienne un chaos d'impulsions et d'instincts gouvernés par l'automatisme de la Nature. En lui, le mental est devenu conscient et se sent donc obligé de faire un effort, si élémentaire soit-il chez beaucoup, pour voir et maîtriser et finalement harmoniser de plus en plus parfaitement les composantes multiples, les tendances différentes et contradictoires qui semblent constituer son être de surface. Il réussit bien à instaurer en lui-même une sorte de chaos organisé, de confusion ordonnée, ou, tout au moins, à croire qu'il se dirige lui-même à l'aide de son mental et de sa volonté propres, alors qu'en réalité cette direction n'est que partielle. En effet, sa raison et sa volonté sont non seulement utilisées par, l'assemblage disparate des forces motrices habituelles, mais aussi par les tendances et les impulsions vitales et physiques qui émergent à chaque instant et ne sont pas toujours prévisibles ou contrôlables, et par de nombreux éléments mentaux incohérents et inharmonieux; tout cela entre dans la construction de son être et détermine le développement de sa nature et son action dans la vie. En son moi, l'homme est une Personne unique, mais il est aussi, dans la manifestation de, son moi, une personne aux multiples facettes, et il ne réussira jamais à devenir maître de lui-même à moins que la Personne ne s'impose aux diverses personnalités et les gouverne. Mais la volonté mentale et la raison de surface n'y réussissent qu'à moitié; cela ne peut se réaliser parfaitement que si l'homme pénètre en lui-même et y découvre l'être central qui, par son influence prédominante, dirige tout ce qu'il exprime et tout ce qu'il fait. Selon la vérité profonde, c'est son âme qui est cet être central, mais extérieurement, concrètement, c'est

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souvent l'un ou l'autre de ses êtres partiels qui gouverne; et il peut prendre à tort ce représentant de l'âme, ce substitut du moi, pour le principe psychique le plus profond.

Cette domination de nos différents moi détermine les étapes du développement de la personnalité humaine telles que nous les avons déjà décrites, et nous pouvons à présent les réexaminer du point de vue du gouvernement de la nature par le principe intérieur. Chez certains êtres humains, c'est le Purusha physique, le moi corporel, qui domine le mental, la volonté et l'action; c'est la création de l'homme physique, qui se préoccupe surtout de sa vie corporelle, de ses impulsions et besoins habituels, de ses habitudes de vie, de ses habitudes mentales et physiques, et fort peu ou pas du tout de ce qui est au-delà, et qui subordonne et limite toutes ses autres tendances et possibilités à cette étroite formation. On trouve pourtant en lui d'autres éléments ; il ne peut vivre tout à fait comme un animal humain, pour qui la naissance et la mort, la procréation et ta satisfaction des impulsions et désirs ordinaires, l'entretien de la vie et du corps, sont les seules préoccupations ; c'est là le type normal de sa personnalité, mais il est exposé, si faiblement que ce soit, à des influences qui, s'il les développe, lui permettent d'atteindre à un degré supérieur de l'évolution humaine. Cédant à la pression du Purusha intérieur, du Purusha physique subtil, il peut concevoir une vie physique plus raffinée, plus belle et plus parfaite, et espérer la réaliser ou tenter de la réaliser dans sa propre existence ou dans l'existence d'une collectivité ou d'un groupe. Chez d'autres, c'est le moi vital, l'être-de-vie qui domine et gouverne le mental, la volonté et l'action; ainsi se crée l'homme vital, qui ne pense qu'à s'affirmer, à s'étendre, à élargir sa vie, à satisfaire ses ambitions et ses passions, ses impulsions, ses désirs et les exigences de son ego, qui recherche la domination, le pouvoir, l'excitation, la bataille et la lutte, l'aventure intérieure et extérieure ; tout le reste est accessoire ou subordonné à ce mouvement, à cette formation et cette expression de l'ego vital. Néanmoins, on peut trouver, et on trouve parfois en lui d'autres éléments qui ont un caractère de plus en plus mental ou spirituel, même s'ils sont moins développés que sa personnalité vitale et son pouvoir vital. La nature de l'homme vital est plus active, plus forte et plus mobile, plus turbulente et plus chaotique — au point d'être souvent tout à fait déréglée — que celle de l'homme physique qui a les deux pieds sur terre et possède un équilibre, une assise matérielle, mais elle est aussi plus dynamique et plus créatrice;

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car élément de l'être vital n'est pas la terre, mais l'air; il a plus de mouvement, et moins de stabilité. Une volonté et une mentalité vitales creuses peuvent s'emparer des énergies vitales dynamiques et les 'gouverner, mais c'est plus par une coercition et une contrainte que par harmonisation de l'être. Toutefois, si une forte personnalité vitale, volonté et un mental puissants, peuvent obtenir que l'intelligence raisonnante leur donne un appui solide et devienne leur ministre, il se parfois une sorte de formation énergique, plus ou moins équilibrée toujours puissante et efficace, qui peut s'imposer à la Nature et milieu, et s'affirmer avec force dans la vie et l'action. Telle est la dème étape d'une expression harmonisée qui peut se produire dans l'ascension de la nature.

À un stade plus avancé de l'évolution de la personnalité, l'être mental peut prendre la direction; c'est alors l'émergence de l'homme mental qui vit principalement dans le mental, alors que les autres vivent dans la nature vitale ou physique. L'homme mental tend à subordonner le reste de son être à son expression mentale propre, à des fins mentales, intérêts mentaux, à une idée ou un idéal mental. Étant donné la difficulté de cette subordination et ses puissants effets lorsqu'elle est accomplie, il lui est à la fois plus difficile et plus facile d'arriver à une harmonie dans sa nature. Plus facile, parce que la volonté mentale, qu'elle gouverne, peut convaincre par le pouvoir de l'intelligence raisonnable, et en même temps dominer, comprimer ou réprimer la vie corps et leurs exigences, les ordonner et les harmoniser, les forcer venir ses instruments, et même les réduire au minimum afin qu'ils ne viennent pas troubler la vie mentale ou la faire redescendre de son mouvement créateur d'idées ou d'idéaux. Plus difficile, parce que la ;t le corps sont les pouvoirs premiers, et s'ils sont assez forts, ils /peuvent s'imposer en exerçant une pression presque irrésistible sur le mental dirigeant. L'homme est un être mental, et le mental est le guide av;vra et de son corps; mais c'est un dirigeant qui est très souvent y par ses suivants et qui, parfois, n'a pas d'autre volonté que celle 1s lui imposent. En dépit de son pouvoir, le mental est souvent impuissant devant l'inconscient et le subconscient qui l'obscurcissent et :l'entraînent dans la marée des instincts et des impulsions. En dépit de sa clarté, il est la dupe des suggestions vitales et émotives qui l'incitent à encourager l'ignorance et l'erreur, la pensée et l'action fausses, ou i il est obligé de rester spectateur, tandis que la nature suit ce qu'il

