La Vie Divine 1153 pages 2005 Edition
French Translation
  Cristof Alward-Pitoëff

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Sri Aurobindo's principal work of philosophy and metaphysics, expounding a vision of spiritual evolution culminating in the transformation of man from a mental into a supramental being and the advent of a divine life upon earth.

La Vie Divine

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Sri Aurobindo

Sri Aurobindo's principal work of philosophy and metaphysics. In this book, Sri Aurobindo expounds a vision of spiritual evolution culminating in the transformation of man from a mental into a supramental being and the advent of a divine life upon earth. The material first appeared as a series of essays published in the monthly review Arya between 1914 and 1919. They were revised by Sri Aurobindo in 1939 and 1940 for publication as a book.

Sri Aurobindo Birth Centenary Library (SABCL) The Life Divine Vols. 18,19 1070 pages 1970 Edition
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Sri Aurobindo's principal work of philosophy and metaphysics. In this book, Sri Aurobindo expounds a vision of spiritual evolution culminating in the transformation of man from a mental into a supramental being and the advent of a divine life upon earth. The material first appeared as a series of essays published in the monthly review Arya between 1914 and 1919. They were revised by Sri Aurobindo in 1939 and 1940 for publication as a book.

French Translations of books by Sri Aurobindo La Vie Divine 1153 pages 2005 Edition
French Translation
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L'ordre des mondes

Sept sont les mondes en lesquels se meuvent les forées de vie cachées dans le cœur secret qui est leur demeure sept par sept.

 Mundaka Upanishad. II. 1. 8.

Puissent les Peuples aux Cinq Naissances accepter mon sacrifice, eux qui sont nés de la Lumière et sont dignes d'être adorés; puisse la Terre nous protéger du mal terrestre, et la Région-du-Milieu de la calamité des dieux. Suivez le fil brillant dévidé à travers le monde du milieu, protégez les sentiers lumineux construits par la pensée, créez la race divine (...). Vous êtes les voyants de la vérité, aiguisez les lances brillantes avec lesquelles vous frayez le chemin vers ce qui est Immortel; connaissants des plans secrets, formez-les, les marches par lesquelles les dieux ont atteint à l'immortalité.

Rig-Véda. X. 53. 5,6,10.

C'est l'Arbre éternel dont les racines sont en haut et les branches tournées vers le bas; c'est le Brahman, c'est l'Immortel; en lui demeurent tous les mondes, et nul ne va au-delà. Ceci et Cela sont un.

Katha Upanishad. II. 3.1.

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Si l'on admet une évolution spirituelle de la conscience dans le monde matériel et une renaissance constante ou récurrente de l'individu dans un corps terrestre, la question qui se pose ensuite est de savoir si ce mouvement évolutif est isolé et complet en soi ou s'il fait partie d'une totalité universelle plus vaste dont le monde matériel n'est qu'une province. La réponse à cette question est déjà contenue dans les gradations de l'involution qui précèdent l'évolution et la rendent possible ; en effet, si cette antériorité est un fait, il doit exister des mondes, ou tout au moins des plans d'être supérieur, qui ont nécessairement un certain rapport avec l'évolution que leur existence a rendue possible. Peut-être ne font-ils que libérer pour nous, par leur présence effective ou leur pression sur la conscience terrestre, les principes involués de la vie, du mental et de l'esprit, pour qu'ils puissent se manifester et affirmer leur règne dans la Nature matérielle. Mais il serait hautement improbable que ce rapport et cette intervention s'arrêtent là; il existe vraisemblablement un échange soutenu, fût-il voilé, entre la vie matérielle et la vie des autres plans d'existence. Il est maintenant nécessaire d'examiner le problème de plus près, de le considérer en lui-même et déterminer la nature et les limites de ce rapport et de; cette communication, dans la mesure où ils influent sur la théorie de l'évolution et de la renaissance dans la Nature matérielle.

La descente de l'Âme dans l'Ignorance peut être conçue comme la précipitation abrupte ou la chute directe d'un pur être spirituel hors de la Réalité spirituelle supraconsciente en l'inconscience première et en la vie phénoménale évolutive subséquente de la Nature matérielle. Dans ce cas, nous aurions un Absolu au-dessus et un Inconscient au-dessous, et le monde matériel auquel il a donné naissance ; l'issue, le retour serait alors un transit analogue, abrupt ou précipité, le passage d'un être cosmique matériel incarné dans le Silence transcendant. Il .n'y aurait pas de pouvoirs ou de réalités intermédiaires autres que la Matière et

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l'Esprit, pas d'autres plans que le plan matériel, pas d'autres mondes que le monde de la Matière. Mais cette idée est une construction trop catégorique et trop simpliste, et elle ne survit pas à l'élargissement de notre vision de la nature complexe de l'existence.

Il y a certes plusieurs origines possibles de l'existence cosmique, et il est concevable qu'elles aient pu engendrer un équilibre du monde aussi extrême et rigide. Une conception pareille, et le fiât d'une Toute-Volonté, ou une idée, un mouvement de l'âme vers une vie matérielle égoïste dans l'Ignorance, ont peut-être existé. On peut supposer que l'âme individuelle éternelle, poussée par quelque inexplicable désir surgissant en elle, sait cherché l'aventure de l'obscurité et plongé depuis, sa Lumière native dans les profondeurs d'une Nescience d'où a émergé ce monde de l'Ignorance; cette aspiration peut avoir jailli d'une collectivité d'âmes, du Multiple : car un être individuel ne peut constituer un cosmos ; un cosmos doit être ou bien impersonnel, ou bien multipersonnel, ou encore être la création ou l'expression de soi d'un Être universel ou infini. Ce désir a pu susciter en même temps la descente d'une Toute-Âme, pour qu'elle construise un monde fondé sur le pouvoir de l'Inconscient. Ou alors, la Toute-Âme éternellement omnisciente a pu d'elle-même plonger abruptement sa connaissance de soi dans ces ténèbres de l'Inconscience, portant en elle les âmes individuelles pour qu'elles commencent leur évolution ascendante en suivant les degrés de plus en plus élevés de la vie et de la conscience. Ou encore, si l'individu n'est pas préexistant, si nous ne sommes qu'une création de la Toute-Conscience ou qu'une fiction de l'Ignorance phénoménale, l'une ou l'autre créatrice a pu concevoir toutes ces myriades d'êtres individuels par l'évolution de noms et de formes issus d'une Prakriti originelle indiscriminée ; l'âme serait un produit temporaire tiré du matériau indistinct de la substance-force inconsciente qui constitue la première apparence des choses dans l'univers matériel.

Dans cette hypothèse, comme dans les autres, il ne pourrait y avoir que deux pians d'existence : d'une part, l'univers matériel créé à partir de l'Inconscient par la nescience aveugle d'une Force ou d'une Nature obéissant peut-être à quelque Moi intérieur, qu'elle ne sent pas mais qui dirige ses activités somnambuliques ; d'autre part, l'Un supraconscient auquel nous retournons en sortant de l'Inconscience et de l'Ignorance. Ou bien nous pouvons imaginer qu'il n'y a qu'un seul plan, celui de l'existence matérielle, qu'il n'y a pas de supraconscient, si ce n'est l'Âme

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de l'univers matériel. Mais si nous découvrions qu'il existe d'autres plans d'être conscient, et déjà d'autres mondes que l'univers matériel, alors ces idées s'avéreraient difficiles à prouver; il est cependant possible d'échapper à la difficulté en supposant que ces mondes ont été créés ultérieurement par l'âme en évolution, ou pour elle, au cours de son ascension hors de l'Inconscience. Dans toutes ces conceptions, le cosmos entier serait une évolution hors de l'Inconscient, soit avec l'univers matériel comme étape ou comme scène uniques et suffisantes, soit avec une gradation ascendante de mondes, l'un évoluant à partir de l'autre, pour favoriser notre retour graduel à la Réalité originelle. Dans notre vision, telle que nous l'avons exposée dans les chapitres précédents, le cosmos est une évolution — qui a fixé elle-même ses étapes — hors du Satchidânanda supraconscient, alors que ces autres conceptions  n'y voient qu'une évolution de l'Inconscience vers une certaine connaissance suffisante pour permettre, en abolissant quelque ignorance primordiale ou quelque désir originel, l'extinction d'une âme illégitime, ou un moyen d'échapper à une aventure cosmique qui aurait fait fausse route.

