La Vie Divine 1153 pages 2005 Edition
French Translation
  Cristof Alward-Pitoëff

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Sri Aurobindo's principal work of philosophy and metaphysics, expounding a vision of spiritual evolution culminating in the transformation of man from a mental into a supramental being and the advent of a divine life upon earth.

La Vie Divine

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Sri Aurobindo

Sri Aurobindo's principal work of philosophy and metaphysics. In this book, Sri Aurobindo expounds a vision of spiritual evolution culminating in the transformation of man from a mental into a supramental being and the advent of a divine life upon earth. The material first appeared as a series of essays published in the monthly review Arya between 1914 and 1919. They were revised by Sri Aurobindo in 1939 and 1940 for publication as a book.

Sri Aurobindo Birth Centenary Library (SABCL) The Life Divine Vols. 18,19 1070 pages 1970 Edition
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Sri Aurobindo's principal work of philosophy and metaphysics. In this book, Sri Aurobindo expounds a vision of spiritual evolution culminating in the transformation of man from a mental into a supramental being and the advent of a divine life upon earth. The material first appeared as a series of essays published in the monthly review Arya between 1914 and 1919. They were revised by Sri Aurobindo in 1939 and 1940 for publication as a book.

French Translations of books by Sri Aurobindo La Vie Divine 1153 pages 2005 Edition
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Le processus évolutif :
ascension et intégration

A mesure qu'il s'élève de cime en cime (...), .Indra le rend conscient du but de son mouvement.

Rig-Véda. 1.10.2.

fils des deux Mères, il atteint à la royauté dans ses découvertes de la connaissance, il se meut sur le sommet, il demeure en son haut fondement.

Rig-Véda. III. 55. 7.

De la terre, je me suis élevé au monde intermédiaire, du monde intermédiaire je me suis élevé au ciel, du plan du firmament céleste je suis allé jusqu'au monde du Soleil, de la Lumière.¹

Yajur-Véda. 17. 67.

 

¹Les quatre plans : la Matière, la Vie, le Mental pur et le Supramental.

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Puisque nous nous sommes formé une idée suffisamment . claire du sens de la manifestation évolutive dans la nature; terrestre et de l'orientation finale qu'elle prend ou qu'elle est destinée à prendre, il est maintenant possible et nécessaire; de mieux observer et de mieux comprendre les principes gouvernant le processus par lequel cette évolution est parvenue à. son niveau actuel et qui, probablement, quelles que soient le& éventuelles modifications, déterminera et rendra effectifs son développement final, le passage de notre ignorance mentale encore prédominante à une connaissance supramentale et à' une connaissance intégrale. Nous découvrons en effet que' la loi générale d'action de la Nature cosmique demeure constante, puisqu'elle dépend d'une Vérité des choses qui est invariable en principe, bien que d'une prodigieuse diversité dans le détail de son application. Puisque cette évolution part d'une Inconscience matérielle pour accéder à la conscience spirituelle, l'Esprit s'édifiant évolutivement sur une base de Matière, il est aisé de voir que ce processus de développement doit présenter, dès l'origine, un triple caractère. Une évolution des formes de la Matière, organisées de façon de plus en plus subtile et complexe afin de permettre le jeu d'une organisation de conscience toujours plus complexe, subtile et efficace, est la base physique indispensable. Un 'progrès évolutif de .la conscience elle-même, de degré en degré, une ascension, telle est la spirale évidente ou la courbe émergeante que, sur cette base, l'évolution doit décrire. Enfin, une incorporation dans' chaque degré supérieur, de ce qui a déjà été développé, et une transformation plus ou moins complète permettant un' fonctionnement entièrement modifié de tout l'être et de toute la nature, une intégration, doit aussi faire partie du processus; pour que l'évolution puisse s'accomplir.

L'aboutissement de ce triple processus doit être un changement radical de l'action de l'Ignorance en une action de la; Connaissance, de

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notre base d'inconscience en une base de conscience intégrale — plénitude qui n'existe à présent que dans ce qui est pour nous la supraconscience. Chaque ascension entraînera un changement partiel, une modification de l'ancienne nature assumée et assujettie à un nouveau principe fondamental. L'inconscience sera transformée en conscience partielle, en une ignorance recherchant toujours plus de connaissance et de maîtrise. À un certain point, une ascension doit cependant se produire qui permettra de substituer à l'inconscience et à l'ignorance le principe de connaissance, celui d'une conscience fondamentale vraie, la conscience de l'Esprit. Une évolution dans l'Inconscience est le commencement, une évolution dans l'Ignorance est le milieu, mais la fin est la libération de l'Esprit en sa conscience vraie et une évolution dans la Connaissance. Comme nous pouvons le constater, c'est en fait la loi et la méthode du processus qui a été suivi jusqu'à présent, et tout semble indiquer que la Nature évolutive le suivra dans son processus futur. Un premier fondement involutif où prend naissance tout ce qui doit évoluer, une émergence et une action des pouvoirs involués dans ou sur cette fondation suivant une gradation ascendante, et tout en haut une émergence du pouvoir le plus élevé de tous, agent d'une manifestation suprême — telles sont les étapes nécessaires du voyage de la Nature évolutive.

 Les termes mêmes du problème à résoudre impliquent qu'un processus évolutif doit être un développement — dans un premier principe d'être ou de substance établi, fondamental —-de quelque chose que ce principe fondamental garde involué en lui, ou qu'il admet du dehors et modifie en l'admettant ; car il doit nécessairement modifier, par la loi de sa nature, tout ce qui pénètre en lui, tout ce qui ne fait pas déjà partie de sa nature. Il doit en être ainsi même s'il! s'agit d'une évolution créatrice, créatrice en ce sens qu'elle manifesterait toujours de nouveaux pouvoirs d'existence qui n'auraient pas leur origine en la première fondation mais y seraient introduits, seraient acceptés dans une substance originelle. Si, au contraire, le nouveau principe ou le nouveau pouvoir d'existence qui doit évoluer s'y trouve déjà involué — présent dans la première fondation, mais pas encore manifesté ou pas encore organisé —, alors, quand il apparaîtra, il lui faudra encore accepter la modification imposée par la nature et la loi de la substance de base ; mais il modifiera également cette substance par son propre pouvoir, par la loi de sa nature. Si, en outre, il est aidé par une descente de son propre principe déjà établi dans toute sa puissance au-dessus du champ évolutif, et qui presse sur: ce; champ

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pour en prendre possession, alors le nouveau pouvoir "peut même s'établir comme un élément dominant et changer considérablement ou radicalement la conscience et l'action du monde où il émerge ou pénètre. Mais sa capacité de modifier ou de changer ou de révolutionner la loi et le fonctionnement de la substance originelle choisie comme matrice de l'évolution dépendra de sa propre puissance essentielle. Il n'est guère probable qu'il puisse susciter une transformation complète s'il n'est pas lui-même le Principe originel d'Existence, s'il n'est qu'un dérivé, un pouvoir instrumental et non la puissance première.

