Sri Aurobindo's principal work of philosophy and metaphysics, expounding a vision of spiritual evolution culminating in the transformation of man from a mental into a supramental being and the advent of a divine life upon earth.
Sri Aurobindo's principal work of philosophy and metaphysics. In this book, Sri Aurobindo expounds a vision of spiritual evolution culminating in the transformation of man from a mental into a supramental being and the advent of a divine life upon earth. The material first appeared as a series of essays published in the monthly review Arya between 1914 and 1919. They were revised by Sri Aurobindo in 1939 and 1940 for publication as a book.
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La Divinité unique, secrète dans tous les êtres, pénétrant tout, le Moi intérieur de tous, présidant à toute action, le témoin, ce qui connaît consciemment et absolument... l'Un qui dirige la multiplicité de ceux qui sont soumis passivement à la Nature, façonne les formes multiples d'une unique semence.
Shvetâshvatara Upanishad. VI. 11,12.
Le Divin se meut en ce Champ et modifie la trame des choses, séparément et de diverses manières... Unique, il est maître de toutes les matrices, de toutes les natures; il est lui-même la matrice de toutes choses, il est cela qui porte à maturité la nature de l'être et donne à tous ceux qui doivent être mûris le fruit de leur développement, et il fixe toutes les qualités de leurs opérations.
Shvetâshvatara Upanishad. V. 3-5.
Il façonne diversement une forme unique des choses.
Katha Upanishad. II. 2,12.
Qui a perçu cette vérité occulte, que l'Enfant donne l'existence aux Mères par le jeu de sa nature ? Descendant né du sein des Eaux multiples, il en sort Voyant, maître de la loi intégrale de sa nature. Manifesté, il grandit au sein de ce qui est tortueux et devient grand, beau et glorieux.
Rig-Véda. V. 3-5.
Du non-être à l'être vrai, de l'obscurité à la Lumière, de la mort à l'Immortalité.
Brihadâranyaka Upanishad. I. 3.28.
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Une évolution spirituelle, une évolution de la conscience dans la Matière, assumant des formes en constant développement, jusqu'à ce que la forme puisse révéler l'Esprit qui l'habite, telle est la note dominante, le mobile central significatif de l'existence terrestre. Cette signification est cachée tout d'abord par l'involution de l'Esprit, la Divine Réalité, dans une lourde inconscience matérielle. Un voile d'inconscience, le voile de l'insensibilité de la Matière, recouvre la Conscience-Force universelle qui travaille en elle, de sorte que l'Énergie, cette première forme que la Force créatrice revêt dans l'univers physique, paraît être elle-même inconsciente, tout en accomplissant l'œuvre d'une vaste Intelligence occulte. Finalement, la créatrice obscure et mystérieuse délivre la conscience secrète de son épaisse et ténébreuse prison, mais elle la délivre lentement, petit à petit, en gouttelettes infinitésimales, en minces filets, en de petites et vibrantes concrétions d'énergie et de substance, de vie et de pensée, comme si c'était tout ce qu'elle pouvait faire passer à travers l'obstacle grossier, l'intermédiaire inerte et récalcitrant d'une existence pétrie d'inconscience. Au début, la Conscience-Force se loge en des formes matérielles qui paraissent totalement inconscientes, puis elle s'efforce d'atteindre à la mentalité sous l'apparence de la matière vivante, et y parvient imparfaitement dans l'animal conscient. Cette conscience est tout d'abord rudimentaire, c'est surtout un instinct à demi subconscient ou tout juste conscient; puis elle se développe lentement, jusqu'à ce qu'en des formes plus organisées de la matière vivante, elle touche son plus haut degré d'intelligence et se dépasse elle-même en l'Homme, l'animal pensant qui devient l'être mental doué de raison. Mais même à son sommet, l'homme porte en lui l'empreinte de son origine animale, le poids mort de la subconscience du corps; il subit l'attraction vers le bas,
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vers l'Inertie et la Nescience originelles; il est soumis à la domination que la Nature matérielle inconsciente exerce sur son évolution consciente, au pouvoir de limitation de cette Nature et à la loi de son développement difficile, à son immense force de ralentissement et d'obstruction. L'emprise de cette inconscience originelle sur la conscience qui en émerge se traduit sous la forme générale d'une mentalité qui lutte vers la connaissance, mais qui est elle-même, dans ce qui paraît être sa nature fondamentale, une Ignorance. Ainsi entravé et alourdi, l'homme mental doit encore développer en lui-même l'être pleinement conscient, une humanité divine, ou une surhumanité spirituelle et supramentale, qui sera le prochain fruit de l'évolution. Cette transition marquera le passage d'une évolution dans l'Ignorance à une évolution supérieure dans la Connaissance, fondée sur la lumière du Supraconscient, et .progressant en elle et non plus dans les ténèbres de l'Ignorance et de l'Inconscience.
Ce processus évolutif dans la Nature terrestre depuis la Matière jusqu'au Mental et au-delà, suit un double mouvement : d'une part, il y a un mouvement extérieur et visible d'évolution physique, avec la naissance comme processus — car chaque forme corporelle apparue dans l'évolution, dotée du pouvoir de conscience qui s'est développé en même temps, se maintient par l'hérédité qui assure sa continuité; d'autre part et simultanément, il y a un mouvement invisible d'évolution de l'âme avec comme processus la renaissance suivant des degrés ascendants de forme et de conscience. Le premier mouvement, à lui seul" n'entraînerait qu'une évolution cosmique, car l'individu serait un instrument rapidement périssable, et la race, formulation collective plus durable, serait le véritable échelon dans la manifestation progressive de l'Habitant cosmique, l'Esprit universel. Ainsi, la renaissance est une condition indispensable pour une durée et une évolution prolongées de l'être individuel dans l'existence terrestre. Chaque degré de la manifestation cosmique, chaque type de forme capable d'abriter l'esprit immanent, devient, grâce à la renaissance, un moyen pour l'âme individuelle, l'entité psychique, de manifester plus complètement sa conscience cachée. Chaque vie devient un pas de plus vers la victoire sur la Matière, grâce à une progression croissante de la conscience qui l'anime et qui, finalement, fera de la Matière elle-même un instrument
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de la pleine manifestation de l'Esprit.
Mais cette description du processus et du sens de la création terrestre peut, en tous points, être mise en doute dans la pensée de l'homme lui-même, car l'évolution n'en est qu'à mi-chemin dans son voyage; elle progresse encore dans l'Ignorance, cherchant son propre but et sa signification dans le mental d'une humanité à demi développée. On peut contester la théorie de l'évolution, sous prétexte qu'elle est insuffisamment fondée et qu'elle n'est pas indispensable pour expliquer le processus de l'existence terrestre. Et même si l'on admet l'évolution, on peut douter que l'homme soit capable de se transformer en un être évolutif supérieur. On peut aussi contester que l'évolution puisse jamais progresser au-delà de son niveau actuel, ou qu'une évolution supramentale, l'apparition d'une parfaite Conscience-de-Vérité, d'un être de Connaissance, ait la moindre chance de se produire au sein de l'Ignorance fondamentale de la Nature terrestre. Mais nous pouvons proposer une autre interprétation, qui s'est ni téléologique,ni évolutive, des œuvres de l'Esprit dans la manifestation terrestre ; et il semble préférable, avant d'aller plus loin, d'exposer brièvement les arguments sur lesquels elle s'appuie.
