L’Agenda de Mère Set of 13 volumes
L’Agenda de Mère 1967 Vol. 8 1980 Edition   Satprem
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ABOUT

Agenda de l’action Supramentale sur la Terre. The 'yoga of the cell' leads to 'true matter' and eventually the victory over death. A collective transformation sufficient to create a new species on earth is needed.

L’Agenda de Mère 1967

The Mother symbol
The Mother

This year, all the features of the yoga of the cells become clear: "A growing conviction that a perfection achieved in matter is a far more perfect perfection than any other. The consciousness expressed in transformed cells is a marvel: it legitimises all these ages of misery. Oh, what a fuss all those gods make." This year marks the discovery of "true matter".... without fuss: "In that cellular limpidity, there are no more problems: the solution precedes the problem. That is, things arrange themselves automatically." It's another mode of life on earth - "such a natural way of being" - in a body freed from its mental shackles and the laws of false matter: "The extraordinary impression of the unreality of suffering the unreality of illness.... It does not cure illness: it annuls it - it makes it unreal.... And then you see: as the functioning gradually grows perfect, it necessarily, inevitably means victory over death." And meanwhile, Surveyor is digging the ground of the moon with its mechanical arms, while our own secrets remain buried in a little cell: "We can travel anywhere, we know what's going on anywhere.... and we don't know what's going on inside ourselves." War is raging in Biafra, the Israeli troops are marching toward Suez, American planes are bombing Haiphong, China explodes its first thermonuclear bomb.... and so on. "A tremendous conflict over earth." At stake is a new earth, or a return to the old fiasco: "A local and momentary manifestation is not ruled out, but what is needed is a collective transformation sufficient to create a new species on earth.... This fact is certain." Will we understand where the real way out is, and the Marvel concealed in a human body?

L’Agenda de Mère L’Agenda de Mère 1967 Editor:   Satprem Vol. 8 1980 Edition
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Mother's Agenda 1967 Conversations with Satprem

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janvier




4 janvier 1967

À propos d'une visiteuse européenne:

J'avais l’impression qu'il fallait qu'elle soit détendue, que son séjour serait bon si elle pouvait s'ouvrir, comme une fleur s'ouvre, comme cela, détendue.

Elle est tendue vis-à-vis de la vie (Mère serre ses deux poings en se raidissant): c'est «Quelque chose à tenir à l’œil»! «Faire attention!» Alors si elle pouvait... Après tout, c'est une si grande chose quand on peut dire: «Oh! on peut avoir confiance, il y a VRAIMENT quelque chose de concret qui est une Grâce, on peut avoir confiance.»

Ce serait un grand progrès.

(Mère donne une fleur appelée «Radha»)

Radha,1 c'est le surrender [abandon, don de soi]. Alors nous disons: «l’abandon à la sollicitude divine donne la victoire.»

9 janvier 1967

Tu es fatiguée?

Non... Je ne peux pas dire fatiguée, je ne me sens pas fatiguée... Je suis très... très dedans.

J'ai l’impression d'être là (geste au-dessus de la tête), et d'habitude ce n'est pas comme cela. Depuis ce matin, j'ai l’impression d'être là (même geste) et là, c'est extrêmement fort, comme si quelque chose était en train de se faire. J'ai l’impression qu'il y a du travail qui est en train de se faire (la nuit aussi).

Je ne sais pas si c'est un effet de ton expérience, mais j'éprouve beaucoup de mal à être dans les choses physiques: dans les paroles, dans les gestes, dans toutes les choses extérieures. J'ai beaucoup de mal.

Ça a commencé hier, avec l’impression qu'une action très générale est en train de se faire.

11 janvier 1967

...l’après-midi, les listes ont augmenté au point que je n'ai plus de temps. Mon travail de tous les jours (la poste à signer, etc.), avant, je le commençais à trois heures et demie, puis c'est devenu quatre heures, maintenant c'est cinq heures moins le quart. Il y a un temps où j'avais fini à quatre heures, alors je faisais la traduction de Savitri (ça, il y a très-très longtemps); après, j'ai fini à quatre heures et demie, alors j'avais encore le temps de prendre quelque chose, de manger un peu; maintenant j'ai fini après cinq heures, alors (riant) tout est réglé!

Ça doit être comme cela puisque c'est comme cela.

C'est peut-être une leçon (c'est une indication), mais ça a un but.1

La leçon que, moi, j'ai à comprendre, j'essaye de la comprendre. J'apprends à être très patiente...

Oui!

Oh! une patience... Les gens: constamment il y a des révoltes, des insultes, tout cela. C'est pour moi absolument zéro, et quelquefois c'est même amusant; quelquefois je trouve cela drôle. Mais quand je trouve cela drôle, ce n'est pas quand je suis dans mon meilleur état, parce que quand je suis dans mon état – le vrai état de compassion –, ça ne change rien, ça ne fait même pas une petite vague sur la surface: rien. Quand c'est drôle, c'est quand cela me fait commencer à travailler sur les gens qui ont fait ceci ou cela. Quand il y a quelque chose qui travaille, alors ça me paraît amusant.

On m'a posé hier la question; on m'a demandé si l’insulte, le sentiment d'être insulté, et ce qu'en anglais on appelle le self-respect (quelque chose qui correspond un peu à l’amour-propre), ont une place dans la sâdhanâ. Naturellement, cela n'en a pas, bien entendu! Mais j'ai vu le mouvement, c'était extrêmement clair: j'ai vu que sans ego, quand l’ego n'est pas là, il ne peut pas y avoir cette espèce de froissement dans l’être. Parce que j'ai remonté loin en arrière, au moment où je sentais encore ça (il y a des années), mais maintenant, ce n'est même plus quelque chose qui est étranger: c'est quelque chose qui est impossible. Tout l’être, et même (c'est curieux), même la constitution physique ne comprend pas ce que cela veut dire. C'est la même chose quand, matériellement, il y a un choc (Mère montre une écorchure à son coude), comme cela, par exemple: ce n'est plus senti comme on sent une égratignure.2 Ce n'est plus senti comme cela. Le plus souvent, il n'y a rien du tout, ça passe absolument inaperçu dans l’ensemble; mais quand il y a quelque chose, c'est seulement l’impression – une impression très... très douce, très intime – d'une aide qui veut se faire sentir, d'une leçon qu'il faut apprendre. Mais pas comme on le fait mentalement où il y a toujours un raidissement; ce n'est pas cela: c'est imédiatement une espèce d'offrande de l’être, qui se donne pour apprendre. Je parle de toutes les cellules. C'est très intéressant. Évidemment, si l’on mentalise, on doit dire que c'est l’impression ou la conscience de la Présence divine en toute chose, et que le mode – le mode du contact – provient de l’état dans lequel on se trouve.

Ça, c'est l’expérience du corps.

Et chez les individus, la seule perception quand il y a un heurt quelconque ou un clash, un choc quelconque, c'est toujours une claire vision de l’ego – l’ego qui se manifeste. Ils disent: «C'est l’autre.» Je ne dirais pas: «Oh! celui-là était en colère» ou «Oh! celui-ci...» Non, c'est son ego; pas même son ego: l’ego, le principe ego – le principe ego qui intervient encore. C'est très intéressant, parce que l’ego est devenu pour moi une espèce d'entité impersonnelle, tandis que pour chacun, c'est le sens aigu de sa personnalité! Au lieu de cela, c'est une espèce de manière d'être (on peut dire terrestre, ou humaine), une espèce de manière d'être qui est en quantité plus ou moins grande ici ou là ou là, et qui donne à chacun l’illusion de sa personnalité. C'est très intéressant.

Oui, mais l’ennui, c'est que les autres n'apprennent pas leur leçon, alors,.. Alors ils t'envahissent.

Oh! s'ils apprenaient leur leçon, tout changerait très vite!

Alors, le résultat, c'est que tu es envahie, engloutie.

Peut pas!

Tout ton temps est pris, tout ton...

On ne peut pas m'engloutir! (riant) je suis trop grosse!

Mais matériellement quand même, tu es débordée.

J'ai remarqué que si je résiste, ça va mal. Si j'ai l’impression de fluidité, il n'y a plus de heurts. C'est la même chose que pour cette égratignure (Mère montre son coude). N'est-ce pas, si l’on se raidit et que les choses résistent, on se cogne. C'est comme les gens qui savent tomber: ils tombent, ils ne se cassent rien. Les gens qui ne savent pas tomber, une toute petite chute et ils se démolissent quelque chose. C'est la même chose. Il faut apprendre à être... l’unité parfaite. Corriger, redresser, c'est encore de la résistance.

Alors qu'est-ce qui va arriver [si l’envahissement continue]?... Ça va être amusant, on verra! (Mère rit) Comme les autres ne sont pas dans le même état, peut-être seront-ils vexés, mais je n'y peux rien! (Mère rit)

Il faut toujours rire, toujours. Le Seigneur rit. Et Il rit, et Son rire est si bon, si bon, si plein d'amour! C'est un rire qui vous enveloppe d'une douceur extraordinaire.

Ça aussi, les hommes l’ont déformé – (riant) ils ont tout déformé!

14 janvier 1967

(En entrant dans sa chambre, Mère s'arrête devant un plateau de fleurs qu'on vient d'apporter, puis prend entre les mains une étrange variété nouvelle d'hibiscus, de couleur gris mauve, avec un pistil rouge vif.)

Oh! c'est vraiment ma joie!

Qu'est-ce que c'est que cette fleur?... (Mère prend l’hibiscus.) C'est d'une étrange couleur.

Oui, je n'ai jamais vu ça.

C'est étrange, avec ce point rouge ici.

C'est très étrange.

Ça me donne une curieuse sensation... Comment expliquer cela? C'est drôle, c'est quelque chose comme la tromperie et la perversité, et pourtant c'est divin! Qu'est-ce que tu dis de ça!

Tu veux dire qu'il y a quelque chose de faux dans l’apparence de la fleur?

Non, ce n'est pas le dehors: c'est dedans.

Dans la fleur?

C'est dedans, c'est... Comment pourrait-on dire cela?... (riant) «Le principe divin de la duplicité»!

Elle n'est pas rassurante, cette fleur.

Oui, c'est cela.

On pourrait dire: «Le charme de la beauté trompeuse.»

Oui, c'est un peu cela!

On a beaucoup à apprendre de la vie... Les fleurs savent beaucoup mieux que nous. C'est spontané; ce n'est pas pensé, ce n'est pas voulu: ce sont des vibrations divines qui se traduisent spontanément. Et ça, c'est... Il y a le mot anglais alluring [séducteur]. Eh bien, on pourrait dire que c'est le «Charme divin tout-puissant d'une beauté... perfide.» Naturellement, c'est sur le plan vitalo-physique. Ce n'est pas là-haut, mais c'est là1 (sur ce plan vitalo-physique).


(Après le travail, à la fin de l’entrevue, Mère semble se rappeler soudain quelque chose.)

Il y a deux nuits, je me plaignais de ce que les nuits se passaient tout le temps à une besogne obscure dans le subconscient et qu'après tout... (riant) ce n'était «pas très amusant»! C'était comme cela, une fantaisie; je disais: «J'aimerais bien, dans la nuit, avoir la pleine conscience que j'ai quand je suis éveillée; il manque quelque chose – il manque...» Et alors, c'était ce «quelque chose» que j'essayais de définir et qui était l’expression exacte de ce que la création physique a apporté à l’immense Manifestation, et qui est propre à la conscience physique comme nulle part ailleurs, dans aucun autre domaine. Et le problème se posait: si, dans le sommeil, on ne peut pas l’avoir (ce «quelque chose» qu'apporte la conscience physique), cela prouve que, quand on perdra son corps, on perdra une précision, n'est-ce pas?

Avant de me coucher, j'étais dans cet état d'esprit, et la nuit, il y a eu une série d'expériences pour montrer tous les différents états de conscience des différents états d'être; et quand je me suis levée le matin, c'était une observation très aiguë de la différence apportée par le physique. J'ai vu comment ça, ça pouvait persister dans le nouvel état physique qui perdrait son côté mensonger. Et alors, pendant... je ne sais pas, c'était certainement deux heures, une Présence concrète de ce que, moi, j'appelle le «Seigneur suprême» (mais que l’on peut appeler n'importe comment, ça n'a aucune importance: la Vérité, la Conscience et tout ce que l’on veut – tous les mots n'ont aucune importance, c'est quelque chose qui dépasse tout ça), concrète, là, comme ça (Mère serre ses deux poings comme pour exprimer une solidité palpable), dans toutes les cellules, dans tout l’être. Et je continuais à faire toutes les petites choses absolument minuscules et indifférentes – comme les choses de la toilette, les choses coutumières, de manger aussi, de parler – et c'était là. Et c'était comme pour me dire: «C'est comme ça que ce sera.» Et une joie, une puissance, un épanouissement! extraordinaires, au point que l’on se demandait comment ça (ce corps), ça ne changeait pas... c'est l’ÉTAT QUI NE DURAIT PAS ASSEZ LONGTEMPS. Ça n'a duré qu'à peu près deux heures (un peu moins ou un peu plus); après, est revenue la routine de tous les jours, tous les gens venant avec leurs problèmes, etc. (Mère fait le geste familier du «tombereau» qui se déverse). Mais je n'accuse rien d'avoir fait partir l’état: c'est parti parce que ça (ce corps) n'est pas encore capable de le garder, voilà tout. C'est-à-dire qu'à ce moment-là, pendant que c'était là, il y avait une intimation que je devais écrire une note... C'était cela que je voulais te dire. Je devais écrire une note. (Mère s'arrête soudain et parle comme si on lui dictait les mots:)

«À cause des nécessités de la transformation, il est possible que ce corps entre dans un état de transe qui ait une apparence cataleptique...

Et alors j'ai reconnu que c'était Sri Aurobindo qui parlait parce qu'il a commencé à prendre son ton ironique et il a dit:

Image 1

«Surtout pas de docteurs! il faut laisser ce corps en paix.2 Ne vous pressez pas, non plus, d'annoncer ma mort (Mère rit) et de donner au gouvernement le droit d'intervenir. Gardez-moi soigneusement à l’abri de toute détérioration3 pouvant venir du dehors: infection, empoisonnement, etc., et... soyez d'une patience INLASSABLE: ça pourra durer des jours, peut-être des semaines, et peut-être même davantage, et il faudra que vous attendiez patiemment que je sorte naturellement de cet état après que le travail de transformation sera accompli.»

Je n'ai pas eu le temps de l’écrire. Mais Sri Aurobindo lui-même m'a dit: «Samedi, quand tu verras Satprem.»

C'est intéressant.

C'est donc quelque chose qui va se produire.

Ça a l’air... Parce que c'est venu quand j'étais en plein état, seulement j'étais consciente que ça (ce corps), ça avait besoin... ça prend DU TEMPS, voilà. Les choses instantanées sont des choses miraculeuses qui n'ont pas la puissance de la durée: ça ne correspond pas à l’ÉTAT – l’état vibratoire de ce qui dure. Et alors, cette intimation est venue, et quand elle est venue, ça a été fini, tout s'est arrêté.

Mais je sais ce que c'est maintenant. Et ça a laissé dans l’être une sorte de certitude, mais de certitude si pleine de joie!... oh!...

Voilà.

Mais douce Mère, il faudrait que ces «instructions» soient données...

...Soient connues de tout le monde.

De tout le monde.

C'est-à-dire de tous ceux qui sont proches de moi, qui s'occupent de moi, et même de gens comme les docteurs qui pourraient s'aviser d'aller informer le gouvernement, par exemple!

Parce que cette intimation, c'était très... impératif, c'était une nécessité impérative – ce qui m'a l’air de prouver que ça arrivera. «À cause des nécessités de la transformation»... C'était quand l’expérience était là et que je devenais consciente de tout ce qu'il y avait à changer pour que ce corps puisse garder la chose constamment, pour que ça puisse être là tout le temps. Alors c'est venu. Et je voulais l’écrire, mais je n'avais pas le temps, j'étais déjà terriblement en retard; alors c'est venu très clairement de Sri Aurobindo: «Samedi, quand Satprem sera là.»

J'avais oublié de te le dire au commencement!

Il faudra en faire une note que tu donneras à ceux que tu juges bon.

Oui, d'abord aux membres du «Trust» [la direction administrative], parce que ce sont eux qui ont l’autorité ici, et puis il faudra le traduire en anglais et qu'on le donne.4 N'est-ce pas, que quelqu'un ne s'avise pas d'aller le dire au gouvernement – parce qu'ils sont tellement bêtes, ils peuvent aller shouting about [le crier sur les toits].

Oui, bien sûr. Aller le dire au Gouvernement ou...

Alors le gouvernement viendra dire: «Mais vous ne pouvez pas garder ça, il faut l’enterrer.» Ce serait joli! Ce serait du beau travail!

Il faudra qu'il y ait de la sagesse chez les disciples.

Hein?

Un peu de sagesse chez les disciples.

Oui... Oui.

Il faut que personne ne dise autre chose que: «Mère est entrée en transe.» Et puis c'est tout, voilà. «Elle est en transe.»

Mais s'ils sont préparés d'avance à l’idée, ils seront peut-être plus raisonnables...?5

18 janvier 1967

(Le disciple demande à Mère ce qu'il doit faire du texte des «instructions» du 14 janvier au cas où Mère entrerait dans une longue période de transe.)

Je vais le garder. Quand je recevrai Tordre de le diffuser, je le diffuserai.

(silence)

J'ai vu assez clairement que cette transe dépendait du rapport entre deux aspects (du rapport de proportion entre deux aspects): celui de la transformation individuelle (c'est-à-dire la transformation de ce corps-ci) et celui du travail général, collectif et impersonnel.

Si un certain équilibre est gardé, cet état (de transe prolongée), on peut s'en dispenser, mais alors ce qui se ferait en quelques semaines ou en quelques mois (je ne sais pas), ce même travail s'étendrait pendant des années, des années et des années. Alors c'est une question de patience – la patience ne manque pas. Mais ce n'est pas seulement une question de patience, c'est une question de proportion: il faut qu'il y ait un certain équilibre entre les deux, entre la pression du dehors avec le travail extérieur (pas «extérieur», mais le travail collectif), et la pression sur le corps pour sa transformation. Si la sagesse est toujours là, c'est-à-dire si, constamment et infailliblement, l’instrument est capable de faire exactement ce que l’on attend de lui (pour traduire en mots: l’exacte volonté du Seigneur suprême), alors la transe ne serait pas nécessaire. C'est seulement s'il y a une résistance dans l’exécution (par ignorance).

Je le sens comme cela.

Cette possibilité de transformation en transe a été annoncée au corps il y a de cela à peu près... oui, à peu près soixante ans, et périodiquement. Et toujours, il y a eu une prière: «Non, que ce ne soit pas nécessaire: c'est un moyen de paresse.» C'est le moyen de l’inertie. Maintenant, toutes ces préférences, tout cela est parti. Il y a seulement une conscience de plus en plus alertée, éveillée, mais éveillée au point d'être alertée de la possibilité des résistances inconscientes, et avec la volonté que ça disparaisse. Tout dépend de la plasticité, de la réceptivité.

N'est-ce pas, même si l’on dit à ce corps: «Il faudra que tu dures cent ans ou deux cents ans pour que ça puisse se faire sans transe», il dit: «Ça m'est égal.» Tout ce qu'il veut, lui, c'est être conscient. Tout ce qu'il veut, c'est: «Seigneur, être conscient de Ta conscience», c'est tout. C'est sa seule, unique volonté: «Être conscient de Ta conscience», c'est-à-dire devenir consciemment Toi-même sous un autre mode. Mais il n'est pas pressé, parce qu'il n'a pas de raison d'être pressé.

Tu disais tout à l’heure (si j'ai bien compris) que cet «état» pourrait durer peut-être des années. Tu parlais de l’état de transe?

Non. Ça, ce n'est pas possible.

Ce n'est pas possible.

Ce n'est pas possible;

La durée de cette transe ne dépend pas de conditions extérieures, de la préparation du monde, par exemple?

Je ne pense pas.

Ça, c'est une autre possibilité qui s'est présentée autrefois (mais cela fait partie de la vision de toutes les possibilités – il y a toutes sortes de possibilités). Il y avait eu cette vision une fois (que j'ai eue quand Sri Aurobindo était ici), d'une espèce d'engloutissement par des bombes, je crois (je ne me souviens plus1), de toute la ville (mais ça, ce n'était pas vécu: c'était su comme une chose qui avait été), et d'une sorte d'enterrement très profond par suite de l’engloutissement, dans une grotte à atmosphère radiante, ce qui fait qu'il y avait eu préservation du corps; et alors, réveil deux mille ans après. Et l’expérience avait commencé à ces deux mille ans après: je voyais comment j'avais appris où j'étais et comment j'étais sortie de cette grotte, comment j'avais su le nombre d'années qui s'était passé, etc. Tout cela s'était déroulé un jour et je l’avais raconté à Sri Aurobindo. Il m'a dit: «C'est l’un des innombrables possibles qui s'offre pour être manifesté.» Il n'y a pas attaché plus d'importance que cela.

Toutes sortes de choses se présentent comme des possibilités.

Alors tu n'envisages pas une possibilité de longue durée; cette transe ne pourra pas être très longue?

Je ne crois pas que ce soit possible matériellement.

Et cette transe servirait, au fond, à fixer la vibration supramen-tale dans le corps?

À transformer ce qui n'est pas réceptif.

C'est par milliards d'éléments dans le corps, alors c'est un mélange de réceptivité et de non-réceptivité. C'est encore mélangé. Et c'est ce mélange qui fait que l’apparence reste ce qu'elle est.2 Eh bien, c'est un travail, tu comprends, un travail formidable, dans chaque élément, de rendre réceptif tout. Si ça devait se faire en détail, ce serait impossible, mais par la pression de la Force, ça peut se faire; et alors, la transe serait rendue nécessaire justement pour que ça se fasse vite (relativement vite). Mais ce travail est EN TRAIN de se faire (moi, j'en suis consciente), seulement, tu comprends (riant), ça peut s'étendre sur des centaines d'années! C'était ce que Sri Aurobindo disait: il fallait établir un état de conscience où l’on peut préserver la vie collective des cellules aussi longtemps que l’on veut; c'est-à-dire qu'il faut que la Volonté du Seigneur agisse suffisamment pour garder l’équilibre entre toutes ces choses aussi longtemps qu'il est nécessaire pour que toutes puissent changer. Et toujours, il a toujours été dit que la forme extérieure serait la dernière à changer; que tout le fonctionnement intérieur, organique, serait changé avant que la forme extérieure, l’apparence (c'est seulement une apparence, n'est-ce pas) soit changée; que l’apparence serait la dernière à changer.

C'est, il me semble, l’héritage des habitudes primordiales – des habitudes de la Matière. Cette Matière, n'est-ce pas, elle vient de l’inconscience totale, et à travers tous les âges et toutes les manières d'être, elle s'en retourne vers la conscience totale – ça va d'un extrême à l’autre; eh bien, ce sont les habitudes d'immobilité statique qui donnent ce besoin de transe. Ça ne devrait pas être nécessaire. Seulement (comment dire?...) logiquement, comme sont les choses, ça dépend de l’équilibre entre la capacité de réceptivité du corps et son activité extérieure: il est évidemment beaucoup plus réceptif quand il est immobile, parce que ses énergies sont occupées à la transformation.

Il y a une autre chose aussi qui pourrait changer le cours des circonstances: c'est que le vital devient de plus en plus réceptif et collaborant. Toute cette zone vitale qui était la zone de révolte et d'opposition volontaire à la transformation divine, devient de plus en plus collaborante, et alors, avec sa collaboration (parce que cette zone vitale est la zone du mouvement, de l’action, de l’énergie utilisée), avec sa collaboration consciente, les méthodes de transformation peuvent devenir différentes (c'est quelque chose que j'ai étudié ces jours-ci). Ça peut changer les méthodes. Mais ça, c'est tout un monde à apprendre.

Il faudrait devenir de plus en plus, non seulement attentif mais réceptif, avec une précision de détail qui ferait que l’on saurait à chaque seconde ce qu'il faut faire, comment il faut le faire (pas extérieurement: intérieurement). Il faudrait que ces cellules apprennent à chaque seconde à avoir l’attitude nécessaire pour que tout aille sans heurts, selon la marche de la Conscience suprême.

Remplacer le besoin d'immobilité et de repos immobile par le pouvoir de concentration et de paix intérieures – cette paix qui est tout à fait indépendante de l’action, qui peut être là, invariable, même dans les actions les plus frénétiques.

C'est là où tu vois l’intervention du vital?

Oui.

Je me demande souvent, pour nous, quelle est la meilleure attitude possible. Est-ce simplement un état de silence ouvert vers le haut, un silence large, qui est le meilleur, ou bien...

Je crois que c'est cela.

Mais quelle est l’autre alternative?

Ou bien, est-ce qu'il faut, je ne sais pas, une concentration particulière dans les activités?

Non, parce que la transformation, c'est la seule chose qui ne fasse pas intervenir le mental: le mental brouille tout.

Je vois bien à quoi il servira – pourquoi il y a eu le mental, pourquoi il existe, à quoi il servira –, mais cela, ça viendra après.

Le mental sera transformé tout naturellement, sans effort; ce n'est pas la même chose que ce corps. Mais pour le moment, il ne peut pas encore servir. Il ne peut servir que par l’aspiration, comme ça (geste ouvert vers le haut), une aspiration constante – la constance de l’aspiration et de la réceptivité pour laisser passer les forces et la lumière.

Voilà. Alors nous nous reverrons samedi.

Je t'amènerai le texte de ces «instructions».

Oui. Ce n'est pas pressé – je ne crois pas. Il vaut mieux que ce soit prêt, mais... La partie la plus haute de la conscience est nettement pour que cette transe ne soit pas nécessaire. Et si, à temps, le bas devient suffisamment réceptif, ce ne sera pas nécessaire. Et alors, ce sera réduit à très peu de chose. Tu n'as qu'à garder ce texte, voilà tout, le garder tout prêt3 (Mère rit).

21 janvier 1967

(À propos de la traduction anglaise des derniers extraits de ces conversations publiées dans le Bulletin de l’Ashram sous le titre de «À Propos».)

...C'est surtout le sens d'une FORCE dans la langue, qu'ils n'ont pas.

Ce qui rend très difficile les choses, en fait, c'est qu'il n'y a personne qui ait l’expérience de ce que je dis. C'est cela qui manque. On ne comprend bien que les choses dont on a l’expérience. Si l’on essaye de comprendre tout cela mentalement, on ne peut pas, ce n'est pas possible; il y a une façon aiguë de sentir qui est partie.

J'ai lu cet «À Propos» à A et à Pavitra (on ne peut pas trouver de gens mieux disposés et essayant plus de comprendre), mais il y a toute la subtilité qui est partie! – Ils n'ont pas compris. Ils ont essayé (ils ont «compris», ils ont été très intéressés), mais moi, je sais, j'ai vu leur état de conscience: il y a quelque chose qui était complètement fermé, parce qu'il n'y a pas d'équivalent en eux. Mais qu'est-ce que l’on peut faire?... Ça, il y a très longtemps que j'ai renoncé à l’idée d'être vraiment comprise – simplement, peut-être, dans plusieurs centaines d'années on comprendra.

Ça n'a pas d'importance.


(Puis Mère montre deux notes concernant Auroville.)

«Enfin un endroit où l’on pourra ne penser qu'à l’avenir.»

«Auroville va bien et devient de plus en plus réelle; mais sa réalisation n'avance pas de la manière humaine habituelle, et elle est plus visible pour la conscience intérieure que pour la vision extérieure.»1


Peu après

Il arrive une chose encore assez indéfinissable.

Le corps avait l’habitude de remplir ses fonctions automatiquement, comme une chose naturelle, c'est-à-dire que, pour lui, la question de leur importance ou de leur utilité ne se posait pas: il n'avait pas cette vision mentale, par exemple, ou vitale des choses, de ce qui est «important» ou de ce qui est «intéressant» et de ce qui ne l’est pas. Ça n'existait pas. Et puis, maintenant que les cellules deviennent conscientes, elles ont comme un recul (Mère fait un mouvement en retrait): elles se regardent, elles commencent à se regarder faire, et elles se demandent beaucoup: «À quoi ça sert, tout cela?» Et alors, une aspiration: «Comment? Comment ça doit être vraiment? Quelle est notre fonction, notre utilité, notre base? Oui, quelle doit être notre base et notre "standard" de vie?» On pourrait dire, pour traduire encore mentalement: «Comment est-ce que l’on sera quand on sera divin? Quelle différence y aura-t-il? Quelle est la manière divine d'être?» Et ça, ce qui parle là, c'est toute cette espèce de base physique qui est entièrement faite de milliers de petites choses absolument indifférentes en elles-mêmes, qui n'ont de raison d'être que dans leur ensemble, leur totalité, comme un support pour une autre action, mais qui en elles-mêmes semblent n'avoir aucun sens. Et alors, c'est encore la même chose: une espèce de réceptivité, d'ouverture silencieuse pour se laisser pénétrer, et une très subtile perception d'une manière d'être qui serait lumineuse, harmonieuse.

Cette manière d'être, elle est encore très indéfinissable; mais dans cette recherche, il y a une constante perception (qui se traduit par une vision) d'une lumière multicolore, de toutes les couleurs – de toutes les couleurs non pas par couches, mais comme si c'était (geste en pointillé) une association par points, de toutes les couleurs. Il y a deux ans (un peu plus de deux ans, je ne me souviens plus), quand j'ai rencontré les Tantriques, que j'ai eu un rapport avec eux, j'ai commencé à voir cette lumière-là, et je pensais que c'était la «lumière tantrique», la façon tantrique de voir le monde matériel. Mais maintenant, je vois ça constamment, associé à tout, et ça semble être ce que l’on pourrait appeler une «perception de la vraie Matière». Toutes les couleurs possibles sont associées sans être mélangées (même geste de pointillage), et associées par points lumineux. Tout est comme constitué de cela. Et ça paraît être le vrai mode d'être – je ne suis pas encore sûre, mais en tout cas c'est un mode d'être beaucoup plus conscient.

Et je le vois tout le temps: les yeux ouverts, les yeux fermés, tout le temps. Et on a une curieuse (pour le corps), une curieuse perception, à la fois de subtilité, de pénétrabilité si l’on peut dire, de souplesse de forme et, pas positivement d'une suppression mais d'une diminution considérable de la rigidité des formes (suppression de la rigidité, mais pas suppression des formes: une souplesse aux formes). Et le corps lui-même, les premières fois qu'il a senti cela dans une partie ou l’autre, il a eu l’impression de... il est un peu perdu comme cela, l’impression de quelque chose qui échappe. Mais si l’on se tient bien tranquille et que l’on attende tranquillement, ça se remplace simplement par une sorte de plasticité, de fluidité qui semble être un mode nouveau des cellules.

Ce serait probablement ce qui, matériellement, doit remplacer l’ego physique; c'est-à-dire que la rigidité de la forme semble devoir céder à cette nouvelle manière d'être. Mais, n'est-ce pas, le premier contact est toujours très... surprenant. Mais petit à petit le corps s'habitue. C'est le moment du passage d'une manière à l’autre qui est un peu difficile. Ça se fait très progressivement, et pourtant il y a, au moment du passage, il y a quelques secondes qui sont... le moins que l’on puisse dire, c'est «inattendues».
Toutes les habitudes sont, comme cela, défaites. Et pour tous les fonctionnements, c'est comme cela: pour la circulation du sang, pour la digestion, pour la respiration – toutes les fonctions. Et au moment du passage, ce n'est pas que l’une remplace brusquement l’autre, mais c'est un état de fluidité entre les deux qui est... difficile. C'est seulement cette grande Foi tout à fait immobile, lumineuse, constante, immuable – la foi dans l’existence réelle du Seigneur suprême, dans la seule existence réelle du Suprême – qui fait que tout continue en apparence la même chose.

Ce sont comme de grandes vagues de tous les mouvements ordinaires, les manières d'être ordinaires, les habitudes ordinaires, qui sont repoussées et qui reviennent, qui essayent d'engloutir et encore c'est repoussé. Et je vois que pendant des années, le corps et toute la conscience corporelle se reprécipitaient dans l’ancienne manière comme salut, comme moyen de salut, pour échapper; et maintenant, on a obtenu qu'il ne le fasse plus, qu'il accepte au contraire: «Eh bien, si c'est la dissolution, c'est la dissolution.» Mais il accepte ce qui sera.

Mentalement, quand ça se produit dans le mental physique (il y a des années de cela, mais ça, je l’avais observé), c'est ce qui donne aux gens l’impression qu'ils vont devenir fous et qui leur fait peur (et avec la peur, les choses arrivent), et alors ils se reprécipitent dans le bon sens ordinaire pour y échapper. C'est l’équivalent – ce n'est pas la même chose, mais c'est l’équivalent de ce qui se produit dans le matériel: on a l’impression que toute la stabilité habituelle disparaît. Eh bien, pendant longtemps – pendant longtemps –, il y avait ce recul dans l’habitude, et alors on est bien tranquille, on recommence. Et maintenant, elles ne veulent plus: «Quoi qu'il arrive, on verra bien!» La grande aventure.

Comment on sera? – Comment on sera? Comment... N'est-ce pas, les cellules disant: «Comment nous devrons être? Comment nous serons?»

C'est intéressant.

25 janvier 1967

(Nolini lit à Mère sa traduction anglaise de la conversation du 11 janvier pour le Bulletin de l’Ashram. Mère remarque qu'elle a employé le mot «injure» en français, au lieu du mot «coup» ou «égratignure», parce qu'elle a entendu le mot anglais «injury».)

Si souvent, j'entends Sri Aurobindo parler, et alors je dis en français, mais j'emploie le mot anglais parce que je l’entends parler.

Souvent, c'est seulement la pensée qui vient, mais très souvent, ce sont même les mots, j'entends les mots; alors en parlant en français, j'ai tendance à employer les mots anglais. Pendant que je prends mon bain, par exemple, toujours il me parle et il me dit les choses que j'ai à écrire ou à dire; alors après, quand je suis sortie de mon bain, très souvent je suis obligée de demander un papier, un crayon et j'écris.

Tout le temps, tout le temps c'est comme cela.

Je me souviens il y a quelque temps, la nuit, je lui ai dit (je le vois presque toutes les nuits, mais pendant quelques jours, je ne l’avais pas vu, puis je l’ai rencontré la nuit... parce qu'il est là toujours – Mère fait un geste qui l’enveloppe –, mais la nuit, je le vois objectivement comme si je le rencontrais, dans ce monde physique subtil) et je lui ai dit: I didn't see you for a few days [je ne vous ai pas vu depuis plusieurs jours], comme cela, en plaisanterie; alors il a pris son air le plus sérieux, mais avec toute son ironie: Oh, I am very busy these days [oh! je suis très occupé ces temps-ci]. Et... (riant) le lendemain, j'ai appris que l’on était en train de filmer la vie de Sri Aurobindo!1 Alors j'ai pensé qu'il devait être là à leur envoyer de bonnes suggestions. Mais c'était si comique! avec un sérieux imperturbable: Oh, I am very busy [oh! je suis très occupé]. (Mère rit)

C'est comme cela que «injury» est venu.

(Satprem:) Dans le texte de ces «Instructions» [en cas de transe cataleptique], tu emploies aussi le mot «injure»; tu dis que dans cet état de transe, il faudra mettre ton corps «à l’abri de toute injure». Mais j'ai laissé le mot volontairement, parce que, en français, au vieux sens, on parle des «injures du temps». Est-ce que c'est cela aussi que tu veux laisser dans ces Instructions?

Il m'a dit ce jour-là (c'est lui qui m'a dit de dire cela): The bites of insects, the bad contacts, things like that [les morsures d'insectes, les mauvais contacts, des choses comme cela]. Il a dit: All injuries, poisoning by an insect, etc. [toute blessure: empoisonnement par les insectes, etc.]

(Puis Mère écoute la lecture anglaise de la conversation du 30 septembre 1966 pour les «Notes sur le Chemin». Il s'agissait de la disparition du squelette dans l’être nouveau et de la nécessité des échelons intermédiaires. Mère se tourne vers Nolini:)

Do you think people will understand?... Not much?

(Nolini:) Some will understand.

Some!... a few.

And yet, for me, it is already far behind. It's funny, when you were reading the translation, I had the impression of something that was pulling me back in a condition that is no more mine.

Things are going quick, quick, quick.

I am just living the thing, so it is difficult to describe... But it is quite a new condition. After some time I will be able to say... (Mother remains silent for a long while) what is meant exactly by the irreality of this apparent matter.

It is just in the experiencing, I can't yet describe. It takes some time.

There, in this «talk» (about the disappearance of the bone structure), I have the impression of having still one foot here, one foot there.


(traduction)

Vous croyez que les gens vont comprendre?... Pas grand-chose? (Nolini:) Certains comprendront. Certains!... très peu.

Et pourtant, pour moi, c'est déjà loin-loin derrière. C'est curieux, pendant que vous me lisiez la traduction, j'avais l’impression de quelque chose qui me tirait en arrière dans un état qui n'est plus le mien.

Les choses vont vite-vite-vite.

Simplement, je vis la chose, alors c'est difficile à décrire... Mais c'est un état tout à fait nouveau. Dans quelque temps, je pourrai dire... (Mère reste un long moment silencieuse)... en quoi consiste exactement l’irréalité de cette matière apparente.

C'est juste au stade de l’expérience, je ne peux pas encore décrire. Ça prend du temps.

Là, dans cette conversation (sur la disparition du squelette), j'ai l’impression d'avoir encore un pied ici et un pied là.2


(Après le départ de Nolini.)

Alors, quoi de neuf?

Toi?

Tu sais, j'ai l’impression, exactement l’impression (c'est une transcription), l’impression d'être sur le point d'avoir une clef – une clef ou un «truc»... un procédé (je ne sais pas comment dire: tout cela, ce sont des vulgarisations), mais quelque chose qui, si on le possède sans être totalement du côté vrai... en une seconde, on pourrait être l’occasion d'une catastrophe effroyable. Et c'est pour cela que la préparation intégrale de la conscience doit se faire en même temps que la perception du Pouvoir. Et alors, ce sont des différences si subtiles que, pour la compréhension (je ne parle pas de la compréhension ordinaire, mais même pour un état de conscience tout à fait spiritualisé et préparé, mais qui n'est pas LA conscience), il semblerait qu'un tout petit mouvement de rien du tout, presque imperceptible, pourrait amener la catastrophe.

Quelle catastrophe? Je ne sais pas... Comme une dissolution du monde.3

Et alors on est là (Mère fait un geste indiquant une crête très étroite) comme sur une ligne de démarcation invisible, avec un Pouvoir extraordinaire, tout-puissant, qui, en même temps, vous fait connaître et vous empêche de connaître, avec des petites subtilités de mouvement extraordinaires pour que rien ne se produise trop tôt, c'est-à-dire avant que tout ne soit prêt.

(long silence)

Cela reviendrait à dire que de tomber malade (depuis tomber malade jusqu'à mourir), c'est l’incapacité de maintenir la tension nécessaire pour passer d'un état à l’autre sans retomber dans la chute, dans le relâchement de l’inconscience. La maladie est toujours une rechute dans l’inconscience par incapacité de soutenir le mouvement de la transformation. Et la mort, c'est la même chose – c'est la même chose en un peu plus total.4

28 janvier 1967

Mère montre une note qu'elle vient d'écrire:

J'ai écrit cela à quelqu'un ici... Il n'y a pas longtemps qu'il est dans l’Inde, il ne comprend rien aux Indiens (ce qui n'est pas un crime), mais il est plein de mépris. Parce qu'il ne comprend pas, il est plein de mépris. Alors je lui ai écrit ceci:

«Il faut se garder soigneusement de mépriser ce que l’on ne comprend pas, car innombrables sont les merveilles scellées à notre vue étroite.

«Le Seigneur a des splendeurs insoupçonnées qu'il révèle progressivement à notre entendement trop limité.»

C'est toute une catégorie de façon de penser. Ils sont innombrables – innombrables – les gens qui se croient supérieurement intelligents et qui méprisent ce qu'ils ne comprennent pas. Et ça, c'est le signe même de la stupidité! Par contre, il y en a beaucoup (et généralement ils sont considérés comme des «primaires», mais pour moi, ce sont des primaires que j'apprécie, qui ont une chaleur d'âme), ils admirent tout ce qu'ils ne comprennent pas. Ils ont une espèce d'admiration béate, que l’on considère comme stupide, pour tout ce qu'ils ne comprennent pas. Mais au moins, eux, ont de la bonne volonté. Tandis que les autres, du haut de leur soi-disant intelligence, tout ce qu'ils ne comprennent pas, ce n'est rien. Celui-là, il est venu ici et il dit: «On ne peut pas travailler avec ces gens-là, ce sont des Indiens!» (Mère rit) Et il le dit très naturellement.

Tu as vu quelqu'un l’autre jour, paraît-il?

Oui, ce monsieur qui doit faire un grand article sur l’Inde, dans «Planète».

Et alors, comment est-il, ce monsieur?

C'est un homme plein de sexualité. Quand on entre dans son atmosphère, c'est le sexe, il n'y a que cela. Il n'y a que ce problème-là qui l’intéresse. Et alors, dans sa Revue et dans quelques autres similaires, ils essaient de mettre à la mode le tantrisme de la «main gauche», le «Vâma Marga».

Oh!

Il m'a posé des questions sur la sexualité et il m'a parlé d'un «yoga de la sexualité»!

Oh!

Alors j'ai mis les choses au point...

Ah! bon.

Sans beaucoup de diplomatie, d'ailleurs. J'ai dit que cela n'avait rien à voir avec le Tantrisme. Mais ce qui est étrange, c'est que ce Monsieur, malgré toute cette atmosphère sexuelle, a quand même une ouverture: c'est un homme qui, il y a une douzaine d'années, un jour, comme il avait un problème (il avait lu Sri Aurobindo), au lieu d'écrire à Sri Aurobindo, il s'est dit: «Mais pourquoi je ne me concentrerais pas sur Sri Aurobindo pour avoir la réponse à mon problème?» Il s'est concentré, et, la nuit, tout d'un coup, il a vu un grand disque d'or qui est venu, qui l’a empli, et une voix avec une force extraordinaire lui a dit les paroles qu'il attendait, des paroles de révélation... C'est un homme qui a donc une ouverture.

Oh! oui.

Mais alors, il m'a dit: «Probablement, c'est mon Inconscient, ça vient de mon Inconscient, mais enfin...»

(Mère rit) Il a un bon inconscient!

Ces gens!... La Grâce leur vient comme ça, gentiment, leur donne une belle expérience, et puis: «C'est mon Inconscient»!

(Mère rit)

Quand il m'a dit cela, j'ai vraiment eu l’impression que Sri Aurobindo souriait.

Oui, ça l’amuse.

Mais il paraît qu'en Occident, ça déborde partout, ce soi-disant tantrisme et ce «yoga de la sexualité».

Oui, c'est dangereux. C'est dangereux.

Peut-être que c'est la guérison, qu'ils vont passer au travers, je ne sais pas... Parce que Sri Aurobindo avait dit que si l’on dépasse l’assouvissement, on est guéri. De même que si l’on supprime le désir, on est guéri; mais si l’on dépasse l’assouvissement, on est guéri, on est dégoûté, on a le même dégoût... C'est possible, je ne sais pas.

(Riant) Entre-temps, ça fait un joli gâchis!

l’autre moyen est beaucoup plus rapide: la suppression (je veux dire la suppression non seulement matérielle, mais la suppression du PRINCIPE de la chose; c'est ce que j'ai dit: quand on dépasse l’animalité, le fait matériel n'a plus de raison d'être, alors il tombe), ça, c'est pour ainsi dire imédiat. Mais si l’on va jusqu'à l’écœurement, c'est encore un moyen!

Ce qui est plus dangereux, ce n'est pas d'aller jusqu'à l’écœurement, c'est de couvrir ces histoires avec de la spiritualité, c'est de faire un «yoga de la sexualité».

Oh! (riant) si tu leur dis ça, ils vont tous tomber malades!

Mais peut-être que l’on arrivera à l’impuissance un jour. Alors ce sera fini. Parce que c'est seulement l’instinct de la Nature qui donne du pouvoir à cette imagination un peu morbide, et quand l’instinct de la Nature est épuisé ou fini... Oh! je dois dire que j'ai connu de vieilles-vieilles gens qui étaient pleins de choses malpropres; mais c'est probablement parce qu'ils s'étaient contenus toute leur jeunesse.

N'est-ce pas, cela a quelque chose de très répugnant, que l’on surmonte pour avoir le «plaisir»; mais au fond, cela a quelque chose de très répugnant, qui alors devient pleinement répugnant dès que le plaisir est parti. C'est ce que je voulais dire, c'est que, peut-être, ils seront guéris par le dégoût.

On a accusé beaucoup de sectes, beaucoup de groupements comme cela de pratiquer ce genre de sexualité (je crois que c'était la base «morale» de l’accusation contre les Templiers). C'est probablement le résultat de l’attitude chrétienne; le christianisme a parlé de «péché», il en a fait un péché, et c'est cela le résultat. C'est la réaction.

Mais vraiment, spontanément, dès que l’on est capable du véritable Ananda, c'est tout à fait répugnant, c'est comme si l’on barbotait dans de la boue.

Seulement, il y aura un bon déchet avec cette méthode-là.

Mais ce n'est pas autre chose que la survivance d'un processus naturel qui était utile au début de l’évolution.

Oui, c'est cela.

Et la rencontre de deux êtres doit s'effectuer par d'autres moyens.

Naturellement!

De beaucoup de côtés, on pose la question de la relation sexuelle de l’homme et de la femme et de la discipline spirituelle.

(Mère reste un moment silencieuse)

À dire vrai, le Seigneur se sert de tout! On est toujours en route vers quelque chose.

Il y a un moment où l’on dépasse les indignations.

31 janvier 1967

À propos de la nourriture

...Ce qu'il faut surtout, c'est ne pas se dépêcher de manger: manger très tranquillement. C'est indispensable. Mais très tranquillement, pas seulement lentement: il faut qu'intérieurement, il y ait une sorte de rythme très lent, comme si l’on avait tout le temps nécessaire, dans une paix totale.

Il faut que tout ça (geste au front) soit calme, que ça vive dans une espèce d'éternité. Alors on digère bien. Si la pensée est très active, c'est mauvais. Il faut une espèce de détente intérieure et l’impression d'un rythme très régulier, très vaste.


Peu après

Il y a une chose si curieuse: quelquefois, l’atmosphère est bougonne, grognon; tout ce qui vient, tout ce qui entre est comme cela; et d'autres fois, elle est souriante, aimable, bienveillante, et alors, tout ce qui arrive (exactement les mêmes choses qu'avant), tout ce qui arrive est reçu d'une façon plaisante, comme ça: «Oh! c'est bien.»

Et j'ai remarqué que cela ne dépend pas des circonstances ni des gens ni de rien; ça dépend... (Mère fait le geste de humer l’air) comme s'il y avait quelque chose d'ajouté ou d'enlevé dans l’atmosphère. Tu as remarqué?

Oui, tout à fait

Alors je suis en train de chercher la clef de ça.

C'est collectif. C'est indépendant des êtres.

C'est indépendant des êtres et c'est collectif, et ça agit sur tout le monde et sur les circonstances. D'où ça vient? C'est à voir. Il faut trouver ça.

C'est très curieux. Je me suis posé la même question, parce qu'on a l’impression qu'en différents points du globe, c'est la même chose.

Oui-oui, c'est terrestre. C'est un état terrestre. Il y a des fois où ça se prolonge, des fois où ça change très brusquement. Est-ce que cela vient de courants interplanétaires? Je ne sais pas. C'est à voir, c'est à étudier.

Les astrologues disent que c'est l’«opposition» d'astres; à certaines époques, les astres sont en opposition ou en conjonction et ça produit certains courants. C'est comme cela qu'ils expliquent la tendance des événements. Alors le secret serait de faire que cette loi-là obéisse à l’Influence d'en haut, à la loi harmonisante d'en haut.

On trouverait alors le secret de beaucoup de choses.1

février




4 février 1967

Mère arrive très enrhumée

Il y avait tout le temps des encombrements là, entre le nez et la gorge, et j'ai fait la bêtise de m'en plaindre; j'ai dit que ce n'était vraiment pas raisonnable, qu'il vaudrait mieux que ça s'en aille, et alors... les grands moyens.

Mais ce matin, on m'a dit de me «reposer», c'est-à-dire d'entrer au-dedans; j'ai dit que j'avais autre chose à faire; et puis c'est venu sur moi par force! C'est-à-dire que tout d'un coup, il me vient quelque chose que je vois, et alors tout naturellement je me concentre dessus, et puis je m'aperçois que je suis partie!

Pendant que je travaillais ce matin, c'était comme cela.

On m'envoie tout le temps des photos de gens qui veulent se marier (c'est devenu une manie) et on me demande s'ils sont assortis, si ça va bien. Et je vois tout de suite. Je vois tout de suite quel genre de vie ils auront ensemble, c'est très amusant! Et aujourd'hui, il y avait trois paires comme cela. La première, c'était un monsieur intelligent, sensible, un côté émotif avec un besoin de quelque chose, d'une réponse. La dame: assez stupide, assez ordinaire aussi. Pas du tout faits pour être ensemble. Mais je regardais, et comme je regardais, j'ai vu ce qui s'est passé: elle a eu un jour comme une formation sentimentale et émotive qui est passée à travers elle, et il se trouve que ce jour-là, elle a rencontré le monsieur, qui avait besoin exactement de ça. Il s'est dit: «Ça y est!» Tous ses amis lui ont dit: «Non-non! n'épousez pas cette personne, ce sera impossible», et ils ont raison. Mais il a dit: «J'ai senti.» Et c'était juste un jour que cela l’a prise, elle, et il se trouve qu'il était là. Alors j'ai vu tout cela (c'était très amusant), et je suis partie!

(Mère entre en méditation, puis s'interrompt brusquement)

Pourquoi? Il y a un V violet devant toi. Un V violet – pas violet: mauve foncé, couleur vitale. Un V de victoire.

Il s'est passé quelque chose?

Je ne sais pas.

Large comme ça, lumineux, mauve. Et c'était devant toi, tu étais assis entre les deux ailes. C'était pour toi. Il ne s'est rien passé de spécial?...

(Mère reprend sa méditation)

8 février 1967

J'ai des choses intéressantes à te dire. C'est à propos de ce rhume. Un extraordinaire pouvoir de guérison... Toutes les phases dans leur forme la plus aiguë, avec étude du processus, et chaque phase passée en quelques heures, quelques minutes (cela dépendait de quoi). D'habitude, quand on a un rhume, on passe par une phase, une autre phase (tu sais comment c'est), puis ça descend, puis on tousse, puis... Tout ça, passé en vitesse, et en deux jours c'était fini. Et avec tout le procédé, c'est-à-dire non le procédé mentalisé, pas du tout: le procédé vibratoire, montrant comment la Force vient, agit, et à la fois... Oh! c'était très-très intéressant, parce qu'il y avait la place que joue l’inconscient, la place que jouent les réactions conscientes, la place que joue la volonté (formidable, une énorme place), la place que joue la suggestion mentale (ça aussi, formidable) et... l’action de la Vibration suprême. Tout cela en détail, jour et nuit, tout le temps; au point qu'il y avait des moments où je m'immobilisais comme cela, pour suivre le cours. Et ça a duré (je t'ai vu samedi), dimanche, lundi, mardi: ces trois jours.

Ça a commencé, c'était de ma faute; comme je te l’ai dit, je m'étais plainte de ces sinus là, tout le temps, qui étaient embêtants, et puis il y avait cette constante inflammation de la bouche et de la gorge. Et ça a produit son effet. Je ne peux pas dire que ce soit tout à fait fini parce qu'il y a beaucoup-beaucoup de la vieille habitude, mais c'est venu avec l’intention de changer.

Et tout cela, appris en détail au point de vue vibratoire. C'est très intéressant, je n'ai pas perdu mon temps!

Parce que, ce qui s'applique à un rhume, s'applique évidemment à n'importe quel désordre?

C'est le procédé de détail pour chacun. C'est l’une des manifestations du rhume.

Je veux dire: ça pourrait jouer pour d'autres maladies aussi?

Chaque maladie représente son mode vibratoire. Chaque maladie a son mode vibratoire; ça représente tout un champ de vibrations à corriger. C'est la mesure exacte de ce qui résiste dans la Matière à l’Influence divine – exacte-exacte, à l’atome près.

Oh! comme c'est intéressant, si tu savais comme c'est intéressant... Par exemple, prends la toux (pas la toux de la poitrine: la toux de la gorge), alors, première vibration: l’irritation qui attire votre attention pour vous faire tousser. Ça a un certain genre de vibration, on pourrait dire «pointue», mais ce n'est pas violent, c'est léger, c'est agaçant. C'est la première petite vibration. Alors, avec cette vibration: attention éveillée de la conscience environnante (la conscience des cellules de la gorge), puis un refus d'accepter la toux, un rejet d'ici (gorge), qui donne presque la nausée au commencement (tout cela, c'est vu au microscope, tu comprends, ce sont de toutes petites choses). l’attention se fixe. Alors, à ce moment-là, il y a plusieurs facteurs possibles, qui sont quelquefois simultanés et quelquefois l’un chasse l’autre; il y en a un qui est l’anxiété: quelque chose ne va pas et une appréhension de ce qui va arriver; l’autre, qui est une volonté que rien ne soit dérangé par cette irritation; et puis tout d'un coup, la foi que la Force est capable de remettre tout en ordre imédiatement (tout cela, pas intellectuel: ce sont des vibrations).

Alors il s'est passé, à un moment hier matin, une chose très intéressante: une claire perception que, encore, l’immense majorité des cellules (dans ce cas-là: je ne parle pas de tout le corps, je parle de cet endroit-là, gorge, nez, etc.), l’immense majorité des cellules ont une sorte d'impression – qui est comme le résultat d'expériences innombrables ou d'habitudes (ce sont les deux; ce n'est clairement ni l’un ni l’autre et c'est les deux) – que la force de la Nature, c'est-à-dire la nature qui régit le corps, sait mieux s'occuper de ce qu'il faut que la Puissance divine: elle «a l’habitude», elle «sait mieux». C'est comme cela. Et alors, quand cette nouvelle conscience qui est en train de s'élaborer dans l’être physique (le mental des cellules) a attrapé ça, oh! elle l’a attrapé comme une révélation extraordinaire, elle a dit: «Ah! je te tiens, coupable! c'est toi qui empêches la transformation.»

C'était formidablement intéressant. Formidablement!

Et tout cela, c'est grossi pour être exprimé, mais c'est à la dimension des cellules du corps. Et il y a eu comme un éclair de Puissance lumineuse dès que ça a été découvert: c'est descendu comme ça, brrm! (geste comme une épée de lumière qui s'enfonce dans la Matière).

Et depuis, ce n'est pas parti. Au point que j'ai essayé de rappeler cet état de conscience pour le noter en détail: c'est disparu.

Ça, ces actions-là sont des actions... miraculeuses, mais des tout petits détails, n'est-ce pas, alors c'est pour cela que ça n'apparaît pas comme miraculeux, parce que ce sont seulement des actions de détail.

l’attitude prise par les cellules, la volonté qui agit, l’habitude de la Nature, l’Intervention, tout cela vu minutieusement, phase par phase. Parce que ces cellules-là (gorge) se plaignaient; c'est elles qui disaient que ça ne changeait pas, que les choses restaient ce qu'elles étaient; elles voyaient bien que les choses restaient sous contrôle, mais il n'y avait aucun signe de transformation; et ce rhume est venu comme un verre grossissant, tu comprends? C'est venu, ça a grossi toutes choses de façon que ce soit plus visible et plus facilement observé. Et le détail de tout ce qui se passe, oh! c'est vraiment merveilleux, c'est tout un monde, et ce sont des toutes petites choses qui échappent généralement à notre observation parce que nous observons mentalement. Mais comme ça... Par exemple, à un moment, au cours de ces phases successives, il y a tous les signes que la volonté du corps va fléchir et que l’on va, ou s'évanouir ou se trouver «malade» pendant un temps. Alors le choix fait par les cellules, dedans, qui mettent en balance les possibilités au point de vue du progrès de la transformation: «Qu'est-ce qui peut agir? qui peut être le plus utile pour obtenir le plus grand résultat? Est-ce que c'est de céder et d'avoir une chute apparente (qui n'est qu'apparente), et dans cette chute, permettre à la Force de faire son travail sans intervention; ou bien suivre le cours de la transformation consciente?» Et c'est là qu'est venue cette merveilleuse découverte des cellules, qui avaient vraiment l’impression que la Nature s'y entendait mieux (riant) parce qu'elle avait l’habitude. C'était exquis! admirable.

Et tout cela doit se passer dans tout le monde; seulement les gens sont inconscients. C'est la conscience des cellules qui est éveillée, n'est-ce pas. C'est si intéressant! Et comment on peut éviter les maladies, comment les choses... Et tout cela, basé sur l’expérience de l’irréalité des apparences: il y a, derrière, un jeu qui est tout à fait différent de ce que l’on voit ou de ce que l’on sait.

Je suis tout à fait au courant, maintenant, des causes de l’allergie (étudié en détail) et pourquoi ici, à l’Ashram, les cas d'allergie se multiplient. Naturellement, c'est basé sur... (Mère se met à tousser et conclut:) Ah! sujet défendu.

(Après un moment de silence, Mère reprend:) Ce sont les nerfs qui deviennent de plus en plus réceptifs à la Force (et de plus en plus sensibles par conséquent) et qui n'ont pas la sagesse ni l’équilibre nécessaires pour contrebalancer l’accroissement de la sensibilité. Et alors, le traitement des docteurs est idiot! C'est juste l’opposé qu'il faudrait: il faudrait (comment dire?) insuffler de la sagesse et de la paix, mais pas abrutir le corps.

Hier soir, il s'est passé une chose amusante. J'ai reçu des soupes du Japon. C'était tout écrit en japonais, impossible de lire. Quand le docteur est venu (il vient tous les soirs), je lui ai dit: «Voulez-vous essayer une soupe japonaise?» Et je lui ai donné un sachet pour qu'il l’emporte. Hier soir, il est revenu, je lui ai demandé: «Avez-vous goûté la soupe japonaise?» Il m'a dit: «C'est une soupe aux coquillages» et il a ajouté: «Ce n'est pas bon pour vous.» Je lui ai demandé: «Pourquoi, pas bon pour moi?» (je lui ai demandé, simplement pour renseignement, quelle était ma «maladie» (!), pourquoi je ne pouvais pas prendre de coquillages?). Il m'a répondu: «Oh! vous auriez une réaction allergique.» Alors je l’ai regardé et, avec une grande force, je lui ai dit: «Je n'ai pas de réactions allergiques,» (Mère rit) Pauvre homme! il a eu un frisson... et il a la fièvre!

C'est vrai que, maintenant, dès que les nerfs (mais tu sais, c'est une observation de chaque seconde), dès que les nerfs commencent à protester... et ça arrive très souvent quand ils sont intéressés par une sensation: intéressés par une sensation, ils se concentrent et ils la suivent, et puis tout d'un coup, ça dépasse,., (comment dire cela?) la somme qu'ils ont l’habitude de considérer comme agréable (on peut dire cela de cette façon), alors il y a une petite bascule et ils sont en train de se mettre de travers, ils commencent à protester. Mais si l’observation est là, il y a l’action du «mentor» intérieur qui leur dit: «Maintenant, toutes les sensations peuvent être supportées presque jusqu'à leur maximum: c'est tout simplement une mauvaise habitude et un manque de plasticité. Tenez-vous tranquilles et vous allez voir.» (Quelque chose comme cela.) Alors ils sont dociles, ils se tiennent tranquilles et... tout s'aplatit. S'aplatit, et puis... la réaction allergique est finie. Alors je crois que je connais le truc! C'est pour cela que j'ai répondu au docteur avec cette force.

C'est très amusant. On apprend à savoir des choses comme cela.

Seulement, comment communiquer cela aux gens? Je ne sais pas.

C'est une observation ténue-ténue-ténue.

Et en même temps, il y a l’autre facteur (oh! il y a plusieurs moyens). Si l’on fait une petite action matérielle (qui n'a aucun intérêt en soi, mais enfin qui doit être faite) et qu'il y a justement cette inquiétude intérieure qui fait que cela peut basculer du mauvais côté à n'importe quel moment; si la conscience – la conscience totale du corps – s'occupe de quelque chose d'autre, ça passe sans qu'on s'en aperçoive. Alors il y a cette possibilité-là: intéresser la conscience à autre chose. Mais alors la possibilité de maladie ou de désordre n'est pas guérie. Et c'est tout le temps un choix entre le travail de transformation et (ou) un équilibre suffisant pour continuer à faire le travail général.

On pourrait écrire des volumes, c'est très-très intéressant. Ça s'organise.

On ne comprend pas assez la valeur du microscopique.

Oui-oui! c'est cela.

11 février 1967

(À propos de l’«Agenda» de Mère. Le disciple est en train de ranger un énorme paquet de dossiers.)

...Maintenant qu'il y a des morceaux qui paraissent dans le «Bulletin», beaucoup de gens commencent à être très-très intéressés et veulent savoir. Ils me demandent: «Mais est-ce que vous ne dites pas tout?» J'ai dit: «Tout, c'est impossible. Mais je dis plus.» Alors: «Est-ce qu'on ne peut pas savoir?» – Personne n'y comprendrait rien.

Quand ce sera tout fini, on verra.

Je te dis cela pour que tu saches que ce n'est pas un travail tout à fait en vain.

Ah! mais je suis sûr que ce n'est pas en vain, j'en suis convaincu! Je n'ai pas besoin d'être rassuré.

Ce sera un monument! Il vaut mieux le laisser comme un monument, pas le publier par bouts: massivement, un gros volume comme ça, et... (riant) écraser les gens dessous! Alors ils ne demanderont plus rien.

Veux-tu que je commence à préparer une édition (!)

Non-non! Quand j'aurai attrapé le bout, on publiera – je n'ai pas encore attrapé le bout, il s'en faut de beaucoup. Il s'en faut de beaucoup.

Toutes ces leçons que je reçois,1 ce sont comme des coups de fouet pour me dire: «Voilà, il faut être prêt à toute éventualité.» Bon.

Ce n'est pas en vain.

Ah! non, sûrement. Ces vieux Agenda que je relis une fois qu'on les a tapés, c'est plein de lumière!

Je ne sais pas.

Si-si, moi je sais!

Quand elle aura fini de taper, on verra.

On a pris beaucoup de retard avec ma maladie, quand j'étais dans cet hôpital.

Mais aussi, ça a été une longue période où rien n'est resté. Ça va faire un trou. Il n'y avait rien: je ne parlais pas, je ne disais rien à personne. Ça fait un trou.


Peu après

Je voudrais bien savoir ce que je fabrique la nuit. Ça n'a jamais été aussi totalement inconscient, sans jamais te voir, il n'y a rien, c'est l’inconscience complète.

Moi aussi, ces nuits dernières... Et ça a été volontaire: depuis quelques nuits (peut-être une semaine) comment dire?... il n'y a plus de «promenades». Je ne me promène plus.

Par exemple, cette nuit (je reviens à la conscience extérieure deux ou trois fois dans la nuit), je me suis aperçue que V était partie;2 naturellement j'ai vu les conséquences et j'étais en train de regarder comment il fallait que je fasse; eh bien, je me suis aperçue (elle est partie vers deux heures; je me lève tous les jours à quatre heures et demie), je me suis aperçue que ces deux heures et demie, je n'ai pas dormi (pas «dormi», je veux dire que je ne me suis pas extériorisée). Et je ne «pensais» pas (Dieu merci!), simplement il y avait une espèce de conscience qui regardait; et le temps a passé avec une rapidité si fantastique que j'en ai été ahurie moi-même. Je pensais que ça allait être long d'attendre l’heure de se lever, quatre heures et demie, et ça a été absolument hors du temps, tout à fait hors du temps. Et pourtant je suis restée dans mon corps.

Et alors je me suis aperçue, à cause de cet incident, qu'il semble que je suis en train d'apprendre une façon de se reposer sans sortir du corps. Parce que là, j'étais sûre que j'étais ce qu'on appelle «éveillée»: il n'y avait rien qui ressemblait au sommeil, et je ne pensais pas. Il y avait seulement la conscience qui regardait, comme ça. Mais intériorisée. Et puis la volonté de me lever à quatre heures et demie. J'ai regardé une fois entre-temps (il y avait l’heure à côté de mon lit, j'ai regardé), il était trois heures et quart, et j'étais étonnée, je me suis dit: «Comment se fait-il? C'était deux heures et demie il y a une minute.» Puis j'ai fait une petite concentration pour être sûre d'être tout à fait éveillée à quatre heures et demie. Et juste à quatre heures et demie: «Comment se fait-il? Je viens de voir qu'il était trois heures et quart!» Ça a été pour moi ahurissant, parce que je n'ai pas quitté mon corps, je sais que je n'ai pas dormi, et la conscience était tout à fait immobile, pour ainsi dire sans mouvement; une conscience concentrée comme ça (mais une conscience de «prévoyance», qui voit ce qu'il faut faire), simplement comme ça, sans pensée.

Ça a été pour ainsi dire instantané.

Cela m'arrive de temps en temps dans la journée. J'entre dans un certain état (ça ne dure qu'une minute, deux minutes), un état étrange: on est tout à fait éveillé et tout à fait conscient, et en même temps tout à fait inconscient du temps et des choses qui vous entourent... pas positivement des choses qui vous entourent, mais pas de la même manière, je ne sais pas comment expliquer.

15 février 1967

(La conversation suivante a été notée de mémoire. Elle est venue à propos d'un jeune disciple qui ne comprenait pas comment tout – impulsions, désirs, etc. – pouvait venir du «dehors», de la Nature universelle, alors que Sri Aurobindo déclare, par ailleurs, que nous «devenons ce que nous voyons en nous-mêmes».)

Je lui ai dit un jour qu'il commencera à être intelligent quand il pourra mettre tous les contraires face à face et faire leur synthèse.

C'est le sens de la quatrième dimension qui leur manque, alors ils ne comprennent pas. Là, tout est ensemble d'une façon très concrète, palpable, le «dehors» et le dedans.

Théon, lui, insistait beaucoup sur les forces adverses, tandis que Sri Aurobindo n'en parlait pas. Alors quand je suis arrivée ici, je lui ai demandé: «Mais est-ce qu'il existe des êtres hostiles, des forces adverses?» Il m'a dit: «Oui, elles existent, mais pour les maîtriser, il est plus commode de considérer qu'elles sont dehors que dedans comme une partie de votre nature.» Lui, insistait sur l’Un: tout est l’Un plus ou moins déformé, même les forces «adverses». Au fond, ce qu'on appelle des «forces adverses», ce sont des déformations de conscience. Quand ces déformations dominent dans un être, c'est-à-dire que sa nature obéit à des influences déformées, qu'elle ne répond plus à l’influence divine, on peut appeler cela un «être hostile» (ils existent, Dieu sait!). Mais ici, dans l’Inde, on insistait surtout sur l’idée de l’Unité. Évidemment, à l’origine des mondes, il y a eu un dédoublement, mais ce sont surtout les tantriques qui ont insisté là-dessus; ils disent que pour reformer la Divinité, il faut refaire l’unité des deux pôles... Tout cela, ce sont des langages, des manières de dire qui bouchent des trous et qui se complètent l’une l’autre. Et suivant les individus, les époques, les pays, il y a eu des manières de dire plus ou moins pures, plus ou moins proches. Mais après tout... On pourrait dire que le Seigneur s'amuse à se raconter Lui-même de toutes les manières possibles.

Et quand on est tout en bas de l’échelle de la conscience, ces manières de dire deviennent de plus en plus concrètes, absolues, dures et négatives de tout ce qui n'est pas elles-mêmes: ce sont les religions... Oh! à propos, il paraît que l’on a approché le pape au sujet d'Auroville, et qu'il a demandé s'il y aurait une église catholique!... On m'a posé la question. J'ai dit: «Non, pas d'églises, pas de temples.»

Mais ce serait peut-être amusant si l’on mettait ensemble un spécimen de toutes les religions de tous les pays et de tous les temps. Tu vois ça: une cité des religions?... Le totem à côté de la cathédrale! Oh! ce serait très amusant. Toutes les anciennes religions: égyptiennes, tyriennes, les dieux Scandinaves... et puis les nouvelles.

Ils se disputeraient tous!

C'est dommage, les hommes n'ont pas assez le sens de l’humour! autrement on pourrait s'amuser beaucoup. C'est un remède merveilleux.

On pourrait faire des tournées de visite, comme les gens de l’agence Cook (!). On ferait la tournée des religions, avec toutes les statues, les monuments. Et les explications pourraient être lues par un guide quelconque, mais elles seraient données par quelqu'un qui a une vision un peu supérieure (oh! pas supramentale, seulement un peu supérieure) et qui montrerait les croyances humaines, comment les hommes ont fait couler le sang au nom de «Dieu».

Je crois que le dieu le plus assoiffé de sang est le plus populaire. Tous les massacres, les horreurs, les tortures que l’on a faites au nom de Dieu...

C'était un sujet qui m'intéressait beaucoup, je voulais même faire une classe au début,1 quand l’École avait seulement une trentaine d'enfants: une classe sur les religions, montrant toute la ligne comme cela, depuis les dieux à tête d'oiseau ou de chacal jusqu'aux cathédrales. Oh! quand j'avais même cinq ans, ça me révoltait, ce «Dieu», qui était vraiment un personnage malfaisant, qui faisait couler du sang.

Alors on pourrait faire une «cité des religions». Mais il faudrait recréer l’atmosphère.

Un musée des religions?

Non, un musée, c'est trop intellectuel – une cité des religions. Il faudrait refaire l’atmosphère, avoir un temple, des églises, une cathédrale, un totem... (riant) On confierait le temple grec à Ananta!2 Ce serait vraiment unique sur la terre.

Mais tu sais, il y a encore tant de gens fanatiques – plus qu'on ne croit. On croirait qu'avec le développement moderne, tout cela a disparu: pas du tout.

Plus je vais, plus j'ai la perception d'une Harmonie. Une harmonie c'est-à-dire une vision du Tout où tout est à sa place: les qualités, les mouvements, même les formes. C'est quelque chose qui s'élabore, une vision qui s'élabore.

Et pourtant, extérieurement, apparemment, c'est le chaos... Tu sais, un équilibre est formé d'une multitude d'emboîtements qui se tiennent tous ensemble et qui forment une stabilité. Mais quand on veut passer à un équilibre supérieur, il faut pour ainsi dire que tout ça soit désintégré (geste comme d'une pyramide qui s'aplatit), puis englobé à nouveau d'une façon plus large, et reformer tous les emboîtements à un niveau supérieur. C'est le passage de l’un à l’autre qui est difficile. C'est le déséquilibre qui prépare un nouvel équilibre.

Nous sommes au milieu du chaos.

Et la seule solution à ce moment-là, c'est de faire une sorte de rétraction (geste de retrait au-dedans) et un accrochage inébranlable à quelque chose de supérieur, et se cramponner là en laissant passer l’ouragan. Alors on peut passer.


ADDENDUM

(Même en 1960, Mère avait pensé faire un cours d'«histoire des religions», comme en témoigne la lettre suivante en réponse à une question d'un professeur de l’École:)

«...Quelle a été enfin l’influence occulte de ce judaïsme sur l’évolution humaine? Les fils de tout cela, plus j'y réfléchis, me paraissent tellement noués, mêlés, que c'est une connaissance «en survol» seule qui doit pouvoir aider à dégager l’essentiel. Enfin, Mère, je te remets tout cela. J'espère que tu pourras me dire la façon dont nous, ici, devons aborder la question et me donner les quelques éléments majeurs sur lesquels je pourrai faire reposer mon développement.»

Novembre 1960

Je ne sais pas ce que Pavitra t'a dit et demandé, mais voici un résumé de ce que je lui ai dit. Depuis longtemps, j'ai pensé à expliquer aux élèves, jeunes et vieux, les vérités particulières qui se trouvent à la base de toutes les religions humaines, chacune représentant un des aspects de la Vérité totale qui les déborde toutes. Ceci est expliqué parfaitement8 dans les écrits de Sri Aurobindo qu'il FAUT avoir lus et étudiés avant de pouvoir même concevoir comment traiter le sujet. En tout cas, il n'était pas question de demander à qui que ce soit de le faire, puisque je m'étais réservé le sujet, considérant qu'on ne peut le traiter utilement que si l’on a fait soi-même l’expérience, c'est-à-dire qu'on a vécu* la vérité qui se trouve derrière toutes les religions.

Ce que j'avais demandé, comme une préparation pour les élèves, c'est qu'on leur fasse un cours sur «l’histoire des religions», du point de vue purement historique extérieur et intellectuel II n'est pas question d'aborder le sujet spirituellement.

En tout cas, rien d'utile ne peut être fait avant d'avoir lu soigneusement ce que Sri Aurobindo a dit sur le sujet (Synthèse des Yoga: dans le «Yoga de la Connaissance», il parle des religions; premiers chapitres des «Essays on the Gita»; «Foundations of Indian Culture»; «Thoughts and Aphorisms», et beaucoup d'autres encore). Par conséquent mets-toi à lire d'abord.

Je ne réponds donc pas à tes questions parce que cela fait partie du cours que je veux faire moi-même et que je n'ai d'ailleurs pas encore écrit.

Avec mes bénédictions

Signé: Mère

18 février 1967

Tous ces jours-ci, j'étais à considérer les proportions à garder entre ce qui a été accompli et établi dans le passé, et l’attitude d'acceptation complète de ce qui vient de l’avenir.

Il y a évidemment, dans la Nature, une tendance à vouloir une lente transformation entre ce que l’on avait l’habitude de considérer comme «bien» (expressif et bien, harmonieux) et la Chose nouvelle. Et j'étais en train de regarder dans quelle mesure il y a de l’attachement: l’attachement de l’habitude, quelque chose de très spontané et sans calcul. Et alors, j'ai eu ces jours-ci (hier), un exemple amusant.

Tu connais la petite S?1 Tu ne lui as jamais parlé?... Il paraît qu'elle bat les garçons de seize et dix-sept ans à la logique et aux mathématiques nouvelles. Je l’ai vue aujourd'hui. Elle est évidemment très remarquablement intelligente. Et hier, c'était sa fête. Tu sais que Y (sa mère adoptive) est partie à l’hôpital, et quand elle est partie, elle m'a demandé d'envoyer tous les jours quelque chose à Toth (tu sais qui est Toth?2), parce qu'il paraît que quand il reçoit quelque chose de moi, pendant deux heures il est tout à fait tranquille. Bon. Alors j'ai envoyé quelque chose le premier jour (j'ai envoyé hier). Et hier, c'était la fête de S, la petite; j'ai pensé qu'au lieu d'aller chercher chez le secrétaire le fruit que je donne pour Toth, elle viendrait chez moi à dix heures et je lui donnerai en même temps sa carte et son bouquet. Et puis, tout est désorganisé et pas très «efficient»: elle n'a pas reçu la nouvelle. Et quand elle est venue, il était trop tard parce qu'il était dix heures et demie ou onze heures et j'avais dit «avant dix heures». Alors elle m'a écrit une lettre... J'ai vu la petite aujourd'hui, elle est vraiment très intelligente, il n'y a pas de doute, et voilà sa lettre (note que quand elle est venue chez Y, elle savait le français parce qu'elle l’avait appris chez les sœurs – elle était élève à la «Mission», il y a de cela trois ans – et depuis trois ans Y lui donne des leçons de français), et voilà la lettre de l’enfant:

Douce Mère,

Je suis absolument... (ici un mot sauté) avoir manqué te voir. Hier soir personne est venu me le dire. Et quand on m'a apporté les présents pour Toth de la part de Toi on m'a rien dit aussi.

Douce Mère, depuis hier matin la grande S3 voulait vous voir, et maintenant qu'on me dit que c'est trop tard et que je sens que je vais manquer de Te voir, la grande S est triste et je ne veux pas de ça.

S.

N'est-ce pas, ce n'est pas du français. On sent bien que la pensée n'est pas ordinaire... J'ai trouvé cela très intéressant. Mais pour une classe de français, ce serait comblé de fautes.

Non, mais il y a un «ton» là-dedans...

C'est ça.

J'ai été étonnée, parce que évidemment, Y (la mère adoptive) connaît bien le français et elle est très capable de lui apprendre à écrire correctement: elle n'en a pas pris la peine (ou elle n'a pas voulu), je ne sais pourquoi. Mais il y a une certaine force là-dedans.

Oh! oui.

C'est intéressant.

Et au fond, nous voulons... nous savons qu'il faut une langue non pas artificiellement nouvelle mais quelque chose d'assez souple pour pouvoir s'adapter aux besoins d'une CONSCIENCE nouvelle; et cette langue sortira probablement comme cela, par élimination d'habitudes, d'un ensemble d'anciennes langues.

Ce qui est particulier dans les langues (en plus de quelques différences de mots), c'est l’ordre dans lequel on présente les idées: la construction des phrases. Les Japonais (surtout les Chinois) ont résolu le problème en mettant seulement le signe des idées. Maintenant, sous l’influence extérieure, ils ont ajouté des signes phonétiques pour construire une phrase; mais même maintenant, l’ordre de construction des idées est différent. Il est différent au Japon et il est différent en Chine. Et à moins qu'on ne SENTE ça, on ne peut jamais savoir vraiment bien une langue étrangère. Et alors, nous, nous parlons selon notre très vieille habitude (mais au fond, c'est plus commode pour nous simplement parce que cela vient automatiquement). Mais par exemple, quand je «reçois», ce n'est même pas la pensée: c'est la conscience formulée de Sri Aurobindo; puis il y a une sorte d'approximation progressive pour l’expression, et parfois ça vient très clair; mais très souvent, c'est un mélange spontané des formes françaises et des formes anglaises et j'ai l’impression que c'est autre chose qui essaye de s'exprimer. Quelquefois (je suis la notation), il me fait corriger quelque chose; quelquefois, ça vient tout à fait bien; cela dépend... Oh! cela dépend de la limpidité. $i on est très tranquille, ça vient très bien. Et alors là aussi, je vois que ce n'est pas vraiment français, ce n'est pas vraiment anglais. Et ce ne sont pas tant les mots (les mots, ce n'est rien), c'est l’ORDRE dans lequel les choses se présentent. Et quand je vois cela objectivement après, je vois: c'est partiellement l’ordre dans lequel ça se présente en français, partiellement l’ordre dans lequel ça se présente en anglais, et ça fait un mélange qui n'est ni l’un ni l’autre et qui fait effort pour exprimer... ce que l’on pourrait appeler une «manière nouvelle de la conscience».

Ça me laisse penser que quelque chose s'élaborera comme cela, et que tout attachement trop strict, trop étroit aux vieilles règles, est une entrave à l’évolution de l’expression. Et le français, à ce point de vue, est beaucoup plus retardataire que l’anglais – l’anglais est beaucoup plus souple. Mais il semble que dans les pays comme la Chine et le Japon qui emploient des signes idéographiques, c'est infiniment plus souple que nos langues à nous.

Sûrement!

Ils peuvent exprimer des idées et des choses nouvelles beaucoup plus aisément par des juxtapositions de signes.

Et maintenant, avec cette «nouvelle logique» et ces «nouvelles mathématiques», il y a tout un ensemble de signes nouveaux qui commencent à être universels, c'est-à-dire que les mêmes signes expriment les mêmes idées ou les mêmes choses dans tous les pays, quelle que soit la langue employée dans le pays, d'une façon tout à fait indépendante.

Ces nouvelles pensées et ces nouvelles expériences, cette nouvelle logique, ces nouvelles mathématiques, sont maintenant enseignées dans les cours supérieurs, mais toutes les études primaires et secondaires sont restées dans la vieille formule, et je pensais très sérieusement ouvrir des écoles primaires et secondaires dans Auroville, basées sur le nouveau système – essayer.

Mais comment faire? C'est un problème qui m'intéresse beaucoup. Comment faire pour attraper cette expression nouvelle?

Ça ne peut se faire... J'ai l’expérience: si je veux exprimer bien ce que Sri Aurobindo dit (il ne «dit» pas, je ne sais pas comment expliquer... c'est sa conscience qui fait comme cela – geste de projection – qui s'exprime), eh bien, il faut d'abord que le mental soit silencieux; ça, c'est entendu. Mais la difficulté, c'est du passage dans l’expression, et c'est là que j'ai étudié, que j'ai vu à quel point il y a cette espèce d'attachement spontané et automatique aux vieilles habitudes.

Oui!

Alors il faudrait faire là (c'est ce que j'essaye de faire), le même travail de silence réceptif et laisser l’inspiration, la conscience inspiratrice rassembler les éléments nécessaires. Pour cela, il faut être très tranquille. Il nous faut être très souples, au sens de très surrendered [abdiquant]; je veux dire, mélanger aussi peu que possible d'activités habituelles – être presque comme un automate. Mais avec la pleine perception de la conscience qui veut s'exprimer afin que rien ne s'y mélange. Ça, c'est la chose la plus importante: recevoir cette conscience et la tenir comme... n'est-ce pas, quelque chose de sacré, sans que rien s'y mélange, comme ça. Et alors, il y a un problème d'attraction, pourrait-on dire, et de concrétisation dans la formule.4 Je me dis toujours que si je savais beaucoup de langues, ça se servirait de tout cela; malheureusement, je n'en connais que deux (pour «connaître», je n'en connais que deux) et je n'ai que des aperçus très superficiels et très minimes de deux ou trois autres – ce n'est pas suffisant. Seulement, j'ai eu le contact avec des méthodes très différentes: la méthode de l’Extrême-Orient et la méthode sanscrite, et naturellement les méthodes d'Occident. Cela fait tout de même une sorte de base, mais pas suffisante – je suis à l’antipode de l’érudition. J'ai toujours eu l’impression que l’érudition racornit la pensée – ça parcheminé le cerveau. (Mais je respecte beaucoup les gens qui ont de l’érudition, oh! et je leur demande conseil, mais... pour moi, ça ne va pas!)

Une fois, il y a fort longtemps, Sri Aurobindo me parlait de lui-même, c'est-à-dire de son enfance, de sa formation, alors je lui ai posé la question, je lui ai dit: «Pourquoi, comme être individuel, suis-je si médiocre? Je peux tout faire; tout ce que j'ai essayé de faire, je l’ai fait, mais jamais d'une façon supérieure: toujours comme cela (geste moyen).» Alors il m'a répondu (je l’ai pris à ce moment-là pour une gentillesse ou de la commisération): «C'est parce que ça donne une grande souplesse – une grande souplesse et une grande étendue; parce que, quand on a une perfection, on est concentré et on est spécialisé.» Comme je dis, je l’ai pris simplement comme on fait une caresse à un enfant pour le consoler. Mais maintenant, je m'aperçois que ce qu'il y a de plus important, c'est de n'avoir aucune fixité: que rien ne soit fixe, définitif, comme le sentiment d'une perfection dans la réalisation – ça, c'est l’arrêt complet de la marche en avant. Le sentiment de l’incapacité (au sens que j'ai dit, de la médiocrité, de la chose qui n'a rien d'exceptionnel) vous laisse dans une sorte d'attente (geste d'aspiration vers le haut) de quelque chose de mieux. Et alors, ce qui est le plus important, c'est la souplesse – la souplesse, la souplesse. La souplesse et la largeur: ne rien rejeter comme inutile ou mauvais ou inférieur – rien; ne rien établir comme vraiment supérieur et beau – rien. Rester toujours ouvert, toujours ouvert.

l’idéal, c'est d'avoir cette souplesse et cette réceptivité et cette soumission, c'est-à-dire acceptation de l’Influence, si totale que n'importe quoi peut venir, tout de suite l’instrument s'adapte naturellement, spontanément, sans effort, pour exprimer. Et pour tout, n'est-ce pas: dans les arts plastiques, dans la musique, dans l’écriture.

(silence)

La nature (de Mère) était plutôt timide et, justement, il n'y avait pas une très grande confiance dans la capacité personnelle (bien qu'il y ait eu le sentiment de pouvoir faire n'importe quoi, si nécessaire), et jusqu'à l’âge de vingt ans ou vingt et un ans, je parlais très peu, et jamais-jamais rien qui ressemblât à un discours. Je ne prenais pas part aux conversations: j'écoutais, mais je parlais très peu... Si! j'ai été mise en rapport avec Abdoul Baha (le «bahaï») qui était à Paris, et une sorte d'intimité s'est créée; alors j'allais à ses réunions parce que cela m'intéressait, et un jour (j'étais dans sa chambre), il m'a dit: «Je suis malade, je ne peux pas parler: va, parle pour moi.» J'ai dit: «Moi! mais je ne parle pas.» Il m'a répondu: «Tu n'as qu'à y aller, t'asseoir, rester tranquille, te concentrer, et puis ce que tu auras à dire te viendra. Va, fais-le, tu vas voir.» Et alors (riant), j'ai fait comme il a dit. Il y avait une trentaine ou une quarantaine de personnes, je suis allée m'asseoir au milieu, et puis je suis restée bien tranquille, et puis voilà... Rien, je suis restée comme ça, sans penser. Et tout d'un coup, je me suis mise à parler, je leur ai parlé pendant une demi-heure (je ne sais même pas ce que je leur ai dit) et quand ça a été fini, tout le monde était très content; et je suis allée le trouver, il m'a dit: «Tu as parlé d'une façon admirable.» J'ai dit: «Ce n'est pas moi!» Et depuis ce jour-là (il m'avait donné le truc, n'est-ce pas!), je restais comme cela, bien tranquille, et puis tout venait. C'est surtout le sens de la personne qu'il faut perdre – ça, c'est le grand art dans tout, pour tout, pour tout ce que l’on fait: pour la peinture, pour... (j'ai fait de la peinture, de la sculpture, j'ai même fait de l’architecture, j'ai fait de la musique), pour tout-tout, si l’on est capable de perdre le sens de la personne, alors on est ouvert à... à la connaissance de cette chose (sculpture, peinture, etc.). Ce ne sont pas nécessairement des personnes, mais c'est l’esprit de ça qui se sert de vous.

Eh bien, je crois que ce devrait être la même chose pour la langue. Il faudrait, comme cela, être branché avec quelqu'un, ou à travers ce quelqu'un, avec quelque chose de plus haut encore: l’Origine. Et puis: très-très passif. Mais pas passif-inerte: passif-vibrant, réceptif, comme ça, attentif; laisser «ça» entrer et s'exprimer. On verrait bien ce que cela donnerait... Comme je dis, on est limité par ce que l’on sait, mais peut-être est-ce parce que l’on est encore trop une personne et que si l’on pouvait être tout à fait plastique, cela pourrait être autrement: il y a eu des exemples de gens qui ont parlé une langue qu'ils ne connaissaient pas. Par conséquent...

C'est intéressant.

Pour tout, le grand secret, c'est que la conscience soit... LA Conscience: la Conscience sans limites. Et alors, elle, elle fait mettre ça (l’instrument) en mouvement. Plus tard – plus tard quand la transformation aura lieu, quand elle sera totale et effective –, probablement, il y aura une collaboration consciente; mais maintenant, ce n'est qu'un surrender, un don de soi, et ça se prête – ça se prête avec enthousiasme, avec joie –, ça se prête pour que LA Conscience se serve de ça.

Quand c'est comme cela, tout va bien.

Toutes les vieilles habitudes, oh!...

Et alors, vu comme cela, on s'aperçoit de l’absurdité totale des jugements, qui sont pour plus de 99% basés sur des vieilles habitudes: les vieilles habitudes de ce que l’on considère comme bon ou mauvais, bien ou mal, etc.; le jugement automatique, l’acceptation ou le refus automatiques...

Cette histoire de la petite S m'a appris beaucoup. Parce que je l’ai vue ce matin, cette petite. Elle est noire, n'est-ce pas – elle était toute lumineuse. Toute lumineuse. Et je ne pense pas qu'elle en soit consciente (que dans la mesure peut-être où Y l’a flattée – ça, c'est toujours possible), mais chez elle, c'est très spontané, elle n'essayait pas de poser, elle ne venait pas pour prendre des attitudes: elle est simplement venue chercher le fruit et la fleur de Toth. Elle était là devant ma table, je l’ai vue entrer, j'ai dit: «C'est étrange», cette petite qui est si noire... elle était plus claire que d'autres.

Et cette lettre est si forte!

Et elle ne passerait pas un examen.

21 février 1967

(Le message pour le quatre-vingts neuvième anniversaire de Mère)

When darkness deepens strangling the earth’s breast
And man’s corporeal mind is the only lamp,
As a thief’s in the night shall be the covert tread
Of one who steps unseen into his house.
A voice ill-heard shall speak, the soul obey,
A power into mind’s inner chamber steal,
A charm and sweetness open life’s closed doors
And beauty conquer the resisting world,
The truth-light capture Nature by surprise,
A stealth of God compel the heart to bliss
And earth grow unexpectedly divine.

Sri Aurobindo
(Savitri, I.IV.63)

22 février 1967

(Mère tend au disciple le texte d'une réponse:)

«Pourquoi le choix est-il impératif?»

«Parce que nous sommes à l’un de ces moments que Sri Aurobindo appelle "Heure de Dieu", et l’évolution a pris un mouvement accéléré et intensifié.»

(silence)

Tu es fatiguée?

Pas fatigue...: la confusion.

La nuit est bonne, mais le matin... (Mère hoche la tête)

(méditation)

25 février 1967

(Mère donne au disciple une rose couleur feu.)

Tu crois que jamais la Nature inventera quelque chose de mieux que cela?... Je ne crois pas.

C'est beau, cette Nature-là! je trouve cela plus beau que les animaux. Au point de vue conscience, c'est évidemment plus limité; une plante n'a pas la conscience de l’animal – elles ont cette aspiration vers la lumière, mais la conscience n'est pas précise. Mais au point de vue organisation matérielle, c'est incomparable. Un arbre comme celui-là (le cocotier sous la fenêtre de Mère), je le vois tout le temps, cet arbre, c'est merveilleux! et comme ça lutte, comme ça travaille, comme ça produit...

Au point de vue beauté, je veux dire harmonie matérielle, le Mental a beaucoup abîmé, beaucoup (du moins, c'est mon impression).

Et comment ce sera?... Parce que tout ce que j'ai vu au point de vue de la forme n'a pas la richesse, la variété, l’inattendu, la beauté de couleur et de forme qu'a cette rose. J'ai vu des choses, j'ai vu des réalisations supramentales – au point de vue conscience, c'est infiniment supérieur, il n'y a pas de doute, mais au point de vue forme...

Elles sont à naître. Elles vont naître, ces formes.

Espérons-le. Espérons-le vraiment.

Ça doit.

Vraiment, espérons-le.

Au point de vue conscience, par exemple, les êtres que j'ai vus,1 quand ils voulaient être couverts d'une façon quelconque, c'était par le pouvoir de la volonté qu'ils le faisaient; ça, au point de vue conscience, c'est incomparable, il n'y a pas de comparaison possible, mais...

Évidemment, on peut se revêtir merveilleusement.

Oui, comme une fleur. La conscience peut changer toutes les couleurs suivant les moments.

Ah! ce serait joli. Si l’on devenait une jolie rose!...

(Mère entre en contemplation)

On peut dire que toutes les expériences tendent vers une seule révélation: que seule la conscience existe. Et que c'est la décision ou le choix (les mots sont inexacts), une décision de la conscience qui donne la forme – toutes les formes –, depuis les formes les plus subtiles jusqu'aux formes les plus matérielles, et que le monde matériel, la fixité apparente du monde matériel vient d'une déformation ou d'un obscurcissement de la conscience, qui a perdu le sens de sa toute-puissance.

Et c'est encore beaucoup plus marqué, cette déformation, depuis le mental, qui, lui, dans son fonctionnement, a pris la place de la conscience au point qu'il s'est pour ainsi dire substitué à la conscience, au point que le mental, dans son fonctionnement ordinaire, ne peut pas se distinguer de la conscience – il ne sait pas ce que c'est que la conscience, et alors... (Mère fait un geste exprimant un rétrécissement ou un durcissement.)

Cela devient très-très précis, très clair, très visible dans le mental développé humain. Par exemple, pour le fonctionnement du corps, la différence entre l’action et la perception de la conscience, et l’action et la perception du mental. Et dans notre monde tel qu'il est organisé encore, le mental est plus (oh! c'est très intéressant comme impression), il est beaucoup plus concret – «concret» comme ce que nous avons l’habitude (la mauvaise habitude) d'appeler réel – et fixe. Ce n'est pas translucide et ce n'est pas fluide; ce n'est pas plastique, ce n'est pas fluide: c'est mental, concret. Et alors, il a besoin de la connaissance apprise, de tous les contacts avec l’extérieur... Prenons un désordre dans le fonctionnement du corps (qui vient pour toutes sortes de raisons qui sont très intéressantes à observer, mais enfin on ne peut pas parler de tout à la fois), le désordre est là et se traduit par un sentiment de malaise; la façon dont la conscience se comporte et agit, et la façon dont le mental se comporte et agit, sont tout à fait, tout à fait différentes (on ne peut pas dire opposées, mais tout à fait différentes). Et alors, il y a la faiblesse (je parle de la sensation du corps lui-même), la faiblesse qui provient de la vieille habitude. Ce n'est pas un manque de foi, le corps sait d'une façon presque absolue qu'il n'y a qu'un salut, un sauveur: la Conscience; mais il y a une faiblesse qui fait une espèce de relâchement, de laisser-aller à l’habitude, et là, il faut une intensité de foi – mais d'énergie dans la foi – pour ne pas céder. Et ça se passe dans une toute petite sphère, n'est-ce pas, et c'est une question... même pas de minutes: de secondes. Et s'il y a le laisser-aller, ça veut dire la maladie; et l’autre (la conscience), ça veut dire, petit à petit, petit à petit, l’irréalité du désordre.

Mais cela veut dire une intensité de foi qui, comparée à l’état actuel de l’humanité, peut être considérée comme miraculeuse.

Et l’acceptation de la maladie, c'est l’acceptation de la fin habituelle, qu'on appelle généralement «mort» (ça ne veut rien dire), mais enfin ça veut dire que l’agrégat est incapable de se transformer et se dissout.

Et ce sont des choses qui arrivent très souvent (ces «secondes») et tout à fait sans rapport avec les circonstances extérieures, ce qui fait que si l’on était tout seul – tout seul, immobile, en méditation –, ce serait plus radical et plus définitif. Mais c'est mélangé au mouvement de la vie, aux circonstances extérieures, et alors, par les nécessités de ces circonstances extérieures, cela doit passer plus ou moins inaperçu. Cela fait que le résultat est moins complet, partiel seulement, et qu'alors ça se répète, ça se répète, ça se renouvelle... Ça s'étend sur beaucoup de temps.

(silence)

Et tout cela n'a un sens, n'a vraiment un sens que si l’on arrive au bout.

Le bout, c'est la conscience qui reprend son pouvoir.

Mais même si l’effet n'est pas total ni général, je veux dire pour toute la terre, ce sera tout de même un effet for-mi-da-ble, même sur un point.

Voilà. Il faut être patient.

mars




2 mars 1967

(À propos des visiteurs étrangers qui demandent à voir Mère.)

...Me voir devrait être le RÉSULTAT de quelque chose, non le commencement. C'est ce que je ne cesse de leur répéter. Ce n'est pas pour leur donner une impulsion: c'est pour répondre à une préparation qui a besoin de se fixer. Alors, ça a un sens. Ils viennent: en deux minutes c'est fait, ils sont partis avec ce qu'il faut, et puis ça va bien.1


(Puis il est question du dernier anniversaire de Mère, le 21 février, et de la difficulté de contenir le flot croissant et chaotique des activités extérieures.)

Je vis dans une confusion croissante. Et cela a un avantage, je le vois très bien: il ne peut plus y avoir d'automatisme. Quand on vit dans une vie bien organisée, cela devient automatique – et ce n'est plus possible, il faut qu'à chaque minute la conscience soit comme un phare, projetée pour savoir ce qu'il faut faire. Et je vois bien que c'est exprès que c'est comme cela. C'est exprès.

Il y a des choses que j'ai dites dans l’Entretien que tu viens de me lire aujourd'hui, qui étaient vraies à ce moment-là, qui sont encore vraies pour la majorité des gens, mais qui ne sont plus vraies pour moi...2 Pour la vision de maintenant, il n'est rien qui ne soit voulu et qui ne vienne à dessein, purposely (pas positivement exprès, mais dans un but précis), et c'est un tout complet, multiple et intégral EN MÊME TEMPS (c'est pour cela que c'est très difficile à concevoir). Mais maintenant, c'est une chose qui est sentie très clairement. Et depuis deux ou trois jours, après une observation très ténue – précise et ténue... Le centre de la conscience est assez haut (geste, loin au-dessus de la tête); dans le temps, c'était toujours là (geste près du sommet du crâne) et ça voyait les choses autour et dedans; mais ça a l’air d'être monté, et le champ de la conscience est beaucoup plus vaste. Et alors, le corps est devenu transparent, pour ainsi dire, et presque inexistant; je ne sais pas comment dire... ça ne fait pas obstacle aux vibrations: toutes les vibrations passent à travers. Par exemple (je vais donner un exemple pour me faire comprendre, je ne donnerai pas de précisions exprès), il m'avait été demandé une certaine somme d'argent, une augmentation (au point de vue matériel, il y a un certain nombre de choses qui sont sous le contrôle ici – de Mère – et que j'ai à payer régulièrement), alors était venue une demande d'augmentation; non pas que la demande fût déraisonnable, ce n'était pas cela (c'était une augmentation pour une chose spéciale, une augmentation quotidienne), mais je ne sais pourquoi (parce que là ici – geste au front – il ne se passe rien, je suis absolument non seulement blank [neutre] mais transparente et ça laisse passer sans obstruction), quand j'ai dû prendre la décision, imédiatement il y a eu la vision (mais une vision comme je dis, qui est d'en haut et qui voit sur un champ beaucoup plus large) de conflit, de bataille, et, à l’observation, c'était quelque chose qui était très mécontent (en Mère), comme une protestation. Je me demandais pourquoi? Et si cela s'était traduit en paroles, il y aurait eu une indignation à cause de cette demande (sans que, dans la conscience, il y ait le moins du monde la raison de cette indignation: tout cela devient très-très impersonnel – très impersonnel). Je continuais à regarder avec la vision de la conscience, puis, comme automatiquement, à travers cette bouche, j'ai demandé combien cette augmentation ferait par semaine (parce que même l’état mental qui permet de calculer n'est pas là du tout: c'est seulement une question de conscience), j'ai demandé à quelqu'un qui se trouvait là, qui m'a répondu. Alors imédiatement, est venue la décision: une fois par semaine, je donnerai tant. Et tout s'est calmé. Et pourquoi et comment et qui? Je ne sais pas du tout.

Alors je suis obligée d'en conclure que c'est une conscience très supérieure qui voit avec des raisons qui nous échappent tout à fait, et qui voit comment les choses doivent être faites, qui produit tous les mouvements (geste global montrant le jeu des forces) jusqu'à ce que ce soit fait comme ce doit être fait. Et là où il y a une personne, ça n'existe plus – il n'y a plus de «personnes»: il y a des forces en mouvement qui produisent certaines actions matérielles, mais plus de personnes.

Et il y a eu une observation depuis: je me suis aperçue que pour tout ce qui concerne ce corps, c'est devenu comme cela. Alors le corps lui-même a à peine la sensation de ses limites (geste comme si la forme délimitante avait fondu). C'est assez nouveau. Je vois que cela s'est produit assez progressivement, mais c'est assez nouveau, alors c'est difficile à exprimer. Mais c'est ce corps lui-même qui ne se sent plus comme cela, limité (même geste): il se sent répandu dans tout ce qu'il fait, tout ce qui l’entoure, toutes les choses, les gens, les mouvements, les sensations, tout ça... C'est répandu comme ça.

C'est devenu très amusant, très intéressant. C'est vraiment nouveau.

Et cela s'est précisé après le 21 février. Il y a eu un ou deux jours très difficiles au moment de l’anniversaire, puis cela a été une sorte d'ajustement là-dedans, et après ça l’expérience est venue. C'était le résultat. Vraiment il y a un changement.

Il faut être un peu attentif et soigneux pour ne pas se cogner, pour tenir les choses: les gestes sont un peu flottants. C'est très intéressant. Et ce doit être une période de transition jusqu'au moment où LA conscience véritable s'installera; alors elle aura un fonctionnement tout à fait différent de celui qu'elle avait auparavant, mais d'une précision que l’on peut prévoir comme incalculable. Et d'un ordre très différent. Par exemple, pour beaucoup de choses, la vision est plus claire avec les yeux fermés qu'avec les yeux ouverts, mais cette même clarté commence (il y a longtemps), elle commence à venir avec les yeux ouverts, qui voient d'une façon différente (geste montrant le dedans des choses).

Il y a des détails amusants dans l’ensemble, que je te dirai plus tard parce que certaines personnes sont en question, alors j'aime mieux ne pas parler (ce n'est intéressant qu'avec les noms), j'aime mieux ne pas en parler tout de suite... C'est au point de vue du «pouvoir de la Mère» et comment il se manifestera – des choses amusantes, peut-être des ambitions (ça a pris l’apparence d'ambitions), mais je regarde (le «je» là-haut – le vrai «je» – regarde pour voir si cela correspond à une réalité concrète)... Au point de vue tout à fait extérieur et ordinaire (et ce n'est pas comme cela, ce n'est pas VU comme cela), mais traduit dans la conscience humaine, ce sont des ambitions créées par le fait que l’âge matériel augmente (Mère vient d'avoir 89 ans) et que, par conséquent, on peut prévoir... (riant) ma disparition. C'est très amusant. Mais ça, je t'en parlerai plus tard.

Bien. (Mère rit beaucoup)

Tu dois voir de drôles de choses!

Reste à savoir quand je disparaîtrai!... Sri Aurobindo m'a dit: «Votre corps sur la terre...» Il a dit: «Ce que je vois, c'est que votre corps est le seul qui ait l’endurance suffisante pour passer par l’épreuve.» Mais, n'est-ce pas, ce corps n'en savait rien, il n'a pas d'ambitions (!) et encore moins de prétentions; mais basé là-dessus, quand il m'a dit: «Vous ferez le travail», j'ai dit oui. Alors voilà.