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sait être faux, dangereux ou mauvais. Même lorsqu'il est fort, clair et dominant, et même s'il impose une certaine harmonie mentalisée, parfois considérable, le mental ne peut unifier tout l'être et toute la nature. En outre, ces harmonisations, obtenues par une maîtrise d'un ordre inférieur, ne sont pas décisives, parce que seule une partie de la nature humaine domine et s'épanouit, tandis que les autres sont réprimées et privées de toute plénitude. Ces harmonisations peuvent être des étapes sur le chemin, mais elles ne sont pas définitives ; c'est pourquoi, chez la plupart des hommes, il n'existe pas de direction unique ni d'harmonie partielle effective, mais seulement la prédominance, et, pour le reste, l'équilibre instable, d'une personnalité à moitié formée, à moitié en formation, parfois un déséquilibre ou un désordre provenant de l'absence d'une autorité centrale ou du dérangement d'un équilibre partiel précédemment atteint. Tout est nécessairement transitoire jusqu'à ce que nous accomplissions une première harmonisation vraie, qui ne sera pas encore définitive, en découvrant notre centre réel. Car l'être central véritable est l'âme, mais cet être se tient en arrière et, dans la nature humaine en général, il n'est qu'un témoin secret, ou, pourrait-on dire, un souverain constitutionnel qui permet à ses ministres de gouverner pour lui, leur délègue son autorité, donne un assentiment silencieux à leurs décisions, et de temps à autre seulement dit son mot, qu'ils peuvent toujours ignorer pour agir autrement. Il en est ainsi tant que la personnalité psychique mise en avant par l'entité psychique n'est pas encore suffisamment développée; quand elle est assez forte pour que l'entité intérieure s'impose à travers elle, l'âme peut alors venir en avant et maîtriser la nature. C'est lorsque ce vrai monarque vient au premier plan et prend en main les rênes du gouvernement, qu'une réelle harmonisation de notre être et de notre vie peut s'accomplir.

Une première condition pour que l'âme émerge complètement, c'est qu'un contact direct s'établisse entre l'être de surface et la Réalité spirituelle. C'est parce qu'il provient de cette Réalité que l'élément psychique en nous se tourne toujours vers ce qui, dans la Nature phénoménale, semble appartenir à une Réalité plus haute et porter sa marque et son caractère. Au début, il cherche cette Réalité dans tout ce qui est bon, vrai, beau, tout ce qui est pur, raffiné, élevé et noble; mais bien que ce contact, au travers des signes et des caractères extérieurs, puisse modifier et préparer la nature, cela ne suffit pas à la changer entièrement ni très intérieurement et très profondément. Pour que ce changement

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profond puisse avoir lieu, le contact direct avec la Réalité elle-même est indispensable, puisque rien d'autre ne peut toucher aussi profondément les fondations de notre être et l'ébranler ou, par ce choc, communiquer à la nature un ferment de transmutation. Les représentations mentales, les images émotives et dynamiques ont leur place et leur valeur; le Vrai, le Bien et le Beau sont en eux-mêmes des images primordiales et puissantes de la Réalité ; et même telles que les voit le mental, telles que le cœur les ressent, telles que la vie les réalise, elles peuvent être des voies d'ascension; mais c'est la substance et l'être spirituels de ces formes et de Cela qu'elles représentent, dont nous devons faire l'expérience.

L'âme peut essayer d'obtenir ce contact principalement par intermédiaire et l'instrumentation du mental pensant. Elle met une empreinte psychique sur l'intellect et sur le mental plus vaste qui a une perception intérieure et une intelligence intuitive, et les oriente dans cette direction. À son sommet, le mental pensant est toujours attiré vers l'impersonnel, car dans sa recherche il devient conscient d'une essence spirituelle, d'une .Réalité impersonnelle qui s'exprime dans tous les signes et tous les caractères extérieurs, mais demeure au-delà de toute forme et de toute image qui la manifestent. Il sent quelque chose dont il devient intimement et invisiblement conscient — une Vérité suprême, un Bien suprême, une Beauté suprême, une Pureté suprême, une suprême Félicité; il ressent le contact croissant, de moins en moins impalpable et abstrait, de plus ra plus réel et concret spirituellement, le contact et la pression d'une Éternité et d'une Infinité qui est tout ce qui est, et bien davantage. Cette Impersonnalité exerce une pression et cherche à modeler tout le mental pour en faire une forme d'elle-même ; en même temps, la loi et le secret impersonnels des choses se font de plus en plus visibles. Le son mental se développe et devient le mental du sage, d'abord du penseur à l'intellect hautement développé, puis du sage spirituel qui a dépassé les abstractions de la pensée pour arriver à un commencement d'expérience directe. Ainsi le mental devient pur, large, tranquille, impersonnel; une même influence apaisante agit sur les parties vitales de l'être. Mais à part cela, les résultats peuvent demeurer incomplets, car le changement son mental conduit naturellement à une stabilité intérieure et à une quiétude extérieure, et reposant ainsi dans ce quiétisme purificateur, n'étant pas attiré comme les parties vitales vers la découverte de nouvelles énergies de vie, il ne cherche pas un effet dynamique total sur la nature humaine.

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Même si le mental fait une plus haute tentative, cela ne modifie pas cet équilibre; car le mental spiritualisé a tendance à s'élever vers les hauteurs, et puisque, au-dessus de lui-même, le mental perd toute prise sur les formes, c'est dans une vaste impersonnalité sans formes et sans traits qu'il pénètre. Il perçoit le Moi immuable, le pur Esprit, la pure nudité d'une Existence essentielle, l'Infini sans forme et l'Absolu sans nom. Ce sommet peut être atteint plus directement si l'on tend immédiatement, au-delà de toute forme et de toute représentation, au-delà de toutes les idées de bien et de mal, de vrai et de faux, de beau et de laid, vers Cela qui dépasse toutes les dualités, vers l'expérience d'une unité, d'une infinité, d'une éternité suprêmes, ou vers quelque autre sublimation ineffable de l'ultime et extrême perception mentale du Moi ou de l'Esprit. On parvient ainsi à une conscience spiritualisée et le vital se calme, le corps n'a plus de besoins, d'exigences, l'âme elle-même se fond dans le silence spirituel. Mais cette transformation par le mental n'apporte pas la transformation intégrale; la transmutation psychique fait place à un changement spirituel qui conduit à de rares et hauts sommets, mais ce n'est pas la complète dynamisation divine de la Nature.