Même si nous admettons que la création est une manifestation de l'Éternel hors du Temps dans l'éternité du Temps, qu'il existe sept degrés,de Conscience—-, l'Inconscience matérielle servant de base pour la réascension de l'Esprit —, et que la renaissance est un fait, un élément de l'ordre terrestre, il n'en reste pas moins qu'aucun, ni même l'ensemble de ces postulats, ne nous permet nécessairement de conclure qu'il existe une évolution spirituelle de l'être individuel. Il est possible d'envisager autrement la signification spirituelle de l'existence terrestre et son processus intérieur. Si chaque chose créée est une forme de l'Existence Divine manifestée, chacune est divine en soi par la présence spirituelle qui est en elle, quels que soient son apparence, son aspect ou son caractère dans la Nature. En chaque forme de la manifestation, le Divin goûte les délices de l'existence, et aucune d'entre elles n'a besoin de changement ni de progrès. Tout le déploiement ordonné ou toute la hiérarchie de possibilités réalisées dont puisse avoir besoin la nature de l'Être Infini, sont rendus possibles par la variation innombrable, le foisonnement des formes, des types de conscience, des caractères que nous voyons partout autour de nous, sans qu'il soit besoin d'aucune autre explication. Il n'y
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a pas, et il ne peut y avoir de dessein téléologique dans la création, car tout est contenu dans l'Infini : il n'est rien que le Divin ait à gagner, rien qu'il ne possède déjà. S'il y a une création et une manifestation, c'est pour la joie de la création et de la manifestation, et pour rien d'autre. Il n'y a donc nul besoin d'un mouvement évolutif qui doive atteindre un point culminant ou élaborer et réaliser quelque dessein, ou s'efforcer d'atteindre une perfection ultime.
En fait, nous voyons quelles principes de la création sont permanents et invariables : chaque type d'être reste ce qu'il est, sans essayer, ni éprouver le moindre besoin, de devenir autre qu'il n'est. En admettant que certains types d'existence disparaissent et que d'autres apparaissent, c'est parce que la Conscience-Force dans l'univers retire sa joie de vivre des types qui périssent et en crée d'autres pour son plaisir. Mais chaque type de vie, aussi longtemps qu'il dure, conserve sa propre structure et s'y conforme, quelles que soient les variations mineures. Il est lié à sa propre conscience et ne peut s'en écarter pour passer dans une autre conscience ; il est limité à sa propre nature et ne peut franchir ses frontières pour passer dans une autre nature. Si la Conscience-Force de l'Infini a manifesté la Vie après avoir manifesté la Matière, et le Mental après avoir manifesté la Vie, il ne s'ensuit pas qu'elle manifestera ensuite le Supramental comme sa prochaine création terrestre. Car le Mental et le Supramental appartiennent à deux hémisphères tout à fait différents : le Mental au statut inférieur de l'Ignorance, le Supramental au statut supérieur de la Connaissance divine. Ce monde est un monde d'Ignorance et il est destiné à n'être que cela ; il n'existe pas nécessairement une intention de faire descendre les pouvoirs de l'hémisphère supérieur dans la moitié inférieure de l'existence, ou d'y manifester leur présence cachée, car si réellement ces pouvoirs existent ici-bas, c'est dans une immanence occulte, incommunicable, et seulement pour maintenir la création, non pour la perfectionner. L'homme est le sommet de cette création ignorante ; il a atteint toute la conscience et toute la connaissance dont cette création est capable ; s'il essaie d'aller plus loin, il ne fera que tourner en rond dans les cercles élargis de sa propre mentalité. Telle est en effet la courbe de son existence terrestre, une ronde limitée qui emporte le mental dans ses révolutions et retourne toujours à son point de départ. Le mental ne peut pas sortir de sa propre orbite ; toute idée de mouvement en ligne droite ou de progrès qui s'élève indéfiniment ou s'élargit dans l'Infini,
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est une illusion. Si l'âme de l'homme doit dépasser l'humanité pour atteindre un état supramental ou un état plus élevé encore, elle doit sortir de cette existence cosmique et entrer soit dans une région ou un monde de béatitude et de connaissance, soit dans l'Éternel et Infini non manifesté.
La science, il est vrai, affirme aujourd'hui que l'existence terrestre est évolutive; mais si les faits qu'elle traite sont dignes de confiance, les généralisations qu'elle hasarde ont la vie 'courte. Elle s'y tient pendant quelques dizaines d'années, ou quelques siècles, puis elle passe à d'autres généralisations, à d'autres théories. C'est le cas même dans les sciences physiques, où les faits peuvent être rigoureusement constatés et vérifiés par l'expérience. En psychologie — qui a ici son mot à dire car l'évolution de la conscience entre en jeu —, l'instabilité de la science est plus grande encore ; elle passe d'une théorie à l'autre avant que la première ne soit bien fondée; il arrive même que plusieurs théories contradictoires soient en faveur simultanément. Aucun système métaphysique solide ne peut être érigé sur ces sables mouvants. L'hérédité, sur laquelle la science construit sa conception de l'évolution de la vie, est; s certainement une force, un procédé pour préserver telle quelle l'existence des types et des espèces ; mais lorsqu'elle cherche à démontrer que l'hérédité est aussi l'instrument d'une variation persistante et progressive, ses arguments sont des plus contestables. Sa tendance est conservatrice plutôt qu'évolutive et elle semble accepter avec difficulté tout caractère nouveau que la Force de Vie essaie de lui imposer. Tous les faits démontrent qu'un type peut varier dans le cadre des spécifications propres à sa nature, mais rien n'indique qu'il puisse aller au-delà. Il n'a pas encore été réellement établi que le singe se soit transformé en homme; il semblerait plutôt qu'un type ressemblant au singe, mais possédant dès l'abord ses caractères propres et non ceux du singe, se soit développé dans le cadre de ses propres tendances naturelles et soit devenu l'homme que nous connaissons, l'être humain actuel. Il n'est même pas établi que les races humaines moins évoluées aient donné naissance aux races plus évoluées. Celles qui avaient une organisation et des capacités inférieures, périrent, mais il n'est pas prouvé qu'elles aient laissé derrière elles, comme descendants, les races humaines d'aujourd'hui; on peut néanmoins imaginer un développement de ce genre à l'intérieur du type. Si l'on peut admettre que la Nature progresse depuis la Matière jusqu'à la Vie, et de la Vie jusqu'au Mental,
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il n'y a encore aucune preuve que la Matière se soit changée en Vie ou que l'énergie vitale se soit changée en énergie mentale ; tout ce que l'on peut admettre, c'est que la Vie s'est manifestée dans la Matière, et le Mental dans la Matière vivante. Il n'y a pas, en effet, de preuve suffisante qu'une espèce végétale quelconque se soit transformée en une existence animale, ou qu'un système de matière inanimée se soit transformé en un organisme vivant. Même si l'on découvrait un jour que dans certaines conditions chimiques ou autres, la vie fait son apparition, tout ce que cette coïncidence établirait, c'est que dans certaines circonstances physiques la vie se manifeste, et non pas que certaines conditions chimiques suffisent à constituer la vie, sont ses éléments ou la 'cause évolutive d'une transformation de; la matière inanimée en matière animée. Ici comme ailleurs, chaque degré d'être existe en lui-même et par lui-même, se manifeste selon son propre caractère, par sa propre énergie, et les niveaux au-dessus ou au-dessous ne sont pas des origines ou des conséquences, mais seulement d'autres degrés dans l'échelle continue de la nature terrestre.
