La Vie Divine 1153 pages 2005 Edition
French Translation
  Cristof Alward-Pitoëff

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Sri Aurobindo's principal work of philosophy and metaphysics, expounding a vision of spiritual evolution culminating in the transformation of man from a mental into a supramental being and the advent of a divine life upon earth.

La Vie Divine

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Sri Aurobindo

Sri Aurobindo's principal work of philosophy and metaphysics. In this book, Sri Aurobindo expounds a vision of spiritual evolution culminating in the transformation of man from a mental into a supramental being and the advent of a divine life upon earth. The material first appeared as a series of essays published in the monthly review Arya between 1914 and 1919. They were revised by Sri Aurobindo in 1939 and 1940 for publication as a book.

Sri Aurobindo Birth Centenary Library (SABCL) The Life Divine Vols. 18,19 1070 pages 1970 Edition
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Sri Aurobindo's principal work of philosophy and metaphysics. In this book, Sri Aurobindo expounds a vision of spiritual evolution culminating in the transformation of man from a mental into a supramental being and the advent of a divine life upon earth. The material first appeared as a series of essays published in the monthly review Arya between 1914 and 1919. They were revised by Sri Aurobindo in 1939 and 1940 for publication as a book.

French Translations of books by Sri Aurobindo La Vie Divine 1153 pages 2005 Edition
French Translation
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Origine et remède du mensonge, de l'erreur,
de l'injustice et du mal

Le Seigneur n'accepte le péché et la vertu de personne; la connaissance étant voilée par l'Ignorance, les hommes mortels sont les jouets de l'illusion.

Gîta. V. 15.

Ils vivent selon une idée du moi qui diffère de la réalité, trompés, attachés, exprimant une fausseté — comme si, par enchantement, ils prenaient le faux pour le vrai.

Maitrâyanî Upanishad. VII. 10.

Ils vivent et se meuvent dans l'Ignorance et ils tournent en rond, battus et trébuchants, tels des aveugles conduits par un aveugle.

Mundaka Upanishad. 1.2. 8.

Celui dont l'intelligence a atteint l'Unité, rejette loin de lui et le péché et la vertu.

Gîta. II. 50.

Celui qui a trouvé la félicité de l'Éternel n'est plus affligé par la pensée : " Pourquoi n'ai-je pas fait le bien ? Pourquoi ai-je fait le mal ? " Celui qui connaît le moi rejette loin de lui et le mal et le bien.

Taittirîya Upanishad. II. 9.

Ceux-là sont conscients de l'étendue du mensonge dans le monde; ils grandissent dans la maison de la Vérité, ils sont tes fils puissants et invincibles de l'Infini.

Rig-Véda.VlI.60.5.

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La vérité est la première et l'ultime; au milieu, est le mensonge, mais il est pris entre la vérité de part et d'autre, et il tire son être de la vérité.¹

Brihadâranyaka Upanishad. V. 5.1.

 

¹La vérité de la réalité physique et la vérité de la réalité spirituelle et supraconsciente. Dans les réalités subjectives et mentales intermédiaires, la fausseté peut entrer, mais elle prend soit la vérité d'en haut, soit la vérité d'en bas comme substance pour se construire, et toutes deux font pression sur elle pour qu'elle change ses fausses constructions en vérités de la vie et de l'esprit.

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Si l'Ignorance est par nature une connaissance se limitant elle-même, oublieuse de la conscience de soi intégrale, prisonnière d'une concentration exclusive dans un seul domaine ou sur une surface dissimulant le mouvement cosmique, comment, dans cette perspective, traiterons-nous le problème si poignant qui tourmente le mental de l'homme lorsqu'il se trouve confronté au mystère de sa propre existence et de l'existence cosmique : le problème du mal ? Nous pouvons admettre qu'une connaissance limitée, soutenue par une Toute-Sagesse secrète, et lui servant à élaborer un certain ordre du monde dans des limites nécessaires, serait un procédé intelligible de la Conscience et de l'Énergie universelles; mais la nécessité du mensonge et de l'erreur, de l'injustice et du mal, ou leur utilité dans les œuvres de la Réalité divine omniprésente, sont plus difficiles à admettre. Et pourtant, si cette Réalité est bien telle que nous l'avons supposée, l'apparition de ces phénomènes opposés doit répondre à une nécessité, avoir un sens' et une fonction dans l'économie de l'univers. Car dans la connaissance de soi complète et inaliénable du Brahman, qui est nécessairement une connaissance totale, puisque tout ce qui est, est le Brahman, de tels phénomènes ne peuvent être le fruit du hasard, d'un accident en cours de route, d'un oubli ou d'une confusion involontaires de la Conscience-Force de Celui qui est Toute-Sagesse dans le cosmos, ni le fruit d'un affreux contretemps auquel l'Esprit immanent n'était pas préparé et dont il est prisonnier, errant dans un labyrinthe d'où il a toutes les peines du monde à s'échapper. Ce ne peut être non plus un inexplicable mystère de l'être, originel et éternel, que le divin et intégral Instructeur ne peut nous expliquer, ni s'expliquer à lui-même. Il doit y avoir derrière ce mystère une signification de la Toute-Sagesse elle-même, un pouvoir de la Toute-Conscience qui -l'autorise et lui assigne une fonction indispensable dans les processus actuels de notre expérience

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de nous-mêmes et du monde. Il importe à présent d'examiner plus directement cet aspect de l'existence et de déterminer ses origines, les limites de sa réalité et sa place dans la Nature.

Ce problème peut être abordé à partir de trois points de vue : selon sa relation avec l'Absolu, la Réalité suprême, selon son origine et sa place dans les œuvres cosmiques, et selon son action et son point d'ancrage dans l'être individuel. Il est évident que ces phénomènes adverses ne sont pas directement issus de la suprême Réalité elle-même, car rien en elle ne possède ce caractère ; ce sont des créations de l'Ignorance et de l'Inconscience, non des aspects fondamentaux ou premiers de l'Être, ils ne sont pas inhérents à la Transcendance, ni au pouvoir infini de l'Esprit cosmique. On soutient parfois que si la Vérité et le Bien ont leurs absolus, le Mensonge et le Mal doivent, eux aussi, avoir leurs absolus ; autrement, les uns comme les autres seraient nécessairement des termes de la relativité : la Connaissance et l'Ignorance, la Vérité et le Mensonge, le Bien et le Mal n'existent que l'un par rapport à l'autre, et au-delà des dualités de ce monde ils n'ont pas d'existence. Mais telle n'est pas la vérité fondamentale de la relation entre ces opposés; car en premier lieu, contrairement à la Vérité et au Bien, le Mensonge et le Mal sont très clairement des résultats de l'Ignorance et ne peuvent exister là où il n'y a pas d'Ignorance ; ils ne peuvent avoir d'existence en soi dans l'Être divin, ils ne peuvent être des éléments innés de la Nature suprême. Si donc la Connaissance limitée, qui caractérise l'Ignorance, renonce à ses limitations, si l'Ignorance disparaît en la Connaissance, le mal et le mensonge ne sauraient subsister, car ils sont tous les deux les fruits de l'inconscience et de la conscience fausse et, si la conscience vraie ou totale vient remplacer l'Ignorance, leur existence n'a plus aucun fondement. Il ne peut donc y avoir un mensonge absolu, un mal absolu ; ils sont un sous-produit du mouvement du monde : les sombres fleurs du mensonge, de la souffrance et du mal prennent racine dans le sol noir de l'Inconscient. Par contre, rien ne s'oppose fondamentalement à l'existence d'une Vérité et d'un Bien absolus. La relativité de la vérité et de l'erreur, du bien et du mal est un fait d'expérience, mais elle est également un sous-produit et non un facteur permanent inhérent à l'existence. Elle n'est vraie, en effet, que pour le système de valeurs établi par la conscience humaine, pour notre connaissance et notre ignorance partielles.

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La Vérité est pour nous relative, car notre connaissance est enveloppée par l'ignorance. Notre vision exacte s'arrête aux apparences extérieures qui ne sont pas la vérité complète des choses ; et si nous pénétrons plus profondément, les illuminations auxquelles nous parvenons ne sont que des suppositions, des déductions, des indications, et non la vision de réalités indubitables. Nos conclusions sont partielles, spéculatives ou fabriquées, et nos exposés, qui expriment notre contact indirect avec la réalité, sont essentiellement des représentations; ou. des formes, des mots-images de pensées-perceptions qui sont elles-mêmes des images et non des incarnations de la Vérité : elles ne sont pas directement réelles' et authentiques. Ces formes ou représentations sont imparfaites et opaques et portent avec elles leur ombre de nescience et d'erreur, car elles semblent nier ou exclure d'autres vérités, et même la vérité qu'elles expriment n'atteint pas sa pleine valeur : c'est une extrémité ou un bord de cette vérité qui se projette dans une forme et le reste est laissé dans l'ombre, inaperçu ou défiguré ou vaguement visible. On pourrait presque dire qu'aucune formulation mentale des choses ne peut être entièrement vraie ; ce n'est pas la Vérité incarnée, pure et nue, mais une forme drapée et souvent la draperie est seule visible. Mais ce caractère ne s'applique pas à la vérité perçue par une action directe de la conscience ou à la vérité de la connaissance par identité ; là, notre vision peut être limitée, mais aussi loin qu'elle s'étende, elle est authentique, et l'authenticité est un premier pas vers l'absolus : l'erreur peut s'attacher à une vision des choses directe ou par identité, par suite d'un apport mental, d'une extension erronée ou illégitime ou d'une fausse interprétation du mental, mais elle ne pénètre pas dans la substance. Cette vision, cette expérience authentique ou par identité constitue la vraie nature de la connaissance et elle existe en soi dans l'être, bien que, dans. notre mental, elle se traduise par une formation secondaire qui n'est pas, authentique, mais dérivée.. À l'origine, l'ignorance n'a pas d'existence en soi ni d'authenticité propre ; elle existe à cause d'une limitation ou d'une absence ou d'une suspension de la connaissance : l'erreur à cause d'une déviation par rapport à la vérité, le mensonge à cause d'une  distorsion, d'une contradiction et d'une négation de la vérité. Mais on ne saurait affirmer que la connaissance, elle aussi, n'existe en sa nature. profonde que par une limitation ou une absence ou une suspension de l'ignorance. En effet, elle peut émerger dans le mental humain, en partie; par un processus de limitation ou de suspension de ce genre,  lorsque l'obscurité reflue d'une lumière partielle, ou elle peut prendre l'aspect

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d'une ignorance qui se transforme en connaissance. Mais en fait, elle naît indépendamment, s'élevant depuis les profondeurs de notre être où elle existe en son état originel.

