La Vie Divine 1153 pages 2005 Edition
French Translation
  Cristof Alward-Pitoëff

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Sri Aurobindo's principal work of philosophy and metaphysics, expounding a vision of spiritual evolution culminating in the transformation of man from a mental into a supramental being and the advent of a divine life upon earth.

La Vie Divine

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Sri Aurobindo

Sri Aurobindo's principal work of philosophy and metaphysics. In this book, Sri Aurobindo expounds a vision of spiritual evolution culminating in the transformation of man from a mental into a supramental being and the advent of a divine life upon earth. The material first appeared as a series of essays published in the monthly review Arya between 1914 and 1919. They were revised by Sri Aurobindo in 1939 and 1940 for publication as a book.

Sri Aurobindo Birth Centenary Library (SABCL) The Life Divine Vols. 18,19 1070 pages 1970 Edition
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Sri Aurobindo's principal work of philosophy and metaphysics. In this book, Sri Aurobindo expounds a vision of spiritual evolution culminating in the transformation of man from a mental into a supramental being and the advent of a divine life upon earth. The material first appeared as a series of essays published in the monthly review Arya between 1914 and 1919. They were revised by Sri Aurobindo in 1939 and 1940 for publication as a book.

French Translations of books by Sri Aurobindo La Vie Divine 1153 pages 2005 Edition
French Translation
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Le Supramental, le Mental
et la Maya du Surmental

Il y a un Permanent, une Vérité cachée par une 'Vérité là où le Soleil dételle ses chevaux. Les dix centaines (de ses rayons) se sont rassemblées — c'est l'Un. J'ai vu la plus glorieuse parmi les formes des Dieux.

Rig-Véda. V. 62.1.

 

La face de la Vérité est cachée par un couvercle d'or; ôte-le, 6 Soleil nourricier, pour la Loi de la Vérité, pour la vision. ô Soleil, ô unique Voyant, ordonne tes rayons, rassemble-les — que je voie ta forme la plus heureuse entre toutes; cet Être Conscient et omniprésent, je suis Lui.

 

Îshâ Upanishad. Versets 15,16.

 

 

Le Vrai, le Juste; le Vaste.

Atharva Véda. XII. 1.1.

 

 

Il devint à la fois ,la vérité et le mensonge. Il devint la Vérité, et même tout ce qui est.

Taittirîya Upanishad. Il 6.

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Il reste à éclaircir un point que nous avons jusqu'à présent laissé dans l'ombre : comment la chute dans l'Ignorance s'est elle produite ? Car nous avons vu que rien, dans la nature originelle du Mental, de la Vie ou de la Matière, ne nécessite cette chute hors de la Connaissance. Certes, nous avons montré que la division de la conscience est la base de l'Ignorance ; la conscience individuelle se sépare de la conscience cosmique et transcendante dont elle fait néanmoins intimement partie, ces deux consciences étant inséparables en leur essence : le Mental se sépare de la Vérité supramentale dont il devrait être une action subordonnée; la Vie se sépare de la Force originelle dont elle est une forme d'énergie; la Matière se sépare de l'Existence originelle dont elle est une forme de substance. Mais nous devons encore préciser comment cette division s'est produite dans l'Indivisible, par quelle action particulière de diminution ou d'effacement de soi de la Conscience-Force dans l'Être; tout, en effet, étant un mouvement de cette Force, seule une action de ce genre, obscurcissant sa lumière et son pouvoir absolus, a pu susciter le phénomène dynamique et effectif de l'Ignorance. Mais nous attendrons, pour aborder cette question, d'avoir examiné à fond le phénomène duel de la Connaissance-Ignorance qui fait de notre conscience un mélange de lumière et d'obscurité, une demi-lumière entre le plein jour de la Vérité supramentale et la nuit de l'Inconscience matérielle. Il suffit pour le moment de noter qu'en son caractère essentiel ce doit être une concentration exclusive sur un seul mouvement et un seul état de l'Être conscient, qui met tout le reste de la conscience et de l'être à l'arrière-plan et le voile à la connaissance, maintenant partielle, de ce mouvement unique.

Il y a toutefois un aspect de ce problème qu'il faut immédiatement considérer ; c'est l'abîme qui s'est créé entre le Mental tel que nous le connaissons et la Conscience-de-Vérité supramentale dont le Mental,

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nous l'avons vu, est à l'origine un processus subordonné. Car cet abîme est immense, et s'il n'existe pas de gradations entre les deux niveaux de conscience, le passage de l'un à l'autre — soit dans l'involution descendante de l'Esprit dans la Matière, soit dans l'évolution correspondante, dans la Matière, des degrés cachés du retour à l'Esprit — paraît au plus haut point improbable, sinon impossible. Le Mental tel que nous le connaissons est, en effet, un pouvoir de l'Ignorance en quête de la Vérité ; dans cette découverte laborieuse et tâtonnante, il ne parvient qu'à des constructions et des représentations mentales — mots, idées, formations mentales, formations sensorielles — comme s'il ne pouvait rien réaliser d'autre que des photographies ou des films, clairs ou voilés, d'une distante Réalité. Le Supramental, au contraire, possède réellement et naturellement la Vérité, et ses formations sont des formes de la Réalité, non des constructions, des représentations ou des signes indicatifs. Certes, le Mental évolutif en nous, enfermé dans l'obscurité de cette vie et de ce corps, se trouve ainsi entravé, alors que le principe du Mental originel dans la descente involutive est un pouvoir supérieur que nous n'avons pas encore pleinement atteint, capable d'agir librement dans sa sphère ou son domaine, d'édifier des structures plus révélatrices, des formations plus minutieusement inspirées, des incarnations plus subtiles et significatives où la lumière de la Vérité soit présente et tangible. Il est cependant peu probable, là encore, que ce pouvoir soit essentiellement différent du Mental en son action caractéristique, car lai aussi est un mouvement dans l'Ignorance, et non un élément qui ne s'est pas encore séparé de la Conscience-de-Vérité. Il doit y avoir quelque part dans l'échelle descendante et ascendante de l'Être un pouvoir et un plan intermédiaires de conscience, peut-être quelque chose de plus que cela, quelque chose qui possède une force créatrice originelle, par quoi s'est effectuée la transition involutive du Mental dans la Connaissance au Mental dans l'Ignorance, et par quoi la transition évolutive inverse devient à son tour intelligible et possible. Pour la transition involutive, cette intervention est un impératif logique ; pour la transition évolutive, c'est une nécessité pratique. Car dans l'évolution, il y a effectivement des transitions radicales : de l'Énergie indéterminée à la Matière organisée, de la Matière inanimée à la Vie, d'une Vie subconsciente ou submentale à une Vie perceptive, sensible et agissante, de la mentalité animale primitive à un Mental qui conçoit et raisonne, observe et gouverne la vie et s'observe aussi lui-même, capable d'agir comme une entité indépendante; et même de chercher, consciemment à se transcender;