L'évolution se déroule ici dans un univers matériel ; le fondement, la substance originelle, le premier statut établi et qui conditionne tout, est la Matière. Le Mental et la Vie ont évolué de et dans la Matière, mais leur action est limitée et modifiée par l'obligation d'en utiliser la substance pour élaborer leurs instruments, et par leur soumission à la loi de la Nature matérielle, lors même qu'ils modifient ce qu'ils subissent et utilisent. Car ils transforment effectivement la substance matérielle, d'abord en substance vivante, puis en substance consciente ; ils réussissent à changer l'inertie de la Matière, son immobilité et son inconscience fini un mouvement de conscience, de sentiment et de vie. Mais ils ne parviennent pas à la transformer complètement ; ils ne peuvent la rendre entièrement vivante ni entièrement consciente : la nature vitale évolutive est liée à la mort ; le mental évolutif est matérialisé autant que vitalisé, il se trouve lui-même enraciné dans l'inconscience, limité par l'ignorance, il est mû par des forces vitales incontrôlées qui le mènent et l'utilisent, il est mécanisé par les forces physiques dont il dépend nécessairement pour s'exprimer. C'est là un indice que ni le Mental, ni la Vie ne sont le Pouvoir créateur originel; comme la Matière, ce sont des intermédiaires, des instruments successifs et gradués du processus évolutif. Si une énergie matérielle n'est pas ce Pouvoir originel, alors nous devons chercher celui-ci en quelque chose qui se trouve au-dessus du Mental ou de la Vie. Il existe certainement une Réalité occulte plus profonde qui est appelée à se dévoiler dans la Nature.

Il doit y avoir; un Pouvoir créateur ou évolutif originel; mais bien que la Matière soit la substance première, le Pouvoir originel et ultime n'est pas une Énergie matérielle inconsciente ; car alors, la vie et la conscience seraient absentes, l'Inconscience ne pouvant engendrer la conscience, ni une Force inanimée engendrer la vie. Puisque le Mental et

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la; Vie eux non plus ne sont pas cela, il faut donc qu'il y ait une secrète Conscience, plus grande que la Conscience de la Vie ou que la Conscience du Mental, une Énergie plus essentielle que l'Énergie matérielle. Étant plus grande que le Mental, elle est nécessairement une la conscience supramentale ; étant un pouvoir de substance essentielle autre que la Matière, elle est nécessairement le pouvoir de ce qui est l'essence et la substance suprêmes de toutes choses, un pouvoir de l'Esprit. Il y a une énergie créatrice du Mental et une Force-de-Vie créatrice, mais elles sont instrumentales et partielles, non pas originelles et déterminantes. Le Mental et la Vie modifient sans aucun doute la substance matérielle qu'ils habitent, ainsi que ses énergies, et ne sont pas simplement déterminés par elles, mais l'étendue et le processus de cette modification et de cette détermination matérielles sont fixés par l'Esprit qui habite et contient tout, au moyen d'une lumière et d'une force intérieures secrètes du supramental, une gnose occulte — une invisible connaissance de soi et de tout. S'il doit y avoir une transformation complète, ce ne peut être que par la pleine émergence de la loi de l'Esprit; son pouvoir, qui est celui du supramental ou gnose, doit avoir pénétré dans la Matière et doit évoluer dans la Matière. Il doit changer l'être mental en l'être supramental, rendre conscient l'inconscient qui est en nous, spiritualiser notre substance matérielle, établir sa loi de conscience gnostique dans la totalité de notre nature et de notre être évolutifs. Telle doit être l'émergence culminante ou, du moins, cette étape de l'émergence qui, la première, changera de façon décisive la nature de l'évolution en transformant son action d'Ignorance et sa base d'Inconscience.

Ce mouvement d'évolution, cette manifestation de soi progressive de l'Esprit dans un univers matériel, doit tenir compte à chaque .pas du fait que la conscience et la force sont involués dans la forme et l'activité de la substance matérielle. Il procède en effet par un éveil de la conscience et de la force involuées et par leur ascension de principe en principe, de degré en degré, de pouvoir en pouvoir de l'Esprit secret, mais ce n'est pas un libre transfert à un état supérieur. Quand elle émerge, la loi d'action, la force d'action de chaque degré ou pouvoir est déterminée, non par la loi souveraine, complète et pure de sa nature, ou par la vigueur de son énergie, mais en partie par l'organisation matérielle qui lui est fournie et en partie par son propre statut, le niveau atteint, l'accomplissement de sa conscience qu'il a pu imposer à la Matière. Son efficacité dépend en quelque sorte d'un équilibre entre deux facteurs :

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l'étendue réelle de cette émergence évolutive, et la mesure dans laquelle le pouvoir qui émerge est encore enveloppé, pénétré, affaibli par la domination et l'emprise continuelle que l'Inconscience exerce sur lui. Lé mental tel que nous le voyons n'est pas un mental pur et libre, mais un mental voilé et diminué par la nescience qui l'enveloppe, un mental qui peine et lutte afin que la connaissance soit délivrée de cette nescience. Tout dépend de l'état, du degré d'involution et d'évolution de la conscience'—-d'abord complètement involuées dans la matière inconsciente, elle hésite sur le versant qui sépare l'involution de l'évolution consciente dans les premières formes non animales de la vie dans la matière, puis elle commence à évoluer consciemment mais reste très limitée et entravée dans le mental logé dans un corps vivant, et finalement son destin la mènera jusqu'à sa pleine évolution quand le supramental s'éveillera dans l'être mental et la nature mentale incarnés.

À chaque degré de cette série qu'atteint la Conscience en son évolution, correspond une catégorie appropriée d'existences — les formes et les forces matérielles, la vie végétale, les animaux et l'homme à demi animal, les êtres humains développés, les êtres spirituels imparfaitement évolués ou plus évolués apparaissent successivement, mais le processus évolutif étant continu, il n'y a pas de délimitation tranchée; chaque nouveau progrès, chaque nouvelle formation reprend ce qui la précédait. L'animal intègre en lui la Matière vivante et la Matière inanimée ; à son tour, l'homme les assume toutes deux, en même temps que l'existence* animale. Le processus de transition laisse des sillons, l'habitude fixée par la Nature, des lignes de démarcation; mais ces choses, qui distinguent une série d'une autre, servent peut-être à prévenir un retour en arrière de ce qui a évolué, mais elles n'annulent ni ne brisent la continuité de l'évolution. En évoluant, la Conscience passe d'un degré à un autre ou d'une série d'étapes à une autre, soit par un processus imperceptible, soit par un bond ou une crise, soit encore, peut-être, par une intervention d'en haut — une descente ou une psychicisation ou une influence depuis les plans supérieurs de la Nature. Mais par quelque moyen que ce soit, la Conscience qui, secrètement, demeuré en la Matière, l'Habitant occulte, peut ainsi s'élever depuis les degrés inférieurs vers les degrés supérieurs, intégrant ce qu'il était à ce qu'il est et s'apprêtant à réintégrer tout cela en ce qu'il sera. Ayant d'abord jeté les bases d'un être matériel, de formes, de forces, d'existences matérielles en lesquelles elle semble reposer inconsciente, bien qu'en réalité,

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comme; nous le savons maintenant, elle soit toujours subconsciemment à l'œuvre, la Conscience peut ainsi manifester la vie et les êtres vivants, manifester le mental et des êtres mentaux dans un monde matériel, et elle doit donc pouvoir y manifester aussi le supramental: et les êtres supramentaux. C'est ainsi que s'est réalisé l'état présent de l'évolution dont l'homme paraît être aujourd'hui le point culminant; mais U n'est pas en réalité son ultime sommet; car il est lui-même un être de transition qui se tient au tournant décisif de tout le mouvement. Du fait de cette continuité, l'évolution doit avoir, à tout moment, un passé dont les résultats essentiels sont encore manifestes, un présent où les résultats qu'elle s'efforce de produire sont en gestation, un futur où des pouvoirs et des formes d'être non encore évolués doivent apparaître jusqu'à ce que la manifestation soit complète et parfaite. Le passé a été l'histoire d'un travail subconscient lent et difficile qui a produit des effets en surface — ce fut une évolution inconsciente ; le présent est un stade intermédiaire, Une' spirale incertaine où l'intelligence humaine est utilisée par la Force évolutive secrète de l'être et participe à son action sans être complètement admise dans la confidence — c'est une évolution qui devient lentement consciente d'elle-même; l'avenir doit être une évolution de plus en plus consciente de l'être spirituel, jusqu'à ce qu'il soit entièrement délivré et agisse en pleine conscience grâce à l'émergence du principe gnostique.