 "On peut dire aussi que le bien existe par la conscience vraie, tandis que le mal survit seulement par une conscience fausse; s'il y a une conscience absolument vraie, seul le bien peut exister ; il n'est plus mélangé au mal ni formé en sa présence. Les valeurs humaines de bien et de mal, comme celles de vérité et d'erreur, sont en effet incertaines et relatives : ce qu'en un lieu ou à une époque on tient pour la vérité, est tenu en d'autres lieux ou en d'autres temps pour une erreur ; ce que l'on considère comme un bien, est ailleurs ou à d'autres époques considéré comme un mal. Nous constatons aussi que ce que nous appelons mal engendre le bien, et ce que nous appelons bien engendre le mal. Mais ce malencontreux résultat est dû à la confusion et au mélange de connaissance et d'ignorance, à la pénétration de la vraie conscience par la conscience fausse, en sorte qu'il y a une application ignorante ou erronée de notre bien, à moins que cela ne soit dû à l'intervention de forces adverses. Dans le cas contraire — un mal qui produit un bien —, ce résultat contradictoire et plus heureux est dû à l'intervention d'une conscience et d'une force vraies agissant derrière la conscience et la volonté fausses et malgré elles, ou bien à l'intervention de forces qui restaurent l'équilibre. Cette relativité, ce mélange est une circonstance de la mentalité humaine et des activités de la Force cosmique dans la vie humaine, ce n'est pas la vérité fondamentale du bien et du mal. On pourrait objecter que le mal physique, tel que la douleur et la souffrance du corps, 'est indépendant de,la connaissance, et de l'ignorance, de la conscience juste et de la conscience fausse, qu'il est inhérent à la Nature physique : mais fondamentalement toute douleur et toute souffrance sont le résultat d'une conscience-force insuffisante dans l'être de surface, qui le rend incapable d'établir des relations justes avec le moi et la Nature ou incapable d'assimiler les contacts de l'Énergie universelle et de s'harmoniser avec eux. Douleur et souffrance n'existeraient pas s'il y avait en nous la présence intégrale de la Conscience lumineuse et-la Force divine d'un Être intégral. La relation de la vérité avec le mensonge, du bien avec le mal n'est donc pas un rapport de dépendance mutuelle, elle est essentiellement une contradiction, comme l'ombre contredit la lumière. L'existence d'une ombre dépend de la lumière, mais l'existence de la lumière ne dépend pas de l'ombre. Le fait qu'il

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existe une relation entre l'Absolu et les contraires de certains de ses aspects fondamentaux ne signifie pas que ces contraires soient eux aussi des aspects fondamentaux opposés de l'Absolu ; le mensonge et le mal n'ont rien de fondamental, ils ne possèdent aucun pouvoir d'infinité ou d'être éternel, aucune existence en soi, fût-elle latente dans l'Existant eh soi, et n'ont pas l'authenticité d'une inhérence native.

Certes, une fois que la vérité ou le bien se manifestent, il est indéniable que la conception du mensonge et du mal devient une possibilité, car l'on conçoit que toute affirmation peut être niée. Tout comme la manifestation de l'existence, de la conscience et de la félicité a rendu la manifestation de la non-existence, de l'inconscience et de l'insensibilité concevable, et donc d'une certaine manière inévitable, puisque toutes les possibilités aspirent à se réaliser, et n'ont de cesse qu'elles y parviennent, de même en est-il de ces aspects opposés de l'Existence divine. Partant de cette hypothèse, et dans la mesure où la Conscience les perçoit immédiatement dès le tout début de la manifestation, nous pouvons les tenir pour des absolus implicites, inséparables de toute existence cosmique. Mais, et c'est la première chose à considérer, c'est seulement dans la manifestation cosmique qu'ils deviennent possibles ; ils ne peuvent préexister dans l'être intemporel, car ils sont incompatibles avec l'unité et la béatitude qui en constituent la substance. Dans le cosmos également, ils ne peuvent apparaître que par une limitation de la vérité et du bien en des formes partielles et relatives et par un morcellement de l'unité de l'existence et dé la conscience en une conscience et un être qui divisent. Car, s'il y a une unité et une complète interactivité de la conscience-force, même dans la multiplicité et la diversité, alors la vérité de la connaissance de soi et de la connaissance mutuelle est automatique, et l'erreur de l'ignorance de soi et de l'ignorance mutuelle est impossible. De même, là où la vérité existe comme un tout sur une base d'unité consciente de soi, le mensonge ne peut entrer;et le mal est écarté par l'exclusion de la conscience et de la volonté fausses et du processus d'activation du mensonge et de l'erreur. Dès qu'intervient la séparativité, ces choses, elles aussi, peuvent intervenir ; cependant, même; cette simultanéité n'est pas inévitable. S'il y a une interactivité suffisante, même en l'absence d'un sens actif de l'unité, et si les êtres séparés ne transgressent pas leurs normes de connaissance limitée ou ne s'en écartent pas, l'harmonie et la vérité peuvent garder leur souveraineté, et le mal n'aura aucun accès. Par "conséquente le mensonge et  le mal n'ont, pas un caractère

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cosmique authentique et inévitable, pas plus qu'ils n'ont un caractère absolu; ce sont des circonstances ou des résultats qui n'apparaissent qu'à un certain stade, quand la séparativité atteint son point culminant et se mue en opposition, et l'ignorance : en' une inconscience primitive de la. connaissance qui engendre une conscience et une connaissance fausses où tout est perverti : la volonté, les sentiments, l'action, les réactions. La question est de savoir à quel moment et à quel point de la manifestation cosmique les contraires interviennent. Cela peut en effet se produire à un certain stade de l'involution croissante de la conscience dans la vie et le mental séparateurs, ou seulement après la plongée dans l'inconscience. Il s'agit donc, en définitive, de savoir si le mensonge, l'erreur, l'injustice et-le mal existent à l'origine dans les plans mental et vital, et sont inhérents au mental et à la vie, ou s'ils appartiennent en propre à la seule manifestation matérielle, parce que l'obscurité qui s'élève de l'Inconscience les inflige au mental et à la vie. Et en admettant qu'ils existent dans le mental et la vie supraphysiques, on peut alors se demander s'ils s'y trouvaient dès l'origine, inéluctablement, car il se peut que leur apparition ait été une conséquence ou un prolongement supraphysique de la manifestation matérielle; Ou. si ce point de vue s'avère indéfendable, on peut imaginer qu'ils aient surgi comme une puissante affirmation du supraphysique dans le Mental et la Vie universels, une condition préalable nécessaire à leur apparition dans la manifestation terrestre à laquelle ils appartiennent plus naturellement, en tant que résultat inévitable de l'Inconscience créatrice.

Le mental humain, suivant une très ancienne tradition, savait que lorsque nous' dépassons-le "plan s matériel, nous découvrons que des choses existent aussi dans les mondes au-delà. Il y a dans ces plans d'expérience supraphysique des pouvoirs et des formes du mental-vital et de la vie qui sont apparemment la base pré-physique des formes et .des pouvoirs discordants, défectueux ou pervertis du mental-de-vie et de la force-de-vie que nous trouvons dans l'existence terrestre. Il y a des forces, et l'expérience subliminale semble indiquer qu'il y a aussi des êtres supraphysiques incarnant ces forces, qui sont fondamentalement attachés à l'ignorance, à l'obscurité de la conscience, au mauvais usage de la force, à la perversion de la joie, à toutes les causes et conséquences de ce que nous appelons le mal. Ces pouvoirs, êtres ou forces s'efforcent d'imposer leurs constructions hostiles aux créatures terrestres ; avides de maintenir leur règne dans la manifestation, ils s'opposent à-la croissance

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de la lumière, de la vérité et du bien; et surtout, ils font obstacle au progrès de l'âme vers une conscience et une existence divines. C'est cet aspect de l'existence qui est représenté par le conflit entre les Pouvoirs de la Lumière et les Pouvoirs des Ténèbres, entre le Bien et le Mal, l'Harmonie cosmique et l'Anarchie cosmique, tradition universelle dans la mythologie antique et dans la religion, et commune à tous: lés systèmes de connaissance occulte.

La théorie sur laquelle se fonde cette connaissance traditionnelle est parfaitement rationnelle. Nous pouvons la vérifier par l'expérience intérieure, et elle s'impose à nous si nous admettons l'existence de ces plans supraphysiques et refusons de nous cloîtrer dans l'idée que l'être matériel est la seule réalité. De même qu'il y a un Moi et Esprit cosmique qui imprègne et soutient l'univers et ses êtres, de même y a-t-il une Force cosmique qui fait mouvoir toutes choses, et de cette Force cosmique originelle dépendent maintes Forces cosmiques 'qui sont ses pouvoirs ou surgissent comme des formes de son action universelle, car elle sert de base à leur propre action. Tout ce qui est formulé dans l'univers est soutenu par une Force ou des Forces, cherche à réaliser cette Force ou à' la faire durer, repose sur son fonctionnement; son succès dépend du sien, de sa croissance et de sa domination, et son accomplissement ou le prolongement de son être dépendent de sa victoire ou de sa survie. De même qu'il y a des Pouvoirs de Connaissance ou des Forces de Lumière, de même y a-t-il des Pouvoirs d'Ignorance et des Forces ténébreuses de l'Obscurité dont le travail consiste à prolonger le règne de l'Ignorance et de l'Inconscience. De même qu'il y a des Forces de Vérité, de même des Forces vivent du Mensonge, le soutiennent et œuvrent à sa victoire ; de même qu'il y a des pouvoirs dont la vie est intimement liée à l'existence, à l'idée et à l'instinct du Bien, de même y a-t-il des Forces dont la vie est liée à l'existence, à l'idée et à l'instinct du Mal. C'est cette vérité de l'Invisible cosmique que l'ancienne croyance symbolisait par; le combat entre les pouvoirs de la Lumière et les pouvoirs des Ténèbres, entre le Bien et le Mal, pour la possession du monde et la maîtrise de la vie humaine ; telle était la signification de la lutte entre les Dieux védiques et leurs adversaires, fils des Ténèbres et de la Division, représentés dans une tradition ultérieure sous les traits du Titan, du Géant et c' Asura, Râkshasa et Pishâcha. Cette tradition se retrouve dans Principe zoroastrien et, plus tard, dans l'opposition sémitique entre Dieu et ses Anges d'un côté, Satan et ses légions de l'autre — Pouvoirs

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et Personnalités invisibles qui soulèvent l'homme vers la Lumière, là Vérité et le Bien divins ou qui le charment et l'enchaînent au principe non divin de l'Obscurité, du Mensonge et du Mal. La pensée moderne n'a conscience d'aucune force invisible en dehors de celles que la Science a construites ou révélées; elle ne croit pas !que la Nature puisse créer d'autres êtres que ceux qui nous entourent dans le monde physique: hommes, bêtes, oiseaux, reptiles, poissons, insectes, microbes et animalcules. Mais s'il existe des forces cosmiques invisibles, physiques en leur nature, qui agissent sur le corps d'objets inanimés, il n'y a pas de raison valable que des forces cosmiques invisibles, mentales et vitales en leur nature, ne puissent exister et agir sur le mental et la force vitale de l'homme. Et si le Mental et la Vie, forces impersonnelles, forment des êtres conscients ou utilisent des personnes pour les incarner dans des formes physiques et dans un monde physique et s'ils peuvent agir sur la Matière et à travers la Matière, il n'est pas impossible que, sur leurs propres plans, ils forment des êtres conscients dont la substance plus subtile est pour nous invisible, ou qu'ils soient capables d'agir depuis ces plans sur les êtres de la Nature physique. Quelque réalité ou quelque mythique irréalité que nous puissions attacher à l'imagerie traditionnelle des anciennes croyances ou expériences humaines; il s'agirait alors de représentations de choses qui sont vraies en principe. En ce cas, la source première du bien et du mal ne se trouverait pas dans la vie terrestre ou dans l'évolution hors de l'Inconscience, mais dans la Vie elle-même. Leur source serait supraphysique; et ils seraient id le reflet d'une Nature supraphysique. plus vaste.

Il est certain que, quand nous rentrons en nous-mêmes, très profondément, loin des apparences de la surface, nous découvrons que le mental, le cœur et l'être sensible de l'homme sont mus par des forces qui échappent à son contrôle et qu'il peut devenir un instrument entre les mains des Énergies cosmiques, sans connaître l'origine de ses actions,.'C'est en se retirant de la surface physique pour entrer dans son être .intérieur et sa conscience subliminale qu'il en prend directement conscience et peut les connaître directement et agir sur les influences que ces forces exercent sur lui. Il devient conscient de leurs interventions;pour le mener dans une direction ou une autre, de suggestions et d'impulsions qui se faisaient passer pour des mouvements issus de son propre mental et contre lesquelles il devait se battre. Il peut alors réalisée qu'il n'est pas une créature consciente produite inexplicablement dans

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un monde inconscient à partir d'une semence de Matière inconsciente et §e mouvant dans une obscure ignorance de lui-même, mais qu'il est une âme incarnée et qu'à travers son action la Nature cosmique cherche à s'accomplir, qu'il est le vivant terrain d'un vaste débat entre des ténèbres d'Ignorance d'où il émerge ici et une lumière de Connaissance qui croît en s'élevant vers un terme imprévisible. Les Forces qui cherchent à le dominer, entre autres les Forces du bien et du mal, se présentent comme des pouvoirs; de la Nature universelle, mais elles semblent appartenir non seulement à l'univers physique, mais aux plans,de la Vie et du Mental au-delà.