L'âme peut rechercher le contact direct par une deuxième voie, la voie du cœur. Cette voie est la sienne, et elle est aussi la plus proche et la plus rapide, parce que le siège occulte de l'âme est là, un peu en; retrait, dans le centre du cœur, en contact intime avec' notre être émotif; c'est donc à travers les émotions qu'elle peut, au début, agir le plus facilement, avec sa puissance naturelle, avec la force vivante de son expérience concrète. C'est par l'amour et l'adoration de Cela qui est invisiblement, toute-félicité, toute-bonté, qui est le Vrai et la Réalité spirituelle de l'amour, que l'on s'en approche; les parties émotives et esthétiques de l'être se joignent pour offrir l'âme, la vie, la nature tout entière à Cela qu'elles adorent. Cette voie d'approche par l'adoration ne trouve sa pleine force, son plein élan, que lorsque le mental passe au-delà de l'impersonnalité pour arriver à la perception d'un Être personnel suprême — alors tout devient intense, vivant, concret ; les émotions, les sentiments, la perception spiritualisée du cœur atteignent leur absolu, un don de soi total devient possible, impératif. L'homme spirituel naissant fait alors son apparition dans la nature émotive, et c'est l'adorateur de Dieu, le bhakta. S'il devient en outre directement conscient de son âme et de ses commandements, s'il unit sa personnalité émotive

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à sa personnalité psychique et qu'il change sa vie et les parties vitales de son être par la pureté, l'extase divine, l'amour de Dieu et des hommes et de toutes les créatures, pour en faire une chose de beauté spirituelle, pleine de lumière et de bonté divines, il devient un saint et parvient à la plus haute expérience intérieure, au changement de nature le plus vaste que l'on puisse atteindre par cette voie d'approche de l'Être Divin. Mais pour atteindre le but de la transformation intégrale, cela non plus ne suffit pas; il faut une transmutation du mental pensant, et de toutes les parties vitales et physiques de la conscience dans ce qu'elles ont de plus fondamental.

Ce plus vaste changement peut être partiellement réalisé si l'on ajoute aux expériences du cœur une consécration de la volonté agissante qui doit réussir à entraîner avec elle — sinon elle ne peut être efficace — l'adhésion de la partie vitale dynamique, car celle-ci est le soutien du dynamisme mental et le premier instrument de notre action extérieure. Cette consécration de la volonté dans les œuvres s'accomplit par une élimination graduelle de la volonté de l'ego et de la puissance motrice du désir. L'ego se soumet à une loi supérieure et finalement s'efface, semble ne plus exister, ou n'existe plus que pour servir un pouvoir plus haut ou une plus haute Vérité, ou pour offrir sa volonté et ses actes à l'Être Divin et lui servir d'instrument. La loi qui dirige l'être et l'action, ou la lumière de Vérité qui guide alors le chercheur, peut être une clarté, ou un pouvoir, ou un principe qu'il perçoit sur le plus haut sommet que son mental puisse atteindre ; ou ce peut être une vérité de la Volonté divine qu'il sent présente, travaillant au-dedans de lui, ou le guidant par une Lumière ou une Voix ou une Force, par une Personne, une 'Présence divine. Finalement, par ce chemin, on arrive à une conscience dans laquelle on sent la Force ou la Présence agir au-dedans et mettre tout en mouvement ou gouverner toutes les actions ; la volonté personnelle se soumet alors entièrement ou s'identifie à la plus haute Volonté de Vérité, à la plus haute Puissance de Vérité ou Présence de Vérité. La combinaison de ces trois voies d'approche, la voie du mental, la voie de la volonté, la voie du cœur, crée dans l'être et la nature de surface une condition spirituelle ou psychique qui nous permet de nous ouvrir plus largement et plus complètement à la lumière psychique au-dedans et au Moi spirituel ou Îshwara, à la Réalité que nous sentons alors au-dessus de nous, et qui nous enveloppe et nous pénètre. Un changement puissant et multiple se produit dans notre nature, une construction et

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une création de soi spirituelles, l'apparition d'une perfection complexe qui réunit celle du saint, du travailleur désintéressé et de l'homme qui possède la connaissance spirituelle.

Mais pour que ce changement atteigne sa totalité la plus vaste et sa plénitude la plus profonde, la conscience doit déplacer son centre et sa position statique et dynamique, de la surface à l'être intérieur; c'est là que nous devons trouver le fondement de notre pensée, de notre vie et de notre action. Car rester au-dehors, à la surface, et recevoir les indications de l'être intérieur et les suivre, n'est pas une transformation suffisante ; il faut cesser d'être la personnalité de surface et devenir la Personne intérieure, le Purusha. Mais cela est difficile, d'abord parce que la nature extérieure s'oppose au mouvement et s'accroche à son équilibre normal, habituel, à son mode d'existence tourné vers le dehors ; et, en outre, parce que le chemin est long depuis la surface jusqu'aux profondeurs où l'entité psychique reste voilée à nos regards. Cet espace intermédiaire est envahi par une nature subliminale et des mouvements naturels qui ne sont pas tous favorables, il s'en faut, à la plénitude de ce mouvement d'intériorisation. La nature extérieure doit encore subir un changement d'équilibre, une tranquillisation, une purification, une subtile mutation de sa substance et de son énergie, grâce auxquels les multiples obstacles qui subsistent en elle se raréfient, cèdent ou même disparaissent. Il devient alors possible de pénétrer jusqu'aux profondeurs de notre être, et, des profondeurs ainsi atteintes, une nouvelle conscience peut se former, à la fois derrière le moi extérieur et au-dedans de lui, reliant la profondeur à la surface. Une conscience doit grandir en nous ou s'y manifester, qui s'ouvre de plus en plus à l'être supérieur et à l'être profond, et qui de plus en plus se dénude devant le Moi et le Pouvoir cosmiques et devant ce qui descend de la Transcendance, une conscience tournée vers une paix plus haute, perméable à une lumière, à une force et une extase plus grandes, une conscience qui excède la petite personnalité et dépasse la lumière et l'expérience limitées du mental de surface, la force et l'aspiration limitées de la conscience normale de la vie, la réceptivité obscure et limitée du corps.

Avant même que la purification apaisante de la nature extérieure ait été réalisée ou avant qu'elle ne soit complète, on peut, par un appel et une aspiration puissantes, par une volonté véhémente ou un effort violent, ou par une discipline et une méthode efficaces, briser le mur

