Sri Aurobindo's principal work of philosophy and metaphysics, expounding a vision of spiritual evolution culminating in the transformation of man from a mental into a supramental being and the advent of a divine life upon earth.
Sri Aurobindo's principal work of philosophy and metaphysics. In this book, Sri Aurobindo expounds a vision of spiritual evolution culminating in the transformation of man from a mental into a supramental being and the advent of a divine life upon earth. The material first appeared as a series of essays published in the monthly review Arya between 1914 and 1919. They were revised by Sri Aurobindo in 1939 and 1940 for publication as a book.
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Celui qui pense que ce monde seul existe et nul autre...
Katha Upanishad. 1.2,6.
Étendu au sein de l'Infini (...) sans tête ni pieds, dissimulant ses deux extrémités.¹
Rig-Véda.IV.I.7,11.
" Je suis le Brahman. " Celui qui a cette connaissance devient tout ce qui est; mais quiconque adore une autre divinité que le Moi unique et pense : " Il est autre et je suis autre ", celui-là n'a pas la connaissance.
Brihadâranyaka Upanishad. 1.4.10.
Ce Moi est quadruple — le Moi de Veille qui possède l'intelligence extérieure et jouit des choses extérieures, en est la première part; le Moi de Rêve qui possède l'intelligence intérieure et jouit des choses subtiles, en est la seconde; le Moi de Sommeil, unifié, intelligence concentrée, béatitude jouissant de la béatitude, en est la troisième (...) le seigneur de tout, l'omniscient, le Maître intérieur. Ce qui est invisible, indéfinissable, évident en soi en son unique ipséité, en est la quatrième part : c'est le Moi, c'est cela qu'il faut connaître.
Mândûkya Upanishad. Versets 2-7.
Un être conscient, pas plus grand que le pouce d'un homme, se tient au centre de notre moi; il est maître du passé et du présent (...) il est aujourd'hui et il sera demain.
Katha Upanishad. Il, 1.12-13.
¹La tête et les pieds, le supraconscient et l'inconscient.
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Il est maintenant possible de nous faire une idée des caractéristiques générales de cette Ignorance — ou de cette connaissance séparatrice s'efforçant d'atteindre la connaissance par identité —, qui constitue notre mentalité humaine et, sous une forme plus obscure, toute conscience évoluée inférieure au plan humain. En nous, nous voyons qu'elle est faite d'une succession d'ondes d'être" et de force, pressant du dehors et surgissant du dedans, qui deviennent le matériau de la conscience et s'expriment par une cognition mentale et une sensation mentalisée du moi et des choses dans le Temps et l'Espace. Le .Temps1 se présente à nous comme un flux de mouvement dynamique, l'Espace comme un champ objectif de contenus où se fait l'expérience de cette prise de conscience imparfaite et progressive. Par la prise de conscience immédiate, l'être mental, qui se meut dans le Temps, vit perpétuellement dans le présent; par la mémoire, il préserve une partie de son expérience du moi et des choses, l'empêchant de s'écouler entièrement dans le passé; par la pensée, la volonté et l'action, par l'énergie mentale, l'énergie de vie, l'énergie corporelle, il utilise cette expérience pour son devenir présent et pour ce qu'il deviendra plus tard ; la force intérieure de son être qui a fait de lui ce qu'il est, s'efforce de prolonger, de développer et d'amplifier son devenir futur. Tout ce matériau mal assuré de l'expression du moi et de l'expérience des choses, cette connaissance partielle accumulée dans le mouvement du Temps, est coordonnée pour lui par la perception, la mémoire, l'intelligence et la volonté d'être, utilisés pour un devenir toujours nouveau ou toujours répété, et pour l'activité mentale, vitale et physique qui l'aide à devenir ce qu'il doit être et à exprimer ce qu'il est déjà. La totalité présente de cette expérience de la conscience et de ce flot d'énergie est coordonnée afin d'être reliée à son être, rassemblée de façon cohérente autour d'un sens de l'ego qui formule, dans un champ d'être conscient limité et persistant,
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la réponse habituelle de notre moi aux contacts de la Nature dont il fait l'expérience. C'est ce sens de l'ego qui donne une première base cohérente à ce qui, autrement, ne serait peut-être qu'une série ou une masse d'impressions flottantes. Tout ce qui est ainsi perçu est transféré à un centre artificiel correspondant, celui de la conscience mentale compréhensive, où se forme l'idée d'ego. Ce sens de l'ego dans la substance de la vie et cette idée d'ego dans le mental, maintiennent une structure, un symbole du moi, l'ego séparateur, qui fait office de moi réel caché, d'esprit ou être vrai. L'individualité mentale de surface, par conséquent, est toujours égocentrique; même son altruisme est un élargissement de son ego. L'ego est l'essieu inventé pour maintenir le mouvement de la roue de notre nature. La centralisation autour de l'ego reste nécessaire jusqu'à ce qu'un tel mécanisme, un tel dispositif ne soit plus nécessaire quand émerge le vrai moi, l'être spirituel qui est à la fois la roue et son mouvement et ce qui maintient la cohésion de l'ensemble, le centre et la circonférence.