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mais ces bonds, même lorsqu'ils sont considérables, sont dans une certaine mesure préparés par de lentes gradations qui les rendent concevables et réalisables. Il ne peut y avoir un gouffre aussi immense que celui qui paraît exister entre la Conscience-de-Vérité supramentale et le mental dans l'Ignorance.

Mais s'il existe de telles gradations intermédiaires, il est clair qu'elles doivent être supraconscientes pour le mental humain qui, en son état normal, ne semble avoir aucun accès à ces degrés supérieurs de l'être. L'homme, en sa conscience, est limité par le mental, et même par un certain champ, une certaine échelle mentale: ce qui est au-dessous de son mental, submental, ou mental mais à un registre inférieur, lui semble aisément subconscient ou impossible à distinguer de l'inconscience totale; ce qui est au-dessus lui paraît supraconscient et il tend presque à le considérer comme un vide de conscience, comme une sorte de lumineuse Inconscience. Tout comme il est limité à une certaine gamme de sons ou de couleurs — ce qui se trouve au-delà ou en deçà étant pour lui inaudible ou invisible ou du moins indiscernable —, de même l'échelle de sa conscience mentale est-elle bornée, à chaque extrémité, par une incapacité qui marque sa limite supérieure et sa limite inférieure. Il ne dispose pas de moyens suffisants pour communiquer même avec l'animal, qui est son congénère mental, même s'il n'est pas son égal, et il ira jusqu'à nier que celui-ci possède un mental ou une véritable conscience, sous prétexte que ses modes sont différents et plus restreints que ceux auxquels il est accoutumé, en lui-même et chez ses semblables ; il peut observer de l'extérieur un être submental, mais ne peut aucunement communiquer avec lui ni pénétrer jusqu'au cœur de sa nature. Le supraconscient est également pour lui un livre fermé qui peut fort bien ne contenir que des pages blanches. À première vue, il semblerait donc que l'homme n'ait aucun moyen d'entrer en contact avec ces gradations supérieures de conscience, et, dans ce cas, elles ne peuvent servir de liens ou de ponts; son évolution doit s'arrêter au domaine mental qu'il a atteint, et ne peut le dépasser; en traçant ces limites, la Nature a écrit le mot " fin " sur son effort ascendant.

Mais si nous examinons les choses plus.attentivemettt.1.nous percevons que cette normalité est trompeuse et qu'il existe en fait plusieurs directions par lesquelles le mental humain outrepasse ses limites et tend à se dépasser ;ce sont précisément les lignes nécessaires de contact, les

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passages voilés ou à demi voilés qui le relient aux degrés supérieurs de conscience de l'Esprit qui se manifeste. Tout d'abord, nous avons noté la place qu'occupe l'Intuition parmi les moyens humains de connaissance. Dans sa nature même, elle est une projection dans le mental d'Ignorance de l'action caractéristique de ces degrés supérieurs. Il est vrai que son action dans le mental humain est largement cachée par les interventions de notre intelligence normale. L'intuition pure est un phénomène rare dans notre activité mentale, car ce que nous appelons de ce nom est d'habitude un point de connaissance directe immédiatement saisi et revêtu de substance mentale, si bien qu'il sert uniquement de noyau invisible ou infime à une cristallisation, intellectuelle dans son ensemble ou de caractère mental; ou bien, avant d'avoir une chance de se manifester, l'éclair de l'intuition est promptement remplacé ou intercepté par un vif mouvement mental imitateur, une pénétration ou une perception immédiate du mental, ou quelque bond de la pensée qui doit son apparition au stimulus de l'intuition qui approche, mais lui barre l'entrée ou la recouvre d'une suggestion mentale qu'elle lui substitue et qui, vraie ou fausse, n'est pas, en tout cas, le mouvement intuitif authentique. Néanmoins, cette intervention d'en haut et la présence, derrière toute pensée originale ou toute perception authentique des choses, d'un élément intuitif voilé ou à demi voilé, ou un instant dévoilé, suffit à établir un lien entre le mental et ce qui est au-dessus de lui; un passage s'ouvre ainsi, permettant de communiquer avec les domaines supérieurs de l'esprit, et d'y pénétrer. Il y a aussi l'effort du mental pour dépasser la limitation de l'ego personnel, pour voir les choses avec une certaine impersonnalité, une certaine universalité. Si l'impersonnalité est le caractère premier du moi cosmique, l'universalité, le fait de ne pas se limiter à un seul point de vue réducteur, est le caractère de la perception et de la connaissance cosmiques : cette tendance est donc un élargissement, si rudimentaire soit-il, de ces régions bornées du mental vers la cosmicité, vers une qualité qui est la marque des plans supérieurs du mental — vers ce Mental cosmique supraconscient qui, nous l'avons suggéré, doit être, dans la nature des choses, l'action mentale originelle dont la nôtre n'est qu'un dérivé et un processus inférieur. D'autre part, même dans nos limites mentales, cette pénétration d'en haut n'est pas entièrement absente. Les phénomènes du génie sont en réalité le résultat d'une telle pénétration — voilée sans doute, parce que la lumière de la conscience supérieure agit dans d'étroites limites, d'ordinaire dans un domaine particulier, sans aucune organisation distincte et méthodique

