La Vie Divine 1153 pages 2005 Edition
French Translation
  Cristof Alward-Pitoëff

ABOUT

Sri Aurobindo's principal work of philosophy and metaphysics, expounding a vision of spiritual evolution culminating in the transformation of man from a mental into a supramental being and the advent of a divine life upon earth.

La Vie Divine

Sri Aurobindo symbol
Sri Aurobindo

Sri Aurobindo's principal work of philosophy and metaphysics. In this book, Sri Aurobindo expounds a vision of spiritual evolution culminating in the transformation of man from a mental into a supramental being and the advent of a divine life upon earth. The material first appeared as a series of essays published in the monthly review Arya between 1914 and 1919. They were revised by Sri Aurobindo in 1939 and 1940 for publication as a book.

Sri Aurobindo Birth Centenary Library (SABCL) The Life Divine Vols. 18,19 1070 pages 1970 Edition
English
 PDF    philosophymetaphysics
Sri Aurobindo symbol
Sri Aurobindo

Sri Aurobindo's principal work of philosophy and metaphysics. In this book, Sri Aurobindo expounds a vision of spiritual evolution culminating in the transformation of man from a mental into a supramental being and the advent of a divine life upon earth. The material first appeared as a series of essays published in the monthly review Arya between 1914 and 1919. They were revised by Sri Aurobindo in 1939 and 1940 for publication as a book.

French Translations of books by Sri Aurobindo La Vie Divine 1153 pages 2005 Edition
French Translation
Translator:   Cristof Alward-Pitoëff  PDF    LINK

14

Le Supramental créateur

Toutes choses sont les déploiements de la Connaissance divine.

Vishnu Purâna. II, 12.39.

Page 145


Un principe de Volonté et de Connaissance actives, supérieur au Mental et créateur des mondes, est donc le pouvoir et l'état d'être intermédiaires entre cette possession de soi de l'Un et ce flux du Multiple. Ce principe ne nous est pas tout à fait étranger; il n'appartient pas uniquement, et de façon incommunicable, à un Être entièrement autre que nous, ou à un état d'existence d'où nous serions mystérieusement projetés dans la naissance, mais également rejetés, sans pouvoir y retourner. S'il nous paraît situé sur des cimes bien au-dessus de nous, ce sont néanmoins des hauteurs de notre être, et nous pouvons y accéder. Cette Vérité, nous sommes capables, non seulement de l'admettre et de l'entrevoir, mais de la réaliser. Par un élargissement progressif ou par un soudain et lumineux dépassement de nous-mêmes, nous pouvons nous élever jusqu'à ces sommets en des moments inoubliables, ou bien y demeurer durant des heures ou des jours d'expérience toute-puissante, surhumaine. Lorsque nous en revenons, il y a des portes de communication qu'il est possible de garder toujours ouvertes, ou d'ouvrir à nouveau, même si elles se referment constamment. Mais demeurer là en permanence, sur cet ultime et suprême sommet de l'être créé et créateur est, en fin de compte, l'idéal le plus haut pour notre conscience humaine évolutive lorsqu'elle cherche, non l'anéantissement, mais la perfection de soi. Comme nous l'avons vu, en effet, c'est l'Idée originelle, c'est l'harmonie et la vérité finales auxquelles retourne notre expression progressive de nous-mêmes dans le monde, et qu'elle est destinée à réaliser.

Nous pouvons cependant douter qu'il soit à présent ou même jamais possible d'expliquer cet état à l'intellect humain, ou d'utiliser, de façon organisée et communicable, ses fonctions divines afin d'élever notre connaissance et notre action humaines. Ce doute ne vient pas seulement de la rareté ou de l'incertitude de phénomènes connus qui nous laissent entrevoir un fonctionnement humain de cette faculté

Page 146


divine, ou de l'écart qui existe entre cette action, et l'expérience et la connaissance vendable de l'humanité ordinaire; il est fortement suggéré, aussi, par l'apparente contradiction, tant dans leur essence que dans leur mode de fonctionnement, entre la mentalité humaine et le Supramental divin.