Si .l'on demande alors comment toutes ces gradations et ces types être variés ont pris naissance, on peut répondre que, fondamentalement, ils furent manifestés dans la Matière par la Conscience-Force qui est en elle, par le pouvoir de l'Idée-Réelle construisant ses propres formes et types significatifs pour l'existence cosmique de l'Esprit intérieur; La méthode pratique ou physique peut varier considérablement suivant les différents états et degrés, quoiqu'on puisse distinguer une similarité fondamentale dans les grandes lignes; le Pouvoir créateur peut utiliser non pas un, mais de nombreux procédés, ou faire agir ensemble de nombreuses forces. Dans la Matière, le processus consiste à créer des particules infinitésimales chargées d'une immense énergie, qui s'associent suivant certaines configurations et certains nombres, puis à manifester de plus grandes particules à partir de -cette base initiale, et à les combiner et les associer toutes pour faire apparaître des objets sensibles : la terre, l'eau, les minéraux, les métaux, tout le règne de la matière. Dans la vie aussi, la Conscience-Force commence par des "formes infinitésimales de vie végétale et des animalcules infinitésimaux. Elle crée un protoplasme originel et le multiplie ; elle crée cette unité qu'est la cellule vivante ; elle crée d'autres types d'appareils biologiques minuscules, comme la graine ou le gène, utilisant tbujoùrs4a même méthode de groupement et d'association afin de
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construire des organismes vivants variés, par des opérations variées. On peut y voir la création constante de types, mais ce n'est pas une preuve indubitable de l'évolution. Les types sont parfois éloignés l'un de l'autre, parfois extrêmement similaires, parfois identiques dans leur base, mais différents dans les détails. Tous sont des modèles, et une telle diversité de modèles, tous dotés d'une base rudimentaire identique, est le signe qu'une Force consciente joue avec sa propre Idée et développé ainsi toutes sortes de possibilités de création. Les espèces animales, en venant au monde, peuvent commencer par une structure rudimentaire, embryonnaire ou fondamentale, semblable pour toutes; elles peuvent suivre jusqu'à un certain stade un développement similaire sur plusieurs lignes ou sur toutes. Il peut y avoir aussi des espèces qui ont une double nature, amphibies, intermédiaires entre un type et un autre. Mais tout cela ne signifie pas nécessairement que les types se soient développés l'un à partir de l'autre suivant une série évolutive. D'autres forces que les variations héréditaires ont provoqué l'apparition de caractères nouveaux, notamment des forces physiques telles que la nourriture, le rayonnement lumineux, que nous commençons seulement à connaître ; mais il y en a sûrement d'autres que nous ne connaissons pas encore ; des forces vitales invisibles et des forces psychologiques mal connues sont à l'œuvre. En effet, même la théorie physique de l'évolution doit admettre l'existence de ces pouvoirs plus subtils pour expliquer la sélection naturelle. Si l'énergie occulte ou subconsciente répond, dans certains types, aux besoins du milieu, et qu'en d'autres elle n'y répond pas et ne peut survivre, cela indique clairement la présence d'une énergie vitale et d'une psychologie variables; c'est le signe qu'une conscience et qu'une force autres que la force et la conscience physiques agissent et contribuent aux variations dans la Nature. Le problème que pose le mode opératoire comporte encore trop de facteurs obscurs et inconnus pour que toutes les constructions théoriques actuellement possibles soient définitives,
L'homme est un type parmi beaucoup d'autres qui ont été ainsi construits, un modèle parmi la multitude des modèles manifestés dans la Matière. Il est le plus complexe qui ait été créé, le plus riche par le contenu de sa conscience et la singulière ingéniosité de sa structure. Il est à la tête de la création terrestre, mais il ne la dépasse pas. Tout comme les autres, il a sa propre loi naturelle, ses limites, son type d'existence particulier, svabhâva, svadharma; il peut s'étendre et se développer dans ces limites, mais il ne peut pas en sortir; S'il doit atteindre une
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certaine perfection, c'est nécessairement une perfection dans son propre type, conforme à la loi propre de son être — en toute liberté, mais en respectant son mode et sa mesure, et non en les transcendant. Se dépasser, devenir le surhomme, assumer la nature et les pouvoirs d'un dieu serait; ..contraire à la loi de son être, ce serait impraticable et impossible. Chaque forme, chaque manière d'être possède une joie d'être particulière. Rechercher par le mental à maîtriser, utiliser son milieu et en jouir, dans la mesure où il en est capable, est le juste objectif de l'homme, l'être mental. Mais regarder au-delà, poursuivre un objectif ou un but ultérieur dans l'existence, aspirer à surpasser la stature mentale, c'est introduire dans l'existence un élément téléologique qui n'est pas visible dans la structure cosmique. Si un être supramental doit apparaître dans la création terrestre, il faudra que ce soit une manifestation nouvelle et indépendante. De même que la vie et le mental se sont manifestés dans la Matière, de même le supramental doit s'y manifester et l'Énergie-Consciente secrète doit créer les modèles nécessaires pour ce: .nouveau degré de ses pouvoirs. Mais on ne voit aucun signe d'une telle intention dans. les opérations delà Nature,
Si une création supérieure est prévue, ce n'est certainement pas à partir de l'homme que le degré, le type ou le modèle nouveau pourra se développer, car, dans ce cas, il existerait une race, une espèce ou une catégorie d'êtres humains qui posséderait déjà les premiers éléments du surhomme, tout comme l'être animal particulier qui s'est transformé en homme possédait déjà, ou contenait en puissance, les éléments essentiels de la nature humaine. Or, il n'existe pas de race, de genre ou de type semblables; tout au plus existe-t-il certains êtres mentaux spiritualisés qui cherchent à s'échapper de la création terrestre. Si par une loi occulte de la Nature une telle transformation de l'être humain en un être supramental était prévue, elle ne pourrait être accomplie que par un petit nombre d'individus qui se détacheraient de l'espèce pour former le premier fondement de ce nouveau type d'êtres. Rien ne laisse supposer que l'espèce tout entière parviendrait à cette perfection ; cette possibilité ne pourrait s'étendre à toutes les créatures humaines.
S'il est vrai que, dans la Nature, l'homme est issu de l'animal, nous ne voyons pourtant, chez aucun autre type animal, les signes d'une évolution qui le porte au-delà de lui-même. Par conséquent, si cette tension évolutive a existé dans le règne animal, elle a dû retomber au
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repos dès que l'homme est apparu, puisque son objectif était atteint. De même, si une tension analogue doit conduire à une nouvelle étape dans l'évolution, à un dépassement de soi, elle retombera probablement au repos dès que son objectif sera atteint, c'est-à-dire dès l'apparition de l'être supramental. Mais en réalité, une telle tendance n'existe pas ; l'idée même de progrès humain est très probablement une illusion, car rien n'indique qu'après avoir émergé du stade animal, l'homme, en tant que race, ait radicalement progressé au cours de son histoire. Tout au plus a-t-il avancé dans sa connaissance du monde physique, dans les sciences, dans ses rapports avec son milieu, dans son utilisation purement extérieure et utilitaire des lois secrètes de la Nature. Mais par ailleurs, il est resté ce qu'il a toujours été depuis l'aube de la civilisation ; il manifeste les mêmes capacités, les mêmes qualités, les mêmes défauts, il fait les mêmes efforts, commet les mêmes erreurs, parvient aux mêmes accomplissements, enregistre les mêmes échecs. Si progrès :il y a eu, c'est un progrès à l'intérieur d'un cercle — un cercle qui va peut-être s'élargissant, mais rien de plus. L'homme d'aujourd'hui n'est pas plus sage que les voyants, les sages et les penseurs d'autrefois ; il n'est pas plus spirituel que les grands chercheurs de jadis, les premiers et puissants mystiques ; il n'est pas supérieur, dans les arts et métiers, aux artistes et artisans de l'antiquité. Les vieilles races disparues firent preuve d'une originalité et d'une invention innées, d'une aptitude naturelle à faire face aux problèmes de la vie, et si l'homme moderne est allé un peu plus loin dans ce domaine, ce n'est pas parce qu'il a accompli un progrès essentiel, mais parce que ses capacités se sont développées, élargies, enrichies, et qu'il a hérité des accomplissements de ses prédécesseurs. Rien ne garantit qu'il se fraiera un jour un chemin hors de la demi-connaissance, demi-ignorance qui est la marque de son espèce, ou qu'il pourra jamais, même s'il acquiert une connaissance supérieure, briser et dépasser les ultimes frontières du cercle mental.