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de ses énergies caractéristiques, souvent en fait de façon très sporadique, intermittente, en souverain supranormal ou anormal irresponsable; de plus, en entrant dans le mental elle se soumet et s'adapte à sa substance, si bien que seule une dynamis modifiée ou diminuée nous parvient, et non la complète et divine luminosité originelle de ce que l'on pourrait appeler la conscience sur-mentale¹ au-delà. Néanmoins, les phénomènes que sont l'inspiration, la vision révélatrice ou la perception intuitive et le discernement intuitif existent, ils surpassant notre action mentale normale moins illuminée ou moins puissante, et l'on ne peut se méprendre sur leur origine. Enfin, il y a le vaste et multiple domaine de l'expérience mystique et spirituelle, où les portes s'ouvrent déjà toutes grandes sur la possibilité d'étendre notre conscience au-delà de ses limites actuelles — à moins, certes, qu'un obscurantisme refusant tout examen ou un attachement aux frontières de notre normalité mentale ne nous conduise à les refermer ou à nous détourner des perspectives qu'elles nous offrent. Mais dans notre présente recherche, nous ne pouvons nous permettre de négliger les possibilités que ces domaines de l'effort humain nous rendent plus accessibles, ni la connaissance accrue de nous-mêmes et de la Réalité voilée qu'ils offrent au mental humain, ni la lumière plus grande qui leur confère le droit d'agir sur nous et constitue le pouvoir inné de leur existence.

Il existe deux mouvements successifs de conscience qui, malgré leur difficulté, sont tout à fait en notre pouvoir et peuvent nous donner accès aux degrés Supérieurs de notre existence consciente. Il y a d'abord un mouvement vers l'intérieur par lequel, au lieu de vivre dans notre mental de surface, nous abattons le mur qui sépare notre moi extérieur de notre moi encore subliminal; cela peut être le résultat d'un effort et d'une discipline graduels ou d'une violente transition, parfois d'une rupture involontaire — cette dernière n'offrant aucune sécurité au mental humain limité, habitué à ne vivre à l'abri que dans ses limites habituelles ; mais de toute façon, sûre ou non, la chose peut être faite. Ce que nous découvrons dans cette partie secrète de nous-mêmes, c'est un être intérieur — une âme, un mental intérieur, une vie intérieure, une entité physique subtile intérieure — qui est beaucoup plus vaste en ses potentialités, .plus plastique, plus puissant, plus capable d'une connaissance et d'un

¹Nous avons traduit  "overhead consciousness" par "conscience sur-mentale ", et " over-mental (ou overmind) consciousness" par "conscience surmentale"(N.d.t.)

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dynamisme multiples que notre mental, notre vie ou notre corps superficiels ; il peut notamment communiquer directement avec les forces, les mouvements, les objets universels du cosmos, les sentir et s'ouvrir à eux, agir directement sur eux, et même s'élargir au-delà des limites du mental personnel, de la vie personnelle et du corps, de sorte qu'il se perçoit de plus en plus comme un être universel qui n'est plus limité par les murs actuels de notre existence mentale, vitale et physique trop étroite. Cet élargissement peut même nous permettre d'entrer complètement dans la conscience du Mental cosmique, de devenir un avec la Vie universelle, voire avec la Matière universelle. Cependant, c'est encore une identification avec une vérité cosmique diminuée ou avec l'Ignorance cosmique.

Mais une fois que nous avons pénétré dans l'être intérieur, nous constatons que le Moi intérieur peut s'ouvrir et s'élever pour atteindre à des choses qui dépassent notre niveau mental actuel; telle est la seconde possibilité spirituelle qui est en nous. Le premier résultat, -et le plus courant, est la découverte d'un vaste Moi statique et silencieux que nous ressentons comme notre existence réelle ou fondamentale, la base de tout le reste de notre être. Il peut même y avoir une abolition, un Nirvana, à la fois de notre être actif et du sens de notre moi, en une Réalité indéfinissable et inexprimable. Toutefois, nous pouvons aussi réaliser que ce moi n'est pas seulement notre être spirituel, mais le vrai moi de tous les autres ; il se présente alors comme la vérité fondamentale de l'existence cosmique. Il est possible de demeurer dans un Nirvana de toute individualité, de s'arrêter à une réalisation statique ou, considérant le mouvement cosmique comme un jeu superficiel ou une illusion imposée au Moi silencieux, de passer en quelque état suprême, immobile et immuable par-delà l'univers. Mais une autre ligne, moins négative, d'expérience supranormale s'offre également à nous; il se produit en effet une large descente dynamique de lumière, de connaissance, de pouvoir, de béatitude ou d'autres énergies supranormales dans notre moi de silence, et nous pouvons aussi nous élever dans des régions supérieures de l'Esprit où son état d'immobilité est la base de ces grandes et lumineuses énergies. Dans les deux cas, il est évident que nous nous sommes élevés, par-delà le mental d'Ignorance, dans un état spirituel ; mais dans le mouvement dynamique, il en résulte une action plus vaste de la Conscience-Force qui peut se présenter simplement comme une pure dynamis spirituelle, sans autre détermination, ou révéler un domaine spirituel du mental où celui-ci. n'est plus ignorant

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de la Réalité — pas encore un niveau supramental, mais un dérivé de la Conscience-de-Vérité supramentale qui possède encore un peu de la lumière de sa connaissance.