Il est vrai que si cette conscience n'avait absolument aucun® relation avec le Mental, s'il n'existait nulle part aucune identité entre elle et l'être mental, il serait pratiquement impossible d'en donner une définition quelconque à notre entendement humain. Ou si elle n'était" en sa nature, qu'une vision dans la connaissance et nullement un pouvoir dynamique de la connaissance, nous pourrions espérer atteindre, à son contact, un état béatifique d'illumination mentale, mais pas une lumière et un pouvoir plus grands pour agir en ce monde. Mais puisque Cette conscience est la créatrice du monde, elle doit être non seulement un état de connaissance, mais un pouvoir de connaissance, et non seulement une Volonté de lumière et de vision, mais une Volonté de pouvoir et d'action. Et puisque le Mental, lui aussi, a été créé à partir de cette conscience, il doit être un développement, par limitation, de cette faculté première et de cet acte médiateur de la Conscience suprême, et il doit donc être capable de se fondre à nouveau en elle par un développement inverse d'expansion. Car le Mental demeure nécessairement identique en essence au Supramental et doit cacher en lui-même le Supramental en puissance, si différent ou même si contraire qu'il ait pu devenir en ses formes réalisées et ses modes d'action établis. Aussi n'est-il peut-être pas irrationnel ni stérile d'essayer, en les comparant et en les opposant, de nous faire une idée du Supramental en partant du point de vue de notre connaissance intellectuelle et selon ses propres termes. L'idée, les termes peuvent fort bien s'avérer inadéquats et néanmoins servir d'indication lumineuse, nous montrer le chemin que, jusqu'à un certain point tout au moins, nous pouvons suivre. En outre, le Mental est capable de s'élever au-delà de lui-même jusqu'à certaines hauteurs ou plans de conscience qui reçoivent en eux une lumière ou un pouvoir modifiés de la conscience supramentale, et de connaître celle-ci par une illumination, une intuition, un contact une expérience directs, bien que vivre en elle et en faire la source de notre vision et de notre action représente une victoire qui n'a pas encore été rendue humainement possible.

Page 147


Et tout d'abord, arrêtons-nous un moment et demandons-nous s'il n'est pas possible de découvrir, dans le passé, une lumière qui pourrait nous guider vers ces domaines mal explorés. Nous avons besoin d'un nom, et nous avons besoin d'un point de départ. Car nous avons appelé cet état de conscience le Supramental, mais ce terme est ambigu, puisqu'il peut désigner un mental supra-éminent, soulevé au-dessus de la mentalité ordinaire mais non point radicalement transformé ; ou il peut, au contraire, signifier tout ce qui se trouve par-delà le Mental et, par suite, posséder un caractère global trop étendu, incluant jusqu'à l'Ineffable lui-même. Il est donc nécessaire d'en donner une description complémentaire qui en délimitera plus exactement le sens.

Ce sont les versets cryptiques du Véda qui nous viennent ici en aide, car ils contiennent secrètement l'évangile du Supramental divin et immortel, et, à travers le voile, quelques éclairs nous parviennent •et nous illuminent. Ces paroles nous laissent entrevoir que ce Supramental est conçu comme une immensité par-delà les firmaments ordinaires de notre conscience, où la vérité de l'être est lumineusement une avec tout ce qui l'exprime et assure inévitablement la vérité de la vision, de la formulation, de la disposition, du mot, de l'acte et du mouvement et, par conséquent, également la vérité du résultat du mouvement, du résultat de l'action et de l'expression, de l'agencement ou de la loi infaillibles. Une vaste compréhension qui embrasse tout, une vérité et une harmonie lumineuses de l'être en cette immensité et non un vague chaos ni une obscurité perdue en elle-même, une vérité de loi, d'action et de connaissance exprimant cette harmonieuse vérité de l'être, tels semblent être les termes essentiels de la description védique. Les Dieux, qui en leur suprême et secrète entité sont des pouvoirs de ce Supramental, nés de lui, siégeant en lui comme en leur propre demeure, sont en leur connaissance " consciente-de-la-vérité " et possèdent en leur action la " volonté-dû-voyant ". Orientée vers les œuvres et la création, leur force-consciente est possédée et guidée par une connaissance parfaite et directe de la chose à faire, de son essence et de sa loi — connaissance qui détermine une puissance de volonté entièrement efficace, qui ne dévie ni ne trébuche en son processus ou son résultat, mais exprime et accomplit spontanément et inévitablement dans l'acte ce qui a été vu dans la vision. Ici, la Lumière ne fait qu'un avec la Force, les vibrations de la connaissance ne font qu'un avec le rythme de la volonté, et les deux ne font qu'un, parfaitement et sans avoir à le rechercher, sans tâtonnements