Il est tentant, et pas illogique, de voir dans la renaissance le moyen potentiel d'une évolution spirituelle, le facteur qui la rend possible, mais il n'est pas certain que telle soit sa signification — en admettant que la renaissance soit un fait. Dans toutes les anciennes théories, la réincarnation était considérée comme une constante transmigration de l'âme, qui passe d'un corps animal à un corps humain, mais aussi d'un corps humain à un corps animal. La conception indienne a apporté un élément nouveau, l'explication du Karma, les conséquences du bien .pli du mal
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qui a été accompli, les résultats produits par la volonté et les efforts passés ; mais rien ne suggérait une évolution progressive d'un type donné à un type supérieur, moins encore une naissance possible parmi les êtres d'une espèce qui n'a pas encore existé mais qui devrait apparaître dans l'avenir. S'il y a évolution, l'homme en est le dernier stade, parce que, grâce à lui, il devient possible de rejeter la vie terrestre ou corporelle et de s'évader en quelque ciel ou nirvana. Tel était l'aboutissement envisagé par les anciennes théories ; et puisque ce monde est fondamentalement et irrémédiablement un monde d'Ignorance — même si toute l'existence cosmique n'est pas, dans sa nature, un état d'Ignorance —, cette évasion a bien des chances d'être la fin véritable du cycle.
Ce raisonnement a une puissance et une importance considérables, et il était nécessaire de l'exposer — même trop brièvement, compte tenu de son importance -—, pour pouvoir y répondre. Si certaines de ses propositions sont valables, cette conception des choses n'est cependant pas complète et cette logique n'est pas probante. En premier lieu, nous pouvons sans grande difficulté nous débarrasser de l'objection faite à l'élément téléologique, introduit dans la structure de l'existence terrestre par l'idée d'une évolution prédéterminée depuis l'inconscience jusqu'à la supra-conscience, et par l'idée du développement d'un ordre ascendant d'êtres avec, à son sommet, le passage d'une vie dans l'Ignorance à une vie dans la Connaissance. L'objection à un cosmos téléologique peut se fonder sur deux arguments très différents : un raisonnement scientifique procédant de la supposition que tout est l'œuvre d'une Énergie inconsciente agissant automatiquement par un processus mécanique dépourvu de toute finalité ; et un raisonnement métaphysique qui procède de la perception que l'Infini, l'Universel, contient déjà toutes choses en lui-même. Il n'y a rien en lui d'inaccompli qu'il lui faille mener à son terme, rien à ajouter à son être, rien à exécuter, à réaliser, et, par conséquent, il ne saurait y avoir en lui aucun élément de progrès, aucun dessein originel ou ultérieur.
L'objection scientifique ou matérialiste perd sa validité S'dL existe une Conscience secrète dans ou derrière l'Énergie apparemment inconsciente dans la Matière. Même dans l'Inconscient, il semble y avoir au moins l'impulsion d'une nécessité inhérente, produisant l'évolution des formes, et dans ces formes, une Conscience qui se développe. On peut fort bien soutenir que cette impulsion est la volonté évolutive d'un Être
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conscient secret et que son élan vers une manifestation progressive est la preuve d'une intention innée dans l'évolution. C'est là un élément téléologique, et il n'est pas irrationnel de l'admettre, car la poussée consciente, ou même inconsciente, émane de la vérité d'un être conscient, vérité devenue dynamique et en voie d'accomplissement dans le processus automatique de la Nature matérielle. L'élément téléologique, la finalité de cette poussée est la traduction d'une Vérité de l'Être, qui agit spontanément, dans les termes du Pouvoir-de-Volonté de cet Être qui se réalise lui-même spontanément; par conséquent, la présence d'une conscience nécessite la présence d'un Pouvoir-de-Volonté, et une telle traduction est donc normale et inévitable. Une Vérité de l'être qui s'accomplit inévitablement serait le fait fondamental de l'évolution, mais la Volonté et son dessein doivent faire partie des moyens d'action et constituer un élément du principe opératoire.
L'objection métaphysique est plus sérieuse; car il semble évident que l'Absolu ne peut avoir d'autre but dans la manifestation que la joie de la manifestation elle-même. Tout mouvement évolutif faisant partie de la manifestation dans la Matière doit entrer dans le cadre de cet axiome universel; il ne peut exister que pour la joie du déploiement, de la réalisation progressive, d'une révélation de soi graduelle et sans objet. Une totalité universelle peut aussi être considérée comme une chose complète en soi ; étant totale, elle ne peut rien acquérir de plus, rien ajouter à la plénitude de son être. Mais ce monde matériel n'est pas une totalité intégrale; ce n'est qu'une partie d'un tout, un degré dans une gradation. Il peut donc admettre en lui-même, non seulement la présence de principes ou pouvoirs immatériels non développés qui appartiennent au tout et sont involués dans sa matière, mais il peut aussi laisser descendre en lui des pouvoirs identiques, provenant de degrés supérieurs du système, pour qu'ici-bas les mouvements de même nature soient délivrés de l'étroitesse des limitations matérielles. La manifestation de plus grands pouvoirs de l'Existence jusqu'à ce que l'Être lui-même soit tout entier manifesté dans le monde matériel, dans les termes d'une création plus haute, une création spirituelle, peut être considérée comme l'explication téléologique de l'évolution. Cette explication n'introduit aucun facteur qui n'appartienne déjà à la totalité ; elle propose seulement la réalisation de la totalité dans la partie. Il n'y a aucune raison de ne pas admettre un facteur téléologique dans un mouvement partiel de la totalité universelle, si celui-ci a pour. but
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— pas un but au 'siens où l'entendent l'es hommes, mais l'impulsion d'une nécessité intrinsèque de la Vérité, consciente dans la volonté de l'Esprit intérieur —, la manifestation parfaite de toutes les possibilités inhérentes au mouvement total. Sans nul doute, tout existe ici-bas pour la joie d'être, tout est un jeu ou une Lîlâ ; mais un jeu porte aussi en lui-même un but et, sans l'accomplissement de ce but, il n'aurait ni plénitude ni signification. Un drame sans dénouement est une possibilité artistique et peut exister seulement pour le plaisir d'observer les personnages, de poser des problèmes qui ne reçoivent jamais de solution, ou dont la solution demeure précaire, incertaine et toujours en suspens. On peut concevoir que le drame de l'évolution terrestre ait ce caractère ; mais un dénouement intentionnel ou prédéterminé en soi est également possible et plus convaincant. L'Ânanda est le principe secret de tout être et le soutien de toute activité de l'être; mais l'Ananda n'exclut pas la joie de l'élaboration d'une Vérité inhérente à l'être, immanente dans la Force ou la Volonté de l'être, soutenue dans la perception cachée de sa Si certaines" qui est l'agent exécutif dynamique de toute ses activités, et en connaît la signification.