L'analyse nous .'révèle cependant que l'expérience dé. notre moi que nous coordonnons ainsi et utilisons consciemment pour vivre, ne représente qu'une petite partie, même de notre conscience individuelle de veille. Nous nous attachons seulement à un nombre très limité des sensations et des perceptions mentales du-moi et des choses qui s'élèvent jusqu'à notre conscience de surface dans notre présent continuel, et dont en outre la mémoire ne sauve qu'une part infime du gouffre d'oubli du passé ; des réserves de la mémoire, notre intelligence n'utilise qu'une parcelle' pour organiser sa connaissance, et notre volonté, un pourcentage plus faible encore pour l'action. Une étroite sélection, un large rejet ou une large mise en réserve, un système avare et prodigue à la fois, marqué par un gaspillage des matériaux et une non-utilisation des ressources, un minimum de dépenses utiles, mais insuffisantes et désordonnées, et de solde utilisable, telle semble être la méthode de la Nature dans notre devenir conscient, comme dans le champ de l'univers matériel. Mais ce; n'est qu'une apparence. En effet, il' serait entièrement faux de prétendre que tout ce qui n'est pas préservé et utilisé est détruit et anéanti, disparaît sans laisser de trace et n'a servi à rien. La Nature elle-même en a tranquillement utilisé une grande part pour notre formation, et cela stimule la masse assez importante de notre croissance, de notre
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devenir et de notre action dont notre mémoire, notre volonté et notre intelligence conscientes ne sont pas responsables. Elle en utilise une part plus grande encore comme magasin où elle puise, alors que nous-mêmes avons totalement oublié l'origine et la provenance de ce matériau ; et il se trouve que nous nous en servons avec le sentiment illusoire d'en être les créateurs, car nous nous imaginons créer ce nouveau matériau de notre travail, alors que nous ne faisons que combiner des résultats à partir d'éléments que nous avons oubliés, mais dont la Nature en nous a gardé le souvenir. Si nous admettons que la renaissance fait partie de son système, nous nous apercevons que toute expérience a son utilité ; car toute expérience compte dans ce long processus de construction, et rien n'est rejeté, sinon ce qui a épuisé son utilité et serait un fardeau pour l'avenir. Juger d'après ce qui apparaît maintenant sur cette surface consciente est trompeur ; en effet, quand nous étudions et comprenons ces s choses, nous percevons que seule une petite partie de l'action et de la croissance de la Nature en nous est consciente ; pour la plus grande part, elles s'effectuent subconsciemment, comme dans le reste de sa vie matérielle. Nous ne sommes pas uniquement ce que nous connaissons de nous-mêmes, mais immensément plus, et cela, nous ne le connaissons pas; notre personnalité momentanée n'est qu'une bulle sur l'océan de notre existence.