Mais maintenant, je vois – j'ai vu: c'est dur de tenir le coup. C'est dur. Il faut, ensemble, une énergie qui ne bronche pas – une énergie constante, comme ça (geste inflexible) – et en même temps, une humilité parfaite qui soit prête à TOUT abandonner parce que tout ce qui est, n'est rien en comparaison de ce qui doit être. Une humilité parfaite. Il n'y a pas beaucoup de corps comme cela, je crois. Il est vraiment (riant) de bonne volonté!

Oh! il y a eu des moments... Ce sont quelques minutes (ça pourrait difficilement durer davantage) où vraiment c'est dur. Ces jours-ci. Et alors, ce qui fait qu'il peut passer, c'est que, à ce moment-là, il est tout à fait comme ça (geste d'abandon): «Seigneur, ce que Tu veux.» Rien, pas pensé, pas spéculé, rien: «Ce que Tu veux.» «Et Toi seul existes.» Voilà.

Des angoisses, n'est-ce pas... ça se traduirait dans une conscience ordinaire par des douleurs physiques difficiles à supporter, mais la Grâce est là – l’IRRÉALITÉ DE LA SOUFFRANCE heureusement est là.

Oh! une Grâce merveilleuse.

Et alors, le résultat (c'étaient quelques jours difficiles), le résultat, c'est cela, c'est que vraiment le corps lui-même a changé de conscience. Sa conscience est là-haut: il n'y a plus rien là-dedans, c'est tout comme ça, comme quelque chose à travers quoi tout passe.

(silence)

Il a peut-être une ambition (en tout cas, cela se traduit par une aspiration): la possibilité de faire sentir partout cette irréalité de la souffrance. Quand la possibilité est vue de transmettre partout l’irréalité de la souffrance, il y a une joie – il y a une lumière, il y a une joie dans le corps. Ça le rend content. Par conséquent, la Conscience là-haut dit: «C'est comme ça, ce sera comme ça.» Voilà.

4 mars 1967

(À propos de l’Aphorisme 126 de Sri Aurobindo: «La loi la plus obligatoire de la Nature est seulement un processus fixe que le Seigneur de la Nature a formulé et dont Il se sert constamment. C'est l’Esprit qui l’a faite et l’Esprit peut la dépasser, mais il faut d'abord ouvrir les portes de notre prison et apprendre à vivre plus dans l’Esprit que dans la Nature.»)

C'était juste le sujet de... (peut-on appeler cela méditation?) mais du travail de la matinée. C'était venu si clairement. Mais les expériences ne sont pas littéraires, ça ne peut pas s’exprimer.1

(Mère entre en contemplation)

Il y a quelqu'un qui vient d'apporter, de deux côtés à la fois (geste à droite et à gauche), un plat avec des raisins, et encore un autre plat avec des raisins, comme ça. Et il y en avait un qui était pour toi et un pour moi.

Depuis deux ou trois jours, il y a des êtres du vital qui veulent manifester leur bonne volonté, et c'était comme l’expression de leur bonne volonté. Et très fréquemment dans le vital, la nourriture, ce sont des raisins, très fréquemment. Des raisins qui sont d'ailleurs d'une beauté incomparable. Et le raisin, c'est le fruit de la vie. Alors je suppose que c'est pour cela. Et c'étaient deux grappes: il y en avait une grosse et une moins grosse; je ne sais pas pour qui était la plus grosse, pour qui était l’autre: c'est venu des deux côtés, ça s'est présenté comme cela (geste à droite et à gauche de Mère) et l’une était sur un plat, l’autre était sur un carré de papier blanc. J'ai supposé que celle sur le carré de papier blanc était pour moi!

Jolis, beaux! Du raisin, tu sais, qui devient doré – transparent et doré quand il est mûr. Des gros grains comme ça (geste de 5 cm environ).

(silence)

J'ai essayé d'exprimer ce qui s'est passé ce matin, et tout le temps il me venait: «Mais les expériences ne sont pas littéraires, elles ne peuvent pas s'exprimer.»

(silence)

Il y a des êtres du vital qui m'ont dit: «Il y avait un temps où tu nous utilisais et nous étions très heureux. Pourquoi maintenant, tu ne nous utilises plus?» Alors je leur ai répondu: «Si vous voulez faire du travail, ce n'est certainement pas moi qui vous en empêcherai!»

C'était hier soir. On m'a posé des questions sur la lévitation (des questions de petit enfant moderne), on m'a demandé: «Comment se fait-il, si on échappe à cette loi, que l’on ne s'en aille pas comme cela dans l’atmosphère?» J'ai répondu d'après mon expérience, que ce n'est pas comme cela que se produit la lévitation, ce n'est pas parce que l’on échappe à la loi de la gravitation: c'est parce que les corps physiques sont soutenus par des forces vitales matérialisées (un peu matérialisées). Et alors, cela m'a remis en contact avec ces forces et ces êtres, et ils m'ont dit cela la nuit dernière; ils m'ont dit: «Pourquoi tu ne nous utilises plus? Nous étions très heureux!» J'ai dit: «Venez, faites du travail!» Et voilà (les raisins).

Quand on dort (c'est-à-dire quand le corps est en état de transe), on peut manger. On sent le goût quand on est extériorisé du corps. Et c'est très nourrissant, ça donne de la force. Cela m'est arrivé je ne sais combien de fois de manger, et surtout du raisin – des raisins!...


Peu après

Oui, ce problème de la transformation, de plus en plus clairement je vois qu'il y a trois approches, trois manières de procéder, et que pour être complet, il faudrait combiner les trois.

l’une – naturellement la plus importante –, c'est la manière que l’on pourrait appeler «spirituelle», qui est celle du contact avec la Conscience – Amour-Conscience-Pouvoir, c'est cela, n'est-ce pas; ce sont ces trois aspects: Amour-Conscience-Pouvoir suprêmes. Et le contact, l’identification: rendre toutes les cellules matérielles capables de Le recevoir et de l’exprimer – d'ÊTRE Ça.

De tous les moyens, c'est le plus puissant, et le plus indispensable.

Il y a le moyen occulte qui fait intervenir tous les mondes intermédiaires. Il y a une connaissance très détaillée de tous les pouvoirs et de toutes les personnalités, toutes les régions intermédiaires, et qui se sert de tout cela.2 C'est là que l’on se sert des divinités du Surmental: c'est dans ce second moyen. Shiva, Krishna, tous les aspects de la Mère font partie de ce second moyen.

Et puis, il y a l’approche intellectuelle supérieure, qui est la projection d'un esprit scientifique dépassé et qui prend le problème d'en bas, et qui a son importance aussi. Au point de vue du détail de la manipulation, cela diminue les approximations, ça donne une action plus directe et plus précise.

Si l’on peut combiner les trois, alors évidemment la chose ira plus vite.

Sans le premier, rien n'est possible (et les autres sont même illusoires sans le premier: ils ne mènent nulle part, on tourne en rond indéfiniment). Mais si l’on revêt le premier des deux autres, alors je pense que l’action est plus précise et plus directe, plus rapide.

C'est le résultat des «études» de ces jours-ci.3

7 mars 1967

J'ai reçu un certain nombre de questions provenant des grands élèves (pas des petits enfants: des grands élèves) à propos de la «mort», des conditions de la mort, pourquoi il y a tant d'accidents en ce moment, etc. J'ai déjà répondu à deux personnes. Naturellement, c'est répondu au niveau mental mais avec une tentative de passer au-delà.

C'est cette espèce de logique mentale qui veut... oui, que les choses se déduisent les unes des autres selon cette logique, alors ils sont arrivés à des questions... impossibles.

(texte des questions)

Le moment et le moyen de la mort sont-ils toujours choisis par l’âme? Dans de vastes destructions humaines par bombardement, inondation, tremblement de terre, est-ce que toutes les âmes ont choisi de mourir ensemble à ce moment-là?

l’immense majorité des êtres humains ont une destinée collective. Pour eux, la question ne se pose pas.

Celui qui a un être psychique individualisé peut survivre même au sein des catastrophes collectives, si tel est le choix de son âme.

Après la mort, une fois séparée de son être physique, de son vital, de son mental, comment l’âme est-elle consciente d'être, d'exister?

l’âme est une étincelle du Divin Suprême, je ne vois pas comment le Seigneur a besoin d'un corps pour être conscient d'être.

Ce n'est rien de très nouveau, mais c'est un élargissement de la conscience, et justement ces temps derniers, toutes ces questions venaient dans l’atmosphère, et donnaient d'abord l’impression que l’homme ne sait rien de la mort – il ne sait pas ce que c'est, il ne sait pas ce qui se passe, il a fait toutes sortes d'hypothèses mais il n'y a pas de certitudes. Et en poussant – en insistant comme cela, en poussant –, je suis arrivée à cette conclusion... qu'il n'y a rien qui soit vraiment la mort.

Il n'y a qu'une apparence, et une apparence qui se fonde sur une vue limitée. Mais il n'y a pas de changement radical dans la vibration de la conscience. Ça, c'est venu comme une réponse à une sorte d'angoisse (il y a eu une sorte d'angoisse dans les cellules, de ne pas savoir ce que c'est vraiment que la mort. Comme ça, une sorte d'angoisse) et la réponse a été très claire et très persistante: c'est que seule la conscience peut savoir, parce que... parce que l’importance donnée à la différence d'état est une importance seulement superficielle et basée sur l’ignorance du phénomène en lui-même. Celui qui serait capable de garder un moyen de communication pourrait dire que, pour lui-même, cela ne fait pas une différence considérable.

Mais cela, c'est quelque chose qui est en train de s'élaborer. Il reste encore des endroits imprécis et il y a des détails d'expérience qui manquent. Alors il me semble qu'il vaudrait mieux attendre que la connaissance soit plus complète parce que, au lieu de dire une approximation avec des suppositions, il vaudrait mieux dire le fait complet avec l’expérience totale. Donc nous remettrons cela à plus tard.

Mais tu dis qu'il n'y a pas de différence... Est-ce que, quand on est de l’autre côté, on continue d'avoir, ou on peut avoir la perception du monde physique?

Oui-oui! c'est cela. C'est cela.

La perception des êtres, des... [nous voulions dire des mouettes sur la mer, des arbres, du joli soleil de la terre].

Oui, c'est cela.

Seulement, au lieu d'avoir une perception... On sort d'une espèce d'état illusoire et d'une perception qui est une perception d'apparences, mais on a une perception; c'est-à-dire qu'il y a eu des moments où j'ai eu la perception, j'ai pu voir la différence, seulement, n'est-ce pas, l’expérience n'a pas été totale (ça n'a pas été total dans le sens que cela a été interrompu par les gens), alors il vaut mieux attendre un peu pour en parler.

Mais la perception est là.

Pas absolument identique, mais avec une efficacité quelquefois plus grande en elle-même. Mais ce n'est pas perçu véritablement par l’autre côté. Je ne sais pas comment expliquer. J'ai eu l’exemple (pas l’exemple: vécu, la pleine perception) d'un être qui a vécu pendant des années avec moi, qui est resté en contact tout à fait conscient après être sorti du corps (mais sorti du corps très matériellement), et qui s'est, non pas fondu mais étroitement associé à un autre être vivant, et qui a continué la vie de sa PROPRE CONSCIENCE dans cette association. Et tout cela, je ne peux ni donner les noms, ni donner les faits, mais c'est aussi concret que cela peut être.1 Et ça continue.

Tout cela a été vu – je l’ai vu depuis longtemps, mais c'est revenu comme une illustration de la nouvelle connaissance, ce matin même. Extraordinairement concret dans ses effets (cette «association»): changeant les capacités et les mouvements de la conscience de l’autre. Et consciemment – une vie absolument consciente. Et c'est la même conscience qui était consciente dans la période où il n'y avait plus du tout de corps et où la présence était visible seulement dans la vision de la nuit.

Il y en a d'autres.

Celle-là est très proche et très intime, et c'est pour cela que j'ai pu suivre dans tous les détails.

Mais ce n'est clair, précis et ÉVIDENT qu'avec cette nouvelle vision, parce que (comment dire?...) je savais cela – je le savais avant, je le savais –, mais je l’ai revu avec la nouvelle conscience, la nouvelle façon de voir, et alors la compréhension a été totale, la perception a été totale, tout à fait concrète, avec des éléments qui manquaient complètement – des éléments convaincants – qui manquaient complètement à la première perception, qui était une connaissance vitale-mentale. Ça, c'est une connaissance de la conscience des cellules.

Mais tout cela ne serait intéressant qu'avec tous les faits (qui ne peuvent pas être donnés). Alors je voudrais avoir une expérience plus complète et plus «impersonnelle», pourrait-on dire, c'est-à-dire qui n'est pas illustrée par des faits, qui est une vision d'ensemble du processus. Et alors là, je pourrai parler.

Ça viendra.

11 mars 1967

Il y a une question de terminologie. Je voudrais faire précéder le troisième volume des «Entretiens» d'une note où je dis ceci: «Nous avons voulu commencer ce nouveau volume par l’Entretien du 29 février 1956, parce que c'est à cette date, en effet, au cours de la méditation qui a suivi la classe, que s'est produit...» Quoi?... «la première descente des forces supramentales dans l’Inconscient»?

(Mère secoue négativement la tête) C'était: Lumière-Force et Pouvoir. Et ce n'est pas dans l’Inconscient: c'est dans l’atmosphère de la terre.

Lumière-Conscience-Pouvoir?

«Conscience», cela fait partie de la totalité, ça viendra plus tard.

Lumière-Force-Puissance supramentales?

Oui.

Et c'est le mot «descente»?

C'est plutôt «manifestation». l’image était... (on ne peut pas dire qu'il y avait du «haut» et du «bas», ce n'était pas comme cela), c'était la barrière qui était brisée, et le flot qui allait.

Il vaut mieux mettre «manifester».


(Peu après, à propos de l’extraordinaire encombrement de la table de Mère:)

...C'est pourquoi j'ai tant de choses sur ma table. On me donne quelque chose, et il y a là-dedans une bonne pensée, une force, quelque chose qui me met en contact avec la personne, alors je le laisse là sur ma table pour garder le contact. Toutes ces choses représentent généralement le contact avec quelqu'un. Alors je le garde là (naturellement, ça aussi, ça augmente!). Et quelquefois il y a des enfants (des tout petits enfants) qui viennent; les tout petits enfants, quand ils voient quelque chose, leurs yeux deviennent tout grands, alors je donne. Et je me demande toujours (riant): qu'est-ce qui doit arriver avec ce qu'il y a dans la chose, quel genre de circuit?!

(Mère garde longtemps les mains du disciple entre les siennes)

Je vous fais marcher très vite.

15 mars 1967

Maintenant, les roses se sont ouvertes (Mère tend une rose au disciple), mais celle-là est d'une couleur magnifique! C'est beau, n'est-ce pas?

J'ai eu, avec les roses, une expérience amusante, ce matin. Il y avait un bouton fermé – gros, dur –, gros et dur, rouge. Je l’ai pris, puis je l’ai regardé, et puis comme ça, mes doigts ont passé sur la fleur... (geste montrant la fleur qui s'ouvre), un pétale après l’autre, l’un après l’autre, l’un après l’autre – devant moi. Et il était complètement dur et fermé; je l’ai pris, j'ai dit: «C'est dommage.» J'allais le remettre dans l’eau pour qu'il s'ouvre, et je regardais, et puis... C'était si joli, tu sais! comme ça, content, comme s'il me disait: «Ooh! je suis content!»

Nous sommes très amies avec les fleurs, il faut dire.

J'en ai eu dans le temps, qui étaient fanées – des fleurs fanées – et je les avais prises comme cela (c'était du temps où je faisais de l’occultisme avec Théon – c'est arrivé plusieurs fois), une fleur qui était toute penchée: je l’ai prise dans ma main et regardée, et puis, petit à petit, petit à petit, toute souriante et redressée!

Elles sont très-très réceptives.


Peu après

C'est très amusant, toutes les expériences que l’on a dans le vital, dans le mental et au-dessus, on les a dans le matériel, dans la conscience cellulaire, et c'est pour ainsi dire une reproduction, seulement avec une petite altération à cause de la Matière. Par exemple, quand on remue de l’eau, quand on la secoue, elle n'est plus transparente; ça fait des mouvements et ces mouvements empêchent l’eau d'être transparente. On ne peut plus voir à travers. Et c'est la même chose matériellement: quand on est agité, que l’on n'a pas cette espèce de calme (qui n'est pas une immobilité, mais c'est le contraire de l’agitation, je ne sais pas comment le décrire, c'est quelque chose qui est imperturbable), il y a très peu de gens qui ont cela et quand ils approchent, tout de suite il y a... (geste trépidant et bouillonnant dans l’atmosphère) des vibrations, un désordre et une confusion qui s'établit. On a cela à une petite échelle avec les gens qui viennent; on a cela à une grande échelle avec les mouvements de l’Ashram; et on a cela à une plus grande échelle encore avec les mouvements de la terre. C'est la même chose avec cette espèce d'agitation mentale qu'ont les gens (d'excitation et d'agitation): dès qu'il y a une excitation et une agitation, c'est impossible de voir clair; ça fait la même chose que dans l’eau, ça fait comme cela (même geste bouillonnant et trépidant), un tas de mouvements de confusion et on ne voit rien. Matériellement, c'est la même chose. Et alors, dès qu'il y a un problème à résoudre (surtout un problème matériel), les gens ont l’habitude de s'agiter, et dès qu'ils s'agitent, il est absolument impossible de trouver aucune solution. Et ça aggrave la confusion.

Et cela, c'est une chose dont j'ai l’expérience constamment, à chaque minute. Si je suis dans l’atmosphère normale, quelle que soit l’intensité de l’action (ou l’intensité du problème aussi à résoudre), on voit clairement, et la solution s'impose comme une chose absolue, irrévocable: c'est comme cela que ça doit se faire. Dès qu'entre l’atmosphère agitée d'une autre personne (et dès qu'il y a un problème, il n'y en a pas un sur mille qui ne s'agite pas, au moins intérieurement, un peu), alors ça commence à faire comme cela (même geste trépidant), et non seulement on ne voit plus, mais les choses se déplacent! Et alors, la solution... il faut réparer le désordre avant de pouvoir songer à la solution. Et c'est une expérience presque de chaque moment. Je vois des quantités de gens; il y en a, dès qu'ils entrent dans l’atmosphère, leur confusion entre en même temps, et alors on ne voit plus rien – il faut attendre un peu, essayer de calmer, et alors on peut voir. Il y en a pour qui ça ne se calme jamais – c'est sans espoir, il n'y a qu'à les renvoyer. Il y en a, au bout d'un certain temps, ça se calme, alors on peut commencer à voir et savoir ce qui est à faire.

Mais cela se traduit matériellement d'une façon très intéressante. Quand je suis seule et que tout est tranquille dans mon atmosphère, je peux prendre n'importe quoi, n'importe quel objet, à n'importe quel moment: exactement à sa place. Et ça va sans anicroches. Dès qu'il y a quelqu'un (qui que ce soit), dès qu'il y a quelqu'un, il y a une petite vibration (même geste trépidant). Avec certaines personnes, la vibration s'aggrave beaucoup – et je perds mes choses! Je les perds presque irrémédiablement... jusqu'à ce que l’atmosphère se soit de nouveau calmée; alors tout naturellement, la chose revient, presque comme si elle était partie et qu'elle était revenue – elle n'est pas partie, elle n'est pas revenue: il y a seulement la confusion qui voile tout –, et je retrouve la place, la chose exactement à sa place. Et ça, c'est du matin au soir (je ne peux pas dire du soir au matin parce que je m'en vais dans un autre domaine!). Mais c'est constant. Et alors, j'ai l’impression de vivre constamment dans une confusion.

Et cela devient quelquefois assez pénible. Par exemple, le matin ici quand il y a trois ou quatre confusions en même temps, ça devient aigu. Et je n'ai qu'une solution, c'est de me trouver toute seule à un endroit quelconque, et de rester comme ça (geste de retrait dans l’immobilité absolue), jusqu'à ce que tout rentre dans l’ordre. Alors tout rentre dans l’ordre, la Présence du Seigneur est de nouveau... elle est toujours là, mais elle peut s'exprimer, elle peut se manifester – dans ça (cette confusion), ça ne passe pas! Alors je reste tranquille et ça va bien. Et là, je peux faire face à de nouveaux désordres qui viennent (à condition qu'ils ne se précipitent pas trop les uns sur les autres!), mais enfin, je m'en tire. À dire vrai, je m'en tire tout le temps, mais il y a des désordres qui ne devraient pas être, qui sont inutiles. J'ai tout le temps l’impression de vouloir dire aux gens: «Oh! je vous en prie, soyez tranquilles!...» Mais pas «tranquille» d'une tranquillité apathique, pas à plat dans un coin et puis ne plus bouger (et d'ailleurs, dedans, ça fait encore comme ça – le bouillonnement), non: tranquille-tranquille, comme cela (geste vaste) dans la conscience, alors tout devient limpide. Et dans cette limpidité, on voit très bien, on décide très bien, tout s'arrange, et les choses s'organisent d'elles-mêmes, on n'a pas besoin même d'intervenir.

Toutes les difficultés... Je vois cela, j'ai vu cela ces temps derniers à propos des organisations politiques, des relations entre les nations, tout cela, tous les problèmes qui sont à résoudre – c'est tout la même chose: les gens sont comme cela (même geste trépidant) tout le temps, tout le temps, tout le temps... une agitation, une agitation, une autre agitation qui vient s'ajouter – et on ne voit plus rien! On ne peut plus rien voir. Si l’on peut rester un moment tranquille...

C'est comme toutes les questions que l’on me pose (je reçois d'innombrables questions), tout est comme cela (même geste), tout est comme cela et on ne peut rien voir. Si l’on reste tranquille... la Lumière passe, ça devient limpide, transparent, et... ça devient si naturel, si simple! si simple, si évident: il y a UNE chose qui peut être faite et qui est la vraie chose. Tout le reste... (même geste de bouillonnement).

Il y a des gens qui vivent dans un tourbillon constant, et alors ils sont très étonnés parce que tout va mal! Ils ont des complications, des... Et c'est toujours cela (même geste).

Je ne parle pas naturellement de ceux qui sont tâmasiques et complètement inertes; ils sont comme une masse inerte, alors la Lumière ne peut pas traverser – c'est l’agitation des autres qui passe et qui les agite! Non, je parle d'une Lumière... (geste vaste) qui est au-dessus des choses, pas touchée par elles, et qui voit. Et qui est dans une... (comment dire?...) Tout, tout l’univers avance à une allure fantastiquement rapide, dans une immobilité parfaite. Les mots semblent idiots, mais ça se sent – ça se sent, ça se voit, ça peut se vivre. Une immobilité lumineuse qui avance à une allure fantastiquement rapide.

Et dans cette immobilité-là, il y a une transparence parfaite... et le problème n'existe pas: la solution précède le problème. C'est-à-dire que les choses s'organisent (geste indiquant le mouvement des forces universelles) de façon à pouvoir changer de position ou prendre une place différente pour exprimer la nouvelle chose qui doit s'exprimer: toujours, quelque chose de nouveau pénètre dans la manifestation (comme sortant du Non-manifesté), pénètre dans la manifestation et transforme. Et ça se fait automatiquement. Un grand Mouvement immense... (Mère sourit les yeux clos) auquel on ne peut participer que si l’on est par-fai-te-ment paisible et calme et translucide.

(Mère prend les mains du disciple et reste longtemps à le regarder)

Dis-moi, ce serait joli si l’on pouvait prendre la conscience des gens comme on prend une fleur, et puis, parce qu'on la regarde et qu'on la tient et que la vibration est cette Vibration d'Amour suprême, ça s'ouvre, comme ça, ça s'organise, et ça devient magnifique.

Ce serait bien si l’on pouvait faire ça – (riant) peut-être qu'on peut le faire!1

Oui, c'est ce que tu fais!

22 mars 1967

C'est très intéressant... À cause de ce «message» de l’année1 (tout le monde parle de ce message partout, ça a été une bonne secousse; même dans les milieux gouvernementaux, partout), et à cause de ce message, chacun se pose comme un «défenseur de la Vérité» et on me pose des questions, et chacun s'étonne que la vérité telle qu'il la conçoit ne soit pas établie dans le monde. Alors je commence à être obligée de faire la guerre pour la Vérité contre toutes les conceptions de la vérité! Et ça, c'est assez intéressant.

Par exemple, ici, il y a cette vieille idée de la nourriture végétarienne; il y a des gens qui m'écrivent, indignés, que de plus en plus à l’Ashram, on brise ces «règles saintes»! On m'avait écrit une première fois en me demandant une réponse; j'ai négligé de répondre; alors on m'a écrit une seconde fois pour me dire: «...Si vous ne répondez pas, qu'est-ce que nous pouvons faire?» J'ai répondu (probablement ils se mordront les doigts de ma réponse!), j'ai répondu à peu près ceci:

«La Vérité n'est pas un dogme que l’on puisse apprendre une fois pour toutes et imposer comme une règle. La Vérité est infinie comme le Seigneur suprême, et elle se manifeste à chaque instant à ceux qui sont sincères et attentifs.»

J'aurais pu ajouter d'autres choses, que je n'ai pas ajoutées pour ne pas livrer une bataille trop ouverte!

Et le même jour, c'est-à-dire aujourd'hui même, j'ai reçu une autre lettre... la lettre entière déblatérant sur tout ce qui se passe à l’Ashram et disant: «Comment! cet endroit est pire que le monde!», etc. (Et tout cela, au nom de la «vérité» naturellement.) Alors (riant), j'ai répondu:

«Si la Vérité se manifestait de façon à pouvoir être vue et comprise de tous, ils seraient épouvantés de l’énormité de leur ignorance et de leur fausse interprétation.»

Cette fois, j'ai tapé dur.

Et ça continue.

Jour après jour, c'est comme cela, ça devient aigu. Chacun est le «défenseur de la Vérité». l’un, c'est pour la nourriture; l’autre, c'est pour l’argent; l’autre, c'est pour les affaires; l’autre, c'est pour les relations... – chacun a son dada.

Et ce qui est admirable, c'est que jusqu'à présent, il n'y en a pas eu un qui m'ait dit: «Peut-être que mes opinions ne sont pas vraies» – pas un! «Peut-être que ma façon de voir ou ma façon de sentir ne sont pas vraies» – pas un. Ils sont tous en plein dans la Vérité!

C'est très intéressant.

Souvent, les défenseurs de la vérité sont pires que les ennemis de la vérité.

(Mère approuve de la tête) Mais ça, je ne peux rien dire parce que je suis responsable, je leur ai dit: «Cling to Truth» [accrochez-vous à la Vérité].

Non, ils font la même erreur: ils confondent la vérité avec l’ancienne idée de vertu. Ils font la même erreur que l’erreur morale.

Et puis surtout, ils veulent une vérité exprimée en quelques mots bien clairs et bien définis, et puis que l’on puisse dire: «Ça, c'est vrai», la vieille calamité des religions: ça, c'est vrai. Et par conséquent, le reste est un mensonge.

Combien de fois... combien de fois Sri Aurobindo (et moi aussi), nous avons dit: «Quand une chose est vraie, vous pouvez être sûrs que son contraire est vrai aussi. Et quand vous aurez compris ça, alors vous commencerez à comprendre.»

Ce matin, j'ai été bombardée aussi d'une citation de Sri Aurobindo (c'est au nom de Sri Aurobindo qu'on est venu me bombarder!), pour me dire que, dans The Mother, il était écrit que «la Grâce divine ne pouvait agir que dans la Vérité» et puis il ne fallait pas que j'oublie ça! (Mère rit) Alors il y a une citation de Sri Aurobindo où il dit que «la Grâce divine répondra, mais ne vous imaginez pas qu'elle répondra dans le Mensonge...» Une phrase admirable. Seulement, ils ne savent, pas: eux, ils sont les possesseurs de la Vérité – le Mensonge, c'est les autres!... Mais même des gens intelligents (c'est cela qui est curieux, parce que c'est d'une telle imbécillité!), même des gens, enfin qui ont un cerveau, qui comprennent, tombent dans ce piège-là.

On trouve cela beaucoup à l’École.

(silence)

On peut dire que grâce à tout cela (même pas «à cause»: GRàCE À tout cela), ces jours derniers, les trois derniers jours, j'ai eu la vision – la vision concrète, de chaque seconde – montrant comment cette Conscience suprême (que moi, pour ma convenance personnelle, j'appelle le Seigneur suprême), comment à CHAQUE SECONDE, elle vous fait faire ou dire ou voir ou savoir ex-ac-te-ment ce qu'il faut pour que tout marche comme cela (geste arrondi exprimant le mouvement innombrablement ramifié des forces universelles), n'est-ce pas, avance. Ce n'est pas encore le Mouvement direct, tout-puissant, écrasant justement, des Forces directes (geste de haut en bas, comme une épée de lumière): c'est un mouvement comme cela (même geste arrondi), mais c'est admirable! admirable de subtilité, d'ingéniosité, de respect de tout, tout; n'est-ce pas, le mouvement qui amène vers le But en utilisant tout, même les «erreurs» – qui ne sont pas des erreurs parce que quand la Conscience est là, l’erreur n'est pas une erreur commise par ignorance: une chose est dite ou faite parce que c'est ça qu'il faut dire et qu'il faut faire – apparemment, ce peut être même une gaffe, et c'est ex-ac-te-ment ce qu'il faut pour que tout avance (même geste arrondi innombrable), avance lumineusement vers le but voulu. C'est absolument merveilleux! Et vu dans des tout-tout petits détails et dans son ensemble. Et c'est cette merveille de Conscience qui fait faire à chacun ce qu'il faut, met chaque chose à sa place, arrange tout, et c'est notre imbécillité, la vision absolument ignorante et stupide qui vous ferait croire aux fautes, aux erreurs, aux... Chacun est un problème à résoudre, et alors tous ces problèmes s'interpénétrent et il faut que le TOUT soit amené, justement vers cette fameuse Vérité (la vraie). Mais j'ai eu, n'est-ce pas, des heures d'admiration – d'admiration béatifique – devant la merveille de l’arrangement, avec toutes-toutes les petites choses qui vous entourent, toutes les petites gens qui vous entourent, toutes les petites circonstances... C'est merveilleux! Merveilleux!

Et alors, cette outrecuidance du mental qui ne comprend rien et qui s'affirme dans sa toute-puissante connaissance, oh!... c'est d'un comique!

(silence)

C'est l’utilisation au maximum de toutes les possibilités et de toutes les impossibilités, toutes les capacités et toutes les incapacités; une utilisation au maximum, dans une puissance au maximum et une Compassion au maximum, et alors... un sourire! Un sourire, un sens de l’humour, oh!... Et une ironie si bienveillante, si pleine de compassion, si merveilleuse... Et cette outrecuidance mentale qui est un phénomène formidable – elle passe son temps à juger de ce qu'elle ne sait pas, à décider tout ce qu'elle ne voit pas!

(silence)

Et alors, il y a eu la vision chez les autres et le souvenir du temps où toutes ces choses avaient beaucoup d'importance, étaient prises très sérieusement, avec une gravité... une gravité toute morale.

Ça aussi, c'est amusant.

25 mars 1967

(Le disciple lit à Mère une «ancienne» conversation... d'il y a quinze jours.)

...C'est parti. Dès que c'est dit, ça s'en va, c'est parti. Quand on relit les choses, je ne me souviens pas de ce que j'ai dit, c'est comme une chose nouvelle qui vient.

Dès que c'est exprimé, c'est parti; et c'est parti, toujours, comme si d'exprimer vous vidait de quelque chose et faisait de la place pour une chose nouvelle, toujours. Quand on parle d'une expérience, l’effet de l’expérience est comme épuisé et on est prêt à une autre. Parler, fait toujours un trou pour l’entrée d'une chose nouvelle.

Et l’impression, c'est toujours: comme c'est vieux! oh! c'est vieux – tout me paraît vieux. Le mouvement doit être extrêmement rapide.

Mais c'est dommage que les occupations matérielles soient si encombrantes.1

Ça doit avoir une raison.

Ce qui organise le monde et la vie est beaucoup plus sage que nous: nous ne voyons pas, nous avons une vue extrêmement courte. Mais Ça (geste large), comme je te le disais la dernière fois, c'est merveilleux! C'est merveilleux. Alors cela aussi, le fait que je sois tellement encombrée, cela doit avoir sa raison. Et d'abord, sa raison générale est très claire (elle est facile à comprendre), mais même au point de vue de la sâdhanâ: comme cela, rien n'est oublié probablement.

Ce qui est intéressant, c'est de suivre cette espèce de changement dans la conscience des cellules: il y en a beaucoup encore qui ont comme un émerveillement que la Vérité existe. Ça prend cette forme: un émerveillement... «Ah! c'est donc ça.» Un émerveillement. Un émerveillement de l’existence – de l’unique existence du Seigneur –, une joie! Une joie si intense et un émerveillement d'enfant, n'est-ce pas: «Oh! c'est donc vraiment comme ça.» Et cela, une partie du corps après l’autre, un groupe de cellules après l’autre. C'est vraiment charmant. Et alors, quand vient spontanément le mantra, oh!... Et il y a une adoration: «C'est comme ça, c'est comme ça! ça, c'est vrai; c'est ça qui est vrai – tout le désordre, toute la laideur, toute la souffrance, toute la misère, tout ça, c'est pas vrai! C'est pas vrai, c'est ça qui est vrai.» Et pas avec des mots (les mots le rendent tout petit): avec une sensation extraordinaire! extraordinaire. Alors là... c'est le commencement de cette espèce de vie glorieuse, merveilleuse. C'est encore au point de l’émerveillement; n'est-ce pas, quelque chose qui est inattendu par sa sublimité.

Et en même temps, dans l’ensemble, une vision qui devient de plus en plus totale et où chaque chose a sa raison d'être, sa place, et qui n'exclut plus rien. Ce besoin d'exclure le mental pour le dépasser, ça n'existe plus. Maintenant, le mental est tout à fait tranquille, paisible et il ne se met en mouvement que quand il reçoit l’ordre, un ordre impératif. Il reçoit l’ordre, et alors il fait une chose précise, pour une raison précise, une action tout à fait précise, et puis... le silence et le calme.

Et alors ça, ça réhabilite tout. C'est seulement le bourbier que l’on en a fait qui cesse.

(silence)

Quand ce sera complet, viendra le Pouvoir... évidemment de remettre de l’ordre. Je sens de plus en plus la nécessité d'intervenir pour remettre de l’ordre et de l’harmonie. C'est la principale raison de tout ce travail accablant. C'est une leçon et une expérience pour, petit à petit, apprendre comment mettre les choses en ordre, établir l’harmonie.

C'est un gros travail.

Il y a encore beaucoup à faire, beaucoup! (Mère rit)

29 mars 1967

(À propos de la conversation du 7 mars sur la «mort», où Mère disait notamment: «Il n'y a rien qui soit vraiment la mort... Il n'y a pas de changement radical dans la vibration de la conscience... On a une perception du monde physique, pas absolument identique mais avec une efficacité quelquefois plus grande...» Mère avait d'abord autorisé la publication de cette conversation dans les «Notes sur le Chemin», puis...)

I begin to think that it is not good to give this kind of «lived know-ledge» to people who are not capable of having it, of experiencing it.1

Par exemple, j'ai vu clairement ces jours-ci que les hommes ne connaissent pas la réalité – la réalité concrète – de l’invisible, parce que s'ils la connaissaient, ils deviendraient fous. Ils ont une telle peur de ces choses...

Déjà maintenant, quand, dans une vision, ils voient quelqu'un qu'ils aimaient lorsqu'il était vivant, quand ils le voient la nuit, ils disent: «Ooh! un fantôme!» Et ils ont horriblement peur!

Alors cela va peut-être les épouvanter.

Ce n'est pas épouvantable puisque, au contraire, ça leur donne un espoir!

Oui, mais il ne faut pas essayer de rendre raisonnables les gens qui ne le sont pas.

Je ne sais pas... Ça peut tomber entre les mains de quelqu'un à qui cela fera beaucoup de bien, mais est-ce que cela vaut la peine de risquer de faire du mal pour un ou deux à qui cela fera du bien? C'est à voir.

Moi, je trouve cela consolant que tu dises cette continuité de la conscience. Ça ne peut pas faire de mal, non?

(Mère rit et ne répond pas)


Peu après

On m'a posé une question: «Qu'est-ce que la jeunesse?» Voici ce que j'ai répondu (Mère sort une note):

«Être jeune, c'est vivre dans l’avenir pour l’avenir. Être jeune, c'est être toujours prêt à abandonner ce que l’on est pour devenir ce que l’on doit être...

Et surtout, le plus important:

«Être jeune, c'est ne jamais admettre l’irréparable.»


Puis Mère sort une autre note qu'elle vient d'écrire à un disciple:

«On est toujours profondément dégoûté par ses propres défauts quand on les rencontre chez les autres» (!)


Une autre note encore:

«Les Européens attachent la plus grande importance aux mots prononcés.

«Les Indiens sont beaucoup plus sensibles au sentiment, que ces mots voilent le plus souvent.»

C'est à propos d'une réflexion de B. Elle a dit quelque chose à quelqu'un avec des mots très aimables et extrêmement polis, mais dans son cœur, elle n'aime pas la personne à qui elle parlait; et elle était choquée parce que l’autre s'est indigné... Moi, j'ai compris tout de suite. Elle s'est indignée, elle a dit: «Pourquoi? j'ai été très polie, pourquoi?»

Eux, ils sentent. Ils sentent profondément le sentiment avec lequel vous dites la chose. C'est cela qu'ils sentent et c'est à cela qu'ils répondent.


Et une dernière note:

C'est en réponse à une «association» de l’Ashram. Ils ont demandé:

«Quel est le besoin de l’heure?»

«N'essayez pas de tromper le Divin!»

(Mère rit beaucoup)

avril




3 avril 1967

Mère tend un papier au disciple:

Voici ce que j'ai écrit pour l’ouverture de la saison des sports:

«...Je tiens à vous redire que notre vie spirituelle ne consiste pas à mépriser la matière mais à la diviniser; nous ne voulons pas rejeter le corps, mais le transformer. Pour cela, l’éducation physique est l’un des moyens les plus directement efficaces...»


La dernière fois, je n'ai pas eu le temps de te dire quelque chose; maintenant, malheureusement, c'est seulement un souvenir – pas tout à fait, pas seulement un souvenir, il reste quelque chose. l’effet reste. Mais au moment où c'était là...

Sri Aurobindo a dit, mais il l’a dit comme l’expression d'une connaissance qui avait toujours été exprimée au sommet de l’échelle de la conscience, comme un échelon de plus après l’état dans lequel on sait (on le sait, on le vit) l’Unité essentielle, et que tout est «Cela», est l’expression ou la manifestation ou l’objectivation ou... de «Cela». Naturellement, suivant les temps, les époques, les milieux, cela a été dit avec des mots différents, mais ça paraît être l’expérience suprême. Et la conclusion, quand on sort du temps et de l’espace, c'est que tout est de toute éternité.

Sri Aurobindo considérait (nous en avons parlé), il considérait que c'était la réalisation (pas seulement la connaissance: la réalisation) qui donnait la Paix suprême et empêche tous les pourquoi-comment et toutes les volontés de rectification. Tout cela, tout le drame de la vie disparaît quand on réalise ça.

J'ai eu cette expérience. Je l’ai eue d'une façon presque constante. Et dans la partie la plus consciente de l’être (ce qui est un avec les hauteurs), l’expression de cette expérience, mettons: «Tout est de toute éternité» ou «Tout est l’expression de la Vision suprême» (je n'emploie pas le mot volonté; tout à l’heure je dirai pourquoi), il y avait le sentiment d'une limitation. Je ne sais comment exprimer, mais c'est comme cela (il est bien entendu que tous les mots sont des approximations), mais toujours, chaque fois que l’expérience était là, elle était là avec ce sentiment que... je pourrais traduire vulgairement par le mot: «C'est pas ça!»

Alors l’autre jour (c'était la veille du jour où je t'ai vu), c'est venu à l’heure de mes expériences, c'est-à-dire de très bonne heure le matin (de mes expériences vécues) et c'était comme cela, avec ce même sentiment d'insuffisance; et alors je suis entrée dans un certain état où «ça» restait tout à fait lumineux et clair, mais en même temps – en même temps, simultanément – est venue la perception... (comment dire?) de la Vibration originelle, pourrait-on dire, dans toute la splendeur de sa Lumière toute-puissante, et les deux – ça, Ça, – se traduisaient simultanément au niveau de l’expression, sans opposition, les deux ensemble comme ça (Mère serre ses deux mains en pliant les doigts de sa main droite entre les doigts de sa main gauche), étroitement joints, dans une même Lumière: à chaque instant – instant –, c'est comme une pulsation de cette Force (c'est: Force-Lumière-Pouvoir créateurs, contenus dans la Vibration globale de l’Amour); à chaque pulsation, une recréation totale.1

Et quand les deux sont comme cela (même geste) et que l’on vit dans cette Conscience, alors est le sens de la Liberté absolue: que rien n'est impossible.

Ça a duré peut-être quelques minutes, complet, puis ça a commencé à s'objectiver, mais d'abord c'était simplement...: c’est, c’est. Après, ça a commencé à s'objectiver, c'est-à-dire à être le témoin de Ça en même temps qu'on l’est – c'est une petite descente. Mais là, au moment où c'était, c'était ÇA.

Ça, c'était la toute-puissance.

Une toute-puissance absolue.

Et alors, en même temps, est venue au même moment l’expérience (pas une expérience objectivée), l’expérience que la Volonté est à un niveau très inférieur à «Ça», ou plutôt très extérieur; parce que la Volonté voit et fait – voit et fait –, tandis que là, ce n'est pas voir et exécuter et faire, ou voir et être: c'est simultané. C'est quelque chose qui est au-dessus de la vision – au-dessus de la vision et au-dessus de la volonté – quelque chose... (silence) quelque chose qui est. Et à ce moment-là, simultanément, c'est-à-dire sans espace possible (espace ou temps, n'est-ce pas, c'est tout à fait en dehors de cela, parce que ce n'est pas une vision qui se voit voir, ce n'est pas une perception qui est consciente de sa perception, pas une conscience qui est consciente de sa conscience): cela EST, comme ça, tout (on pourrait dire) tel que ce sera projeté dans l’espace et le temps.

Alors quand nous disons: «Vouloir ce que Dieu veut» ou «S'unir à la Volonté divine», c'est notre façon de regarder (geste de bas en haut, ou du dessous vers le dessus). Et c'est très approximatif. Mais là... Et le merveilleux, c'est que ce n'est pas ce que, dans notre infirmité, nous pouvons concevoir comme une simplification, c'est vraiment... le Tout: manifesté, non-manifesté, à manifester, tout, tout – le Tout. Et à cette seconde-là, quand on est là, c'est la toute-puissance. La toute-puissance, la liberté absolue, l’imprévisible, et le tout qui existe. Alors ça...

Naturellement, les mots sont imbéciles.

Et quand je suis revenue de Ça (cela a duré suffisamment longtemps pour que j'en aie la pleine expérience – pleine, totale), il y a beaucoup de choses que j'ai comprises à ce moment-là. Par exemple, l’une que j'avais remarquée avec Sri Aurobindo pour les tout petits détails de la vie, enfin toutes les choses comme elles sont sur la terre, n'est-ce pas, des rien-du-tout; quand j'allais vers lui avec une vision intérieure et que je lui disais: «Je vois ça comme cela» (je lui disais avec des mots ou je ne lui disais pas), et AUTOMATIQUEMENT ça devenait vrai, ça devenait réel: des choses qui n'étaient pas entre mes mains ni ses mains ni... Et ce n'est pas que l’on prenait la décision: c'était automatique. J'avais remarqué cela plusieurs fois et je trouvais cela merveilleux... Il se trouve que dans quelques cas psychologiques, c'est-à-dire quand il s'agit de conscience d'individus, depuis assez récemment (il n'y a pas très longtemps que c'est comme cela), quand quelqu'un est sincère (il faut être sincère) et exprime une aspiration, par exemple, un espoir, ou une vision de comment il ou elle devrait être, je vois ce même phénomène se produire: automatiquement ça devient vrai.

Ce n'est pas encore très fréquent, mais c'est arrivé. Et maintenant, je comprends comment ça arrive.

Du jour où l’on sera capable de garder cet état dans lequel j'étais l’autre jour, où la volonté est déjà un mouvement secondaire, alors ça pourra être comme cela: c'est la toute-puissance. Et parce que ces deux idées2 qui paraissent les plus contradictoires sont seulement une des manières de regarder... la même chose.

Naturellement, quand on essaye de ramener cela dans la conscience qui s'exprime, cela devient très difficile, mais quand on le vit, au moment où on le vit, c'est différent.

Maintenant, l’expérience est devenue un souvenir, mais un souvenir qui reste tout à fait vivant et dont l’effet dans les cellules (Mère touche la peau de ses mains) se fait sentir tout le temps. Ça se traduit ici par le sens d'une Liberté de choix. Et d'un choix qui est tout-puissant dans son exécution. l’impression que... à chaque pulsation de la vie, l’univers choisit... ce qu'il est.

(silence)

Ça a été suivi d'une autre curieuse expérience... Il y a des gens à Bombay qui se sont mis dans la tête de préparer une grande manifestation pour 1968, mes quatre-vingt-dix ans (soi-disant mes 90 ans!). Alors ils ont préparé des brochures qu'ils vont distribuer à des quantités de gens, etc. – ça m'est tout à fait indifférent, mais ils m'ont envoyé cela pour mon approbation. Je l’avais fourré dans un coin et je ne m'en étais pas occupée. Ils sont revenus à la charge, ils sont allés voir Nolini, ils ont dit qu'ils étaient pressés parce que c'était un gros travail et qu'il fallait l’avoir tout de suite, que je ne les fasse pas attendre. Alors Nolini s'est mis à lire la brochure. Et à mesure qu'il lisait... (ils ont dit tout ce que Sri Aurobindo a dit sur la «Mère universelle», les «Aspects» de la Mère et tout cela, toute la vieille histoire – généralement, ça me laisse tout à fait indifférente), mais pendant qu'il lisait, quand il donnait toutes les citations et toutes les phrases, il y avait une sorte de sensation (je ne sais pas comment expliquer), une sensation de limitation imposée, avec un malaise, et quelque chose qui voulait briser ces limites. Je n'ai rien dit. J'ai dit: «Je ne veux pas m'en occuper, faites ce que vous voulez, ça ne me regarde pas.» Et il a répondu dans ce sens, poliment. Mais cela m'a beaucoup intéressée, parce que ce sentiment de malaise, de compression – de limitation, de compression – était très fort, très fort. Alors j'ai dit: «Qu'est-ce qui se passe? Qu'est-ce qu'il y a, pourquoi je sens cela? Qu'est-ce que c'est?...» Comme je l’ai dit, d'habitude je me laisse comme cela, flotter dans une indifférence – pas «indifférence», une... (geste vaste). Au lieu de cela, c'était comme si l’on voulait m'enfermer dans quelque chose. Et alors j'ai regardé, et puis le souvenir de l’expérience [des pulsations] est revenu et j'ai compris. C'est intéressant.

Et tout cela senti dans le corps; toutes les expériences sont dans le corps, dans ça – qui d'ailleurs... quelquefois je regarde (riant), je regarde pour voir (je regarde de là-haut) pour voir s'il y a encore une forme! (Mère rit)... C'est curieux. Et pourquoi ça reste comme cela?... Oh! cette question-là aussi, je ne me la pose plus. C'est comme cela... c'est comme cela comme l’effet d'une Grâce suprême, parce que si c'était autrement... ce serait intolérable – intolérable pour tout le monde.

Rien que l’état de conscience quand j'agis spontanément (le «je», c'est une habitude de paroles, c'est pour ne pas faire des phrases), quand j'agis spontanément, sans m'objectiver, c'est généralement assez insupportable: les réactions chez les autres sont pénibles. Il faut toujours que [je me contienne]... Ça m'arrive, mais généralement je suis obligée de faire attention, surtout quand il s'agit de parler.

Et alors, il y a une constatation très amusante; c'est exactement ce que Sri Aurobindo écrit dans *Savitri:* «Les hommes sages parlent et dorment...» Dieu grandit, les hommes sages parlent et dorment.3 Et c'est cela: tout à fait inconscients de ce qui se passe. Je ne le dis pas (je le dis à toi), mais ils sont tout à fait inconscients. J'ai tout le temps l’impression de mettre un éteignoir! pour ne pas être... vraiment insupportable.

Quand vient cette Puissance lumineuse, elle est si compacte – si compacte, ça donne l’impression d'être beaucoup plus lourd que la Matière. C'est voilé-voilé-voilé, autrement... unbearable [insupportable].

(silence)

Quand Nolini me lisait ces phrases de la brochure, d'abord quand j'ai senti ce malaise, je me suis demandé... Parce que comme je l’ai dit plusieurs fois, pour que la transformation puisse se faire librement dans ce corps, justement ces Entités, ces Puissances, ces Êtres, tout cela se tenait à distance, ça ne se manifestait plus afin qu'il n'y ait pas de mélange et que ça (le corps) puisse se transformer. J'ai d'abord pensé: «C'est cela, j'ai perdu (le corps, n'est-ce pas) a perdu l’habitude de manifester ça (les dieux, les aspects de la Mère), et alors, quand ça entre en contact, il y a un malaise.» Je pensais que c'était cela. Et pendant un jour (un jour tout entier), ça revenait, ça revenait, comme un problème à résoudre. Et puis tout d'un coup, en regardant attentivement, j'ai vu que c'était tout l’opposé! et que c'était le sentiment d'une compression, d'une limitation. Au lieu d'être un poids insupportable (ces dieux ou ces aspects de la Mère), c'était quelque chose qui empêchait la libre manifestation!... Ça paraît si limité, toutes ces Entités, toutes ces Puissances, toutes ces qualités, toutes ces différences, tous ces attributs, tout... oh! (Mère fait un geste étriqué)

Voilà, je voulais te dire cela aujourd'hui.

(silence)

Quelquefois, les expériences viennent, puis s'en vont. Souvent, dans le temps, les expériences venaient, se montraient, et puis s'en allaient. Mais ça, ce n'est pas cela: c'est resté LÀ, mais... ça (le corps) ce n'est pas encore tout à fait prêt pour que Ça puisse être là tout le temps. Mais c'est là, le contact n'est pas aboli. Seulement, ce n'est pas la Manifestation.

Ça a encore (le corps) trop de limitations, beaucoup de limitations.4

5 avril 1967

Mère écrit une note sur le rebord de la fenêtre

C'est une réponse à une question. Tu es au courant de ce que j'ai dit aux professeurs de l’École?...1 On m'a posé une autre question. C'est le début de ma réponse:

«C'est la division entre "vie ordinaire" et "vie spirituelle" qui est une antiquité périmée...»


(Puis Mère donne des roses au disciple et une guirlande de fleurs appelées «adoration»)

Tu veux ça?

(Le disciple acquiesce sans enthousiasme)

Mon petit! quand les cellules se mettent dans cet état-là, c'est admirable, tu ne peux pas t'imaginer! Ça change com-plè-te-ment la vie. Elles sont comme cela: l’émerveillement du premier Contact. «C'est possible? C'est possible que ce soit si beau que cela! C'est possible?», comme ça. Et tout le temps, tout le temps, à chaque moment, à propos de n'importe quoi: «C'est possible que ce soit comme ça?» Un tel émerveillement! Alors on voit la différence entre les vieilles habitudes de tout ce qu'on a fourré dans la tête des gens [renoncement, au-delà] – c'est merveilleux! c'est incroyable. Et encore toute la matinée, c'était comme cela... On sent un malaise (ça vient toujours du dehors, de ceci, de cela, à propos de ceci, à propos de cela; ça vient comme cela), alors imédiatement, imédiatement elles se souviennent. Elles se souviennent, elles disent: «Non! ce que Tu voudras Seigneur.» C'est ça, leur attitude, une attitude de don de soi si total! beaucoup-beaucoup plus total, beaucoup plus simple, beaucoup plus charmant que dans n'importe quelle partie de l’être. C'est: «Ce que Tu veux... Toi-Toi-Toi, ce que Tu voudras. Être... (pas être Toi avec l’idée d'agrandissement, mais) se fondre, se couler, disparaître en Toi comme ça.» Et alors: «Mais c'est Toi la réalité!» Et tous ces mots, ce sont des diminutions. Diminution, non pas de sensation: de conscience – c'est une merveille de conscience comme ça: «Toi-Toi... Mais Toi seul existes, Toi seul Tu es.» Et alors tous les malaises, toutes les douleurs, tout cela disparaît sans laisser de traces. C'est une merveille! on ne peut pas s'imaginer.

Une fois, Sri Aurobindo a écrit quelque part, après une expérience comme celle-là de la Présence Divine dans l’être, il a écrit: If men knew how marvellous is the way... [si les hommes savaient comme le chemin est merveilleux] But they don't know [mais ils ne savent pas]. Il l’a écrit, je ne peux pas citer parce que je cite de travers, mais il a eu cette expérience: «Si les hommes savaient à quel point c'est merveilleux, ils n'hésiteraient pas une minute.»

Maintenant, ils font encore des différences: la «vie spirituelle», la «vie ordinaire».

Seulement, il faut avoir ce que j'ai eu quand j'étais toute jeune: le sens de la réalisation matérielle dans sa perfection la plus extrême, la volonté de perfection LÀ. Il faut avoir ça pour ne pas tout jeter en l’air et puis rester comme ça (geste béat), comme un idiot à ne rien faire. C'est cette vieille discipline qui fait que tout ce que je fais est fait automatiquement avec la volonté d'une perfection. C'est une vieille discipline. Autrement on serait là à rire à tout le monde et à toute chose: «Ayez mon expérience, vous verrez ce que ça vaut!»

C'est vraiment intéressant.


Puis Mère revient à sa note du début:

Tu as lu sa question? Répète-moi la question.

«...Nous avons discuté de l’avenir. Il m'a semblé que presque tous les professeurs étaient inquiets de faire quelque chose pour que les enfants deviennent plus conscients du pourquoi ils sont ici. À ce moment, j'ai dit qu'à mon avis, parler de choses spirituelles aux enfants, avait souvent un résultat contraire et ces mots perdaient toute leur valeur...

Des «choses spirituelles», qu'est-ce qu'il entend par choses spirituelles?

Si les professeurs débitent cela comme une histoire, évidemment... C'est ce qu'ils font d'ailleurs, souvent.

Les «choses spirituelles»!... On leur apprend l’Histoire OU les choses spirituelles, on leur apprend la Science OU les choses spirituelles. C'est cela, l’idiotie! Dans l’Histoire, il y a l’Esprit; dans la Science, il y a l’Esprit – la Vérité est partout. Et ce qu'il faut, c'est ne pas l’enseigner d'une façon mensongère: l’enseigner d'une façon véritable.

Ils ne peuvent pas faire entrer ça dans leur tête.

«J'ai proposé, ajoute-t-il, qu'il serait peut-être mieux de se réunir pour entendre la voix de la Mère (les enregistrements des classes du mercredi et du vendredi), car même si l’on ne comprenait pas du tout, ta voix ferait son travail intérieur, que nous ne sommes pas à même d'apprécier. Je voudrais savoir à ce sujet quelle est la meilleure façon de mettre l’enfant en rapport avec toi? Car toutes les suggestions, y inclus la mienne, me semblent arbitraires et sans valeur réelle... Mère, ne vaudrait-il pas mieux que les professeurs se concentrent uniquement sur les sujets qu'ils enseignent, car la vie spirituelle, c'est toi qui s'en occupes?»

Car?

«Car la vie spirituelle, c'est toi qui s'en occupes.»

Je vais lui répondre ça: il n'y a pas de «vie spirituelle»!

C'est encore la vieille idée. Encore la vieille idée du sage, du yogi, du sannyasin, du... qui représente la vie spirituelle, et puis tous les autres représentent la vie ordinaire – et ce n'est pas vrai! ce n'est pas vrai, ce n'est pas vrai du tout.

S'ils ont encore besoin d'une opposition entre deux choses (parce que le malheureux mental ne fonctionne pas quand on ne lui donne pas une opposition), s'ils ont besoin d'une opposition, qu'ils prennent l’opposition entre la Vérité et le Mensonge, c'est un peu mieux (je ne dis pas que ce soit parfait, mais c'est un peu mieux). Et alors, dans toute chose, il y a le Mensonge et la Vérité mélangés, partout; dans la soi-disant «vie spirituelle», chez les sannyasins, chez les swamis, chez ceux qui croient représenter la vie divine sur terre, tout cela, il y a aussi le mélange du Mensonge et de la Vérité.

Il vaudrait mieux ne pas couper..

(silence)

Pour les enfants, à cause même du fait qu'ils sont enfants, le mieux serait de leur inculquer la volonté de conquérir l’avenir; la volonté de regarder toujours en avant et de vouloir avancer aussi rapidement qu'ils peuvent vers... ce qui sera. Mais pas traîner avec eux le fardeau – les boulets – de tout un passé qui alourdit. C'est seulement quand on est déjà très haut dans la conscience et la connaissance qu'il est bon de regarder en arrière pour trouver les points où cet avenir a commencé à s'indiquer. Quand on peut regarder tout l’ensemble, quand on a une vision très générale, il y a intérêt à savoir que ce qui se réalisera en avant a été déjà annoncé en arrière; de la même façon que Sri Aurobindo a dit que «La vie divine se manifestera sur la terre parce qu'elle est déjà enfouie dans les profondeurs de la Matière». C'est à ce point de vue-là qu'il est intéressant de regarder en arrière ou de regarder tout en bas (pas pour savoir ce qui s'est passé ni pour savoir ce que les hommes ont su – c'est tout à fait inutile).

Pour l’enfant, il faudrait lui dire: «Il y a des merveilles qui doivent être manifestées, prépare-toi à les recevoir.» Alors, s'ils veulent quelque chose d'un peu plus concret et d'un peu plus facile à comprendre, on peut leur dire: «Sri Aurobindo est venu annoncer ces choses; quand tu pourras le lire, tu comprendras.» Alors cela éveille l’intérêt et le désir d'apprendre.

Je vois bien la difficulté à laquelle il fait allusion: la plupart des gens (et dans ce que l’on trouve écrit, ou dans les conférences que l’on fait ici), ils emploient des mots boursouflés...

Oui.

... sans aucune vérité d'expérience propre, qui n'ont aucun effet. Qui ont plutôt un effet négatif. C'est à cela qu'il fait allusion.

Oui. Mais c'est pour cela qu'il faudrait agir comme je l’ai dit.

Ah! mais il n'y a pas encore si longtemps, la majorité des professeurs disait; «Oh! il faut que nous fassions ça parce qu'on fait ça partout.» Ils ont (souriant) déjà fait un peu de chemin. Mais il en reste beaucoup à faire encore.

Mais surtout, ce qui est tout à fait important, c'est de supprimer cette division. Et tous-tous-tous, ils l’ont tous dans l’esprit! La division entre vivre d'une vie spirituelle ou vivre de la vie ordinaire, avoir une conscience spirituelle ou avoir une conscience ordinaire – il n'y a qu'une conscience!

Dans la majorité des gens, elle est aux trois quarts endormie et déformée; dans beaucoup, elle est encore tout à fait déformée. Mais ce qu'il faut, tout simplement, ce n'est pas sauter d'une conscience dans l’autre: c'est ouvrir sa conscience (geste vers le haut) et la remplir des vibrations de Vérité, la mettre en harmonie avec ce qui doit être ici (là, c'est de toute éternité), mais ICI, ce qui doit être ICI: le demain de la terre. Et si vous vous alourdissez de tout un fardeau que vous devez traîner derrière... Tout ce qu'il faut que vous quittiez, si vous le traînez après vous, vous ne pourrez pas avancer très vite.

Note que de savoir les choses du passé de la terre peut être très intéressant et très utile, mais ce ne doit pas être quelque chose qui vous lie ou vous attache en arrière. Si l’on s'en sert comme d'un tremplin, ça va bien. Mais au fond, c'est assez secondaire.

Au point de vue individuel, il y avait un temps (c'était d'ailleurs assez général chez la plupart des gens qui s'occupaient des choses soi-disant occultes), où il paraissait d'un intérêt palpitant de savoir ses vies antérieures, de connaître ses expériences passées; mais dès que je suis venue ici et que j'ai compris ce que Sri Aurobindo a apporté, tout cela m'a paru absolument indifférent. Ce sont des curiosités enfantines. Ça ne vous aide d'aucune manière, et c'est seulement ou pour se glorifier ou pour s'amuser, mais c'est sans importance. Il y a encore des gens qui m'écrivent: «Voulez-vous me dire quelles ont été mes vies antérieures?» Je leur dis: «Ce n'est pas intéressant. C'est la vie que vous voulez réaliser qui est intéressante, pas les erreurs que vous avez commises dans le passé!»

(silence)

Ce serait intéressant de formuler ou d'élaborer une nouvelle méthode d'enseignement pour les enfants: les prendre tout petits. Tout petit, c'est facile. Il faut des gens (oh! il faudrait des professeurs remarquables), d'abord qui aient une documentation suffisante de ce que l’on sait pour pouvoir répondre à toutes les questions; et en même temps, au moins la connaissance sinon l’expérience (l’expérience serait mieux) de la vraie attitude intellectuelle intuitive et... (naturellement la capacité serait encore préférable), mais en tout cas la connaissance que la vraie manière de savoir, c'est le silence mental: un silence attentif tourné vers la Conscience plus vraie, et la capacité de recevoir ce qui vient de là. Le mieux serait d'avoir cette capacité; en tout cas, il faudrait expliquer que c'est la vraie chose, une sorte de démonstration, et que ça travaille non seulement au point de vue de ce qui doit être appris, de tout le domaine de la connaissance, mais aussi de tout le domaine de tout ce qui doit être fait: la capacité de recevoir l’indication exacte de COMMENT le faire, et à mesure que l’on avance, ça se change en une perception très claire de ce qui doit être fait, et l’indication précise de QUAND ça doit être fait. Il faudrait tout au moins que les enfants, dès qu'ils ont la capacité de réfléchir (ça commence à sept ans, mais vers quatorze-quinze ans, c'est très clair), il faudrait leur donner des petites indications à sept ans, une complète explication à quatorze ans, de comment faire, et que c'est l’unique moyen de pouvoir être en rapport avec la vérité profonde des choses; que tout le reste est une approximation mentale plus ou moins maladroite de quelque chose que l’on peut savoir directement.

La conclusion, c'est que les professeurs devraient eux-mêmes avoir au moins un début sincère de discipline et d'expérience: qu'il ne s'agit pas d'accumuler les livres et puis de les redire comme ça. On ne peut pas être professeur comme cela – la terre tout entière est comme cela, il n'y a qu'à la laisser dehors être comme cela, si ça lui fait plaisir! Nous, nous ne sommes pas des propagandistes, nous voulons simplement montrer ce qui peut être fait, et essayer de prouver que ça DOIT être fait.

Quand on a les enfants tout petits, c'est merveilleux! Là, il y a si peu de chose à faire: il suffit D'ÊTRE.

Ne jamais se tromper.

Ne jamais se fâcher.

Toujours comprendre.

Et comprendre et voir clairement pourquoi il y a eu ce mouvement, pourquoi il y a eu cette impulsion, quelle est la constitution intérieure de l’enfant, quelle est la chose qu'il faut fortifier et mettre en avant. Il n'y a que cela à faire, et puis les laisser; les laisser libres de s'épanouir, leur donner seulement l’occasion de voir beaucoup de choses, de toucher beaucoup de choses, de faire autant de choses que possible. C'est très amusant. Et surtout ne pas essayer de leur imposer ce que l’on croit savoir.

Ne jamais gronder, toujours comprendre, et, si l’enfant est capable: expliquer. S'il n'est pas capable d'une explication (si l’on en est soi-même capable), remplacer la vibration fausse par une vibration vraie. Mais ça... ça, c'est demander aux professeurs une perfection qu'ils ont rarement.

Mais ce serait très intéressant de faire un programme pour les professeurs et le vrai programme des études depuis tout en bas – qui est si plastique et qui reçoit les impressions si profondément! Si on leur mettait quelques gouttes de vérité quand ils sont tout petits, ça s'épanouirait tout naturellement à mesure que l’être croît.

Ce serait du joli travail.


ADDENDUM

(Réponse de Mère aux professeurs de l’École lorsqu'on lui a annoncé que les nouvelles classes spéciales de l’après-midi à la Bibliothèque avaient choisi pour premier thème de recherche: «l’Histoire spirituelle de l’Inde».) (traduction)

Non! ça ne va pas. Ce n'est pas comme cela que l’on doit faire. D'abord, il faut commencer par un «big bang»!

Vous voulez montrer la continuité de l’Histoire, comme si Sri Aurobindo était l’aboutissement, le sommet – mais c'est complètement faux!

Sri Aurobindo n'appartient pas à l’Histoire: il est en dehors et au-delà de l’Histoire.

Jusqu'à la naissance de Sri Aurobindo, les religions et les spiritualités se sont toujours appuyées sur les personnalités du passé, et elles avaient pour but la négation de la vie sur la terre. Alors, vous aviez le choix entre une vie dans ce monde avec sa petite ronde de plaisirs et de peines, de joies et de souffrances et la menace de l’enfer si vous ne vous conduisiez pas convenablement; ou bien une fuite dans un autre monde: ciel, nirvana, moksha [libération].

Entre les deux, il n'y a pas grand-chose à choisir, ils sont également mauvais.

Sri Aurobindo nous a dit que c'était justement l’erreur fondamentale qui a entraîné la faiblesse et la dégradation de l’Inde: le bouddhisme, le jaïnisme, l’illusionnisme ont suffi à miner toute l’énergie du pays.

Certes, l’Inde est le seul endroit du monde qui ait encore conscience de quelque chose d'autre que la matière. Les autres pays l’ont tout à fait oublié: l’Europe, l’Amérique et ailleurs. C'est pourquoi l’Inde garde toujours un message à délivrer au monde. Mais pour le moment, elle patauge et se roule dans la boue.

Sri Aurobindo nous a montré que la vérité ne consiste pas à s'enfuir de la vie terrestre mais à y rester pour la transformer et la DIVINISER afin que le Divin puisse se manifester ici, dans ce monde physique.

C'est cela que vous devez dire à votre première réunion, être un peu carrés et fermes.

Après, et seulement après, quand vous aurez dit cela fortement, carrément, sans mâcher vos mots, vous pourrez continuer à les amuser avec l’histoire des religions et des chefs spirituels et religieux.

Après, et seulement après, vous pourrez montrer le germe de faiblesse et de mensonge qu'ils ont abrité et prêché.

Après, et seulement après, vous pourrez discerner ici et là, de temps en temps, une «intuition» que quelque chose d'autre est possible, comme dans les Védas, par exemple (l’invitation à descendre tout au fond de la caverne des Panis), dans les Tantras aussi... une petite lumière qui brille.

Je suggère que vous adoptiez comme devise de votre première recherche cette phrase de Sri Aurobindo:

«Nous n'appartenons pas aux aurores passées, mais aux midis de l’avenir.»

(Essais sur la Guîta)


Message de Mère à l’École:

«Sri Aurobindo n'appartient pas au passé ni à l’histoire.

«Sri Aurobindo est l’avenir en marche vers sa réalisation.

«Il nous faut donc nous revêtir d'une jeunesse éternelle pour pouvoir avancer avec la rapidité voulue et ne pas être des retardataires sur le chemin.»

12 avril 1967

(Le disciple se plaint comme d'habitude de ses nuits totalement inconscientes.)

Depuis quelque temps, il y a une volonté délibérée de ne pas quitter le corps. J'avais remarqué souvent le matin, quand je sortais de mes activités de nuit, qu'il y avait tout un travail de rajustement à faire dans le corps, comme si la concentration des forces avait été dérangée la nuit et même défaite, et qu'il fallait tout remettre en route. C'était une perte de temps, un gaspillage. Avant, le soir, quand je m'allongeais sur mon lit, je faisais le chiffon, la détente complète (ça, il faut toujours le faire), c'est-à-dire le surrender [abandon], et la conscience s'élevait au-dessus. Il y avait une concentration de forces, mais ça ne durait pas: au bout de deux-trois heures, tout était pris dans les activités de la nuit. Alors, maintenant, au lieu de cela, il y a une volonté de garder toute la conscience dans le corps, de concentrer et de garder toutes les énergies pour que le travail dans les cellules puisse continuer, ne soit pas dérangé. Et je vois que l’effet dure beaucoup plus longtemps; même quand je m'éveille (enfin quand j'entre dans l’activité extérieure), je vois que cela continue, que ça ne cesse pas et que cela reprend dès que je suis éveillée au-dehors. Une espèce de concentration d'énergie, de conscience, de force, de lumière, qui se mettent à travailler dans les cellules, la nuit. Et alors il n'y a rien, il n'y a aucune activité, c'est un silence contemplatif.

Je n'ai eu qu'un exemple d'activité dans ces quatre derniers jours, c'était un matin entre deux heures et quatre heures que j'ai passées absolument consciemment et active avec Sri Aurobindo, qui avait fait des «changements» dans ses activités, dans son organisation du physique subtil; il avait fait des changements et il voulait me les montrer, il voulait m'en faire part. Et il m'a montré tout cela pendant deux heures. Mais ça a été la seule chose, et pour le reste – tout, aller voir les gens, aller ici, aller là, faire ça, faire ceci –, j'ai tout arrêté. Et ça va mieux.

Alors je me demande si cette décision n'a pas eu un effet sur ton sommeil? C'est très possible.


Peu après

J'ai eu une expérience amusante ces trois derniers jours... Y m'a envoyé tout un traité sur le L.S.D.1 (Mère prend un dossier sur sa table).

Il paraît que le monsieur qui a découvert cela, l’a découvert par accident (c'est toujours comme cela que ça arrive): il avait pris une dose sans savoir qu'il la prenait et sans savoir ce que c'était, puis il a eu des effets extraordinaires (c'était en Suisse, un docteur, je crois, ou un chimiste, je ne sais pas2). Et alors, pour la première fois après des années (il y a des années de cela), pour la première fois, il a consenti à donner une description de ses expériences. Et naturellement, Y est enthousiasmée, elle m'a fait un rapport, elle me l’a envoyé.

Tu sais que je suis très occupée. Je n'ai pas eu le temps de lire ces papiers, mais je sais aussi que Y est assez impatiente (!), et ces jours-ci, depuis trois ou quatre jours, je me disais: «Il faut ABSOLUMENT que je voie cela, autrement ça ne va pas marcher. Il FAUT que je voie ça...» Et ça revenait. Et un matin (le matin, au moment où j'ai toutes mes expériences), j'étais assise, et tout d'un coup je sens quelque chose de tellement lourd dans ma tête, et lourd dans la poitrine, et... bizarre. Je n'avais jamais senti cela avant. Et toutes les sensations étaient devenues comme violentes. Alors j'ai fermé les yeux et... n'est-ce pas: une avalanche, une cavalcade de formes, de sons, de couleurs, même d'odeurs, et qui s'imposaient avec une réalité, une intensité – je n'avais jamais connu cela avant, jamais.

J'ai regardé, puis je me suis dit: «Tiens, c'est le bon moyen de devenir fou!» Et j'ai commencé à faire ce qu'il fallait pour que ça cesse. Mais ça ne voulait pas cesser! Ça voulait continuer. Alors je me suis dit: «Évidemment, c'est là pour une raison. Puisque ça s'impose comme cela, c'est qu'il y a une raison pour que j'aie cette expérience.» J'ai regardé, j'ai étudié, j'ai observé. Et j'ai vu que c'était cette faculté de sensation, magnifiée – n'est-ce pas, grossie démesurément –, parce que l’équilibre entre toutes les facultés de l’être était rompu.

Cet équilibre naturel qui fait que les choses se balancent, s'harmonisent, s'organisent spontanément pour que l’on fasse un tout cohérent qui ait une existence consciente, était démoli – démoli au profit de la faculté de sensation. Et naturellement, cette faculté de sensation était multipliée (on pourrait dire aggravée) terriblement, s'imposait d'une façon même brutale. Et j'ai vu que c'était quelque chose qui avait défait l’équilibre. Quelque chose qui avait le pouvoir de défaire l’équilibre de l’être: d'insister sur un point au détriment de tous les autres.

Quand j'ai vu cela, une espèce de tranquillité est entrée en moi et ça a été fini.

Je n'y ai plus pensé. Pendant trois jours, je n'y ai plus pensé. Cela m'avait paru une extravagance quelconque. Hier soir, j'ai décidé de lire ces papiers. J'ai dit à Pavitra de me les lire. Le monsieur décrit ses expériences... la première description: juste ce qui m'était arrivé!

Alors j'ai eu l’expérience quand il a pris la médecine!

Et il le décrit (je n'ai pas pu lire tout), il le décrit mais exactement comme je l’avais senti. Alors (riant), j'ai eu l’expérience sans avoir avalé la médecine! simplement parce que la conscience était tournée là-dessus.3

Mais alors, j'ai compris! Et eux, ces gens-là, s'imaginent que c'est un moyen de «développer la conscience humaine» et de lui ouvrir des «horizons qui sont inconnus»... l’effet (ça, j'en suis absolument sûre maintenant), c'est la dislocation de l’équilibre de l’être.

Pour moi, c'est très sensible parce que l’équilibre est très conscient, très voulu, très organisé, et que naturellement cela fait une différence considérable; pour eux (riant), c'est seulement comme cela, une fantaisie. Et alors eux, sont convaincus (Y y compris) qu'avec cela, on peut faire faire un grand progrès à l’humanité! Ça les rend «conscients de tout un domaine qu'ils ne connaissent pas.» Mais... ça crée un mensonge de plus dans la conscience, parce que la perception d'UN aspect seulement de la réalité au détriment de tous les autres est un épouvantable mensonge. Comme je l’ai dit, l’impression sur moi était: c'est un bon moyen de devenir fou.

Pour eux, c'est accidentel, parce qu'ils prennent la médecine et qu'alors ils se disent: «Quand je ne prendrai plus la médecine, naturellement ça ne se produira plus.» – Mais ce n'est pas vrai! ça peut donner à l’être l’habitude du désordre, l’habitude du déséquilibre.

Voilà.

C'est hier soir que Pavitra m'a lu la description complète de l’expérience que j'avais eue... sans savoir ce que c'était. J'ai trouvé cela très amusant!4

Je n'ai pas lu tout, je n'ai lu que la moitié, je vais lire l’autre moitié. Mais d'après ce qu'ils disent là, c'est formidablement répandu maintenant, oh!

Maintenant, on peut se demander s'il est nécessaire que l’humanité tombe dans un déséquilibre général pour trouver un équilibre supérieur?

Mais il est de toute évidence que l’on n'a pas besoin de drogues pour avoir les expériences – je n'ai pas pris de drogues!

Ils croient cela, ils croient que ça leur donne une certitude que ce n'est pas de l’imagination (les autres mondes), ou, pour les plus raisonnables, qu'il y a beaucoup plus de choses qu'ils n'en savent ou qu'ils n'en peuvent imaginer. Mais tout cela, on peut le trouver sans avaler de drogues!5

13 avril 1967

(Billet de Mère au disciple de mauvaise humeur)

Satprem, mon cher petit
on s'aime bien tout de même!
Tendresse

Signé: Mère

15 avril 1967

Tu as lu ce rapport sur le L.S.D.? Qu'est-ce que tu en dis?

C'est intéressant Ils ont des expériences qui ne sont pas seulement de l’ordre de la sensation brutale. Ça dégage la conscience, quand même, cette drogue.

(Mère ne dit rien)

Ça dégage de toute l’habitude des formations.

Ah! oui, ça sûrement.

Mais il dit lui-même qu'il vaut mieux commencer avec un guide.

Mais ton opinion tient toujours après la lecture de la fin? Parce que tu n'avais pas tout lu.

Que cela rompe l’équilibre de l’être, ça ne fait absolument aucun doute. Mais il est évident que rompre un équilibre, peut vous conduire à un équilibre supérieur. Mais il y a un risque.

(silence)

Probablement, cela fait partie des préparations. Seulement les résultats peuvent être assez catastrophiques.

Cela pourrait faire partie d'une discipline scientifique. Mais alors, il faudrait le faire comme cela, comme une discipline, et avec la surveillance de ceux qui savent.

N'est-ce pas, il a très grand soin de ne rien dire des effets néfastes. Moi, j'ai rencontré personnellement deux personnes qui avaient fait l’expérience et qui avaient eu des effets épouvantables – ils ont décidé de ne plus jamais y toucher de leur vie.

Ça, ils ont grand soin de ne pas en parler.

Il faudrait que ce soit fait comme une discipline d'éducation avec toutes les garanties et les surveillances.

C'est la même chose que tout le reste: c'est le moyen qui part d'en bas. Le vrai moyen part d'en haut – il est plus difficile, il est moins spectaculaire et il prend plus de temps.

Au point de vue étude, observation, c'est très intéressant. Mais il faudrait que ce soit fait scientifiquement, avec un esprit de discipline et presque de consécration, et le faire comme un moyen d'étude.

Évidemment, rien que le contact d'un peu de la Force d'en haut dérange l’esprit de beaucoup de gens; et là, l’effet serait très général, je crois.

C'est un risque à courir.

Si quelqu'un – qui est conscient, qui sait déjà beaucoup, qui est très maître de soi, qui a le contrôle de ses réactions – le fait comme un moyen d'étude, cela peut être très intéressant. Mais donner cela à un pauvre bougre qui ne sait rien et qui est précipité là-dedans par curiosité, ça peut être désastreux.

(silence)

Dans la dernière partie, ce qu'il appelle le «niveau cellulaire», c'est en effet la description – une description – des phénomènes et des activités cellulaires à leur niveau de conscience, et au niveau de conscience aussi de l’infiniment petit. Il parle de «grands courants», et de «transformations cellulaires», et de tout cela; c'est très exact, seulement...1 C'est ce qui se passe actuellement, mais c'est justement la conscience réduite à la dimension de l’infiniment petit. Et c'est une reproduction de ce qui se passe dans les autres dimensions. Mais par exemple, après toute cette discipline des cellules qu'il y a eue pendant... maintenant plusieurs années, sa description me fait l’effet de la même chose VUE À TRAVERS UNE ILLUSION. Et l’illusion est créée justement par ce déséquilibre: l’illusion d'une réalité absolue, et c'est une réalité tout à fait relative. N'est-ce pas, c'est la différence entre voir quelque chose avec le sens de la relativité, avec toute une immensité d'autres choses, et le voir tout seul comme une exclusive et unique réalité. C'est le sens de l’harmonie et de l’équilibre du Tout qui est parti. Alors cela devient «formidable»: comme il le dit, il y a des gens qui peuvent trouver cela effrayant. Et c'est justement parce qu'il manque cet équilibre. C'est la même chose en tout petit dans une personnalité: cette vision de l’ensemble qui donne la proportion de chaque événement et de l’importance de chaque événement et de chaque chose, change complètement quand on a le sens du Tout, et justement ce qui paraît ou effrayant ou catastrophique ou merveilleux redevient seulement une partie du Tout. C'est le sens de l’équilibre qui est parti. Quand j'ai lu la fin, ça m'a donné encore une confirmation de plus de mon expérience.

Il peut être nécessaire, dans certains cas, de rompre cet équilibre pour entrer en rapport avec quelque chose de nouveau, mais c'est toujours dangereux. Et le moyen par la consécration et le surrender [don, abandon] à la Puissance suprême est infiniment supérieur – c'est un petit peu plus difficile. C'est plus difficile que d'avaler une drogue, mais c'est infiniment supérieur.

On pourrait appeler cela le «yoga mis à la portée de tous»! Mais... ce n'est pas sans danger.2

Et ils disent qu'il y a un nombre considérable de gens qui le font...

(silence)

Que la Force travaille, cela ne fait pas l’ombre d'un doute, et que ce soit le résultat de l’action de cette Force, cela ne fait pas non plus l’ombre d'un doute.

Il y a d'autres exemples qui sont très intéressants. Il y a un Birman (peut-être le sais-tu?) qui vient d'avoir un «prix de la paix» et il a écrit un article (c'est un Birman, je ne sais pas dans quelle langue il l’a écrit, mais ça a paru en français dans un journal suisse) où il dit la chose que tout le monde sait, mais enfin que tout le monde oublie aussi: que tout l’argent gaspillé à préparer des moyens de destruction, si on l’employait pour le progrès du bien-être humain, on pourrait réaliser des merveilles. Et alors, il ajoute (je ne peux pas le citer exactement): pour que cela puisse se faire, il faudrait que les hommes – les nations et les hommes? – cessent de se méfier les uns des autres, de se craindre, et que l’on vive dans le sens de l’unité. Et il dit: si, pour cela, il faut que la nature humaine change, il est grand temps qu'elle change et nous devons tous travailler à ce qu'il en soit ainsi.

Je suis extrêmement heureuse d'entendre cela. C'est un homme qui a attrapé la vraie chose.3

Et ça commence à se répandre. En Corée aussi, il y a un homme qui dit la même chose et qui est connu de milliers de gens. Ils demandent tous le changement de la nature, une «nouvelle conscience».

(long silence)

Il y a une chose intéressante dans cette conscience cellulaire: elles ont un sens de la sincérité qui est BEAUCOUP plus aigu et, ce qu'en anglais on appelle exacting [exigeant] que dans le vital et dans le mental (même le vital et le mental matériels). Il y a une sorte d'absolu dans la sincérité qui est très remarquable, et elles sont d'une sévérité entre elles, qui est tout à fait merveilleuse. C'est extrêmement intéressant. S'il y a quelque chose, quelque partie, quelque mouvement qui essaye de truquer, elles les attrapent comme cela (geste de pincer et de tordre le cou) et d'une façon tellement aiguë et si précise... Dans tous les mouvements vitaux ou mentaux, il y a toujours une sorte de (geste serpentin) souplesse, de quelque chose qui essaye de s'accommoder – là, oh!... c'est comme cela (geste inflexible). Alors quand il y a l’invocation, la prière, le don de soi, l’abandon, la confiance, toutes ces choses deviennent si pures – si pures, si cristallines, n'est-ce pas, que... oh!

Et il y a une conviction croissante qu'une perfection réalisée justement dans la Matière est une perfection beaucoup plus parfaite que n'importe où. Et c'est cela qui fait que ça a une stabilité que cela n'a pas ailleurs... S'il y a quelque chose quelque part (quand il y a la grande offrande et puis le don joyeux, l’abandon joyeux), s'il y a quelque chose qui entre avec un tout petit intérêt – par exemple, un petit coin qui souffre (il y a une douleur ou un désordre) et qui espère ou souhaite ou s'attend à ce que cela devienne mieux –, alors ça l’attrape comme ça (même geste de pincer et de tordre le cou) et dit: «Oh! insincère! Tu te donnes sans condition.» Là, c'est magnifique.

C'est très intéressant.

Et cette joie, cet enthousiasme de la possibilité: qu'il soit possible d'être tout à fait sincère; presque, on pourrait dire (ce sont des mots), que c'est autorisé: «La vie est un tel désordre et un tel fouillis d'insincérité que, vraiment, c'est ça que l’on attend de nous, c'est ça; c'est ça qui est permis, c'est ça qu'il faut réaliser: être absolu dans la joie du don de soi.» C'est une merveille. Une merveille!

Aussi, le contact avec tous ces êtres du Surmental, tous ces dieux, toutes ces Entités, toutes ces divinités... Il y a ici, dans les cellules, une sorte de... (comment dire?) de rectitude et de, oui, de sincérité et d'honnêteté qui dit: «Oh! comme ils font des embarras! comme tout cela est (Mère se gonfle les joues) peuff! peuff! c'est gonflé.» C'est tout à fait intéressant, tout à fait. La vision du monde est tout à fait différente. Elle est beaucoup plus honnête – beaucoup plus honnête –, beaucoup plus sincère, beaucoup plus droite. C'est curieux.

La conscience exprimée dans les cellules transformées est une merveille. Ça légitime tous ces âges de misère. Arriver à ça, cela valait vraiment la peine. Vraiment la peine.

C'est surtout toutes les prétentions, toutes les exagérations, toutes les vanités, oh! tout ça, c'est regardé comme par les yeux candides d'enfant très pur (beaucoup mieux que cela! c'est une comparaison désobligeante).

(silence)

Et puis, il y a une espèce de réglementation intérieure. Quand il y a une douleur quelque part, quelque chose qui se met de travers, il faut voir l’attitude des autres!... Un sérieux qui dit d'abord (il faut traduire, et cela perd tout son charme), mais d'abord, ça commence par: «Ne fais pas d'embarras, ne fais pas d'histoires» (ou «ne faites pas», cela dépend). Et puis, la pression pour que la soumission se fasse. Et cette action pour faire circuler la Lumière partout... On traduit; en traduisant malheureusement il y a toujours du mental mélangé; la chose en elle-même ne se pense pas – elle ne se pense pas, elle ne se regarde pas être, c'est très spontané. Très spontané et justement très sincère. C'est joli.

C'est comme une immense société, n'est-ce pas.

Et dans le travail, il y a... (comment appeler cela?) dés conglomérats, ou des petits groupes de cellules qui sont restés avec l’empreinte, les empreintes reçues; ou quelquefois là (geste au cerveau), mais ça, c'est plein d'une grosse lumière comme ça, compacte; mais tout de même, il y a des coins – beaucoup de coins, de petits coins obscurs – et alors imédiatement se déroule le souvenir des circonstances, des événements, des sensations, des perceptions qui ont construit ça (cette empreinte) : vus dans la nouvelle Lumière et pour être liquidés. Et ça... oui, comme ils disent:4 «On voyage», on voyage dans un monde immense, n'est-ce pas; et ce ne sont pas des choses passées, c'est... c'est un immense Présent dans lequel on voyage.

Seulement on voyage consciemment et volontairement, au lieu de voyager par l’effet d'une drogue. C'est supérieur.

Et encore ce matin, la leçon a été redite avec, comme cela, des bouts de choses anciennes encore accrochées, de réactions, de petits mouvements (mouvements intérieurs): «Une seule solution, une seule solution: l’annulation de soi, le don parfait de soi, le surrender de tout.»

Et alors, c'est la joie de la Lumière – la beauté, la joie... une splendeur!

(silence)

C'est le seul remède.

Naturellement, tout est bon, tout est possible (le L.S.D.), mais... ça paraît faire des détours considérables pour arriver au même endroit.

19 avril 1967

Hier soir, j'ai reçu un grand dossier de Y sur l’«éducation prénatale»..; Elle dit que pendant les premiers mois de la vie, l’enfant a besoin de toucher la peau de sa mère et que ça (Mère montre la photo d'une négresse nue qui porte son enfant nu sur son dos), c'est la façon idéale de porter les enfants!?

Je l’ai lu hier, parce qu'elle avait tant parlé de cette éducation prénatale disant que l’enfant était pleinement éduqué à trois ans, et je voulais savoir ce qu'elle proposait, mais il n'y a pas une seule chose là-dedans, elle ne dit pas comment il faut faire.

Juste à la dernière page.

Oui, là il y a quelque chose.

l’enfant de l’avenir

Il n'a jamais rencontré un mouvement d'impatience.
Il n'a jamais écouté une voix en colère.
Il n'a jamais vu quelqu'un se lamenter.
Il n'a jamais entendu dire «moi» ou «le mien».
Rien ne l’a jamais sorti de l’unité.
On ne lui a jamais dit «viens!» et violé ses droits physiques.
On ne lui a jamais dit «tu dois!» et violé ses droits psychiques.
On Ta toujours traité comme une âme en évolution.
l’univers est sa mère et l’avenir son école.

Un enfant à qui l’on ne doit jamais dire «viens»... Ce n'est pas commode dans le langage si l’on ne peut pas lui dire «viens»!

On ne lui dit jamais «tu dois».

Ah! oui, ça, c'est bien.

Où trouvera-t-elle les parents pour faire cela!

Oui, c'est l’éducation des parents qu'il faudrait faire!

Oui, d'abord.

Juste dans cette dernière page, il y a une indication de ce que peut être cette éducation, mais c'est le côté négatif, c'est ce qui ne doit pas être. C'est tout. Mais le côté positif n'est pas là.

Elle m'avait déjà parlé une fois de l’éducation prénatale, et je m'étais dit que cela devait avoir un sens, mais là...

Évidemment, on sait par expérience que l’on peut donner la forme que l’on conçoit; on peut donner, dans les grandes lignes, le caractère que l’on conçoit; tout cela est tout à fait exact. Alors c'est la mère qu'il faut éduquer, ce n'est pas l’enfant, pour commencer. Et puis, on peut, par un contrôle très sévère de ses propres réactions, empêcher que certains faux mouvements n'entrent dans la fabrication de l’enfant. Mais tout cela n'est pas nouveau, on le sait depuis longtemps puisque c'est tout ce que j'ai pratiqué quand j'allais avoir un enfant. Alors je le sais.

Mais encore une fois, c'est la mère qu'il faut éduquer, c'est cela qui est important, avant qu'elle n'ait un enfant.

Mais moi, j'avais compris que l’on pouvait déjà lui donner des idées, des aspirations, des tendances (je ne savais pas comment c'était possible), mais elle ne dit rien qui mène à cela.

Il n'y a qu'une chose, il y a un endroit où elle dit que pendant les premières semaines, la séparation est pénible pour l’enfant, et alors il faut le contact physique – toucher –, le contact de la peau pour donner à l’enfant le goût de la vie et la compréhension de la vie physique.1 C'est possible. Mais les docteurs maintenant disent: «Surtout ne touchez pas à votre enfant, mettez-le dans un berceau, il ne faut pas le porter parce que ça le déforme.» Cela va tout à l’encontre de ses théories. C'est possible, n'est-ce pas, il se peut qu'elle ait raison dans une certaine mesure. Mais enfin, c'est un tout petit détail, ce n'est rien. J'espérais beaucoup et j'ai été un peu déçue.

Mais c'est bien, ce qu'il a dit cet homme de Birmanie; ça, c'est beaucoup plus intéressant: cette idée qu'il est grand temps que la nature humaine change. Ça, c'est bien. Parce que dans la vie ordinaire, les gens ordinaires vous disent: «Que voulez-vous que j'y fasse! je suis comme ça.» C'est la réponse que l’on a toujours.

(silence)

Pour bien faire, il faudrait un petit «livret éducatif» pour les enfants de l’avenir. Un «livret préconceptionnel» pour préparer le père et la mère (surtout la mère, c'est le plus important). Puis un livret pour les trois premières années de vie: quelles sont les qualités requises, l’attitude à prendre... En tout cas, il faudrait d'abord que père et mère sachent la possibilité (au moins la possibilité) d'un enfant qui ne soit plus seulement un homme animal.

Et puis il faudrait que la conception se fasse tout à fait en dehors du désir. C'est encore une condition à remplir très difficile.

Et que la mère, pendant toute la gestation, soit dans une atmosphère absolument protégée contre les influences dégradantes: un endroit idéalement beau, un climat merveilleux où tout soit harmonieux, et une vie tout à fait spontanée, libre et harmonieuse et belle à l’abri de toutes les vulgarités de la vie. Et elle-même, avec l’idéal de l’enfant nouveau. Et que ce soit fait non comme une chose mécanique mais comme une chose consciente, voulue, dans une atmosphère absolument «créative», pourrait-on dire.

Tout cela, ce sont des conditions très difficiles à remplir.2

22 avril 1967

(Mère passe au disciple une lettre et une coupure de presse qu'elle vient de recevoir d'Amérique au sujet du L.S.D. Il y a aussi une photo d'affiche invitant les gens à partir en «voyage».)

Ils ont l’air à moitié fous – un peu plus d'à moitié!

Tu veux publier dans le prochain Bulletin ce que tu as dit au sujet du L.S.D.?

Non, je trouve que c'est leur donner beaucoup trop d'importance.

En Amérique, c'est devenu un peu effrayant... Le nombre des gens qui prennent cette drogue est considérable.

Je ne crois pas que l’on puisse empêcher les gens – ils continueront à le faire jusqu'à ce qu'il y ait des accidents sérieux, alors... Alors le gouvernement interviendra et fera une autre bêtise ajoutée à celle-là.1

(silence)

Qu'il y ait une très grande Pression, une sorte d'intensité de pression, c'est indiscutable – partout-partout. Et naturellement, la réaction de l’Ignorance.

Au fond, la Nature avait arrangé les choses, et comme elle n'avait pas de limite de temps, c'était arrangé pour que cela dure des millénaires et des millénaires et des millénaires – on allait tranquillement. On s'amusait en route; toutes les inventions que l’on pouvait avoir, on les exécutait, et on s'amusait. Mais on n'avançait pas très vite. Et elle a arrangé les choses de telle manière que s'il y a une pression pour aller vite, oh! cela fait des catastrophes.

Sur l’immense masse, la masse qui est encore plongée dans l’Ignorance, ça produit une sorte d'excitation qui a tendance à devenir malsaine. Pour ceux qui sont dans un certain équilibre, ils protestent; ça, j'ai entendu souvent dire: «Mais nous ne sommes pas pressés, ça va bien comme cela! quand ça se produira, ça se produira, pourquoi vouloir changer si vite!» Ceux qui ont trouvé un équilibre suffisamment harmonieux dans la vie, c'est leur attitude: «Oh! vous êtres bien pressés, pourquoi voulez-vous bousculer tout? Il n'y a qu'à laisser faire. Quand ça se fera, ça se fera», voilà. Tous les gens un peu «sâttviques», posés, ont une espèce d'équilibre comme cela. Et puis, parmi ceux qui aspirent, il y a un tout petit nombre qui sont sincères, sérieux, posés, prêts à tout: à aller lentement, à aller vite, à faire beaucoup, à faire peu, mais qui sont réguliers et tranquilles. Et enfin, il y a une bande de gens qui aiment le déséquilibre, et alors pour eux, c'est l’occasion de toutes les extravagances. Mais il est évident que la Pression de la Force se fait sentir partout.

Sri Aurobindo disait toujours que ce qui était le plus important, mais aussi le plus difficile, c'était de savoir garder l’ÉQUILIBRE DANS l’INTENSITÉ. D'avoir l’intensité de l’aspiration, l’intensité de l’effort, l’intensité de la marche en avant, et en même temps de garder son équilibre – l’équilibre d'une paix parfaite. Ça, c'est la condition idéale. Mais c'est difficile.

(silence)

Et pour les cellules du corps, le passage de la tranquillité d'origine «tâmasique» (le calme qui a été le produit, dans l’ancien temps, de l’Inertie et ce qui reste encore de cette tendance d'inertie), pour que ce calme cesse d'être inerte et qu'il appartienne, au contraire, au calme de la Toute-Puissance, il y a un passage difficile. Pour les cellules, c'est difficile.

Ces jours-ci, oh!... C'est le travail de ce passage qui est en train de se faire dans les détails, et ce n'est pas commode.

C'est comme cette habitude des cellules de prendre de la force d'en bas (par la nourriture, etc.), quand on veut transformer cela en une habitude constante de prendre la force d'en haut à chaque moment, dans tous les petits détails, il y a un moment difficile... («d'en haut», c'est une façon de parler, parce que si l’on considère, ce peut être des profondeurs aussi: ça n'a pas de sens ni de direction, de haut ou bas ni de tout cela). Mais c'est de ne plus prendre le point d'appui sur la surface: pour se tenir debout, pour marcher, pour s'asseoir, pour faire des mouvements...

Et puis, il y a la pression de l’agitation extérieure (le monde vit dans une agitation perpétuelle), l’agitation extérieure: tout, tout le monde se précipite pour... vraiment on ne sait pas pourquoi. Ils veulent faire dix fois plus de choses dans un temps où il n'est pas possible de le faire normalement, et alors ça fait comme cela (geste trépidant). Et avoir la force de rester calme et en équilibre là-dedans, dans ce tourbillon...

C'est vraiment très intéressant.

Ce que les hommes appellent généralement la «force» (dans le sens du mot anglais strength), c'est quelque chose de très lourd et de très tâmasique. Et la vraie force, c'est un mouvement d'une rapidité formidable, mais... dans un calme parfait. Il n'y a aucune agitation; le mouvement est fantastiquement plus rapide, mais sans agitation, dans un calme!... Et cette Force-là, généralement ils ne la sentent même pas, et c'est pourtant celle-là qui permet – qui permettra – la transformation.

La difficulté, c'est toujours la transition. N'est-ce pas, le corps agit (il est pour ainsi dire porté: les choses sont faites sans avoir le sentiment de la résistance ou de la fatigue, rien de tout cela, ça n'existe pas), et puis si, pour une raison quelconque (généralement une influence venant de quelqu'un d'autre ou une pensée venant de quelqu'un d'autre), si le souvenir de l’autre méthode (la méthode ordinaire, la méthode universelle, de tous les êtres humains) vient, tout d'un coup c'est comme si... (c'est tout à fait étrange), c'est comme si le corps ne pouvait plus rien faire, absolument comme s'il allait s'évanouir. Alors imédiatement, il y a la réaction, et l’autre mouvement reprend le dessus. Mais ça fait une période difficile. Quand ces rechutes seront impossibles, alors ce sera la sécurité. Mais comme cela, c'est difficile.

Seulement, maintenant (dans le temps, il y a un moment où c'était dangereux), maintenant, imédiatement dans les cellules, il y a ce mouvement d'adoration qui appelle: «Toi-Toi-Toi...» Alors, ça va.

April 24, 1967

(Message given by Mother)

"For after all it is the will in the being that gives to circumstances their value, and often an unexpected value; the hue of apparent actuality is a misleading indicator. If the will in a race or civilisation is towards death, if it clings to the lassitude of decay and the laissez-faire of the moribund or even in strength insists blindly upon the propensities that lead to destruction or if it cherishes only the powers of dead Time and puts away from it the powers of the future, if it prefers life that was to life that will be, nothing, not even abundant strength and resources and intelligence, not even many calls to live and constantly offered opportunities will save it from an inevitable disintegration or collapse. But if there comes to it a strong faith in itself and a robust will to live, if it is open to the things that shall come, willing to seize on the future and what it offers and strong to compel it where it seems adverse, it can draw from adversity and defeat a force of invincible victory and rise from apparent helplessness and decay in a mighty flame of renovation to the light of a more splendid life. This is what Indian civilisation is now rearising to do as it has always done in the eternal strength of its spirit."1

Sri Aurobindo
1919

27 avril 1967

(À propos du «darshan» du 24 avril, quarante-septième anniversaire de l’arrivée de Mère à Pondichéry.)

Comment était le 24? Tu es resté chez toi pour la méditation?

Non, je viens toujours.

C'était assez particulier.

Voilà l’historique: quelqu'un qui vit ici avait un très fort rhume à peu près huit jours ou sept jours avant le darshan. Je me suis dit: «Il ne faut pas que je l’attrape» (en fait, Mère est très enrhumée), alors j'ai fait une prière spéciale pour ne pas l’avoir. Mais ça a entraîné des conséquences.

Je t'ai parlé de cette expérience (qui est devenue de plus en plus concrète et constante) de la Vibration d'Harmonie (d'harmonie supérieure exprimant la Conscience essentielle avec son aspect d'amour et d'harmonie et, à mesure que cela va vers la manifestation: ordre, organisation), et la vibration presque constante et générale de désordre, de désharmonie, de conflit – au fond, de résistance de la Matière à cette Action. Et les deux vibrations sont comme cela (Mère passe les doigts de sa main droite entre les doigts de sa main gauche), comme si elles s'interpénétraient, et un simple mouvement de conscience vous mettait d'un côté ou de l’autre, ou plutôt l’aspiration, la volonté de réalisation mettait en rapport avec la Vibration d'Harmonie, et le MOINDRE relâchement vous faisait tomber dans l’autre. C'est devenu constant. Et alors, le 24 depuis le matin, il y avait une aspiration constante, une volonté constante de triomphe de la Vibration d'Harmonie. Puis je me suis assise comme je m'assois chaque fois, à peu près cinq ou dix minutes avant que cela ne commence, à ma table. Et instantanément, avec une puissance – une puissance à écraser un éléphant –, cette Vibration d'Harmonie est descendue comme cela, en masse... au point que le corps a tout à fait perdu le sens de son existence: c'est devenu Ça, ce n'était plus conscient que de Ça. Et le premier quart d'heure s'est passé absolument comme une seconde. Puis, dans la chambre, il y avait trois personnes; l’une de ces trois, ou peut-être les trois, ont senti un malaise (il y avait de quoi!) et alors ça m'a éveillée: j'ai vu la lumière (je brûle une bougie sur ma table) et j'ai vu l’heure, mais ce n'était pas moi: quelque chose a vu. Puis il y a eu une sorte d'action pacifiante sur l’endroit, et puis: repartie. Et une seconde après, l’appel de la fin!1

C'est la première fois que cela arrive à mon corps. Toujours, il restait conscient. Sri Aurobindo aussi me disait la même chose: qu'il n'avait jamais-jamais eu de samâdhi dans son temps. Et moi non plus: toujours-toujours-toujours restée consciente. Et ça... ce n'était plus que de la Force, rien que de la Force, et qui travaillait: il y avait une concentration ici, il y avait une concentration sur tout le pays et il y avait une concentration sur toute la terre. Et tout cela était conscient comme ça (geste vaste au-dessus de la tête), travaillant. Mais quelque chose de massif, de puissant comme un éléphant – assez pour écraser.

Je n'ai rien dit à personne, je voulais savoir (parce que quand je dis, les gens essayent de trouver quelque chose, alors je voulais savoir la réaction spontanée). La première chose que j'ai reçue, c'était une lettre de G me disant qu'il était au samâdhi et, juste avant le commencement, une force est descendue sur lui si fort qu'il est tombé (il était assis, il est tombé en avant). Alors il me demandait ce que c'était. Je n'ai pas encore répondu. Après, il y a eu d'autres gens, d'autres choses.

Pour moi, c'était unique, parce que c'est la première fois que cela m'arrive. Mais ça a eu un résultat: c'est que, au-dedans, tout ce qui s'accroche encore à cette vieille habitude de désordre, de désharmonie – oh! qui est cause de tout, tous les méfaits, les maladies, de tout – cela a été... Hier après-midi, j'ai vu qu'il y avait quelque chose qui avait besoin d'être éliminé, et cela s'est transformé en rhume de cerveau. Ce n'est rien.

Ce n'est rien et cela m'a donné l’occasion de voir que toutes les cellules, partout, même celles qui, selon l’habitude ancienne, devraient avoir le malaise du rhume, sont toutes dans une aspiration béatifique de transformation. Et elles ont vraiment et spontanément l’impression que ce qui leur arrive, c'est pour que ça aille un petit peu plus vite. Alors elles sont très contentes.