Page 148


ni efforts; avec le 'résultat assuré. La Nature divine a un double pouvoir : d'une part, une capacité de se formuler et de s'agencer spontanément qui jaillit naturellement de l'essence de la chose manifestée et en exprime la vérité originelle, et, d'autre part, une force essentielle de lumière, inhérente à la chose elle-même et source de son propre arrangement spontané et inévitable.

Il y a des détails secondaires, mais importants. Les voyants védiques semblent parler de deux facultés fondamentales de l'âme qui est " conscients-de-la-vérité"; ce sont la Vue et l'Ouïe, à savoir les opérations directes d'une Connaissance inhérente que l'on peut décrire comme vision-de-vérité et audition-de-vérité, et dont les facultés de révélation et d'inspiration sont le très lointain reflet dans notre mentalité humaine. En outre, une distinction semble s'établir, dans les opérations du Supramental, entre la connaissance obtenue par une conscience compréhensive qui pénètre tout, et qui est très proche de la connaissance subjective par identité, et la connaissance obtenue par une conscience qui projette, confronte, appréhende, et constitue le point de départ de la cognition objective. Telles sont les clefs du Véda. Et nous pouvons accepter de cette expérience millénaire le terme dérivé " conscience-de-vérité " pour délimiter le sens plus large du terme Supramental.

Nous voyons aussitôt qu'une telle conscience" ainsi caractérisée, doit être une formulation intermédiaire qui renvoie à un terme précédent et supérieur, et à un autre, ultérieur et inférieur ; nous voyons en même temps qu'elle est évidemment le lien et le moyen par lesquels l'inférieur émerge du supérieur et qu'elle doit également être le lien et le moyen par lesquels il peut, en se développant, revenir à sa source. Le terme supérieur est la conscience unitaire ou indivisible du pur Satchidânanda où n'existe aucune distinction séparatrice ; le terme inférieur est la conscience analytique ou divisante du Mental qui ne peut connaître qu'en séparant et distinguant, et qui appréhende tout au plus l'unité et l'infinité de façon vague et dérivée — car bien qu'elle puisse faire la synthèse de ses divisions, elle ne peut parvenir à une vraie totalité. Entre les deux, se trouve cette conscience compréhensive et créatrice ; par son pouvoir de connaissance globale, pénétrante et intime, elle est l'enfant de cette conscience de soi par identité qui est l'assise du Brahman, et par son pouvoir de connaissance qui projette, confronte et appréhende, elle est parente de cette conscience discriminatrice qui constitue le processus du Mental.

