La Vie Divine 1153 pages 2005 Edition
French Translation
  Cristof Alward-Pitoëff

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Sri Aurobindo's principal work of philosophy and metaphysics, expounding a vision of spiritual evolution culminating in the transformation of man from a mental into a supramental being and the advent of a divine life upon earth.

La Vie Divine

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Sri Aurobindo

Sri Aurobindo's principal work of philosophy and metaphysics. In this book, Sri Aurobindo expounds a vision of spiritual evolution culminating in the transformation of man from a mental into a supramental being and the advent of a divine life upon earth. The material first appeared as a series of essays published in the monthly review Arya between 1914 and 1919. They were revised by Sri Aurobindo in 1939 and 1940 for publication as a book.

Sri Aurobindo Birth Centenary Library (SABCL) The Life Divine Vols. 18,19 1070 pages 1970 Edition
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Sri Aurobindo

Sri Aurobindo's principal work of philosophy and metaphysics. In this book, Sri Aurobindo expounds a vision of spiritual evolution culminating in the transformation of man from a mental into a supramental being and the advent of a divine life upon earth. The material first appeared as a series of essays published in the monthly review Arya between 1914 and 1919. They were revised by Sri Aurobindo in 1939 and 1940 for publication as a book.

French Translations of books by Sri Aurobindo La Vie Divine 1153 pages 2005 Edition
French Translation
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L'Éternel et l'Individu

Je suis Lui.

Îshâ Upanishad. Verset 16.

C'est une portion éternelle de Moi qui est devenue l'être vivant dans un monde d'êtres vivants. (...) L'œil de la connaissance voit le Seigneur qui prend demeure dans le corps, y trouve sa joie et le quitte.

Gîta. XV. 7,10.

Deux oiseaux aux ailes ravissantes, amis et compagnons, sont perchés sur un même arbre, et l'un mange le fruit exquis, l'autre le regarde et ne mange point. (...) Là où les âmes ailées clament les découvertes de la connaissance sur leur part d'immortalité, là, le Seigneur de toutes choses, le Gardien du Monde, a pris possession de moi, lui le Sage, moi l'ignorant.

Rig-Véda. 1.164.20,21.

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Il y a donc une vérité fondamentale de l'existence, une Réalité omniprésente, omniprésente au-delà de la manifestation cosmique et en elle, et immanente en chaque individu. Il y a aussi un pouvoir dynamique de cette Omniprésence, une action créatrice ou une manifestation de sa Conscience-Force infinie. Il y a en outre, comme phase ou mouvement de cette manifestation, une descente dans une inconscience matérielle apparente, un éveil de l'individu hors de l'Inconscience et une évolution de son être jusque dans la conscience et le pouvoir spirituels et supramentaux de la Réalité, et dans  son propre Moi universel et transcendant qui est la source de son existence. C'est sur cette base que nous devons fonder notre conception d'une vérité en notre être terrestre, et la possibilité d'une Vie divine dans la Nature matérielle. D'où la nécessité primordiale de découvrir l'origine et la nature de l'Ignorance que nous voyons émerger de l'inconscience de la matière ou se révéler en un corps matériel, et la nature de la Connaissance qui doit s'y substituer, de comprendre également le processus de ce déploiement de la Nature et de cette reconquête de l'âme. Car en fait la Connaissance est là, cachée dans l'Ignorance elle-même; il s'agit plutôt de la dévoiler que de l'acquérir : elle se révèle plutôt qu'elle ne s'apprend, par un déploiement intérieur et ascendant. Mais tout d'abord il convient d'affronter et d'écarter une difficulté qui surgit fatalement : même si nous partons du fait que le Divin est immanent en nous, que la conscience individuelle est le véhicule d'une manifestation évolutive, progressive, comment admettre que l'individu puisse être éternel, en quelque sens que ce soit, ou que l'individualité puisse aucunement persister, une fois que nous avons atteint à la libération par l'unité et la connaissance de soi ?

C'est là une difficulté de la raison logique qui doit être affrontée par une raison plus vaste, plus lumineuse et plus universelle ; ou s'il s'agit

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d'une difficulté de l'expérience spirituelle, seule une plus large expérience peut y faire face et la résoudre. Certes, on peut également l'affronter par un débat dialectique, une logomachie du mental logique; mais c'est une méthode artificielle, un combat dans les nuages souvent futile et jamais concluant. Le raisonnement logique est utile, et même indispensable dans son propre domaine pour donner au mental une certaine clarté, une précision et une subtilité dans ses rapports avec ses idées et ses mots-symboles, afin que la perception des vérités auxquelles nous accédons par l'observation et l'expérience, ou dont nous avons eu la vision, physiquement, psychologiquement ou spirituellement, soit le moins possible obscurcie par les confusions de notre intelligence humaine ordinaire, sa tendance innée à prendre l'apparence pour la réalité, son empressement à se laisser fourvoyer par une vérité partielle, ses conclusions exagérées, sa partialité intellectuelle et émotive, son incompétente maladresse à relier une vérité à une autre, seule façon pour nous d'arriver à une connaissance complète. Nous devons posséder un mental clair, pur, subtil et souple afin de céder le moins possible à cette habitude mentale, commune à notre espèce, qui fait de la vérité même une pourvoyeuse d'erreurs. Cette élucidation, cette habitude de raisonner de façon claire et logique, dont la méthode de la dialectique métaphysique est le couronnement, nous aide en vérité à atteindre notre objectif, et son rôle dans la préparation de la connaissance est donc très important. Mais par elle-même, la raison logique ne peut arriver ni à la connaissance du monde, ni à la connaissance de Dieu, moins encore réconcilier la réalisation inférieure et la réalisation supérieure. Elle se garde beaucoup plus efficacement de l'erreur qu'elle ne découvre la vérité — bien que par déduction, en partant d'une connaissance déjà acquise, elle puisse trouver par chance de nouvelles vérités et nous les indiquer pour que l'expérience ou les facultés plus hautes et plus vastes de vision de la vérité puissent les confirmer. Dans le domaine plus subtil de la connaissance synthétique ou unificatrice, l'habitude logique du mental peut même devenir un écueil, à cause de cette faculté même qui lui donne son utilité spécifique ; car le mental est si accoutumé à établir des distinctions, à insister sur ces distinctions, à procéder par distinctions, qu'il est toujours un peu perplexe quand il doit les écarter et les dépasser. En considérant les difficultés du mental ordinaire confronté à l'expérience individuelle de l'unité cosmique et transcendantale, notre seul objectif sera donc de mieux saisir, d'abord l'origine des difficultés et le moyen d'y échapper, et ce qui importe davantage, la nature réelle

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de l'unité ainsi atteinte et de l'accomplissement ultime de l'individu lorsqu'il devient un avec toutes les créatures et demeure uni à l'Éternel.