La première chose que nous devons noter, car elle est d'importance pour le problème qui nous occupe, c'est qu'en leur action ces Forces semblent souvent dépasser les mesures de la relativité humaine; en leur mouvement plus vaste elles sont en effet surhumaines, divines, titanesques ou démoniaques, mais elles peuvent créer leurs formations en l'homme, larges ou réduites, en sa grandeur ou sa petitesse; elles peuvent s'emparer de lui et le diriger pour une heure ou des âges, influencer ses élans ou ses actes, ou posséder sa nature tout entière. Si cette possession se produit, il peut lui-même être incité à outrepasser la norme humaine du bien et du mal; le mal, en particulier, revêt des formes qui heurtent notre sens de la mesure, dépassent les bornes de la personnalité humaine, frôlent le gigantesque, le démesuré, l'incommensurable. On peut dès lors se demander si ce n'est pas une erreur de nier Inexistence d'un absolu du mal ; car, de même qu'il y a en l'homme une impulsion, une aspiration, une soif qui le tournent vers une vérité, un bien une beauté absolus, de même ces mouvements — ainsi que les intensités transcendantes auxquelles la douleur et la souffrance nous donnent accès — semblent suggérer qu'un mal absolu tente de se réaliser. Mais l'incommensurable n'est pas un signe d'absolu. L'absolu, en effet, n'est pas en soi une grandeur; il est au-delà de toute mesure, et pas seulement en raison de son immensité, mais du fait de la liberté de son être essentiel ; il peut se manifester dans l'infinitésimal autant que dans l'infini. Il est vrai que, quand nous passons du mental au spirituel — et c'est un passage vers l'absolu —, une subtile ampleur et une croissante intensité de lumière, de pouvoir, de paix, d'extase, indiquent un dépassement de nos limitations ; mais ce n'est d'abord qu'un signe de liberté, de hauteur, d'universalité, pas encore un absolu intérieur d'existence en soi, qui en est l'essence. .À; cet absolu, la douleur et; le mal ne peuvent

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accéder, ils sont liés à la limitation et sont des dérivés. Si la douleur devient incommensurable, elle prend fin ou met fin à ce en quoi elle se manifeste, ou s'évanouit dans l'insensibilité ou, en de rares occasions, peut se transformer en une extase d'Ânanda. Si le mal seul existait et devenait incommensurable, il détruirait le monde ou détruirait ce qui l'a enfanté ou le soutenait ; par la désintégration, il ramènerait les choses et lui-même à la non-existence. Du fait de leur croissance gigantesque, les Pouvoirs soutenant l'obscurité et le mal essaient, il est vrai, d'atteindre à un semblant d'infinité, mais ils ne parviennent qu'à une immensité, pas à l'infinité ; ils sont tout au plus capables de représenter leur élément comme une sorte d'infini abyssal à la mesure de l'Inconscient, mais c'est un faux infini. L'Existence en soi, par essence ou par 'une éternelle inhérence au cœur de l'Existant en soi, est ta condition de l'absolu: l'erreur, le mensonge, le mal sont des pouvoirs cosmiques, mais ils sont, par nature, relatifs et non point absolus, puisqu'ils dépendent, pour leur existence, de la perversion ou de la contradiction de leurs opposés et ne sont pas comme la vérité et le bien des absolus existants en soi, des aspects inhérents du suprême Existant en soi.

Une seconde question surgit quand on examine les preuves de l'existence supraphysique et pré-physique de ces obscurs contraires, car elles laissent supposer qu'ils sont peut-être après tout des principes cosmiques originels. Notons toutefois qu'ils n'apparaissent pas au-dessus des plans vitaux supraphysiques inférieurs; ce sont des " pouvoirs du Prince de l'Air " — l'air étant, dans l'ancien symbolisme, le principe de vie et, par conséquent, des mondes intermédiaires où le principe vital est essentiel et prédominant. Les opposés adverses ne sont donc pas des pouvoirs primordiaux du cosmos, mais des créations de la Vie ou du Mental dans la vie. Leurs aspects et leurs influences supraphysiques sur ta nature terrestre peuvent s'expliquer par la coexistence des mondes issus d'une involution descendante avec les mondes parallèles d'une évolution ascendante, qui, à dire vrai, n'ont pas été créés par l'existence terrestre mais comme annexés à l'ordre cosmique descendant en vue de soutenir les formations terrestres évolutives. Le mal peut y apparaître, non pas comme inhérent à toute vie, mais comme une possibilité et une pré-formation qui rend inévitable sa formation dans l'émergence évolutive de la conscience hors de l'Inconscient. Quoi qu'il en soit, c'est en la considérant comme un produit de l'Inconscience que nous pouvons le mieux observer et comprendre l'origine du mensonge, de l'erreur, de

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l'injustice et du mal, car c'est dans le retour de l'Inconscience vers la Conscience qu'on peut les voir prendre forme, et c'est là qu'ils semblent normaux et même inévitables.

C'est la Matière qui émerge d'abord de l'Inconscient, et il semblerait qu'en elle le mensonge et le mal ne puissent exister, tous deux étant créés par une conscience superficielle ignorante et divisée et par ses réactions. Or une telle organisation, superficielle et dynamique, de la conscience, et de telles réactions n'existent pas dans les forces ou les objets matériels ; si une conscience secrète, immanente, existe en eux, elle paraît être une, indifférenciée, muette ; inhérente et intrinsèque, bien qu'inerte, dans l'Énergie qui constitue l'objet, elle réalise la forme et la maintient grâce à l'Idée occulte silencieuse qui est en elle, mais autrement, elle demeure enveloppée dans la forme d'énergie qu'elle a créée, ne communique rien, n'exprime rien. Même si elle se différencie, suivant une certaine forme de Matière, en une forme correspondante d'être en soit rûpam rûpam pratirûpo babhûva,¹  il n'y a pas d'organisation psychologique, pas de système d'actions ou de réactions conscientes. C'est seulement par le contact avec des êtres conscients que les objets matériels exercent leurs pouvoirs ou leurs influences, que l'on 'peut appeler bons ou mauvais; mais ce bien — ou ce mal — est déterminé par le sentiment d'aide ou de tort, de bienfait ou de préjudice qu'éprouve l'être mis en contact avec eux. Ces valeurs n'appartiennent pas à l'objet matériel mais à une Force qui l'utilise, ou elles sont créées par la conscience qui entre en contact avec lui. Le feu réchauffe ou brûle, selon qu'on le touche involontairement ou qu'on l'utilise volontairement; une herbe médicinale guérit ou un poison tue, mais c'est l'utilisateur qui met en action la valeur de bien ou de mal; notons également qu'un poison peut guérir aussi bien que tuer, un médicament aussi bien tuer que guérir, faire du mal comme faire du bien. Le monde de la Matière pure est neutre, irresponsable ; les valeurs sur lesquelles insiste l'être humain n'existent pas dans la Nature matérielle; de même qu'une Nature supérieure transcende la dualité du bien et du mal, de même cette Nature inférieure se situe en deçà de cette dualité. La question commence à revêtir un aspect différent si nous passons derrière la connaissance physique et acceptons les conclusions d'une recherche occulte — car nous apprenons là que des influences conscientes s'attachent aux objets et que ces influences peuvent être

¹Katha Upanishad. II. 2. 9.

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bonnes ou mauvaises ; mais on peut encore soutenir que cela n'affecte pas la neutralité de l'objet, lequel n'agit pas suivant une conscience individualisée, mais suivant qu'il est utilisé pour le bien ou pour le mal ou pour les deux ensemble et pas autrement. La dualité du bien et du ;mal n'est pas inhérente au, principe matériel., et elle est absente du monde de la Matière.

La dualité commence avec la vie consciente et émerge pleinement quand le mental se développe dans la vie ; c'est le mental vital, le mental de désir et sensoriel, qui engendre le sens du mal, et la réalité du mal. En outre, dans la vie animale, la réalité du mal existe, le mal de la souffrance et le sens de la souffrance, le mal de la violence, de la cruauté, de la lutte et de la ruse, mais le sens du mal moral est absent ; dans la vie animale, il n'y a pas la dualité du péché et de la vertu, toutes les actions sont neutres et tout est permis pour préserver et maintenir la vie et pour satisfaire les instincts vitaux. Sur le plan des sensations, les valeurs de bien et de mal sont inhérentes à la forme de la douleur et du plaisir, de la satisfaction et de la déception vitales, mais l'idée mentale, la réponse morale du mental à ces valeurs, sont une création de l'être humain. Il. ne s'ensuit pas, comme on pourrait hâtivement le déduire, que ces choses soient irréelles, de simples constructions mentales, et que la seule façon vraie de recevoir les activités de la Nature se trouve, soit dans une indifférence neutre ou une acceptation égale, soit, intellectuellement, dans un consentement à tout ce qu'elle fait, comme à une loi divine ou naturelle où tout est impartialement admissible. C'est là sans doute un aspect de la vérité : il y a une vérité infrarationnelle de la Vie et de la Matière qui, neutre et impartiale, admet toutes choses comme des faits de la Nature servant à la création, à la préservation ou à la destruction de la vie, trois mouvements nécessaires de l'Énergie universelle qui sont tous reliés, indispensables les uns aux autres et, chacun à sa place, d'égale valeur. Il y a aussi une,vérité de la raison détachée qui peut considérer que tout ce qui est admis ainsi par la Nature sert ses processus dans la vie et dans la matière, et observer tout ce qui est avec une impartialité et une acceptation neutres et impassibles. C'est là une raison philosophique et scientifique qui assiste en témoin,aux activités de l'Énergie cosmique, cherche à les comprendre mais trouve futile de les juger. Il y a aussi une vérité suprarationnelle qui se formule dans l'expérience spirituelle où l'on peut observer le jeu de la possibilité universelle, tout accepter impartialement, comme les caractéristiques

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et les conséquences vraies et naturelles .d'un monde d'ignorance et d'inconscience, ou bien tout admettre avec calme et compassion comme faisant partie de l'œuvre divine ; mais en attendant l'éveil d'une conscience et d'une connaissance supérieures, considéré comme le seul moyen d'échapper à ce qui se présente sous l'aspect du mal, elle reste prête à aider et à intervenir là où cela est vraiment utile et possible. Néanmoins, il y a aussi cette autre vérité intermédiaire de la conscience qui nous éveille aux valeurs du bien et du mal et à l'appréciation de leur nécessité et de leur importance; quelles que soient la sanction ou la validité de ses jugements particuliers, cet éveil est l'une des étapes indispensables dans le processus de la Nature évolutive.