Page 149


Au-dessus, la formule de l'Un, éternellement stable et immuable ; au-dessous, la formule du Multiple qui, éternellement changeant, cherche un point d'appui solide et immuable dans le flux des choses, mais n'en trouve guère; entre les deux, le siège de toutes les trinités, de tout ce qui est duel, de tout ce qui devient le Multiple-en-1'Un et néanmoins demeure l'Un-dans-le-Multiple, parce que tout était à l'origine l'Un qui est toujours le Multiple en puissance. Ce terme intermédiaire est donc le commencement et la fin de toute création et de tout arrangement, l'Alpha et l'Oméga, le point de départ de toute différenciation, l'instrument de toute unification, qui engendre, exécute et parachève toutes les harmonies réalisées et réalisables. Il a la connaissance de l'Un, mais peut tirer de cet Un ses multitudes cachées; il manifeste le Multiple, mais ne se perd pas dans ses différenciations. Et ne dirons-nous pas que son existence même renvoie à Quelque chose qui dépasse notre suprême perception de l'ineffable Unité, Quelque chose d'ineffable que le Mental ne peut concevoir, non point à cause de son unité et de son indivisibilité, mais parce qu'il reste libre, même de ces formulations mentales, et qui dépasse à la fois l'unité et la multiplicité ? Ce serait le suprême Absolu et le suprême Réel qui justifierait pourtant à nos yeux notre connaissance de Dieu aussi bien que notre connaissance du monde.

Mais ces termes sont vastes et difficiles à saisir, aussi précisons-les. Nous parlons de l'Un comme de Satchidânanda; or, dans sa description même, nous postulons trois entités et les unissons pour arriver à une trinité. Nous disons " Existence, Conscience, Béatitude ", puis nous disons : " Elles sont une. " C'est un processus mental. Mais pour la conscience unitaire, un tel processus est inacceptable. L'Existence est Conscience, et il ne peut y avoir de distinction entre les deux ; la Conscience est Béatitude, et on ne saurait non plus établir de distinction entre elles. Et puisque cette différenciation elle-même n'existe pas, il ne peut y avoir de monde. Si c'est là l'unique réalité, alors le monde n'est pas, il n'a jamais existé, et n'a jamais pu être conçu; car la conscience indivisible est une conscience qui ne divise point et ne peut engendrer la division et la différenciation. Mais c'est là une reductio ad absurdum; nous ne pouvons l'admettre, à moins que nous ne nous contentions de tout fonder sur un impossible paradoxe .et une antithèse irrésolue.

Page 150


Le Mental, en revanche, peut, avec précision, concevoir que les divisions sont réelles ; il peut concevoir une totalité synthétique, ou bien un fini s'étendant indéfiniment; il peut saisir des agrégats de choses divisées et leur identité sous-jacente; mais l'ultime unité et l'infinité absolue sont, pour sa conscience des choses, des notions abstraites et des quantités insaisissables, non quelque chose de réel qu'il puisse appréhender, encore moins quelque chose qui seul est réel. Ce terme est donc le contraire même de la conscience unitaire ; face à l'essentielle et indivisible unité, nous avons une multiplicité essentielle qui ne peut atteindre à l'unité sans s'abolir et sans, par cet acte même, reconnaître qu'elle n'a jamais pu réellement exister. Et pourtant, elle a été; car c'est cela qui a trouvé l'unité et s'est aboli. C'est une nouvelle reductio ad absurdum répétant le violent paradoxe qui cherche à convaincre la pensée en la confondant, une nouvelle antithèse irrésolue et insoluble.

En son terme inférieur, la difficulté disparaît si nous réalisons que le Mental n'est qu'une forme préparatoire de notre conscience. Le Mental est un instrument d'analyse et de synthèse, mais pas de connaissance essentielle. Son rôle est de découper vaguement une partie de la Chose en soi inconnue et d'appeler cette chose ainsi mesurée ou délimitée un " tout ", puis d'analyser à nouveau le tout en ses parties qu'il considère comme des objets mentaux séparés. Le Mental ne peut voir avec précision, et ne peut connaître à sa manière, que les parties et les accidents. Il ne conçoit clairement le tout que comme un assemblage de parties ou une totalité de propriétés et d'accidents. Voir le tout autrement que comme une partie d'autre chose ou dans ses propres parties, propriétés et accidents, ne peut être, pour le Mental, qu'une vague perception; c'est seulement lorsqu'il l'a analysé et en a fait un objet distinct, une totalité dans une totalité plus grande, que le Mental peut se dire à lui-même : " Cela, maintenant je le connais. " Mais en réalité, il ne le connaît pas. Il ne connaît que sa propre analyse de l'objet et l'idée qu'il s'en est formé par une synthèse des parties et des propriétés distinctes qu'il a vues. Son pouvoir caractéristique et sa fonction assurée s'arrêtent là, et si nous aspirons à une connaissance plus grande, plus profonde et réelle — une connaissance et non pas un sentiment intense mais indistinct, comme il en vient parfois à certaines parties profondes et inexprimées de notre mentalité —, le Mental doit céder la place à une autre conscience qui l'accomplit en le transcendant, où qui inverse, et ainsi rectifie ses opérations après l'avoir dépassé d'un