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qui fait écran entre notre être intérieur et notre perception extérieure ; mais ce peut être un mouvement prématuré qui n'est pas sans danger sérieux. En pénétrant au-dedans de soi, on peut en effet se trouver au "milieu d'un chaos d'expériences étranges et supranormales dont on ne possède pas la clef, ou devant une ruée des forces subliminales ou cosmiques, subconscientes, mentales, vitales, physiques subtiles, qui peuvent ébranler l'être à l'excès ou l'entraîner dans le chaos, l'emmurer dans une prison obscure, ou le faire errer dans un désert de fascination, de séduction et de tromperie, ou encore le jeter dans un champ de bataille obscur, plein d'oppositions secrètes, traîtresses et fallacieuses, ou bien ouvertement violentes. Des êtres, des voix et des influences peuvent se manifester à la perception, à la vision, à l'ouïe intérieures, et se faire passer pour l'Être Divin, ou pour ses messagers, ou pour des Puissances et des Divinités de Lumière, des guides sur le chemin de la réalisation, alors qu'en vérité ils ont un caractère tout différent. S'il y a, dans sa nature, trop d'égoïsme ou une forte passion, une ambition ou une vanité excessives, ou quelque autre faiblesse dominante, si son mental est obscur ou sa volonté vacillante, sa force vitale faible ou instable, s'il manque d'équilibre, le chercheur sera probablement victime de ces déficiences ; il échouera ou s'écartera du vrai chemin de la vie et de la recherche intérieures, il sera entraîné sur de fausses voies, ou restera  à errer dans un chaos intermédiaire d'expériences, sans pouvoir trouver son chemin vers la réalisation véritable. Ces périls étaient bien connus jadis, ils faisaient partie de l'expérience spirituelle, et l'on s'en protégeait en imposant la nécessité d'une initiation, d'une discipline, de méthodes de purification, par des épreuves et une entière soumission à la direction de celui qui a trouvé le chemin, ou qui conduit sur le chemin, qui a réalisé la Vérité et possède lui-même la lumière et l'expérience, et qui est capable de les communiquer à d'autres, un guide assez fort pour prendre le disciple par la main et lui faire franchir les passages difficiles, et qui peut aussi l'instruire et lui indiquer la voie. Malgré tout, les dangers existent et on ne peut les surmonter que si l'on a, ou si l'on développe, une complète sincérité, une volonté de pureté, une promptitude à obéir à la Vérité, à se soumettre au Très-Haut, un empressement à perdre l'ego qui limite et s'affirme, ou à le soumettre au joug divin. Tels sont les signes qu'une véritable volonté de réalisation, de transformation, de conversion de la conscience est présente, et que le stade nécessaire de l'évolution a été atteint. Si l'on parvient à cet état, les défauts qui appartiennent à la nature humaine ne peuvent plus être

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un obstacle permanent à un passage du statut mental au statut spirituel. Le processus ne sera peut-être jamais tout à fait facile, mais le chemin aura été ouvert et rendu praticable.

Un moyen efficace et souvent employé pour faciliter cette plongée dans le Moi intérieur, est de séparer le Purusha, l'être conscient, de la Prakriti, la nature manifestée. Si l'on se tient en retrait du mental et de ses activités, on peut, à volonté, les réduire au silence, ou elles se poursuivent comme un mouvement de surface dont on est le témoin détaché et désintéressé, et il devient finalement possible de sentir que l'on est le Moi intérieur du mental, l'être mental vrai et pur, le Purusha ; de même, en se tenant en retrait des activités de la vie, il est possible de sentir que l'on est le Moi intérieur de la vie, l'être vital vrai et pur, le Purusha ; il existe même un Moi du corps, l'être physique pur et vrai, le Purusha, dont nous pouvons devenir conscients, en nous tenant en retrait du corps, de ses exigences et de ses activités, et en entrant dans le silence de la conscience physique qui observe l'action de son énergie. De même, en nous tenant en retrait de toutes ces activités de la nature, successivement ou simultanément, nous pouvons avoir l'expérience que notre être intérieur est le Moi impersonnel et silencieux, le Purusha témoin. Cette expérience conduira à une réalisation et à une libération spirituelles, mais n'amènera pas nécessairement de transformation ; car le Purusha satisfait d'être libre, d'être lui-même, peut laisser la Nature, la Prakriti, épuiser ses impulsions accumulées dans une action qu'il ne soutient plus, une continuation mécanique qui n'est pas renouvelée, ni renforcée ou vivifiée, ni prolongée par son consentement, et il peut faire de ce rejet un moyen de se retirer de la nature humaine tout entière. Cependant, le Purusha doit non seulement devenir le témoin, mais la source, celui qui connaît, le maître de toute pensée et de toute action, et cela ne peut s'accomplir que partiellement tant que l'on reste sur le plan mental ou que l'on est obligé d'utiliser les instruments ordinaires que sont le mental, la vie et le corps. On peut certes parvenir à une certaine maîtrise, mais la maîtrise n'est pas la transformation; te changement qu'elle opère n'est pas suffisant pour devenir intégral ; pour cela, il est essentiel de passer au travers et au-delà de l'être mental, de l'être vital, de l'être corporel, et, plus profondément encore au-dedans, jusqu'à l'entité psychique la plus intime et secrète — ou encore, de s'ouvrir aux domaines supraconscients les plus élevés. Si long, rebutant et difficile que puisse être ce processus, il faut, pour pénétrer dans la

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crypte lumineuse de l'âme, traverser toutes les couches vitales intermédiaires jusqu'au centre psychique en nous. La voie du détachement qui nous libère de toute la pression des exigences, incitations, impulsions du mental, du vital et du corps, la concentration dans le cœur, l'austérité, la purification de soi et le rejet des vieux mouvements mentaux et vitaux, le rejet de l'ego et de ses désirs, le rejet des faux besoins et des fausses habitudes, sont des aides utiles pour effectuer cette difficile transition ; mais le moyen le plus puissant et le plus central, c'est de fonder ces méthodes, ou d'autres, sur un don de soi, une soumission de nous-même et de toutes les parties de notre nature à l'Être Divin, l'Îshwara. Une stricte obéissance à la direction sage et intuitive d'un guide est egalement normale et nécessaire pour tous, sauf pour un petit nombre de chercheurs particulièrement doués.

À mesure que craque la carapace de la nature extérieure et que s'écroulent les murs de séparation intérieure, la lumière intérieure se fraie un chemin, le feu intérieur s'avive dans le cœur, la substance de la nature et l'étoffé de la conscience s'affinent et acquièrent une subtilité et une pureté plus grandes, et les expériences psychiques plus profondes, celles qui n'ont pas uniquement la marque du mental ou du vital intérieurs, deviennent possibles dans cette substance plus subtile, plus pure et plus fine; l'âme commence à se dévoiler, la personnalité psychique atteint sa pleine stature. Alors l'âme, l'entité psychique, se manifeste, ,elle devient l'être central qui soutient le mental, la vie et le corps et soutient tous les autres pouvoirs et toutes les autres fonctions de l'Esprit : elle assume sa plus haute fonction de guide et de souveraine de la nature. Du dedans commence à s'exercer une direction, un contrôle qui expose chaque mouvement à la lumière de la Vérité et rejette tout ce qui est faux et obscur, tout ce qui s'oppose à la réalisation divine chaque région de l'être, tous ses coins et recoins, chaque mouvement, :chaque formation, chaque tendance, chaque inclination de la pensée, de la volonté, des émotions et des sensations, les actions et les réactions, les mobiles, dispositions, propensions, désirs, habitudes de la conscience ou de la subconscience physique, même les plus dissimulés, les plus :camouflés et muets, les plus secrets, sont éclairés par l'infaillible lumière psychique; leurs confusions sont dissipées, leurs enchevêtrements sont débrouillés, leurs obscurités, leurs tromperies et leurs illusions sont démasquées avec précision et extirpées; tout est purifié, redressé, la nature entière est harmonisée, accordée à la tonalité psychique, suivant