Une théorie de l'évolution spirituelle et une théorie scientifique de l'évolution des formes et de l'évolution de la vie physique, sont deux choses différentes. La théorie spirituelle doit s'appuyer sur des arguments qui lui sont propres ; elle peut accepter l'explication scientifique de l'évolution physique comme un soutien ou un élément, mais' ce soutien ne lui est pas indispensable. La théorie scientifique s'intéresse seulement aux mécanismes et aux processus extérieurs et visibles, aux détails d'exécution par la Nature, au développement physique des choses dans la Matière, et à la loi du développement de la vie et du mental dans la Matière. De nouvelles découvertes peuvent l'amener à modifier sensiblement son explication du processus évolutif, ou même à l'abandonner complètement, mais cela n'affecte aucunement le fait évident d'une évolution spirituelle, d'une évolution de la Conscience, d'une manifestation progressive de l'âme dans l'existence matérielle. Sous sa forme extérieure, la théorie de l'évolution peut se résumer ainsi : dans la gradation de l'existence terrestre, il y a un développement de formes, de corps, une organisation de plus en plus complexe et efficace de la matière, de la vie dans la matière, et de la conscience dans la matière vivante ; dans cette gradation, mieux la forme est organisée et plus elle est susceptible d'abriter une vie et une conscience mieux organisées,
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plus complexes et plus efficaces, plus développées ou évoluées. Une fois que l'hypothèse de l'évolution a été formulée, et quand les faits qui la soutiennent ont été réunis, cet aspect de l'existence terrestre se révèle de façon si 'frappante qu'il nous paraît indiscutable. Le mécanisme précis par lequel ce processus s'accomplit, la généalogie exacte ou la succession chronologique des types d'être, est une question secondaire, bien qu'elle soit en elle-même intéressante et importante. Le développement d'une forme de vie à partir d'une forme précédente moins évoluée, la sélection naturelle, la lutte pour la vie, la transmission des caractères acquis, peuvent être ou ne pas être admis, mais le fait qu'une création s'effectue par étapes, suivant un plan, progressivement; est d'une importance capitale. Une autre conclusion évidente, c'est qu'un ordre de succession graduel s'impose dans l'évolution : d'abord l'évolution de la Matière, puis l'évolution de la Vie dans la Matière, ensuite l'évolution du Mental dans la Matière vivante, et, à ce dernier stade, une évolution animale suivie d'une évolution humaine. Les trois premiers termes de cette succession sont trop évidents pour être discutables. On peut se demander si l'homme a succédé à l'animal, ou s'il y a eu un développement initial simultané, l'homme devançant ensuite l'animal dans l'évolution mentale. On a même soutenu que l'espèce humaine n'est pas la dernière, mais bien la première et l'aînée des espèces animales. Cette idée d'une antériorité de l'homme date de l'antiquité, mais elle n'était pas universellement partagée ; elle est née du sentiment de la suprématie évidente de l'homme parmi les créatures terrestres, la dignité de cette suprématie semblant exiger une priorité de naissance. Mais en termes d'évolution, le supérieur ne précède pas l'inférieur, il le suit : le moins développé précède le plus développé et le prépare.
En fait, dans l'esprit des anciens, cette idée de l'antériorité des formes inférieures de la vie n'était pas complètement absente; À côté des récits mythiques de la création, nous trouvons déjà dans la pensée de l'Inde antique et de l'Inde médiévale des expressions qui suggèrent l'antériorité de l'animal sur l'homme dans la succession du temps, d'une manière qui s'accorde avec la conception moderne de l'évolution. Une Upanishad déclare que le Moi ou Esprit, après avoir décidé de créer la vie, forma d'abord des espèces animales comme la vache et le cheval; mais les dieux — qui, dans la pensée des Upanishad, sont des pouvoirs de la Conscience et des puissances de la Nature — trouvèrent que ces formes étaient des véhicules insuffisants, et finalement l'Esprit créa là
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forme humaine que les dieux trouvèrent excellemment faite et suffisante ; et ils y pénétrèrent pour accomplir leurs fonctions cosmiques. C'est une parabole limpide de la création de formes de plus en plus développées, jusqu'à ce qu'il s'en soit trouvé une capable d'abriter une conscience évoluée. Dans les Purâna il est dit que la création animale tâmasique fut la première dans le temps. Or tamas est le terme indien désignant le principe d'inertie dans la conscience et la force; une conscience engourdie, pesante et incompétente dans son jeu, est dite tâmasique; une force, une énergie vitale indolente et limitée dans ses capacités, qui est liée à un champ étroit d'impulsions instinctives, qui ne se développe pas et ne cherche pas autre chose, qui ne ressent pas le besoin d'une action dynamique plus vaste, ou d'une action plus lumineusement consciente, serait classée dans la même catégorie. L'animal, qui abrite cette force de conscience moins développée, est antérieur dans la création; la conscience humaine plus développée, qui contient une énergie mentale plus active et une perception plus lumineuse, est une création postérieure. Le Tantra parle des âmes déchues passant par plusieurs centaines de milliers d'existences dans les formes végétales et animales avant de pouvoir atteindre le niveau humain et d'être prêtes pour le salut. Ici encore nous retrouvons, sous-entendue, cette idée que les formes vivantes végétales et animales sont les degrés inférieurs d'une échelle, où l'humanité constitue le dernier, le plus haut développement de l'être conscient, la forme que l'âme doit habiter afin de pouvoir suivre un but spirituel et d'atteindre une délivrance spirituelle hors de l'existence mentale, vitale et physique. Telle est, en" fait, la conception habituelle, et elle s'impose si fortement à la raison comme à l'intuition, qu'elle n'a guère besoin d'être discutée ; la conclusion est presque inévitable.