Page 151


bond: le sommet de la connaissance mentale n'est qu'un tremplin d'où l'on peut faire un tel bond. La plus haute mission du Mental est d'éduquer notre conscience obscure qui a émergé de la sombre prison de la Matière, d'en éclairer les instincts aveugles, les intuitions imprévisibles, les vagues perceptions jusqu'à ce qu'elle s'ouvre à cette lumière plus vaste et entreprenne cette plus haute ascension. Le Mental est un passage, pas un apogée.

D'autre part, la conscience unitaire, l'Unité indivisible, ne peut être cette impossible entité, cette chose sans contenu d'où seraient issus tous les contenus et en laquelle tous disparaîtraient et s'anéantiraient. Ce doit être une concentration-de-soi originelle où tout est contenu, mais d'une autre manière qu'en cette manifestation temporelle et spatiale. Ce qui s'est ainsi concentré, c'est l'Existence absolument ineffable et inconcevable que le nihiliste se représente mentalement comme le Vide négatif de tout ce que nous connaissons et de tout ce que nous sommes, mais que le transcendantaliste peut aussi légitimement se représenter comme la Réalité positive, bien qu'insaisissable, de tout ce que nous connaissons et de tout ce que nous sommes. " Au commencement, dit le Védânta, était l'Existence unique et sans second ", mais avant et après le commencement, maintenant, à jamais et par-delà le Temps, est Cela que nous ne pouvons décrire, fût-ce comme l'Un, même quand nous disons que rien n'existe que Cela. Nous percevons tout d'abord sa concentration de soi originelle, et nous nous efforçons de la réaliser comme l'Un indivisible; nous percevons ensuite la diffusion et l'apparente désintégration de tout ce qui était concentré en son unité, à savoir la conception que le Mental se fait de l'univers ; et enfin, nous percevons son extension de soi solidement établie dans la conscience-de-Vérité qui contient et soutient la diffusion et l'empêche d'être une réelle désintégration, maintient l'unité dans l'extrême diversité et la stabilité dans l'extrême mutabilité, insiste sur l'harmonie dans ce qui paraît être une lutte et une collision omniprésentes, préserve le cosmos éternel là où le Mental n'arriverait qu'à un chaos cherchant éternellement à prendre forme. Cela, c'est le Supramental, la conscience-de-Vérité, l'Idée-Réelle qui se connaît elle-même et tout son devenir.

Le Supramental est la vaste extension de soi du Brahman qui contient et développe toutes choses. Par l'Idée, il développe le principe tri-un de l'existence, de la conscience et de la béatitude à partir de

Page 152


leur indivisible unité. Il les différencie, mais ne les divise pas. Il établit une Trinité, sans passer, comme le Mental, des trois à l'Un, mais en manifestant les trois à partir de l'Un — car il manifeste et développe — tout en les maintenant dans l'unité, car il connaît et contient tout. Par la différenciation, il peut amener au premier plan l'une ou l'autre comme Déité effective où les autres se trouvent contenues, involuées ou explicites, et il fait de ce processus la base de toutes les autres différenciations. Et il agit de façon analogue sur tous les principes et toutes les possibilités qu'il élabore à partir de cette trinité qui constitue tout. Il possède le pouvoir de développer, de faire évoluer, de rendre explicite, et ce pouvoir porte en lui l'autre pouvoir, celui d'involuer, d'envelopper, de rendre implicite. En un sens, on peut dire que toute la création est un mouvement entre deux involutions : l'Esprit en lequel tout est involué et hors duquel tout évolue en descendant vers l'autre pôle qu'est la Matière ; la Matière en laquelle tout est également involué et hors de laquelle tout évolue en s'élevant vers l'autre pôle, qui est l'Esprit.