La première difficulté pour la raison est qu'elle a toujours été habituée à identifier le moi individuel avec l'ego et à penser qu'il n'existe que par les limitations et les exclusions de l'ego. S'il en était ainsi, l'individu abolirait sa propre existence en transcendant l'ego ; notre but serait de disparaître et de nous dissoudre en quelque universalité de la matière, de la vie, du mental ou de l'esprit, ou bien en quelque indéterminé d'où proviennent les déterminations égoïstes de notre individualité. Mais qu'est cette expérience de soi puissamment séparatrice que nous appelons ego ? Ce n'est rien d'essentiellement réel en soi, mais seulement une organisation pratique de notre conscience, conçue pour centraliser les activités de la Nature en nous. Nous percevons une formation d'expérience mentale, physique, vitale qui se distingue du reste de l'être, et c'est cela que nous pensons être nous-mêmes dans la nature — cette individualisation de l'être dans le devenir. Nous en venons alors à nous concevoir comme quelque chose qui s'est individualisé ainsi et qui n'existe qu'aussi longtemps que cela reste individualisé — un devenir temporaire ou du moins temporel; ou bien nous nous concevons comme quelqu'un qui serait le support ou la cause de l'individualisation, un être immortel, peut-être, mais limité par son individualité. Cette perception et cette conception constituent notre sens de l'ego. D'ordinaire, nous n'allons pas plus loin dans notre connaissance de notre existence individuelle.

Mais finalement nous devons percevoir que notre individualisation n'est qu'une formation superficielle, une sélection pratique et une synthèse consciente limitée pour les besoins momentanés de la vie dans un corps particulier, ou qu'elle est une synthèse qui change et se développe constamment et que nous poursuivons de vie en vie dans des corps successifs. Derrière, il y a une conscience, un Purusha, qui n'est pas déterminé ni limité par son individualisation ou par cette synthèse, mais au contraire la détermine et la soutient tout en la dépassant. C'est dans son expérience totale de l'être universel qu'il fait un choix afin de construire cette synthèse. C'est pourquoi notre individualisation existe en vertu de l'être universel, mais aussi en vertu d'une conscience qui se sert de l'être universel pour faire l'expérience de ses possibilités en tant qu'individualité. Ces deux pouvoirs, la Personne et le monde qui lui sert de matériau, sont l'un et l'autre nécessaires à notre expérience

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présente de l'individualité. Si le Purusha et ses synthèses individualisatrices de conscience devaient disparaître, se fondre, s'annuler d'une façon ou d'une autre, notre construction individuelle cesserait d'être, car la Réalité qui la soutient ne serait plus présente ; et si l'être universel devait se dissoudre, se fondre, disparaître, notre individualisation cesserait également, privée du matériau d'expérience qui lui permet de se réaliser. Il faut donc voir en ces deux termes de notre existence, un être universel et une conscience qui s'individualise, la cause de notre expérience de nous-mêmes et du monde.

Mais nous voyons ensuite que ce Purusha, cette cause, ce moi de notre individualité, en vient finalement à embrasser le monde entier et tous les autres êtres dans une sorte de consciente extension de soi et à percevoir qu'il est un avec l'être universel. Dans sa consciente expansion de soi, il dépasse l'expérience première et abolit les barrières de son autolimitation et de son individualisation actives; par sa perception de sa propre universalité infinie, il dépasse toute conscience de l'individualité séparatrice ou de l'être psychique limité. De ce fait, l'individu cesse d'être l'ego qui se limite ; autrement dit, la perception fausse que nous avons de n'exister que par auto-limitation, en nous distinguant catégoriquement du reste de l'être et du devenir, se trouve transcendée, et abolie notre identification de nous-mêmes avec notre individualisation personnelle et temporelle en un mental et un corps particuliers. Mais toute la vérité de l'individualité et de l'individualisation est-elle abolie ? Le Purusha cessé-t-il d'exister ou devient-il le Purusha universel, sa vie se mêlant intimement à celle d'esprits et de corps innombrables ? Ce n'est pas notre expérience. Il s'individualise encore, et c'est encore lui qui existe et qui embrasse cette plus vaste conscience tout en s'individualisant, mais le mental ne pense plus qu'une individualisation temporaire et limitée soit tout ce que nous sommes : ce n'est qu'une vague de devenir projetée par l'océan de son être, ou bien une forme ou un centre d'universalité. L'âme fait encore du devenir universel le matériau de l'expérience individuelle, mais au lieu de le considérer comme quelque chose d'extérieur et plus vaste qu'elle, où elle doit puiser, par quoi elle est affectée, à quoi elle doit s'accommoder, elle prend conscience subjectivement de sa présence en elle, embrassant à la fois son matériau universel et son expérience individualisée des activités spatio-temporelles dans une conscience libérée et élargie. Dans cette nouvelle conscience, l'individu spirituel perçoit que son vrai moi est un en son être avec la Transcendance, qu'il repose: et

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demeure en elle, et l'individualité qu'il s'est construite n'est plus à ses yeux qu'une formation pour son expérience dans le monde.

Nous sommes un avec l'être universel dans la conscience d'un Moi qui à la fois s'universalise dans le monde et s'individualise au moyen du Purusha individuel; et dans cet être universel comme dans cet être individuel et dans tous les êtres individuels, elle est consciente du même Moi qui se manifeste et fait l'expérience de ses diverses manifestations. C'est donc un Moi qui doit être un en son être — autrement nous ne pourrions avoir cette expérience de l'unité — et qui, en son unité même, doit néanmoins être capable de différenciation cosmique et d'une individualité multiple. L'unité est son être, il est vrai, mais la différenciation cosmique et la multiple individualité sont le pouvoir de son être qu'il déploie constamment, car c'est là son délice et la nature de sa conscience. Si nous devenons un avec cela, si nous arrivons même à devenir cet être, entièrement et de toutes les façons possibles, pourquoi faudrait-il retrancher le pouvoir de son être et pourquoi devrions-nous en avoir le désir ou nous y efforcer ? Nous ne ferions alors que rétrécir le champ de notre unité avec lui par une concentration exclusive, acceptant l'être divin mais refusant notre part dans le pouvoir et la conscience et l'infini délice du Divin. L'individu rechercherait en fait la paix et le repos de l'union dans une identité statique, mais rejetterait le délice et la joie variée de l'union dans la nature, l'action et le pouvoir de l'Existence divine. C'est possible, mais rien ne nous oblige à supposer que tel est le but ultime de notre être ou notre ultime perfection.

Une des explications possibles serait que dans le pouvoir, dans l'action de la conscience, il n'y a pas d'union réelle et que c'est uniquement dans l'aspect statique de la conscience qu'il y a unité parfaite, indifférenciée. Or, dans ce que nous pouvons appeler l'union éveillée de l'individu avec le Divin, par opposition à un assoupissement ou une concentration de la conscience individuelle en une identité où elle s'absorbe, il y a certainement, et nécessairement, une différenciation de l'expérience. Car dans cette unité active, le Purusha individuel étend aussi son expérience active, de même que sa conscience statique, de manière à pouvoir s'unir avec ce Moi de son être et de l'être universel, et pourtant l'individualisation demeure, et donc la différenciation. Le Purusha perçoit tous les autres individus comme des moi de lui-même ;

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par une union dynamique, il peut percevoir que leur action mentale et pratique se produit dans sa conscience universelle, tout comme il perçoit sa propre action mentale et pratique ; il peut aider à déterminer leur action en s'unissant subjectivement à eux; mais il y a néanmoins une différence pratique. L'action du Divin en lui est celle qui le concerne particulièrement et directement; l'action du Divin dans ses autres moi est celle qui le concerne universellement, non pas directement mais par son union avec eux et avec le Divin et grâce à elle. L'individu existe donc, bien qu'il dépasse le petit ego séparateur ; l'universel existe et est embrassé par l'individu, mais il n'absorbe ni n'abolit toute différenciation individuelle, même si, lorsque l'individu s'universalise, la limitation que nous nommons ego est surmontée.