Une observation superficielle de notre conscience de veille nous montre que nous sommes tout à fait ignorants d'une grande partie de notre être et de notre devenir individuels ; pour nous, c'est l'Inconscient, comme l'est la vie de la plante, du métal, de la terre, des éléments. Mais si nous portons plus loin notre connaissance, poussant l'expérience et l'observation psychologiques au-delà de leurs limites habituelles, nous découvrons combien vaste est la sphère de ce soi-disant Inconscient ou de ce subconscient dans la totalité de notre existence — subconscient qui nous semble tel et que nous appelons ainsi parce qu'il est une conscience cachée — et combien petite et fragmentaire est la portion de notre être que recouvre la conscience de notre moi de veille. Nous comprenons alors que notre mental de veille et notre ego ne sont qu'une surimposition sur un moi submergé, subliminal — c'est ainsi, en effet, que nous apparaît ce moi —, ou, plus exactement, un être intérieur doué d'un pouvoir d'expérience beaucoup plus vaste. Notre mental et notre ego sont comme le sommet et le dôme d'un temple s'élevant hors des vagues, tandis que le corps immense de l'édifice est submergé par les eaux.
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Cette conscience secrète, ce moi caché est notre être réel, intégral, dont le moi extérieur est une partie et un phénomène, une formation choisie pour un usage superficiel. Nous ne percevons qu'une fraction des contacts extérieurs qui nous envahissent ; l'être intérieur, lui, perçoit tout ce qui pénètre en nous ou nous affecte, nous-mêmes et notre milieu. Nous ne percevons qu'une part infime des processus de notre vie et de notre être; l'être intérieur en perçoit tant, que nous pourrions presque supposer que rien ne lui échappe. Notre mémoire ne retient qu'un nombre limité de perceptions, et même alors, nous en gardons une grande partie dans une réserve où nous n'arrivons pas toujours à mettre la main sur ce dont nous avons besoin; mais l'être intérieur retiens tout ce qu'il reçoit et l'a toujours à sa disposition. Nous ne pouvons comprendre et connaître de façon cohérente que les perceptions et les souvenirs dont notre intelligence exercée et notre capacité mentale peuvent saisir le sens et apprécier les relations; l'intelligence de l'être intérieur n'a besoin d'aucune formation, elle préserve la forme et les relations exactes de toutes ses perceptions et de tous ses souvenirs et — bien que cette proposition puisse paraître douteuse ou difficile à admettre sans réserve — elle peut en saisir immédiatement le sens, quand elle ne le possède pas déjà. Et ses perceptions ne se limitent pas, comme celles du mental de veille en général, aux maigres glanes des sens physiques, mais s'étendent bien au-delà et, comme en témoignent maints phénomènes télépathiques, elles utilisent un sens subtil dont les limites sont trop vastes pour être aisément fixées. Les relations entre la volonté ou les impulsions de surface et l'élan subliminal, décrit par erreur comme non conscient ou subconscient, n'ont pas été correctement étudiées, sauf quand elles concernent les manifestations inhabituelles et inorganisées et certains phénomènes anormaux et morbides du mental malade de l'homme ; mais si nous poursuivons assez loin notre observation, nous constaterons que la cognition et la volonté ou la dynamique de l'être intérieur se trouvent en fait derrière tout le devenir conscient ; celui-ci ne représente que la part de l'effort et de l'accomplissement secrets de l'être intérieur qui réussit à s'élever à la surface de notre vie. Connaître notre être intérieur est le premier pas vers une réelle connaissance de nous-mêmes.