Ces théories accordent néanmoins une importance capitale et un pouvoir créateur au mental, ou une importance capitale à l'individu; certes, tous deux jouent un grand rôle, mais c'est l'Esprit unique et éternel qui est l'existence et le pouvoir originels. L'Idée conceptuellement créatrice — pas l'Idée-Réelle, qui est l'Être conscient de ce qui est en lui et se crée lui-même automatiquement par la force de cette conscience de la Vérité —, est un mouvement du mental ; le désir est un mouvement de la vie dans le mental ; la vie et le mental doivent donc être des pouvoirs préexistants qui ont déterminé la création du monde matériel et, dans ce cas, il est également en leur pouvoir de créer des mondes ayant une même nature supraphysique. Sinon, nous devons supposer que ce qui a agi, n'était pas le désir dans un Mental ou une Vie individuels ou universels, mais une volonté en l'Esprit — une volonté de l'Être déployant quelque chose de lui-même ou de sa Conscience, réalisant une idée créatrice ou une connaissance de soi ou un élan de sa Force spontanément active, ou une tendance à formuler d'une certaine manière sa joie d'être. Mais si le monde a été créé, non par la Joie d'être universelle, mais pour le désir de l'âme individuelle, pour le caprice d'une jouissance égoïste et ignorante, alors l'Individu mental, et non l'Être cosmique ou une Divinité transcendante, doit être le créateur et le témoin de l'univers. Jadis, la pensée humaine accordait le plus souvent à l'être individuel une place de

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premier plan dans l'ordre du monde, une importance suprême. Si l'on; pouvait encore lui conserver cette place et cette valeur, une telle origine serait concevable. Dans le Purusha individuel, en effet, une volonté de vivre la vie de l'Ignorance, ou le fait d'y consentir, font nécessairement partie du mouvement de Conscience qui est à l'œuvre au cours de la descente involutive de l'Esprit dans la Nature matérielle. Mais le monde ne peut être une création du mental individuel ou un théâtre que celui-ci aurait érigé pour le jeu de sa propre conscience. Il ne peut, non plus, avoir été créé uniquement pour le jeu et la satisfaction, ou la désillusion de l'ego. Quand nous commençons à percevoir l'importance primordiale de l'universel et voyons à quel point l'individu en dépend, une théorie de ce genre devient impossible à concevoir. Le monde est trop vaste en son mouvement pour qu'une telle explication de son fonctionnement soit crédible ; seul un Pouvoir cosmique, ou un Être cosmique, peut être le créateur et le soutien du cosmos, et il doit avoir aussi une réalité, un sens et un dessein cosmiques et pas seulement individuels.

Par conséquent, cet Individu qui crée le monde ou y participe, ainsi que son désir ou son consentement à l'Ignorance, doivent avoir été éveillés avant même que le monde n'ait existé; ils devaient être là, comme éléments d'un Supraconscient supracosmique d'où ils proviennent et où ils retournent en quittant la vie de l'ego. Nous devons donc supposer une immanence originelle du Multiple dans l'Un. On peut alors concevoir qu'une volonté, ou une impulsion, ou une nécessité spirituelle ait pu vibrer en quelque Infini trans-mondain, en certains des Multiples, les précipitant vers le bas et rendant inéluctable la création de ce monde de l'Ignorance. Mais puisque l'Un est le fait premier de l'existence, et puisque les Multiples dépendent de l'Un, sont des âmes de l'Un, des êtres de l'Être, cette vérité doit également déterminer le principe fondamental de l'existence cosmique. Là, nous voyons que l'universel précède l'individu, lui donne son champ, est:ce en quoi il existe cosmiquement, bien que son origine soit dans la Transcendance. L'âme individuelle vit ici par la grâce de la Toute-Âme et dépend d'elle ; il est bien évident que la Toute-Âme n'existe pas par la grâce de l'âme individuelle et ne dépend pas d'elle : elle n'est pas une somme d'êtres individuels, une totalité plurielle créée par la vie consciente des individus. Si une Toute-Âme existe, elle doit être l'Esprit cosmique unique qui soutient l'unique Force cosmique en ses œuvres et reproduit ici, modifiée selon les termes de l'existence cosmique, la relation primordiale de

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dépendance entre l'Un et le Multiple. Il est inconcevable que les Multiples, indépendamment ou en se dissociant de l'Unique Volonté, aient désiré l'existence cosmique et, par leur désir, aient contraint le suprême Satchidânanda à descendre contre son gré, ou par indulgence, dans la Nescience; ce serait inverser totalement le vrai rapport de dépendance entre les choses. Si le monde est directement issu de la volonté ou de l'impulsion spirituelle des Multiples, ce qui est possible, et même probable dans un certain sens, il faut bien qu'à l'origine/une Volonté en Satchidânanda ait agi à cette fin; autrement, l'impulsion qui traduit ici la Toute-Volonté en désir — car ce qui devient désir dans l'ego est Volonté dans l'Esprit —, n'aurait jamais pu émerger nulle part. L'Un, la Toute-Âme, qui seul détermine la conscience de l'Individu, doit d'abord accepter le voile de la Nature inconsciente avant que l'Individu puisse, lui aussi, se recouvrir du voile de l'Ignorance dans l'univers matériel.

Mais une fois admis que cette Volonté de l'Être suprême et cosmique est la condition indispensable de l'existence de l'univers matériel, il n'est plus possible de faire du Désir le principe créateur, car le désir n'a pas de place dans le Suprême ou dans le Tout-Être. Il n'y a rien que le Suprême puisse désirer, le désir provenant d'une incomplétude, d'une insuffisance, du fait que l'on ne possède pas une chose que l'être veut posséder, qu'on ne jouit pas de ce dont il veut jouir. Un Être suprême 'et universel peut goûter le délice de sa toute-existence, mais le désir est nécessairement étranger à ce délice — il ne peut être l'apanage que de l'ego évolutif incomplet, qui est un produit de l'action cosmique. En Outre, si la Toute-Conscience de l'Esprit a voulu plonger dans l'inconscience de la Matière, ce devait être une possibilité de sa création de soi" de sa manifestation. Cependant, un seul univers matériel et, dans cet univers, une évolution hors de l'inconscience jusqu'en la conscience spirituelle, ne peuvent constituer l'unique possibilité, restreinte et isolée, de manifestation du Tout-Être. Ce serait le cas si la Matière était le pouvoir et la forme originels de l'être manifesté et si l'esprit n'avait pas d'autre choix, ne pouvait se manifester qu'à travers l'Inconscience et dans la Matière qui lui sert de base. Cela nous conduirait à un panthéisme matérialiste et évolutif; il nous faudrait considérer les êtres qui peuplent l'univers comme des âmes de l'Un, des âmes nées en Lui sur la terre, et qui, au cours d'une évolution ascendante, passeraient par des formes inanimées, animées et mentalement développées jusqu'à recouvrer leur vie complète et indivise en le Panthéos supraconscient et en son Unité cosmique, qui

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représenterait l'aboutissement et le but de leur évolution. Cela supposerait que tout a évolué sur la terre : la vie, le mental, l'âme ont émergé de l'Un dans l'univers matériel par la force de son être caché, et tout s'accomplira ici, dans l'univers matériel. Il n'y a donc pas de plan séparé de la Supraconscience, car le Supraconscient existe seulement ici-bas, et pas ailleurs ; il n'y a pas de mondes supraphysiques, pas d'action de principes supraphysiques extérieurs à la Matière, pas de pression qu'un Mental ou une Vie pré-existants exerceraient sur le plan matériel.

On doit alors se demander ce que sont le mental et la vie, et l'on peut répondre que ce sont des produits de la Matière ou de l'Énergie dans la Matière; ou bien que ce sont des formes de conscience dont l'apparition est le résultat d'une évolution de l'Inconscience jusqu'à la Supraconscience. La conscience elle-même n'est qu'un pont, une transition. Elle est l'Esprit qui devient partiellement conscient de lui-même avant de plonger en sa transe de Supraconscience lumineuse qui est son état normal. Même s'il s'avérait qu'il existe des plans d'une vie et d'un mental plus vastes, ce ne seraient que des constructions subjectives de cette conscience intermédiaire édifiées sur le chemin qui mène à la culmination spirituelle. Mais la difficulté, ici, est que le mental et la vie diffèrent trop de la Matière pour en être les produits. La Matière elle-même est un produit de l'Énergie et l'on doit considérer le mental et la vie comme des produits supérieurs de la même Énergie. Si nous admettons l'existence d'un Esprit cosmique, l'Énergie doit être spirituelle ; la vie et le mental doivent être des produits indépendants d'une énergie spirituelle, et être eux-mêmes des pouvoirs de manifestation de l'Esprit; Il devient dès lors irrationnel de supposer que l'Esprit et la Matière seuls existent, qu'ils sont les deux réalités face à face et que la Matière est la seule base possible pour la manifestation de l'Esprit. L'idée qu'il existe un seul monde matériel devient aussitôt indéfendable. L'Esprit doit être capable de fonder sa manifestation sur le principe du Mental ou sur celui de la Vie, et pas seulement sur celui de la Matière. L'existence de mondes du Mental et de mondes de la Vie est donc possible, et même logique. Il se peut même qu'il existe des mondes fondés sur un principe matériel plus subtil, plus plastique et plus conscient.