C'est dans cette dernière alternative que nous trouvons le secret que nous cherchons, le moyen de la transition, le pas nécessaire vers une transformation supramentale; car nous percevons que l'ascension est graduelle, que nous pouvons communiquer avec une lumière et un pouvoir d'en haut de plus en plus profonds et immenses, qu'il existe une échelle d'intensités qui constitue en quelque sorte les divers degrés dans l'ascension du Mental, ou dans la descente dans le Mental à partir de Cela qui le dépasse. Nous sommes conscients d'une descente massive, océanique, de connaissance spontanée qui revêt la nature de la Pensée, mais qui a un caractère différent du processus de pensée auquel nous sommes habitués; car il n'y a ici aucune recherche, aucune trace de construction mentale, nul effort spéculatif ni découverte laborieuse; c'est une connaissance automatique et spontanée, provenant d'un Mental supérieur qui semble en possession de la Vérité, et non pas en quête de réalités cachées et comme retenues. On observe que cette Pensée est beaucoup plus capable que le mental d'inclure, en une seule vision immédiate, une masse de connaissance; elle a un caractère cosmique, et non la marque d'une pensée individuelle. Au-delà de cette Pensée-de-Vérité, nous pouvons discerner une plus grande illumination animée d'un pouvoir, d'une intensité et d'une force dynamique accrues, une luminosité dont la nature est celle de la Vision-de-Vérité, où la formulation de la pensée n'est qu'une activité mineure et subordonnée. Si nous acceptons l'image védique du Soleil de Vérité — image qui, dans cette expérience, devient réalité —, nous pouvons comparer l'action du Mental supérieur à un rayonnement paisible et invariable, et l'énergie du Mental illuminé au-delà au déversement massif des éclairs d'une flamboyante substance solaire. Encore au-delà, on peut entrer en contact avec un pouvoir plus grand de la Force-de-Vérité, avec une vision, une pensée, une perception, un sentiment, une action de Vérité plus intimes et plus exacts auxquels, dans un sens particulier, nous pouvons donner le nom d'Intuition ; car, bien que nous ayons, faute de mieux, appliqué ce terme à tout processus direct et supra-intellectuel de connaissance, ce qu'en fait nous entendons par intuition n'est qu'un mouvement particulier de la connaissance existante en soi. Ce nouveau domaine en est; l'origine;. il donne à nos intuitions:un reflet de sa propre

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nature, et il est très clairement un intermédiaire d'une plus grande Lumière-de-Vérité avec laquelle notre mental ne peut communiquer directement. À la source de cette Intuition, nous découvrons un Mental cosmique supraconscient en contact direct avec la Conscience-de-Vérité supramentale, une intensité originelle déterminant tous les mouvements au-dessous d'elle et toutes les énergies mentales — non pas le Mental tel que nous le connaissons, mais un Surmental qui recouvre, comme des larges ailes de quelque Sur-âme créatrice, tout cet hémisphère inférieur de la Connaissance-Ignorance, le relie à cette plus vaste Conscience-de-Vérité, cependant qu'à notre vue il voile de son brillant Couvercle d'or la face de la Vérité plus haute, faisant de son flot d'infinies possibilités à la fois un obstacle et un passage dans notre recherche de la loi spirituelle de notre existence, son but le plus haut, sa secrète Réalité. Tel est donc le lien occulte que nous cherchons, le Pouvoir qui à la fois relie et sépare la Connaissance suprême et l'Ignorance cosmique.

En sa nature et sa loi, le Surmental est un délégué de la Conscience supramentale, son délégué dans l'Ignorance. Ou bien nous pourrions en parler comme d'un double protecteur, d'un écran de similarité dissemblable par l'intermédiaire duquel le Supramental peut agir indirectement sur une Ignorance dont l'obscurité ne pourrait supporter ni recevoir l'impact direct d'une Lumière suprême. C'est même par la projection de cette couronne lumineuse du Surmental que la diffusion d'une lumière atténuée dans l'Ignorance est au moins devenue possible, ainsi que la projection de cette ombre contraire, l'Inconscience, qui engloutit en elle toute lumière. Car le Supramental transmet au Surmental toutes ses réalités, mais le laisse libre de les formuler en un mouvement et selon une conscience des choses qui est encore une vision de la vérité, et cependant aussi une première origine de l'Ignorance. Une ligne sépare le Supramental du Surmental, qui permet une libre transmission, laisse le Pouvoir inférieur tirer du Pouvoir supérieur tout ce qu'il contient ou voit, mais impose automatiquement un changement du fait de cette transition. L'intégralité du Supramental conserve toujours la vérité essentielle des choses, la vérité totale et la vérité de ses auto-déterminations individuelles parfaitement soudées ; il maintient en elles une unité indivisible, et entre elles une étroite interpénétration où chacune a librement et pleinement conscience des autres; mais dans le Surmental, cette intégralité est absente. Et pourtant, le Surmental est parfaitement conscient da la Vérité essentielle des choses; il embrasse la. totalité, il 'se sert des

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auto-déterminations individuelles sans être limité par elles; mais s'il connaît leur unité, s'il peut la réaliser dans une cognition spirituelle, son mouvement dynamique, dont la sûreté dépend pourtant de cette unité, n'est pas directement déterminé par elle. L'Énergie surmentale procède par une capacité illimitable de séparer et de combiner des pouvoirs et des aspects de l'Unité intégrale et indivisible qui embrasse tout. Elle saisit chaque Aspect ou chaque Pouvoir et lui donne une action indépendante où il acquiert sa pleine importance et peut élaborer, pourrions-nous dire, son propre monde de création. Le Purusha et la Prakriti, l'Ame consciente et la Force exécutrice de la Nature sont, dans l'harmonie supramentale, une vérité unique possédant deux aspects, l'être et la dynamis de la Réalité. Il ne peut y avoir de déséquilibre entre eux, ni de prédominance. Dans le Surmental, nous trouvons l'origine du clivage, la distinction tranchante que fait la philosophie sânkhyenne où ils apparaissent comme deux entités indépendantes, la Prakriti pouvant dominer le Purusha et voiler Sa liberté et Son pouvoir, le réduisant au rôle de témoin et de réceptacle de ses formes et de ses actions à elle, le Purusha pouvant retourner à son existence séparée et demeurer dans une libre souveraineté de son être en rejetant le principe originel d'obscurcissement matériel de la Prakriti. Ainsi en est-il de tous les autres aspects ou pouvoirs de la Réalité divine, l'Un et le Multiple, la divine Personnalité et l'Impersonnalité divine, par exemple ; tout en demeurant un aspect et un pouvoir de l'unique Réalité, chacun est délégué pour agir comme une entité indépendante dans le tout, atteindre aux pleines possibilités de son expression distincte et élaborer les conséquences dynamiques de cette séparativité. Mais dans le Surmental cette séparativité est encore fondée sur la base d'une unité sous-jacente implicite; toutes les possibilités de combinaison et de relation entre les Pouvoirs et les Aspects séparés, tous les échanges et toute l'interaction de leurs énergies sont librement organisés, et peuvent toujours se réaliser.