Si nous entreprenons cette découverte de nous-mêmes et que nous élargissons notre connaissance du moi subliminal, afin que tes deux, extrémités — inférieure et supérieure, subconsciente et supraconsciente
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— soient incluses dans notre conception, nous découvrons que c'est lui; qui, en réalité, fournit tout le matériau de notre être apparent et que nos perceptions, nos souvenirs, les réalisations de notre volonté et de notre intelligence ne sont qu'une sélection faite à partir de ses perceptions, de ses souvenirs, des activités et des relations entre son intelligence et sa volonté ; notre ego lui-même n'est qu'une formulation, mineure et superficielle, de sa conscience et de son expérience de soi. Il est en quelque sorte la mer impétueuse d'où s'élèvent les vagues de notre devenir conscient. Mais quelles sont ses limites? Jusqu'où s'étend-il? Quelle est sa nature fondamentale? D'ordinaire, nous parlons d'une existence subconsciente et pour nous ce terme s'applique à tout ce qui n'est pas éveillé en surface. Mais on ne saurait désigner par cette épithète la totalité, ni même la plus grande partie du moi intérieur ou subliminal, En effet, quand nous parlons du subconscient, nous pensons immédiatement à une obscure inconscience ou à une demi-conscience, ou encore à une conscience submergée au-dessous de notre conscience de veille organisée, et d'une certaine manière inférieure à elle, moins importante ou, en tout cas, moins maîtresse d'elle-même. Mais en pénétrant au-dedans, nous constatons que, quelque part dans notre subliminal — mais sans lui être coextensive puisqu'il a aussi des régions ignorantes et obscures —, se trouve une conscience beaucoup plus vaste, plus lumineuse, plus maîtresse d'elle-même et des choses, que celle qui veille à la surface et perçoit le cours de nos heures quotidiennes : c'est notre être intérieur, et c'est, lui que nous devons considérer comme notre moi subliminal et le distinguer de cette province inférieure, basse et occulte de notre nature qu'est le subconscient. De même, il existe une partie supraconsciente de notre existence totale où se trouve ce que nous découvrons être notre moi le plus haut, et cela aussi nous pouvons le voir comme une province. séparée,supérieure et occulte de notre nature.
Mais alors, qu'est-ce que le subconscient? où commence-t-il et comment est-il relié à notre être de surface ou au subliminal dont il semblerait plus exactement être une province ? Nous sommes conscients de notre corps, nous savons que nous avons une existence physique, nous nous identifions à elle dans une large mesure, et pourtant la plupart de ses opérations sont en fait subconscientes pour notre être mental; non seulement le mental n'y prend aucune part, mais, supposons-nous, notre être le plus physique n'est nullement conscient de ses propres opérations cachées. Laissé à lui-même, il n'est pas même conscient de
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sa propre existence; il ne connaît ou plutôt ne sent de lui-même que ce qui est éclairé par la perception mentale et observé par l'intelligence. NOUS sommes conscients d'une vitalité œuvrant dans cette forme, dans cette structure corporelle, comme elle agit dans la plante ou l'animal inférieur, d'une existence vitale qui, pour nous, est surtout subconsciente, car nous n'en observons que certains mouvements et certaines réactions. Nous sommes en partie conscients de ses opérations, mais certainement pas de toutes, ni même de la plupart, et plutôt de celles qui sont anormales; ses besoins nous affectent plus fortement que ses satisfactions; ses maladies et ses désordres que sa santé et son rythme régulier ; sa mort est pour nous plus poignante que sa vie n'est intense ; nous n'en connaissons que ce que nous pouvons observer et utiliser consciemment ou ce qui s'impose à nous par la douleur et le plaisir et autre sensations, ou comme la cause de réactions et perturbations nerveuses ou physiques, mais pas davantage. Aussi supposons-nous que cette partie physique-vitale de notre être n'est pas consciente non plus de ses propres opérations ou n'a qu'une conscience réprimée ou pas de conscience du tout, comme la plante, ou une conscience rudimentaire comme l'animal naissant ; elle ne devient consciente que dans la mesure où elle est éclairée par le mental et observable par l'intelligence.