Et cela devrait aller encore plus vite; c'est-à-dire que toutes ces choses, rhumes ou autres, devraient être tout à fait passagères: ça entre, ça sort.

Il y a encore beaucoup de mauvaises habitudes – ça passera.

Et c'était la conscience – la Conscience Totale, dans une lumière... une lumière qui n'a aucun équivalent ici, et pourtant c'était tout à fait matériel. Tiens, c'était comme de l’or qui serait fondu – fondu – et lumineux. C'était très épais. Et c'était d'une puissance – d'un poids, n'est-ce pas, comme ça, étonnant. Et alors: plus, plus de corps, plus rien – plus rien, rien que Ça. Et puis la vision de Ça comme ça (geste qui va s'élargissant au-dessus de la tête), dans son action imédiate, dans son action sur le pays et dans son action sur toute la terre. Et une action qui ne produit pas de mouvement, je ne sais pas comment expliquer cela. Une sorte de pression – de pression où il n'y a pas de déplacement.

La pression est partie après la méditation, mais l’effet est resté, et par la vieille habitude, je me suis levée après pour prendre quelque chose sur la table, là – j'ai failli tomber! Le corps ne savait plus marcher! Il a fallu se concentrer, alors c'est revenu.

Il y avait quelque chose qui restait (ce n'était pas fort comme cela), quelque chose qui restait quand je suis allée au balcon (le 24 après-midi). J'étais au balcon autrement que je ne suis d'habitude. Je ne sais pas exactement ce que c'était. Mais alors les photographies sont très différentes; il y a quelque chose dans les photographies qui n'était pas là d'habitude. Il y avait une atmosphère spéciale.

(silence)

Je me suis souvenue de quelque chose que Sri Aurobindo m'avait dit une fois pendant les derniers mois, il m'avait dit: «Quand la Force supramentale (il l’appelait toujours, n'est-ce pas), quand la Force supramentale est là et pendant tout le temps de sa présence, on a l’impression de la toute-puissance– une toute-puissance qui n'est pas conditionnée: une TOUTE-puissance.» Mais il disait: «It goes in the background» [ça passe à l’arrière-plan] quand la pression de la Force s'en va.

29 avril 1967

Mère tend au disciple un lotus rose fermé

Il y a quelques jours, j'avais donné un lotus comme cela, pas plus ouvert, à Z dans l’après-midi. Alors elle l’a gardé dans sa main et elle a dormi avec toute la nuit. Le matin, elle l’a mis dans l’eau et... il s'est ouvert! Après toute une nuit passée dans sa main. Il est de bonne composition!

Les fleurs sont très réceptives à la vitalité des gens – à la QUALITÉ de la vitalité. Il y a des gens, quand ils tiennent une fleur, elle se fane tout de suite, et il y en a d'autres, quand ils la tiennent, elle s'ouvre. Moi, j'ai vu plusieurs fois Sri Aurobindo prendre une fleur à moitié fanée dans sa main, et elle se remettait tout à fait – elle était toute contente!

Et je connaissais une dame qui se disait disciple (de Mère) à Paris, qui m'apportait toujours des fleurs quand elle venait me voir, et toujours-toujours, sans exception, les fleurs étaient fanées. Elle arrivait, elle me disait: «Mais quand je les ai achetées, elles étaient toutes fraîches!» (Mère rit) Elles étaient absolument finies. Alors j'ai fini par lui dire: «C'est parce que vous prenez toute leur vie en vous!»

Elle leur avait enlevé leur vie.


Peu après

Je t'ai parlé la dernière fois de ces deux vibrations... Il y a constamment un effort pour ramener tout sous la vraie Vibration. Et c'est très intéressant comme subtilité de travail. La nuit entière se passe comme cela aussi.

J'ai l’impression que quelque chose se prépare vraiment: il y a une très forte pression – mais quoi? Je ne sais pas. Les gens me demandent: «Qu'est-ce qui va arriver le 4.5.67?»1 Je leur dis: «Attendez, vous verrez bien.»

Il y a une très active influence de Sri Aurobindo, et puis ce constant travail (des deux vibrations): même quand il y a des visites, des gens que je ne connais pas, ça continue. C'est comme une sorte de décantation.


(Puis Mère demande des nouvelles du disciple, pas brillantes, ni physiquement ni autrement)

...Je n'ai plus qu'un seul remède pour tout. Mais il est actif!

mai




3 mai 1967

(Mère donne au disciple une nouvelle petite brochure de couleur brune avec un titre en lettres d'or: «God».)

J'ai une très gentille petite histoire... Avant-hier, des gens sont venus (hier matin, j'ai vu cinquante-cinq personnes là-bas, dans la chambre... cinquante-cinq personnes! avant-hier, il y en avait un peu moins, mais peut-être quarante-cinq), et il y avait un petit enfant qui avait moins d'un an, qui était porté par son père. Il était comme cela, somnolent, contre l’épaule du père. Le père est entré; quand il s'est approché de moi, l’enfant m'a vu – il a ouvert des yeux d'homme! N'est-ce pas, ce n'était plus un enfant. Puis il m'a regardé. Il a eu un sourire béatifique et... il m'a tendu la main! Il m'a attrapé la main, je lui ai donné ma main, il était content! Mais le père voulait faire pranam [s'incliner], alors il l’a mis par terre. Il y avait à côté de moi un grand plateau avec une cinquantaine de ces petits livres (qui sont toutes les citations de Sri Aurobindo chaque fois qu'il a parlé de Dieu), l’enfant a regardé; il l’a pris, puis il a regardé, palpé, essayé d'ouvrir – pas un mot, rien. Naturellement, les parents qui se croient très sages, le père qui se croyait un homme sage a dit: «On ne peut pas laisser ce livre dans les mains de l’enfant», et il le prend pour le remettre en place – hurlements de l’enfant! Alors C a pris le livre et l’a donné au petit, et pendant tout le temps (il y avait une douzaine de personnes), pendant tout le temps que les autres faisaient pranam, il regardait les lettres d'or, palpait...

C'est certainement l’un des plus remarquables, mais ce n'est pas le seul. Tous les enfants que l’on m'amène au-dessous d'un an sont comme cela (plus ou moins). Celui-là est très-très conscient. Des yeux, n'est-ce pas, des yeux pleinement conscients.

Si gentil! Et puis si content, oh! comme s'il disait: «Enfin, je te vois!»

Alors voilà le livre.

Mais c'est une cohue qui dépasse toute imagination.1


Peu après

Pavitra a classé des vieilles lettres, et alors... Je t'ai dit, n'est-ce pas, que depuis le 24 il y avait une insistance constante, de chaque minute, pour donner le plein appui à l’Harmonie et ne pas permettre au désordre, à la désharmonie, à la confusion, de se manifester: au point de vue physique, au point de vue vital, au point de vue mental. Comme cela, comme quelqu'un qui pilonne quelque chose, depuis le 24 (je t'ai dit l’autre jour, la Force qui est venue: depuis c'est comme cela). Et alors hier ou avant-hier, Pavitra qui classait a retrouvé quelque chose que j'ai écrit en anglais à quelqu'un:

«Yes, the good-will hidden in all things reveals itself everywhere to that one who carries goodwill in his consciousness.

This is a constructive way of feeling leading straight to the future.»

Voilà mon français que j'ai fait spontanément hier:

«En vérité, la bonne volonté cachée en toutes choses se révèle à celui qui porte la bonne volonté dans sa conscience.

C'est une manière constructive de sentir qui conduit tout droit à l’avenir.»

J'ai trouvé cela très intéressant (ça a été écrit il y a des années, en tout cas plus d'un an, et Pavitra m'a dit qu'il ne l’avait même pas trouvé dans une lettre: c'était comme cela, au milieu des dossiers), et alors, c'est comme si l’on me disait: «Tu vois, tu disais comme cela avant, déjà.» Parce que la «bonne volonté», c'est l’Harmonie (psychologique, n'est-ce pas), c'est vouloir que tout aille bien psychologiquement. J'ai trouvé cela assez intéressant.

Mais c'est bien que ce soit revenu: une forme tout à fait à la portée de tous, qu'ils peuvent comprendre – on ne vous demande pas des choses extraordinaires: on vous demande de la bonne volonté. Quand j'ai retrouvé cela, j'ai souri, je me suis amusée, j'ai dit: «Tiens, j'aurais pu écrire la même chose à propos de la bonne humeur! J'aurais pu dire: soyez de bonne humeur et vous verrez la bonne humeur partout.» – On peut dire beaucoup de choses (Mère tourne lentement sa main comme si elle présentait diverses facettes): cela me fait toujours l’effet d'un kaléidoscope des arrangements de couleur pour exprimer quelque chose d'autre qui... se rapetisse, se diminue, se généralise, devient enfin à la portée de tous, dès que c'est exprimé. Mais il y a quelque chose: comme un conflit FORMIDABLE qui se passe au-dessus de la terre, en ce moment, et avec cette Grâce divine merveilleuse qui aide toujours, qui veut toujours pour le mieux, et qui fait une pression: «Mais soyez de bonne humeur, mais soyez de bonne volonté, mais ayez, oui, ayez cette Harmonie intérieure du contentement, de l’espoir, de la foi. N'acceptez pas les vibrations qui... décomposent – qui diminuent, qui dégradent, qui vont vers la destruction.»

C'est partout-partout comme cela (geste de pression sur la terre).

Alors, naturellement, les «hommes sages» dont parle Sri Aurobindo demandent: «Qu'est-ce que ça veut dire, 4.5.6.7? Qu'est-ce qui va se passer le 4.5.67? Pourquoi...» Cela vient de tous les côtés dans l’atmosphère. Alors j'ai dit à quelqu'un hier, quelqu'un qui a une grande foi et qui a assez d'autorité sur un grand nombre de gens (on lui pose toutes ces questions imbéciles; il ne me l’avait pas dit mais mentalement il l’a dit, c'est-à-dire que je l’ai reçu mentalement), je le voyais l’après-midi et je lui ai dit: «Ah! on vous a posé ces questions, eh bien vous allez leur dire très gravement (!):

4 veut dire Manifestation
5 veut dire Pouvoir
6 veut dire Nouvelle Création
7 veut dire Réalisation.

Maintenant, qu'ils fassent tout ce qu'ils veulent avec ça!

Pour les tenir tranquilles.2

l’enregistrement du début de cette conversation n'a pas été conservé.

Et il m'a dit en effet ce matin (j'ai dit: «Ce n'est pas la peine de me le dire, je le sais!»), il m'a dit: «Oh! moi, j'aime mieux attendre et voir.» J'ai répondu: «C'est la vraie attitude, il vaut mieux attendre et voir.»

En tout cas... je ne sais pas – je ne sais rien et je ne veux rien savoir, je ne sais pas. Il n'arriverait rien que cela ne m'étonnerait pas, mais... Parce que, pour moi, c'est déjà arrivé. Le 24, c'est venu: je te l’ai dit, j'ai eu toutes sortes d'expériences (tu me l’as dit aussi, toi!), je n'avais jamais eu celle-là. La personnalité matérielle, le corps: absolument dissous. Il n'existait que... la Conscience Suprême. Et ça, ma foi, c'est resté. C'est resté dans le sens que... Je ne peux plus manger, je ne peux presque plus me reposer, je vois vraiment des centaines de gens et des choses et des papiers et... Ce pauvre corps pourrait dire ouf! Mais pas du tout. Et si la tension des autres à un moment donné produit un petit déséquilibre, le corps spontanément dit comme cela: «Oh! mais Toi, Tu es là» – tout est fini. IMédiatement tout est fini. Alors ça, c'est quelque chose.

Nous verrons.

(silence)

Avec ce 4.5.67, il y a des choses tout à fait amusantes. Les gens qui ont l’esprit «redresseur de torts» (il y en a comme cela), qui choisissent leur propre exemple, le tort qu'on leur a fait qui doit être redressé, et qui disent: «Ça, ce sera le symbole de la Mère.» Un autre qui voudrait que les appareils photographiques soient assez délicats pour photographier la «présence invisible» à l’œil humain. Ça arrive aussi, ce sont des choses qui arrivent dans l’atmosphère (de Mère). Un autre (plusieurs autres, paraît-il) qui pense que cela va être la nouvelle année indienne qui commencera avec ce jour-là. D'autres... chacun a une imagination comme cela qui vient dans l’atmosphère. C'est amusant.

Et je pense toujours à ce passage de Savitri où il dit: «Le Dieu va croître...» Croître dans la Matière, n'est-ce pas (alors on voit la Divinité qui croît dans la Matière; la Matière qui est faite de plus en plus apte à manifester la Divinité), et alors il dit: «Et les hommes sages parlent et dorment.»3 Et c'est tout à fait cela. Et c'est charmant.

(silence)

Sri Aurobindo m'avait dit que l’un des premiers résultats serait que les gouvernements viendraient sous l’influence supramentale (non pas que ce serait nous qui gouvernerions! mais que les gouvernements seraient sous l’influence). Et ces jours-ci, j'ai vu trois ministres et cinq députés! Et j'ai reçu une offrande du Premier Ministre [Mme Gandhi]. Alors ça va! C'est tout à fait amusant... Il y en a qui viennent exprès de Delhi juste pour un jour, pour me voir et s'en aller. Alors on espère – on espère – qu'ils deviendront un petit peu plus sages (!)4


(Puis Mère se met à classer une série de notes griffonnées ici et là. Elle s'arrête à celle-ci:)

«Auroville est l’abri construit pour tous ceux qui veulent se hâter vers un avenir de connaissance, de paix et d'unité.»

Nous avons un petit emplacement que l’on appelle «Promesse», où il y aura six ou huit chambres, un bureau qui sera le premier bureau administratif d'Auroville, et un «guest house» [maison d'hôtes] avec quelques chambres aussi, cinq ou six chambres pour les visiteurs. C'est un tout petit endroit où il y a un beau jardin et il y a des arbres, et c'est sur le bord de la route de Madras. C'est en bordure d'Auroville. Alors c'est en train de se construire. Et il y aura un étang avec des lotus au milieu et comme une grande coupe, en marbre je crois, sur laquelle on gravera cela (en français) pour dire ce qu'est Auroville aux gens qui passent.


(Mère classe sa note sur la «bonne volonté» après avoir décidé qu'elle la donnerait à publier dans «Mother India». Le disciple remarque que c'est dommage pour le «Bulletin».)

Oh! (riant) je peux t'en faire autant que tu veux! Ça vient comme cela – ça s’amuse.5

C'est même amusant comme ça vient. On me lit une lettre... par exemple, quelqu'un me lit une lettre (X, Y ou Z); «moi», n'est-ce pas, il n'y a pas de moi, absolument absente, en train de s'occuper des choses que je fais: ranger, faire ceci, faire cela. Tout d'un coup (geste d'en haut): «Dis ça.» Ah! bon... Et puis ça vient. Et alors c'est amusant: ce sont des mots qui jouent, cela me fait toujours l’effet d'un chat qui joue avec quelque chose, comme cela, avec son œil malin, qui envoie la balle et puis qui la rattrape, qui fait comme cela d'une patte, puis la rattrape de l’autre; alors c'est exactement le même mouvement avec les mots. C'est quelqu'un qui s'amuse. Ce «quelqu'un», tu sais qui c'est (!)

Parfois, c'est avec un sens de l’humour si extraordinaire! avec une telle finesse: il attrape juste le côté un peu ridicule de celui qui a écrit ou questionné, et puis avec un sérieux imperturbable, il répond. C'est admirable!


(Mère range sa table où est accumulée une invraisemblable masse d'objets hétéroclites. Elle tire un stylo neuf d'un coin:)

Alors, qu'est-ce que tu as à me dire, toi?

(silence)

Tu as besoin d'un stylo?... Je ne sais pas ce qu'il vaut, il est tout neuf. On m'en apporte; il y a des gens qui m'en apportent cinq, six; d'autres qui m'en apportent quatre, cinq... Je suis inondée de choses. Garde-le, ce sont des outils de renfort. Si tu as besoin de quoi que ce soit, n'hésite pas à le dire, parce que ici, il y a de tout – excepté des lions! (Invisibles, il y en a.) Oh! un jour, c'était si amusant! je ne sais plus ce qui s'était passé, j'attendais quelqu'un, lorsque tout d'un coup, je vois un lion qui vient d'ici, je vois un lion qui vient de là, et puis je vois un lion qui vient de là (geste aux quatre coins de la chambre), et j'avais les yeux... (comment dire?) ni fermés ni ouverts: je regardais dedans, je regardais le travail. Et alors je leur ai dit: «Mais enfin, qu'est-ce que vous voulez?» – Ils ont souri comme des enfants!... C'était vraiment amusant. Alors peut-être que je leur fais tort en disant qu'il y a de tout ici, sauf des lions!

Est-ce qu'un jour je verrai quelque chose?6

Mon petit, il y a... (tu vas t'amuser), il y a la vision mentale: quand on est concentré, on voit des choses ici (geste autour de la tête), mais pas le même genre de vision que les yeux ouverts, mais on les voit. On voit des images, on voit des pensées, on voit... Il y a une vision vitale, alors il suffit de fermer les yeux, on voit toutes sortes de choses. Ce n'est pas toujours joli. C'est le genre de rêves que tu as. Tu as eu des rêves comme cela qui n'étaient pas très plaisants. Et alors, pendant (combien?) vingt ans, trente ans (j'ai commencé à voir toute petite – je ne savais pas ce que c'était), mais quand j'ai commencé à savoir ce que c'était, je me plaignais beaucoup de ne pas avoir des visions tout à fait objectives (Mère fait un geste devant ses yeux ouverts): pas celles que l’on voit ici autour de la tête; pas celles que l’on voit quand on est dans le vital; mais celles que l’on voit comme cela, les yeux ouverts. Et quand je rencontrais des petits médiums, des gens qui voyaient les yeux ouverts, je disais: «Ces gens-là sont épatants!» Quand j'ai rencontré Sri Aurobindo, je le lui ai dit. Il s'est fichu de moi naturellement – il avait raison. Et alors, je ne m'en suis plus occupée.

Et puis, tout dernièrement, quand je commençais à faire le yoga dans les cellules, voilà qu'elles se sont mises à voir! Et alors!... quel caravansérail! Et puis ça allait et ça venait et ça voyait et ça voyait, tout le temps, tout le temps. J'ouvrais les yeux: au lieu de voir les choses matérielles, je voyais les choses physiques qui sont derrière. Oh! alors j'ai dit: «Je comprends!... C'était l’aspiration de l’Ignorance, maintenant je comprends: on est béni quand on ne voit pas!» Parce que je me disais toujours: «Mes visions ne sont pas concrètes, ce sont des visions subjectives puisque ce sont des visions internes; ce sont des visions subjectives, ce ne sont pas des visions concrètes – je veux voir des visions concrètes, je veux voir le monde matériel tel qu'il est; pas selon son apparence trompeuse: TEL QU'IL EST.» Quand j'ai commencé à voir, j'ai dit: «Non merci! nous sommes bénis de ne pas voir.»

Mais ce n'est pas cela que je demande.

Non, je sais bien.

Je veux voir la Lumière.

Oui, tu veux voir la Lumière. Mais tu la vois!

Mais non!

Ah! mon petit, je le sais parce que dès la première fois que tu m'as dit: «Je veux voir», je t'assure en toute honnêteté, j'ai dit: «Mais pourquoi ne voit-il pas? Il devrait voir.» Et alors, la première fois que j'ai rencontré Sri Aurobindo (c'est-à-dire imédiatement), je lui ai dit: «Satprem veut voir.» Il m'a répondu: «Il voit. Mais il ne le sait pas. Mais il voit.»

Alors j'ai pensé qu'il y a peut-être... Tu sais, il y a quelquefois un tout petit gap (on a des couches de conscience qui s'interpénétrent comme cela, beaucoup), il suffit d'un «gap» [trou, lacune], d'un manque, d'un vide entre deux, pour ne pas savoir. C'est ce que Théon m'avait expliqué: «Vous avez tous vos états d'être l’un dans l’autre en quatrième dimension; il vous manque un tout petit échelon.» – Rien, n'est-ce pas, on ne s'en aperçoit pas dans sa conscience, mais dans sa construction il y a quelque chose qui n'est pas développé, et alors ce qui est de l’autre côté ne passe pas; c'est perdu entre ça et ça. C'est perdu. Alors je lui ai demandé: «Comment faire?» Il m'a dit: «Il faut le développer.» Et j'avais fait l’expérience (il me l’a dit, je l’ai fait). Et en effet, j'avais un «sous-degré nerveux» (lui, appelait cela le «nerveux» au lieu du «vital»), un sous-degré nerveux qui n'était pas développé, qui n'était pas suffisamment conscient. Et pendant un an, jour après jour, jour après jour, concentration pour développer cela: mettre la conscience, mettre la conscience... – Absolument aucun résultat. Pendant au moins – au moins – six mois sans arrêt, une concentration tous les jours; je prenais une heure pour cela – absolument sans résultat.

Seulement, je ne doutais pas. Simplement je pensais: «Il faut que je sois très bête. Je ne sais pas le faire...» Je vivais à Paris; arrive l’Été; je pars en vacances, je vais au bord de la mer chez des amis, dans une propriété. Il y avait un petit bois, de grandes prairies, c'était joli. Et après le déjeuner, je vais me coucher sur l’herbe... et puis tout d'un coup, tout – de l’air, de la terre, de l’eau, de tout –, tout vient. Ce que je voulais avoir, tout-tout vient comme cela. Tout d'un coup. Comme cela, sans effort. Résultat de six mois de travail.

Mais je ressens très souvent le manque de la Nature ici.

Tu sens.

Oui, beaucoup. Cela me manque beaucoup.

Oui. J'ai l’impression... (parce que j'ai beaucoup regardé ton problème – j'ai l’air de m'en ficher, mais ce n'est pas vrai! –, j'ai beaucoup regardé ton problème!), j'ai l’impression que dans ton mental supérieur, il y a, développée – extrêmement développée –, la faculté d'expression, et alors dès que la Lumière touche, elle se traduit en idées, en mots, en conceptions, là, comme cela. Et elle n'a pas le temps d'être visualisée. Ce n'est pas extérieurement, c'est tout en haut que (comment dire?) c'est particulièrement et exceptionnellement actif et expressif (quelque chose qui est très rare, parce que là-haut, généralement, c'est nébuleux pour tout le monde). Et alors, parce que c'est développé comme cela (ce qui est une condition supérieure), la condition primaire qui est la vision, le choc de la Lumière, ça, tu l’as manqué.

Et alors il n'y a qu'une solution. Il y a, pour moi, une solution: c'est le contact soudain avec une lumière supérieure dans le Supramental. Sri Aurobindo a dit qu'il y a plusieurs (c'est évident, c'est toujours comme cela), il y a plusieurs layers, dit-il (mettons «couches»; ce n'est pas comme des couches, mais enfin cela ne fait rien), couches de lumière supramentale. La première (celle qui s'est manifestée), celle-là, imédiatement tu l’as traduite en conceptions, en idées et en mots. C'est-à-dire quelque chose qu'un grand nombre d'intellectuels prient, supplient d'avoir – tu l’as eu, mettons spontanément. Alors le premier contact qui est le contact de l’éblouissement de la Lumière, tu ne l’as pas eu. Mais quand une lumière plus haute viendra, tu l’auras.

J'attends ce moment-là.

Je ne sais pas si ton mental est critique ou si... Je veux dire, pour m'exprimer clairement, si ton mental critique ou ta foi, lequel des deux est le plus fort – j'espère que c'est la foi. Et alors, à la foi (pas au mental critique, je ne lui parle pas), à la foi, je dis que depuis le 23, on travaille dur. Et j'ai beaucoup demandé que, demain, tu sois mis en contact avec cette lumière supérieure et que tu aies cet éblouissement de la vision de la Lumière.

Si tu as la foi, tu l’auras. Si le mental critique est le plus fort, ce sera un petit peu retardé, peut-être.

Voilà, maintenant je t'ai fait ma confession!

C'est une lumière supramentale pas encore manifestée – le premier choc du contact, alors tu verras.

Tu comprends, je ne veux pas dire quoi que ce soit qui encourage la vanité de l’ego, s'il y en a. Mais tu as un contact avec la Lumière qui est unusual [inhabituel]; c'est pour toi devenu une chose tout à fait naturelle. Mais en vérité, c'est exceptionnel. Et alors tu vois des gens qui n'ont pas du tout cette réalisation et qui, eux, jouissent du contact de la Lumière, parce que justement c'est pour eux quelque chose de merveilleux, de nouveau... Et alors, tu es deprived (c'est Sri Aurobindo qui me parle), deprived [privé] des plaisirs que, eux, ont. Mais tu devrais savoir que c'est parce qu'il t'a été donné une réalisation très supérieure. Seulement, avec l’aspiration, avec l’ouverture, avec le don de soi, tu peux toucher quelque chose de vraiment nouveau. Alors là, tu auras le choc du nouveau.

Ça, c'est sa réponse.

Seulement, pour cela, il faut que le mental se tienne tranquille.

Pour toutes ces expériences des cellules, combien de fois toute cette soi-disant sagesse qui est dans la conscience matérielle, qui vient du frottement avec la vie, de la soi-disant expérience – sagesse qui vient de l’expérience –, combien de fois cela a commencé à s'exprimer, et Sri Aurobindo a dit, mais mercilessly [impitoyablement]: «Shut up, you are foolish!» [tais-toi, tu es un imbécile.]

Cela a appris sa leçon. Ça a appris sa leçon, mais très récemment.

On se croit sage, on se croit intelligent...

Voilà.

(Mère prend les mains du disciple)

Je veux que ce soit pour toi, vraiment, demain, une nouvelle naissance – mais pas une nouvelle naissance à un être intérieur: une ouverture à quelque chose qui ne s'est pas encore manifesté dans le monde.

That's what you are destined for.

6 mai 1967

J'ai fait un discours à P et à A (pas fait un discours, mais ils m'ont parlé de quelque chose et j'ai parlé), alors Pavitra a essayé de noter. Il ne me l’a pas lu, je ne sais pas ce qu'il a mis; si tu veux, tu peux me le lire.

Mais attends... Le 4 au matin, quand je me suis levée (il était quatre heures et demie), tout d'un coup, c'est comme si l’on m'envoyait... Tiens, c'est comme si l’on m'envoyait une boule d'éclair comme cela (Mère se frappe la tête). Ah! j'ai dit bon! (Mère rit) Mais ça m'a secouée! C'était tellement fort que cela m'a secouée (j'étais assise là). Et alors est venue l’explication du «message» du 4.5.67. C'est venu en anglais. Il m'a dit: «Il faut dire ça, il faut dire ça, il faut...» Et puis ça répétait jusqu'à ce que je l’ai noté.

Tu te souviens du message, n'est-ce pas?1

(Mère lit sa note:)

«The Divinity mentioned by Sri Aurobindo...

C'est Sri Aurobindo qui me disait, mais il me l’a dit comme cela!

«The Divinity mentioned by Sri Aurobindo is NOT A PERSON...

Il insistait beaucoup.

«...is not a person, but a condition to be shared and lived by all those who prepare themselves for it.»

Alors j'ai marché (je marche toujours une demi-heure le matin en répétant le mantra) et il a répété-répété-répété, tourné comme cela, comme cela, jusqu'à ce que cette forme soit arrivée. Et puis, quand je l’ai noté sur le papier, c'était fini.

Après, il m'a dit de dire comme cela en français:

«La Divinité dont parle Sri Aurobindo n'est pas une personne, mais un état auquel participeront tous ceux qui se sont préparés à le recevoir.»

Il s'est passé quelque chose le 4?

Il s'est passé cela.

Et une Présence constante toute la journée.

Je te dis: ça a commencé comme cela le matin, c'est comme si l’on m'avait abrutie pour la journée, je n'existais plus.

C'est comme cela: tout le temps la Force qui travaille, la Force qui travaille, la Force qui travaille... comme ça tout le temps, tout le temps, rien que la Force qui travaille. C'est ce que je t'avais dit l’autre jour (ces deux vibrations), c'est comme cela. Mais tout le temps, tout le temps comme cela. Au balcon, tout le temps, tout le temps: la Force qui travaille, la Force qui travaille... Il n'est plus question que de cela.

Et alors, comme il y a une grande foule, cela fait beaucoup de travail.

Mais au balcon (et même avant, le matin quand cette boule d'éclair est venue), il y avait une concentration très spéciale sur toi. Mais ça, je ne sais pas, c'est à toi de le dire. Si tu as senti quelque chose, tant mieux!

J'ai eu une méditation qui était très agréable, très bonne. Je sentais la Puissance, mais...

Oui, la méditation donnait l’impression de quelque chose de très charmant.

Et cette insistance constante sur l’Harmonie-l’Harmonie-l’Har-monie... Un équilibre harmonieux: un équilibre harmonieux des nations, un équilibre harmonieux des gens, un équilibre harmonieux des facultés intérieures, un équilibre harmonieux... comme cela.

Et alors, les résistances s'expriment très clairement comme une désharmonie.

Quelque chose d'extrêmement souriant, harmonieux, souriant, harmonieux...

Il y a eu un phénomène assez intéressant (c'était hier ou avant-hier), des petits détails amusants: maintenant le dernier membre du gouvernement de l’Inde s'est pour ainsi dire converti. Tous les membres du gouvernement (du gouvernement central; je n'entends pas dans tout le pays, mais au centre), tous les membres du gouvernement central sont... (comment dire?) on pourrait presque dire des «apprentis disciples de Sri Aurobindo», avec une grande bonne volonté de servir.

Et partout-partout dans le monde, les signes d'une bonne volonté CONSCIENTE qui s'éveille.

C'était ce que Sri Aurobindo m'avait dit. Ce qu'il voyait, c'était que la Force supramentale aurait suffisamment d'influence sur les divers gouvernements de la terre, des pays, pour que l’on puisse espérer une harmonie.

Si c'est comme cela, c'est quelque chose.

On verra.

Mais je n'ai pas vu la Lumière quand même!

Tu n'as pas vu la Lumière.

Je n'ai pas eu la sensation de toucher à...

...quelque chose de nouveau.

Je suis bouché probablement.

Non... Non, moi, je vois encore (c'est comme dans ce corps, n'est-ce pas), il y a encore des petites imbécillités, tu sais: ici, là, comme ça, dispersées – de toutes petites imbécillités, mais suffisantes pour faire que le mouvement ne soit pas intégral.

Par exemple, ce que dit Sri Aurobindo: cette pureté qui consiste à ne recevoir que l’Influence du Divin, que toutes les autres ne puissent pas toucher. Par exemple, il y a un certain nombre de gens qui ont été payés pour me détruire. Je le sais. Et je le vois. Eh bien, cela ne peut rien faire, mais cela donne un peu de travail – ça ne devrait pas donner de travail. Je suis obligée de temps en temps de mettre le bouclier de la Lumière blanche pour les empêcher de passer. Cela ne devrait pas être nécessaire, ça devrait être automatique. Et cela provient de ce qu'il y a encore des tas de cellules qui ont de vieilles habitudes – des vieilles empreintes, des vieilles habitudes.

Ça doit changer.

Elles pleurent un peu («pleurer», enfin), elles se lamentent un petit peu; elles sont très conscientes de leur infirmité et elles prient beaucoup, mais... elles ont encore la sensation qu'il faudrait avoir une certaine tranquillité et un certain temps pour que l’Harmonie suprême puisse pénétrer partout – c'est une idiotie, mais... Alors elles se sentent, pas positivement en contradiction mais un peu contraintes ou alourdies par la multitude – l’immensité – du travail matériel. N'est-ce pas, ça ne peut presque plus manger, n'a plus le temps de se reposer, même la nuit il y a maintenant beaucoup de travail (j'avais résolu de rester la nuit tranquille, mais il y a du travail et il faut qu'il soit fait), alors tout cela fait que... (geste de tiraillement). Elles sont idiotes, elles ont encore cette impression: «Oh! si je pouvais rester bien tranquille, alors je changerais.» Elles ont besoin d'une claque. C'est tout.

Il y a encore un peu de tirage.

Et le corps est suffisamment conscient pour être convaincu qu'il n'a aucun droit d'exiger le changement (je veux dire un certain changement) du Tout pour permettre son propre changement. Parce que, alors, il sait très bien: «Alors, à quoi est-ce que je sers? Si je suis comme les autres, je ne sers à rien – je dois avoir la faculté d'émerger dans la Lumière quel que soit l’entourage ou les difficultés.» Il le sait, il ne se fait pas d'illusions. Mais enfin il y a encore un petit tirage.

(silence)

Tiens, lis-moi cette notation de Pavitra. Je voudrais bien savoir comment c'est.

«Au sujet de la souffrance physique, Mère dit:

«Il y a trois couches ou niveaux de conscience différents qui sont à l’origine de cette souffrance. Ils sont comme juxtaposés, superposés, mais ne se mélangent pas. On passe de l’un à l’autre en alternant, sans ordre fixe.

Ce n'est pas tout à fait cela. C'est devenu tellement rigide! Enfin, continue.

«l’un est une répulsion, une peur qui va quelquefois jusqu'à la terreur. Le second est une attraction perverse, inavouée. Le troisième, un sentiment de l’inévitable, du "rien à faire", d'impuissance totale.

«Presque tout le monde se laisse engluer ainsi, alors qu'il y a un remède – un seul – pour guérir toutes ces maladies (les médecins, c'est tout autre chose, un autre mal, qui ne guérit pas réellement).

«Ce remède – il est bon pour toute la vie terrestre –, c'est d'atteindre et de s'ouvrir à la conscience de l’Harmonie – pas l’harmonie mentale ou vitale, mais l’harmonie "essentielle", le "principe" d'harmonie.

«C'est toujours le même remède. Il est d'une efficacité merveilleuse si on peut l’appliquer, mais c'est difficile, car la conscience humaine est très instable, en constant changement. Ce changement, c'est ce qui donne à l’homme l’impression de la vie, du mouvement. C'est absolument idiot, mais c'est ainsi!

«Donc, si l’on peut stabiliser la conscience et mettre ces couches juxtaposées en contact avec la conscience d'harmonie, cela a des résultats d'apparence miraculeuse. Par exemple, S est revenu ce matin rajeuni de 10 ans; n'est-ce pas, il était à moitié mort...

(Riant) S., ce n'est pas toi! C'est quelqu'un de Calcutta.

...On m'avait envoyé un télégramme qu'il était mourant. Alors je me suis concentrée (geste) comme cela... pour établir le contact peu à peu avec cette force d'harmonie, ce principe d'harmonie... Et maintenant il m'a dit qu'il se sentait très bien, tout à fait un nouvel homme.

«C'est cela que j'ai fait...

Il m'a même raconté (je l’ai vu), il m'a même raconté la vision qui a été à l’origine de sa guérison. Et c'était vraiment intéressant. Il a dit qu'il l’avait vue pour ainsi dire avec les yeux ouverts; que tout était noir (c'était la nuit), la chambre était noire, qu'il se sentait absolument déprimé et que (c'était une attaque cardiaque) et qu'il n'avait plus d'intérêt à rien, plus d'intérêt dans la vie, et simplement comme cela, comme s'il se laissait «couler dans la mort». Et puis tout d'un coup, il a pensé à moi. Et alors (il dit que ses yeux étaient ouverts), toute la chambre était noire excepté juste en face de lui comme un ovale de lumière. Un ovale de lumière tout à fait éblouissant, qui est resté. Alors il a regardé (il ne dormait pas), il a regardé pour voir qui pouvait envoyer cette lumière (il est suffisamment matérialiste), et alors rien: il s'est aperçu qu'il n'y avait rien. Puis il s'est mis à regarder cette lumière et il a vu de tout en bas (il ne savait pas d'où, on ne voyait pas d'où) comme la flamme – deux petites flammes – d'une lumière très-très pâle, très brillante, qui montait comme ça. Il a trouvé cela intéressant, il a continuer à regarder. Et tout d'un coup, dans la lumière, il a vu la forme de ce qu'il appelle... je crois que c'est Mahâsaraswati (je ne sais plus laquelle, mais je crois bien que c'est Mahâsaraswati: la «perfection dans le travail»), il l’a vue là, qui restait là. Et alors en même temps, il a senti en lui, oh! le grand désir de servir, de bien travailler, de consacrer sa vie à l’œuvre divine, tout cela. Et le lendemain matin quand les docteurs sont venus, ils ont dit: «Ah! c'est tout changé.»

C'est intéressant.

Et cela coïncidait avec le moment où, ici, moi, je faisais ma concentration (j'avais reçu la dépêche d'un petit garçon qu'il a adopté, qu'il aime beaucoup: il avait envoyé un télégramme pour me dire que les docteurs l’avaient condamné à peu près). Et alors il a eu ça (transcrit, n'est-ce pas, selon sa conception). Mais c'est intéressant.

Mais surtout je ne veux pas que personne sache ce que je dis-là: il faut laisser chacun à sa conception. Lui, n'est-ce pas, est persuadé que c'est Mahâsaraswati qui lui a rendu la vie (il a tout de même beaucoup de dévotion pour moi, mais cela ne fait rien...). Je ne veux pas qu'on le sache. Je ne lui ai rien dit à lui, je lui ai souri – si: je lui ai dit: «Vous êtes réceptif.» Et alors quand il a exprimé sa gratitude, je lui ai dit: «On avait besoin de vous pour faire du travail.» Comme cela, très simplement.

Mais cela m'a intéressée, parce que... Généralement c'est comme cela: la Force est là à travailler, et si quelque chose vient (une demande de quelqu'un, une prière ou quelque chose), généralement tout cela reste absolument immobile (geste au front), immobile, laissant seulement la Force passer, et tout ce que je fais quelquefois, c'est simplement (geste d'offrande ou de présentation vers le haut): «Seigneur, voilà cette tâche, c'est pour Toi.» Voilà, et je laisse. Mais là, j'étais assise à ma table (on avait reçu le télégramme) et je me suis concentrée, et tout à fait volontairement, consciemment, je l’ai mis en contact avec la Force. Parce qu'il y avait tout un monde de suggestions, il s'attendait à ce que ce soit fini: «Cette fois, c'est fini.» Alors, à cause de cela, j'ai concentré et mis la formation.

(silence)

C'est fini, cette «notation»?

Non, cela continue:

«...C'est un équilibre très supérieur.

«Cela m'a fait souvenir de Théon qui disait que le monde avait été émis et réabsorbé six fois; en somme, qu'il y avait eu six créations, six pralaya.2 Nous en étions à la septième création, la dernière. Le monde trouverait un nouvel équilibre, un équilibre supérieur, non pas statique mais progressif, c'est-à-dire qu'il y aurait un progrès indéfini dans l’équilibre et l’harmonie, sans pralaya.»

(24.4.67)

Ça, je te l’avais dit déjà plusieurs fois.3

Mais l’histoire de S, je ne veux pas que cela paraisse; je ne veux pas avoir l’air de me vanter de lui avoir sauvé la vie, tu comprends! Cela pourrait avoir des conséquences tout à fait fâcheuses pour lui-même... Je l’ai seulement raconté à Pavitra parce que j'étais encore sous l’expérience, je venais de voir cet homme: quand il est entré, je l’ai à peine reconnu! C'est-à-dire que j'avais l’impression d'un homme complètement renouvelé. Et il l’a senti (ce qui est intéressant), il a dit: «Oh! mais c'est comme si le vieil homme était mort, je suis un nouvel homme.» C'est-à-dire que je lui ai retrouvé l’énergie que je lui connaissais il y a vingt ou trente ans.

13 mai 1967

(Une disciple demande à Mère la permission d'amener un orangutang afin de le faire «participer à l’éducation».)

Il y en a déjà qui ont protesté contre le Toth (le premier singe de la disciple), s'il y a un orangutang, on me fera des reproches!... Parce que naturellement, les domestiques avaient peur, même les voisins, enfin ils ne trouvaient pas cela agréable. Une fois, Toth est entré dans la chambre, alors la bonne a commencé à hurler, le voisin est arrivé (heureusement qu'il a assez d'esprit), il est resté tranquille et il a simplement regardé Toth, assez sévèrement probablement. Alors Toth est parti sans qu'il soit rien arrivé. Mais d'autres fois, quand Toth n'est pas content, il déchire les draps ou je ne sais quoi. Enfin le voisin est venu me trouver et m'a dit l’incident (il y a longtemps de cela), je lui ai dit: «Vous n'y entendez rien du tout! Il se trouve heureusement que vous êtes de nature paisible, mais les animaux sont extrêmement sensibles aux sentiments que l’on éprouve ou à la sensation que l’on a: si vous avez peur, ils ont imédiatement peur; si vous vous mettez en colère, imédiatement ils se mettent en colère; et si vous êtes doux, gentil, affable, ils deviennent doux, gentils, affables.» Alors il a bien compris et depuis ce moment-là, tout va bien. Mais il n'est pas seul dans la maison... Un orangutang, c'est grand, n'est-ce pas!

Ce Toth est vraiment remarquable. Je t'ai dit ce qui est arrivé quand je l’ai vu la première fois? (Et j'ai beaucoup insisté, j'ai demandé à Y si elle lui avait fait la leçon, et elle ne lui avait absolument rien dit – rien appris, rien dit.) Il est arrivé avec elle, et dès qu'il m'a vu (il était sur le bras de Y), il s'est mis les mains jointes! et puis il m'a fait un discours. Sa bouche bougeait: on n'entendait pas de sons, mais sa bouche bougeait. Et puis une expression... Alors je l’ai complimenté, et imédiatement il a sauté sur mes genoux, puis il s'est blotti dans mes bras, et... il est parti en semi-transe – plus bougé, immobile. Ça a duré au moins cinq minutes. Après les cinq minutes, j'ai pensé: «Il ne peut tout de même pas rester là tout le temps, il vaudrait mieux qu'il s'en aille!» – Alors il a ouvert les yeux et il est parti!... C'est une réceptivité beaucoup plus remarquable que chez les êtres humains. Puis il a regardé l’entourage, il a regardé par la fenêtre, enfin il s'est intéressé à l’endroit. Puis il a regardé de nouveau de mon côté et il est revenu sur mes genoux, et il s'est mis contre mon épaule.

J'ai demandé (longtemps après, un an après), j'ai demandé à Y s'il avait l’habitude de saluer les mains jointes; elle m'a dit: «Il ne l’a jamais fait, il ne l’a fait qu'avec toi.» C'est évidemment une sensibilité spéciale. N'est-ce pas, le signe d'une confiance absolue, comme cela, blotti contre moi.

Maintenant il est très grand, il est d'âge mur, il a des dents... des dents de léopard, des canines de léopard. Mais il est doux comme un agneau. Mais l’orangutang...

Elle veut que M lui ramène un orangutang de Nouvelle-Calédonie. Tu vois M conduisant par la main un orangutang!... Ça a assez de charme! (Mère rit)... Et s'il l’amenait dans ma chambre!

Mais ils ont vraiment beaucoup de charme, les animaux. Je dois dire que nous nous entendons très bien. Toute la perversion que l’activité mentale a amenée dans la conscience humaine n'est pas là (excepté chez ceux qui ont vécu avec l’homme), mais ceux qui viennent tout droit du dehors ont une simplicité, une sorte de candeur qui est très charmante. Et une réceptivité étrange, n'est-ce pas, beaucoup plus spontanée que la réceptivité humaine.

Maintenant, c'est changé, il y a toute une race de petits enfants (je te l’ai dit l’autre jour) qui est très réceptive. Et ils sont charmants. Ils sont charmants.

17 mai 1967

Je ne sais pas si cela t'intéresserait.. J'ai lu un article sur le pouvoir électrique des cellules.1

[^]: Sunday Standard, 14 mai 1967.

Oh!

Un professeur italien au Mexique a fait des recherches. Il dit: «Les cellules humaines peuvent engendrer assez d'énergie électrique pour électrocuter un homme à six mètres de distance... Le Dr. Ruggiero pense que ses expériences sur les cellules humaines pourraient aboutir à la guérison de la paralysie et il dit que l’écran d'énergie électrique produit par les cellules humaines pourrait même arrêter les balles. l’énergie électrique pourrait faire une "dynamo humaine" capable non seulement d'infliger la mort mais littéralement de marcher dans les airs. Si l’on reliait des fils au corps humain, les cellules pourraient produire assez d'énergie et de lumière pour suppléer aux besoins électriques d'une maison moyenne ou d'une petite manufacture. Dans les expériences réalisées à son laboratoire de Mexico, le Dr. Ruggiero a tiré d'une chèvre un courant suffisant pour allumer une série d'ampoules de 40 watts et déclencher une sonnette électrique...»

Mais on savait depuis longtemps que les chats – la peau des chats – était pleine d'électricité. On s'en servait pour guérir les rhumatismes.

Il dit que cette électricité pourrait être utilisée pour réactiver des cellules mortes ou paralysées ou cancéreuses... Et il conclut: «Le corps humain est virtuellement une pile électrique vivante. l’ère de l’énergie électrique humaine est à notre portée.»

C'est la même chose que la force magnétique. C'est tout la même Force! Au fond, cela paraît être l’expression du Pouvoir, mélangé suivant les états (geste en étage): le mental, le vital, ou bien la forme purement matérielle où ce serait l’électricité.2

Ça me paraît être cela.

Du temps où j'avais des réunions à Paris d'après le système de Théon (il n'appelait pas cela des méditations, mais du «repos»: «Avoir du repos ensemble»), à ce moment-là, dans nos réunions, il y avait une sorte de vibration de lumière qui sortait de mes doigts (elle était visible à l’œil nu), mais c'était comme de l’électricité. Et cela, c'était une force vitale concentrée. C'était visible comme une vibration de lumière qui sortait des doigts.

Ce doit être la même chose.

Au fond, tout cela est pareil, ce sont des aspects différents de la même chose (même geste en étage).

Je me souviens, la première fois que j'ai donné une fleur X (un tantrique), mes doigts ont touché les siens et il a eu comme un sursaut, puis il a dit à quelqu'un en sortant qu'il y avait comme une vibration ou... (je ne me souviens plus de ses mots), un courant, je ne sais pas, qui avait traversé tout son corps, comme un courant électrique. Simplement, en lui donnant la fleur, il a touché mes doigts.

Moi, je crois que tout cela est la même chose, seulement c'est leur notation matérielle du Fait. C'est tout. Mais pour leur intelligence, cela devient beaucoup plus réel, concret. Mais c'est la même chose.

Le Seigneur en vibrations électriques! (Mère rit)


Vers la fin de l’entrevue

l’action est précipitée...

On verra plus tard.

10 mai 1967

(Le disciple lit à Mère un ancien Entretien du 23 mai 1956 où Mère pose soudain diverses questions sur la prononciation des anciens hiéroglyphes égyptiens.)

Qu'est-ce qui a déclenché tes questions? Quelque chose de particulier?

Cela m'intéressait beaucoup en un temps, de savoir. J'ai essayé de rappeler le souvenir des éléments qui ont vécu à ce moment-là, mais...

Oui, tu dis: «Je me suis demandé comment ils avaient restauré les noms des pharaons et des dieux.» Tu demandes après: «Est-ce que le langage des Égyptiens est contemporain du plus ancien sanscrit, ou plus ancien?... Ou est-ce que l’un des langages humains remonte plus loin que le plus vieux sanscrit?» Et tu demandes encore: «Est-ce que ce langage égyptien hiéroglyphique est apparenté à la ligne chaldéenne ou à la ligne aryenne?»

Oui, tout cela est très intéressant, mais je ne peux pas avoir de réponse. Il y a un manque total.

Tu avais entendu des sons? ou quoi?

(Après un silence) Tiens, je te donne un exemple. Il y a à peu près deux ans, j'ai eu une vision à propos du fils de U. Elle me l’avait amené (il n'avait pas tout à fait un an) et je venais de le voir là (dans la chambre de musique). Il me donnait l’impression d'être très connu, mais je ne savais pas quoi. Et puis, dans l’après-midi du même jour, j'ai eu une vision. Une vision de l’ancienne Égypte, c'est-à-dire que j'étais quelqu'un, la grande-prêtresse ou je ne sais qui (parce qu'on ne se dit pas à soi-même «je suis un tel ou un tel»! l’identification est totale, il n'y a pas d'objectivation, alors je ne sais pas). J'étais dans un monument admirable, immense! si haut! mais tout nu: il n'y avait rien, excepté un endroit où il y avait des peintures magnifiques. Alors là, j'ai reconnu les peintures de l’ancienne Égypte. Et je sortais de mes appartements, j'entrais dans une espèce de grand hall: il y avait une sorte de gouttière (par terre) qui courait pour ramasser l’eau tout autour des murs. Et alors j'ai vu le petit (qui était à moitié nu) qui jouait là-dedans. Et j'étais très choquée, j'ai dit: «Comment! c'est dégoûtant» (mais les sentiments, les idées, tout cela se traduisait en français dans ma conscience). Le précepteur est venu, je l’ai fait appeler. Je l’ai grondé. J'ai entendu des sons. Eh bien, je ne sais pas ce que j'ai dit, je ne me souviens plus de ces sons. J'ai entendu les sons que je prononçais, je savais ce que cela voulait dire, mais la traduction était en français, et les sons, je ne m'en suis pas souvenue: Je lui parlais, je lui disais: «Comment! vous laissez cet enfant jouer là-dedans?» Et lui, m'a répondu (et je me suis éveillée sur sa réponse) en me disant (je n'ai pas entendu les premiers mots, mais dans ma pensée c'était): «Telle est la volonté d'Amenhotep.» Amenhotep, j'ai entendu, je me suis souvenue. Alors j'ai su que le petit était Amenhotep.1

Donc je sais que j'ai parlé; j'ai parlé dans une langue; mais je ne me souviens plus. Je me suis souvenue d'Amenhotep parce que je le sais dans ma conscience active: Amenhotep. Mais autrement, les autres sons ne sont pas restés. Je n'ai pas la mémoire des sons.

Et je sais que j'étais sa mère; à ce moment-là, j'ai su qui j'étais, parce que je sais qu'Amenhotep est le fils de tel et telle (j'ai d'ailleurs recherché dans l’Histoire). Autrement il n'y a pas de connexion: un trou.

J'admire toujours ces médiums (qui sont généralement des gens très simples) qui ont la mémoire exacte du son, qui peuvent vous dire: «Voilà, j'ai dit ça et ça.» Comme cela, on aurait la notation phonétique. Si je me souvenais des sons que j'ai prononcés, on aurait la notation, mais je ne me souviens pas.

Je me souviens de ces questions; tout d'un coup, je me suis dit: «Ce serait si intéressant si l’on entendait ce langage!» Et alors, la curiosité: «Comment ont-ils retrouvé la prononciation? Comment?» D'ailleurs, tous les noms que l’on nous enseignait quand nous étions tout petits, dans l’histoire ancienne, ont été changés aujourd'hui. Ils ont dit qu'ils avaient retrouvé les sons, ou du moins ils ont prétendu qu'ils avaient retrouvé les sons. Mais je ne sais pas.

C'est la même chose pour l’ancienne Babylonne: j'ai des souvenirs extrêmement précis et tout à fait objectifs, mais quand je parle, je ne me souviens pas des sons que je dis, seulement il y a la traduction mentale.

Je n'ai pas la mémoire des sons.

Alors, comment ont-ils retrouvé? Tu sais, toi?

Ils ont fait des recoupements. C'est ce que t'explique d'ailleurs Pavitra. On a retrouvé des pierres où il y avait des inscriptions en égyptien, en grec et en copte: la même chose dite dans ces trois langues. Alors on a reconstitué.

Maintenant, avec le gramophone et tout cela, on se souviendra, mais il n'y avait pas la notation du son.

Je m'étais demandé ce qui avait déterminé toutes tes questions.

C'est comme cela, c'est la conscience que je n'ai pas la mémoire des sons. Il y a des gens qui ont la mémoire des sons, je n'ai pas la mémoire des sons. Alors cela m'intéresserait de le savoir. Autrement j'ai toujours pu (quand il y avait quelque chose du passé qui était pour moi douteux, ou intéressant ou incomplet), j'ai toujours eu le moyen de le faire revenir dans la conscience. Mais les sons ne viennent pas. Ça vient comme un état de conscience qui se traduit mentalement, et alors il se traduit mentalement par les mots que je connais. Alors ce n'est pas intéressant du tout.

Même maintenant, même quand je faisais de la musique, la mémoire des sons était vague et incomplète. J'avais la mémoire des sons que j'entendais dans l’«origine de la musique» (geste là-haut), et alors, quand la musique matérielle reproduisait quelque chose de ces sons, je les reconnaissais; mais il n'y a pas cette précision, cette exactitude qui fait que je pourrais reproduire avec la voix ou avec un instrument exactement le son. Ce n'est pas là, ça manque. Tandis que la mémoire des yeux était... elle était stupéfiante. Une chose que j'avais vue UNE fois, c'était fini, jamais oublié.

Plusieurs fois comme cela, dans des visions (des «visions», enfin des souvenirs: des souvenirs revécus), j'ai parlé la langue de ce moment-là, je l’ai parlée, je me suis entendue parler, mais le son n'est pas resté. Le SENS de ce que j'ai dit est resté, mais le son n'est pas resté.2

C'est dommage.

(Mère entre en méditation)


Après la méditation, Mère dit ce qu'elle a vu:

C'était le symbole de la voie qui s'ouvre toute grande, facile – pas «facile»: en elle-même dangereuse, mais tout à fait facile, que l’on faisait facilement. C'était comme un transport en auto (mais ce sont des images) et ça allait avec une rapidité vertigineuse, comme si c'était un pouvoir – un pouvoir que rien ne pouvait arrêter.

Tu étais là.

24 mai 1967

Hier, quelqu'un m'a écrit pour me dire:

«Après tout, qu'est-ce que le Divin?»

J'ai répondu.

Je lui ai dit que, pour l’aider, je donnais une réponse, mais qu'il pourrait y en avoir une centaine, qui seraient toutes aussi bonnes les unes que les autres:

«Le Divin se vit, mais ne peut se définir...

Et là, j'ai ajouté: «Mais enfin, comme tu me poses la question, je te réponds.»
«Le Divin est un absolu de perfection, source éternelle de tout ce qui existe, dont nous devenons conscients progressivement, tout en l’étant de toute éternité.»

Une fois, Amrita me disait aussi que c'était pour lui quelque chose de simplement impensable. Alors je lui ai répondu: «Non! cela n'aide pas comme cela. Vous n'avez qu'à penser que le Divin est tout (au maximum, n'est-ce pas), tout ce que nous voulons devenir dans notre aspiration la plus haute, la plus éclairée. Tout ce que nous voulons devenir, c'est cela le Divin.» Il était si content! il m'a dit: «Oh! comme cela, ça devient facile!»

Mais quand on regarde – que l’on regarde en sortant de l’activité mentale, que l’on regarde l’expérience que l’on a – et que l’on se dit: «Comment dire cela? Comment expliquer cela?»... Ce qui est le plus proche, le plus accessible, c'est ceci: dans ce «quelque chose» que nous aspirons à devenir, nous mettons instinctivement, spontanément, tout ce que nous voulons qui soit, tout ce que nous concevons de plus merveilleux, tout ce qui est l’objet d'une aspiration intense (et ignorante), tout cela. Et avec tout cela, on approche de «quelque chose» et... Au fond, ce n'est pas par la pensée qu'on a le contact; on a le contact par quelque chose d'IDENTIQUE dans l’être, qui s'éveille par l’intensité de l’aspiration. Et alors, pour soi-même, dès que l’on a obtenu ce contact – cette fusion –, ne serait-ce qu'une seconde, il n'y a plus besoin d'expliquer: c'est quelque chose qui s'impose d'une façon absolue et qui est en dehors, et au-delà, de toute explication.

Mais pour y aller, chacun y met tout ce qui le conduit le plus facilement.

Et quand on a l’expérience, au moment de cette fusion, de cette jonction, il est évident pour la conscience que c'est seul l’identique qui peut connaître l’identique, et que, par conséquent, c'est la preuve que C'est là (Mère désigne le centre du cœur). C'est une preuve que C'est là. Et par l’effort de l’aspiration, Ça s'éveille.

Quand j'ai reçu la question, c'était tout à fait comme si cette personne me disait: «Oui-oui, tout cela est très bien, mais après tout qu'est-ce que c'est que le Divin!» Alors j'ai lu sa lettre, il y a eu cela, ce silence total, de tout, et comme UN seul regard – un seul regard rassemblant tout – et qui veut voir... Je suis restée comme cela à regarder jusqu'à ce que les mots soient venus, alors j'ai écrit: «Voilà UNE réponse.» – Il pourrait y en avoir une centaine... qui seraient toutes aussi bonnes.

Et en même temps, quand il y a eu ce regard vers le «quelque chose» qu'il fallait définir, il y avait un grand silence partout et une grande aspiration (geste comme une flamme qui monte), et toutes les formes que cette aspiration a prises. C'était très intéressant... l’histoire de l’aspiration de la terre... vers l’Inconnu merveilleux que l’on veut devenir.

Et chacun – chacun qui était destiné à faire la jonction –, dans sa simplicité croit que le pont qu'il a suivi est le seul pont. Résultat: religions, philosophies, dogmes, credo – bataille.

Et vu d'ensemble, c'est très intéressant, très charmant, avec un Sourire qui regarde, oh! ce Sourire... qui regarde. Ce Sourire, c'est comme s'il disait: «Vous en faites des complications! et ce serait si simple.»

Pour l’exprimer d'une façon littéraire, on pourrait dire: «Tant de complications pour une chose si simple: être soi-même.»

(silence)

Et toi, que penses-tu que c'est, le Divin?

Je ne sais pas, c'est un genre de question que je ne me pose jamais.

Moi non plus! Je ne me suis jamais posé la question. Parce que, spontanément, dès qu'il y a eu un besoin de savoir, il y a eu une réponse. Et une réponse, pas avec des mots que l’on discute, une réponse... un quelque chose comme cela: une vibration. C'est une chose qui est presque constante maintenant.

Naturellement, les hommes font des difficultés (je crois qu'ils doivent les aimer beaucoup parce que...), pour tout, pour la moindre chose, il y a toujours un monde de difficultés. Alors on passe son temps à dire: «Quiet-quiet-quiet – soyez tranquilles.» Et le corps lui-même vit dans les difficultés (il semble les aimer aussi!), mais tout d'un coup, les cellules chantent leur OM... spontanément. Et alors c'est comme une joie d'enfant dans toutes ces cellules, qui disent (Mère prend un ton émerveillé): «Ah! oui, on peut faire cela? On a le droit de faire cela!» C'est touchant.

Et le résultat est imédiat: c'est cette grande Vibration, paisible, toute-puissante.

Mais moi, si je n'étais pas sous la pression constante de toutes les volontés de l’entourage, je dirais: «Pourquoi voulez-vous savoir ce que c'est que le Divin? Qu'est-ce que cela peut vous faire! – Il n'y a qu'à le devenir!». Mais ils ne comprennent pas la plaisanterie.

– Je veux savoir ce que c'est que le Divin.

– Mais non! tout à fait inutile.

– Ah!

Ils vous répondent d'un air scandalisé: «Ah! ce n'est pas intéressant??»

– Tu n'as pas besoin de le savoir: il faut le devenir.

Pour eux, je veux dire l’immense majorité intellectuelle, ils ne conçoivent pas que l’on puisse faire ou être quelque chose sans savoir ce que c'est.

Cela aussi, on pourrait le dire, si l’on aimait la plaisanterie: «C'est quand on ne le sait pas, que l’on est le plus Divin.»1


(Peu après, Mère lit une lettre de Sri Aurobindo, du 25 janvier 1935, sur le communisme russe et la spiritualité.)

«Je sais que les Russes expliquent les récentes tendances au mysticisme et à la spiritualité comme un phénomène de la société capitaliste en décadence. Mais interpréter tous les phénomènes de l’histoire humaine par des causes économiques, conscientes ou inconscientes, fait partie de l’évangile bolchevique né des sophismes de Karl Marx. La nature de l’homme n'est pas si simple que cela et elle a plus d'une corde; elle a de nombreuses lignes et chaque ligne crée un besoin dans notre vie. La ligne spirituelle ou mystique est l’une de ces lignes et elle tente de se satisfaire de diverses manières: par des superstitions de toutes sortes, par une religiosité ignorante, par le spiritisme, le démonisme et que sais-je; dans les parties plus éclairées de l’être humain, par des philosophies spirituelles, par un occultisme supérieur, etc.; à son sommet, par l’union avec le Tout, l’Éternel ou le Divin. Les tendances à la recherche spirituelle ont commencé en Europe par un dégoût du matérialisme scientifique du XIX siècle, une insatisfaction de la soi-disant suprême suffisance de la raison et de l’intellect, et une recherche tâtonnante de quelque chose de plus profond. Ce phénomène a commencé avant la guerre [de 1914], à un moment où il n'y avait pas de menace communiste et quand le monde capitaliste était au sommet de ses triomphes et de son succès insolent, et il est né d'une révolte contre la vie bourgeoise matérialiste et ses idéaux, et non d'un effort pour servir ou sanctifier les idéaux bourgeois. Il a été à la fois servi et contrecarré par la désillusion qui a suivi la guerre: contrecarré parce que le monde de l’après-guerre est retombé dans le cynisme de la vie sensuelle ou dans des mouvements comme le fascisme et le communisme; servi, parce que l’insatisfaction des idéaux du passé ou du présent avec toutes leurs solutions mentales, vitales ou matérielles du problème de la vie, s'est accrue chez les esprits plus profonds, ne laissant plus que le chemin spirituel. Il est vrai que la pensée européenne a peu de lumières sur ces questions et qu'elle joue avec les jeux-follets du vital tels le spiritisme ou la théosophie, à moins qu'elle ne retombe dans la vieille religiosité, mais les esprits plus profonds dont je parle, dépassent cela ou passent à travers cela, en quête d'une harmonie plus grande. J'en ai rencontré beaucoup et les tendances que j'ai décrites sont très claires. Ils viennent de tous pays; seule une minorité venait d'Angleterre ou d'Amérique. La Russie est une autre affaire; contrairement aux autres pays, elle s'est attardée à une religiosité médiévale sans passer par une période de révolte, et quand la révolte est venue, elle était naturellement anti-religieuse et athée. C'est seulement quand cette phase sera épuisée que le mysticisme russe pourra revivre et prendre une direction spirituelle au lieu d'une étroite direction religieuse. Il est vrai que c'est un mysticisme à l’envers qui a créé le bolchevisme et fait de son entreprise un dogme plutôt qu'un thème politique, une quête du millénium secret du paradis sur la terre plutôt qu'une édification d'une structure purement sociale. Mais d'une façon générale, la Russie cherche à réaliser sur une base communiste tout ce que l’idéalisme du XIXe siècle avait espéré atteindre, sans y réussir, au milieu d'un monde de concurrence industrielle ou contre lui. Réussira-t-elle mieux vraiment? l’avenir le dira, car à présent elle s'accroche à ce qu'elle a avec une rigidité et une autorité violente qui ne sont pas encore passées.»

Sri Aurobindo
(25 janvier 1935)

Quelle merveilleuse clarté de vision! Et si totale, n'est-ce pas, qui n'oublie rien.

Et chaque mot plein de sens.

Les choses vont vite en ce moment. Il avait bien vu: ça fait tout cela, c'est en train de galoper.

Et les Américains!... Ils prétendaient vouloir faire une «campagne pour le désarmement», mais eux-mêmes n'en sentent pas la possibilité: ils sont pleins de crainte et de méfiance; alors leur «solution», c'est qu'ils vendent des armes à tout le monde! (Mère rit) avec l’idée (d'abord de gagner de l’argent) et puis d'«égaliser»!

26 mai 1967

(À propos du Message du nouvel an: «Hommes, nations, continents, le choix est impératif: c'est la Vérité ou l’abîme.» Un disciple pose la question suivante à Mère: «Qu'est-ce que vous entendez par «abîme»?)

En ce moment, il y a une très grande tension. Ils ont tous pris position comme pour commencer une guerre. Les hommes mettent une passion aveugle dans leurs relations internationales.

À la base de tout, il y a la peur, la méfiance générale et ce qu'ils croient être leur «intérêt» (l’argent, les affaires). Une combinaison de ces trois choses. Quand ces trois passions les plus basses se mettent en mouvement dans l’humanité, c'est ce que j'appelle l’«abîme».

Mais quand quelqu'un a décidé de consacrer sa vie à la recherche du Divin, s'il est sincère, c'est-à-dire si sa résolution est sincère et sincèrement mise en actes, il n'y a absolument rien à craindre, parce que tout ce qui lui arrive ou lui arrivera le conduira à cette réalisation par le plus court chemin.

Ça, c'est la réponse de la Grâce. Les gens croient que la Grâce signifie que tout sera facile dans leur vie. Ce n'est pas vrai!

La Grâce travaille à la réalisation de votre aspiration, et tout est arrangé pour que vous arriviez le plus vite, le plus promptement à la réalisation – par conséquent, il n'y a rien à craindre.

La peur vient de l’insincérité. Si vous voulez une vie confortable, des circonstances agréables, etc., vous posez des conditions et des limites – alors vous pouvez avoir peur.

Mais ça n'a rien à voir avec la sâdhanâ.

27 mai 1967

Tu te souviens de S.B.? Il était ici... C'était un homme qui avait beaucoup de disciples, il avait des pouvoirs yoguiques. Il était venu ici et il avait eu une espèce de coup de foudre quand il avait vu Sri Aurobindo: il s'est évanoui. Après, il a dit que c'était par la puissance de la révélation. Il est resté ici pendant des années et des années; il habitait là, en bas. Et il était parti; n'est-ce pas, il recevait tous ses disciples ici, j'ai dit: «Non, ça ne va pas, il vaut mieux avoir une chambre ailleurs.» Alors il est parti. Et pendant des années et des années, on n'en a plus entendu parler. Depuis quelque temps, il s'est remanifesté (la nuit, je le voyais relativement souvent), et il s'est remanifesté avec une ardeur, un enthousiasme! Et il vient d'envoyer cette carte, de Riga, en Lettonie – il devait aller en Russie (Mère tend la carte au disciple:)

«Salutations. Je me souviens de ta merveille. J'ai parlé de notre Maître divin et de ta douceur dans une grande conférence ici. Bénis-moi. Toujours à toi.»

Il était en Russie... Ça lui est revenu tout d'un coup: un grand enthousiasme.

Il avait habité un temps cette maison du coin qui est maintenant le «bureau d'Auroville», et dans cette maison, le toit est inégal (il y a une partie qui est à une certaine hauteur, et tout d'un coup, sans aucun avertissement, ça descend un demi étage plus bas), et alors il marchait en méditation là-haut et puis il est tombé, et il paraît qu'il venait de prendre son repas, il y a eu une obstruction. Et il dit qu'avec une heure de concentration, il s'est guéri. C'est possible...

Il était à la fois très enfantin, très enthousiaste, très vantard, mais avec une ferveur qui était assez bien. Une espèce d'enthousiasme très jeune... Maintenant il doit être assez âgé. Et je le vois toujours au milieu d'une grande foule. C'est un homme qui sait se faire écouter. Pas tout à fait indifférent. Mais je n'ai pas travaillé pour qu'il s'en aille d'ici; il s'était querellé avec je ne sais qui, puis il a commencé ouvertement à recevoir un grand nombre de disciples; j'ai dit: «Il vaudrait mieux que vous voyiez vos disciples ailleurs.» Alors il est parti.

Il écrit beaucoup de livres en tamoul.

C'est la seconde carte que j'ai reçue. Dans la première, il disait qu'il allait pour son second tour du monde, particulièrement en Europe, et qu'on l’avait appelé en Russie. Et il a écrit tout un livre (en tamoul) sur le yoga de Sri Aurobindo.


Après un silence

D est partie pour les zones tibétaines (pas au Tibet, ce n'est pas possible, mais là-haut où sont les réfugiés tibétains), avec quelque chose comme l’espoir de trouver un gourou. Mais je l’ai vue hier et elle a beaucoup changé. Hier, elle m'a dit qu'un jour (je ne sais pas où elle avait lu quelque chose de moi, parce que généralement elle ne lit pas), elle m'a dit: «Oh! j'ai eu une révélation, j'ai tout d'un coup compris que je ne comprenais rien à ce que tu dis! parce que nous ne donnions pas le même sens aux mots.» J'ai dit: c'est vrai (!) «Et alors maintenant j'ai compris, j'ai compris comment c'est quand on ne comprend pas!»... Et elle était ennuyée parce que naturellement tout le monde dit: pourquoi allez-vous là-bas chercher ce que vous avez ici? Je lui ai répondu: «Qu'est-ce que cela peut faire! C'est très simple, tu n'as qu'à leur répondre la vérité: c'est que tu n'es pas prête pour rester ici.» Elle m'a dit: «Oui, c'est ce que j'essaye de leur dire.» (Elle essaye de le leur dire d'une façon détournée.)

Mais elle a une grande sincérité dans l’aspiration...

Elle est partie. Et ce matin avant de s'en aller, elle m'a envoyé la fleur «lumière sans obscurité».1


Peu après Mère entre dans une longue méditation

J'ai vu une série de roses, grosses comme cela (environ 25 cm) qui venaient l’une après l’autre, magnifiques! de toutes sortes de couleurs, et qui voulaient certainement dire quelque chose: elles venaient, elles se présentaient, comme si elles faisaient un petit salut, et puis elles s'en allaient, et puis une autre arrivait – de grosses roses comme cela... Parce que je me suis plainte tout à l’heure!2 C'était juste en face de toi (geste à hauteur du cœur), des roses magnifiques et d'une forme parfaite, et toutes sortes de couleurs.

Au fond, ça (les méditations), c'est ma paresse. Quand je reste comme cela, ça devient tout de suite très agréable et il y a toujours quelque chose de joli à voir. C'est ma paresse.

On est bien comme cela.

Ah! oui!

Simplement, on arrête tout, et puis... C'est comme si (je le mets en mots): «Ta présence, Seigneur, qu'il n'y ait plus que Ça», et puis c'est fini, tout s'arrête. Alors quelquefois je ne vois rien, quelquefois... Mais c'est une ironie, dis-moi, quand tu es là, je vois toujours quelque chose!... Quelquefois je ne vois rien du tout, simplement comme ça (geste béatifique). Quelquefois j'entends, mais c'est quand la concentration est moins profonde: on entend.

Mais ça, c'était très joli! j'avais un spectacle très joli! Et ça venait comme... tu sais, comme quand on met des slides [diapositives]: ça vient d'un côté, ploff! ça se présente, et puis ça s'en va, et puis de l’autre côté, ça vient, ploff! et puis ça s'en va. Et c'était toujours là, devant toi.

Il faut travailler.

Moi, je suis mentalement fatigué.

Tu es fatigué... Mais il ne faut pas que le mental bouge! il faut qu'il reste comme cela. Oh! c'est horrible quand le mental travaille.

Mais il y a un travail mental à faire.

Je t'admire beaucoup!

Oui, moi aussi! et je me plains.

Alors quand je suis comme cela, au maximum de ma paresse, est-ce qu'au moins cela te repose?

Ah! oui, sûrement.

(Mère range les papiers qu'elle avait sortis et s'apprête à reprendre la méditation)

Non-non! je suis reposé.

C'est dommage, tu me donnais une chance!


(Puis le disciple lit un texte de l’Agenda qu'il propose de publier dans le prochain Bulletin, avec quelques coupures.)

C'est justement le passage qui m'intéresse le plus!

Ça ne fait rien. Ceux que cela choque pensent que je suis ramollie.

Je ne peux plus rien lire – quand on commence à me lire quelque chose, je trouve cela embêtant! Des mots, des mots, des mots...

(protestations du disciple)

Déjà, personne ne comprend plus rien à ce que j'écris. Timidement, quelques personnes ont osé me le dire.

Ça ne fait rien, fais une copie du tout, et puis je le montrerai au très sage Pavitra. Si, lui, dit que cela peut aller... (Mère rit) alors...

Il y aura toujours des gens qui ne comprendront pas.

La majorité.

Qu'est-ce que cela peut faire!

S'il y en a un qui comprend, ça suffit.

30 mai 1967

(Mère donne au disciple un paquet de potage d'Israël)

Pauvre Israël..

Oh! c'est dégoûtant! voilà encore une histoire dégoûtante.1

Ah! oui... C'est une histoire montée de toutes pièces, et l’Inde – l’Inde...

Bah!

l’Inde qui vient donner son appui à cet individu. C'est triste.
C'est une vilaineté qu'ils ont fait là.

J'ai reçu une lettre de quelqu'un (pas de là-bas) qui me dit qu'il y a un tel esprit de fraternité et de collaboration dans le pays, qu'il n'a vu cela nulle part ailleurs comme cela, si fort.

l’humanité semble vouloir faire de très vilaines choses.

Oui. Mais que l’Inde, qui devrait être un porte-parole de quelque chose d'un petit peu plus vrai... Ça fait vraiment mal au cœur.

Oh! parce que la tendance naturelle ici est contre les musulmans, alors les gens qui se croient supérieurs disent qu'il faut être au-dessus de ses antipathies: «Nous allons être avec eux.» (Mère rit) Voilà la logique.


(Peu après, à propos de la lettre de Sri Aurobindo sur le communisme que Mère avait l’intention de publier dans le prochain Bulletin:)

Ah! mon petit, j'ai reçu une coupure du Figaro. Au commencement d'avril, l’attaché culturel de l’Ambassade de l’Inde à Paris a dit que le gouvernement soviétique avait exprimé le désir de «participer à la construction d'Auroville». Je n'ai pas encore confirmation, mais c'est là, dans le Figaro. Dans ce cas, si c'est exact, ce n'est peut-être pas opportun de publier la «fallacy» [le sophisme] de Karl Marx! (Mère rit) Il vaudrait peut-être mieux attendre un peu!... J'ai hésité beaucoup à le publier parce que c'est une lettre, et Sri Aurobindo m'avait toujours dit que, dans les lettres, il s'était exprimé très franchement au point de vue politique et social, mais qu'il ne voulait pas que ce soit publié. Alors pendant très longtemps, j'avais refusé que ce soit publié. Maintenant, nous sommes devenus plus flexibles; mais peut-être que cette coupure de presse est venue juste pour me dire qu'il était plus sage d'attendre un peu.

Oui, ce n'est pas nécessaire de les heurter.

Non, parce que ce n'est jamais qu'un côté de la question. Sri Aurobindo a toujours dit tous les côtés et si l’on met tout ensemble, cela fait quelque chose qui dépasse de beaucoup toutes les opinions des gens. Par conséquent, en publier juste une partie sans la contrepartie, ce n'est pas très bien.

Peut-être un moment viendra-t-il où il faudra dire la vision de Sri Aurobindo et comment le monde a évolué depuis qu'il en a parlé (ce serait très intéressant), et alors il faudrait retrouver tout ce qu'il a dit sur les différents sujets... Au point de vue religieux, j'y avais pensé depuis longtemps. Ce sont les deux choses, que l’on ne peut pas toucher sans éveiller imédiatement les passions humaines, et alors c'est cette vision tout à fait bornée, limitée, qui fait que les gens ne comprennent plus rien. La politique et la religion, il vaut mieux attendre un peu. Peut-être dans dix ans... C'est possible, les choses vont vite. Peut-être que dans dix ans, on pourra voir, dire un peu. En tout cas, cette lettre, il vaut mieux la mettre de côté. (Riant) Ce n'est pas le moment de leur jeter des cailloux!


Mère entre dans une longue méditation

Ce matin, à quatre heures et demie, j'étais en train de discuter avec toi!... sur la façon d'exprimer quelque chose! Et je me suis réveillée en prononçant une phrase (maintenant j'ai oublié). Je te disais: «Il vaut mieux dire comme cela.» À quatre heures et demie!

Avant, jamais je n'entendais des mots, jamais, c'est tout à fait nouveau. C'est depuis quelques semaines. Et toujours, je me réveille comme cela, en prononçant des paroles... Je ne faisais jamais cela avant!... Je ne sais pas pourquoi.

C'était la «meilleure façon» de dire... quoi? Je ne sais pas.

l’effet de la chaleur!

juin




3 juin 1967

A. écrit qu'il a reçu des gens à Paris, qui ont demandé des renseignements sur Auroville. Il a répondu une lettre, puis au moment de l’envoyer, il s'est dit: peut-être qu'après tout je ferais bien de la montrer à Mère. Il a envoyé la lettre – il a bien fait! Ces gens lui demandaient les conditions pour être admis à Auroville; il leur répond: «Oh! ce n'est pas encore décidé»! (Mère rit) Alors j'ai préparé un petit papier; parce qu'il dit simplement: «Oh! rien n'est décidé, on verra», comme s'il n'y avait encore personne comme Aurovilien. Je ne sais pas s'il l’a fait exprès pour décourager les gens; en tout cas, ce n'est pas bon d'écrire comme cela. Il y a déjà au moins trois ou quatre cents Auroviliens qui ont été reçus et j'ai signé. Alors on ne peut pas répondre comme cela... Je sais sur quoi il s'est basé, je lui avais dit qu'au point de vue matériel, les CONDITIONS DE VIE dans Auroville naturellement n'étaient pas fixées d'avance d'une façon arbitraire.

Voilà ce que j'ai mis:

«Au point de vue psychologique, les conditions essentielles sont:

1) La conviction de l’unité humaine essentielle et la volonté de collaborer à l’avènement de cette unité.

2) La volonté de collaborer à tout ce qui favorise les réalisations futures.»
C'est tout, ce n'est pas compliqué.

Et puis, au point de vue matériel:

«Les conditions matérielles seront élaborées au fur et à mesure de la réalisation.»

Ce n'est pas trop compliqué.

Naturellement, on mettra un mot pour dire que, pour le moment, après avoir lu les brochures où l’on dit «pourquoi Auroville», et adhéré à cela, les gens devront envoyer leur photographie avec une demande, et c'est moi qui les reçois ou non. Parce que tant que c'est un nombre limité, quelques centaines, c'est très facile de voir les photos et d'avoir comme cela un minimum de garantie que les farceurs n'entreront pas. Parce qu'il est très facile de vous dire: «Oh! je suis tout à fait convaincu et je veux participer», et ce sont des mots... Je ne peux pas voir tous les gens, mais même avec leur photographie, on peut suffisamment voir s'ils sont sincères ou ne le sont pas.


Peu après

Ah! j'ai quelque chose de beaucoup plus intéressant... Il y a K qui fait un cours (de sociologie, je crois), mais basé sur ce qu'écrit Sri Aurobindo. Et alors, tu sais qu'à l’École j'ai ENFIN obtenu qu'il ne soit pas indispensable de passer des examens; que si l’on fait preuve d'intérêt et d'attention pendant les classes, on peut passer à une classe supérieure sans avoir besoin d'un certificat ou de passer des examens.1 Enfin, après tant d'années j'ai obtenu cela! Alors on a dit aux élèves: «C'est comme vous voulez; si vous voulez l’examen, il y en a, vous pouvez en passer, mais si vous ne sentez pas le besoin d'examen, vous pouvez passer très bien, vous n'en avez pas besoin, vous passez dans les classes suivantes.» Mais K, qui a un cœur simple, croyait que tous ces gens avaient compris l’enseignement de Sri Aurobindo et qu'ils avaient un complet mépris pour les examens et les vieilles manières. Et il s'attendait à ce que ses élèves lui disent: «Oh! nous ne passons pas d'examen...» Et tous-tous-tous, sauf un seul, ont dit qu'il préféraient passer un examen afin d'avoir un certificat...

Il était très déçu. Il m'a dit: «Comment se fait-il qu'après tout cela... Enfin je croyais qu'ils avaient compris. Et après avoir étudié Sri Aurobindo, voilà qu'ils suivent les vieilles idées!» Puis il m'a dit: «J'ai trouvé dans une lettre de Sri Aurobindo un passage qui me donne peut-être l’explication, et je vous demande s'il faut que je fasse attention?» Je lui ai dit oui.

Voici la lettre, je trouve cela très bien:

«On peut dire d'une manière générale qu'un excès de zèle pour attirer les gens à la sâdhanâ, spécialement les très jeunes gens, n'est pas sage. Le sâdhak qui vient à ce Yoga doit être réellement appelé, et même si l’appel est réel, le chemin est souvent assez difficile. Mais quand on attire les gens dans un esprit de propagande enthousiaste, on risque d'allumer un feu imitatif et irréel, non le vrai Agni, ou un feu de paille qui ne peut pas durer et qui est submergé par l’assaut des vagues vitales. Il en est spécialement ainsi chez les jeunes gens, car ils sont malléables et se laissent aisément prendre à la contagion d'idées et de sentiments qui leur sont étrangers; un peu plus tard, le vital se lève avec ses exigences insatisfaites et ils sont ballottés entre deux forces contraires, ou bien ils cèdent rapidement à la puissante attraction de la vie et de l’action ordinaires et à la satisfaction des désirs, qui est la tendance naturelle de l’adolescence. Ou bien le réceptacle humain (adhar) qui n'est pas apte tend à souffrir sous là tension d'un appel pour lequel il n'était pas prêt, ou du moins pas encore prêt. Quand on a la vraie chose en soi-même, on passe au travers, et finalement on prend le plein chemin de la sâdhanâ, mais c'est seulement une minorité qui peut le faire. Il vaut mieux recevoir seulement ceux qui viennent d'eux-mêmes, et parmi ceux-là, seulement ceux en qui l’appel est authentiquement le leur et persistant»

Sri Aurobindo
6 mai 1935


Plus tard

Le 31, j'ai vu Y. Elle est restée à peu près une heure et elle m'a dit ses espoirs: elle voit la possibilité d'une espèce de télévision terrestre (je ne sais pas comment ce serait arrangé) avec un téléphone, et il y aurait un bureau central avec une collection des réponses à toutes les questions possibles, pour chaque question par l’homme éminent ou la personne qualifiée. Ce qui fait que l’on organiserait une éducation universelle (enfin terrestre) qui serait vraiment une éducation de tous les pays, où la connaissance et les meilleurs qualités au point de vue artistique, littéraire et scientifique de tous les pays seraient rassemblées dans une espèce de centre émetteur et on n'aurait qu'à se mettre en communication. Et alors, au lieu d'avoir des professeurs plus ou moins incapables pour enseigner ce qu'ils savent plus ou moins aussi, on aurait la réponse à toutes les questions, la réponse la plus qualifiée et la meilleure. Il y aurait donc vraiment sur toute la terre une éducation qui serait la meilleure possible et où chacun recevrait seulement ce qu'il veut; on ne serait pas obligé d'assister à des classes, de nombreuses classes inutiles, pour attraper le petit peu que l’on veut savoir: on aurait juste cela en se mettant en communication avec le centre; on demanderait tel et tel numéro et on l’aurait.

Si cela pouvait se réaliser, ce serait très bien. C'est-à-dire que les plus belles œuvres d'art, les plus beaux enseignements, tout le meilleur de ce que l’humanité VA produire serait rassemblé et à la portée de tous ceux qui auraient la télévision. Il y aurait l’image et il y aurait l’explication, ou bien il y aurait le texte ou la parole. Une espèce de bâtiment central formidable où tout serait rassemblé. Cela m'a paru assez attrayant. Je lui ai dit que l’on aurait cela à Auroville (pas le bureau central: seulement un poste récepteur). Elle m'a dit: au lieu de professeurs qui enseignent ce qu'ils savent mal, on aurait le meilleur enseignement sur chaque sujet... (Je ne lui ai pas demandé QUI choisirait ces gens? Là reste le point un peu délicat.) Mais l’idée m'a parue très attrayante. Elle dit que l’on est en marche vers cela.

Oui, mais c'est encore une sorte d'encyclopédie...

Oui.

C'est très intéressant, mais la meilleure éducation, c'est celle qui pourrait vous mettre en contact avec la région de la connaissance où l’on a toutes les réponses.

Ah! ça, ce serait très bien.

Oui, ce serait la vraie éducation. Ce n'est pas d'avoir la réponse dans une super-bibliothèque: c'est d'attraper quelque chose là-haut et on a toutes les réponses.

Mais c'est plus difficile, hein?

Peut-être pas... Quand j'étais gosse, j'avais tout à fait conscience que je pouvais TIRER quelque chose de là-haut et que, là-haut, il y avait la réponse. Les enfants ne savent pas, au fond. Si on leur disait, si on leur montrait, on leur faisait comprendre que la connaissance est là, qu'on peut l’attraper...

Oui.

On les habitue, au contraire, à se reposer sur les livres, sur les encyclopédies justement. Il a fallu que je vienne ici pour comprendre ce que cela voulait dire, pourquoi je «tirais» de là-haut C'est-à-dire que cela n'a pas été encouragé du tout quand j'étais enfant

Mais Z a fait des expériences comme cela. Il m'a dit l’histoire d'une fille à l’École, qui n'avait aucune imagination: quand on lui posait une question, elle pouvait dire seulement les choses qu'elle avait apprises, et quand on lui donnait un problème, elle ne pouvait jamais le résoudre. Elle était comme cela, bloquée là-haut. Et il lui a enseigné à essayer d'entrer en rapport justement avec la zone intuitive, en se taisant, en faisant le silence et en écoutant. Et au bout de quelque temps, il paraît qu'elle a eu des résultats extraordinaires, comme cela, en se taisant et en écoutant – des réponses qui étaient vraiment des réponses remarquables, qui venaient certainement du domaine de l’intuition. Et ça, c'est un fait pratique, il l’a fait à l’École.

Eh bien, c'est ce qu'il faudrait faire, c'est bien plus important

C'est beaucoup plus important qu'une machine.

J'ai écouté ce qu'elle a dit et j'ai simplement trouvé que c'était mieux qu'un recrutement de professeurs incompétents.

Mais il est resté encore un doute (que je n'ai pas discuté) sur la qualité du CHOIX des réponses. Tandis que si l’on va là-bas, à l’Origine, là on est sûr!

C'est ce qu'ils essaient de faire maintenant ici dans leurs nouvelles classes: de leur enseigner à se mettre en rapport avec la zone intuitive.

C'est certainement très supérieur.

7 juin 1967

J'ai quelque chose à ajouter à ce que nous avons dit l’autre jour à propos du Divin.1 Quelqu'un me demande: «Et qu'est-ce que c'est que ça, Dieu?»

C'est au sujet d'un texte de Sri Aurobindo. Le voici:

«l’amour nous fait passer de la souffrance de la division à la béatitude de l’union parfaite, mais sans perdre la joie de l’acte d'union, car c'est la plus grande découverte que l’âme puisse faire, et toute la vie du cosmos en est une longue préparation. Ainsi, s'approcher de Dieu par l’amour, c'est se préparer à l’accomplissement spirituel le plus grand qui soit.»

(La Synthèse des Yoga, XXI.III.523)

C'est à propos de cette dernière phrase, on me demande: «Qu'est-ce que Dieu?» Alors j'ai dit (j'ai pris le mot «Dieu»):

«C'est le nom que l’homme a donné à tout ce qui le dépasse et le domine, tout ce qu'il ne peut connaître mais qu'il subit.»

Au lieu de mettre «à tout ce qui le dépasse», on pourrait mettre «à CELA QUI le dépasse», parce que «tout ce qui», au point de vue intellectuel, est discutable. Je veux dire qu'il y a un «quelque chose» – un quelque chose qui est indéfinissable et inexplicable –, et ce quelque chose, l’homme a toujours senti que cela le domine. Cela dépasse tout entendement possible et cela le domine. Et alors, les religions lui ont donné un nom; l’homme l’a appelé «Dieu»; les Anglais l’appellent God; dans une autre langue, on l’appelle autrement, mais enfin c'est cela.

C'est exprès que je ne donne pas de définition. Parce que le sentiment de toute ma vie est que c'était un mot, et un mot derrière lequel les gens mettaient beaucoup de choses très indésirables... C'est cette idée du dieu qui se veut «unique» comme ils disent: «Dieu est unique». Mais ils le sentent et ils le disent comme Anatole France le disait (je crois que c'était dans La Révolte des Anges): ce Dieu qui veut être unique et TOUT SEUL. Ça, c'est la chose qui m'avait rendue complètement athée, si l’on peut dire, dans mon enfance; je n'admettais pas un être qui se déclarait unique et tout-puissant, QUEL QU'IL SOIT. Même s'il l’était, unique et tout-puissant (riant), il n'aurait pas le droit de le proclamer! C'était comme cela dans mon esprit. Je pourrais faire un discours d'une heure là-dessus pour dire comment dans chaque religion, ils ont fait face à cela.

En tout cas, j'ai donné ce qui me paraît être la définition la plus objective. Et comme l’autre jour dans «Qu'est-ce que le Divin?», j'ai essayé de donner l’impression de la Chose; ici, j'ai voulu lutter contre l’emploi du mot qui, pour moi, est creux, mais dangereusement cireux.

Je me souviens d'un vers de Savitri qui est très puissant et qui dit en une ligne tout cela merveilleusement II dit: «Le Sans-Nom qui vit NAÎTRE Dieu...»

The bodiless Namelessness that saw God born
And tries to gain from mortal’s mind and soul
A deathless body and a divine name.

[Savitri, LIII.40](/sabcl/28/the-yoga-of-the-king-the-yoga-of-the-souls-release#p154)

[Le Sans-Nom, sans corps, qui vit naître Dieu
Et qui essaye d'obtenir du mental et de l’âme des mortels
Un corps qui ne meurt pas et un nom divin.]

(silence)

Je t'avais dit l’autre jour que j'avais rencontré D avant son départ *(à la recherche d'un gourou tibétain)8 et que nous avions parlé. Je lui avais parlé de Sri Aurobindo et de son enseignement. Mais elle a été convertie! Oui, vraiment, elle m'a encore écrit une lettre aujourd'hui, que je viens de recevoir (c'est la deuxième lettre qu'elle m'écrit de là-haut), où elle dit qu'elle a rencontré ce fameux sage tibétain avec lequel elle voulait discuter... Il a l’air de s'être un peu fichu d'elle! (cela, elle ne me le dit pas), mais elle m'a dit qu'il vous «mettait tout le temps en présence de vos formations mentales» (il a dû lui montrer qu'elle se nourrissait de mots), et alors elle ajoute: «Mais moi, je sens, je sens ton amour avec moi toujours et tout va bien.» – Jamais! c'est la première fois de sa vie qu'elle me dit cela.

Alors, cela m'a donné l’idée d'écrire ce que je lui ai dit sur l’enseignement de Sri Aurobindo:

«Pour comprendre et suivre l’enseignement de Sri Aurobindo, il faut savoir s'élever au-dessus de toute possibilité de contradiction.»

C'est-à-dire atteindre la région où les contradictions n'existent plus. Ça, c'est vrai. N'est-ce pas, si l’on prend des citations de Sri Aurobindo sur le même sujet, on pourrait mettre côte à côte des choses qui sont juste à l’opposé: il dit cela, et puis il dit ce qui est l’opposé, et puis il dit cela qui est encore autre chose. Et alors, pour le comprendre, pour ne pas être à se dire: «Mais pourquoi dit-il tout le temps le contraire!», il faut savoir monter là-haut – c'est très bien là-haut (!) Là, c'est... très intéressant. Une fois qu'on est là-haut, c'est très intéressant.

Et au point de vue pratique, ce qui est remarquable, c'est que dans cette région-là, qui dépasse toutes les contradictions possibles, est la source du vrai Pouvoir, là.

Mais je veux dire que l’on trouverait dans Sri Aurobindo une phrase pour dire que, par exemple, Dieu est un mot vide de sens où l’homme met tout ce qu'il veut, et puis une description analogue à celle que j'ai donnée de la divinité. Et pour tout, c'est comme cela, dans tout ce qu'il a écrit.

(silence)

Et puis, je voudrais publier cette citation de Sri Aurobindo:

«Les traditions du passé sont très grandes à leur place... dans le passé, mais je ne vois pas pourquoi nous devrions simplement les répéter sans aller plus loin. Dans le développement spirituel de la conscience sur la terre, le grand passé doit être suivi d'un avenir plus grand.»

14 janvier 1932


Peu après

Ta maman voulait venir par avion?

Par bateau.

Mon petit, on ne passe plus à Port Saïd: le canal de Suez est fermé.

Qu'est-ce qui va se passer?

(Après un long silence) Nous sommes juste comme cela (geste en équilibre entre deux précipices).

Hier, j'aurais répondu très fortement... Je vais te raconter ce qui s'est passé. Nous avions ici un Américain, un très gentil garçon, qui avait été avant de venir ici instructeur parachutiste dans l’armée d'Israël. Je ne pense pas qu'il soit de nationalité israélite: je crois qu'il est Américain; il est de nationalité américaine, j'en suis sûre, j'ai vu son passeport. Mais il a été instructeur parachutiste dans l’armée d'Israël. Quand ces deux-là ont commencé à se disputer, il m'a écrit une lettre dans laquelle il me disait cela et aussi de grands compliments sur la nation israélite, disant qu'ils avaient réalisé un sens de fraternité et de coopération tout à fait remarquable. C'était son impression du pays. Et il disait que si la guerre éclatait, il voulait retourner là-bas pour les aider autant qu'il pouvait. Alors dès qu'ils ont commencé à se bombarder réciproquement, il a décidé de partir. Il est parti hier soir. Et je l’ai vu dans l’après-midi avant qu'il s'en aille.

C'est un homme sincère. Et quand il était là, Sri Aurobindo s'est... (comment dire?) l’impression que j'ai, c'est que Sri Aurobindo se «concrétise» (il est toujours là, mais à certains moments, c'est comme s'il se concrétisait, comme si... – Mère fait un geste de rassemblement ou de condensation –, c'est vraiment cela, l’impression: il se concrétise et il se met à parler). Alors, d'abord il lui a dit (mais il y avait tout un monde là-dedans): «My blessings are with you» [mes bénédictions sont avec vous].

l’homme a été très touché (je ne lui ai pas dit que c'était Sri Aurobindo; j'ai parlé, n'est-ce pas, c'est ma bouche qui a parlé là, mais c'était Sri Aurobindo qui parlait). Puis je me suis concentrée, alors Sri Aurobindo a dit avec une grande force:

«All the countries live in falsehood. If only one country stood courageously for truth, the world might be saved.»

[«Tous les pays vivent dans le mensonge. Si un seul pays se mettait courageusement du côté de la vérité, le monde pourrait être sauvé.»]

(silence)

Vers la fin de la journée quand j'étais seule, j'ai commencé à demander à Sri Aurobindo ce qu'il voulait dire exactement... Naturellement, son espoir est que le pays qui «would stand for Truth» [se mettrait du côté de la Vérité], serait l’Inde – pour le moment, elle en est fort loin. Mais... Et comme le sujet était devant moi, je lui ai demandé comment il voyait, dans un avenir harmonieux, la possibilité terrestre?

Alors il m'a dit – c'était très simple, très clair: «Une fédération de toutes les nations et tous les pays sans exception, tous les continents, une seule fédération: la fédération des nations humaines terrestres.» Et un groupe – un groupe gouvernant – qui serait constitué d'un représentant, «the most able man» [l’homme le plus capable] au point de vue organisation politique et économique, de chaque pays; et pas du tout de question proportionnelle où les plus grands pays auraient beaucoup de représentants et les petits n'en auraient qu'un – tout le monde un. Parce que chacun représente un aspect du problème. Et alors ils siégeraient par roulement.

C'était une grande vision, pas tant avec des mots qu'avec une vision.

C'en est resté là. Aujourd'hui... Est-ce que tu connais les nouvelles d'aujourd'hui?

Ils ont bloqué Suez et ils ont rompu avec les États-Unis.

Tous les pays musulmans, y compris l’Algérie, etc., ont reçu l’ordre de rompre avec l’Amérique et l’Angleterre.2 Je ne sais pas si toutes ces nouvelles sont vraies, mais il y a aussi une pression générale de tous les pays, par exemple venant d'Amérique et d'Angleterre, et en même temps de Russie, pour un cessez-le-feu, pour arrêter le conflit.

Si cette nouvelle est vraie (parce que la quantité de mensonges qui se répètent est incroyable), mais si cette nouvelle est vraie, cela veut dire que la Pression commence – la pression de la Conscience. Elle a déjà commencé à agir.

N'est-ce pas, chaque individualité nationale a son droit à une existence libre et indépendante, à condition qu'elle n'intervienne pas dans l’existence libre et indépendante de toutes les autres individualités. Les ambitions, les agrandissements territoriaux – naturellement toutes les colonies, tout cela –, ça doit être balayé du tableau. Les Égyptiens disent pour se défendre que les Israélites avaient déclaré publiquement que leur frontière devait être le Nil – je ne sais pas si c'est vrai. Je ne sais pas si c'est vrai parce que tout le monde dit des mensonges. De leur côté, les Égyptiens, il y a trois ans, ont déclaré publiquement (c'était une déclaration publique), ont déclaré publiquement que la nation israélite n'avait pas le droit d'exister, qu'elle devait disparaître.

Il y a trois jours, Nasser a déclaré qu'il cherchait «The destruction of Israel: wiped from the map» [la destruction d'Israël: balayé de la carte].

Oui, c'est cela. Mais il y a trois ans, ils ont déclaré qu'Israël ne devait pas exister. Alors ça, c'est un tort évident.

Je ne sais pas comment les autres ont répondu... Il est certain que tout le monde vit dans le mensonge, mais une chose doit être établie d'une façon absolue: c'est le droit de l’existence individuelle de chaque nation ou de chaque pays, à condition qu'ils n'interviennent pas dans le droit des autres.

C'est là-dessus que cela doit être établi.

Alors, ils commenceront à discuter: «Mais à ce moment-là, c'était comme cela; à ce moment-là, c'était comme ceci; et ça dans le temps, c'était à nous, et dans le temps c'était...» Il y a des arguments sans fin. Alors il faudrait une vision supérieure, qui est une vision équilibrée et juste, et profonde, des choses, qui puisse dire: «C'est comme cela.» Autrement il y aurait matière à discussion indéfiniment.

En tout cas, pour le moment, toutes les relations diplomatiques sont fondées sur le mensonge – le mensonge le plus grossier, n'est-ce pas – qui est reconnu comme une nécessité, la seule manière de s'en tirer. C'est comme cela qu'ils le considèrent. Alors c'est cela qui doit être aboli d'abord.

(silence)

Il y a un groupe dans le nouveau parlement indien, un groupe de gens qui sont insatisfaits de la position prise par l’Inde et qui ont déclaré qu'ils voulaient agir selon l’idéal et les instructions de Sri Aurobindo. Ils ont fait demander ici si nous pouvions envoyer quelqu'un pour faire des conférences à Delhi... C'est un «groupe» – naturellement ce n'est pas tout le parlement.

C'est une chose à envisager.

Seulement, la difficulté est de trouver le «quelqu'un», parce qu'il faut que ce soit un homme qui sache Sri Aurobindo à fond, d'abord, qui soit capable de recevoir directement ses inspirations (ce qui est une condition difficile), et en même temps qui ait un très fort caractère avec une puissance – une puissance contagieuse – et une force qui puisse soulever les masses inertes... Cet homme-là, il y a des années que je le cherche, sans le trouver.

Il y en avait un qui aurait pu faire – pas tout à fait bien, pas suffisamment large d'esprit pour comprendre tout à fait Sri Aurobindo, mais très droit et très fort –, on l’a assassiné au Cachemire.

On l’a assassiné?

C'est celui qui était venu ici quand nous voulions faire une conférence pour l’ouverture de l’Université. C'est lui qui l’a présidée.3 Un homme assez grand, fort. Je ne me souviens plus de son nom. Mais c'est au Cachemire qu'on l’a assassiné (naturellement pas officiellement: il est «tombé malade»).

Ce n'était pas parfait, c'était un pis-aller, mais enfin il pouvait faire l’affaire. Mais maintenant... Parmi les très jeunes que je ne connais pas?... Mais ce qu'il faudrait, c'est la puissance unie à cette largeur d'esprit capable de comprendre l’inspiration de Sri Aurobindo, et de la transmettre; et avec cela, la puissance vitale. Les deux ensemble.

Et ce n'est pas quelque chose pour demain: c'est quelque chose pour tout de suite, c'est cela, parce que le danger est là,

(silence)

Tout cela ira dans la «boîte» [de l’Agenda], ça ne peut pas se publier.

Non, vraiment, j'ai rarement senti cela, mais hier il y a eu comme une prière pour Israël

N'est-ce pas!

Je t'assure, on se dit: vraiment, cela ne doit pas être.

C'est cela, c'est cela. C'était si fort.4

(silence)

Mais tu as un moyen de contacter ces gens à Delhi et de leur faire dire ce que tu veux?

Ah! si j'envoyais quelqu'un, ils le recevraient. C'est cette N.S. qui est membre du gouvernement, elle a tout un groupe avec elle, un parti qui est devenu assez fort.

C'est tout récent, ils viennent de demander qu'on leur envoie quelqu'un. N.S. ne connaît que N, alors elle lui a dit: «Voulez-vous venir?» N m'a offert d'y aller, mais...5

Il a de l’entregent, mais...

Non, ce n'est pas l’homme. Il ne donne pas l’impression d'être pur, droit. Ce n'est pas un homme droit.

(Après un silence) Il est encore dans cet état où l’on veut plaire aux gens...

Un homme comme P?

(Mère rit) Mais lui, il ne veut pas! il ne veut pas toucher à la politique. Ah! lui, dans son domaine, il est fort! (Mère rit) Mais ce n'est pas un politicien.6

(long silence)

Le signe de la vraie force – la vraie force –, c'est de devenir ab-so-lu-ment calme, d'un calme imperturbable devant le danger (le danger ou la nécessité de prendre des décisions et de faire les choses). IMédiatement s'établit un calme comme cela (geste inflexible, comme une épée) que rien ne peut bouger – automatiquement. C'est le signe.

C'était très intéressant... Tu n'étais pas ici quand l’Ashram a été attaqué?7... C'était très intéressant, très intéressant.

Tu sais, les incendies qui s'allumaient: là, ici, au coin là-bas, les hurlements, les pierres... J'ai eu ce jour-là une expérience inoubliable. De la minute où est arrivée la nouvelle concrète de l’attaque, c'est comme si la conscience avait été tirée dans la conscience physique universelle, comme cela (geste répandu). Et alors c'est de là, de la conscience physique universelle, que tout a été vu. Et comme cela j'ai pu voir: j'ai pu voir en chacun quelle était la réaction. C'était vraiment intéressant, vraiment intéressant, oh!...