Trois questions surgissent alors, qui sont reliées, interdépendantes : n'y a-t-il rien qui prouve ou suggère véritablement l'existence de ces autres ; mondes ? Et s'ils existent, ont-ils le; caractère que nous avons

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indiqué, s'élevant ou descendant dans l'ordre et suivant la logique d'une série hiérarchique entre la Matière et l'Esprit ? Enfin, si c'est là l'échelle de leur être, sont-ils par ailleurs tout à fait indépendants et déconnectés, ou les mondes supérieurs ont-ils une relation avec le monde de la Matière et une action sur lui ? C'est un fait que, presque depuis le début de son existence ou aussi loin que puisse remonter l'Histoire ou la tradition, l'humanité a cru en l'existence d'autres mondes et en la possibilité d'une communication entre leurs pouvoirs et leurs êtres, et la race humaine. Durant le dernier âge rationaliste de la pensée humaine dont nous commençons à émerger, cette croyance, considérée comme une vieille superstition, a été balayée; toute preuve, et toute suggestion tendant à établir sa vérité, ont été rejetés a priori comme fondamentalement faux et ne méritant même pas d'être examinés, parce qu'incompatibles avec la vérité axiomatique qui veut que seuls la Matière, le monde matériel et ses expériences, soient réels ; toute autre expérience prétendument, réelle ne peut être qu'une hallucination, une imposture ou la conséquence subjective d'une imagination ou d'une crédulité superstitieuses; ou si elle existe réellement, elle n'est pas ce pour quoi elle se fait passer et peut s'expliquer par une cause physique. On ne pourrait accepter aucune preuve d'un pareil fait, à moins qu'elle n'ait un caractère objectif et physique. Même si le fait est très manifestement supraphysique, on ne peut l'accepter comme tel, à moins qu'il ne soit totalement inexplicable selon toute autre hypothèse imaginable ou toute autre conjecture concevable.

 Il devrait être évident qu'il est irrationnel et illogique d'exiger une -preuve physique valable d'un fait supraphysique; c'est une attitude inconséquente du mental physique qui suppose que seul l'objectif, le physique est fondamentalement réel, tout le reste étant écarté comme purement subjectif. Un fait supraphysique peut empiéter sur le monde physique et produire des résultats physiques ; il peut même produire un effet sur nos sens physiques et leur devenir évident, mais ce ne peut être son action invariable et son caractère ou son processus le plus normal. Il doit généralement produire un effet direct ou une impression tangible sur notre mental et notre être vital, qui sont de même nature, et ce n'est qu'indirectement et par leur intermédiaire qu'il peut, éventuellement, influencer le monde et la vie physiques. S'il s'objective, ce doit être pour un sens plus subtil en nous, et seulement de façon dérivée pour les sens physiques extérieurs. Cette objectivation dérivée est certainement

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possible ; s'il y a une association entre l'action du corps subtil et son organisation sensorielle, d'une part, et l'action du corps matériel et ses organes physiques d'autre part, alors le supraphysique peut nous devenir extérieurement perceptible. Cela se produit, par exemple, avec la faculté de double vue, et c'est le processus propre à tous les phénomènes psychiques que les sens extérieurs paraissent voir et entendre et qui ne sont pas perçus intérieurement au moyen d'images représentatives, interprétatives ou symboliques portant la marque d'une expérience intérieure, ou se présentant, de façon évidente et caractéristique, comme des formations dans une substance subtile. Dès lors, il peut y avoir divers types de preuves de l'existence d'autres plans de l'être et de communication avec eux : objectivation perçue par les sens extérieurs, contacts par les sens subtils, par le mental, par le vital, par le subliminal dans des états particuliers de conscience qui dépassent nos capacités ordinaires. Le mental physique n'est pas tout ce que nous sommes et, bien qu'il domine presque entièrement notre conscience de surface, il ne représente ni la meilleure, ni la plus grande part de nous-mêmes. La réalité ne peut être limitée à un seul champ aussi étroit, ni aux dimensions connues à l'intérieur de son cercle rigide.

On dit que l'expérience subjective ou les images des sens subtils peuvent aisément induire en erreur, puisque nous ne disposons d'aucune méthode reconnue, d'aucun critère de vérification et que nous avons trop tendance à prendre pour argent comptant l'extraordinaire, le miraculeux ou le surnaturel. Admettons-le. Mais l'erreur n'est pas la prérogative des parties subjectives ou subliminales de notre être, c'est aussi l'apanage du mental physique, de ses méthodes et de ses normes objectives et ce risque d'erreur ne peut être une raison pour exclure un vaste et important domaine d'expérience; c'est plutôt une raison pour l'examiner attentivement et y découvrir les vrais critères qui lui sont propres, ses moyens de vérification spécifiques, valables et appropriés. Notre être subjectif est la base de notre expérience objective, et il est improbable que seules ses objectivations physiques soient vraies et que tout le reste soit sujet à caution. Correctement interrogée, la conscience subliminale est un témoin de la vérité, et son témoignage ne cesse d'être confirmé jusque dans le domaine physique et objectif. On ne peut donc mépriser ce témoignage lorsqu'il attire notre attention sur des choses qui sont en nous ou qui appartiennent à des plans ou des mondes d'expérience supraphysique. Cependant, la croyance n'est pas en soi une preuve de

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réalité ; elle doit reposer sur quelque chose de plus valable avant qu'on puisse l'accepter. Il est évident que les croyances du passé ne sont pas une base suffisante pour la connaissance, même si l'on ne peut les négliger entièrement : une croyance est en effet une construction mentale, et elle peut être fausse; souvent, elle peut répondre à quelque suggestion intérieure et, dans ce cas, elle a une valeur; mais la plupart du temps elle déforme la suggestion, la traduisant en général dans les termes qui sont familiers à notre expérience physique et objective — elle fait par exemple de la hiérarchie des plans une hiérarchie physique ou un espace géographique, ou transforme les hauteurs plus rares de la substance subtile en cimes matérielles et place les demeures des dieux sur les crêtes de montagnes physiques. Toute vérité, supraphysique ou physique, doit reposer non sur la seule croyance mentale, mais sur l'expérience — dans chaque cas cependant, l'expérience doit relever du physique, du subliminal ou du spirituel, conformément à l'ordre des vérités où nous avons le pouvoir d'accéder. Il faut examiner leur valeur et leur sens, mais suivant leur loi propre et avec une conscience qui peut y pénétrer, et non selon la loi d'un autre domaine ou avec une conscience qui ne peut saisir que tes vérités d'un autre ordre. Ainsi seulement pouvons-nous avancer avec assurance et élargir fermement la sphère de notre connaissance.

Si nous examinons avec soin ces pressentiments des réalités des mondes supraphysiques qui nous viennent au cours de nos expériences intérieures et que nous les comparions à celles qui ont été relevées et transmises depuis les premiers pas de la connaissance humaine, et si mous essayons de les interpréter et de les classifier de façon succincte, nous constaterons que ce que l'expérience intérieure nous révèle le plus intimement, c'est l'existence de plans d'être et de conscience plus vastes que le plan purement matériel, avec son existence et son action restreintes, dont nous sommes conscients dans notre étroite formule terrestre — et l'action qu'ils exercent sur nous. Ces domaines d'être plus vastes ne sont pas inaccessibles, ni tout à fait séparés de notre être et de notre conscience ; en effet, bien qu'ils subsistent en eux-mêmes et aient leur propre jeu, leurs propres processus, leurs propres formulations de l'existence et de l'expérience, ils pénètrent et enveloppent en même temps le plan physique de leur présence et de leurs influences invisibles, et leurs pouvoirs semblent se trouver ici, dans le monde matériel lui-même, derrière son action et ses objets. Nous pouvons distinguer deux ordres principaux d'expérience dans notre relation avec eux. L'un