C'est en gardant à l'esprit ce processus évolutif que nous devons considérer l'homme, son origine et sa première apparition, sa place dans la manifestation. Deux possibilités se présentent ici : ou bien il s'est produit une soudaine apparition du corps humain et de la conscience humaine dans la nature terrestre, une création brusque de la mentalité rationnelle dans le monde matériel, une manifestation indépendante et automatique survenant après une manifestation antérieure et analogue de formes vivantes subconscientes et de corps vivants conscients dans la Matière ; ou bien il s'est produit une évolution de l'humanité à partir de l'être animal, évolution lente, peut-être, dans sa préparation et les étapes de -son développement, mais marquée de soudaines transformations,
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de puissants bonds évolutifs aux points de transition décisifs. Cette dernière théorie ne soulève pas de difficulté, car il est certain que des changements de caractères dans le type — mais non des changements du type fondamental lui-même — peuvent se produire dans l'espèce ou le genre ; en fait, cela a déjà été réalisé par l'homme lui-même, et la science expérimentale, sur une petite échelle mais de façon saisissante, travaille à réaliser ces possibilités. On peut supposer à juste titre que l'Énergie secrètement consciente dans la Nature puisse effectuer, sur .une grande échelle, des opérations de ce genre et provoquer des changements considérables et décisifs, au moyen de ses propres règles créatrices. La condition nécessaire pour passer du caractère animal normal de l'existence au caractère humain, serait le développement d'une organisation physique qui rendrait possible une progression rapide, un renversement ou un retournement de la conscience, l'ascension vers une nouvelle hauteur d'où l'on pourrait contempler tous lès stades inférieurs, une élévation et un élargissement des capacités, et qui permettrait à l'être de reprendre les vieilles facultés animales avec une intelligence plus large et plus plastique, une intelligence humaine, et, en même temps ou plus tard, de développer des pouvoirs plus étendus et plus subtils, propres au nouveau type d'être, des pouvoirs de raison, de réflexion, d'observation complexe, d'invention, de pensée et de découverte organisées. S'il existe une Conscience-Force qui émerge, cette transition doit pouvoir se faire sans difficulté puisque l'instrument est disponible, si ce n'est la difficulté que posent l'obstruction et la résistance de l'Inconscience matérielle. L'animal possède déjà, sur une échelle limitée et pour l'action seulement, quelques-unes des facultés correspondantes, dans une organisation rudimentaire, primitive et simple, mais leur portée et leur plasticité sont très inférieures, et sa maîtrise plus restreinte et plus incertaine. Mais surtout, le fonctionnement de ces facultés est chez l'animal plus mécanique, moins délibéré ; il a le caractère automatique de l'Énergie de la Nature qui conduit l'action d'une conscience primitive, et non, comme chez l'homme, le caractère d'une Énergie consciente qui observe et, dans une large mesure, dirige et gouverne ses propres opérations et les change ou les modifie délibérément. Il y a d'autres habitudes de la conscience animale qui ne diffèrent pas fondamentalement des habitudes humaines ; l'homme n'avait plus qu'à les développer et les élargir à un niveau mental supérieur, et, là où c'était possible, à les mentaliser, les affiner, les rendre plus subtiles — bref, à leur apporter la lumière de sa compréhension nouvelle, de ses nouvelles facultés intellectuelles, et la capacité
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de se gouverner par la raison, dont l'animal est privé. Ce changement ou ce renversement une fois effectué, le pouvoir qu'a le mental humain d'agir sur lui-même et sur les choses, de créer, de savoir, de spéculer, pouvait se développer au cours de l'évolution, même si, comme on peut lé concevoir, ces facultés étaient, au début, de peu d'envergure, plus proches de l'animal, encore relativement simples et primitives dans leur action. Un tel renversement est intervenu à chaque transition radicale dans la Nature : ainsi la force de vie, quand elle émerge, se tourne vers la Matière et impose un contenu vital aux opérations de l'Énergie matérielle, tout en développant ses propres opérations et ses mouvements nouveaux ; puis le mental-de-la-vie émerge dans la force de vie et dans la Matière, et impose le contenu de sa conscience à leurs opérations, tout en développant aussi son action et ses facultés propres. Une émergence et un renversement nouveaux et plus grands, l'émergence de l'humanité, est en conformité avec les émergences précédentes dans la Nature; ce serait une application nouvelle du principe général.
Nous pouvons donc, sans difficulté, accepter cette théorie : son application est intelligible, alors que l'autre hypothèse présente des difficultés considérables. Du point de vue de la conscience, la nouvelle manifestation, la manifestation humaine, peut s'expliquer par le jaillissement de la Conscience cachée sortant de son involution dans la Nature universelle. Mais dans ce cas, il faut qu'elle ait trouvé, pour émerger, une forme matérielle existante qui lui serve de véhicule, celui-ci étant adapté, par la force de l'émergence elle-même, aux besoins d'une nouvelle création intérieure; à moins de supposer qu'une divergence rapide des types ou des modèles physiques antérieurs ait fait apparaître un être nouveau. Mais quelle que soit l'hypothèse adoptée, on en revient toujours à un processus évolutif; la différence n'est que dans la méthode et le mécanisme de la divergence ou de la transition. Ou bien il se peut qu'il y ait eu, au contraire, non un jaillissement de la Conscience involuée, mais une descente de la mentalité venant d'un plan mental au-dessus de nous, la descente, peut-être, d'une âme ou d'un être mental dans la Nature terrestre. La difficulté serait alors d'expliquer l'apparition du corps humain, organisme trop complexe et délicat pour avoir été créé ou manifesté soudainement; en effet, une opération si miraculeusement rapide — bien qu'elle soit possible sur un plan d'existence supraphysique — ne semble pas figurer parmi les possibilités ou les potentialités normales de l'Énergie matérielle. Cela ne pourrait se produire sur terre que par l'intervention d'une force supraphysique, ou
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d'une loi supraphysique de la Nature, ou par celle d'un Mental créateur agissant avec un plein pouvoir et directement sur la Matière. On peut admettre l'action d'une Force supraphysique et d'un créateur à chaque apparition nouvelle dans la Matière — et chacune de ces apparitions est au fond un miracle accompli par une Conscience secrète soutenue par une Énergie mentale ou une Énergie de vie voilée —, mais nulle part cette action ne paraît être directe, manifeste, indépendante; elle vient toujours s® surimposer à une base physique existante et élargir un processus naturel déjà établi. Il est plus facile de concevoir qu'un corps se soit ouvert à un influx supraphysique, et qu'il ait été transformé en un corps nouveau. On ne peut toutefois supposer à la légère qu'un tel événement se soit produit dans l'histoire passée de la Nature matérielle, car, pour se produire, il semblerait nécessaire qu'il y ait eu, soit l'intervention consciente d'un être mental invisible pour former le corps qu'il voulait habiter, soit le développement antérieur, dans la Matière elle-même, d'un être mental qui serait déjà capable de recevoir un pouvoir supraphysique et de l'imposer aux formes étroites et rigides de sa propre existence physique. Autrement, nous devons supposer qu'un corps préexistant était déjà suffisamment évolué et adapté pour recevoir un vaste influx mental, ou pour être capable de répondre avec souplesse à la descente en lui d'un être mental. Cela supposerait une évolution préalable du mental dans le corps jusqu'au moment où une telle réceptivité devient possible. On peut très bien concevoir qu'une telle évolution d'en bas et une telle descente d'en haut aient œuvré de concert pour l'apparition de l'homme dans la Nature terrestre. L'entité psychique secrète déjà présente dans l'animal pourrait avoir suscité la descente de l'être mental, le Purusha mental, dans le monde de la Matière vivante, afin qu'il se saisisse de l'énergie vitale-mentale déjà à l'œuvre et la porte jusqu'à un niveau mental supérieur. Mais ce serait encore un processus évolutif, le plan supérieur n'intervenant que pour aider à l'apparition et à l'élargissement de son propre principe dans la Nature terrestre.