Tout ce qui se mettait à vibrer (même pas, je ne parle même pas de peur – ceux qui ont peur, c'est entendu, c'est la catastrophe –, mais même pas la peur: l’excitation), tout ce qui se mettait à vibrer comme cela, attirait – attirait – les choses (je voyais tout l’ensemble), ça attirait le danger.

Naturellement, mon corps était comme cela (geste imperturbable), mais ça, ce n'était rien, parce que moi... Mais P était devenu comme cela (même geste) comme une épée qui ne bouge plus: calme-calme... Et c'est comme cela que j'ai su [ce qu'il était], je ne savais pas avant. Tous les autres... (geste vibrant, excité) ouf!

C'était le quartier général ici, dans cette chambre. Toute la nuit, jusqu'à minuit, le quartier général; tout le monde se réunissait ici. Mais je voyais en chacun – chacun. De là-haut, c'était une vision claire-claire-claire, et imperturbable, et tout à fait impersonnelle... Je voyais partout-partout-partout.

Un mouvement d'excitation et une pierre est venue toucher le grillage de ma fenêtre, de la rue – une seule. Je savais pourquoi, qui c'était.

C'était tout à fait intéressant.

14 juin 1967

(Depuis huit jours, Mère était «malade», au moment même où se déroulait le conflit entre Israël et l’Egypte.)

Une grande bataille... J'ai appris beaucoup de choses.

Mais ça continue.

J'ai fait des découvertes... Les maladies, les accidents, les catastrophes, les guerres, tout cela, c'est parce que la conscience humaine matérielle est tellement petite, tellement étroite, qu'elle a un goût forcené pour le drame. Et naturellement, il y a, derrière, l’être vital qui s'amuse et des influences... enfin tout ce qui aime pouvoir retarder l’Œuvre divine, rendre les choses difficiles. Et tout ce qui prend plaisir à cela, naturellement encourage le drame. Mais la graine de la difficulté, c'est cette petitesse, toute petitesse, de la conscience physique – conscience physique matérielle – qui a un goût absolument pervers pour le drame. Le drame; il faut que la moindre chose fasse un drame: on a mal aux dents, cela devient un drame;1 on se cogne quelque part, cela devient un drame; deux nations se disputent, cela devient un drame – tout devient un drame. Le goût du drame. On a le moindre petit dérangement de fonctionnement, la moindre petite chose qui devrait passer absolument inaperçue, oh! cela fait une grande histoire, un drame. Le goût du drame. J'en étais profondément dégoûtée.

Tout-tout...- C'est comme le battage dans une foire.

Apparemment, l’attaque était violente, et si violente qu'à l’étude, à l’observation, j'étais obligée de penser qu'il y avait des gens qui s'amusaient à faire de la magie noire... Tout prenait des proportions fantastiques. Les mêmes dents que j'ai depuis si longtemps (c'est-à-dire depuis si longtemps dans le même état!) et qui pendant des années ne m'ont donné aucun trouble, tout d'un coup elles se sont imaginées qu'il fallait faire du drame aussi! Alors, rage de dents, gonflement – absolument ridicule! tout à fait. Et, n'est-ce pas, cette découverte du drame, ce n'était pas pensé, ce n'était pas une observation: c'était une expérience aiguë, attrapée comme on attrape le voleur. Je l’ai attrapé. Et c'est universel, c'est sur toute la terre.

Parce que c'était TOUT qui faisait du drame – les ronflements de foire, les battages, tout cela, la grande histoire. Comme ces gens là-bas quand ils se sont battus, la même histoire (geste exprimant les bouillonnements ronflants de la guerre). Et ils en font des embarras! Et les «droits» et les «devoirs» et l’«honneur», oh!... Alors, comme ça allait assez mal (j'étais presque dans l’incapacité de faire quoi que ce soit2), j'ai demandé ce que ça voulait dire (Mère rit) et il m'a montré le tableau! Alors j'ai compris.

De la minute où j'ai compris, ça a commencé à se calmer (la rage de dents et la rage en Palestine).

Et c'est profondément ridicule, et puis c'est malsain.

N'est-ce pas, quand la chose a été vue – vue, sentie, vécue d'une façon complète –, ils ont commencé à s'arrêter là-bas. Je ne peux pas dire qu'ils soient encore très bien, il s'en faut de beaucoup, mais enfin je crois que le pire de la catastrophe a été évité.3

Grotesque.

Ça va un peu mieux. Il y a encore des tiraillements... Les «traîtres», les «ennemis», oh!... Il paraît que maintenant, c'est l’Indonésie et le Pakistan qui sont en train de préparer quelque chose... Et c'est TOUT, n'est-ce pas, depuis le plus grand jusqu'au plus petit, depuis ce qui paraît le plus important (en tout cas ce qui dérange le plus de choses) jusqu'au moindre petit malaise physique, c'est cela: une toute petite, toute petite conscience, toute petite, limitée comme cela, étroite, qui fait une montagne d'une taupinière.

Voilà.

(silence)

Parce que, ce qui s'est passé n'est rien de nouveau, c'est arrivé combien de fois, mais l’expérience du corps physique était différente... Avant, il y avait la conscience de tous les autres êtres intérieurs qui était là et qui contrebalançait heureusement cette tendance imbécile: même le vital, l’être vital qui aime aussi les choses à gros effets, mais au moins assez grands, assez vastes, assez puissants pour que ce soit sur une grande échelle et qu'il ne soit pas ridicule; et puis tout le reste, alors au-dessus de tout cela, avec le sourire. Mais cette fois-ci, ce corps était laissé TOUT SEUL, pour apprendre. Et il a appris.

Mais la mort aussi est le résultat du goût du drame – quel joli drame! pouah!

(silence)

Enfin, voilà.

Et comme, naturellement, on ne pouvait plus manger, alors aussi, conséquence, on ne pouvait plus rien faire... Le docteur m'a fait avaler des protéines qui n'ont pas besoin d'être digérées; celles que l’on injecte directement dans le sang, il me les a fait avaler. Alors j'ai pu recommencer à faire quelque chose – je ne pouvais plus parler, pouvais plus manger, plus...

C'est allé croissant, gentiment, jusqu'au jour où (je ne me souviens plus lequel), j'ai dit dans une «grande indignation» (Mère prend un ton dramatique): «Qu'est-ce que c'est que cette création où l’on... (je l’ai dit en anglais) où l’on souffre pour vivre, on souffre pour mourir, on souffre toujours...» (Mère rit) Dès que cela a été prononcé, ça a suffi. Et, n'est-ce pas, il y avait la conscience qui disait: «Il n'y a qu'un remède et le monde refuse ce remède.» Alors j'ai été mise en présence du fait, devant comme cela, le nez sur la chose: ah! quel beau drame!

(silence)

Je me suis demandé si c'était particulier à la terre et si les autres planètes, les soleils, n'étaient pas dans cette situation idiote?... Ce serait intéressant de savoir extérieurement. Mais cela, je suis à peu près sûre que, par exemple, la mort est une chose qui appartient exclusivement à la vie terrestre (la mort telle que nous la sentons, telle que nous la comprenons). Pourtant, les animaux participent à cela, mais ils n'ont pas la déformation mentale de l’homme... Mais le goût du drame est exclusivement humain parce que les animaux qui vivent avec l’homme attrapent la maladie, tandis que ceux qui ne vivent pas avec l’homme n'ont pas cela du tout.

(silence)

J'ai vu cette enfant (Sujata) dimanche; je n'étais pas brillante, n'est-ce pas?

(Sujata:) Non, Mère!

Je ne pouvais plus parler...

Enfin, voilà à peu près un petit peu de l’expérience. Oh! elle a été... beaucoup de choses, beaucoup plus de choses que cela.

l’impression pendant deux jours de ne pas savoir si l’on était vivant ou si l’on était mort (et ça, ce sont les mots extérieurs), de ne pas être très sûre de quelle différence ça fait... Et alors, cette question du corps qui dit: «Mais vous, vous avez des théories: l’un dit que [la mort] c'est comme cela, l’autre dit que c'est comme ceci, l’autre dit encore autre chose, mais notre expérience à nous, comment est-elle?...» Et c'était comme cela (geste suspendu entre deux mondes).

Et le corps s'est tout d'un coup souvenu (c'était assez intéressant; c'est plus récent, c'est hier ou avant-hier), le corps s'est tout d'un coup souvenu qu'il avait été ressuscité. Il a dit: «Mais à ce moment-là, tu savais; tu savais puisque tu m'as ressuscité.»4 Alors je me suis souvenue de ce que je savais (et que j'avais cessé de savoir parce que la connaissance était tout à fait incomplète – c'était absolument extérieur et cela manquait de la connaissance supérieure), je me suis souvenue de l’expérience, et les deux se sont réunies (l’ancienne connaissance et la nouvelle).. Ah! j'ai dit tiens! c'est intéressant.

N'est-ce pas, l’histoire de l’âme qui «quitte le corps», c'est un enfantillage! Parce que cette expérience-là aussi, je l’ai eue: laisser (pas son âme! qui est tout à fait indépendante, toujours, chez tout le monde) l’être psychique, l’être psychique qui est individuel. Quand je suis partie d'ici en 1915, j'ai laissé mon être psychique ici, volontairement. Je l’ai laissé ici, je ne l’ai pas emmené. Par conséquent, le corps peut vivre sans être psychique (il a été assez malade d'ailleurs, mais ce n'était pas pour cela – c'est encore le goût du drame!... oh! tellement le goût du drame).

Voilà.

Alors on réduit le problème de plus en plus... Sorti de l’être vital le plus matériel, cela ne fait pas mourir – ça vous met en catalepsie, mais cela ne vous fait pas mourir. Qu'est-ce qui vous fait mourir?...

Il y a deux choses qui font mourir. l’une (celle qui précède l’existence humaine dramatique), c'est l’usure. l’usure vient de quoi? – De l’Ignorance évidemment. De l’Ignorance et de l’incapacité du renouvellement des forces; et cela, c'est toute la vie d'en bas: ça se décompose, ça se recompose, ça se redécompose... Mais c'est seulement avec l’animalité et le commencement du fonctionnement mental que vient (Mère prend un ton grandiloquent) la «mort», telle que nous la concevons. Mais ça, c'est la rupture de l’élément vital qui donne la vie (ce que nous appelons la vie). Là, il y a d'innombrables raisons, qui viennent toutes de la même chose. Évidemment, vu dans l’ensemble, c'est l’incapacité de suivre le mouvement de progrès: le besoin de tout remélanger pour tout recommencer. Mais pour ceux qui commencent à penser, cela n'a plus de raison d'être.

l’accident?... l’accident de la combinaison matérielle. Mais quel accident, n'est-ce pas? puisque le cœur peut s'arrêter et recommencer. C'est une question de durée.

Si l’on peut remplacer cette usure, cette détérioration (qui vient de l’Inconscient, qui est le résultat de la RÉSISTANCE de l’Inconscient), si l’on peut remplacer cela par l’aspiration au progrès et à la transformation (pas avec des mots: vibration)... C'est une expérience qui m'a été donnée plusieurs fois. Par exemple, il y a quelque chose qui va très mal, une douleur quelque part, une chose qui s'est désorganisée, qui commence à ne plus fonctionner convenablement; s'il y a la vision et la conception dans la foi (la foi et la consécration au Suprême) que c'est fait, que le Suprême a laissé cela être (comment l’exprimer? tous les mots ne signifient rien), a permis la chose, ou a voulu la chose, ou que la chose soit, parce que ça lui paraît être le meilleur moyen de transformer ça, de lui faire faire le progrès nécessaire; si les cellules qui sont un peu désorganisées ou qui sont ce que l’on appelle «malades» arrivent à sentir cela... ça tourne merveilleusement bien, tout de suite – tout de suite, cinq minutes, dix minutes. J'aurais des exemples concrets, précis, avec tous les détails. Alors, cela représente de «mettre le contact» entre les deux extrêmes, pourrait-on dire. Et alors, si cela arrive à être la vie normale des éléments composants cette forme extérieure, il n'y a pas de raison... Non, il n'y a aucune nécessité de mourir, aucune-aucune. Il y a un moment où ça n'a plus de sens.

Et on attrape dans le petit détail, dans la petite cellule, ou dans la petite sensation (et quand on en vient aux sentiments, il y a cette espèce de quelque chose qui est l’embryon de la pensée – là, oh!...) le goût du drame. Ah! alors tout s'explique.

Le goût du drame, le besoin de la catastrophe.

C'est cela qui était là, qui pressait-pressait sur la terre pour amener toutes les conditions pour que ce soit la fin à grand fracas (Mère hausse les épaules).

Et un seul remède: l’élargissement dans la paix éternelle... Rompre les limites, devenir immense.

(long silence)

Tu as dit tout à l’heure que ton corps a eu le souvenir d'une autre mort...

Ah! oui.

Mais tu n'as pas dit ce qu'était ce souvenir.

Si, tout le monde le sait: c'est arrivé à Tlemcen quand je travaillais avec Théon. J'étais sortie d'une façon tout à fait matérielle, le corps était en état cataleptique et quelque chose est venu, il est arrivé quelque chose, le lien a été coupé. Alors le lien était coupé.

Mais l’expérience à ce moment-là, comment était-ce?

l’expérience était que... (riant) impossible de rentrer là-dedans! Mais Théon était là (Théon a eu une jolie petite peur!) et il y avait la connaissance à ce moment-là au point de vue occulte (il y avait beaucoup de connaissance!), il y avait la connaissance et puis la volonté (Mère fait le geste de pousser pour rentrer dans le corps), et puis une foi intérieure (mais ça, je n'en parlais jamais), concentration. Et lui était capable, il savait. Il a su «tirer». Et le corps n'était pas détérioré, n'est-ce pas, il n'était pas abîmé, alors ce n'était pas difficile. Il était en très bon état, seulement le fil était coupé, c'est-à-dire que ce qui donne la vie était sorti et ne pouvait plus rentrer.

Je suis rentrée par l’effet du pouvoir et de la volonté, parce que-En fait, simplement parce que j'avais encore à faire quelque chose sur terre.

Ça s'est passé en 1910, je crois.

Donc, ce n'est pas parce que l’âme quitte le corps.

Oh! ça, ce sont des mots!

Il est probable qu'il peut y avoir une résolution de l’âme qui constate que ce corps est ou indigne ou inapte ou incapable ou qu'il ne veut pas ou... n'importe quoi, et que l’âme décide que le corps doive mourir et qu'elle s'en aille; mais ce n'est pas le fait de s'en aller qui tue le corps. Il y a des quantités innombrables de gens qui n'ont pas d'âme – qui ont une âme, mais leur âme n'est pas dans leur corps –, beaucoup. Et ils continuent à vivre très bien.

l’être psychique, c'est plus difficile de vivre sans lui. l’être psychique, n'est-ce pas, c'est le revêtement – le revêtement individualisé – entre l’âme éternelle et le corps transitoire; et il se forme, il s'individualise, il devient de plus en plus individuellement conscient. Ça, quand ça quitte le corps, généralement le reste suit. Mais j'ai eu l’expérience, moi, de l’avoir fait volontairement, par conséquent je SAIS. Il faut savoir, mais c'est possible. l’être psychique était resté ici avec Sri Aurobindo, et moi j'étais partie avec mon être mental, vital et physique. C'était un état... un petit peu précaire. Mais comme aussi j'avais gardé le contact tout à fait conscient, c'était possible.

Ce que les gens appellent «la mort»... Il y a des tas de gens que je vois qui sont pour moi des morts vivants (ce sont ceux qui ne sont pas avec leur être psychique, ou même ceux qui n'ont pas de contact avec leur âme). Mais cela, il faut avoir la vision intérieure pour savoir. Mais ce que les gens appellent «la mort», c'est-à-dire que les cellules se décomposent et la forme se dissout, c'est la sortie du «sous-degré vital» le plus matériel qui met en contact avec la Vie – la force vitale, la vie. La mort comme elle se passe pour les animaux, par exemple, c'est comme cela. Et généralement, ça s'en va quand l’organisme extérieur est incapable de continuer: par exemple qu'il est coupé en deux ou que le cœur est enlevé, enfin quand il lui arrive quelque chose de tout à fait radical! Parce qu'il y a des gens qui ont été accidentés, il leur a manqué beaucoup de morceaux: ils ont continué à vivre. Mais même, je dis même l’arrêt du cœur n'est pas nécessairement une mort, puisque, après s'être arrêté, il est capable de recommencer. Les gens qui ont la connaissance matérielle vous disent que pendant quelques... je ne sais pas si c'est quelques secondes ou quelques minutes, le cœur peut reprendre; après commence la décomposition. Avec la décomposition, naturellement c'est fini.

Donc, on pourrait dire sans faute qu'il y a des sortes d'ÉCHELONS dans la mort; qu'il y a des échelons dans la vie et des échelons dans la mort: il y a des êtres qui sont plus ou moins vivants, ou si l’on veut le mettre d'un côté négatif, des êtres qui sont plus ou moins morts. Mais ceux, oh! pour ceux qui savent, et qui savent que cette forme matérielle peut manifester une lumière supramentale, eh bien, ceux qui n'ont pas la lumière supramentale en eux sont déjà un petit peu morts. C'est comme cela. Alors il y a des échelons. Et c'est seulement un phénomène tout à fait extérieur que les hommes ont convenu d'appeler «mort», parce que cela, ils ne peuvent pas le nier: ça s'en va en morceaux.

Mais j'ai vu des gens (je n'ai pas vu beaucoup de gens soi-disant morts parce que ce n'était pas la coutume de les faire voir aux enfants dans notre famille, et quand j'étais grande, je n'ai eu que très peu d'occasions), mais j'en ai vu ici quelques-uns. Mais ils n'étaient pas du tout tous dans le même état – pas du tout.

(silence)

Il y a eu l’exemple de Sri Aurobindo. Les docteurs ont décidé: «Il est mort.» – Il était absolument vivant. Absolument vivant. Et même cinq jours après, quand on l’a mis dans... c'était à cause (comment dire?) de la pression du monde extérieur et qu'il était impossible de le conserver. Il a fallu consentir. Mais moi, je ne peux pas dire que c'était un mort! Il n'était pas mort du tout, c'était tout à fait évident. Le corps commençait déjà à... (très peu, mais un petit peu au bout du cinquième jour), c'est-à-dire que la peau se décolorait, mais... (Mère fait un geste glorieux).

Pendant les trois premiers jours, je restais là-bas, debout près de son lit, et d'une façon absolument – enfin pour moi c'était tout à fait visible –, c'était volontairement que toute la conscience organisée qui était dans son corps sortait de là et entrait dans le mien. Et non seulement je voyais, mais je sentais la friction de l’entrée.

Alors les hommes disent: «Il est mort.» – C'est de l’ignorance.

(silence)

Toute cette puissance supramentale qu'il avait petit à petit attirée et organisée dans son corps, Méthodiquement entrait en moi.

Je n'ai rien dit à personne parce que ce n'était l’affaire de personne, ça ne regardait personne. Je restais là et... (geste montrant le passage des forces de Sri Aurobindo dans le corps de Mère).

N'est-ce pas, les hommes se gargarisent de mots et ils sont tout le temps à parler – ils ne savent même pas ce qu'ils disent.

J'ai vu il n'y a pas très longtemps, d'abord une ou deux photographies, et puis quelqu'un qui est venu me voir. J'ai dit: «Il est mort, c'est un mort.» Et je ne parle pas du tout de ce qui se dissout (naturellement pas! puisqu'il entrait, parlait – il parlait fort; il se croyait très vivant d'ailleurs): il était mort. Alors...

(silence)

J'avais dit il y a quelque temps que les cellules demandaient: «Mais qu'est-ce que la mort?» Elles étaient comme cela à demander. Et hier ou avant-hier seulement, à cause d'un certain état qui est venu, c'était comme si cette Connaissance qui vient d'en haut tout le temps leur disait: «Pourquoi? Pourquoi vous demandez? Vous avez eu l’expérience, vous savez comment c'est.» Et alors, à la petite conscience centrale (il y a une petite conscience centrale des cellules,5 qui est en train petit à petit de croître et de s'élaborer), elle disait: «Tu ne te souviens pas? Tu sais comment c'était.» Ah! alors tout le souvenir de l’expérience dans tous ses détails est revenu – c'est vrai, elles savaient.

Pourquoi est-on si ridicule?

Et on se croit... on se croit si grand, si sage, si... Oh! toutes les vertus qu'on se donne! (Mère rit) si courageux, si endurant, si... On se joue la comédie toute la vie.

(silence)

À ce moment-là, pendant quelques instants, ça a été la certitude d'une simplicité!... d'une simplicité... (comment dire?) qui était toute-puissante par son immensité.

C'est encore de la littérature. C'est la comédie dans le mental: les jolies phrases.

Pas de mots, pas de phrases, pas de gestes merveilleux, pas d'attitudes...

(Mère entre en contemplation)

Tiens, pour les gens qui aiment les définitions, voilà une autre manière de répondre à «Qu'est-ce que le Divin?»: une Immensité souriante et lumineuse.

Et n'est-ce pas, LÀ, c'est là. C'est LÀ.

Ah! on va travailler? On a assez bavardé!

(silence)

Ce qui me fait penser qu'il y avait des volontés extérieures adverses, c'est que tout le temps, de partout, venaient comme cela de belles phrases – des belles phrases, des suggestions (des suggestions dramatiques justement) annonçant un nombre considérable de catastrophes. Ça vient de partout comme cela (geste grouillant, comme une marée), ça fait comme autant de serpents qui sont là, tenus à distance, et qui arrivent dès qu'on leur en donne la possibilité... Ce qui prouve qu'il y a évidemment quelque chose.

Par exemple, des suggestions comme celle-ci: «Ah! tu es bien maintenant, tu es forte, tu peux parler... Ah! tu vas voir ce qui va t'arriver.» Et des suggestions, des suggestions... N'est-ce pas, ça ne peut venir que des pensées humaines pourries. Un tas de choses toutes plus laides les unes que les autres qui viennent comme cela. Et on les voit venir (même geste comme une marée de serpents), on les voit venir comme cela... Des plus basses jusqu'aux plus violentes.

Il y a eu aussi, à propos de ces possibilités de magie et puis des forces «adverses», une vision de tout cela comme faisant partie du grand Jeu (geste d'en bas), mais... Cette Immensité, lumineuse et souriante, une immensité... («immensité» est un mot – infini aussi est un mot), quelque chose... d'absolument sans limites, qui simplement fait comme cela (geste de descente) dans un mouvement de manifestation, et puis, à un certain endroit, Ça rencontre une espèce de mouvement d'en bas qui se saisit de Ça et en fait... ce que nous voyons. Dans la partie supérieure, c'est un mélange de mental perverti et de vital extrêmement puissant, et qui évidemment prend goût à la déformation; et à mesure que Ça se concrétise, cela devient toutes ces réactions humaines; et quand Ça s'approche de la terre, alors... ah! c'est le joli gâchis que les hommes ont fait de l’atmosphère terrestre. Alors cette Chose, cette Immensité souriante, lumineuse, merveilleuse, si... qui est une béatitude vivante et consciente... Ça devient ça.

Et si par hasard, par miracle, il y a une goutte qui tombe et qui n'est pas complètement déformée, ça devient un miracle!6


(À la fin de l’entrevue, il est question de la santé du disciple et de certaines hémoptysies.)

...Dis-leur à tes cellules de ne pas faire un drame, tu verras! si tu sais leur dire...

Elles ne sont pas de mauvaise volonté: elles sont imbéciles (Mère rit), ce n'est pas la même chose!

17 juin 1967

Avec cette histoire d'Israël, on m'a fait écrire toutes sortes de choses, répondre à toutes sortes de questions (Mère cherche des notes)... Est-ce que je t'ai montré cela?

«Those who serve the Truth cannot take one side or another. Truth is above conflict and opposition. In Truth all countries unite in a common effort towards progress and realisation.»

La traduction:

«Ceux qui servent la Vérité ne peuvent pas prendre parti d'un côté ou de l’autre. La Vérité est au-dessus des conflits et des oppositions. Dans la Vérité, tous les pays s'unissent dans un effort commun pour le progrès de la réalisation.»

C'est une réponse à quelqu'un qui me demandait quel «parti» il fallait prendre.

Il y a aussi cet homme qui a écrit d'Israël, disant que leur succès, leur victoire dépassait tout ce qu'ils espéraient, alors il dit: «Ils semblent être trop matérialistes pour savoir quelle est la vraie source» – lui savait. Mais il dit (c'est un Américain, ce n'est pas un Israélite; il est peut-être de religion juive, je n'en sais rien, mais il est Américain de naissance), il dit qu'il admire beaucoup la façon dont le pays est organisé là-bas, en Israël, et que c'est «merveilleux de fraternité et de sens de l’organisation», et alors il m'écrit pour me demander si ce n'est pas là le commencement d'une réalisation future?

Il est évident qu'ils sont très réceptifs... J'ai vu tout de suite; quand on m'a dit que les Égyptiens, et particulièrement ce président actuel,1 avaient décrété que la nation israélite devait disparaître, j'ai vu tout de suite qu'il y avait une très forte réaction2(riant) ça a amené un résultat très catégorique!

Puis on m'a posé une autre question:

«If a world-war breaks out, it may not only destroy the major portion of humanity but may even make living conditions for those who survive impossible due to the effects of the nuclear fallout In case the possibility of such a war is still there, will it not affect the advent of the Supramental Truth and of the New Race upon earth?»

La traduction:

«Si une nouvelle guerre mondiale éclate, il est possible qu'elle détruise non seulement une vaste partie de l’humanité, mais qu'elle rende même impossible les conditions de vie des survivants en raison des effets de la retombée nucléaire. Au cas où cette possibilité de guerre existe encore, est-ce que cela n'affectera pas l’avènement de la vérité supramentale et de la race nouvelle sur la terre?»

Voilà la réponse:

«All these are mental speculations and once you enter the domain of mental imaginations there is no end to the problems and to their solutions. But all that does not bring you one step closer to the truth.

«The safest and most healthy attitude of the mind is like this one: we have been told in a positive and definite way that the supramental creation will follow the present one, so, whatever is in preparation for the future must be the circumstances needed for the advent whatever they are. And as we are unable to foresee correctly what these circumstances are, it is better to keep silent about them.»

La traduction:

«Ce ne sont rien que des spéculations mentales et quand on entre dans le domaine des imaginations mentales, il n'y a pas de fin aux problèmes et à leurs solutions. Mais tout cela ne vous rapproche d'aucune façon de la vérité.

«l’attitude la plus sûre et la plus saine pour le mental est un peu comme ceci: on nous a dit d'une façon catégorique et certaine que la création supramentale suivra la création présente, par conséquent, quelles que soient les circonstances qui se préparent pour l’avenir, ce doivent être les circonstances nécessaires pour cet avènement. Et puisque nous sommes incapables de prévoir correctement ce que sont ces circonstances, il vaut mieux n'en rien dire.»

Je voulais te dire. J'ai vu V il y a quelques jours et il me disait que d'après ce qu'il avait senti ou vu, il était pour 95% sûr que vers le mois de septembre ou octobre, il éclaterait un nouveau conflit, probablement du côté du Pakistan ou de la Chine: entre le Pakistan et l’Inde ou entre la Chine et l’Inde.

On s'attend à cela.

Il m'a dit qu'il est pour 95% sûr.

On s'attend beaucoup à cela. Et le Pakistan s'est uni à la Chine, et leurs bateaux sont en train de circuler autour de l’Inde... Qu'est-ce qu'ils font? Je n'en sais rien.

Mais tu avais dit, il y a plusieurs années, qu'en 1967, le destin de la civilisation actuelle «will be settled» [sera réglé]. Tu avais employé le mot «settled».3 Eh bien, on a l’impression que si l’avenir doit être vraiment «settled», il y a encore beaucoup de choses, beaucoup de maladies latentes qui doivent sortir?

Oui... Oui (Mère hoche la tête plusieurs fois affirmativement et reste silencieuse).

J'ai reçu un télégramme de D, de Darjeeling,4 on lui a refusé le permis. Elle voulait aller là-haut, on lui a refusé. Elle avait écrit une lettre il y a deux ou trois jours, où elle disait: «Il n'est question que d'espionnage», que «toute l’atmosphère est pleine d'espionnage», que «toutes les lettres sont lues», que «tous les gens sont surveillés», que c'est «dans un état épouvantable». Et hier, j'ai reçu le télégramme où elle dit que le permis a été refusé: elle doit s'en aller.

Très-très nerveux, les gens sont très nerveux.

21 juin 1967

Il y a quelques jours, j'ai dit quelque chose à propos des Musulmans et des Israélites, et F l’a noté... Cela m'a fait l’effet (comment peut-on dire?)... En tout cas, toute la vie est partie: c'est creux, c'est sec, c'est comme une baudruche – tiens, cela me fait l’effet d'une lampe qui n'est pas allumée. La lampe sans lumière! (Mère rit). Je te la donne tout de même:

Les Musulmans et les Israélites représentent les deux religions où la foi en Dieu est la plus extrême. Seulement, la foi des Israélites est une foi en un Dieu impersonnel, et la foi des Musulmans, une foi en un Dieu personnel.

Peut-être l’inimitié n'existe-t-elle que parce qu'ils sont voisins!...

Il faut dire que c'était la réponse à une lettre que B m'avait écrite pour me poser toutes sortes de questions et il disait notamment: «Pourquoi? Ce sont deux nations voisines, pourquoi se haïssent-ils tant?»

...Cette malédiction sur les Juifs est une histoire chrétienne, cela n'a rien à voir avec les Musulmans.

La violence et l’inimitié... lorsque les frères se haïssent, ils se haïssent beaucoup plus que les autres. Sri Aurobindo disait: «La haine est l’indication de la possibilité d'un amour beaucoup plus grand.»

Les Arabes sont des natures passionnées. Ils vivent presque exclusivement dans le vital avec ses passions, ses désirs, tandis que les Israélites vivent surtout dans le mental avec un grand pouvoir d'organisation et de réalisation tout à fait exceptionnel. Les Israélites sont des intellectuels avec une volonté exceptionnelle. Ils ne sont pas sentimentaux, c'est-à-dire qu'ils n'aiment pas la faiblesse.

Les Musulmans sont impulsifs, les Israélites sont raisonnables.

Ce n'est pas ce conflit qui décidera de l’avenir de notre civilisation.

(Notation approximative du 15 juin 1967)

Oui, en finissant sa lettre, il disait: «Ce conflit qui doit décider de la civilisation actuelle...»1 Alors ma dernière phrase est la réponse à cela.

Oui, ce n'est pas là que ça se joue.

Oui.

Mais c'est la lampe sans la lumière!

Au moment où le Pakistan et la Chine ont attaqué l’Inde [en 1965], j'ai eu une espèce d'intuition très claire que le conflit, s'il doit y en avoir un, qui doit décider du sort de la civilisation, ne peut se jouer que dans l’Inde...

Oui.

Parce que c'est là que symboliquement le dernier Asoura [démon] doit venir mourir. Ce n'est pas ailleurs que ça se joue.2

(Mère reste silencieuse)


(Un mois plus tard, un disciple a envoyé la lettre suivante à Mère, à propos de la même question:)

(traduction)

«...À présent, c'est la force supramentale qui travaille directement Son action imédiate sur le monde de l’égoïsme, de la contestation et de la désharmonie n'est pas encourageante. Partout, on voit des conflits; le monde continue son vieux chemin comme d'habitude, peut-être en pire. On se rappelle de la vieille légende où il est dit que c'est le poison qui est sorti en premier du "barattage de l’océan de la Vie". Le Nectar [d'immortalité] est sorti en dernier. Ce qui se passe maintenant a l’air semblable. l’Inde continue son même vieux chemin, tâchant de plaire au Pakistan, aux musulmans et aux Russes.

«Une phrase dans la réponse de Mère à propos de la guerre israélo-arabe me semble très inquiétante: "Ce n'est pas ce conflit qui décidera de l’avenir de notre civilisation". Cela veut-il dire qu'il y aura un autre conflit encore plus grand où la civilisation actuelle sera détruite, bien que le monde sera sauvé? Ou cela veut-il dire qu'il n'y aura pas du tout de guerre et que le destin de notre civilisation sera décidé par une évolution naturelle de la conscience? Mais cette dernière hypothèse semble très improbable, à moins que la transformation complète du corps de Mère n'ait un effet si formidable partout que la désharmonie devienne impossible.»

(19 juillet 1967)

Mère a répondu ainsi:

«Il semble évident que si la transformation entreprise pouvait réussir en totalité, la nécessité d'une nouvelle guerre mondiale n'existerait plus.

«Mais c'est exprès, dans l’intérêt du travail, que l’avenir n'est pas révélé. Ainsi, votre question ne peut pas avoir de réponse. Le plus sage pour chacun est donc de s'ouvrir autant que possible à la force qui fait pression pour se manifester, de garder sincèrement une aspiration ardente et une foi inébranlable... et d'attendre patiemment le résultat.»

(27 juillet 1967)


ADDENDUM

(Nous osons publier ici un texte écrit par nous le 24 juin 1967, en dépit de ses prévisions hardies ou intempestives, car il recèle peut-être un grain de vérité que révéleront les temps, et surtout parce qu'il est évidemment influencé par la vision de Mère. Ceci n'est donc pas tant matière à prévision que matière à réflexion.)

LA FIN DE l’ASOURA

Si, comme l’a annoncé Sri Aurobindo, la Puissance supramentale doit entrer dans une phase réalisatrice en 1967 et si, comme l’a dit Mère, le sort de la civilisation actuelle doit se décider en 67, il est évident que les nombreuses maladies latentes de la terre doivent sortir au plein jour, se fixer quelque part comme un abcès fixe la maladie du corps, notre corps terrestre.

Il n'y a pas de «catastrophe». Le Supramental est une force d'ordre et d'harmonie. Donc, ce qui pourra nous apparaître tout d'abord comme une catastrophe devra, en fait, mettre les choses en ordre, concourir de toutes les façons et dans tous les détails à la mise en ordre de la terre.

Septembre-octobre est généralement le mois des guerres.

Il n'y a qu'un endroit au monde où la partie se joue vraiment, symboliquement, c'est l’Inde. C'est donc là que doit se fixer la maladie de la terre. Il est dans l’ordre des choses que le dernier Asoura vienne mourir aux pieds de la Mère.

Mais l’Inde, qui est censée incarner les forces de vérité, est elle-même la proie du même Mensonge que le reste de la terre. l’Asoura est aussi dans l’Inde, et plus dangereux là, peut-être, parce que masqué sous un voile de fausse vérité.

Le conflit attendu devra donc mettre de l’ordre dans la maison de la Mère, d'abord et en même temps qu'il mettra de l’ordre dans les autres maisons de la terre.

Le diable se démasquera lui-même et se jettera dans son propre piège.

Le Mensonge de l’Inde attirera nécessairement les mensonges semblables: ceux de la Chine et ceux du Pakistan. Déjà les troubles communistes aux frontières du Bengale préparent les voies de l’agression chinoise, et le mensonge de Tachkent a laissé la plaie ouverte au Cachemire. Ici l’Inde recevra le coup béni qui liquidera son gouvernement mensonger et donnera la place à un gouvernement militaire préparant un autre gouvernement plus véridique. Ici la Chine recevra le coup qui la libérera de son Asoura maoïste, en même temps qu'il rapprochera la Russie et l’Amérique contre le danger commun. Ici le Viet-Nam perdra ses deux suppôts mensongers, au Nord et au Sud, et mettra de l’ordre dans sa propre maison. Ici le Pakistan aura dressé son propre piège en s'alliant à la Chine et perdra ses droits sur le Bengale et la partie orientale de l’Inde.3 Livré à sa seule unité occidentale qui économiquement ne peut pas vivre par elle-même, le Pakistan sera obligé d'entrer dans une confédération avec l’Inde et de comprendre que sa destinée est inséparable de celle de l’Inde. Ici la Russie assagie et l’Amérique assagie, et la terre apeurée, prendront conscience qu'ils doivent eux aussi entrer dans une confédération des nations de la terre et que le destin d'une nation est inséparable du destin de toutes les autres nations.

Et l’ordre rentrera dans la maison. l’homme pourra se préparer à une plus vaste aventure.

En définitive,

chacun commet les erreurs qui aideront

au plus large triomphe de la Vérité.

Satprem

24 juin 1967

24 juin 1967

Beaucoup de choses à dire, mais... Il vaut mieux arriver au bout. C'est une courbe. Il vaut mieux arriver au bout. Il est trop tôt pour parler.

(Après un silence) La presque totalité des mouvements du corps sont des mouvements d'habitudes. Il y a, derrière, la conscience du mental physique (ce que j'appelle le «mental cellulaire») qui lui, est constamment conscient de la Présence divine et anxieux de ne rien admettre que Ça; alors il y a tout un travail qui se fait pour changer, déplacer l’origine des mouvements. Je veux dire qu'au lieu que ce soit justement, automatiquement, l’habitude, que ce soient automatiquement la Conscience et la Présence divines qui fassent mouvoir (Mère fait le geste de pousser la Conscience dans le corps).

Mais c'est très... très inexprimable, c'est-à-dire que dès que l’on essaye d'exprimer, cela se mentalise, ce n'est plus ça. C'est pour cela que c'est très difficile à exprimer, je ne peux pas en parler.

Mais il me semble que je t'avais dit, il n'y a pas longtemps, cette habitude et ce goût du drame dans la conscience la plus matérielle.1 C'était le point de départ. Dès que c'est devenu conscient, cette habitude-là est devenue on peut dire étrangère, étrangère à la conscience véritable, et alors le transfert est en train de se faire.

C'est un travail très délicat et difficile.

N'est-ce pas, c'est lutter contre une habitude millénaire. C'est l’automatisme de la conscience matérielle qui est, oui, dramatique, presque catastrophique; quelquefois dramatique, et dramatique avec l’imagination d'une conclusion qui défait le drame. Mais tout cela, dès qu'on l’exprime, ça devient beaucoup trop concret. Il vaut mieux ne pas en parler.

Dès que c'est dit, cela devient artificiel.

Et c'est comme si, pour remplacer cette habitude, il y avait une espèce d'effort pour en créer une autre (!) qui n'est qu'une approximation. Est-ce que cet état de conscience, cette manière d'être, cette manière d'exister, de réagir, d'exprimer, est-elle, tend-elle vers la Manifestation Divine? Est-elle en conformité avec la tendance vers la Manifestation Divine?... Et la pensée est silencieuse, immobile, alors l’imagination ne fonctionne pas (tout cela volontairement), et le mouvement essaye d'être aussi sincère et aussi spontané que possible sous l’influence de la Présence divine... Les mots déforment tout.

De temps en temps – de temps en temps, tout d'un coup: l’expérience concrète, comme dans un éclair; l’expérience de la Présence, de l’identification. Mais cela dure... quelques secondes, et puis ça recommence comme c'était.

Ça ne peut pas s'exprimer.


(Puis Mère passe à la traduction de deux textes de Sri Aurobindo, qu'elle veut publier.)

«Le grand secret de la sâdhanâ, c'est de savoir faire faire les choses par le Pouvoir qui est derrière ou au-dessus, au lieu de tout faire par l’effort du mental.»

C'est exactement cela.

Et puis:

«l’importance du corps est évidente; c'est parce que l’homme a développé ou a été doté d'un corps et d'un cerveau capables de recevoir et de servir une illumination mentale progressive qu'il s'est élevé au-dessus de l’animal. De même, c'est seulement en développant un corps, ou tout au moins un fonctionnement de l’instrument physique, capable de recevoir et de servir une illumination encore plus haute, que l’homme s'élèvera au-dessus de lui-même et réalisera non seulement dans sa pensée et dans son être intérieur, mais dans la vie, une humanité parfaitement divine. Sinon, ou bien la promesse de la Vie est démentie, sa signification annulée et l’être terrestre peut seulement réaliser Satchidânanda en s'abolissant lui-même, en rejetant le mental, la vie et le corps, et en retournant au pur Infini, ou bien l’homme n'est pas l’instrument divin, une limite est prévue au pouvoir de conscience progressif qui le distingue de toutes les autres existences terrestres, et, de même qu'il les a remplacées en tête du monde, de même un autre être doit éventuellement le remplacer et assumer son héritage.»

(La Vie Divine, XVIII.231)

Je comprends! J'étais occupée de cela tout le temps.

(silence)

Mais la conclusion de Sri Aurobindo, c'est que ce n'est pas ça (le corps) qui peut changer: ce sera un nouvel être.

Non! il dit «si» il ne peut pas, ce sera un nouvel être.

Non, je ne veux pas dire là, dans ce texte: je veux dire dans les choses qu'il a écrites après.

?...

D'ailleurs c'est la même chose, parce que... Qu'un corps puisse changer?... Et encore, cela paraît très difficile – ce n'est pas impossible. Ce n'est pas impossible, mais... c'est un si formidable labeur que la vie est trop courte; alors même là, il y a quelque chose à changer, n'est-ce pas, cette habitude d'usure est une chose terrible.

Oui, mais un «nouvel être», d'où est-ce qu'il viendrait? Il tombera du ciel!

Mais non, c'est justement cela! Plus on regarde... Ça ne va pas venir comme cela (Mère rit), ça va venir évidemment d'une manière analogue à la manière dont l’homme est venu de l’animal. Mais les échelons entre l’animal et l’homme, ils nous manquent – on le pense, on l’imagine, on a retrouvé des choses, mais à vrai dire on n'y a pas assisté! on ne sait pas comment cela s'est passé. Mais cela ne fait rien... D'après certains, on peut consciemment commencer à faire la transformation intérieurement en formant l’enfant. C'est possible, je ne dis pas non. C'est possible. Et alors, il faudra que celui-là encore en fasse un autre plus transformé, et ainsi de suite, plusieurs échelons comme cela qui disparaîtront comme ont disparu les échelons entre le singe et l’homme?

Eh bien, oui, c'est toute l’histoire du perfectionnement humain.

On peut appeler cela comme on veut, n'est-ce pas. Mais un ÊTRE NOUVEAU... Nous, nous concevons comme tu dis un être nouveau qui descend tout fait, tout fabriqué!... Ça, c'est du roman-feuilleton.

C'est bien ce que Sri Aurobindo dit aussi. Il faut le fabriquer.

Ce serait après deux ou trois – ou quatre ou dix ou vingt, je ne sais-pas – êtres intermédiaires, que viendrait la nouvelle manière, la manière supramentale de créer... Mais est-ce qu'il sera nécessaire d'avoir des enfants? Est-ce que cela ne supprimera pas la nécessité des enfants pour remplacer ceux qui ne seront plus, puisqu'ils continueront à être indéfiniment? Ils se transformeront eux-mêmes assez pour s'adapter aux besoins nouveaux.

Tout cela est très concevable à longue échéance.

Oui, longue échéance.

Mais justement vous êtes là pour que ce soit à brève échéance!

Non, Sri Aurobindo n'a pas conçu cela à brève échéance.

Enfin, pour que ce soit toi. À brève ou longue échéance, mais que ce soit toi qui le fasses, dans cette vie et dans ce corps.

Mais je vois...

Je suis en train d'essayer de le faire – pas par une volonté arbitraire, rien du tout, simplement il y a «quelque chose», ou quelqu'un ou une conscience ou n'importe quoi (je ne veux pas en parler), qui se sert de ça (le corps de Mère) en essayant d'en faire quelque chose. C'est-à-dire qu'en même temps, je fais et je suis témoin, et le «je», je ne sais pas où il est: il n'est pas là-dedans, il n'est pas là-haut, il n'est pas... Je ne sais pas où il est, c'est pour la nécessité du langage. Il y a «quelque chose» qui fait et qui assiste en même temps à la chose, et en même temps qui est l’action qui le fait: les trois.

Parce que le corps lui-même, maintenant, vraiment il collabore autant qu'il peut – autant qu'il peut – avec une bonne volonté et un pouvoir d'endurance qui va croissant, et vraiment le retour sur soi est réduit au minimum (il y en a, c'est comme quelque chose qui de temps en temps effleure, mais même pour quelques secondes cela ne reste pas). Ça, le retour sur soi, c'est tout à fait l’atmosphère dégoûtante, répugnante et catastrophique. Et c'est comme cela, c'est SENTI comme cela. Et cela devient de plus en plus impossible, je le vois, c'est visible... Mais il y a encore tout le poids des millénaires de mauvaises habitudes que l’on pourrait appeler pessimistes, c'est-à-dire s'attendant à la déchéance, s'attendant à la catastrophe, s'attendant... enfin toutes ces choses, et c'est cela qui est le plus difficile, ouf! à purifier, clarifier, sortir de l’atmosphère. C'est tellement DEDANS que c'est tout à fait spontané. C'est cela qui est le grand-grand-grand obstacle, cette espèce de sentiment de l’inévitable déchéance.

Naturellement, au point de vue mental, c'est toute l’atmosphère terrestre qui est comme cela, mais dans le mental ça a très peu d'importance: un rayon de lumière et c'est balayé. Mais c'est LÀ-DEDANS (montrant son corps), c'est cette habitude – cette habitude catastrophique – qui est terrible, terrible à contredire. Et il est indispensable qu'elle disparaisse pour que l’autre puisse s'installer.

Alors, c'est une lutte de chaque minute, chaque minute, tout le temps, tout le temps.

Et, n'est-ce pas, l’être n'est pas isolé, le corps n'est pas isolé: il est plus ou moins une multitude, avec des degrés de proximité; mais très proches il y a tous ceux qui sont ici, et c'est le même problème – même problème. Parce que ce qui est acquis dans la conscience de cet être-là, n'est pas acquis du tout dans la conscience des autres. Alors cela augmente le travail.

Le problème de la contagion mentale, et même vitale, est pour ainsi dire résolu, mais le problème de la contagion matérielle reste encore là.

Et dans cette conscience matérielle, il y a ce mental matériel qui a si merveilleusement répondu ici (dans Mère), mais il n'a pas encore le pouvoir de s'affirmer spontanément contre ce qui vient du dehors, cette contagion perpétuelle, constante-constante, de chaque minute.

(long silence)

Quand tout d'un coup le Contact est conscient et le sens de l’Identité vient (comme je dis, pour quelques secondes), mais quand ça vient... c'est comme un hosanna de toutes-toutes les cellules, qui disent: «Oh! mais oui, c'est vrai! c'est donc vrai!...»

Ça, c'est tout-puissant.

Cela vient peut-être cent fois par jour, mais ça ne reste pas.

28 juin 1967

À propos d'une disciple italienne qui vient d'arriver

...La famille voulait baptiser l’enfant et ils commençaient à se disputer (parce que je dis: «Nous ne voulons pas de baptêmes»), alors ils m'ont écrit, désespérés, en me disant: «Nous ne savons pas que faire, parce que nous avons toute la famille contre nous et ils nous cherchent querelle tout le temps.» Alors j'ai écrit: «Si vraiment ils veulent la liberté, qu'ils viennent avoir l’enfant à Auroville!...» Oh! ils ont été enthousiastes et elle est partie tout de suite!

Tiens, voilà le registre! (Mère montre en riant le cahier où elle a inscrit la première naissance à Auroville, il y a quelques jours.)

30 juin 1967

(Il s'agit d'un disciple indien d'Afrique du Sud qui est incarcéré depuis quelques mois dans une prison syrienne sous prétexte que ses billets étaient faux.)

...Ils n'ont pas de gouvernement pour les protéger. Avant l’indépendance de l’Inde, ils avaient un passeport britannique, et maintenant le gouvernement d'Afrique du Sud ne les reconnaît pas, le gouvernement de l’Inde ne s'en occupe pas, et ils sont comme cela, ni chair ni poisson, et personne pour les protéger. C'est assez curieux.

Il y en a ici [à l’Ashram] qui ont encore un passeport anglais et ils ne savent pas comment faire. Us ne sont ni ça ni ça, ils sont rien!

Ceux qui sont gentils, je leur dis: «Cela ne fait rien, vous allez devenir Auroviliens.» Cela sauve tout. Parce que le principe a été reconnu par l’Unesco, ils ont reconnu le principe: chacun devient Aurovilien, plus de nationalité séparée. Alors c'est très bien.

C'est intéressant comme idée.

Seulement, je les mets en garde pour l’admission, parce que... (Mère rit) cela pourrait être considéré comme un refuge pour les brigands qui ont été renvoyés de chez eux!... Tant que je contrôle l’admission, ça va bien, mais après?...

Quel est donc ce pays qui a commencé par une colonie de brigands?... (Riant) Il y a un pays comme cela dans le monde, qui a commencé par une colonie, je ne me souviens plus lequel.1


Peu après

Ce matin, je me souviens, à quatre heures et demie quand je me suis levée, j'ai pensé: «Tiens, ça, c'est intéressant à dire à Satprem.» Puis maintenant tout est parti!...

(Mère entre dans une longue méditation qui dure presque tout le temps de l’entrevue)

Ça pourrait aller indéfiniment!...

Mais cette chose de ce matin, je me souviens maintenant, c'était pour la santé et l’équilibre physique; parce que c'était comme une réponse à une sorte d'appel (ou de prière ou d'aspiration, enfin comme tu veux) que j'avais faite hier soir, et alors c'était comme si, dans la nuit, on m'avait montré le mécanisme pour rétablir l’harmonie dans le fonctionnement du corps.

Et spécialement, j'avais fait une concentration pour toi, et cela a continué ce matin... Je me souviens maintenant.

Ce sont des choses qui ne peuvent pas s'expliquer encore. Ce n'est pas encore explicable.

Mais c'est revenu juste maintenant, comme une démonstration... Comment pourrait-on appeler cela? une sorte de mode d'être des cellules et de leurs relations les unes avec les autres, sous... (comment dire?) le gouvernement de la Conscience suprême. Et la différence de fonctionnement. Comment établir l’équilibre intérieur.

Ça ne peut pas s'expliquer.

Alors c'était cela qui se faisait (la nuit dernière et pendant toute la méditation). Et c'est un travail qui paraît presque interminable.

Je me souviens, ce matin, pendant à peu près une heure, j'ai eu une démonstration sur mon propre corps, de comment faire. Une démonstration. Mais ça ne peut pas s'expliquer. Et juste maintenant, ça a recommencé, mais au lieu d'être seule, c'était une démonstration que je pourrais appeler collective (geste entre Mère et le disciple), mais enfin il s'agissait plus particulièrement de toi.

C'est une espèce de mise en ordre des choses, une certaine manière très subtile, pas facile à exprimer.

Voilà.

Mais on voit, n'est-ce pas, c'est un travail interminable. Le travail d'ensemble est relativement prompt, mais c'est le travail de détail, pour chaque chose, c'est presque interminable.

Et puis... (souriant) on n'a pas envie de parler non plus!

Alors j'espère que cela aura un effet sur toi.

Pendant que tu méditais, j'avais une impression d'extraordinaire harmonie.

Ah!

Une espèce de souplesse – de douceur, de souplesse, d'harmonie.

Oui, c'est cela, c'était cela.

Alors c'est bien, cela prouve que tu es réceptif.

Mais dès que l’on essaye d'expliquer, il y a comme un principe d'artificialité qui vient et ce n'est plus ça.

C'était ça, oh! pendant... (ce matin, en détail) pendant plus d'une heure... (comment dire?) le remplacement d'un genre de vibration par un autre. Et dans l’ensemble, quelque chose de... simplement harmonieux, une grande simplicité, une grande harmonie.

Bon.

juillet




5 juillet 1967

Cet homme qui était parti en Israël, l’Ambassade de l’Inde lui a refusé le visa pour revenir ici!1... Alors il est obligé d'aller en Amérique (l’Amérique est son pays, il est Américain), il va retourner en Amérique, puis il m'a dit qu'il allait gagner de l’argent pour venir me l’apporter!

Il y a un autre garçon ici qui devait aller travailler en Allemagne avec E, tout était arrangé, et puis l’Allemagne a dit: «Non, nous ne voulons pas d'Indiens.» Alors c'est une fraternité générale.

Mais avec l’histoire d'Israël et la position qu'ils ont prise, les Indiens ne se sont pas faits d'amis.

Non.

Oh! mais de Hollande, il y a une femme qui était ici, qui m'a écrit de Hollande (au moment de l’incident) en me disant: «Je n'ai jamais vu de ma vie un déploiement de haine comme celui que l’on a ici contre les Israélites!...» En Hollande!

Et en Allemagne, Dieu sait que c'est la même chose. Alors ce n'est pas localisé. C'est le principe de haine qui se manifeste, à tort et à travers, sans rime ni raison.

En France aussi, paraît-il, il y avait un grand mouvement anti-israélite, très violent.

Ce n'est pas la majorité en France. C'est une petite minorité.

Ah?... Je ne sais pas.

C'est la minorité qui était précisément du côté de Vichy pendant la guerre.

Comment s'appelait-il, ce maréchal?

Pétain. Oui, c'est tout ce côté-là.

Oui, qui s'est conduit comme... Il semblait vouloir imiter Hitler autant qu'il pouvait!

Non, mais l’incohérence de tout cela... On en veut à l’Inde à cause de son attitude dans cette guerre, et on en veut aux Israélites parce qu'ils ont été victorieux dans la guerre! Et alors cela ne fait rien, les choses les plus contradictoires dans la même pensée – c'est le besoin... de haïr. D'être désagréable, aussi désagréable que l’on peut.2


Peu après

J'ai fait un rêve assez curieux.

Ah! dis-moi cela.

Mais je ne sais pas si ce n'est pas une fabrication parce que tout cela se passait dans une atmosphère assez obscure et confuse... Je me souviens que Sri Aurobindo était allongé et qu'il devait subir une grave opération, et c'était une opération à ses deux pieds et à tous les doigts de ses pieds. Puis il est parti pour se faire opérer (il est parti tout seul d'ailleurs, sans aide, pour se faire opérer). Et puis je l’ai vu revenir quelques instants après (c'était pourtant une longue opération), je l’ai vu revenir avec les deux pieds très bandés, de gros bandages aux deux pieds. Puis j'ai été très surpris, parce que très rapidement je l’ai vu marcher, il n'avait plus de bandages, et il avait des chaussures neuves aux pieds.

Oh!

Des chaussures neuves, je vois même les chaussures... qui m'avaient semblé assez curieuses, d'une couleur crème. Et lui qui n'avait pas l’habitude de porter des chaussures, il avait des chaussures! Mais très rapidement.

Crème?

Oui, couleur... tiens, comme cette boîte. Ce n'est pas crème, c'est un rose... un mélange de rose et de crème.3

Ah!

Les pieds, c'l’enregistrement du début de cette conversation n'a pas été conservé.est le symbole de la vie physique, et selon ce que j'ai vu une fois (ton rêve paraît être en relation), CHAQUE partie de son corps représentait quelqu'un – représentait plutôt le MODE d'expression de lui, Sri Aurobindo, dans une personne.4

Je l’ai vu une nuit comme cela, je te l’ai raconté. Mais c'était extrêmement complexe; je n'ai noté que deux ou trois choses qui étaient importantes, mais c'était comme s'il n'y avait pas un petit bout de son corps qui n'était représenté par quelqu'un... Alors si nous prenons le symbole des pieds comme le physique... Tu dis non seulement les pieds, mais tous les doigts?

Tous les doigts, oui.

C'est-à-dire un certain nombre de personnes.

Dans ma vision, les deux pieds, c'était moi. Mais dans ma vision, ses pieds avaient des tabis blancs, pour que je comprenne bien que c'était moi. Et dans ma vision, il marchait sur le bord du chemin où tous les silex étaient à nus, alors c'était très dur et très coupant, et il a dit: «Non, il ne faut pas que ce soit comme cela, il faut remonter plus haut sur la route pour que ce soit moins pénible», et il est revenu au milieu. Alors si c'est cela, si c'est le même symbole qui continue, ce serait quelque chose qui me concernerait – c'est possible.

Les souliers, c'est le revêtement. C'est un revêtement... Tu dis d'un crème rosé?

Oui, crème rosé.

C'est la couleur supramentale dans le physique. Je l’ai vu comme cela.

Alors j'aurais un revêtement supramental?... Je mettrais un revêtement supramental? Ce serait amusant!

Il est très intéressant, ton rêve; ce n'est pas un rêve, c'est beaucoup mieux qu'un rêve.

Mais il y avait une grave opération.

Oui, mon petit, je le sais bien! (Mère rit) Mais ça a pris une minute. Tu as dit qu'il est revenu presque tout de suite.

Oui, il est revenu presque tout de suite; et puis j'ai été surpris: très rapidement il a marché.

Oui, c'est cela! (Mère rit)

Il est revenu avec de gros bandages aux deux pieds.

(Après un silence) Quand as-tu eu ce rêve?

Il y a deux jours, dans la nuit de dimanche à lundi.

C'est cela.

Dimanche (dimanche dans la soirée), avant de me mettre au lit, je me suis plainte (je ne peux pas dire très sérieusement, mais enfin tu sais quand on est d'une humeur grognon, comme cela), je me suis plainte, j'ai dit: «Mais puisque Tu veux que je Te manifeste, pourquoi permets-tu que je sois aussi mal fichue!» Il y avait toutes sortes d'embêtements – des petits embêtements naturellement, mais quand il y en a beaucoup, cela finit par faire un embêtement tout court. Et alors (riant), je grognais! Ça a pris l’espace d'une seconde ou deux, et après j'ai ri! Mais j'ai grogné, j'ai protesté. C'était comme s'il me disait (le corps): «Pourquoi toutes, oui, toutes ces opérations douloureuses?» Alors imédiatement, je me suis donné une bonne claque en me disant: «Tu es encore pleine de vanités, tu n'as que ce que tu mérites!» Puis cela a été fini.

Mais c'est comme cela et c'est vrai; c'est vrai, ça paraît être, ouh! très sérieux, très difficile, très compliqué, très... alors que probablement, si nous étions moins stupides, cela pourrait être très facile et très rapide! C'est évidemment notre propre stupidité, cela ne fait pas l’ombre d'un doute.

(long silence)

Justement ces jours-ci (à cause de toutes sortes de choses – de gens et de choses qui arrivent), je vois de plus en plus que la conception humaine de la Toute-Puissance divine, c'est la conception d'une toute-puissance qui s'exercerait sans rime ni raison, par une suite de caprices successifs et en dépit de tout bon sens, et c'est cela que les hommes appellent la «Toute-puissance», c'est de pouvoir faire tout ce qui est le plus stupide, à volonté.

Mais il est évident que ce n'est pas très conforme à une Harmonie supérieure (!) Et les hommes sont comme cela: si le dieu qu'ils adorent ou le divin qu'ils veulent manifester n'est pas prêt à faire, à exécuter tout ce qui leur passe par la tête d'une façon tout à fait incohérente et arbitraire, il n'est pas tout-puissant!

Je le mets d'une façon exagérée pour le rendre plus sensible; ce n'est pas comme cela: ils se trompent eux-mêmes (si on leur dit cela, ils protestent), mais ils se trompent eux-mêmes, et cela revient à ce que je viens de dire.

Quand on arrive à entrer dans cette Conscience d'Harmonie (mais pas d'harmonie individuelle ou d'harmonie locale), une Harmonie Universelle – et ultra-universelle, n'est-ce pas, dont l’univers n'est qu'une partie –, les valeurs changent tout à fait, tout à fait...

(Mère hoche la tête et reste en contemplation)

Toutes les choses sont à la fois si simples et si COMPLEXES...

Par exemple, cette relation de simplicité (comme celle d'un enfant) où l’on demande très simplement la chose dont on sent le besoin, mais sans complications mentales; sans explications, sans légitimations, sans tout ce fatras inutile, simplement: «Oh! je voudrais...» Par exemple, on a un sentiment tout particulier pour quelqu'un ou pour quelque chose et on voudrait que ce quelqu'un ou ce quelque chose soit parfaitement harmonieux, heureux (et cela se traduit physiquement par être bien portant ou des circonstances favorables), et alors, spontanément, simplement, on dit: «Oh!... (on prie) que ce soit comme cela!» Et ça arrive. Et alors la pensée (la pensée humaine, générale): «C'est arrivé, par conséquent c'est l’expression de la Vérité.» Et on en fait un principe: «Ça, c'est vrai, c'est comme cela que ça doit être.» Et là-haut, dans cette Conscience – Conscience globale –, dans cette Harmonie totale, ce sont des choses qui en elles-mêmes, dans leur expression matérielle (bien portant, circonstances favorables), n'ont qu'une importance pour ainsi dire plus que minime, une importance presque inexistante: ça peut être comme ça ou comme ça ou comme ça (ça peut être de cent façons différentes), cela ne change rien à l’Harmonie; mais celle-là est choisie à cause de la beauté simple, pure, naïve, de l’aspiration – ça, c'est joli, c'est ça qui est puissant dans sa simplicité. Et, n'est-ce pas, sans complications mentales, sans hypocrisie d'aucun genre, sans prétention d'aucun genre: tout simplement, mais d'un cœur lumineux, pur, aimant et sans aucun égoïsme, «comme cela». Alors ça, c'est une jolie lumière qui a sa place; et à cause de ça, eh bien cela peut être comme ça ou comme ça (bien portant, circonstances favorables), cela ne fait rien, cela n'a pas d'importance. Et les hommes attachent de l’importance seulement à la forme extérieure, à ce qui s'est manifesté; ils disent: «Oh! ça, c'est vrai, puisque ça est» – ça, c'est... un souffle qui passe. Mais la cause de ça, l’origine de ça a sa place dans cette Harmonie totale universelle: la bonne volonté désintéressée, l’amour qui n'a pas d'égoïsme, la confiance qui ne discute pas, qui ne raisonne pas, la simplicité – la simplicité candide pour laquelle le mal n'existe pas.5 Si l’on pouvait attraper cela et le garder... Cette confiance pour laquelle le mal n'existe pas – pas «confiance» en ce qui se passe ici: confiance là-haut, dans ce principe tout-puissant d'Harmonie.

(long silence, puis Mère répète cette prière:)

Gloire à Toi, Seigneur, Triomphateur suprême,
Permets que rien en nous ne fasse obstacle à Ton œuvre,
Permets que tout en nous soit prêt pour Ta manifestation.6

8 juillet 1967

(Mère se met au classement d'innombrables bouts de notes et s'arrête à celle-ci:)

«For the government of India, one thing is to be known: does it want to live for the Future or does it stick desperately to the past?»1

June 20,1967

C'est cet homme qui est venu ici de la part du gouvernement de l’Inde, qui a tout vu et qui devait leur faire un rapport. Avant de s'en aller (je l’ai vu: l’homme est gentil), il a dit: «Comment vais-je leur parler? Comment vais-je les convaincre? Je n'en sais rien.» Alors je lui ai dit: «Voilà, il n'y a qu'une question: est-ce qu'ils veulent travailler avec l’avenir ou est-ce qu'ils veulent... coller, se coller au passé?» Et il l’a emporté! (Mère rit) Il va leur dire cela en plein Parlement!


Un autre bout de note:

«As the origin of these sayings is not mental, I can-not give to them any mental explanation.»2

Oui, cela encore... On me pose des questions (ce n'est pas moi qui réponds, c'est Sri Aurobindo) et après on me demande (spécialement K, c'est sa spécialité): «Dans votre message, vous avez dit cela, est-ce que cela veut dire ça ou est-ce que cela veut dire ça?» Oh!...

Alors cette fois-ci j'ai répondu.


Mère continue son classement

Avant, je déchirais et je jetais dans le panier, puis je me suis aperçue que l’on ramassait tous ces papiers déchirés et qu'alors on faisait un travail formidable pour les remettre ensemble!...

Quand je veux vraiment me débarrasser de quelque chose, je le brûle moi-même... J'ai brûlé beaucoup de choses.

Tu sais que j'ai brûlé tous ces cahiers... Pendant combien d'années? au moins quatre ou cinq ans, j'écrivais tous les jours Prières et Méditations (j'en avais de grands cahiers comme cela), puis, quand Sri Aurobindo m'a dit d'en faire un livre (naturellement c'était écrit tous les jours et il y avait des choses qui se répétaient), alors j'ai fait mon choix; j'ai choisi et coupé tous ceux qu'il voulait (j'en ai gardés quelques-uns que j'ai coupés et distribués), et le reste... C'était il y a longtemps-longtemps, j'habitais encore là-bas.3 Les dernières fois que j'ai écrit, c'était après le retour du Japon, c'est-à-dire en 1920. En 1920, j'ai écrit encore un peu, puis j'ai cessé. Alors Sri Aurobindo l’a vu par hasard et il m'a dit qu'il fallait le publier. J'ai dit bon, j'ai fait un extrait, et que faire du reste? Alors j'ai brûlé.

Oh! j'en ai entendu dire!...

J'ai dit: «Eh bien, c'est cela qu'il faut faire de votre passé: brûlez-le avec le feu de l’aspiration.» Autrement, on est toujours accroché-accroché, esclave partout, avec des boulets qu'on tire.

Mais je te dis, après, je me suis aperçue que si ce n'est pas moi qui brûle, les autres gardent les bouts!... Il y avait des choses sur lesquelles j'avais mis «à détruire au cas où je quitterais ce corps», «détruire sans regarder», je me suis aperçue que je ne pouvais avoir confiance en personne! Alors je l’ai détruit moi-même.

Même quand j'écris des comptes, on me demande les bouts de papiers! J'en ai donné des paquets à Champaklal. Lui, les garde. Il a gardé... (Sri Aurobindo brûlait des coils4 dans sa chambre, contre les moustiques), il a gardé toutes les cendres de ces «coils»! Il en a un grand pot comme ça: toutes les cendres! Les bouts d'allumettes aussi! Il a tout gardé et rangé, organisé, étiqueté, tout!... Bon.

Alors je sais par expérience comment ils font... (riant) je prends mes précautions!

12 juillet 1967

(Mère a demandé au disciple d'écouter un enregistrement de musique européenne pour elle.)

Cette soprano qui hurle, c'était tout simplement abominable. Même la musique de Schubert, même le trio de Haydn m'ont semblé artificiels.

Je ne peux plus entendre de musique.

De temps en temps, deux, trois notes sont très bien, puis le reste, c'est de la construction mentale. Je ne peux plus entendre de musique.

Il n'y a que la musique de Sunil, ça va. Et encore, il y a des «bouche-trous», mais pas trop, pas beaucoup.


Hier, j'ai reçu vingt-six lettres dans une journée! Aujourd'hui, il y en a déjà un tas! Alors comment peuvent-ils s'imaginer que j'aie le temps de répondre?... Je réponds quatre, cinq, six lettres par jour, je trouve que c'est déjà bien! (Mère rit)


Plus tard

C'est comme cela. Tout d'un coup, pendant deux, trois secondes, c'est comme si l’on tenait la clef. Et alors, tout ce qu'il est convenu d'appeler des «miracles», cela paraît la chose du monde la plus simple: «Mais c'est tout à fait simple, il n'y a qu'à faire cela!» Et puis... ça s'en va. Et quand c'est parti, on cherche, on essaie – c'est tout à fait inutile.

Et quand c'est là, c'est si simple, si naturel! Et absolument tout-puissant.

(silence)

Un monde de choses que l’on pourrait dire. Mais ça les abîme de les dire.

Mais une chose qui a l’air de vouloir venir, c'est le pouvoir de guérir. Mais pas du tout comme on le décrit, ce n'est pas du tout cela – cela ne donne pas l’impression de «guérir», tu comprends? C'est... (Mère cherche) remettre les choses en ordre. Mais ce n'est pas cela non plus... C'est un petit quelque chose qui disparaît, et ce petit quelque chose, c'est... c'est essentiellement le Mensonge.

C'est très curieux.

C'est au fond ce qui donne à la conscience humaine ordinaire le sens de la réalité. C'est cela qui doit disparaître. Ce que nous appelons «concret», «c'est une réalité concrète»... oui, ce qui vous donne vraiment le sens de l’existence réelle, c'est cela qui doit disparaître, et être remplacé par... C'est inexprimable.

(silence)

Maintenant je peux suivre.

Je me souviens, quand je suis revenue après avoir été ces éclatements – ces pulsations, ces éclatements – d'Amour créateur,1 quand je suis revenue à la conscience ordinaire (en gardant le souvenir très-très réel de Ça, de cet état-là), eh bien, c'est cet état-là, c'est ce que je sentais comme les pulsations d'Amour créateur, c'est ça, c'est Ça qui, ici, doit remplacer cette conscience de réalité concrète, qui est, qui devient irréelle: c'est comme quelque chose de sans vie; c'est dur, c'est sec, c'est inerte, c'est sans vie; et pour notre conscience ordinaire (je me souviens comment c'était dans le temps), c'est cela qui vous donne l’impression: «Ça, c'est concret, ça c'est réel»; eh bien, c'est ce «ça», cette sensation-là qui doit être remplacée par le phénomène de conscience de cette Pulsation. Et c'est (Mère fait un geste intense qui enveloppe tout son visage), c'est à la fois toute-lumière, toute-puissance, toute-intensité d'amour, et une plénitude! C'est tellement plein que... rien d'autre ne peut exister que Ça, là aussi (dans la Matière). Et quand Ça c'est là, dans le corps, dans les cellules, alors il suffit de tourner Ça sur quelqu'un ou sur quelque chose, et imédiatement cela se remet en ordre.

Alors, traduit en mots ordinaires: ça guérit. Ça guérit la maladie. Mais cela ne la «guérit» pas: ça l’annule... Oui, ça l’annule.

Ça l’irréalise.

Absolument. J'ai des preuves concrètes.

N'importe quelle maladie, n'importe.

(silence)

Et il est incontestable que c'est la condition de toutes les cellules (les vibrations qui constituent ce corps) qui rend la chose possible ou non (la guérison), c'est-à-dire que ça sert ou de transmetteur ou au contraire d'obstruction, suivant la condition dans laquelle il se trouve (le corps). Parce que ce n'est pas l’action d'une «force supérieure» À TRAVERS la Matière, dans les autres: c'est une action directe (geste horizontal, au même niveau) de matière à matière.

Ce que les gens appellent généralement le «pouvoir de guérir», c'est un pouvoir mental ou vital très grand qui s'impose à travers la résistance de la Matière – ce n'est pas cela du tout! C'est la contagion d'une vibration. Et alors c'est irrévocable.

Et ça dure un éclair. C'est seulement une promesse ou un exemple de ce qui sera: ce SERA comme cela, c'est évident. C'est évident. Quand?... C'est une autre affaire.

(silence)

Ici-même, cette Vibration-là donne l’impression (Mère fait un geste comme si tout se gonflait)... N'est-ce pas [l’état ordinaire du corps], c'est lié; c'est lié, c'est attaché, on pourrait dire que c'est durci, je ne sais pas; et alors à ces moments-là, c'est comme si ça se gonflait, se dilatait.

Seulement c'est passager.


(À la fin de l’entrevue, Mère montre au disciple une note qu'elle a écrite le matin-même:)

«Au lieu de s'exclure, les religions devraient se compléter l’une l’autre.»

Sri Aurobindo m'a dit cela, c'est si simple, si simple!

Je voyais toutes ces religions, je les voyais comme des facettes, d'innombrables facettes qui se durcissent et se tendent les unes contre les autres, et c'est comme s'il disait: «Eh bien, mettez tout ça ensemble et ce sera si simple!»

Juste une phrase, pas un mot de trop.

15 juillet 1967

Il y a quelqu'un ici qui s'appelle S, qui est un homme de plus de quarante ans (oh! oui, beaucoup plus, je crois qu'il approche de cinquante ans) et il a appris le français, mais d'une façon si énergique qu'il l’écrit vraiment d'une façon remarquable. Il me pose régulièrement des questions en français, et à cause du soin avec lequel il écrit, je réponds. Et l’autre jour, il m'a écrit (je ne me souviens plus de ses mots, mais c'était très bien), qu'il venait de s'apercevoir que l’aspiration au progrès et le résultat de l’aspiration étaient tous deux la Grâce divine, l’effet de la Grâce divine... Alors je me suis dit: «Tiens, je vais voir s'il sait assez le français pour avoir le sens de l’humour.» Et je lui ai répondu ceci:

«On pourrait dire d'une façon humoristique que nous sommes tous divins, mais que nous ne le savons guère, et c'est ce qui, en nous, ne le sait pas, ou ne se sait pas divin, que nous appelons nous-mêmes!»

Je vais voir sa réaction.

Après, quelque chose est venu et je l’ai écrit sous sa forme définitive:

«Au regard de la Vérité, nous sommes tous divins, mais nous ne le savons guère et, en nous, c'est juste ce qui ne se sait pas divin que nous appelons nous-mêmes.»

En anglais, c'est mieux:

«For the Truth-vision all of us are divine, but we scarcely know it and in our being it is just what does not know it that we call ourselves.»


(Peu après, à propos d'une faute d'orthographe que le disciple signale à Mère:)

C'est l’infinitif, ici, douce Mère!

(Mère rit) J'ai oublié ma grammaire!

Ça, je comprends très bien! C'est tellement artificiel.

N'est-ce pas, je n'ai plus du tout de mémoire, excepté la conscience, et dans la conscience, ça n'a pas de sens!

Dernièrement, oh! il y en a! il y a des exemples qui sont venus comme cela, qui se sont déroulés devant moi, et je me suis dit: «Mais pourquoi est-ce comme cela? Ça n'a pas de sens, ça ne correspond à rien.»

Comment cela s'est-il formé? – Par habitude? Ou ce sont des cerveaux qui ont décidé?

Ce sont des cerveaux: des grammairiens.

Il y a tout un monde de choses que l’on sait simplement par habitude, automatiquement, qui ont été tout à fait effacées (parce que toutes les habitudes sont de plus en plus effacées), et alors c'est quelquefois embarrassant! Et ça revient, toutes ces choses reviennent comme cela, comme sur un écran (mais l’écran de la conscience), et alors celles qui correspondent à une réalité, elles viennent en avant comme une image et la réalité est derrière, alors c'est très facile: on attrape la réalité et c'est fini. Mais il y en a beaucoup: il n'y a que l’image! il n'y a rien derrière. Alors comment les remplacer?

C'est très intéressant au point de vue des langues... Ce sont des choses qui viennent, qui restent une heure, deux heures et qui s'en vont; ce sont comme des leçons, des choses à apprendre; et un jour comme cela, est venue la question des langues, les différentes langues. Ces langues se sont formées petit à petit (probablement par l’usage, et puis, comme tu dis, un jour quelqu'un s'est avisé de fixer cela d'une façon logique et grammaticale), mais derrière ces langues, il y a des expériences identiques – identiques dans leur essence – et il y a des sons certainement qui correspondent à ces expériences; et ces sons se retrouvent dans les langues, les différents sons avec de toutes petites déviations. Et un jour (pendant longtemps, pendant plus d'une heure), cela s'est déroulé avec toutes les preuves à l’appui et toutes les langues. Malheureusement, je ne voyais pas clair, c'était la nuit, je ne pouvais pas noter, et alors c'est parti. Mais ça doit pouvoir revenir. C'était vraiment intéressant... (Mère cherche à se souvenir de l’expérience.) Il y avait même des langues que je n'ai jamais entendues: beaucoup de langues européennes, j'ai entendu; dans l’Inde, plusieurs langues indiennes, mais principalement le sanscrit; et puis le japonais; et il y avait des langues que je n'ai jamais entendues. Et tout cela était là. Et il y avait des sons, certains sons qui viennent de tout en haut, des sons... (comment dire?) des sons que Ton pourrait appeler essentiels, et je voyais comment ils prenaient forme et se déformaient dans les langues (Mère trace une ligne sinueuse qui descend et se ramifie en descendant). Des sons comme l’affirmative et la négation – ce qui pour nous est «oui» et «non» –, et puis l’expression de certaines relations... (Mère cherche à se rappeler). Mais ce qui était intéressant, c'est que c'était venu avec tous les mots, et des tas de mots que je ne connaissais pas! et à ce moment-là je les connaissais (ça vient d'un subconscient quelque part), je connaissais tous ces mots.

Et en même temps, il y avait une sorte de capacité ou une possibilité, un état, dans lequel on pouvait comprendre tous les langages; n'est-ce pas, chaque langage se comprenait à cause de sa jonction avec cette région (geste en haut, à la source des sons). Il semblait n'y avoir aucune difficulté pour comprendre toutes les langues. Il y avait comme une explication presque graphique (même ligne sinueuse qui descend et se ramifie) montrant comment le son s'était déformé pour faire ceci, cela, cela...

C'est un champ d'observation qui fait partie de l’étude des vibrations: comment les vibrations essentielles, à mesure qu'elles se répandent, se déforment et produisent les différents états: au point de vue psychologique, au point de vue de la pensée, au point de vue de l’action, et alors au point de vue des langues, de l’expression.

J'ai vu (cela fait partie du même domaine.), il y a deux ou trois jours, une petite qui est née en Amérique exactement au moment où, ici, nous avions la méditation, le 4.5.67. Cette petite est née en Amérique (d'une Indienne et d'un Indien, et le père était ici, la mère était là-bas), et on me l’a amenée: un bébé qui n'est pas plus grand que ça, microscopique! Les yeux fermés, toute petite: deux mois et quelque chose. La petite était endormie dans les bras de sa mère, portée par sa mère, les yeux fermés naturellement. Et alors, ploff! ils l’ont mise sur mes genoux sans préparation – toute petite, grande comme ça. Au commencement, je n'ai pas bougé, j'ai laissé qu'elle ait le temps de s'adapter à la vibration nouvelle. Elle a commencé à faire des mouvements comme si quelque chose la réveillait, probablement la différence d'atmosphère. Alors imédiatement (geste de descente), j'ai mis la conscience: la Conscience, la Présence. Et cette enfant, ses deux bras se sont ouverts comme cela (geste comme un Christ qui ouvre les bras) et elle a ouvert ses yeux, elle a regardé – des yeux! magnifiques de lumière, de conscience, c'était magnifique!... Ça a duré peut-être une minute, pas plus, même pas. Puis il y a eu comme un sursaut, alors j'ai retiré la Force parce que (riant) je me suis méfiée. Et elle s'est mise à gigoter, à... Mais ce regard et ce geste – un geste de... (même geste comme un Christ), avec une aspiration et une lumière!... C'était magnifique.

Je ne sais pas qui est là?... On le saura un jour. Cela m'a fait l’effet d'être plutôt une force ou un principe qu'une personne; ça n'avait pas ce caractère... ce caractère exigu de la personnalité.

Les yeux étaient magnifiques, d'une conscience! avec la joie d'une aspiration consciente, c'était magnifique. Et après, il y a eu presque comme une convulsion (c'était trop, n'est-ce pas), alors j'ai retiré la Force.

La matière (de l’enfant) était d'une bonne qualité, pas lourde, seulement pas beaucoup de force, pas assez de force pour tenir «ça».1

Tiens, j'aurais dû te montrer les photos de R, on me les a envoyées hier... R est un gaillard!

C'est simplement la reproduction des parents ou quelque chose d'autre?

Le jour de la naissance de l’enfant, est arrivé un télégramme d'Amérique (qui était de la veille) annonçant la mort de Paul Richard. Et les deux choses sont arrivées ensemble. J'ai été étonnée. J'avoue que je me suis dit: «Tiens!...» Parce que Paul Richard (à moins qu'il n'ait été complètement abruti depuis que je l’ai quitté, je ne sais pas!), je lui avais donné beaucoup de connaissances occultes, y compris la capacité de sortir de son corps et d'entrer dans un autre. Alors... Ce n'est pas une impossibilité.

Et je voyais depuis quelque temps (depuis à peu près une semaine), je voyais sa pensée qui venait ici, qui tournait ici, comme cela. C'est-à-dire que l’annonce de la mort n'a pas été une surprise pour moi. Mais ce qui m'a intéressée, c'est cela: la circonstance du télégramme et de la naissance.

La forme actuelle (de l’enfant) ne peut pas refléter ça (Richard): c'est quelque chose qui se développera dans ce sens-là petit à petit. On verra. Pour le moment il est vraiment le fils de son père et de sa mère!

Ce sont des enfants intéressants, ceux qui viennent maintenant.


(Puis Mère écoute la lecture du cahier d'un disciple qui pose des questions sur l’âme ou «être psychique»:)

Il demande ceci: «De vie en vie, les vibrations de l’être développent, enrichissent et forment la personnalité psychique derrière la personnalité frontale. Alors comment le psychique, alourdi par ces vibrations et ces souvenirs, reste-t-il libre?

Quoi? Tu comprends ce que cela veut dire?

Ce sont deux choses qui n'ont pas beaucoup de rapport.

Mais pourquoi dit-il «alourdi»?

Toutes ces vibrations qui contribuent au développement de l’être, cela «alourdit» le psychique, dit-il.

Non, il décante. C'est justement ce qui arrive! c'est que le psychique ne retient pas les choses dans leur totalité: il décante – au fur et à mesure, il décante les vibrations.

Le souvenir psychique est un souvenir décanté des événements. Par exemple, dans les vies antérieures, il y a eu des moments, pour une raison quelconque, où le psychique était présent et a participé, alors il garde le souvenir, comme cela, juste d'une circonstance, mais le souvenir qu'il garde, c'est la vie psychique de ce moment; et alors, même s'il garde le souvenir de l’image, c'est une image simplifiée, telle qu'elle se traduit dans la conscience psychique et selon la vibration psychique de tous les gens présents.

Il ne poserait pas une question comme cela s'il avait jamais eu un souvenir psychique parce que, quand on l’a, c'est tout à fait évident.

Avant de savoir, avant de rencontrer Théon et de savoir ces choses, j'avais eu des souvenirs qui m'avaient toujours frappée par leur caractère spécial... C'était comme si l’on avait, on ne peut pas dire exactement l’émotion mais une certaine vibration émotive d'une circonstance. Et c'est ça qui est plein, et qui reste, qui est durable. Et alors, avec cela, on a une perception – un peu vague, un peu floue – des gens qui étaient là, des circonstances, des événements, et ça vous fait un souvenir psychique.

Ce ne sont pas souvent les événements qui, mentalement, sont considérés comme les plus mémorables ou les plus importants dans une vie, mais les moments où le psychique a participé – participé consciemment à l’événement. Et c'est cela qui reste.

J'aurais pu raconter beaucoup de ces choses-là, c'est très intéressant.

J'en ai eu beaucoup en Italie. J'ai voyagé en Italie à quinze ans avec ma mère, et j'avais eu une vie antérieure en Italie, qui était très consciente. Et en voyant les endroits, c'était cela qui venait tout d'un coup (la vibration émotive psychique). Et alors ça venait avec l’image... Ce qui est en avant, c'est le mouvement psychique (le mot émotion n'est pas bon, mais enfin), c'est le mouvement psychique qui est en avant, qui est important, qui vient; le reste, c'est comme une réflexion de second plan, c'est-à-dire les formes, les situations,"les événements... Il y en a que j'ai notés. Tu n'as jamais vu une chose que j'ai écrite concernant une vie en Italie? Une vieille-vieille chose que j'avais écrite... À quinze ans – quinze ans – j'ai eu cette expérience. Je ne sais même pas où j'ai rangé cela, je ne crois pas que j'aie ce papier, je ne sais pas où il est... J'ai raconté cela un peu plus tard. Quand j'ai rencontré Théon, j'ai compris ce qui m'était arrivé parce qu'on me l’a expliqué (je n'avais pas dit la chose mais j'ai compris après quand j'ai connu les états d'être et leur fonctionnement et tout cela), alors j'ai compris que c'était cela, un souvenir psychique.

Avant de rien savoir mentalement, j'ai eu un nombre considérable de souvenirs des vies passées, mais comme cela: de vrais souvenirs psychiques, pas des inventions mentales. Et alors c'est l’émotion qui vient («émotion»: le sentiment psychique), qui vient d'abord – qui est vivant, fort, n'est-ce pas, très fort –, et puis comme une sorte de revêtement de second plan, les formes, les apparences, les circonstances sont là, comme cela, comme la qualité d'un souvenir nuageux, et elles viennent avec le sentiment psychique.

Cette expérience d'Italie, j'avais quinze ans, je voyageais avec ma mère, et ça m'a beaucoup frappée – c'était d'ailleurs très frappant! c'était le souvenir d'avoir été étranglée dans la prison des doges. C'est toute une histoire. Et alors je me suis renseignée; je me suis renseignée sur les noms, les faits, les histoires (j'avais le moyen de me renseigner en Italie sur ce qui s'était passé – c'était à Venise –, et ça coïncidait merveilleusement). Mais ce qui était (au point de vue extérieur) intéressant... Je visitais avec ma mère et un groupe de voyageurs conduits par un guide tout le Palazzo ducale. Et alors, on vous fait descendre dans les souterrains où il y avait les prisons. Puis il a commencé à raconter une histoire (moi, cela ne m'intéressait pas), lorsque tout d'un coup, j'ai été prise comme cela, par une sorte de force qui venait en moi, et puis sans même, sans même me rendre compte, j'ai été dans un coin et j'ai vu un mot écrit. Et c'était... Et alors, en même temps, le souvenir que c'était moi qui avais écrit cela. Et toute la scène revenait: que c'était moi qui avais écrit cela sur le mur (et je l’ai vu, je l’ai vu avec mes yeux physiques, c'était resté écrit, et le guide disait qu'on avait laissé intacts tous les murs où les anciens prisonniers du temps des doges avaient écrit), puis ça a continué, j'ai vu, j'ai eu la sensation de gens qui pénétraient, qui m'attrapaient (j'étais là avec un prisonnier – ce n'était pas moi, le prisonnier: je visitais le prisonnier), j'étais là et puis il y a des gens qui entraient, qui me saisissaient et... (geste au cou) m'attachaient, et puis (j'étais avec toute la réunion d'une dizaine de gens qui écoutaient le guide, près d'une petite lucarne qui s'ouvrait et qui donnait sur le canal), alors la sensation d'être soulevée et précipitée par cette lucarne... Alors naturellement, quinze ans, tu comprends!... J'ai dit à ma mère: «Allons-nous en d'ici!» (Mère rit)

C'était difficile de se contenir. Nous sommes partis.

Mais après, j'ai fait une enquête, j'ai demandé, j'ai étudié (nous avions de la famille là,2 je connaissais des gens), et je me suis aperçue que c'était tout à fait vrai. C'était une histoire vraie, avec les noms, tout (maintenant tout cela est parti). Mais un doge3 avait mis en prison, comme un danger vivant, le fils de son prédécesseur qui avait essayé de prendre la place de son père; alors le doge qui avait pris la place du père, avait mis le fils en prison. Mais la fille de celui-là, qui était doge, était amoureuse du fils, et elle s'était arrangée pour aller le voir. Et alors, dans sa fureur, il avait décidé qu'elle serait noyée. Et toute l’histoire était là. Et c'était vraiment spontané: je ne connaissais pas du tout cette histoire-là (ce sont des histoires que l’on ne vous apprend pas dans un autre pays, que l’on ne sait que dans le pays).

Voilà. J'ai trouvé cela très intéressant.

Mais ce qui était très intéressant, c'est cette chose qui m'a dit: «Là.» J'ai été voir et j'ai trouvé écrit sur le mur exactement ce que j'avais le souvenir d'avoir écrit moi-même.

J'ai eu beaucoup de souvenirs comme cela, mais celui-là était intéressant – beaucoup, qui font que je sais exactement quelle est la nature des choses qui restent, qui font partie du développement de l’être psychique.

Il y avait une expérience que j'ai eue un peu plus tard (un peu plus tard vers dix-huit, dix-neuf ans), où tout d'un coup, je me suis trouvée à cheval, en costume d'homme, et conduisant des armées à une victoire fantastique, et alors c'était la gloire du sens de la présence de la Force de Victoire qui faisait que j'emmenais toute la troupe à la victoire. Et après, je me suis souvenue du costume que je portais et du costume des gens, de tout cela, et puis... j'ai vu que c'était la fameuse victoire de Murat.4 J'étais... (comment dire?) l’esprit victorieux dans Murat. Et c’est tout.

Alors quand les gens vous disent: «J'ai été celui-ci, j'ai été celui-là», tout cela, ce sont des histoires: ce sont des forces, des états de conscience qui ont eu des manifestations dans certaines individualités, à certains moments de leur vie, et qui, là, concrètement ont touché la Matière. Et tout cela, petit à petit, petit à petit, se réunit, se réunit, et produit un être conscient.

Maintenant, c'est un être conscient assez spécial (celui de Mère)... Le psychique de cette vie (riant), il était assez collectif! Des souvenirs de Catherine de Russie, des souvenirs d'Elisabeth, des souvenirs de deux vies en même temps5 (!) à l’époque de François Ier, des souvenirs... innombrables, n'est-ce pas, et tout à fait différents. Et chacun... Ce n'est pas que l’on ait été toute la vie dans telle ou telle personne: on a été le moment psychique important dans ces existences-là.

Tout cela, quand je suis venue ici, je ne m'en suis plus occupée – cela faisait partie de la connaissance occulte et pas de la connaissance spirituelle. Je ne m'en suis plus occupée. Mais maintenant que tout se rassemble, ça vient comme cela, comme une partie du travail, parce que... les cellules, au moment où j'ai eu les visions, ont en partie participé, dans le sens qu'elles ont eu la vibration en elles; alors toutes ces vibrations ont participé à la formation de toutes ces cellules, et elles revivent cela. Ça leur donne une possibilité d'ampleur, de diversité, de synthèse, de coordination de beaucoup-beaucoup de choses. Et l’impression d'avoir vécu depuis bien-bien-bien longtemps comme cela.

(silence)

Avant que je vienne pour la première fois dans l’Inde, j'avais vingt-deux ans et je ne connaissais rien de la spiritualité ou de quoi que ce soit, mais j'ai passé un mois en Egypte, et pendant un mois, j'ai vécu dans un état d'émotion extraordinaire, sans savoir pourquoi.

Ah!

J'étais dans un état constant d'émotion: tout me saisissait. l’Egypte m'a fait une impression extraordinaire.

Ah! mais nous avons vécu ensemble en Egypte. Ça, je te connais du temps de l’Égypte.6 Tu es l’un de ceux à qui j'ai dit en Egypte: «Je te promets que tu feras partie... que tu seras sur la terre à l’heure de la réalisation.» Il y en a quelques-uns – pas beaucoup (Mère fait un geste dispersé à travers le monde).

Mais ça, je le sais! (Mère rit)

Il y en a un certain nombre à qui j'ai promis – pas tous au même temps: des différentes étapes.
Tu es allé à Thèbes?

Oui, je suis allé à Thèbes.

Ça t'a plu?

Ah! c'était... c'est là où j'ai eu le plus d'émotion.

C'est cela.

(silence)

Généralement, je ne parle pas de ces choses parce que ça accroche les gens au passé: ils essaient de revivre ce qu'ils ont vécu, alors ça gâte tout, tu comprends.

Mais cela, c'est une espèce de sensation que j'ai: ça ne correspond à rien là-dedans (geste à la tête), c'est une sensation, la sensation d'une atmosphère, ou plutôt d'un genre de vibration déjà senti, et alors facilement possible à retracer: quand, où.

Ah! il y a des choses amusantes.

l’Egypte a été une époque extrêmement occulte, ils avaient vraiment une Connaissance occulte à ce moment-là. Alors, cela vous donne un pouvoir sur l’invisible, on peut agir consciemment là.

Il y a une chose (je te l’ai dite, je crois), à un moment (ça n'a pas duré longtemps), mais pendant quelques jours, il y a eu une sorte de besoin de savoir comment on parlait, quels sons on faisait.7 Et si j'avais insisté, probablement ce serait venu: comment je disais les choses, comment cette conscience s'exprimait... Ça, on ne l’a pas gardé.

Notre époque sera beaucoup plus durable dans la mémoire... si les choses ne sont pas détruites – on n'aura qu'à tourner un appareil.

Malheureusement, de notre époque, il n'y a pas grand-chose de valable à garder!

Oh!... C'est une chose remarquable: à toutes les époques, et probablement au contraire plus on va dans le passé, il y a un fouillis, un fatras de choses tout à fait pas intéressantes – elles disparaissent. Elles disparaissent, elles sont détruites. Il ne reste que ce qui avait une vie intérieure intéressante. Alors, le passé, pour nous, nous paraît beaucoup plus intéressant que le présent, mais de notre époque, tout le fatras va disparaître aussi et être dissous comme cela: il ne restera que ce qu'il y a de mieux, excepté si, mécaniquement, on garde un tas d'enregistrements d'un tas de stupidités. Mais autrement...

J'ai l’impression, par exemple (c'est une forte impression) que du temps de l’Assyrie, ils avaient un moyen, ils avaient trouvé un moyen d'attraper, de conserver le son. Ça a dû être détruit, cela a disparu. Mais c'est une impression très forte, liée à certains souvenirs, et des impressions comme celles que j'ai dites (psychiques): ce ne sont pas des idées, mais [des vibrations]. Il y avait une capacité de faire parler l’invisible, tu comprends? on avait une machine. Peut-être que cela a été détruit avec tout le reste?

Le souvenir le plus ancien que l’on ait, ce sont les premières tentatives chinoises. C'est en Chine que l’on a en premier trouvé une machine à reproduire le son, à garder et reproduire le son.

Les Chinois étaient très inventifs.

(silence)

J'ai eu une très forte impression, qui s'est cristallisée pour ainsi dire quand j'ai été en Chine8 (je ne connais rien de la Chine: une ou deux villes, deux ports, ce n'est rien; mais tout de même on attrape un peu de l’atmosphère): l’origine de ces gens est lunaire. Il devait y avoir des existences sur la lune, et ces existences se sont réfugiées (ou quelques-uns, je ne sais pas), se sont réfugiés sur la terre au moment où la lune mourait. Et c'est cela qui a été à l’origine de la race chinoise.

Ils sont très particuliers... Ils n'ont pas du tout, du tout le même genre de vital que tous les autres êtres humains.

Ils ont un étrange vital.

Quel genre de vital?

Froid.

Froid: intellectuel froid. C'est froid. C'est très insensible. Et ce qui est curieux, c'est que leur sensibilité n'est pas du tout la même, elle est extrêmement émoussée.

19 juillet 1967

(À la suite de la dernière conversation sur le psychique.)

J'ai eu justement ces jours-ci une série d'expériences à ce sujet, d'expériences très intéressantes... La même personne (que je vois, mettons même tous les jours, ou très souvent), l’impression que fait le contact (et qui reste plus ou moins) dépend de la présence du psychique. La même personne, n'est-ce pas, les mêmes relations, il y a des moments où cela devient plein et on a l’impression d'une chose... oui, pleine – pas positivement «vivante» mais (je ne peux pas dire «solide» parce que ça n'a rien de dur), mais plein, consistant; et puis des moments où c'est mince, fugitif, neutre. Et alors j'ai observé (les mêmes personnes, dans les mêmes circonstances), il y a des moments où on a l’impression d'un contact... plus que vivant (le mot vivant n'est pas suffisant), qui est EXISTANT, c'est plutôt cela; un contact existant, durable (mais pas «durable» dans le temps: durable dans sa nature); à d'autres moments, exactement les mêmes personnes (souvent dans les mêmes circonstances), c'est mince, c'est plat, c'est sec, c'est superficiel – ce peut être très actif et avec l’apparence très vivante, mais ça n'a pas de profondeur... Et j'ai vu que c'est quand le psychique participe et quand le psychique ne participe pas.

Alors, maintenant, j'en suis au point où je peux sentir à chaque minute (sentir, je ne dis pas percevoir psychiquement, je dis sentir matériellement) quand le psychique est là ou quand il n'est pas là. C'est très intéressant. C'est ces jours-ci.

Et ça fait toute la différence, dans le sens que... Tiens, c'est comme la différence entre une image ou une représentation ou un récit, et la chose elle-même – entre l’image et la chose elle-même, entre le récit et la chose elle-même. C'est la différence. Dans l’un, ça EXISTE; dans l’autre, ça peut vivre, mais c'est... superficiel et... passager. Et justement, comme je le disais l’autre jour, cela ne dépend pas du tout de l’importance de ce que l’on fait (l’importance selon la conception mentale naturellement), de l’importance de ce que l’on fait ou de la gravité de la circonstance, rien de tout cela: simplement le psychique est là ou il n'est pas là. Voilà.

Ce qui revient à dire que les CELLULES ELLES-MÊMES sentent la différence, perçoivent la différence.

Je ne me souviens plus parce que je ne note pas mentalement ces choses, mais c'est une expérience que j'ai eue avec quelqu'un que je vois très souvent (peut-être tous les jours, je ne sais pas, je ne me souviens plus qui c'est). Un jour, pendant un certain temps, l’impression d'un rapport existant, plein et... on pourrait appeler cela «confortable», avec le sentiment d'une sécurité; la même personne dans les mêmes circonstances, tout d'un coup, comme l’image d'elle-même: creux (très vivant, très actif mentalement), mais c'est creux et sec, indifférent – pour ainsi dire inexistant.

C'était ces jours-ci. Je ne sais plus qui c'est.

Et cela m'a donné la clef de tout-tout-tout le problème.

Au fond, on pourrait dire que c'est la différence entre la même vie, la même existence, la même organisation – la même vie terrestre, n'est-ce pas –, avec la Présence du Divin perceptible, ou pas manifestée. Et c'est comme cela au point de vue de la terre entière.


Peu après

Qu'est-ce que tu veux?

(silence)

Je sais bien ce que je veux.

(Mère entre dans une longue concentration qui dure environ une demi-heure)

Rien à dire?

I l faudrait se souvenir, toujours.

Se souvenir... Tu n'as rien senti de particulier?

Si.

Quoi?

J'ai fait une chose – pas particulière parce que je le fais d'habitude –, mais plus totalement, je puis dire, que d'habitude. Je voudrais savoir si tu as senti quelque chose?

Je ne sais pas... Cela me semblait tellement ÇA.

Oui.

Je t'ai parlé l’autre jour de ce que j'appelle le «transfert»; depuis deux jours (plus: depuis plusieurs jours, mais deux jours, et spécialement hier et aujourd'hui), il y a un travail pour que ce soit perpétuel, c'est-à-dire qu'il n'y ait rien d'autre que Ça.

Alors commence à venir une espèce de pouvoir matériel d'êten-dre – d'étendre la zone, tu comprends –, de l’étendre comme cela (geste englobant) à ce qui est imédiatement proche. Alors aujourd'hui, au lieu de mettre la Force comme cela (geste de haut en bas), comme je le faisais toujours, j'ai... c'était comme englobant ton corps dans le même mouvement des cellules.

C'était assez réussi! Et je voudrais savoir si tu as senti une différence.

Je n'ai jamais eu autant l’impression que ce soit tellement Ça, et tellement... LÀ.

Ah! alors c'est cela.

Je te fais cela la nuit; seulement c'est plus subtil que quand il y a la présence physique.

(silence)

C'est en train de se faire.

C'est en train de se faire dans le sens que cela devient de plus en plus constant.

C'est l’action d'une aspiration tout à fait consciente qui devient constante, et la Réponse qui donne le résultat imédiat de cette aspiration... Mais c'est un domaine encore tout à fait nouveau – nouveau sous cet aspect total, intégral. Avant, tout ce qui se passait dans le corps (je ne parle pas pour celui-ci, je parle d'une façon générale), c'était la réflexion et l’effet de la «Chose», tandis qu'ici, c'est la Chose elle-même; mais l’habitude millénaire d'être autrement est là tellement forte que cela donne l’impression... C'est comme... (la comparaison est mauvaise, mais enfin), c'est comme de tirer un caoutchouc; alors tant que c'est tiré (geste d'effort pour tirer la matière), l’effet est là; mais si la tension cesse, même pour une seconde (geste d'aplatissement brutal), par habitude ça retombe... Ce qui contraint à une tension constante. Mais ce ne sera pas toujours comme cela. C'est le passage d'une habitude à l’autre; quand l’autre mouvement sera établi, alors ce sera naturel, il n'y aura pas besoin de cette tension constante.

On verra combien de temps cela prend.

Et alors, pour la première fois avec toi, j'ai (parce que le résultat aussi, dans la matinée, était assez concret et constant), j'ai essayé d'englober. C'est loin d'être ce que ça doit être, mais il y a eu un résultat. C'est très loin d'être «ça» que ce doit être, mais...

(silence)

Cette extraordinaire impression de l’irréalité de la souffrance, l’irréalité des maladies, l’irréalité... C'est tout à fait curieux. Alors il y a toute cette habitude millénaire qui vient et essaye de démentir et de dire... de dire que c'est l’effet dans lequel on se trouve qui est une irréalité! Et alors, c'est là. Parce qu'il n'y a pas d'action mentale ni de pensée ni rien de tout cela: c'est tout dans les vibrations... Il y a des moments, n'est-ce pas, d'une gloire inexprimable, mais c'est fugitif. Et l’autre est là: ça encercle, ça presse, ça...

Quand on réussit à ce que le mental [matériel] ne soit pas du tout actif, c'est relativement plus facile, mais quand le mental vient assaillir, alors... Alors il faut presque employer la violence pour repousser, pour faire le silence.

C'est pour cela que tant que l’on n'est pas arrivé à cet état où le mental peut être comme cela (geste étal) absolument immobile... Quand il n'y a plus que la conscience, alors ça va. Avant cela, ça paraît impossible, un travail impossible. Mais quand le mental est remplacé par la conscience, alors...

On n'a plus le temps de rien. On travaillera un autre jour!

(Mère rit)

22 juillet 1967

Je t'avais dit qu'il y a quelqu'un ici qui apprend le français (qui l’apprend très bien, ma foi) et à qui j'avais répondu une plaisanterie pour voir s'il avait le sens de l’humour. Et le lendemain, lui, m'a écrit une plaisanterie!

«Dans l’œuvre de transformation, qu'est-ce qui est le plus lent à faire son travail, l’homme ou Dieu?»

J'ai répondu:

«Pour l’homme, Dieu est trop lent à répondre à sa prière.

«Pour Dieu, l’homme est trop lent à s'ouvrir à son influence.

«Mais pour la Conscience-de-Vérité, tout va comme cela doit aller!»

(Mère rit)

Et puis j'ai quelque chose d'autre. On m'a posé des questions sur la musique: «Qu'est-ce que l’on doit attendre de la musique? Comment juger de la qualité d'un morceau? Que penses-tu de la musique légère (cinéma, jazz, etc.) que nos enfants aiment beaucoup?»

J'ai répondu ceci (c'était hier):

«Le rôle de la musique consiste à aider la conscience à s'élever vers les hauteurs spirituelles.

«Tout ce qui avilit la conscience, encourage les désirs et excite les passions, va à l’encontre du vrai but de la musique et doit être évité.

«Ce n'est pas une question de dénomination mais d'inspiration...

Oui, il dit «musique légère», mais j'ai entendu de la musique légère que je trouve extrêmement jolie! même de la musique de cinéma, j'en ai entendu qui était magnifique, et des morceaux «classiques» oh! que c'était embêtant! Alors...