Si nous considérons te Pouvoirs de la Réalité comme autant de Divinités, nous pouvons dire que le Surmental libère dans l'action un million de Divinités, chacune ayant pouvoir de créer son propre monde, chaque monde étant capable d'entrer en rapport, de communiquer, d'interagir avec les autres. Il y a dans le Véda différentes formulations de la nature des Dieux; il est dit qu'ils sont tous une seule Existence à laquelle les sages donnent des noms divers ; et pourtant chaque dieu est adoré comme s'il était lui-même cette Existence, comme s'il était tous.

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les autres dieux réunis ou les contenait tous en son être; et pourtant, nous l'avons dit, chacun est une déité séparée qui agit parfois en harmonie avec les autres déités, ses compagnes, parfois séparément, et parfois même semble s'opposer aux autres divinités de la même Existence. Dans le Supramental, tout cela serait maintenu comme un jeu harmonieux de l'unique Existence; dans le Surmental, chacune de ces trois modalités pourrait être une action séparée ou une base distincte pour l'action, possédant son propre principe de développement et de conséquences ; et pourtant chacune garderait le pouvoir de se combiner avec les autres en une harmonie plus variée. Ce qui est vrai de l'unique Existence, l'est aussi de sa Conscience et de sa Force. La Conscience unique est séparée en des formes de conscience et de connaissance multiples et indépendantes; chacune suit sa propre ligne de vérité qu'elle doit réaliser. L'Idée-Réelle unique, totale et multiforme, se partage en ses multiples aspects ; chacun devient une Idée-Force indépendante dotée du pouvoir de se réaliser. La Conscience-Force unique libère ses millions de forces, et chacune a le droit de s'accomplir ou, si besoin est, de s'attribuer l'hégémonie et d'utiliser les autres forces à ses fins. De même, la Joie d'être se déverse en d'innombrables joies, et chacune peut porter en soi sa plénitude indépendante ou son propre absolu. Le Supramental donne ainsi à l'unique Existence-Conscience-Béatitude le caractère d'un foisonnement de possibilités infinies qui peuvent se déployer en une multitude de mondes ou bien être précipitées ensemble dans un monde unique où le résultat infiniment variable de leur jeu détermine la création, son processus, son cours et ses conséquences.

Puisque la Conscience-Force de l'Existence éternelle est la créatrice universelle, la nature d'un monde donné dépendra de la formulation que cette Conscience choisit pour s'exprimer dans le monde. De même, pour chaque être individuel, la vision du monde où il vit, ou la représentation qu'il s'en fait, dépendra de l'équilibre que cette Conscience a assumé en lui, et de sa constitution. Notre conscience mentale humaine voit le monde en segments découpés par la raison et les sens et rassemblés en une formation, elle aussi segmentaire ; la demeure qu'édifie cette conscience est prévue pour héberger telle ou telle formule générale de la Vérité, mais elle exclut les autres ou n'en admet certaines qu'à titre d'invitées ou de pensionnaires. La Conscience surmentale est globale dans sa cognition et peut réunir un nombre indéfini de différences apparemment fondamentales en une vision harmonisatrice..

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Ainsi la raison mentale voit-elle la Personne et l'Impersonnel comme des opposés; elle conçoit une Existence impersonnelle où la personne et la personnalité sont des fictions de l'Ignorance ou des constructions provisoires ; ou, au contraire, elle peut voir la Personne comme la réalité première et l'impersonnel comme une abstraction mentale ou seulement comme un matériau ou un moyen de manifestation. Pour l'intelligence surmentale, ce sont des Pouvoirs séparables propres à l'unique Existence, qui peuvent toujours s'affirmer indépendamment et unir également leurs divers modes d'action, créant à la fois, dans leur indépendance et dans leur union, différents états de conscience et d'être, tous valables et capables de coexister. Une existence-conscience purement impersonnelle est réelle et possible, mais une conscience-existence entièrement personnelle l'est aussi; le Divin impersonnel, Nirguna Brahman, et le Divin personnel, Sagouna Brahman, sont ici des aspects égaux et coexistants de l'Éternel. L'impersonnalité peut se manifester, et la personne lui est subordonnée comme mode d'expression; mais la Personne peut également être la réalité, et l'Impersonnalité est alors un mode de sa nature : les deux aspects de la manifestation se font face dans l'infinie diversité de l'Existence consciente. Les différences qui, pour la raison mentale, sont inconciliables, se présentent à l'intelligence surmentale comme corrélatives et coexistantes; ce que l'une perçoit comme contradictoire, l'autre le perçoit comme complémentaire. Notre mental voit que toutes choses naissent de la Matière ou de l'Énergie matérielle, existent par elle et y retournent ; il en conclut que la Matière est l'éternel facteur, la réalité première et ultime, Brahman. Ou bien il voit que tout naît de la Force-de-Vie ou du Mental, existe par la Vie ou le Mental et retourne à la Vie et au Mental universels, et il en conclut que ce monde est une création de la Force-de-Vie cosmique ou d'un Mental cosmique ou Logos. Ou encore il voit que le monde et toutes choses sont issus de l'Idée-Réelle ou de la Connaissance-Volonté de l'Esprit ou issus de l'Esprit lui-même, existent par elles ou par lui et y retournent, et il aboutit à une vision idéaliste ou spirituelle de l'univers. Il peut s'arrêter à l'un ou l'autre de ces points de vue, mais pour sa vision normale séparative, ils s'excluent mutuellement. La conscience surmentale perçoit que chacun est conforme à l'action du principe qu'il érige; elle peut voir qu'il existe une formule matérielle, une formule Vitale, une formule mentale, une formule spirituelle du monde et que chacune peut prédominer dans son propre monde, et qu'en même temps toutes peuvent se combiner en un seul monde dont-elles sont