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est purement subjectif, bien que suffisamment vivant et tangible en sa subjectivité même ; l'autre est plus objectif. Dans l'ordre subjectif, nous découvrons que ce qui, pour nous, prend ici la forme d'une intention, d'une impulsion, d'une formulation vitales, existe déjà dans un domaine de possibilités plus vaste, plus subtil, plus plastique, et que ces forces et ces formations préexistantes exercent sur nous une pression, afin de se réaliser aussi dans le monde physique ; mais seule une partie réussit à' traverser, et elle-même n'émerge que partiellement sous une forme et dans des circonstances mieux adaptées au système de la loi et de l'ordre terrestres. Cette précipitation se fait généralement à notre insu; nous ne sommes pas conscients de l'action sur nous de ces Pouvoirs, de ces Forces et de ces Influences, nous les prenons pour des formations de notre vie et de notre mental, même quand notre raison ou notre volonté les repoussent et s'efforcent de ne pas s'y soumettre; mais si, nous écartant de la conscience superficielle restreinte, nous pénétrons au-dedans et développons un sens plus subtil, une perception plus profonde, alors nous commençons à pressentir l'origine de ces mouvements et nous pouvons observer leur action et leur processus, les accepter, les rejeter, les modifier, leur livrer passage et leur permettre d'utiliser notre mental, notre volonté, notre vie, toutes les parties de notre être, ou le leur interdire. De la même façon, nous prenons conscience de plus vastes domaines du mental et d'un jeu, d'une expérience, d'une formation douée d'une plus grande plasticité, d'une exubérante profusion de toutes les formulations mentales possibles, et nous sentons leur contact, nous sentons leurs pouvoirs et leurs influences agir sur les diverses parties de notre, mental, comme d'autres avaient agi sur nos parties vitales d'une manière occulte. Ce genre d'expérience présente avant tout un caractère purement subjectif : des idées, des suggestions, des formations émotives, une volonté de sentir, d'agir, de vivre une expérience dynamique fait pression sur nous. Même si nous découvrons que cette pression provient dans une large mesure de notre moi subliminal ou du siège des forces universelles du Mental ou de la Vie appartenant à notre propre monde, il s'y trouve néanmoins un élément qui porte le sceau d'une autre origine, un caractère supraterrestre qui s'impose.

Mais les contacts ne s'arrêtent pas là, car il y a aussi une ouverture de nos parties mentales et vitales à un grand domaine d'expériences subjectives-objectives où ces plans ne se présentent plus comme des extensions de la conscience et de l'être subjectifs, mais comme des

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mondes; les expériences y sont en effet organisées comme dans notre propre monde, mais sur un plan différent, avec une méthode et une loi d'action différentes et dans une substance propre à la Nature supraphysique. Comme sur notre terre, cette organisation comprend l'existence d'êtres qui possèdent ou revêtent des formes, qui se manifestent ou sont naturellement manifestés dans une substance qui donne corps, mais diffère de la nôtre : cette substance subtile n'est tangible que pour un sens subtil, une matière-forme supraphysique. Ces mondes et ces êtres peuvent n'avoir aucun rapport avec nous et avec notre vie, n'exercer sur nous aucune influence; mais souvent aussi ils entrent en communication secrète avec l'existence terrestre, obéissent aux pouvoirs et aux influences cosmiques dont nous avons subjectivement l'expérience, les incarnent et en sont les intermédiaires et les instruments, ou peuvent "choisir eux-mêmes d'agir sur la vie du monde terrestre, sur ses mobiles et ses événements. Ces êtres peuvent nous venir en aide ou nous guider, ils peuvent aussi nous nuire ou nous égarer; nous pouvons même subir leur influence, être envahis ou dominés, voire possédés par eux, et leur servir d'instruments pour l'accomplissement de leurs desseins, bons ou mauvais. Le progrès de la vie terrestre ressemble parfois à un vaste champ de bataille où s'affrontent ces deux Forces supraphysiques opposées : celles qui s'efforcent d'élever, d'encourager et d'illuminer, et celles qui font tout pour détournes, décourager ou empêcher, ou même briser notre évolution ascendante ou l'expression de l'âme dans l'univers matériel. Certains de ces Êtres, de CES Pouvoirs, de ces Forces ont à nos yeux un caractère divin : ils sont lumineux, bienveillants ou puissamment secourables. D'autres sont titanesques, gigantesques ou démoniaques. Influences démesurées qui suscitent ou créent de vastes et formidables bouleversements intérieurs, ou des actions qui dépassent la mesure humaine ordinaire. Nous pouvons aussi percevoir des influences, des présences, des êtres qui ne semblent pas appartenir à d'autres mondes au-delà de nous, mais sont présents, comme élément voilé dans la nature terrestre. De même qu'il est possible d'établir un contact avec le supraphysique, de même un contact, subjectif ou objectif— ou du moins objectivé —peut s'établir entre notre conscience et la conscience d'êtres qui, après s'être incarnés, sont entrés dans un état supraphysique en ces autres domaines d'existence. Il est possible, aussi, d'aller au-delà d'un contact subjectif ou d'une perception sensorielle subtile et, dans certains états de conscience subliminaux, d'entrer réellement dans d'autres mondes et

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d'entrevoir leurs secrets. Ce sont les expériences des autres mondes du type le plus objectif qui, dans le passé, ont le plus puissamment captivé l'imagination des hommes, mais la croyance populaire les a exprimées avec une objectivité assez crue, assimilant indûment ces phénomènes à ceux du monde physique qui nous sont familiers ; notre mental, en effet, a naturellement tendance à transformer toutes choses en les formes ou les symboles propres à la nature et aux termes de sa propre expérience.

Exprimés en leurs termes les plus généraux, tels ont toujours été, à toutes les époques de l'histoire humaine, les limites habituelles et le caractère normal de cette croyance en d'autres mondes et de l'expérience qui en a été faite ; les noms et les formes diffèrent, mais les traits généraux présentent une frappante similarité dans tous les pays et à toutes les époques. Quelle valeur précise devons-nous attribuer à ces croyances persistantes et à cette masse d'expériences supranormales ? Quiconque a ressenti de tels contacts, d'une façon suffisamment intime, et pas seulement comme des phénomènes accidentels, isolés et anormaux, ne peut plus les écarter comme de simples superstitions ou hallucinations; leur pression est trop forte, trop réelle, trop effective, trop organique, confirmée trop constamment par leur action et leurs résultats, pour être rejetés aussi catégoriquement; une appréciation, une interprétation, une organisation mentale de cet aspect particulier de notre champ d'expérience, s'avèrent indispensables.

On pourrait certes supposer, et c'est une explication possible" que l'homme lui-même crée les mondes supraphysiques où il demeure ou croit demeurer après sa mort, qu'il crée les dieux, selon l'antique formule — on a même soutenu que Dieu lui-même avait été créé par l'homme, qu'il était un mythe de sa conscience et que l'homme l'a maintenant supprimé ! Toutes ces choses ne sont donc peut-être qu'un mythe de la conscience qui grandit ; elle s'y abrite, captive de ses propres constructions, et, par une sorte de dynamisation réalisatrice, survit au cœur de ses propres imaginations. Ce ne sont pourtant pas de pures imaginations, et nous ne pouvons les traiter comme telles qu'aussi longtemps que les choses qu'elles représentent, même déformées, ne font pas partie de notre expérience. On peut cependant concevoir que la Conscience-Force créatrice se serve de certains mythes et imaginations pour matérialiser ses idées-forces ; ces puissantes images peuvent prendre forme et s'incarner, perdurer en quelque monde de la pensée subtilement

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matérialisée et réagir sur leur créateur. Dans ce cas, nous pourrions supposer que les autres mondes sont des constructions de ce type. Mais si une conscience subjective peut ainsi créer des mondes et des êtres, le monde objectif pourrait bien être lui-même un mythe de la Conscience, voire de notre propre conscience, ou la Conscience elle-même un mythe de la Nescience originelle. Si nous suivons cette ligne de pensée, nous sommes ainsi renvoyés à une vision de l'univers où ces choses se teintent d'irréalité, à l'exception de l'Inconscience qui produit tout et à partir de laquelle elles ont été créées, de l'Ignorance qui les crée, et, peut-être, d'un Être impersonnel supraconscient ou inconscient en l'indifférence de qui tout disparaît finalement, ou bien en qui tout retourne et prend fin.