«...et seule la conscience spirituelle peut en juger.»

Parce qu'ils donnent de la musique à l’École le samedi, et ils ont commencé à se quereller sur la musique qu'il fallait donner (!) et il y a un garçon qui a dit: «Moi, j'aime beaucoup la musique légère, elle m'amuse beaucoup.» (Mère rit) Alors on l’a regardé avec mépris! Et on m'écrit pour me demander. Alors j'ai répondu cela!

Musique «légère»! Naturellement, la musique de jazz... mais même là, il y a des moments où c'est très bien, on ne peut pas dire.

On ne peut pas dire.

Au fond, cela ne dépend pas du tout de pour quoi le musicien a composé: cela dépend de l’état dans lequel il était lui-même. Si l’on est très joyeux et que tout d'un coup on entende des sons qui expriment une joie très légère, très libre, et que l’on donne ça, c'est admirable. Tandis que si l’on est grave et sérieux et que l’on voie toute la misère humaine, et puis que l’on mette ça dans des sons lourds, épais, oh!... et que l’on en fasse un orchestre qui vous embête affreusement (Mère rit)...

Attends, il y a encore autre chose... Oh! pauvre K, il a fait des examens (ils sont fous avec leurs examens!), il a fait des examens sur un texte ou un sujet qu'il avait dicté en classe aux élèves. C'est-à-dire qu'ils avaient la réponse toute prête. Deux des garçons (il y en a un que K trouve très intelligent – qui l’est d'ailleurs – et il a de la sympathie pour lui, et l’autre qu'il n'aime pas), ils étaient en retard et il avait demandé au garçon qu'il n'aime pas d'apporter chez lui le résultat de leur travail. Il l’a apporté. Puis il le lit, et à l’une des questions, leur réponse n'était pas tout à fait identique mais extrêmement similaire. C'était justement le sujet qu'il leur avait dicté, alors il était assez naturel que ce soit similaire. K a imédiatement «senti» que celui-là avait copié l’autre, et puis il le lui a dit! Le garçon s'est mis en colère et lui a parlé assez rudement. Alors K m'écrit pour me dire toute l’histoire, à sa manière, et le garçon m'écrit pour me dire toute l’histoire, à sa manière, et en regrettant d'ailleurs d'avoir mal parlé à son professeur. Mais K reste persuadé qu'il a copié. Alors, flot de lettres... J'ai fini par écrire à K: «Envoyez-moi les deux textes, je verrai» (pas «voir» comme cela avec les yeux, mais comme cela, en «palpant»). Le garçon n'a PAS copié. Mais pour moi, c'est bien pire, c'est que K a mis une formation mentale faite de mots – de mots mis dans un certain ordre – et il a fourré cela dans leur cerveau. Et ils répètent comme des perroquets – naturellement, ça ressemble extraordinairement à son enseignement! Finalement, il m'a dit: «Si j'admets que ce garçon n'a pas copié, je suis obligé de lui donner une très bonne note, ce que je ne veux pas faire»! (Mère rit) Et il me demande: «Qu'est-ce que je dois faire?» Je lui ai répondu hier soir: «Il y a une chose très simple à faire: annulez la composition. Prenez toutes les copies, faites un paquet, ficelez et mettez dans votre armoire, et faites comme si cela n'avait jamais existé – et à l’avenir plus d'examens! Et à la fin de l’année, quand vous serez obligé de donner des notes aux élèves, eh bien, au lieu de vous servir d'un moyen si artificiel, vous serez obligé de regarder avec attention, de suivre le développement intérieur de l’enfant, d'avoir un contact plus profond (Mère rit avec moquerie) et de savoir si vraiment il a compris ou non! Alors vous pourrez donner des notes au lieu de vous baser sur une répétition comme un perroquet, de quelque chose qu'ils ont appris sans comprendre.» Et j'ai envoyé cela. Alors, maintenant, ils sont bien embêtés! (Mère rit) Ça m'amuse, ça m'amuse beaucoup!

Ils ont dû avoir une «réunion de professeurs» pour faire face à ma réponse! (Mère rit) Je bouleverse toute l’École!

l’un des professeurs m'a déjà répondu: «Il est impossible de connaître le progrès des élèves si l’on ne fait pas de compositions.» Alors là, je n'ai pas exactement dit ce que je pensais, mais j'ai pensé: évidemment, si le professeur est un imbécile, il ne peut pas juger du progrès des élèves à moins qu'il ne leur fasse faire des compositions, mais si c'est un homme intelligent et qui ait un sens psychique, il y a mille moyens de savoir si un élève a compris.

Alors ils se sont réunis.

Mais au point de vue technique, il est plus difficile de juger du progrès.

Ah! oui, c'est là-dessus qu'ils se basent. Mais cela ne fait rien! Deux des professeurs de technologie ont montré comment, au point de vue purement technique, on pouvait juger sans avoir besoin d'examen. Non, n'est-ce pas, je connais, j'ai fait mes études là-bas, en France, et il y avait des tas d'examens, et je sais ce que c'est, j'ai assisté (j'étais jeune en ce temps-là, mais cela ne fait rien), j'ai assisté à ces examens comme ceux que l’on passe pour les brevets, j'ai vu les élèves qui étaient là, j'ai vu comment elles répondaient... C'est l’une des expériences tout à fait concrètes: ce ne sont pas DU TOUT les plus intelligents qui passent! Jamais. Ce sont ceux qui répètent comme cela: les perroquets. Ils répètent très bien. Ils ne comprennent rien de ce qu'ils disent.

Enfin, je crois que l’on arrivera à quelque chose.

Mais hier soir, avec ce pauvre K, je me suis bien-bien-bien amusée!... C'est à prendre ou à laisser; j'ai dit: ou les professeurs ne m'écrivent plus, ils ne demandent plus rien (et moi, cela me donne du temps: je suis accablée de lettres), ou bien s'ils m'écrivent, eh bien tant pis, il faut qu'ils reçoivent. Je ne peux pas dire ce qui leur fait plaisir.

Et notre École se déclare suivre une «méthode nouvelle»... c'est bien le moins si elle la suit!

(Mère donne au disciple les trois lettres qu'elle a envoyées au professeur au sujet des examens à l’École:)

Question du professeur:

«À propos de cette fraude dans les examens, que dois-je faire? Faut-il faire comme au-dehors, mettre trois professeurs dans une salle qui surveilleront avec vigilance? – Les professeurs n'aiment pas cette manière de faire les choses ici à l’Ashram.

«Ou doit-on abolir les tests? Cette dernière proposition me semble douteuse, car on fait la même chose dans les devoirs et les compositions.

«En tout cas, le problème est là, et pour vraiment résoudre le problème il faut comprendre pourquoi les enfants agissent comme cela.

«Je te prie de me dire la cause de cette perversion et la solution de ce problème.»

Réponse de Mère:

«C'est tout à fait simple. La majorité des enfants étudient parce qu'ils y sont contraints par la famille, l’habitude et les idées courantes, et non parce qu'ils veulent apprendre et savoir. Tant que le mobile de leurs études n'est pas rectifié, tant qu'ils ne travaillent pas parce qu'ils veulent savoir, ils feront toutes sortes de trucs pour rendre leur travail plus facile et pour obtenir des résultats avec le minimum d'effort.»

(le 13 juillet 1967)

(Quelques jours après, Mère a envoyé la lettre suivante:)

«The only solution is to annul this test and all that are to come. Keep all the papers with you in a closed bundle – as something that has not been – and continue quietly your classes.

«At the end of the year you will give notes to the students, not based on written test-papers, but on their behaviour, their concentration, their regularity, their promptness to understand and their openness of intelligence.

«For yourself you will take it as a discipline to rely more on inner contact, keen observation, and impartial outlook.

«For the students it will be the necessity of understanding truly what they learn and not to repeat as a parrot what they have not fully understood.

«And thus a true progress will have been made in the teaching.»

(July 21, 1967)

(traduction)

«La seule solution est d'annuler cet examen et tous ceux à venir. Gardez toutes les copies dans un paquet ficelé, comme si cela n'avait jamais existé, et continuez tranquillement vos classes.

«À la fin de l’année, vous donnerez aux étudiants des notes qui ne seront pas basées sur des examens écrits, mais sur leur comportement, leur concentration, leur régularité, la rapidité avec laquelle ils comprennent et l’ouverture de leur intelligence.

«Quant à vous-même, vous prendrez pour discipline de vous appuyer davantage sur le contact intérieur, l’observation aiguë et un point de vue impartial.

«Pour les étudiants, ils seront dans la nécessité de comprendre vraiment ce qu'ils apprennent au lieu de répéter comme des perroquets ce qu'ils n'ont pas complètement compris.

«Ainsi, un vrai progrès se fera dans l’enseignement.»

(le 21 juillet 1967)

(Puis, le lendemain, Mère a envoyé cette troisième note:)

«I find tests an obsolete and ineffective way of knowing if the students are intelligent, willing and attentive.

«A silly, mechanical mind can very well answer a test if the memory is good and these are certainly not the qualities required for a man of the future.

«It is by tolerance for the old habits that I consented that those who want tests can have them. But I hope that in future this concession will not be necessary.

«To know if a student is good needs, if the tests are abolished, a little more inner contact and psychological knowledge for the teacher. But our teachers are expected to do Yoga, so this ought not to be difficult for them.»

(July 22, 1967)

(traduction)

«Je trouve que ces examens sont une manière périmée et inefficace de savoir si les élèves sont intelligents, de bonne volonté et attentifs.

«Un mental mécanique imbécile est parfaitement capable de passer un examen si la mémoire est bonne: ce ne sont pas là les qualités requises de l’homme de l’avenir.

«Par tolérance pour les vieilles habitudes, j'ai consenti à ce que ceux qui veulent des examens puissent les avoir. Mais j'espère que cette concession ne sera pas nécessaire à l’avenir.

«Pour savoir si un élève est bon, lorsque les examens sont abolis, il faut que le professeur ait un peu plus de contact intérieur et de connaissance psychologique. Mais nos professeurs sont censés faire un yoga, par conséquent cela ne devrait pas être difficile pour eux.»

(le 22 juillet 1967)


Peu après, à propos d'une lettre de Sri Aurobindo:

«...But in physics you are in the very domain of the mechanical law where process is everything and the driving consciousness has chosen to conceal itself with the greatest thoroughness – so that, "scientifically speaking", it does not exist there. One can discover it there by occultism and yoga, but the methods of occult science and of yoga are not measurable or followable by the means of physical science – so the gulf remains in existence. It may be bridged one day, but the physicist is not likely to be the bridge-builder, so it is no use asking him to try what is beyond his province.»

5.11.1934
(XXII.201)

(traduction)

«... Mais la physique est le domaine même des lois mécaniques; là, tout est une question de processus et la conscience motrice a choisi de se cacher avec une minutie si complète que "scientifiquement parlant", elle n'existe pas là. On peut la découvrir par l’occultisme et le yoga, mais les méthodes de la science occulte et du yoga ne sont pas mesurables et ne peuvent pas être suivies par les moyens de la science physique, par conséquent il reste un abîme. Il se peut qu'un jour, un pont soit jeté, mais il est peu probable que le physicien soit le constructeur du pont; il est donc inutile de lui demander de tenter ce qui est en dehors de son domaine.»

C'est juste la grande querelle avec le Gouvernement!... Le Gouvernement dit: «Nous ne pouvons pas vous reconnaître comme une "École de recherche" parce que l’on ne peut pas mesurer les progrès du yoga.» Exactement ce que Sri Aurobindo dit! Si on le publiait, cela donnerait toutes les armes au Gouvernement!

Tu te souviens, il y avait une société ou une université, ou je ne sais quoi, en Amérique, qui avait ouvert une sorte de concours pour «prouver la survie après la mort»,1 et qui avait donné deux ou trois questions à résoudre. Et on m'avait demandé: pourquoi ne répondez-vous pas? J'ai dit: les questions sont mal posées, elles sont posées par des ignorants, alors comment peut-on répondre? (Je te l’avais dit, je crois, il y a longtemps.) Eh bien, c'est la même chose. Ce qu'ils demandent est ignorant, et c'est mal posé; c'est posé par des gens qui ne comprennent rien, alors comment peut-on leur répondre!


Puis Mère passe à d'autres travaux

Il a paru dans un journal (je crois que c'est Life, un journal américain), l’histoire d'un homme (c'est d'ailleurs l’un des rédacteurs ou des administrateurs du journal), un homme à qui l’on a donné une piqûre de pénicilline et qui était allergique à la pénicilline. Et puis voilà que, tout d'un coup, toutes ses cellules commencent à se dissoudre, et lui, tout à fait conscient, comme concentré dans son cerveau, qui assiste à la dissolution. Et quand c'est remonté au cœur, les docteurs ont déclaré qu'il était mort... Pour lui, l’impression que cela donnait, c'est que les cellules avaient une sorte de mouvement d'expansion, éclataient, puis se dissolvaient l’une après l’autre: les pieds, les jambes, l’estomac, tout; puis, quand c'est arrivé au cœur, le docteur a dit: «Il est mort.» Mais lui, il était réfugié dans son cerveau et il s'est dit: «Il faut que je tienne bon; si je tiens bon là et que je me concentre et que je résiste là, tout ira bien.» Et il l’a fait. Et tout d'un coup, il a senti une puissance, dit-il, quelque chose qui était tellement lumineux, tellement beau, tellement doux, tellement... plus plein d'amour que toute autre chose au monde, une sensation tellement merveilleuse... qu'il s'est laissé fondre là-dedans, et puis au bout de quelque temps, tout s'est remis en ordre et il a ressuscité! Et il décrit cela. Il le décrit (il fait des phrases; c'est dans un journal, alors il fait des phrases), mais l’expérience est vraiment intéressante. N'est-ce pas, par cette volonté de se concentrer dans ce qu'il concevait comme la partie essentielle de son être, le centre de sa vie, tout d'un coup il s'est trouvé en présence de cette «puissance»... Il dit qu'après, il a voulu rappeler cela, mais: «Je ne sais plus ce que c'est, je ne me souviens pas, excepté de la sensation, cette sensation qui était plus merveilleuse que tout ce que l’on peut concevoir.»2

J'ai trouvé cela intéressant.

Et ça l’a ressuscité.

(silence)

J'ai pris cela comme l’un des signes que vraiment la Force travaille. Parce que c'est un homme, je pense, qui n'avait pas fait de yoga, il ne savait rien de ces choses-là; c'est seulement le monsieur-à-qui-l’on-fait-une-piqûre-de-pénicilline qu'il ne peut pas supporter (ce sont des accidents qui arrivent assez souvent), et sans rien d'autre. Simplement c'était l’idée que le cerveau est la partie consciente de l’être et que s'il se concentre là... Son idée, c'était: «Je veux savoir ce qui se passe, je veux être conscient de ce qui se passe, je veux voir ce qui se passe.» Alors c'est cela qui a tiré la Force. Une simple chose.

Il me semble qu'il y a un progrès dans la conscience humaine, voilà mon impression.

Il y a un éveil.


Puis Mère entre dans une longue concentration

J'ai vu quelque chose... Dans tout l’ensemble, c'est lumineux, mais ce n'est pas radiant; c'est extrêmement paisible, c'est comme doré, mais pas éclatant (je ne sais pas comment dire...), c'est comme une lumière crémeuse et dorée. C'est très-très paisible. Mais là-dedans, il y avait (en anglais on dit patches) comme des groupements de trois couleurs TRÈS brillantes alors, et qui étaient comme organisées. Il y avait un rouge (rouge rubis) très éclatant; un blanc bleuâtre, presque comme un gris perle, et ça aussi très lumineux; et puis... (Mère cherche) C'est parti, je ne sais plus si c'était... Oui, c'était vert, mais un vert émeraude lumineux aussi – lumineux et transparent. Et c'étaient comme des ensembles délimités mais qui changeaient de position (Mère fait un geste tournant, comme les lumières d'un kaléidoscope). C'étaient presque comme des entités. Et c'était dans ton atmosphère. Comme des formations qui se déplaçaient et qui s'organisaient (même geste), de ces trois couleurs...

Le gris, c'est le gris de la lumière spirituelle, l’aspiration spirituelle; le rouge, c'est le rouge rubis du physique; et ce vert émeraude3...

Et c'étaient des formes délimitées, mais pas fixes. C'étaient comme des groupes de lumière bien délimités, mais pas fixes (c'était plastique) et qui s'organisaient comme cela (même geste en kaléidoscope).

Et quand j'ai commencé à parler, je n'ai presque plus vu... J'étais dans une vision intérieure, très-très intérieure. Une conscience très spéciale.

Ça se déplaçait et s'organisait avec beaucoup de souplesse (même geste).

Et tout l’ensemble, alors c'était comme un nimbe, tu sais comme on fait les auréoles? C'était tout un nimbe d'une lumière dorée; pas éclatante, mais dorée.

Tu n'as rien senti de particulier?

Si: la Force – massive.

Très fort?

Oui.

Oui, c'étaient des choses qui s'organisaient dans ton être – ton être intérieur –, mais fort.

26 juillet 1967

(Mère tend au disciple – en riant – une note qu'elle vient d'écrire:)

«La cible à laquelle nous visons est l’immortalité. De toutes les habitudes, la mort est certainement la plus invétérée!»

On pourrait appeler notre monde, le monde des mauvaises habitudes.

Je ne sais pas, depuis quelque temps, il y a une sorte d'ironie bienveillante, souriante et... constructrice. C'est comme un «esprit» qui est venu. Et alors il y a quelque chose d'autre (mais ça, je le connais), c'est ce que Sri Aurobindo appelait a censor [un censeur]. Il m'a dit: «You have a very strong censor in your atmosphère» [vous avez un très fort censeur dans votre atmosphère]. Il était tout le temps, tout le temps à me critiquer; maintenant moins, mais il est encore là; et alors, de temps en temps, il me dit: «Mais tu choques les gens! ils s'attendent à avoir quelque chose de noble, de grand, d'imposant, et puis tu es tout le temps sur le ton ironique!» Hier encore, des gens sont venus me voir, et tout le temps il me vient des plaisanteries, tout le temps. Je leur fais des plaisanteries et je vois... (riant) qu'ils ont des airs épouvantés!

C'est tout le temps comme si ça disait: «Mais non! ne prenez pas au sérieux... Prenez pas au sérieux, prenez pas au sérieux... C'est cela qui vous afflige! c'est cela qui vous afflige, il faut savoir sourire», comme cela. Et puis, surtout, se moquer de soi-même, c'est le plus important: voir à quel point on est ridicule – la moindre petite douleur, on est plein de pitié pour soi, oh!...

Quelquefois, on proteste...

C'est une atmosphère tout à fait curieuse, amusante. Mais c'est très bon comme guérison de cette maladie invétérée qu'est le self-pity [l’apitoiement sur soi]. Le corps est plein de cela, il s'apitoie sur lui-même dès qu'il a la moindre chose – ça l’aggrave terriblement.

Et alors, les histoires... Les histoires de l’École, ça, c'est... des histoires impayables! Mais hier soir, tout d'un coup j'ai été tout à fait indignée contre un garçon, le garçon qui avait été accusé de copier. Il avait dit qu'il n'avait pas copié, et j'ai vu qu'il n'avait pas copié (mais ce que j'ai vu était presque pire!), et j'ai dit: plus d'examens (un raffut épouvantable partout!), et puis K, qui est vraiment un brave garçon, m'écrit: «Est-ce qu'il ne vaudrait pas mieux que je dise à ce garçon que vous avez décidé qu'il n'avait pas copié, parce qu'il doit se faire du mauvais sang?» J'ai pensé: pauvre K! Mais enfin je lui ai dit oui parce que c'était un très gentil mouvement. Et alors, il a appelé le garçon, il lui a dit ce qu'il fallait, et que les examens étaient abolis et qu'on n'en parle plus, que ce soit fini. Dès que le garçon l’a quitté, il a été trouver ses camarades et leur a raconté un monde de mensonges: que j'avais demandé à K de faire des excuses, de lui exprimer son regret, de le réhabiliter, et des histoires... une série de mensonges épouvantables (et de mensonges sur moi). N'est-ce pas, j'avais eu un mouvement de sympathie pour K d'avoir fait cela; ça prouve qu'il a une sorte de noblesse d'âme (parce qu'il était tellement convaincu), mais il a accepté ce que j'ai dit et il a fait cela en pensant que l’autre devait se faire du souci. Et la réponse tout à fait dégoûtante de ce garçon... Alors j'ai dû me retenir (dedans): je n'étais pas contente. J'avais espéré justement que cette bonne volonté ferait surgir une réponse un peu noble, et tout cela est une sorte de dégradation... Hier, j'étais sur le point de donner une tape intérieure à l’enfant – je me suis retenue, je ne l’ai pas donnée, mais évidemment il s'est mis dans un mauvais cas.1

Et alors, ils m'écrivent en me disant: «Comment peut-on savoir si les enfants suivent si l’on ne fait pas d'examens?»

Il a fallu que j'explique la différence entre une sorte de contrôle individuel qui vient de l’observation, d'une remarque, d'une question imprévue, etc., qui peut situer l’enfant; et l’autre méthode, on vous prévient: «Dans huit jours, vous aurez un examen et on vous donnera un sujet sur ce que vous avez appris», alors tout le monde se met à revoir ce qu'il a appris et à se préparer, et c'est fini: celui qui a la bonne mémoire, c'est celui-là qui passe. J'ai expliqué tout cela.2

Si j'avais été professeur, l’objection que j'aurais faite à cette décision n'aurait pas été du tout du point de vue des professeurs, mais du point de vue des élèves, parce que je me souviens de mes études, et s'il n'y avait pas eu une obligation trimestrielle ou semestrielle de revoir ce que l’on a vu en classe, eh bien, mon dieu, on l’aurait laissé couler.

Eh bien, tant pis!

Mais c'est une espèce de discipline qui fait que l’on revoit les choses.

Si l’on n'est pas assez intéressé par le sujet pour essayer de garder le souvenir et le résultat de ce que l’on a appris, eh bien, tant pis, c'est tant pis.

Le point de vue des élèves est faux, le point de vue des professeurs est faux.

Le point de vue des élèves: ils apprennent justement pour avoir l’air de savoir et passer leurs examens et se meubler la tête de toutes sortes de choses... Le point de vue des professeurs, c'est d'avoir un contrôle aussi facile que possible, et puis de pouvoir décerner des notes sans se donner beaucoup de mal, avec un minimum d'effort. Moi, je dis: chaque élève est une individualité, chaque élève doit venir non pas parce qu'il veut pouvoir dire: «J'ai appris et puis je vais passer mes examens», mais parce qu'il a envie de savoir, et qu'il vient avec la volonté de savoir. Et le professeur ne doit pas suivre la méthode facile de donner un sujet et de voir comment chacun répond, et si c'est bien ou mal, conforme à ce qu'il a enseigné ou pas: il faut qu'il sache si l’intérêt et l’effort de l’élève sont sincères, et chacun selon sa nature propre – c'est infiniment plus difficile pour le professeur, mais ça, c'est de l’éducation. Et ils protestent.

Du point de vue des professeurs, c'est sûr, je suis tout à fait d'accord...

Oui, mais ce sont eux qui protestent! (Riant) Les élèves ne protestent pas. Mais j'ai écrit aux professeurs: l’élève qui veut plaire à son professeur ou qui apprend par cœur pour avoir l’air de savoir ce qu'il n'a pas compris, eh bien, ces élèves-là ne sont pas intéressants – et ce sont ceux-là dont on me dit toujours: c'est un bon élève!

Mais je me souviens, n'est-ce pas, je me souviens très bien de mon attitude quand j'apprenais, et je me souviens très bien de toutes mes camarades, et laquelle pour moi était une fille intelligente, laquelle était un moulin à paroles... J'ai des souvenirs très amusants comme cela, parce que je ne pouvais pas comprendre ce que voulait dire d'apprendre pour avoir l’air de savoir (j'avais une mémoire formidable à ce moment-là, mais je ne m'en servais pas). Et je n'aimais que ce que j'avais compris.

J'ai passé une fois un examen dans ma vie (je ne sais plus lequel), mais j'étais juste à la limite d'âge, c'est-à-dire qu'au moment normal de l’examen, j'étais trop jeune, alors on m'avait fait passer avec ceux qui avaient été retapés au premier examen (je passais à ce moment-là parce que c'était en automne, et là j'avais l’âge). Et je me souviens alors, c'était en petit comité, les professeurs étaient tout à fait embêtés parce qu'on avait interrompu leurs vacances, et les élèves pour la plupart étaient assez médiocres, ou bien des révoltés. Alors j'observais tout cela (j'étais toute jeune, n'est-ce pas, je ne me souviens plus de l’âge, treize ou quatorze ans), j'observais tout cela, et puis il y avait une pauvre petite qui avait été appelée au tableau noir pour un problème de mathématiques, elle ne savait pas, elle bafouillait. Moi (on ne me questionnait pas à ce moment-là), j'ai regardé, j'ai souri – oh! là! le professeur l’a vu, il était très mécontent de moi, et dès que la petite a été renvoyée, il m'a appelée, il m'a dit: «Faites-le.» Alors, naturellement (j'aimais beaucoup les mathématiques, mais beaucoup! et puis je comprenais, ça avait un sens), alors j'ai fait le problème – la tête du bonhomme!... N'est-ce pas, je n'étais pas dedans, là (dans le petit personnage extérieur): j'assistais tout le temps. Je me suis amusée extraordinairement. Alors je sais comment sont les enfants, comment sont les professeurs; tout cela je le sais, je me suis beaucoup amusée, beaucoup.

Et à la maison, mon frère faisait des mathématiques spéciales (c'était pour entrer à Polytechnique) et il trouvait cela difficile, et ma mère avait appelé un professeur pour lui donner des répétitions. J'étais deux ans plus jeune que mon frère, je regardais, et puis tout cela était clair: le pourquoi, le comment, c'était clair. Alors le professeur travaillait dur, mon frère travaillait dur, et tout d'un coup j'ai dit: «Mais c'est comme ça!» Alors j'ai vu la tête du professeur!... Il paraît qu'il est allé dire à ma mère: «Mais c'est votre fille qui devrait apprendre!» (Mère rit) Et tout cela, c'était comme un tableau, n'est-ce pas, c'était si amusant, si amusant! Alors je sais, je me souviens, je sais les réactions, les habitudes... Je ne voulais pas m'occuper de l’École ici à cause de cela, parce que je pensais que ce serait un casse-tête: tout le monde me tomberait dessus! Et puis j'ai été forcée à cause de cette histoire de copie. Mais maintenant, cela m'amuse! (Riant) Mais je leur dis des choses effarantes!

C'est si amusant, si amusant!

J'étais pendant un temps dans un «cours» (je n'ai pas été au lycée, ma mère trouvait que ce n'était pas convenable pour une fille d'être au lycée! mais j'étais dans un cours), un cours qui avait une grande réputation à ce moment-là, ils avaient comme professeurs des gens vraiment très bien. Le professeur de géographie avait écrit des livres (c'est un homme connu), il avait écrit des livres connus sur la géographie, et c'était un homme très bien. Et alors, on faisait de la géographie (les cartes étaient pour moi un amusement plus complet parce qu'on dessinait tout cela) et le professeur un jour m'a regardée (c'était un homme intelligent), il m'a regardée, il m'a dit: «Pourquoi met-on les villes sur les rivières, les grandes villes?» J'ai vu la tête des élèves, ahurie, qui se sont dit: heureusement que ce n'est pas à nous que l’on demande cela! J'ai dit: «Mais c'est très simple! c'est parce que c'est un moyen de communication naturel.» (Riant) Alors, lui aussi a été surpris!... C'était comme cela, toutes mes études ont été comme cela, je me suis amusée tout le temps – amusée-amusée-amusée, c'était amusant!

Le professeur de littérature... C'était un vieux bonhomme plein de toutes les idées les plus conventionnelles qu'on puisse imaginer, il était barbant! oh!... Alors toutes les élèves étaient là, assidues. Il donnait des sujets de composition – tu connais Le Chemin de Tout à l’Heure et la Route de Demain? je l’ai écrit à douze ans, c'était mon devoir à sa question! Il avait donné un proverbe (je ne me souviens plus des mots maintenant) et il s'attendait à ce qu'on lui dise... toutes les choses raisonnables! – J'ai raconté mon histoire, cette petite histoire-là. C'était écrit à douze ans. Et alors il me regardait avec inquiétude! (riant) il s'attendait à ce que je fasse un scandale... Non, mais j'étais bonne fille!

Mais toujours comme cela: avec ce quelque chose qui regarde, qui voit tout le ridicule de la vie qui se prend au sérieux, oh!

Toutes ces choses sont revenues ces jours-ci à cause de cette affaire.

Il n'y a qu'une fois dans mon souvenir où j'ai pris les choses au sérieux, et encore (riant), j'ai pris un AIR sérieux. C'était un jour à propos de mon frère qui était encore jeune (mon frère devait avoir douze ans peut-être, peut-être moins: dix ans, et moi huit... non, neuf et onze ans, quelque chose comme cela, des enfants), mon frère était emporté, il se mettait facilement en colère, et puis il parlait très franchement, un peu durement. Il avait parlé à mon père (je ne sais pourquoi, je ne me souviens plus), mon père était furieux, il l’avait mis sur ses genoux (mon père était un homme extrêmement fort, je veux dire fort physiquement), il l’avait pris sur ses genoux et... (riant) il lui donnait des claques; il lui avait enlevé sa culotte et il lui donnait des claques. Moi, j'arrive, je vois cela (ça se passait dans la salle à manger), je vois cela, je vois mon père, je l’ai regardé, je me suis dit: «Mais cet homme est fou!» Et je lui ai dit: «Tu vas cesser imédiatement! (deux ans plus jeune) ou je quitte la maison.» Et alors ça, je l’ai dit avec un sérieux, oh! et j'étais résolue. Et le père... (riant) a été ahuri.

Comme cela, tous ces souvenirs sont venus. Et alors je me suis souvenue à quel point – à quel point la conscience était là déjà. Mais c'était amusant.

(silence)

Et cette facilité: tout ce que je voulais faire, je pouvais le faire. Mais il y avait quelque chose (maintenant je comprends, je ne savais pas comment cela se faisait): tout ce que je voulais faire, je pouvais le faire; mais au bout d'un temps, j'avais fait l’expérience, et puis la chose ne me paraissait pas avoir l’importance d'y consacrer toute une vie. Alors je passais à autre chose: peinture, musique, sciences, littérature... tout-tout, et des choses pratiques. Et tout avec une facilité extraordinaire. Et puis au bout d'un temps, bon, je laissais. Alors ma mère (c'était une personne très sévère), disait: «J'ai une fille qui est incapable de faire une chose jusqu'au bout.» Et c'est resté comme cela: incapable de faire quelque chose jusqu'au bout – toujours commence, toujours comme cela, laisse, et puis au bout d'un certain temps, je commençais autre chose... «Instable. Instable, elle ne fera jamais rien dans la vie!» (Mère rit)

Et c'est vrai, c'était la transcription enfantine du besoin de toujours plus, toujours mieux, toujours plus, toujours mieux... indéfiniment – le sens de l’avance, de l’avance vers la perfection. Et une perfection que je sentais qui échappait tout à fait à tout ce que les hommes pensaient – quelque chose... un «quelque chose»... un quelque chose qui était indéfinissable, mais que l’on cherchait à travers tout.

Alors tout cela est revenu pour être classé, mis à sa place, offert (geste vers le haut), et puis maintenant, fini.3

29 juillet 1967

(Au début de cette conversation, Mère exprime un vif mécontentement parce que sa prétendue note au sujet des Arabes et des Israélites1 a été publiée dans «Mother India» sous le titre: «Les Juifs et les Arabes». Mère proteste contre l’emploi du mot «Juif» qui ne concerne qu'une seule tribu israélite et qui a pris un sens péjoratif.)

Ça a été employé tellement comme une insulte...

Enfin, grâce à cela, probablement parce que cette note a paru, cela a remis les choses dans l’atmosphère, et ce matin il y a eu une expérience très-très concrète quelque part...

C'est une chose curieuse, c'est comme si tout d'un coup on sortait d'une atmosphère conventionnelle de pensée, qui est comme une atmosphère terrestre (je ne veux pas dire que ce soit une pensée ordinaire, je veux dire que c'est dans le champ de la mentalité humaine), et alors, il y a au-dessus quelque chose qui voit les choses tout à fait différemment. C'est comme si... Oui, d'ordinaire on les voit comme cela (geste d'en dessous), et «ça», ça voit comme cela (geste d'au-dessus), alors quand on entre là, ce sont des choses que l’on sait ici (on les sait, ce n'est pas nouveau), mais c'est vu d'un regard tout à fait différent. Et alors naturellement, c'est noté d'une façon différente aussi... (Mère cherche une note)

C'est venu de deux façons. Ce sont des choses vues, n'est-ce pas, vues. Les mots viennent après pour essayer de transcrire ce qui est vu. Et la première chose qui est venue était ainsi:

«Les chrétiens divinisent la souffrance pour en faire un moyen de salut de la terre.»

Puis c'est venu juste avec une petite différence (ce sont des subtilités, mais...). Au point de vue intellectuel, ce sont des subtilités et cela n'a pas de valeur, mais là-haut, c'est comme si l’on touchait plus ou moins au cœur des choses, c'est-à-dire à l’essence – l’essence profonde des événements. Et alors, c'est venu tout simplement comme cela:

«Le christianisme déifie la souffrance pour en faire l’instrument du salut de la terre.»

C'est difficile à expliquer parce que c'est l’état de conscience qui est différent... Maintenant, c'est un souvenir, mais à ce moment-là c'était une vision – une vision très-très profonde, très aiguë, qui dépassait naturellement tout ce qui s'est passé sur la terre, mais aussi toutes les façons d'exprimer ce qui s'est passé. La personnalité du Christ, toutes ces choses, c'était tellement différent! et cela devenait, oui, peut-être symbolique pourrait-on dire, mais ce n'est pas cela... Et en même temps, cela situait cette religion parmi toutes les autres et à une place très définie dans l’évolution terrestre (dans l’évolution de la conscience terrestre).

l’expérience a duré une demi-heure, mais tout-tout était différent – tout était différent non pas dans son apparence: tout était différent dans sa signification profonde... Est-ce que la différence était dans ma conscience active? Je ne sais pas. Je veux dire: est-ce que j'ai touché une région de conscience qui était nouvelle pour moi? C'est possible. Mais cela m'a paru une vision de la terre et de l’histoire de l’homme, tout à fait différente.

Je me souvenais à ce moment-là de ce que Sri Aurobindo avait écrit: «Les hommes aiment la souffrance, et c'est pourquoi le Christ est toujours sur sa croix à Jérusalem»,2 et ça, c'était comme... (souriant) une sorte de mousse de pensée qui était tout à fait à la surface, tout en haut, qui était baignée dans la lumière d'en haut, et qui était la façon intellectuelle d'exprimer ce que je voyais (geste du dessus) qui venait d'en haut... Au point de vue lumière, c'était une expérience très intéressante.

Et vue d'en haut, comment était l’histoire?

N'est-ce pas, Sri Aurobindo dit: «l’homme aime la souffrance, et c'est pourquoi le Christ est toujours sur sa croix à Jérusalem», et puis j'ai dit: le christianisme (je veux dire l’origine universelle, enfin terrestre, de ce qui s'est traduit sur la terre par la religion chrétienne), l’action de cette religion sur la terre a été de «déifier la souffrance» parce qu'il était NÉCESSAIRE que les hommes comprennent – non seulement comprennent mais sentent et adhèrent à la raison d'être (la raison d'être universelle) de la souffrance sur la terre comme moyen d'évolution. Au fond, on pourrait dire qu'ils ont sanctifié la souffrance pour qu'elle soit reconnue comme un moyen indispensable à l’évolution de la terre.

Et alors, maintenant, cette action-là a été plus qu'exploitée et devrait être dépassée, et c'est pour cela qu'il est nécessaire de quitter cela pour trouver autre chose.

Une fois, tu avais dit aussi: «Ce n'est pas un corps crucifié, mais un corps glorifié qui sauvera le monde.»3

Oui. Alors un chrétien m'a envoyé une image du Christ sur la croix, et puis, juste au-dessus, le Christ ressuscité dans son ascension vers le ciel – ils le prennent comme cela!

Ça se passe là-haut.

Oui, montant vers le ciel.

(long silence)

Est-ce que tu as eu parfois cette espèce de vision très globale, dans le temps et dans l’espace, où chaque chose prend sa place et où tout est coordonné par une conscience totale?... (Ce doit être nouveau seulement pour moi.) C'est une vision de connaissance. Constamment, ma conscience, la conscience là (geste au-dessus et autour) est une conscience d'action. Depuis le commencement de ces éclatements d'Amour qui sont créateurs, c'est une conscience d'action, c'est toujours l’action – l’action, l’action, l’action perpétuelle; au fond, la création constante. Mais ce matin, ce n'était pas l’action: c'était (riant) la «constatation» je pourrais dire, la constatation de cette action comme une espèce de vision, comme on voit un tableau, n'est-ce pas. Au lieu d'être sur le plan intellectuel le plus haut, celui qui est absolument compréhensif, qui met chaque chose à sa place, c'était... (comment expliquer cela?) C'est une connaissance par vision subjective. Ce n'est pas la vision de quelque chose qui vous est étranger: c'est le même état de conscience que celui qui fait, mais au lieu de faire seulement, il voit en même temps. C'était cela, l’expérience de ce matin. C'était assez nouveau dans le sens que je n'ai eu cela que de temps en temps comme cela, mais jamais avec cette totalité, cette clarté, et cette espèce d'absolu-là. C'est la sensation d'une connaissance évidente, absolue, indiscutable – ce n'est pas «essayer d'exprimer quelque chose»: c'est voir. C'est vraiment voir, voir, mais voir... pas voir une chose après l’autre: voir tout en même temps, une totalité dans l’espace et dans le temps. Et alors chaque détail avec une précision complète, qui permet d'écrire une chose comme cela (la note sur le christianisme).

Pour être claire, il faut que je raconte tout. J'ai eu l’occasion hier de parler à quelqu'un de cette constante présence de Sri Aurobindo, qui voit, qui dit, qui fait, tout le temps, ici. Alors, après avoir parlé, je me suis dit: «Comment se fait-il que ce cerveau...» Parce que je crois te l’avoir dit, quand Sri Aurobindo a quitté son corps, je suis restée plusieurs fois, plusieurs jours de suite, pendant une ou deux heures debout à côté de son lit, et je sentais – je sentais matériellement – ce qui sortait de son corps entrer dans le mien. Au point que je me souviens d'avoir dit: «Eh bien, si quelqu'un nie la survie, j'ai la preuve qu'elle est.» Alors je me disais: «Pourquoi ce cerveau (de Mère) fonctionne-t-il selon sa routine habituelle maintenant que la conscience de la Présence est constante?» Et ce matin, j'ai eu cette expérience, et en ayant l’expérience, j'ai eu l’impression: c'était comme cela que Sri Aurobindo voyait! (Riant) Ce doit être cela!... Et j'ai remarqué depuis quelque temps, que dès qu'il y a, pour ce corps-ci ou pour d'autres corps, pour des événements, pour... dès qu'il y a quelque chose qui se formule (ce n'est ni un désir ni une aspiration, mais c'est quelque chose comme cela, comme la perception vivante d'une possibilité qui devrait se réaliser – quelquefois cela vient) et ça se fait! Ça se fait automatiquement, imédiatement. Et alors ce matin, pendant, oh! une demi-heure, c'était si charmant, si agréable, l’impression: «Ah! eh bien, voilà! c'est comme cela que l’on doit voir les choses!»

Après, j'ai dû m'occuper d'autres choses, mais c'est là. Et c'était la question: «Pourquoi? Pourquoi n'y a-t-il pas dans ce cerveau la capacité de percevoir et de transcrire les choses... comme il l’avait!»

Alors la conclusion. J'ai toujours entendu dire (je ne sais pas si c'est vrai) que les hommes pensent d'une certaine manière et les femmes pensent d'une autre. Au point de vue extérieur, ce n'est pas visible, mais peut-être que l’attitude – l’attitude mentale – est différente. l’attitude mentale du côté Prakriti, c'est toujours l’action, toujours l’action; l’attitude mentale du côté Pourousha,4 c'est la conception: la conception, la vision d'ensemble, et la constatation aussi, comme s'il observait ce que Prakriti a fait et qu'il voyait comment c'est fait. Maintenant je comprends cela. C'est comme cela. Alors, naturellement, il n'y a pas d'homme (ici sur la terre), pas d'homme qui soit exclusivement masculin; il n'y a pas de femme exclusivement féminine, parce que tout cela a été mélangé, remélangé. De même, il n'y a pas, je ne pense pas qu'il y ait une seule race qui soit absolument pure: tout cela est fini, mélangé (c'est une autre façon de recréer l’Unité). Mais il y a eu des tendances. C'est comme ce qui a été écrit là à propos des Israélites et des Musulmans, c'est seulement une façon de dire; si l’on me disait: «Vous avez dit cela», je dirais: «Oui, j'ai dit cela, je peux dire autre chose aussi et beaucoup d'autres!» C'est une façon de choisir certaines choses, de les mettre en avant pour une action (c'est toujours pour une action). Mais pour le moment, tout est comme cela: mélangé, mélangé partout en vue d'une unification générale – il n'y a pas une seule nationalité qui soit pure et séparée des autres, ça n'existe plus. Mais pour une certaine vision, il y a le rôle essentiel de chaque chose, sa raison d'être, sa place dans l’histoire universelle. C'est comme cette impression si forte que les Chinois sont lunaires, que quand la lune s'est refroidie, des êtres ont réussi à venir sur la terre et que ces êtres-là sont à l’origine de la nation chinoise; mais maintenant ça ne laisse qu'une trace – une trace qui est le souvenir de la distinction. Et partout c'est comme cela; si l’on regarde les individus de chaque nation, dans chaque nation il y a de tout, mais avec le souvenir... le souvenir d'une spécialité qui a été sa raison d'être dans le grand déploiement terrestre.5

(Mère entre en contemplation)

Il était là si présent, si concret, tu l’as senti, Sri Aurobindo?

Je me suis arrêtée à cause de l’heure.

Quand il est comme cela, tu es dedans – tu n'es pas au-dehors, tu es dedans. Il est comme cela, englobant. Tu es dedans.

Il y a une partie de ton atmosphère (geste au-dessus de la tête du disciple) qui est tout à fait, tout à fait unie, comme cela, pas de différence.

août




2 août 1967

(À propos d'un apprenti tantrique, disciple de X.)

Tu vois W?

Oui, je l’ai vu hier.

Il m'a écrit aujourd'hui: il est en pleine révolte. Qu'est-ce qu'il t'a dit hier?

Oh!...

Il n'était pas brillant.

Non, pas du tout.

Pleine révolte. Alors la nuit, il a mal dans son cœur, mal dans sa poitrine, mal dans sa tête, mal partout. Et il m'écrit aujourd'hui pour me dire: «Est-ce que c'est cela que tu veux jusqu'à la fin du monde?» Je lui ai écrit: c'est tout le contraire que je veux!

Je l’ai vu hier, je lui ai parlé pendant une demi-heure, mais il était comme... tu sais, comme des barreaux de fer; il avait d'avance décidé qu'il ne comprendrait rien de ce que je lui dirais. J'ai tâché d'entrer au fond, mais... Il m'a dit (c'est une vielle formation qui est sur lui) que tout ce qu'il veut faire, il le fait pendant un certain temps, puis il lui arrive une catastrophe et c'est arrêté. Et alors il dit que, maintenant, c'était son effort spirituel qu'il faisait, et il lui est arrivé une catastrophe (je ne sais pas laquelle). Je lui ai dit naturellement que ce n'était pas comme cela du tout! Que c'était justement le signe qu'il était arrivé au moment où la porte pouvait s'ouvrir et qu'il pouvait se transformer. Mais il a refusé de comprendre. Tu sais, quand les gens sont butés comme cela, il n'y a pas moyen, on ne passe pas.

Alors j'ai pensé que peut-être tu pourrais lui parler.

Je l’ai vu hier et j'ai eu l’impression que cela lui faisait du bien, enfin qu'il m'écoutait en tout cas...

J'ai eu aussi l’impression (c'est pour cela que je t'en parle) que toi, il t'écouterait.

J'essaye, oui.

Alors c'est bien... Tu sais, quand on met des barreaux comme cela et que l’on dit: «C'est impossible-impossible-impossible...»

Au fond, le problème difficile pour lui maintenant, c'est tout ce japa tantrique qu'il fait.

Mais pourquoi continue-t-il?

Justement c'est cela, le problème, c'est qu'il n'arrive pas à avoir la force de décrocher.

Ah! voilà. Il continue...

J'ai essayé de lui dire hier que cette sorte de discipline est très puissante et qu'elle est bonne pour certains, mais qu'en fait, c'est comme si l’on tissait autour de soi de plus en plus une force dans laquelle on s'enferme soi-même.

C'est cela. Oui, c'est cela!

Mais il lui faut le courage de couper. C'est cela, son problème.

Il ne m'a pas dit une fois: je veux arrêter.

Mais c'est qu'il n'ose pas. Et tu ne lui dis pas non plus, alors... (et puis c'est difficile pour toi de lui dire).

Je lui ai expliqué hier l’effet que lui faisait ce japa, je lui ai expliqué en détail, mais je crois qu'il n'y a rien compris. Et je lui ai dit de changer; je lui ai même donné le Mantra (parce que ça, c'est la suprême libération quand on fait cela), je voulais justement, au lieu de le laisser sans rien du tout, qu'il fasse ça. Mais je lui ai demandé hier: «Tu continues?» Il m'a dit: «Oh! un petit peu seulement.»

Il y a justement au-dedans de soi-même naturellement (et autour de soi comme conséquence), des forces qui s'opposent à votre réalisation, et le système de ces mantras [tantriques], c'est de chercher le point d'appui des êtres du Surmental contre ces forces qui sont beaucoup plus puissantes qu'eux (les dieux) – la preuve, c'est que malgré toute leur bonne volonté, ils (les dieux du Surmental) n'ont jamais pu faire de la terre un endroit harmonieux. Nous sommes obligés de le constater. Et je lui ai dit que c'est une lutte directe, que tous ces mantras sont une lutte directe contre cette difficulté, tandis que... (et c'est cela qui a créé ce mal de tête terrible dont il se plaint: c'est dangereux, n'est-ce pas, ça peut détraquer tout le fonctionnement), je lui ai dit d'arrêter et de faire ça (le Mantra de Mère). Je lui ai expliqué tout cela hier. Je lui ai dit qu'il ne faut pas lutter directement: il faut trouver le point d'appui dans la force que l’on a au-dedans de soi, et qui est partout, et qui peut surmonter la difficulté: «Au lieu de te battre, vis dans l’autre conscience.» Mais j'ai vu, il était fermé – fermé à clef – avec un regard dur. Il ne voulait pas comprendre. Alors...

Pendant une demi-heure, il m'a gardé ici. Il était midi et demie!

Alors si tu lui expliques cela, je crois que ça lui fera du bien.

Hier soir, c'était rentré, j'avais touché quelque chose.

Mais oui!

Mais...

Alors, résultat, il m'a dit ce matin: je n'ai pas pu dormir de toute la nuit, j'ai eu une douleur à mon cœur, une douleur je ne sais plus où (dans trois ou quatre endroits), je ne peux pas manger, impossible (enfin un tableau tout ce qu'il y a de plus dramatique), en me disant: «Est-ce que tu veux que je sois comme cela jusqu'à la fin du monde?»

Son problème est de décrocher de cette affaire tantrique.

Non, il y a deux problèmes. Il y a celui-là au point de vue action, et puis il y a un orgueil for-mi-da-ble dans toute la famille; c'est un orgueil terrible, c'est une formation... C'était cela qui était en lui hier, c'était comme coagulé. Alors je lui ai dit: «Aie un peu plus d'humilité, un peu plus de modestie.»

N'est-ce pas, on ne veut pas abdiquer.

C'est le sens que l’on n'est rien-rien-rien, absolument rien quand on est en face de... qu'on appelle «ça» comme on veut, cela ne fait rien (on peut le prendre depuis l’idée de conscience jusqu'au Seigneur Suprême, ça ne fait rien). Mais c'est sentir d'une façon concrète que tant que l’on tient à rester dans sa petite personne, on n'est rien, et que si l’on abdique cette petite personne, on devient tout. C'est cela qu'ils ne comprennent pas. l’orgueil, c'est tout simplement... On a le contact avec l’éternité intérieure, la toute-puissance intérieure, mais on est enfermé dans son petit ego, alors l’ego s'imagine que c'est lui qui est Ça, et puis alors il s'affirme – il s'assoit et il ne veut plus bouger, c'est un Moi colossal. C'est justement la Vérité suprême (riant) dans sa déformation.

J'ai essayé de lui faire comprendre cela hier, mais pas comme cela, je le lui ai dit très gentiment!

Certainement, on voit cela: ceux qui sont l’opposé justement, ceux qui rampent par terre, il n'y a pas d'étoffe, on ne peut rien en faire; alors il faut essayer de leur donner un peu de confiance. Mais ce n'est rien. Tandis que ceux-là, on peut faire quelque chose, mais... oh! ils deviennent furieux contre vous!

Le contact avec les grands Asoura, les premiers Asoura, c'est cela: la pleine conscience de leur puissance formidable, de leurs capacités merveilleuses – ils oubliaient une chose, c'est qu'ils n'en ont pas le mérite, ça ne leur appartient pas en propre! Alors ils coupent la connexion et ils deviennent des instruments de désordre et de confusion.

Celui-là, le Seigneur du Mensonge...

Pour la conscience humaine, ces choses-là sont terribles, mais de là-haut, cela fait sourire. Je me souviens pendant la guerre, quand je l’ai rencontré (je lui avais démoli son travail avec Hitler, puis je l’ai rencontré), alors je lui ai dit: «Tu sais bien que ton temps est fini.» Il a dit: «Je le sais bien, mais je détruirai autant que je peux jusqu'à ce que je disparaisse.»

Enfantillage.


Peu après

Je t'ai dit que j'étais tout le temps en rapport avec les professeurs de l’École. Il y a une «conférence», et voilà (Mère tend un papier au disciple). Il y a un point intéressant:

(traduction)

«Votre difficulté vient du fait que vous avez encore cette vieille croyance que, dans la vie, certaines choses sont hautes et d'autres basses. Ce n'est pas exact. Ce ne sont pas les choses ou les activités qui sont hautes ou basses, c'est la conscience de celui qui agit qui est vraie ou fausse...

C'est là, le point intéressant.

«Si vous unissez votre conscience à la Suprême Conscience et la manifestez, tout ce que vous pensez, sentez ou faites devient lumineux et vrai. Ce n'est pas le sujet de l’enseignement qu'il faut changer, c'est la conscience avec laquelle vous enseignez qui doit être illuminée.»

(31 juillet 1967)

Et puis Y m'a posé des questions sur de Gaulle (Mère donne un autre papier):

«Tant que l’on est pour les uns et contre les autres, on est nécessairement loin de la Vérité.

«Toute la politique actuelle est basée sur le mensonge et aucune nation ne peut totalement échapper à ce mensonge.

«X (de Gaulle) a un embryon de vie intérieure, il sait qu'il y a une force supérieure aux forces physiques et mentales... et c'est pour cela qu'il est plus réceptif que beaucoup d'autres.

«Mais il a des idées, des principes, des préférences, etc., etc., et en cela, il peut se tromper grossièrement comme tous les êtres humains.

«C'est à travers tout ce fatras et tout ce chaos que la Conscience-de-Vérité est à l’œuvre, partout, sur tous les points de la terre à la fois, dans toutes les nations, toutes les individualités, sans préférence ni distinctions, partout où il y a une étincelle de conscience qui puisse la recevoir et la manifester.»

(29 juillet 1967)


(Mère lit au disciple une citation de Sri Aurobindo:)

To be perpetually reborn is the condition of material immortality.

Sri Aurobindo

(traduction)

«Renaître perpétuellement est la condition de l’immortalité matérielle.»

Ça, c'est épatant.


Plus tard, après une méditation:1

C'est comme cela. Jour par jour, presque heure par heure, à mesure que le Pouvoir revient... N'est-ce pas, j'avais dit qu'il était tout à fait parti,2 et c'était vrai, il était tout à fait parti pour laisser le corps absolument à lui-même, pour sa conversion pourrait-on dire; mais une fois qu'il y a eu dans cette conscience corporelle la même aspiration et la même ardeur de conscience (avec une stabilité beaucoup plus grande que dans n'importe quelle partie de l’être; il n'y a pas de fluctuations comme dans le vital et dans le mental, c'est très stable), une fois que cela a été établi (par des espèces de pulsations, pas distantes l’une de l’autre, sur un détail d'abord, puis se répandant et devenant généralisées), le Pouvoir est... on peut dire qu'il est en train de revenir. Mais à chaque étape de ce retour, toutes les anciennes difficultés semblent être réveillées,3 elles semblent resurgir (n'est-ce pas, elles avaient été tout à fait endormies), et chaque fois, cette conscience corporelle a une espèce de surprise, à la fois affligée et étonnée que la présence du Pouvoir divin, de la Conscience divine, de la Force de Vérité, puisse faire naître toutes ces difficultés, qui sont essentiellement des difficultés de l’ignorance, de l’inertie – de l’incapacité de recevoir. Et cela revient comme des souvenirs, comme cela (geste d'en dessous), comme un serpent qui se lève. Et chaque fois, tout dans la conscience physique a le même appel: «Pourquoi! quand Tu es là, ces choses peuvent être?» C'est cela, l’étonnement: «Puisque Tu es là, comment ces choses peuvent être?»

Jusqu'à présent, dans la presque majorité des cas, cela a été le signal d'une conversion, d'une transformation, d'une illumination (cela dépend des cas), mais justement ce cas dont nous parlions (l’apprenti tantrique), c'est venu exactement comme un résultat de ce retour du Pouvoir (je l’ai su; il me l’a dit hier, mais je l’ai su quand il a eu sa révolte), et tout ce qui venait, c'était justement toutes les vieilles révoltes, tous les vieux mouvements qui étaient si forts, si généralisés, si ÉTABLIS, avant, et puis qui ont été comme arrêtés dans leur expression par le fait que le Pouvoir s'était retiré. Alors tout le monde somnolait dans son état. Et puis dès que la Force a recommencé à venir travailler, tout s'est réveillé.

Mais encore, ce n'est pas la pleine Présence, ce n'est pas la Présence totale de l’être qui, par une toute-puissance qui ne peut pas être contredite,.change les choses. Et alors le corps a quelque chose de très-très émouvant de simplicité dans sa prière et son étonne-ment d'enfant: «Puisque Tu es là, comment est-ce que cela peut être?...» Et tout ce qui est prêt à être transformé est transformé. Mais ce n'est pas encore... (comment dire?) la compulsion (geste de descente irrésistible), l’autorité absolue qui fait que rien ne peut résister – ce n'est pas cela, ce n'est pas encore ça, il s'en faut.

On ne sait pas combien de temps cela prendra encore.

Tout ce qui est sur le point de changer change.

Autrement, continu, le lent labeur souterrain, invisible, presque imperceptible.

(silence)

Et ce qui est intéressant, c'est que spontanément, imédiatement, sans effort – spontanément –, ce corps cherche en lui-même, les cellules du corps (c'est tout un monde! c'est un monde), elles cherchent en elles-mêmes: «Oh! où est mon incapacité, où est mon impuissance, où est... même ma mauvaise volonté ou ma stupidité ou mon incapacité de comprendre, d'adhérer?» Voilà. Et puis, toujours la même réponse: «Tout donner, tout donner, tout donner... Je ne comprends pas, je ne peux pas comprendre, je ne sais pas, je ne peux pas savoir – je ne peux pas, je ne peux pas faire, je suis incapable de faire moi-même: tout pour Toi, fais-le.»

Elles essayent-essayent, tout essaye de se donner parfaitement, par-fai-te-ment, c'est-à-dire sans exception, tout-tout.

C'est une sorte... pas d'anxiété, mais surtout de vigilance, comme si elles étaient alertées: «Ne rien faire que ce que Tu veux, ne rien penser que ce que Tu veux, ne rien sentir que ce que Tu veux, ne rien dire que ce que Tu veux...» Ça, constant, ininterrompu, nuit et jour. Au moment même de l’activité ou au moment même du repos, tout-tout: «Être ce que Tu veux, sentir ce que Tu veux, faire ce que Tu veux, exister... sans différence.»

La moindre petite douleur, quelque chose qui est inconfortable, la moindre petite maladresse, la moindre petite chose, imédiatement: «Ah! (sursaut) ce n'est pas Toi.»

(Mère entre en contemplation)

Le physique subtil semble de plus en plus transformé. Il y a encore un mystère entre les deux. Un mystère. Ils sont coexistants (le corps physique et le corps physique subtil) et pourtant... (geste comme un manque de jonction) le physique subtil ne semble pas avoir d'influence là-dessus (le corps).

Quelque chose... Quelque chose à trouver... quelque chose.

5 août 1967

(Mère donne à lire au disciple une citation de Sri Aurobindo.)

«I have never known any will of mine for one major event in the conduct of the world affairs to fail in the end, although it may take a long time for the world-forces to fulfil it.»

Sri Aurobindo
(October 1932)

(traduction)

«Je n'ai jamais vu qu'une seule volonté de moi concernant un seul événement important dans la conduite des affaires de ce monde, ait échoué en fin de compte, quoique les forces cosmiques puissent mettre longtemps à la réaliser.»

(Octobre 1932)

C'est très intéressant! Je ne savais pas que Sri Aurobindo avait dit cela si ouvertement... Je savais le fait, je l’avais constaté, mais je ne savais pas qu'il l’avait dit si ouvertement.

C'est intéressant.

Tout est sûr.

(Mère hoche la tête affirmativement)

12 août 1967

Ils m'ont demandé un message... Le prince du Cachemire, K.S., fait le 19 un grand meeting de tous les parlementaires et membres du gouvernement à Delhi pour leur dire qu'il n'y a qu'une politique qui vaille, c'est celle de Sri Aurobindo, et il veut un message de moi. Le voici:

«O Inde, terre de Lumière et de Connaissance spirituelle, éveille-toi à ta vraie mission dans le monde. Montre le chemin de l’union et de l’harmonie.»

«O India, land of Light and spiritual knowledge wake up to your true mission in the world. Show the way to union and harmony.»

C'est exprès que je n'ai pas dit «peace»: j'ai dit «harmony». Je ne veux pas dire «peace» [paix] parce que «peace», pour eux, c'est dire des platitudes aux autres nations pour ne pas se battre (!), alors je ne veux pas.

(silence)

Ça va très mal. Et au fond... au fond c'est très bien que ce soit comme cela parce que ça les éveille à la nécessité de faire quelque chose. On n'a plus de sécurité nulle part, les gens qui sont partis de Calcutta pour venir ici le 15, sont arrêtés en route, on a dû dévier le train parce qu'il y a, je ne sais pas, des brigands quelque part.

Mais non, pas des brigands! Pas du tout, c'est ce qu'il y a de plus grave, ce ne sont pas des brigands: ce sont des étudiants qui ont arrêté les trains! et par-dessus le marché, le premier ministre du Bengale a déclaré que leurs «grievances» [griefs] étaient «legitimate» [légitimes].

C'est peut-être «legitimate», mais pas leur action.

Et il a dit qu'il fallait regarder leur action «avec sympathie». J'ai vu cela dans les journaux ce matin, c'est ahurissant!

(Mère rit) C'est charmant!

Ce ne sont pas des brigands du tout!

En tout cas, les gens qui devaient venir ont quarante-huit heures de retard... Non, il n'y a plus de sécurité: une personne que nous connaissons était assise devant sa fenêtre à Calcutta – assise à sa table en train d'écrire –, de la rue, on lui envoie un bol de vitriol!... Pourquoi? On ne sait pas.

Ils ont perdu toutes leurs valeurs. Hier, j'ai rencontré le «vice chancellor» [recteur] de l’université de Bangalore, et tu ne sais pas ce qu'on leur enseigne à l’université, en psychologie? On leur enseigne Freud et on leur enseigne Jung! la psychanalyse européenne! Dans ce pays où il y a la connaissance, où il y a tout, on va chercher...

Ils sont fous. Non, ils ont été entièrement pourris par les Anglais; ces deux cents années d'Angleterre les ont complètement pourris. Naturellement, cela a fait aussi que des gens se sont éveillés, mais ils ne savent rien; ils ne savent rien, ni de l’administration, ni du gouvernement, ni rien, ils ont tout perdu, et tout ce qu'ils en savent, c'est ce qui leur a été enseigné par l’Angleterre, c'est-à-dire une affaire absolument corrompue. Alors ils ne savent pas, ils ne savent même pas prendre une décision.

Mais tout de même, ils commencent à penser qu'il faudrait demander de l’aide à ceux qui savent... Alors, c'est la porte ouverte.

On va voir.

Si les choses étaient allées tout à fait bien... Le pays est ruiné maintenant, les gens sont ruinés tout à fait, il n'y a que quelques bandits (que je connais) qui, eux, sont gonflés, mais tous les autres sont ruinés et parce que... parce que le gouvernement ne sait pas faire, il gouverne avec des idées, et quelles idées! des idées qu'ils ont ramassées justement dans l’Occident, qu'ils ne comprennent pas, et qui sont assez mauvaises pour l’Occident déjà, mais qui deviennent pestilentielles ici.

Mais maintenant, ils commencent à croire que ce n'est peut-être pas comme cela! (Mère rit) peut-être qu'il faut faire autrement... En un mois, j'ai vu déjà quatre ministres. Il y en a un d'ici, le chief minister [ministre provincial], il paraît que je l’ai vu quand il était petit (je ne me souviens plus, mais il se souvient, lui, que je l’avais caressé), et alors il est venu l’autre jour et il m'a dit (je lui ai donné une fleur et un paquet de «blessings»), il m'a dit: «Voilà, avec ça – je le porterai sur moi – et avec ça, je vais faire votre travail dans le gouvernement.» Et vraiment résolu. C'est un homme jeune, d'une quarantaine d'années, je crois, et assez fort.1

De Madras?

Non-non, ici, Pondichéry.

Mais j'en ai vu d'autres qui viennent du gouvernement central. Et ils viennent non pas par curiosité ou d'une façon banale: ils viennent vraiment parce qu'ils sentent le besoin de quelque chose.

Alors peut-être que l’on pourra faire quelque chose... On verra.2


(Mère retrouve la note qu'elle a écrite sur le christianisme et dont elle a parlé le 29 juillet)

«Le christianisme déifie la souffrance pour en faire l’instrument du salut de la terre.»

Tu sais, c'est venu à moi comme une découverte... Toute la religion, au lieu d'être regardée comme cela (geste en dessous), était regardée comme cela (geste au-dessus)... Voilà ce que je veux dire: l’idée ordinaire du christianisme, c'est que le fils (employons leur langage), le «fils de Dieu» est venu pour apporter son message (c'était un message d'amour, d'union, de fraternité, de charité) à la terre, et que la terre, c'est-à-dire les gouvernants qui n'étaient pas prêts, l’ont sacrifié, et que son «Père», le Seigneur suprême, l’a laissé sacrifier pour que son sacrifice ait la puissance de sauver le monde. C'est comme cela qu'ils voient le christianisme, c'est l’idée la plus compréhensive – l’immense majorité des chrétiens ne comprennent rien à rien, mais je veux dire que parmi les gens, il y a peut-être (peut-être, il se peut), parmi les cardinaux, par exemple, qui sont des gens qui ont étudié l’occultisme et les symboles profonds des choses, peut-être comprennent-ils un peu mieux... mais enfin. Mais d'après ma vision (Mère désigne sa note sur le christianisme), ce serait que dans l’histoire de l’évolution de la terre, quand la race humaine, l’espèce humaine, a commencé à questionner et à se révolter contre la souffrance, qui était une nécessité pour sortir plus consciemment de l’inertie (chez les animaux, c'est très clair; c'est devenu déjà très clair: cette souffrance était le moyen de les faire sortir de l’inertie), mais l’homme, lui, a dépassé ce stade et il a commencé à se révolter contre la souffrance, et naturellement aussi à se révolter contre la Puissance qui permet et qui peut-être se sert (dans son esprit, qui peut-être se sert) de cette souffrance comme moyen de domination. Et alors, c'est cela, la place du christianisme... Il y a déjà eu une assez longue histoire terrestre avant – il ne faut pas oublier qu'auparavant, avant le christianisme, il y avait l’hindouisme qui a admis que tout, y compris la destruction, la souffrance, la mort, toutes les calamités font partie du Divin unique, du Dieu unique (c'est l’image de la Guîtâ, du Dieu qui «avale» le monde et ses créatures). Il y a cela ici, dans l’Inde. Il y a eu le Bouddha qui, lui, a été horrifié par la souffrance sous toutes ses formes, la déchéance sous toutes ses formes et l’impermanence de toutes choses, et qui, cherchant un remède, a considéré que le seul vrai remède est la disparition de la création... Voilà la situation terrestre quand est arrivé le christianisme. Il y avait donc toute une période avant et toute une quantité de gens qui commençaient à se révolter contre la souffrance et voulaient y échapper comme cela. Il y en a d'autres qui la déifiaient, qui la supportaient comme cela, comme une calamité inévitable. Alors est venue la nécessité de faire descendre sur la terre la conception d'une souffrance – une souffrance déifiée, divine –, d'une souffrance divine qui est le moyen suprême de faire sortir toute la conscience humaine de l’Inconscience et de l’Ignorance pour l’amener vers sa réalisation de la béatitude divine, et non pas – non pas – en refusant de collaborer à l’existence, mais DANS l’existence même: dans l’existence même, accepter la souffrance (la crucifixion) comme moyen de transformation pour mener les êtres humains et toute la création vers son Origine divine.

Ça donne une place à toutes les religions dans ce développement depuis l’Inconscient jusqu'à la Conscience divine.

Ce n'est pas simplement une petite remarque notée comme cela: c'est une vision. On peut toujours donner l’idée de quelque chose de mentalement conçu, mais ce n'est pas cela; ce n'est pas cela, mais c'était, si l’on veut, une nécessité dans le développement. Et cela SITUE les choses.

l’islamisme a été un retour vers la sensation, la beauté, l’harmonie dans la forme, et la légitimation des sensations et de la joie dans la beauté. Au point de vue d'en haut, ce n'était pas d'une qualité très supérieure, mais au point de vue vital, c'était extrêmement puissant, et c'est cela qui leur a donné tant de pouvoir de se répandre, d'accaparer, de prendre, de dominer. Mais ce qu'ils ont fait est très beau – tout leur art est magnifique! magnifique. C'était une floraison de beauté... Et puis il y en a eu d'autres – tout cela vient l’un après l’autre. Et tout cela, chaque religion est venue comme une étape dans le développement et dans le rapport avec le Divin pour mener la conscience vers une union qui soit une totalité: qui ne soit pas l’abstraction de toute une réalité pour en obtenir une autre. C'est la nécessité de la totalité, de l’ensemble, qui fait que ces religions sont venues comme cela, l’une après l’autre.

Vu comme cela, c'est très intéressant.

Au lieu d'être vu d'en bas, c'était tout d'un coup une vision d'ensemble, de tout en haut, de comment cela s'est organisé avec une conscience si claire, une volonté si claire, et chaque chose arrivant juste au moment où elle était nécessaire pour que rien ne soit négligé et pour que tout puisse sortir, émerger de cette Inconscience et devenir de plus en plus conscient... Et alors, dans cette immense histoire, terrestre, le christianisme prend sa place – sa place légitime. Cela a un double avantage: pour ceux qui le méprisent, de lui redonner sa valeur, et pour ceux qui croient que c'est la seule vérité, de leur faire voir que c'est seulement un des éléments dans le tout. Voilà.

C'est pour cela que cela m'a intéressée, parce que c'était le résultat d'une vision, et cette vision est venue parce que j'ai commencé à m'occuper des religions (à re-commencer, pour dire vrai, parce que dans le temps, c'était un sujet qui m'était très familier), et quand on m'a posé des questions sur les Israélites et les Musulmans, j'ai regardé et j'ai dit: voilà leur place. Voilà leur place, leur raison d'être. Puis, un jour, je me suis dit: «Tiens, c'est vrai! vu comme cela, c'est évident: le christianisme est comme une réhabilitation de la souffrance comme moyen de développement de la conscience.»

Et alors, la phrase de Sri Aurobindo prend toute sa valeur... Le christianisme est venu parce que les hommes étaient en train de se révolter contre la douleur et de vouloir échapper au monde pour échapper à la douleur... et puis, avec les années qui passent et le développement, les hommes ont pris goût à la souffrance! Et parce qu'ils l’aiment (regarde comme la phrase de Sri Aurobindo devient claire): «Le Christ est encore en croix à Jérusalem». Ça prend sa pleine signification.


Peu après

Est-ce que l’on ne pourrait pas publier dans le Bulletin ce que tu viens de dire sur le christianisme?

Je n'aime pas beaucoup parler des religions, c'est trop tôt.

Il y a encore trop de passions dans les gens quand on leur parle de religion.

Mais là, c'est dit d'une façon si objective.

N'est-ce pas, le malheur, c'est que chacun croit que sa religion est la vérité exclusive!

On verra l’année prochaine. l’année prochaine, peut-être pour le mois de février, on va voir.

Peut-être pour le mois de février y aura-t-il quelque chose...

15 août 1967

Le message pour le quatre-vingt-dix cinquième anniversaire de Sri Aurobindo.

Mais1 dans tous les cas, le Pouvoir divin poursuit son travail par derrière, et un jour, peut-être au moment où l’on s'y attend le moins, l’obstacle se brise, les nuages s'évanouissent et de nouveau la lumière et le soleil sont là. La meilleure attitude dans ces circonstances, si l’on peut la prendre, est de ne pas se tourmenter, de ne pas se décourager, mais de persévérer tranquillement et de se garder ouvert, étalé à la Lumière, en attendant avec foi sa venue.

Sri Aurobindo

16 août 1967

Qu'est-ce que tu as senti hier au darshan – pas «darshan», à la méditation?... Rien de spécial?

Non, douce Mère. C'était bien, mais je ne sais pas.

Ah!... (ton déçu) Tu étais chez toi?

Non, dans la chambre de Sri Aurobindo.

Tiens...

Figure-toi, je me suis assise, ça allait être l’heure, peut-être une demi-minute avant, et instantanément, sans préparation, comme cela, comme un coup de massue: une descente tellement puissante – immobilisée tout à fait – de quelque chose... C'était comme si Sri Aurobindo me disait en même temps (parce que la définition est venue en même temps que la «chose» – c'était une vision qui n'était pas une vision, c'était tout à fait concret), et le mot était: golden peace [paix dorée]. Mais si fort! et puis ça n'a plus bougé. Pendant toute la demi-heure, ça n'a pas bougé. Jamais... C'est quelque chose de nouveau, je n'avais jamais senti ça avant. Je ne peux pas dire... c'était perçu, mais pas comme une vision objective. Et spontanément, d'autres personnes m'ont dit que, dès qu'elles se sont assises pour la méditation (geste de descente massive), quelque chose est venu avec une puissance formidable et tout immobilisé, et une impression de paix qu'ils n'avaient jamais sentie dans leur vie.

Golden peace...

Et c'est vrai, cela donnait l’impression de la lumière d'or supramentale, mais c'était... une paix! concrète, tu sais, pas la négation du désordre et de l’activité, non: concret, la paix concrète. Je ne voulais plus m'arrêter: on avait sonné, je suis restée encore deux minutes, trois minutes. Quand je me suis arrêtée, c'est parti. Et ça a fait une telle différence pour le corps – le corps lui-même –, une telle différence que quand c'est parti, je me suis sentie tout mal à l’aise, il m'a fallu une demi-minute pour retrouver l’équilibre.

C'est venu et c'est parti. C'est venu pour la méditation et puis c'est parti. Pendant plus d'une demi-heure: trente-cinq minutes.

Golden peace.

Et le soir (au balcon), il y avait une foule (je crois que c'est la plus grande foule que nous ayons jamais eue, ça allait dans toutes les rues; aussi loin que l’on pouvait voir, c'était plein de gens), alors je suis sortie, et quand je suis sortie, de toute cette foule est montée comme une... quelque chose entre une imploration, une prière et une protestation pour l’état dans lequel se trouve le monde et particulièrement le pays. Et ça montait en vagues... Je regardais cela (c'était extrêmement insistant), et puis je me suis dit: «Ce n'est pas mon jour, c'est le jour de Sri Aurobindo», j'ai fait comme cela 8(geste de retrait) et j'ai mis Sri Aurobindo en avant. Et alors, quand il s'est mis en avant, en se mettant en avant, il a simplement dit, simplement: «The Lord knows better what he is doing...» (Mère rit)* [le Seigneur sait mieux que vous ce qu'il fait]. IMédiatement, je me suis mise à sourire (je n'ai pas ri, mais je me suis mise à sourire) et il est venu la même paix que le matin.

Voilà.

«The Lord knows better what he is doing...» avec son sens de l’humour le plus parfait. Et imédiatement, tout s'est calmé.

J'avais envie de rire, j'ai souri.

Tu étais à ta porte?

Non, j'étais dans la maison et je regardais à travers la fenêtre, parce que c'était plein de monde... Mais douce Mère, comment se fait-il que je perçoive toujours la même chose, avec des différences d'intensité, mais c'est toujours la même chose. Je ne m'en plains pas parce que c'est admirable de paix, de puissance, de tranquillité, mais c'est toujours la «même chose»; je ne peux pas dire qu'une méditation soit très différente d'une autre: quand je suis avec toi ou quand je suis au darshan, c'est le même état.

Mais de la minute où (vraiment la minute – ce n'était même pas un état, ce n'était même pas le temps, c'est vraiment la minute), de la minute où je suis entrée en rapport avec ce que, moi, j'appelle le Suprême, c'est-à-dire la partie qui s'occupe de la terre, c'est toujours i-den-ti-que-ment le même à travers les années.

Tout ce qui est différent, c'est au-dessous. Ça, c'est le sommet. Et le sommet... c'est pour cela que j'emploie le mot «Suprême» parce qu'il n'y a rien d'autre que «Ça», c'est-à-dire une Paix suprême, une Lumière suprême, une sorte de Béatitude tranquille suprême, un sens de Pouvoir suprême et une Conscience – une Conscience qui contient tout, comme cela (geste immense)... et puis c'est fini. C'est immobile. C'est immobile – ce n'est pas «immobile», mais c'est très au-dessus du mouvement, très au-dessus. Et identique, et le sentiment de «éternellement c'est comme ça». Et ça contient tout, mais... (geste immuable, les deux paumes des mains en retrait).

Et dès qu'on touche ça, alors tout va bien.

Le changement, le mouvement, le nouveau, c'est quand on est en route – en route, on fait tout le temps des expériences, l’une après l’autre, l’une après l’autre; ou quand on est en route pour la transformation, il y a une chose et puis une autre chose, puis une autre. Mais quand on touche LÀ, c'est fini (même geste immuable). Et chaque fois qu'on touche là, c'est comme ça. Et ça contient tout, mais... on n'est pas occupé de cela.1

Et naturellement, c'est le repos suprême, le pouvoir suprême, la connaissance suprême, la conscience suprême... et quelque chose de plus.2

19 août 1967

Ce matin, j'ai eu pendant deux heures, vraiment je crois la plus merveilleuse expérience que j'ai eue de ma vie au point de vue vision-connaissance. Mais c'était si total... depuis la perception la plus essentielle de Ce qui est au-delà de la création, jusqu'à la perception des cellules du corps, comme cela, du haut en bas. Et dans chaque plan, la vision de la création.

Ça a duré deux heures. J'ai marché, j'ai fait ma toilette, ça n'avait absolument aucune importance, et au contraire, il y avait, ajouté à cela, la connaissance de comment le corps peut agir sans déranger l’état de conscience.

Et après, il y a eu un petit fléchissement parce qu'est venu... je ne peux pas dire le souvenir (ce n'était pas un souvenir) mais toutes les plaintes: la même chose qu'au balcon le jour du darshan – l’attitude humaine vis-à-vis du Suprême est seulement se plaindre et demander... se plaindre et demander, se plaindre... Voilà. C'est revenu. Avant, c'était toute la vision comme cela (geste du haut en bas), c'était magnifique, magnifique: toute chose, tout, toute l’histoire humaine, toute l’histoire de l’évolution intellectuelle, matérielle, tout-tout comme cela, chaque chose à sa place. C'était vraiment bien. Et alors après, il y a eu cette vague de plaintes.

C'était comme si le corps disait: «Quelle attitude (c'est cela qui a été l’intermédiaire), quelle attitude je dois avoir? Qu'est-ce que je dois faire?...» Parce que c'était la vision de la vie, de la mort, de tout ce qui se passe, tout-tout était là. La pleine connaissance de tout. Oh! toutes les histoires de la mort, c'était très-très intéressant, et comment l’humanité a cherché à comprendre, et comment il y a eu toutes sortes de solutions (n'est-ce pas, des attitudes partielles), et tout cela, tout cela faisait partie du Tout.

Alors, la conclusion... Oh! à ce moment-là, j'aurais pu dire beaucoup de choses sur toutes les différentes attitudes intellectuelles et même spirituelles de l’humanité... Il n'y a pas beaucoup de différences. Le spirituel (ce qu'il est entendu d'appeler «spirituel»), ça se réduit à tout cet essai pour retrouver le Divin en annulant la création, c'est cela qui a été considéré comme la vie spirituelle (c'est pour cela que ce mot a été déformé). Annuler la création pour retrouver le Divin... Et alors MAINTENANT: la vision de maintenant. Évidemment, on approche du moment où c'est possible, c'est évident. C'est une question de temps – n'est-ce pas, cela ne peut pas être à la mesure humaine, mais on est à la bordure.

Et alors, comme je l’ai dit, le corps a demandé... oh! il a eu un moment – un moment, pendant quelques minutes – si admirable! où il a SU comment il devait être. C'était magnifique. Et puis l’expérience est venue.1 Et alors, jusque là, c'était inexprimable: ça se vivait, c'était une conscience vivante, mais le mental était devenu très tranquille, alors c'était inexprimable. Et puis cette grande plainte du monde est revenue, et l’expérience a commencé à s'exprimer (Mère cherche une note). Ça a commencé à s'exprimer, parce que ce n'est pas seulement la demande anonyme de milliers de gens: c'est pratiquement une pluie de lettres, de questions, de demandes, et de gens qui croient... qui croient qu'ils font partie de l’Œuvre, de l’Action, qui croient qu'ils se sont donnés, et toutes les questions – et des questions tellement futiles –, qui pour eux leur paraissent d'une importance capitale, qui sont tellement puériles, stupides, sans importance: comment faire un business, la date d'ouverture, le nom d'une maison, un message pour des réunions... Et des histoires, ça pleut, ça pleut de tous les côtés. Alors tout cela était vu dans cette nouvelle attitude – pas «nouvelle», la conscience était là, pleine, il y avait eu toute une tendance pour la prendre de plus en plus, cette attitude, mais là c'était SU, pleinement su: ce qu'il faut être, comment il faut être. Et alors je suis descendue d'un coup pour répondre à tout cela.

Depuis quelque temps, il y avait des tas de questions de gens – je refusais; tout simplement je refusais de répondre; je disais une plaisanterie ou une autre plaisanterie: «Je ne suis pas une diseuse de bonne aventure.» Ou bien: «Cela ne me concerne pas, ce n'est pas mon affaire.» Des plaisanteries, et quelquefois je disais: «Ah! non, qu'ils me laissent tranquille, ce sont des enfantillages.» Et des gens qui croient qu'ils sont consacrés, par exemple un homme qui a donné au moins une dizaine de lakhs de roupies déjà (il le sait trop qu'il l’a donné, mais enfin il l’a donné!) et qui veut travailler pour en apporter davantage, mais alors ses questions... Alors, au lieu de répondre par des boutades (ça, c'était ma dernière expérience; ce sont comme des réponses dictées, mais ce sont des boutades), ce matin quelque chose est venu en anglais (Mère lit sa note):

«We are not here to make our life easy and comfortable. We are here to find the Divine, to become the Divine, to manifest the Divine.

«What happens to us is the Divine's outlook, it is not our concern.

«The Divine knows better than us what is good for the progress of the world and our own.»

[«Nous ne sommes pas ici pour que notre vie devienne facile et confortable, nous sommes ici pour trouver le Divin, pour devenir divins, pour manifester le Divin.

Ce qui nous arrive est l’affaire du Divin, ce n'est pas notre affaire.

Le Divin sait mieux que nous ce qui est bon pour le progrès du monde et pour le nôtre.»]

Tous viennent se plaindre, se plaindre, que celui-ci l’a volé, que sa femme ne l’aime pas, que son frère le trahit, que... Toutes les histoires imbéciles, et c'est par centaines, tu comprends, ça pleut.


(Peu après, à propos d'une sympathisante de l’Ashram, Mme Z, qui n'arrive pas à sortir de son christianisme.)2

Alors, tu as vu cette dame?

J'ai l’impression qu'il y a une possibilité de faire quelque chose... Quelle est ton impression?

Ce matin, le christianisme aussi était parmi toutes les choses.

(silence)

N'est-ce pas, derrière toute cette évolution terrestre, c'est, plus ou moins conscient (c'est plutôt un besoin inexprimé qu'une conscience précise), le besoin de vivre le Divin – on peut le mettre aussi autrement: de vivre divinement. Et il est évident que ce qui s'est traduit par des religions différentes, c'étaient des solutions trouvées individuellement («trouvées», peut-être partiellement vécues) et il y avait eu ici [en Inde], cette solution: pour redevenir vraiment Divin, il ne faut plus de création. C'était la solution nirvânique. Et instinctivement, l’humanité avait senti – instinctivement – que la mort était la négation du Divin. Mais comme toute négation, elle pouvait conduire, ouvrir le chemin. La solution du christianisme, ce n'était pas tout à fait nouveau, c'était une adaptation d'une ancienne solution: une vie en d'autres mondes – ce qui s'est traduit par cette conception tout à fait enfantine du paradis. Mais ça, c'était une conception à l’usage du public: la vie en présence du Divin et uniquement occupée du Divin, alors on chantait, on... C'est touchant de simplicité. Enfin eux, concevaient un monde (qui n'était pas un monde matériel), un monde où s'était réalisé une vie divine. Dans les anciennes traditions indiennes, il y avait eu comme cela l’indication de mondes qui étaient déjà divins – c'était comme une réaction à ce nirvânisme: si nous voulons être divins, il faut cesser d'être, ou si le Divin veut être pur, il ne faut plus qu'il se manifeste!... Et alors tout cela, ce sont comme des tentatives, maladroites, pour trouver le moyen, et en même temps peut-être des préparations internes pour rendre capable d'entrer vraiment en rapport avec le Divin. Puis il y a eu cette grande réaction du culte de la Matière qui a BEAUCOUP servi à la pétrir, la rendre moins inconsciente d'elle-même: ça a ramené par force la conscience dans la Matière. Alors, peut-être, tout cela a-t-il préparé suffisamment pour que le moment soit venu (geste de descente) de la Manifestation Totale.

Ce matin pendant l’expérience, le corps a senti toute la béatitude de la condition, mais il était très conscient de son inaptitude à manifester, et très conscient dans une paix si parfaite, comme cela (geste paumes ouvertes vers le haut), où il n'y avait même pas l’intensité du besoin. C'était simplement une vision de comment étaient les choses, comment était l’état. Et alors, c'était à peu près comme cela: que les conditions terrestres sont telles, les conditions de la substance sont telles qu'une manifestation locale et momentanée, comme un exemple, n'est pas impossible, mais que la transformation qui rendrait possible la nouvelle Manifestation de l’être supramental – alors, pas seulement comme un cas isolé, mais avec sa place, son rôle dans la vie terrestre –, cela ne paraît pas être imédiat. Voilà quelle a été l’impression.

Et il n'y avait pas l’angoisse de savoir ni rien de tout cela, c'était simplement une vision très tranquille des choses, absolument dénuée presque de tout besoin: c'était comme cela (même geste paumes ouvertes), aussi paisible qu'il est possible de l’être, souriant, tranquille, avec un sens d'éternité... Tout cela, dans ce corps, qui était tout à fait, tout à fait conscient de son incapacité. Naturellement le corps, lui, a très bien le sentiment, ni de savoir, ni de pouvoir savoir, ni de pouvoir vouloir, ni de pouvoir faire: simplement comme cela (geste paumes ouvertes), aussi paisiblement ouvert, réceptif, abandonné que possible. Et le résultat a été cela (la vision que la Manifestation n'était pas pour l’imédiat).

Et ça finit toujours de la même façon: «Ce que Tu voudras.»

Mais une vision très claire qu'une transformation collective suffisante pour créer une espèce nouvelle sur la terre, cela paraît être pour dans quelque temps encore... sans appréciation de la durée, mais pas imédiat.

Le fait est sûr.

Le fait est sûr – ce n'est pas une possibilité, c'est un FAIT. Mais ce qui se traduit dans la conscience terrestre par le temps, cela, c'était inappréciable, on ne peut pas calculer.

26 août 1967

(À propos du groupement «World Union», l’Union du Monde.)

Ils sont vieux-jeu, oh! ce World Union... Il y a des centaines et des centaines de groupements comme cela qui bavardent, qui ne font rien et qui ne changent absolument rien à rien.

Oui, cela m'a toujours paru un enfantillage et un bavardage.

Oh!... D'ailleurs, l’homme qui a commencé ce groupe, dès que cela a été organisé, ils l’ont flanqué dehors! sous prétexte qu'il n'était pas honnête, mais enfin c'était tout de même lui, le fondateur. Il est allé en Russie et c'est en Russie que lui est venue l’idée du World Union. Alors ils ont formé ce World Union à quatre ou cinq personnes, et quinze jours après, ils commençaient à se disputer, et un an après, ils ont flanqué dehors le garçon qui l’avait fondé! Puis cela a été le tour de S qui, lui, a des idées... Enfin lui aussi, on l’a mis dehors. Alors ils sont venus à moi pour me dire leurs misères! Je leur ai dit: «Écoutez, vous êtes profondément ridicules, parce que vous voulez prêcher l’unité du monde et la première chose que vous faites, c'est de vous disputer! Cela prouve que vous n'êtes pas prêts.» Et c'est resté comme cela. Puis A.B. qui était très connu en Afrique a recruté toutes sortes de gens et il m'a fait voir certains d'entre eux pour me demander s'ils étaient capables de faire quelque chose – absolument rien, n'est-ce pas, rien: des vieux piliers de maison en ruine, pas autre chose...


(Mère écoute la lecture du cahier d'un disciple qui lui pose régulièrement des questions.)

«Douce Mère, on dit que c'est toujours le bon et le vrai qui triomphent, mais on voit que souvent, dans la vie, c'est autrement. Les méchants gagnent et semblent avoir quelque protection contre la souffrance.»

(Mère rit, puis reste silencieuse)

On confond toujours deux idées.

C'est au point de vue universel et spirituel que, pas positivement le «bien» tel que les hommes l’entendent, mais le Vrai, la Vérité, aura le dernier mot, c'est entendu. C'est-à-dire que finalement le Divin sera victorieux. C'est ce que l’on dit, ce que tous ceux qui ont vécu une vie spirituelle ont dit – c'est un fait absolu. Les hommes, quand ils le traduisent, disent: «Je suis un bon garçon, je vis selon ce que je pense être vrai, par conséquent toute l’existence doit être très bien pour moi»! (Mère rit) D'abord, l’appréciation de soi-même est toujours douteuse, et puis, dans le monde tel qu'il est maintenant, tout est mélangé, ce n'est pas la Loi de Vérité pure qui se manifeste ouvertement pour les consciences humaines à moitié aveugles – elles ne la comprendraient même pas. Je veux dire, pour être plus exacte, que c'est la vision suprême qui se réalise constamment, mais que sa réalisation dans le monde matériel mélangé n'apparaît pas à la vision humaine ignorante comme le triomphe du bien (de ce que les hommes appellent «bien» et «vrai»). Mais (pour le dire d'une façon amusante), ce n'est pas la faute du Seigneur, c'est la faute des hommes! C'est-à-dire que le Seigneur sait ce qu'il fait et que les hommes ne le comprennent pas.

Dans un monde vrai, tout serait pareil que maintenant peut-être, mais ce serait vu autrement

Les deux. Il y aurait une différence. C'est l’ignorance et l’obscurité présentes dans le monde qui donnent une apparence déformante à l’Action divine; et cela naturellement, ça doit avoir tendance à disparaître; mais il est vrai aussi qu'il y a une façon de voir les choses qui... on pourrait dire, qui donne une autre signification à leur apparence – les deux sont là, comme cela (geste entremêlé).

(silence)

On en revient toujours à ceci: que le jugement des hommes est faux – est faux parce que leur vision des choses est fausse, est incomplète – et que ce jugement a forcément des résultats faux aussi.

Le monde est en perpétuel changement – perpétuel, pas une seconde il n'est semblable à lui-même –, et l’harmonie générale s'exprime de plus en plus parfaitement; par conséquent rien ne peut rester ce qu'il est, et malgré toutes les apparences contraires, le TOUT est toujours dans une progression constante: l’harmonie devient de plus en plus harmonieuse, la vérité devient de plus en plus vraie dans la Manifestation. Mais pour voir cela, il faut voir le tout, et l’homme ne voit que... même pas seulement le domaine humain mais son domaine personnel tout petit-petit-petit, microscopique – il ne peut pas comprendre.

C'est une double chose qui va se complétant (même geste entremêlé) et avec une action réciproque: à mesure que la Manifestation devient plus consciente d'elle-même, son expression se perfectionne, devient aussi plus vraie. Les deux mouvements vont ensemble.

(silence)

C'était l’une des choses qui avait été vue très clairement l’autre jour quand il y avait cette Conscience-de-Connaissance: quand la Manifestation aura suffisamment émergé de l’Inconscient pour que toute cette nécessité de lutte créée par la présence de l’Inconscient devienne progressivement de plus en plus inutile, elle disparaîtra tout naturellement, et le progrès, au lieu de se faire dans l’effort et la lutte, commencera à se faire harmonieusement. C'est cela que la conscience humaine prévoit comme une création divine sur la terre – ce ne sera encore qu'une étape. Mais pour l’étape actuelle, c'est une sorte d'aboutissement harmonieux qui changera ce progrès universel (qui est constant) en un progrès dans la joie et l’harmonie au lieu d'un progrès dans la lutte et la souffrance... Mais ce qui était vu, c'est que ce sentiment d'insuffisance, de quelque chose qui n'est pas complet et qui n'est pas parfait, cela, il est à prévoir que ça existera pendant très longtemps (si la notion de temps reste la même, ça je ne sais pas?). Mais tout changement implique temps, n'est-ce pas; on peut ne pas le traduire par le temps tel que nous le concevons, mais cela implique une succession.

Tous ces prétendus problèmes (tout le temps, on reçoit des questions et des questions et des problèmes du mental – tous les problèmes dans l’Ignorance), ce sont les problèmes du ver de terre. Dès qu'on émerge là-haut, ce genre de problème n'existe plus. Il n'y a pas de contradictions non plus. Les contradictions viennent toujours de l’insuffisance de vision et de l’incapacité de voir quelque chose à tous les points de vue en même temps.

En tout cas, pour revenir au terre à terre de son cahier, aucun sage à aucun temps, je pense, n'a jamais dit: soyez bon et tout ira bien pour vous extérieurement – parce que c'est une ânerie. Dans un monde de désordre et dans un monde de mensonge, espérer cela n'est pas raisonnable. Mais on peut, si l’on est assez sincère et total dans sa manière d'être, on peut avoir la joie intérieure, la pleine satisfaction, quelles que soient les circonstances, et cela personne ni rien n'a le pouvoir d'y toucher. Ça, c'est autre chose. Mais que votre commerce marche bien, que votre femme vous soit fidèle et que vos enfants ne soient pas malades et toutes ces choses-là, n'est-ce pas, ce sont des âneries!


(Un peu plus tard, à propos de Mme Z, cette chrétienne sympathisante de l’Ashram, qui est venue, plusieurs fois rendre visite au disciple et qui allait devenir un peu... encombrante.)

... Je ne sais pas quoi faire. Je sens qu'elle a besoin, un besoin sincère, et qu'elle voudrait en sortir, sans pouvoir en sortir.

Elle ne veut pas totalement.

Oui!

Tu sais que j'ai eu une expérience comme cela, il y a fort longtemps (il y a très longtemps) quand j'étais en France encore, à Paris. Il y avait une camarade d'atelier (parce que j'étais à l’atelier de peinture pendant longtemps), une camarade, un très bon peintre, et nous étions très amies, et j'avais commencé à lui parler de la Revue Cosmique et de ce que Théon disait. Elle appartenait à une famille catholique avec des archevêques, même des cardinaux dans la famille, enfin c'était... Et elle était extrêmement intéressée et tout à fait convaincue: elle avait eu l’impression de la libération de l’esprit et de l’aspiration. Puis, quand j'ai eu l’enseignement de Sri Aurobindo, je le lui ai transmis, et alors là, vraiment, elle a été tout à fait prise. Mais souvent, elle m'a dit: «Tant que je suis éveillée, ça va très bien, mais dans mon sommeil, tout d'un coup je me réveille avec une panique épouvantable: et si l’enseignement catholique est vrai, je vais aller en enfer!» Et alors une torture. Et elle me disait: «Quand je suis tout à fait éveillée, je vois à quel point c'est ridicule...»

Mais tous ceux qui ont reçu le baptême et qui pendant un temps ont eu la confession, ils font partie d'un ensemble, d'une entité psychologique, intérieure, et c'est TRÈS DIFFICILE d'en sortir; ils sont liés à un tout – il y a... il y a une Église invisible, et tous ces gens sont tenus. Et pour sortir de là, il faut être un héros vital. Un vrai héros, n'est-ce pas. Parce que c'est très fort. J'ai vu: toutes les religions ont comme cela des espèces de congrégations dans l’invisible; mais de toutes, c'est la chrétienne qui est la plus forte au point de vue terrestre: elle est beaucoup plus forte que celle des bouddhistes, elle est beaucoup plus forte que celle des Chinois, elle est plus forte que les anciennes religions hindoues – c'est la plus forte; naturellement plus forte que les religions plus récentes aussi. Mais c'est la plus forte. Et quand on reçoit le baptême, on est lié. Si l’on ne suit pas la messe, si l’on n'a jamais été à confession, on peut, avec un peu d'énergie vitale, on peut se sortir de là, mais ceux qui ont été à confession – surtout la confession – et quand on reçoit la communion, quand on vous donne à manger le Christ... (encore une chose effroyable).

Alors cette fille-là était une vraie artiste et une grande intelligence, par conséquent j'ai eu l’exemple. Quand elle était éveillée, elle comprenait merveilleusement; et elle-même était furieuse, mais elle n'avait pas... elle n'avait pas le pouvoir de sortir de son subconscient l’emprise.

Elle était beaucoup plus intelligente que Mme Z, il n'y a pas de comparaison. C'était une grande artiste.

Qu'est-ce que je dois faire? Est-ce que je dois travailler à faire quelque chose? Je suis comme un intermédiaire, tu comprends. Ou est-ce qu'il faut que je la mette brutalement, mais avec conscience et force, devant le fait qu'elle est prisonnière et que vraiment je ne peux rien pour elle.

Je ne voudrais pas qu'elle empiète sur ta vie, voilà. Parce qu'elle ne le sait pas, mais cela peut être une formation adverse (elle est un instrument tout à fait inconscient). Si tu étais très costaud, tu comprends, que tu aies beaucoup de force vitale, je dirais: ça ne fait rien, on leur cassera le cou; mais tu as besoin de faire attention.

Tu dis toi-même que cela te fatigue.

Oh! oui, je suis épuisé.

Oui, alors.

Une fois de temps en temps, cela ne fait rien, mais pas trop souvent.

Il faudrait que je le lui dise.

Oui, tu pourras lui dire très poliment... (riant) en lui disant qu'elle a besoin de prendre l’air! – Mais elle t'offrira de te rencontrer dehors!1

Je vais essayer de faire quelque chose... mais elle n'est pas très... Tiens, ils me font toujours l’effet (riant) d'être entourés de quelque chose de collant, comme s'ils avaient un tape [bande collante] autour d'eux! – On ne peut pas entrer.

Elle m'a demandé un nom indien.

Oh! elle t'a pris comme gourou.

Je ne sais pas. Elle m'a pris comme intermédiaire, oui. C'est un rôle que je n'aime pas DU TOUT!

(Mère rit) Oh! il est embêtant. Ça...

Mais tu comprends, je suis partagé entre le souci d'elle et le souci de moi. Qu'est-ce que je dois faire?

(Après un long silence) Est-ce que tu sais me mettre ou mettre Sri Aurobindo entre toi et les personnes que tu vois?

Je ne sais pas si je sais le faire, mais j'appelle toujours, je suis toujours comme cela [geste vers la conscience en haut], j'appelle là-haut.

Mais ce n'est pas comme cela! C'est comme cela ICI (Mère fait un geste devant la poitrine du disciple), tu te caches derrière... (riant) comme j'ai fait au balcon l’autre jour!

Quelle était la distance entre les deux visites?

Cinq ou six jours.

On va voir, on va essayer...

Elle m'a dit même, la dernière fois, qu'elle voudrait méditer avec moi – mais enfin je ne suis pas un gourou, moi!

Ce n'est pas un métier agréable! (rires)

On va voir, tu me diras.

(Mère entre en concentration)

Voilà, il y a Sri Aurobindo qui est là, comme ça, depuis ici jusque là (geste depuis le bas de la poitrine jusqu'au front). Alors si tu es comme cela quand les gens sont là près de toi...
Juste devant toi.

Tu as senti tout d'un coup? il y a eu une sorte de plénitude dans l’atmosphère. Est-ce que tu as senti cela? Comme si ça devenait quelque chose de... «confortable» est un tout petit mot: une sorte de plénitude, tu as senti?

Oui.

C'est quand il est arrivé.

Il est resté là.

Alors si tu as cela, tu peux voir n'importe qui, ça ne fait rien!

(silence)

Il y a aussi des choses bien obscures en mou.

(Après un silence) On les donne en offrande.

30 août 1967

Depuis plusieurs nuits, je passe presque toute la nuit, plusieurs heures, dans un endroit qui doit certainement appartenir au physique subtil et où l’on réorganise la vie matérielle. C'est immense – immense –, la foule est innombrable; mais ce sont des individualités, ce n'est pas une foule, c'est-à-dire que j'ai affaire à chacun d'eux. Et alors, c'est à la fois comme avec des documents et des tables pour écrire, mais il n'y a pas de murs! C'est un endroit curieux. C'est un endroit très curieux.

Je me suis demandé plusieurs fois si c'était le souvenir des formes physiques qui me fait voir ce monde comme cela, ou S'IL EST vraiment comme cela? Parfois, il n'y a pas de doute parce que cela a son caractère tout à fait propre, mais parfois j'ai un doute et je me demande si ce n'est pas dans le souvenir actif. Parce que je suis très consciente à ce moment-là, et tout est extrêmement naturel, n'est-ce pas; et c'est permanent: je retrouve les mêmes choses au même endroit, quelquefois avec des petites différences, mais des différences nécessitées par l’action. C'est-à-dire que c'est un monde cohérent, ce n'est pas une imagination déréglée. Mais dans quelle mesure ces formes sont-elles le reflet des formes matérielles? Dans quelle mesure elles sont comme cela, ou nous les voyons comme cela? Je ne suis pas encore très sûre. J'ai eu le même problème dans le temps quand j'allais dans le Surmental et que je voyais les dieux: j'avais toujours une sorte d'hésitation entre savoir s'ils sont vraiment comme cela ou si nous les percevons comme cela à cause de nos habitudes physiques... Là, au bout d'un certain temps, je suis arrivée à une conclusion, mais ici, physiquement?...

C'est une chose curieuse, il n'y a pas de portes, de fenêtres, de plafond ou de sol, tout cela existe en soi-même, n'a pas l’air d'être du tout soumis à la loi de la pesanteur, c'est-à-dire qu'il n'y a pas l’attraction magnétique de la terre, et pourtant quand on écrit (riant), ça a l’air d'un porte-plume! Quand on écrit sur quelque chose, ça a l’air d'un papier; quand il y a des documents, ça a l’air d'être dans des casiers... On sent bien que la substance n'est pas la même, mais l’apparence est très proche. Et c'est cette apparence, encore je suis là à me poser le problème: est-ce à cause de notre fonctionnement cérébral ordinaire que nous mettons cette apparence dessus, ou est-ce vraiment comme cela?

Là, je rencontre presque tout le monde. Je te l’ai dit: très régulièrement, tu es là et on travaille. Toi, tu ne te souviens pas. Il y en a d'autres qui se souviennent, mais leur souvenir est... (Mère fait une légère torsion du doigt) juste un tout petit peu décalé, c'est-à-dire que ce n'est pas identiquement ce que j'ai vu. Et alors, quand ils me le disent, j'ai tout à fait l’impression, oui, que c'est la transcription dans leur cerveau qui fait cela... Et la réalité objective du monde matériel vient de ce que le même objet, si on le revoit dix fois, dix fois il est semblable à lui-même, avec des différences qui sont logiques, qui peuvent être des différences d'usure, par exemple – mais là aussi c'est comme cela! Et si l’on étudie avec soin, même dans le monde physique, deux personnes ne voient pas les choses exactement de la même manière. Là, c'est peut-être plus accentué, mais cela paraît être un phénomène semblable...

l’explication devient très simple, très facile quand on entre dans la conscience où la réalité matérielle, c'est elle qui devient une illusion – elle est illusoire, elle n'est pas exacte: la réalité interne est plus vraie. Alors, dans ce cas-là, c'est simple. C'est peut-être seulement notre mental qui est étonné?

Prends, par exemple, l’écriture; je n'ai pas remarqué avec détail, mais quand on écrit là-bas, on a l’air d'écrire beaucoup plus facilement... je ne sais pas comment expliquer cela... ça prend beaucoup moins de temps; et les choses se notent sur le papier, mais est-ce que c'est un papier? Cela ressemble à un papier, mais c'est noté beaucoup plus directement... C'est peut-être la similarité; comme, par exemple, quand on emploie un porte-plume ou un crayon, ce n'est pas exactement un porte-plume ou un crayon, c'est quelque chose qui ressemble à cela, qui est... (comment dire?) le prototype, ou le principe de cet objet. Mais ce que je veux dire, c'est que si nous étions encore au temps de la plume d'oie ou du bâton qu'on trempe dans un liquide, probablement je le verrais comme cela!... C'est l’essence de la chose ou le principe de la chose qui, dans le souvenir, se traduit par une similarité.