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alors les pouvoirs constitutifs. La formulation de la Force Consciente sur laquelle repose notre monde, comme sur une Inconscience apparente qui cache en elle une suprême Existence-Consciente et rassemble tous les pouvoirs de Être dans le secret de son inconscience — monde de Matière universelle réalisant en soi la Vie, le Mental, le Surmental, le Supramental, l'Esprit, chacun à son tour intégrant les autres comme moyens de sa propre expression, la Matière révélant à la vision spirituelle qu'elle a toujours été une manifestation de l'Esprit —, est pour la vision surmentale une création normale et facilement réalisable. Par son pouvoir générateur et suivant le processus de sa dynamis exécutrice, le Surmental organise de multiples potentialités de l'Existence : chacune affirme sa réalité séparée, mais toutes sont capables de se relier les unes aux autres de façons diverses, et pourtant simultanées; c'est un artisan et un magicien doué du pouvoir de tisser la chaîne et la trame multicolores de la manifestation d'une unique entité en un univers complexe.

Dans ce développement simultané de multiples Pouvoirs ou Potentiels indépendants ou combinés, il n'y a cependant pas — on' pas encore — de chaos, de conflit, de chute hors de la Vérité ou de la Connaissance. Le Surmental est un créateur de vérités, non d'illusions et de faussetés : ce qui s'élabore dans tout déploiement d'énergie ou tout mouvement surmental est la vérité de l'Aspect, du Pouvoir, de l'Idée, de la Force, de la Joie libérés dans une action indépendante, la vérité des conséquences de sa réalité dans cette indépendance. Il n'y a pas d'exclusivisme affirmant que l'une serait l'unique vérité de l'être et les autres des vérités inférieures : chaque dieu connaît tous les dieux et leur place dans l'existence ; chaque Idée admet toutes les autres idées et leur droit à l'existence ; chaque Force accorde une place à toutes les autres forces, à leur vérité et à leurs conséquences ; jamais la joie d'une existence séparée et accomplie, ou d'une expérience séparée, ne nie ou ne condamne la joie d'une autre existence ou d'une autre expérience. Le Surmental est un principe de Vérité cosmique, et une vaste, une infinie universalité en est l'esprit même ; son énergie est un dynamisme global en même temps qu'un principe de dynamismes séparés ; il est, en quelque sorte, un Supramental inférieur — bien qu'il s'occupe surtout, non d'absolus mais de ce que l'on pourrait appeler les potentiels dynamiques ou les vérités pragmatiques de la Réalité; s'il s'occupe d'absolus, c'est principalement pour leur pouvoir d'engendrer des valeurs pragmatiques

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ou créatrices; par ailleurs, sa compréhension des choses est plus globale qu'intégrale, puisque sa totalité est composée d'ensembles globaux ou constituée de réalités indépendantes séparées qui s'unissent ou se groupent, et bien que l'unité essentielle soit saisie et ressentie comme le fondement des choses et imprègne leur manifestation, elle n'est plus, comme dans le Supramental, leur secret intime et toujours présent, leur contenant prédominant, qui édifie, de manière constante et manifeste, l'ensemble harmonieux de leur activité et de leur nature.

Si nous voulons comprendre en quoi cette Conscience surmentale globale diffère de notre conscience mentale séparatrice qui n'est qu'imparfaitement synthétique, nous pouvons nous en faire une idée en comparant la vision strictement mentale des activités dans notre univers matériel, avec ce que serait une vision surmentale. Pour le, Surmental, par exemple, toutes les religions seraient vraies en tant que développements de l'unique religion éternelle, toutes les philosophies valables, chacune en son domaine, comme exposé de sa propre conception de l'univers, vu de son angle particulier, toutes les théories politiques et leur mise en pratique seraient l'élaboration légitime d'une Idée-Force ayant droit à une application et à un développement pratique dans le jeu des énergies de la Nature. Dans notre conscience séparatrice, qui ne reçoit que des aperçus imparfaits de l'intégralité et de l'universalité, ces choses existent en tant qu'opposés; chacune prétend être la vérité et taxe les autres d'erreur et de fausseté, chacune se sent tenue de réfuter ou de détruire les autres afin qu'elle seule soit la Vérité vivante ; au mieux, chacune doit se dire supérieure, n'admettre les autres que comme des expressions inférieures de la vérité. Une Intelligence surmentale refuserait d'entretenir un seul instant une telle conception, ou un tel exclusivisme ; elle les laisserait toutes vivre comme nécessaires à l'ensemble, et mettrait chacune à sa place dans cet ensemble, ou assignerait à chacune le champ de sa réalisation ou de son effort. Et c'est parce qu'en nous la conscience est complètement descendue dans les divisions de l'Ignorance; la Vérité n'est plus ni un Infini ni un tout cosmique aux multiples formulations possibles, mais une affirmation rigide tenant pour fausse toute autre affirmation sous prétexte qu'elle est différente et retranchée dans d'autres limites. Certes, notre conscience mentale peut, en sa cognition, s'approcher au plus près d'une globalité et d'une universalité totales, mais l'organiser dans l'action et dans la vie paraît être au-delà de ses capacités. Le Mental

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évolutif, manifesté dans les individus ou les collectivités, projette une multiplicité de points de vue divergents, de lignes divergentes d'action et les laisse s'élaborer côte à côte, ou bien s'entrechoquer ou encore se mêler dans une certaine mesure ; il peut réaliser des harmonies sélectives, mais n'arrive pas à maîtriser l'harmonie d'une vraie totalité. Même dans l'Ignorance évolutive, le Mental cosmique, comme toutes les totalités, doit posséder une telle harmonie, ne serait-ce qu'un arrangement d'accords et de discordances ; il y a aussi en lui un dynamisme unitaire sous-jacent; mais s'il porte la totalité de ces choses en ses profondeurs, peut-être en un substrat supramental-surmental, il ne la communique pas au Mental individuel dans l'évolution, ne la fait pas passer, ou ne l'a pas encore fait émerger des profondeurs jusqu'à la surface. Un monde surmental serait un monde d'harmonie, le monde de l'Ignorance où nous vivons est un monde de disharmonie et de lutte.