Nous pouvons certes nous débarrasser de cette différenciation en nous immergeant dans une unité exclusive, mais à quelle fin ? Pour une union parfaite ? Mais nous ne la sacrifions pas en acceptant la différenciation, pas plus qu'en l'acceptant le Divin ne sacrifie Son unité. Nous pouvons jouir d'une union parfaite en Son être et nous immerger en elle à tout moment, mais cette autre unité différenciée s'offre également à nous, et nous pouvons en émerger et agir en elle librement à tout moment sans perdre l'unité, car l'ego est dissous et nous sommes libérés des pressions exclusives de notre mentalité. Ou serait-ce pour la paix et le repos ? Mais nous goûtons la paix et le repos en vertu de notre unité avec le Divin, tout comme le Divin possède à jamais Son calme éternel au sein de Son éternelle action. Ou serait-ce simplement pour la joie de nous débarrasser de toute différenciation ? Mais cette différenciation a une finalité divine : elle est l'instrument d'une plus grande unité, et non, comme dans la vie égoïste, un instrument de divisions, car grâce à elle nous éprouvons la joie de l'unité avec nos autres moi et avec Dieu en tous, ce que nous excluons en rejetant Son être multiple. Dans l'une et l'autre expériences, c'est le Divin dans l'individu qui possède et goûte, dans un cas le Divin en Sa pure unité, et dans l'autre le Divin en cette pure unité et en l'unité du cosmos : ce n'est pas que le Divin absolu recouvre Son unité après l'avoir perdue. Certes, nous pouvons préférer nous absorber dans une exclusive et pure unité ou nous en aller vers la transcendance supracosmique, mais rien dans la vérité spirituelle de l'Existence divine ne nous interdit de participer à cette vaste union, à goûter cette immense béatitude de Son être universel qui sont l'accomplissement de notre individualité.

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Mais si nous portons notre regard au-delà, nous voyons qu'en fin de compte ce n'est pas seulement en l'être cosmique que pénètre notre être individuel, mais en quelque chose où les deux sont unifiés. Si notre individualisation dans le monde est un devenir du Moi, le monde lui aussi est un devenir de ce Moi. L'être universel inclut toujours l'être individuel; par conséquent, ces deux devenirs, le cosmique et l'individuel, sont toujours reliés l'un à l'autre et interdépendants dans leurs relations pratiques. Mais nous découvrons que l'être individuel, lui aussi, finit par inclure le monde en sa conscience, et puisque cela ne se produit pas par une abolition de l'individu spirituel, mais par son accession à une conscience de soi pleine, vaste et parfaite, nous devons supposer que l'individu contenait depuis toujours le cosmos en lui-même et que, du fait de son ignorance, seule la conscience de surface se montrait incapable de l'inclure en elle, car elle s'enfermait dans les limites de l'ego. Mais lorsque nous parlons d'une inclusion mutuelle du cosmique et de l'individu — le monde en moi, moi dans le monde, tout en moi, moi en tout, car telle est l'expérience du moi libéré — nous voyageons évidemment bien au-delà des frontières du langage de la raison normale. C'est parce que les mots dont nous devons nous servir ont été forgés par le mental et que leur valeur leur a été donnée par un intellect enchaîné aux conceptions de l'Espace physique et des circonstances physiques, utilisant pour formuler une expérience psychologique supérieure des images tirées de la vie physique et de l'expérience des sens. Mais le plan de conscience où s'élève l'être humain libéré ne dépend pas du monde physique, et le cosmos qu'ainsi nous contenons et qui nous contient n'est pas le cosmos physique, mais l'être harmoniquement manifesté de Dieu en certains grands rythmes de Sa force-consciente et de Son propre délice. Cette inclusion mutuelle est donc spirituelle et psychologique; c'est une traduction des deux formes du Multiple, le tout et l'individu, en une expérience spirituelle unificatrice — une traduction de l'éternelle unité de l'Un et du Multiple; car l'Un est l'unité éternelle du Multiple se différenciant et s'indifférenciant dans le cosmos. Ce qui signifie que le cosmos et l'individu sont des manifestations d'un Moi transcendant qui est un être indivisible, bien qu'il semble divisé ou dispersé; mais il ne l'est pas en réalité, il est indivisiblement et partout présent. Tout est donc en chacun et chacun en tout, tout est en Dieu et Dieu est en tout, et quand l'âme libérée vient à s'unir avec ce Transcendant, elle a en elle-même cette expérience de soi et du cosmos qui, psychologiquement, se traduit par une mutuelle inclusion et une existence persistante des

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deux en une union divine qui est à la fois une unité, une fusion, un embrassement.

L'expérience normale de la raison ne peut donc s'appliquer à ces vérités supérieures. Pour commencer, l'ego n'est l'individu que dans l'ignorance; il y a un individu vrai qui n'est pas l'ego; il a pourtant avec tous les autres individus une relation éternelle, non égoïste et non séparative, dont le caractère essentiel est une mutualité pratique fondée dans l'unité essentielle. Cette mutualité fondée dans l'unité est tout le secret de l'existence divine en sa parfaite manifestation, et ce doit être la base de tout ce que nous pouvons appeler une vie divine. Mais ensuite nous voyons que toute la difficulté et toute la confusion où tombe la raison ordinaire viennent de ce que nous parlons d'une expérience de soi, supérieure et illimitable, fondée sur des infinis divins et que nous lui appliquons pourtant un langage formé par une expérience inférieure et limitée qui repose sur des apparences finies et sur les définitions séparatrices auxquelles nous recourons dans notre effort pour discerner et classifier les phénomènes de l'univers matériel. Ainsi devons-nous utiliser le mot individu et parler de l'ego et de l'individu vrai, tout comme nous parlons quelquefois de l'Homme apparent et de l'Homme réel. Il faut évidemment prendre ces mots, homme, apparent, réel, individu, vrai, dans un sens très relatif et ne jamais perdre de vue leur imperfection et leur incapacité à exprimer ce que nous voulons dire. Par individu, nous entendons d'habitude quelque chose qui se sépare de tout le reste et se tient à l'écart, bien qu'en réalité cela n'existe nulle part; c'est une fiction de nos conceptions mentales, utile et nécessaire pour exprimer une vérité partielle et pratique. Mais la difficulté vient de ce que le mental se laisse dominer par ses mots et oublie que la vérité partielle et pratique ne devient vraie qu'en se reliant aux autres qui, pour la raison, semblent la contredire, et que prise séparément elle contient toujours une part de fausseté. Ainsi, quand nous parlons d'un individu, nous pensons d'ordinaire à une certaine individualisation de l'être mental, vital, physique séparé de tous les autres êtres, incapable de s'unir à eux en raison même de son individualité. Si, dépassant ces trois termes que sont le mental, la vie et le corps, nous parlons de l'âme ou du moi individuel, nous pensons encore à un être individualisé séparé de tous les autres êtres, incapable de s'unir à eux et de les intégrer dans un échange mutuel, capable tout au plus d'un contact spirituel et d'une sympathie de l'âme. Il est donc nécessaire de souligner que, par individu vrai, nous n'entendons rien

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de ce genre, mais un pouvoir conscient, un pouvoir d'être de l'Éternel, existant toujours par l'unité, toujours capable de mutualité. C'est cet être qui, par la connaissance de soi, jouit de la libération et de l'immortalité.