Mais alors, d'où vient cet éveil? Qu'est-ce qui engendre, chez l'être humain, le sens du bien et du mal et lui donne son pouvoir et sa place ? Si nous ne considérons que le processus, nous pouvons convenir; que ..c'est le mental vital qui fait la distinction. Sa première évaluation se base sur les sensations et elle est individuelle — tout ce qui est agréable à l'ego vital, tout ce qui lui est utile et bénéfique est bon, tout ce qui est désagréable, malfaisant, tout ce qui le blesse ou le détruit est mauvais. Sa seconde évaluation est utilitaire et sociale: est bien tout ce qui est jugé utile à la vie en société, tout ce que celle-ci exige de l'individu afin de préserver cette association et la réglementer pour le maintien, la satisfaction, le développement les meilleurs, et pour le bon ordre de la vie sociale et de ses unités ; est mal tout ce qui, aux yeux de la société, a un effet ou une tendance opposés. Mais le mental pensant intervient alors avec ses propres valeurs et s'efforce de trouver une base intellectuelle, une idée de loi ou un principe, rationnel ou cosmique, une loi du Karma, peut-être, ou un système éthique fondé sur la raison ou sur une base esthétique, émotive ou hédoniste. La religion introduit ses sanctions ; il y a une parole ou une loi de Dieu qui prescrit la rectitude, même si la Nature permet ou encourage le contraire :— ou peut-être la vérité et la Vertu elles-mêmes sont-elles Dieu et n'y a-t-il pas d'autre Divinité. Mais derrière toute cette application pratique ou rationnelle de l'instinct éthique humain, il y a le sentiment qu'il existe quelque chose de plus profond : toutes ces normes sent trop étroites et rigides bu trop complexes et confuses, incertaines, susceptibles d'être affectées par un changement ou une évolution du mental ou du vital ; et pourtant nous sentons qu'il existe une vérité plus profonde et durable, quelque chose en nous qui peut, avoir l'intuition de cette vérité — autrement dit,

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que la ivraie sanction est intérieure, spirituelle et psychique. Ce témoin intérieur est traditionnellement décrit comme notre conscience morale, ce pouvoir de perception intérieure mi-mental, mi-intuitif; mais c'est là quelque chose de superficiel, de construit, de peu fiable. Il y a certainement en nous, bien qu'il soit plus difficile à éveiller, plus masqué par les éléments de surface, un sens spirituel plus profond; c'est le discernement de l'âme, une lumière innée au cœur de notre nature.

Quel est donc ce témoin spirituel ou psychique, ou quelle valeur a pour lui le sens du bien et du mal ? On peut soutenir que la seule utilité de ce sens du péché et du mal est de permettre à l'être incarné de prendre conscience de la nature de ce monde d'inconscience et d'ignorance, de s'éveiller à la connaissance du mal et de la souffrance, à la nature relative du bien et du bonheur qui lui sont propres, et de s'en détourner pour rechercher l'absolu. Ou encore, son utilité spirituelle peut être de purifier la nature par la poursuite du bien et la négation du mal, jusqu'à "ce qu'elle soit prête à percevoir le bien suprême et à se détourner du monde pour se tourner vers Dieu, ou, comme y insiste la morale bouddhique, ce peut être de préparer la dissolution du complexe-ego ignorant et l'évasion "hors de la personnalité et de la souffrance. Mais peut-être aussi cet éveil est-il une nécessité spirituelle de l'évolution elle-même, une étape qui permet à notre être de croître hors de l'Ignorance pour accéder à la vérité de l'unité divine et à l'évolution d'une conscience divine et d'un être divin. En effet, ce n'est pas tant le mental ou la vie — lesquels peuvent se tourner vers le bien comme vers le mal —, c'est surtout la personnalité de l'âme, c'est l'être psychique qui insiste sur cette distinction, quoique dans un sens plus large que celui d'une simple différence morale. C'est l'âme en nous qui se tourne toujours vers la Vérité, le Bien et la Beauté, car c'est par ces choses qu'elle-même peut grandir; le reste — leurs contraires — est une part nécessaire de l'expérience, qu'il faut cependant dépasser à mesure que l'être croît spirituellement. Pour l'entité psychique fondamentale en nous, le délice de la vie et de toute expérience fait partie de la manifestation progressive de l'Esprit, mais le principe même de ce délice est de recueillir, dans tout contact et toute circonstance, leur sens et leur essence divines et secrètes, leur utilité et leur finalité divines afin que, par l'expérience, notre mental et notre vie puissent croître hors de l'Inconscience vers une conscience suprême, hors des divisions de l'Ignorance vers une conscience et une connaissance intégra lisantes. Elle est sur terre pour cela et, de vie-en vie,

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elle poursuit obstinément son élan ascendant toujours plus puissant. La croissance de l'âme est une croissance de l'obscurité en la lumière, du mensonge en la vérité, de la souffrance en son propre Ânanda suprême et universel. La,perception que l'âme a du bien et du mal peut ne;pas coïncider avec les normes artificielles du mental, mais elle a un sens plus profond, un discernement sûr de ce qui mène vers la Lumière et de ce qui en éloigne. Il est vrai que, tout comme la lumière inférieure est en deçà du bien et du mal, la lumière supérieure de l'Esprit se situe au-delà; mais cela ne veut pas dire que l'on accepte toutes choses avec une neutralité impartiale ou que l'on obéisse indifféremment aux impulsions du bien et du mal. Cela signifie qu'une loi plus haute intervient et qu'en elle ces valeurs n'ont plus de place ni d'utilité. Il y a une loi essentielle de la Vérité suprême qui est au-dessus de toutes les normes ; il y a un Bien suprême et universel, inhérent, intrinsèque, existant en soi, conscient de soi, mû et déterminé par soi, infiniment plastique — la pure plasticité de la conscience lumineuse du suprême Infini.

Par conséquent, si le mal et le mensonge sont des produits naturels de l'Inconscience, les 'résultats automatiques de l'évolution de la vie et du mental à partir de cette Inconscience et dans le processus de l'Ignorance, nous devons voir comment ils font leur apparition, de quoi dépend leur existence et quel est le remède ou le moyen de s'en échapper. C'est dans l'émergence en surface de la conscience mentale et vitale hors de l'Inconscience que l'on doit découvrir le processus qui est à l'origine de ces phénomènes. Il y a là deux facteurs déterminants — et ce sont eux qui provoquent l'émergence simultanée du mensonge et du mal. Il y a d'abord, sous-jacents, encore occultes, une conscience et un pouvoir de connaissance inhérente, ainsi qu'un revêtement, une couche de ce que l'on pourrait appeler un matériau indéterminé ou mal formé de conscience vitale et physique ; la mentalité qui émerge doit se frayer un chemin à travers ce milieu obscur et réfractaire et s'imposer à lui par une connaissance construite et non plus inhérente, car ce matériau est encore plein de nescience, lourdement chargé et enveloppé par l'inconscience de la Matière. Ensuite, l'émergence se produit dans une forme de vie séparée qui doit s'affirmer contre un principe d'inertie matérielle inanimée, une constante poussée de cette inertie matérielle vers la désintégration et une rechute dans l'Inconscience inanimée originelle. Cette forme de vie séparée, soutenue seulement par un principe limité d'association, doit également s'affirmer contre un monde extérieur qui,

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s'il n'est pas hostile à son existence, est néanmoins plein de dangers et auquel elle doit s'imposer, où elle doit conquérir un espace vital, parvenir à s'exprimer et à se propager pour survivre. Le résultat d'une émergence de la conscience dans ces conditions est la croissance d'un individu vital et physique qui s'affirme, une construction, par la Nature, de la vie et de la matière avec, caché derrière elle, un individu vrai, psychique ou spirituel, pour lequel la Nature crée ce moyen extérieur d'expression. À mesure que grandit son pouvoir mental, cet individu vital et matériel prend la forme plus développée d'un ego mental, vital et physique qui s'affirme constamment. Notre conscience de surface et notre type d'existence, notre être naturel, ont façonné leur caractère présent sous la pression de ces! deux faits initiaux et fondamentaux de I" émergence évolutive.

Lorsqu'elle commence à émerger, la conscience a l'apparence d'un miracle, d'un pouvoir 'étranger à la Matière qui se manifeste inexplicablement dans un monde de la Nature inconsciente, et qui grandit lentement et avec difficulté. La connaissance est acquise, créée à partir de rien en quelque sorte, apprise, augmentée, accumulée par une créature ignorante et éphémère en laquelle elle est, à la naissance, tout à fait absente ; ou si elle est présente, ce n'est pas comme une connaissance, mais seulement sous la forme d'une capacité héritée, particulière à l'étape de développement de cette ignorance qui fait l'apprentissage de la, connaissance. On pourrait supposer que la conscience n'est 'que l'Inconscience originelle enregistrant mécaniquement les faits de l'existence dans les cellules cérébrales qui, par réflexe ou réaction, lisent automatiquement l'enregistrement et dictent leur réponse ; l'enregistrement, -le réflexe, la réaction, tout cela réuni formerait ce qui paraît être la conscience. Mais ce n'est évidemment pas là toute la vérité, car si cela peut justifier l'observation et l'action mécanique — bien qu'on ne voie pas très bien comment un enregistrement et 'une réaction inconscients 'pourraient se transformer en une observation consciente, un sens conscient des choses et du moi —, cela ne peut expliquer de manière plausible l'idéation, l'imagination, la spéculation, le libre jeu de l'intellect avec le matériau observé. On ne peut expliquer l'évolution de la conscience et de là connaissance à moins qu'il n'y ait déjà dans les choses une conscience cachée où ses pouvoirs inhérents et naturels émergent peu à peu. En outre, les faits de la vie animale et les opérations du mental émergeant dans la vie nous' obligent à conclure qu'il y a, en cette conscience cachée,

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une Connaissance sous-jacente, un pouvoir de connaissance que-là nécessite des contacts vitaux avec le milieu amène à la surface.

En sa première affirmation de soi consciente, l'être animal individuel doit s'appuyer sur deux sources de connaissance. Comme il est ignorant et impuissant, qu'il est une petite parcelle de conscience superficielle privée de toute information dans un monde qu'il ne connaît pas, la représentes secrète envoie à la surface le minimum d'intuition nécessaire pour qu'il se maintienne en vie et effectue les opérations indispensables à sa vie et à sa survie. Cette intuition, l'animal ne la possède pas : c'est elle qui le possède et l'anime. C'est quelque chose qui se manifeste spontanément dans la texture de la substance vitale et physique de la conscience sous la pression d'un besoin et pour l'occasion voulue. Mais en même temps, un résultat superficiel de cette intuition s'accumule et prend la forme d'un instinct automatique qui agit à chaque fois que l'occasion se représente ; cet instinct appartient à la race et chaque individu en est doté à sa naissance. L'intuition, quand elle se produit ou se répète, est infaillible; l'instinct est automatiquement juste en règle générale; mais il peut s'égarer, car il est mis en échec ou trébuche quand la conscience de surface ou une intelligence mal développée interviennent, ou si l'instinct continue d'agir mécaniquement quand, les circonstances ayant changé, le besoin ou les circonstances nécessaires n'existent plus. Là seconde source de connaissance est un contact superficiel avec le monde extérieur à l'être individuel naturel; c'est ce contact qui est à l'origine, tout d'abord d'une sensation et d'une perception sensorielles conscientes, puis de l'intelligence. S'il n'y avait Une conscience sous-jacente, le contact ne créerait aucune perception ni aucune réaction ; c'est parce que le contact stimule et transforme, en un sentiment et une réponse superficielle, le subliminal d'un être déjà vitalisé par le principe vital subconscient et par ses premiers besoins et ses premières recherches, qu'une conscience de surface commence à se former et à se développer. Intrinsèquement, l'émergence d'une conscience de surface par la force des contacts vitaux est due au fait que, d'ans le sujet comme dans l'objet du contact, la conscience-force existe déjà à l'état latent dans le subliminal; quand le principe de vie est prêt, suffisamment sensible dans le sujet qui reçoit le contact, cette conscience subliminale émerge en réponse au stimulus et commence à constituer un m'entai vital ou mental de vie, le mental de l'animal, puis, au cours de l'évolution, une intelligence pensante. La conscience secrète se traduit

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par une sensation et une perception de surface, la force secrète par une impulsion de surface.