La Science a étudié du point de vue physique, celui de l'élaboration des formes, le premier fondement de cette émergence, la création de formes de la Matière, une Matière d'abord inconsciente et inanimée, puis vivante et pensante, l'apparition de corps toujours mieux organisés et adaptés pour exprimer un plus grand pouvoir de la conscience ; mais l'aspect intérieur, l'aspect de la conscience n'a guère été éclairé, et le peu que l'on en a observé relève plutôt de sa base et de son instrumentation physiques que des opérations progressives de la Conscience elle-même. Dans l'évolution telle que nous l'avons observée jusqu'ici, bien qu'il y ait une continuité — car la Vie intègre la Matière, et le Mental intègre la Vie submentale, le mental intellectuel intègre le mental-vital et le mental sensoriel —, le bond d'un échelon de la conscience à un autre dans la série nous paraît immense, et, qu'il faille sauter par-dessus ou jeter un pont, il semble impossible de franchir l'abîme. Nous cherchons en vain une preuve concrète et satisfaisante établissant que le passage s'est fait dans le passé, ou la manière dont il;s/est effectué.

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Même dans l'évolution extérieure, même dans le développement des formes physiques où les données sont clairement mises en évidence, il manque des maillons qui demeurent introuvables ; or, dans l'évolution de la conscience, le passage est encore plus difficile à expliquer, car il ressemble plus à une transformation qu'à une transition. Il est toutefois possible que, du fait de notre impuissance à pénétrer le subconscient, à sonder le submental ou à comprendre suffisamment une mentalité inférieure différente de la nôtre, nous soyons incapables d'observer les infimes gradations, non seulement dans chaque degré de la série, mais sur la ligne frontière qui sépare un degré de l'autre. L'homme de science qui observe minutieusement les données physiques a été amené à croire à la continuité de l'évolution, malgré les trous et les chaînons manquants. Si nous pouvions de la même manière observer l'évolution intérieure, nous pourrions sans aucun doute découvrir la possibilité et le processus de ces prodigieuses transitions. Il y a néanmoins une différence réelle et radicale entre chaque degré, si bien que le passage de l'un à l'autre semblé être une nouvelle création, une miraculeuse métamorphose plutôt qu'un développement naturel et prévisible ou le paisible passage d'un état d'être à un autre avec ses étapes bien marquées se succédant selon un ordre simple.

Ces abîmes semblent plus profonds mais moins larges à mesure que nous nous élevons dans l'échelle de la Nature. S'il y a une réaction vitale rudimentaire dans le métal, comme on l'a récemment soutenu, elle est peut-être, en son essence, identique à la réaction vitale dans la plante, mais ce que l'on pourrait appeler la différence physico-vitale est si considérable que l'un nous semble inanimé, tandis que l'autre, bien que la conscience n'y soit pas apparente, peut être considérée comme une créature vivante. Entre la vie végétale la plus développée et la vie animale la moins évoluée, l'abîme est visiblement plus profond, car c'est la différence entre le mental et l'absence totale de tout mouvement mental apparent ou même rudimentaire : dans l'une, cette substance de conscience mentale n'est pas éveillée, bien qu'il y ait une vie de réactions vitales, une vibration sensorielle réprimée ou subconsciente, ou peut-être seulement submentale, qui semble intensément active ; dans l'autre, bien que le mode de vie subconscient soit au début moins automatique et moins assuré, et que le nouveau mode de conscience manifeste soit encore imparfaitement déterminé, le mental est cependant éveillé — il y a une vie consciente, une profonde transition a eu lieu. Mais le caractère

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commun que revêt ce phénomène de vie dans la plante et chez l'animal, si différente que soit leur organisation, réduit le gouffre, même s'il ne le comble pas. Entre l'animal le plus évolué et l'homme le moins développé, il faut franchir un abîme plus profond encore, bien que plus étroit, celui qui sépare le mental sensoriel de l'intellect; car nous avons beau souligner la nature primitive du sauvage, nous ne pouvons rien changer au fait que, au-dessus et au-delà du mental sensoriel, de la vitalité émotive et de l'intelligence pratique élémentaire que nous partageons avec les animaux, l'homme le plus primitif possède un intellect et est doué — peu importe dans quelle mesure — de réflexion, d'idées, d'invention consciente, d'une pensée et d'un sentiment éthiques et religieux, de tout ce dont l'homme en tant que race est fondamentalement capable. Il a le même genre d'intelligence, la seule différence tient à l'instruction et à la formation préparatoire qu'il a reçue, et au degré de développement de; ses capacités, de son intensité, de son activité. Malgré ces lignes séparatrices, nous ne pouvons plus supposer que Dieu ou quelque Démiurge a manufacturé chaque genre et chaque espèce, avec un corps préfabriqué, une conscience toute faite, et qu'il s'est arrêté là après avoir considéré son œuvre et constaté qu'elle était réussie. Il est maintenant évident qu'une Énergie créatrice inconsciente ou secrètement consciente a accompli cette transition, par degrés lents ou rapides, par tous les moyens et tous les artifices, tous les mécanismes biologiques, physiques ou psychologiques possibles —'après quoi, elle ne s'est peut-être pas souciée de préserver comme formes distinctes ce qui n'était que des tremplins et n'avait plus de rôle, ne servait plus aucun dessein dans la Nature évolutive. Mais cette explication des hiatus n'est guère plus qu'une hypothèse que, jusqu'à présent, nous ne pouvons suffisamment justifier. En tout cas, il est probable que la raison de ces différences radicales doit se trouver dans le fonctionnement de la Force intérieure et non dans le processus extérieur de la transition évolutive; si nous regardons les choses plus en profondeur, de l'intérieur, cela n'est plus difficile à comprendre et ces transitions deviennent intelligibles et en fait inévitables de par la nature même du processus évolutif et de son principe.

En effet, si nous considérons non pas les aspects scientifiques ou physiques, mais l'aspect psychologique de la question et cherchons cri, quoi: réside précisément la différence, nous verrons qu'elle tient à l'élévation dé-là conscience à un autre principe d'être. Le métal est fixé

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dans le: principe inconscient et inanimé de la matière; même si nous pouvons supposer que certaines de ses réactions suggèrent la présence en lui de la vie ou du moins de vibrations rudimentaires qui, dans la plante, sont devenues la vie, cependant son caractère n'en fait pas du tout une forme de la vie ; c'est une forme caractéristique de la matière. La plante est fixée dans une action subconsciente du principe de vie — bien qu'elle demeure soumise à la matière et ne soit pas dépourvue de réactions dont l'entière signification ne s'éclaire que dans le mental, car elle semble avoir des réactions submentales qui sont en nous la base du plaisir et de la souffrance ou de l'attirance et de la répulsion ;'mais elle n'en est pas moins une forme de vie, pas de simple matière, et, pour autant que nous le sachions, elle n'est pas non plus un être mentalement conscient. L'homme et l'animal sont tous deux des êtres mentalement conscients; mais l'animal est fixé dans le mental vital et dans les sens mentalisés et il ne peut dépasser ses limites, tandis que l'homme a reçu dans son mental sensoriel la lumière d'un autre principe, l'intellect, qui, en réalité, est à la fois un reflet et une dégradation du supramental, un rayon de la gnose capté par la mentalité sensorielle et transformé par elle en quelque chose qui diffère de sa source ; car l'intellect est agnostique comme le mental sensoriel en lequel et pour lequel il travaille, ri n'est pas gnostique; il cherche à s'emparer de la connaissance car il ne la possède pas : il ne détient pas la connaissance en lui-même comme le supramental, ce n'est pas une prérogative naturelle. Autrement dit, en chacune de ces formes d'existence, l'être universel a établi l'action de s'a conscience dans un principe différent"ou, comme entre l'homme et l'animal, dans la modification d'un principe inférieur par un principe supérieur, qui, cependant, n'est pas encore le degré le plus haut. C'est ce saut d'un principe d'être à un autre principe d'être tout différent qui crée les transitions, les sillons, les lignes nettes de démarcation, et qui fait, sinon toute la différence, du moins la différence caractéristique qui détermine la nature fondamentale de chaque être.