C'est là une exagération et une confusion dues au fait que nous identifions la conscience avec la mentalité et la prise de conscience mentale. Le mental s'identifie dans une certaine mesure avec les mouvements propres à la vie physique et au corps et les annexe à sa mentalité, en sorte que toute conscience nous paraît mentale. Mais si nous prenons du recul, si nous séparons le mental, en tant que témoin, de ces parties de notre être, nous découvrons que la vie et le corps (même les parties les plus physiques de la vie) ont une conscience propre — la conscience d'un vital plus obscur et d'un être corporel — et même une perception élémentaire, comme peuvent en avoir les formes animales primitives, mais reprise en nous par le mental et, dans cette mesure, mentalisée. Et pourtant, en son mouvement autonome, cette conscience n'est pas dotée comme nous d'une perception mentale ; s'il y a un mental en elle, c'est un mental involué et impliqué dans le corps et la vie physique; il n'y a pas de conscience de soi organisée, mais seulement un sens de l'action et de la réaction, du mouvement, de l'impulsion et du désir, du besoin, des activités nécessaires imposées par la Nature, la faim, l'instinct, la douleur, l'insensibilité et le plaisir. Ainsi, bien qu'inférieure, elle possède
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cette conscience obscure, limitée, automatique ; toutefois, comme elle est moins maîtresse d'elle-même, et qu'elle est dénuée de ce qui, pour nous, constitue le sceau de la mentalité, il est juste de l'appeler submentale, mais moins juste de la qualifier de partie subconsciente de notre être. En effet, quand nous nous en détachons, quand nous parvenons à séparer notre mental de ses sensations, nous percevons que c'est une conscience nerveuse, une conscience des sensations, automatiquement dynamique, dont le mode et le degré diffèrent de la conscience mentale : elle réagit aux; Contacts à sa manière, avec sa propre sensibilité, indépendamment de la perception et de la réponse mentales. Le vrai subconscient est différent de ce substrat vital ou physique; il est l'Inconscient vibrant aux frontières de la conscience, projetant vers-te haut ses mouvements pour 'qu'ils soient transmués en; substance consciente, engloutissant dans ses profondeurs les impressions de l'expérience passée, germes de nos habitudes inconscientes, les renvoyant constamment, mais souvent de façon chaotique, à la conscience de surface, dépêchant vers le haut beaucoup de matériau futile ou dangereux dont l'origine nous est obscure — dans des rêves, des répétitions mécaniques de tous genres, des impulsions et des mobiles dont nous ne pouvons retrouver la source, des perturbations et des bouleversements du mental, du vital, du physique, dans les nécessités muettes et automatiques des parties les plus obscures de notre nature.
Mais le moi subliminal n'a pas du tout ce caractère subconscient ; il est en pleine possession d'un mental, d'une force de vie, d'un sens physique subtil éclairé. Il a les mêmes capacités que notre être de veille, un sens et une perception subtils, une mémoire globale étendue et une intelligence, une volonté, une conscience de soi pénétrantes et sélectives ; mais bien que ces capacités soient du même type, elles sont plus vastes, plus développées, plus souveraines. Il a, en outre, d'autres capacités qui dépassent celles de notre mental humain, parce que l'être jouit d'un pouvoir de perception directe — agissant en lui-même ou dirigé sur son objet — qui parvient plus rapidement à la connaissance et à l'exécution de la volonté, plus profondément à la compréhension et à la satisfaction de l'impulsion. Notre mental de surface ne peut guère être qualifié de vraie mentalité, tant il est involué, lié, entravé, conditionné par le corps et la vie corporelle et les limitations du système nerveux et des organes physiques. Le moi subliminal, par contre, est doté d? Une véritable mentalité qui transcende ces limitations ; il dépasse
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le mental physique et les organes physiques, bien qu'il en soit conscient, ainsi que de leurs activités, et soit en fait, dans une large mesure, leur cause ou leur créateur. Il n'est subconscient que dans le sens où il n'apporte pas à la surface la totalité ou la majeure partie de lui-même — il œuvre toujours derrière le voile. Plutôt qu'un subconscient, c'est un intraconscient et un circumconscient secrets, car il enveloppe la nature extérieure tout autant qu'il la soutient. Cette description s'applique certes le mieux aux parties plus profondes du subliminal. Dans certaines de ses couches plus proches de notre surface, son action est plus ignorante et ceux qui, pénétrant en eux-mêmes, s'arrêtent dans les zones de moindre cohérence ou dans le No-man's-land entre le subliminal et la surface, peuvent tomber dans une grande illusion et une grande confusion; mais elles non plus, bien qu'ignorantes, ne sont pas de même nature que le subconscient. La confusion de ces zones intermédiaires ne s'apparente en rien à l'Inconscience.
