Sri Aurobindo's principal work of philosophy and metaphysics, expounding a vision of spiritual evolution culminating in the transformation of man from a mental into a supramental being and the advent of a divine life upon earth.
Sri Aurobindo's principal work of philosophy and metaphysics. In this book, Sri Aurobindo expounds a vision of spiritual evolution culminating in the transformation of man from a mental into a supramental being and the advent of a divine life upon earth. The material first appeared as a series of essays published in the monthly review Arya between 1914 and 1919. They were revised by Sri Aurobindo in 1939 and 1940 for publication as a book.
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L'Ame de l'homme, cette voyageuse, erre dans ce cycle du Brahman, immense, une totalité de vies, une totalité d'états, se pensant différente de l'Inspirateur du voyage. Acceptée par Lui, elle atteint son but, l'Immortalité.
Shvetâshvatara Upanishad. 1.6.
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La révélation progressive d'une grande, transcendante et lumineuse Réalité, dont les innombrables relativités de ce monde que nous voyons et des autres mondes que nous ne voyons pas sont les moyens et les matériaux, les conditions et le champ d'action, semblerait donc être le sens de l'univers — puisque cet univers a un sens et un but et n'est ni une illusion futile, ni un accident fortuit. Car le même raisonnement qui nous amène à conclure que l'existence cosmique n'est pas une ruse ni une supercherie du Mental, justifie également la conviction qu'il n'est pas une masse aveugle et impuissante d'existences phénoménales, s'accrochant les unes aux autres et se débattant comme elles peuvent dans leur orbite pour l'éternité ; qu'il n'est pas non plus la formidable création, la terrible impulsion spontanées d'une Force ignorante, privée de toute Intelligence secrète qui soit consciente de son point de départ et de son but, et guide sa marche et son mouvement. Une existence entièrement consciente d'elle-même, et par conséquent pleinement maîtresse d'elle-même, possède l'être phénoménal où elle est involuée, se réalise dans la i forme, se déploie dans l'individu.
Cette Émergence lumineuse est l'aurore que les premiers aryens adoraient jadis. Sa perfection accomplie est le pas suprême de Vishnu embrassant tout l'univers, qu'ils percevaient comme un œil dont la vision s'étend à travers les cieux les plus purs du Mental. Car elle existe déjà comme une Vérité des choses qui révèle et guide tout, veille sur le monde et pousse l'homme mortel à tenter l'ascension divine, d'abord à l'insu de son mental conscient, en suivant la marche générale de la Nature, mais enfin consciemment, par un éveil et un élargissement de soi progressif. L'ascension vers la Vie divine est le voyage humain, l'Œuvre des œuvres, le Sacrifice acceptable. Elle est la seule tâche véritable de l'homme dans le monde, et la justification de son existence; sans elle, il ne serait qu'un insecte rampant parmi d'autres insectes éphémères sur la surface d'une goutte d'eau et de
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boue qui a réussi à se former parmi les formidables immensités de l'univers physique.
Cette Vérité des choses, qui doit surgir des contradictions du monde phénoménal, est décrite comme une Béatitude infinie et une Existence consciente de soi, partout la même, en toute chose, en tous les temps et par-delà le Temps, consciente d'elle-même derrière tous ces phénomènes, et ne pouvant jamais être complètement exprimée ou d'aucune façon limitée par leurs vibrations dynamiques les plus intenses, ni par leur plus vaste totalité ; car elle existe en soi et son être ne dépend pas de ses manifestations. Ils la représentent, mais jamais complètement; ils l'indiquent, mais ne la révèlent pas. Elle se révèle seulement à elle-même au cœur de leurs formes. L'existence consciente involuée dans la forme en vient, au cours de son évolution, à se connaître par intuition, par une vision et une expérience de soi. Elle devient elle-même dans le monde en se connaissant elle-même; elle se connaît en devenant ce qu'elle est. Ainsi, se possédant elle-même au-dedans, elle partage aussi avec ses formes et ses modes d'être le délice conscient de Satchidânanda. Ce devenir de la Béatitude-Existence-Conscience infinie dans le mental, la vie et le corps — car indépendamment d'eux, elle existe éternellement — est la transfiguration voulue et l'utilité de l'existence individuelle. Dans l'individu elle se manifeste par la relation, de même qu'en soi elle existe dans l'identité.