Ainsi tout le processus de différenciation par l'Idée-Réelle créatrice de l'univers consiste-t-il à mettre en avant des principes, des forces, des formes qui, pour la conscience compréhensive, contiennent tout le reste de l'existence et se présentent à la conscience appréhensive en gardant implicite, à l'arrière-plan, tout le reste de l'existence. Ainsi, tout est en chacun comme chacun est en tout. Ainsi, chaque semence porte en soi toute l'infinité des diverses possibilités, mais le processus et le résultat sont soumis à une seule loi maintenue par la Volonté, autrement dit par la Connaissance-Force de l'Être-Conscient qui se manifeste et qui, sûr de l'Idée en lui, prédétermine, par cette Idée même, ses propres formes et mouvements. La semence est la Vérité de son être que cette Existence-en-soi voit en elle-même, la résultante de cette semence de vision de soi est la Vérité de l'action en soi, la loi naturelle de développement, de formation et de fonctionnement qui découle inévitablement de la vision de soi et ne s'écarte pas des processus impliqués dans la Vérité originelle. Par conséquent, la Nature entière n'est rien autre que la Volonté-qui-Voit, la Connaissance-Force de l'Être-Conscient œuvrant pour faire évoluer dans la force et la forme toute la vérité inéluctable de l'Idée en laquelle il s'est projeté à l'origine.

Page 153


Cette conception de l'Idée nous indique le contraste fondamental entre notre conscience mentale et la conscience-de-Vérité. Nous considérons la pensée comme séparée de l'existence, abstraite, sans substance, différente de la réalité, quelque chose qui apparaît on ne sait d'où et se détache de la réalité objective afin de l'observer, de la comprendre et de la juger; c'est en .effet ce qu'elle paraît être, et, par conséquent, ce qu'elle est pour notre mentalité qui divise et analyse tout. La première tâche du Mental est de rendre " discret ", de fissurer, beaucoup plus que de discerner; et cela explique la fissure paralysante qu'il a créée entre la pensée et la réalité. Dans le Supramental, par contre, tout être est conscience, toute conscience est un être, et l'idée, féconde vibration de conscience, est également une vibration d'être qui s'enfante elle-même; c'est une émergence initiale, dans la connaissance de soi créatrice, de ce qui était concentré dans la conscience de soi non créatrice. Elle émerge en tant qu'Idée qui est réalité, et c'est cette réalité de l'Idée qui évolue, toujours par son propre pouvoir et sa conscience de soi. Toujours consciente de soi, elle se développe suivant la volonté inhérente à l'Idée et se réalise toujours suivant la connaissance enracinée en chacune de ses impulsions. Telle est la vérité de toute création, de toute évolution.

Dans le Supramental, l'être, la conscience de connaissance et la conscience de volonté ne sont pas divisés comme ils semblent l'être dans nos opérations mentales; ils forment une trinité, un seul mouvement doté de trois aspects effectifs. Chacun produit son effet propre. L'être produit la substance, la conscience produit la connaissance, l'idée qui se guide elle-même et façonne, la compréhension et l'appréhension; la volonté produit la force qui s'accomplit. Mais l'idée n'est que la lumière de la réalité s'illuminant elle-même; elle n'est ni pensée mentale ni imagination, mais conscience de soi effective. Elle est l'Idée-Réelle.