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un ordre spirituel. Ce processus peut être rapide ou lent, selon la somme d'obscurité et de résistance qui subsiste encore dans la nature, mais il se poursuit sans défaillance jusqu'à ce qu'il soit achevé. Finalement, l'être conscient tout entier est rendu parfaitement apte aux expériences spirituelles les plus diverses, il est tourné vers la vérité spirituelle de la pensée, des sentiments, des sensations, de l'action, accordé à la réaction juste, délivré de l'obscurité et de l'obstination de l'inertie tâmasique, des mélanges troubles, des turbulences et des impuretés de la passion râjasique et de ses énergies toujours agitées, jamais harmonisées, délivré de la rigidité éclairée, des limitations sâttviques ou des oscillations d'un équilibre artificiel qui sont le propre de l'Ignorance.

Tel est le premier résultat, mais le second est un libre afflux d'expériences spirituelles de toutes sortes : expérience du Moi, expérience de l'Îshwara et de la Shakti divine, expérience de la conscience cosmique, contact direct avec les forces cosmiques et avec les mouvements occultes de la Nature universelle, sympathie et unité psychiques, communication intérieure et échanges de tous genres avec les autres êtres et avec la Nature, illuminations du mental par la connaissance, illuminations du cœur par l'amour et la dévotion, joie et extase spirituelle, illuminations des sens et du corps par une expérience plus haute, illuminations de l'action dynamique dans la vérité et l'ampleur de l'âme et dans celle d'un mental et d'un cœur purifiés, certitudes de la lumière et de la direction divines, puissance et félicité de la force divine agissant dans notre volonté et dans la conduite de notre vie. Ces expériences se produisent quand la nature et l'être intérieurs les plus profonds s'ouvrent vers l'extérieur, car le pouvoir naturel de l'âme — sa conscience infaillible, sa vision, son contact avec les choses —, entre alors en jeu, et ce pouvoir est supérieur à toute cognition mentale. Il y a là une perception immédiate du monde et des êtres et un contact intérieur direct avec eux, qui sont naturels à la conscience psychique lorsqu'elle agit dans toute sa pureté, un contact direct avec le Moi et avec le Divin, une connaissance et une vision directes de la Vérité et de toutes les vérités, une émotion, une sensibilité spirituelle directes et pénétrante, une intuition directe qui discerne la volonté et l'action justes, un pouvoir de gouverner et de créer un ordre dans l'être, non par les tâtonnements du moi superficiel, mais du dedans, depuis la vérité intérieure du moi et des choses, et depuis les réalités occultes de la Nature.

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Certaines de ces expériences peuvent venir avec l'ouverture, de l'être mental et vital intérieur;— le mental, le cœur et le vital intérieurs plus larges et plus subtils au-dedans de nous —, sans qu'ait eu lieu la pleine émergence de l'âme, de l'entité psychique, puisque là aussi la conscience a un pouvoir de contact direct ; mais dans ce cas, l'expérience risque d'avoir un caractère mélangé, car il peut se produire une émergence non seulement de la connaissance subliminale, mais de l'ignorance subliminale. Il arrive souvent, en effet, que l'être s'élargisse insuffisamment, que les idées mentales, les émotions étroites et partiales, le tempérament constitué, viennent opposer leurs limitations, si bien qu'au lieu de la libre émergence de l'âme, il n'y a qu'une action et une création de soi imparfaites. Si l'émergence psychique fait défaut, ou si elle est :incomplète, certaines expériences ;—expérience d'une; connaissance et d'ume force plus grandes, dépassement des limites ordinaires — peuvent provoquer une enflure de l'ego et même, au lieu d'un épanouissement de ce qui est divin ou spirituel, une ruée de forces titanesques ou démoniaques, ou peuvent même inviter des influences et des pouvoirs qui, sans être aussi catastrophiques, et malgré leur puissance, ont un caractère cosmique inférieur. Au contraire, l'autorité et la direction de l'âme apportent à toute expérience une orientation vers la lumière, l'intégration, l'harmonie et la rectitude intime qui sont naturelles à l'essence psychique. Une transformation psychique de ce genre ou, plus largement, une transformation psycho-spirituelle, représenterait déjà un immense changement dans notre nature humaine mentale.

Mais tous ces changements et toutes ces expériences, malgré leur essence et leur caractère psychiques et spirituels, se limiteraient encore, dans leurs effets sur la vie, au niveau mental, vital et physique. Dynamiquement, leur effet spirituel¹ serait un épanouissement de l'âme dans le mental, la vie et le corps; mais dans les actes et les formes, le changement resterait circonscrit aux limites imposées par les instruments inférieurs, même si ces limites sont plus larges, plus hautes et plus subtiles. Ce serait la manifestation indirecte et modifiée d'une vérité, d'un pouvoir et d'une félicité dont la pleine réalité, la pleine intensité, l'ampleur, l'unité et la diversité nous dépassent, dépassent le mental, et, par conséquent, dépassent toutes les formules de perfection

¹L'ouverture psychique et l'ouverture spirituelle avec leurs expériences et leurs conséquences peuvent conduire loin de la vie ou aboutir à un Nirvana; mais elles né sont considérées ici que comme des échelons dans une transformation de la nature humaine.