L'Inconnaissable se connaissant comme Satchidânanda est la suprême affirmation du Védânta; elle contient toutes les autres ou toutes dépendent d'elle. Telle est la seule, la véritable expérience qui subsiste lorsqu'on a rendu compte de toutes les apparences, négativement en éliminant leurs formes et leurs revêtements, positivement en réduisant leurs noms et formes à la vérité constante qu'elles renferment. Que nous recherchions le plein accomplissement de la vie ou sa transcendance, que notre but soit la pureté, le calme et la liberté spirituelle, ou la puissance, la joie et la perfection, Satchidânanda est le terme inconnu, omniprésent et indispensable que la conscience humaine cherche éternellement, soit dans la connaissance et le sentiment, soit dans la sensation et l'action.
L'univers et l'individu sont les deux apparences essentielles en lesquelles descend l'Inconnaissable et à travers lesquelles il doit être
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approché; car les autres agrégats intermédiaires naissent seulement de leur interaction. Cette descente de la Réalité suprême est par nature une occultation; dans la descente il y a des plans successifs, dans cette occultation, des voiles successifs. La révélation prend nécessairement la forme d'une ascension; et nécessairement aussi, l'ascension et la révélation sont toutes deux progressives. Car chaque niveau successif de la descente du Divin est, pour l'homme, une étape de son ascension; chaque voile qui cache le Dieu inconnu devient, pour celui qui aime et cherche le Divin, un instrument de Son dévoilement. Hors du sommeil rythmique de la Nature matérielle inconsciente de l'Ame et de l'Idée qui maintiennent les activités ordonnées de son énergie, même dans sa transe matérielle muette et puissante, le monde s'efforce vers le rythme plus rapide, plus varié et plus désordonné de la Vie qui œuvre à l'extrême limite de la conscience de soi. Hors de la Vie, il poursuit péniblement son ascension jusqu'au Mental où chaque élément s'éveille à la conscience de lui-même et de son monde, et dans cet éveil l'univers trouve le levier dont il avait besoin pour son œuvre la plus haute : une individualité consciente de soi. Mais le Mental reprend le travail pour le mener plus loin, non pour l'achever. C'est un ouvrier à l'intelligence aiguë mais limitée, qui prend les matériaux confus que lui offre la Vie, et, après les avoir améliorés, adaptés, diversifiés, organisés selon son propre pouvoir, les remet à l'Artiste suprême de notre humanité divine. Cet Artiste demeure dans le Supramental, car le Supramental est le Surhomme. Ainsi notre monde doit-il encore s'élever par-delà le Mental jusqu'à un principe supérieur, un état supérieur, un dynamisme supérieur, dans lequel l'univers et l'individu prennent conscience de ce qu'ils sont tous deux et le possèdent, de telle sorte qu'ils s'expliquent, s'harmonisent, s'unissent l'un à l'autre.
Les désordres de la vie et du mental cessent quand on discerne le secret d'un ordre plus parfait que l'ordre physique. La matière sous-jacente à la vie et au mental contient en elle-même l'équilibre entre une tranquillité parfaitement stable et l'action d'une énergie incommensurable, mais elle ne possède pas ce qu'elle contient. Sa paix porte le masque terne d'une obscure inertie, du sommeil de l'inconscience, ou plutôt d'une conscience stupéfiée et emprisonnée. Poussée par une force qui est son vrai moi, mais dont elle ne peut encore saisir ou partager le sens, elle n'a pas la joie éveillée de ses propres énergies harmonieuses.
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Quand la vie et le mental commencent à ressentir ce besoin, cela prend la forme d'une ignorance qui fait effort et cherche, et d'un désir tourmenté et déçu ; ce sont là les premiers pas vers la connaissance et l'accomplissement de soi. Mais où se trouve le royaume de leur accomplissement ? Il leur est donné lorsqu'ils se surpassent eux-mêmes. Au-delà de la vie et du mental, nous recouvrons consciemment, dans sa vérité divine, ce que l'équilibre de la Nature matérielle représentait grossièrement : une tranquillité qui n'est ni une inertie, ni une transe hermétique de la conscience, mais la concentration d'une force absolue, d'une conscience de soi absolue, et une action d'énergie incommensurable qui est en même temps le premier frémissement d'une ineffable félicité, car chacun de ses actes est l'expression, non d'un besoin et d'un effort ignorant, mais d'une paix et d'une maîtrise de soi absolues. Dans cet accomplissement notre ignorance prend conscience de la lumière dont elle était un reflet obscurci et partiel; nos désirs s'éteignent dans la plénitude, dans l'accomplissement vers lequel, même dans leurs formes les plus grossièrement matérielles, même déchus, ils aspiraient obscurément.