Mais c'est une action. Je sais le temps seulement quand je reviens, parce que j'ai pris l’habitude chaque fois que je reviens à la conscience matérielle de regarder l’heure pour savoir (j'ai une montre à côté de mon lit et je regarde) et c'est comme cela que je peux dire: ça a duré une heure, ça a duré deux heures; mais là, on n'a pas du tout le sens du temps, ce n'est pas du tout le même sens – c'est le contenu de l’action qui compte, et pendant ces heures, beaucoup-beaucoup de choses sont faites, beaucoup. Et alors, je te rencontre très régulièrement, mais beaucoup d'autres aussi, et je suis à beaucoup d'endroits en même temps! Et quand quelqu'un me dit: «Tiens, je vous ai vue cette nuit, vous avez fait ça et ça», alors là-haut quelque part, je dis: «Tiens, oui, c'est vrai.» Il y a une toute petite (même geste de torsion), toute petite différence, mais l’essence de la chose est la même.

Et j'ai remarqué que ces choses qui sont très près du physique, si l’on se réveille brusquement, et surtout si l’on bouge en se réveillant, si l’on fait un mouvement ou si l’on se retourne, ça s'en va. C'est seulement après, si à un moment donné je suis très tranquille et que je rentre au-dedans de moi-même, alors lentement je peux rentrer en contact avec l’état. Par conséquent, cela ne m'étonne pas que la majorité des gens ne se souviennent pas. Les expériences dans le vital, dans le mental, on se souvient beaucoup plus facilement, mais ça, ce qui est tout proche du physique...

Et ça a un tel caractère que si l’on gardait la conscience de cela en se réveillant, on aurait l’air un peu fou. J'en ai eu l’expérience il y a deux jours, et cela m'a beaucoup appris – j'ai regardé, étudié-étudié jusqu'à ce que j'aie compris. C'était pendant le repos de l’après-midi (je ne dors pas du tout l’après-midi, mais j'entre comme cela, dans la conscience intérieure) et j'avais fixé avant de commencer qu'à telle heure je me «réveillerais», c'est-à-dire que je me lèverais; et quand l’heure est venue, j'étais encore tout à fait dans mon action, et elle a continué, l’état de conscience a continué avec les yeux ouverts, et alors, dans cet état de conscience, il y avait... (je ne peux pas dire «je» parce que ce n'est pas le même je, n'est-ce pas, je suis beaucoup de personnes à ce moment-là), mais le je de ce moment-là avait l’habitude de porter (pas ici matériellement, mais «là-haut»), de porter une montre en or (geste au poignet) et avait oublié de mettre cette montre, et regardait et s'apercevait: «Ah! j'ai oublié de mettre ma montre, qu'est devenue cette montre? Pourquoi ai-je oublié?» Comme cela. Et alors, en me réveillant (je ne porte pas de montre ici, n'est-ce pas), en revenant, les deux consciences étaient simultanées, et j'ai dit à haute voix: «Où est ma montre? J'ai oublié de mettre ma montre.» Et c'est quand je l’ai dit (riant) que je me suis rendue compte! Alors cela m'a fait réfléchir, j'ai bien étudié, bien regardé, bien vu qu'à ce moment-là, les deux consciences sont tout à fait (Mère superpose ses deux mains étroitement), mais tout à fait simultanées.

C'est très intéressant. Oh! il y a eu toutes sortes de problèmes qui ont été résolus avec cette expérience-là. Par exemple, le problème de beaucoup de gens que l’on traite de fous, et qui sont simplement dans cette conscience subtile (même geste superposé) qui domine à un moment donné, et ça leur fait dire des choses qui n'ont pas de sens ici, mais qui ont un sens très clair là-bas, et la conscience est comme cela (geste superposé, presque fondu). Cela donne l’explication de beaucoup de cas de prétendue folie. Il y a aussi les cas d'apparente insincérité qui sont aussi comme cela, parce que la conscience voit clairement dans ce domaine, et c'est un domaine tellement proche qu'on peut donner les mêmes noms aux choses (elles semblent avoir les mêmes formes ou des formes tout à fait similaires), mais ce n'est pas ce qu'il est entendu d'appeler la «réalité tangible» ici: matériellement, extérieurement, les choses ne sont pas tout à fait comme cela. Et alors, il y a des cas de prétendue insincérité qui sont simplement un mélange trop étroit des deux consciences – trop étroit pour un discernement actif.

Oh! tout un domaine a été éclairci, et non seulement éclairci mais avec la clef de la guérison ou de la transformation. Au point de vue psychologique, interne, ça a expliqué énormément de choses, énormément de choses. Ce qui réduit considérablement les cas de vraie aliénation mentale et les cas de vrai mensonge, c'est-à-dire le cas où l’on dit volontairement, consciemment, le contraire de ce qui est – ce ne doit pas être aussi fréquent qu'on le croit. Beaucoup de gens disent des choses comme cela (geste flottant) qui sont inexactes, mais qu'elles perçoivent dans un autre monde que le monde purement matériel, avec un mélange trop étroit et avec un discernement insuffisant pour s'apercevoir du mélange... Sri Aurobindo avait l’habitude de dire que la vraie mauvaise volonté, la vraie hostilité et le vrai mensonge sont des cas assez rares («vrai» dans le sens d'absolus, en eux-mêmes, et conscients, volontaires – volontaires, absolus, conscients), c'est rare; et que c'est cela que l’on décrit comme les êtres hostiles. Mais tout le reste, c'est une sorte d'illusion de la conscience, de consciences qui s'interfèrent (Mère passe les doigts de sa main droite entre les doigts de sa main gauche dans un mouvement de va-et-vient) et sans le discernement précis entre les différentes consciences, qui sont comme cela (même geste), mélangées, l’une entrant-sortant de l’autre.

(silence)

Et alors le résultat a été de voir l’immensité du problème à résoudre et du chemin à suivre et de la transformation à faire... Quand on regarde au point de vue purement psychologique, c'est relativement facile et prompt, mais quand on en vient à ça (Mère touche son corps), à la forme extérieure et à la prétendue matière, oh! c'est un monde! Chaque leçon... c'est comme des leçons qui sont données, c'est si intéressant! Des leçons avec toutes les conséquences et toutes les explications. On passe un jour, deux jours pour une toute petite, toute petite découverte. Et alors on voit que, dans la conscience corporelle, après cela, après cette journée ou ces heures de travail, la lumière est là, c'est changé – c'est changé, les réactions ne sont pas les mêmes, mais... (Mère fait un geste exprimant un monde de travail).

Et la Présence, la Présence devient de plus en plus intime, de plus en plus concrète, et à ces moments-là... il y a des moments où c'est (Mère fait un geste comme d'un gonflement) tellement concret que c'est comme un absolu, et puis (geste de recouvrement) un autre état de conscience arrive et c'est tout à recommencer.

C'est intéressant.

Et c'est tellement pour vous apprendre... Les grands mots, les grandes attitudes, les grandes expériences, tout cela, c'est très bien là-haut, mais ici... rien de spectaculaire – tout est très modeste, très tranquille, très effacé. Très modeste. Et ça, c'est la condition du progrès, la condition de la transformation.

Voilà, mon petit.

septembre




3 septembre 1967

(À propos de la plage d'Auroville où le disciple a pris l’habitude d'aller se promener le soir. La plage est à environ sept kilomètres de Pondichéry.)

Je trouve que l’atmosphère est différente.

Là-bas?... C'est admirable.

Oui, mais il y a une atmosphère très différente, je ne sais pas si c'est dans ma conscience.

Il manque quelque chose?... Ça ne va pas jusque là? (l’atmosphère de Mère)

Je ne sais pas, je ne me sens pas «entouré» comme je me sens entouré ici.

Quand Sri Aurobindo était là et que je sortais, je sentais son atmosphère jusqu'au lac.1 Et puis, dès que je passais au-delà, ça s'amincissait et puis c'était fini.

Mais je croyais que là...

Je ne sais pas, j'ai cette impression; c'est peut-être très subjectif, mais je n'ai pas la même sensation de confort, si tu veux.

Parce qu'il y a une accumulation en ce moment ici, tellement formidable, tu sais! Je suis toujours comme cela à m'étonner qu'il n'arrive rien à personne. Alors naturellement, les gens qui sont réceptifs et sensibles doivent sentir une grande différence... Vraiment, c'est devenu presque concret, tu sais, comme cela (geste poing fermé). Moi-même je sens la différence.

C'est peut-être cela.


(Toujours à propos de cette personne chrétienne qui cherche à s'approcher de l’Ashram.)

Tu l’as vue?

Ah! oui... Il y a eu des développements. La dernière fois que je l’ai vue, j'ai réellement perçu qu'elle était enveloppée par quelque chose... quelque chose qui avait l’air d'être très réceptif, mais qui en fait était complètement enfermé dans sa propre structure.

C'est cela.

Et le lendemain, elle m'a écrit une lettre. Et quand j'ai lu cette lettre, j'ai eu l’impression de toucher là le Mensonge, l’Asoura. Tu sais le VRAI Mensonge, c'est-à-dire celui qui a attrapé la lumière et qui en a fait un mensonge.

Oui, c'est cela.

Vraiment j'ai dit: «Ça, c'est le Mensonge.» Et j'ai eu une réaction très curieuse: tout d'un coup, j'ai eu envie de prendre cette lettre, un couteau, de planter le couteau dans la lettre et de la brûler.

Tiens, c'est intéressant!

Je ne l’ai pas fait parce que je me suis dit que j'allais peut-être lui faire du mal.

Moi aussi, j'ai eu cette impression de Mensonge.2

Et alors, ce qui est amusant, c'est que j'ai reçu cette lettre, je l’ai lue, puis Sujata est entrée dans ma chambre, elle y a passé cinq minutes, et tout d'un coup je l’ai vue partir comme cela. Et une demi-heure après, elle m'a dit: «Mais qu'est-ce qu'il y a chez vous? Tout d'un coup, j'ai été épuisée comme si j'avais fait douze heures de travail.»

Tu vois.

Alors, après cela?

Je lui ai écrit une lettre, où je disais ceci: «...Il faut que vous voyiez vous-même, que vous sentiez vous-même. Si vous êtes satisfaite par l’expérience religieuse que représente le christianisme, je ne vois pas pourquoi je vous détromperais. Chacun suit la voie qu'il sent bonne pour lui. Si vous veniez me dire: "Je cherche autre chose ", alors très bien, je pourrais peut-être faire quelque chose pour vous aider. Mais jusque là, vraiment je ne puis rien pour vous et tous les mots sont inutiles. C'est à vous de sentir et de voir.»

C'est très bien, c'est tout à fait bien, tout à fait. Et c'était cela qu'elle devait entendre... Ils sont tous les mêmes, ils veulent «profiter» des autres, n'est-ce pas. Et alors, ça, c'est vraiment du mensonge.

C'est très bien, cette lettre.

(silence)

Ces attitudes-là, ça finit toujours par une crise.

Nous avions ici une Française, une personne qui venait de Dor-dogne, qui avait changé de nom en venant ici: on l’avait appelée Nivédita. Elle était très-très enthousiaste, très dévouée, et en même temps elle était restée très chrétienne, et elle essayait d'arranger les deux ensemble. Et alors ici, naturellement, ça lui a créé des difficultés intérieures, et un jour, sans savoir vraiment pourquoi ni comment, elle est allée à confesse – et puis ça a été l’écroulement. C'était le désespoir, l’écroulement. Je lui ai dit: «Il vaut mieux que tu t'en ailles.» Et elle est partie. Elle est partie en France; dès qu'elle était là-bas, elle écrivait d'autres lettres désespérées, et puis elle est morte.

Alors, plus ils entrent, plus le problème devient difficile. Il vaut mieux... Cette dame, elle a du travail extérieur à faire. Je n'encourageais pas beaucoup qu'elle devienne intime ici parce qu'elle aura un jour le gros problème – n'est-ce pas, symboliquement, c'est réduit à une personne, mais c'est le gros problème de la Religion en tant que dogme et loi absolue, en face de la liberté, et... il n'y a pas beaucoup de gens qui peuvent tenir.

6 septembre 1967

...J'ai quatre paniers pleins comme cela, j'ai plus d'une centaine de lettres à lire! Et alors, le matin (Mère montre un paquet de lettres sur sa table), c'est comme cela, et l’après-midi ce sera la même chose. Puis A vient à sept heures du soir avec d'autres... C'est-à-dire de vingt-cinq à trente lettres par jour. Là-dessus (riant), en travaillant dur, je peux répondre à quatre ou cinq! Alors tu comprends, le résidu s'accumule: quatre paniers!


Peu après

J'ai fait des découvertes ces jours-ci... J'ai découvert que dans je ne sais quelles vies antérieures, mon psychique a été plusieurs fois dans un corps torturé. Et ça revient pour une action (comment dire?) mondiale, collective, de la terre, pour que la possibilité de la chose disparaisse. C'est assez intéressant comme travail.

Mais je m'en suis aperçue parce que je me disais: «Enfin pourquoi je m'occupe de cela tout le temps?» Alors j'ai regardé attentivement et j'ai vu que le psychique avait plusieurs fois été dans un corps torturé il y a assez longtemps quand c'était l’Inquisition, mais aussi dans des cas politiques (probablement beaucoup plus récemment). De véritables tortures, n'est-ce pas, de ces inventions où les hommes sont pires que des monstres – il n'y a pas d'animal qui soit aussi monstrueux qu'une conscience humaine comme cela... Et c'est revenu avec la «loi», le principe de la chose, de la déformation de la conscience, et quand j'ai eu compris, je me suis regardée (je me disais: «Pourquoi? pourquoi je m'occupe de cela?»), et alors j'ai regardé, j'ai vu. Et j'ai commencé à faire le nécessaire pour que ça n'existe plus dans la création – il y a des choses qui n'existeront plus.

Mais rien dans la création qui appartient au monde minéral, au monde végétal, au monde animal, n'a besoin de disparaître. Il y a eu ces animaux monstrueux: ils ont disparu matériellement, mais pas... pas le principe de la création; c'est depuis que l’homme est là avec le mental: quand le mental a été tordu, déformé par les forces adverses. Ça, c'est vraiment laid.

Comment peut-on dissoudre ça? Dissoudre la torture, par exemple, ce genre de choses? les dissoudre de la conscience terrestre, que cela ne se reproduise plus, comment est-ce possible?

Oh! pour toutes les choses vraiment monstrueuses, il n'y a qu'une force – il n'y a qu'une force qui peut les dissoudre. Ça, je le savais en principe, mais je le sais maintenant en application: c'est la force d'Amour. Vraiment, l’Amour est tout-victorieux – mais le vrai Amour, pas ce que les hommes appellent P«amour», ça non: le vrai, l’Amour divin.

N'est-ce pas, on voit une goutte de «Ça» dans sa perfection, et toutes les ombres disparaissent – toutes les désharmonies disparaissent. C'est seulement dans sa perfection, dans sa pureté essentielle.

C'est vraiment la toute-puissance.

Et sans... sans le sens de la victoire, c'est cela qui est tellement-tellement merveilleux! C'est le Tout-Victorieux qui n'a pas du tout, du tout le sens d'être victorieux – pas du tout, du tout, du tout.

(silence)

Ce matin pendant plus d'une heure, il y a eu de véritables scènes (de torture) dans leur totalité, avec tous les détails, et puis alors... cette merveilleuse Chose.

Même au moment où la torture se produit, dans cette Conscience-là, ça disparaît. Et cela disparaît non seulement pour celui qui subit, mais pour celui qui fait. Et la Chose en elle-même. C'était intéressant.

Et il y avait tous les détails de l’histoire avec une telle précision! Les paroles prononcées, les gestes... Au point que si cela avait été simplement écrit, c'était un roman extraordinaire! C'est cela qui m'a étonnée parce que je ne suis pas écrivain et que généralement ça ne m'intéresse pas, et pourquoi cela revenait comme cela, présenté d'une façon si totale?... Jusqu'à ce que... jusqu'à l’accomplissement – la fin était une merveille: Ça.


(Puis Mère passe à la lecture du premier Entretien destiné au prochain «Bulletin». Dans cet Entretien, du 29 avril 1953, il était question des religions... comme par hasard. Mère disait notamment ceci: «...Autrement, il n'y aurait pas de religions: il y aurait des maîtres et des disciples, des gens qui auraient un enseignement supérieur et une expérience exceptionnelle. Ce serait très bien. Mais dès que le maître est parti, ce qui arrive, c'est que la connaissance qu'il donnait se change en religion. On établit des dogmes rigides, les règles religieuses naissent et on ne peut plus que s'incliner devant les Tables de la Loi, alors qu'au début ce n'était pas comme cela. On vous dit: "Cela est vrai, cela est faux, le Maître a dit... " Quelque temps après, le maître devient un dieu, et on vous dit: "Dieu a dit."»)

Je laisse passer ça?... Ça va faire un ouragan! (c'est bien d'ailleurs).

C'était comme cela ou tu l’as arrangé?

Non-non! Quelquefois j'arrange la grammaire, mais je n'y ai vraiment pas touché, c'était comme cela.

Je te demande cela parce que quand j'avais ces réunions (au Terrain de Jeu), il y avait des jours où je sentais la pleine Force comme cela (geste de descente), et tout ce que je disais venait directement. D'autres fois, c'était le souvenir qui parlait, alors c'était si plat! Mais quand tu me le relis, moi, je sens ceux qui étaient directs et ceux qui étaient simplement une machine qui tourne (!) Et celui-là, cet Entretien-là, c'était très bien.

Surtout les derniers, la dernière année, c'était très-très clair pour moi, très clair: il y avait des jours où Ça parlait (geste d'en haut), j'avais seulement la bouche, le son de la voix. D'autres fois, c'était tout le magasin des souvenirs, et ce qui s'exprimait ne valait rien du tout.

Pendant longtemps, ces Entretiens que l’on a publiés dans le Bulletin, j'ai souvent fait des arrangements parce que cela me semblait trop parlé ou trop désarticulé. Mais maintenant que je prépare l’édition complète, je remets les choses à peu près textuellement comme tu les as dites, sauf quand vraiment cela heurte trop, quand c'est trop antigrammatical! Autrement, je laisse parce que je trouve que c'est comme cela que ça a sa force.

(Mère entre en contemplation)

Une grande tête comme cela... Il souriait et puis il montrait quelque chose à tous les deux comme cela, qui était l’image symbolique de ces Entretiens. C'était très intéressant! Et sa tête était grande comme cela (environ cinquante centimètres), toute lumineuse, de cette lumière supramentale qui est... c'est doré, mais il y a du rouge dedans – pas rouge: rose, mais... c'est inexprimable. C'est presque comme une flamme, mais ce n'est pas éblouissant; et ça vous donne le sens d'une force – d'une force vraiment toute-puissante. Il était là comme cela (geste entre Mère et le disciple) entre nous deux, et puis il avait sa main tendue (tout cela était de la même couleur), et dedans, il y avait un cube. Et ce cube, c'était tous ces Entretiens. Et alors il montrait le cube, et ce cube était de lumière transparente... (comment dire?) d'une lumière transparente steady [stable], tranquille – pas immobile, mais steady. Et il y avait dedans comme des veines: il y avait des veines bleues, il y avait des veines d'argent, il y avait... C'était un cube, n'est-ce pas, un cube parfait, mais alors ça bougeait: des veines bleues, des veines d'argent, des veines rouges, et puis, de temps en temps, une petite ligne sombre. Et alors il montrait ça pour dire: «Voilà comment c'est.» Et le tout était un cube transparent de lumière incolore, lumière transparente – purement transparente et purement lumineuse; et dedans, il y avait comme des courants qui passaient: quelquefois c'était à l’angle (et c'était mouvant, ce n'était pas immobile), et quelquefois c'était un bleu foncé (pas foncé, mais bleu – bleu, vraiment bleu), quelquefois c'était d'argent, quelquefois c'était blanc, et alors de place en place, de temps en temps, soit ici, soit là, soit là (geste en divers points), il y avait, à un coin ou à un bord (riant), une petite ligne noire!

Il tendait ça dans sa main et il riait!

C'était très bien! (Mère rit) c'était exactement la représentation de ces Entretiens.

Mais il voulait dire (certainement, ça avait l’air de cela), il voulait dire que l’ensemble était le cube – un cube bien organisé, d'une lumière transparente très pure et très lumineuse, comme cela, et puis alors (riant), ça se promenait dedans!

Et je le voyais de profil (il était juste entre nous deux), je le voyais de profil et sa main, que je voyais, était juste entre nous deux comme cela, et il montrait ça pour que nous voyions tous les deux, et puis il souriait, il souriait... Je crois qu'il avait envie de rire!

9 septembre 1967

(La «pression insupportable»)

Dès que l’on veut faire quelque chose, tout le contraire se soulève en masse... à un degré de stupidité qui dépasse toute mesure. On veut créer l’Harmonie: tout le monde se dispute! Et alors les gens intelligents semblent devenir stupides, ils font des choses idiotes – depuis ce matin, j'ai passé mon temps à écrire pour empêcher les gens de faire des imbécillités... C'est curieux. Enfin des gens intelligents, des gens responsables, des gens qui ont travaillé pendant longtemps, mais... des âneries.

Ça, dès qu'il y a un peu de pouvoir – le pouvoir de la lumière, le pouvoir de la vérité, le pouvoir de l’amour (le côté pouvoir des choses) –, dès que ça se manifeste (geste de soulèvement), ça crée une confusion épouvantable: chacun se sent plein d'énergie, et avec cette énergie fait des bêtises!... Et alors, si on retire le Pouvoir... (geste d'aplatissement) à plat, on ne fait plus rien!

Enfin...

13 septembre 1967

(Toujours à propos de cette personne catholique, Mme Z, qui tourne autour de l’Ashram.)

J'ai une vilaine petite histoire à te raconter... l’autre jour, je ne sais plus quand, F a rencontré Madame Z, qui lui a dit (elle était aussi en camp de concentration): «Je voudrais bien... (textuellement), je voudrais bien que Satprem retourne en camp de concentration pour voir si, maintenant, sa réaction serait changée»! F était tellement indignée qu'elle n'a pas pu s'empêcher de lui dire: «Mais c'est monstrueux d'avoir un désir comme cela!»

Voilà mon histoire: «Je voudrais bien qu'il retourne en camp de concentration pour voir!...»

Mais ce qu'il y a de merveilleux, c'est que j'ai le sentiment que, maintenant, on pourrait m'envoyer n'importe où, il pourrait m'arriver n'importe quoi, les pires choses... ça ne bougerait pas!

Aucune importance, c'est cela, oui. Et c'est cela qui les vexe! N'est-ce pas, pour eux, on ne peut avoir ce salut-là que si l’on est cataleptique.

Enfin, voilà: l’histoire est close.

Mais ce n'est pas fini, tu sais! J'ai eu une bataille avec elle.

Oh! elle t'a récrit?

J'ai eu une véritable bataille.

Quand?

Quand je lui ai dit: «Je ne peux rien pour vous si vous ne cherchez pas autre chose», elle m'a écrit une autre lettre en me disant: «Mais je cherche en effet autre chose», etc. Je n'ai pas voulu répondre. Alors j'ai fait un petit dessin, une espèce d'image qui m'est venue: un grand soleil dans le coin, des chaînes de montagne comme dans l’Himalaya, et puis tout en bas: une petite mosquée, une petite église et une petite pagode, et puis un oiseau qui s'envole vers le soleil... et je lui ai envoyé mon dessin!

(Mère rit) Et alors?

Et alors elle est venue me voir. Et là, il y a eu une véritable bataille; vraiment pendant une heure, c'était absolument une bataille avec elle. Parce qu'elle me poussait, elle voulait savoir: «Pourquoi me dites-vous non, pourquoi fermez-vous votre porte, pourquoi me dites-vous non?...» Alors j'ai été amené à tout lui dire: son emprisonnement, sa religion qui faisait comme une structure dans laquelle elle est enfermée, et que l’on ne pouvait pas faire le yoga tant que l’on n'était pas sorti de là, etc., tout est sorti. Parce que, vraiment, j'y étais conduit. Et je sentais que c'était une véritable bataille, et à deux ou trois reprises, j'ai été très conscient d'une espèce de petite chose qui faisait comme cela [geste comme une langue de serpent], juste une petite vibration qui était maléfique, deux ou trois fois: «Ah! je me suis dit: ça, voilà.» Et en même temps, chez elle, une espèce de détresse tout à fait sincère, disant: «Mais voilà vingt ans que je veux venir dans l’Inde, voilà vingt ans que j'attends ce moment, alors pourquoi me fermez-vous votre porte?»

C'est difficile de sortir de cette emprise.

C'est très difficile.

Et alors comment cela s'est terminé?

Eh bien, cela s'est terminé sur rien. Je lui ai dit: «Je ne vous ferme pas ma porte, mais je vous mets en face de ce que cela veut dire.» Je lui ai dit: «Le b-a ba du yoga, eh bien, c'est de démolir toutes ces constructions.» Mais elle m'a dit: «Le Christ, c'est le Supramental»! J'ai dit: «Non, ce n'est pas comme cela!»

(Mère rit)... Ça n'a pas laissé de traces?

J'étais un peu inquiet parce que vraiment c'était une bataille, et puis j'ai bien prié après, et ça s'est bien passé.

C'est après cela qu'elle a dû dire à F qu'elle voudrait bien te voir dans un camp de concentration – c'est la rancune!

Mais je lui ai parlé vraiment dans la vérité – pas dans la violence, mais dans la vérité qui dit: «Voilà, c'est comme cela, je n'y peux rien.»

C'est très bien, c'est ce qui pouvait lui arriver de plus heureux. Les gens qui auraient mis du sucre autour n'auraient pas aidé.

On va voir. Si l’appel est sincère, eh bien, on verra.

Mais j'ai senti cette sincérité, douce Mère, parce que ce qui a répondu, c'était comme une réponse à un appel sincère en elle. Mais en même temps, deux ou trois fois, j'ai senti cette petite vibration-là et j'ai dit: «Oh! ça, c'est mauvais.»

C'est la peur de l’enfer, mon petit! C'est effrayant, effrayant ce que cette conception-là a fait de mal dans le monde: l’idée que si vous faites une faute grave, c'est l’enfer POUR l’ÉTERNITÉ, tu entends!

C'est affreux.

C'est une idée effroyable, monstrueuse.

Quand on voit ça comme cela, en dehors de la routine, quand on le voit comme cela, c'est une idée monstrueuse – je ne sais pas quel démon a inventé cela... Si l’on disait: «Vous avez quelques années d'enfer pour expier», ça va bien – ce n'est pas charitable, ce n'est pas généreux, mais enfin c'est admissible; mais cette idée «pour l’éternité» – ÉTERNITÉ D'ENFER – c'est une monstruosité! C'est tout à fait une idée diabolique.

Et c'est cela qui leur fait peur. Même quand consciemment ils ne l’admettent pas, c'est dans le subconscient.

(silence)

Il paraît... (cela, je ne sais pas, parce que ça m'a été simplement répété), une sommité catholique à qui j'ai dit très franchement ce que je pensais, m'a répondu: «Au Collège des cardinaux, on leur enseigne la vérité et on leur dit que ce n'est pas vrai.» J'ai dit: «Dieu bénisse les cardinaux, mais leur premier devoir serait de détruire cette... cette formation monstrueuse.»

Le plus terrible, c'est qu'elle se croit libre!

Mais oui!

Elle se croit lumineuse, ou illuminée. Mais je lui ai dit: «Mais oui! si vous êtes dans une botte et quand il y a la lumière dans une boîte, vous avez la plénitude de la lumière dans une boîte!»

(Mère rit) Ah! ça, c'est bien!

J'ai tout dit, il en est venu comme cela. Elle était glacée à la fin. C'était vraiment une bataille.

Tu as fait du bon travail.

Mais tu comprends, l’idée c'est: «Le Christ, c'est le Supramen-tal... Le Christ est déjà ressuscité, il a déjà un corps glorieux, il est déjà transformé...»

(Après un silence) Non, il est reparti, il n'est pas resté. Il n'a pas un corps glorieux, il est parti. Il est reparti dans les régions supérieures, il n'a pas un corps glorieux... Il est peut-être glorieux là-haut, ça, c'est son affaire (riant), mais ici... Il est reparti. N'est-ce pas, Sri Aurobindo lui-même a dit que c'était un Avatar. Un Avatar de la même lignée que Krishna, la lignée qui représentait... oui, bonté, charité, amour, harmonie. Il est dans cette lignée-là.1


À propos d'humilité

C'est très simple, quand on dit aux gens: «Soyez humbles», ils pensent tout de suite à «être humble vis-à-vis des autres hommes», et cette humilité-là est mauvaise. La vraie humilité, c'est l’humilité vis-à-vis du Divin, c'est-à-dire le sens précis, exact, vivant, que l’on n'est rien, que l’on ne peut rien, que l’on ne comprend rien sans le Divin, que même si l’on est un être exceptionnellement intelligent et capable, ce n'est rien en comparaison de la Conscience divine – et ça, on doit le garder toujours, parce que toujours on a la vraie attitude de réceptivité, une réceptivité humble qui n'oppose pas de prétention personnelle au Divin.


(Puis il est question du petit R et de la coïncidence entre la mort de Paul Richard et la naissance de cet enfant.)

Ce petit, je l’ai vu quand il avait à peine deux mois, on me l’a apporté. Il était tranquille, paisible, dans les bras de sa mère. Elle l’a mis sur mes genoux, je l’ai regardé – je l’ai regardé et puis j'ai mis un petit peu de Force, comme cela. Alors il a eu un mouvement et il s'est mis à hurler-hurler-hurler... Il a fallu l’emmener. Mais j'ai senti très exactement que si je lui parlais... Il paraît que quand on lui parle, il écoute: ses yeux s'ouvrent, il regarde, il écoute-écoute, et quand on lui parle d'Auroville, alors il est tout à fait intéressé. Et j'ai vu: la conscience est comme centrée dans le mental; n'est-ce pas, moi, ce que j'ai voulu, c'est voir quelle était la réaction à la pression de la Force dans le silence (je t'ai dit: il s'est mis à hurler), mais si on lui parle (et je le savais, je l’ai vu), si on lui parle, il écoute, il est très intéressé.

La prochaine fois qu'on me l’amène, je lui ferai un discours, un grand discours! (riant) On verra ce qui arrivera.

l’autre, AF, est en mauvaise santé, mais si on lui récite des poésies de Sri Aurobindo, il est béatifique! Évidemment, ce ne sont ni l’un ni l’autre des enfants ordinaires.

Mais j'essaierai la prochaine fois que je verrai R... C'est une «coïncidence» – mais est-ce qu'il y a quelque chose comme des «coïncidences» dans le monde? – Je n'y crois pas... Dans le temps (je ne sais pas ce qu'il était devenu), mais dans le temps, Richard avait une connaissance occulte, c'est-à-dire que je lui avais donné une connaissance occulte suffisante pour savoir sortir de son corps et entrer dans un autre. Alors a-t-il voulu le faire?... Je sais qu'il voulait revenir ici; surtout après le départ de Sri Aurobindo, il s'était mis dans la tête de venir ici.

On ne sait pas, on verra ça plus tard.2


À la fin de l’entrevue, Mère regarde longuement le disciple

T'ai-je dit cela?

Il y a des amis de F, des Français, qui étaient venus et qui sont revenus, et ils m'ont écrit pour me demander à me voir, et le jeune homme m'a écrit en me disant: «La dernière fois, vous m'avez regardé longuement et j'ai été terrifié par votre regard, est-ce qu'il est nécessaire que je revienne?» (Mère rit) Je lui avais donné un rendez-vous avant de lire la lettre, alors je ne l’ai pas regardé naturellement! Mais ça m'a fait voir quelque chose. À cause de cela (ou à travers cela), j'ai vu toute une chose. Et le même jour – le même jour –, j'ai reçu une lettre d'un Indien, un homme peut-être d'une quarantaine d'années, qui m'a dit: «When I was sitting in front of you, you looked at me for a long time and I felt that your eyes were burning all impurities in me.»3 Et alors, naturellement, il exprimait sa gratitude.

N'est-ce pas, quand je vais là-bas (dans la chambre de musique) pour voir les gens, simplement je me concentre et il y a une sorte d'invocation à la Présence du Seigneur, et puis quand Il est là, quand je sens que toute la chambre est pleine de Lui, alors ça va bien. Et c'est la seule volonté (geste immobile, passif, tourné vers le haut). J'ai traduit cela en disant à quelqu'un: «Je leur donne un bain du Seigneur»! Et c'est comme cela, n'est-ce pas: Sa Présence, Son Action... Sa Présence, Son Action... C'est tout. Et quand je les regarde, il n'y a plus de personne: il n'y a plus que Sa Présence et Son Action.

Alors voilà, sur chacun, cela fait un effet différent!

Ils me disent: «Votre regard me purifie»... Je ne veux pas entrer dans des considérations et je ne réponds rien, mais c'est seulement la Présence et l’Action. Je n'essaie même pas de savoir, ni quoi ni comment ni ce qu'il fait ni ce qui se passe: rien. La seule chose qui entre en moi (dans cette conscience-ci), c'est l’état dans lequel se trouve la personne qui est là: ça s'inscrit très clairement. (Riant) l’autre jour, il y a eu une expérience très amusante... Il y a une jeune fille ici qui s'est amourachée d'un monsieur, et ils ne sont jeunes ni l’un ni l’autre, c'est-à-dire que ce ne sont pas des enfants ni de très jeunes gens: ils ont tous les deux dépassé la trentaine, ou entre vingt-cinq et trente. Alors elle écrit des lettres, de longues lettres, elle envoie des bonbons, elle envoie des fleurs; lui me passe tout ça. (Il n'y a pas autre chose que cela.) Et c'était sa fête à elle, et probablement elle avait assez mauvaise conscience, je ne sais pas, mais moi, j'avais complètement oublié l’histoire... Elle est arrivée pour sa fête, je l’ai reçue comme toujours, de la même façon, et puis tout d'un coup: des tiraillements, des crampes, des douleurs intenses dans le ventre. Je me suis dit: «Qu'est-ce qui se passe en elle? Qu'est-ce que c'est que ça?» Et c'est resté assez longtemps, il a fallu que je fasse une petite concentration pour que ça s'en aille. Et puis, dans l’après-midi, le monsieur (ils ne se voient pas, je crois), le monsieur m'envoie la lettre et le paquet de bonbons qu'elle lui avait envoyés. Ah! (riant) j'ai dit: «Voilà! elle a eu peur que je la gronde et elle avait des tiraillements d'estomac!» Voilà... C'est comme cela, n'est-ce pas, c'est une sorte de travail dans une unification générale. Et la réaction des gens, ça se sent dans mon corps, et je m'en aperçois comme cela, j'en deviens consciente... (riant) Quelquefois c'est une béatitude, quelquefois ce sont des crampes d'estomac!

C'est amusant.4

16 septembre 1967

(Il s'agit d'une lettre assez pénible que le disciple a reçue de cette même personne très catholique.)1

Oui, la première impression était... pénible, et puis j'ai bien regardé; et au fond, tout le mal vient de ce que cette personne a une très haute opinion d'elle-même, elle juge tout du haut de sa supériorité – n'est-ce pas, cet air de compassion bienveillante pour l’Ashram... Mais c'était ma première impression quand je l’ai vue pour la première fois, et cela a été croissant depuis ce moment-là, et cette lettre a tout à fait confirmé.

Et alors, je n'ai rien dit, mais j'ai fait parler F hier à propos de cette dame, et elle a fini par me dire: «Je ne t'ai jamais dit quelque chose, parce que cela me donnait un malaise, mais je vais te le dire aujourd'hui: au début de notre rencontre, un jour, Madame Z m'a dit (je répète textuellement): «à cause de ma position et de votre position, je suis convaincue que nous sommes destinées à faire le rapprochement entre l’Église catholique et l’Ashram...» F m'a dit: «Je n'ai pas répondu – pas discuté, pas répondu, rien, rien dit, laissé tomber.»

Mais je me suis dit: «Voilà la réponse à tout»... Elle s'est mise tout en haut, au «sommet» de la religion catholique...

Oui, elle me l’a dit aussi.

C'est cela: elle est envoyée par. Dieu (riant) pour faire le rapprochement.

Alors, le plus sage, je crois, c'est de ne rien dire, laisser tomber – pas discuter, pas répondre. Si elle vient (elle n'osera pas venir, je crois), il n'y a qu'à être poli, voilà tout. On joue son jeu quand on répond (c'est cela qu'elle veut). Si tu veux, je garde les deux, ta lettre avec la sienne, comme cela près de moi, parce que ça fait un centre d'action pour moi.

Je ne savais pas, avant qu'elle vienne me voir, qu'elle était fervente catholique, je n'y ai pas pensé, mais quand elle est venue me voir, j'ai simplement pensé (j'ai vu): «Toi, mon petit, tu manques de l’humilité indispensable pour faire un progrès.» C'est tout. Et puis, petit à petit, tout s'est dévoilé, et hier c'était complet parce qu'il faut avoir un certain toupet pour dire cela: «Nous sommes destinées à faire le rapprochement entre l’Église catholique et l’Ashram.»

Quand j'ai reçu sa lettre, la force qui était dedans m'a littéralement tordu l’estomac...

(long silence)

Tout cela fait partie d'un grand Plan d'organisation dans le Mental2...

Tu sais, dans l’ancien temps, on faisait passer des épreuves – c'étaient des choses symboliques naturellement, mais ils savaient qu'ils passaient des épreuves, alors on est sur ses gardes. Mais cette fois-ci... Je me souviens, tout au début, quand j'ai commencé le travail avec Sri Aurobindo, il m'a prévenu (je l’avais remarqué déjà longtemps avant), c'est que les circonstances de la vie sont à chaque minute organisées de façon que celui qui est destiné à faire le travail soit mis en présence de ses propres difficultés, qu'il doit vaincre, et des difficultés du monde où il travaille, qu'il doit vaincre aussi. S'il a l’humilité nécessaire pour voir en soi-même ce qui est à transformer pour se rendre capable de faire l’Œuvre, alors tout va bien. Si, naturellement, il est plein d'orgueil et dé vanité et qu'il croit que la faute est tout en dehors et qu'il n'y en a pas en lui, alors naturellement ça va mal. Et les difficultés s'accentuent. Et tout le temps que je faisais le travail, pendant... combien d'années? trente ans que j'ai travaillé avec Sri Aurobindo, qu'il était là, et que moi, j'étais comme cela (geste caché derrière Sri Aurobindo) si confortable, n'est-ce pas: j'étais en avant, c'était moi qui avais l’apparence de faire le travail, mais moi, je me sentais tout à fait protégée, derrière lui comme cela (même geste)) j'étais bien tranquille, je ne cherchais pas, ni à comprendre ni à savoir ni rien – simplement j'étais attentive à... ce qu'il faut faire, ce qu'il faut faire. Rarement, il y avait la nécessité de lui dire; quelquefois je me trouvais en présence d'une difficulté, je lui disais, mais il n'avait pas besoin de répondre: imédiatement c'était compris – trente ans comme cela.

Et quand il est parti, il y a toute une partie – la partie la plus matérielle de la descente du corps supramental jusqu'au mental – qui visiblement sortait de son corps comme cela et entrait dans le mien, et c'était tellement concret que je sentais la friction des forces passant à travers les pores de la peau... Je me souviens d'avoir dit là, à ce moment-là: «Eh bien, n'importe qui ayant cette expérience-là peut prouver au monde, par cette expérience, la survie.» C'était... c'était aussi concret que si c'était matériel. Et alors, après cela naturellement, c'était dans le champ de la conscience... Mais j'ai vu de plus en plus, de plus en plus, que tout ce qui arrive, tous les gens qu'on rencontre, tout ce qui nous arrive personnellement (c'est-à-dire en prenant la personne comme ce petit corps-là), tout cela, c'est tout le temps une mise à l’épreuve: vous tenez le coup ou vous ne tenez pas le coup; si vous tenez le coup, vous faites un progrès en avant; si vous ne tenez pas le coup, c'est à recommencer.

Et c'est devenu comme cela pour le corps maintenant: douleurs, désorganisations, menaces de dislocation... Et alors, il y a toujours cette Conscience qui est comme cela, droite comme une épée, intérieurement, qui dit: «Maintenant, tu tiens le coup?» Et vraiment les cellules sont touchantes de bonne volonté: «Oh! c'est comme cela? Bien-bien.» Alors on se tient bien tranquille-tranquille-tranquille, et puis on appelle – on appelle le Seigneur. Alors on répète le mantra, qui vient automatiquement, et... la Paix s'établit, et au bout d'un moment la douleur a disparu – tout-tout, toutes les menaces l’une après l’autre disparaissent. Et c'est comme cela: «Seigneur, Tu es là...» Et alors, n'est-ce pas, des preuves tellement éblouissantes qu'il est impossible de les contester, de cette Présence si merveilleuse, et si simple, si simple, et si totale, dans tout ce qui vient, tout ce qui se passe, dans les moindres détails, pour vous conduire aussi vite que possible à la transformation.

Et tout ce qui s'approche – tout ce qui s'approche à des distances plus ou moins grandes, mais qui s'approche, est emporté dans le Mouvement, sans même le savoir.

C'est pour cela que j'ai gardé la lettre de cette dame.

Pour en revenir à sa préoccupation catholique, il y a eu des choses vraiment intéressantes... Tu sais que le pape, quand il est venu ici à Bombay, a dit des choses que, moi, je lui avais dites comme cela (geste de communication intérieure) au moment où nous avons eu cette conversation3 (certainement, il ne sait pas avec qui il a eu la conversation, mais je pense qu'il est assez conscient pour savoir qu'il en a eu une). Une conversation... Nous avons eu trois conversations comme cela, mais une qui était longue, importante, précise, et lui-même était comme cela, pris, et quand il était temps de se séparer – lui pour retourner à son corps et moi pour retourner à mon travail –, il m'a dit: «Et qu'est-ce que vous allez dire de notre rencontre?...» Je t'ai raconté cela. Eh bien, les choses qu'il a dites quand il est venu ici dans l’Inde, c'était exactement ce que je lui avais dit; les résolutions qu'il a prises là-bas, c'était exactement ce que j'avais dit... Cela prouve que ça a un effet.

Tu as entendu parler de la dernière décision?... Toujours, à l’église, le prêtre tournait le dos aux fidèles quand il officiait: il faisait face à la divinité et il tournait le dos aux fidèles (certainement l’idée première était qu'il représentait l’aspiration et la prière des fidèles: il s'adressait au Divin). Maintenant, le pape a dit: «Tournez vos autels, faites face au public et représentez le Divin.» C'est intéressant... Ils sont en train de faire cela ici, et le plus comique, c'est qu'ils ont demandé à U de faire le travail pour retourner les autels, et c'est comme cela que je le sais, c'est U qui me l’a dit; dans toutes les églises ici, on lui a demandé de venir et de retourner les autels. C'est un gros travail parce que c'est scellé.

(silence)

Il y a un point sur lequel je voudrais être clair au fond de ma conscience. Si cette personne vient me revoir, est-ce qu'il faut que j'entretienne en elle Vidée de la possibilité d'une réconciliation de son Christ et du yoga, ou est-ce qu'il faut vraiment que je n'entretienne aucune illusion et que je lui dise: il faut sortir de là si l’on veut faire le yoga?

Quand j'ai lu sa lettre et que j'ai su toute l’histoire, comme toujours j'ai fait comme cela (geste d'offrande immobile vers le haut), et alors la vraie chose est venue (pas du tout ce qu'elle pense et pas du tout ce que le pape pense, mais la vraie chose): une unité essentielle et qui se manifestera sur la terre, mais pas seulement pour cette religion-là: pour toutes les religions, toutes les religions qui ont été des manifestations d'un... (mettons, pour nous comprendre facilement) d'un Avatar, c'est-à-dire quelque chose qui a été envoyé d'en haut, qui est venu sur la terre apporter un message, et il en est résulté une religion (je ne parle pas de toutes les superstitions et les ignorances). Ça, c'est appelé à remonter à son Origine et à former une unité complexe, complète, totale, c'est-à-dire l’essence de toutes les aspirations humaines vers... le Divin inconnu. Et ça, ce n'est pas seulement sanctionné: ça existe, c'est-à-dire que c'est prêt à descendre.

Dans les consciences humaines égoïstes et limitées, ça se traduit dans cette personne ou cette autre, ou ça se traduit dans le pape qui naturellement voudrait4... C'est toute sa raison d'être, sinon il ne serait qu'un petit homme comme beaucoup d'autres. N'est-ce pas, il y a tout l’intérêt de l’égoïsme humain qui est là. C'est cela qui déforme tout. Mais un «quelque chose» (dont ils parlent sans savoir de quoi ils parlent), un quelque chose qui est prêt à se manifester. Et alors, c'était en même temps comme s'il m'était dit: «Sois tranquille, ne t'inquiète pas, tu n'as rien à faire, ce sera, et comme d'habitude ce que tu as à dire, tu le diras spontanément sans le savoir.» Voilà.

Mais ce que je voulais dire, c'est que si elle vient matériellement, il ne faut pas essayer de lutter ni de convaincre ni de changer, il faut... il faut être une manifestation: tu sais, la Lumière qui brille, sans intention. Alors le travail se fera dans l’ordre. On est la Lumière qui brille – sans intention. Simplement la Lumière qui brille. Alors, tout spontanément, on dit ce que l’on doit dire, mais sans intention, sans intention mentale. On fait ce que l’on doit faire, on dit ce que l’on doit dire – le Seigneur est là.

C'est intéressant.

Ces gens-là (riant), on pourrait dire que leur ego a pris l’attitude d'être l’instrument du Divin – mais c'est l’ego. Alors naturellement, ils ne voient pas clair: ils voient ce qu'ils veulent voir, ils font ce qu'ils veulent faire. Mais pour eux: «Je suis l’instrument de Dieu.»

On verra.

J'essaye de la garder un peu tranquille, je n'aime pas qu'elle intervienne trop dans ta vie. C'est une fatigue inutile. Mais si tu fais comme cela, si tu te retires dans la Lumière et que tu restes comme cela, ça ne te fatiguera plus, ou en tout cas beaucoup moins.5

(long silence)

C'est cette expérience extraordinaire que quand on prend tout ce qui vient comme le moyen d'apprendre à être ce qu'il faut être – à augmenter sa réceptivité, à augmenter son effectivité –, imédiatement on sent une Présence merveilleuse, toute-puissante, mais «comme cela», concrète.

Alors on comprend que rien n'est impossible.

20 septembre 1967

Quelqu'un s'est mis en tête de faire une brochure pour le 21 février de l’année prochaine (quatre-vingt-dix ans de Mère), alors on m'a envoyé cette brochure et on veut que j'écrive un message sur la première page. Et dans cette brochure, on a sollicité (!) l’opinion de tous les gens en vue: il y a Indira Gandhi, le président de l’Inde, et patati et patata; et chacun dit ce que l’on dit toujours à des millions d'exemplaires: «Grande personnalité, ceci, cela...» Toutes les imbécillités habituelles. Alors j'ai écrit cela:

There is no other consciousness than the Supreme Consciousness.
There is no other will than the Supreme Will.
There is no other life than the Supreme Life.
There is no other personality than the Supreme Personality, the One and the All.
1

Toutes les platitudes que l’on fait toujours, ils recommencent à les faire!

Je me suis dit que cela leur servirait de leçon.


Peu après

J'avais beaucoup de choses à dire, mais je ne me souviens plus.

Seulement une constatation, qui est vraiment très intéressante, c'est que tout le monde a dit la même chose, tous ceux qui ont eu l’Expérience ont dit la même chose... seulement chacun à sa manière, alors ça a l’air d'être quelque chose de différent. C'était si clair hier, et encore toute la matinée, de bonne heure ce matin: comme ceci, comme cela, celui-là ici, celui-là là (Mère montre différentes facettes), les philosophes, les créateurs de religion, les sages de tous les pays, ils ont toujours dit la même chose. Par exemple, l’enseignement du Bouddha et l’enseignement, mettons chrétien, cela a l’air d'être tellement différent, et c'est toujours la même chose. C'est-à-dire qu'il y a UN état (quand on attrape cet état), il y a UN état où l’on est conscient de la Conscience divine (pas «conscience de»: «conscience par» ou «conscience avec», je ne sais pas comment expliquer... c'est la Conscience divine qui est consciente, c'est-à-dire la Conscience dans son essence), et là, il n'y a plus de problèmes, plus de complications, plus d'explications, plus rien – tout est aussi clair que possible. Et alors, chacun a essayé d'expliquer cela, et naturellement c'est devenu confus, incomplet, incorrect, et puis ça s'oppose – et tout parle de la même chose!

C'est venu hier à propos d'un garçon qui m'a transmis la lettre d'un de ses camarades où celui-ci disait l’ineptie habituelle: «Je ne crois pas en Dieu parce que je ne peux pas le voir.» La petite stupidité habituelle. Et à ce propos-là, j'ai vu (j'ai regardé comme cela; pendant longtemps j'ai regardé) et j'ai vu que celui qui nie, celui qui affirme, celui... tout ça, tout ça, c'est (comment dire?) des modulations sur un même thème, même quand cela paraît dire le contraire.

Et hier c'était intéressant, parce que c'était la même constatation pour ceux qui sont matérialistes et qui sentent que la seule vérité est la vérité «concrète», celle qui, selon eux, se voit, s'entend, se touche... Et c'est la même chose, c'est le même état – le même état reflété dans des miroirs différents. Mais la différence des miroirs n'est pas une différence essentielle et radicale, c'est seulement... (geste montrant des facettes qui bougent), oui, c'est cela que certains ont appelé le «jeu», mais ce n'est même pas un jeu; on pourrait presque dire: c'est une différence de position.

Tout ce que l’on en dit, ce n'est rien, cela fait partie de cet énorme bavardage qui essaye d'exprimer ce «quelque chose» qui ne peut pas être exprimé. Mais quand on est DEDANS, c'est tellement clair, tellement évident – simple, sans problème. Et le monde n'est plus un problème.

Même cette différence, qui paraît une différence assez essentielle, entre ceux qui considèrent la Manifestation comme divine et essentielle, et ceux qui considèrent que pour atteindre le Divin essentiel, il faut sortir de la Manifestation (parce que c'est une «erreur» – n'est-ce pas, une erreur qui a été commise dans la Conscience), même ces deux-là, c'est la même chose! – Mais comment le dire? Quand on le dit, ça a l’air idiot, et pourtant là-haut c'est vrai. C'est vrai; c'est vrai et c'est plein. C'est plein, ce n'est pas creux – tout ici sonne creux-creux-creux; le creux de l’insuffisance. Mais là-haut...

C'est presque comme le kaléidoscope: on tourne et ça fait une autre image, on tourne et ça fait une autre image, on tourne... et c'est pourtant toujours la même chose!

Et alors, c'est le corps maintenant qui a l’Expérience. Dans un certain état, dans l’état qui correspond à Ça, à cet état essentiel, tout est harmonieux, d'une paix vivante, souriante, heureuse; et dès qu'il y a... un rien, n'est-ce pas, un rien: simplement l’entrée dans l’atmosphère de quelque chose qui est en désaccord – un rien –, ça se sent comme quelque chose d'extrêmement aigu et douloureux; mais d'une façon qui ne ressemble pas à la douleur de l’Ignorance, ça ressemble plutôt... on pourrait appeler cela un malaise, mais ce n'est même pas cela... C'est ce que chacun a expliqué à sa manière: les uns disent «tomber de la Vérité dans le Mensonge», les autres «tomber de la Lumière dans l’Obscurité», les autres «tomber de l’Ananda dans la souffrance», les autres... Chacun a mis son explication, mais c'est quelque chose... Moi, je n'ai pas de mots pour cela, mais le corps le sent, le sent d'une façon très aiguë, et il voit qu'au bout de cela, la conséquence de cela, c'est la désintégration; et tout son effort tend à rétablir cette harmonie intérieure, cet état harmonique où tout devient harmonieux, tout – et les choses dans leur apparence ne bougent pas! Et pourtant, d'une façon, elles sont merveilleuses, et d'une autre, elles sont détestables.

Et ça s'accentue de plus en plus, de minute en minute, l’opposition entre ces deux choses: un moment où tout est divin, l’autre moment où tout est détestable – et c'est la même chose.

C'est devenu très clair depuis le 15 août, depuis cette expérience du balcon.2

Mais alors, ça n'a rien à voir avec la pensée, ni même la sensation: c'est purement matériel (Mère touche la peau de ses mains), et c'est la différence entre une harmonie progressive et ininterrompue qui n'a aucune raison de cesser, qui va de plus en plus consciente, de plus en plus harmonieuse, et alors de plus en plus... on dit béatifi-que, heureux, tout cela – ce n'est pas cela! c'est «quelque chose»... quelque chose qui est tellement naturel, tellement naturel et... qui a le rythme de l’éternité. Alors c'est ÇA, et puis tout d'un coup (geste de renversement), c'est retomber dans... la même chose exactement, tout est la même chose, et tout est l’opposé!

Au point qu'il y a la perception, la perception matérielle, inexprimable parce qu'elle est à peine mentalisée, d'une Harmonie parfaite qui peut devenir, dans la conscience, une grave maladie! Des choses comme cela.

Et il y a la vision (extrêmement complexe et complète en même temps) que, par exemple, ceux qui ont essayé d'expliquer le pouvoir de l’imagination, de la pensée ou de la volonté ou de la foi, toutes ces choses, l’action directe sur la matière; la vision que chacune de ces choses a saisi un petit aspect de la Chose, mais dans la Chose, il n'y a pas de division; c'est quelque chose qui, quand c'est perçu ou conçu, se divise en un tas de petites choses, mais essentiellement c'est... (comment dire?) c'est une manière d'être, c'est un état de conscience – c'est une manière D’être, même pas un «état de conscience» parce que ça implique «être conscient de quelque chose», ce n'est pas cela: c'est une manière d'être. Et cette manière d'être, c'est ce qui, dans la conscience humaine, se traduit par: «Ah! le Divin», n'est-ce pas, par opposition. C'est une manière d'être tout A fait naturelle, spontanée – mais comment, comment Ça devient ça? Comment Ça se déforme?... Tout le temps, tout le temps (geste comme de minuscules renversements), le passage de l’un à l’autre, de l’un à l’autre, de l’un à l’autre, comme pour apprendre, apprendre comment Ça est ça (le mécanisme du passage). Cela paraît être (cela paraît être pour nous, pour toute cette pauvre conscience qui a passé à travers d'innombrables expériences malencontreuses), cela paraît être une «rechute» dans ce qui était; par conséquent ce n'est pas cela. Mais quel est le mécanisme?...

Au fond, on n'aurait la solution que si l’on trouvait le comment ou le pourquoi.

Tout le temps, tout le temps... (même geste de minuscules renversements).

Toutes les explications données ne sont que des explications. Ce n'est pas ça.

Savoir le pourquoi ou le comment, cela implique probablement le pouvoir de tout changer...

Dans ce cas, ça viendra un jour.

23 septembre 1967

J'ai reçu encore la visite de Madame Z...

Elle est obstinée.

Elle y tient beaucoup!

Et alors qu'est-ce qui est arrivé?

Je peux te résumer en deux mots. Elle m'a encore reparlé de sa religion et je lui ai dit: «Mais écoutez, si vous êtes satisfaite dans cette religion, suivez-la!» Alors elle m'a dit ceci: «Mais vous avez des secrets que nous n'avons pas.»

Ah! c'est ça...

Et alors qu'est-ce que tu lui as dit?

Je lui ai dit que je n'étais pas un gourou, que si elle voulait suivre ce chemin, il fallait qu'elle ait un gourou et que je n'étais pas là pour distribuer la Bonne Nouvelle. Je lui ai dit: «Sur ce chemin-là, si vous allez toute seule, vous risquez de prendre vos pensées et vos désirs pour les commandements de Dieu, alors il est utile d'avoir un gourou qui vous protège et vous conduise. Moi, je ne suis pas un gourou du tout.» Et une fois de plus, je lui ai dit: «Si vous le voulez, Mère est là, adressez-vous à elle.» Et là, il y a eu une petite chose qui m'a fâché. Elle m'a dit: «Oui, Sri Aurobindo, je comprends Sri Aurobindo; Sri Aurobindo est un Avatar, mais la Mère... c'est une personnalité très développée, mais ce n'est pas un Avatar.» J'ai répondu: «Mais quelle perception avez-vous pour dire des choses comme cela!» Et puis je lui ai dit: «Ça n'a aucune importance...

Oui.

... Tant que l’on ne sait pas, on en parle; moi, je ne dis pas "Mère est un Avatar", et je ne dis pas "Mère n'est pas un Avatar", je ne dis rien. Quand on a la perception, on dit. Et puis c'est tout.» Enfin je lui ai dit: «Je ne suis pas un gourou.»

(Mère rit) C'est très amusant!

Je crois que la petite dame est ambitieuse: ce n'est pas tant pour la Connaissance que pour le pouvoir.

Mais elle t'embête...

Je prends cela comme tu me l’as dit.

C'est la seule manière.

Parce qu'elle reviendra, ce n'est pas fini.

Oh! oui, elle est obstinée.

Mais l’histoire, c'est cela: vous avez des secrets que nous n'avons pas.

Oui, c'est cela. Mais elle n'a qu'à lire! Si elle lit tout, elle aura les secrets, ils sont TOUS là. Ils sont tous là, tous là.

C'est cela, la beauté de la chose, c'est que tant que l’on est dans le mental, on peut lire indéfiniment, on n'attrape pas!...

30 septembre 1967

Tu es au courant de la conversion du pape?

La conversion du pape! non!

J'étais très contente parce que cela m'a prouvé que nos conversations n'avaient pas été inutiles. Je me demandais s'il était conscient; je ne sais pas s'il a été conscient mentalement, mais en tout cas c'est intéressant, tu peux lire (Mère tend un extrait de presse au disciple).

(traduction)

Cité du Vatican, 26 septembre

Dans un article publié ici hier soir, le pape a déclaré que son voyage en Inde, en 1964, a été «la révélation d'un monde inconnu».

l’Observatore Romano a publié dans un article des extraits d'un livre qui va sortir bientôt, contenant certaines conversations du pape avec un ami de vieille date, le philosophe et académicien français, Jean Guitton.

«J'ai vu, comme il est dit dans l’Apocalypse, une foule sans fin, une multitude, un énorme accueil, a déclaré le pape. Dans ces milliers de visages, plus que la curiosité, j'ai lu une sorte d'indicible sympathie.

«l’Inde est un pays spirituel. Il a par nature le sens des "valeurs chrétiennes"...

«Chrétiennes», il voit tout sous son mot chrétien, mais cela ne fait rien.

«S'il y a un pays au monde où les Béatitudes du Sermon sur la Montagne peuvent jamais devenir une réalité pour les masses, ce pays est l’Inde», a ajouté le pape...

Tu vois cela!

«Qu'y a-t-il de plus proche de l’âme indienne que la pauvreté d'esprit, la douceur, la paix, la pitié et la pureté du cœur? demanda-t-il...

«Dans ce pays de l’Inde, les chefs ne sont pas des politiciens comme en Occident, mais des sages et des mystiques...

Oui.

«La vie se passe en contemplation. Les gens parlent d'une voix basse. Leurs mouvements sont lents et liturgiques. Ce pays est "né pour l’esprit", a dit le pape.»

Tout de même, cela veut dire qu'il est réceptif.

Et cela explique la façon dont il a reçu P quand il est allé là-bas. Tu sais que P (un disciple indien) lui a rendu visite; il a été amené par un Italien qui était venu ici (un très gentil garçon qui lui a fait visiter l’Italie et l’a amené chez le pape). Et le pape lui a donné une audience particulière, et après lui avoir parlé, posé des questions, répondu (c'était toute une conversation), il lui a dit avec un sourire: «Et qu'est-ce que vous allez me donner?» (Ils ont parlé en français.) Et alors P lui a dit: «Je n'ai qu'une chose, qui est toujours avec moi et qui m'est infiniment précieuse, mais je vais vous la donner», et il lui a donné les Prières et Méditations. Et le pape lui a répondu: «Je vais les lire.»

Alors ça s'accorde.

C'est intéressant.

Oh! hier, j'ai vu la photo d'un homme, un Allemand, qui parle allemand mais on ne sait pas s'il est né en Allemagne ou s'il est né en Amérique. Il doit avoir à peu près quarante ou quarante-cinq ans, et depuis des années... l’histoire est comme cela: ses parents, père et mère, étaient tout à fait incroyants, et à sa naissance (enfin le lendemain de sa naissance), il y avait, horizontalement, une colonne de lumière sur sa tête, visible à l’œil nu. Naturellement, les parents étaient troublés. Mais ce qui est intéressant, c'est que cela continue. Cet homme (j'ai vu les photographies) a donné en Amérique un meeting avec quatre mille personnes (j'ai vu la photo, quatre mille personnes!), et il parlait, et il y avait cette colonne de lumière, on la voyait dans la photographie. C'est à peu près gros comme le bras, long comme cela (environ 20 cm), et il a l’impression qu'on lui «parle», que quelque chose comme la Divinité suprême lui parle, et qu'on lui a dit d'annoncer la venue du second Christ!... Ça... Il annonce et il donne une sorte de baptême aux gens. Et alors j'ai vu sa photo et... c'est curieux, il a une figure forte, puissante, mais une bouche méchante (geste en lame de couteau), serrée, pincée.

Et dernièrement, j'ai vu deux photos de ceux qui sont à la tête du mouvement rosicrucien en Hollande (ou en Belgique, je ne sais plus), le mouvement rosicrucien en Europe – exactement la même bouche: méchante, dure, inexorable. C'est curieux.

Tu m'avais dit la même chose pour le pape tout au début.

Oui, il a la même expression; mais lui, a une bouche moins méchante, mais avec quelque chose d'inexorable.

Mais qu'est-ce que c'est?... Et tous ces gens qui sont chrétiens ont cela.

Enfin, pour cet Allemand, c'est évidemment un phénomène vital, n'est-ce pas. Pour que ça se voie à l’œil nu, ce ne peut être que de la lumière vitale. Et il a d'innombrables disciples. Et il les baptise pour la seconde arrivée du Christ... Il paraît (je ne sais pas parce que c'est écrit en allemand et on ne m'a traduit que des morceaux), mais il n'a pas l’air d'avoir du tout l’esprit philosophique ni de conceptions: c'est seulement une sorte d'action pour mettre en rapport avec cette lumière. J'ai su cela par une Allemande qui est ici (sa mère est en Allemagne et elle est disciple de cet homme, et elle lui a envoyé le livre). Mais la mère est un peu effrayée.

Il y a quelque chose d'inexorable – pourquoi? Je ne comprends pas. Parce que le Christ est venu au contraire pour parler de fraternité, de bonté, de charité, de compassion... Et c'est une expression, oui, il n'y a pas d'autre mot, c'est quelque chose d'inexorable: les lèvres pincées et la ligne de la bouche est droite comme cela (même geste en lame de couteau) et ça donne une apparence de méchanceté terrible, quelque chose d'inexorable (qui s'est traduit par l’Inquisition, les tortures, etc.). Pourquoi est-ce là?... Mais cet Allemand, n'est-ce pas, bébé, le lendemain de sa naissance, la lumière était là – il n'avait pas une bouche inexorable à ce moment-là!

Mais tous ces gens, le pape, cet Allemand, ces rosicruciens, leur mal, c'est qu'ils ne pensent qu'en termes d'Église au fond...

Mais oui!

En termes d'Église et de pouvoir sur les gens et d'enfermer les gens dans leur construction.

Oui, c'est cela.

C'est cela, le mal.

C'est cela. N'est-ce pas, cet Allemand (je ne suis pas sûre parce que je n'ai pas tout lu) mais il donne le baptême – il donne le baptême, cela veut dire mettre la main sur quelqu'un et le tenir dessous (geste sur une tète courbée).

Il y a aussi un Coréen, tu as vu sa photo?... J'ai vu sa photo, c'est un grand gaillard, il doit avoir le même âge, entre trente et quarante ans. Un Coréen qui, lui, dit carrément qu'il est, non pas la réincarnation du Christ (je ne pense pas qu'il soit chrétien), mais le «nouvel Avatar» (s'il connaissait la tradition indienne, il dirait «Kalki»1). Et lui, il paraît qu'il a des centaines de mille de disciples! Et j'ai vu sa photo... Je l’ai vu «Coréen», tu comprends, c'est-à-dire pas universel.

Seulement, cela veut dire que ça bouge partout – ça bouge, ça bouge.

Mais ça, un pape disant cela, c'est nouveau. C'est nouveau.

Et j'ai eu ce rapport mental avec lui juste peut-être trois semaines avant sa venue dans l’Inde (évidemment sa pensée venait vers l’Inde). Nous avons eu une conversation qui était très intéressante, et tout ce que je lui ai dit, c'est cela: «La spiritualité est beaucoup plus vaste qu'une Église, et tant que vous limiterez à une Église ou à une religion la réalisation spirituelle, vous serez en plein Mensonge.» Il a écouté. Et quand il est venu dans l’Inde, c'est cela qu'il a dit!

Mais il y avait quelque chose qui le tourmentait, je te l’ai dit. Quand il est parti, au moment où c'était l’heure pour moi de me lever et qu'il fallait se quitter, il m'a regardée avec une sorte d'anxiété dans les yeux, et il m'a dit: «Qu'allez-vous dire à vos disciples de notre rencontre?» J'ai souri et je lui ai répondu: «Je leur dirai que nous avons communié dans un amour... (pas «identique», pas «commun», je ne me souviens plus des mots) pour le Seigneur suprême.» Alors sa figure s'est détendue et il est parti... «Nous avons communié dans le même...» Ce n'était pas le «même», c'était... je ne sais pas, quelque chose qui exprimait que tous les deux nous avions communié dans l’«amour pour le Seigneur Suprême». Et je l’ai dit comme cela, avec un sourire, c'est-à-dire que c'était Sri Aurobindo qui parlait avec le sens de l’humour... Sa figure s'est détendue et puis il est parti.


(Après une longue méditation, Mère, encore très intériorisée, à moitié en transe, se met à parler:)

Tu n'as rien senti de spécial?... Parce que depuis deux ou trois jours, mais surtout la nuit dernière et ce matin, c'était le corps qui apprenait, les cellules qui ont appris... Je te l’ai dit, le travail jusqu'à maintenant, c'était le changement – le transfert – entre agir par habitude et réaction, et laisser la Conscience divine agir. Et ce matin, pendant une partie de la nuit et toute la matinée jusqu'à ce que les gens soient arrivés, toutes les actions, tous les mouvements, tous les gestes, les toutes petites choses (quand il y a, par exemple, un problème posé par quelqu'un ou une décision à prendre, depuis des années ça vient d'en haut), mais ce sont tous les mouvements matériels, et puis les mouvements intérieurs, l’attitude du corps, l’attitude des cellules, la conscience absolument matérielle, pour tout-tout-tout: la vieille méthode était partie.

Ça a commencé par la perception de la différence qui restait entre comment c'était et comment cela doit être, et puis cette perception est partie et il n'y avait plus que «ça»... Quelque chose (comment dire?...) C'est le mot anglais smooth [coulant, lisse] qui donne le plus l’impression; tout se fait smoothly, tout-tout sans exception: la toilette, se nettoyer les dents, se nettoyer la figure, tout (manger, depuis longtemps, il y a le travail pour que ce soit fait de la vraie manière). Ça commence toujours par cette espèce de (Mère ouvre les mains) «surrender» (je ne sais pas le mot, ce n'est pas une abdication ni une offrande, c'est entre les deux, mais je ne sais pas, il n'y a pas de mot français pour cela) de la FAÇON dont on fait les choses: ce n'est pas la chose en elle-même, qui n'a aucune importance (c'est un état dans lequel il n'y a pas de «grand» et de «petit», d'«important» et de «pas important»); et c'est quelque chose de si... (geste étal) uniforme dans sa multiplicité; n'est-ce pas, il n'y a plus de heurts ni de grincements ni de difficultés ni... (tout cela, ce sont des mots si grossiers pour dire les choses): c'est quelque chose qui avance-avance dans un mouvement si... (même geste étal) le mot le plus proche, c'est smooth, c'est-à-dire sans résistances. Je ne sais pas. Et ce n'est pas une intensité de félicité, ce n'est pas cela: ça aussi, c'est si égal, si régulier (même geste étal), et pas uniforme: c'est innombrable. Mais c'est tout comme cela (même geste) dans un même... un rythme (le mot rythme est violent). Et ce n'est pas une uniformité, mais c'est quelque chose qui est si égal et qui donne l’impression d'être si doux, n'est-ce pas, et avec une puissance formidable, dans la moindre chose.

Il y a eu pendant plusieurs jours (je t'en ai parlé l’autre fois) la vision de la cruauté chez les êtres humains, et un travail très actif pour que cela disparaisse de la manifestation. Ça, c'est dans le travail d'ensemble, avec une puissance si concrète (Mère ferme le poing) pour que cela disparaisse. Cela avait commencé par des visions d'horreurs (presque des souvenirs) qui avaient été vues – plus que vues, n'est-ce pas, des choses qui avaient soulevé cette réprobation, horreur... Et puis ça s'organise dans l’ensemble et le tout est pris comme cela (Mère ouvre les bras), tous ces mouvements dans le temps (le temps et l’espace se confondent en quelque chose... qui est une immensité – une immensité, une infinitude, et on pourrait dire «multiplicité», mais les mots sont mauvais), enfin c'est un ensemble qui est pris dans la conscience – c'est un ensemble de manières d'être et de vibrations –, et alors qui est comme présenté à la Conscience Suprême pour que ce soit transformé, que ça n'existe plus.

Ça a commencé comme cela.

Et puis une fois cela fait, ça s'est comme concrétisé, concentré sur ce petit point du corps, pour que justement certaines choses, certaines vibrations d'inconscience ne puissent plus exister là aussi. Et alors, ça a abouti aujourd'hui à ce transfert, qui a été constant – constant –, sans mélange, pendant à peu près quatre heures. Après... C'est surtout l’invasion des choses du dehors qui coupe. Et pourtant, il n'y a pas une réprobation de cette invasion; il faut que cette transformation – que ce transfert – continue dans le rapport avec tout ce qui vient. Alors ce sera bien.

Il y a deux choses. Il y a toute cette foule que je vois constamment, et depuis longtemps («longtemps» c'est-à-dire humainement parlant), dès que je suis là, dès que ce corps est là pour voir les gens, il n'est plus qu'un canal, une espèce de... (geste indiquant le passage de la Force d'en haut descendant à travers Mère vers les gens), pour que la Conscience du Seigneur traverse et aille. Il n'y a même pas, il y a un minimum de besoin de recevoir: c'est une Action comme cela (même geste à travers Mère), c'est la Force qui passe. Et quand c'est dans cette chambre-là qui est exclusivement réservée à voir les gens, la chambre se remplit de la Présence, et alors c'est comme si cette Présence ouvrait les bras pour recevoir les gens, les prenait, les enveloppait, et puis les laissait sortir.

Mais alors, pour les choses personnelles à ce corps, comme toutes les choses de la toilette, de la nourriture, tout cela maintenant, ce n'est plus de la même manière, je ne sais pas comment expliquer... Ici, c'est une activité; là-bas, c'est simplement comme cela, une Présence. Ici, c'est une activité: il faut remplir un verre d'eau, mettre du dentifrice, brosser les dents, tout cela ce sont des activités; eh bien... plus de souvenirs, plus d'habitudes; les choses ne se font pas parce qu'on a appris à les faire comme cela: spontanément, c'est fait par la Conscience. Il y a eu entre l’ancien et le nouveau mouvement un petit moment de passage qui était difficile où la vieille habitude n'est pas là, la nouvelle conscience n'est pas là d'une façon permanente, alors... par exemple, cela se traduit par ce qui a l’air d'être des maladresses, des mouvements qui ne sont pas exactement le mouvement qu'il faut. Mais ça ne dure pas, ça arrive une fois comme cela pour une chose, juste pour apprendre la leçon – toujours on est là pour apprendre la leçon.

Remplacer le souvenir, la mémoire, l’action, par... Par exemple, savoir où quelqu'un habite, son adresse ou sa maison (c'était l’activité de cette nuit), et l’ancienne méthode, la méthode mentale, il faut la remplacer par la nouvelle méthode de conscience qui sait la chose juste au moment de la faire: «Ça, c'est à faire.» Ce n'est pas: «Ah! il faut aller là-bas», non: à chaque minute on est où l’on doit être, et puis quand on arrive à l’endroit où l’on doit aller: «Ah! c'est là.»

C'est vraiment très intéressant.

Alors, entre le moment où l’on agit comme tout le monde et le moment où l’on agit – où c'est le Seigneur qui agit –, entre les deux, il y a un petit passage: on ne sait plus très bien ça et on ne sait pas encore bien ça, alors ce pauvre corps a des petites incertitudes, des petites maladresses. Mais il apprend très vite sa leçon.

C'est vraiment intéressant.

(long silence)

Et on comprend bien pourquoi les saints, les sages, ceux qui voulaient se sentir tout le temps dans cette atmosphère divine, pourquoi ils avaient supprimé toutes les choses matérielles – parce qu'ils n'étaient pas transformés, et alors ils retombaient dans l’autre manière d'être, et il y a un moment où cela devient... désagréable. Mais transformer ça... c'est in-com-pa-ra-ble-ment, immensément supérieur, dans le sens que cela donne une stabilité, une conscience et une réalité extraordinaires. Les choses deviennent la vraie vision, la vraie conscience; ça devient si concret, si réel!

Rien – rien d'autre ne peut –, rien d'autre ne peut donner cette plénitude.

Échapper, s'enfuir, rêver, méditer, entrer dans des... c'est très bien, mais ça a l’air pauvre à côté, si pauvre! Si pauvre.

(silence)

La chose la plus difficile qui reste, c'est de parler. C'est ce qu'il y a de plus difficile, cela demande un gros effort. Ce matin pendant que j'avais l’expérience, il y avait presque comme une supplication du corps: «Oh! ne parle pas, ne lui dis pas.» Je n'avais pas l’intention de le dire, mais (geste d'en haut) je suis contrainte. Le corps n'a pas l’intention de parler, il n'aime pas, et il y a quelque chose qui oblige.

C'est la seule chose qui soit difficile.

Les mots sont si insuffisants! Ça aussi, on m'a demandé: comment communiqueront-ils, les êtres qui seront entièrement supra-mentaux (je veux dire, sans le mélange de cette origine matérielle), comment est-ce qu'ils communiqueront? Simplement comme cela? (geste d'échange intérieur)

Il faut un tel effort pour parler.

Et ce n'est pas une «communication de pensée» comme ce qu'ils appellent la télépathie, ce n'est pas cela, c'est... ce sont des mouvements de conscience. Ça aussi, sans heurts, sans résistances: des mouvements de conscience [dans la Matière]. Par exemple, il y a quelque chose qui doit être fait et ce n'est pas ce corps-ci qui doit le faire, c'est un autre; nous sommes encore obligés de dire: «Il faut faire ça comme ça», et cela représente... on a l’impression de soulever une montagne, alors que si l’autre était dans le même état, tout naturellement, tout spontanément ce serait fait. J'ai eu des exemples: de temps en temps je VOIS (ce n'est pas «je pense»: je vois), je vois: «Ça, ça doit être ça» (de toutes petites choses), je ne dis rien – l’autre corps le fait. Mais cela arrive de temps en temps, rarement – ce devrait être l’état constant... Oh! quelle vie admirable!

(silence)

Et toi?

Je suis un peu dans le tunnel

Tu es dans le tunnel, ah! pourquoi?

Beaucoup de travail...

(Mère rit) Tiens! c'est amusant, je ne sais pas à quel moment hier ou dans la nuit, je te disais, mais avec une grande force, c'était quelque chose de «très important» (!), je te disais: «Au bout du tunnel, il y a la lumière, et puis ne discute pas – ne discute pas: au bout du tunnel, IL Y A la lumière.» (Mère rit)Kalki: le dernier Avatar, qui apparaît sur un cheval blanc ailé. Il est armé d'un glaive. Il arrivera «comme une comète brûlante». Je me suis dit: pourquoi est-ce que je lui dis cela!...

octobre




4 octobre 1967

(Sujata donne à Mère une fleur appelée «Pouvoir de guérir».)

Pouvoir de guérir?... J'ai vu dans Planète l’histoire d'un homme qui est né en 1905 et qui pendant trente-cinq ans a guéri les gens par imposition des mains!1 Son père était italien, sa mère est espagnole et il est né en France, il est Français. Pendant trente-cinq ans, il a imposé les mains; il a soigné cinq millions de personnes – cinq millions. Là-dessus, les deux tiers guéris, avec d'innombrables procès... faits naturellement par les docteurs: il n'avait aucun droit de guérir les gens parce qu'il n'était pas assermenté!... À l’un des procès (je te dirai le commencement de l’histoire après, le commencement à la fin!), peut-être l’un des derniers procès, tout d'un coup son avocat est arrivé très malade avec une sciatique qui l’empêchait de bouger une jambe et une douleur aiguë. Le juge, qui se croyait très adroit, lui a dit: «Eh bien, maintenant, commencez par guérir votre avocat.» Alors l’homme s'est levé, a posé ses mains sur l’avocat, et cinq minutes après, l’avocat était guéri: «Oh! mais je suis guéri!» (Mère rit) Il a été condamné tout de même. C'est admirable. Mais enfin, quand il était tout petit, c'est-à-dire à cinq ou six ans, il avait dérobé un poisson à son papa qui avait été à la pêche, et on ne retrouvait pas le poisson. Quinze jours après, les parents ont retrouvé le poisson dans ses affaires, avec ses jouets... absolument sec et complètement intact! Alors le père a voulu voir: ils avaient un bocal avec des poissons rouges, le père a sorti deux poissons rouges et en a donné un au fils; il a mis le poisson au creux de sa main – et le poisson s'est mis à sécher. Et l’autre, au bout de quelques heures était pourri. Alors on en a parlé aux docteurs (ils habitaient Toulouse, c'était un peu plus tard, quand il avait douze ou treize ans), le docteur avait à l’hôpital un malade dont il n'arrivait pas à guérir la plaie depuis des semaines et des semaines: c'était horrible, purulent. Le docteur a appelé le petit, qui a posé ses mains – vingt-quatre heures après, la plaie était guérie.

Et cet homme (j'ai vu sa photo, il a une tête magnifique), il dit: «Je vis dans la présence de Dieu.» C'est cela qu'il dit, et je crois qu'il ne fait pas d'embarras – d'ailleurs, il n'a pas le temps parce qu'il se couche après minuit et se lève tous les jours à cinq heures, et il commence à travailler à cinq heures et demie, et il passe toute la journée à travailler, c'est-à-dire à voir des gens, voir des gens, voir des gens (quand on m'a lu cela, je me suis dit: et moi qui me plains!). C'est admirable. Et il a fait des études, mais ce n'est pas un philosophe, il n'a pas de théories: il paraît être né comme cela, avec des mains qui guérissent. Probablement, il supprime l’infection en déshydratant, alors toutes les maladies qui viennent de ce côté-là, il les guérit. Et on lui a fait (le pauvre, on a dû lui faire une vie impossible!), on lui a fait des encéphalogrammes, des cardiogrammes, etc., et on s'est aperçu qu'au moment où il pose les mains (pendant quelques secondes, au plus deux ou trois minutes), à ce moment-là, les battements du cœur passent brusquement de soixante à quatre-vingt, puis cela redevient normal. Et il n'a pas l’air de faire des histoires comme cet Allemand dont je t'ai parlé, qui fait des embarras – rien du tout, très simple, très gentil.

Ça m'a plu, cette histoire.

Une belle tête. Un homme grand, très fort, qui mange extrêmement peu. Et il a deux ou trois heures de sommeil par nuit, sans rêves (ça, je comprends!).

C'est intéressant.

Il y a des personnes qui ne sont venues qu'une fois, et quelquefois il s'est inquiété, il demandait pourquoi cette personne n'était pas revenue – «Oui, j'étais guérie!» Alors, procès sur procès, et il y a un employé du fisc qui, incognito, a assisté à ses séances. Il a dit qu'il n'avait jamais demandé d'argent, jamais. Et sur... (je ne sais pas, pendant qu'il était là, il y avait, je crois, un peu plus de deux cents personnes qui ont passé), sur les deux cents, il y en a soixante qui lui ont donné quelque chose. Alors le fisc a été obligé de constater qu'il n'était pas en contravention.

Tout de même, on l’a condamné.

C'est assez joli, on n'a pas le droit de guérir si l’on n'est pas assermenté!...


Peu après

Ça continue... Est-ce que tu as vu un moine?

Ah! je l’ai rencontré dans la rue, mais je ne lui ai pas parlé.

Il voit Pavitra ce matin, et F l’a vu deux fois. Et alors, il est en train de faire un tour de l’Inde et il est venu ici, et ça a l’air de lui avoir beaucoup plu. Voilà sa figure (Mère montre une photo). C'est cela que tu as rencontré?... Bon. Et il a écrit deux lettres, une à moi et une au Prieur de son monastère, et il me l’envoie pour que je la lise. Les deux lettres ensemble, c'est assez intéressant (Mère tend la première lettre au disciple):

Mère,

Après quelques jours seulement passés à Aurobindo Ashram, où je n'ai pu rien être d'autre que le «ravi» des crèches de Provence, je me permets de vous demander si vous pouvez m'accorder de demeurer chez vous le temps qu'il me reste en Inde, c'est-à-dire jusqu'en mi-décembre... etc.

Signé: frère A

P.S. Ci-joint une lettre au Père Prieur de Bellefon-taine qui est postée en cas, et que je trouve bon de vous communiquer.

J'ai dit à F de lui demander de rester jusqu'à vendredi de façon que je puisse te montrer cela aujourd'hui et te demander si tu veux bien voir ce monsieur, lui parler (pour voir). Mais si cela t'ennuie... l’impression de F est bonne. Tiens, lis sa lettre au Père Prieur:

«J'ai reçu avec joie votre réponse et je vous écris de nouveau... Je suis à Aurobindo Ashram, je pensais y passer, mais il y a je ne sais quoi encore qui fortement m'y attire et je pense que j'ai assez tourné comme ça. Je vais aller à Ramakrishna Mutt, à Ootacamund, puisque j'ai annoncé ma visite, mais j'ai l’intention de revenir au plus tôt ici. Tout est merveilleux et stupéfiant. Pour qui passe au-delà des vitres de surface, c'est à se demander si les nouveaux cieux et la nouvelle terre dont parle St. Jean ne se rencontrent pas ici.

«J'ai à deux pas une grande église, et hier matin premier octobre, le célébrant a dit: "Devenez citoyens de la cité céleste"... Il ne pouvait pas mieux viser mon point d'interrogation. Et le soir, un jeune Parisien, tout neuf comme un nouveau-né débarquant ici, la première personne qu'il a rencontrée a été ce même prêtre de la grande église, qui lui a dit: "Que venez-vous faire ici, il n'y a rien." Le Parisien a répondu: "Et l’Ashram?" Le prêtre a repris: "l’Ashram, c'est un bordel." À cause de cette déclaration injurieuse (et c'est la plus gentille chose qu'il lui ait dite [Mère rit..]) je fais pétition à Mère pour séjourner ici le reste du temps que je puis rester en Inde. Je crois vraiment qu'il y a de l’abomination et de la désolation dans le Lieu Saint. Quand reconnaîtra-t-on enfin la parole du Christ: "On reconnaît un arbre à ses fruits"? Jaï-jaï!»

Signé: frère A

Jaï-jaï, ça veut dire victoire-victoire!

Voilà, si tu veux lui parler...

Je veux bien le voir... Oh! les catholiques ici nous haïssent.

Oui. C'est ce que j'ai dit aussi dans ma déclaration,2 mais on m'a dit que ce n'était pas vrai! Ils ont eu le toupet de me dire (des catholiques qui sont venus me voir): «Pourquoi avez-vous dit cela? Ce n'est pas vrai.» Il faudrait leur mettre cette lettre sous le nez. Je SAIS qu'ils parlent comme cela à tout le monde. Une espèce de rage.

Et il y a longtemps que cela dure. Ça a commencé quand tu étais là avec le gouverneur Baron (il y a vingt ans), tu te souviens, ils écrivaient sur les murs?

Alors tu pourrais le voir. On m'avait même dit qu'il t'avait vu?

Je l’ai vu dans la rue. Mais je ne peux pas me fier à mes impressions, parce que...

Quelle était ton impression? Cela m'intéresse.

Je n'ose pas me fier...

Moi aussi: ils commencent par être indignés, et puis...

Je dois dire que je n'ai pas été très enthousiaste... J'ai senti ce que l’on sent presque avec tous les catholiques, c'est qu'il y a quelque chose qui est un peu (comment dire?) fuyant, qui n'est pas très propre.

Hypocrite?

Oui, quelque chose comme cela, et on sent dessous un grand refoulement; quelque chose qui, en dessous, est là et qui n'est pas propre.

Moi aussi, quand j'ai vu la photo, c'était mon impression.

On a l’impression de gens très refoulés.

Ils sont hypnotisés par cette affaire de sexe.

Oui, c'est ce que j'ai senti en dessous, et dessus un regard... qui n'arrive pas à vous regarder.

C'est cela.

Une atmosphère chrétienne de péché, c'est cela au fond.

C'est pour cela que je voulais que tu le voies, parce que naturellement, F a très bonne impression, et Pavitra, quand il a vu la lettre, il était plein d'exclamations. Moi, j'étais comme cela (geste en retrait), sur mes gardes.

Pourquoi veut-il venir?... Naturellement, cela pourrait être simplement qu'il est très content, très heureux, c'est très bien. Mais évidemment il est très chrétien, il n'a pas l’intention d'en changer.

Je ne sais pas.

Je voulais te demander de le voir à cause de cette impression... un petit peu pénible, je ne sais pas. Et je ne voulais pas lui écrire: «Oui, vous pouvez rester» si, au bout, il doit y avoir quelque chose de déplaisant. Mais il se peut que non, s'il est conscient – s'il est conscient ce sera non. Mais, n'est-ce pas, pour mettre la chose à son maximum: au nom de leur religion, ils trahissent leur âme. C'est comme cela.

S'il est conscient de la Possibilité, alors ça va bien. Parce que, au moins, il sera sur ses gardes... Mais je ne l’ai pas vu, je n'ai vu que la photo, et le premier contact de la photo était comme cela: «Attention...»

J'ai eu un recul aussi. Mais j'ai attribué cela à des préjugés. Je me méfie, tu comprends, j'ai tellement, dans ma vie, abhorré ce christianisme...

Il était en habit?

Non, il était en civil. Mais je te dis cette impression que, en dessous, ça n'a pas été cultivé spirituellement.

Enfin, vois-le. Je voudrais simplement que tu me dises un oui ou un non, c'est-à-dire «impression favorable» ou «impression défavorable», quelque chose de simple, une seule phrase, et que d'après cela, je puisse lui envoyer un mot pour lui dire: «Vous pouvez rester», ou «Il est préférable que vous ne restiez pas.»

Mais au bout du compte, il va quand même se trouver devant le même problème toujours: la religion en face de la liberté.

Ça, c'est simplement au point de vue intellectuel. Parce que si ce n'est pas un philosophe, s'il ne vit pas dans les idées, ça n'a aucune importance: c'est une question d’EXPÉRIENCE plutôt... Il paraît que ce qui lui était arrivé,3 c'était une «descente de l’Ananda», qu'il n'avait jamais éprouvée, qui lui est arrivée tout d'un coup, et il a dit à son Supérieur: «Je voudrais m'en aller tout seul dans la solitude, dans la campagne», parce qu'il n'aimait pas les rites, les cérémonies et tout cela. Et alors, ça a été le début, puis il a senti le besoin de venir dans l’Inde. Et dans l’Inde, il a été un peu partout, puis il est arrivé ici. Il n'y a que deux ou trois ans qu'il est dans les Ordres, c'est une conversion récente (pas «conversion» au point de vue religieux mais au point de vue vie, parce qu'il devait être catholique depuis son enfance, mais il a voulu quitter la vie et devenir moine), c'est récent.

Mais c'est un monastère curieux, parce que Pavitra a eu une correspondance tout à fait soutenue avec un abbé qui était dans ce monastère (il a un gros dossier comme cela!) et tout d'un coup, ça s'est arrêté, je ne sais pas pourquoi.

Je n'ai pas l’impression que cet homme soit un intellectuel, ce n'est pas cela, la difficulté.
Mais comment les libérer de l’emprise, voilà?

Oui, c'est cela. C'est ce que j'ai senti quand je l’ai vu: cette chose qui était là sur lui. C'est une espèce de «chose» qui est commune à tous ces gens.

Tous.

Une atmosphère. C'est une atmosphère...

C'est une suggestion collective, mon petit, et qui est tellement forte! tellement forte! Je t'ai raconté l’histoire: il y a des gens, quand ils sont éveillés, ils résistent, ils luttent; intellectuellement ils comprennent; et puis quand ils sont à moitié conscients ou dans le sommeil, ça les prend comme cela et ils sont terrorisés... C'est sur TOUTE la terre, toute la terre (il y a des chrétiens partout), c'est une atmosphère que je vois comme une énorme araignée sur toute la terre.

(silence)

En tout cas, il y a un effort de rapprochement évident (je t'ai montré cette déclaration du pape). C'est pour cela que si c'était le moment de défaire cette emprise, ça vaudrait la peine d'essayer.

C'est simplement pour cela que je laisse la porte ouverte – on va voir. Pendant des années, je ne m'en occupais pas, mais depuis que la Force est comme cela (geste de pression) s'accumule, s'accumule, s'accumule (c'est formidable), il faudra bien que tout cela change à un moment ou à un autre, alors... est-ce que c'est le moment?

C'est quand même symptomatique que depuis quelque temps, de tous les côtés, tu voies des catholiques arriver!

Eh bien, oui!

Cette madame Z, ce moine...

Oh! et puis d'autres qui écrivent.

Oui, c'est pour cela: s'il est consciemment de bonne volonté, c'est-à-dire si l’emprise est une affaire subconsciente... (je te l’ai dit, ce n'est pas un homme qui ait un pouvoir mental contre lequel il doive lutter, ce n'est pas cela), mais s'il est de très bonne volonté, on peut, à travers lui, faire quelque chose. C'est pour cela que je veux que tu le voies.


(Puis Mère passe à la traduction du «message» qu'elle veut distribuer pour le darshan du mois de novembre:)

Il y a un texte que je trouve très intéressant, je ne l’avais jamais lu. Je t'avais déjà parlé de cela:

«There is always this critical hostile voice in everybody's nature, questioning, reasoning, denying the experience itself, suggesting doubt of oneself and doubt of the Divine. One has to recognise it as the voice of the Adversary trying to prevent the progress and refuse credence to it altogether.»

[«Dans la nature de chacun, il y a toujours cette voix critique, hostile, qui met en question, raisonne, nie l’expérience même, souffle le doute de soi-même et le doute du Divin. Il faut comprendre que c'est la voix de l’Adversaire qui essaye de nous empêcher de progresser, et refuser absolument d'y ajouter toute créance.»]

Sri Aurobindo

Cela m'a beaucoup intéressée, parce que j'ai remarqué que c'était dans la conscience PHYSIQUE, et très général, et qu'il fallait tout le temps, tout le temps lutter contre cela: en soi-même, dans les autres, partout. C'est comme cela justement, «en dessous» comme tu disais. Alors ça me paraît intéressant à dire.4


Peu après

Tu n'as rien à me dire?

Si, mais ce n'est pas important.

Mais cela ne fait rien.

J'ai vu T. Elle m'a parlé du départ de sa mère et elle m'a dit que tu lui avais parlé de certaine expérience que tu avais eue avec sa mère pendant toute cette période de coma ou d'«inconscience»?

Oui.

Et elle aimerait que tu redises l’expérience que tu as eue.

Tu sais, je ne peux jamais redire deux fois la même chose. C'est venu (je n'avais pas l’intention de lui dire tout cela; j'avais l’intention de lui dire un mot ou deux: que tout va bien), et puis c'est venu, alors j'ai parlé. Et une fois que c'est sorti, c'est fini. Je ne sais même plus ce que je lui ai dit.

Une chose, je sais. C'est que volontairement (je ne sais pas si c'est cela qu'elle a compris), volontairement, je voulais que le départ se fasse dans les conditions les plus harmonieuses possibles, avec le moins de déchet possible, de façon à ce qu'elle garde le complet produit de son passage dans la vie ici, et que... Au fond, ce que j'ai fait (ça, je ne lui ai pas dit), depuis le moment où j'ai reçu la nouvelle qu'elle avait ce stroke (c'est une attaque d'apoplexie), du moment où j'ai reçu la nouvelle, je l’ai mise dans un bain du Seigneur. Je l’ai gardée comme cela (geste d'enveloppement). Alors, d'abord pour moi, je savais que si elle devait guérir, elle se remettrait assez rapidement, et que si elle ne se remettait pas, cela prouvait que c'était vraiment le moment de s'en aller, mais alors qu'elle s'en irait avec... le corps bénéficiant, pour ainsi dire, la substance bénéficiant de tout le profit de la vie physique, et son être intérieur dans les conditions les meilleures. Ça, l’être intérieur dans les conditions les meilleures, c'est pour tout le monde comme cela, tous ceux qui s'en vont ici (mais généralement, je n'ai pas l’occasion de laisser l’être intérieur sortir lentement, n'est-ce pas). J'ai vu... tu sais que quand Sri Aurobindo est parti, nous l’avons gardé cinq jours, et j'ai vu comment ça se passait; je te l’ai dit, quand je me tenais debout à côté de lui, ça sortait de son corps, ça entrait dans le mien, et c'était si matériel qu'il y avait une friction – le corps sentait la friction de la Force qui entrait – et j'ai vu (naturellement là, c'était tout à fait différent et formidable, mais pour tout le monde c'est comme cela): pour que le départ soit au maximum harmonieux, il faut qu'il se fasse comme cela, selon un rythme intérieur, avec la Présence (qui est à la fois une protection et une aide), la Présence de la Force divine. Et alors, je l’ai mise là-dedans, et même (je ne sais pas si elle te l’a dit), son frère qui est docteur, est arrivé et a déclaré avec leur outrecuidance habituelle: «Oh! demain avant midi, elle sera partie.» Je n'ai rien dit, je suis restée tranquille. Naturellement, trois jours de plus se sont passés. Et lui-même a été obligé de reconnaître qu'il y avait là quelque chose qu'il ne comprenait pas.

Qu'est-ce qu'elle t'a dit, à toi?

Elle m'a dit que tu avais eu une expérience particulière avec sa mère, en ce sens que la conscience des cellules, la conscience matérielle des cellules de son corps, avait pu aussi partir avec l’être intérieur, que ça n'avait pas été perdu.

Oui, c'est cela qui est NORMAL.

C'est cela qui est normal. Et alors, ça prend du temps. Et cela fait que tout le profit que les cellules ont eu n'est pas perdu.

Oui, on se précipite ici pour brûler les gens, c'est terrible.

Oh!... Mais elle, on l’a enterrée. Oh! cela, je sais. Je sais, j'ai vu deux ou trois cas ici, de gens qui étaient conscients – ça a été horrible pour eux, effroyable, effroyable.

Il y a le cas de C.5 Il avait appris à sortir de son corps, il savait sortir: il allait, il voyait; il voyait les choses, il notait, il rentrait dans son corps. Alors, quand on l’a opéré, les docteurs n'ont pas pris les précautions nécessaires et le cœur n'a pas pu supporter le choc de l’opération: au bout de cinq jours, c'était fini. Mais lui, il avait l’habitude de sortir, alors il est sorti, n'est-ce pas, il est venu me trouver (je l’ai su avant que l’on vienne m'annoncer qu'il était «mort» parce qu'il est venu me trouver). Mais il ne savait pas du tout qu'il était mort: il était sorti de son corps comme il avait l’habitude de le faire, il venait à moi, il était avec moi. Et alors, ça a été très bien, il est resté tranquille. Et puis, à un moment donné... (il est mort à l’hôpital, et à ce moment-là personne ne m'écoutait naturellement: on l’a brûlé beaucoup trop tôt – mais de toute façon cela aurait été trop tôt parce que, pour lui, justement comme il avait cette pratique, il aurait fallu toute une précaution qui aurait pris du temps; mais tout a été fait comme cela, vite), et puis tout d'un coup, quand on l’a brûlé (je ne savais même pas à quel moment on le brûlait), tout d'un coup il est arrivé dans ma chambre, n'est-ce pas, épouvanté... épouvanté et pleurant et misérable: «Mais je suis mort! Je ne savais pas que j'étais mort, mais je suis mort et ils m'ont brûlé, ils m'ont brûlé!...» oh!... C'était horrible, horrible. Alors je l’ai calmé, je lui ai dit de rester là, de rester tranquille, d'être avec moi, et que je lui trouverai un autre corps. Et je l’ai eu consciemment près de moi pendant longtemps-longtemps. Et puis je lui apprenais à se réincarner – tout cela a été fait en détail. Alors je sais...

La même chose pour N.S. Là aussi... Il est tombé sur la tête, il s'est cassé la tête (il s'est évanoui dans la rue, c'est comme cela qu'il est mort). On l’a emmené à l’hôpital. Mais il est sorti,6 il est arrivé à moi tout de suite (j'ai su: quand on m'a dit aussi que l’accident était arrivé, je savais que quelque chose était arrivé parce qu'il était venu à moi), et je le gardais là, je l’avais mis en repos et il était bien tranquille – bien tranquille. On ne m'a même pas consultée pour savoir quand il fallait le brûler, ni rien (naturellement, une famille de docteurs!). Alors, tout d'un coup, brrt! (geste d'éclatement) il est sorti de mon atmosphère subitement, comme cela. Et puis plus rien... Il m'a fallu DES JOURS pour le recontacter – et c'était le choc qu'il a eu quand on brûlait le corps. Il m'a fallu des jours pour le retrouver, le remettre en repos, le rassembler. Et il y a eu une partie qui a disparu; toute sa conscience n'est pas venue, parce qu'il y a une partie de sa conscience la plus matérielle, du vital matériel, qui a dû être projetée par le choc. Je le sais, parce qu'il y a le père d’Albert7 qui a été opéré (c'était plus d'une année après, peut-être deux ans), et quand il a été chloroformé, tout d'un coup il a vu N.S. en face de lui (n'est-ce pas, même une partie peut prendre l’appa-. rence de l’être entier, Sri Aurobindo a expliqué cela, c'est comme une photographie), il l’a vu, et N.S. lui a demandé des nouvelles de sa famille, des nouvelles de sa femme, des nouvelles de ses enfants, et il lui a dit: «Je me préoccupe de ce qui leur arrive.» Ce devait être ce qui était attaché à sa famille, qui a dû se séparer du reste de son être: quand il était venu à moi, il était venu complet, mais après, je ne sais pas ce qui est arrivé, n'est-ce pas (geste d'éclaté-ment sous le choc). Et c'était tellement concret que quand on a réveillé le père d'Albert, il a dit à haute voix: «Pourquoi finissez-vous ma conversation avec N.S.?» C'est comme cela qu'on l’a su. Il a dit: «Mais j'étais en train de parler avec N.S., pourquoi avez-vous interrompu ma conversation?» Alors on a su que c'était arrivé.

Voilà.

(Sujata prend la parole:) Douce Mère, moi aussi, j'ai vu N.S.

Quand?

C'était l’année où il est mort, mais après beaucoup de mois. Ce n'était même pas un an après: huit ou neuf mois après. Je l’ai vu, il était venu chez moi (c'était la nuit, en rêve), il était chez nous, près de la porte, je suis allée le voir.8 Mais il y avait quelqu'un près de moi, qui a dit: «Mais il est mort!» Alors il a reçu un tel choc, ce pauvre monsieur, il souffrait. Alors je l’ai pris avec moi, je l’ai étendu sur mon lit et V était là, j'ai envoyé V te prévenir.

Tout cela en rêve?

Tout cela en rêve. Je le calmais, et puis j'ai dit à V d'aller te voir.

Mais ça, cette division, cette partie séparée, c'est arrivé quand on l’a brûlé. Avant, je l’avais gardé complet, et je l’aurais fait passer dans le psychique comme je les fais tous passer, tranquillement, sans heurts, sans difficulté. Mais brrt! (même geste d'éclatement). C'est un choc effroyable, tu sais! On commence par mettre le feu dans la bouche... C'est... oh! la conduite des hommes entre eux – j'ai vu tout cela, je l’ai vu... C'est une chose si effroyable, si effroyable!

Et quand je pense... ce n'est pas une fois, deux fois, c'est des centaines de fois, des gens qui aimaient quelqu'un (leur père ou leur frère qu'ils aimaient, ou leur mère), et alors, dès que cette personne est morte, s'ils la voient en rêve ou en vision, ça leur fait une peur épouvantable et ils veulent la chasser!... Pourquoi?... Si je leur demande pourquoi, c'est chez eux un mouvement tellement spontané qu'ils ne peuvent pas me lç dire. Ils ne peuvent pas, ils sont étonnés que je le demande, tellement ça leur paraît naturel.

Ce que j'ai dit à T (ce que je crois qu'elle n'a pas compris), je lui ai dit: il n'y a pas tant de différence entre ce que les hommes appellent la «vie» et ce qu'ils appellent la «mort»; la différence est très petite, et quand on va à fond dans le problème et dans tous les détails, la différence diminue encore. On fait toujours un clean cut [une coupure] entre les deux – c'est tout à fait idiot: il y a des vivants qui sont déjà à moitié morts, et il y a beaucoup de morts qui sont TRÈS vivants.9

5 octobre 1967

(de Satprem à Mère)

Douce Mère,
J'ai vu ce moine.
Mon impression est favorable malgré tout.

Avec amour

Signé: Satprem

7 octobre 1967

(Le disciple décrit à Mère sa rencontre avec le moine.)

...Mais il a parlé avec Pavitra, il paraît qu'il est intéressé par la recherche du «dieu intérieur», que c'est cela qu'il veut trouver. Il a dit: «La divinisation de la terre, tout cela, c'est très bien...» (Mère rit), mais ce qui l’intéresse, c'est la découverte du dieu intérieur.

Il t'a dit quelque chose?