Et pourtant, nous pouvons d'emblée reconnaître dans le Surmental la Maya cosmique originelle, non une Maya de l'Ignorance mais une Maya de la Connaissance, bien que ce soit un Pouvoir qui a rendu l'Ignorance possible et même inévitable. Car si chaque principe laissé libre d'agir doit suivre sa ligne indépendante et réaliser pleinement ses conséquences, le principe de séparation doit lui aussi pouvoir suivre son cours complet jusqu'à son ultime conséquence; c'est la descente inévitable, facilis descensus, que suit la Conscience une fois qu'elle a admis le principe séparateur, jusqu'à ce que, par l'obscurcissement d'une fragmentation infinitésimale, tucchyena,¹ elle pénètre dans l'Inconscience matérielle — l'Océan inconscient du Rig-Véda —, et si l'Un naît de cela par sa propre grandeur, il est néanmoins caché, au début, par cette existence et cette conscience séparatrices fragmentaires qui nous sont propres et en lesquelles il nous faut joindre les choses pour arriver à un tout. Cette lente et difficile émergence donne une apparence de vérité à l'aphorisme d'Héraclite, qui dit que la Guerre est le père de toutes choses ; car chaque idée, chaque force, chaque conscience séparée, chaque être vivant, du fait de son ignorance, entre en collision avec les autres et tente de vivre, de croître et de s'accomplir en s'affirmant de façon indépendante, et non en s'harmonisant avec le reste de l'existence. Et pourtant, l'Unité sous-jacente inconnue est toujours présente, qui nous oblige à. lutter pas à pas pour trouver une forme d'harmonie

¹Rig-Véda, X. 129. 3.

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d'interdépendance, un point de convergence par-delà .nos discordes", et réaliser péniblement une certaine unité. Mais ce n'est que par l'évolution en nous des pouvoirs cachés, supraconscients, de la Vérité cosmique et par l'évolution de la Réalité où ils sont un, que l'harmonie et l'unité que nous nous efforçons d'atteindre peuvent être dynamiquement réalisées dans la texture même de notre être et de toute son expression de soi, et pas simplement dans d'imparfaites tentatives, des constructions incomplètes ou des approximations toujours changeantes. Les plus hauts domaines du Mental spirituel doivent s'ouvrir à notre être et à notre conscience, et ce qui dépasse même le Mental spirituel doit se manifester aussi en nous, si nous devons accomplir la possibilité divine de notre naissance dans l'existence cosmique.

Dans sa descente, le Surmental atteint une ligne qui sépare la Vérité cosmique de l'Ignorance cosmique; c'est la ligne où, en accentuant le caractère séparé de chaque mouvement indépendant créé par le Surmental et en cachant son unité ou en l'obscurcissant, il devient possible à la pouvoir de séparer, par une concentration exclusive, le Mental de sa source surmentale. Le Surmental s'est déjà séparé, de façon similaire, de sa source supramentale, mais le voile est suffisamment transparent pour permettre une transmission consciente et maintenir une certaine parenté lumineuse ; ici, par contre, le voile est opaque et la transmission des desseins du Surmental au Mental est occulte et obscure. Le Mental séparé agit comme s'il était un principe indépendant, et chaque être mental, chaque idée, chaque puissance, chaque force mentales de base s'appuie de même sur son moi séparé; s'ils communiquent, se combinent ou entrent en contact les uns avec les autres, ce n'est pas avec l'universalité intégrale du mouvement surmental, sur une base d'unité sous-jacente, mais comme des unités indépendantes qui se joignent pour former un tout construit et séparé. C'est par ce mouvement que nous passons de la Vérité cosmique à l'Ignorance cosmique. Certes, le Mental cosmique, à ce niveau, embrasse sa propre unité, mais il n'est pas conscient de sa source et de son fondement en l'Esprit, ou il ne peut embrasser cette unité que par l'intelligence et ce n'est pas une expérience durable ; il agit en lui-même, de plein droit, et travaille sur les matériaux qu'il reçoit sans communiquer directement avec leur source. Ses unités agissent également dans l'ignorance les unes des autres et de la totalité cosmique, à part la connaissance qu'elles peuvent obtenir par contact et communication : le sens fondamental de l'identité ainsi que la pénétration

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et la compréhension mutuelles qui en découlent ont disparu. Toutes les actions de cette Énergie du Mental s'effectuent sur une base opposée, celle de l'Ignorance et de ses divisions, et bien qu'elles soient les résultats d'une certaine connaissance consciente, celle-ci n'en est pas moins partielle, ce n'est pas une connaissance de soi vraie et intégrale, ni une vraie et intégrale connaissance du monde. Ce caractère persiste dans la Vie et dans la Matière subtile et réapparaît dans l'univers matériel grossier qui naît ide la chute finale dans l'Inconscience.

Et pourtant, dans ce Mental aussi, comme en notre mental subliminal ou intérieur, subsiste un pouvoir supérieur de communication et de réciprocité, un jeu plus libre de la mentalité et des sens que n'en possède le mental humain, et l'Ignorance n'y est pas complète; une harmonie consciente, une organisation interdépendante de relations justes y est davantage possible : le mental n'est pas encore perturbé par les forces de Vie aveugles ni obscurci par la Matière insensible. C'est un plan d'Ignorance, mais pas encore de fausseté ou d'erreur — ou du moins la chute dans la fausseté et l'erreur n'est pas encore inévitable. Cette Ignorance limite, mais ne falsifie pas nécessairement. Il y a une limitation de la connaissance, une organisation de vérités partielles, mais non une négation de la vérité et de la connaissance, ou leur contradiction. Cette forme d'organisation de vérités partielles sur une base de connaissance séparatrice persiste dans la Vie et la Matière subtile, car la concentration exclusive de la pouvoir qui détermine leur action séparatrice ne crée pas une coupure ou un voile entre le Mental et la Vie, ou entre le Mental et la Vie d'une part, et la Matière de l'autre. La séparation complète ne peut se produire qu'une fois atteint le stade de l'Inconscience, et quand notre monde d'Ignorance multiforme émerge de cette ténébreuse matrice. Ces autres étapes, encore conscientes, de l'involution sont effectivement des organisations de la Force consciente où chacun vit à partir de son centre particulier, suit ses propres possibilités, et où le principe dominant lui-même, que ce soit le Mental, la Vie ou la Matière, élabore les choses sur sa base indépendante; mais ce qui est élaboré, ce sont des vérités propres à ce principe, non des illusions ou un enchevêtrement de vérité et de fausseté, de connaissance et d'ignorance. Cependant, quand par une concentration exclusive sur la Force et la Forme, la pouvoir semble séparer la Conscience de la Force sur le plan phénoménal, ou quand, dans un sommeil aveugle, elle immerge la Conscience perdue dans la Forme et la Force, alors la Conscience