L'univers et l'individu sont nécessaires l'un à l'autre dans leur ascension. En vérité, ils existent toujours l'un pour l'autre et s'enrichissent mutuellement. L'univers est la diffusion du Tout divin dans l'Espace et le Temps infinis; l'individu est sa concentration dans les limites du Temps et de l'Espace. L'univers cherche dans l'extension infinie la totalité divine qu'il se sent être, mais qu'il ne peut réaliser entièrement; car dans l'extension l'existence tend vers une somme plurielle qui ne peut être l'unité première ou finale, mais seulement une fraction périodique sans fin ni commencement. Il crée donc en lui-même une concentration du Tout consciente de soi, à travers laquelle il peut aspirer. Dans l'individu conscient, la Prakriti se retourne pour percevoir le Purusha, le Monde se met en quête du Moi ; Dieu étant devenu complètement la Nature, la Nature cherche à devenir progressivement Dieu.
D'autre part, l'univers est le moyen qui contraint l'individu à se réaliser lui-même. Il n'est pas seulement son fondement, son instrument, son champ, le matériau de l'Ouvre divine ; mais puisque la concentration de la Vie universelle que l'individu représente se fait dans certaines limites et n'est pas, comme l'unité intensive du Brahman, libre de toute notion de limite et de terme, l'individu doit
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aussi, nécessairement, s'universaliser et s'impersonnaliser afin de manifester le Tout divin qui est sa réalité. Cependant, même lorsqu'il s'élargit le plus dans l'universalisation de la conscience, il se sent poussé à conserver un quelque chose, mystérieux et transcendant, que son sens de la personnalité représente de façon obscure et égoïste. Autrement il a manqué son but, il n'a pas résolu le problème qui lui a été posé, ni accompli l'œuvre divine pour laquelle il a accepté de naître.
L'univers se présente à l'individu comme Vie, comme un dynamisme dont il doit maîtriser tout le secret, et comme une masse de résultats qui s'entrechoquent, un tourbillon d'énergies potentielles dont il doit extraire un ordre suprême et une harmonie qui n'a pas encore été réalisée. Car tel est après tout le sens réel du progrès humain. Ce n'est pas seulement une reformulation, en termes légèrement différents, de ce que la Nature physique a déjà accompli. La vie humaine ne saurait avoir non plus pour idéal le simple animal, reproduit sur un échelon mental supérieur. S'il en était ainsi, tout système ou tout ordre assurant un bien-être acceptable et une satisfaction mentale modérée aurait interrompu notre progrès. L'animal se satisfait d'un minimum vital; les dieux se contentent de leur splendeur. Mais l'homme n'aura de cesse qu'il n'ait atteint à quelque bien suprême. Il est le plus grand des êtres vivants parce qu'il est le plus insatisfait, parce que, plus que tout autre, il se sent étouffé par ses limitations. Lui seul, peut-être, est capable d'être saisi d'une frénésie divine pour un lointain idéal.
Pour l'Esprit-de-Vie, par conséquent, l'individu dans lequel ses possibilités se centralisent est, par excellence, l'Homme, le Purusha. C'est le Fils de l'homme qui est suprêmement capable d'incarner Dieu. Cet homme est le Manu, le penseur, le Manomaya Purusha, la personne mentale ou l'âme-dans-le-mental des anciens sages. Il n'est pas seulement un mammifère supérieur, mais une âme qui peut concevoir, et dont le corps animal est l'assise dans la Matière. Il est le Nom conscient ou Numen, acceptant et utilisant la forme comme un milieu à travers lequel la Personne peut manier la substance. La vie animale émergeant de la Matière n'est que le terme inférieur de son existence. La vie de la pensée, des sentiments, de la volonté, des impulsions conscientes — ce que nous appelons globalement le Mental et qui cherche à s'emparer de la Matière et de ses énergies vitales pour les soumettre à la loi de sa propre transformation progressive — est le terme intermédiaire où
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il s'établit effectivement. Mais il y a également un terme suprême que le Mental en l'homme recherche, afin qu'une fois découvert il puisse l'affirmer dans son existence mentale et corporelle. Cette affirmation pratique de quelque chose d'essentiellement supérieur à son moi actuel est la base de la vie divine dans l'être humain.