Oui, à un moment nous parlions des dogmes, il disait que toutes ces choses extérieures n'avaient pas de valeur pour lui; ce qui lui importait, c'était l’ascension ici [geste au cœur], l’assomp-tion ici, la résurrection ici.

C'est bien. S'il comprend la religion comme cela, c'est bien. Enfin, il a l’air d'être sincère dans sa propre recherche.

Il me disait que les sacrements, les rites, etc. ne l’intéressaient pas au fond beaucoup, mais qu'il ne voulait pas les quitter, ni les sacrements ni les rites, parce que, me disait-il: «Si je les quitte, je sors de leur société, je suis exclu et je n'ai plus de moyen d'action.»

Il veut faire quelque chose?

Oui, son idée est d'élargir son christianisme, de trouver une vérité, et puis d'aller la porter là-bas.

Ah!

Il m'a même dit quelque chose que j'ai trouvé bien chrétien; il m'a dit: «Au fond, j'ai un désir de consécration totale, de don total, d'être comme un martyr et de donner ma vie pour cette nouvelle vérité...» Il a une soif de martyr – être le martyr de l’Église.

Sri Aurobindo avait dit une fois (on pourrait dire en s'amusant), quand il parlait à ceux qui étaient avec lui (j'étais là et on parlait du christianisme et du «nouveau Christ»), il leur a dit: «Oh! si le nouveau Christ revient, l’Église le mettra en croix!»

(silence)

Ah-ah! il a de l’ambition...

Oui, c'est évidemment une sorte d'ambition. Mais cela part d'une sincérité.

Oui, un bon sentiment.

Enfin, ça va bien, on va voir ce qui va arriver.

(Mère continue la conversation en tendant au disciple une rose un peu bizarre, qui semblait vouloir être rouge par quelques pétales, puis elle est devenue jaune pâle.)

On dirait qu'elle ne savait pas ce qu'elle voulait!...

C'est comme les gens: ils veulent faire une chose, et puis ils finissent par en faire une autre. Ce sera peut-être comme cela aussi pour le frère A?

Enfin, c'est le premier que j'aie entendu dire qu'il voulait changer quelque chose; les autres veulent changer la nouvelle chose pour l’adapter à leur religion; lui, il veut apporter la nouvelle chose pour changer la religion. C'est bien. C'est un bon sentiment.

Pourquoi les gens sont-ils hypnotisés par le passé?... C'est curieux. C'était très intéressant au moment où c'est venu, n'est-ce pas, c'était très nécessaire; il fallait que ça vienne, ça a fait son œuvre – mais c'est fini maintenant.

Ils ne savent pas avancer. Ils sont comme cela, ils s'assoient: «Maintenant j'ai trouvé! Je m'assois, je ne bouge plus.» (Mère rit)

Sri Aurobindo disait toujours: «Je ne veux pas que les gens fassent la même chose avec ce que j'ai dit...»

Il faut toujours aller plus loin.

Et il continue à me dire des choses nouvelles, c'est très intéressant... Encore ce matin pendant longtemps, c'était comme une espèce de balayage de tout ce qui est établi: «Ah! non, un peu plus loin, un peu plus haut, un peu plus vrai...»

(silence)

Il me parlait aussi de la peur des gens: de son Prieur, par exemple.

Il a peur?

Oui. C'est un homme très bien, sincère, qui cherche la vérité, mais finalement il a peur.

C'est cela.

Et il m'a dit: «Le diable n'est pas dans le péché: c'est là qu'il est, le diable!»

Dans la peur, oui.

Mais tout de même, il finit par dire: «Vous aussi, vous faites partie de l’unité romaine.»

Ah! à moi aussi, on a dit cela. Un «grand» de l’Église m'a dit: «Mais qu'est-ce que vous savez? Vous appartenez à l’Église universelle romaine.» Je lui ai dit (riant): «Moi, ça m'est égal, ça ne me gêne pas!»

Mais ils sont agaçants avec leur Église!

(Mère rit) Ils sont comme cela.

Rome!... Mais enfin Rome était un fœtus inexistant quand il y avait déjà des millénaires de sagesse.

Mais Rome n'est rien! Et je ne,sais pas pourquoi en Europe, on fait tant de cas de toute cette histoire...

Le monde commence avec eux.

Même au point de vue culture, Rome était très inférieure à la Grèce... Je ne sais pas pourquoi – mais ce sont tous les pays latins, je crois.

Ils mettent tout à l’envers.

C'est cela qui m'arrête toujours, parce qu'on a l’impression qu'on leur déverse ou qu'on leur donne de la bonne substance...

Et ils la changent.

... simplement pour venir gonfler leur histoire romaine. C'est cela qui me gêne.

Oui. Oh! mais cela, ils ne sont pas les seuls. Il semble que toutes les vieilles choses soient justement en train de se gonfler autant qu'elles peuvent pour ne pas disparaître. J'ai reçu aujourd'hui, d'un ancien disciple, une carte de vœux... (Mère cherche la carte) C'était A.C., un Israélite qui était ici, qui est allé en Angleterre, qui en Angleterre pendant longtemps faisait partie du «Groupe Sri Aurobindo», puis, quand est venu la guerre entre Israël et l’Egypte (un peu avant), il est devenu fanatique, un Israélite fanatique: «Je ne veux travailler que pour Israël.» Et comme on lui avait écrit à propos d'Auroville, il a répondu: «Est-ce qu'Auroville peut aider Israël?» Des choses comme cela. Et en ce moment, c'est la nouvelle année là-bas, alors il m'a envoyé ça (Mère montre une carte représentant sept bougies qui éclairent le monde, et des épis de blé). Dans le temps, il m'appelait «The Divine Mother» [la Mère divine], et Sri Aurobindo, c'était «The Lord» [le Seigneur]. Puis la dernière lettre, c'était «gourou» (je suis devenue le gourou!) et: «I want to inform you that I have left the group» [je veux vous informer que j'ai quitté le groupe]. Alors maintenant, il m'envoie cette carte: «To the Mother... God bless You» [à la Mère... Dieu vous bénisse] (Mère rit). Et c'est la même chose, n'est-ce pas! Là-bas, il n'y a pas beaucoup de gens religieux, ils ont l’esprit beaucoup plus pratique, mais lui, a le tempérament religieux, alors maintenant c'est comme cela (Mère se gonfle les joues), c'est son Judaïsme qui se gonfle. Les sept lumières et les épis de la prospérité... J'ai trouvé cela touchant: «God bless You.» (Mère rit)

Je me souviens, il y a longtemps, tout au commencement (je crois que je venais juste de m'installer chez Sri Aurobindo), il y a quelqu'un, je ne me souviens plus qui c'est (est-ce que Tagore avait une sœur?1...), c'était une femme grande et forte, assez formidable, elle était venue passer une journée à l’Ashram et elle m'a dit: «Pourquoi n'avez-vous pas des chambres à louer pour les visiteurs? Cela vous ferait dix roupies par jour.» (Mère rit) Je l’ai regardée, j'étais ahurie (elle m'enseignait à être pratique!) Et alors, en finissant, elle m'a dit: «God bless you.» [Dieu vous bénisse.] Cette fois, je n'ai pas pu me retenir, je lui ai répondu: «It's already done.» [C'est déjà fait!] (Mère rit)

Non, c'est partout la même chose, a patronizing attitude [un petit air protecteur].

Alors, quand ils se sentent trop petits pour se gonfler, ils entrent dans la religion et ils gonflent la religion: ils en font une chose énorme qui domine le monde.

Ah! ça ne fait rien, si cela les amuse...

(silence)

Qu'est-ce qu'ils appellent le «péché», ces hommes, d'abord? Qu'est-ce que le péché?... Moi, quand on me parle de péché, je réponds: «Vous savez, le péché, c'est de ne pas être Divin.»

Alors tout le monde est dans le péché.

Pour eux, pour les catholiques, le péché, c'est cette misérable histoire de sexe. Et pourtant, n'est-ce pas, ils bénissent le mariage! Ils bénissent le mariage et quand on est marié par l’Église, c'est pour l’éternité! Si vous allez en enfer, vous allez en enfer ensemble; mais si vous allez au paradis, vous allez au paradis ensemble – mais vous ne pouvez pas vous séparer! (Mère rit) C'est textuel, je n'invente rien.

Mais je lui ai dit: «Votre religion est une religion barbare.»

Qu'est-ce qu'il a dit!

Mais il est assez d'accord! Son idée, c'est d'apporter un air nouveau là-dedans.

*(silence)

Mais c'est beaucoup-beaucoup comme quand on veut nettoyer un étang et que l’on remue dedans: ça devient dégoûtant, ça remonte... Tous les jours, il y a deux ou trois choses... enfin.

11 octobre 1967

(Sujata donne à Mère une fleur appelée «Nouvelle Naissance».)

Dis-moi (à Satprem): qu'est-ce que c'est, une nouvelle naissance?

Être radicalement différent

(Après un silence) Se renouveler à chaque moment.

Encore ce matin, pendant, oh! plus de deux heures: tout à fait une nouvelle personne. Et chaque fois, avec le travail, le contact avec le monde [ça s'efface]... mais ça ne revient pas tout à fait pareil, il y a quelque chose qui est parti. Mais pendant deux heures ce matin, c'était encore plus que l’autre jour, mais pas la même chose – jamais la même chose, jamais deux fois la même expérience.

Mais c'était... À un moment donné, j'ai pensé à toi, je me suis dit: tiens, s'il était là et qu'il puisse noter, ce serait intéressant...


(Mère va s'asseoir à sa table, puis rit elle-même devant l’invraisemblable accumulation d'objets, de paquets en équilibre instable, stocks d'enveloppes, papiers, stylos...)

Et puis tout est arrangé ici: si on a le moindre geste d'inconscience, c'est une catastrophe! Et il y a des petits êtres qui ont été affectés à la surveillance, et ça, c'est le plus amusant de tout: si l’on fait un mouvement comme cela, inconscient, ils vous attrapent la chose que vous tenez et ils vous l’envoient loin promener! Ça m'est arrivé je ne sais combien de fois. Seulement moi, je ris, n'est-ce pas, je sais ce qui se passe: ils prennent la chose et poff! ils l’envoient en l’air comme si l’on avait fait un geste violent. Ça arrive tout le temps. Cette table est arrangée exprès pour cela – ce n'est pas moi qui ai arrangé: on m'a fait arranger. Et c'est comme cela: si tu fais un geste inconscient, il y a quelque chose qui dégringole – naturellement! (Mère montre les piles d'enveloppes)

C'est effrayant, ta table!

Oui, mais chaque chose a sa raison d'être et son utilité.

J'ai aussi des personnages (Mère attrape trois statuettes de bronze qui baignent avec quelques autres dans un torrent de papiers): ça, c'est un Ganesh debout; ça, c'est Garoudha, le gardien de Vichnou; et ça, c'est le taureau de Shiva. Et là (un peu plus loin sur la table), j'ai trois Ganesh: un tout petit-petit Ganesh en argent qui est entre les jambes de cette divinité (qui a l’air moderne), puis encore un autre Ganesh, je ne sais pas en quoi, et puis un Ganesh en bronze. Et là-dedans (Mère désigne un tiroir où elle garde de l’argent), j'ai trois autres Ganesh: un en bronze, un en argent et un en or! C'est parce qu'il m'a promis qu'il me donnerait tout l’argent dont j'ai besoin, alors comme cela (riant), il ne peut pas dire que je l’oublie (ni sa promesse non plus!).

Ce Ganesh-là (sur la table), c'est un petit garçon qui a peut-être deux ans et demi qui me l’a donné. Ce petit garçon, quand il avait quelques mois et jusqu'à ce qu'il ait un an, sa mère me l’apportait toujours, et il criait, il hurlait, il faisait des scènes – les parents étaient désespérés. Je leur disais chaque fois: soyez tranquilles, tout ira bien, nous serons très bons amis. Alors les parents me regardaient avec un air de ne pas croire. Maintenant qu'il a deux ans et demi ou trois ans, déjà quand il attend dans l’escalier: «Mother, Mother, Mother!...» (ou «Mâ», je ne sais pas). Mais quand il arrive (il entre le premier de la famille), il arrive avec une fleur, et puis il m'a donné ce Ganesh, mais alors il le donne avec une conscience! Il est admirable; hier, il était absolument exquis: il arrive le premier, si sûr de lui, et si joyeux, et puis il me fait des signes comme pour me dire: «Tout-tout va bien, ne t'inquiète pas!» Et je lui parle – il ne comprend rien de ce que je lui dis, mais il approuve gravement. Il est absolument exquis.

Il y a un grand progrès dans l’enfance.


(Peu après. À propos du «Dourga poudja», ou fête et cérémonie de la Mère universelle, qui a eu lieu le matin même.)

J'ai eu la visite de Dourga ce matin. Tous les ans, j'ai sa visite, mais ce matin c'était intéressant parce qu'elle m'a expliqué son point de vue, comment elle sent l’existence, et puis en même temps... Tu sais que l’année dernière elle était venue, je te l’ai dit (avant, quand je descendais donner le darshan, non seulement elle venait, mais elle restait là pendant tout le temps), mais l’année dernière quand elle est venue, je lui ai dit: «C'est très bien; c'est très bien, tu remplis très bien ton office dans l’univers, mais tu manques quelque chose...» Et je lui ai expliqué ce que cela voulait dire, être dans le contact conscient et attentif à la Volonté suprême, et elle a compris. Elle a compris et elle a adhéré, elle a dit oui. Et alors, pendant l’année elle a dû essayer, parce qu'elle est revenue ce matin, et vraiment il y avait une différence, surtout une différence dans la compréhension, et elle m'expliquait cela. Puis je lui ai parlé de la nature humaine physique et de son infirmité, et elle m'a dit: «Il y a là, dans ce corps, quelque chose que nous n'avons pas, nous tous là-haut, et que nous ne pouvons pas avoir: c'est la possibilité d'une Présence constante et d'un contact constant avec le Divin.» Elle n'avait jamais pensé à cela avant! c'est depuis l’année dernière. Et c'était dit avec une telle intensité – une telle intensité – et une telle compréhension et un sens... C'était comme si toutes les misères humaines disparaissaient imédiatement devant cette chose EXTRAORDINAIRE que l’on pouvait, dans chaque cellule, sentir la Présence divine.

C'était vraiment intéressant. La matinée a été vraiment intéressante.

Elle était restée là pendant que je faisais ma toilette, et elle me disait: «Tu vois, tu peux faire tout cela et pas une minute, pas une seconde, tu ne perds le contact avec Ça, avec cette merveille suprême. Et nous, nous sommes pleins de pouvoir et de... et sans aucune de vos petites misères, aucune de vos petites difficultés, mais tellement habitués à notre manière d'être que c'est pour nous sans valeur, c'est une chose évidente, presque obligatoire.» Et elle disait (Mère sourit): «Jamais nous ne pensons au Divin, n'est-ce pas, nous SOMMES le Divin... Alors il n'y a pas cette volonté de progrès, cette soif de toujours mieux, toujours plus – ça nous manque totalement.»

Mais c'était vraiment intéressant. Je traduis en mots (évidemment elle ne m'a pas parlé en français!), mais c'était très simple, le contact était très simple (geste d'échange intérieur) et très naturel, très spontané. Je lui ai même demandé à un moment donné (riant): «Est-ce que cela te fait plaisir, toute cette adoration des gens?» Elle m'a dit non. Elle m'a dit: «Non, ça m'est égal.» Trop habituée, cela lui est égal.


Puis il est question d'Auroville

J'ai rencontré Y. Ils préparent un numéro sur Auroville et elle est venue avec une liste de questions comme cela (geste), elle m'a dit: «La sociologie d'Auroville, je ne la connais pas bien.» Alors je lui ai dit (riant): «Moi non plus!» Puis elle m'a posé des questions (remarque, elle posait des questions très intelligentes) et je lui ai répondu. Mais il y avait une chose à propos du choix des gens et de l’admission à Auroville... alors je lui ai dit que, naturellement, la condition essentielle pour pouvoir choisir les gens, c'est que les préférences, les attractions, les répulsions, les sympathies, les antipathies, toutes les règles morales, tout cela doit avoir complètement disparu – non pas que l’on soit en train de les surmonter, ce n'est pas cela: il faut que ce soit disparu (riant), qu'il n'y ait plus d'ego! Et alors, je lui ai dit: ce n'est pas un jugement, ce n'est pas de regarder les gens et juger s'ils sont capables d'être là ou pas, s'ils sont destinés à être là ou pas, ce n'est pas cela du tout – vous ne «jugez» pas... Et quand elle a été partie, j'ai noté la fin de la chose (Mère prend une note et lit):

«La Force est mise sur tous, identique et suprême...

La Force est identique pour tous (geste uniforme sur toute la terre) et suprême, c'est-à-dire... enfin ce que ça veut dire, suprême, comme cela (même geste étal). Quels qu'ils soient et quelle que soit leur attitude, sur tous la Force est mise identique – et ce sont EUX qui se classent; ce n'est pas que l’on décide que celui-ci est ici ou là ou là: ce sont EUX qui se classent suivant...

«Et chacun se classe lui-même, de lui-même, selon sa réceptivité et la qualité de cette réceptivité – ou bien son refus ou son incapacité.»

N'est-ce pas, il y a tous les degrés. Quand c'est le refus ou l’incapacité, alors, de LUI-MÊME il s'enfuit en disant: «Ce sont des imbéciles, ils essayent de faire quelque chose d'impossible, c'est irréalisable» (j'en connais beaucoup, ils se croient supérieurement intelligents). Mais même pour se situer, c'est eux-mêmes qui se situent... Elle était venue avec l’idée d'une hiérarchie. J'ai dit oui, tout est hiérarchisé, toujours, et surtout tous les individus conscients sont hiérarchisés, mais il n'y a aucune volonté arbitraire qui les hiérarchise: c'est d'eux-mêmes, spontanément, qu'ils prennent leur place sans le savoir, la place qu'ils doivent avoir; ce n'est pas, lui ai-je dit, ce n'est pas une décision, on ne veut pas de catégories: il y a ceux-ci, il y a ceux-là, et alors celui-ci entrera ici et celui-là entrera là – tout cela, lui ai-je dit, ce sont des constructions mentales, ça ne vaut rien! Mais la vraie chose, c'est que NATURELLEMENT, selon sa réceptivité, selon sa capacité, selon sa mission intérieure, chacun prend le poste, dans la hiérarchie, qu'il occupe véritablement, spontanément, sans aucune décision.

Ce que l’on peut faire pour la facilité de l’organisation, c'est une sorte de plan, ou de carte générale de façon que chacun n'ait pas besoin de construire sa position, qu'il la trouvera toute prête pour lui – c'est tout.

C'était amusant, mais très intéressant.

(Mère tend sa note au disciple) Mais l’eau des fleurs est tombée dessus, alors c'est à moitié effacé!

Le danger avec tous ces gens, c'est qu'ils veulent codifier.

Oh! ils veulent construire mentalement, comme cela, carré comme une prison, c'est affreux.

Mais, n'est-ce pas... quand elle vient, elle est très gentille, très gentille, très réceptive, très ouverte et tout à fait prête à recevoir et à entendre, tout au moins dans son attitude extérieure, mais il paraît qu'elle a un «groupe» là-bas, et alors dans ce groupe... (je l’ai entendu par des personnes qui y sont allées et qui sont sincères), c'est effrayant! N'est-ce pas, des jugements cassants. Et une supériorité écrasante.

C'est dommage.

Il paraît aussi (elle ne m'a rien dit à moi, rien montré), mais enfin il paraît que le Bulletin est vieux-jeu.

Cela m'est venu.

Ah!

Et c'est drôle, cela m'est venu comme venant de Y.

Tiens!

Exactement le mot que tu as employé. Je ne sais pas pourquoi, un matin, il y a quelque chose qui a dit: «Ah! le Bulletin est vieux-jeu.» Et c'était comme si Y était au bout du fil. C'est amusant.1

(Mère reste silencieuse) Sri Aurobindo, c'est déjà «le passé»!

Elle va vite!

Mais moi, je sais, parce que j'ai reçu une lettre d'elle où il y avait une indication. Elle disait que la Mère, dans ses quatre Aspects, d'après le livre de Sri Aurobindo, c'était «très bien pour la création d'aujourd'hui (ne disons pas encore d'hier, mais d'aujourd'hui!), mais pour la création de demain, il doit y avoir cet aspect d'Amour de la Mère, qui ne s'est pas encore manifesté.» Et alors, c'était mis très habilement, mais de telle façon qu'il était impossible de ne pas comprendre que c'était cette dame-là qui devait manifester Ça...

Moi, j'ai dit: «Très bien!» (Mère rit) J'ai dit: «Ce que le Seigneur veut, sera.» Mais depuis ce moment-là, je la traite... (comment dire?) plus que comme une égale: comme une supérieure, avec des affirmations... qui sont écrasantes pour elle. Et alors je ne perds pas une occasion de lui dire que pour faire ceci ou pour faire cela, ou pour manifester Ça ou pour... il faut être SPONTANÉMENT ET DÉFINITIVEMENT au-dessus de tout désir, de toute ambition, de toute préférence – et chaque fois comme cela (Mère fait le geste de marteler).

Rien ne bouge en elle apparemment, mais enfin... C'est bon (riant), si elle supporte le «test», on verra bien.2

Il y a quelque chose de très dur chez elle.

Dur, oui très dur – sans merci.

Elle est comme la caricature de quelque chose d'autre.

Exactement cela.

(silence)

Elle m'a apporté un petit poème en français sur «le Bien-Aimé et la Bien-Aimée» (tout ça, là-haut), qui ma foi est très joli. Alors elle me l’a lu et quand cela a été fini, je lui ai dit: «Mais l’Amour – ce Bien-Aimé et cette Bien-Aimée –, ce n'est pas une personne, ce ne sont pas des personnes; ce ne sont pas des êtres humains; ce ne sont même pas des êtres humains symboliques...» Et à ce moment-là, ça s'est ouvert là-haut et je lui ai dit ce que c'était.

Ça l’a prise à la gorge tellement fort que cela m'a presque donné une extinction de voix après.3

On verra bien. Tout le monde peut changer, non? Je lui donne sa pleine chance.

Justement, tu sais, c'est si admirable... N'importe où Ça se manifeste, cela n'a aucune importance; Ça se manifeste ici, là, là, là, cela n'a aucune importance, c'est toujours la même chose qui se manifeste, partout. Et là où Ça choisit de se manifester, là où nécessairement Ça doit se manifester le mieux – là, Ça se manifeste. La seule chose – la seule chose –, c'est de ne pas permettre à l’illusion et à la tromperie de se mélanger: de les tenir impitoyablement à leur place, autrement... Pas de malice de l’ego, on n'en veut pas; parce que c'est tout petit, mesquin, stupide, inutile et que c'est un gaspillage de temps, et que ça fait des remous inutiles dans l’atmosphère. Mais à part cela... Ça se manifeste ici ou là ou là4...

(silence)

Il y a des gens qui sont tout à fait pris par Y. Mais il y en a d'autres qui sont conscients et qui y sont allés une fois, et qui n'ont jamais plus remis les pieds là-bas.

Dès le début, j'ai senti un recul devant elle... La dureté de l’ego, c'est cela.

Oui, avec tout le masque de la bienveillance.

C'est très intéressant.

(long silence)

Mais les dieux, ils ont un ego divin. C'est cela qui était vraiment intéressant ce matin... Ils sentent qu'ils existent en eux-mêmes, par eux-mêmes, pour eux-mêmes (Mère ferme le poing). Seulement, n'est-ce pas, aucune comparaison avec la sordidité de l’ego humain.

Mais c'est cela qui était si intéressant ce matin... Quand ces ego divins auront abdiqué, et dans la mesure de cette abdication, cela fera une transformation extraordinaire dans la création. C'était comme une vision qui s'élaborait lentement (Mère ferme les yeux), ça faisait presque des images, c'était comme si l’on voyait la terre (geste comme une boule) et je vois l’image de Dourga (geste qui enveloppe la terre) et ensemble c'est très joli.

Et la terre dans ses bras...

(silence, les yeux clos)

Et dans ces visions (justement prenons celle-ci), Dourga a une forme visible, définie, et ce corps (de Mère) n'est pas là parce que ce corps appartient à ici, par terre; et alors c'est un centre rayonnant de lumière blanche qui peut prendre une forme (mais qui n'a pas de forme), qui est un rayonnement de lumière, une vibration de lumière, comme cela, de conscience – de lumière consciente; et ça, c'est très intéressant... (Mère reste les yeux clos.) Et c'était comme pour voir comment ça – cette conscience, cette lumière –, comment ça peut se manifester en des formes possibles sur la terre, sans perdre de la pureté et du rayonnement de la conscience...

(Mère entre dans une longue contemplation)

Il y avait là (geste entre Mère et le disciple), comme cela, une de ces sortes de lampadaires comme ils en font avec des serpents, tu sais? – mais c'était grand, c'était grand comme cela (environ un mètre cinquante). C'était en cuivre avec des incrustations, des dessins dedans, et ça se terminait par une boule qui contenait toutes les lumières, comme si chaque tête du serpent était une lumière – c'était magnifique! c'était vraiment magnifique. Et ça brûlait. Et il y avait des fleurs de «pouvoir» (hibiscus rouge) qui s'enguirlandaient autour et qui étaient à la base. Et alors, il y a eu quelqu'un qui disait: «Est-ce que ce n'est pas plus beau que la réalité matérielle?...»

Et ça, c'était la construction artistique (mentale, artistique) qui est «plus belle que la réalité». C'est cela, l’idée gouvernante de la personne dont il était question. C'était cela, n'est-ce pas: «Est-ce que ça, ce n'est pas plus beau que la nature vraie?» Voilà,

C'était très beau, c'était une belle chose, mais... c'est la fossilisation mentale de la Chose. C'était très intéressant – inattendu, je ne m'attendais pas à voir cela: une forme de serpent lové, comme cela, en bronze, en bronze incrusté, mais d'un travail magnifique! Et les lampes qui brûlaient, la lumière qui brûlait... supérieure à la réalité: «Est-ce que ça, ce n'est pas supérieur?»

Et c'était pour moi d'un symbole tellement clair, j'en étais ahurie.

C'est pour ainsi dire le paroxysme de l’évolution mentale.

(silence)

Le Seigneur se sert de toutes choses, et Il n'a pas peur. Il se sert de toutes choses.

C'est intéressant, très intéressant.

Comme Il s'est servi des dieux, comme Il se sert de tout, comme Il s'est servi des Adversaires... Tout... C'est tout des manières d'être, et tout conduit... là où on doit aller.

14 octobre 1967

(l’entrevue commence avec une heure de retard. Sujata donne à Mère des fleurs appelées «Transformation».)

Deux pour toi (à Sujata), deux pour toi (à Satprem), et puis une pour moi... C'est pour décider le corps à se transformer! (Mère passe une fleur à sa boutonnière.) Il fait ce qu'il peut, on ne lui laisse pas beaucoup de temps pour s'occuper de lui-même... Ça devient de pire en pire... La nuit se raccourcit; les jours, le moment où je pouvais me reposer, c'est fini. Alors il est tout le temps, tout le temps occupé comme cela. Ce n'est pas très commode.


Peu après

Tout d'un coup, hier après-midi vers le soir (c'était à peu près à six heures, un peu avant six heures), est arrivée une sorte d'atmosphère de... (comment appeler cela?) c'était une espèce de pessimisme découragé où tout était devenu terne et gris, et insatisfait. Quand on voit les choses d'en haut, dans une certaine atmosphère de totalité, chaque chose joue son rôle et collabore à une manifestation générale, mais là, c'était comme quelque chose qui était enfermé en soi-même, qui n'avait pas de raison d'être excepté qu'elle était – ça n'avait pas de but ni de mobile ni de raison d'être, et ce n'était pas une circonstance spéciale ni un événement particulier: c'était une espèce de formation enfermée en elle-même, un état d'être, qui était évidemment morbide, et pas violent, rien de violent... Oui, où tout-tout était sans raison, sans but, sans aucune satisfaction: ni soi, ni les autres ni les choses. Et j'étais enfermée dedans EXPRÈS, pour que je le sente. Et la conscience se demandait: «Pourquoi? Qu'est-ce que cela veut dire? Pourquoi est-ce comme cela?» Et en même temps (tu sais qu'hier, c'était le jour de la «Victoire de Dourga» pour les gens qui adorent Dourga), alors je me suis dit: «Pourquoi est-ce juste le jour de la victoire qu'elle choisit pour m'enfermer dans cet état? Qu'est-ce que cela veut dire? Qu'est-ce que cela veut dire?...» Et c'était justement comme une démonstration par le fait, de l’inutilité parfaite de cette espèce de manière d'être qui n'avait aucune raison, qui pouvait s'appliquer à n'importe quoi et n'importe quand, sans raison et sans mobile. C'était comme le symbole de l’inutilité insatisfaite. Mais ça a duré... Je regardais, je regardais; j'essayais de trouver la moindre indication sur la cause de cet état: quoi, quand, qui, comment?... Et ce qui est curieux, c'est que c'est très-très étranger à ma nature, parce que même quand j'étais très embêtée, je n'ai jamais perdu mon temps à être comme cela. Et ça a duré comme les choses qui durent pour que je les étudie, que je les comprenne et que je fasse le nécessaire. Puis je me suis dit à un moment donné: «Tiens, c'est peut-être cela que Dourga a l’intention de conquérir cette année?» Et je me suis souvenue en même temps (comme cela, dans les bordures de la conscience, très loin), souvenue du temps où Sri Aurobindo était là; chaque année, le jour de la «Victoire», je lui disais: «Tiens, cette année-ci, c'est cela que Dourga a fait», et il corroborait. Je disais: «C'est cela que Dourga a conquis, c'est cela que Dourga...» Chaque année, pendant longtemps. Et alors, c'était là, loin dans la lumière, ce souvenir, comme pour me dire: tu vois, tu te souviens de cela? Puis je me suis dit: «Tiens, c'est peut-être cela que Dourga veut conquérir?» Et alors j'ai pensé: «Mais enfin, qu'est-ce qu'il y a là à conquérir, c'est imbécile!» C'est un état imbécile (je sais, il y a beaucoup de gens qui sont dans cet état, mais c'est absolument imbécile, ça n'a ni raison, ni cause, ni but, c'est comme quelque chose qui vient là on ne sait comment ni pourquoi). Ça a duré assez longtemps (je ne me souviens plus exactement). Et puis, quand j'ai bien vu, bien compris que c'était cela, j'ai dit à Dourga: «C'est cela que tu veux faire?...» Et tout d'un coup, ça a été comme... une chose tout à fait curieuse, comme si j'assistais à une évaporation, poff!... Ça a fait comme ça (geste d'éclatement) et puis... J'ai cherché, j'ai cherché – le souvenir, tout, complètement disparu! C'était complètement parti, en une seconde.

Et pendant le temps que c'était là, c'était... oui, quelque chose qui n'a aucune vérité en soi, quelque chose qui n'avait le support d'aucune vérité. Un état morose, insatisfait, grognon, et c'était gris-gris-gris, terne, voyant tout sous l’angle de l’inutilité, de la stupidité. Et puis ça a été comme un éclatement: tout d'un coup poff! comme cela, et puis tout fini. Et maintenant c'est une espèce de souvenir vague que j'ai de la peine à rappeler, mais qui n'existe plus.

Quand c'est venu, j'ai dit (riant): «En voilà une victoire!» Puis est venu le souvenir, la vision du temps de Sri Aurobindo, et l’impression: «Tiens, c'est cela (Dourga était là à regarder), c'est cela que tu veux vaincre?» Elle ne m'a pas répondu, elle a souri, et puis quelques minutes après: poff! (même geste d'éclatement) comme cela, je ne sais pas comment expliquer. Mais c'était curieux, je n'avais jamais vu ça avant... Les autres fois, du temps de Sri Aurobindo, quand elle dominait quelque chose, on avait l’impression d'une puissance qui entourait un mensonge (geste comme pour arracher une touffe d'herbe), l’entourait comme cela et l’isolait par force, l’immobilisait, lui enlevait tout soutien; mais cette fois-ci... un phénomène bizarre. C'était quelque chose de tellement inexistant, sans vérité dedans. Et puis toute cette manière d'être était comme suspendue au-dessus de la terre, en contact avec certaines gens, mais c'était comme enveloppé dans un sac: n'est-ce pas, ça n'avait pas de contact avec le reste, mais une fois que l’on était dedans, impossible d'en sortir! On était enfermé, impossible. Et puis ça a éclaté tout d'un coup: «Ah!...» Et puis plus rien.

C'était intéressant par le fait que c'était la première fois que j'assistais à une chose comme cela. Et vraiment, c'était comme si j'essayais de sentir, de toucher, j'essayais – il n'y avait plus rien! Et c'était une oppression, n'est-ce pas, on essayait d'en sortir, c'était impossible: on était enfermé, esclave, on ne pouvait plus.

Alors j'espère que cela aura des répercussions maintenant.


Un peu plus tard à propos d'Auroville

Les demandes d'admission à Auroville se multiplient à une cadence effrayante ces jours-ci – tous les jours un paquet comme cela – et alors, naturellement, chacun doit envoyer sa photo avec sa demande et dire pourquoi il veut être à Auroville et ce qu'il sait faire et à quelle catégorie il appartient: il y a la catégorie de ceux qui veulent travailler pour le construire et il y a la catégorie de ceux qui voudront venir tranquillement s'asseoir dedans quand ce sera prêt. Et puis une humanité, mon petit!... Ce sont justement tous les insatisfaits généralement. De temps en temps, il y en a un avec une lumière dans les yeux et le besoin de quelque chose qu'il ne trouve pas (alors ça, c'est très bien). Il y a ceux qui n'ont réussi à rien et qui sont complètement dégoûtés et qui se demandent s'ils ne pourraient pas réussir là. Et puis il y a les vieux qui ont bien travaillé et qui veulent se reposer. Il y a très peu de jeunes. Les quelques jeunes sont tous des gens de valeur (la jeunesse ordinaire, ça ne l’intéresse pas). Et les quelques jeunes que j'ai vus sont ceux qui veulent travailler: pas venir profiter du travail des autres, ils veulent travailler. Alors on va bientôt avoir une équipe assez intéressante. Mais (riant) les vieux repus... je «postpone decision» [je remets la décision], «put in observation» [mis en observation] (Mère rit). Hier, il y en avait une quantité comme cela. Ceux-là, on va voir; s'ils veulent être utiles, c'est-à-dire donner de l’argent ou des choses, ou proposer de faire quelque chose, on verra, mais tel que, le gros monsieur bien repu, la grosse dame bien assise là, qui veulent venir passer le restant de leurs jours tranquilles, on leur dit: attendez un peu, on verra!

Pour les travailleurs, on ne leur demande rien, c'est-à-dire qu'ils n'ont pas besoin de payer: ils peuvent venir travailler à condition qu'ils prouvent qu'ils sont utiles. Mais ceux qui veulent un bout de terrain ou un logement, il faut qu'ils payent; alors il y en a qui ont une confiance limitée (riant), qui disent: je vais vous donner un peu d'argent tout de suite et puis je paierai le reste petit à petit, par accomptes – ceux-là généralement je les refuse. Il y en a qui envoient de l’argent d'avance tellement ils ont envie de venir, et alors quand il y a une vie ou quelque chose en eux, je les accepte. Mais la presque totalité, à part deux ou trois, j'ai dit «en observation» – on va voir comment ça réagit!


(Peu après, à propos d'une photo de Mère au Terrain de Jeu, en 1954, entourée des enfants et des disciples.)*

C'était quand j'ai déclaré que je voulais être Indienne, la double nationalité... Le gouvernement de l’Inde m'a dit que c'était «un jour mémorable dans l’histoire de l’Inde»... Je n'en savais rien!1

(Mère regarde attentivement la photo) C'est amusant. Toutes les choses comme cela, quand je les regarde en arrière, j'ai une sensation très aiguë de regarder à mon enfance, tout cela me paraît si enfantin!... Encore dans l’illusion du monde.

Et depuis combien d'années?... Depuis quelque chose comme 1915, j'avais l’impression – tout le temps l’impression – d'agir sur le Commandement: le Commandement qui vient d'en haut, l’impulsion personnelle a disparu. Depuis si longtemps que cela, 1915, et dans cet état-là, il y a toute une évolution et une transformation. Et maintenant, quand je regarde en arrière, non seulement tout ce que je faisais mais la façon de voir, surtout la façon de voir... [me paraît enfantine]. La réaction était déjà comme cela (geste étal, uniforme), parce qu'il y avait eu très grand soin de corriger toute réaction ignorante; la réaction était déjà très comme cela (même geste étal), mais comme cela volontairement, pas comme cela spontanément. C'est la grande différence. N'est-ce pas, cette espèce d'égalité universelle comme cela (même geste) était volontaire, c'était l’effet d'une vigilance constante et d'une volonté constante. Maintenant aussi la vigilance est constante, mais c'est remplacé par la vigilance et la volonté d'être tout le temps comme cela (Mère tourne ses deux paumes comme une coupe vers le haut, formant un triangle pointe en bas, à hauteur du front), tout le temps comme cela au-dedans, tournée au-dedans, comme si chaque cellule était tournée au-dedans vers son centre de lumière – c'est comme cela. Et là, il y a encore une vigilance pour ne pas oublier, pour ne pas fléchir – toutes les cellules tournées au-dedans vers Ça. Et alors, tout cela, tout ce jeu du dehors, oh! comme cela paraît enfantin! Et je fais des choses maintenant qui sont beaucoup plus enfantines, des tas de petites choses qui pour le regard humain ordinaire sont complètement inutiles et tout à fait enfantines – et tout cela, ce n'est pas la même chose... C'est... (geste vaste, souple et lent) comme les vagues et le rythme d'une Harmonie divine qui s'exprime.

Peut-être pourrait-on dire comme cela: au moment de cette déclaration (de 1954), je prenais encore les choses au sérieux. Au moment des «classes», quand je parlais, je prenais tout cela au sérieux.

Et ce n'est pas maintenant de l’indifférence, c'est... Je ne sais pas, les mots ne peuvent pas dire ça, parce que «détachement» ne serait pas exact. Je ne sais pas, il n'y a pas de mots.

Il y a certainement une espèce de perception que l’humanité a donné une gravité, une importance, une... C'est évidemment la structure mentale, c'est tout ce que le mental a ajouté dans le monde: d'abord les différences de valeur, les différences d'importance, et puis une sorte de solennité, et puis, oui, une gravité, une importance, une dignité... Toutes ces choses-là. Tout cela, c'est ce que le mental a ajouté dans la vie. Et maintenant, ça fait sourire.

Comme le besoin de culte chez les gens, le sentiment religieux, cette espèce de awe (comment dire cela en français?... crainte, terreur?) devant la Puissance divine, tout cela, c'est tout ce que le mental a apporté à la vie – ça fait sourire maintenant.

Quand les gens viennent me voir avec cette sorte de gravité, quand ils arrivent comme cela, j'ai tout de suite envie d'éclater de rire! Alors je ris, je souris, je leur fais un accueil tout à fait camarade! (Mère rit) Voilà.

19 octobre 1967

Il paraît que l’Évangile annonce que cette année, il va y avoir une grande bataille...

Dans l’Évangile, cette année!

Pas cette année, mais qu'avant la seconde arrivée du Christ, il va y avoir une terrible bataille... Moi, je n'en sais rien! Mais il y a une dame disciple, en Hollande, qui a écrit une lettre: il paraît que tout le monde est épouvanté là, il y a une panique dans tout le pays (!) et on dit que c'est l’année de la bataille. Et ici dans l’Inde (ils ne se sont pas entendus, n'est-ce pas), les astrologues ont dit que septembre et octobre sont des mois de bataille terrible (peut-être pas la guerre, mais une bataille) entre la Vérité et le Mensonge. Là-bas en Hollande, il paraît que c'est comme en l’an mille: ils se réunissent pour des méditations, des implorations, des prières en commun... Voilà. Et ici, la même chose, ils sont pris de panique.

Mais bataille, il y a. On ne peut pas remuer un doigt sans qu'il y ait une bataille.

Je te donne un exemple très terre-à-terre: le gouvernement me doit cent soixante-quinze mille roupies, j'en ai absolument besoin, il y a six mois qu'ils me le doivent; il y a quinze jours, on m'avait envoyé un papier, alors on m'a dit: ça y est. J'étais soulagée parce que je dois payer avant la fin du mois. Et puis le papier était seulement une promesse de chèque, et maintenant les paiements sont finis, on ne paye plus cette année!... Voilà le genre, tu comprends, et TOUT est comme cela. Si je n'avais pas besoin d'argent, cela me serait bien égal, seulement c'est le «dipâvali», et puis une maison à payer et puis tout accumulé. Et c'est comme cela, la moindre chose on fait une bataille.

C'est comme pour Auroville: il y a toute une partie du gouvernement absolument enthousiaste, et puis trois ou quatre individus ici, dans l’État de Madras, qui sont complètement contre et qui ont des activités terribles: ils arrêtent tout. Des ministres (comme d'habitude) qui viennent, on les voit, ils vous promettent, ils disent: «Je suis avec vous, vous aurez tout ce que vous voulez»; ils quittent la chambre et ils envoient un télégramme à leur «exécuteur»: «Ne signez pas les papiers.» Ce genre de mensonge, tu comprends, partout.

Mais ce qui est amusant: ici, ils sont hindous; là-bas ils sont chrétiens; et les deux se sont rencontrés avec les astres pour dire que c'est cette année, en ce moment-ci.

Et qu'est-ce que tu en penses?

Qu'est-ce que j'en pense? Je sens la bataille depuis longtemps – le champ de bataille sordide, une bataille de méchancetés qui se manifestent partout tant qu'elles peuvent... Moi, il n'y a qu'un remède, c'est d'être tranquille – tranquille et laisser passer l’orage, pas bouger.

On avait dit que nous aurions la guerre avec les Chinois en septembre: ça, on a pu l’empêcher.

Le mois d'octobre n'est pas fini, on verra. Mais qu'il y ait bataille, je l’ai dit au commencement de l’année; j'ai dit que c'est une année où il faut prendre la décision absolument, et puis tenir le coup.

Mais quelquefois on a l’impression qu'il vaudrait mieux que ça éclate extérieurement

(Mère secoue la tête négativement) Pas avec ce qu'ils ont trouvé maintenant. Pas avec ce qu'ils ont trouvé – c'est cela qui les empêche d'ailleurs, ils pourraient détruire des villes entières.

Mais les Russes ont envoyé des appareils sur Vénus, ça a pris quatre mois pour arriver, et dans ces appareils, il y avait des systèmes de connexions comme la radio, qui envoient des nouvelles, et ils ont un truc pour ramasser la terre et l’analyser: tout cela, des machines. Et c'est arrivé sur Vénus, et maintenant tous les jours, ils annoncent les nouvelles: «Comment c'est dans Vénus.» (Mère rit) Ils sont un peu épatants! Les Américains s'étaient contentés de la lune – la lune, on y est bientôt, en deux mois, je crois, peut-être moins que cela. Mais les Russes ont mis quatre mois pour arriver à Vénus et c'est arrivé, ils ont eu la nouvelle, ce sont des trucs électriques qui fonctionnent.

Oui, mais sur la terre, ça ne fonctionne pas!

Sur la terre!... Il y a un humoriste qui a écrit un article racontant que les Américains étaient arrivés sur la lune, et alors ils étaient en train de regarder, lorsque tout d'un coup, ils voient des gens arriver: «Ce sont des lunaires!» Ils ne pouvaient pas se comprendre (ils se parlaient, mais ils ne comprenaient pas), et puis il y en a un qui parlait l’anglais et d'autres langues, et ils ont trouvé que les lunaires étaient les Russes! C'était très amusant.

Enfin, je ne sais pas bien, j'ai lu l’Évangile autrefois mais je ne me souviens plus, je ne savais pas qu'on annonçait là une grande bataille. Je sais qu'on annonce le Jugement Dernier où tous les gens qui ont été enterrés vont ressusciter et comparaître devant le Seigneur-Dieu assis dans son fauteuil (Mère rit) qui va leur dire s'ils sont... (Riant) Il mettra les uns d'un côté et les autres de l’autre!... Je n'exagère pas, c'est comme cela que c'est écrit.

(Puis Mère donne des fleurs) Ça, c'est ma joie. C'est ma joie de la vie.


Peu après

Le docteur est encore tombé (juste la veille au soir de sa «fête»), il est tombé et il s'est abîmé le bras, il paraît qu'il y a une hémorragie interne. Il m'a annoncé ce matin qu'il en a pour plus de deux mois... Mais c'est partout, tout-tout: les gens tombent malades juste au moment où ils ne devraient pas être malades (et ils guérissent quand il n'est pas nécessaire qu'ils soient guéris!). Tu comprends, c'est une petite méchanceté générale tout le temps. Je leur dis (aux êtres invisibles): «Vous êtes stupides», mais ils sont très contents quand on leur dit qu'ils sont stupides; ils disent: «Ils doivent être bien vexés pour nous dire que nous sommes stupides!»

Et j'ai vu... Hier, c'était la fête du docteur, je lui ai donné une méditation (il l’avait demandée). Avant la méditation, il m'a demandé très gentiment: «Oh! je voudrais la paix dans tout mon corps, mon corps n'a pas la paix.» J'ai mis la Paix. Pendant un quart d'heure, il était béatifique, et puis tout d'un coup est arrivé (geste flottant dans l’atmosphère, assez bas) comme un nuage, puis il a eu une sorte d'inconscience: misérable, misérable, si misérable, il était épouvanté. Alors il a fallu que j'arrête la méditation. Et ce n'était pas lui: ça ne venait pas de lui, n'est-ce pas, je voyais (même geste flottant). Moi, je vois, alors ça ne fait rien – je le vois et je vois même le caractère que ça prend, les suggestions que ça donne et tout cela. Et ça vient avec une telle puissance que je suis contrainte de voir – je vois. Et alors il n'y a qu'UNE solution (jusqu'à présent): c'est l’immobilité absolue de la Force suprême – mais pas de riposte, simplement comme cela (geste immobile inflexible). Alors au bout d'un certain temps, ça s'épuise et ça tombe. Mais il faut tenir le coup, et il n'y a pas beaucoup de gens qui puissent tenir le coup – c'est dur. C'est dur, c'est méchant, c'est mesquin, c'est comme ça (geste à ras de terre), et c'est très matériel, très matériel: ça touche les cellules, ça dérange l’ordre. Le corps commence à se sentir mal à l’aise, mal à l’aise: «Qu'est-ce qu'il y a?» Mal à l’aise. Et chez tout le monde, c'est comme cela; ils me demandent ce que c'est, je leur dis: «Tenez-vous tranquilles – paix-paix-paix-paix, comme cela.»

Si on essaye de répondre, c'est beaucoup plus fort que vous: ça entre et puis alors le désordre est dedans et on tombe malade. Ou on tombe par terre comme le docteur.

C'est hideux, tout à fait hideux.


(Peu après, Mère reste concentrée sur la photo d'une Européenne qui est vaguement reliée à l’Ashram.)

...Je ne sens pas. Je n'ai pas de contact – j'ai un contact avec tout le monde, mais je veux dire qu'il n'y a pas d'affinité spéciale: le psychique a l’air tout à fait endormi. C'est vital et intellectuel. Le psychique est endormi, ou il est absent, en arrière, bouge pas.

Ses difficultés doivent être surtout d'ordre mental.

*Qu'est-ce qui peut sauver tout cela?

C'est parce qu'il y en a justement trop comme cela que la terre est en difficulté! Il y en a trop-trop dans le mental: des difficultés mentales, des difficultés mentales... Et on ne passe pas (geste impénétrable), ça ne va pas au travers, ça ne touche pas. Alors c'est un procédé interminable. Et c'est cela qui fait la nécessité de ce... bang! batailles, guerres, conflits.

N'est-ce pas, une foi ardente, une aspiration psychique, un élan, un don de soi, au lieu de toujours: retour sur soi, retour sur soi... Un don de soi, c'est cela qu'il faut pour sauver le monde!

(silence)

La foi mentale, ça ne suffit pas, il faut l’élan psychique – le don de soi, l’abnégation.

Le corps lui-même est en train d'apprendre que chaque fois qu'il pense à lui-même, il y a une petite catastrophe – pas «catastrophe», mais je veux dire à la proportion du corps: catastrophe cellulaire, chaque fois qu'il a un petit retour sur soi. Il faut qu'il s'oublie complètement, qu'il s'oublie, et surtout-surtout pas essayer de trouver le support, le confort, la compréhension, l’aide, rien comme cela (geste horizontal et autour), seulement là (geste paumes ouvertes vers le haut, les deux mains faisant comme un triangle pointe en bas): le seul soutien, c'est le Divin. Le seul soutien. La seule aide, la seule responsabilité. Tout le reste... Il n'y a pas une chose venant d'un être humain ou vers un être humain qui ne soit mélangée; et mélangé, ça veut dire le conflit.

Nous sommes à un moment des extrêmes: et même des extrêmes dans le tout-tout matériel. Est-ce que je vous ai dit l’autre jour que j'avais eu la première fleur d'une plante qui était visiblement le pouvoir supramental – une fleur comme cela (geste), un hibiscus. Et hier, il y a eu la première fleur d'une autre plante, aussi un hibiscus, grand comme cela, blanc comme neige, avec un centre d'une couleur! d'une couleur indéfinissable, on ne peut pas dire... C'est d'un rose doré, mais c'est si beau qu'on se demande comment des couleurs comme cela sont physiques. Une fleur grande comme cela (environ quinze centimètres), la première fleur hier. Et ça, c'était visiblement (n'est-ce pas, ça s'exprimait) la Victoire de l’Amour, le Pouvoir de l’Amour... On dirait que toute cette Nature physique, oh! elle est comme cela (geste d'aspiration intense), elle essaye – elle essaye et il y a une Réponse. Ils ont la bénédiction de ne pas avoir de mental.

C'était beau. Ça ne se garde pas, autrement je l’aurais gardée pour te la montrer, et c'était beau! oh! c'était comme cela (même geste d'élan, d'aspiration): la soif, la soif du Divin, la soif du Divin. Toutes ces ratiocinations mentales, toutes ces complications mentales, tout cela, ça tourne en rond, ça tourne en rond. Oui, ça amène ce qui se passe en ce moment: un conflit sordide, vraiment sordide, entre le Mensonge et la Vérité.

Et le gouvernement est pourri. Des gens qui ont – par tactique, par principe d'action – le mensonge: tromper-tromper-tromper. Et alors, naturellement, se tromper soi-même.

Et tu sais que ce sont les jours de Poudja: il y avait les jours de Dourga et il va y avoir bientôt le jour de Kâli; alors tous les Pouvoirs sont comme cela (geste prêt à frapper) et à la moindre indication fonceraient. Et on est obligé de les tenir (geste d'immobilisation), d'avoir bien soin de ne pas avoir la moindre indignation, sinon...

Et la Conscience suprême là-haut, qui regarde, et alors... Ça, c'est le Sourire suprême.

Je t'ai raconté la rencontre avec Dourga. Et il y a Kâli, là, qui attend. Et naturellement, c'est la grande puissance – la grande puissance, une puissance... n'est-ce pas, elles sont plus fortes, plus puissantes que cette humanité grouillante, et alors si on les laisse partir... Moi, je veux que ce soit l’Amour qui ait la victoire tout de suite – elle l’aura, elle l’aura, mais... pas après tant de déchet.

(silence)

On est arrivé à un paroxysme, parce qu'on a vraiment l’impression que le mental triomphe de la Matière, et il en est convaincu. Convaincu – on va se promener où l’on veut, on sait tout ce qui se passe partout... et on ne sait pas ce qui se passe au-dedans de soi-même.

21 octobre 1967

Hier après-midi, à propos d'une femme qui est dans le coma depuis soixante-cinq jours (!), j'ai eu une expérience. Et alors, après cinquante ou cinquante-cinq jours (il y a toute la famille autour, le fils est parti parce qu'il avait du travail), tout d'un coup, après cinquante-cinq jours, parce que le fils n'était plus là, elle s'est mise à l’appeler! en criant frénétiquement! (Riant) Je crois qu'ils ont tous eu peur... Et alors, les phrases stupides habituelles: «Elle était inconsciente.» Je dis: «Mais bon dieu! pourquoi dites-vous qu'elle est inconsciente, vous n'en savez rien!... Elle ne peut pas s'exprimer, mais elle n'est pas inconsciente.» Elle est tout à fait consciente, seulement les moyens d'expression sont abîmés, elle ne peut plus s'en servir. Et à ce propos, j'ai fait un grand discours, mais il n'y avait personne pour l’enregistrer et je ne peux jamais dire deux fois la même chose. C'est venu clair (Sri Aurobindo était là) et le tableau absolument clair de ce que c'est que la mort... Je ne peux plus le répéter.

À dire vrai, dit pratiquement comme cela (mais ce n'est plus ça), ce que les gens appellent «mort», c'est quand l’instrument d'expression – l’instrument de connexion avec le milieu et d'expression – est détérioré au point de ne plus pouvoir servir, alors il y a un moment où la conscience... l’abandonne. Pour toutes sortes de raisons probablement (dans chaque cas, il doit y avoir d'autres raisons), mais la conscience l’abandonne parce qu'il ne peut plus servir.

Seulement c'était bien hier; maintenant ce n'est rien. C'était vécu. C'était vécu, mais si clair, si concret, si évident, c'était: «Mais les hommes ne savent rien-rien-rien!...» Seulement maintenant, ça a l’air d'une platitude.

(silence)

La vision était si claire (pas vision: vivre, l’expérience), c'était si clair qu'elle contenait en elle-même la raison d'être de la création. On voyait le travail de la conscience pour pénétrer l’inconscient et le rendre plus capable progressivement de manifester la conscience (geste, comme une fleur qui sort de la terre), avec des complications croissantes, mais les complications sont le résultat de l’incapacité de l’inconscient – de la matière inconsciente – qui ajoute one device to another [un mécanisme à l’autre, ou un procédé à l’autre], dans l’espoir de reconstruire la Possibilité suprême. Alors, à travers toutes ces complications et à mesure que la substance se pénétrera de plus en plus de conscience, le besoin de «procédés» deviendra de moins en moins nécessaire, et on pourra revenir à la Simplicité supérieure.

Mais tout cela, vécu, vu – vu –, clair!

(silence)

Et dans chacune de ce que les hommes appellent «vie» – c'est-à-dire l’utilisation d'une partie de la matière organisée dans ce que l’on appelle un corps –, cette utilisation pour arriver au maximum de possibilité de manifestation (de réception et de manifestation) de la conscience.

Naturellement, c'est possible parce que même dans l’inconscient, tout au fond, il y a la conscience; mais ça c'est de la philosophie. Hier c'était l’expérience tout à fait concrète, matérielle, de tout cela.

Et l’individualisation fait partie du procédé, c'est une nécessité du procédé, parce que cela permet une action plus minutieuse et plus directe.

Et quand la Matière sera assez souple pour se transformer sous l’action de la conscience – une transformation constante –, alors cette nécessité d'abandonner là quelque chose qui ne sert plus à rien, ou qui est dans des conditions impossibles, n'existera plus. C'est comme cela que pourra se produire, au moins, une continuité, à volonté, d'existence d'une forme qui était passagère, pour les besoins de la transformation.

Mais hier, l’impression était que [la mort] c'est seulement une vieille habitude maintenant, que ce n'est plus une nécessité. C'est seulement parce que... D'abord parce que le corps est suffisamment inconscient pour (comment dire?) ce n'est pas «désirer» parce que ce n'est pas le mot, mais sentir le besoin du repos total, c'est-à-dire de l’inertie. Quand ça, c'est aboli, il n'y a pas, il n'y a pas de désorganisation qui ne soit réparable, ou en tout cas (le domaine des accidents n'a pas été étudié, mais dans le cours normal des choses), pas d'usure, pas de détérioration, pas de désharmonie qui ne puissent être réparables par l’action de la conscience.

C'est seulement ce résidu (qui est considérable), ce résidu d'inconscient qui demande le repos (geste de dissolution). Ce qu'il appelle le repos, c'est l’état d'inertie. C'est-à-dire le refus de manifester la conscience. C'est seulement cela.

Et puis cette formidable suggestion collective... qui pèse. Ça, le vieillissement... le vieillissement, l’usure et la mort («mort», enfin ce qu'on appelle la mort, qui n'est pas une mort – «mort», qu'est-ce que cela veut dire? annulation, ça n'existe pas, rien n'est annulé), mais enfin l’abandon de la forme parce que la forme refuse de se transformer (c'est à peu près cela), et elle n'est pas réceptive, elle accepte de se détériorer de plus en plus à cause du poids formidable de la suggestion collective – l’habitude de millénaires: «Ça a toujours été comme cela, voilà.» Le grand argument. Ce n'est pas vrai, d'ailleurs.

Mais il y a une telle imbécillité dans ce corps. Par exemple, à chaque moment (ce sont des secondes ou des minutes), mais à chaque moment, il y a le choix entre la continuation de la vieille habitude ou le progrès vers la conscience. C'est tout le temps comme cela. Et par... (comment dire?) avachissement (qu'est-ce que c'est?... ce n'est pas de la mauvaise volonté parce que c'est imbécile; c'est plus imbécile que la mauvaise volonté), il y a une tendance spontanée à choisir la détérioration au lieu de l’effort de progrès, et c'est seulement quand il y a quelque chose comme une conscience un peu éveillée pour dire: «Mais tu es idiot! Tu as passé par beaucoup plus de difficultés que la petite difficulté de faire l’effort de progrès», alors ça, ça a un poids – pas toujours.

Il y a une espèce de connaissance passive (ce n'est pas que le corps ne sache pas que c'est comme cela, il sait que c'est comme cela – c'est de l’avachissement), mais quand il sait et qu'il fait l’effort, ça se traduit toujours-toujours par des lumières, oui, comme des ondes vibratoires, et celles de progrès sont celles qui ont toutes les couleurs, ce pointillé de toutes les couleurs: une lumière qui est faite de toutes les couleurs en pointillé. Ce sont celles qui choisissent le petit effort imédiat de rejeter l’avachissement... Mais ce ne sont pas des événements importants: c'est quelque chose de chaque minute, pour chaque chose, tout le temps, tout le temps, tout le temps – pour tout.

Ce doit être une période. Je ne sais pas quelle est la durée de cette période, mais ce doit être une période parce que c'est évidemment un état de transition. Et alors, quand il y a cette aspiration intérieure, oh!... je les ai vues, les cellules, qui disaient comme cela: «Oh! est-ce qu'il n'y aura pas une possibilité d'être Toi sans effort?» Alors il y a une Réponse si merveilleuse! pendant quelques secondes c'est... (geste béatifique), et puis la vieille routine recommence.

Seulement la grosse difficulté, c'est l’observation mentale: le mental qui observe (un mental pas personnel: un Mental qui observe), et ça rend les choses beaucoup plus difficiles. Si l’on peut occuper le mental, c'est plus facile. Parce que le mental est quelque chose d'extrêmement dur, sec, positif, ouf! logique, raisonnable, c'est effroyable. Effroyable. Et encore, en mettant les choses au mieux: les ondes générales sont pleines (surtout maintenant, à notre époque), sont pleines d'un doute – ignoble – et obstiné! Ils traitent tout cela d'imagination fantastique.

On est amené à lui dire: j'aime mieux me tromper comme cela que de me tromper à ta manière.

(silence)

Et puis, dans la construction psychologique, il y a toutes ces vieilles choses qui viennent de tout l’atavisme humain: être raisonnable, être prudent, être perspicace... prendre des précautions, être prévoyant, oh!... Tout cela qui est le tissu de l’équilibre humain ordinaire. C'est tellement sordide. Et c'est comme cela, toute la mentalisation des cellules est comme cela, pleine de cela, et non seulement à sa propre manière d'être, selon sa propre expérience, mais à la manière d'être des parents et des grands-parents et de l’entourage et de... oh!

25 octobre 1967

Mère lit «Savitri»

A divine force shall flow through tissue and cell
And take the charge of breath and speech and act
And all the thoughts shall be a glow of suns
And every feeling a celestial thrill.
Often a lustrous inner dawn shall come
Lighting the chambers of the slumbering mind;
A sudden bliss shall run through every limb
And Nature with a mightier Presence fill.
Thus shall the earth open to divinity
And common natures feel the wide uplift,
Illumine common acts with the Spirit's ray
And meet the deity in common things.
Nature shall live to manifest secret God,
The Spirit shall take up the human play,
This earthly life become the life divine.

(XI.I.710)

Une force divine coulera dans les tissus et les cellules
Et s'emparera du souffle et des paroles et des actes
Toutes les pensées deviendront un flamboiement de soleils
Et chaque sentiment un frémissement céleste.
Souvent une aurore intérieure viendra briller
Illuminant les chambres du mental endormi;
Une béatitude soudaine parcourra les membres
Et la Nature s'emplira d'une Présence plus formidable.
Ainsi la terre s'ouvrira à la divinité
Et les natures ordinaires sentiront le vaste soulèvement
Les actes ordinaires s'illumineront du rayon de l’Esprit
Et la terre découvrira le divin dans les choses ordinaires.
La Nature sera la manifestation vivante du Dieu secret
l’Esprit s'emparera du jeu humain,
Cette vie terrestre deviendra la vie divine.

(Puis Mère tend une petite fleur du désert:)

Regarde! ça pousse dans le désert, sans eau, et ça ne meurt pas.

Oh! que c'est joli!

Tu sais, ça ressemble aux edelweiss qui poussent dans la glace. Et ça, c'est dans le désert. Et c'est comme du velours. Ça n'a pas de parfum, mais ça ne meurt pas. C'est une fleur sans eau. Quelqu'un m'a envoyé cela. Je trouve cela très intéressant. Il y a des merveilles dans la Nature. Et tu vois ce petit point rouge...

(Sujata:) Oui, Mère, c'est comme une petite fleur d'immortalité.

Je t'en donne une, mais il faut la garder soigneusement1...

(Satprem:) Au fond, c'est l’eau de la vie qui pourrit

Oui, c'est l’eau qui pourrit. l’edelweiss ne meurt pas, j'en ai eu un: après dix ans, il était intact. Quand on déshydrate les choses, elles ne meurent plus.

Attends, je vais vous montrer quelque chose (riant) parce que vous êtes bien gentils... Tu vois ça (Mère montre une grosse rose rouge d'un type particulier): c'est Sri Aurobindo. Sur toute la terre, les gens qui font pousser cette rose, c'est Sri Aurobindo. Ça devient grand comme cela.

(Sujata tend une variété d'hibiscus blanc à Mère)

Quand on allume la lumière (j'ai une lumière en tube, un néon), ça ne fane pas. Ces fleurs-là, tu les mets avec la lumière dessus, ça ne bouge pas, et j'en ai vues qui étaient à moitié fermées, qui se sont ouvertes. Elles aiment cette lumière-là. J'en mets l’après-midi dans un bol avec de l’eau (elles sont plus ou moins fermées déjà), j'en mets une ou deux là, sous la lumière: elles s'ouvrent!

Ça a une sensibilité que l’on ne connaît pas.

Quelquefois le matin, j'ai un bouton de rose qui est fermé, alors je le prends hors de l’eau comme cela (geste de caresser la fleur tout autour) et je ne le touche pas... il s'ouvre!

Et on dit que c'est inconscient!


(Le reste de l’entrevue se passe en méditation. Vers la fin, le disciple se sent un peu mauvaise conscience de n'avoir pas fait parler Mère:)

Je te pose rarement des questions parce que je ne fais pas beaucoup travailler le mental.

Non, tu sais, de plus en plus je vois, l’action du mental dans la vie est horrible. Évidemment, in the long run [à la longue], à la fin de la courbe, il apportera une précision, une exactitude qui n'existait pas sans le mental, mais maintenant les hommes ont fait de cette précision et de cette exactitude la vérité, et alors ça a tout gâté. Quand ce ne sera plus qu'un instrument de manifestation, ce sera très utile. Mais pour le moment encore, c'est... Je commence à voir dans des petits détails comment cela vient ajouter quelque chose à la manifestation, mais dans son labeur quotidien, c'est horrible.

Et de plus en plus, les gens m'inondent de questions – m'inondent, c'est à la cadence de vingt-cinq, trente, quarante lettres par jour, et là-dessus il n'y en a peut-être pas deux qui valent la peine, et encore ce sont des lettres de commençants qui essayent de trouver le chemin, alors on peut leur donner un petit push [poussée], comme cela. Autrement j'ai très grand soin de le tenir tranquille.

Mais enfin, on peut voir le cahier de ce garçon (un jeune disciple qui pose régulièrement des questions à Mère). Qu'est-ce qu'il veut?

«Douce Mère, pourquoi, dans l’Ashram même, a-t-on envie de faire des petits groupes et sociétés, par exemple "World Union", "New Age", etc.? Quelle est leur raison d'être?»

Raison d'être! (Riant) Ça a une raison d'être?... Je vais simplement lui répondre: «Parce que les hommes aiment faire des groupes.» Tout simplement, rien à dire.

(Mère écrit, puis s'interrompt après un silence)

Je vais le bouleverser un peu, non?

Oui.

(Mère finit d'écrire et tend son cahier)

«C'est parce que les hommes s'imaginent encore que pour faire quelque chose d'utile, il faut se mettre en groupe. C'est la caricature de l’organisation.»

Ça suffit, non?

World Union!... Ils se sont vraiment imaginés qu'ils allaient faire faire un progrès à l’humanité!... Mais quand je dis aux gens que la création d'une ville comme Auroville a plus de poids dans l’histoire de la terre que tous les groupements du monde, ils ne me croient pas. Ils ne croient pas, les gens pensent que cela n'a aucune importance, c'est une fantaisie.

J'avais demandé à Sri Aurobindo une fois (parce qu'on avait beaucoup discuté d'Auroville et qu'il y avait beaucoup de difficultés), je lui ai demandé (parce que c'était une idée que j'avais – pas une «idée», c'était un besoin qui s'était exprimé il y a peut-être trente ans – plus de trente ans, presque quarante ans), alors je lui ai demandé, et il m'a répondu ceci (je te l’ai dit, je crois): «It is the best chance men have to avoid a general conflict» [c'est la meilleure chance qu'aient les hommes d'éviter un conflit général]. Voilà.

Alors, depuis qu'il m'a dit cela, je travaille très sérieusement. Et, n'est-ce pas, ce n'était pas «dit»: c'était vu.

Seulement je vois bien, ils n'y croient pas, il n'y a personne qui sente. Alors est-ce que?... Et la matérialisation concrète de l’esprit d'Auroville n'a pas eu lieu encore, ça n'existe pas, il n'y a pas une formation dans l’atmosphère terrestre de «l’esprit d'Auroville», qui est un esprit... (Mère reste longtemps absorbée)... Au fond: «l’art de faire une unité avec la complexité.» Sans uniformité, n'est-ce pas: l’unité par l’harmonie de la complexité, chaque chose à sa place...

C'est très difficile.

Quand R était ici la dernière fois (l’architecte d'Auroville), il m'a dit: «Quand est-ce que l’on va créer l’atmosphère d'Auroville? Tous les gens se disputent!» (Mère rit) J'ai dit: «Oui, c'est cela, la difficulté»... Et ça continue. Mais enfin il y a une Pression d'en haut, comme cela, une Pression. On va voir.

C'est encore un symbole.

Chaque petit groupe se croit un symbole – ça aussi, c'est un symbole.

Et à mesure que la formation descend pour se manifester, toutes les oppositions se lèvent, les contradictions se lèvent, les complications viennent, et à l’intérieur, on voit bien, ils ne comprennent pas. Alors moi, je passe mon temps à leur dire: «N'essayez pas d'organiser, n'essayez pas d'organiser, vous allez fossiliser l’affaire avant qu'elle ne soit commencée.»

Moi, je voulais que ça pousse comme cela, spontanément, avec tout l’imprévu. Mais alors, on a à faire face à tous les règlements: on est dans un pays [l’Inde] – il faudrait le faire dans une île déserte! Mais ça n'existe plus dans le monde, il n'y a plus d'île qui n'appartienne pas à une nation – on est pris, on est englué.

Enfin, on fera cahin-caha, aussi bien qu'on peut.

C'est une tentative, c'est tout.

Mais ce que Sri Aurobindo voulait dire, c'est que le mouvement, le mouvement général était vers une catastrophe, et c'était pour dévier le courant de force.

Mais je me suis demandé si la Tour de Babel, dans la mesure où c'est une histoire vraie, n'était pas une tentative analogue? Un essai d'harmoniser les hommes?... On nous le présente de l’autre manière, mais je me suis demandé si ce n'était pas cela.

On verra.

Maintenant, intégralement, y compris la conscience la plus matérielle, la conscience corporelle, c'est: laisser toute la responsabilité au Seigneur – ce qu'il veut, sera, et puis voilà tout. Quand Il veut que l’on fasse quelque chose, on le fait, mais après tout... Simplement on le fait parce qu'il vous dit de le faire. Et puis il arrivera ce qui arrivera. Et alors, si l’on a envie de savoir, on se met dans l’attitude du Témoin et on regarde. Et ça, c'est très amusant! Dès que l’on est dans l’attitude du Témoin, c'est très intéressant – très intéressant – et on a le sourire.

C'est comme cela.

Le corps a appris à être comme cela aussi pour les moindres choses, alors c'est bien.

Voilà.

28 octobre 1967

(Mère essaie vainement de passer une fleur de «transformation» à sa boutonnière.)

Tu veux que je t'aide?

Non (Mère ferme les yeux et passe la fleur dans sa boutonnière). Quand je ferme les yeux, je vois, (rires) Mais c'est vrai! Et je ne le fais pas exprès: quand je veux voir, je ferme les yeux, alors je vois! Et c'est tellement naturel et spontané que je ne m'en aperçois même pas; quand je veux faire quelque chose, si je veux bien voir, je ferme les yeux.


(Puis arrive Nolini, qui doit lire à Mère sa traduction anglaise des «Notes» pour le prochain Bulletin.)

Je me suis demandé comme cela: peut-être que si je n'écoutais pas, j'entendrais bien! (Nolini regarde Mère avec un certain ahurissement.) Non, je disais tout à l’heure que quand je veux voir bien, d'une façon précise, je ferme les yeux, alors je vois très bien. Je le fais spontanément (je l’ai remarqué parce que Satprem me demandait ce qui se passait). Mais je n'entends pas, alors peut-être que si je n'écoutais pas et que je rentrais comme cela, au-dedans de moi, peut-être que j'entendrais? – Il doit y avoir un truc!

(Satprem:) Ça dépend de la conscience avec laquelle on lit.

Oui. Oh! il y a des gens qui parlent presque bas et que j'entends parfaitement. Il y a des gens qui hurlent et je n'entends pas un mot; c'est-à-dire que j'entends du bruit mais je ne comprends pas. C'est cela, n'est-ce pas, c'est la précision de la conscience: si la conscience est précise, je comprends; si la conscience est confuse, je ne comprends rien du tout.

On va essayer! (lecture)


Après le départ de Nolini

Ah! je vais te montrer une photo qui a été prise l’autre jour, le jour de la fête de P (Mère tend la photo au disciple).

Ce n'est pas moi qui regarde là-dessus: c'est le moment où je donne un «bain du Seigneur».

Même dans la photo, on voit la lumière dans les yeux.

Il y a des gens qui ont peur, il y en a au contraire qui sont contents – c'est une classification imédiate. Et je sais, je sais quand j'ai cet air-là: c'est-à-dire qu'il n'y a plus de conscience personnelle à ce moment-là, c'est tout à fait parti. Il n'y a plus l’impression d'une personne: c'est la Force.

Mais c'est la première fois qu'on le fait en photo. T m'avait demandé la permission de venir prendre des photos.

P a l’air d'un géant à côté.

C'est le gardien!

(Mère rit)

30 octobre 1967

On m'a demandé un message pour transmettre le 21 février dans l’Inde à tous les postes de radio. J'ai dit: «Bon, je donnerai.» Mais ils veulent l’avoir d'avance. Et j'ai vu si clairement: si je le donne maintenant, ça appartiendra à la période de Kâli, de la lutte – j'ai fortement l’impression qu'à partir de l’année prochaine, l’atmosphère se... (geste de soulèvement) s'éclaircira. Je ne sais pas pourquoi. Alors il vaudrait mieux attendre au mois de janvier. Parce que mentalement, on peut toujours imaginer et dire, mais pour moi ce n'est pas comme cela: ça vient ou ça ne vient pas. Alors il y a tout un ensemble de choses qui vient mais qui appartient à un certain état de conscience, et ce n'est pas l’état de conscience de l’année prochaine.


(Pour la «fête» du disciple, Mère a donné trois cartes qui représentent toutes des bateaux, puis un plateau de métal peint qui représente également un bateau.)

Ça, (le plateau), c'est pour l’amusement!

(Mère donne les cartes:) Il y en a trois: une-deux et trois.

Rien que des bateaux!... Je vais voyager?

Non-non! Voyager dans l’espace.

Tu liras après, ça n'a pas d'importance...

(première carte)

«...Pour l’éveil de la Conscience Suprême et de son pouvoir de vision.»

(deuxième carte)

«...Pour que les plus beaux rêves deviennent des réalités vivantes et vraies.»

(méditation)

Tu demandais, pour tous ces bateaux, si c'était l’indication d'un voyage... Tu sais que c'est toujours le symbole du yoga, de la discipline que l’on suit, et chacun a une forme particulière de transport (!) Les uns, ce sont des avions; les autres ce sont des trains; les autres... Mais le plus souvent, c'est le bateau, et surtout ce grand bateau à voile, classique. Et pour toi, c'est très clairement le symbole de ta marche vers la réalisation. Alors toute l’année, chaque fois qu'il vient un bateau, je le mets de côté pour toi!

Est-ce que je marche?

Mais cette fois-ci, tout s'est assemblé comme si c'était... C'était clairement avec l’humour de Sri Aurobindo (beaucoup de ces cartes ont son portrait). Et la fin, c'était le plateau! Quand j'ai reçu ce plateau, oh! j'ai dit: «Ça, c'est parfait!» (Mère rit)

Et Sri Aurobindo était lui-même très insistant parce que... Pour dire la vérité, je lui ai demandé (pour cette vision que tu voudrais avoir, cet état de vision), je lui ai demandé que ce te soit donné, que tu Taies puisque tu aspires à l’avoir. Et alors il m'a dit (j'ai écrit sur l’une des cartes ce qu'il m'a dit): la vision que tu auras, ce sera la vision de la Conscience-de-Vérité. C'est la vision suprême, la vision vraie (on a des visions dans le physique subtil, dans le vital, beaucoup dans le mental, mais... tout cela n'est pas satisfaisant, on a toujours l’impression d'une transcription qui n'est pas très exacte), mais la vision vraie, c'est la vision de la Conscience, de la Conscience suprême. Et alors, il m'a dit que c'est cela que tu aurais.

Et le bateau, c'est le développement, le moyen d'avancer vers cette réalisation. Et tout est venu comme cela.

Alors j'ai tout lieu d'espérer que ce sera pour cette année. Parce que c'est venu comme cela.

Je me fais aussi beaucoup de soucis pour ce livre, ce «Sannyasin» que je suis en train de réécrire... Cette difficulté de transcrire PUREMENT.

(Après un long silence) Moi, j'ai toujours eu l’impression que d'écrire, était ta manière de faire la sâdhanâ. N'est-ce pas, ce n'est pas la méditation ni rien de tout cela, mais que d'écrire, c'était ta manière de faire la sâdhanâ. Je vois une sorte de transmutation qui se produit en toi quand tu écris. Pas seulement quelque chose que tu appelles «personnel», une chose qui est «ta» façon d'écrire ou «ton» livre, pas seulement cela: mais formuler de la manière la plus exacte, la plus précise, est ta manière de faire la sâdhanâ. C'est une sâdhanâ là-haut.

C'est-à-dire qu'à ma vision, le processus d'expression est plus important que le résultat extérieur. C'est un résultat intérieur (qui ne s'exprime pas en mots) qui est beaucoup plus important que le résultat extérieur. Et la dernière fois, quand tu as écrit le livre sur Sri Aurobindo, c'était tout à fait clair; et avec le dernier aussi (la première version du Sannyasin), mais c'était encore plus: c'était cette espèce de transmutation intérieure qui était beaucoup plus importante que ce que tu écrivais – à ma vision.

C'est un procédé d'élaboration intérieure de ta conscience.

Et ce qui est arrivé pour la fin (de la première version du Sannyasin que le disciple a rejetée), c'était juste parce que le moment de la transmutation finale (je ne sais pas comment expliquer... ou transformation – plus que transformation), transmutation finale n'était pas encore arrivé. C'était proche, mais c'était encore en tangente. Voilà. C'était comme cela (geste montrant deux lignes qui se rapprochent), ça se rapprochait.

C'est ce que je voyais tout le temps.

Et l’expression – l’expression qui te donnera l’impression... tu pourras dire: «Voilà, c'est ça!», ça viendra avec l’aboutissement de la sâdhanâ.

Ça aussi pour cette année. C'est très proche, mais c'est en tangente. Ça se rapproche, ça se rapproche, et...

Ah! une bonne année.

novembre




4 novembre 1967

(À propos d'une tempête qui coïncidait avec le poudja de Kâli.)

Tu n'est pas inondé, non? Dans la chambre là-bas, ça tombait sur la table à côté de ma chaise, alors j'avais mis un pot de fleurs et je donnais toutes les fleurs mouillées aux gens!

Elle est calmée, Kâli?

(Riant) Peut-être que ça l’a douchée!

Elle a ri... Elle sait rire aussi!


(Peu après, il est question des anciens Entretiens de Mère, de 1950 à 1958, dont le disciple prépare la première édition. Nous nous plaignons de ne plus retrouver les textes originaux:)

Q était très libre dans ses mouvements, il y a même des Entretiens qu'elle a détruits – ça ne lui plaisait pas!

Pendant longtemps, je me suis servi des Entretiens que Q avait laissés, jusqu'au jour où je me suis aperçu que c'était complètement tronqué. Puis j'ai fini par découvrir une autre collection, et je m'aperçois que cela aussi, ce n'est pas l’original absolu. Alors, chaque fois, c'est un travail énorme de tout recollecter pour retrouver exactement l’original.

Mais qui enregistrait?

Au début, on enregistrait sur «fil»; il n'y avait pas assez de matériel, alors on notait et puis on effaçait. Mais au moins, si l’on pouvait retrouver ce qui était noté... Seulement l’«original» que j'ai retrouvé a été modifié, ce n'est plus l’original!

Oh! quand on parle, on fait des tas de fautes, les phrases ne sont pas finies...

Mais cela ne fait rien! J'ai remarqué (parce que voilà des années que je m'occupe de la chose), j'ai remarqué que même quand la phrase est incomplète, ça a une valeur de la laisser comme elle est, incomplète, parce qu'il y a une espèce de rythme intérieur dans ce qui est dit, qui est détruit si on ne laisse pas la chose comme elle est

Ça, je pouvais dire quand cela venait d'en haut... Ce n'était pas toujours pareil; il y avait des jours où je parlais: ce n'était pas la conscience ici, ça venait comme cela (geste de descente), et même, comme tu dis, même quand les phrases s'arrêtaient, c'était tout-tout avec une Volonté consciente.

Il y avait d'autres jours où c'était beaucoup plus superficiel – c'était sans importance, ça avait beaucoup moins de valeur.


Mère entre dans une longue contemplation

Un moment très difficile.

(long silence)

C'est en plein travail et... rien à dire, impossible. Impossible.

La chose la plus difficile dans le monde matériel, ici, c'est de lutter contre le résultat de tous ces millénaires d'expériences qui ont fait une sorte de conscience pessimiste et défaitiste – une conscience générale, n'est-ce pas, comme cela (geste enveloppant la terre). Et cela ne se formule pas avec dos mots, mais ça peut se traduire comme cela pour cette conscience-là: «Oui, nous ne nions pas l’existence de toutes ces choses divines, mais ce n'est pas pour nous, c'est pour... (geste là-haut)

Très misérable. Une sorte d'état comme cela, général, très misérable. Et c'est cela, n'est-ce pas, c'est cela que tous les gens qui ont eu les expériences d'en haut ont vu, et ils ont dit: c'est hopeless [sans espoir].

Ce n'est pas, ce n'est pas hopeless du tout (naturellement pas), mais cela demande une vigilance, un soin constant-constant-constant.

(silence)

Voilà, alors on verra.

Et en même temps, le travail est devenu («travail», pas le vrai travail: le travail extérieur, le nombre des gens, le nombre des lettres), c'est devenu formidable... J'en vois bien la raison, c'est parce que (silence)... les circonstances viennent pour que le corps n'ait plus le sens de la personnalité. Mais c'est très difficile.

C'est très difficile.

Il peut très bien, mais dans la partie la plus consciente.

8 novembre 1967

(Mère commence par lire pour la radio indienne le message qu'elle a l’intention de diffuser pour le 21 février 1968 à l’occasion de ses quatre-vingt-dix ans.)

«It is not the number of years you have lived that makes you old. You become old when you stop progressing. As soon as you feel you have done what you had to do, as soon as you think you know what you ought to know, as soon as you want to sit and enjoy the results of your effort, with the feeling you have worked enough in life, then at once you become old and begin to decline. When, on the contrary, you are convinced that what you know is nothing compared to all that remains to be known, when you feel that what you have done is just the starting point of what remains to be done, when you see the future like an attractive sun shining with innumerable possibilities yet to be achieved, then you are young, howsoever many are the years you have passed upon earth, young and rich with all the realisations of tomorrow. And if you do not want your body to fail you, avoid wasting your energies in useless agitation. Whatever you do, do it in a quiet and composed poise. In peace and silence is the greatest strength.»

(Traduction:)

«Ce n'est pas le nombre d'années vécues qui vous rend vieux: vous devenez vieux dès que vous cessez de progresser. Quand vous sentez que vous avez fait tout ce que vous aviez à faire, quand vous pensez que vous savez tout ce que vous devez savoir, quand vous voulez vous asseoir et jouir du résultat de votre effort avec le sentiment que vous avez assez travaillé dans la vie, alors imédiatement vous devenez vieux et vous commencez à décliner. Quand, au contraire, vous êtes convaincu que ce que vous savez n'est rien en comparaison de tout ce qui reste à savoir, quand vous sentez que ce que vous avez fait est juste le point de départ de tout ce qui reste à faire, quand vous voyez l’avenir comme un soleil attrayant et rayonnant de toutes les innombrables possibilités qui restent à accomplir, alors vous êtes jeune, quel que soit le nombre d'années que vous avez passées sur la terre, jeune et riche de toutes les réalisations de demain. Et si vous ne voulez pas que votre corps vous trahisse, évitez de gaspiller vos énergies en agitation inutile. Quoi que vous fassiez, faites-le dans le calme et l’équilibre. La plus grande force est dans la paix et le silence.»

Voilà.


Nous avons passé une longue partie de la nuit, depuis à peu près onze heures jusqu'à... oh! longtemps, jusqu'à trois heures du matin, ensemble, à travailler – travailler, se déplacer. Et ce sont des endroits – des espèces de maisons, des paysages –, des endroits très-très-très connus où je vais périodiquement, et dans une atmosphère qui leur est spéciale et pour un travail spécial, et il y a des montagnes, il y a des routes qui descendent, il y a... Et c'est toujours pareil: c'est un endroit qui existe d'une façon permanente; mais ce qui s'y passe est chaque fois différent (comme dans la vie). Et l’abord est différent: quelquefois je marche, quelquefois je suis en voiture, quelquefois j'ai des moyens de transport très particuliers! Et je n'y rencontre pas toujours les mêmes personnes, et je n'y fais pas toujours le même travail, mais la qualité de l’atmosphère (Mère fait le geste de palper l’air) reste toujours la même. Et c'est un certain endroit d'organisation: de pouvoir d'organisation.

Mais il y a des années et des années et des années que je connais cet endroit-là et que j'y vais. Mais la nuit dernière, j'y ai passé... oh! j'y ai bien passé trois heures – trois heures de notre temps d'ici (je ne sais pas combien c'était là-bas).

Et je t'ai rencontré, et je t'ai parlé et je t'ai expliqué des choses et nous avons fait des choses ensemble: il y avait tous les détails précis, méticuleux, tout cela... Quand je me réveille, si je restais tout à fait immobile, je me souviendrais, mais autrement je n'ai que l’impression, et puis quelques images comme cela qui viennent (geste épars, comme si Mère touchait divers points d'un tableau, qui sont les bouts d'images restants), et l’impression, le souvenir du genre de travail, et alors... C'est un endroit qui est évidemment en rapport avec la construction de l’avenir sur la terre.

Mais je suis sortie de là avec une grande satisfaction et la constatation que les choses allaient beaucoup mieux... N'est-ce pas, on voyait: l’avenir était plus clair.

Et généralement, je ne reste pas si longtemps que cela – ce devait être un moment décisif.1


(Puis Mère passe à divers travaux et remarque au passage:)

Ah! j'ai vu hier l’ex-frère A. Il est venu me voir (il avait demandé, alors je l’ai appelé). Il est entré, il m'a donné un bouquet de fleurs; il s'est assis par terre et il m'a regardée, et nous nous sommes regardés au moins pendant cinq minutes; et puis j'ai souri, alors il a fait un grand «pranam», puis il s'est levé et il est parti. Et je l’ai trouvé très réceptif, très réceptif, et très sincère dans son aspiration de se trouver lui-même, de trouver son âme. Très bien, très concentré, très bien. J'ai été très satisfaite. Enfin il s'est comporté tout à fait bien. C'était très paisible et très réceptif.

Et puis, il y a eu un moment où j'ai souri comme cela (je ne sais pas pourquoi), et alors il s'est levé et il est parti. C'était bien.

Il est sincère, il ne vient pas avec une intention derrière la tête – pas du tout comme l’autre (Madame Z).

(silence)

Et puis le 11, c'est la fête de M. Elle est née le onze, du onzième mois de 1911 – onze, c'est le chiffre du progrès. Spirituellement, ça ne l’intéresse peut-être pas beaucoup, mais matériellement, c'est une femme qui vraiment aime bien faire et veut bien faire et aime à faire bien ce qu'elle fait.2


(À la fin de l’entrevue, Mère revient à l’expérience du début:)

C'était très bien la nuit dernière – tu es très conscient, très conscient.

!!!

C'est le joint qui n'est pas là (Mère montre une mince épaisseur entre le pouce et l’index). Moi-même, n'est-ce pas, quand je reviens, il y a tout un monde qui s'efface. C'est là: si je faisais effort, ça reviendrait, mais ça prend du temps et c'est difficile et il faut être très tranquille, il ne faut pas être occupé. Mais c'est un monde très proche de notre monde, très actif ici, et c'est pour cela: là-haut, on se souvient beaucoup mieux, les choses qui sont tout en haut, mais ce qui est proche comme cela, c'est difficile.

Je dois y aller presque tous les jours probablement, mais en passant; tandis que cette nuit, c'était remarquable. Et tu étais là tout à fait à l’aise, enfin c'était... tu es là comme une chose coutumière – je t'y vois très souvent d'ailleurs. Mais hier, c'était très prolongé: toutes sortes d'explications, de démonstrations, d'organisations, et puis on a des endroits, là, où l’on voit, on voit le monde d'en haut. C'est tout proche de la terre.

Tu sais, il suffit juste d'une chose mince comme une feuille de papier, quelque chose qui n'est pas développé, et alors la conscience en passant de là à là (geste entre deux), elle oublie. Là, elle oublie.

Mais les effets, le résultat, on l’a – on l’a: du dedans, ça ressort. Ce n'est pas que l’on soit coupé, c'est seulement la conscience active, le souvenir actif qui n'est pas là.

Voilà, au revoir mon petit.3

10 novembre 1967

Encore cette nuit, pendant longtemps au même endroit. Et c'est curieux parce que le souvenir précis de tout ce qui s'est passé, je ne pourrais pas le raconter, mais dans toutes les circonstances du matin et à tout moment, il y a l’impression: «Ah! décidé cette nuit... ah! vu cette nuit...» Comme cela. C'est curieux. Et c'est toujours la veille, la nuit avant le jour où je te vois.


(Mère lit le message qu'elle a l’intention de distribuer pour le 1er janvier 1968:)

«Remain young.
Never stop striving towards perfection.»

«Reste jeune, ne cesse pas de tendre vers la perfection.»1


(Puis Mère entre dans une longue contemplation qui dure près de trois quarts d'heure.)

Tu n'as rien à dire, rien à demander?... Moi, je peux rester comme cela indéfiniment. Ça ne m'arrive jamais, remarque2 – oui, pendant une minute, deux minutes, mais comme cela, un long moment, ça me fait comme une espèce de bain de lumière tranquille: il n'y a plus rien, plus rien ne bouge, c'est tout lumineux, paisible, tranquille... une sorte de béatitude.

Ouf!

15 novembre 1967

Tu n'as rien à dire?

Non, on a l’impression qu'à moins qu'il ne se produise quelque chose de miraculeux au sens où les hommes l’entendent, eh bien, il faudra beaucoup de siècles.

Mais tu n'as jamais espéré que cela ne prendrait pas de temps!

Oui, évidemment.

Mais je n'ai jamais cru – je n'ai jamais cru que cela pouvait venir vite. D'abord, il n'y a qu'à essayer, comme je fais, sur son propre corps, voir la différence entre la matière telle qu'elle est, la constitution telle qu'elle est, et puis... enfin ce que nous pouvons concevoir d'une existence divine – c'est-à-dire «divine», qui ne soit pas à chaque seconde liée à l’obscurité d'une matière quasi inconsciente... Combien de temps cela prendra? Combien de temps cela a pris pour changer la pierre en plante, la plante en animal, l’animal...? Nous n'en savons rien, mais à la manière dont les choses vont... Maintenant qu'ils sont si calés pour calculer, quand pensent-ils que la terre ait été formée? Combien de milliards d'années? Et tout cela, pour en être où nous en sommes.

Naturellement, plus ça va, plus ça va vite, c'est bien entendu, mais vite... Vite?

Si le processus doit être «naturel», eh bien, cela prendra une éternité.

Non! Ce n'est pas une question de naturel. La Nature a organisé progressivement les choses pour la manifestation de la conscience, c'est-à-dire que tout le travail a été de préparer l’Inconscient de façon à ce qu'il puisse devenir conscient. Naturellement, maintenant, la conscience est au moins en grande partie là; alors ça va beaucoup plus vite, c'est-à-dire que le plus gros du travail est fait, mais encore, comme je l’ai dit, quand on voit à quel point c'est lié à l’Inconscience, à une semi-vague conscience, et que les hommes qui ne savent pas sentent encore la «fatalité», le «destin», ce qu'ils appellent la «Nature» et tout cela qui domine et qui gouverne; eh bien, pour que le dernier changement se fasse, il faut que tout cela devienne pleinement conscient, et pas seulement à la manière mentale – ça ne suffit pas –, à la manière divine! Alors il y a beaucoup à faire.

C'est justement ce que je vois tous les jours avec ce pauvre petit corps-là et puis tout ce qui l’entoure (geste grouillant autour), toute cette substance comme cela, oh!... rien que: maladies, misères, désordres, oh! – tout cela n'a rien à voir avec le Divin! Une masse inconsciente.

Ce que tu veux dire: à moins que quelque chose ne vienne et PAR FORCE, change cela?

Oui.

Mais Sri Aurobindo a dit (j'ai lu cela il y a deux jours, je ne sais pas où il l’a écrit parce que c'était une citation), que si la Conscience divine, la Puissance divine, l’Amour divin, la Vérité se manifestait trop rapidement sur la terre, la terre serait dissoute! Elle ne pourrait pas le supporter... brrf!

Je traduis, mais l’idée est là!

Enfin, peut-être pas la haute dose divine, mais une petite dose divine!

(Mère rit) La petite dose, elle est toujours là, il y a toujours une petite dose! Il y a même une assez forte dose, et si l’on regarde Ça, on est émerveillé. Mais c'est justement à cause de Ça qu'on voit encore comme... comme les choses sont.

N'est-ce pas, il n'y a pas de jour où il n'y ait la constatation que, pas une dose mais une toute petite goutte, une goutte infinitésimale de Ça, cela peut vous guérir en une minute («cela peut»: ça vous GUÉRIT, ce n'est pas «cela peut»), que l’on est tout le temps comme cela en équilibre, que la moindre défaillance, c'est le désordre et la fin, et que juste une goutte de Ça... cela devient la lumière et le progrès. Les deux extrêmes. Les deux extrêmes à côté l’un de l’autre.

C'est une constatation que l’on fait au moins plusieurs fois par jour.

Mais naturellement, si cet instrument-là (Mère) était fait pour constater, expliquer, décrire, il pourrait dire des merveilles, mais voilà... Je pense... je ne sais pas, mais ça a l’air d'être la première fois que l’instrument, au lieu d'être fait pour apporter la «Nouvelle», la «Révélation», donner l’éclair, a été fait pour... essayer de réaliser: faire le travail, la besogne obscure. Et alors, il constate, mais il n'entre pas béatifiquement dans la joie de la constatation, et il est obligé à chaque minute de voir que, malgré ça, combien de travail reste à faire!... Et alors, lui, ne pourra se réjouir que quand le travail sera fait – qu'est-ce que cela veut dire, le «travail fait»? – Quelque chose qui est établi. Cette Présence divine, cette Conscience divine, cette Vérité divine se manifeste comme cela, par éclair, et puis... tout continue à aller son petit bonhomme de chemin – il y a un changement, mais un changement imperceptible. Eh bien, pour lui (le corps), c'est très bien, je suppose que c'est cela qui soutient son courage et qui lui donne une espèce de paix souriante malgré ce qu'il y a de très peu satisfaisant dans le résultat; mais cela ne peut pas le satisfaire, il ne sera satisfait que... quand ce sera fait, c'est-à-dire quand ce qui est maintenant une révélation – éblouissante, mais de courte durée –, sera un fait établi; quand vraiment il y aura des corps divins, des êtres divins et qui auront affaire avec le monde d'une façon divine, alors là... là, il dira oui, ça y est; mais pas avant. Eh bien, cela, je ne crois pas que ça puisse être pour tout de suite.

Parce que je vois bien, je vois bien ce qui est en train de travailler... Je te l’ai dit, il y a de ces choses qui, oui, si j'étais destinée à raconter et à expliquer et à prédire, avec cela on pourrait faire tout un enseignement, avec UNE de ces expériences – j'en ai au moins plusieurs par jour. Mais ça ne sert à rien, n'est-ce pas, je le sais!

Et ce n'est pas une impatience, ce n'est pas même un manque de satisfaction, ce n'est pas cela du tout, c'est une... une Force, une Volonté qui avance pas à pas et qui ne peut pas s'arrêter pour raconter, pour se complaire dans ce qui est fait.

(silence)

Y a-t-il quelque part sur la terre un être vraiment divin, c'est-à-dire qu'aucune loi de l’Inconscience ne régit?... Il me semble qu'on le saurait. Si cela existait et que je ne le savais pas, il faudrait que je me dise que je dois avoir quelque part une bien grande insincérité pour que cela puisse être comme cela.

À dire vrai, je ne me pose pas la question.

Dans tous ceux-là, tous ceux qui sont connus, tous ceux qui ont pris position comme les «révélateurs du monde nouveau» ou comme les «réalisateurs de la vie nouvelle», tous ceux-là ont un pourcentage d'inconscient encore beaucoup plus grand que le mien, alors... Mais ça, c'est tout ce qui se sait publiquement: y a-t-il un être quelque part et que personne ne le sache?... Cela m'étonne-rait qu'il n'y ait pas de communication. Je ne sais pas.

N'est-ce pas, il y a beaucoup-beaucoup, il y a toute une floraison de nouveaux Christ, de Kalki, de surhommes, ouh! il y en a beaucoup, mais généralement, d'une façon quelconque, on entre en communication, on connaît en tout cas leur existence; eh bien, ceux-là, tous ceux avec lesquels j'ai été en rapport ou invisible ou visible, il n'y en a pas un seul qui ait... (comment dire?) moins d'inconscient qu'il n'y en a dans ce corps – mais je reconnais qu'il y en a beaucoup, oh!

C'est le processus que je ne vois pas, pour sortir de cette inertie ou de cette inconscience.

Processus, quel processus? De transformation?

Oui, on dit que c'est la conscience qui doit agir et éveiller tout cela...

Mais c'est ce qu'elle fait!

Oui, c'est ce qu'elle fait, mais...

Elle ne cesse de le faire!

Je te dis, la réponse est comme cela: tout d'un coup, il y a la perception (oh! ce sont toutes des choses très subtiles – très subtiles –, mais justement pour la conscience, c'est très concret), la perception d'une sorte de désorganisation, comme un courant de désorganisation; alors la substance qui constitue le corps commence d'abord par le sentir, puis voir l’effet, puis tout commence à se désorganiser: c'est cette désorganisation qui empêche la cohésion nécessaire des cellules pour constituer un corps individuel, alors on sait, ah! (geste de dissolution) ça va être fini. Alors les cellules aspirent, il y a une espèce de conscience centrale du corps qui aspire, intensément, avec le surrender aussi complet qu'il peut le faire: «Ta Volonté, Seigneur, Ta Volonté, Ta Volonté...» Et alors, il y a une espèce – pas quelque chose à grand fracas, pas un éclair éblouissant, mais une sorte... Tiens, cela donne l’impression d'une densification de ce courant de désorganisation, et alors quelque chose s'arrête: d'abord une paix, puis une lumière, puis l’Harmonie – et le désordre a disparu. Et alors, quand le désordre a disparu, imédiatement cette impression DANS LES CELLULES, de vivre l’éternité, pour l’éternité.

Eh bien, cela, tel que, avec toute l’intensité de la réalité concrète, ça se passe non seulement quotidiennement, mais plusieurs fois en un jour. Parfois, c'est très sévère, c'est-à-dire que c'est comme une masse; quelquefois c'est seulement une chose qui touche; alors, dans la conscience du corps, ça se traduit comme cela, par une sorte d'action de grâce: encore un progrès de fait sur l’Inconscience. Seulement, ce ne sont pas des événements à grand fracas, le voisin humain ne le sait même pas; il peut peut-être constater une sorte d'arrêt dans l’activité extérieure, de concentration, mais c'est tout.1 Alors cela, on n'en parle pas, n'est-ce pas, on ne peut pas écrire des livres là-dessus, on ne fait pas de la propagande... C'est cela, le travail.

Toutes-toutes les aspirations mentales ne sont pas satisfaites avec cela.

C'est du travail très obscur.

(Mère entre dans une longue contemplation)

Il y avait deux grands cierges comme cela, et puis trois petits, allumés... Qu'est-ce que cela pouvait vouloir dire? Ils brûlaient tous les cinq. Qu'est-ce que cela peut vouloir dire? Je ne sais pas. Deux grands comme cela qui brûlaient, et c'était tout d'une couleur... ce n'était ni rouge ni jaune, c'était orangé, mais transparent, et c'étaient comme des cierges qui brûlaient entre nous deux.

Deux grands et trois petits. Je ne sais pas ce que cela signifie.

Ça brûlait lentement comme cela (geste immobile), sans courant d'air, très tranquillement.

C'est resté longtemps.

(long silence)

Il y a un ou deux jours, je ne sais pas, il y a eu comme une vision d'ensemble de cet effort de la terre vers sa divinisation et c'était comme si quelqu'un disait (ce n'est pas «quelqu'un»: c'est la conscience-témoin, la conscience qui constate, mais ça se formule en mots – très souvent, ça se formule en anglais et j'ai comme l’impression que c'est Sri Aurobindo, la conscience active de Sri Aurobindo, mais quelquefois ça se traduit en mots seulement dans ma conscience), et ces jours-ci, c'était quelque chose qui disait: «Oui, le temps des proclamations, le temps des révélations, est passé – maintenant, à l’action.»

Au fond, les proclamations, les révélations, les prophéties, tout cela, c'est très confortable, ça donne l’impression de quelque chose de «concret»; maintenant c'est très obscur, le sentiment que c'est très obscur, invisible (ce ne sera visible que dans les résultats longtemps-longtemps en avant), pas compris.

Ça, pas compris... Il y a quelqu'un, C, qui voulait traduire les Notes sur le Chemin et les À Propos en hindi, en un volume. Il en a parlé à R, et R m'a écrit que «Les gens ne comprennent rien» et que lui, a l’impression que «Le langage humain est impropre à exprimer cela, alors qu'est-ce que ça va devenir en traduction? – Une platitude. Il vaudrait mieux attendre.» Je suis pleinement d'accord, je lui ai dit qu'il valait mieux attendre. Mais ça m'a donné la mesure exacte. Parce que R et C sont des gens qui sont expected to under-stand [censés comprendre], et il est évident qu'ils ne comprennent rien. Et alors Nolini était là, je lui ai donné cette lettre à lire, et il a dit: «Ah! oui.» – Pour lui aussi, c'est comme cela, pas compris! Alors c'est général. Parce qu'il y a beaucoup de gens qui me citent ce que j'ai dit ou des expériences qu'ils ont eues, des explications qu'ils donnent «d'après» ces Notes sur le Chemin, et chaque fois je vois qu'ils n'ont rien compris.

Alors cela me paraît être une incompréhension générale.

(silence)

Ça appartient à un domaine qui n'est pas encore prêt à être expliqué, manifesté en mots.

C'est évident, je le vois bien, n'est-ce pas, c'est parce qu'ils sont tous bien gentils et ils ont beaucoup de respect, alors ils ne permettent pas à leur mental de dire: «C'est du radotage», mais pour eux, ça appartient à l’incompréhensible.

Et en fait, dans la mesure où c'est vraiment nouveau, c'est incompréhensible. Ce que je dis ne correspond pas à une expérience vécue dans celui qui lit.

Et je vois bien, je vois tellement le petit travail comme cela (geste de renversement) qu'il faudrait pour que ça devienne une révélation prophétique! Un petit travail, un petit renversement dans le mental – l’expérience est tout à fait en dehors du mental, et alors ce qu'on en dit... (Mère hoche la tête). Justement, comme ce n'est pas mental, c'est à peu près incompréhensible, et pour que tout cela (oh! c'est visible), pour que tout cela devienne accessible, il faudrait juste (même geste) un petit renversement dans le mental, et cela devient prophétique. Et ça... ce n'est pas possible. Ça perdrait sa vérité.

Voilà, c'est en route.

18 novembre 1967

(Mère répond aux appels.)