Il faut cependant observer que cette ascension, cette fixation successive dans des principes de plus en plus élevés, n'entraîne pas plus l'abandon des degrés inférieurs, que le fait d'exister sur les échelons inférieurs n'implique l'absence complète des principes supérieurs. Cela résout l'objection que ces différenciations si marquées soulèvent contre la théorie de l'évolution. En effet, si les rudiments de la création supérieure sont présents dans la création inférieure, et si les caractères

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inférieurs sont intégrés dans l'être plus évolué, cela constitue en soi; un processus évolutif indubitable. Ce qui est nécessaire, c'est un processus qui amène le degré inférieur de l'être à un point où le degré supérieur peut s'y manifester ; à ce point-là, une pression d'un plan supérieur ou domine le nouveau pouvoir peut intervenir pour faciliter une transition plus ou moins rapide et décisive, d'un seul bond ou par; une série dé bonds — une action lente, graduelle, imperceptible, voire occulte, peut être suivie d'une course et d'un saut évolutif par-dessus la frontière. C'est par un processus analogue que le passage des degrés inférieurs aux degrés supérieurs de la conscience semble s'être opéré dans la Nature.

En fait, la vie, le mental, le supramental sont présents dans l'atome ; ils y sont à l'œuvre, mais invisibles, occultes, latents dans une action subconsciente ou apparemment inconsciente de l'Énergie. Il y a un Esprit qui imprègne la forme, mais la force extérieure et la représentation extérieures de l'être, ce que nous pourrions appeler l'existence formelle, ou forme d'existence — pour la distinguer de la conscience immanente qui gouverne en secret —, est perdue dans l'action physique, y est absorbée au point d'être figée en un oubli de soi stéréotypé, inconsciente de ce qu'elle est et de ce qu'elle fait. L'électron et l'atome sont, de ce point de vue, d'éternels somnambules : chaque objet matériel contient:une conscience extérieure ou formelle involuées, absorbée dans la forme, endormie, ayant tout apparemment d'une inconscience dirigée par une Existence intérieure inconnue qu'il ne sent pas — celui qui est éveillé dans le dormeur, l'Habitant universel des Upanishad —, une conscience de ;la forme, extérieure, absorbée, qui, à la différence du somnambule humain, n'a jamais été éveillée ou n'est pas toujours, ou n'est même jamais sur le point de se réveiller. Dans la plante, cette conscience formelle extérieure est encore dans l'état de sommeil, mais c'est un sommeil hanté de rêves nerveux, toujours au bord de l'éveil, sans jamais s'éveiller. La vie est apparue ; autrement dit, la force de l'être conscient dissimulé a été suffisamment intensifiée, s'est élevée à un degré de puissance assez haut pour élaborer ou pour se rendre capable de manifester un nouveau principe d'action, qui se présente à nous comme vitalité, force de vie. Elle est devenue capable de réagir vitalement à l'existence, bien qu'elle ne soit pas consciente mentalement, et elle a fait apparaître un nouveau degré d'activités d'une valeur plus haute et plus subtile que toute action purement physique. En même temps, elle est capable de recevoir les contacts vitaux et physiques venant d'autres formes que la sienne ainsi que de

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la Nature universelle et de les transformer en ces nouvelles valeurs de vie, en mouvements et en phénomènes d'une vibration de vitalité. Cela, les formes purement matérielles ne peuvent le faire : elles ne peuvent transformer les contacts en valeurs de vie, ou en une valeur quelconque, en partie du fait que leur pouvoir de réception — bien qu'il existe, s'il faut en croire les preuves occultes — n'est pas suffisamment éveillé pour faire autre chose que recevoir muettement et réagir imperceptiblement, en partie du fait que les énergies transmises par les contacts sont trop subtiles pour être utilisées par la densité inorganique grossière de la Matière constituée. La vie de l'arbre est déterminée par le corps physique de l'arbre, mais elle intègre l'existence physique et lui donne une nouvelle valeur ou un nouveau système de valeurs — la valeur-de-vie.

Le transition suivante, vers le mental et les sens, qui se manifeste dans l'être animal et que nous appelons la vie consciente, s'opère de la même façon. La force de l'être est suffisamment intensifiée, elle s'élève assez haut pour admettre ou développer un nouveau principe d'existence — ou du moins apparemment nouveau dans le monde de la Matière : la mentalité. L'être animal est mentalement conscient de l'existence, la sienne et celle des autres, il manifeste un degré supérieur et plus subtil d'activités, reçoit une plus vaste gamme de contacts, mentaux, vitaux, physiques, ou provenant de formes autres que la sienne, intègre l'existence physique et vitale et change tout ce qu'il en peut obtenir en valeurs sensorielles et en valeurs' mentales-vitales; Il sent le corps, il sent la vie, mais il sent aussi le mental ; car il n'a pas seulement des réactions nerveuses aveugles, il a aussi des sensations, des impulsions, des volitions, des émotions, des souvenirs conscients, des associations mentales, tout le matériau du sentiment, de la pensée et de la volonté. Il a même une intelligence pratique fondée sur la mémoire, l'association, le besoin qui stimule, l'observation, l'inventivité; il est capable de ruse, de stratégie, il planifie, invente, adapte ses inventions jusqu'à un certain point, et peut dans tel ou tel détail répondre aux exigences d'une circonstance nouvelle. Tout en lui n'est pas instinct à demi conscient ; l'intelligence animale prépare l'intelligence humaine.

Mais lorsque nous en arrivons à l'homme, nous voyons tout cela devenir conscient. Le monde, qu'il résume, commence en lui à se révéler à lui-même. L'animal supérieur n'est pas le somnambule — comme les formes animales les moins évoluées le sont presque entièrement ou dans

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une large mesure —, mais son mental de veille est encore limité, tout juste capable de pourvoir aux nécessités de son existence vitale. Chez l'homme, la mentalité consciente éveillée s'élargit et, bien qu'à l'origine elle ne soit pas pleinement mais seulement superficiellement consciente d'elle-même, elle peut s'ouvrir de plus en plus à son être intérieur et intégral. Comme dans les deux ascensions inférieures, il y a élévation de la force de l'existence consciente jusqu'à un nouveau pouvoir et une nouvelle gamme d'activités subtiles; il y a transition du mental vital au mental pensant, réflectif. On voit alors se développer un plus grand pouvoir d'observation et d'invention qui recueille et relie les données, qui est conscient des processus et des résultats, un pouvoir d'imagination et de création esthétique, une sensibilité supérieure et plus plastique, une raison qui coordonne et interprète, et un .ensemble de valeurs qui relèvent non plus d'une intelligence réflexe ou réactive, mais d'une intelligence souveraine, compréhensive et détachée. Comme dans les ascensions inférieures, il se produit un élargissement de là conscience; l'homme est capable d'intégrer une plus grande part du monde et de lui-même, et il peut ainsi donner à cette connaissance les formes plus hautes et plus complètes d'une expérience consciente. Là encore nous retrouvons le troisième facteur constant de l'ascension ; le mental intègre les degrés inférieurs et donne à leur action et à leur réaction des valeurs intellectuelles. L'homme n'a pas seulement, comme l'animal, la perception de son propre corps et de sa propre vie, mais une perception intelligente et une certaine idée de la vie en général et une perception consciente et attentive du corps. Il intègre la vie mentale de l'animal, aussi bien que sa vie matérielle et physique, et s'il y perd quelque chose, il donne à ce qu'il conserve une valeur supérieure. Il a une perception intelligente, une certaine idée de ses sensations, de ses émotions, de ses volitions, de ses impulsions, de ses associations mentales; le matériau grossier de la pensée, du sentiment et de la volonté, capable seulement de déterminations rudimentaires, il le transforme pour en faire ;une œuvre accomplie, une œuvre d'art. Car l'animal pense lui aussi, mais d'une façon automatique fondée surtout sur une série mécanique de souvenirs et d'associations mentales, acceptant rapidement ou lentement les suggestions de la Nature et ne s'éveillant à une action personnelle plus consciente que si une observation attentive ou quelque stratagème s'avèrent nécessaires. Il possède les premiers rudiments d'une raison pratique, mais la faculté idéative et réflective n'est pas encore développée en lui. La conscience de veille chez l'animal