Mais nous n'avons aucune preuve, et il est fort peu probable que le mental de l'homme puisse de cette manière créer un monde là où il n'en existait pas, créer in vacuo, sans substance en laquelle on sur laquelle construire, bien qu'il ait vraisemblablement le pouvoir d'ajouter quelque chose à un monde déjà construit. Le mental est en vérité un puissant instrument, plus puissant que nous ne le supposons de primé abord; il peut faire des formations qui se réalisent dans notre conscience et notre vie, ou dans celles d'autrui, et même agir sur la Matière inconsciente; mais réaliser une création entièrement originale dans le vide dépasse ses capacités. L'hypothèse qui nous paraît la plus probable, c'est que le mental de l'homme, à mesure qu'il se développe, entre en rapport avec de nouveaux domaines d'être et de conscience qu'il n'a aucunement créés, qui sont nouveaux pour lui et préexistent déjà dans la Toute-Existence. Dans son expérience intérieure qui s'élargit, il ouvre de nouveaux plans d'être en lui-même ; à mesure que se dissolvent les nœuds des centres secrets de sa conscience, il devient capable, par leur intermédiaire, de concevoir ces plus vastes domaines, d'en recevoir directement les influences, d'y pénétrer, de se les représenter dans son mental terrestre et ses sens intérieurs. Il crée effectivement des images, des formes-symboles, des figures qui les réfléchissent et que son mental! peut appréhender. C'est dans ce sens seulement qu'il crée l'Image Divine qu'il adore, qu'il crée les formes des dieux, crée des plans et des mondes nouveaux en lui ; et grâce à ces images, les mondes et les pouvoirs réels qui surpassent notre existence peuvent prendre possession de la conscience dans le monde physique, y déverser leurs énergies, le transformer par la lumière de leur être supérieur. Mais tout cela n'est pas une création des mondes supérieurs de l'être ; c'est une révélation de ces mondes à la

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conscience de l'âme sur le plan matériel au cours de son évolution hors de la Nescience. C'est une création de leur forme ici, sur terre, par une réception de leurs pouvoirs ; il y a élargissement de notre vie subjective sur ce plan grâce à la découverte de ses vrais rapports avec les plans supérieurs de son être dont elle était séparée par le voile de la Nescience matérielle. Ce voile existe parce que l'âme dans le corps a relégué à l'arrière-plan ces possibilités plus grandes afin de pouvoir concentrer exclusivement sa conscience et sa force sur son travail primordial dans ce monde physique de l'être ; mais ce travail ne peut avoir de suite que si le voile est au moins partiellement levé ou rendu perméable, afin que les plans supérieurs du mental, de la vie et de l'esprit puissent déverser leurs significations dans l'existence humaine.

On peut supposer que ces plans et mondes supérieurs ont été créés après la manifestation du cosmos matériel afin de contribuer à l'évolution ou, en un certain sens, comme résultat de celle-ci. C'est une notion que le mental physique, pour qui l'univers matériel est l'origine de toutes ses idées et la seule chose qu'il connaisse, a analysée et peut traiter avec un début de maîtrise, et qu'il serait prêt à admettre s'il se voyait contraint d'accepter la réalité d'une existence supraphysique. Il pourrait alors conserver, comme point de départ et support de tout être, le matériel, l'Inconscience qui est déjà pour nous l'indubitable point de départ du mouvement évolutif dont le monde matériel est la scène. Notre mental pourrait encore considérer la matière et la force matérielle comme la première existence — qu'il accepte et chérit comme telle parce que c'est la première chose qu'il connaisse, la seule qui soit toujours fiable parce que toujours présente et connaissable — et maintenir le spirituel et le supraphysique dans un état de dépendance, sur ces fondations solides dans la Matière.¹ Mais alors, comment ces autres mondes ont-ils été créés, par quelle force, quels instruments? Il se pourrait que la Vie et"le Mental, en se développant à partir de l'Inconscient, aient en même temps fait émerger ces autres mondes, ou ces autres plans, dans la conscience subliminale des êtres vivants qui y apparaissent. Pour l'être subliminal dans la vie et après la mort — c'est en effet l'être intérieur qui survit à la mort du corps —, ces mondes pourraient être réels dans la mesure où sa

¹Il y a certaines expressions dans le Rig-Véda qui semblent supporter ce point de vue. On y parle de la Terre (le principe matériel) comme du fondement de tous les mondes, et les sept mondes sont appelés les sept plans de la Terre.

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conscience, dont le champ se serait élargi, pourrait les percevoir ; il pourrait se mouvoir en eux avec ce sens de leur réalité, dérivé peut-être mais. convaincant, et il transmettrait son expérience à l'être de surface sous forme de croyance et d'imagination. C'est une explication possible, si nous admettons que la Conscience est le vrai pouvoir ou agent créateur et que toutes choses sont des formations de la conscience. Mais cela ne donnerait pas aux plans supraphysiques de l'être ce caractère insubstantiel ou cette réalité moins tangible que le mental physique voudrait leur attacher ; ils auraient en soi la même réalité que possède le monde physique, ou; le plan de l'expérience physique, dans son ordre propre.

Si les mondes supérieurs se sont développés de cette façon, 'ou d'une autre, après la création du monde matériel, la création première, par une plus vaste et secrète évolution hors de l'Inconscient, cela doit avoir été accompli par une et ce lors de son émergence, suivant un processus dont nous ne pouvons avoir, aucune connaissance, pour servir les desseins de l'évolution sur terre — comme des prolongements ou de plus vastes conséquences— afin que la vie, le mental et l'esprit puissent se mouvoir en des domaines aux possibilités plus étendues et que ces plus grands pouvoirs et ces plus grandes expériences puissent avoir des répercussions sur l'expression de soi matérielle. Mais cette hypothèse se heurte au fait que dans la vision et l'expérience que, nous avons de ces, mondes supérieurs, nous constatons que ceux-ci ne reposent aucunement sur l'univers matériel, et ne sont aucunement les résultats, mais plutôt de plus grands termes de l'être, de plus vastes et plus libres domaines de la conscience, et que toute l'action du plan matériel semble être davantage le produit que l'origine de ces termes supérieurs, en dériver, voire en dépendre partiellement dans son effort évolutif. D'immenses domaines de pouvoirs, d'influences, de phénomènes descendent sur nous de façon voilée depuis le surmental et les domaines du mental et du vital supérieurs, mais seule une partie -—une sélection, en quelque sorte, un nombre limité — peut se représenter sur notre scène et se réaliser dans l'ordre du monde physique ; le reste attend son heure et l'occasion propice pour se révéler dans les termes et les formes physiques et jouer son rôle dans l'évolution terrestre¹ qui est, en même temps, une évolution de tous les pouvoirs de l'esprit.

¹Il est évident que " terrestre " ne signifie pas pour nous cette seule terre et sa durée ; nous employons le mot terre dans son sens étymologique plus large, c'est la Prithivî du Védânta, le principe terre qui crée pour l'âme ses habitations de forme physique.

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Ce caractère des autres mondes contrarie tous nos efforts visant à donner une importance primordiale à notre propre plan et à notre rôle dans la manifestation cosmique. Nous ne créons pas Dieu comme un mythe de notre conscience, mais nous sommes des instruments pour une manifestation progressive du Divin dans l'être matériel. Nous ne créons pas les dieux, les pouvoirs du Divin ; disons plutôt que le degré de divinité que nous manifestons est la réflexion partielle et la mise en forme, sur terre, des divinités éternelles. Nous ne créons pas les plans supérieurs, nous sommes des intermédiaires par lesquels ils révèlent leur lumière, leur pouvoir, leur beauté sous quelque forme ou dans quelque dimension que la force de la Nature puisse leur donner sur le plan matériel. C'est la pression du monde de la Vie qui permet à la vie d'évoluer et de se développer ici dans les formes que nous connaissons déjà; c'est cette pression croissante qui l'incite à aspirer en nous à une plus grande révélation d'elle-même et qui un jour délivrera le mortel de sa sujétion aux étroites limitations de sa nature physique actuelle, incompétente et restrictive. C'est la pression du monde du Mental qui fait évoluer et développe ici le mental et nous aide à trouver un levier qui permet à notre mental de s'élever et de s'étendre, afin que nous ayons l'espoir d'élargir sans cesse notre moi intellectuel et même d'abattre les murs de la prison de notre mentalité physique liée à la matière. C'est la pression du monde spirituel et du monde supramental qui se prépare à développer ici le pouvoir manifeste de l'esprit et, grâce à lui, notre être s'ouvrira sur le plan, physique à la liberté et à l'infinité du Divin supraconscient ; ce contact, cette pression peuvent seuls libérer le Divin omniconscient caché en nous de l'Inconscience apparente qui fut notre point de départ. Dans cet ordre des choses, notre conscience humaine est l'instrument, l'intermédiaire ; dans l'épanouissement de la lumière et du pouvoir hors de l'Inconscience, elle est le point où la libération devient possible; nous ne pouvons lui attribuer un plus grand rôle, mais il est déjà considérable, car il donne à notre humanité une importance essentielle pour la réalisation de l'objectif suprême de la Nature évolutive.