Dans le Supramental, la connaissance dans l'Idée n'est pas séparée de la volonté dans l'Idée. Elles ne font qu'un. De même, la connaissance n'y est pas différente, mais indissociable de l'être ou substance, dont elle est le pouvoir lumineux. De même que le pouvoir de la lumière rayonnante n'est pas différent de la substance du feu, de même le pouvoir de l'Idée n'est pas différent de la substance de l'Être qui se réalise dans l'Idée et dans son développement. Dans notre mentalité, toutes ces choses sont différentes. Nous avons une idée et une volonté correspondante, ou une impulsion de volonté et une idée qui s'en

Page 154


détache; mais en réalité nous différencions l'idée de la volonté et celles-ci de nous-mêmes. Je suis : l'idée est une mystérieuse abstraction qui apparaît en moi, la volonté est un autre mystère, une force plus concrète, bien qu'elle ne le soit pas, mais qui demeure toujours quelque chose qui n'est pas moi, quelque chose que j'ai ou que je reçois ou qui s'empare de moi, mais que je ne suis pas. Je creuse aussi un abîme entre ma volonté, ses moyens et le résultat, car ce sont à mes yeux des réalités concrètes extérieures à moi et différentes de moi. Par conséquent, ni moi-même, ni l'idée, ni la volonté en moi n'ont d'efficacité propre. L'idée peut se détacher de moi, la volonté peut faillir, les moyens peuvent manquer, et si l'une de ces choses, ou toutes, me font défaut, il me sera peut-être impossible de me réaliser moi-même.

Mais dans le Supramental une telle division paralysante n'existe pas, car ni la connaissance, ni la force, ni l'être ne sont divisés en soi comme ils le sont dans le Mental; ils ne sont ni fragmentés en eux-mêmes, ni séparés les uns des autres. Car le Supramental est le Vaste; il part de l'unité, non de la division; par essence, il comprend tout, et la différenciation n'est pour lui qu'un acte secondaire. Dès lors, quelle que soit la vérité de l'être qui s'exprime, l'idée lui correspond exactement, la force-de-volonté correspond à l'idée — la force n'étant qu'un pouvoir de la conscience — et le résultat à la volonté. L'idée n'entre pas non plus en conflit avec d'autres idées, la volonté ou la force avec d'autres volontés ou d'autres forces comme en l'homme et son monde ; car il y a une seule vaste Conscience qui contient et relie en soi toutes les idées comme ses idées propres, une seule vaste Volonté qui contient et relie en soi toutes les énergies comme ses propres énergies. Elle en retient une, en projette une autre, mais elle le fait en accord avec son Idée-Volonté qui les a préconçues.

Ainsi se trouvent justifiées les notions religieuses courantes d'omniprésence, d'omniscience et d'omnipotence de l'Être Divin. Loin d'être une imagination irrationnelle, elles sont parfaitement rationnelles et ne contredisent nullement la logique d'une philosophie globale, ni les indications de l'observation et de l'expérience. L'erreur consiste à créer un abîme infranchissable entre Dieu et l'homme, entre le Brahman et le monde, à faire d'une différenciation réelle et pratique dans l'être, dans la conscience et dans la force, une division fondamentale. Mais nous aborderons plus tard cet aspect de la question. Nous sommes à présent

Page 155


arrivés à une -affirmation et à une certaine conception du Supramental divin et créateur où tout est un en son être, sa conscience, sa volonté et sa félicité, mais avec une infinie capacité de différenciation qui déploie l'unité sans toutefois la détruire — où la Vérité est la substance, où la Vérité s'élève en l'Idée, où la Vérité émerge dans la forme et où il n'y a qu'une seule vérité de connaissance et de volonté, qu'une vérité d'accomplissement de soi et par conséquent de félicité; car tout accomplissement de soi est satisfaction de l'être. Dès lors, en toutes les mutations et toutes les combinaisons, se trouve toujours une inaliénable harmonie qui existe en soi.

Page 156










Let us co-create the website.

Share your feedback. Help us improve. Or ask a question.

Image Description
Connect for updates