On peut admettre ensuite que, une fois établi, chaque type ou modèle de conscience et d'existence dans un corps doive rester fidèle à la loi d'existence de ce type, au dessein et à la norme de sa propre nature. Mais il se peut très bien aussi que l'impulsion du dépassement de soi fasse partie de la loi du type humain, que les moyens d'une transition consciente aient été prévus parmi les pouvoirs spirituels de l'homme et que la possession d'une telle faculté fasses partie du plan d'après
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lequel l'Énergie créatrice a construit l'homme. Il est vrai que, jusqu'à présent, l'homme s'est presque toujours contenté d'agir à l'intérieur du cercle de sa nature, suivant la spirale d'un mouvement naturel, parfois descendant, parfois ascendant. Il n'y a pas eu de progrès en ligne droite, aucun dépassement indiscutable, fondamental ou radical de son ancienne nature ; tout ce qu'il a fait, c'est d'aiguiser, de raffiner, d'utiliser ses capacités d'une manière toujours plus souple et complexe. Pourtant, il ne serait pas juste non plus de dire que l'homme n'a pas progresse. depuis son apparition sur terre, ni au cours de son histoire récente et vérifiable. Si grands en effet qu'aient été les Anciens, si sublimes qu'aient été certaines de leurs réalisations et de leurs créations, si impressionnante qu'ait été la puissance de leur spiritualité, de leur intelligence ou de leur personnalité, on discerne dans les récents progrès de l'homme une subtilité et une complexité croissantes, un épanouissement multiforme de ses connaissances et de ses possibilités d'accomplissement, que ce soit dans le domaine politique ou social, dans la vie, la science, la métaphysique, les connaissances de toutes sortes, l'art, la littérature; et même dans son effort spirituel, moins étonnamment exalté et moins grandiose par sa puissance spirituelle que celui des Anciens, on remarque une subtilité, une plasticité plus grandes dans l'exploration des profondeurs et l'étendue de la recherche. Des chutes se sont produites, depuis les sommets d'une haute culture, des descentes temporaires et brutales dans un certain obscurantisme, des arrêts dans l'aspiration spirituelle, des plongées dans un matérialisme barbare primitif; mais ce sont là des phénomènes passagers, tout au plus des arcs descendants dans la spirale du progrès. Il est vrai que ce progrès n'a pas porté la race humaine au-delà d'elle-même, à un dépassement de soi, à une transformation de l'être mental. Mais il ne fallait pas s'y attendre ; car l'action de la Nature évolutive dans un type d'être et de conscience, consiste d'abord, précisément, à développer le type jusqu'au maximum de ses capacités, par un affinement et une complexité croissante, jusqu'à ce qu'il soit prêt pour que la Nature fasse éclater la coquille, qu'il soit mûr pour l'émergence décisive, le renversement, le retournement de la conscience sur elle-même qui marque une nouvelle étape dans l'évolution. Si l'on suppose que cette prochaine étape sera l'être spirituel et supramental, l'importance que l'humanité accorde à la spiritualité peut être considérée comme un signe que telle est bien l'intention de la Nature, le signe aussi que l'homme est capable d'opérer en lui-même la transition, ou d'aider à son accomplissement. Si la méthode suivie par l'évolution humaine a été de susciter
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dans l'être animal l'apparition d'un type voisin, sous certains aspects, de l'espèce singe, mais doté dès le début des attributs humains, la méthode évidente que suivra la Nature pour créer dans l'évolution un être spirituel et supramental consistera à produire dans l'être humain l'apparition d'un type spirituel ressemblant à l'humanité animale et mentale, mais marqué déjà du sceau de l'aspiration spirituelle.
On a suggéré pertinemment que si un tel sommet évolutif est prévu et que l'homme doive être le moyen de l'atteindre, seul un petit nombre d'êtres humains spécialement évolués formeront le nouveau type et progresseront vers la vie nouvelle. Ceci fait, le reste de l'humanité se laissera retomber de son aspiration spirituelle qui ne sera plus nécessaire pour le but de la Nature, et restera stationnaire, en son état humain normal. On peut aussi soutenir que l'échelon humain doit être maintenu si la réincarnation suppose effectivement une ascension de l'âme à travers les divers degrés de l'évolution jusqu'au sommet spirituel, car, autrement, le plus nécessaire des échelons intermédiaires manquerait. Convenons tout de suite qu'il n'y a pas la moindre probabilité, ni même la moindre possibilité, que l'espèce humaine tout entière s'élève en bloc jusqu'au niveau supramental. Nous ne suggérons rien d'aussi étonnant, d'aussi révolutionnaire, mais seulement la possibilité pour la mentalité humaine, quand elle aura atteint un certain niveau ou un certain point de tension dans son élan évolutif, de s'élancer vers un plan supérieur de conscience et de l'incarner dans l'être humain. Par cette incarnation, l'être subira nécessairement un changement par rapport à la constitution normale de sa nature, en tout cas un changement dans sa constitution mentale, émotive et sensorielle ; il se produira aussi un grand changement dans la conscience corporelle et dans le conditionnement physique de notre vie et de nos énergies. Mais le changement de la conscience sera le facteur principal, le mouvement initial, et la modification physique un facteur subordonné, une conséquence. Cette transmutation de la conscience demeurera toujours possible pour l'être humain si la flamme de l'âme, l'embrasement psychique, brûle puissamment dans le cœur et le mental, et si la nature est prête. L'aspiration spirituelle est innée chez l'homme ; car, à l'encontre de l'animal, il est conscient de ses imperfections et de ses limitations, il sent qu'il y a quelque chose à atteindre au-delà de ce qu'il est à présent; il est donc peu probable que cet élan qui le pousse à se dépasser lui-même s'éteigne jamais complètement dans l'espèce. Le niveau mental humain existera toujours, non pas comme un simple degré dans l'échelle des renaissances, mais comme une étape menant au niveau spirituel et supramental.
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On doit noter que l'apparition sur terre du mental et du corps humains marque une étape cruciale, un changement radical dans le cours et le processus de l'évolution; ce n'est pas simplement la continuation des vieilles lignes de développement. Jusqu'à l'apparition dans la Matière d'un mental pensant développé, l'évolution s'est effectuée, non par une aspiration, une intention, une volonté ou une recherche conscientes dans l'être vivant, mais subconsciemment ou subliminalement par le jeu automatique de la Nature. Il en fut ainsi parce que l'évolution a commencé dans l'Inconscience et que la Conscience secrète n'en avait pas suffisamment émergé pour agir avec la participation consciente de la volonté individuelle dans la créature vivante. Mais avec l'homme, le changement nécessaire a été accompli, l'être, .est éveillé et, conscient de lui-même ; dans le Mental s'est manifestée sa volonté de se développer, de croître en connaissance, d'approfondir l'existence intérieure et d'élargir l'existence extérieure, d'augmenter ses capacités naturelles. L'homme a vu qu'il peut exister un état,de conscience supérieur au sien; le feu évolutif est là, dans les parties mentales et vitales de son être ; l'aspiration au dépassement de soi est libérée et distincte au-dedans de lui — car il est devenu conscient d'une âme, il a découvert le moi et l'esprit. Ainsi, avec lui, le passage d'une évolution subconsciente à une évolution consciente est devenu concevable et réalisable; on peut donc en conclure que l'aspiration, l'élan, l'effort persistant qui l'animent sont un signe certain que la volonté de la Nature tend vers un mode d'accomplissement plus élevé, vers l'émergence d'un statut supérieur.
Au cours des étapes précédentes de l'évolution, le premier soin et le premier effort de la Nature devaient porter sur .un changement dans l'organisation physique, car c'est seulement ainsi que pouvait se produire un changement de conscience ; cette nécessité était imposée par le fait que la force de la conscience déjà formée était insuffisante pour effectuer un changement dans le corps. Mais avec l'homme un renversement devient possible ; il est même inévitable. C'est par sa conscience, en effet, par la transmutation de sa conscience, et non plus par un nouvel organisme corporel comme premier instrument, que l'évolution peut et doit s'effectuer. Dans la réalité intérieure des choses, le changement de conscience a toujours été le fait majeur. L'évolution a toujours eu une signification spirituelle et le changement physique a seulement servi d'instrument; mais cette relation était tout d'abord cachée par l'équilibre anormal des deux facteurs, le corps de l'inconscience extérieure dépassant en
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importance et obscurcissant l'élément spirituel, l'être conscient. Mais dès que cet équilibre est rectifié, ce n'est plus le changement du corps qui doit précéder le changement de conscience, c'est la conscience elle-même qui, par sa mutation, imposera et opérera toute mutation nécessaire au corps. Le mental humain, notons-le, a déjà prouvé qu'il pouvait aider la Nature dans l'évolution de nouveaux types de plantes et d'animaux. L'homme a créé de nouvelles formes dans son milieu; par la connaissance et la discipline, il a suscité des changements considérables dans sa propre mentalité. Il n'est pas impossible que, dans son évolution propre et sa propre transformation spirituelle et physique, l'homme apporte aussi une aide consciente à la Nature. Cette impulsion est déjà présente et partiellement efficace, bien qu'elle soit encore imparfaitement comprise et acceptée par le mental de surface ; mais un jour le mental pourra comprendre, aller plus profondément en lui-même et découvrir le moyen, l'énergie secrète, l'opération intentionnelle de la Conscience-Force intérieure qui est la réalité cachée de ce que nous appelons la Nature.