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est l'artisan primitif et maladroit du mental ; chez l'homme, c'est l'artisan habile et qui peut devenir—mais il ne s'y efforce pas assez—non seulement l'artiste, mais le maître et l'initié.

Il nous faut maintenant observer deux particularités de ce développement humain — à présent le plus haut,—"'qui nous mènent au cœur du problème. Tout d'abord, cette intégration des parties inférieures de la vie se révèle être le regard magistral de l'esprit secret qui évolue ou de l'Être universel dans l'individu, qui, depuis le sommet qu'il a atteint, se penche sur tout ce qui s'étend maintenant au-dessous, regard tourné vers le bas qui possède le double pouvoir ou les pouvoirs jumeaux de l'a conscience-force de l'être — le pouvoir de la volonté, le pouvoir de la connaissance .'—afin que de cette étendue nouvelle, différente et plus large de sa conscience, de sa perception et de sa nature, il puisse comprendre la vie inférieure et ses possibilités, et l'élever, elle aussi, à un plus haut niveau, lui donner de plus hautes valeurs, en tirer de plus hautes potentialités. Et cela, il le fait évidemment parce qu'il n'a aucune intention de la tuer ou de la détruire. La joie d'être étant son éternelle préoccupation, et une harmonie d'accords divers, et non point une douée mais monotone mélodie, étant le style de sa musique, il souhaite au contraire inclure aussi ses notes inférieures et, les saturant d'un sens plus profond et plus délicat, y puiser un surcroît de délice que n'aurait jamais pu lui offrir la formulation inférieure. À la fin, il pose pourtant une condition : il. ne continuera de les accepter que si elles-mêmes consentent à admettre les valeurs supérieures. Et jusque-là, il est en droit de les traiter avec rudesse, il peut même aller jusqu'à les piétiner quand il insiste sur la perfection et qu'elles se montrent rebelles. Tels sont en fait le but et le sens véritables et les plus profonds de la morale. de la discipline et de l'ascèse : non point mutiler et détruire, mais admonester et dompter, purifier et préparer la vie vitale, la vie physique et la vie mentale inférieure à devenir de bons instruments pouvant être transformés en les notes de l'harmonie du mental supérieur et finalement de l'harmonie supramentale. L'ascension est la première nécessité, mais l'intégration l'accompagne, correspondant elle aussi à une intention dé l'Esprit dans la Nature.

Ce regard de la connaissance et de la volonté qui se tourne vers le bas en vue d'une élévation, d'un approfondissement et d'une intensification plus subtile, plus belle et plus riche de tous les éléments, est

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la méthode que l'Esprit secret suit depuis le commencement. L'âme de la plante a, pourrions-nous dire, une vision matérielle-nerveuse de son existence physique tout entière afin d'en tirer toute l'intensité physique-vitale possible ; elle semble, en effet, être animée de certaines excitations intenses d'une vibration de vie muette — plus intenses même peut-être, bien que nous ayons peine à l'imaginer compte tenu de leur niveau inférieur rudimentaire, que celles que le mental et le corps de l'animal, à leur degré plus élevé et plus puissant, sont capables de supporter. L'être animal possède une vision sensorielle mentalisée de son existence vitale et physique, afin d'en tirer toute la valeur sensorielle possible, qui, à bien des égards, est beaucoup plus vive que les simples sensations ou émotions sensorielles humaines, ou que les simples satisfactions du désir et du plaisir vital. L'homme regardant vers le bas depuis le plan de la volonté et de l'intelligence, abandonne ces intensités inférieures, mais c'est afin de tirer du mental, de la vie et des sens une intensité supérieure dans d'autres valeurs : intellectuelles, esthétiques, morales, spirituelles, mentalement dynamiques ou pratiques — comme il les appelle ; à l'aide de ces éléments supérieurs, il élargit, élève et affine son usage des valeurs vitales. Il n'abandonne pas les réactions et les jouissances animales, mais il les mentalise avec plus de lucidité, de délicatesse et de sensibilité. Cela, il le fait même à ses niveaux normaux et inférieurs, mais, à mesure qu'il se développe, il impose à son être inférieur une épreuve plus rigoureuse, commence à en exiger, sous peine de rejet, une certaine transformation : c'est ainsi ,que le mental se prépare à la vie spirituelle qui le dépasse encore.

Cependant, une fois qu'il a atteint son niveau supérieur, l'homme ne fait pas que tourner ses regards vers le bas' et "autour de lui, il les tourne aussi vers le haut, vers ce qui est au-dessus de lui, et vers le dedans, vers ce qui est occulte en lui. En lui, non seulement le regard que l'Être universel dans l'évolution porte vers le bas est devenu conscient, mais son regard conscient vers le haut et vers l'intérieur se développe également. L'animal vit comme s'il était satisfait de ce que la Nature a fait pour lui. Si jamais l'esprit secret en son être animal tourne son regard vers le haut, sa conscience n'y est pour rien, cela reste l'affaire de la Nature : c'est l'homme qui, le premier, en fait sa préoccupation consciente. Il possède en effet une volonté intelligente, fût-elle un rayon déformé de la gnose, et de ce fait il commence déjà à assumer la double nature de Satchidânanda ; il n'est plus, comme l'animal, un