Il y a cependant quelques éléments de notre expérience subliminale qui remettent en question cette idée que les autres mondes sont invariablement antérieurs à l'existence matérielle, comme le suggère, notamment, la vision relative à l'expérience après la mort : une tradition bien enracinée veut que l'on demeure alors dans des conditions qui semblent être un prolongement supraphysique des conditions de la nature et de

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l'expérience terrestres. Il existe en outre, dans les mondes vitaux en particulier, des formulations qui ressemblent aux mouvements inférieurs de l'existence terrestre : les principes de l'obscurité, du mensonge, de l'incapacité et du mal dont nous avons supposé qu'ils sont la conséquence de révolution hors de l'Inconscience matérielle, s'y trouvent déjà incarnés Il semble même que les mondes vitaux soient en fait la demeure naturelle des Pouvoirs qui perturbent le plus la vie humaine ; ce qui d'ailleurs est logique, car c'est par l'entremise de notre être vital qu'ils nous dominent ils doivent donc être des pouvoirs d'une existence vitale plus vaste et plus puissante. Il n'était pas obligatoire que la descente du Mental et de la Vie dans l'évolution ait des conséquences aussi funestes que la limitation de l'être et de la conscience. Cette descente, en effet, est essentiellement une limitation de la connaissance ; l'existence, la cognition et la joie d'être s'enferment dans une moindre vérité, un moindre bien, une moindre beauté et dans leur harmonie inférieure, et leurs mouvements suivent la loi d'une lumière plus étroite. Mais dans un tel mouvement l'obscurité, la souffrance et le mal ne sont pas des phénomènes inévitables. Si nous découvrons qu'ils existent dans ces tout autres mondes du mental et de la vie — même s'ils n'occupent pas tout le territoire, mais seulement leur province séparée —, nous devons en conclure, soit que c'est une projection, à partir de l'évolution inférieure, de bas en haut, qui leur a donné naissance, que quelque chose a jailli, dans les parties subliminales de la Nature, créant une plus vaste formation du mal engendré sur terre -— ou qu'ils étaient déjà créés et faisaient partie d'une gradation, parallèle à la descente involutive, formant une échelle pour l'ascension évolutive vers l'Esprit, de même que la gradation involutive formait une échelle pour la descente de l'Esprit. Dans cette dernière hypothèse, la gradation ascendante pourrait avoir un double but, car elle contiendrait des pré-formations du bien et du mal qui doivent évoluer sur la terre : ils feraient partie de la lutte nécessaire à la croissance évolutive de l'Âme dans i la Nature; ce seraient des formations existant en soi, pour leur propre satisfaction indépendante, représentant le type accompli de ces choses, chacune en sa nature distincte, et exerçant en même temps leur influence spécifique sur les êtres évolutifs.

Ces mondes d'une Vie plus vaste contiendraient donc à la fois les formations plus lumineuses et les formations plus obscures de la vie dans notre monde, dans un milieu où elles pourraient parvenir librement à leur expression indépendante, à la pleine liberté, à la plénitude et

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l'harmonie naturelles de leur propre type, pour le bien ou pour le mal — à supposer que cette distinction s'applique à ces domaines —, plénitude et indépendance impossibles ici, dans notre existence où tout se mélange dans l'interaction complexe nécessaire au champ d'une évolution multiforme menant à une intégration finale. En effet, ce que nous appelons faux, obscur ou mal semble avoir là sa vérité particulière et. se satisfaire entièrement de son propre type parce que ces forces l'expriment pleinement et parfaitement, et qu'ainsi le pouvoir de leur être se sent lui-même comblé; il se crée un accord, une adaptation parfaite de toutes les circonstances à leur principe d'existence ; chacune y goûte sa propre conscience, son pouvoir essentiel, sa propre félicité d'être, odieuse pour notre mental, mais pour elle-même riche de la joie du désir satisfait. Ces impulsions vitales qui, pour la nature terrestre, sont excessives et démesurées et semblent ici perverses et anormales, trouvent en leur propre domaine d'être un accomplissement autonome et un jeu sans restriction de leur type et de leur principe. Ce qui, pour nous, est divin ou titanesque, râkshasique, démoniaque et, par conséquent, surnaturel, est normal pour chacune en son domaine, et donne aux êtres qui incarnent ces forces le sentiment de leur nature essentielle et l'harmonie de leur propre principe. La discorde elle-même, la lutte, l'incapacité, la souffrance atteignent à une sorte de satisfaction vitale qui, autrement, se sentirait frustrée ou déficiente. Quand nous voyons ces pouvoirs agir isolément, construire leurs structures vitales, comme ils le font dans ces mondes secrets où ils exercent leur domination, nous percevons plus clairement leur origine et la raison de leur existence, et aussi la raison pour laquelle la vie humaine est sous leur emprise et l'homme attaché à ses imperfections, au drame de la vie avec ses victoires et ses échecs, son bonheur et sa souffrance, son rire et ses larmes, son péché et sa vertu. Ici, sur la terre, ces choses existent dans un état obscur, insatisfait et donc insatisfaisant, de lutte et de mélange ; mais là elles révèlent leur secret et leur raison d'être, parce qu'elles y sont établies en leur pouvoir originel et en la forme complète de leur nature, dans leur monde propre et leur atmosphère exclusive. Les cieux et les enfers de l'homme, ses mondes de lumière et ses mondes de ténèbres ont beau être construits dans l'imaginaire, ils naissent de la perception que ces pouvoirs existent en leur principe et projettent leurs influences sur lui et dans la vie, depuis un au-delà de la vie qui fournit les éléments de son existence évolutive.

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De même que les pouvoirs de la Vie ont en eux-mêmes leur propre fondement, et trouvent perfection et plénitude en une Vie plus grande au-delà de nous, de même découvrons-nous que les pouvoirs du Mental, ses idées et ses principes qui influencent notre être terrestre, trouvent eux aussi dans le monde supérieur du Mental le champ où leur nature essentielle est pleinement accomplie, tandis qu'ici, dans l'existence humaine, ils ne projettent que des formations partielles qui ont beaucoup de difficulté à s'établir, à cause du contact et du mélange avec d'autres pouvoirs et d'autres principes; ce contact, ce mélange réduisent leur plénitude, altère leur pureté, contredit et contrecarre leur influence. Ces autres mondes ne sont donc pas évolutifs, ce sont des mondes-types; mais l'une des raisons —' car 'elle n'est pas la seule —.de leur existence est qu'ils fournissent certains éléments qui doivent apparaître dans la manifestation involutive, ainsi que d'autres qui sont projetés dans l'évolution. Ils y trouvent un espace où leur signification peut s'exprimer de façon satisfaisante, et une existence indépendante. Établis sur cette base, leurs fonctions et leurs processus peuvent se couler et s'intégrer dans les opérations complexes de la Nature évolutive.

Si nous considérons de ce point de vue les explications humaines traditionnelles de l'existence en d'autres mondes, nous verrons que, dans la plupart des cas, elles suggèrent l'existence de mondes d'une vie plus vaste, affranchie des restrictions et des imperfections ou de l'incomplétude de la vie dans la nature terrestre. Ces explications sont évidemment construites dans une large mesure par l'imagination, mais il s'y trouve aussi un élément d'intuition et de divination, un sentiment de ce que la vie peut être, et qu'elle est sûrement, en quelque domaine de sa nature manifestée ou réalisable ; il s'y trouve en outre un élément suggérant un vrai contact, une vraie expérience subliminale. Mais ce que l'homme voit ou reçoit, les contacts qu'il établit dans une nature autre, son mental le traduit en images conformes à -sa conscience ; ce sont ses traductions des réalités supraphysiques en des formes et des représentations significatives qui lui sont propres, et, par leur intermédiaire, il entre en communication avec ces réalités et peut, jusqu'à un certain point, les rendre présentes et effectives. L'expérience qu'une vie terrestre modifiée se poursuit après la mort peut s'expliquer par ce genre de traduction ; mais nous pouvons l'expliquer autrement, dire qu'elle est en partie la création d'un état subjectif après la mort, où l'homme continue de vivre parmi les images de son expérience