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doit lutter pour reprendre conscience d'elle-même par une évolution fragmentaire qui nécessite l'erreur et rend la fausseté inévitable. Néanmoins, ces choses non plus ne sont pas des illusions jaillies d'une Non-Existence originelle; elles sont, pourrions-nous dire, les inéluctables vérités d'un monde né de l'Inconscience. Car en réalité, l'Ignorance est encore une connaissance qui se cherche derrière le masque originel de l'Inconscience ; elle échoue, et elle trouve ; ses résultats naturels, et même inévitables sur leur propre ligne, sont la vraie conséquence de la chute — et même, d'une certaine manière, le juste moyen de se relever après la chute. L'Existence plongeant dans une Non-Existence apparente, la Conscience dans une Inconscience apparente, la Joie d'être dans une vaste insensibilité cosmique, tels sont les premiers résultats de la chute ; et pour en revenir, par une expérience fragmentaire et une lutte, elles se traduisent en des termes duels : la Conscience se traduit par la vérité et la fausseté, la connaissance et l'erreur, l'Existence par la vie et la mort, et la Joie d'être par la douleur et le plaisir. Tel est le processus nécessaire du labeur de la découverte de soi. Une pure expérience de la Vérité, de la Connaissance, de la Joie, d'une existence impérissable, serait elle-même, en ce monde, une contradiction de la vérité des choses. Il ne pourrait en être autrement que si tous les êtres dans l'évolution répondaient, dans une paix immobile, aux éléments psychiques qui sont en eux, et au Supramental qui sous-tend les opérations de la Nature ; mais c'est ici qu'intervient la loi surmentale, selon laquelle chaque Force élabore ses propres possibilités. Les possibilités naturelles d'un monde où une Inconscience originelle et une division de la conscience sont les principes majeurs, entraîneraient l'émergence de Forces des Ténèbres, incitées à maintenir l'Ignorance qui les fait vivre, une lutte ignorante pour connaître qui engendre la fausseté et l'erreur, une lutte ignorante pour vivre qui engendre l'injustice et le mal, une lutte égoïste pour jouir qui est source de joies, de peines et de souffrances fragmentaires. Tels sont donc les premiers et inévitables caractères imprimés en nous, mais non les seules possibilités de notre existence évolutive. Quoi qu'il en soit, la Non-Existence étant une Existence voilée, l'Inconscience une Conscience voilée, l'insensibilité un Ananda dormant et masqué, ces réalités secrètes devront nécessairement émerger. Le Surmental et le Supramental cachés devront eux aussi, finalement, s'accomplir dans cette organisation apparemment opposée issue de un obscur Infini.

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Deux choses rendent cet ultime accomplissement plus facile qu'il ne le serait autrement. Dans sa descente vers la création matérielle, le Surmental a engendré des états modifiés de lui-même — en particulier l'Intuition dont les pénétrants éclairs de vérité illuminent des points et des territoires de notre conscience — qui peuvent nous aider à mieux comprendre la secrète vérité des choses. En nous ouvrant plus largement, d'abord en notre être intérieur et par suite également en notre moi extérieur superficiel, aux messages de ces plans supérieurs de la conscience, nous pouvons nous-mêmes croître en eux et devenir des êtres intuitifs et surmentaux qui ne soient pas limités par l'intellect et les sens, mais puissent avoir une compréhension plus universelle et un contact direct avec l'être et le corps mêmes de la vérité. En fait, des éclairs d'illumination nous parviennent déjà de ces domaines supérieurs, mais cette intervention est le plus souvent fragmentaire, fortuite ou partielle ; nous devons encore, pour commencer, nous élargir à leur image et organiser en nous les activités de la Vérité plus grande dont nous sommes potentiellement capables. Par ailleurs, non seulement l'Intuition, le Surmental et même le Supramental doivent être, nous l'avons vu, des principes inhérents et involués dans l'Inconscience d'où nous émergeons dans l'évolution et inévitablement destinés à évoluer, mais ils sont secrètement présents, activement occultes, avec des éclairs d'émergence intuitive, dans le jeu cosmique du Mental, de la Vie et de la Matière. Il est vrai que leur action est cachée et que, même lorsqu'ils émergent, celle-ci est modifiée par le milieu matériel, vital, mental où ils agissent, et difficilement reconnaissable. Le Supramental ne peut, dès le début, se manifester comme Pouvoir créateur dans l'univers. Le ferait-il, l'Ignorance et l'Inconscience seraient impossibles, ou bien la lente évolution nécessaire deviendrait la scène d'une rapide transformation. Néanmoins, à chaque progression de l'énergie matérielle nous pouvons voir le sceau de l'inévitable apposé par un créateur Supramental et, dans tout le développement de la vie et du mental, le jeu des lignes de possibilité et leur combinaison, qui est la marque de l'intervention du Surmental. De même que la Vie et le Mental ont été libérés dans la Matière, de même, en leur temps, ces pouvoirs plus grands de la Divinité cachée émergeront de l'involution, et leur Lumière suprême descendra en nous depuis les hauteurs.

Une Vie divine dans la manifestation n'est donc pas seulement possible comme suprême résultat et suprême rançon de notre vie actuelle dans l'Ignorance mais, si ces choses sont telles que nous les avons vues, elle est l'issue inéluctable et le couronnement de l'effort évolutif de la Nature.

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