Si cette conscience subliminale sous-jacente devait venir -elle-même à. la surface, il y aurait rencontre directe entre la conscience du sujet et le .contenu de l'objet, et il en résulterait une connaissance directe ; mais cela n'est pas possible, d'abord à cause du veto ou de l'obstruction de l'Inconscience et, en second lieu, parce que l'évolution a pour but un lent développement qui s'effectue au moyen d'une conscience de surface imparfaite mais grandissante. La conscience-force secrète doit donc se limiter à des traductions imparfaites prenant la forme d'une vibration et d'une action vitales et mentales de surface et, à cause de l'absence, du retrait ou 4e l'insuffisance de la prise de conscience directe, elle doit développer des organes et des instincts en vue d'une connaissance indirecte. Cette création d'une connaissance et d'une intelligence extérieures se fait dans une structure consciente indéterminée déjà préparée, et qui est la toute première formation à la surface. Cette structure n'est d'abord qu'une formation minimale de conscience, dotée d'une vague perception sensorielle et d'une impulsion réactive; mais à mesure qu'apparaissent des formes de vie plus organisées, elle se transforme en un mental-de-vie et une intelligence vitale qui, au début, sont pour une grande part mécaniques et automatiques et ne s'occupent que de besoins, de désirs et d'impulsions pratiques. Toute cette activité est, à l'origine, intuitive et, instinctive; la conscience sous-jacente se traduit dans le substrat de surface par les mouvements automatiques du matériau conscient de la vie et du corps ; les mouvements du mental, quand ils apparaissent, sont involués dans ces automatismes, ils prennent l'aspect d'une notation mentale subordonnée , à l'intérieur de la notation sensorielle vitale prédominante. Mais, lentement, le mental fait effort pour s'en dégager; il œuvre encore pour l'instinct de vie, le besoin et le désir vitaux, mais ses caractéristiques propres émergent : observation, invention, combinaison, intention, exécution, tandis que sensations et impulsions s'adjoignent l'émotion et donnent une valeur et un élan affectifs plus subtils et plus épurés à la réaction vitale grossière. Le mental est encore très involué dans la vie, et ses opérations purement mentales les plus haute ne sont pas mises en évidence; il accepte comme support un vaste arrière-plan fait d'instincts et d'intuitions vitales, et l'intelligence développée, mais toujours croissante à mesure que s'élèvent les degrés de la vie animale, est une superstructure ajoutée.

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Lorsque l'intelligence humaine s'ajoute à la. base animale, cette base demeure présente et active, mais elle est en grande partie changée, affinée et soulevée par la volonté et l'intention conscientes ; la vie automatique de l'instinct et de l'intuition vitale diminue et ne peut conserver sa prédominance originelle pour l'intelligence mentale consciente de soi. L'intuition devient moins purement intuitive ; même quand subsiste une forte intuition vitale, son caractère vital est dissimulé par la mentalisation, et l'intuition mentale est le plus souvent un mélange, non le produit pur, car un alliage s'y mêle, afin de lui donner une actualité et une utilité mentales immédiates. Chez l'animal aussi, la conscience de surface peut obstruer ou altérer l'intuition mais, sa capacité étant moindre, elle s'immisce moins dans l'action automatique, mécanique ou instinctive de la Nature. Chez l'homme mental, quand l'intuition s'élève vers la surface, avant même d'y parvenir elle est aussitôt capturée, traduite en les termes de l'intelligence mentale et recouverte d'un vernis ou d'une interprétation mentale qui cachent l'origine de la connaissance. L'instinct lui aussi, soulevé et mentalisé, perd son caractère intuitif, et ce changement le rend moins sûr, bien qu'il soit mieux soutenu — quand il n'est pas remplacé — par le pouvoir plastique d'adaptation objective et subjective qui caractérise l'intelligence. L'émergence du mental dans la vie entraîne un immense accroissement de l'étendue et des pouvoirs de la conscience-force évolutive, mais également du champ et des possibilités d'erreur. Car le mental, dans son évolution, traîne constamment derrière lui l'erreur comme son ombre— une ombre qui grandit à mesure que grandit le corps de la conscience et;de la connaissance.

Si, dans l'évolution, la conscience de surface était toujours ouverte à l'action de l'intuition, l'erreur ne pourrait intervenir. Car l'intuition est un rayon de lumière projeté par le supramental secret, et l'émergence d'une lisantes, sûre en son action bien que limitée, en serait la conséquence. L'instinct, s'il devait se former, se laisserait modeler par l'intuition et s'adapterait librement au changement évolutif et au changement de circonstance, au-dedans comme au-dehors. Et si l'intelligence devait elle aussi prendre forme, elle se soumettrait à l'intuition, dont elle serait l'expression mentale exacte; son éclat se verrait peut-être modulé pour convenir à une action restreinte servant de fonction et de mouvement mineurs — et non majeurs comme ils le sont à présent —, mais son irrégularité ne serait pas due à une déviation, et ses éléments obscurs ne la feraient pas sombrer dans la fausseté

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ou l'erreur. Or cela ne pouvait être, car l'emprise de l'Inconscience sur la matière, sur la substance de surface, où le mental et la vie doivent s'exprimer, rend la conscience de surface obscure et non réceptive à la lumière intérieure ; en outre, elle est poussée à chérir ce défaut, à substituer de plus en plus ses clartés incomplètes, mais mieux comprises, aux suggestions intérieures inexplicables, car un développement rapide de la intégra lisantes n'est pas l'intention de la Nature. La méthode qu'elle a choisie est en effet une lente et difficile évolution de l'Inconscience se muant en Ignorance et de l'Ignorance prenant la forme d'une connaissance mélangée, diminuée et partielle, avant d'être en mesure de se transformer en une intégra lisantes et une matière supérieures. Notre intelligence mentale imparfaite est une étape, une transition nécessaire, avant que cette transformation supérieure ne soit rendue possible.

Pratiquement, il y a deux pôles de l'être conscient entre lesquels s'effectue le processus évolutif : une nescience superficielle qui doit peu à peu se changer en connaissance, et une Conscience-Force secrète en laquelle réside tout pouvoir de connaissance et qui doit lentement se manifester dans la nescience. Pleine d'incompréhension et d'inappréhension, la nescience superficielle peut se changer en connaissance parce que la conscience est involuée en elle ; si elle était par nature entièrement dépourvue de conscience, le changement serait impossible ; néanmoins, elle agit comme une inconscience essayant de devenir consciente ; elle est d'abord une nescience que le besoin et les impacts extérieurs obligent à sentir et à réagir, puis c'est une ignorance s'efforçant de connaître. Pour y parvenir, elle entre en contact avec le monde, avec ses forces et ses , objets, et c'est ce contact qui, comme le frottement de deux morceaux de bois, produit une étincelle de conscience ; la réponse du dedans est cette étincelle jaillissant dans la manifestation. Mais en recevant la réponse d'une source sous-jacente de connaissance, la -nescience, de surface l'atténue et la transforme en quelque chose d'obscur et d'incomplet; il y a une appréhension imparfaite ou erronée de l'intuition qui répond au contact ; cependant par ce processus, la conscience commence à pouvoir réagir, une première accumulation de connaissance instinctive inhérente ou habituelle se produit ; puis se manifeste une capacité, d'abord primitive et de plus en plus développée, de conscience réceptive, de compréhension, de réponse à l'action, de prévision avant d'entreprendre une action — une conscience évolutive qui est un mélange de connaissance

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et d'ignorance. L'expérience de tout l'inconnu se fait sur la base du connu; mais l'imperfection de cette connaissance, de sa réception et de sa réponse aux contacts des choses, peut fausser sa perception du nouveau contact, fausser également sa réponse intuitive ou la déformer, ce qui constitue une double source d'erreur.

Dans ces conditions, il est évident que l'Erreur est un accompagnement et presque une condition et un moyen nécessaires, une étape ou un stade indispensables d'une lente évolution vers la connaissance dans une conscience partie de la nescience et œuvrant dans le matériau d'une nescience générale. La conscience qui évolue doit acquérir la connaissance par un moyen indirect qui ne donne; même pas une certitude fragmentaire ; car au début, il y a seulement une représentation ou un signe, une image ou une vibration de caractère physique, que suscite le contact avec l'objet, et la. sensation vitale qui en résulte; le mental et les sens doivent les interpréter et les changer en une idée ou une représentation mentales correspondantes. Les choses dont on fait ainsi l'expérience, que l'on connaît ainsi mentalement, doivent être reliées entre elles; il faut observer et découvrir celles qui sont inconnues, les intégrer dans la somme d'expérience et de connaissance déjà acquise. À chaque pas, différentes possibilités de fait, de signification, de jugement, d'interprétation, de rapport se présentent; certaines doivent être .expérimentées puis rejetées, d'autres acceptées et confirmées; il est impossible d'exclure l'erreur sans limiter les chances d'acquérir la connaissance. L'observation est le premier instrument du mental, mais l'observation elle-même est un processus complexe, sujet à chaque pas -aux erreurs de .la conscience ignorante qui' observe : appréhension déformée des faits par les sens et le mental sensoriel, omission, choix et assemblages erronés, ajouts inconscients venus d'une impression ou d'une relation personnelles, tout cela crée une image composite fausse ou imparfaite ; à ces erreurs s'ajoutent celles de l'inférence, du jugement, de l'interprétation des faits par l'intelligence; quand les données elles mêmes ne sont ni sûres ni parfaites, les conclusions fondées sur elles sont nécessairement hasardeuses et imparfaites.

Pour acquérir la connaissance, la conscience procède du connu à l'inconnu; elle édifie une structure d'expérience acquise, de souvenirs, d'impressions, de jugements, un plan mental composite des choses, caractérisé par une fixité mouvante et toujours modifiable. Lorsqu'elle

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reçoit une nouvelle connaissance, elle juge ce qui se présente à la lumière de la connaissance passée et l'intègre dans la structure existante ; si elle ne s'adapte pas correctement, elle l'y rattache de force, tant bien que mal, ou la rejette; mais il se peut que la connaissance établie et ses structures ou ses normes ne soient pas applicables au nouvel objet ou au nouveau champ de connaissance, que l'ajustement s'avère défectueux, et que cet objet soit rejeté par erreur. A ce jugement erroné et à cette mésinterprétation des faits, s'ajoutent une application, une combinaison, une construction, une représentation fausses de la connaissance, un mécanisme compliqué d'erreur mentale. Dans toute cette obscurité -éclairée de nos parties mentales, une intuition secrète est à l'oeuvre, un besoin, de vérité qui corrige ou incite l'intelligence à corriger' ce qui est erroné, à faire effort pour obtenir une image vraie des choses et une vraie connaissance interprétative. Mais l'intuition elle-même est limitée dans le mental humain qui se trompe sur ses indications, et elle ne,peut agir par elle-même; qu'elle soit physique, vitale ou mentale, l'intuition doit en effet, si elle veut être reçue, se présenter non pas dans toute sa pureté et sa nudité, mais couverte d'un revêtement mental ou entièrement enveloppée dans une ample robe mentale ; ainsi déguisée, on ne peut reconnaître sa vraie nature, comprendre s'ena rôle ou. sa relation avec le mental, et l'intelligence humaine hâtive et à demi consciente ignore tout de son mode d'action. Il y a des intuitions de faits actuels, de possibilités, de la vérité déterminante derrière les choses, mais le mental les confond toutes. Une grande confusion de matériaux mal maîtrisés, une construction expérimentale, une représentation ou une structure mentale de l'image du moi et des choses, rigide et cependant chaotique, à moitié formée et ordonnée et à moitié embrouillée, à moitié vraie et à. moitié fausse, mais toujours imparfaite, tel est le caractère de la connaissance humaine.

Cependant, l'erreur, par elle-même, ne serait pas synonyme de fausseté ; elle ne serait qu'une vérité imparfaite, une tentative, un essai de possibilités; en effet, quand nous n'avons pas la connaissance, il nous faut admettre des possibilités non éprouvées et incertaines et, même si cela aboutit à la construction d'une structure imparfaite ou inadéquate, celle-ci peut se justifier, dans la mesure où elle donne accès à une connaissance nouvelle sur des voies imprévues ; par ailleurs, sa dissolution et sa reconstruction ou la découverte d'une vérité qu'elle cachait, peuvent élargir notre cognition ou notre expérience. En dépit

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du mélange ainsi créé, la croissance de la conscience, de l'intelligence et de la raison pourrait, à travers cette vérité mélangée, conduire à une image plus claire et plus vraie de la connaissance de soi et du monde. L'obstruction de l'inconscience originelle enveloppante diminuerait, et une conscience mentale croissante pourrait acquérir une clarté et une intégralité qui permettraient aux pouvoirs celés de la connaissance directe et du processus intuitif d'émerger, d'utiliser les instruments ainsi préparés et éclairés et de faire, de l'intelligence mentale' leur véritable agent, leur constructeur de vérité à la surface du processus évolutif.