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habituelle avant d'entrer dans les réalités des autres mondes, et en partie un passage à travers les mondes de la vie où le type des choses s'exprime en des formations qui sont à l'origine de celles auxquelles l'homme était attaché dans son corps terrestre, ou qui s'y apparentent, et qui, par conséquent, exercent une attraction naturelle sur l'être vital une fois qu'il est sorti du corps. Cependant, hormis ces états de la vie plus subtils, les explications traditionnelles de l'existence en d'autres mondes comportent — bien que ce soit un élément plus rare et plus élevé qui n'entre pas dans la conception populaire de ces choses — une gradation supérieure d'états d'existence qui sont clairement d'un caractère non pas vital mais mental, et d'autres qui reposent sur un principe mental-spirituel. Ces principes supérieurs sont formulés dans des états d'être où peut s'élever notre expérience spirituelle, et où peut pénétrer notre âme; Le principe de gradation que nous avons accepté est dès lors justifié, à condition que nous reconnaissions que c'est une façon d'organiser notre expérience et que d'autres manières, procédant d'autres points de vue, sont possibles. Si une certaine classification, en effet, peut toujours être valable selon le principe et le point de vue adoptés, une autre, portant sur les mêmes choses, peut l'être tout autant, selon d'autres principes et d'autres points de vue. Néanmoins, pour notre propos, le système que nous avons choisi a la plus haute valeur, car il est fondamental et répond à une vérité de la manifestation qui est d'une extrême importance pratique; il nous aide à comprendre notre existence telle qu'elle est constituée, ainsi que le cours de l'involution et du mouvement évolutif de la Nature. Nous voyons en même temps que les autres mondes ne sont pas des réalités entièrement séparées de l'univers matériel et de la nature terrestre, mais que leurs influences les pénètrent et les enveloppent, et que leur force les façonne et les guide par une secrète incidence, qu'il n'est pas facile de mesurer. Cette organisation de notre connaissance et de notre expérience des autres mondes nous donne la clef de la nature et des lignes d'action de cette incidence.

L'existence et l'influence des autres mondes sont un fait de première importance pour les possibilités et l'étendue de notre évolution dans la Nature terrestre. En effet, si l'univers physique était le seul champ de manifestation de la Réalité infinie et, en même temps, le champ de son entière manifestation, il nous faudrait supposer — puisque tous les principes de son être, depuis la Matière jusqu'à l'Esprit, sont entièrement involués dans la Force apparemment inconsciente qui est,la base,des

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premières opérations de cet univers —, qu'elle les fait évoluer complètement et uniquement sur la terre, sans aucune aide ni aucune pression autres que celles de la Supraconscience secrète qui est en elle. Il y aurait alors un système où le principe de la Matière demeurerait toujours le principe primordial, la condition essentielle, originelle et déterminante de l'existence manifestée. Certes, l'Esprit pourrait finalement exercer jusqu'à un certain point sa domination naturelle et faire de sa base qu'est la matière physique un instrument plus plastique qui n'interdise plus aussi catégoriquement l'intervention de la loi et de la nature spirituelles les plus hautes, ou ne s'y oppose pas, comme elle le fait à présent avec une résistance obstinée et un manque total de plasticité. Mais l'Esprit dépendrait toujours de la Matière pour se manifester; elle resterait son champ d'action, et il ne pourrait en avoir d'autre ni en sortir pour passer à un autre type de manifestation; et même dans ce champ, il aurait du mal à libérer un principe différent de son être pour en faire le souverain du fondement matériel : la Matière demeurerait de façon permanente le seul facteur déterminant de sa manifestation. La Vie ne pourrait devenir un pouvoir dominant et déterminant, ni le Mental devenir le maître et le créateur ; les frontières de leurs capacités seraient fixées par les capacités de la Matière, qu'ils pourraient étendre ou modifier, mais non transformer radicalement, ni libérer. Il n'y aurait place pour aucune manifestation libre et complète d'aucun pouvoir de l'être, tout serait à jamais limité par les conditions d'une formation matérielle obscurcissante. L'Esprit, le Mental, la Vie n'auraient pas de domaine natif, ni de champ où leur pouvoir et leur principe caractéristiques puissent se manifester complètement. On a quelque peine à croire en l'inévitabilité de cette auto-limitation, si l'Esprit est le créateur et si ces principes ont une existence indépendante et ne sont pas des produits, des résultats ou des phénomènes de l'énergie de la Matière.

Mais étant donné que la Réalité infinie est libre dans le jeu de sa conscience, elle n'est pas contrainte de s'involuer dans la nescience de la Matière avant de pouvoir même se manifester. Il lui est possible de créer un ordre des choses exactement contraire, un monde où l'unité de l'être spirituel est la matrice et la condition première de toute formation ou de toute action, où l'Énergie à l'oeuvre est une existence spirituelle en mouvement et consciente de soi, et où tous ses noms et formes sont un jeu conscient de l'unité spirituelle. Ce pourrait être aussi un ordre où le

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pouvoir inné de l'Esprit, sa Force ou sa Volonté conscientes, réaliserait librement et directement ses possibilités en lui-même et non, comme ici, par l'intermédiaire limitatif de la Force de Vie dans la matière; cette réalisation serait à la fois le premier principe de la manifestation et l'objet de toute son action libre et béatifique. Ou encore ce pourrait être un ordre dont l'objet serait le libre jeu d'une joie inhérente, infinie et mutuelle, dans une multiplicité d'êtres conscients non seulement de leur éternelle unité cachée ou sous-jacente, mais de la joie présente de leur unité. Dans un tel système, l'action du principe de la Béatitude existant en soi serait le premier principe et la condition universelle. Ce pourrait être également un ordre du monde où le en soi, pour serait le principe dominant depuis le début ; la nature de la manifestation serait alors une multiplicité d'êtres qui, grâce au jeu libre et lumineux de leur individualité divine, trouveraient la joie multiforme de leur différence dans l'unité.

Il n'est pas non plus nécessaire que la série s'arrête là; nous remarquons en effet qu'en nous le Mental est entravé par la Vie dans la Matière, et qu'il a toutes les difficultés possibles à vaincre la résistance de ces deux pouvoirs différents, et que, pareillement, la Vie elle-même est limitée par la mortalité, l'inertie et l'instabilité de la Matière. L'existence d'un ordre du monde où aucune de ces incapacités ne ferait partie des conditions premières de la vie est certes possible, un monde où, dès le début, le Mental prédominerait, où il serait libre d'agir sur sa propre substance, sa matière, comme sur un matériau suffisamment plastique, ou dans lequel la Matière serait très évidemment le résultat de la réalisation de la Force Mentale universelle dans la vie. Même sur terre" il en est ainsi en réalité ; mais ici, la Force du Mental est involuée depuis le début, longtemps subconsciente, et même après avoir émergé, elle ne se possède jamais librement; elle est soumise au matériau qui l'enferme, tandis que, là, elle serait en possession d'elle-même et maîtresse de son matériau, beaucoup plus subtil et plastique que dans un univers principalement physique. De même la Vie pourrait avoir son ordre cosmique propre où elle serait souveraine, où elle pourrait déployer ses propres désirs et tendances plus plastiques et librement variables, sans être à chaque instant menacée par les forces de désintégration, et donc sans avoir à se préoccuper avant tout de sa survie, sans être limitée dans son jeu par cet état de tension précaire qui bride ses instincts de libre formation, de libre satisfaction et de libre aventure. La domination

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séparée de chaque principe est une possibilité éternelle dans l'a manifestation de l'être — étant donné que ce sont des principes distincts en leur pouvoir dynamique et leur mode d'action, bien qu'ils soient un en leur substance originelle.  