On peut arriver à de telles conclusions par la simple observation des phénomènes extérieurs de la Nature et de sa progression, l'évolution superficielle de l'être et de la conscience au moyen de la naissance physique et du corps. Mais il y a l'autre facteur, l'invisible; il y a la renaissance, le progrès de l'âme qui gravit les degrés d'une existence évolutive et, à chaque degré, trouve des instruments corporels et mentaux toujours plus perfectionnés. Dans cette progression, l'entité psychique est encore voilée — même chez l'homme, l'être mental conscient — par ses instruments, le mental, la vie et le corps. Elle n'est pas capable de se manifester pleinement, car elle est comme empêchée de venir au premier plan où elle pourrait se révéler maîtresse de sa nature ; elle est obligée de se soumettre à une certaine détermination que lui imposent ses instruments, à une domination de Purusha par la Maison l'homme, l'élément psychique de la personnalité est capable de se développer avec une rapidité beaucoup plus grande que chez les créatures inférieures, et un moment peut venir où l'entité psychique est prête à émerger de derrière le voile, au grand jour, et de gouverner ses instruments dans la Nature. Mais cela signifiera que l'esprit secret intérieur, le Daïmôn, le Divin au-dedans est sur le point d'émerger; et quand il émergera, il exigera sans aucun doute une existence plus divine et plus spirituelle, comme il l'exige déjà dans le mental lui-même quand celui-ci subit l'influence psychique intérieure. Dans la nature de
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la vie terrestre où le mental est un instrument de l'Ignorance, cette transformation ne peut être effectuée que par un changement de conscience, par le passage d'une vie fondée sur l'Ignorance à une vie fondée sur la Connaissance, d'une conscience mentale à une conscience supramentale, et à un usage supramental des instruments de la Nature.
Prétendre que dans notre monde d'Ignorance, une telle transformation ne peut s'accomplir qu'en passant dans un ciel au-delà, ou qu'elfe rie peut pas s'accomplir du tout et que les exigences de l'entité psychique sont elles-mêmes ignorantes et doivent faire place à une immersion de l'âme dans l'Absolu, est un raisonnement sans valeur concluante. Cette conclusion ne pourrait être valable que si l'Ignorance constituait toute la signification, toute la substance et tout le pouvoir de la manifestation universelle, ou bien s'il n'existait dans la Nature universelle elle-même aucun élément permettant de dépasser la mentalité ignorante qui alourdit encore le présent statut de notre être. Mais l'Ignorance ne constitue qu'une partie de cette Nature universelle, elle n'en est ni la totalité, ni la puissance originelle, ni la créatrice. En son origine suprême, l'Ignorance est une Connaissance qui se limite elle-même, et même en son origine inférieure, lorsqu'elle émerge de la pure Inconscience matérielle, c'est une Conscience réprimée qui travaille à se retrouver, à se recouvrer, à manifester la Connaissance qui est sa vraie nature, pour en faire le fondement de l'existence. Dans le Mental universel lui-même, il existe au-dessus de 'notre mentalité des régions' qui sont les instruments de la cognition cosmique de la vérité, et l'être mental peut certainement s'élever jusqu'à elles; car il s'en approche déjà dans certains états supranormaux, ou en reçoit, mais sans les reconnaître ni les posséder encore, des intuitions, des messages spirituels, un vaste influx d'illumination ou de pouvoir spirituel. Toutes ces régions sont conscientes de ce qui s'élève au-delà, et la plus haute d'entre elles est directement ouverte au Supramental et perçoit la Conscience-de-Vérité qui la dépasse. De plus, dans l'être en évolution lui-même, ces pouvoirs supérieurs de conscience sont présents, soutenant la vérité mentale et servant de base à son action qui les voile. Ce Supramental et ces pouvoirs de Vérité soutiennent la Nature par leur présence secrète; la vérité mentale elle-même en est le résultat, une opération amoindrie, une représentation sous des formes partielles. Par conséquent, il est non seulement naturel, mais il semble inévitable que ces pouvoirs supérieurs de l'Existence se manifestent ici dans le Mental, comme le Mental lui-même s'est manifesté dans la Vie et la Matière.
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L'élan de l'homme vers la spiritualité est une poussée intérieure de l'esprit qui est en lui et veut émerger; c'est une exigence de la Conscience-Force de l'être qui presse vers une nouvelle étape de sa manifestation. Certes, l'élan spirituel s'est principalement tourné vers un autre monde ou, sous sa forme extrême, vers la négation et l'anéantissement spirituels de l'individu mental; mais ce n'est qu'une de ses tendances, qui s'est maintenue et imposée par la nécessité de sortir du domaine de l'Inconscience fondamentale, de surmonter l'obstacle du corps, de rejeter le vital obscur, de se débarrasser du mental ignorant, par la nécessité d'atteindre d'abord et avant tout un statut spirituel, en rejetant tout ce qui entrave l'être spirituel. L'autre tendance, l'aspect dynamique de l'élan spirituel n'a pas fait défaut : l'aspiration vers la maîtrise et la transformation spirituelles de la Nature, vers une perfection spirituelle de l'être, une divinisation du mental, du cœur et du corps lui-même. Il y a même eu le rêve ou la prescience psychique d'un accomplissement dépassant la transformation individuelle, d'une nouvelle terre et de nouveaux cieux, d'une cité de Dieu, d'une descente divine sur la terre, d'un règne des êtres spirituellement parfaits, d'un royaume de Dieu non seulement au-dedans de nous, mais au-dehors, dans une vie humaine collective. Il est vrai que cette aspiration a parfois revêtu des formes plutôt obscures, mais on y voit la preuve indiscutable que l'être intérieur occulte et spirituel aspire à émerger dans la Nature terrestre.
Si un épanouissement spirituel sur la terre es,t la vérité cachée de notre naissance dans la Matière, si c'est fondamentalement une évolution de la conscience qui a pris place dans la Nature, alors l'homme, tel qu'il est, ne peut être le dernier terme de cette évolution. Il est une expression trop imparfaite de l'esprit ; le mental lui-même est une forme et un instrument trop limités, il est seulement un terme intermédiaire de la conscience ; l'être mental n'est qu'un être de transition. Par conséquent, si l'homme est incapable de dépasser le mental, il sera lui-même dépassé ; le supramental et le surhomme se manifesteront et prendront la tête de la création. Mais si son mental est capable de s'ouvrir à ce qui le dépasse, alors il n'y a aucune raison que l'homme lui-même ne puisse atteindre au supramental et à la surhumanité, ou, tout au moins, ne prête son mental, sa vie et son corps à l'évolution de ce terme plus grand de l'Esprit et à. sa manifestation dans la Nature.
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