Mais ici la seconde condition, le second facteur de l'évolution intervient; car cette recherche de la connaissance n'est pas un processus mental impersonnel entravé seulement par les limitations générales de l'intelligence mentale ; l'ego est là, l'ego physique, l'ego vital qui insiste, non sur la découverte de soi et la découverte de la vérité des choses et de la vie, mais sur l'affirmation vitale de soi. Un ego mental est là qui, lui aussi, tend à s'affirmer personnellement, et l'élan vital le dirige et l'utilise en grande partie pour servir son propre désir et son propre dessein. Car à mesure que le mental se développe, se développe aussi une individualité mentale, où la tendance mentale revêt une dynamique personnelle, ,un tempérament mental et une formation mentale caractéristiques. Cette individualité mentale de surface est égocentrique ; elle regarde le monde, les choses, les événements de son point de vue et les voit non tels qu'ils sont mais tels qu'ils l'affectent; en observant les choses, elle leur donne le tour qui convient à sa tendance et à son caractère, choisit ou rejette, arrange la vérité selon sa convenance et ses préférences mentales. L'observation, le jugement, la raison sont tous déterminés ou affectés par cette personnalité mentale et assimilés aux besoins de l'individualité et de l'ego. Même quand le mental aspire vraiment à une vérité et à une raison purement impersonnelles, cette parfaite impersonnalité lui est inaccessible; même l'intellect le plus entraîné, le plus sévère et le plus vigilant ne parvient pas à distinguer les tours et détours que l'ego mental fait subir à la vérité dans sa réception des faits et des idées et dans la construction de sa connaissance mentale. Nous avons là une source presque inépuisable de distorsion de la vérité, une cause de falsification, une propension inconsciente ou à demi consciente à l'erreur, une acceptation des idées ou des faits fondée non sur une perception claire du vrai et du faux, mais sur des préférences, des convenances personnelles, des choix impulsifs, des préjugés. .C'est là une pépinière fertile pour la

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croissance de la fausseté. Une porte, ou plusieurs portes s'ouvrent par lesquelles elle peut entrer, soit subrepticement, soit par une violente, mais acceptable, usurpation. La vérité peut elle aussi entrer et s'installer, non de plein droit, mais selon le bon plaisir du mental.

Pour reprendre les termes de la psychologie sânkhyenne, nous pouvons distinguer trois types d'individualité mentale : celui que gouverne le principe d'obscurité et d'inertie, premier-né' de l'Inconscient, est tâmasique ; celui que gouverne la force de la passion et de l'activité, est cinétique, râjasique; et celui qui est coulé dans le moule du principe sâttvique de lumière, d'harmonie, d'équilibre. L'intelligence tâmasique a son siège dans le mental physique : elle est insensible aux idées—à l'exception de celles qu'elle reçoit, de façon inerte, aveugle et passive, d'une source ou d'une autorité reconnues —, tel un obscur récepteur refusant de s'élargir, réfractaire aux nouveaux stimuli, conservateur et statique. S'accrochant à là structure cognitive qu'elle a reçue, sa seule forée -est un pouvoir pratique de répétition ; mais ce pouvoir est limité par ce qui est habituel, évident, établi, familier, assuré, et elle rejette tout ce qui est nouveau et risque de la déranger. L'intelligence râjasique a son siège principal dans le mental vital. Elle est de deux sortes: violemment et passionnément défensive, elle affirme son individualité mentale et défend tout ce qui est en accord avec elle, tout ce que préfère sa volonté, tout ce qui s'adapte à ses vues, mais se montre agressive envers tout ce qui s'oppose ;à la structure mentale de son ego ou ce que son intellectualité personnelle juge inacceptable; mais elle peut aussi s'enthousiasmer pour les choses nouvelles : elle est alors passionnée, opiniâtre, impétueuse, souvent insaisissable, inconstante et jamais en repos, et ses idées sont gouvernées non par la vérité et la lumière mais par le goût de la bataille, du mouvement et de l'aventure intellectuels. L'intelligence sâttvique aspire à la connaissance, elle s'ouvre à elle autant qu'elle le peut, prend soin de considérer, de vérifier et d'équilibrer; d'ajuster et d'adapter à ses vues tout ce qui se confirme comme vérité ; elle reçoit tout ce qu'elle peut assimiler, est habile à édifier la vérité en une structure intellectuelle harmonieuse. Mais sa lumière étant limitée, comme l'est nécessairement toute lumière mentale, elle est incapable de s'élargir suffisamment pour recevoir de façon égale toute vérité et toute connaissance. Elle a un ego mental, parfois même éclairé, qui détermine son observation, son jugement, son raisonnement, ses choix et ses préférences mentales. Chez la plupart des hommes, l'une de

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ces qualités prédomine, mais il y a aussi un mélange ; le même mental peut être ouvert, souple, harmonisé dans une certaine direction, et dans une autre se montrer dynamique, vital, précipité, plein de préjugés et déséquilibré, et dans une autre encore, obscur et insensible. Cette limitation due à la personnalité, cette défense de la personnalité et ce refus de recevoir ce que l'on ne peut assimiler sont nécessaires à l'être individuel car, en son évolution, au stade où il est parvenu, il a un certain mode d'expression de soi, un certain type d'expérience et une certaine façon d'utiliser l'expérience qui doivent, du moins sur le plan mental et sur le plan vital, gouverner sa nature. Et pour un temps, c'est sa loi d'être, son dharma. Cette limitation de la conscience mentale par la personnalité et de la vérité par le tempérament mental et les préférences mentales, doit être la loi de notre nature tant que l'individu n'a pas atteint l'universalité, ne se prépare pas encore à transcender le mental. Mais il est évident que cette condition est inévitablement une source d'erreur; et peut, à tout moment, être à l'origine d'une falsification de la connaissance, d'une tromperie de soi, inconsciente ou à demi volontaire, d'un refus d'admettre la connaissance vraie, une tendance à affirmer comme vraie une connaissance fausse, mais jugée acceptable.

Ainsi en est-il dans le domaine de la cognition, mais la même loi s'applique à la volonté et à l'action. L'ignorance engendre une conscience fausse qui pervertit la réaction dynamique 'au contact des personnes, des choses, des événements ; la conscience de surface prend l'habitude d'ignorer, de comprendre de travers ou de rejeter les suggestions qui viennent de la conscience secrète la plus profonde, l'entité psychique, et l'incitent à agir ou à ne pas agir ; elle répond au contraire à des suggestions mentales et vitales non éclairées, ou agit selon les exigences et les impulsions de l'ego vital. Ici, la seconde condition primordiale de l'évolution, la loi d'un être vital séparé s'affirmant dans un monde qui, pour lui, est un non-moi, vient au premier-plan et revêt une immense importance. C'est ici que la personnalité vitale de surface, le moi vital, affirme sa domination, et cette domination de l'être vital ignorant est une source majeure et active' de discorde et de disharmonie, une cause des perturbations intérieures et extérieures de la vie, un des principaux ressorts de la mauvaise action et du mal. Dans la mesure où il n'est pas bridé ou pas éduqué, ou s'il conserve son* caractère primitif, l'élément vital: naturel en nous 'ne se soucie pas de la vérité, ni de' la conscience ou de l'action''ij'aiStes5 ce "qui ite

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préoccupe, c'est l'affirmation de soi, l'expansion vitale, la possession, la satisfaction des pulsions et des désirs. Ce besoin fondamental, cette exigence première du moi vital lui semble d'une importance capitale-; il. les satisferait volontiers sans aucun respect pour la vérité, la justice ou le bien, ou aucune autre considération; mais parce que le mental a ces conceptions et l'âme ces perceptions, il essaie de dominer le mental et d'en obtenir de force, en les lui dictant, une sanction et/un ordre pour exécuter fia propre volonté d'affirmation de soi, un verdict affirmant que ses propres assertions, impulsions et désirs vitaux sont vrais, justes et bons. Il cherche à se justifier afin d'avoir le champ libre pour s'affirmer pleinement. Mais s'il peut obtenir l'assentiment dû mental, il est prêt à ignorer toutes ces normes et à n'en fixer qu'une seule : la satisfaction, la croissance, la force, la grandeur de l'ego vital. L'individu vital a besoin de place et d'espace pour s'étendre, besoin de posséder .son monde, de dominer et contrôler les choses, et Les êtres,; besoin d'un espace vital, d'une place au soleil, besoin de s'affirmer et de survivre. Il en a besoin pour lui-même et pour ceux avec qui il s'associe, pour son propre ego et pour l'ego collectif; il en a besoin pour ses idées, ses croyances, ses, idéaux, ses intérêts, ses imaginations ; car il lui faut affirmer ces formes de " moi " et de " mien " et les imposer au monde autour de lui ; ou s'il n'est pas assez fort pour le faire, il doit au moins les défendre et les préserver des autres " moi " en déployant tout son pouvoir et toute son ingéniosité. Il peut essayer de le faire par des méthodes qu'il croit justes ou choisit de croire justes ou de présenter comme telles ; il peut essayer de le faire par le recours non déguisé à .la violence, à la ruse, au mensonge,à l'agression; .destructrice, à l'écrasement d'autres formations vitales. Quels que soient les moyens ou l'attitude morale, le principe est le même. Ce n'est pas seulement dans le domaine des intérêts personnels, mais dans celui des idées et celui de la religion que l'être vital de l'homme a introduit cet esprit et cette attitude d'affirmation de soi et de lutte, et ce recours à la violence, à l'oppression et à la répression, à l'intolérance et à l'agression. Il a imposé le principe de l'égoïsme vital au domaine de la vérité intellectuelle et au domaine spirituel. En s'affirmant et ; en s'imposant ;ainsi, la vie introduit la haine et l'aversion pour tout ce qui fait obstacle à son expansion ou heurte son ego ; comme moyen ou comme passion, ou par réaction de la nature vitale, elle cultive la cruauté, la traîtrise et autres engeances; pour satisfaire ses désirs et ses impulsions, elle ne tirent aucun compte de ce qui est juste ou;injuste: leur. satisfaction, est

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la seule chose qui l'occupe, et pour y parvenir, elle est prête à risquer la destruction et à endurer de réelles souffrances ; car l'intention de la Nature n'est pas de l'inciter à rechercher sa seule préservation : son but est l'affirmation et la satisfaction vitales, l'expression de la force vitale et de l'être vital.

Il ne n'ensuit pas que la personnalité vitale ne soit que cela dans sa composition originelle, ou que le mal soit au cœur même de sa nature. La vérité et le bien ne sont pas ses préoccupations premières, mais elle peut avoir la passion de la vérité et du bien comme elle a, plus spontanément, la passion de la joie et de la beauté. Dans tout ce que développe la force de vie, se développe en même temps, quelque part dans l'être, un délice secret, un délice dans le bien et un délice dans le mal, un délice dans la vérité et un délice dans le mensonge, un .délice dans la vie et une attirance pour la mort, un délice dans le plaisir et un délice dans la douleur, dans notre propre souffrance et dans celle d'autrui, mais aussi dans notre propre joie, notre bonheur et notre bien comme dans ceux d'autrui. Car la force d'affirmation vitale s'applique pareillement au bien et au mal; elle se sent .poussée a aider, à s'associer, elle a ses élans de générosité, d'affection, de loyauté, de don de soi; elle s'abandonne à l'altruisme comme elle s'abandonne à l'égoïsme, se sacrifie elle-même comme elle détruit les autres; et dans tous ses actes, il y a la même passion de la vie qui s'affirme, la même force d'action et d'accomplissement. Ce caractère de l'être vital 'et sa tendance existentielle, où ce que nous nommons bien et mal son des éléments et non le ressort principal, sont évidents dans la vie infrahumaine ; chez l'être humain, où un discernement mental, moral et psychique s'est développé, l'être vital subit un contrôle, ou un camouflage, mais il ne change pas de caractère. Cet être et sa force de vie, et leur élan vers l'affirmation de soi, sont, en l'absence d'une Action manifeste du pouvoir de l'âme et du pouvoir spirituel, Âtmashakti, le moyen principal de réalisation dont dispose la Nature, et sans son soutien, ni le mental ni le corps ne peuvent utiliser leurs possibilités ou réaliser. leur but dans l'existence terrestre. Ce n'est que si l'être vital intérieur véritable remplace la personnalité vitale extérieure que l'impulsion de l'ego vital peut être entièrement dominée et la force de vie devenir la servante de l'âme et un instrument puissant pour l'action de; notre être spirituel vrai.