Trois éléments forment en quelque sorte la totalité de notre être : le submental et le subconscient qui nous paraissent inconscients et comprennent la base matérielle et une bonne part de notre vie et de notre corps ; le subliminal, qui comprend l'être intérieur dans son intégralité, c'est-à-dire le mental intérieur, le vital intérieur, le physique intérieur, soutenus par l'âme ou entité psychique; et cette conscience de veille que le subliminal et le subconscient projettent à la surface et qui est une vague de leur secrète marée. Mais ce n'est pas même la juste image de ce que nous sommes, car il y a non seulement quelque chose au plus profond de nous, derrière notre conscience ordinaire de nous-mêmes, mais encore quelque chose au-dessus : cela aussi est nous, différent de notre personnalité mentale superficielle, mais non pas extérieur à notre vrai moi; cela aussi est une contrée de notre esprit, car le subliminal proprement dit n'est autre que l'être intérieur sur le plan de la Connaissance-Ignorance, lumineux, puissant et étendu en effet au-delà de la pauvre conception de notre mental de veille, mais sans être néanmoins le sens suprême ou total de notre être, ni son mystère ultime. Dans une certaine expérience, nous devenons conscients d'un plan de l'être qui est supraconscient par rapport à ces trois éléments, conscients aussi de quelque chose, d'une très haute et suprême Réalité qui les soutient et les dépasse tous, dont l'humanité parle vaguement comme de l'Esprit, de Dieu, de la Sur-Âme : quelque chose nous visite parfois de ces plans supraconscients, et, depuis les sommets de notre être, nous nous tendons
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vers eux et vers cet Esprit suprême. Il y a donc, parmi tous les plans de notre existence, non seulement une subconscience et une inconscience, mais une supraconscience surplombant et peut-être enveloppant notre moi subliminal et notre moi de veille. Mais elle est inconnue de nous, apparemment inaccessible et incommunicable.
Cependant, à mesure que notre connaissance s'étend, nous découvrons ce qu'est cet Esprit ou Sur-Âme: c'est finalement notre Moi le plus haut, le plus profond et le plus vaste ; sur ses-' sommets" ou se réfléchissant en nous, il apparaît comme Satchidânanda qui nous crée et crée le monde par le pouvoir de Sa divine Connaissance-Volonté spirituelle, supramentale, consciente-de-la-vérité, infinie. Tel est l'Être réel, le Seigneur et Créateur, qui, en tant que Moi cosmique voilé dans le Mental, la Vie et la Matière, est descendu en ce que nous appelons l'Inconscient dont il constitue et gouverne l'existence subconsciente par Sa volonté et Sa connaissance supramentales, qui s'est élevé hors de l'Inconscient et demeure en l'être intérieur, constituant et gouvernant son existence subliminale par la même volonté et la même connaissance, qui a projeté notre existence superficielle hors du subliminal et demeure secrètement en elle, surveillant ses trébuchements et ses tâtonnements avec la même lumière et la même maîtrise absolues. Si l'on peut comparer le subliminal et le subconscient à une mer projetant les vagues de notre existence mentale de surface, la supraconscience, elle, peut se comparer à un éther qui constitue, contient, recouvre, habite et détermine les mouvements de la mer et de ses vagues. C'est là, dans cet éther supérieur, que nous sommes conscients de notre moi et esprit, de façon innée, intrinsèque, et non pas comme ici, par un reflet dans le mental silencieux ou par une acquisition de la connaissance d'un Être caché en nous ; c'est à travers lui, à travers cet éther de supraconscience que nous pouvons atteindre l'état, la connaissance, l'expérience les plus hauts. De cette existence supraconsciente, qui nous mène à l'état le plus élevé de notre Moi réel et suprême, nous sommes d'habitude plus ignorants encore que du reste de notre être ; et pourtant, c'est en la connaissance de cette existence supraconsciente que notre être, émergeant de son involution dans l'Inconscience, s'efforce d'évoluer. Cette limitation à notre existence superficielle, cette inconscience de notre moi le plus haut et le plus profond, est notre ignorance première et fondamentale.