Mais il nous faut pousser plus loin encore l'opposition entre la raison normale et la raison supérieure. Lorsque nous parlons de l'individu vrai comme d'un pouvoir-d'être-conscient de l'Éternel, nous nous servons encore de termes intellectuels — nous n'y pouvons rien, à moins de plonger dans un langage de purs symboles et dans une parole aux valeurs mystiques ; mais en tentant de nous défaire de l'idée d'ego, nous utilisons un langage trop abstrait, ce qui est encore pire. Nous parlerons donc d'un être conscient qui, pour notre évaluation de l'existence, est un être de l'Éternel en son pouvoir d'expérience de soi individualisatrice ; car ce doit être un être concret — et non un pouvoir abstrait — qui jouit de l'immortalité. Et nous arrivons alors à ceci, que non seulement je suis dans le monde et le monde est en moi, mais que Dieu est en moi et je suis en Dieu ; ce qui ne signifie pas que, pour exister, Dieu dépende de l'homme, mais qu'il se manifeste Lui-même en ce qu'il manifeste en Lui-même ; l'individu existe dans le Transcendant, mais tout le Transcendant est là, caché dans l'individu. En outre, je suis un avec Dieu en mon être et cependant je peux avoir, dans mon expérience, des relations avec Lui. Moi, l'individu libéré, je peux jouir du Divin dans Sa transcendance, unifié à Lui, et en même temps jouir du Divin dans les autres individus et dans Son être cosmique. Évidemment, nous touchons là à certaines relations primordiales de l'Absolu, et pour que le mental puisse les comprendre, il nous faut voir que le Transcendant, l'individu, l'être cosmique, sont les pouvoirs éternels de la conscience — nous retombons, et cette fois sans remède, dans un langage totalement abstrait —, d'une existence absolue, d'une unité qui est cependant plus qu'une unité, qui s'exprime ainsi à sa propre conscience en nous, mais dont nous ne pouvons parler de façon adéquate dans un langage humain; aussi, n'espérons pas la décrire à notre raison, en termes négatifs ou positifs, mais gardons seulement l'espoir de la suggérer au pouvoir suprême de notre langage.

Mais le mental ordinaire, qui n'a aucune expérience de ces choses si puissamment réelles pour la conscience libérée, peut fort bien se révolter contre ce qui lui paraît être un simple tissu de contradictions intellectuelles. Il peut dire : " Je sais très bien ce qu'est l'Absolu; c'est

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ce en quoi il n'y a point de relations. L'Absolu et le relatif sont des contraires inconciliables ; nulle part dans le relatif il n'est rien d'absolu, et dans l'Absolu il ne peut rien y avoir de relatif. Tout ce qui contredit ces premières données de ma pensée est intellectuellement faux et pratiquement impossible. Ces autres énoncés contredisent également le principe de non-contradiction qui veut que deux affirmations opposées et contradictoires ne puissent être également vraies. Il est impossible de s'unir à Dieu tout en gardant une relation avec Lui où l'on puisse goûter une félicité divine. Dans l'unité, il n'y a personne pour goûter cette félicité, excepté l'Un, et rien qui puisse nous donner cette joie, excepté l'Un. Dieu, l'individu et le cosmos doivent être trois réalités différentes, autrement il ne pourrait y avoir aucune relation entre elles. Soit elles sont éternellement différentes, soit elles sont différentes à présent, bien qu'à l'origine elles aient pu être une seule existence indifférenciée et puissent un jour redevenir cette existence unique et indifférenciée. L'unité a peut-être existé et elle existera peut-être, mais elle n'existe pas actuellement et ne peut exister tant que durent le cosmos et l'individu. L'être cosmique ne peut connaître et posséder l'unité transcendante qu'en cessant d'être cosmique ; l'individu ne peut connaître et posséder l'unité cosmique ou transcendante qu'en mettant un terme à toute individualité et à toute individualisation. Ou si l'unité est le seul fait éternel, alors le cosmos et l'individu n'existent pas, ce sont des illusions que l'Éternel s'impose à lui-même. Cela peut très bien impliquer une contradiction ou un paradoxe irrésolu; mais je suis prêt à admettre une contradiction dans l'Éternel que je ne suis pas obligé de concevoir, plutôt que d'admettre sur ce point une contradiction dans mes conceptions premières auxquelles je suis tenu de réfléchir logiquement et à des fins pratiques. Me fondant sur cette supposition, je puis tenir le monde pour pratiquement réel, y penser et y agir, ou bien le rejeter comme une irréalité et cesser de penser et d'agir; rien ne m'oblige à résoudre mes contradictions, et nul n'exige que je sois conscient de quelque chose et en quelque chose qui me dépasse, et dépasse le monde, et que sur cette base je garde pourtant, comme le fait Dieu, des relations avec un monde de contradictions. Essayer d'être comme Dieu alors que je suis encore un individu, ou d'être trois choses à la fois, me semble impliquer une confusion logique et une impossibilité pratique. " Telle pourrait bien être l'attitude de la raison ordinaire, une attitude claire, lucide, sûre de son discernement, qui ne suppose aucune gymnastique extraordinaire de la raison s'efforçant de se dépasser pour se perdre dans les ombres

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et les demi-lumières, ni aucune sorte de mysticisme, sinon le seul mysticisme originel, comparativement simple et libre de toutes les autres complexités si difficiles à résoudre. C'est pourquoi ce raisonnement est le plus satisfaisant pour le mental simplement rationnel. Et pourtant, nous relevons ici une triple erreur : l'erreur de créer un gouffre infranchissable entre l'Absolu et le relatif, l'erreur de rendre trop simple et trop rigide la loi de non-contradiction et de la pousser trop loin, et l'erreur de concevoir dans les termes du Temps la genèse de choses qui ont leur origine et leur habitation première en l'Éternel.

Par Absolu, nous entendons quelque chose de plus grand que nous-mêmes, plus grand que le cosmos où nous vivons, la suprême réalité de cet Être transcendant que nous appelons Dieu, quelque chose sans quoi tout ce qui pour notre vision ou notre conscience est existence, n'aurait pu être, ne pourrait un seul instant continuer d'exister. La pensée indienne l'appelle Brahman, la pensée européenne l'Absolu^ parce que c'est un existant-en-soi affranchi de tout asservissement aux relativités. Tous les relatifs, en effet, ne peuvent exister que par quelque chose qui est leur vérité à tous, qui est la source et le réceptacle de leurs pouvoirs et de leurs propriétés et cependant les dépasse ; c'est quelque chose dont non seulement chaque relativité elle-même, mais toute la somme possible de tous les relatifs connus, ne peut être — en tout ce que nous connaissons d'eux — qu'une expression partielle, inférieure ou pratique. La raison nous montre qu'un tel absolu doit exister; par l'expérience spirituelle, nous devenons conscients de son existence; mais même quand nous en sommes le plus conscients, nous ne pouvons le décrire, car notre langage et notre pensée ne peuvent traiter que du relatif. L'Absolu est pour nous l'Ineffable.