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Telles sont donc l'origine et la nature de l'erreur, du mensonge, de l'injustice et du mal dans la conscience et la volonté de l'individu. Une conscience limitée croissant à partir de la nescience est la source de l'erreur; un attachement personnel à la limitation et à l'erreur qu'elle engendre, la source de la fausseté; une conscience fausse gouvernée par l'ego vital, la source du mal. Mais il est évident que leur existence relative n'est qu'un phénomène projeté par la Force cosmique en son élan pour s'exprimer dans  l'évolution, et  c'est là que nous devons chercher la signification du phénomène. Car l'émergence de l'ego vital; nous l'avons vu, est un procédé de la Nature cosmique qui permet à l'individu de s'affirmer et de se dégager de la substance, de la masse indéterminée du subconscient, pour qu'apparaisse un être conscient sur un terrain préparé par l'Inconscience. Le principe d'affirmation de soi de l'ego en est la conséquence nécessaire. L'ego individuel est une fiction pragmatique et effective, une traduction du moi secret dans les termes de la conscience de surface, ou un substitut subjectif du vrai moi dans notre expérience superficielle. L'ignorance le sépare des " autres moi " et de la Divinité intérieure, mais il est cependant poussé secrètement vers une unification évolutive dans la diversité; bien que fini, il porte secrètement en lui l'élan vers l'infini. Mais dans les termes d'une conscience ignorante, cela se traduit par une volonté d'expansion, la volonté d'être un fini sans limites, d'absorber tout ce qu'il peut, de pénétrer en tout et de tout posséder, voire d'être possédé s'il peut ainsi se satisfaire et sentir qu'il grandit dans les autres ou grâce à eux, ou s'il peut, en les subjuguant, absorber leur être et leur pouvoir Ou recevoir de cette manière une aide, une impulsion pour l'affirmation et le délice de sa vie,pour l'enrichissement de son 'existence mentale; vitale ou physique.

Mais parce qu'il agit ainsi en ego séparé, pour 'son; propre: avantage et non par un échange mutuel conscient et dans l'unité, cela engendre la discorde vitale, le conflit, la disharmonie, et c'est le produit de cette discorde vitale et de cette disharmonie que nous appelons injustice et mal. La Nature les accepte parce que ce sont des circonstances nécessaires de l'évolution, nécessaires à la croissance de l'être divisé ; ce sont les fruits de l'ignorance, soutenus par une conscience ignorante qui se fonde sur la division, par une volonté ignorante qui œuvre au moyen de la division, par une félicité d'être ignorante qui trouve sa joie dans-la division. Il y a dans l'évolution une intention qui s'accomplit par le mal

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comme par le bien. Elle doit se servir de tout parce qu'en se satisfaisant d'un bien limité, elle emprisonnerait et mettrait un frein à l'évolution prévue. Elle utilise tous les matériaux disponibles et en fait ce qu'elle peut, c'est pourquoi: nous voyons le mal naître de ce que nous appelons bien et le bien naître de ce que nous appelons mal. Et si nous constatons même que ce que nous pensions être mal est finalement accepté comme un bien, que ce que nous pensions être bien est finalement tenu pour un mal, c'est parce que nos critères du bien et du mal sont évolutifs, limités et changeants. La Nature évolutive, la Force cosmique terrestre semble donc n'avoir au début aucune préférence pour l'un ou l'autre de ces contraires, elle les utilise tous deux également pour parvenir à ses fins. Et pourtant, c'est da même Nature, la même :Force qui a imposé à l'homme ce fardeau qu'est le sens du bien et du mal et qui en souligne l'importance. Manifestement, ce sens a donc lui aussi un but évolutif, lui aussi doit être nécessaire. Il doit exister pour que l'homme puisse laisser certaines choses derrière lui, se tourner vers d'autres, jusqu'à ce que du bien et du mal il puisse émerger en un Bien qui soit éternel et infini.

Mais comment cette intention évolutive de la Nature doit-elle s'accomplir, par quel pouvoir, quel moyen, quelle impulsion, par quel principe et quelle méthode de sélection et d'harmonisation ? La méthode adoptée par le mental de l'homme au fil des âges a toujours été un principe de sélection et de rejet, qui a pris les formes d'une sanction religieuse, ou d'une règle de vie morale ou sociale, ou bien d'un idéal éthique. Mais c'est là un moyen empirique qui ne touche pas la racine du problème, parce qu'il ne voit pas la cause et l'origine de la maladie qu'il cherche à guérir. Il s'occupe des symptômes, mais superficiellement, sans connaître leur rôle dans le dessein de la Nature ni ce qui, dans le mental et la vie, les soutient et préserve leur existence. En outre, le bien et le mal humains sont relatifs, et les normes établies par l'éthique sont aussi incertaines que relatives. Ce qui est interdit par une religion ou une autre, ce qui est tenu pour bien ou mal par l'opinion publique, ce qui a été jugé utile ou nuisible à la société, ce que telle loi temporaire des hommes permet ou interdit, ce qui est/ou ce i que l'on considère bienfaisant ou nocif, pour soi ou pour autrui, ce qui s'accorde avec tel ou tel idéal, ce que suggère ou décourage un instinct que nous nommons conscience — l'amalgame de tous ces points de vue est l'idée hétérogène et déterminante et constitué la substance complexe, de la moralité. En tous il y a un mélange constant de vérité, de demi-vérité

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et d'erreur. qui accompagne toutes les activités de notre Connaissance-Ignorance mentale limitée. Exercer un contrôle mental sur nos désirs et nos instincts vitaux et physiques, sur notre action personnelle et sociale, sur nos rapports avec les autres, nous est indispensable à nous, êtres humains, et la. moralité crée une norme qui nous sert de guide et nous permet d'établir un contrôle conforme à l'usage; mais ce contrôle est toujours imparfait et c'est un expédient, non une solution. L'homme demeure ce qu'il est et ce qu'il a toujours été, un mélange de bien et de mal, de péché et de vertu, un ego mental gouvernant imparfaitement sa nature mentale, vitale et physique.

L'effort pour choisir, pour préserver tout ce qui, dans notre conscience et notre action, nous semble bon et rejeter tout ce qui nous paraît mauvais, et pour re-former ainsi notre être, nous recréer et nous modeler à l'image d'un idéal, est un mobile éthique plus profond, car il touche de plus près au vrai problème : il repose sur l'idée légitime que notre; vie; est un devenir et qu'il existe quelque chose qu'il nous faut devenir et être. Mais les idéaux construits par le mental humain sont sélectifs et relatifs; façonner rigidement notre nature selon, ces idéaux, c'est mous limiter et faire unie construction là où il devrait y avoir une croissance vers un être plus vaste. L'appel véritable, c'est l'appel de l'Infini et du Suprême. L'affirmation et la négation de nous-mêmes que nous impose la Nature sont toutes deux des mouvements dirigés vers cela, et ce que  nous devons découvrir, c'est le juste chemin de l'affirmation et de la négation de soi réunies, au lieu de la voie fausse parce qu'ignorante, de l'ego, et du conflit entre le oui et le non de la Nature. Si nous ne le découvrons pas, ou bien la poussée de la vie sera trop forte pour notre idéal étroit de perfection, ses instruments se briseront et il ne pourra se réaliser et se perpétuer; ou bien nous obtiendrons tout au plus un demi-résultat ; ou encore, la tendance à fuir la vie se présentera comme l'unique remède, le seul moyen d'échapper à l'emprise, autrement invincible, de l'Ignorance. Telle est en fait la voie qu'indique ordinairement la religion : une morale prescrite par le divin, une poursuite de la piété, de l'équité et de la vertu comme le stipule un code de conduite religieux, une loi de Dieu déterminée par quelque inspiration humaine. Tels sont les moyens qui nous sont proposés, la direction à suivre pour marcher sur le chemin qui mène à l'issue, à la solution. Mais cette issue ne change rien au problème; ce n'est qu'une voie par laquelle l'être personnel peut échapper à l'énigme irrésolue de

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l'existence cosmique. Dans l'Inde ancienne, la pensée spirituelle avait une perception plus claire de la difficulté. On tenait la pratique de la vérité, de la vertu, de la volonté juste et de l'action juste pour nécessaire afin d'accéder à la réalisation spirituelle, mais dans la réalisation elle-même, l'être, s'élève en la conscience plus grande de l'Infini et Éternel et se débarrasse du fardeau du péché et de la vertu, qui appartient à la relativité et à l'Ignorance. Derrière cette perception plus vaste et plus vraie, il y a l'intuition qu'un bien relatif est un entraînement que la Nature universelle nous impose afin que nous puissions ainsi nous diriger vers le vrai Bien, qui est absolu. Ces problèmes relèvent du mental et de la vie ignorante, ils ne nous suivent pas au-delà du mental. De même que dans une Conscience-de-Vérité infinie cesse la: dualité ide; la; vérité et de l'erreur, de même y a-t-il une libération hors de la dualité du bien et du mal dans un Bien infini, dans une transcendance.

On ne peut échapper artificiellement à ce problème qui; a toujours préoccupé l'humanité et auquel elle n'a trouvé aucune solution satisfaisante. L'arbre de la connaissance du bien et du mal, avec ses fruits doux et amers, est secrètement enraciné dans la nature même de l'Inconscience d'où notre être a émergé et sur laquelle il se tient encore comme sur le sol, l'assise inférieure de notre existence physique; il a grandi visiblement à la surface, dans les multiples ramifications de l'Ignorance qui demeure la masse principale, la condition première de notre conscience en sa difficile évolution vers une conscience suprême et un éveil intégral. Tant qu'existera ce sol où plongent les racines encore cachées, tant qu'existera cet air nourricier et ce climat d'Ignorance, l'arbre grandira et prospérera et produira sa double floraison et ses fruits mélangés. Cela laisserait supposer qu'il ne pourra y avoir de solution définitive tant que nous n'aurons pas changé notre inconscience en la conscience supérieure, fait de la vérité du moi et de l'esprit la base de notre vie et; transformé notre ignorance en une plus haute connaissance. Tous les autres moyens ne seront qu'un pis-aller ou des impasses ; une transformation complète et radicale de notre nature est la seule solution véritable. C'est parce que l'Inconscience impose son obscurité originelle à notre perception de nous-mêmes et ries choses et que l'Ignorance la fonde sur une conscience imparfaite et divisée, et parce que nous vivons dans cette obscurité et cette division, qu'une connaissance et une volonté fausses sont possibles ; sans connaissance fausse, il ne pourrait y avoir d'erreur ni de fausseté, et sans erreur ou

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sans fausseté dans nos éléments dynamiques, il ne pourrait y avoir de volonté fausse dans les parties de notre être; sans volonté fausse, enfin, il ne pourrait y avoir d'action mauvaise ni de mal. Tant que dureront ces causes, les effets aussi persisteront dans nos actes et notre nature. Un contrôle mental ne peut jamais être qu'un contrôle, pas une guérison; un enseignement mental, une règle et une norme mentales ne peuvent qu'imposer un sillon artificiel dans lequel notre action tourne mécaniquement ou avec difficulté et qui réprime et limite la forme que suit le développement de notre nature. Un changement de conscience total, un changement de nature radical, est le seul remède et la seule issue.