Éveillé à une connaissance de soi plus profonde que sa première notion mentale de lui-même, l'Homme commence à concevoir une formule et à percevoir une apparence de ce qu'il doit affirmer. Mais à ses yeux, cela paraît suspendu entre deux négations de soi-même. Si, au-delà de son accomplissement actuel, il perçoit le pouvoir, la lumière, la félicité d'une existence infinie, consciente d'elle-même, s'il est touché par eux et traduit sa pensée ou son expérience en termes conformes à sa mentalité — Infinité, Omniscience, Omnipotence, Immortalité, Liberté, Amour, Béatitude, Dieu —, néanmoins ce soleil de sa vision semble briller entre une double Nuit, une obscurité en dessous, une plus vaste obscurité au-dessus. Car lorsqu'il s'efforce de le connaître parfaitement, cela paraît s'évanouir en quelque chose que pas un seul, ni même l'ensemble de ces termes, ne peut aucunement représenter. Finalement, son mental nie Dieu pour affirmer un Au-delà, ou du moins il semble trouver un Dieu qui se transcende Lui-même et se refuse à toutes nos conceptions. Dans le monde également, en lui-même et autour de lui, l'Homme se heurte toujours aux opposés de ce qu'il affirme. La mort est son éternelle compagne, la limitation assiège son être et son expérience, l'erreur, l'inconscience, la faiblesse, l'inertie, le chagrin, la douleur, le mal oppriment constamment son effort. Tout cela le conduit encore à nier Dieu, ou, tout au moins, à penser que le Divin se nie Lui-même ou se cache sous un aspect ou un effet étranger à sa réalité véritable et éternelle.
Les termes de cette négation ne sont pas — comme ceux de la négation première et plus insaisissable — impossibles à concevoir et, par suite, naturellement mystérieux, inconnaissables pour le mental humain; au contraire, ils paraissent connaissables, connus, définis — et pourtant mystérieux. L'homme ne sait pas ce qu'ils sont, pourquoi ils existent, comment ils en sont venus à exister. Il voit leurs processus, la façon dont ils l'affectent et lui apparaissent, mais il ne peut sonder leur réalité essentielle.
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Peut-être sont-ils insondables, peut-être sont-ils eux aussi inconnaissables en leur essence ? Il se peut même qu'ils n'aient aucune réalité essentielle — qu'ils soient une illusion, un non-être, Asat. La Négation supérieure nous apparaît parfois comme un Néant, une Non-existence ; cette négation inférieure pourrait bien être aussi, dans son essence, un Néant, une non-existence. Mais de même que nous avons refusé de fuir la difficulté que nous posait l'Asat supérieur, de même nous y refusons-nous pour cet Asat inférieur. En niant complètement sa réalité ou en cherchant un moyen de lui échapper comme à une simple illusion désastreuse, nous écartons le problème et nous nous détournons de notre tâche. Pour la Vie, ces choses qui semblent nier Dieu, être les opposés de Satchidânanda, sont réelles, même si elles s'avèrent temporaires. Ces choses et leurs contraires — bien, connaissance, joie, plaisir, vie, survie, force, pouvoir, croissance —, sont les matériaux mêmes de son action.
En vérité, il est probable qu'elles sont le résultat ou plutôt l'accompagnement inséparable, non d'une illusion, mais d'une relation fausse, fausse parce que fondée sur une vision erronée de ce que l'individu est dans l'univers, et, par conséquent, d'une attitude fausse envers Dieu comme envers la Nature, envers notre moi comme envers notre milieu, Car ce que l'homme est devenu n'est plus en harmonie ni avec ce qu'est le monde qu'il habite, ni avec ce que lui-même devrait être et sera, et c'est pourquoi il est asservi à ces contradictions de la Vérité secrète des choses. Vues ainsi, elles ne sont plus la punition d'une chute, mais les conditions d'un progrès. Elles sont les premiers éléments du travail qu'il doit accomplir, le prix qu'il doit payer pour la couronne qu'il espère gagner, le chemin étroit que suit la Nature pour s'affranchir de la Matière et devenir consciente; elles sont à la fois sa rançon et son bien.