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être conscient non développé, entièrement gouverné par la Prakriti, lia esclave de la Force exécutrice, un jouet des énergies mécaniques de la Nature : il est une âme consciente qui commence à croître, un Purusha qui se mêle de ce qui jusqu'alors était la seule affaire de la Prakriti, et qui souhaite avoir son mot à dire, et devenir finalement le maître. Il n'y parvient pas encore, il est encore trop prisonnier de ses rets, trop involué dans le mécanisme qu'elle a établi ; mais il sent — bien que de façon trop vague et trop incertaine encore — que l'esprit en lui aspire à s'élever vers des hauteurs plus grandes, à élargir ses limites ; quelque chose au-dedans, quelque chose d'occulte, sait que l'intention de l'Âme-Nature conscience plus profonde — Purusha-Prakriti — n'est pas de demeurer à son niveau inférieur actuel, satisfait de ses limitations. Cette volonté de poursuivre son ascension vers de plus hauts sommets, d'élargir ses possibilités, de transformer sa nature inférieure, est chez l'homme une impulsion naturelle; elle se manifeste en lui dès qu'il s'est fait une place dans le monde terrestre physique et vital, et qu'il a le loisir de considérer ses possibilités futures. Et il ne saurait en être autrement, non parce que son imagination est victime des mirages d'une lamentable illusion, mais d'abord parée qu'il est l'être mental imparfait qui poursuit sa croissance, et qu'il doit lutter pour se développer toujours plus et atteindre la perfection, et surtout parce qu'à la différence des autres créatures terrestres, il est capable de prendre conscience de ce qui est plus profond que le mental, de l'âme en lui, et de ce qui est au-dessus du mental, du supramental, de l'esprit, capable de s'y ouvrir, de l'admettre, de s'y élever, de s'en emparer. Il est dans sa nature humaine, en toute nature humaine, de se dépasser par une évolution consciente, de monter toujours plus haut, de n'être jamais satisfait de ce qu'il est. Avec le temps, ce ne sont pas seulement les individus, mais l'humanité tout entière — même si cela ne s'applique pas à tous, ce serait néanmoins une loi générale de son être et de sa vie —, qui peut nourrir cet espoir, à condition de développer une volonté suffisante, de s'élever au-delà des imperfections de notre nature présente si peu divine, et d'entreprendre l'ascension vers une humanité qui soit au moins supérieure, de s'approcher, même sans y atteindre tout à fait, d'une humanité divine ou d'une surhumanité. En tout cas, c'est la Nature évolutive en lui qui le pousse à faire effort pour se développer, à s'élever toujours plus haut, à bâtir l'idéal, à tenter l'aventure.

Mais où, chez l'être évolutif, le devenir du moi par dépassement du moi atteint-il sa limite ? Dans le mental lui-même, il y a des degrés dans la

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série et chaque degré est lui-même une série ;;il y a des élévations successives que, pour plus de commodité, nous pouvons appeler les plans et sous-plans de la conscience mentale et de l'être mental. La croissance de notre moi mental est, pour une grande part, une ascension de ces degrés; nous pouvons nous tenir sur l'un quelconque d'entre eux, et, bien que nous dépendions encore des échelons inférieurs, garder, le pouvoir de nous élever à l'occasion vers les niveaux supérieurs ou de répondre aux influences provenant des couches supérieures de notre être. Nous avons encore besoin, en général, de prendre fermement appui, au début, sur le sous-plan le plus bas de l'intelligence, que nous pouvons appeler le mental-physique, car pour être sûr d'un fait et percevoir la réalité, il dépend du cerveau physique, du mental sensoriel physique, des organes sensoriels physiques ; à ce niveau, nous sommes l'homme physique qui attache la plus grande importance aux choses objectives et à sa vie extérieure et dont la vie subjective ou intérieure est peu intense, et reste de toute façon soumise aux exigences plus impérieuses de la réalité extérieure. L'homme physique vit en partie aussi dans son vital, mais cette partie de lui-même se compose surtout des formations les plus petites, instinctives et impulsives, de la conscience-de-vie émergeant du subconscient, ainsi que d'une foule ou d'une ronde,coutumières de sensations, de désirs, d'espoirs, de sentiments, de satisfactions qui dépendent de choses et de contacts extérieurs et s'intéressent à ce qui est pratique, immédiatement réalisable et possible, habituel, ordinaire, moyen. Il vit également dans son mental, mais un mental lui aussi coutumier, traditionnel, pratique, objectif, qui respecte les choses relevant de son domaine surtout pour le soutien, le confort, l'utilité, la satisfaction, les agréments qu'elles apportent à son existence physique et sensorielle. Car le mental physique s'appuie sur la matière et le monde matériel, sur le corps et la vie corporelle, sur l'expérience des sens, sur la mentalité pratique normale et son expérience. Tout ce qui n'entre pas dans cette catégorie, le mental physique en fait une superstructure limitée dépendant de la mentalité sensorielle extérieure. Même ainsi, il voit en ces contenus supérieurs de la vie des accessoires utiles ou un luxe superflu mais agréable fait d'imaginations, de sentiments, d'abstractions conceptuelles, et non des réalités intérieures; et même s'il les admet comme des réalités, il ne les sent pas concrètement, matériellement en leur propre substance, plus subtile que la substance physique grossière et bien concrète — il les traite comme une extension subjective et moins substantielle des réalités physiques. Il est inévitable

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que l'être humain commence ainsi par prendre appui sur la Matière et donne au fait et à l'existence extérieurs l'importance qui leur est due; car c'est ainsi que la Nature pourvoit d'abord à notre existence, et elle y insiste fortement : elle exalte l'homme physique en nous et le multiplie à profusion dans le monde ; il est la force qui l'aide à préserver la base matérielle, plutôt inerte mais sûre, sur laquelle elle peut se maintenir tout en poursuivant son effort de développement humain vers de plus hauts sommets; mais dans cette formation mentale, il n'y,a; pas de pouvoir de progrès, ou ce n'est alors qu'un progrès matériel. Tel est notre premier état mental, mais l'être mental ne saurait toujours demeurer sur l'échelon le plus bas dans l'échelle de l'évolution humaine.

Au-dessus du mental physique et plus profondément enfoui dans l'être que la sensation physique, se trouve ce que nous pouvons appeler une intelligence du mental-de-vie : dynamique, vitale, nerveuse, elle est plus ouverte au psychique bien que de façon encore obscure, et peut devenir une première formation d'âme, mais une âme vitale enténébrée — non pas l'être psychique, mais une formation frontale du Purusha vital. Cette âme de vie sent concrètement les choses du monde vital, entre en contact avec elles et tente de les réaliser ici : elle attache une immense importance à la satisfaction et à l'accomplissement de l'être de vie, de la force de vie, de la nature vitale. Elle considère l'existence physique comme un champ de réalisation pour les impulsions de la vie, pour le jeu de l'ambition, du pouvoir, pour la force de caractère, l'amour, la passion, l'aventure, pour la recherche humaine individuelle, collective, générale, pour le risque et l'aventure, pour toutes sortes d'expérimentations et de nouvelles expériences de la vie, et sans cet élément salvateur, sans ce pouvoir, cet intérêt, ce sens supérieurs, l'existence physique n'aurait pour elle aucune valeur. Cette mentalité vitale est soutenue par notre être vital subliminal secret; elle est en contact, de façon voilée, avec un monde vital auquel elle peut aisément s'ouvrir, et sentir ainsi les forces et les réalités dynamiques invisibles derrière l'univers matériel. Il y a un mental vital intérieur dont les perceptions n'ont nul besoin de s'appuyer sur les données des sens physiques, et qui n'est pas limité par eux; à ce niveau, en effet, notre vie intérieure et la' vie intérieure du monde deviennent réelles pour nous, indépendamment du corps et des symboles du monde physique, les seuls que nous appelions phénomènes naturels, comme si la Nature n'avait pas de phénomènes plus grands ni de plus grandes réalités que ceux de la Matière grossière.

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L'homme vital, consciemment ou inconsciemment façonné par ces influences, est l'homme de désir et de sensation, l'homme de pouvoir et d'action, l'homme de passion et d'émotion, l'individu dynamique; il peut accorder une importance considérable à l'existence matérielle, mais même lorsqu'il se préoccupe le plus de ses réalités immédiates, il la pousse vers les expériences vitales, la force de réalisation, vers le déploiement, la puissance, l'affirmation, l'expansion de la vie, qui est le premier élan de la Nature vers l'élargissement de l'être; à une très haute intensité de cet élan vital, il devient le briseur de chaînes, le chercheur de nouveaux horizons, celui qui bouleverse le passé et le présent pour servir l'avenir. Sa vie mentale est souvent asservie à la force vitale, à ses désirs et ses passions, et c'est cela qu'il cherche à satisfaire au moyen du mental; mais lorsqu'il s'intéresse fortement aux choses mentales, il peut devenir l'aventurier du mental, celui qui ouvre la voie à de nouvelles formations mentales, ou celui qui se bat pour une idée, l'artiste sensible, le poète enthousiaste de la vie, le prophète ou le champion d'une cause. Le mental vital est dynamique, et il représente donc une grande force dans le processus de la Nature évolutive.