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que le mental peut imaginer pour établir les fondations ou la superstructure de notre nature présente. La transformation spirituelle la plus haute doit donc suivre le changement psychique ou psycho-spirituel; le mouvement psychique vers notre être intérieur, vers le Moi ou le Divin en nous, doit être complété par une ouverture vers le haut, une ouverture à un suprême statut spirituel ou à une existence supérieure. Nous pouvons y parvenir en nous ouvrant à ce qui est au-dessus de nous, par une ascension de la conscience jusqu'aux régions de la nature surmentale et supramentale, où la perception du moi et de l'esprit est à tout jamais dévoilée, permanente, et où les instruments spontanément lumineux du moi et de l'esprit ne sont pas restreints ou divisés comme dans notre nature mentale, vitale et corporelle. Cela aussi, de changement psychique le rend possible; car s'il nous ouvre à la conscience cosmique que dissimulent les nombreux murs de l'individualité limitatrice, il nous ouvre aussi à ce qui, par rapport à notre état habituel, nous paraît supraconscient parce que caché par l'écran solide, dur et brillant du mental — le mental qui restreint, divise et sépare. L'écran s'amincit, se fend, se brise ou s'ouvre et disparaît sous la pression du changement psycho-spirituel et de la nouvelle conscience spiritualisée qui s'élance naturellement vers cela dont elle est "l'expression ici-bas. Cette ouverture, et toutes ses conséquences, peut ne pas s'accomplir du tout s'il y a uniquement une émergence psychique partielle qui se satisfait de l'expérience de la Réalité divine à l'échelon ordinaire d'un mental spiritualisé ; mais si l'on a pris conscience de l'existence de ces plans supranormaux plus élevés, l'aspiration à les atteindre peut alors suffire à briser l'écran ou à le fendre, et cela se produit parfois longtemps avant que le changement psycho-spirituel ne soit complet, ou même avant qu'il n'ait vraiment commencé ou ne soit bien avancé, parce que la personnalité psychique est devenue consciente et se concentre avec ardeur sur la supraconscience. Une illumination précoce venue de ces plans, ou une :déchirure, de l'enveloppe supérieure peut survenir grâce à l'aspiration ou à une préparation intérieure, ou même de façon inattendue, ou sans avoir été appelée par une partie consciente du mental — peut-être sous l'effet d'une nécessité subliminale secrète, ou d'une action, d'une pression venant des plans supérieurs, grâce à quelque chose que l'on perçoit comme le toucher de l'Être divin, le toucher de l'Esprit —, et les résultats peuvent être alors extrêmement puissants. Mais si cette expérience se produit à la suite d'une pression prématurée venant d'en bas, elle peut s'accompagner de difficultés et de dangers, que l'on évite lorsque la pleine

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émergence psychique précède ce premier accès aux niveaux supérieurs de notre évolution spirituelle. Le choix, cependant, ne dépend pas toujours de notre volonté propre, car l'évolution spirituelle en nous suit des voies très diverses, et l'orientation prise à chaque phase critique par l'action de la Conscience-Force dans son élan vers une plus haute manifestation de soi et une formation plus haute de notre existence, dépendra de la ligne que cette évolution a déjà suivie.

Lorsque l'écran du mental se déchire, notre vision s'ouvre sur quelque chose au-dessus, ou nous nous élevons vers cela, ou sentons la descente de ses pouvoirs dans notre être. Et cette ouverture de la vision nous révèle un Infini, une Présence éternelle ou une Existence infinie, une infinitude de conscience, une infinitude de félicité, un Moi sans limite, une Lumière, une Puissance, une Extase sans limite. Pendant longtemps, la vision de cet Infini peut se produire de façon occasionnelle, fréquente ou' constante, ou s'accompagner d'une ardente aspiration, mais rien de plus; car si quelque chose dans le mental, le cœur ou d'autres parties de l'être s'est ouvert à cette expérience, la nature inférieure dans son ensemble est encore trop lourde et trop obscure pour recevoir davantage. Cependant, au lieu de cette première et large prise de conscience d'en bas, ou la suivant de près, il peut y avoir une .ascension du mental vers les hauteurs au-delà. Il se peut que nous ne ;connaissions pas, ou ne discernions pas clairement la nature de ces plans supérieurs, mais certains effets de cette ascension se font sentir. Souvent aussi nous avons le sens d'une ascension infinie et d'un retour, mais il ne reste aucune trace de cet état supérieur, rien qui le traduise en nous. C'est parce que cet état est supraconscient pour le mental. Par conséquent, quand le mental s'élève jusque-là, il est tout d'abord incapable d'y conserver son pouvoir de discernement conscient et de définir l'expérience. Mais quand ce pouvoir commence à s'éveiller et à agir, quand peu à peu le mental devient conscient sur un plan qui était pour lui supraconscient, alors la connaissance et l'expérience des plans supérieurs de l'existence commencent aussi à devenir possibles. Cette expérience confirme les résultats de la première ouverture de la vision : le mental s'élève et pénètre dans le plan supérieur du moi pur, silencieux, tranquille, illimité ; ou il monte dans des régions de lumière et de félicité, accède à des plans où il sent un Pouvoir infini ou une Présence divine, ou le contact d'un Amour divin et d'une Beauté divine, ou l'atmosphère d'une Connaissance supérieure plus vaste et plus lumineuse. .Au

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retour, l'impression spirituelle subsiste, mais l'enregistrement mental est souvent brouillé, il n'en reste qu'un souvenir vague ou fragmentaire. La conscience inférieure, d'où l'ascension est partie, retombe à son état primitif, et n'a acquis qu'une expérience dont elle ne se souvient pas, ou qui a perdu tout dynamisme. Avec le temps, l'ascension se fait à volonté et la conscience revient changée et enrichie de son séjour temporaire dans ces régions supérieures de l'esprit. Pour beaucoup, ces ascensions se produisent en état de transe, mais elles peuvent fort bien avoir lieu dans un état de concentration de la conscience de veille, ou, quand celle-ci est devenue suffisamment psychique, à n'importe quel moment et sans concentration, par une attraction vers le haut ou une affinité. Mais malgré leur puissance illuminatrice, extatique ou libératrice, ces deux approches du supraconscient n'ont en elles-mêmes qu'une efficacité limitée. Pour la transformation spirituelle complète, il faut davantage : une ascension permanente de la conscience inférieure jusqu'à la conscience supérieure et une descente effective et permanente de la nature supérieure dans la nature inférieure.

C'est le troisième mouvement, la descente, qui est essentiel pour que l'ascension devienne permanente, que l'influx venu des plans supérieurs s'intensifie et que nous ayons l'expérience de recevoir et retenir en nous l'esprit qui descend, ou ses pouvoirs et les éléments de sa conscience. L'expérience de cette descente peut se produire à la suite des deux autres mouvements, ou automatiquement, avant même qu'ils aient eu lieu, grâce à une déchirure soudaine de l'écran, ou grâce à une infiltration, un influx ou une irruption. Une lumière descend, touche, enveloppe ou pénètre l'être inférieur, le mental, la vie ou le corps; ou bien une présence, un pouvoir, un flot de connaissance se déverse en vagues ou en torrent; ou encore l'être est inondé de félicité, saisi d'une extase soudaine — le contact avec le supraconscient s'est établi. Et ces expériences se répètent jusqu'à ce qu'elles soient devenues normales et familières, et qu'elles soient bien comprises et révèlent leur contenu, leur signification, qui pouvaient être enfouis tout d'abord et gardés secrets derrière la forme de l'expérience qui les recouvre. Une connaissance supérieure commence en effet à descendre, fréquemment, constamment, puis de façon ininterrompue, et à se manifester dans la quiétude ou le silence du mental ; des intuitions et des inspirations, des révélations nées d'une vision plus vaste, d'une vérité et d'une sagesse plus hautes, pénètrent en nous; un discernement lumineux et intuitif agit et dissipe tout ce

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qui obscurcissait notre compréhension, toute aveuglante confusion, et met tout en ordre. Une nouvelle conscience commence à se former, un mental capable d'une haute et vaste connaissance intellectuelle qui se suffit à elle-même, ou ce peut être une conscience illuminée, intuitive ou surmentale, dotée de nouvelles forces de pensée ou de vision et d'un plus grand pouvoir de réalisation spirituelle directe qui dépasse la pensée et la vision, ainsi qu'un plus grand devenir dans la substance spirituelle de notre être actuel. Le cœur et les sens deviennent subtils, intenses, ;assez vastes pour embrasser toute existence, pour voir Dieu, pour sentir et entendre et toucher l'Éternel, pour accomplir une unité plus profonde et plus intime entre le moi et le monde dans une réalisation transcendante. D'autres expériences décisives, d'autres changements de conscience se précisent qui sont des corollaires et des conséquences de ce changement fondamental. À cette révolution, on ne peut fixer -aucune limite; car essentiellement, c'est une invasion de l'Infini.