Car c'est sur la base, et à l'aide de ces relations fausses que les vraies doivent être trouvées. Par l'Ignorance nous devons traverser la mort. Le Véda lui aussi évoque, de façon cryptique, ces énergies pareilles à des femmes aux impulsions perverties, fourvoyées, qui font souffrir leur Seigneur et qui pourtant, malgré leur fausseté et leur malheur, construisent finalement « cette vaste Vérité », la Vérité qui est Béatitude. Ce n'est donc pas quand il aura extirpé de lui-même le mal de la Nature par un acte de chirurgie morale, ou se sera séparé de la vie dans un recul d'horreur, mais quand il aura changé la Mort en une vie plus parfaite, quand il aura soulevé les petites choses de la limitation
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humaine jusqu'aux grandes choses de l'immensité divine, quand il aura transformé la souffrance en béatitude, converti le mal en son propre bien, traduit l'erreur et le mensonge en leur vérité secrète, que le sacrifice sera accompli, le voyage achevé, et que le Ciel et la Terre, devenus égaux, s'uniront dans la béatitude du Suprême.
Mais comment de tels contraires peuvent-ils se muer l'un en l'autre ? Par quelle alchimie ce plomb de la mortalité sera-t-il changé en l'or de l'Être divin? Et si, dans leur essence, ils n'étaient pas des contraires ? S'ils étaient les manifestations d'une Réalité unique, identique en substance ? Alors, en vérité, une transmutation divine serait concevable.
Nous avons vu que le Non-Être au-delà pourrait bien être une existence inconcevable, et peut-être aussi une ineffable Béatitude. Tout au moins le Nirvana du bouddhisme, qui exprimait un des plus lumineux efforts de l'homme pour atteindre à cette suprême Non-Existence et y trouver le repos, se présente, dans la psychologie de l'âme libérée mais vivant sur la terre, comme une paix et un bonheur inexprimables ; pratiquement, elle conduit à l'élimination de toute souffrance par l'abolition de toute idée ou sensation égoïstes; et la conception positive la plus proche que nous puissions nous en former, est celle d'une Béatitude inexprimable (si ce terme, ou tout autre, peut s'appliquer à une paix aussi vide de contenu) en laquelle la notion même d'existence du moi semble être engloutie et disparaître. C'est un Satchidânanda auquel nous n'osons même plus appliquer ces termes suprêmes que sont Sat, Chit et Ânanda, car tous les termes sont annulés et toute expérience cognitive est transcendée.
D'autre part, puisque tout est une Réalité unique, nous avons avancé la suggestion que cette négation inférieure, elle aussi, cette autre contradiction ou non-existence de Satchidânanda, n'est autre que Satchidânanda lui-même. Il est possible que notre intellect la conçoive, que notre vision intérieure la perçoive et même qu'elle se transmette à nos sensations comme cela même qu'elle semble nier; et en fait, nous en aurions toujours et consciemment l'expérience si les choses n'étaient pas falsifiées par une grande erreur fondamentale, par une ignorance qui nous possède et s'impose à nous, par Maya ou Avidyâ. C'est dans ce sens qu'une solution pourrait être cherchée, une solution qui ne serait
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peut-être pas métaphysiquement satisfaisante pour le mental logique -— car nous nous tenons sur la frontière de l'inconnaissable, de l'ineffable, nous efforçant de voir au-delà —, mais qui serait une base d'expérience suffisante pour la réalisation de la vie divine.
Pour cela, il faut oser plonger sous la surface limpide des choses où le mental aime à se concentrer, explorer le vaste et l'obscur, pénétrer les profondeurs insondables de la conscience et nous identifier avec des états d'être qui nous sont étrangers. Le langage humain est d'un piètre secours dans une telle recherche; mais nous pouvons du moins y trouver certains symboles, certaines images, et revenir avec quelques indications tout juste exprimables qui, comme une aide à la lumière de l'âme, projetteront sur le mental quelque reflet du dessein ineffable.
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