Jusqu'ici, nous ne rencontrons pas nécessairement de véritable difficulté, ni de confusion. Mais entraînés par le mental et son habitude d'établir des oppositions, de construire sa pensée sur les distinctions et les dualités, nous n'hésitons pas à déclarer ensuite, non seulement qu'il n'est point lié par les limitations du relatif, mais qu'affranchi des limitations il est esclave de cette liberté, inexorablement dépourvu de tout pouvoir d'établir des relations, et même naturellement incapable d'en avoir — quelque chose d'essentiellement hostile à la relativité et à son éternel contraire. Ce faux pas de notre logique nous conduit à une impasse. Notre existence et celle de l'univers deviennent non seulement

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un mystère, mais logiquement inconcevables. Car nous arrivons ainsi à un Absolu incapable de relativité et qui exclut tous les relatifs tout en étant la cause, ou du moins le soutien de la relativité et le réceptacle, la vérité et la substance de tous les relatifs. Nous n'avons plus alors qu'un seul moyen logique-illogique d'échapper à cette impasse, c'est de supposer que le monde est imposé à l'éternité de l'Absolu sans formes ni relations comme une puissante illusion ou comme une réalité temporelle irréelle. Cette imposition est faite par notre conscience individuelle qui nous égare, voyant par erreur le Brahman sous la forme du cosmos — tout comme un homme prend une corde pour un serpent ; mais puisque notre conscience individuelle est elle-même un relatif soutenu par le Brahman et n'existant que par lui, puisqu'elle n'est pas une réalité réelle, ou qu'en sa réalité elle est elle-même le Brahman, c'est après tout le Brahman qui, en nous, s'impose à lui-même ce mirage et qui, en quelque image de sa propre conscience, prend une corde qui existe pour un serpent qui n'existe pas, impose à sa propre Réalité indéterminable et pure l'apparence d'un univers, ou s'il ne l'impose pas à sa propre conscience, c'est à une conscience qui en dérive et en dépend, une projection de lui-même dans la Maya. Cette explication n'explique rien, car la contradiction originelle demeure ce qu'elle était, elle n'est toujours pas résolue — nous l'avons simplement formulée différemment. Il semblerait qu'en essayant de trouver une explication par le biais du raisonnement intellectuel, nous nous soyons plongés dans le brouillard d'illusion de notre logique intransigeante : nous avons imposé à l'Absolu ce que notre raisonnement trop présomptueux a lui-même imposé à notre intelligence; nous avons transformé notre difficulté mentale à comprendre la manifestation du monde en une impossibilité fondamentale pour l'Absolu de se manifester en un monde. Mais de toute évidence, l'Absolu n'éprouve aucune difficulté à manifester le monde, non plus qu'à transcender simultanément la manifestation du monde ; la difficulté n'existe que pour nos limitations mentales qui nous empêchent de comprendre la rationalité supramentale de cette coexistence de l'infini et du fini, ou de saisir le nœud où se joignent le non-conditionné et le conditionné. Pour notre rationalité intellectuelle, ce sont là des opposés ; pour la raison absolue, ce sont des expressions interdépendantes, et pas essentiellement antagonistes, d'une seule et même réalité. La conscience de l'Existence infinie est autre que notre conscience mentale et que notre conscience sensorielle, elle est plus grande et plus étendue, car elle les inclut comme termes mineurs de son

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mode d'action, et la logique de l'Existence infinie est différente de notre logique intellectuelle. Elle réconcilie dans les grands faits premiers de son être ce que notre vision mentale, occupée qu'elle est de mots et d'idées dérivés de faits secondaires, prend pour d'inconciliables contraires.

Notre erreur vient du fait que nous croyons avoir réussi dans nos efforts pour définir l'indéfinissable quand, par une négation et une exclusion de tout, nous parvenons à décrire cet Absolu, que nous sommes pourtant obligés de concevoir comme un suprême positif et la cause de tous les positifs. Il n'est pas surprenant que tant de penseurs perspicaces, attentifs aux faits de l'être et non aux distinctions du langage, en viennent à déduire que l'Absolu est une fiction de l'intelligence, une idée engendrée par les mots et par une dialectique verbale, un zéro, un non-existant, et à conclure qu'un éternel Devenir est l'unique vérité de notre existence. Certes, les sages de jadis parlaient négativement du Brahman, ils disaient : neti neti, il n'est pas ceci, il n'est pas cela. Mais ils avaient soin également d'en parler de façon positive. Ils disaient aussi : il est ceci, il est cela, il est tout ; car ils voyaient qu'en le limitant par des définitions positives ou négatives on s'écartait de sa vérité. Le Brahman, disaient-ils, est la Matière, est la Vie, est le Mental, est le Supramental, est la Joie cosmique, est Satchidânanda. Et pourtant il n'est rien de tout cela : même notre conception la plus large de Satchidânanda ne peut le définir. Dans le monde tel que nous le voyons, avec notre conscience mentale, même portée à sort plus haut niveau, nous constatons que, pour chaque positif, il existe un négatif. Mais le négatif n'est pas un zéro — en fait, tout ce qui nous semble être un zéro est saturé de force, débordant de puissance d'être, plein d'un contenu actuel ou potentiel; et l'existence du négatif ne rend pas non plus inexistant le positif correspondant ni n'en fait une irréalité ; simplement, elle fait du positif un exposé incomplet de la vérité des choses et même, pouvons-nous dire, de la propre vérité du positif. Car le positif et le négatif n'existent pas seulement côté à côte, mais l'un par rapport à l'autre et l'un par l'autre ; ils se complètent et s'expliqueraient mutuellement dans une vision intégrale que le mental limité ne peut atteindre. Il est impossible de connaître réellement l'un ou l'autre par lui-même ; nous commençons seulement à le connaître en sa vérité la plus profonde quand nous pouvons lire en lui les suggestions de son contraire apparent. C'est par une intuition universelle plus profonde de ce genre et non par des oppositions logiques exclusives que notre intelligence devrait approcher l'Absolu.