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À la surface, notre existence se réalise par un devenir dans te Temps; mais là encore, en dehors de ce devenir temporel, le mental superficiel, que nous appelons nous-mêmes, ignore tout le passé et tout l'avenir, conscient seulement de la petite vie dont il se souvient, et pas même entièrement, car beaucoup échappe à son observation, et beaucoup à sa mémoire. Nous croyons volontiers — pour la simple raison, péremptoire mais insuffisante, que nous ne nous rappelons, n'avons perçu, ne connaissons rien d'autre — que nous sommes venus à l'existence d'abord par nôtre naissance physique dans cette vie et que nous cesserons d'exister quand mourra ce corps et que cette brève activité physique prendra fin. Mais si cela est vrai de notre mentalité et de notre vitalité physique, de notre enveloppe corporelle — car elles ont été constituées à notre naissance et la mort les dissout —, ce n'est pas vrai de notre devenir réel dans le Temps. En effet, notre moi réel dans le cosmos est le Supraconscient qui devient le moi subliminal et projette ce moi superficiel apparent pour qu'il joue le rôle bref et limité qui lui a été assigné entre la naissance et la mort, celui d'une formation du moi dans le présent, d'une formation vivante et consciente de l'être dans le matériau d'un monde de la Nature inconsciente. L'être vrai que nous sommes ne meurt pas plus, quand une vie s'achève, que l'acteur ne cesse d'exister quand s'achève un de ses rôles, ou le poète quand il a déversé une part de lui-même dans l'un de ses poèmes; notre personnalité mortelle n'est pas autre chose : un rôle, une expression de soi créatrice. Que nous acceptions ou non là théorie des multiples naissances de la même âme ou être psychique en divers corps humains sur cette terre, il est certain que notre devenir dans le Temps remonte loin dans le passé et se prolonge loin dans le futur. Quelques moments du Temps ne peuvent en effet limiter le supraconscient, ni le subliminal; l'un est éternel et le Temps n'est qu'un de ses modes; pour l'autre, le subliminal, c'est un champ infini d'expériences variées, et l'existence même de l'être présuppose que tout le passé est sien, de même que tout l'avenir. Et pourtant de-ce passé qui, seul, explique notre être actuel, notre mental ne connaît — si l'on peut appeler cela une connaissance — que cette existence physique présente et ses souvenirs ; de l'avenir qui, seul, explique l'orientation constante de notre devenir, il ne sait rien. Nous sommes tellement ancrés dans l'expérience de notre ignorance, que nous affirmons même que l'un ne peut être connu que par ses vestiges, et que l'autre demeure inconnaissable parce que l'avenir n'est pas encore et que le passé n'existe plus. Et pourtant tous deux sont en
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nous, la passé involué et actif, l'avenir prêt à évoluer dans la continuité de l'esprit secret. C'est là une autre ignorance limitative et frustrante.