Tel est le processus de la transformation spirituelle, qui s'effectue peu à peu, ou par une succession de grandes expériences rapides et définitives. Il s'achève par une ascension fréquente — qui permet finalement à la conscience de se fixer sur un plan plus élevé, d'où elle peut voir et gouverner le mental, la vie et le corps — et par une descente croissante des pouvoirs d'une conscience et d'une connaissance supérieures qui remplacent de plus en plus totalement la conscience et la connaissance normales. C'est sa culmination. Une lumière et une puissance, une connaissance et une force se font sentir qui .prennent d'abord possession du mental et le reforment; puis, de la partie vitale et la remodèlent ; finalement, de la petite conscience physique, qui perd alors sa petitesse et devient vaste et plastique, et même infinie. Car cette nouvelle conscience est elle-même infinie par nature; elle nous apporte le sens, la perception spirituelle permanente de l'infini et de l'éternel, tandis que notre nature gagne une grande ampleur et voit se rompre ses limitations. L'immortalité n'est plus une croyance ou une expérience, elle devient une perception normale de l'être. La présence intime de l'Être divin, son empire sur le monde, sur nous-mêmes et les diverses parties de notre nature, sa force à l'œuvre en nous et partout, la paix de l'infini, la joie de l'infini, sont alors concrètes et constantes dans l'être. Dans tout ce que l'on voit, dans toute forme, on perçoit l'Éternel, la Réalité; on l'entend dans tous les sons ; dans tous les contacts, on le sent ; il n'y a rien d'autre que ses formes, ses personnalités et ses manifestations : la joie ou

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l'adoration du cœur, une étreinte qui embrasse toute existence, l'unité de l'Esprit, sont des réalités permanentes. La conscience de la créature mentale se change ou s'est déjà entièrement changée en la conscience de l'être spirituel. Telle est la seconde des trois transformations ; unissant l'existence manifestée à ce qui est au-dessus d'elle, elle est l'échelon intermédiaire, la transition décisive de la nature humaine dans son évolution spirituelle.

Si, dès le début, l'Esprit pouvait rester à l'abri sur les hauteurs supérieures et s'il avait affaire à une substance mentale et matérielle pure et vierge, la transformation spirituelle complète pourrait être rapide et même facile; mais le processus réel de la Nature est plus difficile, la logique denses mouvements plus complexe, contournée, sinueuse, globale. La Nature accepte toutes les données de la tâche qu'elle s'est fixée, et ne se satisfait pas d'un triomphe sommaire sur ses propres complexités. Chaque partie de notre être doit être assumée avec sa nature et son caractère propres, avec toutes les empreintes et tous les signes du passé encore présents en elle ; chaque partie, chaque mouvement le plus infime doit être si possible transmué en la vérité de l'être supérieur, ou bien détruit et remplacé s'il en est incapable. Si le changement psychique est accompli, cela peut se faire sans douleur, encore que le programme soit long et minutieux, et le progrès mesuré; sinon, il faut se contenter d'un résultat partiel. Mais si le souci de perfection et la soif de l'esprit sont insatiables, on doit consentir à. un combat difficile, souvent pénible et apparemment interminable. Car généralement la conscience ne s'élève pas jusqu'aux sommets, sauf en de rares moments; elle reste au niveau mental et reçoit ce qui vient d'en haut. C'est parfois la descente unique d'un pouvoir spirituel qui s'établit et façonne l'être pour lui donner un caractère essentiellement spirituel, parfois plusieurs descentes successives qui renforcent l'état spirituel et son dynamisme; mais à moins de vivre sur le plus haut sommet déjà atteint, aucun changement plus complet ou intégral ne peut être accompli. Si la mutation psychique n'a pas eu lieu, si l'on a fait descendre les Forces supérieures de façon prématurée, leur contact peut être trop intense pour les matériaux défectueux et impurs de la Nature, et ils risquent de partager le sort de la jarre mal cuite dont parle le Véda, qui ne pouvait retenir le Soma, le breuvage divin. Il se peut aussi que l'influence qui descend se retire, ou bien qu'elle soit gaspillée parce que la nature ne peut ni la contenir, ni la garder. Ou encore, si c'est la Puissance

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qui descend, le mental ou le vital égoïstes peuvent essayer de s'en saisir à leurs propres fins. Les résultats peuvent être désastreux : l'ego se gonfle et la chasse aux pouvoirs et à certaines formes de maîtrise ne fait que renforcer le sentiment de la grandeur personnelle. L'Ânanda qui descend ne peut être retenu si une impureté sexuelle excessive crée un mélange intoxicant et dégradant ; le Pouvoir se retire devant l'ambition, la vanité, ou toute expression agressive du moi inférieur; la Lumière s'efface devant l'attachement à l'obscurité ou à toute forme d'ignorance; la Présence disparaît si la chambre du cœur n'a pas été purifiée. Ou bien une force anti-divine peut essayer de se saisir, non du Pouvoir lui-même, car il se retire, mais de la force qui en résulte et qu'il a laissée derrière lui dans l'instrument, pour servir les desseins de l'Adversaire. Et même si :un de ces défauts, aucun de ces égarements désastreux ne se produit, les nombreuses erreurs de réception et les imperfections de l'instrument peuvent faire obstacle à la transformation. Le Pouvoir vient alors de façon intermittente, et, entre-temps, doit travailler derrière le voile, ou se retire dans l'ombre durant de longues périodes d'assimilation .ou de préparation des parties récalcitrantes de la nature; la Lumière doit travailler dans l'obscurité, ou dans une demi-obscurité, sur les régions qui, en nous, sont encore dans la Nuit. À tout moment le travail peut être interrompu, sur le plan personnel et dans cette vie, soit parce que la nature n'est pas capable de recevoir ou d'assimiler davantage et qu'elle a :atteint les limites de sa capacité actuelle ; soit parce que le vital (même si le mental est prêt, placé devant le choix entre la vieille vie et la nouvelle, refuse de changer; ou s'il accepte, le corps peut se révéler trop faible, inapte ou défectueux, pour supporter le changement nécessaire de la conscience et sa transformation dynamique.

