La Vie Divine 1153 pages 2005 Edition
French Translation
  Cristof Alward-Pitoëff

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Sri Aurobindo's principal work of philosophy and metaphysics, expounding a vision of spiritual evolution culminating in the transformation of man from a mental into a supramental being and the advent of a divine life upon earth.

La Vie Divine

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Sri Aurobindo

Sri Aurobindo's principal work of philosophy and metaphysics. In this book, Sri Aurobindo expounds a vision of spiritual evolution culminating in the transformation of man from a mental into a supramental being and the advent of a divine life upon earth. The material first appeared as a series of essays published in the monthly review Arya between 1914 and 1919. They were revised by Sri Aurobindo in 1939 and 1940 for publication as a book.

Sri Aurobindo Birth Centenary Library (SABCL) The Life Divine Vols. 18,19 1070 pages 1970 Edition
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Sri Aurobindo

Sri Aurobindo's principal work of philosophy and metaphysics. In this book, Sri Aurobindo expounds a vision of spiritual evolution culminating in the transformation of man from a mental into a supramental being and the advent of a divine life upon earth. The material first appeared as a series of essays published in the monthly review Arya between 1914 and 1919. They were revised by Sri Aurobindo in 1939 and 1940 for publication as a book.

French Translations of books by Sri Aurobindo La Vie Divine 1153 pages 2005 Edition
French Translation
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L'ascension de la Vie

Que le chemin du Verbe conduise aux divinités, vers les Eaux par l'action du Mental... Ô Flamme, tu vas vers l'océan du Gel, vers les dieux ; grâce à toi se rencontrent les divinités des plans, les eaux qui sont dans le royaume de la lumière au-dessus du soleil et les eaux qui demeurent au-dessous.

Le Seigneur de la Félicité conquiert le troisième statut; il maintient et gouverne suivant l'Ame d'universalité; tel un faucon, tel un milan, il se fixe sur le vaisseau et l'élève, découvreur de la Lumière, il manifeste le quatrième statut et s'accroche à l'océan qu'est la houle de ces eaux.

Vishnu fit trois pas et garda son pied au-dessus de la poussière primitive; il fît trois enjambées. Lui, le Gardien, l'Invincible, qui d'au-delà soutient leurs lois. Explore les œuvres de Vishnu et vois d'où il a manifesté leurs lois. C'est son pas le plus haut que voient toujours les rishis, tel un œil grand ouvert dans le ciel; cela, les illuminés, les éveillés l'allument et en font un brasier, ce pas suprême de Vishnu...

Rig-Véda. X. 30.1 ; III. 22. 3, IX. 96.18,19; I. 22.17-21.

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Nous avons vu que le Mental mortel divisé, qui engendre la limitation, l'ignorance et les dualités, n'est qu'une image obscurcie du Supramental, de la Conscience divine lumineuse en soi dans ses premiers rapports avec l'apparente négation d'elle-même d'où notre cosmos est issu; de même la Vie, telle qu'elle émerge dans notre univers matériel, énergie du Mental diviseur, subconsciente, submergée, emprisonnée dans la Matière, la Vie qui engendre la mort, la faim et l'incapacité, n'est qu'une image obscurcie de la Force divine supraconsciente dont les termes les plus hauts sont l'immortalité, la félicité accomplie et la toute-puissance. Cette relation fixe la nature de ce grand processus cosmique dont nous faisons partie; il détermine les termes, premier, intermédiaire et ultime, de notre évolution. Les premiers termes de la Vie sont la division, une volonté subconsciente mue par la force et qui apparaît sous l'aspect, non d'une volonté mais d'une sourde impulsion de l'énergie physique, et l'impuissance d'une inerte sujétion aux forces mécaniques qui gouvernent l'échange entre la forme et son milieu. Cette inconscience et cette action aveugle mais puissante de l'Énergie caractérisent l'univers matériel tel que le physicien le voit, et cette vision des choses, il l'étend et en fait la totalité de l'existence de base ; c'est la conscience de la Matière et le type accompli de la vie matérielle. Mais un nouvel équilibre se manifeste alors, un nouvel ensemble intervient dont les termes se développent à mesure que la Vie se libère de cette forme et commence à évoluer vers le Mental conscient ; car les moyens termes de la Vie sont la naissance et l'entre-dévorement, la faim et le désir conscient, le sens d'un espace vital et d'une capacité limités, et la lutte pour s'élargir, s'étendre, conquérir et posséder. Ces trois termes sont à la base de ce principe évolutif que la théorie darwinienne fut la première à exposer clairement à l'intelligence humaine. Car le phénomène de la mort implique une lutte pour survivre, la mort n'étant que le