Au-dessus de-ce niveau de mentalité vitale et s'étendant encore plus profondément au-dedans, se trouve un plan mental de pensée et d'intelligence pures où les choses du monde mental sont les réalités les plus importantes; ceux qui s'ouvrent à son influence, le philosophe, le penseur, le scientifique, le créateur intellectuel, l'homme qui sait manier les idées, les paroles ou les mots, l'idéaliste et le rêveur, représentent l'être mental le plus développé à ce jour. Cet homme mental a une part vitale, une vie de passions et de désirs, d'ambitions et d'espoirs vitaux de toutes sortes, il a aussi une existence physique et sensible inférieure, et cette partie inférieure peut souvent faire contrepoids à son élément mental plus noble ou l'entraîner vers le bas. Ainsi, cet élément qui est pourtant ce qu'il y a en lui de plus haut, ne peut avoir dans sa nature entière une influence dominante et formatrice; mais quand il atteint son développement le plus vaste, cette caractéristique ne s'applique plus, car le vital et le physique sont alors maîtrisés et soumis à la volonté rationnelle et à l'intelligence. L'homme mental ne peut transformer sa nature, mais il peut la maîtriser et l'harmoniser, lui assigner la loi d'un idéal mental, imposer un équilibre ou une influence qui la sublime et l'épure, et transformer la confusion et les conflits multipersonnels ou le grossier patchwork de notre être divisé et à demi construit en quelque

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chose de hautement cohérent. Il peut observer et gouverner son mental et sa vie, les développer consciemment et, dans cette mesure, devenir son propre créateur.

Derrière ce mental de pure intelligence se trouve notre mental intérieur ou subliminal qui perçoit directement toutes les choses du plan mental, est ouvert à l'action d'un monde de forces mentales et peut sentir l'influence, le pouvoir des idées et les autres influences impondérables qui agissent sur le monde matériel et sur le plan vital, bien que jusqu'à présent nous ne puissions que déduire leur existence sans en avoir une expérience directe. Ces intangibles et ces impondérables sont réels, évidents pour l'homme mental, et il les tient pour des vérités demandant à être réalisées dans notre nature ou dans la nature terrestre. Sur le plan intérieur, le mental et l'âme mentale, indépendants du corps, peuvent devenir pour nous une réalité entière, et nous pouvons consciemment vivre en eux autant que dans le corps. Ainsi, dans la gradation de la Nature, notre état le plus haut, avant le spirituel, est-il celui où nous vivons dans le mental et dans les choses du mental, où nous sommes une intelligence plutôt qu'une vie et un corps. L'homme mental, l'homme dont le mental et la volonté se maîtrisent et se forment eux-mêmes, conscient d'un idéal et tourné vers sa réalisation, l'intellect éminent, le penseur, le sage, moins dynamique et moins immédiatement efficace que l'homme vital qui est l'homme d'action et de rapide accomplissement vital extérieur mais tout aussi puissant et même, finalement, plus puissant pour ouvrir à l'humanité des perspectives nouvelles, représente le' sommet normal de la formation évolutive de la Nature sur le plan humain. Ces trois degrés de mentalité, clairs en soi mais le plus souvent mêlés dans notre constitution, ne sont pour notre intelligence ordinaire que des types psychologiques qui se sont développés, on ne sait trop comment, et nous ne découvrons en eux aucune autre signification; mais en fait, ils sont riches de sens, car ils sont les étapes que suit la Nature pour faire évoluer l'être mental vers son propre dépassement; et de même que le mental pensant est le stade le plus élevé que la Nature puisse atteindre à présent, de même l'homme mental parvenu à sa perfection est-il la plus rare et la plus développée de ses créatures humaines ordinaires. Pour aller plus loin, elle doit introduire le principe spirituel dans le mental et le rendre actif dans le mental, la vie et le corps.

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Telles sont en effet ses représentations évolutives construites à partir de la mentalité de surface; pour accomplir davantage, elle doit puiser plus largement dans l'invisible matériau caché sous notre surface, plonger au-dedans et faire émerger l'âme secrète, la psyché, ou bien s'élever au-dessus de notre niveau mental habituel jusqu'en des plans de conscience intuitive chargés d'une lumière dérivée de la gnose spirituelle, plans ascendants du pur mental spirituel où nous sommes en contact direct avec l'infini, où nous touchons le moi et la suprême réalité des choses, Satchidânanda. En nous, derrière notre être naturel de surface, il y a une âme, un mental intérieur, un vital intérieur, qui peuvent s'ouvrir à ces sommets aussi bien qu'à l'esprit occulte en nous, et cette double ouverture est le secret d'une nouvelle évolution. En brisant ainsi les écrans, les murs et les frontières, la conscience s'élance vers une plus grande ascension et une plus vaste intégration qui, de même que l'évolution du mental les avait mentalisés, spiritualiseront par cette nouvelle évolution tous les pouvoirs de nôtre nature. Car l'homme mental n'est pas l'ultime effort de la Nature ni le plus haut sommet qu'elle ait atteint — bien qu'il se soit montré généralement plus complètement évolué en sa propre nature que les hommes qui ont cherché leur accomplissement sur un plan inférieur ou qui ont aspiré à des plans supérieurs ; elle a orienté l'homme vers un niveau encore plus difficile et plus élevé, elle lui a inspiré l'idéal d'une vie spirituelle, elle a entrepris en lui l'évolution d'un être spirituel. L'homme spirituel est son effort suprême et supranormal de création humaine. Ayant fait évoluer le créateur mental, le penseur, le sage, le prophète d'un idéal, l'être mental maître de soi, discipliné et harmonisé, elle a essayé d'aller plus haut et plus profond, et d'appeler au premier plan l'âme, le mental et le cœur intérieurs, d'invoquer la descente des forces du mental spirituel, du mental supérieur et du surmental, et de créer dans leur lumière et par leur influence le sage spirituel, le voyant, le prophète, l'amant de Dieu, le yogi, le gnostique, le soufi, le mystique.

C'est là le seul moyen que l'homme ait de se dépasser vraiment ; car aussi longtemps que nous vivons dans l'être de surface ou que nous nous fondons entièrement sur la Matière, il est impossible d'aller plus haut et vain d'attendre qu'une transition nouvelle et radicale s'effectue dans notre être évolutif. L'homme vital, l'homme mental ont exercé une immense influence sur la vie terrestre, ils ont porté l'humanité en avant, du simple animal humain jusqu'à l'homme actuel. Mais ils ne peuvent

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agir que dans les limites de la formule évolutive déjà établie de l'être humain; ils peuvent agrandir le cercle humain, mais non changer ou transformer le principe de conscience ou son fonctionnement caractéristique. Toute tentative pour élever démesurément l'homme mental ou pour magnifier démesurément l'homme vital — une surhumanité nietzschéenne, par exemple — peut faire de la créature humaine un colosse, mais rien de plus : elle ne peut la transformer ni la diviniser. Une autre possibilité se découvre si nous parvenons à vivre au-dedans, dans l'être intérieur, et faire en sorte qu'il gouverne directement la vie, ou si nous réussissons à nous établir sur les plans spirituel et intuitif de l'être et, de là, grâce à leur pouvoir, à transmuer notre nature.