J'ai senti dans son mot qu'elle était tout à fait désemparée. Je voulais le garder pour te le montrer, et puis il y a une telle confusion de lettres que je ne sais pas où c'est allé. Je ne sais même pas... Je voulais lui répondre tout de suite un petit mot, mais je ne sais même pas si je l’ai fait.

Parce que, avec toute cette accumulation de travail, je n'ai qu'un seul procédé possible, c'est, à chaque minute, de «transférer» et d'attendre l’Impulsion pour répondre ou ne pas répondre. Pour certaines choses, la réponse vient tout de suite: imédiatement je mets un mot et c'est fini; d'autres, je suis obligée de mettre de côté et d'attendre pour savoir ce qu'il faut faire, et alors dans ceux-là, il y en a que je garde et que je retrouve, et un autre jour, la réponse vient et je réponds; et il y en a, c'est comme si... (geste d'évapora-tion) comme s'il y avait quelque chose qui les enlevait! Ils disparaissent, je ne les vois plus... Naturellement, la réponse mentale, l’action invisible est faite tout de suite, toujours – je sais ce que je lui ai répondu, et ce que j'ai FAIT surtout; ça, c'est entendu, ça ne manque jamais, parce que cela ne prend pas de temps, c'est imédiat. C'est seulement une question... au fond, c'est seulement une concession à la conscience extérieure, de répondre. N'est-ce pas, il y a bien une centaine de cas tous les jours, alors... c'est le temps matériel qui me manque.

22 novembre 1967

(Mère prend des fleurs) Je vais mettre cela dans l’eau... Les fleurs, c'est la beauté de la vie.

Et il y a un progrès.

Ah! oui?

À la fin de la démonstration physique [le 2 décembre],1 tous les enfants en chœur vont prier, et c'est moi qui ai écrit la prière. Je vais te la dire.

Mais je n'y avais pas pensé: on me l’a demandée, je l’ai faite.

Ils ont lu le Bulletin probablement, et alors ils ont demandé une prière – une prière qui soit vraiment du corps. Et j'ai répondu:

THE PRAYER OF THE CELLS IN THE BODY

Now that by the effect of the Grace we are slowly emerging out of inconscience and waking up to a conscious life, an ardent prayer rises in us for more light, more consciousness:

"O Supreme Lord of the Universe,
we implore Thee, give us
the strength and the beauty,
the harmonious perfection
needed to be Thy divine instruments upon earth."

C'est presque une proclamation.

Voilà. Alors nous allons mettre cela en français.2

Ils vont dire cela après leur démonstration; il paraît qu'ils vont montrer tout l’historique de la culture physique, et puis quand ils auront fini, ils diront: nous ne sommes pas arrivés à la fin, nous sommes au commencement de quelque chose, et voilà notre prière.

J'étais très contente.

Tu dis qu'il y a un progrès?

Un progrès! C'est un progrès formidable! Ils n'avaient jamais pensé, jamais; dans la totalité, là, ils n'avaient jamais pensé à la transformation: ils avaient pensé à devenir les meilleurs athlètes du monde et tous les habituels non-sens.

Le corps, n'est-ce pas, ils ont demandé une prière du CORPS. Ils sont arrivés à comprendre que le corps doit commencer à se transformer en quelque chose d'autre. Avant, ils étaient tout pleins de toute l’histoire de la culture physique dans tous les pays, et le pays où c'est le plus en avance et l’utilisation du corps tel qu'il est et..., etc. Enfin c'était l’idéal des Olympiques. Maintenant, ils ont sauté au-dessus: ça, c'est le passé, maintenant ils veulent la transformation.

N'est-ce pas, les gens, dans leur mental et leur vital, demandaient à devenir divins – enfin c'est toute l’histoire ancienne de la spiritualité, c'est rabâché depuis des siècles –, non, ça, c'est le CORPS. C'est le corps qui demande à participer. C'est tout à fait un progrès.

Oui, mais on voit bien comment, dans le mental, l’aspiration s'entretient, comment elle vit par elle-même. Dans le cœur aussi, on voit bien comment l’aspiration vit Mais dans le corps? Comment éveiller cette aspiration dans le corps?

Mais c'est tout éveillé, bon dieu! Depuis des mois chez moi! Alors c'est qu'ils ont senti justement et qu'ils sentent.

Comment c'est fait? – C'est en train de se faire.

Mais comment en soi...

Non-non-non. Si cela a été fait dans un seul corps, ça peut être fait dans tous les corps.

Oui, mais je demande comment... Oui, comment?

Eh bien, c'est ce que j'essaye d'expliquer depuis des mois.

C'est d'abord, éveiller la conscience dans les cellules...

Eh bien, oui!

Mais oui, mais une fois que c'est fait, c'est fait: la conscience s'éveille de plus en plus, les cellules vivent consciemment, aspirent consciemment. J'essaye de l’expliquer, mon dieu, il y a des mois! il y a des mois que j'essaye de l’expliquer. Et alors, justement, c'est cela qui m'a fait plaisir, c'est qu'ils ont compris au moins la possibilité.

La même conscience, qui était le monopole du vital et du mental, est devenue corporelle: la conscience agit dans les cellules du corps.

Les cellules du corps deviennent quelque chose de conscient, tout à fait conscient.

Une conscience qui est indépendante, qui ne dépend pas du tout de la conscience vitale ni de la conscience mentale: c'est une conscience corporelle.

(silence)

Et ce mental physique dont Sri Aurobindo avait dit que c'était une impossibilité, que c'était quelque chose qui tournait en rond et tournerait en rond toujours, justement sans conscience, comme une espèce de machine, cela a été converti, c'est devenu silencieux, et dans le silence, cela a reçu l’inspiration de la Conscience. Et cela a recommencé à prier: les mêmes prières qui étaient dans le mental avant.

Je comprends bien tout ce qui peut se passer en toi, mais...

Mais puisque ça se passe dans un corps, ça peut se passer dans tous les corps! Je ne suis pas faite de quelque chose d'autre que les autres. La différence, c'est la conscience, c'est tout. C'est fait exactement de la même chose, avec les mêmes choses, je mange les mêmes choses, et ça a été fait de la même manière, tout à fait.

Et c'était aussi bête, aussi obscur, aussi inconscient, aussi obstiné que tous les autres corps du monde.

Et cela a commencé quand les docteurs ont déclaré que j'étais très malade, c'était le commencement.3 Parce que tout le corps a été vidé de ses habitudes et de ses forces, et alors lentement-lentement-lentement, les cellules se sont éveillées à une réceptivité nouvelle et se sont ouvertes à l’Influence divine, directement.

Chaque cellule vibre.

Autrement, il n'y aurait pas d'espoir! Si cette matière, qui a commencé par être... Même un caillou est déjà une organisation; c'était certainement pire que le caillou: l’Inconscient, inerte, absolu. Et puis, petit à petit, petit à petit, ça s'éveille. On voit, n'est-ce pas, on voit, on n'a qu'à ouvrir les yeux, on voit. Eh bien, c'est la même chose qui se produit: pour que l’animal devienne un homme, il n'a pas fallu autre chose que l’infusion d'une conscience – d'une conscience mentale –, et maintenant, c'est l’éveil de cette conscience qui était tout au fond, tout au fond, comme cela. Le mental s'est retiré, le vital s'est retiré, tout s'est retiré; au moment où j'étais soi-disant malade, le mental était parti, le vital était parti, le corps était laissé à lui-même – exprès. Et c'est cela, c'est justement parce que le vital et le mental étaient partis que ça a donné l’impression d'une très grave maladie. Et alors, dans le corps laissé à lui-même, petit à petit les cellules ont commencé à s'éveiller à la conscience (geste d'aspiration qui monte); cette conscience qui était infusée dans le corps PAR le vital (du mental au vital, du vital au corps), quand les deux sont partis, la conscience a émergé lentement, lentement. Ça a commencé par cet éclatement d'Amour de tout en haut, l’extrême suprême altitude, et puis, petit à petit, petit à petit, c'est descendu jusqu'au corps. Et puis cette espèce de mental physique, c'est-à-dire quelque chose de tout à fait, tout à fait idiot qui tournait en rond comme cela, répétant toujours la même chose, cent fois la même chose, petit à petit, ça s'est éclairé et c'est devenu conscient, ça s'est organisé, et puis c'est entré dans le silence, puis dans le silence, l’aspiration s'est exprimée en prières.

(silence)

C'est le démenti à toutes les assurances spirituelles du passé: «Si vous voulez vivre pleinement conscient de la vie divine, quittez votre corps – le corps ne peut pas suivre.» Eh bien, Sri Aurobindo est venu et a dit: «Le corps, non seulement peut suivre, mais peut être la base manifestant le Divin.»

Le travail reste à faire.

Mais maintenant, il y a une certitude. Le résultat est encore très loin. Très loin, il y a beaucoup à faire pour que la croûte – l’expérience de la surface la plus extérieure telle qu'elle est – manifeste ce qui se passe au-dedans (pas «au-dedans» dans les profondeurs spirituelles: au-dedans dans le corps). Pour que ce soit capable de manifester ce qui est dedans... Ça viendra en dernier, et c'est très bien parce que si ça venait avant, on négligerait le travail; on serait tellement content que l’on oublierait de finir son travail. Il faut que tout soit fait dedans, que ce soit bien-bien changé, alors le dehors le dira.

Mais c'est toute UNE SEULE substance, toute pareille partout, et qui partout était inconsciente; et alors, ce qui est remarquable, c'est qu 'AUTOMATIQUEMENT, il y a des choses qui se passent (geste indiquant des points éparpillés à travers le monde), tout à fait inattendues, ici et là, chez des gens qui ne savent même rien.

(silence)

Il fallait que la capacité de recevoir et de manifester la conscience soit obtenue par ces cellules matérielles; et alors, ce qui permet une transformation radicale, c'est qu'au lieu d'être une ascension pour ainsi dire éternelle, indéfinie, c'est l’apparition d'un type nouveau – c'est une descente d'en haut. La descente précédente était une descente mentale, et ça, c'est ce que Sri Aurobindo appelle une «descente supramentale»; l’impression, c'est: une descente de la Conscience suprême qui s'infuse dans quelque chose de capable de la recevoir et de la manifester. Et alors, de cela, quand ce sera bien trituré (combien de temps cela prendra? on ne sait pas), il va naître une forme nouvelle, qui sera la forme que Sri Aurobindo appelait supramentale – qui sera... n'importe quoi, je ne sais pas coçiment ces êtres s'appelleront.

Quel sera leur mode d'expression, comment vont-ils se faire comprendre, tout cela...? Chez l’homme, ça s'est développé très lentement. Seulement le mental a beaucoup trituré et, au fond, a fait marcher les choses plus vite.

Comment va-t-on arriver là?... Il y aura certainement des stades dans la manifestation, avec, peut-être, un échantillon "qui viendra dire: voilà comment c'est (Mère regarde devant elle). On voit cela.

Seulement, quand l’homme est venu de l’animal, il n'y avait aucun moyen d'enregistrer – de noter et d'enregistrer le processus –, maintenant c'est tout à fait différent, alors ce sera plus intéressant.

(silence)

Mais encore à l’heure qu'il est, l’immense majorité – l’immense majorité – de l’intellectualité humaine est parfaitement satisfaite de s'occuper d'elle-même et de ses petits progrès comme cela (Mère dessine une ronde microscopique). Elle n'a même pas – elle n'a même pas envie qu'il y ait autre chose!

Ce qui fait qu'il se peut que l’avènement de l’être surhumain... ça peut très bien passer inaperçu, ou ne pas être compris. On ne peut pas dire parce qu'il n'y a pas d'analogie; il est évident que si un singe, un des gros singes, avait rencontré le premier homme, il aurait simplement dû sentir que c'était un être un peu... étrange, c'est tout. Mais maintenant, c'est différent parce que l’homme pense, raisonne.

Mais pour tout ce qui est supérieur à l’homme, l’homme a été habitué à penser que c'étaient des êtres... des êtres divins; c'est-à-dire qu'ils n'avaient pas de corps, qu'ils paraissaient dans la lumière, enfin tous les dieux tels qu'ils les conçoivent – mais ce n'est pas du tout cela!

(long silence)

Est-ce qu'on traduit ça?

(Mère traduit)

LA PRIÈRE DES CELLULES DU CORPS

Maintenant que par l’effet de la Grâce, nous émergeons lentement de l’Inconscient et que nous nous éveillons à une vie consciente, une prière ardente s'élève en nous:

«O Seigneur suprême de l’univers,
nous T'implorons, donne-nous
la force et la beauté,
la perfection harmonieuse,
qui nous permettront de devenir Tes instruments divins sur la terre.»

(silence)

Alors?

Tu n'es pas convaincu?

Pourquoi n'essayes-tu pas?

Mais si! C'est pour cela que je te posais la question. Je ne suis pas à douter de quoi que ce soit. Je te posais la question, je te disais: comment fait-on, je ne vois pas comment ça se fait... Par exemple, le matin je me rase. Bon, le matin on est abruti, on est fatigué, le mental ne marche pas, le vital ne marche pas...

Oui, c'est une excellente occasion.

Mais oui, justement! c'est ce que je fais! Et je dis: eh bien, non, je ne vois pas. Je ne sais pas comment ça bouge – ça ne bouge pas... Ça ne bouge pas si je n'y mets pas le mental ou le vital ou le cœur.

Bah!

Ce n'est pas que je doute! Je dis que mon corps est un âne, c'est possible, mais je ne doute pas.

Il n'est pas un âne, le pauvre! (Mère rit)

De doute, il n'y a pas. Mais de question sur le «how», le «comment», ça oui, je ne sais pas.

Pour moi, ce problème-là ne s'est jamais posé, parce que... Quand on fait de la musique ou quand on fait de la peinture, on s'aperçoit très bien que la conscience pénètre dans les cellules et que ces cellules deviennent conscientes. Cette expérience, par exemple: il y a des choses dans une boîte, et on dit à la main: «Prends douze», et la main va comme cela et on ne s'en occupe plus, et elle trouve les douze (sans compter, comme cela), elle prend les douze et puis elle vous les donne. Ça, c'est une expérience que j'ai eue il y a longtemps; à vingt ans, je commençais des expériences comme cela; par conséquent je sais, je savais comment la conscience travaille. N'est-ce pas, il est impossible d'apprendre le piano ou de faire de la peinture sans que la conscience entre dans les mains, et les mains deviennent conscientes indépendamment du cerveau – le cerveau peut être occupé ailleurs, ça n'a aucune importance. D'ailleurs, c'est ce qui se passe chez les gens que l’on appelle «somnambules»: ils ont une conscience qui appartient à leur corps et qui les fait mouvoir et faire des choses tout à fait indépendantes du mental et du vital.

Je veux dire que quand je suis devant la glace à me raser, si, au-dedans de moi, je ne mets pas le mantra ou une aspiration qui vienne du cœur, eh bien, c'est un morceau inerte qui se rase, et par-dessus le marché, le mental physique tourne. Mais si je mets un montra ou une volonté mentale...

Mais non! Mais c'est le corps qui finit par dire le mantra, spontanément! si spontanément que même si toi, par hasard, tu penses à autre chose, ton corps dira le mantra. Tu n'as pas cette expérience-là?

Non.

Et c'est le corps qui aspire, le corps qui dit le mantra, le corps qui veut la lumière, le corps qui veut la conscience – toi, tu peux penser à autre chose: Pierre, Paul, Jacques, un livre, etc., ça n'a pas d'importance.

Mais je comprends bien maintenant, je comprends bien! Au commencement, je ne comprenais pas, je croyais que j'avais été rendue soi-disant très malade pour cesser la vie que je menais en bas4 – je mène une vie encore beaucoup plus occupée que celle que je menais en bas, par conséquent... Je me demandais pourquoi: si c'était un moment de transition? Mais maintenant je comprends: coupée – je m'évanouissais. Ce qui a fait que le docteur a déclaré que j'étais malade, c'est que je ne pouvais pas faire un pas sans m'évanouir: je voulais marcher d'ici là, en chemin, poff! je m'évanouissais; il fallait me tenir pour que le corps ne tombe pas. Alors décision du docteur: au lit, pas bouger. Mais moi, pas une minute je ne perdais la conscience! Je m'évanouissais, mais j'étais consciente, je voyais mon corps, je savais que j'étais évanouie; je ne perdais pas la conscience, et le corps ne perdait pas la conscience. Alors maintenant, je comprends! c'était coupé du vital et du mental et laissé à ses moyens propres; et alors, petit à petit, petit à petit...

Je me souviens, par exemple, de tout ce que les docteurs font: on vous donne des vitamines, ceci, cela, bon; alors tout de suite je voyais, quand j'avais pris ces vitamines, cette espèce de mental physique commençait à bouger-bouger-bouger: «Les vitamines, j'ai dit, je n'en veux pas, ça donne de l’excitation dans le cerveau.» Alors on a changé, on m'a fait prendre quelque chose à un autre moment, et c'était bien. Et tout cela, tout cela, c'était simplement LE CORPS: tout ce qu'il savait, toutes les expériences qu'il avait eues, toute la maîtrise de ce qui était dans tous les états d'être, du vital au mental et au-dessus, tout cela, parti! et ce pauvre corps laissé à lui-même. Et alors, naturellement, petit à petit, ça s'est reconstruit. Pendant longtemps je ne pouvais plus... Je ne pouvais plus faire grand-chose (un petit peu, mais pas grand-chose), mais petit à petit, tout ça s'est reconstruit-reconstruit-reconstruit: un être conscient, purement conscient – qui bavarde beaucoup maintenant! (il ne pouvait pas s'exprimer).

Oui, je comprends. Je comprends. Mais enfin, peut-être que c'était cela que Sri Aurobindo voulait dire quand il m'a dit: «Ton corps est le seul sur terre maintenant qui puisse faire cela.» J'ai pensé que c'était une gentillesse de sa part... Mais c'est vrai qu'il a été coupé, ça je l’ai su – je l’ai vu –, coupé, les états d'être renvoyés: «Allez-vous en, on ne vous veut plus.» Et alors il a fallu qu'il se reconstruise une existence. Et au lieu d'avoir à passer par tous ces états d'être comme il faisait avant par des éveils successifs (geste d'escalade de degré en degré comme le faisaient les anciens yogis), jusque tout en haut, tout en haut par-delà la forme; maintenant ce n'est pas du tout comme cela, il n'a pas eu besoin de rien du tout de tout cela, il a simplement... (geste d'aspiration qui monte et s'ouvre comme une fleur). Il y avait quelque chose qui s'est ouvert et s'est développé au-dedans, et qui a fait que ce mental imbécile s'est organisé, a été capable d'être silencieux dans une aspiration; et alors... alors c'était le Contact direct, sans intermédiaire – contact direct. Et ça, il l’a tout le temps maintenant. Tout le temps, tout le temps, tout le temps, le contact direct. Et c'est LE CORPS: ce n'est pas à travers toutes sortes de choses et d'états d'être, pas du tout, c'est direct.

Mais une fois que c'est fait (ça, Sri Aurobindo l’avait dit), une fois qu'UN corps l’a fait, il a la capacité de le passer aux autres; et je te dis, maintenant (je ne dis pas dans la totalité et le détail, probablement pas), mais il y a ici et là (geste dispersé indiquant divers points de la terre), tout d'un coup une expérience ou une autre expérience qui se produit dans des gens. Il y en a (la majorité) qui ont peur, alors naturellement ça s'en va – c'est parce qu'ils n'étaient pas assez préparés au-dedans (si ce n'est pas la petite routine de chaque minute, de toujours, ils ont peur), alors une fois qu'ils ont peur c'est fini, cela fait qu'il faudra des années de préparation pour que ça se reproduise. Mais enfin, il y en a quelques-uns qui n'ont pas peur; tout d'un coup, une expérience: «Ah!...» Quelque chose de tout à fait nouveau, tout à fait inattendu, à quoi ils n'avaient jamais pensé.

C'est contagieux. Ça, je le sais. Et c'est le seul espoir, parce que si tout le monde devait repasser par la même expérience... Eh bien, maintenant, j'ai quatre-vingt-dix ans – à quatre-vingt-dix ans, les gens sont fatigués, ils en ont assez de la vie. Il faut se sentir jeune comme un petit enfant pour faire cela.

Et cela prend longtemps, je vois bien que cela a pris longtemps.

Et ce n'est pas fait, n'est-ce pas, c'est EN TRAIN de se faire, mais ce n'est pas fait – il s'en faut de beaucoup. Il s'en faut de beaucoup... Quel est le pourcentage des cellules conscientes? On ne sait pas.

Et de temps en temps, il y en a qui grondent les autres, c'est très amusant! qui les grondent, qui les attrapent, qui leur disent des sottises (à leur manière), à celles qui veulent... (Mère dessine une ronde minuscule) continuer les vieilles habitudes: il faut que la digestion se fasse d'une certaine façon, il faut que l’absorption se fasse d'une certaine façon, il faut que la circulation se fasse d'une certaine façon, il faut que la respiration... il faut que toutes les fonctions se fassent selon la méthode de la Nature. Et quand ce n'est pas comme cela, elles s'inquiètent. Et alors celles qui savent, les attrapent, et puis leur donnent un bon bombardement de Seigneur, c'est très amusant!

Et il y a quelque chose qui traduit en mots (c'est sans mots, mais il y a quelque chose qui traduit en mots, là), et alors, il y a des conversations entre cellules (Mère rit): «Espèce d'imbécile, pourquoi as-tu peur? Tu ne vois pas que c'est le Seigneur qui fait cela pour te transformer?» Alors l’autre: «Ah!...» Alors il se tient tranquille, et puis il s'ouvre et il attend, et puis... la douleur s'en va, le désordre s'en va, et puis tout s'arrange.

C'est admirable.

Mais si, par malheur, le mental vient, commence à assister ou à juger, alors tout s'arrête, et tout retombe dans la vieille habitude.

(long silence)

Au fond, c'est l’ego vital, mental, etc., tout cela qui a été, poff! enlevé.

C'était une opération radicale.

Et alors maintenant, il y a une sorte de souplesse, de plasticité. Et tout cela apprend (c'est très en rapport avec tout: geste horizontal), mais ça apprend à chercher tout son appui, toute sa force, toute sa connaissance, toute sa lumière, toute sa volonté, tout-tout, comme cela (geste vertical, tourné vers le Suprême), uniquement comme cela, dans une plasticité extraordinaire.

Et alors: la splendeur de la Présence.

(silence)

Voilà.

Alors qu'est-ce qu'il faut que je te fasse?

Je ne sais pas, une opération!

Une opération radicale. (Mère rit)

Oui, peut-être.

Mais dis-moi, quand on t'a endormi pour t'ouvrir le ventre, est-ce que tu as été conscient? Rien du tout? Rien?

Non.

On va voir...

On va voir.

25 novembre 1967

À propos du courrier

Très souvent, c'est comme cela: je reçois à peu près vingt-cinq ou trente lettres tous les jours; là-dessus, j'ai le temps d'en lire huit ou dix, et alors, au moment où c'est lu, la plupart du temps il n'y a aucune réponse: c'est au moins quatre-vingt-dix-huit pour cent inutile. Quand il y a quelque chose, tout de suite ça vient. Et quand il n'y a pas de réponse tout de suite, quelquefois (souvent) je mets de côté, et alors quand je suis seule, Sri Aurobindo vient et me dit: «Si tu lui disais ça.» Alors imédiatement j'écris. Cela arrive très souvent. Et toujours une réponse, oh! avec le sens du ridicule, l’humour, juste toucher le point où est la faiblesse et l’inconscience. Ça, c'est très amusant. Alors je ne cherche jamais, n'est-ce pas, jamais-jamais-jamais, tout simplement c'est comme cela. Quand il faut que je réponde, ça vient; alors je n'ai qu'à prendre le papier, mon crayon et puis j'écris. Ça, c'est la partie du travail qui n'est pas du travail, qui est un amusement.


Peu après

Je t'ai fait un discours, deux fois.

De très bonne heure le matin, pendant que tu devais être endormi. Pendant la nuit d'hier à aujourd'hui et la nuit d'avant-hier à hier, de très bonne heure, vers quatre heures du matin, je t'ai fait un discours. Et pas tout à fait «moi» (et d'abord «moi», où est moi? je n'en sais rien), c'est... Quelquefois cela vient de tout en haut, comme cela, impératif; quelquefois cela vient de Sri Aurobindo, et ça, c'est beaucoup plus proche, intime. Et c'était Sri Aurobindo, les deux fois. Je t'ai fait un discours.

Quoi?

Il a dû te le dire! Alors pour toi, ça reviendra comme cela (geste de l’intérieur); un jour, tout d'un coup, ça ressortira du fond de toi. J'ai même vu cela (l’expérience était assez complète), j'ai vu que ça entrait dedans et puis qu'un jour, ça ressortirait et ce sera simplement comme une inspiration ou une révélation, ou même simplement une connaissance: «Ah! c'est comme cela!»

C'est très amusant.

Sri Aurobindo a parlé très nettement. Il t'a dit POURQUOI c'est comme cela. Mais il ne m'a pas dit de te le dire, il m'a dit: «Je lui dis et il le saura un jour.»

Mais à quel sujet?

Au sujet de ce que tu m'as dit la dernière fois: que ton corps laissé à lui-même n'a pas d'expérience. Il t'a dit pourquoi. Et il t'a dit comment faire. Mais cela, je peux te le répéter; le comment faire, je peux te le répéter: il t'a dit que ton corps était encore dans l’état où il doit aller à l’école, et c'est ton être intérieur, ta conscience, ton vrai moi, qui doit lui donner la leçon. Il a dit: «Il est encore à la période où il faut qu'on lui fasse la leçon, et il faut qu'on lui fasse la leçon.»

Voilà.

C'est très intéressant, et très intime.

Et alors, je lui ai demandé: «Faut-il que je le lui dise?» Il m'a dit: «Non, il faut que ça sorte de lui-même, comme cela, que tout d'un coup ce soit comme une révélation et il dira: ah! oui...»

Voilà. (Riant) Et je t'ai donné un petit coup de corde!

29 novembre 1967

Tiens, lis-moi cette lettre.

«Douce Mère, dans le Bulletin, tu as dit: "Les souvenirs psychiques... sont des moments inoubliables de la vie où la conscience est intense, lumineuse, forte, active, puissante, et quelquefois des tournants de l’existence qui ont changé l’orientation de votre vie. Mais jamais on ne pourra dire la robe que l’on portait ou le monsieur avec qui l’on a parlé et les voisins et le genre de champ dans lequel on se trouvait." (Entretien du 6 mai 1953). Et à propos du souvenir des petits détails, tu as dit: "C'est tout à fait idiot."

«Mais alors comment se fait-il que dans les journaux, on lise assez souvent l’histoire de petits enfants qui se souviennent de leur vie passée?...

Ce n'est pas un souvenir psychique. Ils font toujours des confusions abominables!

Ce n'est pas psychique, c'est quand un vital, par une circonstance spéciale, passe d'un corps dans l’autre, alors il se souvient encore; c'est généralement quand il passe dans la même famille ou dans des voisins.

C'est tout ce qu'il dit?

«...Comment se fait-il que les journaux disent assez souvent l’histoire de petits enfants qui se souviennent de leur vie passée, et que les détails ont été vérifiés? Et c'est l’étude des événements de ce genre qui mène les parapsy-chologues à constater l’existence de la réincarnation; ils ne sont donc pas sur un chemin tout à fait faux? Et comment peut-on démontrer la réincarnation scientifiquement d'une autre manière?»

Comme le mental est arrogant! Au lieu de se dire simplement: «Il y a là quelque chose que je ne comprends pas», et de demander une explication, oh! tout de suite il dresse la tête.

Comment s'appelle-t-il, ce petit serin?... Je vais lui envoyer cela (Mère écrit):

«Les souvenirs dont tu parles et qui sont mentionnés dans les journaux, sont des souvenirs de l’être vital, qui exceptionnellement est sorti d'un corps pour entrer dans un autre. C'est une chose qui se produit mais n'est pas fréquente. Le souvenir dont je parle est celui de l’être psychique, et on en est conscient seulement quand on est en relation consciente avec son être psychique. Il n'y a aucune contradiction entre les deux choses.»


Puis il est question du darshan du 24 novembre

J'ai des nouvelles photos prises le jour du darshan. Des photos qui ont été prises par un appareil-télescope, ça t'intéresse? (Mère va chercher les photos)

S a un nouvel appareil télescopique et alors, au balcon, au lieu de prendre tout, elle a pris seulement ma tête. Il y en a deux que je trouve très bonnes... Ce n'est pas agrandi, c'est la photo telle quelle (Mère montre les photos au disciple).

Je ne sais pas, mais à chaque darshan, j'ai l’impression que je suis une autre personne, et quand je me vois comme cela, objectivement, en effet je vois une autre personne, chaque fois. Quelquefois, un vieux Chinois! Quelquefois, comme une sorte de transposition de Sri Aurobindo, un Sri Aurobindo voilé; et puis quelquefois, une personne que je connais très bien mais qui n'est pas celle-ci: j'ai été UNE fois comme cela. Ça, plusieurs fois cela m'est arrivé.

Mais là aussi, j'ai l’impression que c'est quelqu'un de... C'est tout à fait différent de toi d'habitude.

N'est-ce pas!

Et j'ai l’impression que c'est quelque chose que je connais.

Oui, voilà. Et j'ai exactement la même impression. Je regarde ça, je dis: je connais très bien cette personne – mais,ça n'a rien à voir avec ce corps-là.

Mais c'est quelque chose que je connais!

Très bien, on connaît très bien, mais ce n'est pas ça (Mère désigne son corps); ce n'est pas ici, mais on connaît très bien.

Je ne sais pas pourquoi, cela me rappelle un peintre.

On ne sait pas trop si c'est une femme ou un homme, on n'est pas sûr.

Je me suis demandé si ce n'était pas un être qui vivait dans un autre monde que le monde physique de la terre? Parce que c'est... je connais, mais pas avec l’intimité de la sensation corporelle; n'est-ce pas, c'est quelqu'un que je connais très bien, que j'ai vu souvent.

J'ai l’impression que c'est quelqu'un que j'ai déjà vu.

Oh! oui. Mais je ne sais pas si tu l’as vu dans ce monde-ci.

Je ne sais pas pourquoi, je pense à un tableau ou à un peintre.

Laquelle des deux t'est la plus familière?

Celle-ci, le n° 14.

Oui, c'est cela. Et tu es sûr que c'est une femme?

Je ne suis pas sûr non plus.

Non.

Mais je ne sais pas pourquoi, l’idée d'un peintre ou d'un tableau me vient.

D'un peintre?... Léonard de Vinci? (Riant) Mais il avait une barbe!

(S'adressant à Sujata:) Tu connais ça, cette personne-là?

Ce n'est pas la même Mère!

Oui (Mère prend l’une puis l’autre photo): ça et ça ce sont deux personnes différentes.

Mais je connais très bien, c'est curieux, surtout ça (Mère montre la partie de la photo entre les sourcils et les lèvres), et le quelque chose, la façon de regarder.

C'est peut-être un tableau, tu as peut-être raison? Mais lequel, je ne vois pas.

Quelqu'un qui m'est très familier, mais... Si l’on me disait que c'était une personnalité historique, on ne serait pas étonné.

Surtout celle-là (le n° 14).

C'est curieux. Et ça devient de plus en plus comme cela. À mesure que le corps attrape le rythme intérieur, ça augmente.

Ce ne doit pas être physique.

(Sujata:) Un peu Chinois!

Qu'est-ce que c'est? On saura un jour...

C'est très familier.

Oui. Mais mon impression est comme cela: quelqu'un que j'ai connu très intimement, avec qui j'ai vécu peut-être, mais pas moi, tu comprends. C'est-à-dire que le corps dit: ce n'est pas moi. Intérieurement, c'est tout à fait différent: il n'y a pas de moi-toi, tout cela n'existe pas; mais le corps, lui, il a encore cela, il dit: ce n'est pas moi, c'est quelqu'un que je connais très bien, très bien, mais ce n'est pas moi.

Pourquoi ça vient-il comme cela au balcon?

Ce peut être deux choses. Peut-être que la conscience originelle s'était dédoublée dans une existence passée (c'est arrivé plusieurs fois) et manifestée dans deux corps différents en même temps; et alors il y a eu naturellement intimité et probablement une promiscuité de vie – ce peut être une chose physique. Mais cela peut être aussi quelqu'un qui existe d'une façon permanente, une forme permanente quelque part, avec laquelle nous sommes en rapport d'une façon constante dans ce monde-là (surmental, ou supramental, ou ailleurs), et c'est du dedans qu'est le sentiment: oh! je connais. Ce peut être l’une des deux choses – je ne sais pas encore laquelle.

(Après un silence) C'est plus une expression, un genre de vibration, une atmosphère, plus que des traits exacts. Alors ce serait plutôt cela: quelqu'un qui existe d'une façon permanente quelque part et avec laquelle nous sommes en rapport.

Et cela expliquerait cette sensation que l’on ne sait pas si c'est un homme ou une femme: ce doit être dans un monde insexué, où il n'y a ni homme ni femme.

(silence)

Le corps lui-même a plus qu'une impression, une sorte de... c'est une connaissance – plus qu'une connaissance, enfin c'est un fait: il y a beaucoup-beaucoup d'êtres, de forces, de personnalités qui se manifestent à travers lui, même quelquefois plusieurs en même temps. Ça, c'est une expérience très courante; par exemple que Sri Aurobindo est là et qu'il parle et qu'il voit, qu'il a sa façon de voir (geste perçant et ironique) et sa façon de s'exprimer, ça arrive très souvent. Et puis souvent, c'est Dourga, ou Mahâkâli, ou... très souvent. Souvent, c'est un être de très haut, très permanent – très permanent – qui se manifeste, et alors il y a une sorte d'absolu dans l’être, qui vient. Quelquefois, ce sont des êtres d'un plan proche qui essayent de se faire sentir, de se faire exprimer, mais ça, c'est sous contrôle.

Le corps a l’habitude, n'est-ce pas.

Et ce qui a été curieux, c'est que cette fois-ci, le 24, quand je suis allée au balcon, c'était quelqu'un... (et ça m'arrive de temps en temps, mais de plus en plus), quelqu'un qui regarde d'une sorte de plan d'éternité, avec, mélangé, une grande bienveillance (quelque chose comme de la bienveillance, je ne sais pas comment l’exprimer), mais un calme absolu, presque de l’indifférence, et les deux sont ensemble à regarder comme cela (Mère dessine des vagues loin en-dessous), comme si c'était vu de très loin, de très haut, de très... (comment dire?) vu d'une vision très éternelle. C'était cela que mon corps sentait quand je suis sortie pour le balcon. Alors le corps disait: «Mais il faut que j'aspire, il faut une aspiration pour que la Force descende sur tous ces gens!» Et «Ça», c'était comme cela (geste souverain, au-dessus), oh! très bienveillant, mais une sorte d'indifférence – d'indifférence de l’éternité, je ne sais pas comment expliquer cela. Et tout cela, le corps le sent comme quelque chose qui se sert de lui.

C'est pour cela que ces photos m'intéressent, c'est pour objectiver l’état.

On saura.

décembre




2 décembre 1967

Mère donne des fleurs de «transformation» et en passe une à sa boutonnière

C'est une transformation générale!

Moi, j'ai la mienne... Alors elle se fane là, et quand je prends mon bain, je l’enlève et je la trempe dans un verre d'eau, et une demi-heure après, c'est frais comme si ça venait de naître! C'est très joli.

C'est ma joie dans la vie.

Je dois dire, le matin, je passe trois quarts d'heure à arranger les fleurs comme cela, c'est tout joyeux – tout de la lumière-lumière, sans obscurité.


(Puis il est question de la conversation du 22 novembre – le tournant de 1962, l’éveil de la conscience des cellules – que le disciple voudrait publier dans le «Bulletin» de février prochain avec les «À Propos».)

C'est trop personnel.

Mais c'est tellement clair! C'est la première fois qu'aussi clairement tu fais comprendre la chose.

(Après un long silence) Je sais que les gens seront contents, mais moi, cela m'embêtera beaucoup.

Tu penses que cela va te créer des difficultés?

Je suis tout le temps envahie (ça ne fera pas beaucoup plus que ce n'est!). Il y avait un moment où c'était très difficile, mais maintenant ça commence à... J'en ai pris mon parti. Je crois que c'est le corps qui a des réactions, mais je crois qu'il s'impersonnalise de plus en plus.

Les gens comprennent si mal – mais ça, quoi faire?

Dans tout le pays, le nombre de choses écrites sur moi, qui sont toutes aussi stupides les unes que les autres... à cause de ces quatre-vingt-dix ans. Ils font une histoire avec ces quatre-vingt-dix ans!

N'est-ce pas, j'aurais voulu que tout cela devienne public quand l’apparence du corps est transformée, alors ça devient intéressant, et il s'en faut de beaucoup.


Un peu plus tard

Ce matin, on m'a montré encore des photos, des photos que je n'avais jamais vues, que l’on m'envoie à signer pour des gens qui les ont achetées... Il y en a une où je ressemble à Annie Besant! (Mère rit) Il y a de tout!

Mais il y en a une où j'ai l’air d'être enfermée dans un monde d'obscurité et d'inconscience, et alors si l’on regarde la figure... elle a l’air vraiment désespérée – pas désespérée, mais pas heureuse. Et comme cela, des choses que je n'avais jamais remarquées. Ça se vend par milliers, mon petit!

6 décembre 1967

Je t'ai vu la nuit dernière.

Ah! oui?

Tu te souviens?...

Non.

Nous étions dans le physique subtil. J'ai vu des tas de gens: Purani (un disciple décédé), etc., des gens qui ne sont plus sur la terre; et c'était dans... pas la maison, mais le domaine de Sri Aurobindo. J'ai vu et fait beaucoup de choses. Il y avait des gens sur terre et des gens qui ne sont plus sur terre: ils étaient tous ensemble. Et alors, à la fin, Sri Aurobindo (pour beaucoup de détails, il était là, puis il est parti), et à la fin j'ai regardé tout cela, et pour la première fois dans le physique subtil, j'ai dit: «Oh! comme votre vie est fade et inutile... sans goût, quand vous ne pensez pas au Divin.»

Et c'était une expérience tellement aiguë! tellement aiguë. Alors j'ai dit (parmi les gens qui étaient là, il y avait Purani et puis comme je l’ai dit, des gens qui sont sur terre), je leur ai dit: «Sur terre, on a cette intensité d'aspiration, ici... la vie est si facile, si facile! et regardez toutes vos occupations, tout cela, oh! ça n'a aucun goût, parce qu'il n'y a pas cet intense besoin de vivre pour le Divin.» Et c'était tellement fort que pendant des heures dans la matinée, c'était comme cela (geste d'aspiration intense). La vie n'importe où – n'importe où, dans n'importe quelle partie du monde (de l’univers) et dans n'importe quelles conditions, même les plus faciles, les plus harmonieuses, sans cette intensité d'aspiration, de besoin d'être divin, ce n'est pas la peine de vivre.

C'est pour la première fois.

Dans le temps, quand j'allais dans tous ces domaines, c'étaient toujours des choses très intéressantes; et le physique subtil, d'habitude j'étais toujours avec Sri Aurobindo – j'étais avec Sri Aurobindo, mais il s'est retiré dans une partie de son domaine et puis j'étais avec tous les autres, et ils avaient une vie facile, n'est-ce pas, sans soucis, et tout ce qu'ils faisaient semblait si... meaningless [dénué de sens]. Pourquoi? Pourquoi tout cela, pourquoi s'occuper, pourquoi faire toutes ces choses si ce n'est pas pour cette aspiration, si ce n'est pas pour ce besoin d'être et de devenir le Divin?

Mais c'est la première fois, et c'est resté: pendant des heures ce matin, j'étais comme cela (geste d'aspiration intense).

Voilà.

Ce qui fait que j'ai eu l’impression que, à moins que l’univers tout entier ne devienne Ça, eh bien... quoi faire? Tout-tout ce qui n'est pas la Conscience, la conscience suprême, n'est-ce pas, la conscience, oui, suprême et suprêmement divine, tout le reste... C'est la première fois que je sens aussi intensément l’inutilité de toutes les activités extérieures – l’inutilité en soi, comme un épanouissement, parce que les mêmes choses quand c'est le Jeu divin, alors tout devient joli, tout devient intéressant, tout, mais ça en soi-même, pour soi-même, ce n'est rien. Et c'est la première fois que je le sens si intensément. Parce que je l’ai senti dans le monde subtil (dans le monde matériel, c'est toujours mélangé à un tas d'embêtements et à un tas d'efforts et à un tas de difficultés, alors c'est tout à fait différent), là, c'est absolument sans difficultés, complètement harmonieux, tout à fait, et c'était rien. N'est-ce pas, quand Sri Aurobindo était là, c'était parfait, et quand il s'est retiré... sans goût.

Et cela, c'est la conscience PHYSIQUE qui a ces expériences la nuit: le corps reste en transe et c'est la conscience physique; c'était la conscience physique, mais dans un physique subtil et débarrassé de toutes les difficultés – ce n'était pas mieux. N'est-ce pas, c'était comme une réponse à l’ambition des gens qui sont ici sur la terre et qui veulent que la vie soit agréable, facile, sans difficultés, sans conflits, sans heurts, sans maladies, sans... et ils disent: oh! tout serait charmant! – Ce n'est pas vrai: vide, s'il n'y a pas ÇA.

l’expérience était très intéressante.1


Peu après

J'ai toute une correspondance en français avec S qui apprend le français et qui me pose des questions. Alors (Mère montre un papier) c'est la dernière, celle d'hier, parce que je lui avais raconté une histoire:

Tu sais que je mets toujours une fleur là, de transformation (Mère montre sa boutonnière); cette fleur, je la garde toute la matinée; je défais ma robe pour prendre mon bain l’après-midi, alors elle est naturellement dans un état pitoyable – d'habitude, je la jetais. Mais un jour, S m'avait envoyé des roses dans un verre d'eau, et c'était sur ma table de toilette; alors j'ai pris la fleur de transformation et je l’ai mise dans l’eau, puis quand je suis revenue du bain, elle était magnifique, beaucoup plus fraîche et beaucoup plus forte que quand je l’avais reçue! Je l’ai gardée toute la nuit, je l’ai gardée le lendemain, et elle ne bougeait plus! Elle était toujours aussi fraîche. Alors le jour d'après, je lui ai renvoyé la fleur dans son verre, et il est venu me trouver dans l’après-midi, je lui ai raconté l’histoire, je lui ai dit: «Vous avez trouvé la fleur de transformation? Voilà ce qui s'est passé...» Et le lendemain, il m'a écrit cela:

«La transformation n'exige-t-elle pas un très haut degré d'aspiration, de soumission et de réceptivité?»

J'ai répondu:

«La transformation exige une consécration totale et intégrale. Mais n'est-ce point l’aspiration de tout sadhak sincère?

«Totale veut dire...

Oui, c'était sur la page d'après (parce que je me suis dit, cet homme se demandera pourquoi je mets «total» et «intégral», qui a simplement l’air d'être la même chose). Alors je lui ai donné l’explication:

«Totale veut dire verticalement dans tous les états d'être depuis le plus matériel jusqu'au plus subtil. Intégrale veut dire horizontalement dans toutes les parties différentes et souvent contradictoires qui constituent l’être extérieur (physique, vital et mental).


(Puis Mère écoute la lecture de nouvelles lettres inédites de Sri Aurobindo:)

How can I receive Sri Aurobindo's light in the mind?

It can always come if you aspire patiently. But the basic condition, if you want that light, is to get rid of all other mental influences.

"What is the meaning of 'to get rid of all other mental influences'? Is it this that I had better not read any other books except Sri Aurobindo's or not try to learn anything by hearing or admiring others?"

"It is not a question of books or learning facts. When a woman loves or admires, her mind is instinctively molded by the one she loves or admires, and this influence remains after the feeling itself has gone or appears to be gone. This does not refer to X's influence merely. It is the general rule given to keep yourself free from any other admiration or influence."

May 30, 1932

(traduction)

Comment puis-je recevoir la lumière de Sri Aurobindo dans le mental?

«Elle peut venir toujours si vous aspirez patiemment. Mais la condition de base, si vous voulez cette lumière, est de vous débarrasser de toutes les autres influences mentales.»

Qu'entendez-vous par «se débarrasser de toutes les autres influences mentales»? Cela veut-il dire qu'il vaut mieux ne rien lire sauf les livres de Sri Aurobindo ou que je n'essaie de rien apprendre en écoutant ou en admirant les autres?

«Ce n'est pas une question de livres ni d'apprendre des faits. Quand une femme aime ou admire, son mental est instinctivement modelé par celui qu'elle aime ou admire, et cette influence reste, même après que le sentiment a disparu ou semble avoir disparu. Ceci ne s'applique pas seulement à l’influence de X. C'est une règle générale pour vous garder libre de toute autre admiration ou influence.»

(30 mai 1932)

Ça, les gens ne le savent pas en général. C'est très vrai, mais ils ne savent pas. Quand ils se mettent à admirer toutes sortes de choses, ça devient un pot-pourri.

(silence)

C'est parmi les choses que j'ai apprises par expérience ces derniers temps: l’universalisation, le contact avec tout (geste horizontal), et alors cela a été montré au corps d'une façon si précise, dans le détail de la vibration... Dans l’état de réceptivité (geste vertical vers le Haut), de passivité réceptive (c'est-à-dire le contraire de l’action), il faut que ce soit exclusivement vers le Suprême (même geste vertical);) et cela a été enseigné au corps, aux cellules, qui ont compris – qui ont compris et qui ont maintenant l’habitude. Dans l’état d'action (geste horizontal), quand on est un avec (mettons, réduisons le problème à la terre) avec toute la terre, ce doit être une vibration active de rayonnement de la Force suprême. Réceptivité comme cela (geste vertical qui reçoit la Force) et activité comme cela (geste horizontal qui répand la Force). Et elles ont senti, elles ont compris, elles peuvent le faire. Et alors, c'est si merveilleux, dans le moindre détail, le rapport avec tout ce qui vous entoure, avec un rayonnement qui s'élargit de plus en plus.

Quand on réalise ces deux attitudes simultanément, ça abolit la contagion: la contagion mentale (justement celle dont Sri Aurobindo parle là, que l’on a quand on «admire» quelque chose), la contagion mentale, la contagion vitale et même la contagion physique – quand les cellules réalisent cela, on n'attrape plus les maladies. Parce que, avant (pendant longtemps), chaque fois que dans le champ du rayonnement d'action il se produisait quelque chose, il y avait une répercussion (en Mère). Pendant très longtemps, c'était dangereux. Puis c'était limité à un malaise qui devenait conscient, et conscient du pourquoi – du pourquoi et du comment. C'était réduit à l’état de malaise, mais c'était encore... ennuyeux. Et maintenant, c'est une sorte de... je ne peux pas dire «connaissance» parce que ce n'est pas mental, mais c'est une awareness (il n'y a pas de mots en français), c'est une perception – et c'est tout, et ça n'a pas d'action (c'est-à-dire pas de répercussions sur le corps de Mère). Et alors, tout le problème est là:

Il y a ceux qui ont trouvé cela, la verticale justement qui s'en va jusqu'aux hauteurs, et qui se sont isolés du monde (ils ne pouvaient pas le faire complètement parce qu'ils n'avaient pas la connaissance, mais ils ont essayé). Et alors ce n'est pas ça. Il y a ceux qui veulent aider, les généreux, qui sont comme cela (geste d'expansion horizontale), et puis qui attrapent tout, même les maladies mentales de tous les gens qui les entourent. Et alors, la vérité, ce sont les deux ensemble: ça, l’état passif, réceptif (geste vertical), et ça, l’état actif, de l’action et du rayonnement (geste horizontal). Et le corps est devenu tout à fait conscient du double mouvement et il travaille à le réaliser dans le détail.

C'est un grand problème résolu.

Et c'est intéressant parce que ce sont deux attitudes qui peuvent presque être simultanées, mais qui sont... Au point de vue de la vibration, de la sensation vibratoire, ce sont deux opposés qui se combinent: la réceptivité comme ça (geste) vers la Conscience, la Force, la Puissance, la Lumière, tout, qui vient d'en haut, et puis naturellement l’Amour (mais ça, l’Amour, j'en parlerai plus tard), et ça vient (geste de descente), ça vient et tout-tout est ab-so-lu-ment passif et réceptif (geste d'ouverture verticale): absorbe-absorbe-absorbe, comme cela, complètement donné et dans l’état d'éponge qui absorbe-absorbe-absorbe... Et alors, en même temps, il y a la relation avec le monde (geste horizontal) et la Puissance qui passe et qui travaille, avec le sens de la Force, de l’Action, de la Chose qui s'impose. C'est magnifique. Et dans le MÊME rayonnement vibratoire de... de «Cela». Toujours la même Perfection toute-puissante qui est absorbée et puis qui agit (geste de passage à travers Mère dans un écoulement perpétuel sur le monde).

Ça paraît être le secret de la toute-puissance. Il n'y a pas besoin du tout de passer par la connaissance mentale – ça diminue, ça rétrécit, ça durcit.

Et c'est un état de conscience aigu, c'est-à-dire tout à fait éveillé. Dans les cellules du corps, ça chasse toute l’obscurité. Naturellement, c'est un long et lent travail, mais ça chasse, c'est un état qui chasse toute obscurité, partout. Et l’obscurité est toujours le signe (le signe ou la cause) d'un désordre. Alors on sait qu'il y en a encore beaucoup. C'est un lent travail, c'est un monde! Quand on... (comment dire?) descend (on peut dire descend ou se concentre) sur cette composition cellulaire qui forme le corps, alors à la dimension du corps, c'est un monde innombrable! Un monde innombrable. Et tout est comme fait d'innombrables petits points, et chaque point est à éveiller et à inonder de conscience et de lumière – un long travail.

(silence)

Alors c'est la solution de ces deux erreurs qui se contredisent tout le temps: l’erreur du rétrécissement, de l’exclusivisme de l’influence (qui d'ailleurs pratiqué mentalement devient une limitation, une petitesse comme toutes les fois exclusives); ou bien l’éclectisme sans effet, sans force, qui fait une sorte de bouillie de tout, de toutes les idées (mentalement, cela ne fait rien, mais au point de vue de la transformation, c'est sérieux). Alors ces deux opposés, pour tous les deux le problème est résolu.

Mais cet état que je viens de décrire, il est possible dans les cellules du corps et dans la conscience corporelle, il est possible aussi dans la conscience psychique; mais vitalement et mentalement, même si l’on comprend, cela paraît une réalisation presque impossible à cause d'une fixité, une fixité dans la forme: la forme des pensées et la forme des sensations. Mentalement, cela ne pourrait se traduire que par une admission de toutes les pensées, toutes les formules, et en les surélevant vers... quelque chose qui n'est plus une pensée, qui n'est plus une chose formulée mentalement, mais qui est une lumière et une lumière consciente qui les organise et les unifie. Mais si l’on prend tout cela sur le même plan... On peut admettre tout, mais admettre tout comme un point de vue – un des innombrables points de vue – de «quelque chose» qui ne peut pas s'exprimer avec des mots parce que dès qu'on lui met des mots, c'est une formule, et la formule enlève la puissance. Mais physiquement, dans les cellules du corps, c'est très-très clairement perceptible et ça se vit très spontanément: ne recevoir que d'en haut, et répandre.

8 décembre 1967

La seule chose un peu nouvelle, c'est que le corps commence à être un peu... restless [impatient] de sa déchéance. Avant, ça lui était tout à fait indifférent, il n'y avait pas une pensée; il savait que ça se passait, mais... Maintenant, ça commence à être gênant. Alors c'est peut-être un signe, je ne sais pas? Ça commence à être gênant – pas psychologiquement mais comme cela: quand il reçoit l’Ordre de faire quelque chose et qu'il y a, pas positivement une incapacité mais une limitation à la possibilité, ça commence – il n'est pas content. Alors je me suis demandé...

Et puis la nuit, c'est comme cela aussi, il dit: «Pourquoi toute une si longue période de diminution de conscience?»

Diminution?

N'est-ce pas, il n'est heureux, il n'est dans ce qu'il considère son état normal que quand il est pleinement conscient et vibrant de la Présence. Et alors, dans les activités de la nuit... (comment dire?) ça devient plus... comme une chose à laquelle on est habitué, tu sais, comme une habitude (geste de vague qui coule): ce n'est plus la joie d'une constatation vibrante; c'est un état de choses normal, alors il n'est pas content de cela: il veut, la nuit, que ce soit la même intensité (geste vibrant). Et par exemple, il ne tolère pas l’idée de la fatigue, d'une nécessité de repos (ça, ce n'est plus jamais l’inconscient), mais le repos comme une espèce de retour sur soi, comme cela, pour réparer une usure – il n'aime pas cela: il ne doit pas y avoir d'usure; ça doit être une adaptation constante à tout ce qui est demandé de lui. Plus tard, probablement même il n'admettra plus l’effort – il n'y a pas beaucoup d'«effort», mais au lieu de l’effort, c'est une sorte de réceptivité consciente qui fait qu'il peut faire; et alors il y a tout le temps des exemples que si cette réceptivité consciente n'est pas là, eh bien, il y a une maladresse, il y a une impossibilité, il y a des choses comme cela, mais lui... Dans le temps, il avait le sentiment que c'était inévitable, maintenant il ne veut plus. Maintenant il ne veut plus: ça ne doit pas être comme cela. Par exemple, pour ranger quelque chose, pour trouver quelque chose, pour faire une chose, il a parfois le sentiment que là, ça devient difficile (ce n'est jamais tout à fait impossible parce que rien n'est demandé qui soit impossible), mais parfois c'est difficile – ça commence à lui déplaire. Et il le sent comme une infirmité, comme un manque de réceptivité, n'est-ce pas. Et puis le fait qu'il s'est voûté: dans le temps, il disait «ça s'arrangera»; maintenant, il commence à perdre patience. C'est tout nouveau. C'est depuis le 24 novembre. Parce que ce n'est pas un retour sur soi égoïste, ce n'est pas cela, ce n'est pas pour lui-même, c'est... c'est l’impression d'un manque de réceptivité à la Force, de la limitation qui vient de l’incapacité – ça ne lui plaît plus.1

13 décembre 1967

Tu as senti le tremblement de terre?... C'était avant-hier matin, à quatre heures et demie du matin. Moi, je n'ai rien senti. Mais il y a des gens qui ont senti, qui me l’ont dit.

Il était mauvais là-bas.1

Ma mère est arrivée à Bombay ce jour-là et elle a senti. Tous les chiens hurlaient; pendant trois secondes, les maisons ont été secouées.

Il y a une petite ville qui a complètement disparu.2

Non, c'est curieux... Je ne dormais pas mais j'étais hors de mon corps, alors je ne me suis aperçue de rien. Ça n'a pas réveillé mon corps.

Mais ici, ce devait être très faible. Moi, j'étais réveillé et je n'ai rien senti.

(silence)

Il y a quelque chose derrière ce tremblement de terre?

Je ne sais pas ce que c'est... Je ne sais pas vraiment ce que c'est, mais la veille, la veille au soir (je ne me souviens plus de ce que je faisais, j'étais occupée), tout d'un coup, il y a eu... Souvent il y a des petites entités vitales, je crois, ou des forces vitales (mais pour moi, ce sont des choses sans force ni puissance), une petite entité vitale qui m'a présenté le souvenir d'un tremblement de terre: nous avons eu, à peu près en 1922 ou 23, un tremblement de terre; j'étais avec Pavitra et nous étions debout et nous parlions3 (on allait sortir, c'était dans l’après-midi), et tout d'un coup, hop! nous avons sauté en l’air tous les deux. Nous savions ce que c'était parce que nous avions l’habitude du Japon. J'ai dit: «Tiens! un tremblement de terre.» Ça n'a pas duré – quelques secondes, et puis c'était fini. Alors j'avais tout à fait oublié cela, et c'est comme l’un de ces êtres qui est venu faire revenir le souvenir, et en même temps: «Hein, s'il y en avait un autre?» Oh! j'ai dit: «Quelle sottise!»

Juste la veille au soir.

Alors je me suis dit: «Quoi? Ce sont des êtres comme cela qui organisent ça?...» Je ne comprends pas... Pour la pluie, je sais: ce sont des êtres conscients, tout petits, c'est-à-dire qu'ils sont réduits à une seule fonction, et c'est avec eux que l’on peut négocier pour qu'il y ait de la pluie ou non (n'est-ce pas, ils se déplacent). Mais ça, les tremblements de terre... Je ne sais pas, le résultat me paraît être considérable pour des entités qui ont l’air de faire cela comme un amusement...

Bizarre.

Je ne peux pas dire, ils n'ont pas de forme, on ne voit pas de formes, mais ils ont une conscience qui peut s'exprimer, qui se traduit dans notre conscience en nous par des mots, des images surtout – des images, des volontés.

Mais je me souviens, je n'ai pas pris cela sérieusement du tout, j'ai dit: «Mais ça n'a pas de sens! Ça n'a pas de sens, ça n'a pas de raison d'être!» Et cela paraît être suffisant parce que, à vrai dire, il ne s'est rien passé de très grave.

16 décembre 1967

Hier soir, Pavitra m'a demandé un message pour l’ouverture de l’École aujourd'hui. Je n'étais pas très bien lunée (!) et je l’ai renvoyé. Ce matin, à cinq heures du matin, un message est venu, alors je l’ai écrit; à peine l’avais-je écrit, il y en a trois autres qui sont venus! Alors j'en ai écrit quatre, puis je les ai envoyés à sept heures du matin à K en lui disant que chaque professeur ou chaque classe choisisse (ils sont tous sur le même sujet et tous la même idée, seulement présentée sous différents angles).

Et à huit heures, tout le monde savait déjà! Ça va avec une grande rapidité... Il y a N qui m'a dit: «Mais c'est pour des classes différentes et ça n'a pas été choisi!» – J'ai dit: «Non! ce n'est pas moi qui choisis, c'est le professeur de la classe qui doit choisir.» Alors j'ai ajouté: «C'est beaucoup plus amusant pour moi!» Et je l’ai renvoyé comme cela!

C'est vrai, la même idée (ce n'est pas une «idée»), la même aspiration, le même besoin, suivant l’état dans lequel on se trouve, suivant son état de conscience (pour les hommes ordinaires, leur «façon de penser»), on approche d'un côté ou de l’autre côté.

Je ne me souviens plus du tout de ce que j'ai écrit... C'est comme d'habitude un appel à la Vérité.1

(silence)

Il y a quelque chose qui paraît paradoxal, mais qui est très intéressant, c'est cela (Mère prend un papier et écrit):

«La meilleure manière de se préparer à recevoir l’Amour Divin, c'est d'adhérer intégralement à la Vérité.»

(Puis Mère écrit une deuxième note)

«Adhère totalement à la Vérité et tu seras prêt à recevoir l’Amour Divin.»

Alors les braves gens intelligents ont la tête qui tourne quand on leur dit cela! (Mère rit)... Je dois dire que ça m'amuse beaucoup de leur faire tourner la tête!

Mais c'est vrai par dessus le marché! C'est vrai, c'est comme cela. Chaque fois qu'il y a (c'est plus qu'une aspiration, beaucoup plus qu'une volonté, c'est ce qu'en anglais on appelle urge: soif) de laisser l’Amour Divin s'exprimer complètement, totalement, partout, la base, le terrain propice: la Vérité.

Naturellement, Sri Aurobindo Ta dit. Il a dit, il a écrit en toutes lettres (je ne me souviens plus des mots): «The pure divine love can manifest safely only in a... in a ground (ce n'est pas «ground»...) of Truth» [l’amour divin pur ne peut se manifester sans accident que sur un terrain de Vérité]. Je ne me souviens plus. Si l’on voulait dire poétiquement, on dirait: «In a land of Truth» [dans un pays de Vérité].

Alors, avant de pouvoir proclamer: «Amour, manifeste-toi, remporte la Victoire», il faut que le terrain de Vérité soit prêt.

À l’École, c'est cela que je leur ai mis à tous, là: d'aspirer-d'aspi-rer à la Vérité. Je me souviens plus du tout de ce que j'ai écrit... (Mère cherche). l’un, c'est: «Que la Vérité soit notre maître et notre guide», et puis il y en a deux autres, et puis il y a: «O Vérité...» Je ne me souviens plus.

Ça, c'est un phénomène tout à fait remarquable: une seconde avant, c'est absolument blank, vide, il n'y a pas un mot, pas une pensée, pas une idée, rien, comme ça, je ne pense à rien. On me demande un message, j'ai dit: «Je n'ai rien à dire.» Ça vient comme cela, impérativement; si je peux (c'est-à-dire si Mère est libre), je l’écris et puis c'est fini; si je ne peux pas l’écrire (c'est-à-dire si Mère est occupée avec les gens), ça revient obstinément jusqu'à ce que ce soit écrit. Une fois que c'est écrit: parti! il n'y a plus rien. Une autre manière de présenter vient, une autre forme: ça aussi, parti!...

Ça (geste au front), tu sais, c'est comme une boîte vide (c'est très-très agréable), boîte vide, tranquille, comme ça: ce n'est pas fermé, ce n'est pas compact, c'est ouvert, mais c'est une boîte, vide – elle est vide; c'est tout blanc dedans, ça ne bouge pas. Et alors, je ne fais même pas un effort pour faire descendre, rien: «Ce n'est pas mon affaire.» On me demande, je dis: «Rien, je n'ai rien à dire», ou bien alors tout de suite, il y a quelque chose qui fait comme cela (geste alerté, en éveil), qui se tient debout et qui reste attentif, et puis une minute, deux minutes, dix minutes (ça, je n'en sais rien), tout d'un coup, ploff! ça tombe. Alors j'écris. Et en tombant, ça ramasse des mots et ça fait sa phrase. Quelquefois, c'est en français; quelquefois, c'est en anglais – ça dépend surtout du destinataire, mais ça dépend aussi du sujet. Et alors si (c'est pour cela que j'ai des papiers, des crayons partout), si j'ai mon papier, mon crayon, j'écris, et c'est fini; si je n'écris pas, si je dis: «Ah! je noterai cela tout à l’heure», alors toutes les secondes ça vient et vient et revient... jusqu'à ce que ce soit écrit. Quand c'est écrit: parti!

Mais il y a (comment Sri Aurobindo l’appelait-il?)2 on pourrait dire en français un «critique» (il y a un critique toujours là) et puis qui dit: «Est-ce que tu as bien mis le bon mot? est-ce qu'au lieu de cela, il ne vaudrait pas mieux mettre cela? est-ce que c'est exactement ce qu'il faut?» Et puis: «Est-ce que tu es sûre qu'il n'y a pas de fautes d'orthographe, est-ce que tu as écrit convenablement?» Comme cela. Il est agaçant comme tout! Alors quelquefois, je lui dis: «Laisse-moi tranquille!» (même pas aussi poliment que cela). Quelquefois je donne le papier, puis je reprends le papier, je dis: «Je vais voir» – jusqu'à ce qu'il soit satisfait. Quelquefois, il y a un mot qui n'est pas tout à fait bien écrit, alors il dit: «Ah! tu vois, tu vois, tu t'es trompée là.» Quelquefois, il y a des fautes d'orthographe: «Tu vois, tu vois, tu t'es trompée!»

Et maintenant, je ne sais même plus ce que j'ai écrit pour l’École. Je sais que l’un, c'était sous forme de souhait (il y en avait deux ou trois comme cela), et il y en avait un qui était sous forme de prière, c'est-à-dire adressé directement à la Vérité: O Vérité...

Mais c'est très agréable d'avoir ça vide, oh! très reposant.

Et quand, du dehors, les gens remplissent ça avec des lettres, des nouvelles, des demandes (n'est-ce pas, ça s'entasse), alors je n'ai qu'un moyen, le moyen le plus simple, c'est de faire comme cela (geste d'offrande): «Tiens... (ce que Sri Aurobindo appelle surrender), tiens, ce n'est pas mon affaire, ça ne me regarde pas.» Alors c'est fini.


(Mère entre dans une longue contemplation qui dure plus d'une demi-heure, puis dans un état encore un peu «lointain» elle se met à parler en anglais:)

I saw a strange beast who came from there like that (Mother shows her left side), made a round around you and went away. It was a horse with a lion's head.
Beautiful beast! It was a lion, the head like that, the front form was a lion and behind it was a horse. And it was the symbol of... a symbolical animal of something. At the moment I understood perfectly well, I said ah! and...
Very dignified. Came from there (same gesture on the left) like that, made a round around you and went away. It was for you. Lion is power, and horse...
And like that, it seems silly, but he was very beautiful, and of a beautiful colour. And very dignified.

(traduction)

«J'ai vu une étrange bête qui venait de là (geste à gauche), qui a fait un tour autour de toi et qui est partie. C'était un cheval avec une tête de lion.

Une belle bête! C'était un lion, la tête comme cela; la forme de devant était un lion, et derrière c'était un cheval. Et c'était le symbole de... un animal qui symbolisait quelque chose. Sur le moment, j'ai parfaitement compris et j'ai dit ah! et puis...

Très digne. Il est venu de là (même geste à gauche), a fait un tour autour de toi et il est parti. C'était pour toi. Le lion, c'est le pouvoir, et le cheval...3

Et dit comme cela, ça a l’air idiot, mais il était très beau et d'une jolie couleur. Et très digne...»

(suite)

Tiens!... (Mère s'aperçoit qu'elle parle en anglais) c'est Sri Aurobindo qui t'a dit tout cela. C'est drôle, hein, ça vient comme cela.

C'était quelque chose qui venait t'annoncer quelque chose. C'était un être, mais un être... Il doit y avoir des êtres comme cela. C'était tout dans la lumière, et c'était quelque chose... c'était pour t'annoncer quelque chose.

Mais si réel!

20 décembre 1967

Mère arrive avec trois quarts d'heure de retard

Il y a évidemment une volonté d'abolir le sens du temps, parce que... C'est très intéressant, il y a toutes sortes d'expériences comme cela. J'ai du travail normalement pour trente-six heures sur vingt-quatre, et alors tous les jours, je suis naturellement de plus en plus en retard: je me couche de plus en plus tard, et le travail de la nuit il faut que je le fasse, et quelquefois je suis en retard le matin, quelquefois il m'est arrivé même d'être en retard d'une heure. Alors, le matin, avec une certaine concentration, je fais en une demi-heure ce qui me prend normalement une heure. Là, j'ai appris beaucoup.

Maintenant, à cette heure-ci (10h45), je vois, la seule fatigue, c'est le sentiment d'être en retard, autrement on peut travailler indéfiniment. Et il y a quelque chose à apprendre. Je te dis cela parce que ça vient de me venir; il vient de me venir que c'est afin de trouver la clef de ce qui maîtrise le temps: non pas d'être régulier, mais de tout faire, soit sur longtemps, moins longtemps, dans un temps rétréci, dans un temps allongé – que le temps n'ait pas de réalité concrète.

Pour moi, ce serait très facile; la difficulté, ce sont tous les gens, tous ceux qui m'entourent et qui (riant) ont une vie comme cela (geste chaotique), qui n'a pas de sens. Elle a une apparence incohérente. Je ne peux pas dire à quelqu'un: «Je vous verrai à telle heure», parce que ce n'est pas vrai! je ne sais pas à quelle heure je le verrai. Et alors, comme les gens ont l’habitude d'avoir une heure régulière pour manger, pour dormir, pour leur travail et que tout cela est réglé, ça fait une confusion épouvantable – mais comment faire?

Ce n'est pas commode. Quand on est tout seul, ça ne fait rien, mais quand on est avec beaucoup-beaucoup de gens, c'est très difficile.

Il y a le sens d'une élasticité du temps, c'est-à-dire qu'il n'a pas de réalité concrète; ce qui lui donne une réalité concrète, ce sont les organisations humaines... Il n'y aurait que le soleil, mais pour le moment, ça ne dérange pas beaucoup parce que ce que je fais n'a pas besoin de jour; on peut se reposer à n'importe quelle heure et on peut travailler à n'importe quelle heure, mais une vie organisée telle qu'elle est...? Je ne sais pas.

Il y a quelque chose à trouver.

Mais la chose à trouver, ce serait de pouvoir raccourcir le sommeil et d'enlever la fatigue.

Ça ne suffit pas. Ça ne suffit pas parce que, moi, je l’ai faite, cette expérience: j'étais arrivée à ne me reposer que deux heures toutes les nuits, et ça ne servait absolument à rien – absolument à rien. Plus on a de temps, plus on a de travail.

Oui!

Et alors maintenant, c'est une véritable cohue tous les jours. C'est quarante, cinquante, soixante personnes par jour. Sans compter toutes les choses à signer, toutes les choses à voir, et puis le côté financier qui est particulièrement... (riant) «intéressant», c'est-à-dire que plus j'ai de travail, moins j'ai d'argent. Je suis presque à l’heure l’heure pour payer, et encore je dois de l’argent à des gens qui réclament violemment... parce que naturellement, ceux qui attendent leur argent pour payer leur nourriture, ce n'est pas très commode s'ils ne l’ont pas.

Mais c'est une espèce de tour de force, c'est quelque chose pour abolir tout ce qui est considéré comme les règles normales et naturelles. Voilà.

Ce n'est pas pour te donner une explication de mon retard, parce que j'ai essayé d'être à temps! Ce n'est pas pour cela, ce n'est pas que je me laisse aller comme cela, pas du tout; mais il y a une volonté certainement beaucoup plus effective que la mienne.1

(Puis Mère donne des fleurs)

Ça, c'est la «pureté divine».2 Qu'est-ce que ça veut dire, la pureté divine?... Que le Divin ne reçoive que sa propre influence!... Je comprends! Ou alors, que l’individu ne reçoive plus que l’influence divine – tiens, mon petit. (Mère donne la fleur)


Peu après

Et puis, je t'ai parlé du message pour le 21 février? Non? Ce n'est pas avec toi que c'est venu?...

C'est juste pour briser les formules, tu sais, les formules de pensée, les catégories mentales, et ce n'est pas de ma faute (je veux dire que je ne l’ai pas fait exprès). C'est venu comme cela (Mère lit son message):

«Le plus sûr moyen de hâter la Manifestation de l’Amour Divin, c'est de collaborer au triomphe de la Vérité.»

Alors, pour l’esprit superficiel... Pour nous, nous savons que c'est vrai parce que, comme Sri Aurobindo l’a dit, il faut que la Vérité vraiment soit établie et règne pour que l’Amour Divin puisse se manifester dans toute sa puissance et sa gloire sans... démolir tout. Sri Aurobindo était plus fort que cela, il disait que ça «détruirait» tout.

Alors je vais donner cela.


Puis Mère revient au début de la conversation:

Oh! la correspondance, c'est devenu quelque chose de fantastique! vingt-quatre, vingt-six, trente, quelquefois quarante lettres par jour. Et alors, naturellement, j'ai beau faire... Quand c'est juste un mot, ça va bien, mais je ne peux guère répondre qu'à huit ou dix tous les jours: je n'ai qu'une heure et demie, ce n'est pas beaucoup – même pas! non-non, l’heure est de trop: j'ai une demi-heure! Mais je prolonge: j'ai de sept heures à sept heures et demie du soir, mais je prolonge jusqu'à huit heures tous les jours. Le dîner est censément pour sept heures et demie, je le prends à huit heures. Censément aussi, je me couche à neuf heures et demie et je me lève à quatre heures et demie, et je me suis couchée hier, il était presque onze heures – dix heures et demie, c'est courant, c'est-à-dire une heure de retard. Et alors, de temps en temps, je me lève en retard. N'est-ce pas, entre une heure et deux heures du matin comme cela (minuit et demie, une heure, deux heures), j'ai fini le premier stade de concentration pour bien reposer le corps; après cela, je commence à travailler; alors avant de travailler, une petite concentration pour que, quel que soit le travail, retour à quatre heures et demie; mais quelquefois c'est plus tard, quelquefois c'est cinq heures moins le quart. Après, alors, j'ai un temps pour la toilette le matin, et là il y a eu des expériences vraiment intéressantes: avec une certaine concentration (qui n'a rien à voir avec une volonté ni tout cela: c'est une concentration, un certain genre de concentration et de mise en rapport avec la Présence – et le sens de la relativité, la très-très considérable relativité du temps matériel); avec une intensité de concentration, on peut faire la même chose beaucoup plus vite; je suis arrivée à trouver qu'on peut réduire le temps de plus de moitié, simplement par la concentration. Et on fait les choses exactement de la même manière, mais cela ne prend pas de temps – comment?... Ça, les secrets ne sont pas encore révélés. Mais le phénomène existe.

Et c'est le même principe qui joue (ce n'est pas un «principe»: c'est une façon de faire ou une façon d'être) qui joue pour toutes choses: pour la fatigue, pour les débuts de maladie, c'est-à-dire les causes de la maladie (le désordre intérieur ou la réceptivité au désordre venant du dehors), ça joue aussi de la même façon. Si l’on y ajoute l’intensité d'une foi ou d'une adoration, alors c'est beaucoup plus facile, mais ça joue de la même manière. Et alors, qu'est-ce qui arrive? Pour la perception intérieure, la perception de la conscience, c'est une espèce de principe de désordre – un principe, presque un goût, je ne sais pas, c'est entre l’habitude et une préférence de désordre – remplacé par... oui (pour être aussi général que possible) par une vibration d'harmonie. Mais cette vibration d'harmonie est pleine de lumière, de douceur, de... de chaleur, d'intensité, et c'est d'un cal-me, merveilleux! Et alors «ça», quand ça remplace l’autre, alors tout ce qui appartient au monde du désordre se dissout. ET cette rigidité du temps disparaît.3 Le temps... peut-être pourrait-on dire (c'est une façon de dire seulement), on pourrait dire que le temps est remplacé par une succession... (Mère reste longtemps absorbée)

Et cela, ça appartient en propre au monde matériel.

N'est-ce pas, je prends les choses les plus simples et les plus concrètes comme, par exemple, de se laver les dents; c'est extrêmement flexible et les choses se font, pas par habitude mais par une sorte de choix basé sur une expérience personnelle et une routine pour qu'il n'y ait pas la nécessité d'une concentration spéciale (la vraie raison d'être de la routine, c'est pour éviter la nécessité d'une concentration spéciale: ça peut se faire presque automatiquement). Mais cet automatisme est très flexible, très plastique, parce que suivant, justement, l’intensité de la concentration, le temps varie – le temps varie: on peut (en regardant la montre avant et après on se rend compte), on peut diminuer certainement de plus de la moitié, et les choses sont faites exactement de la même manière. C'est cela: on ne supprime rien, on fait de la même manière. Pour en être sûr, par exemple, on peut compter le nombre de fois que l’on brosse ou le nombre de fois que l’on rince – je prends la chose la plus banale EXPRÈS, parce que dans les autres activités, il y a une souplesse naturelle qui permet de se répandre et de se concentrer (là, ça se comprend plus facilement), mais dans les choses les plus concrètes et les plus banales, c'est comme cela aussi. Et il n'y a pas de: «Oh! je ne ferai pas cela aujourd'hui», ou bien: «Je néglige ça» – il n'y a rien de cela, rien du tout: tout se fait de la même façon, mais avec une sorte de concentration et d'appel constant – ça, l’appel constant est toujours là. l’appel constant qui pourrait se traduire matériellement par prononcer le mantra, mais ce n'est même pas cela: c'est le sens, le sens de l’appel, de l’aspiration – c'est surtout un appel. Appel. N'est-ce pas, quand le mental veut faire des phrases, il dit: «Seigneur, prends possession de Ton royaume.» Je me souviens pour certaines choses, quand il y a certains désordres, quelque chose qui ne va pas (et avec la perception d'une conscience qui est devenue très aiguë, on peut voir quand ce désordre est l’origine naturelle d'une maladie, par exemple, ou de quelque chose de très grave), et avec l’appel, la concentration et la réponse... [ça se dissout]. C'est presque de la soumission, parce que c'est un don sans calcul: l’endroit qui est endommagé s'ouvre à l’Influence non pas avec l’idée d'être guéri, mais comme cela (geste comme une fleur qui s'ouvre), comme cela simplement, sans condition – ça, c'est le geste le plus puissant.

Mais ce qui est intéressant, c'est que de formuler en mots donne quelque chose d'artificiel – c'est beaucoup plus sincère, beaucoup plus vrai, beaucoup plus spontané qu'aucune chose exprimée ou exprimable par le mental. Aucune formule ne peut donner la sincérité – simplicité, sincérité, spontanéité, quelque chose de sans calcul – du mouvement matériel. Et il y avait un temps où d'exprimer, de formuler était une sensation très désagréable, c'était comme mettre quelque chose d'artificiel sur quelque chose qui est spontanément vrai; et alors ce déplaisir n'a été guéri que par, d'abord une connaissance supérieure que tout ce qui est formulé doit être dépassé. Par exemple, toute expérience exprimée ou décrite nécessite un progrès nouveau, une expérience nouvelle. C'est-à-dire que ça hâte le mouvement. Et cela, ça a été une consolation, parce que justement avec l’ancienne sensation de quelque chose de très stable et de très solide et d'immobile à cause de l’inertie (l’inertie passée, qui est en train de se transformer et qui a laissé des traces), à cause de cette inertie, il y a une tendance à préférer que les choses soient solides; et alors ça se réjouit d'être obligé: non-non! pas de repos, pas d'arrêt, allez! – plus loin, plus loin, plus loin... Quand une expérience a été très fructueuse et très-très plaisante pourrait-on dire, qu'elle a eu une grande force et un grand effet, le premier mouvement est de dire: «Ça, on n'en parle pas, on va le garder.» Et alors après, vient: «On va le dire pour aller plus loin» – pour aller plus loin, toujours plus loin, toujours plus loin...

Il y a une stabilité dans la résolution et dans l’aspiration, une stabilité qui ne se trouve nulle part ailleurs autant qu'ici (Mère frappe le sol). Ça, c'est la caractéristique de la Matière. Et quand, tu sais, quand elle s'est donnée et qu'elle a la foi, ça devient si stable, si constant et... la joie, cette espèce d'élargissement, d'expansion lumineuse, ça devient un besoin si perpétuel que dans aucune autre partie de l’être ça n'a jamais été comme cela. C'est quelque chose qui est établi. Et établi sans effort, établi spontanément, naturellement, normalement. Alors on peut prévoir que quand cette Matière deviendra vraiment divine – vraiment divine –, sa manifestation sera infiniment plus complète, plus parfaite dans les détails, et plus stable que n'importe où ailleurs.4


(Vers la fin de l’entrevue, Mère passe à la traduction anglaise de son message du 21 février et hésite sur une tournure de phrase:)

J'ai remarqué que si l’on demande à un Anglais maintenant, ils sont beaucoup plus souples que ceux qui ont appris l’anglais du temps de Victoria, qui était beaucoup plus rigide.

Généralement, je n'ai qu'à écouter et Sri Aurobindo me dit... Sri Aurobindo, son anglais était très souple et les puristes discutaient sur certaines formules, et je me souviens, pour certaines critiques, il me disait: «Mais c'est parce qu'ils ne comprennent pas! Si je dis comme cela, ça veut dire une chose, et si je dis comme cela, ça veut dire quelque chose d'autre. Et si je déplace un mot dans ma phrase, ça change le sens.» Il était très exact.

Si l’on prend des petits mots comme celui-ci (Mère a hésité entre «collaborate to the triumph of the Truth», et «collaborate for»),5 il y a une différence subtile de sens si l’on emploie l’un ou l’autre. Et la formule classique généralement donne le sens le plus banal, le plus ordinaire, le plus superficiel.

27 décembre 1967

(Mère regarde un agrandissement de la même photo du darshan du 24 novembre dont il a déjà été question.)

Je commence à penser que c'est une espèce de «prototype d'une manière d'être». Un prototype là-haut, d'une manière d'être. Je ne sais pas, ce n'est pas ça et c'est ça; je ne sais pas comment expliquer... Cela me fait l’effet d'une photographie de ce que l’on pourrait appeler vulgairement un «état d'âme» – une manière d'être universelle.

C'est très curieux en tout cas.

(Riant) On pourrait dire: la façon dont une mère regarde sa progéniture, ou bien la façon dont le Créateur regarde sa création!... C'est très curieux. N'est-ce pas, on nous a toujours donné l’image d'un Dieu béat et satisfait, disant: «C'est bien.» Et là (riant) c'est... «Bah! bah!»

Voilà.


Peu après

Il y a un changement... Tu sais que l’ex-frère A avait parlé de ce prêtre qui disait des grossièretés sur l’Ashram – ce prêtre a reçu l’ordre d'arrêter de parler et de dire de mauvaises choses. Et c'est général, on ne dit plus rien sur l’Ashram. Et puis tu sais que par l’ordre du pape, on a changé l’orientation de tous les autels; on a demandé à U de le faire, il a fait toutes les églises de Pondichéry; alors l’archevêque a écrit un mot en disant de «remercier la Mère parce que ses enfants ont fait du très bon travail»... Tu comprends, cela veut dire un changement. Cela veut dire qu'ils ont reçu des ordres.

Et j'ai reçu de ce ex-frère A un mot si gentil (parce qu'il a reçu un panier pour Noël), mais un joli, un charmant petit mot, c'est-à-dire quelque chose de senti, en disant que le «meilleur de lui-même se sent toujours en ma présence». Vraiment, un changement intérieur.

J'ai fortement l’impression qu'ils ont reçu des ordres d'en haut. Ça me fait un grand changement dans l’atmosphère.


(À propos de la violente agitation dans le Sud de l’Inde contre l’imposition du hindi – langue du Nord – comme langue officielle. C'est cette même agitation qui, en 1965, avait amené une attaque contre l’Ashram au cours de laquelle des disciples ont été blessés et des bâtiments incendiés – à cette époque-là, le gouverneur avait laissé les émeutiers attaquer l’Ashram sans intervenir. Rappelons que la majorité des disciples vient du Nord de l’Inde. Depuis quelques jours, on brûle des trains, des autobus, des bureaux de poste...)

Et tu as remarqué qu'il y a de la police à la porte?... C'est le ministre (il y a un ministre qui est venu ici) qui a envoyé l’ordre au «lieutenant governor» de garder l’Ashram.

(silence)

S'il y avait un moyen (c'est à cela que je travaille depuis quelque temps), un moyen de faire comprendre à toute cette jeunesse que de détruire, ça ne construit pas – ils ne peuvent rien-rien faire naître avec ce moyen-là. Qu'ils veuillent changer l’état des choses, c'est entendu – peut-être qu'ils ne voient pas très clair vers quoi on doit aller, mais que l’on doive changer, c'est une affaire entendue –, mais enfin, employer ce moyen-là est tout à fait imbécile... Ils ont encore envoyé une bombe à cette pauvre Indira! Elle était dans une université, à Shantiniketan, elle était allée faire un discours pour la distribution des prix (ou quelque chose comme cela) et on lui a envoyé une bombe. Mais cette fois, elle n'a rien eu.

N'est-ce pas, c'était le moyen des forces adverses pour prouver que la création était mauvaise: ils n'étaient pas satisfaits de la création et alors ils ont commencé à faire cela – c'est cela qu'ils ont fait en grand. Mais ça ne prouve rien! Ils ont établi la mort, ils ont établi la destruction et toutes les violences et toute la haine, enfin ils ont tout changé à l’envers, et ils ont pensé que, comme cela, le monde deviendrait un monde supérieur – c'est idiot.

Et tous ces gens-là maintenant sont à la queue-leu-leu sans même savoir ce qu'ils font ni pourquoi ni comment ni rien!... C'est au nom de la liberté et au nom, oui, du libre progrès qu'ils agissent, parce qu'on veut les mettre sous une loi arbitraire (le hindi) – la loi arbitraire est idiote, mais ce qu'ils font est encore plus bête.

Oui, mais ça, ce sont tous les politiciens qui sont en cause.

Oh! oui.

Les étudiants suivent des mots d'ordre.

J'ai des nouvelles de derrière. Je connais des jeunes gens qui font partie de ces mouvements d'agitation, mais qui sont intelligents et qui, eux, ne veulent pas de violence – mais ils veulent que ça change. Et il y a toutes sortes de choses très intéressantes: il y en a un (ce sont des jeunes gens qui vivent dans leur famille, j'en connais de différents endroits et de différents types), mais il y en a un tout dernièrement (du côté de Calcutta), dont le père s'est inquiété (son père, je le connais très bien), il s'est inquiété et il était l’ami d'un très haut personnage dans la police; il l’a fait venir et cet homme a questionné le fils, et il a dit au père: «Votre fils est remarquable, tout à fait intelligent, tout à fait remarquable...» Mais alors, cela a révélé une chose, c'est qu'il y a des espions de la police, et ces espions disent des mensonges contre les gens pour se faire valoir, et alors il y a beaucoup de rapports qui sont faux – ça, je le savais depuis longtemps, mais là, c'est devenu très clair, très évident. Par exemple, on avait fait des rapports que ce garçon était mêlé à des actes de violence: il n'y a jamais touché! Et cet homme qui l’a questionné en a été complètement convaincu parce que c'est un garçon qui ne peut pas faire cela, et il a dit: «Je désapprouve totalement.» Mais les rapports de police avaient dit cela. Alors, ça complique, n'est-ce pas: ce mensonge qui est partout, qui est mêlé à tout.

Il est de toute évidence que ce sont ceux d'en haut qui sont responsables, parce que ce ne sont pas de vraies personnes: ils n'ont pas la connaissance, ni la vision, ni la sagesse nécessaires pour gouverner... Par exemple, il y a Indira, paraît-il, qui se plaignait; une de ses amies (ses bonnes amies) est une très bonne disciple à moi, alors elle lui a dit un jour qu'elle se plaignait (elle disait que c'était effroyable, l’état dans lequel les gens étaient, le gouvernement était), l’autre lui a répondu: «Mais pourquoi ne vas-tu pas consulter Mère? Elle te donnera la sagesse.» Et alors Indira a dit: «Je n'ose pas.»1

N'est-ce pas, toute cette confusion, tous ces désordres, ça a l’air de vouloir préparer les gens à une chose qui, évidemment, jusqu'à présent, n'a même pas été imaginée comme possible: c'est d'avoir recours à une sagesse désintéressée pour gouverner. Eux, ils sont tous pris dans le «si je fais ça, j'aurai ceux-ci contre moi; si je fais ça, j'aurai ceux-là...»

(silence)

Tout au fond de la chose, ce sont les deux tendances ou les deux conceptions qui s'affrontent. La première dit: «C'est mal fait: détruisons et on recommencera», depuis le haut jusqu'en bas. Et l’autre dit: «Ce n'est pas comme il faut: transformons.» Et ça, ce sont ces deux choses qui s'opposent: l’effort de progrès et de transformation, ou le moyen brutal et stupide qui brise tout et puis qui recommence, et alors c'est indéfiniment.

Ça se réduit à la lutte entre la Mort et la Vie; la vie progressive et de plus en plus divine, et la Mort qui abolit systématiquement tout ce qui n'est pas divin. Parce que c'est seulement ce qui est divin qui lui échappe.

Mais c'est un procédé... interminable.

C'est le pouvoir de transformation progressive qui doit être infusé dans la Matière.

30 décembre 1967

(Mère extrait d'une pile de papiers, de lettres, d'enveloppes de toutes sortes, une note sur Auroville qui a été rédigée de mémoire d'après ses paroles.)

(Riant) Tout cela est dans un équilibre merveilleux!

(le disciple lit la note)

«Auroville will be a self-supporting township.

«All who live there will participate in its life and development.

«This participation may be passive or active.

«There will be no taxes as such but each will contribute to the collective welfare in work, kind or money.

«Sections like Industries which participate actively will contribute part of their income towards the development of the township. Or if they produce something (like foodstuff) useful for the citizens, they will contribute in kind to the township which is responsible for the feeding of the citizens.

«No rules or laws are being framed. Things will get formulated as the underlying Truth of the township emerges and takes shape progressively. We do not anticipate.»

(traduction)

«Auroville subsistera par ses propres moyens.

«Tous ceux qui vivront là participeront à la vie de la ville et à son développement.

«Cette participation peut être active ou passive.

«Il n'y aura pas d'impôts comme tels, mais chacun contribuera au bien-être collectif par son travail, en nature ou en espèces.

«Les secteurs comme les industries, qui participent activement, feront contribution d'une partie de leurs revenus pour le développement de la cité. Ou bien s'ils produisent des articles ayant une utilité pour les habitants de la ville (comme les produits alimentaires), ils apporteront leur contribution en nature à la ville, laquelle est responsable de la nourriture des habitants.

«Aucune règle ni loi ne sont édictées. Les choses se formuleront d'elles-mêmes à mesure que la Vérité latente de la ville émergera et prendra forme peu à peu. Nous ne voulons pas anticiper.»

C'est tout?

Je croyais en avoir dit plus que cela. Parce que j'en ai dit beaucoup-beaucoup intérieurement sur l’organisation de la nourriture, etc.... On va faire des essais.

Il y a des choses qui sont vraiment intéressantes; par exemple, je voudrais qu'il y ait... D'abord, chaque pays aura son pavillon, et dans le pavillon, il y aura une cuisine du pays, c'est-à-dire que les Japonais pourront manger du japonais s'ils le veulent (!) etc., mais dans la ville elle-même, il y aura la nourriture pour les végétariens et la nourriture pour les non-végétariens, et aussi une sorte d'essai pour trouver la «nourriture de demain». N'est-ce pas, tout ce travail d'assimilation qui vous rend si lourd (ça occupe tellement de temps et d'énergie de l’être), que ce soit fait AVANT, que l’on vous donne quelque chose qui soit imédiatement assimilable, comme ils le font maintenant; par exemple, ils ont des vitamines directement assimilables et aussi... (comment appellent-ils cela?... Mère cherche... j'en prends tous les jours... les mots et moi, nous ne sommes pas très amis!)... des protéines. Des principes nutritifs qui se trouvent dans telle, telle ou telle chose et qui ne sont pas volumineux – il faut une quantité formidable pour assimiler très peu. Alors maintenant qu'ils sont assez adroits au point de vue chimique, on pourrait simplifier. Les gens n'aiment pas cela, simplement parce que... parce qu'ils prennent un plaisir intense à manger (!) mais quand on ne prend plus plaisir à manger, on a besoin d'être nourri et de ne pas perdre son temps à cela. On perd un temps énorme: un temps à manger, un temps à digérer, et puis le reste. Et là, je voudrais qu'il y ait une cuisine d'essai, une espèce de «laboratoire culinaire», pour essayer. Et les gens iraient ici ou là, ou là, suivant leurs goûts, leurs tendances.

Et on ne paye pas la nourriture, mais on doit donner du travail, ou des ingrédients: ceux qui auraient, par exemple, des champs, donneraient le produit de leurs champs; ceux qui auraient des usines, donneraient leurs produits; ou son propre travail en échange de la nourriture.

Ça supprime beaucoup déjà de la circulation monétaire intérieure.

Et pour tout, on pourrait trouver des choses comme cela... Au fond, ce doit être une ville d'études – d'études et de recherche du comment vivre d'une manière à la fois simplifiée et où les qualités supérieures ont PLUS DE TEMPS pour se développer. Voilà.

C'est seulement un petit commencement.

(Puis Mère reprend le texte phrase par phrase)

«Auroville will be a self-supporting township.»
[Auroville subsistera par ses propres moyens.]

Je veux insister sur le fait que ce sera une expérience: c'est pour faire des expériences – des expériences, des recherches, des études.

Une cité expérimentale?

Oui... Auroville sera une cité qui essaiera d'être, ou qui tendra vers ou qui voudra être «self-supporting», c'est-à-dire...

Autonome?

«Autonome», on le comprend comme une sorte d'indépendance qui coupe les relations avec le dehors, ce n'est pas cela que je veux dire.

Par exemple, ceux qui produisent de la nourriture, une usine comme «Aurofood» (naturellement, quand on sera cinquante mille, ce sera difficile de suffire aux besoins, mais pour le moment nous ne serons que quelques milliers tout au plus), eh bien, une usine produit toujours beaucoup trop... Alors elle vendra au-dehors et recevra de l’argent. Et «Aurofood», par exemple, veut avoir une relation spéciale avec les ouvriers, pas du tout le vieux système – quelque chose qui soit une amélioration du système communiste, une organisation plus équilibrée que le soviétisme ou le communisme, c'est-à-dire qui ne pèse pas trop d'un côté par rapport à l’autre.

l’idée d'Aurofood est bonne et ils essayent de faire de la propagande parmi les industriels.

Et il y a une chose que je voulais dire. La participation au bien-être et à l’existence de la ville tout entière n'est pas une chose calculée individuellement: tel individu doit donner tant. Ce n'est pas comme cela. C'est calculé d'après les moyens, l’activité, les possibilités de production; ce n'est pas l’idée démocratique qui découpe tout en petits morceaux égaux, qui est une machine absurde – c'est calculé d'après les moyens: celui qui a beaucoup donne beaucoup, celui qui a peu donne peu; celui qui est fort travaille beaucoup, celui qui n'est pas fort fait autre chose. N'est-ce pas, c'est quelque chose de plus vrai, de plus profond. Et c'est pour cela que je n'essaye pas d'expliquer tout de suite parce que les gens vont se mettre à faire toutes sortes de protestations. Il faut que ça se crée automatiquement pour ainsi dire, avec la croissance de la ville, dans 1e vrai esprit. C'est pour cela que cette note est tout à fait succincte.

Par exemple, cette phrase:

«Tous ceux qui vivront là participeront à la vie de la ville et à son développement...»

...selon leurs capacités et leurs moyens, non pas mécaniquement: tant par unité. C'est cela. Il faut que ce soit une chose vivante et vraie, pas une chose mécanique. Et «selon les capacités», c'est-à-dire que celui qui a des moyens matériels comme ceux que donne une usine, devra fournir proportionnellement à sa production: pas tant par individu et par tête.

«This participation may be passive or active.»
[Cette participation peut être active ou passive.]

Je ne comprends pas ce qu'ils veulent dire par «passive» (parce que moi, j'ai parlé en français et ça a été mis en anglais). Qu'est-ce qu'ils peuvent vouloir dire par «passive»?... Ce serait plutôt à des plans, à des niveaux de conscience différents.

Tu voulais dire que ceux qui sont des sages, au fond, qui travaillent à l’intérieur, n'ont pas besoin...

Oui, c'est cela. Ceux qui ont une connaissance supérieure n'auront pas besoin de travailler de leurs mains, c'est cela que je veux dire.

«There will be no taxes as such but each will contribute to the collective welfare in work, kind or money.»
[Il n'y aura pas d'impôts, mais chacun contribuera au bien-être collectif par son travail, en nature ou en espèces.]

Alors c'est entendu: il n'y aura pas de taxes ni d'impôts, mais chacun devra contribuer au bien-être collectif par son travail, en nature ou en espèces. Ceux qui n'auront pas autre chose que de l’argent donneront de l’argent. Mais le «travail», ce peut être un travail intérieur à dire vrai (mais cela ne peut pas se dire, parce que les gens ne sont pas assez honnêtes), le travail peut-être un travail occulte, tout à fait intérieur, mais pour cela, n'est-ce pas, il faut que ce soit absolument sincère et vrai et avec la capacité: pas de prétentions. Mais ce n'est pas nécessairement un travail matériel.

«Sections like Industries which participate actively will contribute part of their income towards the development of the township. Or if they produce something (like food-stuff) useful for the citizens, they will contribute in kind to the township which is responsible for the feeding of the citizens.»

[Les secteurs comme les industries, qui participent activement, feront contribution d'une partie de leurs revenus pour le développement de la cité. Ou bien s'ils produisent des articles ayant une utilité pour les habitants de la ville (comme les produits alimentaires), ils apporteront leur contribution en nature à la ville, laquelle est responsable de la nourriture des habitants.]

C'est ce que nous avons dit. Les industries participeront activement, contribueront. Si ce sont des industries qui produisent des articles dont on n'a pas un besoin constant – et par conséquent en quantité ou en nombre trop grand pour l’utilisation dans la ville et qui vendront au-dehors –, ceux-là naturellement doivent participer avec de l’argent. Et je donne comme exemple la nourriture: ceux qui produisent de la nourriture donneront ce qu'il faut à la ville (en proportion de ce qu'ils produisent, naturellement), et la ville est responsable de la nourriture de tout le monde. C'est-à-dire que l’on n'aura pas besoin d'acheter sa nourriture avec de l’argent, mais il faut la gagner.

C'est une sorte d'adaptation du système communiste, mais pas dans un esprit de nivellement: suivant la capacité, la position (pas psychologique ni intellectuelle), la position INTÉRIEURE de chacun.

Avec les démocraties et les communistes, c'est le nivellement par le bas: tout le monde est ramené en bas.

Oui, c'est justement.

Ce qui est vrai, c'est que, matériellement, tout être humain a le droit... (mais ce n'est pas un «droit»...) l’organisation doit être telle, doit être arrangée de telle façon que les nécessités matérielles de tous soient assurées non pas selon des idées de droit et d'égalité, mais en se basant sur les nécessités les plus élémentaires; et alors, une fois cela établi, chacun doit être libre d'organiser sa vie selon, non pas selon ses moyens monétaires, mais selon ses capacités intérieures.

«No rules or laws are being framed. Things will get for-mulated as the underlying Truth of the township emerges and takes shape progressively. We do not anticipate.»

[Aucune règle ni loi ne sont édictées. Les choses se formuleront d'elles-mêmes à mesure que la Vérité latente de la ville émergera et prendra forme peu à peu. Nous ne voulons pas anticiper.]

Ce que je veux dire, c'est que d'habitude (toujours jusqu'à présent, et de plus en plus), les hommes établissent des règles mentales selon leurs conceptions et leur idéal, et puis ils les appliquent (Mère abaisse son poing comme pour montrer le monde sous la poigne mentale), et ça, c'est absolument faux, c'est arbitraire, c'est irréel, et le résultat, c'est que les choses se révoltent ou dépérissent et disparaissent... C'est l’expérience de la vie elle-même qui doit lentement élaborer des règles aussi souples et aussi vastes que possible de façon qu'elles soient toujours progressives. Rien ne doit être fixe. Ça, c'est l’immense erreur gouvernementale: on fait un cadre, on dit «Voilà, nous établissons ça et nous devons vivre là-dessous», et alors naturellement on écrase la Vie et on l’empêche de progresser. Il faut que ce soit la Vie elle-même, se développant de plus en plus dans une progression vers la Lumière, la Connaissance, le Pouvoir, qui doit petit à petit établir des règles aussi générales que possible de façon qu'elles soient extrêmement souples et qu'elles puissent se changer avec le besoin et aussi rapidement que changent les habitudes et les besoins.

(silence)

Au fond, le problème se réduit presque à ceci: remplacer le gouvernement mental de l’intelligence par le gouvernement d'une conscience spiritualisée.

Ça, c'est une expérience extrêmement intéressante: comment les mêmes actions, le même travail, les mêmes observations, le même rapport avec l’entourage (proche et lointain), se fait dans le mental, par l’intelligence, et dans la conscience, par l’expérience. Et c'est cela que ce corps est en train d'apprendre: à remplacer le gouvernement mental de l’intelligence par le gouvernement spirituel de la conscience. Et cela fait (ça n'a l’air de rien, on peut ne pas s'en apercevoir), cela fait une différence formidable, au point que ça centuple les possibilités du corps... Quand le corps est soumis à des règles, même si elles sont larges, même si elles sont compréhensi-ves, il est l’esclave de ces règles, et ses possibilités sont limitées par ces règles. Mais quand il est gouverné par l’Esprit et la Conscience, ça lui donne une possibilité, une flexibilité, incomparables! Et c'est cela qui lui donnera la capacité de prolonger sa vie, de prolonger sa durée: c'est de remplacer le gouvernement intellectuel, mental, par le gouvernement de l’Esprit, de la Conscience – la Conscience. Et extérieurement, ça n'a pas l’air de faire beaucoup de différence, mais... Mon expérience est comme cela (parce que maintenant mon corps n'obéit plus du tout au mental ni à l’intelligence, plus du tout – il ne comprend même pas comment ça peut se faire), mais de plus en plus et de mieux en mieux, il suit la direction, l’impulsion de la Conscience. Et alors il voit, presque à chaque minute, la différence formidable que cela fait... Par exemple, le temps a perdu sa valeur (sa valeur rigide): on peut faire en très peu de temps, en beaucoup de temps, exactement la même chose. Les nécessités ont perdu leur autorité: on peut s'adapter comme ceci, s'adapter comme cela. Toutes les lois – ces lois qui étaient des lois de la Nature – ont perdu tout leur despotisme, peut-on dire: ce n'est plus comme cela. Il suffit de toujours-toujours être souple, attentif et... «responsif» (si cela peut exister!) à l’influence de la Conscience – la Conscience dans sa toute-puissance – pour passer à travers tout cela avec une souplesse extraordinaire.

Ça, c'est la découverte qui se fait de plus en plus.

C'est merveilleux, n'est-ce pas! c'est une découverte merveilleuse.

C'est comme une victoire progressive sur tous les impératifs. Alors, toutes les lois de la Nature naturellement, toutes les lois humaines, toutes les habitudes, toutes les règles, tout ça, ça s'assouplit et ça finit par être inexistant. Et pourtant, on peut garder un rythme régulier qui facilite l’action – ce n'est pas contraire à cette souplesse. Mais c'est une souplesse dans l’exécution, dans l’adaptation, qui vient et qui change tout. Au point de vue hygiénique et au point de vue santé, au point de vue organisation, au point de vue des relations avec les autres, tout cela a perdu non seulement son agressivité (parce que ça, il suffit d'être sage – sage et pondéré et calme – pour que cela perde son agressivité), mais son absolutisme, sa règle impérative: c'est tout à fait parti – c'est parti.

Et alors on voit: à mesure que le procédé devient de plus en plus parfait – «parfait», cela veut dire intégral, total, ne laissant rien en arrière –, c'est nécessairement, inévitablement, la victoire sur la mort. Non pas que cette dissolution des cellules, que la mort représente, n'existe plus, mais elle n'existerait que quand elle serait nécessaire: pas comme une loi absolue, mais comme un des procédés, quand c'est nécessaire.

C'est surtout cela: tout ce que le Mental a apporté de rigide et d'absolu, et d'invincible presque, qui... va disparaître. Et simplement cela: par... passer le pouvoir suprême à la Conscience Suprême.

Peut-être est-ce cela que les anciens sages voulaient dire quand ils parlaient de passer le pouvoir de la Nature ou le pouvoir de la Prakriti au Pourousha, de le passer de la Prakriti au Pourousha. C'était peut-être cela qu'ils exprimaient de cette manière.









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