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terme négatif où la Vie se dissimule à sa propre vue et incite son être concret à rechercher l'immortalité. Le phénomène de la faim et du désir implique une lutte pour atteindre un état de satisfaction et de sécurité, le désir n'étant que le stimulus par lequel la Vie incite son être concret à émerger de la négativité de la faim inassouvie pour posséder pleinement la joie de l'existence. Le phénomène de la capacité limitée implique une lutte pour s'étendre, maîtriser et posséder, pour posséder son moi et conquérir son milieu, la limitation n'étant que la négation par laquelle la Vie incite son être concret à rechercher la perfection dont elle est éternellement capable. La lutte pour la vie n'est pas seulement une lutte pour survivre, c'est aussi une lutte pour la possession et la perfection, car ce n'est qu'en prenant possession de son milieu, dans quelque mesure que ce soit, en s'y adaptant ou en l'adaptant à soi-même — soit qu'on l'accepte et s'en accommode, soit qu'on le conquiert et le transforme — que la survie peut être assurée; et il est également vrai que, seule, une perfection toujours plus grande peut garantir une permanence continue, une survie durable. C'est cette vérité que le darwinisme cherche à exprimer quand il parle de la survie du mieux adapté.

Mais tout comme le mental scientifique cherche à étendre à la Vie le principe mécanique propre à l'existence et à la conscience mécanique dissimulée dans la Matière, sans voir qu'un nouveau principe y a pénétré, dont la vraie raison d'être est de se rendre maître du principe mécanique, ainsi s'est-on servi de la formule darwinienne pour exagérer l'importance du principe de Vie agressif, l'égoïsme vital de l'individu, l'instinct et le processus de conservation, d'affirmation de soi et d'agressivité. Car ces deux premiers états de la Vie contiennent en eux-mêmes les semences d'un nouveau principe et d'un autre état qui doivent croître à mesure que le Mental évolue hors de la Matière, progressant de la formule vitale jusqu'à sa propre loi. Et toutes choses changeront encore davantage lorsque le Mental, dans son évolution, s'élèvera vers le Supramental et vers l'Esprit, comme la Vie évolutive s'élève vers le Mental. C'est précisément parce que la lutte pour la survie et l'instinct de conservation se trouvent contredits par la loi de la mort, que la vie individuelle se voit contrainte d'assurer la conservation de l'espèce

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plutôt que la sienne propre, et qu'elle sert ce dessein ; mais elle ne peut le faire sans la collaboration des autres ; et le principe de coopération et d'entraide, le désir de l'autre — épouse, enfant, ami et soutien, groupement —, l'habitude de s'associer, de se réunir et d'établir des échanges conscients, sont les semences d'où fleurit le principe d'amour. Même en admettant qu'au début l'amour ne soit qu'un égoïsme magnifié et que cet aspect, comme il le fait encore, persiste et domine au cours des stades supérieurs de l'évolution, néanmoins à mesure que le mental évolue et se révèle à lui-même, il finit par percevoir, grâce à l'expérience de la vie, de l'amour et de l'entraide, que l'individu naturel est un terme mineur de l'être et qu'il existe par l'universel. Cette découverte, que l'homme, l'être mental, fait inévitablement, détermine sa destinée ; car il atteint alors le point où le Mental peut commencer à s'ouvrir à cette vérité qu'il y a quelque chose au-delà de lui ; et à partir de ce moment, pour obscure et lente qu'elle soit, son évolution vers ce quelque chose de supérieur, vers l'Esprit, vers le supramental, vers la surhumanité, est inévitablement prédéterminée.

La nature même de la Vie la prédestine donc à un troisième statut, un troisième ensemble de termes de son expression de soi. Si nous examinons cette ascension de la Vie, nous verrons que les derniers termes de son évolution actuelle, les termes de ce que nous avons appelé son troisième statut, doivent nécessairement apparaître comme la contradiction et l'opposé même des premières conditions de la Vie, mais qu'en réalité ils en sont l'accomplissement et la transfiguration. La Vie commence avec les divisions extrêmes et les formes rigides de la Matière, et le type même de cette division rigide est l'atome, base de toute forme matérielle. L'atome demeure dissocié de tous les autres atomes, même lorsqu'il s'unit à eux, il rejette la mort et la dissolution, par quelque force ordinaire qu'elle lui soit imposée, et il est le type physique de l'ego séparé définissant son existence par opposition au principe de fusion dans la Nature. Mais, dans la Nature, l'unité est un principe aussi puissant que la division ; elle est, en fait, le principe maître dont la division n'est qu'un terme subordonné, et il faut donc qu'à ce principe d'unité toute forme divisée se soumette d'une façon ou d'une autre, par nécessité pratique, par la contrainte, par assentiment ou persuasion. Par conséquent, si la Nature, pour ses propres fins, et surtout pour disposer d'une base solide pour ses combinaisons et d'une semence immuable pour. ses, formes, laisse ordinairement l'atome résister au processus