L'homme spirituel est le signe de cette nouvelle évolution, de cette nouvelle et plus haute tentative de la Nature. Mais cette évolution diffère à deux égards de l'ancien processus de l'Énergie évolutive : c'est un effort conscient du mental humain qui la dirige, et elle ne se limite pas à une progression consciente de la nature superficielle, mais essaie en même temps d'abattre les murs de l'Ignorance et de nous étendre à la fois; vers l'intérieur dans le principe secret de notre être présent, et vers l'extérieur dans l'être cosmique, aussi bien que vers le haut, vers un principe plus élevé. Ce que la Nature avait accompli jusqu'à présent, c'était un élargissement des limites de notre corps et la de surface; par l'effort spirituel, elle a tenté d'abolir l'Ignorance, d'aller au-dedans à la découverte de l'âme et d'être unie en sa conscience avec Dieu et avec toute existence. C'est là le but final de la phase mentale atteinte par la Nature évolutive en l'homme, et c'est le premier pas vers une transmutation radicale de l'Ignorance en Connaissance. Le changement spirituel commence par une influence de l'être intérieur et du mental spirituel supérieur, par une action ressentie et acceptée à la surface; mais en soi, cela ne peut conduire qu'à un idéalisme mental illuminé ou au développement d'un mental et 'd'un tempérament religieux, de la dévotion du cœur et d'un comportement pieux; c'est une première approche de l'esprit par le mental, mais elle ne peut effectuer un changement radical. Il nous faut accomplir beaucoup plus : il nous faut vivre plus profondément au-dedans, dépasser notre conscience actuelle et transcender notre condition actuelle dans la Nature.

Il est évident que si nous pouvons vivre ainsi plus profondément en: nous-mêmes et faire passer continuellement lès' .forces intérieures

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dans l'instrumentation extérieure, ou si nous pouvons nous élever et nous établir sur des plans plus hauts et plus vastes, et amener leurs pouvoirs à agir sur l'existence physique au lieu de simplement recevoir des influences qui descendent de ces plans — pour le moment, c'est tout ce que nous pouvons faire, —, la force de notre être conscient commencerait de s'intensifier, créant ainsi un nouveau principe de conscience, de nouveaux domaines d'activités, de nouvelles valeurs pour toutes choses, un élargissement de notre conscience et de notre vie, une intégration et une transformation des degrés inférieurs de notre 'existence — bref, tout le processus évolutif par lequel l'Esprit dans la Nature crée un type d'être plus évolué. Chaque pas serait un progrès, si lointain que soit encore le but, nous rapprochant toujours davantage 'de la réalisation d'un être plus vaste et plus divin, d'une force et d'une conscience, d'une connaissance et d'une volonté plus divines et plus vastes, d'un sens et d'un délice de l'existence plus vastes et plus divins. Il pourrait y avoir un premier déploiement vers une vie divine. Toute religion,toute connaissance occulte, toute expérience psychologique supranormale (par opposition aux expériences anormales), tout yoga, toute expérience et toute discipline psychiques sont des signalisations et des flèches qui nous guident sur cette route où, progressivement, l'esprit .secret se déploie.

Mais la race humaine est encore alourdie par une certaine gravitation matérielle, elle obéit encore à l'attraction de notre matière terrestre qui n'a toujours pas été conquise. Elle est dominée par le mental cérébral, l'intelligence physique. Ainsi retenue par de multiples liens, elle hésite devant les indications de l'Esprit ou retombe dès qu'elle est confrontée aux trop grandes exigences de l'effort spirituel. En outre, elle peut encore céder au plus aberrant scepticisme, souffre d'une immense indolence, d'une énorme timidité intellectuelle et spirituelle et de conservatisme quand on veut la tirer de ses ornières. Même lorsque la vie lui donne constamment la preuve que si elle choisit de conquérir, elle en est effectivement capable — comme en témoignent les miracles de ce pouvoir très inférieur qu'est la science physique —, cela ne l'empêche pas de douter; elle repousse l'appel nouveau et laisse à quelques individus le soin de répondre. Mais cela n'est pas suffisant si le pas en avant concerne l'humanité, car les victoires de l'Esprit ne peuvent être assurées pour elle, que si l'espèce humaine tout entière progresse. Car alors, même si la Nature retombe, si: son effort se relâche, l'Esprit

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au-dedans, puisant dans une mémoire secrète — parfois représentée sur un plan inférieur, celui de la gravitation vers le bas, comme la force atavique de la race, bien qu'il s'agisse en réalité de la force d'une mémoire persistante dans la Nature qui peut nous tirer soit vers le haut, soit vers le bas — l'appellera à se tourner à nouveau vers les hauteurs, et l'ascension suivante sera alors plus facile et plus assurée grâce à la précédente tentative ; car cette tentative, et sa première impulsion aussi bien que son résultat, sont nécessairement préservés dans le mental subconscient de l'humanité. Qui saurait dire quelles victoires de ce genre ont été remportées jadis dans nos cycles passés, et combien la prochaine ascension est proche ? Certes, il n'est ni nécessaire ni possible que la race tout entière se transforme, que tous les êtres mentaux deviennent des êtres spirituels ; mais pour que ce courant, que cette tendance s'affirme définitivement, il faut que l'idéal soit généralement accepté, il faut un effort sur une vaste échelle et une concentration consciente. Autrement, le résultat final sera une réalisation accomplie par quelques-uns, suscitant un nouvel ordre d'êtres, tandis que l'humanité, s'étant elle-même jugée inapte, se verra peut-être entraînée dans un mouvement de déclin évolutif ou s'immobilisera ; car c'est un constant effort ascendant qui a maintenu l'humanité en vie et lui a conservé sa première place dans la création.

Le processus de l'évolution suit le principe suivant : un fondement, une ascension à partir de ce fondement, durant cette ascension un renversement de la conscience et, depuis la hauteur et la vastitude plus grandes ainsi atteintes, une action transformatrice et une nouvelle intégration de toute notre nature. Le premier fondement est la Matière; l'ascension est celle de la Nature; l'intégration est un changement automatique, d'abord inconscient puis à demi conscient, de la Nature par la Nature. Mais dès que l'être a commencé de participer d'une façon plus totalement consciente aux opérations de la Nature, il est inévitable que le fonctionnement du processus se transforme lui aussi. La Matière demeure la base physique, mais elle ne peut plus être le fondement de la conscience. La conscience elle-même, en son origine, ne sera plus un jaillissement hors de l'Inconscient, ni un flot caché s'écoulant d'une force subliminale intérieure et occulte sous la pression des contacts de l'univers. Le fondement de l'existence qui se développe sera le nouvel état spirituel au-dessus, ou bien celui de l'âme dévoilée en nous. C'est le flux de lumière, de connaissance et de volonté venu des plans supérieurs

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et l'état de réceptivité intérieure qui détermineront les réactions de l'être à l'expérience cosmique. Toute la concentration de l'être se déplacera du bas vers le haut et de l'extérieur vers l'intérieur; nous deviendrons notre être supérieur et notre être intérieur qui nous sont actuellement inconnus, et l'être extérieur ou superficiel qu'aujourd'hui nous prenons pour nous-mêmes ne sera qu'une façade ou qu'une extension permettant à notre être vrai de communiquer avec l'univers. Pour la conscience spirituelle, le monde extérieur lui-même deviendra intérieur, il en fera partie et sera étroitement embrassé dans une connaissance et un sentiment d'unité et d'identité, pénétré par le regard intuitif du mental, et nous réagirons à tout par un contact direct de conscience à conscience. Ainsi le monde sera-t-il amené à réaliser son intégralité. L'ancien fondement inconscient sera lui-même rendu conscient en nous par la coulée de lumière et de conscience venue d'en haut, et ses profondeurs seront rattachées aux altitudes de l'esprit. Une conscience intégrale deviendra la base d'une harmonisation complète de la vie grâce à la transformation, à l'unification, à l'intégration totales de l'être et de la nature.

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