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Les positifs de l'Absolu sont les diverses manières dont il s'affirme à notre conscience; ses négatifs apportent le reste de sa positivité absolue, niant ainsi ce qui le limite à ces premières formulations. Pour commencer, il y a ses grandes relations primordiales, l'infini et le fini, le conditionné et l'inconditionné, le qualifié et le non qualifié ; en chaque dualité, le négatif dissimule tout le pouvoir du positif correspondant qui est contenu en lui et en émerge : il n'y a pas d'opposition réelle. Dans un ordre moins subtil de vérités, il y a le transcendant et le cosmique, l'universel et l'individuel; nous avons déjà vu que chaque membre de ces dualités est contenu dans son contraire apparent. L'universel se particularise dans l'individuel; l'individuel contient en lui toutes les généralités de l'universel. La conscience universelle se trouve tout entière à travers ces variations individuelles innombrables, et non en les supprimant; la conscience individuelle s'accomplit totalement quand elle s'universalise jusqu'à s'accorder et s'identifier à la conscience cosmique, non quand elle se limite dans l'ego. De même le cosmique contient-il dans la totalité de lui-même, et en chaque chose qui est en lui, la complète immanence du transcendant; il se maintient comme être universel par la conscience de sa propre réalité transcendante, il se découvre en chaque être individuel par la réalisation du divin et du transcendant en cet être et en toutes les existences. Le transcendant contient, manifeste, constitue le cosmos et, en le manifestant, manifeste ou découvre, peut-on dire, dans l'ancien sens poétique de ce mot, ses propres variantes harmoniques infinies. Mais même dans les ordres inférieurs du relatif nous trouvons ce jeu du négatif et du positif, et c'est par la réconciliation divine de ses termes, et non pas en les éradiquant ou en poussant leur opposition à outrance, que nous devons atteindre l'Absolu. Car dans l'Absolu toute cette relativité où l'Absolu s'affirme dans des rythmes variés, trouve non pas sa complète négation, mais la raison de son existence et sa justification, non point sa condamnation comme mensonge, mais la source et le principe de sa vérité. Le cosmos et l'individu retournent à quelque chose dans l'Absolu qui est la vraie vérité de l'individualité, la vraie vérité de l'être cosmique et non leur négation et la preuve de leur fausseté. L'Absolu n'est pas un logicien sceptique niant la vérité de tout ce qu'il affirme ou exprime de lui-même, c'est une existence si totalement et si infiniment positive que l'on ne saurait formuler aucun positif fini qui puisse l'épuiser ou l'enchaîner à ses définitions.

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Si telle est la vérité de l'Absolu, il est évident que nous ne pouvons pas non plus l'enchaîner par notre principe de non-contradiction. Ce principe nous est nécessaire pour énoncer des vérités partielles et pratiques, pour penser clairement, de façon décisive et utile, pour classifier, agir, manier toute chose efficacement à des fins particulières dans nos divisions de l'Espace, nos distinctions relatives à la forme et aux propriétés, nos moments du Temps. Elle représente une vérité formelle et puissamment dynamique de l'existence en ses activités pratiques, qui se montre suprêmement efficace dans l'ordre le plus extérieur des choses, le matériel, mais devient de moins en moins rigidement contraignante à mesure que nous gravissons les degrés plus subtils de l'échelle de l'être. Elle nous est particulièrement nécessaire dans nos rapports avec les forces et les phénomènes matériels. Nous devons supposer qu'ils sont une seule chose, possèdent un seul pouvoir à la fois, et sont limités par leurs capacités et propriétés manifestes et concrètement efficaces; sinon, nous ne pouvons nous en occuper. Mais même à ce niveau, comme la pensée humaine commence à s'en rendre compte, les distinctions établies par l'intellect, les classifications et les expériences pratiques de la science, parfaitement valables dans leur propre domaine et pour leurs propres fins, ne représentent cependant pas la vérité complète ou réelle des choses, des choses dans leur ensemble ou de la chose en soi que nous avons cataloguée et mise à part artificiellement, isolée pour l'analyser séparément. En l'isolant ainsi, nous pouvons certes la traiter de façon très pratique et très efficace, et nous pensons tout d'abord que l'efficacité de notre action prouve la vérité entière et suffisante de notre connaissance séparative et analytique. Mais par la suite, nous constatons qu'en dépassant cette connaissance nous pouvons atteindre à une plus grande vérité et à une plus grande efficacité.

La séparation est certes nécessaire à une première connaissance. Un diamant est un diamant, et une perle est une perle : chaque chose dans sa propre catégorie existe en se distinguant de toutes les autres choses par sa forme et ses propriétés, mais possède également des propriétés et des éléments qui sont communs aux deux, et d'autres qui sont communs aux choses matérielles en général. Et en réalité ni l'une ni l'autre n'existent seulement par ce qui les distingue, mais beaucoup plus essentiellement par ce qu'elles ont en commun, et le seul moyen de recouvrer la base même et la vérité permanente de toutes les choses' matérielles, est de percevoir que toutes sont une même chose, une seule

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énergie, une seule substance ou, si l'on veut, un seul mouvement universel qui projette, fait apparaître, combine, réalise ces formes différentes, ces diverses propriétés, ces potentialités fixes et harmonisées de leur être. Si nous nous arrêtons à la connaissance des différences, nous ne pouvons nous occuper que du diamant et de la perle tels qu'ils sont, en établir la valeur, l'emploi, les variétés, en faire le meilleur usage et en tirer le meilleur parti ordinaire possible ; mais si nous pouvons arriver à la connaissance et à la maîtrise de leurs éléments et des propriétés communes de la catégorie à laquelle ils appartiennent, il se peut que nous accédions au pouvoir de fabriquer un diamant ou une perle à notre gré. Nous pouvons aller encore plus loin et maîtriser ce que toutes les choses matérielles sont en leur essence, nous pouvons même atteindre au pouvoir de transmutation qui nous donnerait le plus grand contrôle possible sur la Nature matérielle. Ainsi, la connaissance des distinctions trouve sa vérité et son efficacité suprêmes quand nous parvenons à la connaissance plus profonde de ce qui harmonise les différences dans l'unité qui se trouve derrière toutes les variations. Cette connaissance plus profonde ne prive point l'autre, plus superficielle, de son efficacité ni ne prouve qu'elle soit vaine. De notre ultime découverte matérielle, nous ne pouvons conclure qu'il n'existe pas de substance ou de Matière originelles, mais seulement de l'énergie manifestant la substance ou se manifestant comme substance — que diamant et perle sont non existants, irréels, vrais seulement dans l'illusion de nos organes de perception et d'action, que l'unique substance, énergie ou mouvement est la seule vérité éternelle et que, par conséquent, le meilleur ou le seul usage rationnel de notre science serait de dissoudre diamants et perles, et tout ce que l'on peut dissoudre, en cette unique réalité éternelle et originelle et d'en finir à jamais avec leurs formes et leurs propriétés. Toutes les choses ont un caractère essentiel, un caractère commun, un caractère individuel ; les deux derniers sont des pouvoirs véritables et éternels du premier : celui-ci les transcende, mais ce sont les trois réunis, et non un seul, qui constituent les termes éternels de l'existence.