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de fusion par dissolution, elle l'oblige néanmoins à se soumettre au processus de fusion par agrégation; étant le premier agrégat, l'atome est aussi la première base des unités agrégées.

Lorsque la Vie atteint son deuxième statut, que nous appelons vitalité, c'est le phénomène opposé qui s'impose et la base physique de l'ego vital se voit contrainte d'accepter la dissolution. Ses constituants se désagrègent afin que les éléments d'une vie puissent servir à former les éléments d'autres vies. On n'a pas encore pleinement reconnu à quel point cette loi règne dans la Nature et, à vrai dire, il faudra attendre pour cela que notre science de la vie mentale et de l'existence spirituelle soit devenue aussi sûre que notre science actuelle de la vie physique et de l'existence de la Matière. Cependant nous pouvons voir, d'une façon générale, que non seulement les éléments de notre corps physique, mais ceux de notre être vital plus subtil, notre énergie de vie, notre énergie de désir, nos pouvoirs, nos efforts, nos passions entrent, pendant notre vie comme après notre mort, dans l'existence vitale d'autrui. Une ancienne connaissance occulte nous dit que nous avons un corps vital, comme nous avons un corps physique, et que lui aussi se dissout après la mort et se prête à la constitution d'autres corps vitaux; pendant notre vie, nos énergies vitales se mêlent continuellement aux énergies d'autres êtres. Une loi analogue gouverne les relations entre notre vie mentale et la vie mentale d'autres créatures pensantes. Le choc entre mentalités, l'échange, la fusion incessante des éléments produisent une dissolution, une dispersion et une reconstruction constantes. Or cet échange, ce mélange et cette fusion d'un être avec l'autre, constituent le processus même de la vie, une des lois de son existence.

Il y a donc deux principes dans la Vie : la volonté ou la nécessité, pour l'ego séparé, de survivre comme une entité distincte et de protéger son identité, et l'obligation que lui impose la Nature de fusionner avec les autres ego. Dans le monde physique, la Nature accorde une grande importance à cette première impulsion; car elle a besoin de créer des formes séparées qui soient stables, puisque son premier problème, et en fait le plus difficile, est de créer et de préserver tout élément qui puisse favoriser la survie de l'individualité séparée et lui offrir une forme stable dans le flux et le mouvement incessants de Énergie et dans l'unité de l'infini. Dans la vie atomique, par conséquent, la vie individuelle demeure la base et, en se joignant à d'autres vies, assure

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l'existence plus ou moins prolongée d'agrégats qui serviront de base aux individualisations vitales et mentales. Mais dès que la Nature réussit à donner à ces formes une solidité suffisante pour la bonne marche de ses opérations ultérieures, elle renverse le processus : la forme individuelle périt et la vie de l'agrégat profite des éléments de la forme ainsi dissoute. Toutefois, ce ne saurait être la dernière étape ; celle-ci ne peut être atteinte que lorsque les deux principes sont harmonisés, et que l'individu, tout en gardant la conscience de son individualité, parvient néanmoins à se fondre avec les autres sans que l'équilibre préservateur soit perturbé, ni le processus de survie de l'individu interrompu.

Les termes du problème présupposent la pleine émergence du Mental; car dans la vitalité sans mental conscient, il ne peut y avoir d'égalisation, mais seulement un équilibre précaire et momentané aboutissant à la mort du corps, à la dissolution de l'individu et à la dispersion de ses éléments dans l'universalité. La nature de la Vie physique est incompatible avec l'idée d'une forme individuelle possédant le même pouvoir inhérent de persistance, et donc d'existence individuelle continue, que les atomes qui la composent. Seul un être mental, soutenu au-dedans par le noyau psychique qui exprime ou commence d'exprimer l'âme secrète, peut espérer persister grâce à son pouvoir de rattacher le passé à l'avenir en un flot continu que la rupture de la forme peut briser dans la mémoire physique sans nécessairement le détruire dans l'être mental lui-même, et qui, au stade ultime de sa croissance, peut" même combler le hiatus de la mémoire physique créé par la mort et la naissance du corps. Même en l'état actuel du mental incarné imparfaitement développé, l'être mental est conscient, dans l'ensemble, d'un passé et d'un avenir s'étendant par-delà la vie du corps ; il prend conscience d'un passé individuel, de vies individuelles qui ont créé la sienne, et dont il est un développement et une reproduction modifiée, et de vies individuelles futures qu'engendre sa propre vie; il est conscient, également, d'une vie collective passée et future que sa propre vie traverse sans interruption, comme si elle était l'une de ses fibres. Ce qui, pour la Science physique, revêt la forme évidente de l'hérédité, revêt pour l'âme qui se développe derrière l'être mental une forme différente, mais tout aussi évidente, manifestant la persistance de la personnalité. L'être mental exprimant cette conscience de l'âme est donc le noyau de la vie individuelle et collective permanentes ; en lui, leur union et leur harmonisation deviennent possibles.