Tout cela n'aurait peut-être aucune importance s'il ne s'agissait que d'une possibilité philosophique ou d'une potentialité dans l'être de Satchidânanda que celui-ci ne réalise jamais ou qu'il n'a pas encore réalisée, ou, à supposer qu'elle l'ait été, qu'il n'a pas amenée dans lé champ de conscience des êtres vivant dans l'univers physique. Mais comme toute notre expérience spirituelle et psychique en témoigné et l'affirme, elle nous apporte la preuve constante, et invariable dans ses principes essentiels, de l'existence de mondes supérieurs, de plans d'existence plus libres. Et puisque nous ne nous sommes pas enchaînés, comme l'est si souvent la pensée moderne, au dogme selon lequel l'expérience physique, où l'expérience basée sur les sens physiques, est seule réelle, et l'analyse rationnelle de l'expérience physique seule vérifiable (tout le reste n'étant que le résultat de l'expérience et de l'existence physiques, et ce qui se trouve au-delà, une erreur, un aveuglement et une hallucination), nous sommes libres d'accepter cette preuve et d'admettre la réalité de ces plans. Nous voyons qu'ils sont, pratiquement, des harmonies différentes de l'harmonie de l'univers physique ; comme le mot " plan " le suggère, ils occupent un niveau différent dans l'échelle de l'être et leurs principes suivent un système et un ordre différents. Pour notre propos actuel, nous n'avons pas besoin de chercher s'ils coïncident dans l'espace et le temps avec notre propre monde ou s'ils se meuvent dans un champ spatial différent et dans un autre courant temporel — dans un cas comme dans l'autre, c'est dans une substance plus subtile, suivant d'autres mouvements. Tout ce qui nous concerne directement, c'est de savoir si ce sont des univers différents, chacun complet en soi, qui ne se rencontrent pas, m ne s'entrecroisent, ni ne s'affectent mutuellement, ou si ce sont plutôt les échelles différentes d'un même système d'être, gradué et entrelacé, et s'ils font donc partie d'un système universel unique et complexe. Le fait qu'ils puissent pénétrer dans le champ de notre conscience mentale tend naturellement à valider la seconde hypothèse, mais ce n'est pas en soi une preuve suffisante. Nous constatons que ces plans supérieurs agissent en fait à chaque instant sur notre plan d'être et communiquent avec lui, bien que cette action, naturellement, ne puisse être perçue

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par notre conscience de veille ou extérieure ordinaire, car celle-ci est en majeure partie limitée à une réception et une utilisation des contacts du monde physique; mais dès que nous réintégrons notre être subliminal ou élargissons notre conscience de veille au-delà du champ des contacts physiques, nous prenons conscience d'une partie de cette action supérieure. Nous constatons même que dans certaines conditions, l'être humain peut, tout en restant dans son corps, se projeter en partie dans ces plans supérieurs; a fortiori il doit pouvoir le faire quand il est hors de son corps, et le faire alors complètement, puisqu'il n'est plus dans cet état d'infirmité dû à l'asservissement de la vie physique à son corps. Les conséquences de cette relation et de ce pouvoir de transfert sont d'une importance capitale. D'une part, elles justifient immédiatement, en tout cas comme possibilité réelle, l'ancienne tradition selon laquelle l'être humain conscient séjourne, au moins temporairement, dans d'autres mondes que le monde physique après la dissolution du corps physique. D'autre part, elles fendent possible l'action des plans supérieurs sur l'existence matérielle, action qui peut libérer les pouvoirs que représentent ces plans, les pouvoirs de la vie, du mental et de l'esprit, afin de servir le but de l'évolution inscrit dans la Nature du fait même de leur incarnation dans la Matière.

À l'origine, ces mondes n'ont pas été créés après l'univers physique, ils lui sont antérieurs — sinon dans le temps, du moins dans leur séquence et leur conséquence. Car même s'il existe une gradation ascendante aussi bien qu'une gradation descendante, cette gradation ascendante doit, naturellement et avant tout, favoriser l'émergence évolutive dans la Matière, elle doit être un pouvoir formateur qui l'aide dans son effort, lui apportant des éléments favorables ou hostiles, et non pas une simple conséquence de l'évolution terrestre ; ce n'est pas là, en effet, une probabilité rationnelle et cela n'a pas non plus de sens spirituel, ni de sens dynamique et pragmatique. Autrement dit, les mondes supérieurs ne sont pas venus à l'existence du fait d'une pression de l'univers physique inférieur — disons, de Satchidânanda dans l'Inconscience physique —, ou à cause de l'élan de son être "à mesure qu'il émerge de l'Inconscience dans la vie, le mental et l'esprit et éprouve la nécessité de créer des mondes, ou des plans, où ces principes aient un plus libre jeu et où l'âme humaine puisse fortifier ses tendances vitales, mentales ou spirituelles. Ils sont encore moins les créations de l'âme humaine elle-même, rêves ou résultats de ce que

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l'humanité, en son être dynamique et créateur, ne cesse de projeter d'elle-même au-delà des limites de la conscience physique. Les seules choses que l'homme crée manifestement dans ce domaine, sont les images réfléchies de ces plans dans sa conscience incarnée et la capacité que son âme a d'y répondre, d'en devenir consciente, de participer consciemment à l'entrelacement de leurs influences avec l'action du plan physique. Grâce aux résultats ou aux projections de son action vitale et mentale supérieure, il peut certes contribuer à l'action de ces plans ; mais dans ce cas, ces projections ne sont finalement qu'un retour à eux-mêmes des plans supérieurs, un retour, depuis la terre, de leurs pouvoirs descendus dans le mental terrestre, puisque cette action vitale et mentale supérieure est elle-même le résultat d'influences transmises depuis les plans supérieurs. Il est également possible qu'il crée une sorte d'annexé subjective à ces plans supraphysiques, au plus bas d'entre eux en tout cas, divers milieux à moitié irréels qui sont des enveloppes créées spontanément par sa conscience mentale et vitale plutôt que des mondes véritables; ce sont des reflets de son être, un milieu artificiel qui correspond à l'effort qu'il fait, au cours de sa vie, pour se représenter ces autres mondes — cieux et enfers projetés par la faculté créatrice Imaginative que possède le pouvoir de son être conscient. Mais ni l'une ni l'autre de ces contributions ne représente en rien la création totale d'un plan d'être réel fondé et agissant sur son propre principe séparé.

La création de ces plans ou systèmes coïncide donc, au moins, avec celle de l'univers physique, ou ce qui se présente à nous comme tel, et ils coexistent avec lui. Nous avons été amenés à conclure que le développement de la vie, du mental et de l'esprit dans l'être physique présuppose leur existence ; en effet, ces pouvoirs se développent grâce à deux forces qui s'associent : une force qui, d'en bas, tend vers le haut, et une force qui, d'en haut, attire vers le haut et presse vers le bas. Car il y a dans l'Inconscient la nécessité de faire apparaître ce qui est latent en lui, et il y a, dans les plans plus élevés, la pression des principes supérieurs, qui non seulement aide à la réalisation de cette nécessité générale, mais peut aussi déterminer dans une très large mesure les moyens particuliers grâce auxquels elle finira par se réaliser. C'est cette action qui attire vers le haut, et cette pression, cette insistance d'en haut qui explique l'influence constante des mondes spirituel, mental et vital sur le plan physique. Si l'on considère cet univers complexe et ces sept principes

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entrelacés dans chaque partie de son système et qui sont donc naturellement poussés à agir les uns sur les autres et à se répondre partout où ils peuvent entrer en contact, il est évident qu'une telle action, une pression et une influence aussi constantes en sont une conséquence inévitable, et doivent être inhérentes à la nature même de l'univers manifesté.

Une action secrète et continue des pouvoirs et des principes supérieurs, depuis leurs plans, sur l'être, et la nature terrestres, par l'intermédiaire du moi subliminal qui est lui-même une projection de ces plans dans le monde né de l'Inconscience, doit avoir un effet et un sens. Le premier effet a été de libérer la vie et le mental de la Matière le dernier, d'aider à l'émergence d'une conscience spirituelle, d'une volonté spirituelle, d'un sens spirituel de l'existence dans l'être terrestre, si bien que celui-ci ne se préoccupe plus uniquement de sa vie la plus extérieure, et parfois aussi de recherches et d'intérêts sur le plan mental; il a appris à regarder au-dedans, à découvrir son être intérieur, son moi spirituel, et il aspire à transcender la terre et ses limitations. À mesure qu'il pénètre plus profondément en lui-même, ses frontières mentales, vitales, spirituelles commencent à s'élargir, les liens qui retenaient la vie, le mental et l'âme à leurs premières limitations se relâchent ou se rompent, et l'homme, l'être mental, commence à entrevoir un plus vaste royaume du moi et du monde qui était fermé à la vie terrestre primitive. Tant qu'il vit surtout à la surface, il ne peut évidemment édifier qu'une sorte de superstructure idéale, Imaginative et conceptuelle sur le sol de son étroite existence habituelle. Mais s'il accomplit le mouvement vers le dedans que sa vision la plus haute lui a présenté comme une suprême nécessité spirituelle, alors il trouvera dans son être intérieur une Conscience et une vie plus vastes. Une action du dedans et une action d'en haut peuvent vaincre la prédominance de la formule matérielle, réduire le pouvoir de l'Inconscience et, finalement, y mettre fin, renverser l'ordre de la conscience, substituer l'esprit à la Matière comme fondation consciente de son être et libérer ses pouvoirs spirituels supérieurs pour qu'ils puissent s'exprimer complètement et selon leur caractère propre dans la vie de l'âme incarnée dans la Nature.

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