Mais puisque la racine de la difficulté se trouve dans une double existence, limitée et séparatrice, ce changement doit consister en une intégration, une guérison de la conscience divisée de notre être, et cette division étant complexe et multiple, aucun changement partiel d'un seul aspect de l'être ne saurait se. substituer de façon satisfaisante à la transformation intégrale. La première division est celle que crée notre ego et surtout, avec le plus de force et d'acuité, notre ego vital qui nous sépare de tous les autres êtres, les traitant comme " non-moi ", et nous lie à notre égocentrisme et à;la":loi d'une affirmation de soi égoïste. C'est dans les erreurs de cette affirmation de soi que la fausseté et le mal émergent tout d'abord : la conscience fausse engendre la volonté fausse dans les parties de l'être, dans le mental pensant, dans le cœur, le mental vital et l'être sensoriel, et jusque dans la conscience du corps; la volonté fausse engendre l'action fausse de tous ces instruments, une erreur multiple, une foisonnante perversion de la pensée, de la volonté, des sens et des sentiments. Et nous ne pouvons établir des rapports justes avec les autres tant qu'ils sont pour nous des " autres ", des êtres qui nous sont étrangers et dont nous ne connaissons guère ou pas du tout la conscience intérieure, les besoins de l'âme, du mental, du cœur, de la vie et du corps. Le peu de sympathie, de connaissance et de bonne volonté imparfaites qu'engendrent la loi, le besoin et l'habitude de l'association, est trop insuffisant pour satisfaire les exigences d'une action véritable. Un mental et un cœur plus vastes, une force de vie plus ample et plus généreuse peuvent contribuer, à nous 'aider ou à aider autrui et à éviter les pires offenses, mais cela aussi est insuffisant et n'empêche pas nombre de perturbations, de maux et de collisions de notre bien privilégié avec le bien d'autrui. Notre ego et notre ignorance sont ainsi faits que nous nous affirmons égoïstement Lors même que nous nous

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targuons le plus de notre absence d'égoïsme, et, dans notre ignorance, même quand nous sommes le plus fiers de notre compréhension et de notre connaissance. Pris comme règle de vie, l'altruisme ne nous délivre pas; c'est un puissant instrument pour s'élargir et corriger l'ego plus énroi4 mais il n'abolit ni ne transforme cet ego en le moi véritable, un avec tous. L'ego de l'altruiste est aussi puissant et absorbant que l'ego de l'égoïste, et il est souvent plus fort et plus persistant parce que c'est un ego satisfait de soi et magnifié. Et causer du tort à notre âme, à notre mental, à notre vie"o;u à notre corps avec l'idée "de soumettre notre moi à celui d'autrui, nous aide encore moins. Le vrai principe est d'affirmer notre être de la façon juste afin qu'il puisse devenir un avec tous, non de le mutiler ou de l'immoler. Il peut être parfois nécessaire — exceptionnellement — de s'immoler pour une cause, en réponse à quelque exigence du cœur ou pour quelque juste et haut dessein, mais on ne peut en faire la règle ou la nature de la vie. Cette exagération ne ferait que nourrir et enfler l'ego des autres ou magnifier quelque ego collectif, et ne nous conduirait pas, nous ou l'humanité, à la découverte et à l'affirmation de notre être vrai, ou du sien. Le sacrifice et le don de soi sont assurément un principe vrai et une nécessité spirituelle, car nous ne pouvons affirmer notre être de la façon juste sans sacrifice ou sans nous donner à quelque chose de plus vaste que notre ego ; mais cela aussi doit être fait avec une conscience et une volonté justes, fondées sur une connaissance vraie. Le mieux que nous puissions faire dans les limites de la formation mentale, consiste à développer la partie sâttvique de notre nature, une nature de lumière, de compréhension, d'équilibre, d'harmonie, de sympathie, de bonne volonté, de bonté, d'amour du prochain, de maîtrise de soi, d'action correctement ordonnée et harmonisée ; mais c'est une étape, et non le but de la croissance de notre être. Ce sont des expédients, des palliatifs, les moyens nécessaires pour traiter partiellement cette difficulté fondamentale, des normes provisoires et des procédés qui nous servent temporairement de guide et de soutien, parce que la solution véritable et complète dépasse notre capacité actuelle et ne pourra venir que lorsque nous aurons suffisamment évolué pour la voir et en faire l'objet principal de notre quête.

La vraie solution ne peut venir que lorsque notre croissance spirituelle atteint le point où nous-même et tous les êtres ne formons plus qu'un seul moi, où nous les connaissons comme une partie de notre moi, les traitons comme s'ils étaient nos autres-moi; car alors la division

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est abolie, la loi d'affirmation de soi séparée, qui conduit tout naturellement  à l'affirmation de soi contre les autres ou à leurs dépens, s'élargit et se libère par l'apport d'une autre loi, celle de l'affirmation de soi pour autrui et de la découverte de soi en leur propre découverte et leur propre réalisation. On s'est fait une règle, en morale religieuse, d'agir dans un esprit de compassion universelle, d'aimer son prochain comme soi-même, de faire aux autres ce que l'on voudrait qu'ils nous fassent à nous-mêmes, d'éprouver comme nôtres et leur joie et leur peine; mais aucun homme vivant en son ego ne p'eut véritablement et parfaitement accomplir de telles choses, il ne peut que les accepter comme une exigence de son mental, une aspiration de son cœur, un effort de sa volonté pour vivre selon une norme élevée et modifier, par un effort sincère, sa nature égoïste grossière. C'est, quand on connaît et qu'on sent intimement les autres comme soi-même, que cet idéal peut devenir une règle de vie naturelle et spontanée et être réalisé en pratique comme en son principe. Mais être un avec les autres n'est pas même suffisant en soi, si c'est être un avec leur ignorance; car alors la loi de l'ignorance agira, l'action erronée et l'action fausse persisteront, fût-ce à un moindre degré et même si leur incidence et leur caractère sont atténués. Notre union avec les autres doit être fondamentale ; ce ne doit pas être une union, avec leur mental, leur cœur, leur être vital, leur ego — bien qu'ils finissent par être inclus dans notre conscience universalisée —, mais une union en l'âme et en l'esprit, et cela ne peut se produire que par notre libération en la conscience de l'âme et là connaissance du moi. Être nous-mêmes affranchis de l'ego et réaliser notre vrai moi, telle est la première nécessité; tout le reste peut ensuite s'accomplir, en être le lumineux résultat, la conséquence nécessaire. C'est l'une des raisons pour lesquelles un appel spirituel doit être accepté de façon impérative et prendre le pas sur toutes les autres revendications, intellectuelles, éthiques ou sociales, qui relèvent du domaine de l'Ignorance. Car la loi mentale du bien appartient à ce domaine et ne peut que modifier les choses et servir de palliatif; rien ne saurait vraiment remplacer le changement spirituel qui peut réaliser le bien véritable et intégral, car c'est l'esprit qui nous conduit à la racine de l'action et de l'existence.

;  La connaissance spirituelle du moi s'accomplit en trois étapes, qui sont en même temps trois parties de l'unique connaissance. La première est la découverte de l'âme, non point l'âme extérieure de pensée, d'émotion et de désir, mais l'entité psychique secrète, l'élément

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divin en nous. Quand elle domine notre nature, quand nous sommes consciemment l'âme et quand le mental, la vie et le corps prennent leur vraie place d'instruments de l'âme, nous devenons conscients d'un guide intérieur qui connaît la vérité, le bien, le vrai délice et la vraie beauté de l'existence, qui gouverne le cœur, et l'intellect par sa loi lumineuse et conduit notre vie et notre être vers la plénitude spirituelle. Même dans les obscures opérations de l'Ignorance, nous avons alors un témoin qui discerne, une lumière vivante qui illumine, une volonté qui refuse de se laisser fourvoyer et qui sépare la vérité mentale de l'erreur, fait la distinction entre la réponse intime du cœur et ce qui vibre en lui en réponse à un faux appel ou à une fausse demande qui lui est faite, ne confond pas l'ardeur véritable et le plein mouvement de la vie avec la passion vitale et les mensonges turbides de notre nature vitale et la recherche de ses obscures satisfactions égoïstes. Telle est la première étape de la réalisation de soi : instaurer le règne de l'âme, l'individu psychique divin, à la place de l'ego. L'étape suivante consiste à prendre conscience du moi éternel en nous, non né, un avec le moi de tous les êtres. Cette réalisation de soi libère et universalise ; même si notre action se poursuit encore selon la dynamique de l'Ignorance, elle ne nous enchaîne plus, ne nous égare plus, car notre être intérieur trône dans la lumière de la connaissance de soi. La troisième étape nous amène à connaître l'Être divin qui est à la fois notre suprême Moi transcendant, l'Être cosmique, fondement de notre universalité, et le Divin intérieur dont notre être psychique, le vrai individu évolutif en notre nature, est une part, une étincelle, une flamme qui grandit en le Feu éternel où il fut allumé et dont il est le témoin toujours vivant en nous et l'instrument conscient de sa lumière, de son pouvoir, de sa joie et de sa beauté. Conscients que le Divin est le Maître de notre être et de notre action, nous pouvons apprendre à devenir les canaux de Sa Shakti, la Puissance divine, et à agir selon ses ordres ou la loi de sa lumière et de son pouvoir en nous. Notre action ne sera plus, dès lors, gouvernée par nos impulsions vitales ou soumise à une norme mentale, car la Shakti agit suivant la vérité permanente et néanmoins plastique des choses — non la vérité que construit le mental, mais celle plus haute, plus profonde et plus subtile de chaque mouvement et de chaque circonstance telle que la connaît la connaissance suprême et que l'exige la suprême volonté dans l'univers. La libération de la volonté suit la libération de la connaissance, elle en est la conséquence dynamique. C'est la connaissance qui purifie, c'est la vérité qui libère ; le mal est le fruit d'une ignorance spirituelle et il ne disparaîtra que par la croissance

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d'une conscience spirituelle, et: là lumière' de la connaissance spirituelle. Notre être est séparé des autres êtres, et cette division ne peut disparaître qu'en annulant le divorce entre notre nature et la réalité intérieure de l'âme, qu'en supprimant le voile entre notre devenir et notre être essentiel; qu'en jetant un pont sur l'espace qui éloigne notre individualité dans la Nature de l'Être divin qui est la Réalité omniprésente dans la Nature et au-delà.

Mais la dernière division qui; reste à éliminer est la scission entre cette Nature et la Supra-Nature qui est le Pouvoir-en-soi de l'Existence divine. Même avant que la l'intuition dynamique ne soit annulée, tant qu'elle demeure comme une instrumentation inadéquate de l'esprit, la Shakti suprême ou Supranature peut œuvrer à travers nous et nous pouvons être conscients de ses opérations; mais elle le fait en modifiant sa lumière et son pouvoir afin que la nature inférieure -'le mental, la vie et le corps — puisse la recevoir et l'assimiler. Mais cela ne suffit pas; il est nécessaire de remodeler entièrement ce que nous sommes et d'en faire un état et un pouvoir de la Supranature divine. Cette intégration de notre être ne peut être complète à moins que l'action dynamique ne -soit ainsi transformée; c'est tout le mode de la Nature elle-même qui doit être soulevé et changé : illuminer et transmuer les états intérieurs de l'être n'est pas suffisant. Une Conscience-de-Vérité éternelle doit prendre possession de nous et, sublimant tous les modes de notre nature, l'es changer en ses propres modes d'être, de connaissance et d'action. Une perception, une volonté, un sentiment, un mouvement, une action spontanément vrais peuvent alors devenir la loi intégrale de notre nature.

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