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L'association, dont l'amour est le principe secret et la cime qui émerge progressivement, représente le type, le pouvoir de ce rapport nouveau, et donc le principe qui gouverne le développement du troisième statut de la vie. La préservation consciente de l'individualité, ainsi que le désir et la nécessité consciemment acceptés de l'échange, du don de soi et de la fusion avec d'autres individus sont nécessaires pour que ce principe d'amour soit effectif; car si l'un ou l'autre est aboli, l'amour cesse d'agir, peu importe ce qui le remplace. Réaliser l'amour en s'immolant soi-même complètement, en ayant même l'illusion de s'anéantir, est certes une idée et un élan de l'être mental, mais il indique un nouveau développement par-delà ce troisième état de la Vie. À partir de ce niveau, nous nous élevons peu à peu au-delà de la lutte pour la vie par dévorement mutuel, et de la survie du plus apte qu'elle assure ; car c'est ici, et de plus en plus, une survie par l'entraide, et un perfectionnement de soi par une adaptation réciproque, par un échange et une fusion. La Vie, c'est l'être qui s'affirme, c'est même l'ego qui se développe et survit, mais cet être a besoin d'autres êtres, cet ego cherche à rencontrer et inclure d'autres ego et à être inclus dans leur vie. Les individus et les groupes qui développeront le plus la loi d'association et la loi d'amour, d'aide collective, de bienveillance, d'affection, de camaraderie, d'unité, qui harmoniseront avec le plus de succès la survie et le don de soi mutuel — le groupe enrichissant l'individu et l'individu enrichissant le groupe, l'individu enrichissant également l'individu et le groupe enrichissant le groupe par des échanges mutuels —, seront les plus aptes à survivre, une fois atteint ce troisième stade de l'évolution.

Ce développement est un signe de la prédominance croissante du Mental¹ qui impose progressivement sa loi à l'existence matérielle. Car le mental, du fait de sa plus grande subtilité, n'a pas besoin de dévorer pour assimiler, posséder et s'accroître ; au contraire, plus il donne, plus il reçoit et grandit; et plus il se fond dans les autres, plus il amène les autres à se fondre en lui, élargissant ainsi le champ de son être. La vie physique s'épuise à trop donner et se ruine elle-même en dévorant trop ; dans la mesure où il s'appuie sur la loi de la Matière, le Mental

¹Nous partons ici du mental tel qu'il agit directement dans la vie, dans l'être vital, par l'intermédiaire du cœur. L'amour — le principe relatif, non son absolu — est un principe de la vie, non du mental, mais il ne peut se posséder, et devenir permanent, que si le mental l'intègre dans sa propre lumière. Ce que l'on appelle amour dans le corps et les parties vitales est dans une très large mesure une forme d'appétit impermanente.

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souffre de la même limitation ; par contre, dès qu'il se développe selon sa loi propre, il tend à surmonter cette limitation, et à mesure qu'il surmonte la limitation matérielle, donner et recevoir pour lui ne font plus qu'un. Car durant son ascension, il réalise progressivement le principe de l'unité consciente dans la différenciation qui est la loi divine du Satchidânanda manifesté.