Mais chez l'homme, l'ignorance de soi ne s'arrête même pas là, car il n'est pas seulement ignorant de son Moi supraconscient, de son' moi subliminal, de son moi subconscient, il l'est aussi de son monde où il vit à présent, qui sans cesse agit sur lui et à travers lui, et sur lequel et par lequel il lui faut agir. Et la marque de son ignorance, c'est qu'il regarde le monde comme quelque chose de tout à fait séparé de lui, comme un non-moi parce qu'il est différent de sa formation naturelle individuelle et de son ego. De même, quand il a la vision de son Moi supraconscient, il le conçoit d'abord comme tout autre que lui, comme un Dieu extérieur, voire extracosmique ; quand il a la vision de son moi subliminal et en prend conscience, il lui semble d'abord que c'est une autre personne, plus grande, ou une autre conscience que la sienne qui le soutient et le guide. Du monde, il ne considère comme lui-même que cette petite bulle d'écume que sont sa vie et son corps. Mais quand nous pénétrons dans notre conscience subliminale, nous découvrons qu'elle s'étend à la mesure de son monde ; quand nous pénétrons dans notre Moi supraconscient, nous découvrons que le monde n'est que sa manifestation et que tout en lui est l'Un, que tout en lui est notre moi. Nous voyons qu'il y a une Matière unique et indivisible dont notre corps est un nœud, une Vie unique et indivisible dont notre vie est un remous, un Mental unique et indivisible dont notre mental est une' station réceptrice, enregistreuse, formatrice, traductrice, émettrice, un Esprit unique et indivisible dont notre âme et notre être individuel sont une parcelle ou une manifestation. C'est le sens de l'ego qui fixe l'a division, et c'est en lui que l'ignorance que nous sommes en surface trouve le pouvoir de maintenir les murs solides, et cependant toujours perméables, qu'elle a créés pour en faire sa propre prison. L'ego est le plus formidable des nœuds qui nous tiennent enchaînés à l'Ignorance.
De même que nous sommes ignorants de notre existence dans le Temps, à l'exception de la petite heure dont nous nous souvenons, de même sommes-nous ignorants de nous-mêmes dans l'Espace, à l'exception du petit empan dont nous sommes conscients mentalement et par nos sensations, du seul corps qui s'y meut et du mental et de la vie qui sont identifiés à lui, et nous considérons ce qui nous entoure comme un non-moi à notre service, avec qui nous devons traiter : c'est
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cette identification et cette conception qui forment la vie de l'ego. Pour certains, l'Espace n'est autre que la coexistence des choses ou des âmes; le Sânkhya affirme la pluralité des âmes et leur existence indépendante, et leur coexistence n'est donc possible que par l'unité de la force de la Nature, qui est leur champ d'expérience, Prakriti; mais même alors, il y a coexistence et c'est en définitive, une coexistence en un seul Être. L'Espace est l'extension de cette conception de soi de l'Être unique; c'est l'unique Existence spirituelle déployant le champ du mouvement de sa Force-Consciente en son propre moi en tant qu'Espace. Parce que cette Force-Consciente se concentre en des corps, des vies, des mentais innombrables et divers, et que l'âme préside à l'un d'eux, notre mentalité se concentre sur lui et le considère comme " moi " et considère tout le reste comme non-moi, tout comme elle considère sa seule vie, sur laquelle elle se concentre avec Une même ignorance, comme le champ tout entier de son existence, coupé du passé et du futur. Cependant, nous ne pouvons réellement connaître notre propre mentalité sans connaître le Mental unique, notre propre vitalité sans connaître la Vie unique, notre propre corps sans connaître la Matière unique ; non seulement, en effet, leur nature est déterminée par la nature de cela, mais leurs activités sont à tout moment influencées et déterminées par cela. Et pourtant, bien que tout cet océan d'être s'écoule sans cesse à travers nous, nous ne participons pas à sa conscience, nous n'en connaissons que ce qui peut être amené à la surface, de notre mental et y être coordonné. Le monde vit en nous, pense en nous, se forme en nous; mais nous imaginons que c'est nous qui vivons, pensons, devenons séparément, par nous-mêmes et pour nous-mêmes. De même que nous sommes ignorants de notre moi intemporel, de notre moi supraconscient, de notre moi subliminal et de notre moi subconscient, de même sommes-nous ignorants de notre moi universel. La seule chose qui nous sauve, c'est que notre ignorance est une ignorance animée d'un puissant élan qui tend irrésistiblement, éternellement, par la loi même de son être; vers la réalisation de la maîtrise de soi et de la connaissance de soi. Une Ignorance aux multiples facettes s'efforçant de devenir une Connaissance qui embrasse tout, telle est la définition de la conscience de l'homme, être mental -—ouï vu d'un autre angle, nous pouvons dire également que c'est une prise de conscience séparatrice et limitée des choses, aspirant à devenir une conscience et une Connaissance intégrales.
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