En outre, la nécessité d'effectuer le changement dans chaque partie de l'être séparément, selon sa nature et son caractère propres, oblige la conscience à descendre en chacune d'elles tour à tour et à agir suivant leur état et leurs possibilités. Si le travail se faisait d'en haut, de quelque sommet spirituel, il pourrait y avoir sublimation, élévation, ou création d'une structure nouvelle par la seule force de l'influence supérieure; mais l'être inférieur pourrait aussi ne pas accepter ce changement, sous prétexte qu'il n'est pas conforme à sa nature ; ce ne serait pas une croissance totale, une évolution intégrale, mais une formation partielle et imposée, qui touche ou libère certaines parties de l'être, en étouffe d'autres ou les laisse telles qu'elles étaient. Une création extérieure à

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la nature normale et qui lui est imposée, serait durable en sa totalité aussi longtemps seulement que l'influence créatrice se maintient. Il est donc nécessaire que la conscience descende jusqu'aux niveaux inférieurs; même ainsi, le principe supérieur éprouve des difficultés à manifester son plein pouvoir ; il se produit une altération, une dilution, une diminution, et c'est pourquoi les résultats demeurent imparfaits et limités : la lumière d'une connaissance supérieure descend, mais elle se brouille et s'atténue ; le sens de cette connaissance est mal interprété, sa vérité se mélange à des erreurs mentales et vitales, ou bien la force et le pouvoir de réalisation ne sont pas à la mesure de sa lumière. La lumière et le pouvoir du nous-même agissant directement eux-mêmes et dans leur propre sphère est une chose ; la même lumière agissant dans l'obscurité de la conscience physique et soumise à ses conditions est une chose toute différente ; et par suite de la dilution et du mélange, sa connaissance, sa force et ses effets sont très inférieurs. Il en résulte un pouvoir mutilé, un effet partiel ou un mouvement entravé.

En vérité, c'est pourquoi l'émergence de la habitudes dans la Nature est si lente et si difficile. Le mental et la vie doivent descendre dans la Matière et s'adapter à ses conditions ; modifiés et diminués par l'obscurité et l'inertie récalcitrante de la substance et de la force au sein desquelles ils opèrent, ils ne sont pas capables de transmuer complètement leurs matériaux en un instrument adéquat et une substance transformée, révélant leur pouvoir réel, inné. La conscience de la vie est incapable de réaliser dans l'existence matérielle la grandeur et la félicité de ses belles et puissantes impulsions ; son élan se relâche, sa force de réalisation est inférieure à la vérité de ses conceptions, la forme trahit l'intuition de la vie, intuition que cette conscience porte en elle et qu'elle essaie d'exprimer dans les termes de l'être vivant. Le mental est incapable de réaliser ses hautes idées dans le champ de la vie et de la matière, sans diminution et sans compromis qui les dépouillent de leur caractère divin ; son pouvoir de modeler cette substance inférieure pour qu'elle lui obéisse et l'exprime n'égale pas la clarté de sa connaissance et de sa volonté. Au contraire, ses propres pouvoirs sont affectés, sa volonté est divisée, sa connaissance obscurcie et voilée par la trouble agitation de la vie et l'incompréhension de la Matière. Ni la vie ni le mental ne réussissent à convertir ou à perfectionner l'existence matérielle, parce qu'en de telles conditions ils ne peuvent atteindre à la plénitude de leur propre force; ils ont besoin de faire appel à une puissance supérieure

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qui les libérera et les accomplira. Mais lés pouvoirs supérieurs du mental spirituel, eux aussi, se voient frappés de la même impuissance quand ils descendent dans la vie et la matière; ils ont beaucoup plus de possibilités, ils peuvent amener un changement beaucoup plus lumineux, mais l'altération, la limitation subie par la conscience qui ;descend et sa disparité avec la force de réalisation qu'elle peut mentaliser et matérialiser sont constamment présentes, et il en résulte une création amoindrie. Le changement ainsi accompli est souvent extraordinaire ; il se produit même quelque chose qui ressemble à une conversion totale, à un renversement de l'état de conscience et à une sublimation de ses mouvements, mais ce changement n'est pas dynamiquement absolu.

Seul le supramental peut descendre dans la vie et la matière sans perdre la plénitude de son pouvoir d'action ; car son action ne perd jamais son caractère inné et automatique ; il y a identité entre la volonté et la connaissance, et le résultat est proportionné. Sa nature est une Conscience-de-Vérité qui s'accomplit spontanément, et s'il se limite lui-même ou limite son action, c'est par choix et à dessein, et non sous la contrainte ; dans les limites qu'il s'est choisies, son action et les résultats de son action, sont harmonieux et inévitables. Quant au surmental, c'est un principe de division, comme le mental, et son action .caractéristique consiste à réaliser une harmonie choisie au sein d'une forme indépendante. Certes, son action globale lui permet de créer une harmonie complète et parfaite en soi, ou d'unir ou de fondre ensemble les diverses harmonies, de faire une synthèse; mais son travail étant soumis aux limitations du mental, de la vie et de la matière, il est obligé ;d'agir sur chaque partie successivement, pour les joindre ensuite. Il tend vers la totalité, mais est entravé par sa tendance sélective, accentuée par la nature du matériau mental et vital sur lequel il travaille ici-bas. Tout ce qu'il peut accomplir, ce sont des créations spirituelles séparées et limitées, chacune parfaite en soi, mais ce n'est pas la connaissance intégrale ni sa manifestation. Pour cette raison, et parce que sa lumière et sa puissance originelles sont affaiblies, le surmental est incapable de .réaliser pleinement ce qui est nécessaire et il doit faire appel à un pouvoir plus grand, la force supramentale, qui le libérera et l'accomplira. De même que le changement psychique doit faire appel au changement spirituel pour se parachever, de même le premier changement spirituel doit faire appel à la transformation supramentale qui le complète. Car toutes ces étapes sur le chemin, comme celles qui les ont précédées, sont

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des étapes de transition. Le changement radical et total dans l'évolution, partant d'une base d'Ignorance pour atteindre une base de Connaissance, ne peut survenir que par l'intervention du Pouvoir supramental et de son action directe dans l'existence terrestre.

Telle doit donc être la nature de la troisième et ultime transformation, celle où s'achève le passage de l'âme à travers l'Ignorance et qui établit sa conscience, sa vie, son pouvoir et la forme de sa manifestation sur une connaissance de soi complète et complètement efficace. Lorsqu'elle verra que la Nature évolutive est prête, la Conscience-de-Vérité devra descendre en elle et lui permettre de libérer le principe supramental qu'elle renferme. Ainsi sera créé l'être supramental et spirituel, première manifestation dévoilée de la vérité du Moi et de l'Esprit dans l'univers matériel.

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