Le deuxième terme du statut originel de la vie, est la volonté subconsciente qui, au second niveau, devient la faim et le désir conscient — la faim et le désir, ces premières semences du mental conscient. Le passage au troisième statut de la vie grâce au principe d'association, à la croissance de l'amour, n'abolit pas la loi du désir, mais la transforme et l'accomplit. En sa nature, l'amour est le désir de se donner aux autres et de recevoir les autres en échange ; c'est un commerce entre les êtres. La vie physique ne désire point se donner, elle désire seulement recevoir. Il est vrai qu'elle est obligée de se donner, car la vie qui ne fait que recevoir sans rien donner ne peut que devenir stérile, s'étioler et périr — à supposer qu'il soit même possible de vivre complètement une telle existence en ce monde ou dans aucun autre monde ; mais c'est une contrainte, et elle obéit contre sa volonté à l'impulsion subconsciente de la Nature, plutôt qu'elle n'y adhère consciemment. Même quand l'amour intervient, le don de soi conserve encore au début, dans une large mesure, le caractère mécanique de la volonté subconsciente dans l'atome. Au début, l'amour lui-même obéit à la loi de la faim et se plaît à recevoir et exiger des autres plutôt qu'à se donner et se soumettre à eux, ce qu'il accepte surtout comme un prix à payer pour obtenir ce qu'il désire. Mais il n'a pas encore atteint ici à sa vraie nature; sa vraie loi est d'établir un commerce égal où la joie de donner soit égale à la joie de recevoir et finalement la surpasse ; mais pour cela, il faut qu'il s'élance au-delà de lui-même sous la pression de la flamme psychique pour atteindre à la plénitude de l'unité totale ; il doit donc réaliser que ce qui lui semblait être un non-moi est un moi plus grand et plus cher même que sa propre individualité. À l'origine de la vie, la loi d'amour est cet élan qui nous pousse à nous réaliser et nous accomplir dans les autres et par les autres, à nous enrichir en enrichissant autrui, à posséder et être possédé, car faute d'être possédé, on ne se possède pas entièrement soi-même.

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L'inerte incapacité de l'existence atomique à se posséder, la sujétion de l'individu matériel au non-moi appartiennent au premier état de la vie. La conscience de la limitation et la lutte pour posséder, pour maîtriser le moi aussi bien que le non-moi, caractérisent le second. Là aussi, le développement qui conduit au troisième état entraîne une transformation des conditions originelles en un accomplissement et une harmonie qui reproduisent ces conditions tout en paraissant les contredire. Par l'association et l'amour, le non-moi commence à être perçu comme un moi plus grand, et il en résulte une soumission à sa loi et à ses besoins qui, consciemment acceptée, permet de satisfaire l'élan, la tendance croissante de la vie collective à absorber l'individu ; et en même temps, l'individu commence à prendre possession de la vie d'autrui comme de la sienne propre, et de tout ce qu'elle a à lui offrir comme si cela lui appartenait, et ainsi la tendance opposée, la possession individuelle, se trouve-t-elle satisfaite. Mais cette relation de réciprocité entre l'individu et le monde où il vit ne peut être exprimée, elle ne peut être complète et sûre que si la même relation s'établit entre individus, et entre corps collectifs. Tout le difficile effort de l'homme pour harmoniser l'affirmation de soi et la liberté — par lesquelles il se possède lui-même— avec l'association et l'amour, avec la fraternité, la camaraderie — où il se donne aux autres —, ses idéaux d'harmonieux équilibre, de justice, de partage, d'égalité par lesquels il harmonise les deux tendances contraires, sont en fait une tentative, dont le cours est inéluctablement prédéterminé, pour résoudre le problème originel de la Nature, le problème même de la Vie, en résolvant le conflit entre les deux opposés présents dans les fondations mêmes de la Vie dans la Matière. Cette solution, c'est le principe supérieur du Mental qui tente de la fournir, car lui seul peut trouver la voie menant à l'harmonie voulue, bien que cette harmonie ne puisse être découverte qu'en un Pouvoir qui nous dépasse encore.

En effet, si nos données initiales sont correctes, nous ne pourrons atteindre notre destination, notre but, que si le Mental se dépasse lui-même pour accéder à ce qui est au-delà de lui, puisque le Mental n'est qu'un terme inférieur de Cela, un instrument, d'abord pour descendre dans la forme et l'individualité et, ensuite, pour s'élever à nouveau en cette réalité que la forme incarne et que l'individualité représente. Il est donc peu probable que le problème de la Vie puisse trouver une solution parfaite uniquement par l'association, l'échange et les compromis de

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l'amour, ou par la seule loi du mental et du cœur. Pour cela, il faut atteindre un quatrième état de la vie où l'éternelle unité du multiple est accomplie par l'esprit, et où la base consciente de toutes les opérations de la vie s'établit, non plus sur les divisions du corps, ni sur les passions et les appétits de la vitalité, ni sur les groupements et les harmonies imparfaites du mental, ni sur une combinaison de toutes ces choses, mais sur l'unité et la liberté de l'Esprit.

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