Cette vérité que nous pouvons voir, non sans difficulté et de façon extrêmement restreinte, même dans le monde matériel où les pouvoirs supérieurs et plus subtils de l'être se trouvent obligatoirement exclus de nos opérations intellectuelles, devient plus claire et plus puissante lorsque nous gravissons les échelons supérieurs. Nous voyons la vérité de nos classifications et de nos distinctions, mais aussi leurs limites. En

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dépit de leurs différences, toutes choses sont une. Pour des raisons pratiques, la plante, l'animal, l'homme sont des êtres différents ; et pourtant, lorsque notre regard s'approfondit, nous voyons que la plante n'est autre qu'un animal dont la conscience de soi et la force dynamique ont insuffisamment évolué ; l'animal est l'homme en gestation ; l'homme lui-même est cet animal, mais il y a cependant dans sa conscience de soi et dans son pouvoir dynamique de conscience quelque chose de plus qui fait de lui un homme ; et il est aussi ce quelque chose de plus qui est contenu et retenu en son être comme une potentialité du divin — il est un dieu en gestation. En chacun, en la plante, l'animal, l'homme et le dieu, l'Éternel est contenu et comme retenu en lui-même, afin d'obtenir une certaine formulation de son être. Chacun est tout l'Éternel caché. L'homme lui-même, qui reprend tout ce qui s'est manifesté avant lui et le transmue en termes d'humanité, est l'être humain individuel, et cependant il est toute l'humanité, l'homme universel agissant dans l'individu en tant que personnalité humaine. Il est tous les hommes, et cependant il est lui-même et il est unique. Il est ce qu'il est, mais il est aussi le passé de tout ce qu'il fut et la potentialité de tout ce qu'il n'est pas. Nous ne pouvons le comprendre si nous ne regardons que sa présente individualité, mais nous ne pouvons non plus le comprendre si nous ne considérons que ce qu'il a de commun avec les autres hommes, le caractère général de son humanité, ou si, excluant ces deux aspects, nous retournons à l'essence de son être où les traits distinctifs de son humanité et l'individualité qui le singularise semblent disparaître. Chaque chose est l'Absolu, toutes sont cet Un, mais c'est toujours en ces trois termes que l'Absolu formule l'existence-en-soi qu'il a développée. Nous ne sommes pas obligés, du fait de l'unité essentielle, de dire que toute l'action de Dieu, et tous ses multiples procédés sont vains, sans valeur, irréels, phénoménaux, illusoires et que le meilleur et le seul usage rationnel ou suprarationnel que nous puissions faire de notre connaissance est de nous en écarter, de dissoudre notre existence cosmique et individuelle en l'être essentiel et de nous débarrasser à jamais de tout devenir comme d'une futilité.

Dans nos rapports pratiques avec la vie, nous devons parvenir à la même vérité. Pour certaines fins pratiques, nous devons affirmer qu'une 'chose est bonne ou mauvaise, belle ou laide, juste ou injuste, et agir en conséquence; mais si nous nous limitons à cela, nous ne pouvons atteindre à une réelle connaissance. Ici, le principe de non-contradiction n'est valable que dans la mesure où deux énoncés différents et

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opposés ne peuvent être vrais pour une même chose au même moment, dans le même domaine, sous le même rapport, du même point de vue et pour le même objectif pratique. Une grande guerre, une destruction ou le violent bouleversement d'une révolution, par exemple, peuvent se présenter à nous comme un mal, un désordre virulent et catastrophique, et à certains égards, dans certains de leurs résultats et d'un certain point de vue, cela est vrai; mais vu autrement, ce peut être un grand bien, car cela déblaie rapidement le terrain en vue d'un bien nouveau ou d'un ordre plus satisfaisant. Aucun homme n'est simplement bon ou mauvais ; tout homme est un mélange de contraires : nous trouvons même souvent ces contraires inextricablement mêlés dans un seul sentiment, une seule action. Toutes sortes de qualités, de pouvoirs, de valeurs^ antagonistes se rencontrent et se heurtent pour constituer notre action, notre vie, notre nature. Une compréhension totale n'est possible que si nous arrivons à une certaine perception de l'Absolu, sans perdre de vue son action dans toutes les relativités qui se manifestent — les voir chacune séparément, mais aussi par rapport à toutes les autres et à ce qui les dépasse et les harmonise toutes. En fait, pour savoir vraiment, il faut approcher de la vision divine et du dessein divin dans les choses, et ne pas simplement considérer les nôtres, bien que notre vision humaine limitée et notre dessein momentané aient leur valeur dans le cadre du Tout. Car, derrière toutes les relativités, il y a cet Absolu qui est l'origine de leur être et leur justification. Il n'est au monde aucun acte, aucun arrangement particulier qui, par lui-même, soit absolument juste; mais il y a derrière tous les actes et tous les arrangements quelque chose d'absolu que nous appelons justice, qui s'exprime par leurs relativités. Et nous pourrions le saisir si notre vision et notre connaissance étaient globales au lieu d'être ce qu'elles sont : partielles, superficielles, limitées à quelques apparences et faits évidents. Il existe également un bien absolu et une absolue beauté. Mais pour les entrevoir, il nous faut embrasser impartialement toutes choses et, par-delà leurs apparences, sentir ce que toutes, ensemble et séparément, essaient de formuler et d'élaborer par leurs termes complexes : non pas un indéterminé — car l'indéterminé, n'étant que la substance originelle ou peut-être l'état où les déterminations forment un tout compact, n'expliquerait rien du tout en lui-même — mais l'Absolu. Certes, nous pouvons suivre la méthode opposée qui consiste à morceler toutes choses et à refuser de les considérer comme un tout et par rapport à ce qui les justifie, et créer ainsi une conception intellectuelle du mal absolu, de l'injustice absolue,

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de l'horreur, de la douleur, de l'insignifiance, de la vulgarité ou de la vanité absolues de toutes choses. Mais ce serait pousser à l'extrême la méthode de l'Ignorance dont la vision repose sur la division. Traiter ainsi l'action divine ne serait pas correct. Ce n'est pas parce que l'Absolu s'exprime par les relativités dont nous trouvons difficile de percer le secret, ni parce qu'à notre vue limitée tout semble être un jeu futile d'oppositions et de négativités ou une masse de contradictions, que nous pouvons en conclure que notre première vision limitée est juste, ni que tout est un leurre du mental et n'a aucune réalité. Nous ne pouvons non plus tout réduire à une contradiction originelle sans solution, qui serait supposée expliquer tout le reste. La raison humaine a tort d'attacher une valeur distincte et définitive à chaque contradiction isolée ou de se débarrasser de l'une par la négation totale de l'autre; mais elle a raison de refuser d'accepter comme définitif, et comme le dernier mot, le couplage de contradictions qui n'ont en aucune manière été réconciliées ni n'ont trouvé leur source et leur sens en quelque chose qui dépasse leur opposition.

Nous ne pouvons non plus résoudre ni expliquer les contradictions originelles de l'existence en prenant refuge dans notre concept du Temps. Le Temps, tel que nous le connaissons ou le concevons, n'est qu'un moyen pour nous de réaliser successivement les choses, c'est une condition et la cause des conditions; il varie selon les différents plans de l'existence, il varie même pour les êtres sur un seul et même plan : autrement dit, ce n'est pas un Absolu et il ne peut expliquer les relations primordiales de l'Absolu : elles s'élaborent en détail grâce au Temps et, pour notre être mental et vital, paraissent déterminées par lui; mais Cette apparence ne nous ramène pas à leurs sources et leurs principes. Nous faisons la distinction entre conditionné et inconditionné et nous imaginons que l'inconditionné est devenu conditionné, que l'Infini est devenu fini à une certaine date dans le temps et peut cesser de l'être à une autre date, parce que cela nous apparaît ainsi dans les détails, les particularités ou par rapport à tel ou tel système. Mais si nous considérons l'existence dans son ensemble, nous voyons qu'infini et fini coexistent, et existent l'un en l'autre et l'un par l'autre. Notre univers dût-il disparaître et réapparaître rythmiquement dans le Temps, comme on le croyait jadis, ce ne serait encore qu'un vaste détail et ne prouverait pas qu'à un moment particulier toute condition cesse dans l'entière étendue de l'existence infinie et que tout l'Être devient l'inconditionné,

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et qu'à un autre moment, il revêt à nouveau la réalité ou l'apparence des conditions. La première source et les relations primordiales se situent par-delà nos divisions mentales du Temps dans l'intemporalité divine, ou encore dans le Temps indivisible ou éternel dont nos divisions et nos successions ne sont que des représentations dans une expérience mentale.

Là, nous voyons que tout se rejoint, et que tous les principes, toutes les réalités permanentes de l'existence — car le fini, en tant que principe d'être, est aussi permanent que l'infini — sont dans une relation primaire les uns avec les autres, dans une unité de l'Absolu qui est libre et non pas exclusive, et que la façon dont ils se présentent à nous dans un monde matériel ou mental n'est que leur élaboration dans des relativités secondaires, tertiaires ou plus inférieures encore. L'Absolu n'est pas devenu le contraire de lui-même, il n'a pas assumé à une certaine date des relativités réelles ou irréelles dont, à l'origine, il était incapable. L'Un n'est pas non plus devenu par miracle le Multiple, l'inconditionné n'a pas soudain dévié vers le conditionné, ni le sans-qualités bourgeonne de qualités. Ces oppositions ne sont qu'une aide commode pour notre conscience mentale, elles sont nos divisions de l'indivisible. Les choses qu'elles représentent ne sont pas des fictions, ce sont des réalités, mais on ne les connaît pas pour ce qu'elles sont si on les oppose irrémédiablement ou si on les sépare les unes des autres; car dans la vision totale de l'Absolu, il n'existe pas d'opposition irréconciliable ni de séparation de ce genre. C'est là la faiblesse non seulement de nos divisions scientifiques et de nos distinctions métaphysiques, mais de nos réalisations spirituelles exclusives, exclusives uniquement parce que, pour y parvenir, nous devons partir de notre conscience mentale qui limite et divise. Ces distinctions métaphysiques devraient permettre à notre intelligence d'atteindre une vérité qui la dépasse, car c'est pour elle le seul moyen d'échapper aux confusions de notre première vision mentale indistincte des choses; mais si nous nous y attachons jusqu'au bout, nous transformons en chaînes ce qui n'aurait dû être qu'une aide préliminaire. Nous devons également nous appuyer sur des réalisations spirituelles distinctes qui, au début, peuvent sembler se contredire, car il est difficile, voire impossible pour nous, êtres mentaux, de saisir à la fois largement et complètement ce qui dépasse notre mentalité; mais permettre à notre intellect d'affirmer qu'elles sont les seules vérités, est une erreur — comme de soutenir que l'Impersonnel doit être la seule et

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ultime réalisation et le reste une création de Maya, ou, déclarant que le Saguna, le Divin doté de qualités, est Cela, de rejeter l'impersonnalité de notre expérience spirituelle. Il nous faut voir que ces deux réalisations des grands chercheurs spirituels sont également valables en elles-mêmes, également sans valeur quand elles s'opposent l'une à l'autre ; elles sont l'expérience d'une seule et même Réalité sous deux aspects également nécessaires à la pleine connaissance et à la pleine expérience l'un de l'autre et de ce qu'ils sont tous deux. Ainsi en est-il de l'Un et du Multiple, du fini et de l'infini, du transcendant et du cosmique, de l'individu et de l'universel ; chacun est l'autre tout autant que lui-même et aucun ne peut être entièrement connu sans l'autre et sans dépasser ce qui les oppose apparemment.

Nous voyons donc qu'il existe trois termes de l'unique existence : le transcendant, l'universel et l'individuel, et que secrètement ou manifestement chacun contient toujours les deux autres. Le Transcendant est toujours en possession de lui-même et contrôle l'universel et l'individuel, base de ses propres possibilités temporelles; c'est le Divin, l'éternelle conscience de Dieu possédant tout, omnipotente, omnisciente, omniprésente, qui imprègne, embrasse, gouverne toutes les existences. L'être humain est ici sur la terre le plus haut pouvoir du troisième terme, l'individuel, car lui seul peut, à son tournant critique, élaborer ce mouvement de manifestation de soi qui revêt pour nous l'apparence d'une involution et d'une évolution de la conscience divine entre les deux termes de l'Ignorance* et de la Connaissance. Ce qui rend possible l'élaboration de la divine manifestation de soi par l'individu est le pouvoir qu'a celui-ci de posséder en sa conscience, par sa connaissance de soi, son unité avec le Transcendant et l'universel, avec l'Être unique et avec tous les êtres, de vivre dans cette connaissance et de s'en servir pour transformer sa vie ; et te seul objectif concevable du mouvement est que l'individu, que tous les individus puissent vivre une vie divine. L'existence de l'individu n'est pas une erreur survenue en quelque moi de l'Absolu, et que ce moi découvrirait par la suite ; car il est impossible que l'absolue conscience de soi, ou toute chose qui en ferait intégralement partie, soit ignorante de sa propre vérité et de ses propres capacités et que, trahie par cette ignorance, elle se fasse une fausse idée d'elle-même qu'il lui faille ensuite corriger, ou se lance dans une impossible aventure à laquelle elle doive finalement renoncer. L'existence individuelle n'est pas non plus une circonstance secondaire dans un jeu divin ou Lîlâ, le jeu d'une révolution continuelle

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au fil de cycles sans fin de plaisir et de souffrance, sans aucun espoir de jamais découvrir rien de plus haut dans la Lîlâ elle-même, ni aucune issue, sinon l'évasion sporadique de quelques êtres hors de l'asservissement à cette ignorance. Nous pourrions être contraints d'adopter cette vision implacable et désastreuse de l'œuvre divine si l'homme n'avait aucun pouvoir de se transcender ou de transformer par la connaissance de soi les conditions du jeu, les rapprochant de plus en plus de la vérité de la Félicité divine. En ce pouvoir se trouve la justification de l'existence individuelle ; l'individuel et l'universel déployant en eux-mêmes la lumière, la puissance, la joie divines du Satchidânanda transcendant toujours manifesté au-dessus d'eux, toujours caché derrière leurs apparences superficielles, telle est la secrète intention, l'ultime signification du jeu divin, de la Lîlâ. Cependant, c'est en eux-mêmes, en leur transformation, mais aussi dans leur persistance et dans leurs parfaites relations, non en leur propre annihilation, que doit se faire ce déploiement. Autrement, il n'y aurait aucune raison qu'ils aient jamais existé ; la possibilité d'un déploiement du Divin dans l'individu est le secret de l'énigme. Sa présence en lui et cette volonté de déploiement sont la clef du monde de Connaissance-Ignorance.

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